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KallyVasco - Page 13

  • Procida amore mio

    IMG_3332.jpgUne semaine sur l'île de Procida regonfle, donne envie de continuer d'écrire, d'écrire là-bas aussi, à défaut d'y vivre; entre deux balades en scooter d'une plage l'autre, et deux terrasses de restaurants de poissons et de fruits de mer. L'île n'est-elle pas devenue un jardin d'écriture, où Elsa Morante écrivit plusieurs de ses livres, dans la propriété Mazzella di Bosco ou hôtel Eldorado (rebaptisée ll giardino di Elsa), avec ses allées de citronniers qui poussent leur feuillage jusqu'à ce balcon merveilleux, en bord de falaise, au-dessus de la plage de Chiaia et du petit port de la IMG_3346.JPGCorricella,  avec la côte amalfitaine et Capri à l'horizon ? J'en reviens et comme à chacun de mes retours de cette île-querencia, je suis la proie d'une mélancolie tonique, que la lecture de L'isola nomade (adm editoriale, sept. 2010), recueil copertina-194x300.jpgde récits sur Procida rassemblés par Tjuna Notarbartolo, écrivain et présidente du Prix Elsa-Morante, augmente cette fois d'une joie singulière, celle qui rassérène car elle est fleurie de promesses et de bonheurs à venir, encore, bientôt ; là-bas.

    (Peinture de Luigi Nappa, photo LM, couverture du livre et peinture de Roger Chapelet, représentant le s/s Procida...).

     

     

    www.isoladiprocida.it

     

     

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  • Ardi gasna

    L3816.jpgLe magazine Fromage gourmand m'a demandé un texte sur mon fromage fétiche pour leur rubrique littérature (un écrivain, un fromage) -Pourquoi pas! Le papier est paru hier, extraits :

      

    C’est un fromage de berger et d’amour, nés aux confins du Pays basque et du Béarn, entre les vallées d’Aspe, d’Ossau et de Barétous. C’est avant tout un concentré de saveurs fortes, une compacité unique. L’ardi gasna est enfin un fromage de partage et de rites initiatiques…

    D’abord il y a les courbes sensuelles des douces collines du Pays basque, comme une toile vert cru, salée de brebis qui paissent. Ce sont les Manex (Jean, en Basque) à tête noire qui donnent le meilleur lait dont on fait l’ardi gasna, ou fromage de brebis (le behi gasna désignant celui de vache).

    Puis, il y a les mains d’ange –épaisses, du berger qui sculpte les tommes comme un potier amoureux.

    Après il y a le couteau pour gratter la croûte et respirer une poudre qui doit sentir la fraîcheur animale de la bergerie, avec sa paille souillée, ses senteurs sauvages. C’est ainsi que l’on détecte, à l’instar d’un melon par la queue, l’ardi gasna « de respect ».

    Enfin, il y a la tranche dense, compacte, de préférence sans trous, pâle et légèrement collante du fromage lui-même.

    Ardi gasna, donc. J’ai toujours envie d’aspirer un « h » devant, tant ce fromage de brebis réveille les papilles et chante en moi lorsque je le déguste. Hardi, petit !

    L’ardi gasna possède son AOC : Ossau-Iraty. C’est un peu le même en vallée d’Aspe. Question de versant, de variétés de brebis et de savoir-faire. Nous sommes toujours en pays 64 !

    Ma préférence va à celui que font les bergers reclus au cœur des vallées souletines, du côté de Larrau, à l’aplomb de l’immense hêtraie d’Iraty. Fromage à pâte mi-dure, pressée et non cuite, à croûte naturelle, au lait cru entier de brebis, l’ardi gasna se déguste de préférence en altitude, le cul sur une motte, la tête baignée par le vent du Sud, Aïce Hegoa, un opinel en main. Du pain (préférez la fougasse de Tardets, au virage de l’entrée du village), du vin d’Irouléguy ou de Navarre. Eventuellement un petit pot de confiture de cerises noires de Mayalen, à Bidarray et zou !

    Le plaisir est entier, qui doit si peu au paysage féerique, à l’atmosphère envoûtante, tant ce fromage est DSCF6095.JPGun délice. D’estive, il est plus tendre. Sec, il est fort comme la montagne à l’automne, lorsque la hêtraie fait pâlir d’envie les images du couvert canadien au cours de l’été indien. Une confrérie de l’Ardi Gasna tient chapitre chaque année à Saint-Jean-Pied-de-Port. J’y fus intronisé un matin de septembre (sans doute parce que j’étais alors rédacteur en chef de « GaultMillau »), juste avant un déjeuner d’anthologie chez Firmin Arrambide, aux « Pyrénées », et une corrida bayonnaise de la feria de l’Atlantique, dont on fit un fromage à l’heure de la tertulia, ce moment exquis où l’on refait le monde de la tauromachie, gestes à l’appui, verre de fino en main, avant d’aller dîner quelque part…

    L’ardi gasna symbolise à mes yeux le partage. C’est le fromage que l’on se passe comme un ballon de rugby.

    C’est la tranche que l’on coupe et que l’on tend du plat du couteau à l’ami, au cours d’une randonnée, ou d’une partie de pêche à la truite, d’une balade ornitho, ou bien à la plage, à l’automne, quand il n’y a plus que des surfeurs en combi dans l’eau froide.

    L’ardi gasna, c’est la promesse de l’aube dans la campagne givrée qui sent le cèpe. C’est aussi l’envie de lui choisir le meilleur pain, le meilleur vin, pour le rendre encore plus beau et lui faire davantage plaisir.

    Mon dernier grand souvenir de dégustation d’un ardi gasna par ailleurs exceptionnel, remonte à l’été dernier. In situ ! Soit sur les cols qui dominent la forêt d’Iraty. Je me trouvais à randonner avec mes deux enfants et Jey, le petit ami de ma fille. Marine, 21 ans, adore les formages depuis qu’elle sait parler et elle a longtemps composé son petit-déjeuner d’enfant de deux ou trois vrais cabécous ! C’est dire si le brebis lui parle aussi. Mon fils Robin, 18 ans, comme beaucoup de jeunes garçons, ai-je constaté (j’en fus) détestait le fromage (à l’exception de la vraie mozzarella dans la salade de tomates et du gruyère râpé maison dans les pâtes), jusqu’à ce jour béni de juillet où il consentit à mordre dans un morceau d’ardi gasna découpé par mes soins et tendu comme une offrande : « Tiens, allez ! Goûte enfin ! »

    Etait-ce le paysage –à couper le souffle comme on dit, avec le Pic d’Orhy en fond, la vallée de Larrau en contrebas, des vautours qui planaient dans le ciel bleu ? Etait-ce le crapahut (et l’excellent jambon iberico pata negra) qui avaient précédé le geste ?.. Toujours est-il qu’il découvrit ainsi le plaisir du fromage. Une photo a immortalisé le moment car, dans notre famille, on ne plaisante pas avec les bonnes choses.

    L.M.

     

  • Où est-il?

    IMG_1396.jpg<== : Voici ce qu'il reste d'un torero d'une classe rarissime, aujourd'hui chaque fois plus décevant. Sebastian ne torée plus vraiment depuis deux saisons. Souhaitons qu'il réfléchisse à son retour...

    IMG_1427.JPGIMG_1389.JPGIMG_1363.jpg(Photos prises avec mon iPhone : Sebastian Castella, Mateo Julian, novillero prometteur, Dax, samedi 11. Arènes de Bayonne, samedi 4)

    José Bergamin (La solitude sonore du toreo, Verdier/poche) :  Parce qu’elle est émotion et parce qu’elle est torera, l’émotion torera est magique.

    Tout ce qui est art, jeu, fête, dans le toreo, appartient au monde magique de l’émotion. Le cercle magique des arènes l’inscrit dans l’ensemble de ses éléments. Les barrières de bois le dessinent sur le sable, la toiture le découpe dans le ciel. Et tout ce qui demeure à l’intérieur de ce rond, dans son espace déterminé, appartient au monde magique de l’émotion, horrible ou merveilleux, selon l’objet qui le motive. De telle sorte que le véritablement horrible ou merveilleux disparaît quand se rompt le cercle magique, soit, comme dirait Sartre : « Quand nous construisons sur ce monde magique des superstructures rationnelles, car ce sont elles alors qui sont éphémères et sans équilibre, elles qui laborieusement construites par la raison se défont et s’écroulent, laissant l’homme brusquement replongé dans la magie originelle.» Pour celui qui contemple le monde magique du toreo existent ces deux formes d’émotion signalées par Sartre : celle que nous construisons et celle qui nous est brusquement révélée. C’est ainsi qu’il arrive, dans le toreo comme dans la danse  – surtout la danse sacrée et cette part de sacré qu’il y a dans le flamenco –, que l’émotion magique surpasse prodigieusement ou sublime leur réalité vivante. Exemple souvent cité par moi que celui de la danse, et Sartre aussi l’évoque, je crois me souvenir, dans sa Théorie des émotions : quand le symbolisme du sexe pour la danseuse, de la mort pour le torero, transcendant son instinctive motivation, transforme ou transfigure le désir ou la peur. Dans le spectacle magique de la course, la présence de la mort est exclusivement liée au taureau tandis que les lumières de la raison irrationnelle, s’allumant et s’éteignant sur son habit, masquent d’immortalité le torero. Dès qu’un torero nous exprime volontairement ou involontairement sa vaillance ou sa peur, l’émotion magique de son art s’évanouit. Car l’émotion du toreo relève exclusivement de l’art. Le spectateur qui s’émeut d’autre chose le détruit, en lui substituant une sorte de pornographie mortelle qui le transforme lui-même en masochiste suicidaire et en assassin sadique : tendances évidemment imaginaires, ignorées de lui, qui ne sent que plaisir et douleur frustrés, comme dans un inconscient fantasme d’onanisme...

  • la grâce

    IMG_1425.JPGC'est un refrain : il faut en voir beaucoup pour... Ainsi ces derniers jours, aux arènes de Bayonne et de Dax, parfois matin et soir...

    Celles de Dax furent hier le théâtre d'une corrida vraiment exceptionnelle. Qu'importe même les 8 oreilles et la queue (il faut remonter à 99 pour en trouver une dans ce ruedo, attribuée à Ponce -là, ce fut à un Juli au faîte de sa maîtrise qu'elle fut accordée sans réserve), car il s'agissait de grâce, et surtout de toros (de Victoriano del Rio) absolument magnifiques, nobles, encastés jusqu'aux diamants et d'une alegria générale qui habita El Cid -au toreo profond, El Juli "al tope", et Morante de la Puebla, plus authentiquement torero qu'un siècle de tardes. Depuis le callejon, les cheveux caressés par Alain et Nicole Dutournier en barrera à l'aplomb, il ne manquait à notre plaisir dévastateur, qu'una copita de ce Costières de Nîmes rouge Clos des Boutes, Les Fagnes 2009, qui présente un mélange magique de boisé discret, de fruité intense, de persistance et d'élégance, avec un chocolaté subtil (entre le noir d'ayatollah de l'amer et le lacté de l'hédoniste qui sait tout du snobisme). Olé, donc.

    Photo prise avec le téléphone.

  • Tous les matins du monde...

    ... sont porteurs de funestes nouvelles. Ainsi la disparition d'Alain Corneau, dont l'adaptation du petit chef-d'oeuvre de Pascal Quignard, Tous les matins du monde, est dans les mémoires. Le deuxième souffle, polar en forme de remake d'un (indépassable) chef-d'oeuvre, de Jean-Pierre Melville cette fois, fut sa dernière création remarquable. J'hésite à aller voir son ultime pellicule, Crime d'amour, à cause du thème (le harcèlement moral sur le lieu de travail), mais il y a le duel Kristin Scott Thomas - Ludivine Sagnier en perspective, alors...

    http://www.youtube.com/watch?v=BrJv1EHm6rs

    Jordi Savall et Christophe Coin jouent Les Pleurs, de M. de Sainte-Colombe (B.O. du film Tous les matins du monde).

  • filets de pêche

    IMG_2863_2.JPGDans le petit port de Centuri, Corse. ©LM

     

    "-mais quelquefois, à l'étape, quand la nuit s'était épaissie autour du lit de braises rouges- la seule coquetterie qu'elles avaient c'était de toujours choisir - une bouche cherchait votre bouche dans le noir avec une confiance têtue de bête douce qui essaie de lire sur le visage de son maître, et c'était soudain toute une femme, chaude, dénouée comme une pluie, lourde comme une nuit défaite, qui se laissait couler entre vos bras."

    Julien Gracq, La route (in La Presqu'île).

  • Les écrivains dans leur jardin, florilège

    Des Mille et une nuits à Proust, du Cantique des cantiques à Kafka et Flaubert, en passant par Yourcenar ou Ji Cheng et Claude Simon, les grands textes, et de nombreux écrivains, ont célébré le jardin. Florilège et promenade dans les allées, avec larges extraits prélevés parmi les livres de ma bibliothèque verte...

     

    Voltaire, d’abord. Avant La Genèse. Candide, chapitre XXX : « Il faut cultiver son jardin ». Dont acte. Le précepte est indestructible. Ecrit à l’anti-rides. Et l’avantage, c’est que chacun l’interprète à sa guise ou selon son humeur. Telle est la non-leçon voltairienne. Sa lumineuse liberté.

    La Genèse, donc : « Iahvé Elohim planta un jardin en Eden, à l’Orient, et il y plaça l’homme qu’il avait formé. Iahvé Elohim fit germer du sol tout arbre agréable à voir et bon à manger, ainsi que l’arbre de vie au milieu du jardin et l’arbre de la science du bien et du mal. Un fleuve sortait d’Eden pour arroser le jardin… » (C’était commode).

    Depuis, le jardin n’a cessé d’inspirer. L’existence même du jardin est source d’inspiration : avant d’être sujet d’écriture, le jardin comme espace et environnement de l’écrivain, est propice à l’écriture. Il n’est qu’ à lire ce petit bijou qu’est Ecrit dans un jardin, de Marguerite Yourcenar, pour s’en convaincre. L’art du jardin, spécialité extrême-orientale classique, est éminemment littéraire : en effet, comment ne pas oser la métaphore des plantes et des fleurs que l’on plante avec les mots et les phrases que l’on pose ?

    Yuan Ye (Le Traité du jardin, publié en 1635), du maître jardinier chinois Ji Cheng, inscrit l’action dans la durée. Comme l’écrivain l’écriture : « Au bord du ruisseau, on plantera des orchidées et des iris. Les sentiers seront bornés des Trois  Bons Amis (le prunier, le bambou et le rocher). Il s’agit d’une œuvre qui doit durer mille automnes. (…) Quoique fait par l’homme, le jardin semblera l’œuvre de la nature ». Et le livre, légende. Un « livre de sable », une notion chère à Jorge Luis Borges. Sensuelle, pensée avec méticulosité, l’art du jardin est un bouquet de vertus pour l’âme et les sens. C’est un art  qui veille au bien-être et prédispose à la création, en somme : « Dans la nuit, la pluie tombera sur les bananiers, comme les larmes de sirènes en pleurs. Quant à la brise matinale, elle soufflera à travers les saules qui se balanceront comme des selves danseuses. (…) Il faut planter les bambous devant les fenêtres et les poiriers dans les cours. Le vent, murmurant à travers les arbres, viendra effleurer doucement le luth et les livres posés sur le chevet ». Avec une poésie subtile, le maître jardinier qui conçut de nombreux jardins sous la dynastie Ming, disait encore : « Bien que tout ceci ne soit qu'une création humaine, elle peut paraître œuvre du Ciel »…

    Remonter au Poème de la Bible, Le Cantique des cantiques permet d’y cueillir d’admirables pétales sur le motif. « C’est un jardin fermé que ma sœur fiancée, une source fermée, une fontaine scellée ; un bosquet où le grenadier se mêle aux plus beaux fruits, le troène au nard, le nard, le safran, la cannelle, le cinname à toutes sortes d’arbres odorants, la myrrhe et l’aloès à toutes les plantes embaumées ; une fontaine dans un jardin, une source d’eau vive, un ruisseau qui coule du Liban. Levez-vous, aquilons ; venez, autans ; soufflez sur mon jardin pour que ses parfums se répandent. Que mon bien-aimé entre dans son jardin et qu’il mange de ses beaux fruits ! ».

    Les Mille et Une Nuits ne sont pas non plus en reste d’évocations merveilleuses. Une parmi cent : « J’ouvris la première porte, et j’entrai dans un jardin fruitier, auquel je crois que dans l’univers il n’y en a point de comparable. Je ne pense pas même que celui que notre religion nous promet après la mort puisse le surpasser. (…) J’en sortis l’esprit rempli de ces merveilles ; je fermais la porte et ouvris celle qui suivait. Au lieu d’un jardin de fruits, j’en trouvai un de fleurs, qui n’était pas moins singulier dans son genre… ».

    Verlaine, dans ses Poèmes saturniens, pousse lui aussi la porte qui ouvre sur le jardin merveilleux : « Ayant poussé la porte étroite qui chancelle,/Je me suis promené dans le petit jardin/Qu’éclairait doucement le soleil du matin,/Pailletant chaque fleur d’une humide étincelle… ».

    La beauté des jardins a toujours captivé les poètes. Les fruits, les fleurs –depuis Ronsard (« Mignonne, allons voir si la rose… »)-, produisent par ailleurs des métaphores tantôt libidineuses, tantôt amoureuses. Question de sève.

    Venant de Victor Hugo, cela peut étonner : « Nous allions au verger cueillir des bigarreaux. / Avec ses beaux bras blancs en marbre de Paros. (…)/Ses petits doigts allaient chercher le fuit vermeil,/Semblable au feu qu’on voit dans le buisson qui flambe./Je montais derrière elle ; elle montrait sa jambe/Et disait : « Taisez-vous ! » à mes regards ardents ; (…) Penchée, elle m’offrait la cerise à sa bouche ;/Et ma bouche riait, et venait s’y poser,/Et laissait la cerise et prenait le baiser ».

    Alexandre Vialatte, lui, aime les jardins municipaux : « L’homme ne vit réellement sa vie que dans la paix végétale des squares municipaux, devant le canard de Barbarie. (…) Si bien qu’on se croit au paradis et qu’il ne faut toucher à rien, ni aux fleurs, ni au séquoia, ni au canard, ni au silence, ni au jet d’eau, ni aux instruments de précision, de peur de fausser le mécanisme ; qui est certainement celui du bonheur ». Et c’est ainsi qu’Alexandre est grand !

    Dans un registre différent, l’immense Claude Simon, dans Le Jardin des Plantes (il vécut Place Monge, dans le 5ème à Paris, à deux pas du Jardin de Buffon, Lacépède, Cuvier, et Jussieu), évoque avec une minutie saisissante, et dans une prose somptueuse, l’atmosphère du Jardin : les gens qui cassent la croûte, les clochards qui roupillent sur les bancs, le jardin zoologique, le Museum, les joggeurs, sur lesquels « les pastilles de soleil criblées par les feuillages glissent… (…) De nouveau, jaillissant des épaisses et vertes frondaisons des acacias, des peupliers, des frênes, des platanes et des hêtres l’oiseau lance son ricanement strident, moqueur et catastrophique qui monte par degrés, se déploie et retombe en cascade ».

    Autre géant trop souvent réduit à certains aspects de sa vie privée, André Gide, qui vécut rue de Médicis, en face des Jardins du Luxembourg, à Paris, décrit fréquemment le « Luco », notamment dans Les Faux-Monnayeurs.

    Comme Louis Aragon le fit, dans Le Paysan de Paris, au parc des Buttes-Chaumont, en y observant sa faune nocturne en compagnie d’André Breton. Il a notamment cette remarque sibylline : « Tout le bizarre de l’homme, et ce qu’il y a en lui de vagabond, et d’égaré, sans doute pourrait-il tenir dans ces deux syllables : jardin. Jamais, qu’il se pare de diamants ou souffle dans le cuivre, une proposition plus étrange, une plus déroutante idée ne lui était venue que lorsqu’il inventa les jardins »…

    Flaubert nous montre quant à lui un Pécuchet complètement absorbé par son jardin, habité par l’obsession de la bonne conduite des tailles et autres semis, sous l’œil critique de Bouvard. Car Pécuchet n’a pas la main verte… Le passage suivant vaut par son humour  : « Les boutures ne reprirent pas, les greffes se décollèrent, la sève des marcottes s’arrêta, les arbres avaient le blanc dans leurs racines ; les semis furent une désolation. Le vent s’amusait à jeter bas les rames des haricots. L’abondance de la gadoue nuisit aux fraisiers, le défaut de pinçage aux tomates. Il manqua les brocolis, les aubergines, les navets, et du cresson de fontaine, qu’il avait voulu élever dans un baquet. Après le dégel, tous les artichauts étaient perdus. Les choux le consolèrent. Un, surtout, lui donna des espérances. Il s’épanouissait, montait, finit par être prodigieux et absolument incomestible. N’importe, Pécuchet fut content de posséder un monstre. Alors il tenta ce qui lui semblait être le summum de l’art : l’élève du melon ». Ce sera, on s’en doute, un échec cuisant.

    Nous pourrions ainsi citer, à l’envi, Les Géorgiques de Virgile, L’Odyssée d’Homère, Esope (plagié plus tard par La Fontaine), Boileau, Huysmans, Balzac, pour ne citer que quelques grands classiques. Tous ont magnifié le jardin comme  espace, tantôt foisonnant, tantôt raidi par l’ordre. Le génie du lieu, ouvert et façonné, a donné des pages éblouissantes chez Horace Walpole, auteur d’un Essai sur l’art des jardins modernes, et pour qui « créer un jardin, c’est peindre un paysage ». Le père fondateur du roman gothique louait le jardin à l’anglaise et vilipendait le jardin français façonné « à la Le Nôtre »… Vieille querelle, que les jardins japonais, subtils, font taire en étant seulement.

    Colette, avec la fluidité de sa prose enchanteresse, aimait passionnément les jardins, même si la nature sauvage mais douce de sa Puisaye natale, avait sa préférence : « Demain je surprendrai à l’aube rouge sur les tamaris mouillés de rosée saline, sur les faux bambous qui retiennent, à la pointe de chaque lance bleue, une perle… ».

    À l’opposé, Marguerite Duras décrit, superbement, et comme un pied de nez aux jardins bien ordonnés, un jardin de banlieue triste, du côté de Vitry, dans La Pluie d’été. L’auteur des Journées entières dans les arbres, adorait décrire tous les jardins, même luxuriants et indochinois (voir Le Square).

    Il y a encore le jardin intérieur, « les roses fleurissent à l’intérieur », disait Jean Jaurès. À distinguer du nénuphar qui pousse à l’intérieur du poumon de Chloé (dans L’écume des jours, de Boris Vian), et du Roman de la rose, d’un Moyen-Âge qui aimait enclore l’amour courtois : la rose symbolisait la femme et le jardin, le lieu clos où elle se cachait.

    Il y a enfin le jardin secret, là où poussent nos rêves et nos désirs. Et je laisserai, par paresse et par admiration, le mot de la fin à Antoine Blondin : « Un peu plus aventureux, je me serais fait jardinier ».

    L. M.

    Lire absolument : Le goût des jardins, et Les jardins secrets (Mercure de France), et chercher obstinément Eloge du jardin, offert il y a deux ans par Arléa pour l’achat de quelques livres. Car ce sont trois anthologies très précieuses.

     

  • En lisant en bronzant

    Lectures du moment : Eloge de l'amour, d'Alain Badiou (conversation avec Nicolas Truong, Flammarion) est un livre salutaire qui propose de réinventer l'amour (à la suite de Rimbaud, et aussi de Platon et de Lacan) en le sortant de cette gangue consumériste, où le tout confort et le 100% sans risque ôtent à l'amour l'esprit de la Rencontre avec la différence, et le goût de l'aventure. Une aventure obstinée.

    Voici les derniers mots de ce petit livre précieux : "Je t'aime" devient : il y a dans le monde la source que tu es pour mon existence. Dans l'eau de cette source, je vois notre joie, la tienne d'abord.

    La vérité sur Marie, de Jean-Philippe Toussaint (Minuit) ou l'écriture (de la non-école) minuit dans toute sa splendeur, sa rigueur, son humour, ses voies et ses détours par la fiction et son retour au style sec, décharné et efficace, bien qu'encombré de circonvolutions descriptives dont nous sommes désormais coutumiers, avec les livres précédents de Toussaint, ainsi qu'avec tous ceux de ses frères de la rue Bernard-Palissy : Echenoz (on attend son prochain dans quelques jours!), Viel, Oster, Gailly, Ndiaye et consorts. Parce que ces détours là font toujours retomber la phrase, le récit, le texte dans son ensemble sur leurs pattes, à la manière d'un chat tombé du balcon : ça marche à tous les coups.  Et en souplesse, de surcroît !  C'est ça la magie Minuit.

