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cinéma

  • Matinée douce

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    Après avoir dévoré dès potron-minet (et comme chaque jour pour escorter quelques double express avec un croissant Picard : 10 mn au four et hop !) la presse quotidienne, hebdomadaire et magazine parue cette nuit ou il y a peu (*), j’écoute le nouvel album de l’immense David Gilmour, « Luck and Strange », aux mélodies d’une douceur aiguë qui conserve avec une mélancolie étudiée des accents Pink floydiens (ça se dit ?), tout en entamant le fascinant dernier roman de Sandrine Collette, car sa plume me captive depuis « Des nœuds d’acier » (dont j’avais rendu compte en 2013 dans Télé 7 jours). Sa « Madelaine avant l’aube » est âpre, sobre et puissante dès les premières pages (première sélection Goncourt, d’ailleurs...).

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    Je feuillette en même temps une nouveauté Ulmer reçue cette semaine (un éditeur que j’aime suivre), « Mangez néolithique », ouvrage sérieux et pragmatique, pratique même avec ses recettes pour doper la santé. Loin de notre chouchou (littéraire) sur le motif, « La cuisine paléolithique », du grand Joseph Delteil. Coquetaile... L.M.

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    (*) Je recommande le passionnant entretien croisé des rejetons Bernanos, Péguy et Claudel, mené par Clotilde Hamon-Castéran (Famille chrétienne), la nouvelle chronique (hilarante car caustique) de Bertrand de Saint-Vincent consacrée à, ou plutôt concassée sur Lucie Castets (Le Figaro magazine), celle, toujours brillante de Abnousse Shalmani sur le sort tragique des Afghanes (L'Express), et la reprise d'un portrait de Delon par Jean Cau - ça date mais c'est encore succulent (Paris Match). Sans oublier le spécial vins annuel du Point

  • Arrivato

    Bon, ça y est, il m'est parvenu, ainsi qu'à la presse. Il sera en librairie le 27 de ce mois (première signature officielle le 29 à Cultura/Anglet).

    Réservez-le auprès de votre libraire. On en reparle bientôt.

    (Je l'ai aussitôt relu pour me livrer à une chasse à la coquille. Je n'en ai trouvé aucune parmi ses 190 pages.  À la bonne heure).

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  • Seule la terre est éternelle. Jim Harrison

    Capture d’écran 2022-03-23 à 18.32.23.pngRetour d'une salle obscure où la lumière, la Lumière, vint, divine, de la voix rocailleuse de Big Jim, notre cher, si cher Jim Harrison, disparu il y aura six ans dans trois jours. Le film que lui consacrent François Busnel et Adrien Soland est une ode aux grands espaces, à la poésie, à la Nature, aux animaux, aux rivières, aux arbres, aux femmes de la trempe de Dalva, l'inoubliable héroïne de son plus puissant roman, et aussi de Linda son épouse cinquante-quatre années durant. Jim est au bout du rouleau, il titube, tousse, ahane, fume sans relâche, s'aide d'une canne, s'essuie fréquemment la paupière qui abrite un oeil de verre depuis ses dix ans, il est lui-même. Cash. Tellement naturel, à Paradise Valley, dans le Michigan, avec sa bedaine qui jaillit du tee-shirt, ses gris-gris punaisés sur le mur de sa table de travail, où il écrivit tout son œuvre au stylo noir, et jusqu'au volant ganté de cuir indien de son 4x4 qui conduisit l'équipée jusqu'à Patagonia (Arizona), où il résida parfois et où la Faucheuse le cueillit. Ce film est émouvant car il est pudique, franc du collier, sans fard, silencieux, ouvert sur des territoires traversés par un pygargue, un vautour, un chevreuil, des bisons, deux chiens de chasse appartenant à Jim Fergus, une truite hameçonnée, des forêts et des montagnes larges comme l'univers, dans un clair-obscur de circonstance. On y voit aussi les villages américains poussiéreux, leurs commerces, leurs véhicules garés, une station-service à vendre, une désolation palpable, une barmaid sexy que Jim ne peut s'empêcher d'alpaguer en lui baisant élégamment la main droite avec la dégaine de Charles Denner à la fin du film L'homme qui aimait les femmes, de Truffaut. Tout est dit, en sourdine, sur la subtilité, le tact de l'oeuvre d'un grand écrivain américain. J'ai tout lu de lui. Absolument tout, sauf ce que l'édition nous réserve sans doute encore d'inédits, de raclures bonnes à déguster, d'articles récupérés, de nouvelles inédites, de poèmes retrouvés (ce fut un immense poète de la Nature). Je regretterai éternellement cette annulation forcée Capture d’écran 2022-03-23 à 18.34.01.png(Maman était bien trop malade pour que je parte longtemps) d'un rendez-vous pris avec lui dans le Michigan afin de "tirer" son portrait sur quelques pages dans le magazine (La Chasse) que je pilotais dans les années 1995 à 2000. Je me souviens avoir déchiré avec mélancolie mon billet d'avion. Ce soir, je reprendrai Légendes d'automne et Dalva au hasard des pages, au gré du vent, en entendant le timbre craquelé - you know... - de sa voix de grizzly édenté et romantique. L.M.

     

     

     

  • Un an plus tard

    Cliquez là => LE BRUISSEMENT DU MONDE

    Léon Mazzella capture quelques fragments du monde pour en saisir toute la volatilité sensuelle.

    Par THOMAS MORALES.

    Article paru dans Causeur.


    Le choix de la première chronique littéraire de l’année s’apparente à la cueillette des champignons, dans un sous-bois, à l’automne, quand la feuille morte rythme le pas, quand l’incertitude guide la main du critique. La pluie grise les sentiments, la nature protège et isole; le critique hésite, il tâtonne, il se rétracte parfois, puis il se lance, il a enfin trouvé le livre qui correspond à son souffle intérieur, à son émotion du moment, à sa volonté de ne pas ensorceler le monde. En 2021, l’esprit ne sera ni à la querelle incestueuse, ni à la légèreté béate, plutôt à la beauté qui s’efface peu à peu, elle s’échappe, nous le sentons charnellement, et pourtant, il faut la retenir, s’incliner une dernière fois devant elle, la remercier encore et toujours. Se rappeler que sans elle, nous sommes des êtres désarticulés, surnuméraires fantômes. Cette beauté fugace n’est pas grandiloquente, elle ne bombe pas le torse, elle ne nous fait pas du gringue au coin d’une rue ou à la lecture d’un paragraphe trop étincelant; discrète, elle sait tenir ses distances.

    Mazzella caresse le désenchantement

    Elle s’apprivoise difficilement. L’écrivain Léon Mazzella, styliste des terres basques, grand spécialiste du vin, part à sa recherche dans Le Bruissement du monde aux éditions Passiflore. Il est de ces explorateurs esthètes qui ne surjouent pas la surprise ou l’émerveillement. Ce gracquien sème la chronique au vent, sans charger sa phrase d’un affect débordant, elle garde sa pureté originelle tout en susurrant son pouvoir d’abstraction. Là, réside le charme vivifiant de ce recueil buissonnier qui promène son bonheur de vivre entre fragments, souvenirs d’enfance, nostalgie du cœur, sens de la transmission et plaisir du palais. Mazzella nous touche car, avouons-le, il caresse notre vieux monde, il cajole notre désenchantement, il ouvre la volière de notre mémoire. Ne vous méprenez pas sur son dessein, il ne panthéonise pas le passé, ce n’est pas un embaumeur, plutôt un exhausteur de goût. Son toucher de plume lifte l’existence, lui donne du rebond. Nous avons les mêmes codes d’entrée, les mêmes marottes, les Renault Floride et les chevauchées landaises de Christine de Rivoyre

    Compagnon hussard

    Avec ce compagnon hussard, on se rappelle d’un texte lu à l’adolescence qui a fait chavirer notre suffisance, on se met alors à dessiner des volutes de Havane dans le ciel laiteux de la province française, à rêver aux seins obuesques de Silvana Mangano dans « Riz amer » ou à la bouche désirable de l’impénétrable Monica Vitti. À nous extraire simplement de notre quotidien par le talent des autres, voilà un résumé de ce que fut notre jeunesse. Pour nous, garçons ahuris, bouffis de caractères d’imprimerie et de cinéphilie, la réalité passe souvent par le tamis de la fiction. Mazzella est un merveilleux brouilleur de météo, il détraque toutes les horloges. Avec lui, la chronologie s’émancipe des dates. On le suit avec gourmandise dans cette belle littérature, giboyeuse et sauvage des Trente Glorieuses puis, le texte suivant, il nous ramène au présent, dans le spectacle chantant d’une bergeronnette grise ou la pesanteur ensoleillée d’un champ de maïs. Tantôt mélodiste d’antan, tantôt aquarelliste du paysage en mouvement, sa mélancolie sous-jacente n’est ancrée dans aucun port d’attache. Elle est libre, elle se moque des convenances, elle cabote sur des côtes intimes. C’est pourquoi nous prenons autant de plaisir à le lire, surtout quand il écrit: « Je suis Claude Sautet » ou qu’il fait l’éloge du stylo à plume: « Bonheur de retrouver le glissement de l’encre, sa fluidité, et le crissement sur le papier vergé ivoire, cette teinte bleu nuit qui forme les lettres, les mots qui naissent, le mouvement du poignet, le sang qui afflue sur la dernière phalange de l’index comme si nous labourions ». Mazzella sait, par instinct, qu’un bon livre ne ressemble pas à une autoroute rectiligne, il doit cahoter, ne jamais utiliser le même instrument de musique, de la variété naît l’harmonie. Mazzella ose passer de Gracq au Bricomarché, sublime impertinence et poésie de l’infiniment petit, de Calet à Anouk Aimée, de Larbaud à une libellule indisciplinée, de Gómez de la Serna au croquant du chipiron. Vive 2021 !

    Le Bruissement du monde de Léon Mazzella – éditions Passiflore.

    Le Bruissement du monde

    Price: 15,00 €

     

     
     
  • L'incorrigible Belmondo

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    "À la faveur" de la disparition de Jean-Paul Belmondo, je me shoote comme tout un chacun aux extraits marquants de sa filmographie flamboyante. Là, je regarde tout de long "L'Incorrigible", de Philippe de Broca, 1975, d'après "Ah... mon pote", d'Alex Varoux, avec des dialogues de l'immense Michel Audiard. Belmondo, c'est Victor, et je m'incline, aussi, devant le talent théâtral de Julien Guiomar (Camille). Extrait (à la 43e minute), que je vous invite à visionner, et le film in extenso, cela va de soi.

    (Camille :) Victor, tu ne crois pas qu'il serait grand temps de te fixer. Mais, j'aimerais que cette fixation ne se situe pas entre l'Alcazar et la Grande Eugène. Où habite Marie-Charlotte?

    (Victor :) Senlis.

    Ah, ça sonne déjà bien. Que fait le papa?

    - Je ne sais pas.

    Je ne me fais aucun souci, c'est sûrement un ingénieur des Eaux & Forêts, ou un ancien Gouverneur colonial. Un mariage dans ce milieu, c'est pour toi un sauvetage.

    - Un mariage, parlons-en ! T'es revenu tout seul de ton voyage de noces, et Madame Raoul est partie en lui laissant cinq mômes sur les bras.

    Tu parles comme un enfant, Victor. Tu vois l'amour à travers les mandolines et les vers de mirliton. L'amour, le vrai, c'est shakespearien. L'amour ne se susurre pas, il se hurle. J'ai hurlé comme personne. Ça m'arrive encore. Antinéa! La garce. Tu te souviens quand elle courait toute nue dans la Baie du Mont Saint-Michel, et que je hurlais son nom du haut des remparts de l'abbaye? Antinéa! Antinéa!.. Tu sais les dernières nouvelles. Le sable a encore gagné sur la mer. Dans cinquante ans, le Mont Saint-Michel sera au milieu des terres.

    - Le décor de tes amours au milieu des betteraves.

    Ça, c'est d'un goût. Ne serait-ce qu'à cause de ton vocabulaire, tu ne connaîtras jamais l'atroce volupté des grands chagrins d'amour. Mais tout le monde n'a pas la stature d'un tragédien. Contente-toi du bonheur, la consolation des médiocres.

    - Tu as raison de me remettre à ma place, Camille. Tu es fait pour les alexandrins et la pourpre, moi pour les shampouineuses et les pinces à vélo. Bas les masques !

     

  • Lectures de ces derniers jours

    Capture d’écran 2021-03-27 à 15.17.01.pngIl y eut, douloureusement, le roman posthume de Denis Tillinac, Le Patio bleu (Les Presses de la Cité). Sa page de faux-titre sans dédicace – et pour cause, résonna longtemps comme le timbre éraillé de sa voix, « Comment tu vas!.. ». Il y a tout là-dedans, il y a beaucoup dans cet épais roman riche d’images percutantes et de phrases aussi tendres qu’assassines parfois, et si justes, si fortes. Il s’y trouve une maturité de romancier impeccablement ramassée, une intrigue tillinacienne totale, la province gersoise, Condom – d’Artagnan n’est pas loin -, des Rastignac femelles, le désir d’en découdre avec une bourgeoise a priori rangée, les intrigues de ministère comme il y en eut de cour, les coups bas ou fourrés, l’amitié triomphale, les non-dits et les ouï-dire, la tendresse des paysages d’une France encore profonde dans tous les sens du terme, une mélancolie viscérale et bougonne par crainte de paraître trop délicate, des traits d’une justesse dans le mille à faire pâlir le La Bruyère des Caractères. Une ambiance IVe République, avec un Chirac en culottes courtes, une atmosphère « rad-soc » qui eut cours dans les campagnes qu’un jacobinisme arrogant ignorait, de Bellême (Perche) à Tulle (Corrèze), en passant par Condom, donc. Un air de Claude Sautet à la caméra plane sur ce dernier opus de Denis, et l’on se souvient tout à trac de son regard de saurien lorsque le silence se faisait parfois, qu’il suspendait sa cigarette (moment rare), et que nous l’entendions nous dire tant de choses dans le virage du rien. Salut l’ami.

    Capture d’écran 2021-03-27 à 15.34.47.pngIl y eut la somme de chroniques d’Éric Neuhoff parues dans Le Figaro, sous le titre Sur le vif (Le Rocher), évoqué brièvement ici il y a peu, pour nous offrir le plaisir de relire les phrases brèves et toniques, à la Nimier, le style félin et claquant de son héritier spirituel. Qu’il évoque Biarritz, Brigitte Bardot, Los Angeles, Françoise Sagan, la Fontaine de Trévi, Frédéric Berthet, Cadaqués, Stallone comme Mastroianni, le Toulouse de Christian Authier ou encore l’une de ses idoles, Frank Sinatra, Dieppe ou Truman Capote, Le Ritz ou Michel Déon, Neuhoff délivre ses denses déclarations d’amour comme on ne délivre plus des compressions de César, car lui le fait avec tact et sensibilité, intelligence et style. Un pur bonheur.

    Capture d’écran 2021-03-27 à 15.19.13.pngCapture d’écran 2021-03-27 à 15.19.45.pngEt, comme le hasard n’existe pas, il y eut deux compilations fraternelles quasiment au même moment à l’étal des librairies : d'un côté, les romans corréziens de « Tilli » chez Omnibus, Le Bonheur en Corrèze, qui rassemble en un épais pavé huit de ses romans essentiels, et de l’autre, trois romans indispensables de Neuhoff réunis par Albin Michel, Les romans d’avant.

     

    Capture d’écran 2021-03-27 à 15.21.31.pngIl y eut le premier roman d’Olivier Mony, Ceux qui n’avait pas trouvé place (Grasset) retardé pour cause de pandémie, enfin entre nos mains (nous l’achetâmes le jour de sa parution), un bref roman modianesque en diable – tant qu’on croirait entendre la voix de Patrick le Nobel le dicter, avec des personnages foutraques, soit attachants (Serge, bien sûr, Elkoubi, etc, et puis Piètre, et d’autres), un Bordeaux lisse et troussé en connaisseur, et au fond un livre comme un tapis volant sur lequel nous sommes priés gentiment d’embarquer, ce que nous avons fait gaiement.

     

    Il y eut cette belle surprise stylistique, Capture d’écran 2021-03-27 à 15.25.49.png rugueuse et âpre, si vraie « avé l’accent » médocain, ces très courtes nouvelles qui circonscrivent des personnages forts, durs, à la Franck Bouysse, des scènes d’un quotidien que peu connaissent, sauvage, reculé, essentiel car forestier, chasseur, braconnier, rude, d’une vérité crue à côté de laquelle steak tartare et carpaccio passent pour des carnes cuites. Presqu’îles, de Yan Lespoux (Agullo) est un livre précieux comme un premier roman de Sylvie Germain ou de Jean Carrière. Un beau cèpe cru dans ce beau voisinage gionesque-là...

