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algérie

  • Parmi les écrivains gastronomes

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    Surprise, ce matin, lorsqu'un ami m'informa de la parution, en octobre dernier, d'un épais (430 pages) Dictionnaire des écrivains gastronomes chez Flammarion, signé Jean-Baptiste Baronian, et dans lequel je figure aux pages 257 et 258, entre Harry Mathews et Jay McInerney, pensant que j'étais au courant, ajoutant un tu crois qu'il nous aurait prévenus, ce petit cachottier? à l'adresse d'un mini groupe WhatsApp de quatre personnes... Je m'enquis de sa disponibilité en librairie et en trouvai un exemplaire dans la journée, dont voici des images. L'ouvrage est passionnant, qui va en effet d'Apollinaire à Zola en passant par les classiques Balzac, Baudelaire, Blixen, Boileau, Brillat-Savarin, et les modernes comme Barbery, Barnes, Barjavel, Boudard, pour ne citer que quelques noms épinglés à la lettre B. C'est dire si l'ouvrage est riche. Et savoureux. L.M.

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  • Frédéric Musso mon ami

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    Frédéric,

    Je m’apprêtais à t’écrire qu’en dépit de nos masques de papier bleu, je franchirais « incessamment sous peu » le Rubicon des précautions d’usage afin de te rendre visite à Générargues pour parler poésie, Algérie, Camus, mais poésie avant tout. Mot, pas phrase. Les phrases, ce serait pour après. Après la kémia et le rosé glacé. Et voilà que tu casses ta pipe là, le 5 septembre. Sans prévenir, ou si pudiquement. Avec la discrétion de fumée, de lin, de soie, qui te définissait. « Je paye des années de picole et de clopes », m’écrivais-tu il y a quelques semaines, pour t’excuser auprès de la vie qui commençait à te déborder, et tandis que tu continuais de publier des photos de ta chère Marilyn sur Facebook, et que nous nous adressions des citations de poètes chaque matin ou peu s’en faut, comme on croise le fer chez les Cadets de Gascogne, histoire de se mettre en appétit de petit-déjeuner. Ping-Pong. Frédéric est aux Afriques. La Déesse n’a qu’à bien se tenir, puisqu’il arrive, fringant, séducteur et « classe ». Ton Algérie des souvenirs, ton Point sur l’île, ton Exil et sa demeure - si camusien -, tous tes poèmes taillés à la main, chacun ciselé dans le plus pur souci de l’éclat procuré par l’étincelle du mot, de la syllabe, je les ai là devant moi, tous rangés de dos, avec tes romans. Il n’en manque aucun. Je possède ton oeuvre complète et j'en suis fier, Frédéric. Je les ai lus et relus tant de fois, tes mots mon ami, et j’en aurai écrit ici et là (notamment dans L’Express) tout le bon que j’en vivais, tout le bien que d’aucuns en pensaient. Frédéric, ce soir je remplis le vase de ma tristesse avec le souvenir de nos échanges via Facebook. Comme quoi, nous étions donc devenus modernes, et irrémédiablement nostalgériques. Tu me manques. Tu commences à me manquer, là. Ça ne va pas, ça. Ça va pas du tout. Il faut faire quelque chose, Alice... L.M.

    L'essentiel de l'oeuvre de Frédéric Musso est disponible aux éditions de => La Table ronde  Si vous écrivez son nom dans la case "archives" de ce blog, vous pourrez lire au moins six articles que j'ai rédigés sur lui. Lisez Musso. FRÉDÉRIC Musso...

    Capture d’écran 2020-09-08 à 10.03.15.png Note ci-contre : Babelio. Et puis ce lien => Midi-Libre - qui présente succinctement Frédéric.

  • le parler pied-NOIR

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    Face à la marée montante de la bêtise (Camus), à l'indigeste inculture ambiante, au manque abyssal d'intelligence, à la caricature de notre humanité, à la grossière et brutale, violente et radicale montée des ignares fiers de l'être, face à la barbarie, aux bipèdes proches des bovins rescapés de l'abattoir pour des raisons inavouables, face au mépris forcément assumé pour la sensibilité, le respect de l'Autre, le tact, l'écoute, le dialogue, face au péril de l'ensauvagement galopant de notre société des Lumières et de l'esprit, du trait, de l'humour, de la dérision, de l'autodérision, de l'ironie - arme suprême contre toute forme de bêtise -, de l'intelligence fraîche, tendre, lettrée, fine et directe, contradictoire et duettiste, provocatrice par goût de la diatribe, du pamphlet, du frottement des cervelles cher à Montaigne en voyage, face à notre Histoire, notre Culture pluri-millénaire, face aux connards qui sont Légion, qui nous étouffent par leur nombre et leur absence de savoir-vivre, leur irrespect fondamental, face aux violents qui prolifèrent et pratiquent leur activité gratuitement en vous cassant la gueule comme ça, pour rien, les fats, face aux terroristes en tout genre - du plus meurtrier, solitaire et malade mental, à l'extrêmement meurtrier, organisé, en bande, et/ou ayant fait allégeance à la lie de ce siècle -, face à face, je me demande bien comment, si je devenais sujet de soumission (ce mot étant devenu à mon esprit le plus important depuis la parution du livre éponyme, si clairvoyant, prophétique de Michel Houellebecq, et ce concept-là, je le précise haut et fort, n'a rien à voir avec un mouvement politique frelaté d'origine - récupérateur et bassement opportuniste -, terriblement stalinien, aux accents dictatoriaux, né en terreau bobo il y a quelques années)... Je me demande donc bien comment je devrais changer le titre de mon long-seller, constamment réimprimé depuis sa première publication en juin 1989, repris en format de poche en janvier 2017. Agatha, tu dois bien avoir une idée, non, avec tes 2x5 Petits nègres, qui viennent d'être contredits par ta pleutre descendance ? Et toi, Henry Beyle (Stendhal), est-ce que Le Rouge et le gris foncé, pour titre de ton oeuvre merveilleuse, te conviendrait-il ? (Je sais, je sais, tu réponds : c'est une blague, ou bien vous marchez tellement bien sur la tête que vous êtes devenus pathétiquement risibles). Si je continue en égrenant les exemples (seulement) de titres de livres sujets à caution face aux nouveaux censeurs, la liste va être très longue. Autant que celle de la monumentale connerie des nouveaux procureurs improvisés sur les réseaux sociaux, cette plaie purulente dotée d'un Q.I. d'huître tiède, mais au potentiel terrorisant explosant l'échelle de Richter, s'il s'agissait de secousse sismique. Mais c'en est une, et nous n'y prenons pas assez garde. L'alternative? Charles de Gaulle disait à son Président du Conseil, et donc indirectement aux Ministres (si sa ligne politique ne leur convenait pas. Autre époque, celle de l'État, c'est moi. Et ça avait de la gueule) : Soit on se soumet, soit on se démet. Là, le schéma est autre : soit on continue de se soumettre, soit c'est la guerre civile à l'horizon. Les cons, ça ose tout, et c'est d'ailleurs à ça qu'on les reconnait (Michel Audiard). Et nous n'avons plus beaucoup d'effort à faire pour les reconnaître tant ils sont nombreux, omniprésents, arrogants comme la corneille à l'égard du moineau domestique en milieu urbain, et même de l'homme devant une poubelle publique (ici, l'éthologie est éclairante, mais c'est un autre sujet. J'y viendrai). J'ai - donc - publié Le Parler Pied-Noir (Rivages, 1989, Petite Bibliothèque Payot, 2017). On fait quoi ? Moi, je garde le titre, évidemment. Et j'emmerde copieusement les cons, cela va de soi. L.M.

  • Visages de Camus

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    Cliquez et regardez => Les vies d'Albert Camus

    Voilà un film magnifique, signé Georges-Marc Benamou, déjà visible sur le site de France 3, et qui sera diffusé mercredi à 21h05. Les images d'archives, colorisées pour la plupart, et issues notamment du fonds Gallimard, sont émouvantes. Nous y retrouvons la galaxie de Camus, ses amis, ses amantes, et une partie de la nébuleuse anonyme des humbles qui ont gravité autour de l'auteur du Premier homme. Parti-pris sans doute, nous entendons sa voix, nous le voyons souvent et cela ajoute à notre plaisir, mais il n'est jamais montré en train de parler... Le récit est simplement chronologique, cela ne nuit en rien le processus narratif, mais il commence fatalement par l'accident du 4 janvier 1960. Hormis un montage détestable dans ce genre de documentaire, et heureusement bref, sur les derniers instants de la vie de Camus dans la Facel Vega, route de Villeblevin, l'ensemble nous est apparu éblouissant car riche, tendre, franc, et somme toute assez complet sur le kaléidoscope Camus : Le séducteur, l'amoureux, le journaliste - historien au jour le jour -, le romancier, l'essayiste engagé, l'humaniste. Ainsi que chacun des thèmes phares de sa vie : La pauvreté originelle, le rôle de M. Germain l'instituteur et père de substitution, la mesure des tragédies du XXe siècle qui préservera Camus de toute tentation extrémiste, l'omniprésence de la Méditerranée dans son corps et dans son esprit, la blessure de l'impossible trêve civile en Algérie aux moments des événements devenus guerre, l'échec du dialogue avec le monde germanopratin et sartrien, l'importance de la mère, l'amitié forte avec une poignée de fidèles... Certains témoignages, comme celui de Mette Ivers, dernière amante de Camus, et celui de Michel Bouquet, sont bouleversants. Il y a également le récit chaleureux de Max-Pol Fouchet, les quelques mots essentiels de Jules Roy pour augmenter la valeur-ajoutée de ce film, et par conséquent l'émotion que nous éprouvons jusqu'au bout. Cliquez et regardez. Puis reprenez les livres de Camus. Tous. Et faites passer. L.M.

     

  • Un film sur le 5 juillet 62

    Capital, ce documentaire de G.-M. Benamou, pour tous ceux qui sont touchés par cette part de l'Histoire

    (je me trouvais à Oran, ce jour-là, j'avais trois ans et demi) => 5 Juillet 62 à Oran

    Faites passer.

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    Entendre l'effroyable Thierry Godechot, bras droit de l'ignoble Général Katz, lire ce qu'il consigna dans son Journal ce jour-là a manqué me faire vomir (et m'a rappelé les propos semblables qu'osèrent me tenir deux petits cons que j'avais en cours, à l'école de journalisme où j'enseigne la presse écrite et la culture générale, entre autres disciplines, au lendemain du massacre perpétré dans les locaux de Charlie Hebdo) : "Les pieds-noirs, pour avoir caché sciemment les hommes de l'OAS, n'ont eu que ce qu'ils méritaient.

  • Cheminée noire et Barbe bleue

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    Il est toujours émouvant de tomber sur un vieux cliché jauni, écorné, maltraité par le temps et sur lequel nous peinons à distinguer des détails, mais qui nous parle. Cette photo m’a été adressée (dans le corps d’un e-mail) par mon pote Jacques Ferrandez lorsqu’il travaillait à l’adaptation en BD du « Premier homme » d’Albert Camus (paru chez Gallimard l’an passé), car il me demandait si les cargos de l’armement familial, dont le port d’attache était alors celui d’Oran, avaient pu transporter Camus depuis le port d’Alger à un moment ou à un autre. Je signale en passant le très émouvant livre autobiographique de Jacques, « Entre mes deux rives », paru au Mercure de France : l’Algérie natale, Alger, le quartier de Belcourt où vécurent Camus, Sansal, Ferrandez !, Nice, l’exil, Boualem Sansal à Tipasa, Catherine Camus à Lourmarin, l’adaptation en BD de l’œuvre de son illustre(é) père, Ferrandez le camusien habité est entièrement là, et c’est écrit avec un grande sensibilité et une humilité qui forcent le respect.

