Sévillane
J'écoutais des sévillanes. Soudain, une parole chantée m'interloqua : Un pañuelo de silencio... Un mouchoir de silence... Quel titre merveilleux pour un prochain livre !
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J'écoutais des sévillanes. Soudain, une parole chantée m'interloqua : Un pañuelo de silencio... Un mouchoir de silence... Quel titre merveilleux pour un prochain livre !
Vu aussi, le lendemain (le 27 janvier) un formidable « docu », toujours au FIPADOC à Biarritz, sur « The Boss » ; Bruce Springsteen. Et son groupe, non – son équipe, non plus, sa poignée de potes – c’est plus juste, disons plutôt cette bande d’insécables, E Street Band, fondée il y a un demi-siècle, reformée récemment pour une floppée de concerts pleins à craquer de dizaines de milliers d’aficionados en manque de « live », composée d’une grappe de très grands talents à la batterie, aux cuivres, au chant, aux nombreuses guitares, avec Steven van Zandt à leur tête derrière Bruce, chef d'orchestre en jeans avec ses signes esquissés au groupe, comme une main levée nonchalamment, voire un index là, soudainement, ou bien un discret mouvement des fesses, un fléchissement de la voix sur une syllabe prononcée au micro qu’il embrassait mieux qu’il l’aurait fait des lèvres d’une femme – disons Marianne Faithfull (en hommage, en passant) -, en susurrant « The River » ou « Nightshift »... Il s'agit d'un documentaire magistral, placé sous le signe de l’amitié qui engendre la musique, au sujet de la musique engendrée par l’amitié, cela est également inséparable, tant la fusion totale parmi ce petit troupeau est confondante. Ça circule, le son juste sinue entre eux comme par magie, ou plutôt avec grâce. Voilà. Ce film en est touché. Atteint. Et B.S. en acteur principal a l’élégance permanente de se tourner vers ses frères et sœurs de chant et de sons, de vie et d’espérance, d’hommages et de réminiscences. C’est beau comme une aube en haute montagne dans le silence le plus pur, car il s’agit d’un rock, un vrai, puissant, viril oui, avec des percussions appuyées, une voix rauque venue du fond des âges américains, jeunes mais confirmés, des cordes résolument pincées, des tambours frappés avec justesse en leur centre, et cela produit la magie Springsteen. Une musique repérable et de si bonne compagnie. Un truc de fou lorsqu’on aime écouter et réécouter par exemple « Streets of Philadelphia » jusqu’à plus soif, jusqu’à épuisement de la batterie de la grosse JBL posée là, pas n’importe où. Là. L.M.
En direct : J'écoute Leonard Cohen, Ten new songs, puis j'écoute Alain Bashung, Bleu pétrole, je relis Hypérion de Hölderlin au hasard, je reprends les Hymnes à la nuit de Novalis, n'en relis que les annotations en marge, faites au crayon, de mes premières lectures. Manciet, Juliet, Cadou, Neruda, Ungaretti me lancent des oeillades - et nous alors, ohé !... Je contemple sans le regarder un ciel bleu pâle. Novembre. Fin novembre doux au lieu d'être givré jusqu'à l'os, soit l'opposé d'un novembre classiquement vigoureux, capable de glacer notre oesophage lorsque nous inspirons à fond, à l'aube, face à lui tout entier. Droit dans les yeux déjà gentiment agressés par une froidure que l'on accueille "comme la nuque en sueur trouve bon le mouchoir aride" (Char). Un vent à décorner les ânes dirait mon ami Benoît génère à l'instant une rauque musique de mes volets mal arrimés. Je les ai pourtant coincés avec des bouchons. Je veux ignorer le prénom de ce nouvel ouragan - ou prétendu tel... La plage de la petite Chambre d'amour était plate tout à l'heure. Marée haute. Plate comme une crêpe sèche. Oubliée au-dessus du placard lorsqu'on a (volontairement) raté son saut dans la poêle. Cela porte bonheur, disait Maman. L'Adour (et j'aime que le correcteur rectifie aussitôt ma frappe avec une aveugle autorité : L'Amour...), uniformément beige, semblait prêt à déborder, dans l'arc de Blancpignon qui figure un mol croissant de lune. Nous connaîtrons de plus en plus de débordements. Ils ne seront pas toujours pétris de sentiments généreux, amoureux. Plutôt d'excès haineux, rugueux. Je chasse la douceur en ce dimanche comme on quémande un regard complice, une connivencia sourde. Tue. Forcément tue. En choisissant par défaut l'affût au lieu de l'approche. Preuve que je ravale à l'instar d'une biche bréhaigne, ou comme un grand vieux solitaire, une carne repliée au -fin- fond d'une forêt forcément noire. Et crue. Une page des Essais de Montaigne quotidien - plus indispensable que le pain - me sauvera, j'en suis certain. Il me faut juste me lever et l'attraper. Dresser le bras gauche, empoigner le volume avec le même délice de chaque jour. Puis, l'ouvrir au hasard, ainsi que je pratique cet exercice sportif avec La Recherche, de Proust. Nous avons les Ventoline que nous pouvons. Montaigne prescrit comme bronchodilatateur. Pourquoi pas? La belle affaire sans ordonnance... L.M.
L’année du bac, été 1976, je m’offre mes premiers disques de Jordi Savall et son ensemble Hespérion XX : Monsieur de Sainte-Colombe, plusieurs volumes de Marin Marais... Des 33 Tours achetés à Disco Shop, mon fournisseur de la rue d’Espagne, à Bayonne. Suivent d’autres enregistrements. En septembre 1980, voyageant à travers le Portugal en minibus Bedford avec une amie, je coupe le moteur sur une place de Coimbra, au crépuscule et au son strident de martinets rasant le sol et nos têtes, devant une grande église sépulcrale. J’ouvre la portière, me parvient le son d’une viole de gambe. Nous approchons, poussons la porte, un sbire, index sur les lèvres, nous invite à nous accroupir devant le premier rang. Le concert venait de commencer. Hespérion XX. Savall, Montserrat Figueras et tout l’ensemble. Frissons durables. De ce moment-là à aujourd’hui, je n’ai jamais cessé d’écouter toutes les créations, productions, d’assister quand je le pouvais aux concerts de Jordi Savall. La disparition de Montserrat, sa femme, me fut une peine, comment dire, à caractère familial. J’habite la musique baroque et son interprétation par Jordi et ses formations successives. Bien sûr, « Tous les matins du monde » me provoquèrent un choc, comme à chacun. D’autant que Pascal Quignard figure l’un de mes écrivains français vivants préférés, et dont je lis absolument tout. Ce livre-là, je le lus, et relus trois fois d’affilée, une nuit entière, à sa parution (je ne refis cela qu’avec « Soie », d’Alessandro Barrico). Et là, à l'instant, j’écoute Lachrimae Caravaggio, Hesperion XXI, pur bonheur, allez-y, vos frissons s’impatientent => lachrimae
Après avoir dévoré dès potron-minet (et comme chaque jour pour escorter quelques double express avec un croissant Picard : 10 mn au four et hop !) la presse quotidienne, hebdomadaire et magazine parue cette nuit ou il y a peu (*), j’écoute le nouvel album de l’immense David Gilmour, « Luck and Strange », aux mélodies d’une douceur aiguë qui conserve avec une mélancolie étudiée des accents Pink floydiens (ça se dit ?), tout en entamant le fascinant dernier roman de Sandrine Collette, car sa plume me captive depuis « Des nœuds d’acier » (dont j’avais rendu compte en 2013 dans Télé 7 jours). Sa « Madelaine avant l’aube » est âpre, sobre et puissante dès les premières pages (première sélection Goncourt, d’ailleurs...).