    Suzanne Lilar : relecture de La confession anonyme, devenue Benvenuta au cinéma (André Delvaux), grand roman de l'amour, et surtout de l'érotisme et du sacré. Extrait : L'amour veut l'ombre, le secret, la clandestinité, les retraites. Ces retraites qu'un détail suffit à créer, ma sensualité les situait maintenant dans les chambres bourgeoisemment solennelles d'un grand ghôtel milanais, qui s'alignaient comme autant de chapelles liturgiquement tendues de rouge dans un dédale de couloirs sombres et veloutés où se feutraient les pas.

    Puis relecture de la préface que Gracq donna au Journal de l'analogiste, du même auteur, remarquable d'intelligence critique et de talent poétique.

    Et, dans la foulée, celle du texte intitulé Société secrète, de Gracq encore, à propos de Roland Cailleux (Avec Roland Cailleux, Mercure de France), à la faveur d'un échange sur cet auteur méconnu avec les éditions Finitude. Ouverture : Il survient parfois, dans l'opération de la lecture, quelque chose de plus énigmatique que le coup de foudre, éprouvé dès la première page d'un livre destiné à nous marquer. (Gracq parle ici de sa "rencontre" avec Saint-Genès, le premier livre de Cailleux). C'est le lent dégel, au fil des pages, de l'esprit indifférent ou engourdi, que rien d'abord de ce qu'il lit n'arrête vraiment mais qu'un courant de sympathie progressivement déclôt et réchauffe, sans qu'aucune sorte de "message" ait besoin d'être transmis. A travers cette lecture se réalise, à dose homéopathique, mais non sans efficacité, l'idée que Rimbaud se faisait de la poésie la plus haute : "de l'âme appliquée sur de l'âme, et tirant"...

    Et relecture, là, de L'Antéchrist, de Nietzsche, comme on reprend Proust  - à la hussarde, n'importe où, parce que cela fait un bien fou de se payer (plutôt que du Onfray, son exégète le plus fidèle) une bonne rasade originelle d'anticléricalisme tonique et violent !



  • MonTirius, Vacqueyras

    vin_bout_vacq.gifUne fois n'est pas coutume : l'été, je suis rosé et blanc et cet été davantage rosé que blanc. Mais là, il s'agit d'un rouge. D'un Vacqueyras. J'adore cette AOC (je fus d'ailleurs intronisé en son sein en 1996 ou 97), située au pied du Mont Ventoux et aux abords des Dentelles de Montmirail, là où l'on éprouve Pétrarque et où l'on entend la voix grave et puissante de René Char, rien qu'en foulant le sol aride, en recevant avec bonheur une gifle de mistral et en observant les vieux pieds, noirs et noueux, de syrah, de mourvèdre et de grenache. MonTirius  (élaboré par Christine et Eric Sorel) est un vacqueyras rare, car élevé en agriculture biodynamique et 100% non boisé. Il est composé de 70% de grenache et de 30% de syrah, des vignes d'un demi-siècle qui plantent leurs racines dans un sol de garrigues (Garrigues est d'ailleurs le nom de la cuvée dégustée)  argilo-calcaires et des poches de marnes argileuses bleues réputées difficiles à pénétrer. Le vin est bichonné, après une éraflage total, un léger foulage et une préfermentation à froid. Ses levures sont indigènes et son nez profond comme un tombeau baudelairien. Les fruits rouges et noirs (comme  la robe de ce vin) se disputent vos narines et, en bouche, l'attaque est féline, vive et douce à la fois. J'y ai retrouvé la fraîcheur de la garrigue à l'aube et le sous-bois d'arrière-septembre, lorsque le cèpe parvient à nous faire oublier la grive. Un magret de canard l'escorta, hier soir. L'audacieux MonTirius releva avec superbe ma provocation en forme de poudre de piment d'Espelette, versée d'abondance. Pour voir. Et j'ai vu. Et bu. Ceci est un vin de plaisir et de partage. Un vin de copains. Franc, droit, il ne se la joue pas et c'est pour cela qu'on l'aime.

  • Capharnaüm

    capha-1.jpgVoilà un beau cadeau de derrière les fagots, ou les tiroirs, c'est comme on voudra. Les éditions Finitude (magnifique catalogue comme on les aime, façon Le temps qu'il fait ou le dilettante des débuts, http://www.finitude.fr), ont râtissé quelques belles feuilles éparses, pas mortes non, mais veinées et vives comme la chaux de la prose de Robert-Louis Stevenson, dont la réflexion sur la description littéraire du génie d'un lieu est splendide, la poésie pavesienne, aux échos camusiens, ensoleillés, de Raymond Guérin, la mélancolie -et l'humour aussi, de Marc Bernard, le désespoir de Jean-Pierre Martinet, l'habituelle folie verbale de Michel Ohl... Sont autant de pâtisseries que l'on déguste à la fraîche. Le sommaire du numéro 1 de cette précieuse revue, Capharnaüm, me rappelle la longue série d'articles que j'ai co-écrit avec Pierre Veilletet dans les colonnes de Sud-Ouest Dimanche, de 1984 à 1987, et que nous avions intitulée Les inconnus célèbres. Nous redonnions ainsi un peu de vie à ces auteurs, ainsi qu'à une pelletée d'autres : Calet, Gadenne, Perros, Augiéras, Blanchard, de Richaud, Luccin, Delteil, Forton, Cailleux... Je me souviens de mon bonheur de replonger dans ces oeuvres subtiles, oubliées, négligées surtout, et d'en faire écho. Comme on revient de mission. Voir les éditions Finitude (*) exhumer, non pas des fonds de malles propres à faire la Une du Monde des Livres, comme le texte liminaire prévient avec humour, mais des fonds de tiroirs, est un ravissement. Simplement.

    Alors bravo !

    (*) J'avais quand même été alerté par un papier de Jérôme Garcin (L'Obs) et par un autre de l'ami Didier Pourquery (Le Monde Magazine) : deux secousses, quand même!

  • le bruit des pages

    http://www.dailymotion.com/video/xfhj3_philippe-decoufle-le-p-tit-bal-perd_music

    Certains écrivains, pourtant remarqués, partent sur la pointe des pieds et le bruit qui est fait autour de leur éclipse furtive (leur oeuvre les sort, un jour, peut-être, de l'obscurité) est semblable à celui des pages de leurs livres que l'on feuillette avec respect. Roger Munier a traduit (entre autres) Octavio Paz, il fut l'ami de René Char et de Martin Heidegger, il a analysé Rimbaud, écrit sur quelques peintres. Cet allié substantiel s'en est allé. Un entrefilet du carnet du Monde le prouve. Quelle importance, au fond. J'aimerais cependant -c'est un réflexe, reprendre un de ses livres comme Le moins du monde (Gallimard), mais je suis loin, si loin d'eux...

    En images, ce que Philippe Découflé a fait du P'tit bal perdu (Bourvil). Une pure poésie muette...

  • Proust / Nabokov

    Lire le cours de littérature de Nabokov, sur Proust notamment, est un bain de lumière. Il y a bien sûr les biographes solides, à l'anglo-saxonne, façon Lottmann sur Camus et Painter sur Proust. Il y a aussi les brillants exégètes comme Tadié sur Proust (ou de Biasi sur Flaubert).  Mais il y a enfin les livres d'écrivains sur les écrivains, il y a l'empathie et la finesse de l'analyse du dedans d'un Nabokov, admiratif mais pas trop, qui nous éclaire avec une intelligence incandescente. Ses pages sur Du côté de chez Swann (284 à 331, à peine 50 dans le très précieux opus : Littératures, paru chez Laffont/Bouquins et dont j'ai déjà parlé ici) sont aussi éveillantes que celles consacrées au sujet par Gracq dans En lisant en écrivant (Proust considéré comme terminus). « L'ensemble est une sorte de chasse au trésor, où le trésor est le temps, et le passé la cachette, (nous souffle le chasseur de papillons). C'est là le sens profond du titre, A la recherche du temps perdu. La transmutation de la sensation en sentiment, le flux et le reflux de la mémoire, les vagues d'émotion telles que le désir, la jalousie et l'euphorie artistique, voilà le matériau de cette oeuvre énorme et cependant singulièrement légère et translucide. » Nabokov plante le décor, Con el viento.jpgsynthétique, et prévient : « Il y a une chose dont vos esprits doivent bien se pénétrer (il s'adresse à des étudiants) : l'oeuvre n'est pas autobiographique, le narrateur n'est pas Proust en tant qu'individu, et les personnages n'ont jamais existé ailleurs que dans l'esprit de l'auteur. » (...) « Proust est un prisme. Son seul objet est de réfracter, et, par réfraction, de recréer rétrospectivement un monde. « (...) « Les créatures prismatiques de Proust n'ont pas d'emploi, leur emploi est d'amuser l'auteur. » Nous entrons ainsi dans une oeuvre d'art dont l'ampleur est considérable. Nous sommes au sein d'une évocation gigantesque et aux ramifications qui semblent infinies, pas d'une description. Ni d'une autofiction, suis-je tenté d'ajouter. Ce serait trop facile! Et les Doubrovsky et autres Vilain se réjouiraient en hâte. Non. Proust est autrement plus complexe tout en restant limpide, par la force surhumaine de son style, par la grâce dont la Recherche est empreinte de la première ligne à la dernière (pour peu que l'on sache tourner les pages lorsqu'il le faut; à bon escient). « En matière de générosité verbale, dit Nabokov à propos de l'usage de la métaphore par Proust, c'est un véritable Père Noël. » Chez Proust, poursuit-il, « conversations et descriptions s'entremêlent, créant une nouvelle unité où fleur et insecte appartiennent à un seul et même arbre en fleurs. » Je pense alors à la peinture d'EkAT. Aux remarques de Christiane à ce sujet et à propos de ses propres créations graphiques. Et je retourne illico  à Nabokov : celui-ci souligne avec tact une façon de déplier l'image comme un éventail, procédé caractéristiquement proustien. Prenons « le » personnage. Proust, selon Nabokov, l'appréhende comme une personnalité connue de façon comparative seulement, jamais de façon absolue. Aussi, « au lieu de le hacher menu (façon Joyce avec Ulysse), il nous montre tel personnage à travers l'idée que d'autres personnages se font de ce personnage. Et il espère, après avoir donné une série de ces prismes et de ces reflets, les combiner pour en faire une réalité artistique. » Bien sûr, Nabokov évoque –avec une infinie douceur, pas comme un chirurgien de l’Université ou un critique littéraire armé de sourds couteaux revanchards -, la madeleine, le baiser de maman, Combray, la flèche pourpre, la crème au chocolat, Méséglise, Vinteuil, Léonie, la jalousie –qui éclatera beaucoup plus loin avec Albertine, Guermantes, les cattleyas… Mais il ne brille jamais aussi intensément que lorsqu’il parle de cette notion du temps incorporé, de ce quelque chose de plus que la mémoire. « Un bouquet de sensations dans le présent et la vision d’un événement ou d’une sensation dans le passé, voilà où la sensation et la mémoire se rejoignent, où le temps perdu se retrouve. » Chef d’œuvre, vous dis-je!

    Con el viento, peinture d'EkAT. www.ekat.fr

     

  • JULIEN GRACQ A 100 ANS

    Roland Allard_VU.jpgIl n’aimait guère les anniversaires et les commémorations. Il n’aurait sans doute pas aimé qu’on célèbre le centenaire de sa naissance, ce 27 juillet*. Ca tombe bien, personne, ou presque, ne pensera à le faire. Les aficionados de cet auteur monumental, qui sont a priori respectueux de son éthique de l’effacement (celle de l’écrivain derrière son œuvre –seule habilitée à le représenter), seront contents. Car, célébrer Gracq c’est continuer de le lire. Et donner envie de le lire, à ceux qui ont la chance de ne pas connaître encore la prose somptueuse d’un des plus grands stylistes, romanciers et essayistes de la littérature de tous les temps. Faites passer.

    *Il a disparu le 22 décembre 2007.  Voici ce que je donnais à Libé juste après sa mort :

    http://www.liberation.fr/tribune/010170942-mes-journees-chez-julien-gracq

     


    Photo : Roland Allard / Vu.

     

    P1261849D1307626G_apx_470__w_presseocean_.jpgJ'ajoute, ce 27 juillet, une info que je viens de découvrir : voir le lien ci-dessous avec un blog (recommandable) qui annonce une série de festivités (théâtre, lectures...) à l'occasion de ce centenaire.

    Il suffit de cliquer pour obtenir le programme. http://liratouva2.blogspot.com/2010/07/centenaire-de-julien-gracq-ne-le-27.html

     

    Photo : avec Nora Mitrani (sa compagne autour des années 1958) et André-Pieyre de Mandiargues à Venise. Source : Presse-Océan.

     

    Robert Pinget : « Il me semble que lorsqu'on est attiré par un écrivain, ce n'est pas sa biographie qui intéresse. Je m'étonne toujours qu'on aborde un écrivain avec des questions qui n'ont rien à voir, ou peu à voir, avec son œuvre. Je n'ai pas de vie autre que celle d'écrire. Mon existence est dans mes livres… »

    Charles Dantzig : « Pourquoi le public lit-il des biographies d'écrivains ? Pour comprendre le mystère, sans doute, pour éviter de lire les livres peut-être. Curieuse paresse, curieuse modestie (...) Ce qu'on sait d'un écrivain cache ce qu'on en lit. »

    A Jérôme Garcin, qui lui demandait pourquoi il ne publiait guère depuis des années, Julien Gracq eut cette réponse admirable : la vérité, c'est que je redoute le livre de trop.

     

    Bifurquer

    Par ailleurs, je me dois d'informer que, parmi les nombreux commentaires à cette note, il est également question de peinture (EkAT) et de poésie (René CHAR). Allez-y voir!

  • EkAT

     

    IMG_2741 - Copie.jpg

    (1) Les charmes, huile sur toile, 162x114

    IMG_2746 - Copie.JPG
    (2) Le merle, huile sur toile, 130x130

    IMG_2749.jpg
    (3) Au jardin, huile sur toile, 195x98.

    Voici trois créations parmi les plus récentes d'EkAT, www.ekat.fr . Des femmes presque nues, très belles, mélancoliques. Elles portent une fêlure en elles, elles sont sensuelles et végétales, ce sont des huiles sur toiles auxquelles l'artiste ajoute du bitume, de la cendre, des pigments divers et qui, par couches ou par palimpseste, ont chacune une histoire dense, parfois proche du retournement.

  • Un balcon...

    Voici le début du film de Michel Mitrani, adapté du récit de Julien Gracq, où l'on voit donc le départ de l'aspirant Grange de la gare de Charleville, son arrivée à celle de Monthermé (Moriarmé dans le roman), à travers la forêt des Ardennes, puis celle de la maison des Falizes...

    Via le fameux balcon en forêt depuis lequel la Meuse, autour des forêts qui environnent Monthermé, dessine un fer à cheval...

    http://www.ina.fr/fictions-et-animations/fictions-historiques/video/CPB80056069/un-balcon-en-foret.fr.html

  • Tao

    Le Vrai toujoursCOUV_WEB-d962a.jpg

    Est ce qui naît

    d’entre nous

    Et qui sans nous

    ne serait pas.

     

    Né d’entre nous

    Selon le Souffle

    du pur échange

    Le Vrai toujours

    Est ce qui tremble

    Entre frayeur et appel

     

    Entre regard et silence.

     

    --------------------------------

    Sur le tard, je n’aime que la quiétude.
    Loin de mon esprit la vanité des échanges.

    Dénué de ressources, il me reste la joie

    De hanter encore ma forêt ancienne.

    Wang Wei.

     

    (en lisant François Cheng, écrivain et calligraphe chinois d'expression française).

  • Moriarmé (Un balcon en forêt)

    IMG_2225.JPGJe pose cette photo, que j'ai prise dans la forêt des Ardennes, à la faveur d'un reportage récent sur Rimbaud paru dans Le Nouvel Observateur (lire ici à la date du 8 avril 10 et à celle du 25 mars 10), car elle figure la Meuse en fer à cheval au village de Monthermé, et que c'est précisément ce paysage qui servit de décor à Julien Gracq pour planter celui de son roman Un balcon en forêt. Je me demande surtout comment j'ai pu oublier cela lorsque je me trouvais derrière l'objectif. Etait-ce à cause de Rimbaud? - Non, je pensais aussi aux premières pages du Balcon. Je m'étonne. Du coup, l'émotion monte en moi. Rimbaud, Gracq. La forêt profonde et ses sangliers sombres et furtifs. Me reviennent le souvenir de l'aspirant Grange -personnage principal du Balcon- embarqué dans la drôle de guerre, celui -central, comme souvent dans l'oeuvre de J.G.-, de l'attente (voir à ce sujet le film que Michel Mitrani tira du roman en 1979), et le personnage si sensuel de Mona, qui montait le long de lui (Grange) comme un petit espalier... Mais je reprends plutôt le somptueux poème en prose intitulé La sieste en Flandre hollandaise (dans Liberté grande), et je pense au premier colloque posthume sur Gracq qui vient de se tenir à Paris -soit aux discours certes profonds, intelligents et intéressants des intervenants, mais malheureusement empreints de scalpels et de carbone 14 littéraires. Au lieu de quoi, je choisis comme toujours de retourner au mot, à la poésie, à la sensation; soit à la marque de fabrique Gracq. Je lirai aussi les poèmes de Rose au coeur violet, de Nora Mitrani, qui fut sans doute (mais comment vraiment savoir? Et est-il nécessaire de le savoir?) le grand amour de Julien Gracq jusqu'à la mort de celle-ci en 1961. Et, dans la foulée je reprendrai Jünger (Sur les falaises de marbre) et Buzzati (Le désert des Tartares) -car quand me revient, régulièrement d'ailleurs, une bouffée de Gracq, autrement dit une fringale semblable à celle que l'on peut ressentir pour un jambon-beurre avec un demi demandés dans une urgence gourmande-, une sorte de boulimie pointe, qui me fait amasser plusieurs piles de livres autour de moi comme une sorte de nid vite construit, et dans lequel je puise à l'envi, rassuré. En picorant, en feuilletant, cherchant une annotation seulement, une page là, un truc ici, la jouissance commence à opérer. Cela s'appelle le plaisir de lire. Simplement. Il s'apparente à l'ivresse. Une ivresse douce et calme, silencieuse et toute intérieure. Une ivresse qui propulse, car le ou les voyages que l'on y fait sont les plus lointains et les plus précieux. Ils ressemblent à l'imaginaire de l'enfance que l'on devine dans le regard émerveillé d'un gamin au sortir de la lecture d'un conte faite par l'un de ses parents. Surtout s'il s'agit d'une  (énième) relecture, car comme l'enfant, nous aimons retourner à nos impressions premières que nous avons pris soin de consigner. Nous aimons passionnément reconnaître. Ces voyages-là ressemblent aussi au souvenir de nos rêves les plus enfouis, les plus éloignés, les plus ingénus  -les plus merveilleux en somme. Et je comprends d'autant mieux l'absence de virgule dans le titre d'un des essais les plus fameux de Gracq : En lisant en écrivant. Car les deux activités sont radicalement indissolubles, comme paraît inséparable un couple qui fait l'amour, en dépit de l'horizon de ses jouissances.

  • Je retrouve un papier écrit pour Men's Health

    JAMES DEAN

    Vingt-cinq ans. Trois films. Deux pièces. Une Porsche 550 Spyder blanche, baptisée « Little Bastard ». A 160 km/h. Un 30 septembre 1955. Un destin. Un accident. Mortel, l’accident. Une légende est née.

    James Byron Dean a fait un jeune et beau cadavre. «Vivez jeune, mourez jeune et soyez un beau cadavre », se plaisait-il à répéter, reprenant ainsi une réplique d’un film de Nicholas Ray. C’est comme cela que, sans le savoir, lorsqu’on s’est appelé James Dean, on enfante un mythe dans lequel une jeunesse américaine s’est aussitôt reconnue. Cinquante-cinq ans après, le mythe perdure et a gagné depuis longtemps la jeunesse universelle. On ne compte plus les milliers de fan-clubs, les centaines de sites qui sont consacrés à James Dean, ni les dizaines de milliers de visiteurs annuels (pilleurs, au début) de sa tombe toute simple du cimetière de Fairmount, Indiana.

    index.jpgIl a la peau dure, ce mythe. Aussi dure que la peau de Jimmy l’écorché était fine. Le prince inconsolé par la disparition de sa mère alors qu’il n’avait que neuf ans, vivra toutes les expériences possibles de la vie en homme pressé, boulimique, libre, provocateur ; suicidaire. « La nuit, je sortais en cachette de chez mon oncle et j’allais pleurer sur sa tombe : maman, pourquoi m’as-tu laissé ? Dis, pourquoi m’as-tu abandonné ? J’ai besoin de toi ». La blessure restera ouverte.

    « La Fureur de vivre », titre de l’un de ses plus fameux films, comme celle de mourir à pleine vitesse, a sculpté une icône qu’Hollywood n’aura pas eu le temps de broyer. C’est à un carrefour californien on ne peut plus banal, situé à Cholame, au croisement de la highway 41 et de la US 466, sur la route qui le conduisait à Salinas pour une compétition automobile, que ses fureurs disparurent. Et c’est sur le volant de sa Porsche qui portait le numéro 130 que James a fracassé son beau corps de jeune premier, vers 17h45 ce jour-là. Sun Dean…

    Il est né un 8 février. 1931. Dans un coin de campagne de l’Indiana ; à Marion. Fils de Winton et Mildred Dean, James Byron (baptisé ainsi en mémoire du poète dandy), a grandi dans un paysage bucolique et sans histoires, parmi les vaches, les cochons et les poèmes d’Edgar Poe. Cela forme un jeune homme myope à lunettes, un rien chétif, raillé par ses copains d’école les plus bourrus. Ils sont nombreux dans le patelin qu’il quittera vite, pour aller tenter sa chance à New York. Non sans être passé avant par la Californie, le Santa Monica College Junior et la prestigieuse Université de Californie de Los Angeles (UCLA). « Pendant des années, je me suis entraîné à jouer Hamlet au milieu d’un champ de blé dans l’Indiana », dira-t-il.

    images.jpgTrès tôt, Jimmy a su. Il a su qu’il lui fallait s’exprimer avec le corps et la parole. Le théâtre autant que les sports casse-cou lui confirmeront son intuition. Sûr de lui, il n’aura de cesse de forger son esprit et son allure, ingurgitant les lectures, se donnant à pleins poumons dans la déclamation de pièces de théâtre, et prenant goût, déjà, à la vitesse sous toutes ses formes. « Je n’ai même pas envie d’être seulement le meilleur. Je veux devenir si grand que les autres n’arriveront pas à m’atteindre. Ce n’est pas pour prouver quoi que ce soit, c’est pour arriver là où on doit arriver quand on consacre toute sa vie et tout son être à une seule et même chose ».

    Jamais à l’heure, plutôt très en retard à ses rendez-vous, que ce fut avec Elia Kazan pour corriger un plan ou une scène, ou bien avec Liz Taylor, qui songea à divorcer pour lui, ou encore Ursula Andress –entre autres starlettes qui chavirèrent -, sa nonchalance procéda très vite de ce style propre, nouveau à l’aube des années cinquante aux USA. C’est l’image d’un beau gosse aux lèvres boudeuses et au regard mélancolique, éternellement vêtu d’un jean déchiré aux genoux (avant-garde !), d’un tee-shirt blanc ras de cou, de mocassins approximatifs et toujours maculés de la graisse de sa Triumph 500. Ce monstre fut la préférée des sept motos qu’il possédât (dont une Sarolea Typhon) et usa jusqu’à les exténuer. La Triumph, il la rangeait insolemment jusque dans les coulisses des studios d’Hollywood, ou celles des théâtres où il se produisit avec un prodigieux talent qui forçait immédiatement le respect des vieux briscards les plus retors et les plus exigeants de la profession.

    Au volant de sa première MG 53 rouge décapotable, il était aussi fou qu’en deux roues, dans les avenues de NYC, sur les hauteurs sinueuses de 2images.jpgMullholand Drive, ou sur toutes les autoroutes qu’il empruntait la nuit, pour la seule ivresse de lancer à fond les chevaux vapeur et sa voix. Jusqu’à l’extinction. « La famille Dean vient de s’agrandir. Je viens d’acheter une MG 53 rouge. Mon sexe s’évade dans les courbes pleines, les descentes vertigineuses, les embouteillages… Tu as de la concurrence. Ma moto, ma MG. Ca marche entre nous, ma chérie… », écrit-il, désinvolte, à une fille.

    No limit Jimmy.

    Il ne roulait pas seulement pour le plaisir de la vitesse mais aussi pour celui de la compétition. Avec talent, il remporta des courses automobiles, notamment une célèbre, à Palm Springs en mars 1955 (organisée par le Californian Sports Car Club) : il y rafla la première place. La course à laquelle il se rendait, à Salinas, Californie, le jour de sa mort, était un nouveau grand challenge pour « Little Bastard » et Jimmy.


