Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Flamenco

  • Un an plus tard

    Cliquez là => LE BRUISSEMENT DU MONDE

    Léon Mazzella capture quelques fragments du monde pour en saisir toute la volatilité sensuelle.

    Par THOMAS MORALES.

    Article paru dans Causeur.


    Le choix de la première chronique littéraire de l’année s’apparente à la cueillette des champignons, dans un sous-bois, à l’automne, quand la feuille morte rythme le pas, quand l’incertitude guide la main du critique. La pluie grise les sentiments, la nature protège et isole; le critique hésite, il tâtonne, il se rétracte parfois, puis il se lance, il a enfin trouvé le livre qui correspond à son souffle intérieur, à son émotion du moment, à sa volonté de ne pas ensorceler le monde. En 2021, l’esprit ne sera ni à la querelle incestueuse, ni à la légèreté béate, plutôt à la beauté qui s’efface peu à peu, elle s’échappe, nous le sentons charnellement, et pourtant, il faut la retenir, s’incliner une dernière fois devant elle, la remercier encore et toujours. Se rappeler que sans elle, nous sommes des êtres désarticulés, surnuméraires fantômes. Cette beauté fugace n’est pas grandiloquente, elle ne bombe pas le torse, elle ne nous fait pas du gringue au coin d’une rue ou à la lecture d’un paragraphe trop étincelant; discrète, elle sait tenir ses distances.

    Mazzella caresse le désenchantement

    Elle s’apprivoise difficilement. L’écrivain Léon Mazzella, styliste des terres basques, grand spécialiste du vin, part à sa recherche dans Le Bruissement du monde aux éditions Passiflore. Il est de ces explorateurs esthètes qui ne surjouent pas la surprise ou l’émerveillement. Ce gracquien sème la chronique au vent, sans charger sa phrase d’un affect débordant, elle garde sa pureté originelle tout en susurrant son pouvoir d’abstraction. Là, réside le charme vivifiant de ce recueil buissonnier qui promène son bonheur de vivre entre fragments, souvenirs d’enfance, nostalgie du cœur, sens de la transmission et plaisir du palais. Mazzella nous touche car, avouons-le, il caresse notre vieux monde, il cajole notre désenchantement, il ouvre la volière de notre mémoire. Ne vous méprenez pas sur son dessein, il ne panthéonise pas le passé, ce n’est pas un embaumeur, plutôt un exhausteur de goût. Son toucher de plume lifte l’existence, lui donne du rebond. Nous avons les mêmes codes d’entrée, les mêmes marottes, les Renault Floride et les chevauchées landaises de Christine de Rivoyre

    Compagnon hussard

    Avec ce compagnon hussard, on se rappelle d’un texte lu à l’adolescence qui a fait chavirer notre suffisance, on se met alors à dessiner des volutes de Havane dans le ciel laiteux de la province française, à rêver aux seins obuesques de Silvana Mangano dans « Riz amer » ou à la bouche désirable de l’impénétrable Monica Vitti. À nous extraire simplement de notre quotidien par le talent des autres, voilà un résumé de ce que fut notre jeunesse. Pour nous, garçons ahuris, bouffis de caractères d’imprimerie et de cinéphilie, la réalité passe souvent par le tamis de la fiction. Mazzella est un merveilleux brouilleur de météo, il détraque toutes les horloges. Avec lui, la chronologie s’émancipe des dates. On le suit avec gourmandise dans cette belle littérature, giboyeuse et sauvage des Trente Glorieuses puis, le texte suivant, il nous ramène au présent, dans le spectacle chantant d’une bergeronnette grise ou la pesanteur ensoleillée d’un champ de maïs. Tantôt mélodiste d’antan, tantôt aquarelliste du paysage en mouvement, sa mélancolie sous-jacente n’est ancrée dans aucun port d’attache. Elle est libre, elle se moque des convenances, elle cabote sur des côtes intimes. C’est pourquoi nous prenons autant de plaisir à le lire, surtout quand il écrit: « Je suis Claude Sautet » ou qu’il fait l’éloge du stylo à plume: « Bonheur de retrouver le glissement de l’encre, sa fluidité, et le crissement sur le papier vergé ivoire, cette teinte bleu nuit qui forme les lettres, les mots qui naissent, le mouvement du poignet, le sang qui afflue sur la dernière phalange de l’index comme si nous labourions ». Mazzella sait, par instinct, qu’un bon livre ne ressemble pas à une autoroute rectiligne, il doit cahoter, ne jamais utiliser le même instrument de musique, de la variété naît l’harmonie. Mazzella ose passer de Gracq au Bricomarché, sublime impertinence et poésie de l’infiniment petit, de Calet à Anouk Aimée, de Larbaud à une libellule indisciplinée, de Gómez de la Serna au croquant du chipiron. Vive 2021 !