Je feuillette en même temps une nouveauté Ulmer reçue cette semaine (un éditeur que j’aime suivre), « Mangez néolithique », ouvrage sérieux et pragmatique, pratique même avec ses recettes pour doper la santé. Loin de notre chouchou (littéraire) sur le motif, « La cuisine paléolithique », du grand Joseph Delteil. Coquetaile... L.M.
(*) Je recommande le passionnant entretien croisé des rejetons Bernanos, Péguy et Claudel, mené par Clotilde Hamon-Castéran (Famille chrétienne), la nouvelle chronique (hilarante car caustique) de Bertrand de Saint-Vincent consacrée à, ou plutôt concassée sur Lucie Castets (Le Figaro magazine), celle, toujours brillante de Abnousse Shalmani sur le sort tragique des Afghanes (L'Express), et la reprise d'un portrait de Delon par Jean Cau - ça date mais c'est encore succulent (Paris Match). Sans oublier le spécial vins annuel du Point.
Il y a quelques semaines, j’évoquais ici Laminak, le whisky de Martine Brana élaboré à Ossès, soit là où la distillatrice de génie produit ses fameuses eaux-de-vie de fruit (poire, prune, framboise), ainsi qu’un marc d’Irouléguy vieilli trente ans qui est à se damner.
Aujourd’hui, c’est d’un autre whisky produit au Pays basque qu’il s’agit, nommé WHSK, des établissements Lapurdi, à Anglet. Ce blended malt issu de céréales, de trois ans d’âge, vieillit en fûts de chêne de Navarre. C’est modeste, compétitif (32€ le flacon de 70cl), et vraiment bien distillé. Robe ambrée brillante, attaque maltée d’une grande fraîcheur, avec des notes fumées très plaisantes, et de montagne (bruyère). En bouche, le vanillé domine, la céréale pointe sa rondeur et des notes boulangères persistent. C’est un whisky non pas facile, ni féminin, mais ni dérangeant, ni agressif. Il exprime la douceur, l’absence d’aspérité, il est au fond séduisant, car souple, sans vigueur particulière. Très performant pour un jeune blend.
À déguster en écoutant Wayne Shorter (disparu le 2 mars dernier) interprétant les Bachianas Brasileiras de Villa-Lobos, puis Ahmad Jamal (disparu le 16 avril dernier) jouant Poinciana. Tout en lisant Légendes du je, de Romain Gary, compilation de ses plus beaux romans, comme Education européenne, La promesse de l'aube, Chien blanc, Les Trésors de la mer Rouge, La Vie devant soi, Pseudo... L.M
Bon, ça y est, il m'est parvenu, ainsi qu'à la presse. Il sera en librairie le 27 de ce mois (première signature officielle le 29 à Cultura/Anglet).
Réservez-le auprès de votre libraire. On en reparle bientôt.
(Je l'ai aussitôt relu pour me livrer à une chasse à la coquille. Je n'en ai trouvé aucune parmi ses 190 pages. À la bonne heure).
Ce fut une première dans tous les sens du terme. Pour tout le monde. Enfin, nous six. Le rugbyman que l'on ne présente plus Pierre Berbizier qui lut de larges extraits de Sur la route de Jack Kerouac, un livre qui accompagne sa vie depuis ses quinze ans, le journaliste de L'Équipe et auteur de nombreux livres sur l'Ovalie Richard Escot (à l'origine de ce montage foutraque et sans presque aucune préparation), au piano pour rythmer les lectures - y compris celles du regretté Michel Sitjar, flanker international d'Agen-même, poète à seize heures et des poussières..., Jean-Michel Agest, ancien joueur de la Section Paloise et poète du rugby, Benoît Jeantet, poète, blogueur, scénariste, fin connaisseur du rugby et coauteur de pas mal de choses avec "Ritchie" Escot, Eric des Garets, ancien joueur amateur, passionné de littérature et lui même auteur de textes fins sur le motif, et enfin ma pomme, Candide de l'Ovale avide d'émotions procurées par les stades. Nous devions lire tour à tour des textes de notre cru (je lus les extraits aux accents rugbystiques de mon Bruissement du monde), sauf Berbizier donc. Sur une vraie scène de théâtre (à l'espace Felix Arnaudin) avec projecteurs, micros, tout le toutim et un public aficionado devant nous. Et nous nous sommes bien marrés durant 1 h 45 samedi dernier 21 mai en soirée... Photos (de la ville de St-Paul-lès-Dax, où se déroula le pestacle qui s'inscrivait dans le week-end Le Grand Maul - lire plus bas -, dont le talentueux directeur artistique est Jean-Claude Barens). L.M.
De gauche à droite, ci-dessus : Eric des Garets, Pierre Berbizier, Léon Mazzella, Richard Escot, Jean-Michel Agest et Benoît Jeantet à l'issue de la représentation.
Dernières images : table ovale en long (cherchez la ronde...), dans l'après-midi sur le thème : Les rugbymen peuvent-ils (encore) devenir des personnages de roman ? Avec, en plus des précités, Serge Collinet, formateur d'entraineurs de rugbymen à Paris et auteur de Rugby au coeur, et Jean Colombier, ancien rugbyman briviste et Prix Renaudot 1990 pour Les Frères Romance (Richard Escot ayant le rôle de modérateur depuis la salle, où se trouvaient notamment Pierre Albaladejo qui nous raconta comment il passa une nuit avec Hemingway durant les fêtes de Pampelune, et Jean-Louis Bérot, célèbre demi de mêlée de l'U.S.D. des années 80). Enfin, la scène et la salle peu avant l'entrée du public.