    Je ne connaissais pas cette photo. Je fis par conséquent appel à mon cousin Gérard Bengio, mémoire familiale vive de ce qui touche à la Méditerranée et à tout ce qui navigue sur elle, car un détail m’intriguait : la cheminée noire. Chaque cheminée des navires familiaux étant barrée d’un beau bleu ciel serti d’un grand « M » blanc, je m’interrogeais.

    Gérard leva aussitôt l’énigme : l’armement Léon Mazzella & Cie avait repris l’armement Yaffil, à cette époque (aux alentours de la Seconde guerre mondiale?) et la cheminée de leurs navires était noire. Mais pourquoi alors « un » Léon Mazzella (il y en a toujours eu un pour en chasser un autre, et ce jusque dans les années 1980), parait-il ainsi sa cheminée de la couleur du deuil, et non pas de son bleu ciel et blanc maison ?.. Il me faudra rappeller Gérard.

    « La photo a été prise sur le Quai du Sénégal, au port d’Oran, puisque nous devinons la colline de Santa-Cruz en arrière-plan, ainsi que le môle de l’Amirauté, à l’arrière port », précise mon petit cousin. Et comme il s’agit d’une cargaison de billons (tronçons d'arbres), cela ne fait aucun doute : seul ce quai en avait la charge... La date ? – J’ai un indice : l’homme au costume (plein centre) est mon grand-père Léon, décédé le 9 août (le jour de la St-Amour) 1951 d’une crise de cœur que l’on dit cardiaque dans une chambre d’hôtel faisant face à la gare Saint-Lazare, Paris huitième. Il se trouvait là « pour affaires » maritimes, mais les mauvaises langues familiales disent qu’il périt à la manière de Félix Faure d’une fatale fellation peut-être, à tout le moins d’une union pénétrante et adultérine, fait qui fit dire au facétieux Clémenceau à propos du Président Faure : Il a voulu vivre César, il est mort Pompée. Puis-je ajouter que l'abbé dépêché sur les lieux s'enquit de la vigueur du premier personnage de l'État en ses termes :  Le Président a-t-il encore sa connaissance? Et qu'il lui fut répondu in petto : Non, elle vient de s'enfuir en empruntant l'escalier de service... Le trait, délicieux de galanterie et de finesse espiègle, est depuis consigné dans les annales élyséennes... 

    Bien plus simplement, l'épouse de Léon, ma grand-mère prénommée Orabuena car elle était née Juive de Tétouan, puis rebaptisée Bonheur, sa traduction, en se mariant à l’église avec son Procidien de mari (de Procida, l’île méconnue – qu’elle le reste! - du Golfe de Naples), en fut marrie, mais point brisée. Il fallut tenir bon, en femme de caractère bien trempé. L’apparence demeura ferme, flegmatique, voire fondue dans du métal point mou et propre à empêcher toute armure de se fendre un jour, une nuit. Ni étain ni plomb dans la famille, sauf l'un pour le decorum des tables, et l'autre pour la chasse. Du fer, de l’acier, et que le cœur se bronze et jamais ne se brise. Elle sortit d’ailleurs mon père Léon du Lycée Lamoricière, où il passait ses deux bacs, afin de sculpter un armateur de dix-sept ans, flanqué contre sa mère expert-comptable et véritable patronne de la modeste entreprise, comme un daguet (il n’était plus faon tacheté, ses bois donnaient de l'avant) constamment à apprendre le métier contre sa biche de mère courage. L'époque était au privilège de masculinité, au droit d'aînesse et, in situ, au devoir de respect absolu à la culture et aux traditions méditerranéennes ancrées dans un melting-pot culturel bigarré, métissé jusqu'à plus soif et dénué de toute arrière-pensée raciste, comme on dit.

    L’omerta à propos des circonstances du décès du grand-père Léon demeure, car lorsqu’il m’arrive encore de titiller ma vieille tante Thérèse, sa fille (la sœur de mon père), celle-ci glisse aussitôt sur l’affaire de ses géraniums qui fleurissent tardivement – c’est bizarre, tu ne trouves pas?.. Ou bien sur celle du mur de sa terrasse bayonnaise, côté jardin en pente, lequel menace ruine. Évoquer - fut-ce de loin - la sexualité du père ne sera jamais chose aisée, me souffle Sigmund Lacan.

    C’était un « coureur » au fond, selon l’expression d’alors, un inoffensif Barbe bleue comme son frère Giacomi, et aussi l’autre, rescapé des tranchées de 14, Antoniuccio je crois... Juste bon à trousser les femmes de ménage successives de la propriété de Pont-Albin, à Misserghin, sise sur « les hauteurs de la ville » (d'Oran)... Cette page d’histoire familiale me séduit par son côté bovaryen à sa marge, doté d’un accent à la Maupassant dans ses haltes aux auberges de campagne, mâtiné d’une dose de machisme napolitain (totalement anachronique en ces temps d'une pruderie de Quaker), mais à l'effet immédiat sur les saintes nitouches déguisées en vierges effarouchées, et faisant aussitôt rire à gorge déployée tout ce qu’un quai peut compter de marins rayés et un zinc d’amis soiffards...

    Gérard, fin connaisseur, précise que ce bâtiment (je reviens au cliché), est le bateau « souche » des futurs navires de la classe Victory, Empire, puis Liberty ship américains, caractérisés par la mâture en forme d’arche portée. J’affectionne ce type de détail parfaitement inutile au commun des mortels, surtout s’il est sujet au mal de mer, mais qui possède le claquant d’un poème, mâture en arche portée... Et grise l’oreille à la manière de ce qui agace actuellement ma vue, et qui se nomme joliment « les corps flottants » (des fantômes en forme de mouches qui passent devant l’œil, produisant des sous-ensembles flous, dirait Jacques Laurent, et ne laissant pas les corps tranquilles... Mon « vitré » se distend avec l’âge, mais je n’envisage pas encore de double vitrage pour le blanc de mes yeux, pas plus que mon aïeul ne pensa à porter des lunettes... à double foyer).

    Or, donc, cette photo. Je la regarde et je rêve. D’une Algérie où je naquis et où je passai trois années y pico– et demie pour être précis. Je n’y suis pas encore retourné, malgré mes velléités lorsque, par exemple, je fis paraître chez Rivages « Le parler pied-noir » en 1989. Le FIS y montrant déjà le bout de sa sinistre morgue, il fut préférable d’attendre un peu. Sauf que un peu me dure.

    Cette proue droite me fascine. Mon regard a toujours été attiré par ces navires façon brise-glace, l’arrondi à leur base en moins, car ce tranchant de lame, cette rectitude de col amidonné, comme celui que porte (sans la prothèse rigide) Erich Von Stroheim dans « La Grande illusion » (celui de Karl Lagerfeld ne parvient pas à m’émouvoir), lorsque le commandant Von Rauffenstein s’adresse à Pierre Fresnay : « Monsieur de Boëldieu... », sont infiniment émouvants. À quai comme en pleine guerre. L.M.

  • KallyVasco a 12 ans

    Capture d’écran 2018-03-26 à 18.35.52.pngCe matin, une douceur printanière semble vouloir prendre possession de la ville en dépit d’une grisaille et d’une humidité persistantes jouant à cache-cache avec un soleil généreux lorsqu'il se pousse du coude. J’aperçois un couple de mésanges bleues sur un acacia. Les deux boulettes fines volètent frénétiquement de branche en branche - les mésanges sont sans cesse à leur affaire, qui est de se nourrir. Elles m'évoquent (et ce n'est pas gentil pour elles), les rats de coquetèles, qui semblent affamés tant ils s'empiffrent comme des porcs, lors que la plupart sont des gens aisés et plutôt gras. 

    Cette simple observation d'un couple d'oiseaux fragiles et menus sur de frêles branches (à l'instar de cet arbre peint par Egon Schiele), m'emplit de bonheur. Une certaine forme de délicatesse inscrit ce début de semaine dans la paix. Me viennent des vers que j'ai souvent en tête, de Giuseppe Ungaretti : 

    La vie lui est d'un poids énorme

    Comme aile d'abeille morte

    À la fourmi qui la traîne.

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    La vita gli è di peso enorme

    Come liggiù quell'ale d'ape morta

    Alla formicola che la trascina.

    Je réalise tout à trac que le « chien » - je nomme ainsi ce blog, a déjà douze ans. Je me revois l'ouvrant sur les bons conseils de mon amie Alina Reyes, chez elle : T’embêtes pas à créer un site, un blog suffit. 26 mars 2006 - 26 mars 2018. Je ne découvre qu'à l'instant une funeste coïncidence avec l’anniversaire du massacre de la rue d'Isly à Alger (le 26 mars 1962, l'armée française tire sur la foule de ses compatriotes venus manifester pacifiquement. Bilan : 80 morts, 200 blessés. Je ne m'étendrai pas).

    Je pense surtout à ce chiffre devenu fétiche, puisqu’il désigne l'alphabet, et que sans ses 26 lettres je ne suis rien et nous sommes peu de choses. C'est un chiffre auquel je rends hommage chaque fois que possible : avec mon livre 26 villages pyrénéens par exemple. Voire avec Les bonheurs de l'aube, même si j'ai échoué à l’emplir de vingt-six nouvelles, car j'écrivis les vingt qui le composent en un lieu enchanteur, l'île de Formentera et que, de retour à la brutalité de la grande ville, mon bras bloqua et la plume sécha...

    Voici donc KallyVasco, 12 ans d’âge comme un single malt déjà fait, 1 627 articles, 3 835 commentaires. Des visiteurs toujours plus nombreux et des pages consultées par centaines, voire par milliers chaque jour. Avant l'irruption, l'invasion des réseaux sociaux, les commentaires abondaient, ici même. À présent, comme je reproduis mes articles insérés dans KallyVasco, à la fois sur mon compte Twitter et sur ma page Facebook, c'est sur cette dernière plateforme (sans doute plus simple d'utilisation), que ça réagit avec prédilection.

    Il y a ainsi dans le ventre de ce blog des archives à foison pour y flâner : nourritures terrestres et spirituelles, livres, vins, voyages, sensations, billets d'humeur, d'humour, amour, amitié, images, sons - soit des plaisirs simples en partage avec vous, dont je loue la fidélité. Tel est mon beau souci. Et puisque j'ai créé KallyVasco afin de « faire passer » l'émotion décrite davantage qu'écrite, the chien must go on. L.M.

     

     

  • Le Parler pied-noir en poche

    photo 2.JPGC'est étrange, et flatteur, de se retrouver aux côtés de Nicolas Bouvier (Journal d'Aran et autres lieux), d'Anita Conti (Racleurs d'océans), d'Alexandra David-Neel (Au coeur des Himalayas), d'Ella Maillart (La Voie cruelle), ou encore Werner Herzog (Sur le chemin des glaces), dans cette collection Voyageurs de la Petite Bibliothèque Payot.