    Le Bruissement du monde de Léon Mazzella – éditions Passiflore.

    Le Bruissement du monde

    Price: 15,00 €

     

     
     
  • Flamencoscopie

     

    flamencopulsion.jpgMarc Dubos, architecte de formation, vit dans les Landes et il est habité par l'Arte Flamenco (allusion au fameux festival éponyme qui se tient en juillet à Mont-de-Marsan). A l'instar de Jack Kerouac et de son célèbre rouleau, sur lequel il écrivit des mètres de Sur la route, Dubos possède son propre outil, la festigraph, qui lui permet de saisir sur le vif la danse (et la musique) flamenca au fur et à mesure qu'elle se déroulent devant lui, lors des spectacles dédiés. Il appelle cela la flamenscopie (nous préférons ajouter un co, ça sonne mieux). Comme les surréalistes pratiquaient l'écriture automatique, Dubos dessine, saisit sur le vif, croque à l'infini, et à une vitesse vertgineuse, quantité de dessins - jusqu'à cent par soirée -, et c'est une sélection de ceux-ci (noir sur blanc) que les éditions Passiflore proposent dans un recueil intitulé Flamenco pulsion (18€). Je me souviens du peintre taurin landais Jean Ducasse, qui vivait à Saubion (il a disparu en mai 2011), lorsqu'il dessinait à cent à l'heure, dans la tribune presse des arènes de Saint-Vincent de Tyrosse : un oeil et demi dans le ruedo, et un demi sur le papier, il enchaînait les dessins au trait sur des feuilles blanches de format A4, qu'il faisait tomber une à une à une cadence suffocante, et à la fin de la corrida, le sol était jonché de ces croquis saisis sur le vif. Dubos fait à peu près pareil, avec son festigraph, et sa patte est différente. Lui, choisit de saisir des instants, des gestes, des mouvements de danseurs flamenco, pas ceux des toreros. Une même chorégraphie déclinée sur des terrains distincts, pour exprimer à cru l'âme flamenca. ¡Olé! L.M.

     

    Lire la suite

  • Classiques

    images.jpegimages (1).jpegRelire Voltaire : le Dictionnaire philosophique (Actes Sud / Thesaurus) présenté par Béatrice Didier, l’inoxydable Candide ou l'optimisme –illustré par Quentin Blake (folio, édition anniversaire) est un bonheur auquel on ne s’attend pas. Génie, virtuosité, pensée leste et fine, phrase profonde et « enlevée », notre penseur des Lumières –à l’heure où l’on fête Rousseau- demeure un homme de polémique, de réflexion et de combat philosophique inévitable, encore aujourd’hui. Il faut lire son Dictionnaire comme un manifeste de la liberté de pensée. Il n’a pas pris une ride et si, par endroits, certains faits et commentaires semblent dater quelque peu, il faut les prendre comme on lit Saint-Simon ; en déconnectant le fil historique pour projeter le fait dans l’éternel. Jouissives lectures.

    images (4).jpegHomère ! Points nous offre l'édition en poche d'une nouvelle traduction de L’Iliade, absolument moderne. Replonger dans nos lectures (obligées) de l’enfance, avec un œil un brin vieilli, est un coup de fouet, un coup de jeune, un plongeon dans l’eau glacée de Biarritz un matin de décembre. L’immersion dans cette épopée unique de 15 500 vers en 24 chants, d’une architecture admirable, d’une immortelle poésie et d’un souffle romanesque à côté duquel même les grands auteurs Russes semblent avoir attrapé l’asthme de Proust -apparaît même nécessaire. Philippe Brunet est l’auteur de cette adaptation salutaire. Grâce lui soit rendue.