     

    Capture d’écran 2021-03-27 à 15.27.00.pngCapture d’écran 2021-03-27 à 15.27.39.pngIl y eut l’annonce du Printemps des poètes, avec pour thème Le Désir, loué par Sophie Nauleau chez Actes Sud (nous attendons l’ouvrage), et des phares ici et là pour éclairer la route du mot qui émeut plus qu’un coup de foudre. André Velter, compagnon de la précitée, livre Séduire l’Univers, précédé de À contre-peur, illustré de « tracés sonores » de Jean Schwarz (le premier), et de quatre « ciels » de Marie-Dominique Kessler (le second). Il s’agit de l’un de ces livres composés à plusieurs mains, dont Velter a l’habitude, et qui produisent un dialogue en fruition, une poésie non pas amalgamée, mais épousée, risquons un mot : « puzzle-isée », c’est l’agudeza de Baltasar Gracián invoquée par l’auteur, autrement dit l’acuité ingénieuse, dont il est ici question. « Par-delà l’espace et le temps », dit l’auteur, « il est des affinités électives, ou ce que Julien Gracq appelait des consanguinités d’esprit, qui ne peuvent durablement rester sans résurgence. »

    Ainsi, par ailleurs, cet ouvrage de plus en collaboration : André Velter avec Ernest Pignon-Ernest (nous avons évoqué ici même les précédents), nommé Sur un nuage de terre ferme (Actes Sud) et où il est question de tauromachie, mots et dessins mêlés, plus précisément de José Tomás à Grenade le 22 juin 2019. Faena mystique entre toutes. La grâce transcendée en textes et en traits, le vertige, un certain duende, l’émotion qui frissonne durablement ; un torero « sur un nuage de terre ferme ». Soit une chanson de geste d'un singulier maestro qui, lorsqu’il se rend aux arènes, laisse son corps à l’hôtel (dixit Francis Marmande). Le sable et l’indicible, en somme.

     

    Capture d’écran 2021-03-27 à 15.28.47.pngIl y eût la somme infiniment précieuse, l’anthologie personnelle de l’immense Charles Juliet que propose Poésie/Gallimard, Pour plus de lumière, 1990-2012. L’essentiel, choisi donc par l’auteur lui-même (à l’instar de Commune présence, de Char, et de L’encre serait de l’ombre, de Jaccottet), d’une poésie placée sous le signe d’une « ardente recherche de la lumière » (et je m’autorise à reproduire ici, avec ces quelques mots, un extrait de la dédicace que l’auteur a rédigée sur mon exemplaire). Nous y retrouvons les recueils majeurs comme Affûts, Ce pays du silence, Moisson... Des trésors réunis en un seul recueil lourd et compact, que l’on a envie de trimbaler chaque week-end, où que l’on aille.

     

    Il y eut, dans la même collection fétiche, Poésie/Gallimard, une « compil »Capture d’écran 2021-03-27 à 15.30.04.png (bilingue) d’Erri de Luca, Aller simple, suivi de L’hôte impénitent, où l’on retrouve l’auteur limpide d’œuvre sur l’eau. Poésie presque parlée, comme récitée à l’église le matin, morale par endroits, humble toujours, où la barque et le filet du pêcheur, ses quelques prises, ont la grâce du simple recueillant avec reconnaissance ce qui lui suffit. Demi-surprise : Aller simple évoque l’épopée tragique des migrants échouant tant bien que mal sur les côtes italiennes, ou la poésie devient politique, militante, mais avant tout humaniste avec une remarquable sobriété qui rappelle les récits de Primo Levi. Cependant, les poèmes qui composent L'hôte impénitent nous font retrouver le De Luca romancier devenu alpiniste mystique, et toujours sensuel, dont les épaules porteront toujours les traces salées de la Méditerranée, du côté de l'île d'Ischia...

    Capture d’écran 2021-03-27 à 15.31.10.pngCapture d’écran 2021-03-27 à 15.33.37.pngEnfin, il y eut, juste après la disparition du très grand Philippe Jaccottet, deux inédits, Le dernier livre de Madrigaux, et La Clarté Notre-Dame (Gallimard), pour nous rappeler à l’essentiel, soit au chant fragile des oiseaux à l’aube dans un verger de peu planté de longue date à Grignan, dans la Drôme, l’écho d’une cloche des Vêpres à Salernes (où vécut sur le tard le regretté Pierre Moinot), « dans l’enceinte sacrée, très-haut » (Hölderlin), des mots simples comme de ces brindilles dont Char rêvait de bâtir un rempart, des mots tragiques à peine d’un poète avouant son grand âge et citant Hölderlin encore comme on lance un grappin, « Énigme, ce qui sourd pur ». Des textes essentiels et crépusculaires, et néanmoins heureux, surtout lorsqu’il s’agit d’évoquer Claudio Monteverdi, « c’est par urgence que sa voix prend feu ».  « Ainsi lié, je me délivre de l’hiver »... Jaccottet a rejoint, à 95 ans, « le tissu bleu du ciel ». Et nous continuerons d’entretenir commerce quotidien avec son œuvre capitale. L.M.

  • Melville total

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    Lino Ventura et sa dégaine inimitable, Christine Fabréga et sa coupe de cheveux de speakerine, Paul Meurisse et sa phrase merveilleuse, Michel Constantin et sa raideur touchante, Raymond Pellegrin et sa voix envoûtante, Marcel Bozzuffi et son insolence séduisante, Denis Manuel et sa couardise à peine feinte, ainsi que Paul Frankeur, Pierre Zimmer et Jean Négroni... Du noir & blanc de belle facture, des dialogues aux petits oignons, pas un sourire surtout, des imperméables et des chapeaux à la Humphrey, des mains noyées dans des poches bourrées de flingues (Beretta, Lüger 9 m/m), des répliques impeccables, aucun laisser-aller, de la « tenue » (ce dont nous pourrions vite manquer, en ces temps confinés) ; bref, une distribution de gala. Melville, « Le Deuxième souffle », d’après José Giovanni et lui aussi aux stylos, la nuit, rue Jenner. Avec l’immense talent, les marottes de l’auteur du « Doulos », du « Samouraï », de « L’Armée des ombres », du « Cercle rouge ». Des bruits de trains qui filent, de portes de voiture qui claquent – de longues américaines, surtout -, des bureaux et des costumes tirés à quatre épingles, un code d’honneur qui plane comme un couvercle sur tout ce qui se mijote, s’ourdit, se complote. Melville. Ses rêves d’Amérique, son côté Hammett visité par Faulkner et revisité par Simenon. Sauce Ji-Pé Melville. Une patte, un ton, une franchise, un hiératisme, une morale, une ascèse peu courante, ayant tout de même cours chez les bandits de très haut vol et de grand chemin. Un style. Une signature. Demain, revoir « Le Doulos », puis « Le Samouraï ». Et, après demain, « L’Armée des ombres ». Question d’hygiène cinématographique. L.M.

  • César et Rosalie, encore

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    Cette lettre est émouvante.

    Elle évoque à la marge La chanson d'Hélène, des Choses de la vie, du même irremplaçable Claude Sautet.

    Et elle est tellement littéraire.

    Ah, l'épistolaire, ce genre précieux qui se perd...

    Ecoutez, en regardant => Rosalie

    "...Moi je marche sur les longues plages.
    C'est une maison qu'on avait oubliée.
    Carla dit qu'elle se rappelait la couleur des volets.
    Moi, je suis sûre que ce n'est pas la même.
    Mais tu sais comment sont les choses qu'on aime, on a beau les repeindre.
    Le vent s'est levé lundi et je suis contente 
    et je t'écris ma cinquième lettre
    et je m'attends à ton cinquième silence.
    J'entends toute la famille qui vit et qui rit en bas
    et si je t'écris que je suis triste, c'est malhonnête et je le sais. 
    Je ne te reverrai pas et je le sais aussi et pourtant,
    je voudrais qu'on me dise où tu es. 
    Où tu es ? 
    Tu vis et tu ne réponds pas. 
    Evidemment, Marie-Thé a failli se tuer en sautant d'un rocher.
    Simon est amoureux. 
    J'ai acheté deux robes, une petite bleue 
    et une petite blanche au marché du matin. 
    Maman a passé son permis de conduire, 
    on se demande pourquoi tout à coup. 
    Pour les robes, ce n'est pas vrai, je n'ai rien acheté
    mais je dirais n'importe quoi pour te parler de moi.
    Ce n'est pas ton indifférence qui me tourmente, 
    c'est le nom que je lui donne : la rancune, l'oubli. 
    David, César sera toujours César 
    et toi tu seras toujours David qui m'emmène sans m'emporter,
    qui me tient sans me prendre et qui m'aime sans me vouloir. »
     
    La lettre de Rosalie, «César et Rosalie», Claude Sautet, 1972
  • et en lisant

    Capture d’écran 2019-11-16 à 13.11.30.pngLa force de Franck Bouysse est comparable à celle du Jean Carrière de L'épervier de Maheux. Avec Grossir le ciel (Le Livre de Poche), l'auteur, très remarqué cette année avec un nouveau roman qu'il nous faudra lire bientôt (Né d'aucune femme), livre un roman âpre, avec de rares personnages sauvages et durs, qui vivent reclus au fin fond des Cévennes, marqués par des secrets de famille bien ou mal gardés, et qui s'occupent de vaches, de champs, du tracteur, du fusil pour chasser des grives, du chien appelé Mars pour unique réconfort. Ils s'appellent Gus, Abel, et ils ont la poésie des gosses qui voient dans un merle faisant la roue un grand tétras amoureux. Gus a la certitude absolue d'être un fruit pourri conçu dans la violence et la haine, toujours accroché sur l'arbre d'une généalogie sans nom. Il y a des meurtres, du sordide, des mystères, des traces de pas qui inquiètent, des êtres furtifs, la nuit, les petites annonces du Chasseur français que l'on feuillette sur la toile cirée devant l'âtre, en se disant je devrais peut-être essayer. La vie dure de ces solitaires par défaut ou par destinée est leur quotidien comme s'il neigeait chaque jour de l'année, et Bouysse a le talent de savoir décrire dans une langue forte, des arbres déplumés comme des arêtes de gros poissons décharnés, le sang qui frappe régulièrement contre les tempes, le vent qui s'engouffre sous les bardeaux d'une grange en glissant sur le silence comme une araignée d'eau sur une mare étale. Oui, le Jean Carrière que nous aimons, filsCapture d’écran 2019-11-16 à 19.31.52.png spirituel de Giono, se retrouve dans Bouysse. Pas dans sa pâle copie, à la lecture fort décevante de Une bête au paradis, de Cécile Coulon (L'Iconoclaste), dont on a fait grand cas au début de l'automne, et puis flop... Avec même de drôles de coïncidences : le nom d'Abel pour désigner un personnage principal, chez Coulon, mais authentique chez Bouysse, et Paradis - nom de personnage chez Bouysse, de lieu chez Coulon. Étrange... (Le livre de Bouysse est paru en 2014, et celui de Coulon à la fin de l'été 2019). Mais, passons.


    Capture d’écran 2019-11-16 à 13.14.07.pngBien sûr, nous aimons La panthère des neiges, de Sylvain Tesson (Gallimard), car nous lisons avec plaisir et fidélité cet auteur, et le succès mérité de son dernier récit n'avait pas besoin d'un Renaudot surprise, mais c'est tant mieux.

    Les jurés de l'Interallié auraient en revanche été plus inspirés, en ceignant d'un bandeau rouge réconfortant le poignant Où vont les fils?, d'Olivier Frébourg (Mercure de France), lequel narre avec une grande franchise intérieure la vie d'un homme (l'auteur lui-même) dévastée par un divorce, la disparition du nous puisque tout est soudain dénoué, un quotidien nouveau avec lequel l'homme esseulé doit improviser, composer. Les trois fils à élever, les courses au supermarché, les sorties d'école et la honte de s'y montrer amputé, les draps froids du grand lit, le bruit du vide, la maison morte quand les enfants n'y sont pas, lors que la vie jusque là était faite de voyages au long cours, de littérature, d'amour; d'insouciance. Je ne parvenais plus à lire tant mon crâne était fendu comme un billot de bois, à la hache. Une femme m'avait aimé, désaimé, quitté. La banalité avait de quoi faire rire. Par ricochet, Olivier Frébourg peste avec raison contre la soft power de notre modernité faite de nouvelles dictatures : les réseaux sociaux, le smartphone, cette hache de guerre, ou encore "la connerie de la résilience"... Le présent défait est une des sources du malheur. Mais la destruction du passé est le plus sûr voyage vers la folie. L'homme est alors écervelé. Il s'accroche à ses souvenirs comme un naufragé à son morceau de bois. Frébourg ne croit plus qu'à la vérité des paysages, et conserve le recours aux poètes : Cadou, Vigny, Valéry, Depestre... chevillé au coeur. Il y a du Claude Sautet dans ce beau livre, et Olivier Frébourg dépeint les choses de la vie en père vrai : L'enfance est un paquebot. Il faut prendre la mer malgré les tempêtes. Où vont les fils? se demandent les pères inquiets de les perdre de vue sur la ligne d'horizon.

     

    Capture d’écran 2019-11-16 à 13.12.32.pngLa découverte par Sylvain Tesson le globe-trotter, de la magie, des mystères de l'affût et des énormes plaisirs qu'il peut procurer, y compris celui de la bredouille, car elle est alors toujours chargée d'émotions intenses, donne un récit captivant. Guetter la rarissime et menacée panthère des neiges au Tibet, à 5 000 mètres d'altitude et par -30°C, hisse l'animal majestueux, princier, au rang de mythe, de Saint Graal, d'improbable inaccessible, de reine des confins. Se savoir vu sans voir qui nous a repéré depuis longtemps, le "ce qui est là et que l'on ne voit pas", figure un autre plaisir profond de chasseur photographe comme Vincent Munier, que Sylvain Tesson accompagne, ou de chasseur tout court (et nous en connaissons un rayon). Pour ces choses si précieuses de nos jours tant encombrés de futilité et de fatuité, pour la belle langue de l'auteur, pour ses références poétiques aussi, cette panthère-là devient inoubliable.

    Capture d’écran 2019-11-16 à 13.15.03.pngLe Classique des Poèmes, Shijing (folio bilingue), est un épatant recueil de poésie chinois anonyme (et c'est encore plus beau lorsque c'est anonyme, aurait déclaré Cyrano). Les Classiques désignent dans ce vaste pays continent les indispensables de la littérature que tout lettré se doit de connaître. Ils sont au nombre de cinq : Yijing (Le Classique des Changements), Shujing (Le Classique des Documents), Lijing (Le Classique des Rites), Yuejing (Le Classique des Musiques), et Shijing, qui est le plus ancien recueil de poésie chinoise, puisqu'il date de l'Antiquité. Confucius aurait paraît-il compilé ces chants amoureux d'origine populaire, de facture simple comme une chanson d'Agnès Obel, qu'ils décrivent une barque de cyprès qui ballotte au gré du courant et devient par métaphore un coeur accablé, Une belle femme décrite à la manière des contes des Mille et une nuits, Le vent d'aurore (où) pique un faucon/sur la forêt touffue du nord. Ou encore les ailes de l'éphémère, cet insecte d'une infinie délicatesse comme l'est chacun de ces poèmes. L.M.

  • Revoir L'Avventura

    L'extrême sensibilité de Michelangelo Antonioni, peintre de la douleur des sentiments. La sauvage beauté de Lea Massari, l'incarnation de la féminité totale en Monica Vitti. Les îles siciliennes arides, l'entêtant bruit de la mer comme celui des trains chez Melville ou celui de la rue chez Godard - qui tiennent lieu de musique. La teneur de Gabriele Ferzetti acteur, l'amour, le dégoût, cet exact noir & blanc, l'épaisseur du silence, la longueur des regards, la langueur des plans rapprochés, l'attente, le lascif, le furtif, l'imprévisible, et Monica Vitti encore et encore. Revoir L'Avventura, en somme, comme on reprend un Morante ou un Pavese pour une relecture heureuse car familière. Puis, revoir La Nuit, l'Éclipse et Le Désert rouge. L.M.