Cliquez là => LE BRUISSEMENT DU MONDE
Le choix de la première chronique littéraire de l’année s’apparente à la cueillette des champignons, dans un sous-bois, à l’automne, quand la feuille morte rythme le pas, quand l’incertitude guide la main du critique. La pluie grise les sentiments, la nature protège et isole; le critique hésite, il tâtonne, il se rétracte parfois, puis il se lance, il a enfin trouvé le livre qui correspond à son souffle intérieur, à son émotion du moment, à sa volonté de ne pas ensorceler le monde. En 2021, l’esprit ne sera ni à la querelle incestueuse, ni à la légèreté béate, plutôt à la beauté qui s’efface peu à peu, elle s’échappe, nous le sentons charnellement, et pourtant, il faut la retenir, s’incliner une dernière fois devant elle, la remercier encore et toujours. Se rappeler que sans elle, nous sommes des êtres désarticulés, surnuméraires fantômes. Cette beauté fugace n’est pas grandiloquente, elle ne bombe pas le torse, elle ne nous fait pas du gringue au coin d’une rue ou à la lecture d’un paragraphe trop étincelant; discrète, elle sait tenir ses distances.
Elle s’apprivoise difficilement. L’écrivain Léon Mazzella, styliste des terres basques, grand spécialiste du vin, part à sa recherche dans Le Bruissement du monde aux éditions Passiflore. Il est de ces explorateurs esthètes qui ne surjouent pas la surprise ou l’émerveillement. Ce gracquien sème la chronique au vent, sans charger sa phrase d’un affect débordant, elle garde sa pureté originelle tout en susurrant son pouvoir d’abstraction. Là, réside le charme vivifiant de ce recueil buissonnier qui promène son bonheur de vivre entre fragments, souvenirs d’enfance, nostalgie du cœur, sens de la transmission et plaisir du palais. Mazzella nous touche car, avouons-le, il caresse notre vieux monde, il cajole notre désenchantement, il ouvre la volière de notre mémoire. Ne vous méprenez pas sur son dessein, il ne panthéonise pas le passé, ce n’est pas un embaumeur, plutôt un exhausteur de goût. Son toucher de plume lifte l’existence, lui donne du rebond. Nous avons les mêmes codes d’entrée, les mêmes marottes, les Renault Floride et les chevauchées landaises de Christine de Rivoyre
Avec ce compagnon hussard, on se rappelle d’un texte lu à l’adolescence qui a fait chavirer notre suffisance, on se met alors à dessiner des volutes de Havane dans le ciel laiteux de la province française, à rêver aux seins obuesques de Silvana Mangano dans « Riz amer » ou à la bouche désirable de l’impénétrable Monica Vitti. À nous extraire simplement de notre quotidien par le talent des autres, voilà un résumé de ce que fut notre jeunesse. Pour nous, garçons ahuris, bouffis de caractères d’imprimerie et de cinéphilie, la réalité passe souvent par le tamis de la fiction. Mazzella est un merveilleux brouilleur de météo, il détraque toutes les horloges. Avec lui, la chronologie s’émancipe des dates. On le suit avec gourmandise dans cette belle littérature, giboyeuse et sauvage des Trente Glorieuses puis, le texte suivant, il nous ramène au présent, dans le spectacle chantant d’une bergeronnette grise ou la pesanteur ensoleillée d’un champ de maïs. Tantôt mélodiste d’antan, tantôt aquarelliste du paysage en mouvement, sa mélancolie sous-jacente n’est ancrée dans aucun port d’attache. Elle est libre, elle se moque des convenances, elle cabote sur des côtes intimes. C’est pourquoi nous prenons autant de plaisir à le lire, surtout quand il écrit: « Je suis Claude Sautet » ou qu’il fait l’éloge du stylo à plume: « Bonheur de retrouver le glissement de l’encre, sa fluidité, et le crissement sur le papier vergé ivoire, cette teinte bleu nuit qui forme les lettres, les mots qui naissent, le mouvement du poignet, le sang qui afflue sur la dernière phalange de l’index comme si nous labourions ». Mazzella sait, par instinct, qu’un bon livre ne ressemble pas à une autoroute rectiligne, il doit cahoter, ne jamais utiliser le même instrument de musique, de la variété naît l’harmonie. Mazzella ose passer de Gracq au Bricomarché, sublime impertinence et poésie de l’infiniment petit, de Calet à Anouk Aimée, de Larbaud à une libellule indisciplinée, de Gómez de la Serna au croquant du chipiron. Vive 2021 !
Le Bruissement du monde de Léon Mazzella – éditions Passiflore.
Je tombe à l'instant sur l'annonce de la parution de mon prochain livre en surfant sur la Toile, à la recherche d'une référence bibliographique. J'ignorais qu'il était déjà signalé, notamment sur les plateformes de vente comme FNAC, Decitre, Amazon, etc. Il en va des livres comme des maillots de bain ou des manteaux : on achète les premiers en hiver et les seconds en été, lorsqu'ils apparaissent aux vitrines. Il en va ainsi de tout, au fond, sauf des fraises des quatre saisons qui naissent sous serre. Anticiper, cela me connait. Le métier de journaliste consiste aussi à avoir un temps d'avance, ne serait-ce que pour des questions de dates de bouclage. Sauf que là, il faut attendre. On peut juste réserver, pré-acheter (directement sur le site de l'éditeur, d'ailleurs). Bien, puisque ce n'est plus un secret, voici ce qu'en dit, justement, mon éditeur => Le Bruissement du monde À présent, il me tarde de distribuer le faire-part de naissance du petit dernier... L.M.
Rusalka
Hommage au Père Magloire, célébrissime calvados, pour cette
cuvée Fraternité à prix plancher (17,90€ la bouteille de 50 cl.). Il s’agit d’un Hors-d’Âge issu de lots vieillis 12 ans au moins. C’est rond, d’une grande douceur vanillée, avec des notes fruitées et légèrement torréfiées. Cette édition spéciale fêtera les 200 ans de la marque. À déguster au crépuscule, sec, voire frappé, en faisant tourner quelques glaçons dans le verre afin de le refroidir instantanément (puis jetez la glace). Ça fonctionne bien avec Mozart comme avec Bob Marley, ainsi qu'avec quelques pages du Grand Meaulnes. L.M.