    Mon Parler pied-noir arrivera donc en librairie le 18 janvier. Il s'agit de la réédition en format de poche de mon long-seller, paru en 1989 chez Rivages et constamment réimprimé depuis. Purée!..
    J'ajoute qu'il s'agit d'une nouvelle édition revue et - considérablement - augmentée (192p. 8€)

     
     
     
     
  • On se croit curieux...

    téléchargement.jpegOn se croit curieux, et nous passons à côté de choses, comme ça, qui sont de petits cadeaux mieux dissimulés que des oeufs de Pâques dans le jardin de notre enfance. Je viens de découvrir (à la faveur d'un message amical et bienveillant), un écho écrit à une émission de radio (cliquez ci-dessous), et je remercie au passage Philippe Vallet, fort tard certes, mais vieux motard que j'aimais, n'est-ce pas. Il s'agit de mon premier roman, écrit à l'âge de 23 ans, soit il y a (putain!..) 35 ans... Purée... Outch, la gifle. Envie donc de partager, car c'est de saison : l'arrière-automne, le givre, les parfums capiteux de sous-bois, la migration qui strie le ciel bellement, l'écharpe diaphane du brouillard de l'aube, tout ça qui fait le sel de l'existence, pour peu que nous la voulions, ou voudrions toujours là, parmi ces plaisirs simples, et surtout naturels, sans aucun artifice. Jamais...

    chasses furtives

  • impudeur, peut-être

     

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    Je sais, c'est impudique, mais comme cette photo évoque une scène de cinéma, de l'avis, fiable, de ceux qui l'ont vue, je la propose ici, m'autorisant un coup de canif dans toute déontologie minimale. Ma mère est dans la DS. C'est un dimanche après-midi (entre 1970 et 1976), dans le port de Bayonne. Le m/s Léon Mazzella est à quai, de retour d'Afrique avec rien dans ses flancs, puisqu'il chargera ici. Ce sera selon : soufre, phosphate, traverses de chemin de fer... Derrière lui, en reflet sur les vitres du dernier hommage rendu à la carrosserie automobile (la Citroën précitée), se devine le m/s Cap Falcon, autre navire de la flotte de mon père, armateur. Papa est forcément à bord. Maman a l'air de s'ennuyer grave. Il lui tarde de rentrer et de préparer les pâtes pour la famille. Après le bain des enfants. Et zou, au lit fissa pronto!.. C'est dimanche. Après ce sera plateau-non! pas télé, autre chose avec son homme.
    L.M.
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    P.S. : Le levier de vitesses est au volant, le modèle date bien. Le rétroviseur central produit un clic-clac mat lorsqu'on l'actionne (jour/nuit), afin de lutter contre l'éblouissement des phares - jaunes -, du con qui suit et qui ne pense pas à passer en code. La montre, rectangulaire, se règle à la main avec un gros bouton. Le poste, qui a déjà connu plusieurs ID et DS, est un Radiola toujours branché sur RMC, que mon père appelait "Radio Andorra"!.. Pourquoi maman ne baisse-t-elle pas la vitre, afin de respirer un peu d'air fluvial chargé de marée montante (c'est mieux que descendante) ? Le bruit des grues, peut-être. L'envie de rentrer, sans doute...

     
     
     

     

  • Zouave d'aujourd'hui

    On parle beaucoup de la statue du zouave (le zwawi) du pont de l'Alma, à Paris, parce que l'eau la "gagne"... Et il est étrange que ce représentant des unités françaises d'infanterie légère appartenant à l'armée d'Afrique - souvent d'origine kabyle, d'ailleurs (le corps des zouaves a été créé lors de la conquête de l'Algérie, en 1830, et c'est à la guerre de Crimée, leur première campagne hors du sol algérien, que les zouaves s'illustrèrent en prenant les Russes par surprise, au cours de la bataille de l'Alma), devienne une espèce de symbole du (mauvais) temps qu'il fait, sa jauge...

    Je me souviens de mon père me répétant souvent, lorsque j'étais môme : "Arrête de faire le zouave!", pour : arrête de faire n'importe quoi, ou des bêtises, voire rien : arrête de ne rien faire... Cela pouvait également signifier : cesse de faire "l'intéressant", le "matto" (en napolitain), le fanfaron... Il y a encore la chanson de Ray Ventura, "ça vaut mieux que d'attraper la scarlatine", dans laquelle le chanteur dit : "ça vaut mieux que d'faire le zouave au pont d'l'Alma!"

    Au Lycée, à Bayonne, l'année du bac (qui fut aussi celle de l'impôt sécheresse), une blague inspirée d'une pub qui circulait alors, une sorte de clip d'avant l'inondation des ondes par les clips, disait ceci : "Tu sais pas?.. Ils ont remplacé la statue du zouave du pont de l'Alma, dis-donc!.. - Ah, bon! Et par quoi a-t-elle été remplacée?.. Par une énorme bouteille de Coca-Cola!.. - Ah, bon, et pourquoi?!.. Eh bé... Parce que "Zouave d'aujourd'hui!..." "coooca-colaaaa"...(mouais). L.M.

    :https://www.youtube.com/watch?v=N0rZfJDgQTo

     http://www.culturepub.fr/…/coca-cola-soif-d-aujourd-hui-a-…/

  • Avant-première

    Les sites de vente en ligne annoncent déjà mon prochain livre, qui paraîtra fin août : Dictionnaire chic du vin (Ecriture), c'est 350 pages serrées d'hédonisme, de sérieux et de déconne, d'éloge du bien-vivre et du sang de la vigne - et ses inséparables connotations littéraires, musicales, sensuelles. Voici un aperçu capturé sur le site de la fnac : 

    Capture d’écran 2015-04-14 à 08.42.30.png(avec une belle faute d'orthographe -ZZ- sur la couv. provisoire)
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  • Douloureuse intégration

    IMG_2579.jpgPapier paru dans le hors-série de L'Express consacré aux Juifs de France. Actuellement en kiosque. (Pour que) Vive la presse écrite!

     

    Contrairement aux colons européens, les juifs étaient présents sur le sol algérien depuis des siècles. Mais leur statut connut de multiples vicissitudes. Il n’a cependant rien à envier à la déception historique des musulmans. Par Léon Mazzella

     

    Depuis leur arrivée, il y a près de trois mille ans avancent de nombreux historiens, sur ces terres qui deviendront l’Algérie, les fils d’Israël ont partagé un destin pour le moins chaotique. Les premières colonies se mélangèrent sans problème avec les Berbères, auprès desquels elles auraient fait preuve d’un prosélytisme fructueux (une théorie qui ne rencontre toutefois pas l’unanimité chez les historiens). Maltraités sous l’occupation romaine, puis par les Byzantins, qui transformèrent souvent leurs synagogues en églises, les juifs, dont la communauté se renforça au cours des siècles de nouvelles vagues d’émigration dues aux soubresauts de l’histoire, notamment dans la péninsule ibérique – des persécutions des Wisigoths à celles de la Reconsquita – firent également les frais de l’islamisation de l’Afrique du Nord, consécutive à la conquête arabe, au VIIe siècle. Ainsi, hormis une courte accalmie durant l’éphémère royaume vandale d’Afrique (439-533),  les descendants des Hébreux ne furent jamais traités sur un pied d’égalité avec les autres habitants d’Algérie. Pendant douze siècles, la dihmma, si elle leur reconnaît la liberté de culte, les soumet à un statut juridique inférieur à celui des musulmans.

    Il leur faudra attendre 1830 et le début de la colonisation française pour être libérés de cette entrave et devenir les égaux des « indigènes musulmans ». Pas le Pérou, mais déjà un progrès…

    Principalement composée d’artisans et de petits commerçants, la communauté juive, alors implantée à 80 % dans les villes (5 % seulement des musulmans y vivent), se retrouve beaucoup plus au contact de l’administration coloniale. Ils envoient leurs enfants à l’école, renoncent à leurs tribunaux religieux, adoptent la langue de Molière. Autant d’efforts pousse Paris à faire de ces modèles d’assimilation (acculturation s’interroge certains) des citoyens français à part entière. Dès 1865, un décret impérial propose la naturalisation aux juifs, mais aussi aux musulmans qui le désirent, sous certaines conditions (abandon du statut religieux et service militaire). Très peu sont candidats. Les autorités religieuses juives, toutefois, consultées par le gouvernement provisoire de la toute nouvelle IIIe République, se déclare favorable à une naturalisation collective. Le 24 octobre 1870, le fameux Décret Crémieux accorde la nationalité française aux 34 000 juifs d’Algérie. Les étrangers (Espagnols, Italiens, Maltais…) devront, eux attendre 1889 pour en bénéficier. Cette accession, ressentie comme un immense soulagement par les Juifs, est en revanche très mal vécue par les musulmans, qui voient leurs rêves d’assimilation, promise par Napoléon III, s’évanouir, sans grand espoir de retournement. Seuls ceux qui renoncent à la loi coranique et se plient aux règles de l’administration française en Algérie, notamment fiscales, obtinrent leur naturalisation. On en dénombre 10 000 à peine entre 1865 et 1962, qui furent « assimilés » et considérés comme des notables louant une patrie commune. Ces caïds appartenaient pour la plupart aux grandes familles algériennes.

    Violente opposition au décret

    Chez de nombreux colons, aussi, le décret passe mal. Ils craignent surtout que les musulmans ne finissent par obtenir le même statut,  prémisse à leurs yeux d’une décolonisation. Ils vont paradoxalement exploiter l’aigreur des arabes, dont ils font mine de soutenir la revendication. A la fin du XIXe siècle, cette opposition au décret Crémieux s’exprime dans de violentes manifestations « antijuive » et dans les urnes. Des antisémites notoires s’installe à la tête de nombreuses villes, comme Constantine, Oran et Alger, avec Max Régis. De sinistre mémoire, Édouard Drumont est élu député d’Alger, de 1898 à 1902. La Première Guerre mondiale, qui voit les sangs des juifs et des pieds-noirs se mêler dans la défense de la Nation, marque une accalmie du sentiment anti-juif en Algérie. Mais le pire est à venir.

    Quotidien, rampant et opérant donc par capillarité, l’antisémitisme resurgit avec force en 1940. Une loi signée par le maréchal Pétain, datée du 7 octobre, abroge le décret Crémieux et renvoie les juifs au statut des indigènes musulmans. Heureusement tenus à l’écart des atrocités de la Shoah, les juifs d’Algérie sont mis au ban de la société et certains, même, internés dans des camps de travail au sud du pays. Malgré l’arrivée des Américains, en 1942, ils sont maintenus dans ce régime discriminatoire par le général Giraud. C’est De Gaulle qui les rétablit dans leurs droits, en 1943.

    En juillet 1962, la quasi totalité des 150 000 Juifs d’Algérie quittent cette terre qui était la leur depuis près de trois mille ans pour la France. 

     

     

    UNE VRAIE FRATERNITÉ

    D’aucuns ne sont pas loin de penser que certains colons se félicitaient de ne pas faire évoluer la population musulmane et de continuer de la maintenir sous une forme de boisseau juridique, malgré leurs bonnes intentions affichées. Paul Bert (cité par Jeannine Verdès-Leroux), visitant la Kabylie, avait en charge la « protection » des colons et « l’avenir » de l’Algérie, avec Jules Ferry et d’autres, et il glorifia le travail accompli par les colons sur des terres rendues prospères grâce à leur tâche. Ces propos furent ceux des pieds-noirs au plus fort de la guerre, à l’aube des années 1960, lorsqu’ils invoquèrent une légitimité sur un sol qu’ils considéraient comme le leur. Paul Bert invoque subtilement le Coran qui « donne la terre à qui la vivifie », afin d’asseoir la propriété des « biens de main morte, partagés entre les mains vivantes »… Reste que le mot colon, entaché d’une image péjorative, désignera tour à tour le « rebut » de la Méditerranée (Alphonse Daudet), le travailleur patriote mais égoïste (Jules Ferry), le héros laborieux  et fraternel lors des cérémonies du Centenaire (1930), et enfin la brute lors des « événements » qui ne désignaient pas encore une véritable guerre. Soulignons enfin que les liens qui se sont tissés, cent trente années durant, entre la communauté pied-noir dans son ensemble, avec ses bigarrures méditerranéennes, et la communauté musulmane, furent profonds et complexes, plus souvent teintés de fraternité que de rivalité, d’entente que d’hostilité. Le « drame algérien » doit –aussi- être mesuré à cette aune fondamentale. L.M.