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  • Plozévet

    Il est des noms de lieux, comme ça... Samarkand, Tombouctou et Zanzibar font tant rêver qu’ils exigent d’aller vérifier sur place une magie projetée. Plozévet est d’une autre nature. Ce village du Pays Bigouden, situé sur la côte bretonne, non loin de la baie d’Audierne et sur la route de Quimper, a été immortalisé par un livre formidable qui connut un immense succès dès sa parution en 1975 : « Le Cheval d’Orgueil », de Pierre Jakez-Hélias (1914-1995), accueilli dans la prestigieuse collection Terre Humaine de Plon, au sein de laquelle Jean Malaurie – son initiateur – publia notamment « Tristes Tropiques », de Claude Lévi-Strauss, entre cent autres bijoux de l’ethnologie contemporaine. Cet été là, nous dévorions depuis la plage de la Chambre d’Amour, à Anglet et à marée haute (aux heures sans vagues et donc sans surf possible), ce grand livre (voir la photo qui reproduit l'exergue du livre : cette citation du grand-père de l'auteur nous éclaire sur le titre), sans rien connaître de ce village de la Bretagne profonde exploré par un enfant du pays (*). L'été suivant (celui du baccalauréat en juin et de l'examen d'entrée à Sciences-Po en septembre), fut également riche (et appauvrissant en termes d'impôt sècheresse), qui nous pria sans peine de nous plonger en pays Cathare au temps de l’Inquisition, grâce au talent de conteur de l’historien Emmanuel Le Roy Ladurie (1929-) et de son inoubliable « Montaillou, village occitan, de 1294 à 1324 » (Gallimard, Bibliothèque des Histoires). L’époque était à ces livres de connaissance à la fois historique et ethnologique. À la faveur d’une virée il y a bien des années en Haute Ariège, nous découvrîmes Montaillou – ou ce qu’il en reste. Et la déception fut au rendez-vous, car à l’instar de l’adaptation au cinéma d’un roman qui nous a plu, vouloir voir réserve des déconvenues (**). Ainsi donc de Plozévet, hier même. Lointainement habité par la lecture (il y a 43 ans) du livre de Jakez-Hélias, je confesse une petite appréhension en IMG_20181228_184535_resized_20181228_070242539.jpgdépassant vers 17 h le panneau d’entrée du village. Celui-ci se révèle être  (avouons-le d’emblée) d’une banalité commune à nos yeux, sans relief particulier, hormis son église et une place attenante... Un Intermarché relativement dissimulé ferme le village. Il me fallait quand même y aller, voir, vérifier. Pouldreuzic (village, proche, de Jakez-Hélias – sa maison natale se visite, et siège de l’entreprise Jean Hénaff, le très célèbre pâté breton à la robe métallique bleue et jaune), le port de Penhors à proximité enfin, sont plus authentiques, car de facture plus sauvage. On y retrouve l’atmosphère celtique, quasi irlandaise de la presqu’île de Crozon, en y mettant un peu du notre. Plozévet cristallisa l’attention d’observateurs de grand renom à une certaine époque. Outre « Le Cheval d’Orgueil », il faut citer l’étude sociologique « de terrain » magistrale d’Edgar Morin, « La métamorphose de Plozévet, commune de France » (Fayard, 1967). À travers la radiographie minutieuse d’un village emblématique de tous les bouleversements d’après-guerre : disparition inexorable du monde paysan, libération des femmes, révolte de la jeunesse, entrée dans le monde contemporain et ses sirènes urbaines, la société de consommation, la civilisation des loisirs, le tourisme « kodak » bientôt de masse... Sans oublier l’hygiène domestique (l’apparition des toilettes, par exemple), le développement des routes qui désenclavent, la première « folle du logis » : la télévision qui prend place à côté de la cheminée... Morin circonscrit avec pusillanimité l’entrée dans l’univers moderne. L’étude fit grand bruit et fait encore autorité (d’un point de vue historiographique). Elle constitue le pendant du livre merveilleux de Jakez-Hélias qui narre la vie quotidienne de sa propre famille d’humbles paysans en pays Bigouden, à l’immédiate après Première Guerre mondiale. Le poids de la religion, l’importance de la langue (l’époque était à l’« interdiction de parler breton et de cracher par terre »), l’extrême précision des traditions qui ordonnent et rythment la vie à la campagne, les légendes et les us, les costumes et coiffes, typiques comme le mobilier, le développement de « l’instruction », et celui de la mécanisation du travail aux champs, le récit de l’existence simple de ces gens-là éloignent le livre d’une étude ethnographique à la facture froide pour l’apparenter davantage aux « Tristes Tropiques » de Lévi-Strauss, au moins par le ton employé, la démarche à la marge, la dimension littéraire aussi (même si Lévi-Strauss plane à plusieurs crans très au-dessus de Jakez-Hélias. Rappelons juste que les jurés Goncourt hésitèrent à le couronner, puisqu'il ne faisait pas oeuvre de fiction, comme ils durent d'ailleurs réfléchir cette année au sujet du somptueux « Lambeau » de Philippe Lançon...). Autant de raisons qui justifiaient une virée, hier, du côté de Plozévet, et qui se devait de s’achever – non sans appréhension - en poussant la porte de la Maison de la presse-Café des Sports-Loto-Librairie du village, avec l’espoir d’y apercevoir ces deux livres. Un soupir de satisfaction et de soulagement libéra immédiatement mon espérance (j’eus été peiné de ne pas tomber sur leur couverture). 

    IMG_20181227_101600_resized_20181227_114815728.jpg

    Je prenais une photo des livres (ci-contre) et regagnai Primelin le cœur léger. J’avais enfin vu Plozévet. Je remis des bûches dans la cheminée en regardant l’Océan. Une bande de goélands longeait la falaise avec nonchalance, deux merles se poursuivaient en rasant l’herbe drue. Il était temps de se remettre en cuisine. Un souvenir me revint alors curieusement en touillant les légumes dans la grande poêle : celui de la cuillère en bois sculpté, et son importance le dimanche et lors des noces (***). Les paysans du Pays Bigouden s’y rendaient avec leur propre cuillère taillée dans le buis ou le pommier. Et si un jeune homme offrait la sienne à une jeune femme, cela signifiait qu’il devenait son « prétendant » (au Pays de Galles, une coutume voisine a généré l’expression de Love spoon). Je crois me souvenir aussi que certaines tables étaient creusées et que chaque cavité ronde tenait lieu d’assiette. À vérifier lorsque je retrouverai mon exemplaire racorni. L.M.

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    (*) Nous tairons ici la polémique initiée par le grand écrivain, poète Xavier Grall (1930-1981), auteur notamment d'un livre précieux entre tous, « L'inconnu me dévore » (Equateurs, rééd. 2017 aux bons soins de Pierre Adrian, et sous la houlette d'Olivier Frébourg), avec son coup de gueule « Le Cheval couché » (Hachette, 1977), qui accusait Jakez-Hélias de donner une image passéiste, voire dégradante du paysan breton que d'aucuns jugèrent hâtivement arriéré (un qualificatif aujourd'hui désuet, et jadis péjoratif, comme le mot plouc), dès la parution du « Cheval d'Orgueil ». Grall évoquait dans son pamphlet un folklorisme fossilisant. C'est dire le degré polémique qui sévît dans (le) Landerneau... 

    (**) Je n’ai pas vu l’adaptation du « Cheval d’Orgueil » qu’en donna Claude Chabrol en 1980 (avec Jacques Dufilho dans la distribution).

    (***) Vérification à venir : le rapport (improbable) entre la cuillère bigouden et la signification de l'échec total de la cuillère de bois attribuée au grand perdant, lors du Tournoi des Six Nations... Si ce que je pressens se vérifie - soit que (naître avec) une cuillère d'argent oppose les classes sociales : argent contre bois (attribut des paysans bigouden, fort pauvres pour la plupart), la philosophie du rugby serait un brin écornée à mes yeux... Mais j'en doute.

  • Crush : Cigarettes after sex et Trans-Europ-Express

    La scène la plus intéressante (plus quelques collages) de Trans-Europ-Express, film prétentieux et pervers d'Alain Robbe-Grillet (1966), très Nouveau roman, très inspiré de la Nouvelle vague bien sûr, mais sans grand intérêt, hormis la mise en valeur d'un couple : la séduisante Marie-France Pisier et le magnétique Jean-Louis Trintignant. Ce montage sur un morceau du groupe Cigarettes after sex en devient captivant. Ça happe. 

    https://bit.ly/2RRVfrz

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  • The Quiet Man

    Capture d’écran 2018-11-14 à 00.58.54.png« The Quiet Man », « L’Homme Tranquille », film de John Ford (1952) est un incontestable chef d’œuvre. L’Irlande paysanne et villageoise, sa nature, ses rivières à truites, ses pubs à stout coulant à flots, tout est là qui nous donne envie de prendre des billets pour Dublin ou pour Cork illico. Maureen O’Hara et John Wayne y sont splendides.

    Bon, le scénario hollywoodien fonctionne à fond sur le thème (grosso modo) : on ne réveille pas un flic qui dort. Clint Eastwood aura beaucoup donné dans la veine. Ici, la mesure de John Ford est d'une délicatesse touchante. L'ex-boxeur qui sait sa force meurtrière n'en usera pas une fois de plus, qui plus est avec son beau-frère. C'est un quiet man...

    À la 18è minute, nous étouffons un rire en lisant ce qui suit. C’est le frère aîné de la rousse de feu Mary Kate, que convoite déjà Sean, Red Danaher qui parle, lorsqu’il apprend que Sean Thornton, de retour des USA sur sa terre irlandaise natale, vient d’acquérir la demeure de sa famille, « La maison de l’aube », que celui-ci convoitait : « Il le regrettera jusqu’à sa mort, s’il vit jusque-là ». C’est délicieux. 

    À une heure et dix-sept minutes, la voix de Sean/John se fait plus glamour, lorsqu’il prend Mary Kate/Maureen, qui devient sa femme, dans ses bras de boxeur repenti : « Il n’y aura pas de verrous entre nous, sauf ceux de ton cœur mercenaire ». On adore. L.M.

    Capture d’écran 2018-11-14 à 00.57.32.png

  • Développement instantané

    Capture d’écran 2018-10-14 à 09.19.57.pngL’avantage des nouvelles d’Éric Neuhoff sur les photographies à développement  instantané que nous prenions jadis avec nos Polaroïds blancs, c’est qu’elles ne s’effaceront pas avec le temps. Ces « shorts » désenchantées mais toniques – c’est le premier recueil de nouvelles du romancier des Hanches de Laetitia - sont un cocktail sweet and sour que l’on pourrait nommer Gin Fitz’, et dont la trace en arrière-bouche campera dans nos mémoires. On y trouve la tendre désinvolture de Nimier, la candeur de Déon et un zeste de Morand pour le citrique. Sans paille mais avec des glaçons, cela donne du Neuhoff, hussard mélancolique au ton singulier, effeuillant un bouquet de femmes (pour fil d'Ariane) qui ne saurait faner, toutes armées de prénoms à cran d'arrêt et de réparties à barillet, tour à tour agaçantes, capricieuses, feux-follets, félines, inconséquentes parfois, sensuelles toujours, qu'elles soient allongées sur une plage, un lit de chambre d’hôtel, ou affalées à la place du mort dans une voiture. Ce sont de belles enfuies chimériques, par conséquent inoubliables. Au fil des dix-sept épisodes d’une série que l’on pourrait titrer « un homme fragile façon puzzle », nous suivons l’auteur de Cadaquès à Lisbonne, de Toulouse à Cannes, de la Corse à l’Irlande, de la Grèce à Madère (pour une virée avec Denis Tillinac), de Saint-Tropez à Saint-Germain-des-Près, le port d’attache, sans jamais le lâcher d’une phrase. Il y a évidemment pas mal de cinéma et beaucoup de littérature entre ces pages où traine toujours un cheveu long, et comme parfumées au timbre évanoui d’une voix limpide. Nous y croisons Jean Seberg qui n’a pas disparue, pas plus que Patrick Dewaere évoquant son pote Depardieu suicidé de longue date, et l’ours J.D. Salinger répondant à une invitation de Jackie Kennedy à se rendre à la Maison Blanche. Neuhoff a toutes les audaces. Il peut dire, à l’instar de Jacques Laurent : « Rapportant ses souvenirs, il se laisse le droit de les inventer ». La mémoire de l’auteur de Costa Brava (avec laquelle il entretient les rapports d’une balle de Jokari : un fil invisible l’y ramène sans cesse), s’accroche aussi aux amitiés jalouses de l’enfance, à ses années dolce vita, à des événements survenus au cours de l’année charnière de 1982. Avec une épuisette de délicatesse, respectant toujours les précautions d’usage, Neuhoff s’est adonné à la chasse subtile aux papillons des réminiscences dispersées. Il les a recueillis, puis consignés sur un rocher parsemé de formules qui font mouche. En bas, on entend la mer qui frappe. Et ces Polaroïds, sous lesquels un cœur se retrouve parfois en pièces détachées, ont un mécanicien aimant le réparer nonchalamment – sans jamais le serrer. L.M.

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    Éric Neuhoff, Les Polaroïds, nouvelles (Le Rocher).

  • Éternelle Pandora

    Capture d’écran 2018-06-25 à 20.24.03.pngÀ mes sens l'un des plus beaux films de l'histoire du cinéma depuis son invention. J'apprends à l'instant que Arte donne (dans quelques minutes) Pandora, d'Albert Lewin (1951) avec James Mason et une Ava Gardner sublimissime. J'envie, je jalouse ceux qui n'ont encore jamais vu Capture d’écran 2018-06-25 à 20.24.13.pngce long poème en prose que je visionne régulièrement comme on se perfuse. Et vive le romantisme débridé, le sentiment tragique de la vie, la tauromachie à mort, les bolides aussi, le don du rien, la geste chevaleresque, l'amour courtois et oblatif, l'esthétique pour elle et rien d'autre, la noblesse d'esprit, la galanterie majuscule, l'absolutisme sensible,  les Hollandais volant et les femmes fatales... L.M.

     
  • Les flacons d'abord

    Capture d’écran 2018-06-13 à 13.39.12.pngÇa commence avec un emprunt à deux incipits : ceux de « Aurélien » de Louis Aragon et du « Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline » dans la même première phrase, et ça finit par une allusion à l’excipit du « Singe en hiver » d’Antoine Blondin avec un épisode à la Roger Nimier ou à la Jean-René Huguenin. Des références en forme de révérences. On adore. Christian Authier aime le jeu et l’hommage. Avec « Des heures heureuses », son septième roman (Flammarion, 19€), il ne nous donne pas seulement à boire du bon vin à chaque page ou peu s’en faut – d’ailleurs, quand il est mauvais, cela déclenche la colère de Thomas (sa doublure) et celle de Robert Berthet son mentor. Il nous fait également rire avec une tripotée d’anecdotes (toutes vraies bien qu’invraisemblables) et jouer aux devinettes : quel écrivain ami, quel vigneron aimé, quel chef de talent se cachent derrière de vrais noms comme ceux de Maréchaux, Guégan, Lacoche, Maulin ? Alors on cherche à deviner, et Authier corse le jeu. Au rayon vignerons, Éric Callcut c’est Calcutt, Selosse c’est Selosse en substance, mais Jean-Christophe Besnard c’est Comor ! Comme Jean-Marc Filhol c’est Parisis au rayon écrivains, et Alain Laborde, Yves Camdeborde au compartiment cuisiniers. C’est relativement fastoche lorsqu’on est initié, soit un peu du club...

    Références à Blondin à coups de citations planquées, répliques-cultes des « Tontons flingueurs », d’autres allusions plus subtiles à des ouvrages de Sébastien Lapaque par exemple (Les vins de copains, Théorie de la carte postale)... L’auteur s’amuse en écrivant et cela nous procure un bien fou. De même qu’il est franchement jouissif de lire (enfin) une satire en règle des faussaires de tout poil. Qu'il s'agisse des bobos adeptes aveuglés du vin « nature » non soufré au nez de pisse de chat et au goût de vieille serpillère, comme de ceux qui les « font » sans rien faire justement, et qui ont donc du temps pour prêcher la parole sectaire de leur confrérie intégriste du goût mauvais.

    Il y a du Déon, du Nimier dans le style, et du Houellebecq dans le regard davantage mélancolique que désabusé que l’auteur porte au monde tel qu’il déçoit. Loin de surfer sur la vieille vague du c’était mieux avant, puisque « le passé qu’ils regrettaient ne datait que d’une vingtaine d’années », Authier instille par touches délicates, de manière pointilliste, ses avis sur la question contemporaine. Qu’il s’agisse de l’ère du tri sélectif, des parvenus que tout Guépard dans l'âme vilipende, de l’inculture assumée des jeunes – sans honte bue, de la dictature du portable ou – plus grave -, de la disparition du sourire. Il n’est pas tout à fait « antimoderne » non plus, mais loue à n’importe quel taux la douce fureur plutôt que la peur, de vivre.

    Le sujet principal est ce monde des vins que l’on dit vivants, ou bios pour faire court. C’est le cadre. Le contenant. Le contenu est infiniment humain, infiniment Français, si sensible, fragile même, car sous les sautes d’humeur, les boutades, les engueulades et les mornifles engendrées par la picole, les bons mots à se bidonner comme : « Patron, du vin ou on encule le chien ! », ce sont là des hommes en rupture de ban avec leur époque qui se cachent derrière le masque du sourire. Ce ne sont pas des « Enfants tristes » pour autant, mais de « vieux enfants » au cœur gros comme ça, habités par « la nostalgie de l’insouciance et de l’innocence ». Des « frères d’âmes » sachant mieux ouvrir les boutanches que fendre l’armure. « Des heures heureuses » est ainsi un roman Hussard en diable pour la joie de boire et de rire, pour les copains d’abord, cette bande de singes toujours en hiver, et il contient aussi une touche à la Drieu pour « ce désenchantement intime (qui) les rendait touchants », ce qui lui donne une belle longueur en bouche. Il y a aussi du football et pas mal de cinéma (deux marottes de l’auteur) dans ce livre qui foisonne de bonnes choses comme un assortiment de tapas nocturnes.

    Nous aimons partager les agapes toulousaines (au Tire-Bouchon notamment) et germanopratines (chez Yves Camdeborde au Comptoir du Relais, chez Michael au Moose) et fort arrosées des joyeux drilles, membres du « Clup ». Et surtout suivre les virées en voiture sur les routes des vignobles français de respect, d’un tandem de tendres fanfarons – Thomas l’élève de 26 ans au regard faussement candide, et Berthet l’agent en vins bons, la cinquantaine bougonne, voire soupe au lait. C’est Don Quichotte et Sancho Pança sans les moulins. Mais avec une Dulcinée nommée Zoé qui, surgissant tout à trac, fera flancher Thomas – et nous le comprenons en lisant le portrait de cette fée qui embarque l'amoureux pour Lisbonne, Berlin, Madrid, Istanbul et le Pays basque, histoire de l’extraire de la cave. Au point que le personnage songera à laisser tomber Berthet, les vins... Mais cet hymne à l’amitié – cheval de bataille de tous les romans d’Authier -, ne saurait dévier, sauf cas de force majeure. « Qu’est-ce qu’on boit après ? ». Je parie sur un Prieuré-Roch. On n’a pas de Romanée-Conti. L.M.