Ce conteur professionnel,, Nicolas Bourdon, que je ne connais que par cette fantastique vidéo et par un bref échange de mails, a acheté mon "Parler pied-noir" (Payot) et m'a adressé cette vidéo. J'estime qu'elle mérite une grande audience, à l'image de son talent. Faites passer, les concernés ! LM => Pataouète et l'armateur
Elle restera gravée dans notre mémoire d'outre-tombe, la voix du dernier disque posthume de Leonard Cohen. Plus sépulcrale encore que dans You want it darker, comme le souligne mon ami Benoît. Oui, sépulcrale est l'adjectif idoine. Ça racle, ça sillonne dans nos oreilles internes, ça remue, ça parle, ça fait écho, durablement. Savourez => Thanks for the dance
Et, je le redis, c'est lui qui méritait un Nobel de Littérature, davantage que Bob Dylan...
P.S. : je ne saurais trop recommander un magnifique album de ses poèmes, dessins, chansons, que je feuillette au gré, avec beaucoup d'émotion et toujours sa musique en fond de lecture - comme on parle de fond de sauce... L.M.
Philippe Muray, son classique L'Empire du Bien, et Cigarettes after sex en concert vont bien ensemble => Cigarettes after sex
Ce sont des flacons aux noms qui résonnent jusqu’au point d’orgue car ils sont longs en bouche, et évoquent une musique, ou la musique.
Il y a Boléro (blanc liquoreux, 2017, 15,90€), jurançon du domaine Cauhapé, sérieuse maison dirigée sans baguette mais de main de maître par Henri Ramonteu. Frais, ample, il ne manque pas d’élégance car sa sucrosité n’est pas écrasante, au contraire. Parfait à l’heure de l’apéritif avec rien d’autre, puis à la fin du repas avec des fruits rafraîchis. Gloire au petit manseng lorsqu’il est ainsi travaillé, après avoir été ramassé à la main à la mi-octobre, puis à la mi-novembre.
Il y a L’Accord Parfait (rouge, 2016, 10,50€) des Vignerons de Carcastel, en appellation Fitou (où les progrès techniques hissent les vins depuis quelques années). C’est gourmand, racé, présent en bouche (carignan, grenache) et d’une généreuse fraîcheur. À partager « à la tiède », escorté de charcuterie, pieds nus dans l’herbe.
Il y a Harmonie, du domaine Jean Vullien & fils (blanc, 2018, 13€), envoûtant Chignin-bergeron (Savoie). 100% roussanne d'une teneur, d'une présence, et d'une complexité aromatique confondante. C'est généreux, la robe d'or à reflets cuivrés en impose, acacia, abricot mûr, léger réglissé au nez, amplitude et suavité en bouche. Persistant. Musical. Magnifique!
Il y a C’est pas du pipeau (blanc, 2018, 21€), superbe Collioure du domaine Coume del Mas (Banyuls), à l'étiquette chatoyante. Vermentino et roussanne s’y donnent à cœur joie, en bouche, et c’est fort agréable avec un poulet yassa.
Inutile d’attendre la prochaine fête officielle de la musique. D’ailleurs, c’est la saison des festivals, la musique est partout chaque soir, y compris à la maison. Passe-moi le tire-bouchon, Pierrot... L.M.
Le décapiter et retrouver aussitôt le fruité fort, le Sauvage, ce sous-bois des sensations comme on le dit d’un scent de bécasse sous le flair d’un setter bien créancé et statufié tout à trac. Un côté fumier aussi, mais point entêtant ni désagréable : on ne hâte pas le pas, on le ralentirait plutôt afin d’en savourer les flaveurs mâles et primitives, et de fourrure aussi mais qui possède un certain vécu, un usé rassis pelé patiné soyeux. Montecristo Open Master. Robusto robuste. Sa dégustation à cru. La meilleure. Les narines absorbantes collées contre sa tête qui exhale, enfin libérée, tant de cèpe d'octobre, de mûre de septembre écrasée par inadvertance, de primevère de décembre foulée sous la botte et dont la semelle se souviendra tout le jour, de blouson de cuir pour la moto, de cheval en sueur, de chien dans la voiture, de sauvagine, de draps dans la cabane au bout d’une semaine de bivouac. Que voulez-vous, les habanos sont ainsi lorsqu’ils sont bien... nez. Minute, je l’allume. La suite appartient aux murmures, aux yeux fermés, aux pensées, au baroque - Jordi Savall et ses fougueuses Follias de España, à une aube ici - dans les barthes de l'Adour sans doute, un crépuscule là - à La Barbade peut-être, aux sensations furtives un peu partout, un éclair dû à un subtil trait d'esprit lancé par un ami comme une ligne pour le bar, disséminées par notre oublieuse mémoire tout à coup rassemblée, au rapport comme pour prendre son quart. Passerelle. L.M.
Alliances : Rhum Mount Gay XO pour boire, Le fusil de chasse, de Yasushi Inoué pour lire (à voix haute, façon gueuloir de Flaubert). Le reste pour voir. Plus clair, à n'en pas douter, sur la carte brouillée de nos sentiments dans la salle dédiée. Compas. Sextant. Étoile Polaire. E la nave va.
La scène la plus intéressante (plus quelques collages) de Trans-Europ-Express, film prétentieux et pervers d'Alain Robbe-Grillet (1966), très Nouveau roman, très inspiré de la Nouvelle vague bien sûr, mais sans grand intérêt, hormis la mise en valeur d'un couple : la séduisante Marie-France Pisier et le magnétique Jean-Louis Trintignant. Ce montage sur un morceau du groupe Cigarettes after sex en devient captivant. Ça happe.
Fin des années 80, je ne me rappelle plus du jour. Le groupe de rock The Pogues donne un concert à Bordeaux, le chanteur Shane Mac Gowan, ses oreilles volées aux O'Hara de Painful Gulch, vide des Guinness, enchaine les titres derrière Dirty old town à travers ses ratiches rares, et arrose de temps à autre de jets bruns les premiers rangs de la salle à la manière d'un vainqueur de F1. Le lendemain, je ne sais plus qui fait ce titre dans le journal : "The Pogues, le rock qui fait aimer la bière" (en référence à une pub : Heineken, la bière qui fait aimer la bière).