    téléchargement (3).jpegimages (3).jpegParmi les classiques modernes, citons les rééditions « collector » du Gatsby de F.S.Fitzgerald (dans la traduction inédite de Philippe Jaworski qui figurera dans l’édition de La Pléiade) et d’Exercices de style, de Queneau, dans une nouvelle édition enrichie d’exercices plus ou moins inédits (folio), parce qu'elles nous obligent avec tact et délicatesse à reprendre des textes enfouis dans notre mémoire. Idem pour La route, de Kerouac, sauf qu’il s’agit du « rouleau » original téléchargement (1).jpegtéléchargement (2).jpeg(adapté au cinéma : sortie le 23 mai), donc non censuré, que nous découvrons, histoire de se refaire un trip beat generation en essayant de retrouver des passages clés de ce gros road-novel mythique (folio) enrichi d'une floppée de textes de présentation (le roman ne débute qu'à la page 154!). A lire aussi Visions de Gérard, du même Jack Kerouac (folio), car il s’agit d’un texte très émouvant, qui évoque la mort du propre frère de l’auteur à l’âge de neuf ans. Méconnu et précieux.

    images (2).jpegEnfin, une note poétique avec les Chants berbères de Kabylie (édition bilingue, Points/poésie) qui fut concoctée par Jean Amrouche, poète algérien disparu en 1962. Il évoque avec justesse une parenté de cette poésie souvent anonyme, avec le chant profond (le cante jondo) andalou : l’appartenance ontologique à un peuple, une solidarité étroite de destin, et par conséquent une poésie forte. Essentielle. 

  • rappel

    IMG_0351.JPG

    La mort est comme un mètre carré qui tourbillonne dans l'arène. Le torero ne doit pas marcher dessus quand le taureau vient vers lui, mais personne ne sait où se situe ce mètre carré. C'est sans doute cela le destin. C'est Christiane Parrat la vigilante qui cite Luis Miguel Dominguin (lui-même cité par François Zumbiehl dans ce merveilleux ouvrage intitulé Des taureaux dans la tête), à l'instant dans un mail. ¡Gracias!..

    Photo (Vic-Fezensac 2009) : ©LM

  • Où est-il?

    IMG_1396.jpg<== : Voici ce qu'il reste d'un torero d'une classe rarissime, aujourd'hui chaque fois plus décevant. Sebastian ne torée plus vraiment depuis deux saisons. Souhaitons qu'il réfléchisse à son retour...

    IMG_1427.JPGIMG_1389.JPGIMG_1363.jpg(Photos prises avec mon iPhone : Sebastian Castella, Mateo Julian, novillero prometteur, Dax, samedi 11. Arènes de Bayonne, samedi 4)

    José Bergamin (La solitude sonore du toreo, Verdier/poche) :  Parce qu’elle est émotion et parce qu’elle est torera, l’émotion torera est magique.

    Tout ce qui est art, jeu, fête, dans le toreo, appartient au monde magique de l’émotion. Le cercle magique des arènes l’inscrit dans l’ensemble de ses éléments. Les barrières de bois le dessinent sur le sable, la toiture le découpe dans le ciel. Et tout ce qui demeure à l’intérieur de ce rond, dans son espace déterminé, appartient au monde magique de l’émotion, horrible ou merveilleux, selon l’objet qui le motive. De telle sorte que le véritablement horrible ou merveilleux disparaît quand se rompt le cercle magique, soit, comme dirait Sartre : « Quand nous construisons sur ce monde magique des superstructures rationnelles, car ce sont elles alors qui sont éphémères et sans équilibre, elles qui laborieusement construites par la raison se défont et s’écroulent, laissant l’homme brusquement replongé dans la magie originelle.» Pour celui qui contemple le monde magique du toreo existent ces deux formes d’émotion signalées par Sartre : celle que nous construisons et celle qui nous est brusquement révélée. C’est ainsi qu’il arrive, dans le toreo comme dans la danse  – surtout la danse sacrée et cette part de sacré qu’il y a dans le flamenco –, que l’émotion magique surpasse prodigieusement ou sublime leur réalité vivante. Exemple souvent cité par moi que celui de la danse, et Sartre aussi l’évoque, je crois me souvenir, dans sa Théorie des émotions : quand le symbolisme du sexe pour la danseuse, de la mort pour le torero, transcendant son instinctive motivation, transforme ou transfigure le désir ou la peur. Dans le spectacle magique de la course, la présence de la mort est exclusivement liée au taureau tandis que les lumières de la raison irrationnelle, s’allumant et s’éteignant sur son habit, masquent d’immortalité le torero. Dès qu’un torero nous exprime volontairement ou involontairement sa vaillance ou sa peur, l’émotion magique de son art s’évanouit. Car l’émotion du toreo relève exclusivement de l’art. Le spectateur qui s’émeut d’autre chose le détruit, en lui substituant une sorte de pornographie mortelle qui le transforme lui-même en masochiste suicidaire et en assassin sadique : tendances évidemment imaginaires, ignorées de lui, qui ne sent que plaisir et douleur frustrés, comme dans un inconscient fantasme d’onanisme...