  • Le Crabe-Tambour

    L’escorteur d’escadre « Jauréguiberry » (du nom – d’ailleurs - d’un quai de bord de Nive à Bayonne, bordé de restaurants accortes). Mr Lucifer dans le rôle du chat (noir et docile). Dufilho, Rich, Perrin, Rochefort donc, ce soir. L’apparition divine et diaphane d’Aurore Clément. Revu pour la 4ème fois, Le Crabe-Tambour, en hommage double ou triple. En hommage. A Schoendoerffer d’abord. Aux suivants après. A commencer par l’immense JR. Un très grand film, un excellent livre. Un état d’esprit inaltérable. LM

    Capture d’écran 2017-10-10 à 21.23.31.pngCapture d’écran 2017-10-10 à 21.46.20.pngCapture d’écran 2017-10-10 à 22.52.27.png

     
  • Sagan, enfin

    Avec l’auteur des Bleus à l’âme pour prétexte, je risque une confession intime sur l’apprentissage et l'impulsion littéraires. Je parlerai de son œuvre lorsque je la connaîtrai davantage.

    Capture d’écran 2017-01-31 à 00.47.35.pngNous le savons, mais nous ne pouvons nous en empêcher : Écrire à chaud est néfaste, car peu clairvoyant. J’ai pourtant envie de dire combien « je suis Françoise Sagan », ce lundi soir, et combien « je suis » aussi (quelle prétention !) « Catherine Deneuve » au sommet de sa beauté dans « La Chamade », d’après le roman éponyme du « charmant petit monstre ». Merci à Arte, qui nous a offert un doublé, ce 30 janvier, avec le film d’Alain Cavalier (1968), et le documentaire « Françoise Sagan, l’élégance de vivre », réalisé par Marie Brunet-Debaines, enrichi de la voix et des témoignages infiniment touchants de Denis Westhoff, le fils de Sagan. Cela a permis d'oublier Brigitte Bardot (pourtant si présente, par palimpseste), devant la plastique inouïe de Deneuve. Et de découvrir en profondeur le personnage iconique de Françoise Sagan. Merci Arte pour cette soirée tout en tact, en légèreté, en vol de libellule au-dessus du torrent : Bien davantage qu'un James Dean féminin, Sagan est une hussarde, une femme pétrie de vie, cette chose qu’elle s’employa à brûler (avec élégance) chaque jour, chaque nuit par les deux bouts. 

    Capture d’écran 2017-01-31 à 10.02.22.pngNégligence

    Je confesse – et beaucoup se reconnaîtront dans ce qui suit -, avoir bêtement négligé de la lire durant de nombreuses années, la jugeant trop légère, allant alors jusqu’à me moquer de ceux qui la lisaient, à commencer par ma mère, à laquelle j’opposais Yourcenar, voire Duras, les jours d’égarement ou de colère capricieuse. L’époque n’était pas avare en marguerites, et le socle de la pensée était plombé d’un revêtement sartrien à toute épreuve, bien qu'assez peu résistant. Il fallait « faire genre », lire Barthes qui nous barbait, mentir en affirmant avoir aimé le dernier Sarraute, se jeter sur le nouveau Kundera comme un ovin dévot, faire semblant d’aimer l’engagement et même, déjà, conchier le poétique jugé ringard par de nouveaux tribunaux, de certaines proses somptueuses (le Rostand de Cyrano, le Morand nouvelliste, le Toulet de Mon amie Nane). Jusqu’à ce que Stendhal nous tire par la manche, un soir de lecture clandestine car tardive et sous les draps, d’un Dumas de fortune ou d’un Pergaud de contrebande, en nous chuchotant que « La politique dans un roman, c’est un coup de pistolet dans un concert ». Tout devint lumineux. Nous étions jeunes.

    Lumière

    Le déclic avait eu lieu timidement en classe de première, avec des extraits de Vents et d’Amers, de Saint-John Perse, et la bombe Alcools, d'Apollinaire, éveillé par un prof de Français iconoclaste (Lycée de Bayonne, 1975 - je resitue).

    Puis vint la vraie lumière, l’effet détonateur, cette lumière qu'alluma un ami, en me faisant découvrir pêle-mêle Blondin, Nimier, Drieu, Chardonne, mais aussi Huysmans, Barbey d'Aurevilly, Frank, Cioran, des écrivains éloignés d’une littérature de gauche engoncée et triste dans laquelle je me complaisais. Nous dévorions tous deux les livres plus vite que les termites les poutres et mon chien de chasse sa gamelle. Mon appétit accrût singulièrement au contact de cet ami littéraire capital. Nous poursuivions des études à Sciences-Po Bordeaux (ou bien c'était l’inverse : des études nous poursuivaient et nous nous planquions chez Mollat), car on se fichait pas mal de la politique (nous n’aurions cependant raté un cours de Jacques Ellul sous aucun prétexte). Mais nous préférâmes, une fois nos études achevées, oser invectiver Philippe Sollers dans un restaurant, d'une table l'autre, et mon ami aller chiper le courrier coquin de Gabriel Matzneff directement dans sa boîte aux lettres, rue des Ursulines, ce à la faveur d'une virée parisienne placée sous le signe de Léon Bloy et de Dominique de Roux. Nous étions de vrais sales gosses...

    Merci par conséquent à Benoît Lasserre, qui fit office de déclencheur décisif et d'accélérateur incisif. J'avais peu lu, jusque là. Un peu de Kipling et de London, Hamsun et Hölderlin avec passion, les Romantiques allemands, je dévorais la poésie française du XIXè, et puis Vesaas, Ramuz ; mais Lucky Luke surtout. J'avais cependant déjà placé Char et Gracq (découverts le 7.7.77) au-dessus de tous de façon péremptoire.

    Serait-ce grâce à M. Louis, le prof de Français et à mon ami que j’ai commencé d’écrire des livres... Si j’étais présomptueux, je risquerais la comparaison suivante : Mr Louis et Benoît figurent ce qu'ont pu représenter ensemble l'instituteur Louis Germain, Pascal Pia et Jean Grenier pour Camus.

    Stupéfaction

    Sa culture, déjà grande (nous avions vingt ans et des poussières), il la partageait avec moi comme le pain, en me tendant la plus belle part à chaque occasion, et elles étaient quotidiennes. Je découvrais une autre littérature, un pan complémentaire, en somme. Je mis un temps mon obsession de la Nature entre parenthèses (Rousseau, Giono, Genevoix, Moinot, Stevenson) ainsi qu'une attitude bornée qui boutait hors de ma jeune bibliothèque tout livre se déroulant peu ou prou en milieu urbain, car cela m’asphyxiait dès les premières lignes. Ainsi n'ai-je pu lire Proust que fort tard. 

    Aussi, Sagan. Jamais lue jusqu'à il y a peu. Sauf « Bonjour tristesse », mais en le rangeant par la suite dans un coin reculé des rayonnages. Qu’est-ce qu’on peut être bête, snob et bête, quand même… Ce côté petit-intello-de-gauche, sans réel fondement, a longtemps collé à la peau de nombre d’entre nous. Je fus même offusqué, un jour que je rendais visite à Julien Gracq à Saint-Florent-le-Vieil, de voir en arrivant, posé sur la grosse télévision, reposant sur Télé 7 jours, le dernier Sagan. Je crois que c’était « …Et toute ma sympathie », à moins que ce fut « Derrière l’épaule », c’est possible aussi. Je n’en suis pas certain… C’était comme si mes yeux étaient tombés sur un Marc Lévy en visitant Flaubert à Croisset ! Allez comprendre. Allez comprendre comment, avec le temps, nous revenons – ou plutôt nous allons enfin – vers des Sagan, après les avoir négligés, méprisés au nom d’une barre placée haut, au nom d’une certaine idée prétentieuse, pédante, hautaine au fond, de la littérature.

    Ou alors, ou alors. Ou alors… notre époque décline (c'est un fait), au point que l’inculture, la déculturation ambiante, une certaine ignorance assumée, nous font mettre désormais la barre plus bas, là où ça nivelle, nous pousse à délaisser ce qui provoqua nos décharges d’adrénaline littéraires les plus fortes, et qui se trouve à présent relégué au rayon du trop littéraire, du compliqué, étiqueté prise de tête, donc superflu... De la même manière que nous jugions faible ce vers quoi je me rends ce soir avec délice : « la petite musique Sagan », ce style dépouillé et cheminant, ce côté romancière du couple comme le fut Moravia, ce timbre que les films de Claude Sautet possèdent, ces chansons d’Aznavour qui touchent les quadras adultères…

    Perspicacité

    Je trimbale avec moi depuis plusieurs jours un livre formidable de Sagan :Capture d’écran 2017-01-31 à 09.56.59.png « Chroniques, 1954-2003 » (Le Livre de Poche, dans une édition reliée, comme les « poche » ont pris l’habitude d’en produire à l’approche des fêtes, et qui hisse le format au rang d’ouvrage de collection). Ce sont ses articles (les chroniques sont des articles endormis, écrit Denis Westhoff dans l'avant-propos) sur tout et rien, parus dans L’Express, ELLE, Femme, Egoïste, Vogue, La Parisienne… Les textes sur Verlaine, Depardieu, sur Capri, Naples, sur la mode, le rugby, la lecture ou encore Orson Welles… sont des petits joyaux. C'est stylé, diraient les jeunes, espiègle (une marque de fabrique) et perspicace. L’auteur de tant de romans délivre aussi une écriture journalistique de talent.

    Car, sous ses airs distillés et shootés, sous ses paupières tellement lourdes qu’elles donnent envie de tomber avec elles - à l’instar des seins de Billie Holiday, et derrière une légendaire frange blonde bien commode, Françoise Sagan porte véritablement, passé le masque de la pudeur et de la distinction, un regard percutant et précis sur les êtres, les sentiments et sur les choses, comme une flèche décochée trouve le mille sans aucun bégaiement. Alors oui, ce plaisir tardif de retrouver quelque livre racorni publié par Julliard ou Flammarion et au titre singulier emprunté parfois à Éluard –un titre saganien (ça se dit ?), faire provision de quelque Pocket à la couverture douce et claquante, puis lire peinard, désinhibé, procure un plaisir simple incroyablement bienfaisant. Merci par avance, Françoise Quoirez, de Cajarc (Lot), car nous n’avons pas fini de découvrir vos sortilèges. L.M.

     

  • Sunset Song

    Capture d’écran 2016-11-03 à 00.19.07.pngEnvie, sincère, de partager le plaisir que je viens d'éprouver en regardant ce film puissant, et injustement passé inaperçu. Rustre avec délicatesse, rude et si tendre, cru mais si percutant, vrai, car essentiel avec pudeur et tact, cette histoire d'une femme d'exception, la réalité de la couardise de la Grande Guerre, circonscrite avec justesse, l'amour ingénu et total, la nature écossaise, sauvage mais souple de la région d'Aberdeen (que j'adore, et pas que pour ses whiskies), le jeu émouvant de bout en bout de la très belle Agyness Deyn, enfin... Tout cela en fait, je crois, un film fort. L.M.

    Sunset Song

     

  • impudeur, peut-être

     

    Capture d’écran 2016-08-18 à 13.53.06.png

    Je sais, c'est impudique, mais comme cette photo évoque une scène de cinéma, de l'avis, fiable, de ceux qui l'ont vue, je la propose ici, m'autorisant un coup de canif dans toute déontologie minimale. Ma mère est dans la DS. C'est un dimanche après-midi (entre 1970 et 1976), dans le port de Bayonne. Le m/s Léon Mazzella est à quai, de retour d'Afrique avec rien dans ses flancs, puisqu'il chargera ici. Ce sera selon : soufre, phosphate, traverses de chemin de fer... Derrière lui, en reflet sur les vitres du dernier hommage rendu à la carrosserie automobile (la Citroën précitée), se devine le m/s Cap Falcon, autre navire de la flotte de mon père, armateur. Papa est forcément à bord. Maman a l'air de s'ennuyer grave. Il lui tarde de rentrer et de préparer les pâtes pour la famille. Après le bain des enfants. Et zou, au lit fissa pronto!.. C'est dimanche. Après ce sera plateau-non! pas télé, autre chose avec son homme.
    L.M.
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    P.S. : Le levier de vitesses est au volant, le modèle date bien. Le rétroviseur central produit un clic-clac mat lorsqu'on l'actionne (jour/nuit), afin de lutter contre l'éblouissement des phares - jaunes -, du con qui suit et qui ne pense pas à passer en code. La montre, rectangulaire, se règle à la main avec un gros bouton. Le poste, qui a déjà connu plusieurs ID et DS, est un Radiola toujours branché sur RMC, que mon père appelait "Radio Andorra"!.. Pourquoi maman ne baisse-t-elle pas la vitre, afin de respirer un peu d'air fluvial chargé de marée montante (c'est mieux que descendante) ? Le bruit des grues, peut-être. L'envie de rentrer, sans doute...

     
     
     

     

  • Les années Vadim

    téléchargement.jpegUne autre époque. L'insouciance, les fiestas chaque soir, les épaules bronzées et salées - ce liseré blanc qu'on aime baiser, une main empaumant un sein, l'autre tenant un verre. Les - très - jolies filles, le cinéma perpétuel, un cinoche à trente-six dimensions, king size comme les lits de bonne fortune où tombaient les nombreuses maîtresses, toutes plus sexy les unes que les autres, et qu'occupait un playboy nommé Vadim. Roger Vadim. Arnaud Le Guern, qui signa un Paul Gégauff mémorable, a l'âme damnée par ces années de plume et d'alcools, qui précédèrent d'autres, de plomb et de vinaigre. On le comprend. Et nous partageons son amour hussard des plages, des films, des chemises de lin blanc, de la délicieuse superficialité de certaines poupées en bikini. Nous suivons l'auteur page à page - il n'a pas besoin de nous prendre par la manche, et nous plongeons dans une sacrée époque, imbibée de plaisir comme un baba de rhum. Une époque où la désinvolture le disputait à la nonchalance, mais au sein de laquelle des talents légers et délicats comme des papillons, et doués pour le culte de la beauté et rien qu'elle, surnageaient, à l'instar d'un glaçon pris par le Spritz. Vadim en fut. Un tombeur, ce doué-là. Un mec à rendre jaloux la moitié de la planète. Ce qu'il parvint à faire sans lever le petit doigt. Et un sacré oeil qui savait déceler l'actrice sous la peau de la femme, ou bien la fabriquait le temps d'un film. Qu'est-ce alors que le temps, le succès, sinon des sorbets au soleil. L'évanescence est une danse, la vie de la soie, l'émotion une fumée. La biographie buissonnière d'Arnaud Le Guern zigzague, pétille. Plop! le champagne glougloute ici et là, elle bifurque aussi, car elle s'est nourrie d'anecdotes et de citations. Un vrai bonheur est celui de tourner les pages de Vadim, untéléchargement (1).jpeg payboy français (Séguier), de suivre cet ange affamé (titre de son autobiographie), de film en film, et de femme en femme (B.B., Jane Fonda, Catherine Deneuve, Maria et Catherine Schneider, Sylvia Kristel, Marie-Christine Barrault in fine, parmi tant d'autres créatures de Dieu. Mille e tre!). Les seventies furent placées sous le signe de la séduction comme les quatre-vingt dix le furent sous celui de la réussite aux dents longues. Elles avaient une autre classe. La bande à Vadim comptait de sacrés fêtards au génie singulier : Maurice Ronet, Paul Gégauff, les frères Marquand, Daniel Gélin, entre autres artistes. Et qu'importe si Vadim a signé des films que le 7ème art ne retiendra sans doute pas, même si Tarantino et d'autres s'en sont inspirés. L'homme couvert de femmes aura vécu comme un prince de la légèreté dense. Cela s'appelle le style. Ce n'est pas rien, par les temps mornes qui courent. L.M.

  • Je suis Claude Sautet

    Capture d’écran 2016-05-24 à 11.15.52.pngJ'ai revu, une fois de plus, César et Rosalie, à la télé, avec ce plaisir étrange de l'identification totale, aussi forte qu'entre les pages d'un roman d'amour pourvu d'une épaisseur certaine (Zweig, Marai, Eliade). L'empathie est terriblement sensible, avec les films de Claude Sautet. Alors, j'ai repensé aux Choses de la vie, encore la sublime Romy, et l'immense Piccoli. Et la petite musique Sautet. Années soixante-dix. Mes parents. Leur amour fou. Un spectacle permanent et lumineux, incandescent, idéal, pour leur fils -et filles. Un côté En attendant Bojangles, le roman de Bourdeaut (lire ici, plus bas, au 18 avril), soit une mélancolie gaie, les larmes avec les rires. Les années bonheur, l'insouciance, la mer, le soleil, la terrasse toujours remplie d'amis... Une atmosphère que j'ai - très modestement - décrite dans mon roman Flamenca. Et donc Sautet, sa façon de dire avec tant de tact et de justesse les sentiments, une époque... Comme Aznavour sait chanter l'amour mûr, devenu adulte. Alors je pense à Capture d’écran 2016-05-24 à 11.14.15.pngla chanson d'Hélène, comme on pense au thème de Camille, de Georges Delerue, dans Le Mépris, de Godard, (évoqué sur ce blog de façon récurrente)... La chanson d'Hélène est la plus bouleversante qui soit, la plus douce. Aussi douce et forte que les regards de Sami Frey et d'Yves Montand, à la fin de César et Rosalie, par la fenêtre, lorsque Rosalie/Romy revient... Aussi douce et irrémédiable que l'eau (ou parfois le sable), qui coule, s'échappe d'entre nos doigts. La vie qui fuit, l'amour qui ne se retournera pas, une plage soudain déserte, une page à nouveau blanche, une saison sèche qui tremble à l'horizon comme un mirage. Un côté comme ça... Alors, oui, il y a des jours comme ça. Et, aujourd'hui, comme si souvent, comme ce soir nous sommes septembre (davantage que Charlie), Je suis Sautet. L.M.