    Il buvait beaucoup. Trop. Etait souvent saoul, et devenait alors agressif, violent avec ses nombreuses conquêtes. Pourtant, nous savons qu’il ne supportait pas l’alcool. Il buvait quand même. Il avalait aussi des litres de café. Et fumait. Chesterfield sur Chesterfield. Destroy Jimmy.

    Fulgurant. Tel était James Dean, qui eut une carrière concentrée sur quatre années menées à un rythme d’enfer , à côté de laquelle un Gérard Philippe pour les planches, et un Paul Morand pour la vitesse, font figure d’enfants sages.

    3images.jpgA l’instar d’un Albert Camus qui « ne se sentait jamais aussi bien que sur un stade de foot ou sur les planches », James Dean confia : « Le seul moment où je me se sens réellement moi-même, c’est lorsque je suis sur un circuit (automobile) ». Cela ne l’empêcha pas d’entrer dans la peau de ses personnages, que ce fut son propre rôle -guidon, volant ou rênes de cheval bien en mains-, ou dans des rôles d’emprunt. Dans la peau de Frankenstein, pour « Autant en emporte le vaurien », une pièce qu’il bricola au lycée, qui subjugua les parents d’élèves et médusa les profs réunis.

    Dans celle de Bachir, le jeune valet arabe et homosexuel de « L’Immoraliste », de Gide, qu’il campa au prestigieux Royal Theater de New York.

    Celle de Jim Starck, l’adolescent révolté de « La Fureur de vivre », au cinéma, ou encore celle de Caleb Trask –le tendre insurgé , modeste employé qui finira roi du pétrole et alcoolique-, dans « A l’Est d’Eden » (d’après le roman de John Steinbeck).
    Dans la peau de Jett Rink enfin, l’ambitieux désespéré de « Géant », son film posthume (d’après l’œuvre d’Edna Ferber).

    La sexualité de James Dean était double. Il a collectionné les femmes, il n’a connu l’amour qu’une seule vraie fois, avec l’actrice italienne Pier Angeli. Il a approché intimement nombre de vedettes comme Ursula Andress, mais il a aussi eu un certain nombre d’aventures homosexuelles. Avec son premier maître ès théâtre, d’abord, James DeWeerd.

    N’invoque-t-il pas son homosexualité (intox ?) et son objection de conscience en avril 1950 pour échapper à la conscription massive de l’US Army pour la guerre de Corée ?

    On lui connaîtra des conquêtes masculines au cours de ses folles années new-yorkaises , à une époque où il dévore tout : les jolies filles, les tragédies de Shakespeare, les textes enflammés de Tennessee Williams, la danse, l’hypnose, le saut en parachute, la théologie. Les beaux mecs itou.

    Certains célèbres dans le mundillo hollywoodien.

    Une curiosité dans le chapelet de ses passions est la tauromachie. Il fut très tôt initié par son gourou DeWeerd, avec les films de corridas, que celui-ci avait tournés en 16 m/m amateur à Santa Fe, Tijuana et Mexico.

    Jimmy devient aficionado au monde des taureaux de combat, davantage pour la chorégraphie du corps à corps du torero avec le toro et le goût de la mort (un mot qu’il souligne chaque fois qu’il apparaît dans les innombrables livres qu’il dévore), que pour le fauve combattu.

    Impatient de crever le grand écran, il envisagera un moment de tenter sa chance comme torero à Mexico.

    Il sera envoûté par un livre, « Matador », de Barnaby Conrad, qui relate l’ultime défi lancé par un vieux torero fatigué, à un plus jeune que lui, parce qu’il est sûr de mourir en le faisant.

    images4.jpgBavard, James Dean avait deux sujets de conversation favoris dont il soûlait ses auditeurs : les courses de moto et la corrida. Son appartement de la 68ème Rue Ouest, à New-York, avait les murs tapissés d’affiches de corridas, de capes et de cornes, et mangés par le bas par des piles de disques de musique africaine, afro-cubaine, de jazz, de Berlioz et Tchaïkovsky, et de livres bien sûr (Kafka, Lawrence, Baudelaire, Hemingway, Cocteau, Rimbaud et Verlaine…, Saint-Exupéry).

    Rêvant de Picasso et de Miro, il voulait aller à Paris, et il toréait « de salon », armé d’une cape rose, un manuel de tauromachie basique dans une main, comme le fit dans les années soixante-dix, le torero français Nimeño II, avec « Règles et secrets de la corrida », de Georges Lestié…

    Toujours Thanatos prenant parfois le pas sur Eros, ce goût du danger, de l’extrême, de l’expérience des limites ou, comme le dit si bien Edgar Morin, qui s’est intéressé en sociologue au mythe Dean (cité par Bertrand Meyer-Stabley, dans son admirable « James Dean ») : « Finalement, l ‘adulte des sociétés bureaucratisées et embourgeoisées est celui qui accepte de vivre peu pour ne pas mourir beaucoup. Mai le secret de l’adolescence est que vivre, c’est l’impossibilité de vivre. James Dean a vécu cette contradiction et l’a authentifiée dans sa mort ».

    Jimmy aura vécu davantage et plus vite que la plupart de ses pairs. Il aura fait en un temps record ce que d’autres accomplissent au cours d’une existence parfois fastidieuse. Pressé comme une roquette, ce surdoué du septième art, tête brûlée de vingt-quatre ans et demi avait, à la fin de sa vie, l’ambition de dépasser son jeu d’acteur. Il prétendait déjà avoir prouvé au monde son talent en devenant réalisateur. Et son rêve d’enfant trop tôt orphelin de mère (puis de père), était d’adapter « Le Petit Prince ». Jimmy no comment.

    © L.M.


  • Sétif 45

    Pierre Nora : Il faut distinguer la Mémoire et l'Histoire.

    (La première est porteuse d'affect, l'autre de faits.)

    La repentance, l'empathie, bêler en choeur sans savoir, moutonner, ou bien hurler avec les loups... Tout cela suscite la honte. L'Etat français réprima durement une manifestation pacifique de nationalistes décidés à fêter la Victoire à leur manière, en arborant le drapeau algérien. Cela se passa dans les rues de Sétif, dans le Constantinois, le 8 mai 1945, jour de liesse mondiale. Quoi de plus naturel, en somme? L'humeur était au plus jamais ça et à l'éradication du mot racisme dans chaque esprit. Or, l'interdiction de hisser d'autres couleurs que celles du drapeau français faisant loi, le premier débordement dégénéra comme nous le savons. Surtout les jours suvants, dans d'autres zones sinistrement célèbres de la région de Constantine : Guelma et Kherrata. Et le film (si polémique et donc révélateur d'un passé qui ne passe pas et d'une mémoire que la France entendrait encore occulter) de Rachid Bouchareb, Hors-la-loi, que je n'ai pas encore vu, est d'emblée une fiction à mes yeux. Il est donc dispensé de la rigueur historique d'un documentaire. Toute polémique relève par conséquent, et intellectuellement parlant, de la subjectivité et du traitement artistique d'un événement inscrit dans le temps.

    Mais j'ai envie de rappeler que le même Etat français, policé, ne leva pas l'arme, ni le petit doigt, gardé sur la couture du treillis, pour défendre sa population civile dans les rues d'Oran, un certain 5 juillet 1962 lorsque les mêmes nationalistes, une guerre intestine plus tard, fortifiés par leur victoire, bravèrent outrageusement (aux yeux au moins du code de l'ONU) les règles d'une indépendance proclamée et donc d'une obligation de ranger les armes,  et se livrèrent à un massacre (toujours aussi peu connu) dans les rues d'Oran -et dont je suis, à mon corps défendant, un rescapé.

    Le coupable est le même, en dépit d'un bouleversement sociologique, car de 1945 à 1962, les données furent bien évidemment profondément modifiées. Nous sortions d'une guerre contre les nazis d'un côté. Nous sortions d'une autre -vraie- guerre, celle d'Algérie de l'autre. Mais il s'était passé 17 ans, dont 8 d'affrontements règlementaires, puis terroristes et enfin sauvages.

    Le FLN massacra par la suite les harkis, ses frères jugés collabos, lâchement abandonnés par ce même Etat français -alors qu'ils avaient servi (sous le Drapeau...), ces indigents Indigènes... De chair à canon aux premières lignes des combats les plus âpres du second conflit, comme celui de Cassino.

    La réalité est double : d'une part, l'Etat français a agi en aveugle sans mémoire, et sa couardise, tant à l'égard des harkis qu'à l'égard de ses propres ressortissants pieds-noirs, l'ont rendu infiniment, définitivement détestable. Notre méfiance permanente est désormais à son comble (et c'est pourquoi nous devons relire régulièrement Le Prince, de Machiavel).

    D'autre part les ferments nationalistes algériens n'ont démontré, sitôt proclamée l'Indépendance et dans les jours qui ont suivi le départ d'un million de Français, qu'ils étaient, déjà, définitivement immatures pour mener à bien une politique de réelle autonomie, fondée sur une idéologie empruntée au Grand Frère, mais assez peu importable; au demeurant...

    Est-ce le lot des populations insulaires comme celui des populations côtières, envahies par des civilisations diverses depuis l'invention de la communication des hommes d'un pays l'autre, à l'aube de l'humanité ?..

    Selon toute vraisemblance, cette tentative d'importation est aujourd'hui un échec avéré. Et il m'a été rapporté d'Oran, il y a quelques jours,  par l'une de mes deux soeurs, qui effectuait son premier retour aux origines (sur son lieu de naissance), que d'aucuns, toutes générations confondues, regrettaient encore le grand départ de juillet 1962.

    Comme quoi, le mot fraternité est à redéfinir dans Le Robert comme dans le Larousse, car il semble, parfois, correspondre à des valeurs solaires, camusiennes ai-je envie de risquer, qui ont l'intelligence de transcender les conflits les plus violents de l'Histoire. Même si Jules Roy avait au fond raison de préciser avec subtilité que : Là-bas, on était tous frères, rarement beaux-frères...

    Relire à ce propos les Chroniques algériennes qu'Albert Camus publia dans L'Echo d'Alger (reprises en folio/Essais).

    *

    Il nous faut penser aux barbares des invasions qui tuaient puis faisaient pénitence, la pénitence devenant tout à coup une technique qui permettait le meurtre. Sigmund Freud, préface aux Frères Karamazov, de Fédor Dostoïevski (folio)

  • Deux manuels fondamentaux

    Longtemps je me suis levé de bonne heure. Pour aller à la rencontre de l'aube. Et de la nature la plus sauvage possible. Pour être en contact avec ce qui subsiste de nature animale au fond de moi et qui fait battre mon coeur plus fort qu'à n'importe quel autre moment de la vie (à une exception près, que chacun vient de deviner). Croiser le regard d'un grand mammifère, tutoyer les oiseaux, approcher, toujours, me fondre, déjouer les ruses, devenir soi-même animal au point de pouvoir reléguer le Sioux au rayon Folklore, tenter de toucher un gros animal de la main -ce que je suis parvenu à faire, tout cela a toujours constitué l'une des plus grandes joies de mon existence, depuis l'âge de dix ans et des poussières. Pour parfaire mes connaissances, notamment celle des oiseaux, que je voulais sans faille, j'avais toujours avec moi un exemplaire en poche, puis dans la boîte à gants de la voiture et un autre au pied de mon lit, du "Peterson". J'ai nommé Le Guide des oiseaux de France et d'Europe, de R. Peterson, G. Mountfort, P.A.D. Hollom et P. Géroudet (éd. Delachaux et Niestlé). Ma bible (avec la poésie de Char dans le registre du mot et la prose de Gracq dans celui de la phrase). Puis, vers l'âge de quarante ans, j'ai commencé à m'intéresser de près à la psychologie de mes congénères directs, les êtres humains. Et au-delà des rencontres quotidiennes que nous faisons tous lorsque nous ne vivons pas sur le Mont Athos, rencontres devenues plus récurrentes car le cours de ma vie m'obligea à fréquenter avec moins d'assiduité que je l'eus voulu, et le monde animal et le Sauvage dans son entier, j'ai trouvé un manuel à mes yeux indépassable de la psychologie humaine : A la recherche du temps perdu. Car tout est dans Proust, s'agissant des sentiments. Absolument tout. La magie opère chaque fois que j'ouvre n'importe lequel des trois volumes, déjà usés, de ma Recherche en Pléiade, par bonheur dispensés du roboratif attirail critique dont les éditions postérieures à la mienne ont été plombées jusqu'au grotesque. (Je ne redirai jamais assez que l'Université a partie liée avec la chirurgie et son manque singulier, voire affligeant, de poésie). Ainsi, d'une page l'autre, toujours au hasard -à l'instar du feuilletage qui convient au Journal de Jules Renard, j'affine chaque jour davantage ma connaissance de ce drôle d'oiseau qu'est l'homme lorsqu'il est en société, en picorant seulement Proust à la manière d'une poule (suivant en cela un précepte de lecture indiqué par Montaigne). Et si le Peterson ne m'a pas quitté, je ne l'ouvre plus guère car je pense le connaître par coeur, sans forfanterie. Le second manuel cité m'est un bréviaire, un viatique, une source de plaisir aussi précieuse à mes yeux de néophyte du sujet, encore, que peuvent l'être le blanc du givre et le bleu du ciel, un matin de novembre, afin qu'une aube devienne un chef d'oeuvre, pour peu qu'un bouquet d'oiseaux ou un sanglier solitaire jaillissent devant moi, surpris.

  • Le dernier roi d'Angkor

    images.jpgJean-Luc Coatalem apparaît comme l'un des écrivains français dont la prose chaloupée, dense, précieuse sans être emphatique, est l'une des plus somptueuses d'aujourd'hui. Son dernier roman, Le dernier roi d'Angkor (Grasset) est un bonheur d'écriture. Coatalem écrit avec tact et avec coeur. Sa phrase, racée, musclée, est féline dans sa retenue et dans sa précision. Ses images fortes comme du rhum le matin, cinglent l'idée de leur caresse. Comme certains vins, son style est droit et bouleversant à la fois. L'histoire, ample et profonde, est celle de la quête de soi à travers celle d'un presque frère, surnommé Bouk, Cambodgien énigmatique, orphelin peut-être, prince? Un être de mystères en tout cas, qui partagea la vie d'une famille française (flanquée d'un chien nommé Mozart) avant de s'évanouir dans l'espace et puis dans le temps. Le narrateur, hanté par la présence-absence de cet ami d'enfance si taiseux, partira sur ses traces, comme un Tintin reporter, de Viroflay aux ruines khmers. Afin de tenter d'en finir avec une évidente fascination mêlée de crainte. Coatalem nous conte au passage quelques aventures amoureuses avec la dextérité d'un Roger Nimier ourlé de la prose poétique d'un Paul Théroux. Il a le talent pour ça. Voir Il faut se quitter déjà (lire ici, à la date du 22 décembre 2007). La rencontre avec Bouk aura lieu, mais nous tairons bien sûr de quelle manière. Et nous voulons croire que ce fut peut-être une rencontre du narrateur avec son jumeau astral...  Coatalem n'abat-il pas une carte maîtresse en citant Victor Segalen, en exergue de ce beau roman : On fit comme toujours un voyage au loin de ce qui n'était qu'un voyage au fond de soi.

  • Saber Mansouri et la confiscation de l'islam

    Chauves, lisez Mansouri : vos cheveux repousseront!

    9782742791330.jpgSaber Mansouri récidive. Après La Démocratie athénienne, une affaire d’oisifs ? (André Versaille) –lire ici même à la date du 15 avril dernier, voici L’Islam confisqué, manifeste pour un sujet libéré (Sindbad). Cet essai remet les pendules à l’heure et part posément en guerre contre le mal le plus banalisé du monde depuis l’aube de l’humanité : le préjugé. Le vite dit. Le caricatural. La confusion intellectuelle originelle. Sujet : l’islam. Auteur : un helléniste certes, mais d’abord un « immigré arabe choisi » (ainsi se présente-t-il). Cet intellectuel tunisien désormais inféodé à Saint-Germain-des-Prés, qui enseigne à l'Ecole pratique des hautes études, nous dit son agacement à propos de l’agglomération des genres, de l’auberge espagnole qu’est devenue le mot islam, et du mélange du religieux et du politique, surtout. Le sacré et le profane, le spirituel et le temporel, Dieu et ses représentants sur terre… Bref : il est ici question de la vision globalisante de l’islam comme d'une horrible théocratie qui brouille (c'est le moins qu'on puisse dire) la vision nécessairement claire des choses importantes du monde actuel. Et des dangers redoutables que cela engendre quotidiennement, dans la perception, dans la conscience, dans le discours et aussi dans les faits. Le racisme ordinaire comme le lynchage médiatique en sont deux exemples. Car le nœud du problème est là : l’islam désigne aussitôt dans l’inconscient collectif occidental, le terrorisme au nom du religieux. Or la réalité est infiniment plus complexe. L’historien juge malhonnête, partial, d’invoquer le fanatisme catholique pour tenter de justifier l’intégrisme musulman. L’essayiste ne cède jamais à la facilité ni aux travers pratiques trop souvent croisés dans de nombreux ouvrages. Chercher les origines du problème dans les textes originels, c’est faire fausse route, dit par ailleurs Saber Mansouri. Il explique les représentations de l’islam et ses réalités au fil de l’espace-temps. Car le monde musulman, ce sont quinze siècles que l’on ne peut résumer à Ben Laden et à la burqa. Mansouri cite Mahmoud Darwich : « L’Histoire ne peut se réduire à une compensation de la géographie perdue. » Il combat l'emprise du théologico-politique. Et revient aux fondamentaux, en historien scrupuleux qui se méfie des discours hâtifs d’une « littérature journalistique » bâcleuse et speedée, comme des « orientalistes de bureau » qu’il déteste cordialement. Il effectue le voyage permanent entre l’hier et l’aujourd’hui sans être bêtement comparatiste (le monde « arabo-musulman » de 2010 n’est pas celui des Mille et une nuits), évite les pièges tentateurs que sont : l’anachronisme, le passéisme (nous fûmes), le victimisme (ils sont les responsables de notre malheur présent), ainsi que le complot (on complote contre nous). Autrement dit l’attirail paranoïaque sociologique que la dictature de l’image et sa médiocrité gluante nous donnent à bouffer à longueur de temps et à largeur d’écran.  Il s'agit, on l'aura compris, d'un traité intelligent sur un sujet trop souvent mal traité. Ainsi Saber Mansouri s’attache-t-il à chaque page de son brillant essai, à « rendre présent l’islam comme objet d’étude et d’analyse. » Il illustre son propos de faits réels récents : l’affaire des caricatures parues dans un journal danois en 2005 (qui fut d’emblée politique et qui illustre la confusion fulgurante et donc dangereuse, du religieux et de l’idéologique). La place et le rôle de l’image dans la culture islamique (il rappelle, citant Julien Gracq, que les grandes religions monothéistes ont jeté l’Image au feu et n’ont gardé que le Livre). L’arrivée du Hamas au pouvoir et la récurrence de la question palestinienne (avec une terrible réalité : une autorité politique divisée entre deux frères ennemis ; Hamas et Fatah). Le 11 septembre (et les Croisades selon Bush, ou « le terrorisme comme carrière de l’empire américain»). Le concept fourre-tout de Grand Moyen-Orient. « L’introuvable démocratie en terres d’islam. » Le pitoyable débat sur l’identité nationale, enfin. Non sans avoir recours à deux pensées philosophiques arabes lumineuses et d’une finesse intemporelle : Ibn Rushd (Averroès) et Ibn-Kaldûn. Car le refrain de Mansouri est une forme de rappel à la conscience : de quel islam parlons-nous lorsque nous l’évoquons ? Et comment s’opère (par exemple) le glissement d’une pratique privée et pacifiée d’une religion vers un « islam belliqueux » et guerrier : le jihad armé ?.. L’auteur n’oublie pas non plus de souligner l’évidence selon laquelle le kamikaze est « un perdant radical », en dépit des promesses paradisiaques de nombreuses vierges… Et le concept (en guise de corollaire) de « la haine de soi » lequel, loin d'être réducteur, explique peut-être l'acte terroriste dans sa fondamentalité surréelle. Sans empathie exagérée, Mansouri –adepte de « la patience raisonnée » et de « la distance critique »-, n’oublie pas non plus, en lecteur de Jacques Derrida (qui disait qu’on ne compte pas les morts de la même façon d’un bout à l’autre du monde), d’évoquer « le détournement des malheurs » : nul ne s’offusque plus du deuil quotidien irakien, n’est-ce pas? La banalisation, non plus du mal (thème cher à Hannah Arendt), mais de sa représentation, est un monstre glacé. Si Saber Mansouri, disciple du grand humaniste Pierre Vidal-Naquet dont il fut l’élève, invoque volontiers Voltaire en s'en remettant presque à la clairvoyance et à l’actualité de sa pensée, il m’est apparu, en lisant L’Islam confisqué, que son auteur avait des accents elluliens (je fus l’élève de Jacques Ellul), notamment à propos de la question philosophique sur l’attribut de « meilleur » dont on affuble certains imams… Mais qui lit encore Ellul aujourd’hui ?..

    En attendant, lisez Mansouri. Et ne vous faites pas de cheveux !..

  • Callcut, vin singulier

    éimages.jpgChristian Authier, auteur Stock/La Bleue, dont J'ai Lu vient de reprendre les deux premiers romans : Enterrement de vie de garçon et Les liens défaits, publie un texte très court, une sorte de tranche de jambon -mais c'est du pata negra, piqué par deux agrafes, publié aux éditions du Sandre à Paris, intitulé Callcut. Sous-titre : Boire pour se souvenir (au lieu de l'attendu boire pour oublier). Oun biyou!
    Il y est question d'une rencontre avec un vin exceptionnel, ourdi comme un complot plus que fabriqué (vinifié?) , par un taiseux poète , Eric Callcut, qui débouchait ses flacons sur un parking, à l'ombre de tout, surtout des gens du milieu. Son Picrate devint un nom de code. Entre initiés capables de s'émouvoir devant un vin au goût de raisin, un vin naturel (si cela a encore un sens), un vin vrai. Un vin comme on les aime, les guette, les traque... Authier dit que c'est un vin sauvage, irréductible, émouvant, artiste... Et le Callcut, une fois évanoui, disparu, pffuit (l'enquête continue), devient -via Authier-, un poème au déjanté qui rassemble et magnifie, une ode au je-ne-sais-quoi du presque-rien qui fait tout, le récit humble d'une rencontre presque amoureuse, le portrait dévisagé d'un rivage emblématique de l'amitié, et j'y vois aussi le goût naturel de Chrisitian Authier pour le disparu qui ne passe pas. Le garçon possède, il est vrai, le talent de dire avec justesse et délicatesse la trace, l'ombre, cette poussière qui décante au fond du coeur. L'usage de la métaphore avec ce picrate là n'en devient que plus forte.

    "Seulement, le tout-venant a été piraté par les mômes.
    Qu'est-ce qu'on fait? On se risque sur le bizarre?
    "
    Michel Audiard, Les Tontons flingueurs.

    Citation reprise en quatrième de couverture du petit livre.

  • Dans L'OBS paru hier

    Deux idées de randos données à TéléParisObs paru cette semaine. Une dans les Pyrénées, l'autre à Procida. Extraits.

    Randonnées à Procida

    Le Golfe de Naples offre trois îles au voyageur. Ischia, Capri et Procida. La plus petite n’est pas la moins charmante.

    DSC01118.JPG

    Capri est l’île de la Grotta Azzura, celle de la villa de Malaparte qui servit au tournage au Mépris de Godard et l’île luxueuse de la Jet Set internationale. Ischia est grande, ses plages nombreuses et certaines criques encore préservées, mais son port d’arrivée a été livré en pâture au tourisme de masse. Procida, dont l’architecture singulière des maisons de pêcheurs bigarrées vaut déjà le voyage, ignore le tourisme. C’est une île qui vit réellement, sur 4 km2 à peine et qui grouille de ses 10 000 habitants. Ils sont pêcheurs, petits commerçants, artisans, ou bien prennent le premier bateau du matin pour gagner leur pizza quotidienne à Naples et reviennent avec celui du soir. La traversée est d’une demi-heure avec le rapide et d’une heure avec le lent. Les Napolitains sont d’ailleurs nombreux à posséder une maison de pêcheur sur l’île, ou bien à venir déjeuner ou dîner d’un coup de hors-bord, dans les restaurants de Procida, surtout sur le splendide petit port de pêche de Corricella. À Procida, on se fiche donc du tourisme. Nul ne souhaite vendre son île ou hameçonner le voyageur. Procida n’est jamais fardée. Loin de la fourmilière napolitaine, l’île est marquée par la nature, la littérature et le cinéma. La littérature, c’est d’abord Graziella, bref et faible roman (folio) de Lamartine. Le poète eut une idylle avec jeune fille de l’île, promit à sa dulcinée de revenir, lorsqu’il dût repartir. Il ne tint pas sa promesse et Graziella mourut d’amour. Elsa Morante écrivit ici un grand roman L’île d’Arturo. L’intrigue, plantée sur l’île, est un hymne au monde insouciant et sauvage de l’enfance et de l’adolescence. Le lire ou le relire (folio) sur l’une des plages de l’île, au bout d’une balade à pied sur les chemins, peut virer à l’enchantement. Car comme Arturo est beau, Procida est belle et rebelle, peuplée d’anciens marins, de petits armateurs, de vieux qui rafistolent leurs filets, de femmes qui vendent leurs gros citrons difformes –la spécialité de l’île, avec le limoncello dont il est issu. Procida produit par ailleurs un vin blanc sec et humble, toujours « de la casa », peu titré, que l’on boit à chaque terrasse...