Avec le journaliste et écrivain d'origine bordelaise Didier Pourquery, c'est un peu ça, sans la mousse. Auteur d'un délicieux Petit éloge du jazz (folio), Didier est l'homme qui fait aimer le jazz avec un enthousiasme communicatif. Chaleureux, tutoyant, Pourquery a l'érudition sympa, partageuse, jamais tapageuse. Son petit bouquin convertirait à Lionel Hampton un intégriste du cor de chasse. Mêlant connaissance fine mais avant tout sensible, dérives personnelles, portraits classés par instruments (voix y compris) à de nombreux souvenirs, il fait mouche à chaque page. Certaines anecdotes sont touchantes, comme cet examen oral du bac le lendemain de la mort de Louis Armstrong : le jeune Didier, déjà fondu de jazz jusqu'au tréfonds des trompes d'Eustache, est défait. L'examinateur compatit. Au fil d'une lecture joyeuse qui donne la pêche et envie d'écouter tous les morceaux cités (une chaine Youtube dédiée porte le titre du livre), on se sent galvanisé par la tendresse du propos d'un passionné sincère qui nous raconte son jazz tout en présentant tous les jazz avec une désarmante simplicité. L.M.
Ou la magie de l'archiluth fiancé à Bach
Un bordeaux supérieur, château La Verrière à Landerrouat (85% merlot,15% cabernet-sauvignon), stupéfiant de concentration et de vérité - loin de ces centaines de bordeaux buvardeux, rêches, austères mais sans classe -, s’ouvre à nous ( : trois amateurs). Le viticulteur se nomme Alain Bessette et son œnologue Jean-Louis Vinolo. Les vignes sont en conduite raisonnée. Le flacon ne coûte pas 6€, c'est donc une superbe affaire : c’est élégant et vigoureux, souple et riche, dense et fruité à souhait, pur et propre, avons-nous envie d’ajouter.
Il fait partie des six nouveaux Bordeaux et Bordeaux Supérieur rouges « de talent », sélectionnés récemment dans le millésime 2015, au cours d’une dégustation à l’aveugle d’une centaine de flacons. Et c'est notre chouchou...
Le second, la cuvée Fougue (100% merlot, 7,50€) du château Saincrit porte bien son nom. L’énergie d’un étalon au galop donne rendez-vous à une douceur en finale –souplesse, suavité et puissance retenue -, qui signent l’esprit de dompteur de sa viticultrice, Florence Prud’homme. Passionnée de cheval, elle a placé une licorne pour blason de son domaine, sis à Saint-André-de-Cubzac. Détail d’importance : aéré longuement, le vin s’ouvre avec bénéfice comme les cuisses d’une jument d’avril.
Le troisième lauréat, château Les Reuilles, cuvée Héritage AL (60% merlot, 40% cabernet-sauvignon, 9€), élaboré par l’équipe de Patrick Todesco, qui siège à Savignac-de-Duras dans le Lot-et-Garonne (aux confins de l’Entre-Deux-Mers et de Saint-Emilion) – le vignoble est situé dans l’aire de l’appellation Bordeaux Sainte-Foy -, offre un nez de fruits noirs mûrs et de violette, assez caractéristique. Cette cuvée haut de gamme du domaine est le fruit d’une sélection qui jouit d’un élevage d’un an en barriques partiellement neuves. C’est opulent, concentré sans être embarrassant, car fluide et jamais lourd. Une réussite, là aussi.
Château Barreyre, géré par Claude Gaudin (Vitigestion), exprime ce qu’il peut et pour moins de 10€ cependant. Soit une belle expression, honorable mais guère davantage, d’un pourcentage correctement conduit de 70% merlot - 30% cabernet-sauvignon, élevage sous bois une année durant (1/4 de fûts neufs), mais dont le résultat est on ne peut plus académique, bordelais mais moyen, tannique ce qu’il faut, fruité ce qu’il convient. Zéro surprise (mûre, cassis correctement dosés, soyeux de série œcuménique, élégance pile au rendez-vous mais sans entrain – vous saisissez ?.. ). Un « bordeaux supérieur » comme il s’en trouve près de mille, ou à peine moins.
« Au suivant », me souffle Jacques Brel : le château Pierrail (90% merlot, 10% cabernet franc - ? - 12€), est d’une austérité étrange, qui n’a rien de monacal ni de militaire, mais qui fait sérieux. C’est Erich Von Stroheim sans son col amidonné, de Boïeldieu sans ses jambières, le désert sans les Tartares, les Syrtes sans Amirauté. Il manque quelque chose à ces merlots pourtant habiles à séduire le nez, mais impuissants à garder en bouche ce « tssa », cette indéfinissable saveur qui persiste à retenir, coûte que coûte, notre présence redoutable, soit en avant-poste. Néanmoins, Pierrail parle, ou plutôt chuchote. Il possède une certaine classe qui ne se détecte pas à la première gorgée. C’est là son mérite.
Le château Landereau, cuvée Prestige, enfin, qui appartient aux vignobles Bruno Baylet à Sadirac, est un pur merlot vieilli en fûts neufs 18 mois durant, qui titre 14,5° d’alcool (la Terre se réchauffe, n’est-ce pas ?), mais qui ne fleure pas la « tisane de bois », ni les éthers, ces saveurs alcooleuses et peu racoleuses qui flirtent parfois avec des arômes de térébenthine. Rien de tout cela dans un verre de Landereau prestigieux (13€). En revanche, son sérieux rebute un peu. C’est certes capiteux, riche, mais peut-être trop, et je ne vois qu’une daube de sanglier ou bien une côte de bœuf bien maturée pour le calmer en l’épaulant. Question d’accords. Ce n’est donc pas un vin d’apéro. Ni de tafiole. Et c’est ainsi que, kaléidoscopique, Bordeaux est grande. L.M.
Découverte de mon papier sur les Fêtes de Bayonne (10 pages dans Pyrénées magazine, spécial Pays basque, qui paraît), chez Arcé, à Baïgorry.
EXTRAITS :
Cliquer ci-dessus...
la tempête da tempeste
Voici le poème dont Jean-Louis Trintignant a lu un extrait (les derniers vers, en prenant la liberté de les prolonger un peu..) hier soir à la salle Pleyel - voir la note précédente, plus bas donc. Il s'intitule La marche à l'amour, et nous le devons au poète québécois Gaston Miron (1928-1996). Extrait du livre L'homme rapaillé © Poésie/Gallimard :
clic > my oblivion
(photos extraites de cette émouvante vidéo)
Mars 1969
Une heure et demie d'émotion, de larmes de joie et de regret, soit tout l'esprit des Lachrimae concentré ici, là, un temps sans issue palpable de musique baroque épurée jusqu'à l'os, grâce au talent de Jordi Savall et de son ensemble Hesperion XXI, tout cela en hommage à Montserrat Figueras, la femme disparue de Jordi, la moitié de l'âme de l'ensemble, l'esprit, la jumelle, l'hémisphère de tant et tant d'années, la voix surtout, la voix unique, cette voix entendue "pour de vrai" une première fois un soir divin de septembre 1980 dans une église de Coimbra, au Portugal, et après l'avoir tant écoutée sur les 33 Tours de la Platine... En hommage donc, cette heure et demie de bonheur serein et doux, ça vous dit?.. Et bien allez, zou :
https://www.youtube.com/watch?v=dJDce7wUwDs
J'aime écouter Bob Dylan depuis toujours, et je suis contre tous les amalgames. Aussi...