  • Belles plumes d'Algérie

    Papier paru dans le hors-série de L'EXPRESS, actuellement en kiosque, consacré aux Pieds-Noirs (rédaction en chef : Philippe Bidalon et Léon Mazzella) :

     

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    La littérature pied-noire naît avec Camus, mais le maître a engendré et continue d'engendrer pléthore de bons auteurs pieds-noirs.

    Par Léon Mazzella

     

     

    La littérature pied-noire – de qualité- naît au milieu des années trente avec les premiers textes d’Albert Camus, comme « L’Envers et l’endroit », et « Noces », publiés par Edmond Charlot. Cet éditeur libraire algérois fit beaucoup pour cette littérature naissante, avec son confrère Baconnier (auquel on associe le nom de Charles Brouty, illustrateur célèbre), et qui publia notamment « Jeunes saisons » d’Emmanuel Roblès, ainsi que des textes algériens capitaux, comme « Jours de Kabylie », de Mouloud Feraoun. Les auteurs phares de cette pépinière furent regroupés autour de « L’Ecole d’Alger » avec Charlot pour éditeur, et comptait, aux côtés d’Albert Camus, Emmanuel Roblès, Jules Roy, le philosophe Jean Grenier, le romancier René-Jean Clot ou encore le poète Max-Pol Fouchet. Ainsi que Gabriel Audisio et Jean Sénac. 

    Donc, Camus. Avec  « Noces », « L’Eté », « La Peste », « L’Etranger », « Le Premier homme »… L’ombre tutélaire du Nobel 1957 plane sur la littérature pied-noire comme celle d'un mancenillier. Sa génération connut de grandes plumes. Il n'est qu'à citer Jules Roy (1907-2000), dont la précieuse saga « Les Chevaux du soleil » (Omnibus), ainsi qu’un livre devenu un classique, « La Guerre d’Algérie» (Bourgois), demeurent des ouvrages majeurs, sans concession le second, et inaltérables. Emmanuel Roblès (1914-1995), qui fit tant pour les écrivains pieds-noirs et algériens aussi en qualité d’éditeur au Seuil, dépeint, entre autres dans « Les Hauteurs de la ville » et dans « Jeunes saisons » (Seuil), le petit peuple d’Oran avec une immense tendresse que l’on retrouvera plus tard dans les romans de Louis Gardel. Algérois comme Camus, habité par Jules Roy, vivant à Paris, ce romancier puissant et délicat, éditeur au Seuil lui aussi, auteur du célèbre « Fort Saganne », traverse son œuvre au fil de l’Algérie. Et ce, depuis « L’Eté fracassé » jusqu’à « La Baie d’Alger » et « Le Scénariste », en passant par « Couteau de chaleur », « Notre homme », ou encore « Dar Baroud » (Seuil). Tous disent l’Algérie heureuse avec justesse, et aucun des personnages ne gémit jamais sur le paradis perdu ; ce qui est salutaire. Une autre voix précieuse est celle de Frédéric Musso, romancier de talent, poète concis et biographe avisé de Camus, dont il faut tout lire, notamment « Martin est aux Afriques » et « L’Algérie des souvenirs » (La Table ronde).  

     

    Romanciers sans pathos

    Et puis, il y a tant d'auteurs. Pêle-mêle : Jean Pélégri, et  « Les Oliviers de la justice », « Le Maboul » (Gallimard), et un livre-testament bouleversant : « Ma Mère, l’Algérie » (Actes Sud). Jean-Pierre Millecam, auteur du sensible « Et je vis un cheval pâle » (Gallimard). Annie Cohen et le si tendre « Marabout de Blida » (Actes Sud), Assia Djebar pour la violence salutaire de « Oran, langue morte » (Actes Sud). Il y a de la  « nostalgérie » soft chez Marie Elbe, et « A l’heure de notre mort » (Albin Michel), chez Janine Montupet, « La Fontaine rouge » (R.Laffont), et chez Marie Cardinal, « Les Pieds-Noirs » (Place Furstemberg). Ainsi qu'avec Norbert Régina, qui fut secrétaire général de la rédaction de L’Express jusqu’en 1987, et l’auteur d’une trilogie romanesque : « Ils croyaient à l’éternité », « La Femme immobile », « Les crépuscules d’Alger » (Flammarion). Dans « L’homme à la mer » (Orban) de Jacques Fieschi aussi. Citons encore Roland Bacri, disparu en mai dernier, qui fut « Le Petit Poète » du « Canard enchaîné » et l’auteur du « Roro », un dictionnaire pataouète qui ne prétendait pas donner le change au (Petit) Robert, car Paul Robert, l’auteur du dictionnaire éponyme, était lui aussi Pied-Noir ! Mention spéciale pour l’absence totale de pathos à deux livres parus récemment : « Trois jours à Oran », formidable roman d'un retour au lieu d'origine signé Anne Plantagenet (Stock), et au vibrant « Le Glacis », de Monique Rivet (Métailié). Sans oublier les Morgan Sportès, romancier né à Alger, Hélène Cixous, Oranaise et grande féministe, auteurs qualifié abusivement de pied-noir, car leur oeuvre n'évoque pas l'Algérie. Il y a par ailleurs le délicat Alain Vircondelet, Algérois et "durassien", l'éditeur né à Mascara Jean-Paul Enthoven, et même le grand Robert Merle! Enfin, last but not least, l'Algérois et "camusien" Jacques Ferrandez dans le domaine de la BD littéraire imprégnée par l'histoire de la présence française en Algérie.

     

    Philosophes de grand renom

    La philosophie n’est pas non plus en reste, avec des noms aussi prestigieux que celui de Jacques Derrida (1930-2004), d’abord. Le théoricien de la déconstruction naît à El Biar en 1930 dans une famille juive, et il restera en Algérie jusqu’en 1949, puis il y retourne pour effectuer son service militaire de 1957 à 1959, soit en pleine guerre. Il y retournera encore dans les années 70 pour y donner des conférences. Sa postface à « Les Français d’Algérie », de l’historien Pierre Nora (Bourgois), inédite jusqu'en 2012, est un bijou de 50 pages à l’adresse de son ami, auquel il reproche fermement d’être injuste à l’égard des Pieds-Noirs. Collègue de Derrida à Normale Sup’, le philosophe marxiste Louis Althusser (1918-1990) est également d’origine pied-noire, puisque issu d’une famille alsacienne installée au sud d’Alger, à Birmandreis. Le très médiatique Bernard-Henry Lévy, est né en 1948 à Béni-Saf. Son arrière grand-père maternel fut le rabbin de Tlemcen. BHL a quitté l’Algérie avec sa famille pour Neuilly-sur-Seine en 1954. Notons que Derrida et Althusser furent ses professeurs, rue d’Ulm. « Le plus beau décolleté de Paris » (Angelo Rinaldi dans L'Expres) a déclaré en 2012 que l’Algérie n’était « ni un pays arabe ni un pays islamique, mais un pays juif et français, sur un plan culturel »… Parmi les écrivains journalistes célèbres, citons rapidement Jean Daniel (Le Nouvel Observateur, qui fit ses armes à L'Express, où il couvrit la guerre d'Algérie). Et Jean-Claude Guillebaud, essayiste et grand reporter, né en Algérie d’un père charentais et d’une mère pied-noire. Il a grandi dans le Sud-Ouest dès l’âge de trois ans. Journaliste, il refusa obstinément d’y retourner pour ne pas raviver ce qu’il nomme « une dislocation originelle ». Jusqu’en décembre 2011, parce que « l’heure était venue » de retrouver l’autre partie de lui-même devant la Baie d’Alger... L.M.

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    GRANDES VOIX ALGÉRIENNES

    Il est impossible de dissocier les grandes voix de la littérature algérienne des années Camus à nos jours, de la littérature dite pied-noire. Parmi celles-ci et dès avant Yasmina Khadra dont l’œuvre rencontre un succès revigorant, nous trouvons Mouloud Feraoun, ses « Jours de Kabylie », et « Le Fils du pauvre » (Seuil). Feraoun n’a pas cinquante ans lorsqu’il est assassiné le 15 mars 1962 à Alger par l’OAS .

    Il y a Jean Amrouche et « L’éternelle Jugurtha » (L’Arche), qui eut ce mot : « L’Algérie est l’esprit de mon âme. La France l’âme de mon esprit ». Mouloud Mammeri  pour « La Colline oubliée » (Seuil). Mohamed Dib le tlemcénien, qui collabora au quotidien progressiste « Alger Républicain » avec Kateb Yacine, auteur de l’inoubliable « Nedjma » (Seuil). Dib signa notamment « Un été africain » (Seuil), dans les pages duquel il nomme toujours les « événement » que l’on appellera officiellement « Guerre » qu’en 1999, par le lapidaire vocable : « ça ». Mohammed Dib est aussi l’auteur d’une trilogie, « Algérie » : « La Grande maison », « L’Incendie », et « Le Métier à tisser » (Seui) qui paraissent au moment des années de braise d’une guerre sans nom et décrivent une terre rurale, pauvre, simple, quotidienne, aux dimensions ethnographiques précieuses. Il y a également Rachid Mimouni et son « Fleuve détourné » (Stock), Tahar Djaout, assassiné en 1993 (« Les Vigiles », Seuil), et plus tard Rachid Boudjedra et son puissant roman « La Répudiation » (Denoël). Citons enfin Leïla Sebbar, romancière et pilote, notamment, d’une admirable anthologie intitulée « Une enfance algérienne » (Gallimard), et Malika Mokeddem, pour son touchant roman « L’Interdite » (Grasset). L.M.

     

     

     

  • Une guerre sans nom

    gde0011_001.jpgPapier publié dans le hors-série Pieds-Noirs de L'EXPRESS paru il y a quelques jours et en vente encore plusieurs semaines (rédaction en chef : Philippe Bidalon et Léon Mazzella) => Tous au kiosque!

    7 ans et 8 mois d’une guerre qui prôna la pacification, l’autodétermination, puis l’abandon d’un pays, des Pieds-Noirs et des harkis.

    Par Léon Mazzella

     

     

    Le feu couve depuis les impitoyables massacres de Sétif du 8 mai 1945 : 104 européens, puis 1500 arabes en représailles (lire p15) sonnent le glas de la paix. L’armée de libération nationale (ALN), bras armé du Front de libération national (FLN) apparaît le 1er novembre 1954. Cette Toussaint-là, une série d’attentats sont perpétrés en divers points du pays. Les 7 premières victimes, dont  l’instituteur Guy Monnerot et sa femme, ainsi que le caïd Hadj Sadok, assassinés dans un bus sur une route des Aurès, signent le véritable début de la guerre. L’armée française riposte aussitôt. Des renforts arrivent. Le gouvernement d’Edgar Faure remplace celui de Mendès-France. Le mot d’ordre est « l’intégration », après le rétablissement de l’ordre. Mais l’armée capture beaucoup de suspects, faute de trouver des coupables… La « question »  de la torture est gravement posée. Le FLN compte à peine 500 hommes. L’embrasement va vite grossir ses rangs. L’intimidation est sa règle : « tous ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous ». « Sujets » français, les Arabes, qui ont si souvent souhaité devenir citoyens comme les juifs et les Européens, passent du côté de la lutte, coûte que coûte, pour leur indépendance.