    © L.M. (la suite en kiosque).

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    Rando familiale au cœur de « L’Eden des Pyrénées »

    Cap sur le lac Suyen, en Val d’Azun, aux portes du Parc National.

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    8 heures. Barrage du Tech. L’heure idéale pour laisser sa voiture à proximité de la Maison du Parc National des Pyrénées. Le paisible lac du Tech, accessible par la route, au-delà d’Arrens-Marsous, est un éternel assoupi. Le brouillard empêche de d’envisager une randonnée de difficulté moyenne jusqu’au splendide lac Migouélou. Les semelles Vibram ne souffriront pas ce matin. L’arc onctueux du barrage adoucit l’espace. Un vautour fauve sort de la brume, à une vingtaine de mètres au-dessus de notre tête et vient se poser à flanc de falaise, juste devant le barrage qui vrombit. Altitude modeste : 1200 m. Nous sommes dans un sanctuaire : à l’entrée du Parc, au carrefour des vallons de Bouleste, de Poueylaïn et du Plan d’Aste. En vallée d’Arrens, en Val d’Azun, en Lavedan, en Bigorre. Dans les Hautes-Pyrénées enfin. Le mythique refuge Ledormeur est à deux heures de marche à peine. Cap sur le Suyen et la cascade de Doumblas pour une randonnée familiale.

    Devant nous, se dresse le premier « 3000 » en venant de l’océan. C’est le Balaïtous. 3144 m. En 1864, Charles Packe, montagnard célèbre, atteint son sommet et pense être le premier à le faire. Hélas !.. Un cairn (petit tas de cailloux faisant office de balise sur les sentiers de randonnée) témoigne d’une précédente ascension. Ce sont les géodésiens Peytier et Hosard, chargés en 1825 de tracer les premières cartes de cette zone pyrénéenne, qui ont gravi le sommet, aidés des montagnards et des chasseurs de la vallée voisine. Le grand pyrénéiste Henry Russell appellera plus tard le Balaïtous « le Cervin des Pyrénées ». Comme s’il fallait à chaque 3000 d’ici d’avoir le mérite d’être comparé à un sommet alpin ! Par beau temps, nous sommes cernés de merveilles pointues : les cols du Gabizos, de l’Aubisque, du Soulor, des Spandelles et par le Pic du Midi de Bigorre. Sentiment d’être invité au banquet des Splendides.

    Existe-t-il pente plus douce que celle qui touche le lac du Tech ? La forêt de sapins s’arrête, comme retenue, laisse de basse mer, pour laisser place à une prairie où paissent les vaches. Puis ce sont des pêcheurs de truites qui poivrent le liseré du lac.

    Un lac d’altitude nous apprend la flore. Et la poésie botanique aussi : la joubarbe à toile d’araignée, l’iris et le lis des Pyrénées, l’aconit vénéneux, le chardon fausse-couline, la saxifrage faux-Aizoon, deviennent des sujets de conquête visuelle. Et sémantique, ou poétique.

    Ramond de Carbonnières, autre pyrénéiste fameux, eut le nez creux, sous la Terreur. Il s’enfuit de Paris le 10 août 1789 pour effectuer un voyage scientifique aux Pyrénées. Naturaliste, géologue, écrivain, il donna son nom à une fleur, la ramonde, ou ramondia. Et baptisa le Val d’Azun « Eden des Pyrénées ». Chercher la ramonde devient un nouveau but de randonnée...

    © L.M. (la suite en kiosque).

    Photos : © L.M.

  • Pourquoi je chassais (Ethnologie française)

    Attrapée sur le Web, cette analyse de mon livre Pourquoi tu chasses? Réponses à mes enfants (Bayard, 2000) à travers une étude d'ethnologie réalisée par un chercheur de Sciences Po Aix-en-Provence. Toutes les citations sont mentionnées avec l'abréviation "Ptc". L'article est paru dans la revue Ethnologie française en janvier 2004.

    http://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2004-1-page-41.htm

  • au rayon copinage

    mansouriathenescouvwebdef.jpgSaber Mansouri : Remettre l’Athénien et l’autre – esclave, affranchi, étranger, métèque, femme – au travail et au cœur du jeu politique de la démocratie athénienne classique est sans doute une idée scandaleuse aux yeux de Platon, et des historiens modernes fascinés par la voix philosophique atemporelle du Maître, celui qui rédigea La République, Les Lois et Le Banquet. Et pourquoi ?

    Longtemps considérés comme des sujets exclusivement non politiques (histoire économique, histoire du travail, représentations figurées), les artisans et les commerçants apparaissent dans cet ouvrage comme des sujets et des acteurs politiques. Athènes n’est certes pas une république d’artisans. Elle n’est pas non plus une république de commerçants, mais cette nuance ne doit pas négliger le fait que ces catégories sont concernées, voire impliquées dans la vie politique athénienne du IVe siècle. La notion d’homo politicus, chère à Max Weber, apparaît fragile pour qualifier le citoyen athénien.

    Tel est, en substance, le propos du livre de mon ami Saber Mansouri : La démocratie athénienne, une affaire d’oisifs ? Travail et participation politique  au IV ème siècle av. J.C., (André Versaille). Disciple de Pierre Vidal-Naquet, hélléniste, arabisant, Saber enseigne à l’Ecole pratique des hautes études. Le mois prochain, Actes Sud publiera également de lui L’Islam confisqué. À suivre.

    9782758802099.pngUn autre ami, Benoît Jeantet, publie Ne donnez pas à manger aux animaux au risque de modifier leur équilibre alimentaire (Atlantica). L’écriture de Jeantet crépite comme du feu de pin mêlé à du chêne. On dirait du Nougaro en ligne. Ca swingue à chaque page, car l’auteur jongle avec les mots. Ce saltimbanque de l’alphabet est un musicien et le stylo est son instrument. Sa phrase chante, rime et fait sens, et sous couvert de calembours à pleines fourches, Benoît nous dit cependant et surtout des choses fortes, des choses essentielles, intimes et indéfectibles. Le personnage du père, par exemple, de retour de la guerre d’Algérie, est flaulknérien, si je puis me permettre. (Et nous avons envie de goûter à son gâteau, lorsqu’il le sort du four…). Les descriptions sans concession pour la terre sans ânes de son enfance sont tendres comme le blé en herbe, et celles des personnages attachants comme le bûcheron Jocondo  Cantoni, dit Fernando tréss caféss, ou Arezki, sont touchantes et sèches comme un démarrage de Motobécane dans la brume du matin paysan. En plus, Jeantet a son style propre : ses phrases sont  les plus courtes du monde. Et même privées de verbe, elles contribuent à ce feu crépitant qui fait sa signature, en nous servant un coup à boire. Tchin, té!

  • Freud, Rimbaud, In treatment, Le Roi Lear, etc

    Une nouvelle photo de Rimbaud à trente ans, prise à Aden, vient d'être découverte. So what? En plus, elle n'est pas terrible, c'est un portrait de groupe (ci-dessous : le détail agrandi), et Arthur n'a pas l'allure du poète voyant que l'on préfère relire, mais plutôt les traits d'un Proust sortant de chez le coiffeur... L'image, toujours l'image...139860.jpg

    Onfray déboulonne la statue Freud dans son nouvel ouvrage, Le crépuscule d'une idole, l'affabulation freudienne (Grasset). 600 pages pour tuer le père de la psychanalyse. Freud n'aurait fait que projeter sa propre névrose en l'érigant en dogme et en tentant de l'imposer au monde. A la manière de saint Paul, qui aurait pu faire de sa secte une religion planétaire, à la faveur des facilités accordées pour faire prospérer ladite secte par l'empereur Constantin, qui s'enticha des thèses saint-pauliennes, pures projections, donc, de la propre névrose de leur auteur... On sent là le procédé d'Onfray. Et du coup, à la lecture seule de ses premiers détracteurs (Sylvain Courage dans L'Obs, Elisabeth Roudinesco dans Le Monde des Livres, sur Mediapart et ailleurs aussi, car la papesse du freudisme se déchaîne et semble vouloir la peau d'Onfray), je n'ai guère envie de me plonger imméditatement dans l'épais volume qui trône à côté de mon Mac -tandis que je me défends constamment de me laisser empêcher par d'autres jugements que le mien propre (mais je le ferai, bien vite quand même). Le préjugé, toujours le préjugé...

    Au sujet de la psychanalyse, connaissez-vous la série In treatment? On en devient vite accro. L'empathie opère, tant avec l'analyste (interprété par Gabriel Byrne) qu'avec ses patients, que l'on suit semaine après semaine, puisque nous participons de l'impossible voyeurisme par la magie de l'idée de cette série, soit aux séances!..

    Face à ces questions, car la série américaine, version d'une série originelle israélienne, Betipul, réalisée par Hagai Levi, passe en revue le catalogue de tous les poncifs de la psychanalyse, en particulier le sentiment de culpabilité et la mort symbolique du père, sans oublier les sujets  périphériques inévitables comme le coup de foudre de la patiente pour son analyste, mais justement cela permet de se remettre à jour et même de faire un point avec soi-même, je pense au Roi Lear, de Shakespeare. Et notamment à Cordélia, celle des trois filles du vieux roi qui résiste à l'aliénation de son désir dans celui du père, celle qui se tait, ne demande rien, tandis que ses deux soeurs deviennent de pitoyables et néanmoins talentueuses hypocrites lorsque le père annonce sa décision de partager son royaume en trois parts égales. Cordélia est dans l'être, jamais dans le paraître. Elle aimera son père devenu fou, quand ses soeurs l'auront trahi et humilié. Là, ce n'est pas My Kingdom for a horse! (Richard III) que nous entendons, mais : quelques mots d'amour, s'il vous plaît, en échange d'une part de mon royaume, afin d'assurer ma descendance. Lear achète son don, maintient sa descendance sous sa coupe en l'aliénant. Cordélia part, sans héritage, silencieuse et pure, enrichie d'un manque. Mais reste fidèle au père. Et son désintérêt matériel mâtiné d'un amour originel font sa grandeur.




     

  • Balade rimbaldienne, suite (dans Le Nouvel Obs paru ce matin)

    Dans TéléParis OBS de ce matin :

    ARDENNES : A VÉLO VERS RIMBAUD

    Les Ardennes, autour de Charleville-Mézières, la ville de Rimbaud, offrent balades bucoliques et poésie en ville, à 1h30 de TGV de Paris.

    Sa tombe est sobre, à l’instar des relations que le poète entretint avec sa ville, mais une boîte aux lettres dorée des Postes, à son nom, recueille IMG_2183.jpgtoujours les messages de ses fans. Arthur Rimbaud n’aima guère les gens de Charleville, où il naquit en 1854, qui furent par conséquent peu nombreux à suivre la charrette qui portait sa dépouille jusqu’au cimetière de la ville, en 1891. Cependant Charleville entretient la mémoire juteuse d’Arthur. La grande librairie de la rue piétonne Pierre Bérégovoy s’appelle Rimbaud (La ville est encore épargnée par les grandes enseignes du genre). Au n°12 de cette rue, se trouve la maison natale du poète visionnaire. En face, il y a une bonne table de la ville et sa belle cave de vins à emporter, La table d’Arthur R. Passée la splendide place Ducale, sorte de mini-Place des Vosges parisienne, puisque ce sont deux frères architectes à l’inspiration partagée, qui érigèrent les deux : Clément Métezeau à Charleville et Louis à Paris, la même artère piétonne Bérégovoy conduit au Musée Rimbaud, au bord de la Meuse, au lieu et place du Vieux Moulin qui enjambe un bras de la Meuse et derrière laquelle la péniche restaurant La Bohême, offre un joli petit menu et propose des mini croisières jusqu’à Monthermé, situé à 20 km de là par la route.

    La scénographie des Ailleurs

    Sur ce quai Arthur Rimbaud, la Maison des Ailleurs (où Arthur vécut avec sa famillle), à la scénographie splendide, nous entraîne, au fil des treize pièces visitables, sur les chemins rimbaldiens à travers le monde, grâce à une animation visuelle et sonore d’une subtilité et d’un dépouillement d’une grande justesse. Le Musée quant à lui, expose de nombreux manuscrits –la plupart sont des copies, hélas, excepté le poème Voyelles-, des dessins d’Ernest Pignon Ernest (dont ce Rimbaud de pied, ci-contre) l’esquisse originale du fameux Coin de table de Fantin Latour, des photos, des sculptures, des livres bien sûr, et de nombreux objets ayant appartenu à l’homme aux semelles de vent. À leur vue, l’émotion est grande pour l’amateur. Même si celui-ci éprouve toujours quelque gêne à voir une poésie de grand vent muséifiée. À quelques mètres de la gare de Charleville, le premier 4 étoiles nouvelles normes de France a ouvert en septembre 2009. Il s’appelle Le dormeur du val et c’est d’un chef d’œuvre de design et de poésie entremêlés qu’il s’agit. Erigé au rang d’hôtel d’un luxe sans ostezntation de surcroît, il offre 17 chambres dont la décoration est d’une modernité qui subjugue dès le hall d’entrée. L’œuvre totale est signée Carlos Pujol. L’homme a tout fait de A à Z. Il a rendu cet hôtel confortable certes, mais avant tout absolument unique. La poésie d’Arthur figure, manuscrite, sur chaque mur. Métal, béton, tapisseries anglaises, couleurs vives, et le mobilier le plus contemporain du moment cohabitent en une harmonie qui relève de l’impossible équilibre. Enfin, Place Jacques Félix, du nom du fondateur en 1961 (décédé en 2006) de la principale attraction de la ville, le Festival international de théâtre de de marionnettes de Charleville-Mézières –lequel se tient désormais tous les deux ans (prochaine édition en septembre 2011), contre la médiathèque baptisée Voyelles, et à deux pas du Collège Arthur Rimbaud devant lequel trône l’une des deux statues du poète que compte la ville, se trouve la Bibliothèque municipale qui fut le collège où le jeune Rimbaud suivit les cours du professeur Georges Izambard, le déclencheur de la vocation de poète d’Arthur. (...) L.M.

    La suite en kiosque!..

  • Dans L'OBS paru ce matin

    Balades littéraires en Corrèze

    Sur les traces de Simone de Beauvoir à Uzerche et de Colette à Varetz.


    images.jpgUzerche, en Corrèze, est traversé par la Vézère. Simone de Beauvoir y passa son enfance. Ses « Mémoires d’une jeune fille rangée » (folio), ne préfigurent en rien l’auteur emblématique du « Deuxième sexe ». Nous y découvrons l’enfant, puis l’adolescente, qui fait l’apprentissage de la vie à la campagne. Simone dévore les livres et s’immerge dans la nature apprivoisée d’une province douce, découvre les champignons, les oiseaux, les arbres et des sensations sauvages que l’on dirait empruntées à Colette. Le « Castor passa de nombreux étés dans le Parc de Meyrignac, demeure de son grand-père, à Saint-Ybard. La ville d’Uzerche propose une balade courte qu’il est bon d’emprunter, depuis la Place de la Petite-Gare, les « Mémoires » en main, pour passer devant les deux propriétés familiales de la famille de Beauvoir, qui appartiennent encore à ses descendants et qui ne se visitent que sur demande. La seconde fut celle de sa tante. Le chemin est balisé sur 6 km à travers la Garenne de Puy-Grolier jusqu’au Pont-d’Espartignac, au lieu-dit Les Carderies. Il suffit alors de franchir un petit pont et de longer la Vézère pour ressentir, aux abords de la base de la Minoterie, où Simone se baignait avec sa sœur, les après-midi de grosse chaleur, les sensations de la jeune Simone : « Chez ma tante, comme chez mon grand-père, on me laissait courir en liberté sur les pelouses et je pouvais toucher à tout. (…) J’apprenais ce que n’enseignent ni les livres ni l’autorité. J’apprenais le bouton-d’or et le trèfle, le phlox sucré, le bleu fluorescent du volubilis, le papillon, la bête à bon Dieu, le ver luisant, la rosée, les toiles d’araignée et les fils de la Vierge ; j’apprenais que le rouge du houx est plus rouge que celui du laurier-cerise ou du sorbier, que l’automne dore les pêches et cuivre les feuillages ; que le soleil monte et descend dans le ciel sans qu’on ne le voie jamais bouger. » Après, il faut prendre la rue de l’Abreuvoir qui monte vers la ville ancienne et le charme de ses ruelles, pour retrouver le pont Turgot et revenir au point de départ. Là, et si l’on s’efforce de s’y rendre à la fraîche, nous ressentons « le premier des bonheurs » de Simone de Beauvoir, qui fut, « au petit matin, de surprendre le réveil des prairies ; un livre à la main, je quittais la maison endormie, je poussais la barrière ; impossible de m’asseoir dans l’herbe embuée de gelée blanche ; je marchais sur l’avenue, le long du pré planté d’arbres choisis que grand-père appelait le parc-paysage ; je lisais, à petits pas, et je sentais contre ma peau la fraîcheur de l’air s’attendrir ; le mince glacis qui voilait la terre fondait doucement : le hêtre pourpre, les cèdres bleus, les peupliers argentés brillaient d’un éclat aussi neuf qu’au premier jour du matin du paradis ; et moi j’étais seule à porter la beauté du monde et la gloire de Dieu, avec au creux de l’estomac un rêve de chocolat et de pain grillé. »

    Colette, baronne de Castel Novel

    cimages.jpgColette vécut elle aussi en Corrèze à deux périodes de sa vie. De 1911 à 1923, lorsqu’elle fut l’épouse du baron Henri de Jouvenel des Ursins, au château de Castel Novel, là où elle se muait avec bonheur en fermière, architecte d’intérieur et en jardinière, puis au cours de l’été 1940, chez sa fille Colette de Jouvenel, surnommée Bel-Gazou, « fruit de la terre limousine », à Curemonte. Dans le maquis de son œuvre, il faut retenir les pages admirables des « Heures longues » pour savourer les descriptions que l’auteur de « Sido » fit de la campagne corrézienne. « Ici, dès l’arrivée, on sent le cours de la vie, ralenti, élargi, couler sans ride d’un bord à l’autre des longues journées. (…) Comme il resplendit, ce juillet limousin, aux yeux sevrés depuis trois ans de son azur, du vert, du rouge et de la terre sanguine ! Chaque heure fête tous les sens »… La communauté d’agglomération de Brive a ainsi créé en 2008 « Les jardins de Colette », un parc paysager de 4 ha qui retrace le parcours sensible de l’auteur. Situé à proximité du château de Castel Novel, nous y trouvons l’univers enchanteur d’un écrivain habité par le végétal, à travers plus de 10000 essences et 1200 arbres. Il y a le jardin de son enfance à Saint-Sauveur-en-Puisaye, les bois de Franche-Comté, la Bretagne de son amie Missy, la Provence de « La Treille-Muscate », à Saint-Tropez, le Palais-Royal de Paris et bien sûr la Corrèze de Varetz. (...) L.M.

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  • Tapies à Barcelone

    A lire dans M, mensuel du quotidien Le Monde, à propos de la réouverture, enfin, de La Fondation Tapies de Barcelone, cette brève que j'ai donné ...

     

    thumb_01_figura_sobre_fusta_crema.jpgUne importante exposition de l’artiste catalan : « Antoni Tapies. Les Lieux de l’art », accompagne une réouverture très attendue.

    La façade du bâtiment, signée Lluis Domenech i Montaner, surmontée de « Nuage et chaise », structure géante en fil métallique signée Tapies, donne le ton. La Fondation Tapies, située rue Aragon, en plein centre de Barcelone et à quelques mètres de la Casa Batllo, sans doute la plus subtile réalisation de Gaudi pour un client privé, abrite l’œuvre du chef du file du courant Moderniste, les collections personnelles accumulées par l’artiste ainsi que des expositions temporaires des créateurs qui marquent leur temps. Louise Bourgeois y a exposé. D’importantes rétrospectives (Brassaï, Picabia, Andy Warhol), y ont eu lieu.

    Ce haut lieu de l’art contemporain à Barcelone, avec la Fondation Miro, a enfin rouvert ses portes au début du mois de mars, après deux ans de fermeture. En janvier 2008, la Fondation ferme en effet pour effectuer de simples travaux de mise aux normes de sécurité. Mais un programme de rénovation viendra vite se greffer, sous la conduite du cabinet d’architectes Abalos+Sentkiewicz, qui a profondément modernisé l’espace de la Fondation, notamment en ouvrant au public le second étage, jusque là occupé par les services administratifs du musée.

    Cette réouverture s’accompagne d’une importante exposition d’œuvres récentes d’Antoni Tapies, ainsi que d’une sélection personnelle de ses œuvres les plus marquantes de ces vingt dernières années (l’âge de la Fondation) et enfin d’une partie inédite de la collection personnelle, constituée d’œuvres d’art  de toutes époques et toutes origines, de l’artiste catalan. Tapies appelle lui-même cette dernière sélection « mon Manifeste ».

    L.M.

    Fondation Antoni Tàpies, 255 rue Aragó, 08007 Barcelone

    L’exposition « Antoni Tapies, Les Lieux de l’art, se tient du 5 mars au 2 mai 2010.

  • 74

    74 Sans Domicile Fixe sont morts en France depuis le début de cette année.

    21 au cours des 11 derniers jours, dont 2 enfants de 8 et 9 ans. Cela en fait 4 depuis le 1er janvier.

    22 mars, le printemps déplie ses quartiers, sa nappe, ravive nos sourires; une décontraction générale pointe son oublieuse mémoire, e la nave va...

     

  • Miguel Delibes

    Son oeuvre est âpre, puissante, sans concessions, verticale*. Les personnages de ses romans sont Espagnols jusqu'à l'os. De Castille particulièrement. Miguel Delibes vient de casser sa pipe (89 ans). Chez lui tout est bon et se trouve à l'enseigne de l'épicerie fine Verdier. Si vous ne l'avez pas encore lu, vous avez la chance de vous trouver sur le seuil d'un grand bonheur, comme on dit dans ce cas. Franchissez-le, ouvrez la porte et prenez Les Rats, Le Chemin, L'Hérétique, Les Saints innocents, Dame en rouge sur fond gris, Vieilles histoires de Castille, Le linceul, Cinq heures avec Mario... (je balaye l'étagère des yeux et les souvenirs de lecture affluent. Tout à l'heure je relirai juste mes annotations en marge, comme souvent, histoire de replonger dans le bain vivifiant et fort comme l'aube givrée dans le campo qui parcourt les livres de Delibes. Ce campo où j'ai un jour chassé, en compagnie de l'un de ses fils. Celui-ci m'offrit un livre de son père, dédicacé -un livre moins connu que ses romans- , puisqu'il est consacré à la chasse en Espagne : El libro de la caza menor)...

    ¡Vaya!

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    *Je la rapproche de l'oeuvre d'un autre Grand d'Espagne, publié également à l'enseigne jaune (rouge pour les premiers livres de ces deux auteurs) des éditions Verdier : Julio Llamazares.

    MD3.jpgCette photo d'un Miguel Delibes jeune, a été retrouvée par sa famille, parmi les papiers de l'écrivain, peu après sa mort. Elle m'a été amicalement transmise par son fils Adolfo, que je remercie ici à nouveau.

     

    DÉTAILS sur certains livres de Delibes :

    L'important, c'est La Triologia del campo, composé des Rats, du Chemin et des Saints innocents. Mario Camus adapta au cinéma Los Santos inocentes, avec Francisco Rabal dans le rôle de l'Azarias, le débile d'un village de Castille encore médiévalisé, où règne un señorito. Azarias sait parler aux oiseaux et il a apprivoisé une corneille, à laquelle il murmure sans cesse milana bonita, milana bonita... Innocent touchant, il sourit au ciel, obéit au maître; jusqu'à un certain point...

    Dans Le chemin, les personnages : Daniel le Hibou, Roque le Bouseux, German le Teigneux, possèdent une force peu commune, un savoir d'hommes de Nature impressionnant. Ce sont des poètes, des sages qui tutoient les oiseaux. Extrait : Sûrement qu’on perd beaucoup de temps en ville, pensait le Hibou, et au bout du compte, il doit y en avoir qui, après quatorze ans d’études, n’arrivent pas à distinguer un geai d’un chardonneret ou une bouse de vache d’un crottin.