L’académie Nobel a beau être la mesure étalon - supposée - de l’excellence planétaire, je n’ai jamais accordé trop de crédit à ses choix pour la littérature, car d'abord qui sont ces jurés? Et pourquoi leur vote dans le plus grand huis-clos, leur sanction, seraient-ils le reflet du goût mondial, au même titre qu'un Traité devrait toujours avoir, de facto, une autorité supranationale (soit sur toute Loi), ou qu'un 99/100 attribué il y a peu encore par Robert Parker (surnommé Bob, d'ailleurs), le gourou effrayant de la planète vins, devrait de façon dictatoriale élire le meilleur... La première question est : je me fie ou je me méfie. La seconde : chacun mes goûts n'est-il qu'un indigent jeu de mots?
Les académiciens scandinaves ont, de surcroît, toujours oscillé entre une valeur sûre et convenue, archi reconnue et traduite partout, et une sombre poétesse inconnue, sauf de ses voisins, à peine publiée et timidement traduite. Là, il semblerait qu’ils souhaitent s’offrir une cure de jouvence, se la jouer djeun’s, au point d'en oublier l'objet livre : et allez, tiens, on explose les cadres… Sauf que ça redéfinit, eu égard à leur incontestable aura, de façon indirecte, induite, inexorable, les définitions de l’écrivain, de l’œuvre, de l’exigence, du travail considérable - et même de la littérature. Gide, Kipling, Camus, Kawabata, Beckett, Garcia Marquez, Simon, Naipaul, Mann, Mauriac, Grass, Faulkner, Hemingway, Bergson... n’ont rien à voir avec un chanteur, poète certes, mais dont les vers (je les ai relus avant-hier), n’ont pas - me dis-je -, la teneur de ceux d’un Saint John Perse, ni la profondeur de ceux d’un Milosz, ou la portée des poèmes d’un Pasternak, la sensibilité inouïe des textes d’un Paz, la puissance de l'oeuvre d’un Séféris, l’émotion amoureuse des chants d’un Neruda, la tendresse forte des élégies d’un Elytis, la rigueur et la rugosité des poèmes essentiels d’un Heaney, la fragilité infinie des paquets de peau crue d’un Yeats, ni même la légèreté écorchée vive d’un Maeterlinck…
Ou bien alors, signe des temps, le nivellement par le bas enfante une médiocratisation généralisée qui fait norme ; nouvelle norme. Pour rire, je me disais alors que Francis Lalanne pourrait figurer sur la liste des Goncourt (un autre Francis - Cabrel, en ferait une jaunisse), que Keith Richards pourrait prétendre au Nobel de médecine (la blague circule sur la Toile depuis un jour), que Nadine Morano pouvait être propulsée ministre de la culture, puisque les Américains risquent d’avoir Trump pour président, et que nous avons la France de Cyril Hanouna en guise de punition à nos laxismes cathodiques.
Alors, je ne crains pas de paraître ringard, « old school », antimoderne, ce que l’on voudra, car je me sens juste viscéralement attaché à une qualité d’écriture, à la « distinction », à l’exigence, à la magie du mot, du verbe, de la phrase, à ce qui fait sens, œuvre, voire intemporalité. A une certaine idée de la littérature. Que tout cela a un... prix, mais pas forcément étalonné, et aux contours de récompense. Que ça doit vraiment avoir de la gueule, de l'épaisseur, de la teneur, du fond et de la forme réunis. Et parce que j'aime démesurément la littérature, le plaisir du texte, l'objet livre, l'oeuvre en cours, l'obsession du work in progress, je m'interroge sur une certaine dissolution qui m'apparaît périlleuse. A force de mélanger les genres (ni art majeur, ni art mineur, entends-je), de dissoudre et donc de prêter à confusion, on ne reconnaît plus grand chose, et le magma sans cadre ni repères ne me dit rien qui vaille, durablement, car si je ne peux plus nommer, singulariser, désuniformiser... j'amalgame tout et mon jugement se brouille.
Je ne pense donc pas que Bob Dylan soit dans cette zone d'exigence-là. J'aime l'écouter depuis toujours, avec son timbre, sa verve, sa hargne des débuts, depuis Blowin'... le recours à l'harmonica, le Vietnam, Joan Baez, tout, mais je n'aime donc guère confondre les choses, je le répète volontairement, considérant que cela n'est jamais salutaire. En tous cas, Dylan m'apparaît moins essentiel qu'un Leonard Cohen; par exemple. Et si les Suédois du Nobel entendaient envoyer un signal (politique) fort – car ils savent faire, à l’occasion -, à l’Amérique des « trumpistes », ils se sont trompé de champion… Le donner à titre posthume - tant qu'à innover! -, à Jim Harrison, eut été un vrai geste. Ou bien l'attribuer, logiquement et sans surprise, au grand Philip Roth bien sûr. Mais il en a été décidé autrement.
Dès lors, les prochains Nobel de littérature pèseront moins qu'une plume sur mon sentiment. La dévalorisation de ce nom m'est vertigineuse, depuis jeudi. Et je pense tout à trac, tendrement à Bob Lobo Antunes, à Bob Adonis, et aussi à Bob Kundera...
Léon Mazzella.
P.S. : une ambiance délétère, opérant par capillarité, est résolument culturophobe. Et oublieuse. Volontairement partisane de l'amnésie. Dans le déni de ce terreau, comme le nommait Julien Gracq, sans lequel toute littérature du présent ne saurait pousser. Autrement dit, privé de quoi, l'éphémère n'est qu'inconsistance; condamné à faner.
J'adore! Nouvelle Vague, Dance with me. Délicieuse Anna, touchant Claude, séduisant Sami :
https://www.youtube.com/watch?v=1boeQ9zoF-s
Cliquez et dansez!