    Guérilla urbaine

    Jacques Soustelle, gouverneur général d’Algérie, sait que la haine naît de l’injustice et de l’humiliation. L’inexorable engrenage génère des excès des deux camps. Le 20 août 1955, 70 Pieds-Noirs sont massacrés à Philippeville (région de Constantine). S’ensuit de nouvelles représailles massives, menées par un Soustelle humaniste, mais contraint. Le peuple algérien est désormais acquis à la cause du FLN. Le fossé entre deux communautés qui auraient pu envisager une alliance d’un troisième type, selon les vœux réitérés d’Albert Camus (lire p.46), devient abyssal. Le gouvernement de Guy Mollet, peu apprécié des Pieds-Noirs, échoue à imposer le général Catroux pour ministre-résident en Algérie. Les « ultras le rejettent. Il est remplacé par Robert Lacoste. L’ALN en a fini avec les embuscades sauvages. Mieux organisée, elle attaque frontalement l’armée française. La guérilla urbaine devient intense, les attentats se multiplient aux terrasses des cafés, le terrorisme frappe aveuglément. La peur est dans tous les ventres. Elle appelle la vengeance. Ne cède pas au désespoir. Avec une représentation contestée à l’ONU, notamment par Antoine Pinay qui crie à l’ingérence, le FLN connaît une aura internationale. La crise de Suez, le soutien de Nasser au FLN, provoquent l’arrivée du général Massu et de ses paras sur le sol algérien. « La Bataille d’Alger » de 1957 est dure et très meurtrière, mais les « paras » de Massu et de Bigeard la gagnent. Ils neutralisent le FLN dans ses bastions névralgiques. Etape suivante : « nettoyer les douars et le djebel ». L’armée « gouverne ». Stratège, elle appelle à ses côtés des musulmans afin de constituer des « unités supplétives » : ce sont les harkis, dont le sort après la guerre sera monstrueux. Injustement abandonnés par la France, ils seront torturés et massacrés par dizaines de milliers par un FLN vainqueur. La « bataille des frontières » (avec la Tunisie) fait rage. Le gouvernement de Félix Gaillard est renversé. Celui de Pierre Pflimlin, symbole de l’abandon de l’Algérie, est redouté des « pro » Algérie française (l’armée et les Pieds-Noirs), qui créent un comité de « salut public » avec à sa tête le député Pierre Lagaillarde (futur cofondateur de l’OAS avec Jean-Jacques Susini). Le 13 mai 1958 voit l’attaque le Gouvernement général à Alger, symbole du pouvoir parisien, qui frémit. 

     

    De Gaulle aux affaires

    Les gaullistes fomentent le retour du général. En arbitre, le général Salan déclare « prendre provisoirement les destinées de l’Algérie française »… et achève son discours par un timide mais retentissant « Vive de Gaulle ! », qui signe le retour du grand Charles aux affaires, comme président du Conseil dès le 1er juin. Ils se rend immédiatement à Alger. Un rêve de fraternisation entre « tous les Français à part entière » bat de l’aile, et survit avec peine, « de Dunkerque à Tamanrasset », dans les discours vibrants du général. Le fameux « Je vous ai compris » (prononcé à Alger) deviendra vite un je vous ai trahis dans la conscience pied-noire. La constitution (sur mesure) de la Ve république est approuvée le 4 octobre. 

     

    La stratégie de l’abandon

    Le FLN, en exil à Tunis, créé le Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA). Ferhat Abbas, son chef, décide de porter la guerre également sur le sol français. À Paris, le « réseau Jeanson », les « porteurs de valises » (augurant « le manifeste des 121 ») aident le FLN. De Gaulle en appelle à « la paix des braves » afin de désarmer les maquisards hésitants de l’ALN. Peine perdue. Paul Delouvrier remplace Salan au poste de délégué général du gouvernement. Le général Challe est commandant en chef. Mission : écraser l’ALN. Les paras continuent de faire « le sale boulot », notamment en Kabylie et dans les Aurès. Lorsque de Gaulle propose un référendum sur l’autodétermination le 16 septembre 1959, le peuple pied-noir s’insurge avec force et dresse à nouveau des barricades. Pierre Lagaillarde et Jo Ortiz résistent. De sauveur, de Gaulle devient l’homme à abattre. En face, Houari Boumédienne tient son armée. Les Pieds-Noirs se découvrent de nouveaux ennemis : l’armée, les gardes-mobiles et les CRS. Le 22 avril 1961, « un quarteron de généraux en retraite » (Zeller, Challe, Jouhaud et Salan) font un putsch qui sera un flop au bout de 4 jours. Le « pronunciamento militaire » est peu suivi par les gradés. Même Hélie de Saint-Marc se rend : il ne veut pas de la guerre. L’état d’urgence est décrété. Des grèves générales monstrueuses sont très suivies. L’OAS est créée (lire page 50). Salan la dirige. Des plasticages à répétition ont lieu jusqu’à Orly. La terreur répond à celle qui continue d’être semée par le FLN. Avec les mêmes armes honteuses. Discours y compris : « Tout ce qui n’est pas Algérie française est ennemi ». La manifestation du FLN à Paris, le 17 octobre 1961, tourne au massacre : la police tue plus de 50 personnes. Les accords d’Evian du 18 mars 1962 sur « l’avenir d’une Algérie souveraine et indépendante » sont signés. Krim Belkacem, l’homme du 1er novembre 1954, a le sourire. De Gaulle renonce au pétrole du Sahara et aux essais nucléaires. Avec la fin des combats, le cessez-le-feu est déclaré sur tout le territoire. Il n’est pas respecté. L’OAS poursuit sa politique désespérée et aveugle de la terre brûlée. Appelle les civils à la révolte. Joue son va-tout. Le 26 mars 1962, l’armée française tire sur la foule pied-noire, rue d’Isly à Alger (lire p.51). Un accord est signé entre le FLN et l’OAS le 17 juin. Baroud « d’horreur » : l’OAS incendie le port d’Oran et disparaît. Les Pieds-Noirs continuent de fuir massivement « leur » pays. Le 1er juillet, l’indépendance est proclamée.

     

     

  • Une identité en péril

    Papier paru dans le hors-série Pieds-Noirs, histoire d'une déchirure, de L'EXPRESS. (Rédaction en chef : Philippe Bidalon et Léon Mazzella). En vente en kiosque pendant trois mois => Courez-y! 

    gde0011_001.jpgUn travail de mémoire et d’entretien de celle-ci s’opère depuis cinquante ans, par le biais notamment d’associations et de revues. Capital, cette quête des origines qui anime certains « descendants » de pieds-noirs, est ravivée par la disparition annoncée d’une communauté –au sens strict -, à l’horizon 2062, centenaire du grand départ. Par Léon Mazzella

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    L’acteur Daniel Auteuil naquit « par hasard » à Alger en 1950, lorsque ses parents, chanteurs, y résidaient provisoirement. De là à le considérer comme pied-noir, il n’y a qu’un pas audacieux que la « diaspora » aime bien franchir afin de grossir artificiellement ses rangs, histoire de s’enorgueillir de compter des stars, des people, des gens biens, des pieds-noirs recommandables. Analysons ce réflexe. Il exagère chouia (le pied-noir exagère tout, de toute façon). Exprime une sorte de revanche sociale, un déficit à combler, une conduite à racheter, au nom d’une culpabilité induite, d’une honte bue mais jamais éliminée, d’un complexe d’être, aux yeux des « Français de France », ces (« sales ») pieds-noirs, un million d’hommes et de femmes qui furent parfois maltraités dans un hexagone qui les accueillit globalement à contrecoeur. Dire qu’il s’agit d’un juste retour des choses pour une communauté ayant maintenu la population algérienne sous le boisseau serait par ailleurs aussi hâtif qu’hasardeux.

    INTRANQUILLES LOCATAIRES

    Ainsi, les pieds-noirs se sont-ils toujours faits tout petits, afin de se faire accepter, de se faire « aimer » par l’autre. La peur d’être à nouveau rejetés ailleurs, exilés une nouvelle fois, et repoussés au quotidien, appartient à leur inconscient. Cette crainte sociologique a été en effet largement partagée, dès leur arrivée sur le sol métropolitain en 1962. Rappelons que leur histoire est celle d’un peuple bigarré qui investit un sol qui ne sera jamais vraiment le sien, une terre qu’ils s’approprient certes, mais dont ils savent qu’ils sont les locataires seulement, et que leur bail a une durée déterminée, dont la date n’est pas fixée. Les pieds-noirs ont par conséquent toujours vécu dans une sorte de qui vive, comme les Napolitains qui gardent constamment au fond de leur conscience la possibilité d’une nouvelle éruption du Vésuve. Carpe diem (et memento mori). L’histoire les expulse en 1962. Ils arrivent ailleurs, en « terre mère » soi-disant, dans leur patrie, et celle-ci s’avère étrangement étrangère, voire hostile. Jean-Jacques Gonzales, auteur d’un tendre « Oran » (Séguier), ville qu’il quitte à l’âge de 11 ans, a des mots d’une grande justesse pour résumer l’absurdité de cette situation historique, dans le superbe ouvrage collectif « Algérie 1954-1962 », placé sous la direction de Benjamin Stora et Tramor Quemeneur (Les Arènes) : « Et puis il y a l’école, où l’on ne nous apprend rien de l’Algérie, mais tout de cette France que nous ne connaissons pas. Un truc dingue, schizophrénique. Ensuite la guerre, atroce, horrible. Mais je me disais qu’elle devait m’amener au paradis, dans cette France des livres, du savoir. Une fois arrivés, on nous a dit que nous n’étions pas chez nous. En fait, chez nous, maintenant, c’était nulle part. »

    LA « NOSTALGÉRIE »

    Néanmoins, les pieds-noirs ne se laissent pas abattre et font montre d’une belle énergie. Ils se refont la clémentine, tant bien que mal, en gardant les stigmates d’un passé qui ne passe pas, en ayant l’esprit du guetteur chevillé au corps. Sans cesse en alerte, ils ne connaissent jamais la paix, sinon dans le souvenir de là-bas. Ce syndrome génère vite une maladie qui semble incurable, communément appelée « nostalgérie ». Certains entretiennent le virus, car ce peut être un mal délicieux qui procure un bien étrange... L’entretien du souvenir d’un paradis perdu connaît un essor formidable avec la multiplication de rencontres, colloques, rassemblements parfois monstres, qui se tiennent dans des centres à forte densité de pieds-noirs comme Narbonne, Nice, Montpellier et Nîmes. Les  voyages organisés pour retourner « là-bas » connaissent eux aussi un beau succès, bien que tous ces événements aient aujourd’hui tendance à se raréfier, par manque croissant de participants... Ils sont par ailleurs l’occasion de retrouver les « pieds-verts », cette population très minoritaire (environ quelques dizaines de milliers après 1963, quelques centaines aujourd’hui) de pieds-noirs ayant choisi de rester en Algérie et auxquels Assiya Hamza consacre un livre de témoignages émouvant, « Mémoires d’enracinés » (Michalon). La littérature pied-noire, ou plutôt les livres sur le sujet, sont légion. Nombre d’entre eux sont autoédités et n’ont aucune prétention littéraire. Leur dessein est d’entretenir, encore et toujours, le souvenir. Maurice Calmein et Christiane Lacoste-Adrover, dans leur ouvrage « Dis, c’était comment l’Algérie française ? » (Atlantis) ont dénombré 800 associations de pieds-noirs et de Français musulmans « repliés » d’Algérie. Les premières ont eu pour but de veiller aux intérêts matériels des rapatriés, les fameuses « indemnisations » des biens laissés en Algérie, que l’Etat français mettra de nombreuses années à rembourser, au compte-goutte et de façon souvent symbolique, voire indigne, augmentant ainsi la rancœur de pieds-noirs régulièrement enclins à exprimer leur colère par le vote sanction pur –celui qui est dénué d’idéologie ou de conviction politique précise mais qui constitue l’expression solidaire d’un poids électoral certain. Ces associations se nomment ANFANOMA (Association nationale des Français d’Afrique du Nord), RANFRAN (Rassemblement national des Français d’Afrique du Nord), rivales, puis rassemblée sous le label FNR (Front national des rapatriés) créé en 1969 par le général Edmond Jouhaud. Puis ce sera le RECOURS en 1974 (Rassemblement et coordination unitaire des rapatriés et spoliés), toujours à l’appel de Jouhaud, et que présidera Jacques Roseau, ex-OAS assassiné en 1993 par… l’OAS (lire page 53).