    Cliquez là => La chanson d'Hélène 

    Capture d’écran 2016-05-24 à 10.53.04.pngCapture d’écran 2016-05-24 à 11.17.24.png

     

     

  • Belgica

    Capture d'écran 2016-03-25 23.34.01.pngJe sors à l'instant secoué de la projection de Belgica (en salle depuis le 2 mars). Felix van Groeningen, à qui l’on doit notamment le magnifique, le poignant Alabama Monroe, signe un film d’une force, d’une brutalité aussi rêche que la douceur qui nimbe, imprime Belgica est envoutante. Frank (Tom Vermeir), et Jo (Stef Aerts), deux frères qui s’étaient perdus de vue - magnifiques acteurs -, se retrouvent autour du projet d’extension du bar de Jo. Agrandi, métamorphosé, le café Belgica devient vite the place to be des night people de tout poil, et de solides ensembles de rock y défilent. L’alcool, la cocaïne (difficile de compter les pintes bues et les lignes aspirées pendant le film), le sexe, la violence, les débordements de toute sorte, les addictions, y compris à l’amour, à la fidélité comme à l’infidélité, forment un tourbillon de plans larges et de séquences serrées - formidablement mis en musique par Soulwax. Un film à la fois bouleversant et percutant, sec et sensible, cash et tendre. L.M.

    La bande annonce : Belgica

     

  • J'avais fini par oublier ça, Hiroshima mon amour

    téléchargement.jpegCliquez, puis lisez : 

    https://www.youtube.com/watch?v=-aqFjWz41c0

    Je te rencontre.
    Je me souviens de toi.
    Qui est tu ?
    Tu me tues.
    Tu me fais du bien.
    Comment me serais je doutée que cette ville était faite à la taille de l´amour ?
    Comment me serais je doutée que tu étais fait à la taille de mon corps même?
    Tu me plais. Quel événement. Tu me plais.
    Quelle lenteur tout à coup.
    Quelle douceur.
    Tu ne peux pas savoir.
    Tu me tues.
    Tu me fais du bien.
    Tu me fais du bien.
    J'ai le temps.
    Je t'en prie.
    Dévore-moi.
    Déforme-moi jusqu'à la laideur.
    Pourquoi pas toi ?
    Pourquoi pas toi dans cette ville et dans cette nuit pareille aux autres au point de s'y méprendre ?
    Je t'en prie…

     

    images.jpegCliquez à nouveau, puis lisez : 

    https://www.youtube.com/watch?v=oPONf1fu2II

    Je te rencontre.

    Je me souviens de toi.

    Cette ville était faite à la taille de l´amour.
    Tu étais fait à la taille de mon corps même.
    Qui est tu ?
    Tu me tues.
    J´avais faim. Faim d'infidélités, d´adultères, de mensonges et de mourir.
    Depuis toujours.
    Je me doutais bien qu'un jour tu me tomberais dessus.
    Je t'attendais dans une impatience sans borne, calme.
    Dévore-moi. Déforme-moi à ton image afin qu'aucun autre, après toi, ne comprenne plus du tout le pourquoi de tant de désir.
    Nous allons rester seuls, mon amour.
    La nuit ne va pas finir.
    Le jour ne se lèvera plus sur personne.
    Jamais. Jamais plus. Enfin.
    Tu me tues.
    Tu me fais du bien.
    Nous pleurerons le jour défunt avec conscience et bonne volonté.
    Nous aurons plus rien d'autre à faire que, plus rien que pleurer le jour défunt.
    Du temps passera. Du temps seulement.
    Et du temps va venir.
    Du temps viendra. Où nous ne saurons plus nommer ce qui nous unira. Le nom ne s'en effacera peu à peu de notre mémoire.
    Puis, il disparaîtra tout à fait.

    © Marguerite Duras, Alain Resnais.

  • Indochine et l'Amant

    Version longue* d'un papier paru dans L'EXPRESS cette semaine (hors-série C'était l'Indochine).

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    *Faute de place, il faut parfois couper nos textes à la machette! L'avantage d'un blog est aussi d'en proposer les versions originelles.

    Capture d’écran 2015-03-25 à 09.15.30.pngLE PRISME DOUBLE DU CINÉMA

    Le cinéma aide parfois à comprendre l’histoire. En dépit de la fiction, et lorsqu’il est servi par un scénario solide, le septième art a valeur de documentaire artistique. Deux films emblématiques disent l’Indochine française dans ses excès opposés.

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    En 1992, Régis Wargnier offre « Indochine », sur un scénario co-rédigé par les écrivains Erik Orsenna et Louis Gardel (l’auteur de « Fort Saganne ») et par la scénariste Catherine Cohen. L’Indochine des années fastes : 1920-1945 y est dépeinte, décrite, dans ses splendide et cruelle vérités. Portrait d’une famille française emblématique, qui fait fortune avec la culture de l’hévéa –principale industrie coloniale indochinoise, « Indochine » souligne l’opulence du « bon temps des colonies ». Eliane Devries (interprétée par Catherine Deneuve) est une femme d’un âge mûr, née en Indochine, qui n’a jamais vu la France et qui est la riche héritière d’une immense plantation familiale, sans doute la plus importante d’Indochine (1).

    Le feu sous l’insouciance

    Elle incarne ces années insouciantes, jusqu’à ce qu’un ferment de révolte communiste et nationaliste se fasse jour. Le film n’est cependant pas la peinture idéalisée d’une nouvelle bourgeoisie apaisée, jadis conquérante et brillant à présent d'un humanisme relatif. La dure réalité est là, notamment avec la brutalité sans limites de l’administration coloniale –Jean Yanne incarne un chef de la Sûreté au caractère de mufle. Loin, aussi, des clichés du film anticolonialiste « basiquement » militant, le long métrage de Régis Wargnier se veut consensuel mais échoue à colmater les failles, ainsi qu’à faire entendre raison, tant aux idéologies contraires qu’aux passions schismatiques. Certes, la riche héritière adopte la petite Camille, une princesse annamite devenue orpheline. Certes, l’exotisme est présent, parfois de manière très « chromo », et la vie luxueuse mais laborieuse au sein d’une plantation conduite d’une main de fer (en raison des aléas de la culture de l’hévéa), sonne assez juste. De même, résonne avec précision la montée sourde, lente et certaine d’une révolte qui préfigure le futur Vietnam. Et comme est dépeinte avec tact l’arrivée soudaine d’un bel officier de Marine qui tourne la tête d’Eliane, puis celle de Camille devenue jeune femme. « Indochine » en devient une synthèse, à la fois de cette période riche et désinvolte comme une nouvelle de Paul Morand, ou une affiche colorisée d’Air France, et aussi la chronique des années de braise d’une colonie condamnée à être emportée par le vent de l’Histoire – le tout mêlé à une tourmente amoureuse générale, car l’histoire de l’Indochine française est bien celle d’une violente passion.

    C’est là toute la portée romanesque du cinéma lorsqu’il ne se dépare pas de ses vertus ethnographiques. Car il permet, le cas échéant, de comprendre aussi la stratégie d’un parti communiste tout juste créé, d’abord dirigée contre les mandarins, ces fonctionnaires impériaux qui soutiennent les colons français, puis qui s’en prend directement à ces derniers. C’est enfin le portrait d’une jeune princesse annamite, en rupture personnelle –et par là historique, avec sa classe et sa naissance, puis qui se métamorphose en révolutionnaire rouge inflexible, symbolisant de façon éclatante un soulèvement profond mû par d’innombrables « vocations » analogues, et qui dessine le Vietnam en marche de Hô Chi Minh.

    La face cachée des colonies

    « L’Amant » valut le prix Goncourt en 1984 à Marguerite Duras et que Jean-Jacques Annaud adapta huit ans plus tard, souligne un interdit dans l’Indochine française : celui des relations intimes entre Français et Asiatiques (en l’occurrence, l’amant du roman est un riche Chinois). Au-delà de l’intrigue, mince, d’une jeune française en proie à sa libération sexuelle initiale, et en lutte contre une mère qui lui préfère son frère, le film oppose à « Indochine », de Wargnier, l’image de petits colons français ayant maille à partir avec le quotidien. Le mérite de l’histoire –pour ce qui nous intéresse directement ici-, est de souligner que l’Indochine française n’était pas uniquement peuplée de gros colons en costumes et robes de lin blanches et chapeaux à larges bords, ayant des domestiques à foison et des allures de Gatsby and Co. en villégiature prolongée sur les rives du Mékong. La jeune Marguerite est une fille de colons ruinés, qui passe douloureusement ses semaines en pension à Saigon. Sa mère est une institutrice qui peine à joindre les deux bouts. Duras, en écrivant « L’amant de la Chine du Nord » (Gallimard) en 1991, oppose une réponse non définitive, ou pas assez radicale, à l’adaptation que Jean-Jacques Annaud a faite de son œuvre originelle, « L’amant ». Le désaccord entre les deux artistes est abyssal (2). « L’Amant » (Minuit) n’en demeure pas moins la rare évocation esthétique d’une Indochine certaine des années trente, soit d’un Vietnam socialement endormi encore, bien que fermentant en silence comme le meilleur nuoc-mam (celui de l’île de Phu Quoc), ceci est d’ailleurs écrit avec la grâce, l’émotion, la nuance, la justesse, l’austérité forte de la phrase durassienne retrouvée (quoi qu’en disent les esprits chagrins), et puis la beauté des paysages naturels, ainsi que ceux de la ville, la vie bouillonnante des rues de Saigon (Marguerite Duras naquit en 1914 à Gia Dinh, près de Saigon, soit en pleine Cochinchine coloniale), et surtout de Sadec, dans le delta du Mékong, où sa mère s’établit. Terre inculte, car proie constante des eaux, la concession familiale se révèle être un piège, qui oblige la mère de Marguerite à renoncer, et à aller enseigner.

    Le dur désir de Duras

     « Un barrage contre le Pacifique » (Gallimard. Le livre manqua de peu le Goncourt en 1950), décrit déjà la terre inculte de cette concession, régulièrement inondée par la Mer de Chine, et nous dit par conséquent l’envers de l’image idéalisée des colonies, dans l’Indochine française des années trente à cinquante. La mère de Marguerite Duras, lasse d’ériger de vains barrages contre le Pacifique à la manière d’un Sisyphe résigné (osons l'oxymore), sombre dans une dépression qui devient palpable, dans l’adaptation de « L’Amant » par Jean-Jacques Annaud. La face cachée d’un colonialisme triomphal, confiant, conquérant, dominateur, richissime et insouciant, trouve avec la voix de Duras son exact contrepoint. La profonde désillusion des petits colons français qui peuplaient aussi, en nombre, l’Indochine du Tonkin à la Cochinchine en passant par l’Annam, le Cambodge et le Laos, fut retranscrite dans deux adaptations du premier roman de Duras. La première, par René Clément en 1958, avec Anthony Perkins (Jo) et Silvana Mangano (Suzanne), dans les rôles principaux, et la seconde –nettement plus fade-, par Rithy Panh, en 2009, avec une Isabelle Huppert comme absente, hors-cadre, ou déjà dans son prochain film, et un Gaspard Ulliel en « gravure de mode » sans épaisseur.

    Léon Mazzella 

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    (1) L’historien Pierre Brocheux, dans son « Histoire économique du Vietnam, 1850-2007, La palanche et le camion » (Les Indes savantes) souligne que la décolonisation fut lente et absolument pas radicale : « au Sud-Vietnam, les Français (grandes sociétés et planteurs, commerçants et industriels) conservaient des positions clés dans l’économie. Par exemple, en 1963, 74 000 des 86 000 hectares plantés d’hévéas appartenaient toujours aux grandes sociétés françaises, la chambre de commerce française à Saigon recensait 300 entreprises dans les secteurs pharmaceutique, des pneumatiques, alimentaire, etc. »

    (2)Umberto Eco, conscient de la liberté du réalisateur lorsqu’il adaptait son succès planétaire, « Le nom de la rose », dit simplement et intelligemment ceci : « il y a mon roman, et il y aura ton film ». Marguerite Duras préfère écrire sa version vraie de l’adaptation à venir, imminente, d’un autre texte, réducteur, à ses yeux, puisqu’il ne donne à voir qu’une affaire sexuelle (initiale) entre une gamine pauvre et un riche Chinois de dix-sept ans son aîné…  « L’Amant de la Chine du Nord » est une façon de synopsis que la romancière aurait utilisé pour une adaptation, si elle avait eu à en réaliser une. (Par chance, ce ne fut pas le cas : souvenez-vous des incursions désastreuses de Marguerite dans le 7ème art, comme avec Le Camion - et Depardieu dans le rôle principal, qui ont fait dire à Pierre Desproges : Marguerite Duras n'a pas écrit que des conneries. Elle en a filmé aussi...).

     

    PRISONNIER DES KHMERS

    Le dernier film de Régis Wargnier, « Le temps des aveux » (décembre 2014), signe l’adaptation du célèbre roman autobiographique « Le Portail » (La Table ronde, 2000) de l’ethnologue François Bizot. Et raconte par conséquent la captivité de l’auteur, en mission angkorienne, lorsqu’il fut prisonnier des Khmers rouges, en 1971, dans le camp S21, de sinistre mémoire, dirigé par Douch, l’un des plus grands criminels de guerre cambodgiens –tenu responsable de la mort de 40 000 détenus-, avec Pol Pot et quelques autres. François Bizot a par ailleurs publié en 2011 une sorte d’éloge de la magnanimité, avec « Le silence du bourreau » (Flammarion), livre dans lequel il bat en brèche un lieu commun, affirmant que le bourreau –en l’occurrence Douch-, n’est ni un démon ni un monstre, mais bien pire que cela encore, puisque c’est un homme comme les autres. Et qu’il s’agit de tenter de comprendre, voire d’excuser, par-delà le ressentiment…  L.M.

     

  • La bière fait son cinéma

    Je publie ce papier dans STUDIO Ciné Live magazine de ce mois-ci.

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    Nous sommes loin de la Croisette, loin des stars, du strass et des paillettes. Le temps du Festival est derrière nous, l’été est déjà là. Passons au comptoir et dans la salle obscure, ou devant notre écran le temps de quelques films. De brasserie en brasserie, nous allons sillonner en pensée les pays de la bière, à commencer par la Belgique, la Hollande –et surtout Amsterdam, Heineken city-, en nous livrant au jeu des alliances impromptues du septième art et de la cervoise. 

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    C’est parti : « On va au Winchester, on boit une bonne bière en attendant que les choses se calment ». Cette réplique se trouve dans le film « Shaun Of The Dead». Une pellicule chargée de zombies un rien romantique, signé Edgar Wright, avec Simon Pegg et Nick Frost. Avec une telle toile, c’est une Pelforth brune qu’il faut, ou bien une Tiger, la bière de Singapour. 

    Car il existe des bières adaptées à chaque type de film : une Heineken, une 33 Export, sont des « mousses » qui conviennent particulièrement bien aux comédies légères et aux films à l’humour qui flirte parfois avec la gaudriole soft. Ce sont ces DVD que l’on regarde par un dimanche après-midi, lorsque l’on revient de la plage, comme « Dix bonnes raisons de te larguer », comédie davantage dramatique que romantique réalisée par Gil Junger  (et adaptation contemporaine de « La mégère apprivoisée », de Shakespeare). Dans « Incognito », d’Eric Lavaine, avec le chanteur Bénabar et Frank Dubosc à l’affiche, il y a ce dialogue piquant : « Mais tu peux pas mettre un slip, bordel ?- Pourquoi ?- Bah, je sais pas, tu ne t'es pas dit un moment aujourd'hui, tiens je vais mettre un slip ? (…) - Pas de slip, pas de bière !.. » C’est plutôt drôle, et donc rafraîchissant comme une blonde pression.

    Dans un registre voisin, le cultissime « Dîner de cons », de Francis Veber, avec Jacques Villeret et Thierry Lermitte, recèle une perle qui offre une touche gastronomique – n’oublions pas la cuisine à la bière, chère aux Flamands :  « Moi mon truc, c'est de rajouter une petite goutte de bière quand j'ai battu les œufs ... - L'adresse, bordel ! » Villeret prend d’ailleurs l’accent belge à plusieurs reprises dans ce film désopilant.