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant... D'un monde gouverné par la poésie, d'un système dans lequel le mot politique serait toujours remplacé par le mot poétique, où la poésie serait la règle douce et désirée. Je me répète souvent (ici encore, il y a quelques semaines, et ce depuis qu'un jour de juillet 1977, je découvris sa parole), le mot de Hölderlin (photo) : A quoi bon des poètes en un temps de manque? (Wozu dichter in dürftiger zeit?), persuadé qu'ils ne sont jamais aussi nécessaires qu'en temps de crise, de guerre, de marasme social, de doute sociétal. Quand les mythologies s'effondrent, c'est dans la poésie que trouve refuge le divin, écrivait Saint-John Perse. Baudelaire : Il n'y a de grand parmi les hommes que le poète. Hölderlin, encore, répétait que c'est poétiquement que l'homme habite - ou doit habiter -, le monde. Voilà la parole vraie. S'efforcer naturellement (osons l'oxymore) de voir la beauté sous la peau des choses, de même que nous dev(ri)ons toujours frotter et limer notre cervelle à celle d'autrui, disait Montaigne à propos des voyages (en précurseur de l'ethnologie débarrassée de tout ethnocentrisme). Faire de la poésie un mode de vie, un état d'être au monde de chaque instant. Regarder, ressentir, penser, respirer, aimer, rire, parler poésie. Perse, à nouveau (*) : La poésie est action, elle est passion, elle est puissance (...) L'amour est son foyer, l'insoumission sa loi, et son lieu est partout, dans l'anticipation. A chacun sa foi. Croire en cela ne procure aucune espérance en un quelconque au-delà, mais forge et renforce notre pas sur la terre ferme, pensant, avec Eugenio de Andrade, que la démarche crée le chemin. L.M.
(*) cité dans Habiter poétiquement le monde, anthologie manifeste présentée par Frédéric Brun, éd. Poesis - un livre pas encore vu/lu, évoqué par Le Figaro littéraire d'hier, et d'où je tire ces deux citations de Perse.
ALLIANCES :
Ecouter : Cigarettes after sex / Affection (cliquez).
Boire : le champagne de Barfontarc, un brut blanc de noirs de la Côte des Bar 100% pinot noir, donc. C'est miellé, abricoté, framboisé, crémeux, pulpeux, délicatement vivifié par une acidité gentiment surprenante en bouche. Finale exotique (15€ le prix du plaisir, à fiancer -manger!- avec un dos de cabillaud très épais, juteux, à peine pris au four par le haut).
J'ai revu, une fois de plus, César et Rosalie, à la télé, avec ce plaisir étrange de l'identification totale, aussi forte qu'entre les pages d'un roman d'amour pourvu d'une épaisseur certaine (Zweig, Marai, Eliade). L'empathie est terriblement sensible, avec les films de Claude Sautet. Alors, j'ai repensé aux Choses de la vie, encore la sublime Romy, et l'immense Piccoli. Et la petite musique Sautet. Années soixante-dix. Mes parents. Leur amour fou. Un spectacle permanent et lumineux, incandescent, idéal, pour leur fils -et filles. Un côté En attendant Bojangles, le roman de Bourdeaut (lire ici, plus bas, au 18 avril), soit une mélancolie gaie, les larmes avec les rires. Les années bonheur, l'insouciance, la mer, le soleil, la terrasse toujours remplie d'amis... Une atmosphère que j'ai - très modestement - décrite dans mon roman Flamenca. Et donc Sautet, sa façon de dire avec tant de tact et de justesse les sentiments, une époque... Comme Aznavour sait chanter l'amour mûr, devenu adulte. Alors je pense à
la chanson d'Hélène, comme on pense au thème de Camille, de Georges Delerue, dans Le Mépris, de Godard, (évoqué sur ce blog de façon récurrente)... La chanson d'Hélène est la plus bouleversante qui soit, la plus douce. Aussi douce et forte que les regards de Sami Frey et d'Yves Montand, à la fin de César et Rosalie, par la fenêtre, lorsque Rosalie/Romy revient... Aussi douce et irrémédiable que l'eau (ou parfois le sable), qui coule, s'échappe d'entre nos doigts. La vie qui fuit, l'amour qui ne se retournera pas, une plage soudain déserte, une page à nouveau blanche, une saison sèche qui tremble à l'horizon comme un mirage. Un côté comme ça... Alors, oui, il y a des jours comme ça. Et, aujourd'hui, comme si souvent, comme ce soir nous sommes septembre (davantage que Charlie), Je suis Sautet. L.M.
Cliquez là => La chanson d'Hélène
C'est une petite merveille, ce Brut Premier Cru-là...
Champagne Dauby (« Mère & Fille »), Blanc de noirs (issu des plus beaux pinot noirs du terroir magnifique de Mutigny, classé Premier Cru) :
Bulle fine, cordon régulier et enjoué, sous une robe jaune, vive, sans reflets clinquants : franche.
Joli nez d’une grande fraîcheur, et « viennois », de pain brioché, quasi « cremoso », avec une touche de pêche blanche, une pointe de myrtille, et puis de mûre, et enfin un zeste caressant de pomelo rose.
Bouche ronde et ample, pleine, avec un léger crayeux (le sol parle !), et juste ce qu’il faut d’agrumes mûrs, soit un citronné presque confit. On y retrouve la viennoiserie délicate, et une finale de framboise encore croquante.
Un champagne gourmand, d’apéritif attentif, et surtout pour accompagner dignement un poisson de rivière en sauce (beurre blanc, crème), ou une volaille justement cuite, encore juteuse.
La famille Dauby, sise à Aÿ, jouit de terroirs exceptionnels et élabore une gamme de champagnes de respect depuis soixante ans. La marque au coquelicot – emblème qui souligne le respect absolu de la nature et de la biodiversité, possède le sens de la recherche d’une certaine authenticité qui laisse parler la terre. C’est « juste » bien fait... (18€!). L.M.
Alliances :
La table de Montaigne, de Christian Coulon (Arléa), car l'auteur (prof émérite à Sciences-Po Bordeaux - nos universités!), révèle un auteur des Essais qui se fiche de la gastronomie comme d'une guigne ou de sa première culotte pour aller chevaucher bride abattue, et plutôt un philosophe gourmand, voire bafreur. Et ce bouquin passionnant se double d'une vraie histoire des moeurs gastronomiques du Sud-Ouest de l'époque... Un régal, pour qui aime la région, Montaigne, et manger généreusement.
Ecouter, avec ce duo :
Une compil de bons vieux standards des Pink Floyd.