    Les associations de défense des Français musulmans ne sont pas en reste, notamment celles qui prennent la défense des malheureux harkis (ils sont 60 000 à toucher le sol français en 1962), comme Collectif Justice. Ou encore la dynamique association ANEH (Association nationale des enfants de harkis). Mais la plupart des associations sont apolitiques et parlent davantage kémia, soleil et du bon temps « quand on était là-bas » lors de leurs assemblées générales. Ce sont des amicales. Très nombreuses, certaines d’entre elles éditent leur propre bulletin de liaison (lire encadré). En parallèle, il faut saluer l’initiative d’envergure d’un Joseph Perez, qui, avec son association CDHA (Centre de documentation historique sur l’Algérie, installé avec sa propre bibliothèque à Aix-en-Provence) effectue depuis quarante ans un travail mémoriel prodigieux, de collection de documents de toutes sortes. Ses fils Gilles et Cyrille Perez, sont notamment les auteurs d’un long documentaire sur les pieds-noirs qui fait date (lire page 58), preuve que certains membres de la génération des quadras-quinquas d’aujourd’hui s’intéresse activement au sujet. Prochaine étape, capitale pour le président du CDHA : achever et inaugurer (en 2015, à Aix) un site mémoriel, placé sous l’égide de la Fondation de France, le Conservatoire national de la mémoire des Français d’Afrique du Nord, qui devrait devenir le centre de documentation le plus riche sur le sujet.

    UNE QUÊTE IDENTITAIRE

    Paradoxalement, les pieds-noirs se font donc tout petits d’un côté, et d’un autre, leur façon d’être exubérante, « forte en gueule », témoigne d’une véritable affirmation identitaire. La culture pied-noire, à travers le cinéma, la chanson, le café-théâtre, l’oralité –un accent reconnaissable entre tous, a véhiculé et progressivement imposé leur présence solaire sur le sol français. Les rapatriés se sont fait leur place loin du soleil de là-bas, dont chacun affirme qu’« il ne brillait pas de la même façon qu’ici ». Et leur belle énergie a dopé plusieurs secteurs de l’économie et certaines régions, comme la filière viticole (Languedoc-Roussillon), la culture des agrumes (Corse), l’immobilier ici, le petit commerce là... Les pieds-noirs se sont révélés doués pour créer et piloter des PME, et leur efficacité dans les professions libérales (médecine, droit) n’a jamais été démentie. Certes, la France des Trente Glorieuses renouait avec la prospérité, mais elle n’avait nullement besoin d’un million de pieds-noirs. Ces derniers participèrent néanmoins d’une croissance qui dépassa 6%. La galerie de portraits, dans des domaines divers, qui suit ces pages le démontre de façon sélective mais éloquente.

    La génération des enfants et aujourd’hui des petits-enfants, voire des arrière petits-enfants des pieds-noirs arrivés sur le sol métropolitain en 1962 s’interroge. Notons d’ailleurs que les descendants de harkis sont animés de la même quête identitaire.  Dépassionnée, sereine, légitimement curieuse, elles sont avides de savoir. Certes, seule une minorité effectue des recherches ou bien accomplit la démarche du retour sur la terre de naissance de leur famille, si possible en compagnie d’un parent qui consent à effectuer un voyage de toute façon douloureux, « avant qu’il ne soit trop tard » (lire à ce propos le roman d’Anne Plantagenet, voir page 73). Plus étonnant encore, certains jeunes « descendants » de pieds-noirs, âgés d’une vingtaine d’années à peine, agitent le spectre de l’oubli, expriment une demande de « transmission », de réappropriation identitaire, que celle-ci passe par la cuisine ou par l’histoire. Ce ne sont pas des cas isolés. Ils manifestent ce désir ardent de connaître la terre de leurs proches ancêtres –d’où ils proviennent, donc leur propre histoire, et envisagent eux aussi, peut-être sans parent, de faire le voyage (initiatique) du retour, afin de vérifier que là-bas ce n’est pas nulle part et que la notion de racines peut revêtir bien des aspects. L.M.

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    Le rôle social des bulletins de liaison

    Le plus connu est « L’Echo de l’Oranie », qui atteignit des pics de vente de 50 000 exemplaires, uniquement sur abonnement, réalisée à Nice depuis 1963. Il traite d’histoire, d’archéologie, de cuisine, de littérature, de pataouète –et il publie surtout un carnet. Celui-ci est précieux, car il permet à la « diaspora pied-noir » de savoir qui meurt et qui naît ! Il est aussi précieux que ces mêmes pages dans n’importe quel quotidien régional. Ce rôle est singulièrement accru à une période où la génération active en 1962 disparaît peu à peu. Le rôle social de ces journaux, primordial, est aussi de permettre aussi aux uns et aux autres de se retrouver, de reprendre contact, au moins de savoir « ce qu’ils sont devenus »... Aujourd’hui, la course contre la montre a commencé : afin d’éviter que la mémoire sombre dans l’oubli en partant dans la tombe, ces journaux constituent une précieuse source d’informations sur la vie d’une communauté qui s’éteint. Au sens strict, les pieds-noirs sont devenus une « espèce » en voie de disparition. Si l’on considère en effet qu’un pied-noir est une personne née sur le sol algérien avant le mois de juillet 1962, et que l’espérance de vie raisonnable de l’être humain est d’environ un siècle, les derniers pieds-noirs disparaîtront dans cinquante ans et des poussières. Parmi les revues plus culturelles, outre « Mémoire vive », revue du CDHA (lire plus haut), « L’Algérianiste », revue du Cercle algérianiste se distingue en tenant le haut du pavé. Créé en 1973, cette revue-livre donne chaque trimestre son lot d’articles de fond sur l’Algérie, traitée sous tous ses aspects. Fort d’une quarantaine de cercles locaux répartis dans toute la France, le Cercle algérianiste, basé à Narbonne, organise nombre de colloques, conférences, rencontres théâtrales, cinématographiques, et décerne même un prix littéraire. Citons encore « Pieds-Noirs d’hier et d’aujourd’hui », et « Jeune Pied-Noir » qui demeurent des associations actives et qui ont édité des magazines éponymes. L.M.

  • Exode / L'exil et la haine

    gde0011_001.jpgPapier paru dans le hors-série Pieds-Noirs de L'Express. (Rédaction en chef : Philippe Bidalon et Léon Mazzella). En kiosque pour 3 mois depuis avant-hier :

    L'exode des Pieds-Noirs.pdf

    L’EXIL ET LA HAINE

    Par Léon Mazzella

    L’exode de l’été 1962 rapatrie 800 000 Pieds-Noirs valise à la main sur les côtes métropolitaines. Ils sont loin d’être les bienvenus.

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    Les Pieds-Noirs, bien avant qu’on les désigne ainsi, ne possédaient rien lorsqu’ils sont arrivés sur le sol algérien. « On a tout construit, petit à petit, on s’est créé quelque chose à nous, et puis un jour, 130 ans plus tard, on nous a dit de partir en laissant tout sur place. On a du tout abandonner », déclare une rapatriée dans « Les Pieds-Noirs. Histoire d’une blessure », un film signé Gilles Perez. Ils ont tout perdu, et ils se sont retrouvés « une main devant, une main derrière », « avec juste les yeux pour pleurer », selon les formules bien connues. Alors, après 1962, ils se sont murés dans le silence, ils se sont fondus tant bien que mal dans un pays qui ne les accueillait pas avec enthousiasme. La plupart se sont tus pendant plus de 40 ans ; ils se réunissaient entre eux pour se tenir chaud au cœur. 

    À l’école, en Algérie, on leur apprenait les départements de métropole, mais rien sur l’Algérie, leur pays de résidence. Ils n’ont pas appris un mot d’Arabe non plus, et ce fut sans doute l’une des plus graves erreurs de la colonisation : ne pas apprendre la langue de l’Autre, qui est chez lui et chez lequel on s’invite... 

     

    La valise ou le cercueil

    À partir du 13 mai 1958 et du fameux « Je vous ai compris » prononcé par de Gaulle, qui fut suivi de tant de trahison et d’abandon, ils ont compris à leur tour. Les accords d’Evian du 19 mars 1962 sont venus précipiter les choses. Un faux cessez-le-feu suivi d’attentats, d’enlèvements sauvages, le massacre de la rue d’Isly à Alger, l’OAS qui donne le change au FLN en utilisant les mêmes armes atroces, le massacre du 5 juillet 1962 à Oran enfin – juste après l’indépendance, précipitent un départ définitif aux accents de délivrance. 

    Ils eurent droit à une valise, car le mot d’ordre était « la valise ou le cercueil ». Et que met-on dans une seule valise, se demande l’un d’eux ? Un disque des Chaussettes noires ? Un ourson en peluche ? Des vêtements chauds parce qu’en France métropolitaine il fait froid ? Le train électrique du petit, qui voyagera dans un couffin ? Des photos encadrées des parents défunts? Trois fois rien. Si ! Les clés de la maison, quand on ne l’a pas brûlée, avec la quatre-chevaux, pour ne pas « leur » laisser... Rien, c’est-à-dire un siècle dans une valise. 

    Dans « Le Onzième commandement » (Gallimard), André Rossfelder résume une certaine haine d’un côté de la Méditerranée : « Une vieille dame d’Oran se présente sur le quai du départ avec son chien et sa valise (limitée à 10 kg). ‘’C’est le chien ou la valise’’, dit le gendarme rouge. Elle jette rageusement la valise à la mer. Il abat le chien. ‘’Trop lourd !’’ » La tension est à son paroxysme, chaque jour de cet été 62, sur les quais des ports algériens. La peur au ventre d’être enlevé et de « disparaître » depuis des mois, avant ou après l’heure du couvre-feu, un peuple étourdi, abasourdi, ne comprend pas tout, sauf qu’il sait qu’il doit tout laisser derrière lui précipitamment, sauf son cœur, son enfance, sa jeunesse – ça ils sentent tous que c’est impossible autrement. Peu nombreux sont les Pieds-Noirs qui pensent revenir bientôt ici, chez eux. Ce n’est plus chez eux. Est-ce que cela l’a été un jour, telle est la vraie question. Ils se la poseront plus tard. Pour l’heure, il faut sauver sa peau, rien de moins, rien de plus.

    90% des Pieds-Noirs prennent le bateau, le Ville-d’Oran, le El-Djezaïr, le Jean-Laborde... Ou plutôt s’entassent par milliers (jusqu’à 2630 dans les flancs et sur les ponts du Kairouan et ses 1172 places autorisées, le 26 juin), offrant de funestes allures d’ « Exodus » à ce grand départ inassouvi. « Les gens montaient la passerelle en courant, en criant, en pleurant », écrit Daniel Saint-Hamont dans « Le coup de sirroco » (Fayard), qui deviendra un film emblématique pour la diaspora pied-noire.