    Le linceul, recueil mince de nouvelles paysannes, où  l’apprentissage de la mort à travers les yeux d’un enfant qui la découvre devient inoubliable, est à rapprocher de cette trilogie de l'éternelle Castille aux champs noirs, où des êtres rustiques vivent dans des villages hors du temps et du progrès. Car c'est peut-être le livre le plus épuré, le plus dépouillé, où l'écriture est la plus essentielle du Delibes auteur d'une certaine ruralité, dont les valeurs cardinales sont placées sous le signe tutélaire d'une communion viscérale, voire instinctive, avec la nature.

    Miguel Delibes se définissait lui-même ainsi : Quand je me regarde de l’extérieur, je vois que je ne suis pas un écrivain génial. Je suis un chasseur qui écrit...

    Son goût pour le journalisme était par ailleurs démesuré. Il a dirigé le plus important quotidien de Castille et déclina l'offre de diriger la direction d'El Pais! Je crois que quand on vous a inoculé le poison du journalisme, c’est pour toujours, déclara-t-il un jour au Monde. Hemingway a dit qu’il fallait s’en retirer à temps parce que c’est une profession stérilisante pour un écrivain. Je crois que le journalisme est en quelque sorte le prologue de la littérature. En ce qui me concerne, il m’a aidé beaucoup par l’exercice de synthèse qu’il m’a imposé. (Il disait également, avec une exquise politesse, qu’il détestait parler aux journalistes... à moins que ceux-là se passionnent comme lui pour la chasse et la pêche, la truite et la perdrix).

    Et puis il y a le Delibes émouvant, moins rural, celui de Cinq heures avec Mario, et surtout de Dame en rouge sur fond gris, portrait extrêmement émouvant d'une femme presque parfaite, irréelle, qui ressemble à celle qui partaga trente ans de la vie de l'écrivain et dont la disparition, en 1974, l'empêcha d'écrire une seule ligne durant trois années.

     

    Outre les premiers romans comme Lune de loups et La pluie jaune, de Julio Llamazares, jeune écrivain visiblement habité par l'oeuvre de Miguel Delibes, je rapproche l'écriture et l'univers de Delibes de ceux du Jean Giono de Que ma joie demeure et du Grand troupeau, et du Jean Carrière, qui fut son fils spirituel, de L'épervieur de Maheux et de La caverne des pestiférés. Et, plus près de nous, c'est l'univers et l'âpreté des personnages des romans de Sylvie Germain, surtout les deux premiers : Le Livre des nuits et Nuit-d'Ambre, qui m'y font immédiatement penser. Pour aimer lire Delibes, mieux ressentir l'expression du sous-sol de son talent dans le vin de sa prose, il faut avoir aimé aussi, par exemple, Le Llano en flammes et Pedro Paramo, de Juan Rulfo... Cet ensemble forme une sorte de famille littéraire, à laquelle chacun peut ajouter une ou deux lectures, un auteur ou deux...

    A vous de jouer, ici même!..

     

     

  • Coatalem via Segalen

    Reçu ce matin le nouveau roman d'un auteur que j'aime vraiment : Jean-Luc Coatalem (Le dernier roi d'Angkor, Grasset).

    Avant d'y entrer, je trouve ceci en exergue, qui m'évoque un mot fameux de Montaigne : Je réponds ordinairement à ceux qui me demandent raison de mes voyages, que je sais bien ce que je fuis et non pas ce que je cherche.

    Tout semble concentré, et dit, ou presque, dans cette phrase de Segalen :

    On fit comme toujours un voyage au loin de ce qui n'était qu'un voyage au fond de soi. Victor Segalen

    Je reviendrai parler du Dernier roi d'Angkor.

  • Lisez-le, cessez de le regarder!

    Lisez-le, cessez d'évoquer, de ressasser sa gaucherie à l'oral, les phrases qu'il n'achève pas, ses bras qui fendent l'air comme une éolienne, son regard qui résume l'angoisse permanente et forte : lisez Modiano! Et cessez de juger, de gloser sur le mal être évident d'un homme lorsqu'il passe à la télé et pas*, ou si peu, l'écrivain qui écrit à la main, en silence, chez lui, depuis quarante-cinq ans.

    Pas forcément L'Horizon, paru ces jours-ci, mais les vingt précédents, et surtout Un pedigree (et Dans le café de la jeunesse perdue), afin de comprendre tous les autres, même s'il s'agit (attention poncif) à chaque fois du même livre éternellement recommencé, à l'instar d'une douleur lancinante, ancrée très profond et qui ne passe pas.

    Un pedigree a cette dimension autobiographique et sans concession qui permet d'éclairer l'oeuvre, depuis La Place de l'Etoile, son premier roman.

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    *Dois-je répéter encore qu'un auteur n'est -ou ne devrait être- que ce qu'il écrit? Et que ce ne sont pas les séances de brushing-choucroute d'un Zeller ou le choix du décolleté d'un BHL, qui doivent laisser à penser d'une part que l'un écrit blond et romantique et l'autre imberbe et chic. A propos du second, certains passages de l'énorme confession inclassable de Marie Billetdoux, C'est encore moi qui vous écris! sont d'une refoutable acidité pour le jeune futur nouveau philosophe, tout entier obsédé par la construction minutieuse de son personnage, comme une midinette avant un casting...

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    Tiens, par exemple, j'ai vu Charles Juliet -immense auteur, poète précieux d'Affûts, diariste profond à la langue forte et ancienne (le tome VI de son Journal vient de paraitre), l'auteur de récits et nouvelles subtils comme Lambeaux, L'année de l'éveil, Attente en automne..., signer dans une librairie, vendredi soir. Déjà, il est étrange qu'un tel ours se plie à ce genre de singerie. Et bien il était comme il doit être chaque jour, ailleurs : simple, humble, presque timide, économe de paroles, tout entier écrivain. En dépit de son profil anguleux, d'aigle en observation, il m'évoquait un bernard-l'hermite hors de sa coquille : l'abdomen frêle et fragile, infiniment vulnérable, replié sur sa fine peau, avec des pinces hypertrophiées et davantage encombrantes qu'utiles à une quelconque défense. Une sorte d'albatros baudelairien. Je me suis dit qu'il perdait son temps et qu'en étant là, il n'écrivait pas. Et que, comme souvent, nous n'avons rien à dire à un auteur assis derrière un rempart de livres, ni un auteur à un lecteur debout et tenant l'un de ces livres dans une main, il valait mieux qu'il abrège. Seul le stylo doit parler, non? Tout le reste est littérature.

  • Sel de Marseille

    Dans le hamac de l'horizon aux lueurs fauves... C'est Louis Brauquier qui, ce matin, illumina mon réveil, depuis cette chambre devant la mer qui2129450853.jpg embrasse les îles du Frioul et d'If, avec Marseille à tribord, les Calanques à babord, l'éternité à nom de femme dans les draps odorants.

    Matin si pur, la mer blanche est une épousée;

    Les îles sont à l'ancre.

    Puis ce fut un café sur le Vieux Port. Le beau mort, comme le surnomma Albert Londres.

    Soleil vif, soles vivantes dans les bacs, faconde de bazar dans les regards des vieux en retrait, à la bouche du métro.

    Avant-hier, un souvenir percuta ma mémoire. Celui du démarrage en fanfare des Marins perdus, roman de Jean-Claude Izzo : Marseille, ce matin-là, avait des couleurs de Mer du Nord. Car ce fut un jour de bourrasques, de pluie piquante comme à Waterville, Irlande.

    Mais ce matin encore, avant de nous arracher, Brauquier eut le dernier mot : La tendresse des ports est noyée d'amertume.

     

    Peinture de Francine Van Hove

  • Les soeurs de Marie-Madeleine

    IMG_2019.JPGPlus ça va (zambrek, soit mal) dans ce monde et plus j'ai envie de montrer du doigt les dégâts incalculables de cette secte qui a prosperé, comme la nomme Michel Onfray dans Le souci des plaisirs. Construction d'une érotique solaire (J'ai Lu) : le Christianisme.

    Cette religion gore, sadomaso et fondamentalement inhumaine, fondée sur la haine de la vie, du plaisir, du désir, de la femme, de l'amour, des sentiments positifs, des passions gaies, grâce à une maîtrise qui force le respect de l'hypocrisie, de la perversité, du leurre, de la violence instillée à la manière d'un poison, et de la dénégation aussi, pour masquer inconsciemment ses affligeantes névroses, dont nous payons les effets chaque jour  -me donne toujours une nausée fulgurante, comparable à une intoxication alimentaire pendant un match Aviron-Montpellier (Bravo les Ciel et Blanc! 22-16, 3 essais).

    J'ai revu The Magdalene Sisters *  en dvd hier soir. Un film indispensable. Histoire de me faire une piqûre de rappel, comme si j'en avais besoin!..

    * Marie-Madeleine a la liberté d'une légende, l'audace de l'amour. Elle s'élance, elle pleure, elle espère. Elle aime la vie et les parfums, l'immense et l'inouï. Elle vit dans l'étonnement et suscite le miracle. Elle est la soif et la fontaine, l'extrême nudité où mène la passion. Accablée d'insultes, traitée de prostituée, elle a le silence et les larmes pour réponse, quelques mots brûlés d'amour, et le parfum de beauté, d'insolence, qui demeurent jusqu'à nous... (Jacqueline Kelen, Offrande à Marie Madeleine, La Table Ronde).

    Le dernier album de Massive attack, Heligoland :

    http://www.deezer.com/en/music/massive-attack/heligoland-486301#music/massive-attack/heligoland-486301

  • Suivre le cours

    J'en ai rêvé, Bouquins/Laffont l'a fait. Les fameux cours de littérature donnés par l'auteur de Lolita dans plusieurs universités américaines, notamment celle de Cornell, entre 41 et 58, reparaissent en un seul et épais volume au papier bible délicat. Dedans? Des trésors, la caverne d'un Ali forcément baba :  lo mejor de Austen, Dickens, Flaubert, Stevenson, Proust, Kafka, Joyce, Gogol, Tourgueniev, Dostoïevski, Tolstoï, Tchekhov, Gorki, Cervantes... Du pur jus d'intelligence libre et claquante, du talent d'un écrivain dont on devine le grain de la voix, de la verve d'un qui vilipendait vertement les Philistins (la préface lumineuse de Cécile Guilbert est sur ce point salutaire, ainsi que les pages 98 à 114 du Nikolaï Gogol, essai virulent du même Nabokov, reparcouru pour l'occasion dans sa belle édition de 1953 à La Table Ronde) comme Socrate jetait avec l'eau du bain les Sophistes. Introduction de John Updike, quand même (mais bof...). Ulysse, Swann, Anna Karénine, La métamorphose, le Quichotte, La Dame au petit chien... Passés au tamis nabokovien deviennent des astres lustrés par un vieux flacon de Mirror que l'on n'espérait plus. Le BONHEUR.

  • en musardant entre les pages

    De la guerre, de Clausewitz, classique d'entre les classiques du genre, avec L'art de la guerre, de Sun Tzu et les anonymes 36 stratagèmes, nous font voir d'un oeil neuf l'offensive concertée, si techno, si starwarisée, menée actuellement en Afghanistan par l'Alliance, contre les Talibans. Certains militaires de l'état-major français sur place ont Clausewitz pour livre de chevet. La continuation de la politique par d'autres moyens n'a peut-être jamais autant porté son sens en elle.

    En remontant les ruisseaux, de l'Aubrac et de la Margeride (mais qu'importe le lieu lorsque la littérature le déracine et le rend universel?), du subtil pêcheur à la mouche, érudit et délicat prosateur Jean Rodier (L'Escampette), nous entraîne en amont. Car une rivière se remonte, tandis qu'elle va, d'ordinaire et pour le sens commun, vers la mer, l'océan, un néant où elle se dilue, se noie. Parce qu'une rivière se lit. Comme un livre dont il faut massicoter les pages avant d'y entrer. Et qu'en convoquant Bachelard, Lucrèce, Whitman ou Gracq à ces jouissances naturelles, sauvages, dans une nature âpre et généreuse à la fois, Rodier enchante. Il faut dire que sa prose somptueuse est limpide comme un torrent apprivoisé.

    Capri, de Pamela Fiori (Assouline) bel album haut en photos quadri, me convainc une fois encore que la Jet Set a bien fait d'établir ses quartiers sur cette île du Golfe de Naples, à jamais immortalisée par Malaparte et Godard, mais devenue la proie des pipeule du monde entier, comme sa voisine Ischia est devenue celle de la beaufitude du tourisme de masse vendu à l'incrédulité par des T.O. sans vergogne.
    Donc, Procida. Mon île. Préservée de tout cela. La 3ème du Golfe, la plus petite, la plus insignifiante, oui! La plus pauvre, la plus intérieure, la plus oubliée, sera toujours -et pas seulement parce que mon berceau familial s'y trouve-, la isola di Arturo (Morante), et aussi celle de mes saisons les plus fécondes.

    Ooh! : Massimiliano Tappari signe (aux éditions du Panama, en dépôt de bilan, mais bon) un livre de photos insolites et drôles : des lavabos en forme de visages (photo de couv ci-contre), des valises, des architectures, des plantes, des nuages, des fenêtres, des panneaux d'orientation, des animaux, à la lecture desquels tout fait sens. Humour. Et surtout poésie.images.jpg Comme un bol d'air pur en pleine grisaille, ses photos ont la grâce du dénuement ingénu d'un regard d'enfant surpris en train de jouer dans sa chambre.

  • Quignard, encore

    Pascal Quignard, auteur prolifique, opportun rééditeur, surgit dans la collection Poésie/Gallimard, que dirige André Velter, avec un volume bifrons : une traduction emblématique, fondatrice, d'Alexandra, de Lycophron (ultime tragédie des anciens grecs) et une somme de fragments parfois intimes, en tous cas qui en apprennent sur l'auteur discret des Petits traités, intitulée Zétès (celui qui cherche, en Grec). Car Quignard cherche constamment. Le sens purement originel -à croire que l'étymologie ne le satisfait guère, est son obsession. Ainsi ce recueil est précieux en ce sens qu'il nous renvoie à la définition, au charnel du mot, à  son essence, à la source du sens.  Au vrai sens de chaque mot prononcé, écrit, crié. A cet essentiel que nous perdons tous en chemin, pressés, téléphoneportablisés, tandis que nous nous plaignons de l'absence de vérité à nos jours; et à nos nuits.

    Il est intéressant de noter le voisinage, "les alliés substantiels" (Char) de Quignard : Celan, Des Forêts, Levinas, Du Bouchet,  Hocquard, Auster, Klossowski, Lambrichs, Veinstein, Vuarnet, Rothko, Caillois, Suied, Deguy, Queneau... Du beau monde, monacal et infiniment créatif, fondateur, même, d'une espèce de XXIème siècle, non?

    L'essentiel, dans Quignard, étant l'observation du silence, à la manière du chasseur à l'affût, nous pensons avec lui à ce silence aussi contagieux que le renouvellement de la voix violente des oiseaux peut l'être, d'espèce à espèce, dans les cris qui visiblement jouissent de la lumière qui revient, du fonds de la nuit et du temps, dans l'aube. J'aime également le Quignard exalté qui remet les choses de l'ordre urbain quotidien dans l'ordre, en rappelant que : L'humanité n'a jamais été aussi inhumaine. Son désensauvagement est plus féroce que la vie primitive. Il faut parler de surensauvagement...

    C'est ce Quignard, qui rappelle aussi que masque se dit persona en latin. Par conséquent, que penser du mot personnage, qui viendrait de  per-sonare, sonner à travers?

    Plus loin, il est souligné que le mot style renvoie directement, en latin, au stylus, à l'épieu, à la pointe, au stylet... Au stylo de la mise à mort.

    Et s'agissant encore de ce silence essentiel, il nous est rappelé que le Juif traduit la voix de Yahvé en loi (torah), que le Chrétien traduit la voix de Dieu en foi (fides), et que le Musulman traduit celle d'Allah en soumission (islam).

    Nous n'en avons jamais fini avec Pascal Quignard, cet éternel chasseur de sens mimétique. Je le soupçonne même, lorsqu'il se rend avec affection au Baratin, fameux restaurant du 20 ème arrondissement de Paris, à la carte des vins (qui comptent) exemplaire, à la cuisine de femme, homérique (de Raquel Carena), de penser à son premier livre, intitulé La catégorie du baratin, mais finalement titré La parole de la Délie par Louis-René des Forêts, car ce dernier trouvait trop lacanien le titre proposé, pour cet essai sur Maurice Scève, que signait un jeune inconnu répondant au nom de  Pascal Quignard...

  • lectures en passant

    Véronique Olmi, dans Le Premier amour (Grasset) prend frontalement un sujet rebattu et nous sert une pochette-surprise pour filles et garçons assez judicieuse : au lieu de retrouver le beau rital qu'elle a perdu de vue depuis un quart de siècle et qui fut sa première love affair, en fondant dans ses bras comme un marshmallow passé au gril, parce que ce fou la rappelle après tout ce temps et qu'elle, folle, part à sa rencontre séance tenante, elle trouve -au lieu des bras du souvenir, fantasmé en route-, la femme d'un bel ado devenu vieil amnésique muet, cloîtré dans un brûlant secret. Bien mené, même si 150 pages, au lieu du double, auraient suffi (en élaguant la vie de la narratrice qui défile en même temps que les kilomètres, dans un road-book ennuyeux), il manque cependant à ce roman l'émotion. On n'y sent jamais un gramme de sincérité.


    Ce qui n'est pas le cas avec La route, de Cormac McCarthy (L'Olivier, et Points/roman), relu attentivement après avoir vu le film, dont l'écriture est sèche, voire coupante (cependant, l'abondance de phrases très courtes mais sans verbe -astuce de traducteur?-, de troublante, devient vite lassante). La force de ce roman est tellurique. Son âpreté vous enveloppe, vous colle, vous poursuit. C'est tout simplement un grand livre de vraie littérature, sur un sujet périlleux. Et pour une fois que McCarthy est tendre! Car ce caddie-movie, dans lequel un père protège obsessionnellement son jeune fils des dangers qui surgissent fréquemment, dans un paysage post apocalyptique où les derniers humains sont devenus de dangereux anthropophages, est à la fois glaçant et chaleureux.

    On parle beaucoup de ru, de Kim Thuy (Liana Levi). J'ai été sensible à la leçon de courage de cette vietnamienne ayant vécu la fuite de Saïgon dans un boat-people, les camps de réfugiés malais, puis la neige québecoise, mille boulots après mille misères, pour atteindre une sérénité de haute lutte, et ce malgré la mise au monde d'un enfant autiste. Premier livre, court, extrêmement sensible car emplumé d'une écriture dépouillée, essentielle, mais jamais froide, ru frappe par sa grande lucidité. Et son éclair dure. Extraits : Elle était très vieille, tellement vieille que la sueur coulait dans ses rides comme un ru qui trace un sillon dans la terre. (...) Les esclaves des Amériques savaient chanter leur peine dans les champs de coton. Ces femmes, elles, (à trimer dans les rizières) laissaient leur tristesse grandir dans les chambres de leur coeur.

    La Correspondance d'Albert Camus et René Char (Gallimard) est un recueil de pépites. Mieux : un mouchoir dont on dénoue les quatre oreilles avant de plonger une main avide et gourmande dans un grouillement de binagates : billes d'agathe, en pataouète piednoir... Où l'on découvre que Char ne cessa jamais d'être poète, où l'amitié, leur rivière souterraine, se construit lettre après lettre et mûrit comme le miel durcit, où Camus s'expose comme il fut : d'une désarmante sincérité et d'une émouvante générosité d'âme. Un livre essentiel, en marge de nos relectures de ces deux grands bonshommes qui vécurent aussi en voisins dans le Lubéron.

    Découvrir tardivement une pièce célèbre de Bernard-Marie Koltès, Le retour au désert (Minuit), et prendre en pleine face une écriture violente qui crépite comme une mitraillette, et où les répliques sont des grenades (à propos de l'impossibilité d'un bonheur calme au sein de la fratrie, sur fond de guerre d'Algérie et de racisme ordinaire -le pire), cloue.

    Relire John Keats et apprendre qu'à la faveur du film de Jane Campion (Bright star, pas encore vu), les ventes du poète enfiévré, mort en 1821, décollent, procure un de ces petits plaisirs d'amateur, qui réchauffent autant qu'une flambée de cheminée. Et cela même si nous n'aimons guère le style ampoulé de l'époque romantique. Extrait du poème Astre brillant :

    ...-mais, puissé-je, toujours immobile, toujours immuable,

    Posséder comme oreiller le sein mûrissant de ma bien-aimée,

    Pour le sentir à jamais doucement se soulever puis s'abaisser,

    Eveillé à jamais en une délicieuse insomnie,

    Pour entendre encore, et encore, sa tendre respiration,

    Et vivre ainsi toujours - ou sinon m'évanouir dans la mort!

    Enfin, petite pensée en apprenant par Ouest-France, la disparition d'un écrivain que j'ai eu le bonheur de connaître. Robert de Goulaine fut un amateur au sens fort. Connaisseur des vins rares et disparus, vigneron lui-même, collectionneur original, chasseur subtil et romancier délicat (je n'eus pas de mal à convaincre tous les membres du jury du Prix François-Sommer, dont je faisais partie, de la nécessité de couronner ses Angles de chasse, en 1998 je crois), Robert de Goulaine était tout cela à la fois. Il vivait au château de Goulaine, à Haute-Goulaine, parmi les papillons,  les livres, les vins et les souvenirs.

  • a whiter shade of pale

    http://www.youtube.com/watch?v=Mb3iPP-tHdA

    L'un des plus beaux slowbraguette de tous les temps, signé Procol Harum, avec une video -la préhistoire du clip-, aussi ringarde qu'actuelle : l'histoire du look et des préséances se répète et donne lieu à de savoureux paradoxes. C'est tellement touchant que le dernier clip à super effets spéciaux de n'importe quel avatar de Madonna me fait bailler tant il veut m'impressionner...

    And, some years later... Ca donne ceci :

    http://www.youtube.com/watch?v=p8jJ1ORIOes&NR=1&feature=fvwp

  • d'un trait

    Sollers, parfois, tire des traits qui font mouche. Ainsi lisais-je dans la dernière livraison du Monde des Livres, un éloge de son Discours parfait, qui vient de paraître et qui est la 3ème compil de ses papiers et préfaces parus dans L'Obs, Le Monde et un peu partout. Il y est écrit que notre Philippe national aime à s'enfermer dans une bibliothèque pour échapper au devenir inessentiel et publicitaire de la culture contemporaine. Mais que c'est juste et beau! Cela renvoie directement à Salinger, qui vient de casser sa pipe, comme chacun sait : il cesse d'écrire en 1965 et l'auteur de L'attrape-coeurs, dont le succès est planétaire, devient au fil du temps une icône, un démiurge parce qu'il ne publie (quasiment) plus rien,  qu'il se terre, a fui le monde des humains comme on anticipe la peste! Légende contemporaine... On s'en étonne, mais on sculpte la statue de l'écrivain parce qu'il n'est pas social, ou médiatique. Etrange époque, quand même, qui m'apparaît trouble puisqu'elle hésite entre l'admiration et le reproche, entre la fascination et l'exigence... Comme si donner à lire ne suffisait pas. Idem pour les Pynchon, Michaux, Blanchot, Des Forêts, Cioran, et autres Char, Gracq, etc. Je me souviens du dernier me répétant qu'un écrivain n'était que ce qu'il écrivait. Point barre! (nous parlions d'Apostrophes et des mèches et autres décolletés si étudiés des invités de Pivot de la grande époque, et j'évoquais une fois de plus ma velléité à vouloir le rencontrer pendant les années de notre relation strictement épistolaire, car je respectais les préceptes de La littérature à l'estomac. Jusqu'à ce que je julien-craque!).
    Par ailleurs, cette sortie de Chamfort, cité par Sollers, encore, dans la dernière livraison de L'Obs, me convainc derechef qu'il faut constamment revenir à tous les fragments et aphorismes de Chamfort, La Rochefoucauld, Lichtenberg, Schopenhauer, Karl Kraus, Cioran, Baltasar Gracian, voire Roger Judrin, ainsi qu'à Georges Perros collant ses papiers, à Jules Renard diariste, à Pessoa intranquille, à Amiel, à... Qui d'autre, de cette veine! (Spinoza et Montaigne, cela va de soi. Le Zarathoustra de Nietzsche, oui, sans doute... ). J'ai envie d'ajouter les Journaux, encore, de Miguel Torga et de Cesare Pavese, les Carnets de Montherlant et de Philippe Jaccottet, les presque haïkus de Giuseppe Ungaretti, Giacomo Leopardi aussi... Tant de vitamines du bonheur de lire, autant de fortifiants à prendre avant de sortir dans la jungle urbaine.

    Chamfort, donc : Quand on veut plaire dans le monde, il faut se résoudre à apprendre beaucoup de choses qu'on sait par des gens qui les ignorent.