    Avec les westerns, il ne faut pas hésiter à déguster une Desperados ! Cela s’impose. S’agissant des films d’aventure, de cape et d’épée ou bien des films historiques qui revisitent des mythes inusables, il y a les bières fortes, un brin rustiques : Murphy’s, comme Foster’s se fiancent allègrement à cet extrait de « Robin des Bois, Prince des voleurs », interprété par un Kevin Costner magistral, dans une réalisation tonitruante que nous devons à Kevin Reynolds : « Le manger est à la portée de tous les imbéciles, mais notre seigneur, dans sa divine sagesse, a prévu une meilleure façon de le consommer. Et levons une prière de remerciement à notre créateur qui, dans sa bonté céleste, nous a donné... la bière. » C’est un hommage! Notons que choisir ici de boire une Affligen, une bière d’abbaye et de légende, serait même « raccord ». Les bières brassées par des moines sont mystérieuses. Et grâce soit rendue aux cisterciens qui inventèrent la bière trappiste. Les bières d'abbaye (bénédictines ou norbertines), sont en revanche brassées de façon « laïque », soit rarement  au sein d'une abbaye. 

    bière - st.jpegAvec de vieux films devenus des classiques, où les scènes de beuverie abondent, comme « Un singe en hiver », d’Henri Verneuil, interprété par Jean Gabin et Jean-Paul Belmondo (d’après l’inoubliable roman d’Antoine Blondin), nous pouvons nous laisser aller à choisir des bières toniques et à fort caractère, comme ces trois méditerranéennes : Cruzcampo pour l’Espagne, Moretti pour Italie, Sagres pour le Portugal, et ne pas hésiter non plus à ajouter une larme de Picon dans l’une de ces cervoises : « Le Picon-bière, ça pardonne pas. C'est de ça que mon pauvre papa est mort. Il n'y a rien de plus traître ! » Évidemment, cela reste une réplique. L’exagération est fréquemment de mise, au cinéma. 

    Avec des comédies déjantées, voire hallucinogènes, qui flirtent avec le genre thriller, comme le célèbre « Las Vegas Parano », il convient de pencher pour des bières rousses, comme George Killian’s et Adelscott. Cette dernière possède une touche particulière car elle est aromatisée au malt à whisky : « On avait une galaxie multicolore de remontants, sédatifs, hilarants, larmoyants, criants, en plus une bouteille de tequila, une bouteille de rhum, une caisse de bières. (…) Non qu'on ait eu besoin de tout ça pour le voyage, mais quand on démarre un plan drogue, la tendance, c'est de repousser toute limite. » Le film de Terry Gilliam n’y va pas de main morte, comme nous savons, et Benicio del Toro comme Johnny Depp y sont de vrais ambassadeurs de notre boisson de prédilection.

    Dans « Un jour sans fin », de Harold Ramis avec un Bill Murray formidable et une Andy MacDowell éblouissante, nous avons cette réplique fameuse, qui va si bien à une bière pression servie directement à la maison, à l’aide un Beertender® en forme d’obus, redoutablement chic et chargé d’une blonde classique, pourquoi pas de l'Amstel : « Toute la vie c'est la même chanson, nettoie ta chambre, tiens-toi droit, essuie-toi les pieds, sois un homme, n'embête pas ta sœur , ne mélange jamais la bière et le vin, oh oui, ne conduis jamais sur la voie ferrée. » 

    Si nous choisissons de voir un dessin animé, une bière sans alcool comme la Buckler est toute désignée. À la rigueur, nous choisirons une Panach’. 

    Nous repensons alors au Fischermännele, le petit garçon Fischer des plaques émaillées de notre enfance. Il est assis sur un tonneau et vide goulûment une grande chope. Cette bière alsacienne bien houblonnée se prend à la pression et à la hussarde, sans chichis ni cacahuètes, dans la plupart des bars situés au nord du 45è parallèle. C’est la bière parfaite pour regarder un film tendre, un drame psychologique pourvu d’une happy end.  

    Enfin, la série culte « Dexter », dans laquelle Michael C. Hall interprète Dexterstudio.jpeg Morgan, expert en médecine légale et assassin de criminels, il y a cette sortie un brin brutale : « D'habitude, je viens ici pour balancer des corps par le fond. Pas des bouteilles de bière comme un gros dégueulasse. » Associons là d’emblée à des bières étrangères aux noms évoquant le septième art : Star, la bière du Nigeria, ou bien Stella, la bière égyptienne, et nous voici aussitôt propulsés sur la piste aux étoiles. L.M.

     

    Pseudo : Enzo Luppolo (houblon, en Italien).

     

  • Johnny got is gun

    mook GG.jpgPapier paru dans le "mook" (gros hors-série) de L'EXPRESS sur la Grande Guerre (en kiosque depuis le 21 novembre) :

    UN PAMPHLET PACIFISTE

    Un jeune soldat américain, engagé volontaire, est atrocement mutilé par un obus aux derniers jours du conflit. Amputé des quatre membres, ayant perdu la parole, la vue, l’ouïe et l’odorat, c’est en apparence un légume de viande au visage défiguré. Mais il a gardé toute sa tête, et souffre d’entendre le monde sans le voir ni pouvoir communiquer avec lui. La médecine, qui le croit inconscient, s’acharne de surcroît ; à titre expérimental. « Je ne suis plus qu’un tas de chair qu’on maintient en vie », murmure le soldat Jo Bonham (Timothy Bottoms), à Jésus (Donald Sutherland), dans une scène onirique aussi émouvante que surréaliste (Luis Buñuel participa au scénario). Dalton Trumbo (1905-1976) réalisa lui-même « Johnny got is gun » (Prix spécial du jury à Cannes à sa sortie en 1971), son seul film, d’après son propre roman images.jpegéponyme paru en 1939. 

    Voix off

    Une relation se noue avec une infirmière bienveillante, tandis que Jo repasse le film de sa vie. Tout repose sur la voix intérieure du blessé, entre douceur et violence. Elle dit la sensibilité d’un  jeune soldat détruit, et son impuissance à hurler sa souffrance. Le procédé (repris par Julian Schnabel avec « Le scaphandre et le papillon »), rend insoutenable un film culte, qui fut aussitôt désigné comme un grand pamphlet pacifiste. De même, l’alternance entre les scènes du réel : l’hôpital, le front, filmées en noir et blanc, et les scènes évoquant les rêves et les souvenirs de Jo, tournées en couleur, augmentent radicalement la force de la cassure. « Johnny » déploie sa dimension émotionnelle lorsque l’infirmière (superbe Diane Varsi) s’aperçoit, un soir de Noël, que l’être dont elle s’occupe chaque jour avec une étrange tendresse, a un cerveau et une peau, sur laquelle elle trace d’un doigt les lettres de Merry Christmas. Mais la morale de l’époque ne flirte pas avec l’euthanasie. De bouleversant, le film  devient aussi poignant que révoltant. L.M.

    En Français : Johnny s'en va-t-en guerre.

  • Inlassablement

    images.jpeghttp://bit.ly/ La musique sensuelle et lancinante de Georges Delerue, ce générique qui signe l'amour du cinéma, le timbre de la voix de Michel Piccoli (Paul Javal), l'ingénuité légendaire de la diction de Brigitte Bardot (Camille), la mâchoire prédatrice et le regard mongol de Jack Palance, son Alfa Romeo rouge, l'escalier de la villa de Curzio Malaparte, le bleu de la Méditerranée à Capri, le texte désabusé d'Alberto Moravia, Il disprezzoFritz Lang himself, l'Odyssée, les fesses de B.B. bien sûr, les jeux de lumière de la scène culte, la tragique histoire d'un amour qui sombre et puis l'époque, mes parents, mon enfance... Inlassablement Le Mépris de Jean-Luc Godard (: un bien fou). Je t'... t..., t..., t...

     

    Le cinéma, disait André Bazin, substitue à notre regard un monde qui s'accorde à nos désirs. Le Mépris est l'histoire de ce monde. JLG

    Le manuscrit autographe du film, 59 pages écrites de la main de Godard (tous les autres sont des tapuscrits), vient d'être vendu aux enchères pour la somme record de 144.300€ chez Artcurial le 9 juin dernier. C'est un collectionneur français qui en a fait l'acquisition.

  • Damiano Damiani

    l-ile-des-amours-interdites-affiche_240844_14171.jpgUn nom du cinéma italien des grandes années vient de mourir le 7 mars à l'âge de 90 ans. De Damiano Damiani, on se souvient peut-être de El Chuncho (1967), un western spaghetti dans la veine des Sergio Leone, avec la révolution mexicaine de 1910 pour cadre et Gian Maria Volonte et Klaus Kinski pour acteurs principaux. On se souvient de Pizza Connection  -à propos de la mafia (Ours d'or à Berlin en 1985), ou de La mafia fait la loi (1968, avec Claudia Cardinale; d'après un roman de Leonardo Sciascia). Pour la télévision, Damiano Damiani fut le co-auteur des premiers épisodes (on ne parlait pas encore de saisons), d'une série lancée en 1984 et qui connut un grand succès au-delà des frontières de la Botte : La Piovra (La Mafia), avec Michele Placido pour acteur principal. Mais qui se souvient de L'île des amoursth.jpg interdites, adapté de l'Isola di Arturo, L'Île d'Arturo, d'Elsa Morante, le grand roman (Prix Strega 1957 -le Goncourt italien), de "la" Morante et qui a Procida pour cadre? Le film valut à Damiani le Grand Prix du Festival de Saint-Sebastien en 1961. Damiani était le cinéaste des problèmes sociaux et il se rapproche en cela du néoréalisme italien. L'Île des amours interdites, tourné en noir et blanc, montre une Procida encore sauvage, une prison, Terra Murata, en activité (elle ne fermera qu'en 1988) et des personnages d'une sensibilité à fleur de peau. De ce film, fidèle au roman, il se dégage une poésie simple, un dépouillement; une vérité pure comme l'enfance lorsqu'elle rencontre la mélancolie et qu'elle cesse de jouer avec un chien sur la plage.

     

  • Par amour

    images.jpgAmour (Haneke) est un film important pour tous ceux qui ont vécu un accompagnement, une fin de vie, un désastre par l'amoindrissement lent et irréversible. Son réalisme est non seulement touchant mais impressionnant -je veux dire qu'il nous renvoie à nous même comme un bain révélateur impressionne (encore parfois) un papier photosensible. J'y ai relevé quelques phrases qui figurent des sortes de pétales :

    Jean-Louis Trintignant à Emmanuelle Riva, en rentrant d'un concert qui donnait Schubert : T’ai-je dit que je t’ai trouvée belle, ce soir ?..

    Emmanuelle Riva à Jean-Louis Trintignant, revenant seul de l'enterrement d'un ami mais elle ne peut désormais plus se déplacer, car elle est devenue hémiplégique : Qu’est-ce que tu dirais si personne ne venait à ton enterrement ? Lui : -Rien, probablement…

    JLT à ER, puis la réponse de  JLT, au chevet de sa femme : Mais tu ne m’infliges rien !.. -Tu n’es pas obligé de mentir.

    Le film aurait pu s'appeler "Par amour". Il nous concerne tous, un jour ou l'autre. L'épure de Haneke le rend essentiel. Et beau comme la peau.



  • Les Enfants du Paradis

    IMG_0653.jpg

    C'est une des plus fameuses répliques d'Arletty (On m'appelle Garance) dont la candeur et le talent participent du film mythique de Marcel Carné, aujourd'hui restauré, vivifié par une superbe exposition à la Cinémathèque (Paris) que l'on doit notamment à l'agence Scène (mention spéciale à la subtilité de la mise en lumière de tant d'affiches, accessoires, documents, costumes...). L'occasion de revoir le film, ses décors, ses dialogues fins, ses plans au millimètre, ses cadrages renversants, sa théâtralité souple, la scène de pantomime de Baptiste Deburau -alias Jean-Louis Barrault (le vol de la montre en or), les répliques inoubliables : Pierre Brasseur (en Frédérick Lemaître) : vraiment, une merveille ce p'tit vin chaud, c'est l'bon dieu qui descend dans la gorge en culotte de v'lours rouge... Baptiste à Nathalie : Si tous les gens qui vivent ensemble s'aimaient, la terre brillerait comme un soleil... Eprouver la fragilité de cristal des acteurs * (Maria Casares sublime en Nathalie), boire les dialogues de Prévert, se laisser prendre par la musique de Kosma, accepter d'être envahi par la gouaille parigote des accents, images.jpegl'aigu des voix, le chaloupé de la gestuelle générale, l'extrême langueur des baisers d'Arletty à Barrault, la lenteur au petit point de chaque mouvement, regard, la mélancolie charnelle, évanescente, ethérée de Baptiste ; la fierté un rien fourbe du bandit-dandy Lacenaire... Et bien sûr l'intrigue -Nathalie aime Baptiste qui aime Garance qui est aimée de Frédérick mais Garance ira avec le Comte de Montray sans cesser d'aimer Baptiste... Un singulier chef-d'oeuvre tout simplement, contre lequel Truffaut aurait échangé tous ses films. La vie dans le théâtre, le théâtre dans le cinéma et le cinéma dans nos veines tout au long d'un film rigoureux mais qui jamais ne souligne l'énorme travail d'amont. Délicat, complet, total ; artiste quoi. Un film tact. Inenvisageable, aujourd'hui?

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    * Notons quelques petits rôles distribués à de futurs grands : Simone Signoret, Jean Carmet, Gérard Blain...

    Photo prise sur un mur de l'expo (Cinémathèque). 

  • La leçon de bonheur de Joël Dupuch

    images.jpegOubliez un instant Jean-Louis-le-gars-des-huîtres-des-Petits-Mouchoirs, la marionnette un brin moralisatrice des Guignols, et penchez vous sur la belle leçon de vie, de courage, de bonheur, que donne cet homme, Joël Dupuch, ostréiculteur archi passionné par son métier et par le Bassin d’Arcachon –son jardin, et en particulier par sa cabane qui ouvre sur le Paradis selon lui-, en lisant, ou plutôt en avalant comme je viens de le faire cul-sec, son livre intitulé Sur la vague du bonheur (Michel Lafon). Je ne tairai pas (ce serait mentir et je sais pas faire), que Joël est un ami depuis plus de vingt-cinq ans, que j’habitais (dans les années 87-92) à deux pas de son bistrot de l’huître, Joël D., qui trônait rue des Piliers-de-Tutelle dans le Vieux Bordeaux tandis que je créchais rue des Faussets, que ses Quiberon n°3 sont depuis lors et pour toujours mes huîtres préférées (il me faudra goûter un jour ses Perles), qu’il a eu l’extrême gentillesse de me donner la parole à la page 45 de son livre, en reproduisant ce que j’ai écrit sur le mot Gascon dans mon bouquin Le Sud-Ouest vu par Léon Mazzella (Hugo & Cie) ; et que voilà.

    Une belle personne

    Joël, que le succès du cinéma (c’est vrai qu’il joue bien, le bougre ! Et je l’ai déjà écrit ici même à la sortie du film -note du 21.10.10) ne saurait entamer d’un millimètre, est ce qu’il est convenu d’appeler « une belle personne ». Et je pèse ces trois mots en les écrivant. Humainement, c’est un champion. Sa droiture, sa fidélité, son bon sens de rugbyman amateur invétéré de vérité, habité par la simplicité et la franchise intérieure, en bref sa morale, devraient servir d’enseignement à chacun, surtout aux  pisse-vinaigre qui se réjouissent du malheur des autres et qui ne consentent à partager que leur morgue. En plus, il écrit bien, le gonze ! Il rédige direct, comme Cyrano ou Brassens balançaient des règles de savoir-vivre simples que l’on a tendance à oublier, dans ce monde peuplé de dupes occupés à s’enrichir matériellement au lieu de passer du temps, comme Joël sait le faire, à aimer, partager, vivre le bonheur lorsqu’il se présente, contempler la mer, sa fille, sa femme, ses amis, ses fils, ses parcs à huîtres, le temps qu’il fait et le vol d’un cygne qui lui rase la tête à l’heure où le jour décline et qu’il rentre sur son bateau, baigné par des teintes déchirantes de beauté. L’homme du Bassin qui est tombé par hasard dans le cinéma gardera toujours « les pieds sur terre et la tête dans les étoiles ». Ce mauvais coup-là –celui dit du « melon » (la grosse tête), on ne le lui fera pas.

    Une bonne vista

    Pas davantage que d’autres. Joël a une bonne vista. Sûre elle est, oui ! C’est celle qui sait lire l’océan et le ciel, l'exactitude des marées et la sincérité du regard. Celle qui sait distinguer l’homme de cœur de l’emmerdeur ; l’essentiel du futile. Son bouquin est bourré d’autant de bonnes formules qu’il est lui-même plein de bonnes ondes et de don de lui-même. Homme d’ouverture aux autres, il sait que « le prix du bonheur a flambé » et qu’il s’agit de savoir où il réside vraiment. Sa philosophie est simple : il est nature. Brut de décoff’. Soit lui-même, point barre. Sauf que c’est pas n’importe qui, cet homme qui compte parmi les rencontres d’une vie (et qu'une vie est faite de belles rencontres). Avec lui, ça passe ou ça casse. Les pages qu’il consacre à sa « Presqu’île du bonheur, une appellation d’origine méritée », à la mer son amante, à deux juments pottoks, ses premières amoureuses, à ses copains d’enfance devenus des amis, à ses enfants, à ses huîtres, à ses parents, sont parfois bouleversantes de justesse et de beauté dans l’hommage et le respect. Il sait décrire avec beaucoup de poésie son quotidien solaire et parfois bousculé par les aléas du métier, les caprices atmosphériques et la connerie humaine aussi. Et il a une sacrée dose d’humour, également, si bien que je l’entendais raconter ses histoires et émailler des blagues et des souvenirs cocasses en le lisant –tout en me marrant à haute voix, au bistro d’en bas où je viens donc de dévorer ce précieux bouquin (reçu ce matin et hop! le voilà là). C’est le livre de sa vie qu’il nous offre. Son auteur n’a que cinquante-sept ans, mais il en parle, ici ou là, comme si elle était déjà faite –et c’est le seul bémol que j’ai trouvé à cette vague de bonheur qui emporte le lecteur. Oh, Joël, c’est toujours devant que ça se passe !