    La plupart des navires font route vers Marseille, car les quais de la Joliette sont historiquement le passage obligé des hommes et des biens depuis des siècles et que la cité Phocéenne a été désignée ville de transit des rapatriés d’Algérie par le gouvernement. Les Pieds-Noirs les plus riches (à peine 10% d’entre eux) quittent l’Algérie en avion, ils prennent place à bord d’une Caravelle ou d’un Constellation à l’aéroport de La Sénia (Oran) ou celui de Maison-Blanche (Alger). Mais quel que soit le mode de transport, ce qui attend 1,230 million de Pieds-Noirs aux quatre coins de la France ne ressemble en rien à un accueil à la Tahitienne.

     

    « Il faut jeter les Pieds-Noirs à la mer »

    Sur place, il n’y a presque aucune assistance, psychologique ou autre, comme il en existe désormais au moindre accrochage automobile, excepté celle de la Croix Rouge, qui fut d’une grande efficacité. Personne n’attend les Français d’Algérie, citoyens de trois départements, au même titre que les Bouches-du-Rhône, en cette période estivale, de vacances. Ils sont parfois « accueillis avec des cris de haine », pour paraphraser les derniers mots de « L’Etranger », de Camus. 

    Ils arrivent, précédés de mots terribles prononcés à leur encontre, comme celui de Jean-Paul Sartre, en pleine guerre d’Algérie, qui restera dans les mémoires : « Un Français mort, c’est un Arabe libre ». Le maire de Marseille, Gaston Defferre, aura des mots très durs à l’encontre de ses compatriotes : « Que les Pieds-Noirs quittent Marseille en vitesse, qu’ils essaient de se réadapter ailleurs et tout ira pour le mieux », pouvait-on lire à la Une de « Paris-Presse » du 27 juillet 1962. Une autre phrase, de sinistre mémoire, est attribuée à Defferre : « Il faut jeter les Pieds-Noirs à la mer »… Des plaques d’égout sont posées contre les portes d’appartements marseillais occupés par des rapatriés. Par milliers, ils débarquent chaque jour, épuisés, hébétés, traumatisés, sur les quais des ports français, et Marseille fait figure d’une étrange Ellis Island (*). « La plupart des gens semblaient ignorer que nous étions Français comme eux. D’autres s’étonnaient que nous ne soyons pas Arabes, d’autres encore nous imaginaient avec la peau noire », déclare une femme dans le documentaire de Gilles Perez. L’historien Jean-Jacques Jordi, auteur de « 1962 : l’arrivée des Pieds-Noirs » (autrement), précise dans le film que certains conteneurs étaient volontairement trempés dans l’eau du port avant d’être posés à quai, ou bien étaient jetés de haut… Les dockers déclenchèrent de surcroît plusieurs grèves. « Il fallait désengorger Marseille, puis les départements voisins », dit-il. Certains sont immédiatement envoyés d’autorité à Nevers, Laval, Auch, ou dans un village du Jura… Le mot d’ordre est « dispersion » davantage que bienveillance. Sur place, des dortoirs sont improvisés, notamment dans les hangars (dont le célèbre J4) des môles de La Joliette, et séparent de façon injustifiée les femmes et les enfants des hommes, ajoutant à la douleur une humiliation violente et gratuite. Une parmi d’autres. Cet exil touche alors à l’absurde, puisque les Pieds-Noirs sont des Français chassés d’un bout de France et qui arrivent en métropole ! Ils sont cependant perçus comme des étrangers et eux-mêmes se sentent tout de suite étrangers en terre métropolitaine. La métaphore de l’arbre que l’on transplante, soulignée par un Oranais dans le film précité, est juste : « il ne repart pas avec la même vigueur, ou alors il meurt ». Car si l’accueil qui leur fut réservé fut excellent en Corse – rappelons que l’île de Beauté contribua beaucoup à peupler l’Algérie coloniale-, et très bon à Toulouse et à Strasbourg, il fut désastreux dans de nombreux endroits, outre Marseille. 

     

    « Moi, je ne loue pas aux Pieds-Noirs »

    D’autres témoignages du film de Perez, comme celui de Gérard Bengio, 13 ans en 1962, montrent la violence d’un racisme qui ne dit pas son nom : avec son frère aîné, ils furent interdits de cours d’histoire-géo, au lycée d’Anglet (Pyrénées-Atlantiques) au motif que le professeur, membre du parti communiste, « ne souhaitait pas avoir des colonialistes tueurs d’Arabes dans son cours ». De même, il fut refusé à sa famille la location d’un pavillon : « Je ne loue pas à des Pieds-Noirs », avait déclaré le propriétaire. Ces exemples sont légion, et s’ajoutent à la rigueur historique de l’hiver 1963. Jean-Jacques Jordi : « la société française reporte à cette époque-là tous les maux aux Pieds-Noirs », sauf peut-être la neige qui tombe en abondance. « L’augmentation du prix du panier de la ménagère ? – C’est la faute aux Pieds-Noirs. Celle de l’immobilier, idem. » Ajoutons avec perfidie l’augmentation marseillaise –avérée - des tarifs hôteliers et des courses en taxi… Le rejet du rapatrié confine au racisme. « Sales Pieds-Noirs » devient une insulte courante, que l’on retrouve aussi sur certains murs. Le coup est particulièrement dur pour ceux qui connaissent déjà Marseille pour l’avoir libérée 18 ans plus tôt. Il s’agissait d’un autre débarquement. Aux six coins de l’hexagone, de nombreux gamins connaîtront l’humiliation d’être déchaussé de force à l’heure de la récré afin de montrer la couleur de leurs pieds… Le racisme se double parfois d’une aberrante bêtise. Ces humiliations firent naître la honte d’être Pied-Noir. Raciste, fasciste, « gros-colon-qui-a-fait-suer-le-burnous », OAS…  Sont autant d’insultes qui conduisent les Pieds-Noirs « à se faire le plus petit possible, à tenter de passer inaperçus », déclare un rapatrié dans le film de Gilles Perez. A cacher ce qu’ils sont. « Le plus extraordinaire », poursuit cet Algérois anonyme, « est que l’on soit parvenu à culpabiliser la victime. Car nous avions tous, à force, le sentiment profond d’être coupable de quelque chose. » 

    Jeannine Verdès-Leroux, auteur des « Français d’Algérie » (Fayard) déclare que d’aucuns « souhaitaient que les Pieds-Noirs aillent en Amérique du Sud, puisque c’était tous des fascistes, tous des membres de l’OAS !.. » Selon un autre historien, Alain-Gérard Slama, auteur de « La Guerre d’Algérie. Histoire d’une déchirure » (Gallimard), « les Pieds-Noirs anéantis partent pour la plupart vers l’inconnu ». Seuls Raymond Aron et Alain Peyrefitte ont prédit leur retour massif, qui inquiète les politiques. Slama : « Au cours du conseil des ministres du 18 juillet 1962, de Gaulle souhaite leur retour en Algérie. Louis Joxe, méfiant à l’égard de cette ‘’mauvaise graine’’, estime qu’il vaudrait mieux ‘’qu’ils s’installent en Argentine, ou au Brésil, ou en Australie ‘’. ‘’Mais non ! rétorque de Gaulle. Plutôt en Nouvelle-Calédonie. Ou en Guyane !’’ »

     

    « Qu’on les écrase ! »

    L’amalgame est sévère, en 1962, et une presse à front bas s’en fait l’écho. François Billoux, député communiste des Bouches-du-Rhône et directeur politique de « La Marseillaise », écrit : « Ne laissons pas les ‘’repliés’’ d’Algérie devenir une réserve de fascisme ». Le quotidien L’Humanité est aussi virulent, qui n’hésite pas à publier des caricatures montrant les premiers « rapatriés » débarquant en France, ornés d’une croix gammée (dessin paru le 6 janvier 1962 –déjà !). Libération titre quant à lui :  « Qu’on les écrase !»…

    Arrivés en France contre vents et marées, violence et sarcasmes, mépris et refus, les Pieds-Noirs sont donc repartis à zéro. La plupart connurent de grandes difficultés à trouver l’essentiel : un logement et un travail. Se refaire la cerise, ou plutôt la clémentine, représenta un exploit pour beaucoup, car aucun n’était au bout de sa peine… 

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    (*) l’île par laquelle tout émigrant entrant aux USA doit passer pour obtenir son viatique.

     

    POUR ALLER OÙ?

    Voici ce que l’écrivain Jules Roy, auteur de nombreux ouvrages sur l’Algérie, notamment la saga « Les Chevaux du soleil » (Grasset), alors reporter à L’Express, écrivit dans nos pages le 1er juillet 1962 depuis Marseille : « Voilà, ils sont partis parce qu’ils ont peur. Jusqu’au 1er juillet, cette peur va grandir et prendre des allures de panique. La raison ne les atteint pas plus qu’autrefois, et ils osent à peine voir cette ville que beaucoup d’entre eux ne connaissent pas, cette cathédrale en stuc gris, ces docks giflés par le mistral. Ce qui les rattache encore à l’Algérie, c’est l’eau du port et le bateau dont ils ont à présent tant de mal à s’arracher. Pour aller où ? Chargés de leurs maigres biens, de matelas, tirant derrière eux des chiens ou soutenant des infirmes, ils avancent en cahotant, ivres de douleur. Vous pourriez supporter ce spectacle, vous ? Moi pas, parce que ce sont les miens, que je leur ai annoncé tout ça s’ils ne partageaient pas ce qu’ils avaient avec les Arabes, et qu’à présent leur malheur m’accable avec eux. »

  • Choses vues à Amsterdam

     

    J'ai vu des trucs rigolos à Amsterdam le week-end dernier : une guimbarde havanaise. U

    n frère de nuit. Un héron climatisé devant une poissonnerie au marché Pijp (ah, les harengs frais aux oignons!..). Des tulipes bien sûr (pas rigolo, ok). Une Cinquecento en vitrine (ça change des péripatéticiennes du quartier rouge). Une occasion de ne pas boire de la bière mais un très bon vin blanc hollandais, si si! Un air de Naples dans le Waterland peuplé de beau linge : oies, canards de diverses sortes - et de limicoles aussi. Ces colverts, c'est depuis un bar que je les chope en vol, oui un bar, situé à un jet de galet du petit ferry qui nous envoie de l'autre côté du centre, depuis la gare ou par là. Un musée d'art contemporain baignoire. Un IMG_0237.JPGIMG_0241.JPGIMG_0261.JPGIMG_0274.JPGIMG_0278.JPGIMG_0332_2.JPGIMG_0448.JPGIMG_0429.JPGIMG_0337.JPGIMG_0359.JPGIMG_0379.JPGIMG_0389.JPGValloton franc de la fesse molle (oui, je sais, je fais mon snob : ayant raté l'expo à Paris, je suis allé la voir à Amsterdam. Carrément - au musée Van Gogh, et ouais : prononcez van-kkhhheeuuhh comme si vous crachiez un vieux glaviot n°3 dans les tournesols arlésiens). Des sucettes à l'amende (même pas!). Des lieux d'aisance aériens. Des vélos partout, même là. Un commerce de bouche qui ne vexera personne.

    Une injonction paradoxale dans la ville de la fumette. Un canard vénitien sans lecteurs. Un bar à tapin (ça change des tapas). Un disquaire qui aime beaucoup King Crimson! Une banque avec des racines (sans doute un Crédit agricole local. Non?.. - Ah bon). Mon IMG_0393.JPGIMG_0413.JPGIMG_0421.JPGIMG_0517.JPGIMG_0527.JPGIMG_0532.jpgIMG_0533.JPGIMG_0544.jpgIMG_0559.JPGIMG_0560.JPGpote Spinoza! Un magasin avec que des capotes à vendre.
    Et enfin Le vieil homme (et la mer) de retour au port avec son marlin même pas bouffé par les requins! Happy Gregorio...