  • fidélité

    Plus on est fidèle, dit le Roumain de Moldavie Panaït Israti, et plus on est généreux, car l'infidèle ne garde rien pour lui. Il féconde la vie et passe. En lui, rien n'est croupissement; tout est orage, orage créateur.

     

  • La chorégraphie du désir

    C'est un papier que j'ai écrit à la demande d'ENJEUX/Les Echos, pour leur rubrique "Une passion, un écrivain". Cela parait aujourd'hui. En voici les premières lignes (la suite en kiosque).

    On dit du tango que c’est un sentiment qui se danse. Le flamenco, tesson de tragédie en travers d’une gorge éraillée, chante la douleur du monde et de l’amour. Il figure un éclat noir sous lequel on devine le sang et l’eau, le cœur et la sueur, le sein et le suaire. Un cri. Il se creuse pour cambrer la parole. Et le regard. Cette concentration, ce ramassé comme on le dit d’un félin prêt à bondir sur sa proie qu’il tient déjà entre ses yeux.

    Le flamenco offre à la fois chant, musique ou danse purs et ces trois arts entremêlés.
    Être flamenco, comme on naît torero : une façon d’habiter le monde. Les « coplas » (strophes), ces poèmes lapidaires andalous issus de l’âme gitane, incandescente, indomptable, fière, deviennent les paraboles de l’amour dansé : « Ton visage, c’est la Sierra Morena, et tes yeux, les bandits qu’on y rencontre ». Le flamenco est une ombre portée, un poignet cassé, un regard sombre, une cuisse dénudée. Il traduit avec douleur, dents serrées, la langue noueuse du corps à cœur : « Va et que l’on te tire dessus avec la poudre de mes yeux et les balles de mes soupirs ». Il y a un état d’esprit flamenco. Sur scène ou dans la rue, il ou elle danse en raclant le sol du bout des pieds, en chaloupant ses sentiments. Le corps prolonge l’esprit, obéit à un langage, à une gestuelle codés, sous ses allures rebelle, sauvage. Fauve…

    L’Andalousie, berceau du flamenco, aux origines gitanes, mauresques, de la « marisma », les marais de la plaine du Guadalquivir, l’a vu naître dans les quartiers anciens ou portuaires de Séville, Cordoue, Malaga, Sanlucar de Barrameda, El Puerto de Santa Maria. Dans quelques « pueblos blancos » perdus, aussi, entre des oliveraies infinies et un « campo seco » où tentent de paître des taureaux de combat. Villages juchés sur des collines aux courbes douces, sensuelles, qui recèlent des « tablaos » (bars chantants).

    A la faveur du hasard et de la bonne volonté de la Vierge noire de Séville, la Macarena, un soir, un groupe local improvise… un duende peut naître. Le duende est le but absolu du flamenco (inspiration et plaisir total à la fois. Le mot vient de dueño, le maître). Sorte de « saudade » portugaise, sentiment ineffable, transe, il surgit comme la grâce au carrefour des arts conjugués de la danse, de la musique et du chant. À l’improviste, dans la voix d’un « cantaor » entrant soudain en communion avec la danse. Il peut ne toucher qu’une seule personne, ou bien se répandre comme le feu. Dans le dépouillement du « cante puro », le chant pur, plus aucun son n’accompagne le chant. Ce « silence sonore », brisé par la voix, forme une plainte déchirante, un hymne à l’amour, à la mort. Le duende se recherche. Mais il faut le laisser venir, en réalité. Chacun l’attend, bien sûr, chaque soir de spectacle. Tout le monde l’espère (la langue espagnole s’avère formidable : esperar signifie à la fois attendre et espérer). « Tout ce qui a des sons noirs a du duende. Ces sons noirs sont le mystère, les racines (…). Le duende aime le bord de la blessure et s’approche des lieux où les formes se fondent dans un désir qui brûle…», disait Federico Garcia Lorca en citant un ami qui écoutait la musique de Manuel de Falla.

  • A propos du duende

    "Pour chercher le duende, il n'existe ni carte ni ascèse. On sait seulement qu'il brûle le sang comme une pommade d'éclats de verre, qu'il épuise, qu'il rejette toute la douce géométrie apprise, qu'il brise les styles, qu'il appuie sur la douleur humaine qui n'a pas de consolation."

    Federico Garcia Lorca, Jeu et théorie du duende, (conférence prononcée en 1933 à Buenos-Aires et à Montevideo). Texte bilingue chez Allia.