    Enfin -mais cela n'a rien à voir avec ce qui précède, je retombe sur cette phrase si fragile de Gracq, et qui m'évoque tellement Schubert. Et l'aile d'un papillon dans le vent de l'aube : Il sentait battre en lui une petite vague inerte et désespérée qui était comme le bord des larmes...


  • Lettre à mon chien

    Cher KallyVasco,

    Un coup d'oeil rapide jeté ce matin sur ton calendrier, à droite, m'a fait rougir. J'ai honte, Kally. Je ne sers plus ta gamelle quotidienne, je te IMG_3032.jpgdélaisses. Je sais qu'en plus ce n'est pas la première fois. Ne m'accables pas. Mais l'avantage avec toi, c'est que tu as des réserves. Ne le prends pas mal, mais tu relèves davantage du labrador sur canapé que du lévrier de course. Tu en conviens, non? Il suffit de plonger dans tes archives pour savoir que l'on peut y puiser des journées de lecture. Bon, cela ne remplace pas la viande fraîche. Ah, les brisures de riz rond mélangées aux morceaux de bourguignon juste saisis aller-retour. Mais voilà, j'écris. Un roman. Un gros roman en plus. Et lorsque j'ai le nez dans un livre en chantier, je t'oublies un peu. M'en voudras-tu? D'ailleurs, ce n'est pas un, mais deux livres que je poursuis. Pas deux lièvres, rassure-toi, mon chien. Et le second est beaucoup plus simple. Alors je repense à un beau passage des Larmes d'Ulysse, de Roger Grenier. Car il en va, un peu, d'un simple blog comme du work in progress. A l'instar du jogging et du marathon. Je te sers ce passage, en attendant. Tu le relis (je pense te l'avoir déjà donné) et après on ira faire un tour, histoire de se dégourdir un peu les guibolles tous les deux...

    Le livre-chien

    Et si la littérature était un animal qu'on traîne à ses côtés, nuit et jour, un animal familier et exigeant, qui ne vous laisse jamais en paix, qu'il faut aimer, nourrir, sortir? Qu'on aime et qu'on déteste. Qui vous donne le chagrin de mourir avant vous, la vie d'un livre dure si peu, de nos jours.

     

    IMG_3039.jpg

    ©Marine Mazzella : afin d'illustrer ce propos, voici -par métaphore-, un vrai chien, le setter fou baptisé Keita, photographié par ma fille dans la barthe d'Orist, Landes, le 30 décembre dernier.

     

  • Lydie Arickx

    Dans le dernier n° du magazine Maisons Sud-Ouest, outre un portrait que j'ai brossé de Claude Cabanes, qui fut longtemps rédacteur en chef de L'Huma, j'ai décrit la maison merveilleuse d'une artiste singulière et immense : la peintre et scultpeur Lydie Arickx. Photos de son atelier  (celles de la maison sont en kiosque!) et texte :

    Une maison de lumières

    La scène se passe quelque part au sud des Landes (pour créer heureux, créons cachés, chuchote l’artiste).  Visite à Lidye Arickx, peintre et sculpteur qui décoiffe, au cœur de sa maison de lumières...

    À l’origine, c’est la matrice, la maison IMG_1850.JPGdes racines adoptives. Des origines flamandes n’empêchent pas l’élection du lieu, le choix du cœur, si fort qu’il dépasse le déterminisme des racines. « Ma mère adorait les Landes et, à force d’y passer des vacances, elle voulut y établir les siens. » Ainsi la famille Arickx vécut-elle là. Dans une petite basco-béarnaise ordinaire, plutôt sombre, étroite, ramassée sur elle-même, entourée de friches gourmandes qui gagnaient du terrain à la manière des végétaux froissés dans les contes fantastiques que l’on raconte le soir à des enfants fascinés. C’est la maison des parents, la maison de famille. Là où Lydie Arickx a grandi avant de s’envoler, de papillonner ici et là : études à l’ESAG (école supérieure d’arts graphiques) de Paris, ville où elle vécut jusqu’en 1991. À partir de ce moment-là, tout bascule : elle part s’installer dans les Landes, à Saint-Geours-de-Maremne, douze années durant, puis elle revient, en 2003, là où elle a passé son enfance, à quelques lieues de là, dans la maison des parents, une fois ceux-ci décédés. Ni son frère ni sa sœur ne souhaitant reprendre la matrice, c’est Lydie, son compagnon Alex Bianchi, photographe qui travaille chaque jour dans l’immense atelier de Lydie à maroufler, monter des châssis, photographier tout, et leurs deux fils Baptiste et César, qui vont faire de la maison de l’enfance de Lydie un chef d’ œuvre de demeure contemporaine ouverte à la lumière comme un corps vivant offert à l’amour, et aux prolongements comme des membres faits pour entourer ceux qui y vivent et y accueillent leurs amis ou des rencontres de passage avec ce qu’il faut de génie naturel pour que chacun s’y sente chez soi, entouré d’art et d’amitié. Le contraire de la pieuvre : ici, nul tentacule, mais que des bras aimants.

    Lydie a tout cassé, tout contrôlé aussi. Avec, toujours, l’œil complice d’Alex, sa moitié au sens premier du terme, son soutien permanent, son châssis fondamental, l’armature d’une femme peintre et sculpteur, célèbre en Europe, et dont les œuvres font partie du fond du Musée National d’Art Moderne de Paris. Du patrimoine. Elle a vécu dans cette maison de l’âge de cinq ans à l’âge de vingt ans. Elle est revenue s’y établir dans les grandes largeurs à l’âge de  quarante-neuf ans. « On a tout agrandi, tout ouvert. Les enfants ont fait pousser des ailes à la maison-mère, à la matrice centrale, au berceau originel. Alex, mon  mur porteur, a veillé à tout à mes côtés. Et je n’ai pas perdu un geste de ce IMG_1857.JPGque chaque personne chargée des grands travaux a fait. »  Lydie a aimé charnellement vivre ce chantier comme si elle avait assisté à la réalisation d’une œuvre gigantesque. Habituée aux immenses toiles, aux IMG_1848.jpgfresques de quinze mètres de long, aux lourdes et imposantes sculptures en bronze, la conduite à distance des travaux de renaissance de la « domus » fut pour l’artiste une jubilation permanente. « Bien sûr, les travaux ont été confiés à un architecte Bayonnais de renom, Patrick Arotcharen et à un maçon exceptionnel qui a pratiquement construit la maison tout seul, Alain Lemonnier, mais j’ai infléchi les actes au fur et à mesure de leur apparition. » Lydie considère qu’il est indispensable d’habiter une maison en chantier. Assister chaque coup de pelle, tout accompagner, épauler sans jamais conduire les travaux, apporter les touches nécessaires à l’harmonie des goûts fut une aventure  formidable pour la famille. Lydie se souvient de cette période de camping sauvage dans un chantier sans fenêtres, sans toit un temps, des intempéries, des difficultés tournées en dérision, comme d’une expérience créative et de plein contact avec la matière de ce qui devenait, au fil du temps, la maison du bonheur. Une telle « performance » -il n’y a pas d’autre mot lorsqu’il s’agit de la maison d’un couple d’artistes, est un incessant ballet de réajustements, un flux constant de personnalisation, de mise en adéquation, de projection dans un quotidien que l’on souhaite parfaitement adapté, sur mesure, fondu enchaîné, souple, en écho à soi-même.

    « Une maison, c’est notre espace du corps », dit-elle. Son père et son frère avaient construit une première fois IMG_1853.JPGcette maison dans les années soixante-cinq. Le corps originel, c’est eux. La maison-mère, ce sont les hommes du clan qui l’ont bâtie. Ses splendides prolongements, c’est la fille qui les a signés, avec l’aide d’une poignée de spécialistes à l’écoute de chaque membre du clan. « Aujourd’hui, c’est une maison de jubilation. Les lumières y entrent différemment à chaque moment de la journée et ne sont jamais les mêmes selon la saison, le temps… C’est aussi une maison de sons et de bruits sympathiques. L’un de ceux que nous préférons, loin d’être désagréable ou inquiétant, est celui de la pluie d’orage qui avance, avec la force variable du vent, en martelant l’étang depuis la forêt jusqu’aux murs et aux verrières. » La maison de Lydie et Alex est un lieu fondamentalement ouvert. C’est un jeu d’interfaces. Dans l’espace, nous voyons toujours ce qui se passe d’une pièce à l’autre, les gens qui y évoluent ne se sentent pas pour autant regardés. « C’est une maison de communication, au sens fort du terme. Car une maison est davantage qu’un simple abri pour le cocon familial, c’est aussi le reflet de ce que l’on vit chacun, et comment nous vivons ensemble ce cocon, ces relations entre nous et notre relation globale au lieu. » De fait, la maison de Lydie est un lieu d’échanges, de vie, un espace de respect et de liberté de chacun, pris dans une communauté de communication. « Chacun s’affaire à son occupation et tous se sentent rassurés car rassemblés. » L’architecture de la maison a considérablement œuvré dans ce sens : on y IMG_1843.JPGévolue, on passe d’une pièce à l’autre en cheminant, en effectuant une sorte de voyage d’une zone commune à un espace privé, et en étant constamment escorté par des œuvres d’art de Lydie, des photos d’Alex, de nombreuses peintures et sculptures d’artistes amis, aussi. Certains meubles sont également sortis des mains imaginatives et adroites d’Alex. Il faut dire que ces deux-là forment un couple insécable d’amoureux réputés fusionnels comme ces oiseaux d’oisellerie nommés inséparables. À la question : êtes-vous attachée  à une galerie parisienne comme celle de Jean Briance, Lydie répond spontanément : « je ne suis attachée à rien, sauf à Alex. » Et lui se plait à dire qu’il a arrêté la cigarette, mais qu’il continue de fumer –uniquement- des Arickx… L’addiction est identique.

    Il y a beaucoup d’angles de murs en verre, afin que le regard de Lydie ne puisse jamais se trouver arrêté, bloqué par une impossibilité de voir à IMG_1849.JPGtravers. Ainsi, la nature est omniprésente, puisqu’on peut l’admirer de n’importe quel endroit de cette grande maison aux multiples prolongements et recoins. « Notre maison est devenue en moins de cinq années, une maison de rencontre qui marche beaucoup à l’instinct. Chacun s’y sent libre, y évolue tout de suite sans crainte, naturellement. Qu’il s’agisse de la famille, des amis proches et fréquemment présents, ou bien d’amis de passage, de rencontres nouvelles. Et c’est un grand bonheur de s’apercevoir de cela, que cette connivence entre le lieu et l’Autre opère facilement. C’est magique et ce n’est pas un hasard. » Pour Lydie comme pour Alex, leur maison est le reflet de leur « posture de vie », de leur attitude face à la vie. « La maison parle d’ailleurs pour nous, enchérit-elle, et la refaire complètement m’a considérablement ouverte. Nous sommes, elle et moi, entièrement tournées vers la lumière. » L’atelier de l’artiste, où elle se rend chaque jour avec Alex, est l’ancienne usine de son père, où étaient fabriqués des socles en béton pour compteurs électriques. Elle est au bout d’un chemin, sur la propriété, et il s’agit d’un espace gigantesque, à la mesure des travaux de Lydie, avec une partie dédiée à la peinture, et une autre à la sculpture. Une hauteur sous plafond de cathédrale –une chance, eu égard à la production incessante de l’artiste-, permet de stocker toiles, dessins et sculptures. « Prendre ce chemin à pied m’est une respiration indispensable. Il me IMG_1844.JPG permet à la fois de lâcher prise et de me préparer à attaquer une œuvre. » La maison de Lydie Arickx n’a pas de nom. « Nous avons pensé à la maison de là-bas, à la maison du bout du rien, à la maison du bout du chemin de là-bas, aussi. Elle n’a en réalité pas besoin d’être nommée. De toute façon, ces choses-là, ce baptême-là ne se décident pas, si elle doit porter un nom, celui-ci s’imposera un jour à elle-même. Et à nous ! Nos chats non plus n’ont pas de nom. » Pas plus que les canards colverts et les oies grises, d’Egypte et bernaches nonettes qui volent, broutent ou barbotent près du magnifique étang. Un étang artificiel qui a une histoire singulière. Il n’a pas cinq ans. Un jour, Alex et ses fils se sont attaqués à la jungle de vergnes qui envahissait le parc devant la maison, bouchait l’horizon, menaçait d’étrangler le terrain. Ce jour-là, un sourcier de la région vint les voir. Personne ne l’avait requis, cependant il avait senti qu’il lui fallait venir. Comme Gérard Gauyat connaissait parfaitement le terrain, il indiqua avec précision la nature du sol de chaque parcelle et la présence de chaque source. Ainsi, une fois le terrain élagué, totalement défriché, puis creusé, il fut relativement simple de le mettre en eau et de faire un étang artificiel. Le rêve de Lydie se réalisa. Et Gérard lui apprit aussi que c’était le rêve secret de son géniteur. Ainsi, la fille accomplît-elle sans le savoir un double souhait profond. Gérard Gauyat est mort peu de temps avant la fin des travaux, il y a bientôt quatre ans. Aujourd’hui, il semble avoir toujours existé, apporte une atmosphère infiniment paisible, qui tranche avec le tumulte des chairs, contenu dans la peinture de Lydie. Entre la maison, l’étang et l’immense atelier, il y a un chemin de paix. Et entre Lydie et son art, il y a l’esprit du lieu. La magie de « la maison de là-bas »…

    © L.M.

    texte et photos

  • palombes

    IMG_1898.JPG

    INVIERNO
    La nieve cruje como pan caliente
    y la luz es limpia como la mirada de algunos seres humanos,
    IMG_0834.jpg
    y yo pienso en el pan y en las miradas
    mientras camino sobre la nieve.

    HIVER
    La neige craque comme du pain chaud
    et la lumière est pure comme le regard de c
    ertains êtres humains
    et je pense au pain et aux regards
    tandis que je marche sur la neige.

    Antonio Gamoneda, Blues castillan, (José Corti).

    Laurie Anderson, Superman :
    http://www.deezer.com/listen-744343
  • les agressions indolores

    j'ai voulu prendre l'air et j'ai pris peur

    en sortant, j'ai pris des affiches plein les yeux, impossible de leur échapper, dans ce couloir, pour des films à la con, au coeur desquelles des gens braquent des armes de poing, bras tendu, regard étudié, noir, sur rien, enfin sur celui qui regarde l'affiche, puis j'ai pris le métro : des affichettes pendouillaient qui disaient : revendez vos cadeaux de Noël, signé Price Minister. Ca m'a fait froid. Alors, après mon achat, je suis rentré, vite, penaud, et j'ai fait du feu dans ma petite cheminée.
    Ca va mieux, là.

  • Pour l'amour d'un platane

    L'air fameux qui ouvre le Serse, de Haendel, Ombra mai fu, évoque l'amour d'un empereur pour un arbre :  Nous sommes en 480 av. JC. Xerxès, traversant la Lydie, s'éprit d'un platane et le fit orner de colliers et de bracelets en or (selon Hérodote). Cela donne, avec Haendel, l'un des plus émouvants arias de la musique baroque.

     

    Frondi tenere e belle
    del mio platano amato,
    per voi risplenda il fato.
    Tuoni, lampi, e procelle
    non v’oltraggino mai la cara pace,
    né giunga a profanarvi
    austro rapace.

    Ombra mai fu
    di vegetabile
    cara ed amabile,

    soave più.

     

    Douces et charmantes branches
    de mon cher platane,
    le destin vous sourit!
    Que le tonnerre, l’éclair et la tempête
    ne troublent jamais votre précieuse paix,
    et le rapace vent du sud
    ne vienne pas non plus vous violenter!

    Jamais l’ombre
    d’aucun arbre ne fut
    plus douce, plus précieuse,
    plus agréable!

    Ci-dessous, ce bijoujoyaudiamantcaillouchougenou, interprété par le génial Gérard Lesne :


    podcast

  • Ellroy, James Ellroy

    XtMrF7ZxRqgjzth5IUHSKiqxo1_500e.jpgJ'ai toujours eu un peu -non : j'ai toujours autant de mal avec le roman noir, la littérature policière, le polar, tout ça (idem pour la SF, voire le théâtre).

    Je n'en lis jamais -enfin si : un, m'a fait lire Fred Vargas un jour : Dans les bois éternels, qui venait de paraître, et j'ai adoré, j'en ai avalé plusieurs. Pareil pour les premiers Arturo Perez-Reverte qui sont à la frontière de l'enquête policière et du roman de facture classique :  je tiens Le maître d'escrime pour un chef d'oeuvre de ce genre hybride.

    Mais depuis que je sais tenir un bouquin en mains, je dois avoir au compteur un demi San-Antonio (Sucette boulevard -oui bon : je sais, mais c'était un cadeau d'ex), le tiers d'un Dashiell Hammett (Le Faucon maltais, à cause du film), un chapitre de Chester Himes (La Reine des pommes), un ou deux Agatha Christie presque entiers mais pas finis (Dix Petits nègres et Le Meurtre de Roger Ackroyd), et basta. Aucun Chandler, aucun Mankell, aucun rien. Je n'y arrive pas. Sans doute à cause de l'environnement urbain (j'aime Vargas parce qu'elle nous fout des Pyrénées et même des animaux sauvages : bouquetins, loups, plein la tronche, ainsi que des personnages très nature, et son Adamsberg marche souvent dans l'herbe, la boue... Bon, c'est pas Giono ni Genevoix, mais ça aide, en tout cas ça m'aide). Et puis le glauque, le crime, l'hémoglobine me révulsent (je manque m'évanouir lorsqu'il s'agit de tendre un bras pour une prise de sang). Alors bon, j'ai conscience de passer à côté d'un genre littéraire capital -mais pour l'instant : rien à faire. Je vis sans ça, et avec déjà beaucoup trop de livres à lire, que j'ai envie de lire donc. Banal. Mais j'envie ceux qui lisent aussi du roman noir.
    Cependant je sens que je vais lire Ellroy. L'enthousiasme, autour de moi, étant unanime -oui je sais : Ellroy, c'est beaucoup plus que du roman noir, c'est de la vraie littérature un poil noire... Je commencerai par le livre sur sa mère, Ma part d'ombre, non? Bon choix?..

  • Un grand blanc

    J'ai beau dire, beau penser, beau tenter de me convaincre qu'un grand bordeaux blanc, un pessac-leognan donc, produit par les plus fameux : Fieuzal, Chevalier, Laville Haut-Brion, voire le rare Haut-Brion blanc, donc issu de sauvignon et de sémillon en quantités variables, parfois inversées (et d'un soupçon de muscadelle), est un immense vin blanc, ce qui est indéniable (il m'est arrivé -sur place, au cours de mes lointaines années bordelaises, de les juger indépassables, ces blancs si racés là), lorsque je tiens un (très) grand blanc de Bourgogne, soit par exemimages.jpgple un chassagne-montrachet 2007, premier cru, ma mémoire olfactive capitule. Il s'agit en l'occurrence d'un produit de Joseph Drouhin, Morgeot, Marquis de Laguiche, pour être précis. Du chardonnay élevé au rang de chef-d'oeuvre. Travaillé, de surcroît, avec une approche biologique et biodynamique. Malgré l'affreux sentiment de commettre un infanticide, ce vin de trois ans à peine, qui aurait pu vieillir longtemps, présente déjà un équilibre serein, entre complexité et élégance, finesse et robustesse, harmonie et caractère, réellement confondant. Il possède, derrière son fruité contenu mais volontiers explosif si on délaisse ce fougueux setter qui n'a pas aimé la voiture, soit un maintien sous le bouchon, il possède donc ce côté force tranquille que l'on aurait surpris, à la dérobée, au fond du regard d'un surdoué solitaire, donc esseulé (et pas l'inverse -chacun l'aura compris), à l'ombre du platane cerné de ciment; à l'heure de la récré... J'en aime l'idée, en arrière-bouche. Cette pudeur, cette puissance aromatique, ce nez féminin et néanmoins herbé comme les bottes d'un gentleman-writer de retour de la chasse et revenu à sa table de travail, cette bouche d'une amplitude insolente, qui semble pouvoir embrasser l'horizon avant d'embraser l'âtre, l'air de presque rien, représentent à mes yeux l'expression même de la séduction, telle qu'un vin peut l'affirmer en douceur. Soit des yeux seulement. Comme savent le faire les femmes de tact. Et silencieusement. Car il convient de le boire à présent...

    Pour écouter tripalement ce textevin, il y a ceci (Qui Tollis Peccata Mundi, Edwin Loehrer). Et rien d'autre. Plat unique, cliquez :


    podcast


  • Le souci du décapage

    De livre en livre, le prolifique Michel Onfray a chaque fois le souci du décapage. Pour notre plaisir de lecteur acquis à son discours spinoziste, libertaire et hédoniste, il se plaît, là, à démasquer les vrais ressorts du christianisme, cette grande usine mortifère dans laquelle l'art et la poésie ne sont que des attrappe-couillons, cette fabrique allergique au désir, au plaisir, qui voue une haine à la femme jamais égalée, qui abhorre le sexe, la vie, le bonheur sur la terre, qui arrose Thanatos comme une plante. La Christianisme Factory (je trouve à l'instant l'expression) sent la mort, pue le cadavre qu'elle cultive, elle nie le corps, exige la chasteté, théorise la misogynie en l'érigeant en haine. Le christianisme célèbre le corps malade, mutilé, avili, il jouit du martyre, interdit le suicide mais recommande de ne pas vivre, d'en finir au plus vite "ici bas" pour connaître enfin la vie dans la mort, appelée l'autre monde réputé meilleur. Ce christianisme que  j'abhorre personnellement depuis toujours, Onfray le dénonce dans un livre jouissif et dopé au verbe et à l'adjectif toniques : LE SOUCI DES PLAISIRS, Construction d'une érotique solaire (J'ai Lu, en version expurgée de ses illustrations, sinon le livre existe en grand format chez Flammarion). Le chrisitanisme, écrit le philosophe nietzschéen, a transformé la sexualité en malédiction, persécuté à mort tout amant de la vie, tout amoureux des corps, il a fustigé l'érotisme, il a décrété l'impureté du sexe féminin, il a inventé un éros nocturne dans la nuit duquel nos corps gisent toujours comme dans un linceul sans aromates... Sa cible préférée est Saint Paul et sa névrose aux répercussions planétaires. Ce sont aussi les oxymores dont le christianisme joue sans être inquiété depuis 2000 ans : l'épouse chaste, la mère vierge, La vierge sera enceinte (Matthieu I, 2, 3). Ou le Christ charnel mais désincarné, sorte d'anticorps (nourriture immatérielle) dont on nous demande de manger la chair et de boire le sang. Le Christ mort et immortel... "Cette secte qui a réussi" voue ouvertement un culte au renoncement de la puissance d'exister. Elle est mortifère, oui, thanatophilique et expiatoire, fait du Calvaire, de la Croix, de la Crucifixion et autres symboles "gore" les étapes pour atteindre un nirvana un peu "space". Par ailleurs, elle prône l'obéissance, la soumission, le renoncement à soi, à l'intelligence, à la raison, elle exige que les "brebis" se contentent d'être la chose de Dieu. Et le pire c'est que ça marche! Que le christianisme continue d'empoisonner les consciences, et ce, malgré Freud et les progrès de la civilisation en tous genres. Le christianisme a un moment "flippé" devant la liberté prise par Eve. La première femme a pensé, réfléchi, agi en conscience, librement. Il en a certes cuit à son sexe, depuis. Parmi les dévôts, exégètes de ce masochisme philosophique aux relents cadavériques, Onfray expose Jacques de Voragine (La Légende dorée fut un best-seller médiéval), le Marquis de Sade et Georges Bataille. Un peu Lacan, aussi, qualifié d'enfumeur, pour son prosélytisme. Onfray dénonce, dans ces oeuvres, l'érotisme de la mort, la nécrophilie, la pédophilie (tiens, tiens...), l'automutilation, le plaisir avec la douleur, le sexe avec la solitude, le désir avec le répugnant, l'orgasme avec la tristesse. Quand je pense que ces oeuvres ont été hissées, adulées, adorées jusqu'au grotesque par des générations d'intellectuels... Parfois, je ne pige vraiment pas mes presque contemporains. Serait-il trop simple, voire simpliste d'aimer les corps, le désir, le plaisir sexuel, la vie, le rire, le soleil lorsqu'il brille dans le ciel, l'aube, la femme!.. Onfray a mille fois raison de souligner que le corps chrétien est schizoïde : d'une part la chair, négative, d'autre part l'âme, positive. Le chrétien doit punir sa matérialité par l'ascèse, la mortification, le mépris et la haine de son enveloppe corporelle. L'Inde, notamment, propose le corps ayurvédique (modalité possible du corps spinoziste) dans lequel l'âme enveloppe le corps. Le conatus (spinozien), le désir, pourrait coïncider avec les prâna, l'énergie, les souffles actifs dans le corps indien. Mais ce n'est pas gagné pour des millions d'âmes paulinisées... Comment déchristianiser les corps d'aujourd'hui? demande Onfray, après avoir passé en revue le catalogue des possibles solutions orientales. Passé Mai 68:  Le printemps de Mai fut suivi par un hiver durable... Après avoir exposé le sexe du surmoi (celui d'Yvonne de Gaulle et de son mari, par exemple) et le sexe du ça (celui de la maman de Michel Houellebecq, par exemple), Onfray propose le sexe du moi rimbaldien. J'y reviendrai bientôt...