  • Oran A/R

    téléchargement.jpegUne main amie, qui sait, m'avait adressé ce livre. Trois jours à Oran, d'Anne Plantagenet (Stock), trouble ceux qui, comme moi, avaient projeté de retourner à Oran avec leur père : c'est la trame du roman, sauf qu'il s'agit d'un vrai voyage, réalisé en 2005, du père (né là-bas) avec sa fille sur la terre des origines. La fille (l'auteur) a toujours entretenu des relations ambiguës avec l'idée de l'Algérie, son appartenance pied-noir, le désir de connaître Oran et plus précisément Misserghin (il se trouve que ma propre famille possédait aussi une propriété au village de Misserghin, sur les hauteurs d'Oran. Misserghin et sa Vierge, ses orangers, ses clémentiniers surtout... Et que le roman d'Anne Plantagenet me fut par conséquent infiniment troublant, confondant même, au fil des pages). Le talent de ce livre est d'être dénué de pathos et de décrire un homme (qui est le contraire du pied-noir caricaturé à l'envi par une filmographie, des chansonniers, une forme de racisme mou, larvaire, qui eut cours...), un homme d'abord sceptique, puis heureux d'accomplir cet acte fort. Et d'une fille en observation, en voyage de reconnaissance des noms de lieux (La Sénia, la Place d'Armes, Aïn Témouchent, la rue d'Arzew, la plage des Andalouses, la rue du Général-Leclerc, le boulevard Front-d'mer, les arènes d'Eckmühl...), en vérification sensible, sensuelle, des faits : les lentilles (du premier janvier), la mouna de Pâques à Santa-Cruz, les migas... Des odeurs aussi, et des sons, des impressions tant de fois imaginées à travers les récits de sa grand-mère. Cela rend touchant ce bref roman à l'écriture simple et comme mise à distance sans être froide pour autant. Le fameux mot de René Char, La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil, trouve ici tout son sens. (Moi aussi, j'irai passer trois jours à Oran avec ma fille).

     

  • Les Français d'Algérie, de Pierre Nora

    images.jpgDécevant. Nous avions tant attendu (des années!) la réédition de ce livre épuisé depuis des lustres... Pierre Nora, brillant historien et essayiste que nous savons, académicien, manitou de la non fiction chez Gallimard, pilote emblématique de la somme éditoriale intitulée Les lieux de mémoire... Donnait son premier livre en 1961 avec ces Français d'Algérie. Il était alors enseignant à Oran. Le livre parut juste avant le putsch d'un quarteron de généraux à la retraite. Son analyse de la société pied-noir est à ce point méprisante (cette société-là semble lui inspirer le dégoût caractéristique de cette gauche bourgeoise qui affecte de ne pas prendre le métro, qui vit dans le 7ème à Paris tout en affichant des amitiés avec le peuple socialiste), qu'on se demande en tournant les pages pourquoi il se livra à une telle étude. Les Français d'Algérie reparaît donc, augmenté d'une préface (Cinquante ans après) et surtout d'une lumineuse longue lettre inédite (trente pages) de Jacques Derrida adressée à son ami Nora (Bourgois, 17€). Le propos s'éloigne d'emblée, à nos yeux, de la notion ethnographique de terrain, car l'historien semble se pincer le nez devant son sujet -il eut mieux fait d'aller exercer son jeune talent sur les rives plus lisses (quoique) du Lac Léman. Oui, le petit peuple d'Algérie que décrivit si admirablement Albert Camus (que Nora déglingue comme il déglingue -curieusement- Germaine Tillion) avait sa structure sociologique propre, extrêmement humble dans son écrasante majorité, qui n'était pas franchement celle des CSP++ d'aujourd'hui, sinon ils n'aurait pas quitté l'Europe des années 1830 et suivantes pour aller retrouver fortune, tenter sa chance, se refaire la cerise, manger à sa faim, fuir des persécutions politiques, dans ce qui figurait un nouvel Eldorado, un Far-West transméditerranéen. Cela, Nora semble l'occulter et c'est dommage. Car, à l'évidence, ce peuple (contexte de l'époque) était populiste comme on fut plus tard poujadiste en métropole, certes il fut antisémite à la marge, lorsqu'à Paris on dénonçait à tout va et on collaborait copieusement, certes il n'avait pas la culture des étudiants de la rue d'Ulm, certes il eut parfois des comportements comparables à ceux qui furent constatés à des époques semblables en Indochine, en Inde, au Sénégal et dans toutes les colonies. Oui, certains pieds-noirs furent un brin militaristes, anti-parisiens, anti jacobins, un peu Corses dirons-nous, voire autonomistes mais avec ambiguité : en acceptant les subsides de la maison mère, ce qui peut à la limite se traduire par du cynisme mais qui fut je crois de l'opportunisme basique. En historien contemporain qui travaille sur le vivant, Nora se confronte en filtrant, semble-t-il. Parfois, il donne l'impression d'avoir bossé à l'hygiaphone plutôt qu'au microphone et au carnet de notes. La presse qui fit écho du livre (admirable papier de Jean Lacourure dans Le Monde du 29 avril 1961) n'épargnât pas davantage Nora que Derrida ne le fit, mais ce dernier avec une condescendance amicale, dans sa longue lettre qui égratigne profondément, mais avec respect, le propos. Nora semble mettre dans le même panier (le préjugé et la tentation à généraliser sont pourtant des écueils faciles à éviter, car spectraux), les colons, les militaires, les gouverneurs et tous les autres. Le "tous colons", tous pourris affleure à certaines pages et c'est le plus surprenant, venant de la plume d'un grand esprit de ce temps; déjà. La vulgarité populaire dégoûte l'historien qui devrait a minima garder la distance nécessaire, indispensable avec son sujet. Certes l'analyse est fine, construite, nourrie, souvent brillante, même si elle comprend de grosses lacunes (pas un mot sur le FLN par exemple). La démonstration de l'intégration comme mythe de compensation, celle de l'existence tenace et farouche d'un certain paternalisme autoritaire représentant un idéal de justice, qui dédouanait cette communauté de son racisme ordinaire, sont admirables d'intelligence, autant que sont captivantes, ébouissantes, les analyses de la distance raciale et sociale des Français d'Algérie avec les Arabes. L'historien (trop sérieux?) est cependant mal à l'aise, voire affligé lorsqu'il cite l'humour simpliste et désespéré d'un peuple qui répond par une boutade à des propositions (déjà décidées), de De Gaulle : Autodétermination?.. Et pourquoi pas bicyclette-détermination! Nora condamne par ailleurs de la même manière le moralisme de Camus et celui des libéraux (une auberge espagnole, à vrai dire), comme il décrit de façon hâtive ce peuple de petits blancs humiliés et méprisants, leur hospitalité agressive, leur culte de l'individu, leur bonne conscience, l'affinité profonde, en leur sein, entre le soldat et le colon... Une phrase importante ouvre le livre : les Français d'Algérie ne veulent pas être défendus par la métropole. Ils veulent en être aimés. Elle est malheureusement laissée sur le bas-côté de l'analyse. L'objectivité glacée de Nora, comme le souligne Lacouture, manque de cette chaleur propre à la rue de là-bas. Et par voie de conséquence à une analyse talentueuse qui aurait été exemplaire si elle n'avait pas été -pour résumer; antipathique.

    PS : ce mépris du bout des lèvres, près d'un million de pieds-noirs l'ont ressenti de la part des "patos" (Français de France), lorsqu'ils débarquèrent au cours de l'été 62 en terra incognita ou presque, en terra "hostilita" surtout -à Marseille et partout ailleurs. Il s'est clairement apparenté à un racisme qui n'a jamais eu le courage de dire son nom.

    http://www.wat.tv/video/pierre-nora-francais-algerie-5m3ij_2iynl_.html


  • Lectures fortes

    images (5).jpegLectures fortes, importantes, de l'été : Le village de l'Allemand, de Boualem Sansal (folio), courageux, passionnant, vertigineux, superbement écrit, captivant; envoûtant même. Ce "Journal des frères Schiller", issus d'une mère algérienne et d'un père allemand dont ils ignoraient qu'il fut nazi avant de refaire sa vie dans le bled algérien est si émouvant qu'il en devient dérangeant. Il est de ces romans qui, une fois leur lecture achevée, continuent de nous parler des jours durant. Et réflechissez : ce n'est pas si courant.

    Le nom de trop. Israël illégitime? de Jacques Tarnéro (Armand Colin), chef-d'oeuvre d'érudition et de réflexions sur Israël depuis les origines, sa images (6).jpegperception par une certaine gauche, le danger islamiste (admirablement décrit aussi par Sansal -tant en Algérie que dans nos "cités"), l'assimilation dangereuse entre Israël et le régime nazi et beaucoup d'autres sujets qui devraient faire davantage débat (les menaces réitérées de l'Iran d'effacer Israël de la carte du monde, par exemple) et qui, curieusement, n'émeuvent pas outre mesure les opinions française et internationale... M'est avis que ce livre fera date. 

    Les pissenlits, de Yasunari téléchargement (1).jpegKawabata (Albin Michel), roman inachevé et d'une grande poésie où percent l'ellipse, la cécité, la folie heureuse ou bien naïve, les beautés de la nature, l'approche sereine de la mort.

    Total Kheops, de Jean-Claude Izzo (folio policier), premier volume de la trilogie marseillaise de Fabio Montale : il était temps que je m'y images (8).jpegplonge! -Quel plaisir, nom d'un p'tit bonhomme... On circule dans ses pages (et dans un Marseille dont on tombe forcément amoureux) comme dans un grand Fred Vargas : L'homme à l'envers par exemple, relu avant l'été just for pleasure). Je suis d'ailleurs en immersion dans Chourmo, le second volet de la trilogie qui s'achève avec Solea, du regretté Izzo. 

    Le garçon qui voulait dormir, d'Aharon Appelfeld (Points), l'immense écrivain s'autodécrit à travers les traits du jeune Erwin, 17 ans, recueilli en Palestine (encore sous mandat images (7).jpegbritannique) après la guerre, et qui commence une seconde vie déjà, au moment de bâtir Israël. L'adolescent ne trouve l'apaisement que dans le sommeil. Il semble vouloir oublier, tandis qu'il cultive inconsciemment les souvenirs. En réalité, la fuite inexorable et prégnante dans le sommeil lui permet de retrouver ses parents morts dans les profondeurs de la nuit, lui qui doit aussi désapprendre sa langue maternelle pour apprendre l'hébreu. C'est puissant et tendre à la fois, prodigieusement onirique et tendu, et à la fois accroché au réel. Un livre aussi bouleversant que l'inoubliable Histoire d'une vie, du même Appelfeld (Points).

  • A lire sur lemonde.fr

    Une tribune sur le 5 juillet 1962 à Oran : cliquez sur le lien ci-dessous pour pouvoir la lire (ou bien vous allez sur le site du Monde) : 

    http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/07/05/5-juillet-1962-souvenir-du-massacre-d-oran_1729190_3232.html


    En version papier (texte légèrement raccourci), cela donne ceci (page 15), mais une grève empêche Le Monde de paraître aujourd'hui. En vieil aficionado indécrottable de la presse écrite, je râle de ne pas pouvoir tenir le journal entre mes mains...

    LE MONDE 6:7:12.pdf

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