    Douché-touché

    On sort douché et touché de cette lecture, et donc vivifié, comme lorsqu’on se fait copieusement rouler par le shore-break, à marée presque haute, à la plage de la Chambre d’Amour (Anglet). On en sort grandi aussi, un peu comme lorsqu’on relit des textes emblématiques, qu’il cite d’ailleurs (Tu seras un homme mon fils, de Kipling, la tirade du Panache de Rostand, plus quelques citations bien choisies et empruntées autant à Spinoza, Mauriac, Voltaire ou au dalaï lama, qu’à Brassens, à Philippe Lavil, ou bien à son ami Jean-Louis Aubert). Certains passages m’ont parlé davantage que d’autres. J’ai eu, par exemple, les mêmes nœuds aux tripes lorsque j’ai du m’arracher de Bayonne –comme lui du Ferret, pour aller étudier à Talence –ainsi qu’il dût le faire aussi dans cette ville proche de Bordeaux, la mort dans l’âme. Nous avons vécu des émotions fondatrices comparables à la chasse. Surtout, je partage à 200% son souci du partage et son incapacité « à prendre le moindre plaisir s’il n’est qu’égoïste ». Fondamental ! Et cela me rend mon ami encore plus proche, même si nous ne nous voyons pas assez. Car une vie est aussi faite de cela, du beau souci de faire passer. « Ai-je assez transmis, ai-je donné assez d’amour ? », se demande-t-il. En aurons-nous suffisamment donné au soir de notre vie ? Aurons-nous eu le temps nécessaire à la transmission des valeurs essentielles qui font un homme, une existence…

    Accent grave

    Sur la vague du bonheur a parfois des accents graves, lesquels sillonnent avec alegria un parcours fondé sur : 1- le précepte maternel selon lequel, tant qu’on a deux jambes et deux bras, on peut se relever et continuer d’avancer (en gros). Et, 2- son truc perso qui consiste à faire chaque fois que nécessaire trois pas en arrière et appuyer sur pause afin de mieux apprécier les choses en face. De sages principes. Certes, l’aventure des Petits Mouchoirs et le succès incontrôlable qui s’ensuivit ont quelque peu bouleversé sa vie, mais dans le bon sens. « Jean-Louis s’est retiré après quelques marées » et il est redevenu Joël. Pour le bonheur de sa tribu. C’est comme çà : Joël Dupuch continuera de tremper sa chocolatine dans son double café matinal pris au bistro de presque chaque jour en lisant Sud-Ouest, édition Arcachon. Même si sa vareuse délavée est devenue aussi célèbre que la pipe de Tati, ou peu s’en faut. Le gaillard sait que « pour briser la glace, dans toute relation, il faut d’abord briser la glace du miroir qui nous renvoie notre image en référence ». Et que « les choses sont faites pour appartenir à ceux qui les font vivre ». Dont acte, amigo.

  • Un site d'une beauté troublante

    C'est ma fille Marine qui l'a porté à ma connaissance et je souhaite aussitôt le partager avec vous : 

    http://lapetitemelancoly.tumblr.com/

    Les extraits, les auteurs choisis sont remarquables (ils figurent de surcroît dans le petit panthéon personnel de la partie peut-être la plus précieuse de ma bibliothèque). Quant aux illustrations, elles sont simplement splendides, et toutes, sans exception je crois, pourvues d'une beauté rare. La mélancolie -en tant que phéomène artistique, que concept philosophique, littéraire, pictural, est ici portée à son plus haut point de pureté troublante. C'est une rencontre. Un voyage. (Merci ma puce).

  • feuilles de décembre

    images.jpegPas mal de poches, surtout des folio et des Poésie/Gallimard, dégustés ces jours-ci. A commencer par l'anthologie personnelle de Philippe Jaccottet, immense poète que j'adore et que je lis et relis depuis 34 ans déjà. Cela s'appelle L'encre serait de l'ombre, notes, proses et poèmes (1946-2008) choisis par l'auteur, et si vous n'avez qu'un livre à acheter du poète de Grignan, grand traducteur par ailleurs, prenez celui-ci. 560 pages de bonheur poétique absolu. Dans la même collection Poésie de Gallimard, citons Mon beau navire, ô ma01070659821.gif mémoire, sous-titré Un siècle de poésie française. C'est une anthologie plutôt bien ficelée, de belle facture : honnête et pas scolaire, avec son content de grands classiques et sa dose de modernité, mais où l'on trouve, à l'instar d'une arête dans le poisson (je chipote, je sais) un poème de Rilke, qui était né à Praque et de langue allemande (mais il est vrai qu'il écrivit en français ses dernières oeuvres, notamment
    images (3).jpegVergers
    , dont est extrait le poème choisi dans la présente anthologie -et traduit d'ailleurs par Jaccottet). Mention spéciale (en Poésie/Gallimard, toujours) à l'oeuvre complète magnifique (1954-2004) du Nobel 2011, le grand poète suédois Tomas TranströmerBaltiques, car il s'agit vraiment d'une formidable découverte.  


    De Jean Clottes, préhistorien passionné, lisez le passionnant Pourquoi l'art préhistorique?, un inédit en folio/essais sur les grottes ornées de France et d'Espagne surtout, notamment la grotte Chauvet qui intéresse de plus en plus le public, même si elle ne se visite pas, et dont une réplique 

    01070816312.gif

    (façon Lascaux II) est en cours d'élaboration. Cet engouement est sans doute dû au coup de projo que le docu admirable de Werner Herzog (le réalisateur d'Aguirre... entre autres chefs d'oeuvre, et l'auteur de Sur le chemin des glaces, éd. POL, journal de voyage déjanté, sauvage et donc hölderlinien en diable) lui a donné sur grand écran. En folio essais encore, l'étude (inédite elle aussi : bien, l'initiative de faire entrer directement en format de poche des essais qui... compteront) : L'animal que je ne suis 01069227312.gifplus, titre très derridien que Etienne Bimbenet donne à ce copieux et souvent ardu (mais passionnant de bout en bout) essai sur l'origine animale de l'homme -pour faire très court. En clair, l'homme est un animal humain. Et le rapport de l'homme à l'animal, dans cette étude philosophique, va bien au-delà de l'éthologie. 


    images (2).jpegPhilippe Sollers
    continue de compiler pour notre bonheur ses articles littéraires donnés ici et là (l'Obs, Le Monde...) et cela produit à chaque fois un folio de 1000 pages et plus. Le dernier opus se nomme Discours parfait (il était paru il y a moins de deux ans en Blanche) : de l'intelligence à l'état pur, mâtinée d'une mégalomanie que l'on a fini par pardonner, ou sur laquelle nous glissons car le personnage est aussi attachant qu'irritant... tant il est brillant. Admirables pages sur Shakespeare, Montaigne, Saint-Simon, Van Gogh, Venise, Stendhal à Bordeaux... Entre autres analyses subtilement circonscrites, avec tact, érudition et talent, bien sûr.

    01067779851.gifDe Modiano, voyez L'horizon, qui n'est pas son plus mauvais roman sur le seul et (désespérément) unique sujet de son oeuvre : l'Occupation. 

    Albert Camus à 20 ans est le nouveau volume d'une collection 84626100986580S.giforiginale publiée Au Diable Vauvert, signé Macha Séry. Revivre l'aventure de la jeunesse algérienne de l'auteur du Premier homme, à Alger en 1930 donc, entre matches de foot, bistrots, copains, filles, soleil et... une tuberculose qui entre sans frapper, est vivifiant. Cela remet nos idées en place sur le Camus journaliste débutant, le jeune essayiste, le séducteur, l'homme lucide surtout. Captivant (en attendant la bio de Camus que Michel Onfray publie ce mois-ci chez Flammarion...).


    images (1).jpegRetour à Killybegs
    , qui a valu le Grand Prix du roman de l'Académie française à Sorj Chalandon (Grasset) est un bon et solide roman sur la trahison, qui fera sans doute date. Sur fond de combats de l'IRA, c'est fort comme un hot whiskey au retour d'une chasse à la bécasse dans les bushes, c'est franc comme un coup de poing bien assené et sec comme le regard d'un ami frappé de déception : cela ne cille ni ne ploie. Je ne citerai que la phrase placée en exergue du roman, relevée sur un mur de Belfast : Savez-vous ce que disent les arbres lorsque la hache entre dans la forêt? Regardez! Le manche est l'un des nôtres!

    photo.JPGDire que je n'ai pas du tout aimé La Guerre sans l'aimer, de Bernard-Henri Lévy (Grasset, 648 p.), est un euphémisme. Je voulais quand même feuilleter abondamment, m'arrêter ici ou là, tenter de comprendre la pathologie de ce Journal d'un écrivain au coeur du printemps libyen. Mais les bras m'en sont tombés. J'ai repensé à une formule de Cornelius Castoriadis à propos de "l'imposture BHL" : De la camelote à obsolescence incorporée (dans L'Obs, en 1979, déjà). Puis j'ai pensé à la posture du même. Les mots qui me sont venus à l'esprit, en feuilletant, sont, pêle-mêle : fatuité, mégalomanie, narcissisme, folie peut-être, mythomanie, délire identitaire (Malraux), culte aveugle du Moi, mépris du sujet : peuple,  guerre, victimes, morts, pathétique illustration d’une époque, achat d’une entrée dans l’histoire (Jet privé, cameraman perso...). Cela ne saurait inspirer que le dégoût, sauf à la cour de l'auteur. Le plus surprenant n’est pas que cette mise en scène incrédible soit ahurissante, mais qu’elle ne puisse pas tuer de ridicule son instigateur : comme quoi la pathologie narcissique rend si aveugle son sujet que celui-ci pense peut-être avoir vraiment agi humblement et de manière désintéressée pour son propre pays et pour le peuple libyen. BHL est juste l’illustration pornographique des limites que l’on peut oser tenter de dépasser pour satisfaire un égocentrisme gigantesque. Cet homme se rêve en Malraux depuis qu’il est tout petit et il n’a pu, à l’instar d’un Russe parvenu, que s’acheter à coups d’euros l’affligeante mise en scène de ses désirs de gloire, à défaut d’avoir attendu de se voir décerner un bon point par le public et par ses pairs, voire par la reconnaissance de l’Histoire, qui parvient encore à garder la tête froide. BHL invente l'édifiant à compte d'auteur (je sens qu'on va me la piquer, celle-là). Car le drame réside ici : les riches s’emmerdent. Il font joujou avec leur fric en se rendant en petit zinc privé à proximité raisonnable des champs de bataille, et posent en costard-chemise blanche propres (voir à ce sujet la page d'une ironie formidable, dans Technikart de la semaine passée  -photo ci-dessus, qui m'a été transmise par l'une de mes élèves en journalisme). Est-il d’ailleurs nécessaire de pointer du doigt cette risible mascarade ? Ne faut-il pas la passer sous silence plutôt qu’à tabac ? S'agirait-il d'une ambulance dorée sur laquelle nous tirons tous peu ou prou? (D’aucuns seraient tentés d’être avare de leur mépris, vu le grand nombre de nécessiteux, pour paraphraser Lichtenberg…). Ce qui est frappant, c’est de voir combien les cintrés sont capables de faire montre d'un inébranlable aplomb. Berlusconi lynché symboliquement par une Italie en liesse et unie, le soir de sa démission, déclare qu’il est fier du bilan de son (trop long) passage au gouvernement de la Botte. BHL est traîné dans la boue, conspué verbalement, ridiculisé par les Guignols de Canal+ et par tant d’articles de presse, mais non, il continue de se montrer, d’exposer  son personnage impeccablement contrôlé pour le paraître, comme si de rien n’était, voire comme si un consensus se faisait en sa faveur. Ces apparitions sans vergogne, sans aucune dignité humaine minimale, sans une once d’amour propre authentique, me font penser à ces accusés que l'on aperçoit à la télé, accablés par d’irréfutables preuves, qui réapparaissent menottés en affichant un sourire large comme l’innocence, tandis que celle-ci est devenue une chimère qu’il sera vraiment compliqué de ravoir, à l'instar d'un méchant accroc à la poche d'une veste (dûment retournée). Pour achever cette notule sur une insignifiente somme, je dirais qu'en plus, bé-ach-elle, son auteur, s'écoute écrire à chaque phrase. Mais passons.

    images.jpegimages (1).jpegLumineuse, l'idée d'Olivier Frébourg, patron des éditions des Equateurs, de reprendre dans sa petite collection Parallèles, deux textes splendides de Jean-Paul Kauffmann, l'un sur Bordeaux : Voyage à Bordeaux 1989 (que je suis fier de posséder dans son introuvable édition originale, celle de la Caisse des Dépôts et Consignations publiée à l'intention du notariat français, illustrée par Michel Guillard, mise en pages par le talentueux Marc Walter et préfacée par Jacques Chaban-Delmas!), l'autre sur le champagne : Voyage en Champagne 1990. Il s'agit de textes très littéraires sur les vins, les paysages, les hommes de la vigne. C'est précis et pêchu comme toujours avec Kauffmann, voire précieux dans l'écriture (comme du Veilletet, du Gracq) et surtout profond : le bordeaux est une initiation, prévient-il. Et le champagne est fils de l'air.

    Chez le même éditeur, voici la nouvelle édition d'un guide original : Le Guide des images (2).jpegVoyages en Cargo et autres navires, de Hugo Verlomme et Marc-Antoine Bombail. Slow is beautiful lancent avec justesse les auteurs. Un livre unique pour tout savoir sur les possibilités de voyages à bord de paquebots, cargos, car-ferries, navires mixtes, brise-glace, grands voiliers, caboteurs et autres vieux grééments, baliseurs ou navires scientifiques... Sur les océans et les mers du monde entier.

    images (4).jpegMon amour est le titre donné à une épatante anthologie de textes amoureux (folio, sous un coffret rouge ravissant bardé d'un ruban imprimé aux mots de je t'aime) que l'on a envie d'offrir -et c'est le premier but d'une telle démarche éditoriale! (Saint-Valentin oblige). Stendhal, Ovide, Proust, Cohen, Aragon, Duras, Shakespeare, Verlaine, Labé, Neruda, Eluard... Ils sont tous là et, curieusement, parmi ces classiques magnifiques, on trouve un seul contemporain peu connu pour ses textes amoureux : Jean-Christophe Rufin! Allez comprendre, des fois...

    Ravages-Slow-Tome-7_slider.jpgLa revue (mauvais esprit) Ravages publie son nouveau numéro sur le thème : Slow! Comme toujours, c'est décapant, irrévérencieux, rentre-dedans, franc du collier et salutaire, et la maquette est redoutablement chic-efficace. Slow citta, slow food, slow life, slow money, slow travel, slow drive, slow industry, slow management... Tout est passé en revue, et des signatures prestigieuses comme celle d'Edgar Morin donnent dans Ravages. Bravo!

    Dans un tout autre domaine, félicitations aux éditions Ulmer pour1318513197.jpg l'originalité et la beauté de leurs publications (déjà remarquées ici même) : Les Miscellanées du jardin, de Guillaume Pellerin et Cléophée de Turckheim, sont par exemple un chef d'euvre d'édition audacieuse, tant pour l'illustration que pour le propos. Ce petit bijou nous apprend des tas de choses sur les mots du jardin, des anecdotes, des petits trucs, et c'est captivant, élégant, subtil et surtout bourré d'infos originales et sincèrement enrichissantes.

    1317212357.jpgToujours chez Ulmer, Les Jardins à vivre de Pierre-Alexandre Risser (20 ans de jardin à Paris et ailleurs) est un ouvrage splendide sur l'oeuvre d'un paysagiste de grand talent, un créateur de jardins et de terrasses en ville beaux toute l'année, en somme. Photos remarquables.

    Signalons enfin Vice et Versailles, roman noir et parfoisimages.jpeg désopilant signé Alain Baraton (Grasset), jardinier en chef du parc de Versailles et du Trianon : cela regorge et dégorge d'intrigues, de meurtres, de coups fourrés sanglants. On se croirait chez les Borgia. Et c'est, de surcroît, écrit dans un style enlevé!

    Et comme je n'écrirai plus avant l'année prochaine sur ce chien (c'est ainsi que je nomme toujours mon blog, car il faut bien que je le nourrisse avec fidélité), je dis juste à tous : VOEUX A VOLONTE!