     

  • Restaurer Camus

    Odnako-Camus.pngAlbert Camus a trouvé la mort en voiture il y a cinquante ans aujourd'hui; le 4 janvier 1960. Il disait, écrivait simplement les choses réputées compliquées.  C'était le contraire d'un jargonaute à la prose ampoulée, comme celle des faiseurs de son époque, qui ne le reconnurent pas et  l'excluèrent, comme un étranger à la cause. Camus n'était pas un sophiste. Il ne s'écoutait pas écrire. Encore moins parler. La simplicité de ses origines se lit dans ses oeuvres de fiction comme dans ses essais. A l'adresse de ceux qui le (re)liront, à la faveur d'une actualité foisonnante (rééditions, télés, hors-série...), je voudrais dire qu'il ne faut jamais confondre simplicité et simplisme. Camus n'est pas un philosophe pour classes terminales. Et c'est avant tout un prosateur intemporel. Reprenez Noces, L'Eté, L'Exil et le royaume, La mort heureuse, Le premier homme. Et prenez plaisir à son écriture solaire, si belle qu'elle rend encore jaloux nombre de chichiteux nombrilistes autofictionnels et germanopratins qui ne prennent ni l'air, ni la température du monde en dehors de leur quartier, et qui évitent de goûter au travail de l'autre, comme certains vignerons obtus. Un  mot à propos de l'éventuel transfert des cendres de Camus, depuis Lourmarin jusqu'au Panthéon : on a coutume de dire de la collection La Pléiade, qu'elle est le Panthéon des Lettres. Camus, qui y est entré il y a des années, a-t-il besoin d'un second Panthéon? Et un trait de Camus, pour finir cette brève : La bêtise insiste toujours.

     

    Photo peu connue de Camus, piquée sur le Web, où nous nous piquons les uns les autres à longueur de journées et de nuits.

  • Vu par...

    Revue de presse sélective :

    Un papier chaleureux de Joël Aubert, Aqui! :

    http://www.aqui.fr/tempsforts/voyage-en-sud-ouest-entre-adour-et-vautour-bassin-d-arcachon-et-zugarramurdi-l-alphabet-illustre-de-leon-mazella,2688.html

    Cliquez !

    Rappel :

    voir sur ce blog, à la date du 27 novembre, la note intitulée : Une certaine idée du Sud-Ouest, copieuse interview donnée à Christian Authier, L'Opinion indépendante.

    Et la note publiée le 14 décembre : Sud-Ouest de vendredi, un article amical de Benoît Lasserre, Sud-Ouest.



  • La culture finit en volutes

     

    Doit-on laisser disparaître les ours des Pyrénées, Christian Lacroix et le seul cigare français ? Des ours slovènes ont volé au secours des derniers spécimens de souche pyrénéenne. Leur lent sauvetage est en marche. Lacroix a été lâché récemment, onze salariés sur cent vingt sont en sursis. Un repreneur aurait pu permettre au Comptoir des tabacs des Gaves et de l’Adour de continuer d’exister. La justice –si lente d’ordinaire, ne lui en a pas laissé le temps. Ce « comptoir » unique en Europe produit les cigares Navarre. En Béarn, à Navarrenx. Au cœur d’un bourg célèbre pour le saumon et l’artisanat mobilier, le bâtiment des Casernes –ancienne demeure du mousquetaire Porthos-, est devenu en 2004 le siège du Comptoir. C’est d’une singulière aventure, un peu folle, qu’il s’agit, et qui consiste à faire des cigares français aussi bons que des havanes. En y mettant le paquet : recherches longues du terroir le plus proche des conditions climatiques, géologiques cubaines. Personnel spécialisé venu de l’île du Che chez d’Artagnan. Le résultat, après dix ans de sueur, de phosphore et d’huile de coude : Navarre. Une marque, avec une gamme courte de cigares 100% français, reconnus pour leurs qualités dans le monde entier. À la tête, un entrepreneur connaisseur et audacieux : Noël Labourdette. La marque s’installe peu à peu, conquiert les esprits rétifs et acculturés au habanos. En trois ans, le Navarre se distingue dans les dégustations professionnelles. Seulement, la lutte, déjà serrée, découvre de nouveaux challengers : les lois anti-tabac et la crise mondiale. Noël Labourdette prend cela de plein fouet. Chute des ventes à un moment crucial, Noël, l’an passé. Premiers licenciements (seize en tout aujourd’hui), une année 2009 sur le fil. La société est placée en redressement judiciaire à la fin du mois d’avril dernier. Et en ce début du mois de décembre, le verdict tombe : le Tribunal de Commerce de Pau met fin à l’aventure, en prononçant la liquidation judiciaire du Comptoir, celui-ci n’ayant pas trouvé d’investisseur pour couvrir les 600 000 € nécessaires à la continuité de l’activité. Navarre produisait, sur quatre hectares situés à Moumour, soit à une encablure de Navarrenx, 200 000 robustos par an depuis 2005. Le robusto, de calibre moyen, est le cigare le plus demandé sur le marché français. Tous d’une qualité exceptionnelle, notamment pour leur fumage sans rupture, leur douceur raffinée et l’excellente texture de leur cape, enviée par La Havane. Dès lors, une question philosophique se pose : au-delà de considérations macroéconomiques, devons-nous laisser couler entre nos doigts, comme du sable ou de l’eau, un fleuron unique et représentatif de notre savoir-faire, au nom d’une glaciation des plaisirs, d’une politique européenne liberticide et devenue allergique à l’hédonisme ? Car c’est de cela qu’il s’agit. Fumer tue. Faire l’amour peut tuer aussi. À certaines conditions. Rire, aimer les fromages affinés, le gras, les odeurs corporelles et les poils sous les bras de l’aimé(e), deviendront-ils des actes répréhensibles, dans une société aseptisée où la pipe de M. Hulot et la gitane de M. Chirac sont des insultes à la nouvelle bienséance? Le cigare est un plaisir rare, un écho à l’adage peu mais bien. Un luxe aussi, comme la haute couture et les premiers grands crus classés. C’est aussi un produit en voie de disparition, à l’instar d’une espèce animale –condor de Californie, oryx de Libye, goéland d’Audouin. C’est encore l’expression de la beauté dans sa diversité. Une liberté jugée anachronique, enfin. Conscient de la nécessité irrationnelle de l’évanescent dans un monde matériel, j’invite les esprits tournés vers le plaisir à se mobiliser pour sauver le Navarre. Au moins pour la beauté du geste. J’ignore de quelle manière. Pétition, cotisation, manifestation. L’essentiel étant de s’élever contre, au lieu de se taire avec. LM

  • Spinoza... -"Encore!" (oui)

    Ce qui est revigorant avec Spinoza, c'est qu'il ne badine pas, mais préfère se servir de sa badine pour (r)éveiller son lecteur, notamment avec sa conception de l'utile et du nuisible. Tout ce qui est mauvais, souligne Deleuze (pour le génial philosophe du désir et du bonheur comme vertus cardinales, qui doivent gouverner inexorablement le monde et chacun de nos actes), se mesure à la diminution de la puissance d'agir (tristesse-haine), tout ce qui est bon, à l'augmentation de cette même puissance (joie-amour). D'où la lutte totale de Spinoza, poursuit l'exégète parfois totalement abscons (et chiant car incompréhensible, verbeux, jargonaute, branlatoire -un défaut de son époque : 1970 : Vincennes, post-68, Foucault, Reich, baba-cools, Lyotard, Libé1, Sartre icônisé, etc), la dénonciation radicale de toutes les passions à base de tristesse, qui inscrit Spinoza dans une grande lignée qui va d'Epicure à Nietzsche (il ajoute, plus loin dans son livre Spinoza Philosophie pratique, déjà évoqué plus bas ici même, et curieusement à mon sens : Hölderlin et Kleist. Mais bon... Pourquoi pas des poètes en un temps de manque? : Hölderlin : Wozu dichter in dürftiger zeit? -Et de scission, par conséquent. La poésie schismatique, ça change un peu!). Tout ce qui enveloppe la tristesse doit être dénoncé comme mauvais, et nous séparant de notre puissance d'agir : non seulement le remords et la culpabilité, non seulement la pensée de la mort, mais même l'espoir, même la sécurité, qui signifient l'impuissance (Éthique, IV, 47).

    Je trouve cela lu-mi-neux. Spinoza est un anarchiste autogéré qui ne compte que sur ses propres forces et marche sur ses deux jambes (autonome comme dans l'esprit du maoïsme originel, pur).

    ET VOUS?

  • Haro sur les passions tristes!

    L'Ethique, livre majeur de l'oeuvre de Baruch Spinoza, s'impose de jour en jour comme le livre essentiel. Signe : je le range à côté des Essais de Montaigne et de Socrate pêle-mêle (les dialogues divers de Platon). Gilles Deleuze, dont le Spinoza Philosophie pratique (Minuit) constitue, à mes yeux, un complément d'objet direct précieux de cette oeuvre, résume clairement la question des passions tristes, qui pourrissent la vie de l'être humain, quelle que soit sa confession, ou obédiance, soumission, adhésion... Depuis la naissance du premier monothéisme. Depuis l'invention du Politique. Depuis que le pouvoir existe. Donc, depuis longtemps, etc.

    A propos de l'humoriste barbu au regard de cocker Arnaud Guillon, par exemple (et si je puis dire), cible privilégiée d'Eric Besson et, par voie de conséquence, de l'Elysée, et de la méthode géométrique selon Spinoza  : la satire, écrit le génial philosophe de la joie, du désir et de la puissance d'exister, c'est tout ce qui prend plaisir à l'impuissance et à la peine des hommes, tout ce qui exprime le mépris et la moquerie, tout ce qui se nourrit d'accusations, de malveillances, de dépréciations, d'interprétations basses, tout ce qui brise les âmes (le tyran a besoin d'âmes brisées, comme les âmes brisées, d'un tyran).

    Car Spinoza, souligne Deleuze, ne cesse de dénoncer dans toute son oeuvre trois sortes de personnages : l'homme aux passions tristes; l'homme qui exploite ces passions tristes, qui a besoin d'elles pour asseoir son pouvoir; enfin, l'homme qui s'attriste sur la condition humaine et les passions de l'homme en général. L'esclave, le tyran et le prêtre...

    Traité théologico-politique (car, en effet, il n'y a pas que L'Ethique dans l'oeuvre de S.), préface, extrait : Le grand secret du régime monarchique et son intérêt profond consistent à tromper les hommes, en travestissant du nom de religion la crainte dont on veut les tenir en bride; de sorte qu'ils combattent pour leur servitude comme s'il s'agissait de leur salut.

    Deleuze : Le tyran a besoin de la tristesse des âmes pour réussir, tout comme les âmes tristes ont besoin d'un tyran pour subvenir et propager. Ce qui les unit, de toute manière, c'est la haine de la vie, le ressentiment contre la vie.

    Au rang des passions tristes, Spinoza compte -énumère, même, dans cet ordre : la  tristesse, la haine, l'aversion, la moquerie, la crainte, le désespoir, le morsus conscientae, la pitié, l'indignation, l'envie, l'humilité, le repentir, l'abjection, la honte, le regret, la colère, la vengeance, la cruauté. (Ethique, III).

    Spinoza oppose à cela la vraie cité, qui propose au citoyen l'amour de la liberté plutôt que l'espoir des récompenses ou même la sécurité des biens. Car, c'est aux esclaves, non aux hommes libres, qu'on donne des récompenses pour leur bonne conduite.

    Donc, foin des passions tristes! Car, en écoutant Spinoza, et Nietzsche après lui (et les éclairages qu'en a donné Deleuze), il faut dénoncer toutes ces falsifications de la vie, toutes ces valeurs au nom desquelles nous déprécions la vie : nous ne vivons pas, nous ne menons qu'un semblant de vie, nous ne songeons qu'à éviter de mourir, et toute notre vie est un culte de la mort...

    J'attends vos réactions...

  • Tu joues dimanche...

    Extrait, de circonstance, de l'article Rugby de mon livre Le Sud-Ouest vu par Léon Mazzella (Hugo & Cie, novembre 2009) :

    images.jpg« Rugby, école de vie », lancent tous les clubs. Et c’est vrai. Le rugby forme, instruit le môme aux valeurs du don et de la fraternité, ainsi qu’à l’esprit de groupe, celui qui néglige le « moi je », si courant dans la vie quotidienne. Même si le rugby change, se professionnalise, il ne perd pas le fond de son âme. Il est certes révolu le temps où il ne rapportait que des poignées de mains et quelques confits de canard. Mais l’Ovalie demeure ce méridien de Greenwich insaisissable, dont le centre et partout et la circonférence nulle part. Le rugby est un pays de confins qui fiance les caractères, dissout les milieux et embrasse les classes. C’est un sport à part qui ne manque d’ailleurs jamais de classe. C’est le pays de l’amitié et du partage, de la fête et de la belle santé, des rires francs et des regards vrais.

    Une histoire drôle et émouvante en résume la philosophie : Manech et Beñat sont de vieux amis qui ont grandi ensemble. L’un est devenu l’instituteur du village, l’autre son curé. Le rugby les a soudés très jeunes. Ils ont partagé cette passion dévorante jusqu’au bout. Aujourd’hui, Manech est atteint d’une maladie incurable. Il demande, pas dupe, à son vieil ami d’interroger Dieu pour savoir si on joue au rugby de l’autre côté… Le curé interroge le bon Dieu toute la nuit suivante et revient voir son ami mourant le lendemain matin, porteur de deux nouvelles. Une bonne et une mauvaise. Manech ! La bonne d’abord : on joue au rugby de l’autre côté ! s’exclame-t-il. Le mourant sourit, béat, heureux, rassuré. Et maintenant la mauvaise, poursuit le curé : Tu joues dimanche…

  • La beauté

    04_jpg.jpg

    Buste d'Eve

    Détail de l'Agneau mystique,

    triptyque de Jan Van Eyck (vers 1430).

    Cathédrale St Bavon à Gand.

     

    merci au blog :  http://nicephore.hautetfort.com/ de m'avoir donné l'idée de cette note

  • Je ne pourrai pas passer te voir, Léon

    marilyn_monroe_7.jpgUn message de Marilyn, ce matin, au dos de cette photo, m'annonce qu'elle ne pourra pas passer me voir à la librairie bordelaise Mollat, cet après-midi, afin que je lui dédicace mon dernier bouquin.images.jpg

    Megan Fox, tombée en panne sur l'A10 (photo prise avec son téléphone, car je ne voulais pas la croire), sera absente elle aussi  -je le regrette sincèrement, a-t-elle ajouté sur son message...

    Comme il s'agit des deux seuls mots d'excuse qui me soient parvenus, je m'attends à une affluence record...


  • Jacques Durruty

    384a4f4e71_2.jpgIl n'était pas connu hors de ses frontières parce que celles-ci n'existaient pas. Mais à Bayonne tout le monde le connaissait. Jacques Durruty  vient de se barrer. Il a fini par capituler face à un crabe qui avait  établi ses quartiers dans son cerveau. Une saloperie déjà connue de nos services, puisqu'un semblable crustacé emportât mon père il y a trois ans, à quatre jours près. Jacques avait le regard droit comme une ligne de chemin de fer en perspective cavalière dans la forêt landaise, lorsque celle-ci ouvre le temps et creuse l’espace. Sauf que Jacques ne divisait rien et unissait tout ce qui lui semblait agréable et agrégable : les gens, les genres,  les émotions, les vins avec les plats, les mots avec les sentiments, l'entre-temps avec la fumée d'un havane. Jacques le généreux, dont le bouc mousquetaire était constamment prolongé d’un corpulent puro, n'aimât jamais du bout des lèvres. Il a aimé  d'une passion calme, d'une sincérité profonde et d'une conviction aguerrie, sa femme Sissi, l’Amitié, Bayonne, le rugby, Séville, les toros de verdad, le piment de la vie. Il détestait les tristes au sens large, les francs comme des ânes qui reculent, la pluie, les arènes vides et les civettes fermées. Jacques avait le verbe rare, car il observait comme un paysan. Il aimait soupeser et ne se hâtait jamais de conclure. Quand quelque chose le faisait chier, il disait ça me fait chier. Non, mais -réfléchissez un instant-, cela devient rare. Et lorsqu'il appréciait un truc, il le faisait vraiment savoir. J’ai toujours vu les rides de ses yeux exprimer un sourire dispersé en pattes d'oie, qui ne disait jamais je me force. Ces lignes éclairaient son visage d’un halo de bonté, mais pas à la manière de Robert de Niro dans un rôle de composition. Jacques ne jouait pas, il aimait. Nous avions confiance. Ce soir, je fume un  Gigante, le double corona de Ramon Allones. Pour lui.

     

  • l'ève future

    Portrait-Sepia-1-4315.jpgCesare Pavese :

    La mort viendra et elle aura tes yeux.

     

    Henri Calet :

    Ne me secouez pas. Je suis plein de larmes.

     

    Paul-Jean Toulet :

    Vénus hait le soleil. Sous le couvert éclose,

    Jadis à son coeur noir m'enivrait une rose.

     

    Toulet, encore :

    Mourir non plus n'est ombre vaine.

    La nuit, quand tu as peur,

    N'écoute pas battre ton coeur :

    C'est une étrange peine.


    Peinture de Berdugo (voir son site sur : blogs amis)

  • La postérité du soleil

    01067531011.GIFUn quasi inédit de Camus, ça ne court plus les rues. La plaquette, un grand et beau format paru confidentiellement à 120 exemplaires, en 1965, reparaît ces jours-ci chez Gallimard. Il s'agit de splendides photos en noir & blanc de Henriette Grindat, d'aphorismes cinglants comme des haïkus, d'Albert Camus, et d'une postface ainsi que d'un poème, De moment en moment, de René Char, son ami. L'ensemble est magnifique et s'intitule La postérité du soleil. Je me le suis offert ce matin, et l'ai aussitôt dégusté, avec un armagnac de Laubade 1966 et un cigare Navarre. L'équation du bonheur, un dimanche après-midi maussade de fin novembre. Les photos montrent la région natale de Char et choisie de Camus : l'Isle-sur-Sorgue, la Sorgue, les Névons, le Thor, Lagnes, Calavon, Fontaine-de-Vaucluse... Des paysages si souvent présents dans l'oeuvre de René Char, ainsi que dans les Carnets d'Albert Camus. Il y a aussi trois portraits, dont celui d'Henri Curel. La vérité a un visage d'homme... C'est avant tout un livre qui respire l'amitié des deux écrivains. Le paysage comme l'amitié, est notre rivière souterraine. Paysage sans pays, écrivit Char à Camus.

    Voici deux extraits, où apparait une poésie forte. Je garderai longtemps en mémoire la métaphore du platane :

    Face à la photographie intitulée Saule mort et remparts, le Thor :

    Un dieu sourcilleux veille sur les jeunes eaux. Il vient du fond des âges, porte une robe de limon. Mais sous la lave de l'écorce, un doux aubier... Rien ne dure et rien ne meurt! Nous, qui croyons cela, bâtirons désormais nos temples sur de l'eau.

    Face à la photographie intitulée sobrement Platane en hiver :

    De tous ses muscles lisses le platane s'efforce vers le soleil lointain. Panthère de l'hiver, une sueur de givre sèche aux plis de sa toison.

     

  • Signatures

    Couv barrage.jpgCOVER_SUDOUEST02.jpgJe signais hier matin Lacs et barrages des Pyrénées à Bagnères-de-Bigorre, en compagnie de mon co-auteur, Philippe Lhez, aquarelliste de grand talent. Nous étions à la librairie Au pied de Pyrène, chez Marc Besson. Un grand bonheur, simple et amical.

    Jeudi prochain, c'est chez Mollat à Bordeaux que ça se passe, pour Le Sud-Ouest vu par Léon Mazzella (et les Lacs... aussi). Voici le lien : http://www.mollat.com/rendez-vous/leon_mazzella-25811.html

    Le 11, ce sera comme à la maison : à Bayonne, à la librairie La rue en pente. Pour Le Sud-Ouest vu par...

     

    FAITES PASSER!..

  • CompaK

    11101516-ca-ne-pardonne-pas.jpgCompact, dense, plein, intelligent, en observation tendue, nerveux, un rien opportuniste, toujours talentueux, cramponné, extrêmement rapide, immédiat, musculeux, fauve, tactique, le regard droit, profond et long, laissant faire, serein au fond, anticipant, la leçon de rugby des allwhite aura enfoncé avec sincérité et sans effort apparent des blouses qui démarraient pourtant plein gaz. Effet de serre :  je te laisse penser que je te tiens par la peau des c... Mais en réalité, c'était de l'esbroufe, du y'a qu'à de sous-préfecture hexagonale. Le jeu des Blacks m'est apparu ce soir lumineux comme jamais. Une leçon de musique, genre : mate et tu pigeras le coup, mais mate bien, gonze. L'humilité noble, la fulgurance discrète, la beauté d'un concentré de pack en action concertée; une espèce de grâce. La classe, quoi.

  • Laissons-le là!

    L'Eternité à Lourmarin

    Albert Camus

    tombecamus6.jpg"Il n'y a plus de ligne droite ni de route éclairée avec un être qui nous a quittés. Où s'étourdit notre affection? Cerne après cerne, s'il approche c'est pour aussitôt s'enfouir. Son visage parfois vient s'appliquer contre le nôtre, ne produisant qu'un éclair glacé. Le jour qui allongeait le bonheur entre lui et nous n'est nulle part. Toutes les parties -presque excessives- d'une présence se sont d'un coup disloquées. Routine de notre vigilance... Pourtant cet être supprimé se tient dans quelque chose de rigide, de désert, d'essentiel en nous, où nos millénaires ensemble font juste l'épaisseur d'une paupière tirée...

    Avec celui que nous aimons, nous avons cessé de parler, et ce n'est pas le silence. Qu'en est-il alors? Nous savons, ou croyons savoir. Mais seulement quand le passé qui signifie s'ouvre pour lui livrer passage. Le voici à notre hauteur, puis loin, devant. A l'heure de nouveau contenue où nous questionnons tout le poids d'énigme, soudain commence la douleur, celle de compagnon à compagnon, que l'archer, cette fois, ne transperce pas."

    René Char.

    in : La parole en archipel, Gallimard, 1962.

    Photo : la tombe d'Albert Camus à Lourmarin, © Sophie Poirier, avril 2008

  • Camus

    La France moisie, c'est encore la récupération d'Albert Camus par l'instigateur d'une politique on ne peut plus anticamusienne, et qui siège actuellement à l'Elysée. Il serait temps de relancer Combat, le journal de l'auteur de L'Etranger. La France moisie, c'est celle qui affecta une moue dégoûtée de grand bourgeois à la vue d'un pauvre dans son parc, lorsqu'un type du peuple, fils d'une mère analphabète et d'un père mort en 14, né en Algérie, lorsqu'un "petit pied-noir" devient Nobel de littérature à 44 ans. Aussitôt, la bien-pensance lui tourna le dos, ne souhaita pas l'admettre parmi les siens. Elle le déclara faible romancier à la prose facile (le Nouveau roman était alors dictatorial) et, plus douloureux encore, "philosophe pour classes terminales" -l'expression est de feu mon ami Jean-Jacques Brochier. (Sartre régnait alors sur la pensée hexagonale). Jean-Yves Guérin, qui signe un Dictionnaire Camus chez Laffont, a ce mot juste et assassin à propos de l'essayiste : "Camus est à BHL ce qu'Edith Piaf est à Vanessa Paradis" (piqué dans l'Obs paru hier). La belle revanche du fou de foot et de théâtre, c'est d'être plus connu et davantage lu dans le monde entier, que n'importe quel écrivain français depuis l'invention de la plume, ou presque (il faudrait vérifier pour Dumas et Hugo). Et, au risque de me contredire, si ce paramètre ne vaut rien à mes yeux lorsqu'il s'agit d'un Paolo Coelho, d'un Dan Brown, ou d'un Marc Lévy, il me semble posséder une teneur autre, pour Camus.

  • la mano negra

    Le 11 juin 1986, Diego Maradona marque avec la main. On appelle cela la main de Dieu. C'est Maradona.
    Pour Thierry Henry, c'est la main de qui ?..

    (puisque l'actualité de ce matin n'est qu'une chanson d'un geste)

     

    Eric Raoult dans Le Monde daté de samedi, épinglé par Le Nouvel Obs : Réaffirmant que les propos de Marie NDiaye qualifiant de "monstrueuse" la France de Nicolas Sarkozy sont "inadmissibles", Eric Raoult ajoute: "Même Yannick Noah et Lilian Thuram n'en ont pas fait autant qu'elle".
    "Yannick Noah et Lilian Thuram ? Sa critique initiale ne portait donc pas exclusivement sur la liberté de parole des écrivains? (...) Serait-ce donc la couleur de leur peau qui inspirerait ce 'rappel à l'ordre', pas vraiment 'républicain'?", se demande Bertrand Delanoë...

     

     



  • Bu

    La cuvée Clos Victoire (rouge) de Calissanne, en Coteaux d'Aix-en-Provence 2006 est un miracle de fraîcheur et de puissance contenues, et comme maintenues sous le boisseau de saveurs grasses (luisantes), subtiles et complexes, un peu comme ces belles charpentes rassurantes et les tomettes de couleur chaude au sol. Nez floral et herbacé, bouche ample et droite. Belle profondeur. Idéal sur une pâte molle affinée longtemps, et sur une viande rouge servie bleue mais chaude (pavé épais ou magret). Les rosés de cette zone (Lançon de Provence) sont archi connus et plutôt (régulièrement) bons. Les rouges d'exception y sont rares. En voici un. 60% syrah, 40% cabernet-sauvignon de plus de 30 ans, malolactique, macération longue, passage en fûts 14 mois durant, bichonnés par un certain Jean Bonnet. Splendide.

    On me signale à l'instant une cuvée Léon le cochon, signée Matthieu Dumarcher, vigneron bio à La Baume de Transit, dans la Drôme, soit un côtes-du-rhône, semble-t-il très recommandable. Je le vérifierai bientôt, pour vous en dire un mot.

    Mais avant, je veux souligner la rectitude, au nez comme en bouche (dont la longueur est à la manière d'un final d'une ouverture de Beethoven), d'un margaux en pleine renaissance. Nathalie Perrodo est aux commandes, à la suite de son défunt père. Il s'agit d'un troisième Grand Cru classé, encépagé à 65% de cabernet-sauvignon, 30% de merlot et 5% de petit-verdot, en moyenne.  18 mois en barrique, dont 60% sont neuves, le tout constituant une règle souple  (donc trangressable, sinon à quoi servirait une règle, ressemblant en cela à toute Loi?), obéissant aux éléments, lesquels, comme femme, varient. Cela mérite une convergence de spots sur Marquis d'Alesme Becker 2007. Retenez bien ce code. Composez-le chez votre caviste. S'il ne l'a pas, commandez. Puis donnez-moi des nouvelles du petit, que vous aurez choisi gros, soit en magnum : c'est toujours préférable, et là, indéniable. Sachez que le jeune homme (le vin est signé Philippe de Laguarigue, qui oeuvra à Lynch-Bages et  Montrose) excelle déjà sur le rouget barbet comme sur les champignons de sous-bois (cèpes, mousserons, trompettes, girolles) et de sous-sol (truffe noire), ou encore sur le gibier bien sanguin, à plumes et à poil. Ce margaux-là a donc été relooké de l'intérieur : allez-y boire. (Je me souviens du tremolo dans la voix de mon père lorsqu'il en débouchait un, dans les années 70, déjà... Il avait la même emphase lorsqu'il remontait un Labégorce ou un Labégorce Zédé, autres propriétés de Margaux du giron Perrodo). Scoop : Zédé va disparaître en fusionnant... A suivre : pas tout d'un coup, Ho!


  • Langue de soie

    A la question : « Vous sentez-vous bien dans la France de Sarkozy ?», posée par le magazine Les Inrocks d'août dernier (à lire sur lesinrocks.com), Marie NDiaye, Prix Goncourt 2009 (lire plus bas : A quel Prix, 4 novembre, et Rempart, 13 octobre), répond ceci : « Je trouve cette France-là monstrueuse. Le fait que nous (avec son compagnon, l'écrivain Jean-Yves Cendrey et leurs trois enfants -ndlr) ayons choisi de vivre à Berlin depuis deux ans est loin d'être étranger à ça. Nous sommes partis juste après les élections, en grande partie à cause de Sarkozy, même si j'ai bien conscience que dire ça peut paraître snob. Je trouve détestable cette atmosphère de flicage, de vulgarité... Besson, Hortefeux, tous ces gens-là, je les trouve monstrueux. Je me souviens d'une phrase de Marguerite Duras, qui est au fond un peu bête, mais que j'aime même si je ne la reprendrais pas à mon compte, elle avait dit : "La droite, c'est la mort". Pour moi, ces gens-là, ils représentent une forme de mort, d'abêtissement de la réflexion, un refus d'une différence possible. Et même si Angela Merkel est une femme de droite, elle n'a rien à voir avec la droite de Sarkozy : elle a une morale que la droite française n'a plus. »

    J'a-do-re!  -Et vous?


     

  • Tout faux!

    Bon, j'ai eu tout faux (lire note précédente : A quel Prix?), sur les derniers Prix littéraires d'Etonne (pardon : d'Automne) : Gwen. Aubry prend le Fémina (le Mercure, c'est Gallimard, juste pour info). Guenassia (Albin Michel, qui attendait aussi Besson ailleurs), le Goncourt des Lycéens. Et Liberati le Flore. Reste l'Intergrasset...

    Sinon, j'ai lu le Nobel (Herta Müller) L'homme est un grand faisan sur terre (folio) : de la daube avec paleron seulement et donc sans joue ni queue. Aucune onctuosité. Du sec pour le sec, de l'émotion sèche elle aussi, donc frigide. Un titre finalement explicite, si l'homme lit. Brrrr... Un froid norvégien parcourût ma lecture. Comme quoi, des fois, les Nobel nous sortent de derrière aucun fagot un truc comme çà, attrapé par les oreilles, façon Majax. Et poufpouf! la Planète devrait se le gaver. Moi, je dis non. Ce coup-ci.

  • A quel Prix?

    images2.jpgCi-contre, le logo du grand vainqueur du Goncourt. Jérôme Lindon, fondateur des éditions de Minuit (que sa fille Irène continue de diriger dans le droit fil d'une haute exigence littéraire), avait découvert Marie Ndiaye et publié son premier roman (ainsi que neuf autres livres, dont Rosie Carpe, roman couronné par le Femina il y a huit ans), et Jean-Philippe Toussaint (consolé le lendemain de l'attribution du Goncourt par le Prix Décembre et ses 30 000 €), comme Laurent Mauvignier (j'ai fini par arriver à bout de ses Hommes poussifs et lents à se dire), publient toujours à l'enseigne de la sobre étoile du mitan de la nuit. (Je ne connais pas les livres de Delphine de Vigan, quatrième auteur -Lattès-, finaliste chez Drouant). Or (détail?) c'est Gallimard, éditeur du roman couronné de Ndiaye, qui remporte la mise. Je n'ai pas le coeur à commenter le Renaudot. Je me réjouis pour Pierre Michon, car son Grand prix du roman de l'Académie française couronne un auteur majeur et, indirectement et de manière posthume, le travail éditorial (comparable à celui des Lindon père et fille) de Gérard Bobillier, patron emblématique des éditions Verdier, disparu le 5 octobre dernier. Le Médicis m'indiffère un peu, cette année, même si j'aime la plume abrupte et acide de Dany Laferrière (mais je n'ai pas lu son dernier). Je verrais bien Brigitte Giraud décrocher le Femina, et Jean-Michel Guenassia ou bien Simon Liberati, l'Interallié. Ainsi, ce dernier prix ne serait pas à nouveau surnommé l'intergrasset. Je pense enfin à Jean-Marc Parisis pour le prix de Flore (*). Et après, qu'on nous fiche un peu la paix avec ces coquetèles, comme l'écrivait Roger Nimier, où tout le monde littéraire se déteste en se souriant, tout en grignotant des canapés. Et nous retournerons à nos lectures -n'ayant pas de prix-, du moment : Jorge Amado, Joyce Carol Oates, Michel Foucault, Baruch Spinoza toujours, Virgile (L'Enéide monumentale que publie Diane de Selliers est un chef d'oeuvre de l'édition d'art!), et Marguerite Duras. Des petits jeunes... qui nous aident à écrire. Merci à eux.

    (*) Je note en passant que certains grands favoris, comme David Foenkinos, sont passés à l'intraitable trappe des jurys...

    Et je voudrais enfin rappeler que Tristes tropiques, de l'immense Claude Lévi-Strauss, premier grand traité d'ethnologie moderne, structuraliste, humaniste, et qui commençait par cette phrase célèbre : Je hais les voyages et les explorateurs, avait fait partie de la sélection du Goncourt en 1955. Preuve qu'à l'époque, l'ouverture  au talent était large, puisque les jurés durent voir une sorte de roman dans cet essai majeur au style impeccable, qu'il est toujours tonique de relire.


  • Perplexe 2

    Suite de la note précédente : Sur le site de l’éditeur, se trouvent 56 pages de larges extraits du livre, de l’intéressante  préface d’Arnaud Blin, aux différentes « leçons », allant de l’attitude à avoir au moment de l’achat d’une arme, aux secrets de l’utilisation de l’encre sympathique (la seule chose qui semble l’être dans ce livre, d’ailleurs), en passant par le self-control nécessaire de l’assassin au moment de son exaction, ou bien s’il est lui-même capturé et qu’il subit un interrogatoire « musclé »…

    Extraits de l’avant-propos et de la préface : « Il ne s’agit pas d’un texte philosophique qui poserait les fondements idéologiques du combat mené par les dirigeants d’Al-Qaida. De tels textes existent et ils sont bien connus. Il s’agit au contraire d’un manuel pratique écrit par les dirigeants et les cadres d’Al-Qaida et destiné aux hommes chargés de la mise en œuvre des exactions. »

    « Il s’agit d’un manuel de tactique plutôt que d’un traité de stratégie ou un texte de propagande. »

    « Le Manuel pratique du terroriste est un texte redoutable dont le but n’est ni plus ni moins que d’inciter et de pousser des jeunes hommes –même de très jeunes hommes- à aller perpétrer des attentats et commettre des assassinats contre des innocents un peu partout dans le monde. Ceci avec la caution morale d’une organisation se réclamant d’Allah… »

    « Nous avons pris le soin de supprimer les passages qui expliquent dans le détail comment frapper mortellement un individu, produire des poisons ou fabriquer des explosifs. »

    Je demeure perplexe...

  • Perplexe


    alqaidamanuelweb.jpgJe ne sais que penser de ce livre (je ne l'ai pas encore eu en mains) qui paraît chez André Versaille

    Al-Qaida : Manuel pratique du terroriste

    Présentation de l'éditeur :

    Voici Al-Qaida elle-même, dans sa parole la plus secrète : voilà comment les jihadistes de la Base parlent et se parlent. Dans leur violence la plus crue. Ce manuel rédigé par Al-Qaida explique comment doit se comporter le parfait terroriste. Il détaille, en 18 leçons, comment échapper aux poursuites, recruter, recueillir de l’information, fabriquer de faux papiers, détruire, commettre des attentats, fabriquer des poisons, assassiner, résister aux interrogatoires, s’évader, le tout au nom du Jihad “contre les régimes athées et apostats” peuplés “d’infidèles”…

    Nous avons décidé de le mettre à la disposition du public au nom du principe qui veut qu’on ne se défende efficacement contre un péril que si l’on en comprend la nature.

    Votre avis sur l'idée de publier un tel manuel m'intéresse (hors considérations économiques sur un possible coup éditorial).

    Car cela me rappelle les dégâts réels que fit la publication, au début des années 80, d'un livre intitulé Suicide mode d'emploi, et à côté desquels la vague de suicides romantiques qui suivit la publication, en Allemagne, des Souffrances du jeune Werther, de Goethe, relève de la dérive poétique...

    Car enfin, comment croire au principe douteux (souligné par moi ci-dessus) de l'éditeur, lequel semble vouloir se dédouaner par avance?

    Que m'apporte de connaître, de manière technique, la façon d'agir aveuglément (comme aucun animal n'agit jamais car l'instinct est davantage "guidé" que dans ce cas humain) d'un terroriste animé par l'acte de tuer aveuglément un maxium d'innocents (André Breton et son acte surréaliste pur : descendre dans la rue et tirer dans la foule au hasard, sont -heureusement- restés au stade du fantasme, de la geste esthétique douteuse, bref, de la provocation. Les terroristes, eux, passent à l'acte), pour mieux comprendre les ressorts de sa démarche? Rien, a priori. Tout au plus une satisfaction voyeuriste désintéressée et acquise par effraction. Mais c'est trop mortifère pour me procurer du plaisir comme je l'entends et l'apprécie depuis toujours. Et pour vous?..

    Je pense tout à trac à ces ados de Columbine, et de tant d'autres collèges américains où pénétrer armé n'est même pas une formalité, je pense aux effets d'identification funestes du film Scream, je pense à la dérive profondément abyssale des milliers d'ados qui s'emmerdent à longueur de journée en France. Je frissonne de me voir si frileux, si réac. Mais il m'apparaît que l'idée (éditoriale) n'est pas bonne, parce que je fais de moins en moins confiance en la nature humaine, surtout par temps de crise, favorable, nous le savons, à l'émergence, à l'éclosion, à la renaissance instantanée de la Barbarie la plus horrible. Mais bon...

    A une époque, il y eut le manuel du savoir-vivre. Voici celui du savoir mourir. En tuant. Signe des temps.

  • Si peu de bruit

    Tandis que les jurys livrent leur listes ressérées de candidats aux grands prix littéraires d'automne, et bien que je ne puisse m'empêcher de faire mes propres pronos, comme chacun, j'ai plaisir à lire des livres dont on parle peu, qui ne font de bruit que celui des pages que l'on tourne et qui possèdent pourtant des qualités immenses et insoupçonnées du grand public; ce que je regrette. Et la fureur ne s'est pas encore tue, d'Aharon Appelfeld, par exemple (à l'Olivier), nouveau livre du grand humaniste hanté par les camps, n'est pas un larmoiement à la Elie Wiesel, mais plutôt un hymne à la fraternité, un éloge de la dignité humaine, qui rapproche Appelfeld de Primo Lévi. L'horreur innommable nous est ici décrite calmement, sans haine, car toujours percent le courage et l'espoir à la surface de l'Enfer. C'est d'un grand message d'humanité et d'humilité qu'il s'agit, avec, au bout d'une interminable errance dans la neige et la forêt -avec la peur du nazi, la faim, le froid, les loups, après une évasion d'un camp, le cadre d'un chateau dans la ville de Naples pour havre, ouvert aux survivants, avant le chemin du Retour, si existent encore pour chacun, et ce chemin et des Lieux. Le bonheur de lecture ne vient pas à l'improviste, avec les livres d'Appelfeld, mais il surgit doucement à la faveur d'une sorte de petit miracle : je pense à l'allégorie de la musique de Bach ou Brahms jouée par un trio, et à la lecture du Livre, qui parviennent à transfigurer les visages des réfugiés. Ainsi reviennent-ils à la vie, s'échappent-ils un instant de l'horreur qui les hante et les hantera tout leur vie... Le narrateur au moignon ajoute alors : Tout ce qui n'est pas compréhensible n'est pas forcément étrange.

  • Libérez l'arbitre

    L'homme libre, pour Spinoza, n'est pas l'homme qui ne suit que son bon vouloir, c'est au contraire l'homme qui agit en connaissance de cause, l'homme qui se connaît lui-même, l'homme raisonnable. L'ignorance empêche l'homme d'être libre, et lui fait croire en l'existence du bien et du mal.

    Balthasar Thomass, Etre heureux avec Spinoza (Eyrolles).

    La musique est bonne pour le mélancolique, mauvaise pour le désespéré, et ni bonne ni mauvaise pour le sourd.

    Spinoza, Ethique, IV, préface.

    La béatitude n'est pas la récompense de la vertu, mais la vertu même.

    Spinoza, Ethique, V, Prop. XLII

  • Du grille-pain

    Ce matin, il y a deux choses que je ne parviens pas à m’expliquer : pourquoi le grille-pain, et lui seul, fait tout disjoncter chez moi ? Et : comment peuvent bien se supporter ceux qui se savent antipathiques ? S’agissant du grille-pain, je devrais trouver rapidement une explication. Pour la seconde, vous avez sans doute remarqué comme moi, que les gens qui s'estiment supérieurs (mais nous sommes tous > à et < à) utilisaient les outils modernes pour se donner de l'importance à bon compte. Par exemple, en ne répondant plus aux mails que les gens qu'il jugent inférieurs leur adressent. Le phénomène est relativement nouveau dans la « culture d’entreprise ». Ce nouvel habitus (dirait Bourdieu) m’afflige. L’impolitesse du silence, si elle frise parfois l’élémentaire manque de rigueur professionnelle, ne vaut ni approbation ni contestation, mais seulement mépris. C’est humiliant, donc grave;  intolérable. Que se passe-t-il lorsque l’on vient légitimement « aux nouvelles » : d'aucuns –encore jeunots, voire humains, prétendent ne pas avoir reçu le message. D'autres (les faux-culs, qui sont légion) anguillent en disant qu'ils n'ont pas (eu) le temps de vous répondre. Les vrais pros de la suffisance restent murés dans l’inox de leur silence sovietsuprêmiste. Cette attitude, sans doute inspirée d’un manuel de management croquemortel rédigé par un robocop du serrage de vis avec harcèlement indécelable sous carbone 14 prud’hommal, me fait rire. Sauf que je frissonne pour mes enfants, à la réflexion. Lorsqu’ils entreront dans la vie active, l’attirail, le fourbis, le carquois de ces manifestations de jeux de pouvoir (qui ne sont pas en voie de disparition), leur sautera dessus en faisceau. Et à l’idée d'avoir à les blinder, j’oppose dès aujourd’hui un devoir de résistance, voire de renversement de la méthode. Leur proposer de lire Sun Tzu, tiens ! « L’Art de la guerre ». Ainsi que « Les 36 stratagèmes. Traité secret de stratégie chinoise ». Puisque je veux leur paix, je dois les aider à préparer leurs combats.

  • Char inédit

    arton15191-cd4fb.jpg21 ans après sa disparition, voici un nouvel inédit de René Char. Oh, il s'agit de peu, mais Le Trousseau de Moulin Premier, qui paraît ce mois-ci à La Table Ronde, est un ravissant petit livre-objet sous emboîtage, une sorte de fac-similé d'un carnet de cartes postales anciennes de l'Isle-sur-la-Sorgue (point d'ancrage dans le monde durant toute la vie du poète), rehaussé d'une poignée de vers aphoristiques, d'amorces de poèmes  (tous manuscrits) publiés l'année d'avant (le recueil Moulin Premier paraît en 1936) : Fais cortège à tes sources, lit-on par exemple au bas d'une vue du Bassin du village (cet éclat de vers se retrouve dans le fameux poème Commune Présence, II). Char rédigea ce "troussseau" en 1937 donc, au sortir d'une grave septicémie dans laquelle le poète verra la métaphore du Mal en marche (le nazisme ici, la guerre d'Espagne là), et dont il sortira fortifié, accru par la brûlure de phosphore de la poésie. Char offrit ce "trousseau" à Gréta Knutson-Tzara en novembre 1937. Il s'agit bien d'un objet personnel (publié d'ailleurs avec l'autorisation de la Bibliothèque Jacques Doucet, et grâce, encore et toujours, à Marie-Claude Char). D'une pierre de plus à l'édifice qui se construit calmement depuis 1988, et qui donne forme à l'arrière-histoire d'une oeuvre capitale et toujours en marche.

     

  • poésie de la douleur

    Définitions de la douleur : "La douleur lancinante est une douleur proche de la douleur exquise c'est-à-dire comportant des épisodes de lancement survenant par paroxysmes. La douleur fulgurante est une douleur dont l'intensité est particulièrement vive et qui survient de manière spontanée. Les patients la comparent d'ailleurs à des coups de poignard ou à des éclairs. Ce genre de douleur survient au cours de la dégénérescence nerveuse (neuropathie) comme celle apparaissant pendant les complications neurologiques du diabète entre autres. La douleur exquise est une douleur localisée dans des zones bien limitées et qui survient par acmé c'est-à-dire par épisodes pendant lesquelles elle est plus intense. Cette douleur est caractéristique entre autres de l'appendicite ou encore de l'hyperuricémie (goutte). La douleur térébrante est une douleur profonde semblant correspondre à la pénétration d'un corps susceptible de causer une infraction dans l'organisme (vulnérant). La douleur pulsative se caractérise par des élancements sous forme de battements douloureux qui sont perçus dans les zones présentant une inflammation entre autres. La douleur pongitive est une douleur comparable à celle obtenue après pénétration profonde d'un objet contondant . Ce type de douleur est celle de la pleurésie entre autres. La douleur tensive est une douleur s'accompagnant d'une sensation de distension. Cette douleur est celle de l'abcès, de l'inflammation d'une muqueuse digestive ou respiratoire entre autres. La douleur erratique est une douleur labile, qui n'est pas fixe, changeant souvent de place. Cette douleur est caractéristique des rhumatismes. La douleur tormineuse correspond à une atteinte du gros intestin, ou plus généralement d'un viscère abdominal quel qu'il soit (voie digestive, voies urinaires, ...) et correspondant à la colique. Ce type de douleur survient sous forme d'accès. La douleur ostéocope appelée également ostéodynie est une douleur profonde de type aiguë. La caractéristique majeure de ce type de douleur est l'absence de coïncidence avec un symptôme extérieur. La douleur gravative est une douleur qui s'accompagne d'une impression de pesanteur."

    Ces lignes sont extraites de : vulgaris-medical.com , où je me suis rendu par hasard, en googlisant pour voir, savoir, lorsque j'appris ce matin que je souffrais d'une douleur exquise... L'expression m'apparût si splendide, sur le compte rendu hospitalier, qu'elle eut presque un effet soulageant -enfin, dans l'idée que je m'en fis seulement. Tout à coup la médecine me sembla plus douce, plus sensible. En un mot, poétique oui. Ecoutez : Palpation des épineuses cervicales indolore... Pas de signe de la sonnette... Pas de systématisation radiculaire de la douleur... Douleur exquise à la palpation de l'insertion des tendons de la coiffe au niveau de l'humérus. C'est simplement beau (pour désigner une jolie tendinite calcifiée du sus-épineux). J'entends Laurent Terzieff prononcer ces mots, voire Jean Vilar les déclamer. N'était ce : au niveau de -toujours malvenu, l'extrait de cet "examen clinique initial" pourrait s'être échappé d'une page de Ponge. Magie des mots qui surgissent, comme enluminés, là où on ne les attend jamais.

  • Rempart

    Cette France moisie (l'expression est de Sollers) me dégoûte d'un cran chaque jour. Au lieu de m'affliger seulement, ou me mettre en colère, ou encore me faire rire nerveusement, le népotisme de la famille Sarkozy m'éloigne davantage du passage des oiseaux migrateurs et des principes de Jules Ferry. C'est pire. L'arrogance brutale pour carburant d'un cynisme de bulldozer ayant désormais force de loi, j'envie Marie Ndiaye et Jean-Yves Cendrey, son homme, d'avoir eu la force de quitter ce pays vérolé lorsqu'il bascula dans ce que l'on voit, avec le dernier  scrutin présidentiel. Comme paravent, cet après-midi, j'ai trouvé le court et dense roman de Jean-Marc Parisis, Les aimants (Stock). Je le brandis, à présent. La sincérité y sautant à chaque page, je me crus un instant projeté dans un autre monde que celui-ci, vu de ma fenêtre, avec ses sirènes de flics tout-puissants, poussées à leur guise. Là, chez Jean-Marc, et pour écrire -dire à peine, si cela est possible, un tel amour-, tout n'est que regard franc, sentiment cru, pudeur naturelle et rectitude élégante. Le livre refermé, des nouvelles du monde m'ont resauté à la gorge. J'ai alors envié les gnous en migration : la prédation des lions et des hyènes en embuscade ne ralentit pas leur trot.

  • Nos années Beach Boys

    DSCF4468.JPGLes hasards du surf... sur le Net m'ont fait tomber sur le site de mon club de surf dans les années 70 : le O Surf Club * : www.osurfclub.fr La Chambre d'Amour, Peyo, à l'eau toute la journée, toute l'année, sauf à marée haute...

    Ces années insouciantes, ensoleillées, me donnent un vague à l'âme aujourd'hui.

    Mais je porterai le tee-shirt du club lorsqu'il sera disponible.

    Et si les crampes aux mollets, au contact de l'Océan de novembre, me fichent la paix, je resterai à l'eau avec mon fils pendant les vacances de Toussaint, té.

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    * Je l'évoque d'ailleurs à la lettre A comme amour, Chambre d', dans Le Sud-Ouest vu par ma pomme, parti se faire imprimer en Italie et qui se posera dans toutes les bonnes libraiires le 5 novembre.