     

  • La Havane, ces jours-ci

    IMG_6073.JPGRetour de Cuba. Reportage pour l'avant-première mondiale d'un film retentissant : 7 dias en La Habana, vu deux fois sur place (il me tarde sa sortie en France afin d'en lire les sous-titres et d'en saisir absolument toutes les saveurs), coproduit par Havana Club (¡El Ron de Cuba!) qui m'invitait. Je reviendrai vite pour en parler dans les grandes largeurs. Pour l'heure, 7 images (©L.M.) : Benicio del Toro (au micro, pendant la conférence de presse au Nacional) qui co-réalisait son premier film -l'un des 7 de ce bouquet de talents, Elia Suleiman (derrière le clap) immense acteur-réalisateur du silence, oscillant entre Tati et Hopper, l'affiche du film, et quelques vues de la ville magique : une jeune fille de couleurs, un daïquiri, hier au Floridita, contre Papa Hem', les mains d'un vieux torcedor achevant un panatela... ¡Hasta pronto!IMG_0059.jpg

     

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    IMG_0054.jpgIMG_6272.JPGIMG_6304.JPGIMG_6471.JPG

  • La napolitude

    entrer des mots clefsConnnaissez-vous la napolitude ? Ce terme désigne l’univers cosmopolite et chatoyant, multiculturel –à  la fois espagnol, grec, africain de Naples, qui est sûrement la ville la plus séduisante et la plus ensorcelante d’Europe (du Sud). Démesurée, débordante, exagérée, toujours dans cet excès à deux doigts du troppo, cette ville d’art, de vitalités énormes et disparates, offre un charme capital qui touche. Et fort. Dominique Fernandez, Napolitain de cœur depuis toujours, signe un livre de plus –mais quel magnifique album ! avec Ferrante Ferranti, photographe (Imprimerie Nationale, 59€, parution le 20 avril) qui nous montre une Naples splendide et arrogante, sensuelle et infiniment artistique, scandaleuse et talentueuse. Naples semble se foutre du tourisme lisse et mondialisé. Elle laisse cela aux cités du Nord de la Botte. Dire du mal d’elle (ville de voleurs, de poubelles non ramassées, de mafieux et de misère) équivaut à redire de Venise qu’elle est romantique, que les chats sont sournois et la mer… humide. C'est s'arrêter à l'écume, au fard, au cliché. Pour le passager au regard vrai, l’usage de Naples est celui de l’art de voyager, celui qui ne craint jamais le venin. (A dire vrai, je n’aime guère ceux qui font la grimace à l’évocation de cette ville merveilleuse et j’aime ceux dont le regard s’illumine en entendant les six lettres qui forment son nom). Vivre et savourer Naples, c’est marcher jusqu’à se perdre dans Spaccanapoli,  c’est errer sur les quais du port, au-delà de la Mergellina, c’est manger une pizza chez Vesi, aller revoir les fresques de Pompéi au Musée, avant de boire un blanc issu de Falanghina en contemplant l’une des plus belles baies du monde. Fernandez est un compagnon formidable, qui aime viscéralement une ville qu’il connaît à fond et cet album sobrement intitulé Naples, est un beau-livre étincelant, dans lequel Fernandez a raison de préciser qu’un amour partagé pour cette ville scelle le voyageur à ses habitants. Il ne suffit pas de prendre un café au Gambrinus, Piazza del Plebiscito (le meilleur du monde), même si ce café littéraire est un bonheur esthétique dans ses salons intérieurs, et qu’il porte la marque d’Oscar Wilde (qui porta à terme sa « Ballade de la geôle de Reading » lors d’un séjour ici : « chacun tue ce qu’il aime »…), si Malaparte en voisin,  D’Annunzio en « étranger », Domenico Rea en « local »,  s’y sont arrêtés souvent, car il faut avant tout se mêler, parler, marcher via Toledo (la plus belle rue du monde, selon Stendhal), via dei Tribunali en se frottant, car il faut affronter, ne jamais ignorer ni avoir l’air de se méfier. Alexandre Dumas, avait déjà compris cela. Que l’on ait la foi ou pas, écoutons ce trait de Cocteau : « Le pape est à Rome, mais Dieu est à Naples ». Fernandez, à propos de Spaccanapoli : « La rue qui ose « fendre » (spaccare) la ville, comme le couteau sépare les deux moitiés de la pastèque, comme l’homme déchire l’intimité de la femme. Une rue-blessure, obscène comme un viol, purulente comme une plaie, joyeuse comme une victoire, rectiligne et secrète, drôle et sévère, populaire et docte. » Je me trouvais à Naples il y a huit jours à peine. Et voilà ! J’ai déjà envie d’y retourner… Au moins pour manger un babà et une sfogliatella chez Scaturchio -la meilleure pâtisserie de Naples, selon Dominique Fernandez, minuscule, planquée près la place San Domenico Maggiore, dans Spaccanapoli. Avant de retourner encore et toujours à Procida. Fernandez achève son texte -superbement illustré par Ferranti, sur l'île de Graziella, et surtout d'Arturo. Il rappelle la dernière phrase du roman d'Elsa Morante (Arturo quitte son île en bateau et se retourne une dernière fois sur le paradis perdu de son enfance -et cette image, que l'on ne retrouve cependant pas tout à fait dans le film -revu hier- qu'en a tiré Damiano Damiani, résonne comme un épisode de l'Odyssée). L'isola non si vedeva piu. On ne voyait plus l'île. Ou, mieux : L'île ne se voyait plus...

    Et dans la seule traduction disponible en Français (de Michel Arnaud, 1963, pour Gallimard), cela donne : On ne voyait plus mon île. J'aime assez cette appropriation par Arturo d'une île aux dimensions modestes, car cela renvoie une fois encore -dans la langue de Morante- à un réflexe d'enfant). 

     

     

     

  • My Taylor is dead

    images.jpegMon père se plaisait à dire ceci : my taylor is rich : méthode Assimil. My taylor is poor : méthode à 2000... Là, c'est plus rugueux, puisque Liz vient de franchir le grand pont. La chatte sur un toit brûlant se maria huit fois, dont deux avec Richard Burton. Liz, inoubliable dans Reflets dans un oeil d'or, davantage que dans l'insipide et coûteux Cléopâtre, restera un regard avec deux yeux sublimes, des cheveux aile de corbeau, un corps à se damner -à ses débuts avec Mankiewicz, ou bien aux côtés de Rock Hudson. Ma mémoire la voit malheureusement en moon boots en plein été, dans une chaise roulante poussée par un gigolo bodybuildé et à la dentition gibbsée, elle a les bras chargés de caniches roses écervelés avec des noeuds dans les poils de leur tête conne. C'est dommage. C'est pourquoi je colle plutôt cette photo-ci (sexy).

  • Joël D. dans Les petits mouchoirs

    19501153.jpg-r_760_x-f_jpg-q_x-20100901_035023.jpgC'est un pote que je vois peu mais on s'appelle de temps à autre et on se voit à l'occasion, comme aux arènes de Dax, le 12 septembre dernier, jour d'une corrida historique -lire par ailleurs, ici même, sur le sujet. Joël D. (c'est l'enseigne de ses bars à huîtres où il faut découvrir la Quiberon n°3, ma référence absolue) n'est pas Agnès B. Il crève l'écran dans Les petits mouchoirs de Guillaume Canet en jouant son propre rôle (c'est Jean-Louis, l'ostréiculteur du Cap-Ferret, dans le film) alors qu'il débute devant la caméra ! Car il est comme ça, Joël : brut de décoff', vrai à 100%, bon, généreux, sans ambages, zéro frime, la tête au frais, jamais de prise de chou, adepte des éclaircissements immédiats, bref : c'est un gars qu'on aime parce que c'est un vrai mec bien, qui regarde au fond des yeux en te disant tes quatre vérités, les bonnes, les mauvaises (ça fait déjà au moins dix-huit, dont trois bonnes, garçon!) parce qu'il t'a en estime. Et ça c'est beau. Rares sont les hommes de sa trempe. Lorsque j'ai fait sa connaissance, dans son bistrot de la rue des Piliers-de-Tutelle à Bordeaux -surnommée la rue des milliers de pucelles-, en 1984 (j'habitais à deux faux-pas de là, rue des Faussets), son regard droit et donc horizontal s'est imposé à moi verticalement. J'ai découvert par la suite son humour, sa faconde. Joël, en étant simplement lui-même dans le film de Canet, vole la vedette, à son corps défendant, à des acteurs professionnels. Nulle intention de sa part! Il n'est pas comme ça, le gonze, loin s'en faut ! Alors pourquoi?  Je crois qu'il est -juste- rattrapé par un retour des vraies valeurs dans ce monde de brutes (et c'est un peu le sujet du film), lesquelles nous font aimer son personnage davantage que les autres. Il détient la vérité de la vraie vie. Ce n'est pas rien, ça... Et de cela nous manquons chaque jour davantage. Dans l'un de mes bouquins, récents, je décris Joël comme le Gascon magnifique. En voici un extrait, à la page 161 de ce dico amoureux (Le Sud-Ouest vu par Léon Mazzella, éditions Hugo & Cie, nov. 2009) :

     

     

    19501151.jpg-r_760_x-f_jpg-q_x-20100901_034947.jpg« Comment peut-on être Persan ? » demandait Montesquieu. Comment peut-on être Gascon ?… On ne  le devient pas, on l’est de naissance. C’est un caractère, une manière d’être au monde, de penser, de marcher, de parler, de rire et de chanter, d’aimer et de préférer, de manger et de boire, de donner et de partager, de faire la fête et de cultiver l’amitié avec autant de soin que la vigne, une façon de vivre le paysage, de caresser la plaine, de rentrer dans l’Océan, d’écouter la forêt, de voir la montagne, de songer la ville, de vivre le village, de dompter un étranger un peu trop conquistador. C’est une attitude de tous les instants, un accent, un regard, une fierté, une franchise, un laisser-aller contrôlé, une morale, un savoir-vivre à nul autre pareil. Parmi les Gascons auxquels je pense aussitôt, je compte Jean-Jacques Lesgourgues, vigneron en Armagnac, à Bordeaux et en Madiran. Mécène, collectionneur d’art contemporain, Jean-Jacques est l’archétype du Gascon total. Je pense aussi à Jean Lafforgue, érudit, ancien libraire emblématique du temple des livres bordelais : Mollat. Je pense à Jean-Pierre Xiradakis, autre Bordelais aux origines grecques, restaurateur à l’enseigne de « La Tupiña ». Je pense enfin à Joël Dupuch, ostréiculteur sur le Bassin, amateur au sens noble du terme, ex rugbyman et cultivateur d’amitié. Le Gascon est un égoïste qui ne pense qu’aux autres. Un aventurier qui néglige l’objet pour la cause, un homme qui n’adhère à rien sauf au plaisir qu’il souhaite « faire passer ». Le Gascon est le contraire du militant. C’est un rugbyman au quotidien qui donne le ballon comme une offrande, parce que « ça » doit jouer, jamais stagner. Et pas que le dimanche après-midi. C’est un joueur qui fête la défaite, un homme qui engage sa vie pour son salut, à l’instar de « l’Aventurier » comme l’écrivain Roger Stéphane en dressa le « Portrait » dans un livre éponyme fameux.

     

  • Un balcon...

    Voici le début du film de Michel Mitrani, adapté du récit de Julien Gracq, où l'on voit donc le départ de l'aspirant Grange de la gare de Charleville, son arrivée à celle de Monthermé (Moriarmé dans le roman), à travers la forêt des Ardennes, puis celle de la maison des Falizes...

    Via le fameux balcon en forêt depuis lequel la Meuse, autour des forêts qui environnent Monthermé, dessine un fer à cheval...

    http://www.ina.fr/fictions-et-animations/fictions-historiques/video/CPB80056069/un-balcon-en-foret.fr.html

  • Le Bel Antonio

    Marcello : "tu es un don du ciel"

    Claudia : "-je finirai par te croire..."

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    et aussi :

    La scène de la balançoire, dans le film, est bien plus chargée d'érotisme que tout Bataille en poche et tout Sifreddi en dvd collector.

    Claudia, Marcello. Il lui baise le poignet puis le tibia à chaque passage, rythmé par le grincement des anneaux qui retiennent les cordes de la balançoire. Et c'est torride. C'est cela, la magie. La magie du septième art, alliée à celle de la littérature, les deux fondues dans le chaudron de la vie, qui prône le désir et sa satisfaction, mais pas n'importe comment. On n'est pas des beufs.

  • Adjani la Grande

    Allez voir La journée de la jupe, film bêtement boudé par les grands réseaux de distribution en salles parce qu'il a été diffusé sur Arte en avant-première (en clair, il a osé paraître en poche avant de sortir en grand format, du coup ça boude, en haut), car c'est une oeuvre cinématographique qui transcende les genres. Cinéma, théâtre (une tragédie)... Huis-clos, unité de lieu et de temps, circonscription des personnages et contrôle strict du texte, arborescence des sujets, intensité dramatique tenue bride serrée, poupée gigogne des sentiments, alternance des styles, confusion lucide des procédés, interprétation extraordinaire d'Isabelle Adjani... Un bijou, cette jupe, signée Jean-Paul Lilienfeld. Ni leçon de morale, ni film à thèse, mais plutôt exposition sensible de cet essentiel qui touche, un jour, à l'improviste, au plus profond de l'histoire d'une poignée d'êtres, plongés d'un seul coup d'un seul dans le même bain. Celui de l'existence dans son tissu le plus fragile.

  • Il Disprezzo

    http://fr.youtube.com/watch?v=OBo2c98Dzl0

    Que serait Le Mépris d'Alberto Moravia, sans Jean-Luc Godard? -Un roman moins "ensablant" que L'Ennui, du même Moravia. Que serait Le Mépris de Godard (1963!), sans la musique de Georges Delerue? -Un film littéraire d'anthologie. Que serait Le Mépris sans ce générique indépassable, qui renvoie tous les génériques à de pitoyables envies de pop-corn? Jamais générique de film n'avait été, ne sera (?) aussi émouvant, totalement, tendrement, tragiquement émouvant... Il y a aussi les fesses, la voix et l'ingénuité de BB, le chapeau et l'immense talent de Michel Piccoli, l'accent renversant et la désinvolture de Jack Palance, Fritz Lang en personne dans son propre rôle, et Giorgia Moll. Il y a Capri et la maison de Curzio Malaparte. Il y a enfin les prises de vue de Raoul Coutard. L'histoire belle de Paul Javal et de sa femme Camille. Et la musique, encore, de Georges Delerue...

    "Le cinéma, disait André Bazin, substitue à notre regard un monde qui s'accorde à nos désirs. Le Mépris est l'histoire de ce monde". JLG.

  • cuccuruccucu


    podcast

    juste pour le plaisir de fermer les yeux et de retrouver le souvenir de cette scène, dans le film d'Almodovar, le travelling, la déco et l'emocion un poil bobo (on pardonne), ce pourquoi le son seul, comme au bon vieux temps du poste à galène, est ici offert sans le recours à l'image, cette mère maquerelle de notre mémoire, cette paresseuse qui envoûte notre bonne volonté, cette économiseuse de nos regards aigus...

  • Le Feu follet

    http://www.dailymotion.com/related/x2rne7_sagan-le-feu-follet_creation/video/x2kj8s_le-feu-follet-vs-coil?from=rss

    Pour ceux qui aiment revoir le film de Louis Malle adapté du texte fulgurant de Drieu, voici des plans superbes sur un Maurice Ronet bouleversant  jusqu'au cut final d'un film immense. La musique, étrange, ne colle pas, elle adhère seulement à l'image, aux regards, au ralenti. Non?.. 

  • Christine Fabréga…

    « On-dira-ce-qu’on-voudra », Monica Bellucci n’est pas crédible en tenancière d’un cabaret chelou et en amante d’un taulard qui s’est fait la Belle. Christine Fabréga, blonde platinée, en amante –toute de pudeur et de manteau de léopard vêtue-, d’un Lino Ventura splendide de vérité, est davantage réelle. Alain Corneau aurait mieux fait de nous blanchir une « Série noire », de nous éclairer un « Nocturne indien » ou de bâtir une annexe au « Fort Saganne », au lieu de refaire « Le Deuxième souffle ». Après Melville, comment oser ? (D’ailleurs, dites-moi à quoi sert de faire un remake ? Pourquoi recopier -mal, toujours, la feuille du voisin ! Je ne pige pas le principe). Et lorsqu’il s’agit d’un des plus grands (Melville) c’est du suicide. Auteuil y est marchalisé (36, Quai des Orfèvres, MR73…) et seul Dutronc s’en sort, à la faveur de son look de momie desséchée, entre Iggy Pop, Laurent Terzieff et un stock-fish chez l’épicier portugais. Dans l’original, la première scène avec Paul Meurisse est une tranche d’anthologie à faire passer aux copains à l’envi, comme la scène de la cuisine dans « Les Tontons flingueurs »; dans un autre genre : du Jouvet, du Von Stroheim. Du très grand cinéma frôlant le théâtre à la Vilar –lequel préfigure celui de Brook.
    Bref, Fabréga… Les années Fabréga. Les costards-catcheur de Ventura, les feuilles de chou et les sourcils-brousse de méchant rugbyman de Michel Constantin. Sa moue de Spanghero boudeur parce qu’il n’a pas dégommé tous les malfrats qui lui sont tombés dessus. Le timbre métallico-chuintant de la voix de Raymond Pellegrin. La gueule de petite frappe mal rasée de Denis Manuel, mélange d'Aznavour, de Reggiani et de Mouloudji en jeunes premiers. Le crâne infini de Marcel Bozuffi en boxeur maquereau chic. Bref, Melville, quoi (avec José Giovanni en appui). Les silences de ses films. La qualité du noir & blanc... Ca m’a donné envie de me resservir un « Samouraï » et un « Doulos », té !


  • L'Avventura

    477693337.jpgSandro (Gabriele Ferzeti) : Rejoins-moi sur la place.

    Claudia (Monica Vitti, sublime de beauté, d'amour, de remords et de mélancolie) :  D'accord.

    Quand tu sors sans moi, il te manque une jambe.

    Visite la ville seul!

    Tu boiteras!

    Dis que tu veux enlacer mon ombre sur les murs!