Et aussi des succès de Peter Gabriel (post Genesis)
L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.
Prestige du Président est un rosé corse de coopérative (l'Union des vignerons de l’île de Beauté, à Aléria), issu de sciaccarellu et d’un peu de syrah. Sa robe est claire, mais dense et brillante. Son nez exprime les fruits rouges vifs et croquants : framboise, fraise des bois, et un léger citronné dépourvu de cette agressivité qui semble être à la mode (et la mode semble être, tous secteurs confondus, à l'agressivité, à l'arrogance, à l'irrespect de... Je m'égare, là). Jolie bouche ample, pleine, fruitée et tendrement épicée, en finale. Très agréable sur un poulpe a la Gallega, servi tiède, avec du pimenton (ou du paprika), et des légumes verts croquants cuits brièvement à la vapeur (pois gourmands, petits pois, brocolis), finis à froid d’un filet d’huile d’olive vierge généreux. C’est, de surcroît, une bouteille belle, lourde, dont la teinte du verre cache la couleur du vin (7,50€). Très Corse, cette façon de dissimuler, d'ourdir, de comploter jusqu'à la couleur du... contenant. J'aime.
Lire, avec : Le vin & le sacré, d'Evelyne Malnic (Féret), un superbe album richement illustré, à l'usage des hédonistes, croyants et libres-penseurs : c'est le sous-titre. Une ferveur commune a toujours associé vin et divin, depuis plus de six mille ans. Le vin est en effet au coeur de la civilisation méditerranéenne. Il est dans la Bible, il imprègne, voire imbibe les textes fondateurs en Mésopotamie, en Egypte, en Grèce bien sûr. La Pâque juive, le paradis d'Allah... Nul n'est épargné, du moins du côté des monothéismes. La trop fameuse métaphore du sang versé (le Graal), l'image classique du sang de la vigne du poète persan (païen et jouisseur, pour le coup, donc hors-sujet!) Omar Khayyâm, le vin est aussi et surtout redevable du cep de vigne que Noé garda serré dans sa main, en montant dans l'Arche. C'est là le cep fondateur! Celui dont les Légions romaines ont semé les fils, partout où elles passaient. Mon Dictionnaire chic du vin (éd. Ecriture) évoque abondamment ces sources fondamentales, ainsi que les figures de Dionysos et de Bacchus, ainsi que le passage du divin au païen. Alors, lisez ce très bel album, dans lequel Evelyne Malnic a tout donné, et sur lequel nous reviendrons ici, prochainement. Rappel : religion signifie ce qui relie (les hommes entre eux). Et quoi de plus reliant que le vin?
Et si Bacchus était une femme. Parenthèse dans ce feuilleton des vins frais de l’été, amorcé ici le 18 avril (lire en faisant défiler les notes), une fois n'est pas coutume, car le vin que j'évoque ci-dessous s'adresse à ceux qui passent à Paris ou bien y vivent, en raison de l'unique adresse où nous pouvons le trouver. Collector, mes amis, collector! Et vintage, tant qu'on y est! Ce vin rare est incontestablement le rosé de l’été parisien. Gourmand, fruité, délicat, ce Provençal étiqueté spécialement par le célèbre domaine Gavoty, dans le Var, pour la cave parisienne « Et si Bacchus était une femme », est un rosé qui ne manque ni de claquant, ni de classe. Issu de cinsault et de grenache, il est idéal pour un déjeuner sur l’herbe dans un jardin parisien, qu’il soit des Plantes, de Vincennes, ou d’Acclimatation, avec des fromages de chèvre, du jambon de Parme, des grissini et une tapenade maison.
Robe pâle et élégante. Nez fruité de groseille, de fraise mûre et de framboise croquante. Bouche ample, généreuse, avec des hanches, et pourvue d’une jolie longueur, à la fois tendre et fraîche. Le vin idoine pour un apéro sur les bords de Seine ou de Marne, depuis les quais se trouvant à l’aplomb de la Très grande bibliothèque, jusqu’à Joinville-le-Pont et au-delà. Ou bien pour un dîner amoureux sur le petit balcon, collés-serrés par la force des choses foncières... Et encore pour une soirée entre copains et copines, à l’appart’, en écoutant le dernier album collectif Autour de Chet (Baker). Le rosé « Et si Bacchus était une femme », c’est la griffe discrète d’un grand de Provence dans un gant de velours. L’alliance de la fête et de la finesse (10€). Et vendu, donc, uniquement à la boutique (coordonnées ci-dessus). Cette cave cosy est à la gloire du vin de vigneronne, et volontiers bio. A noter que la gamme Et si Bacchus était une femme se décline en blanc, en rouge, ainsi qu'en champagne (de vigneronnes, évidemment). L.M.
L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.
A mes yeux, mes oreilles, mon coeur, ma peau, le plus bel extrait d'un album tout entier consacré à une lecture musicale forte des Rubaiyat d'Omar Khayyam, par la voix unique d'Abed Azrié.
Alliances : une syrah douce et forte à la fois, de belle extraction. Si vous le pouvez, issue de la côte-rôtie, sinon, d'hermitage, ou bien de crozes-hermitage, mais de par là-bas, des magiques côtes-du-rhône septentrionales.
Je confesse : j'étais ado, à Bayonne, et nous nous moquions des Michel Delpech, Michel Fugain, Julien Clerc, Johnny Halliday, Clo-Clo, Mike Brandt, Stone & Charden et tout le toutim (Hervé Vilard, Adamo...). On les trouvait "ploucs". On écoutait en revanche Maxime le Forestier (baba, "jeunes et nature", Mességué, La Vie claire, Roger Dumont... Obligeaient alors), un peu Véronique Sanson, Graeme Allwright, Paco Ibañez, Ferrat sur Aragon, Ferré, Brel et Brassens bien sûr, Reggiani et Aznavour piqués aux parents, avec les 45 ritals à bloc et ricains (de Bobby Solo à Trini Lopez en passant par Sinatra). Sans parler, ici, des rosbifs de tout poil (Beatles contre Stones, Genesis, Incredible String Band, King Crimson, Yes, Jethro Tull, et Led Zeppelin bientôt, entre cent autres etc, etc). Non, là, je cause remords français, et frime franchouillarde à la con : on les qualifiait donc de ploucs, les Delpech et consorts, car on était cons. Jeunes (moins de 18) et cons. On se croyait supérieurs, intello à 2 balles, avec les chants révolutionnaires murmurés par Joan Baez, avec la voix chaude et profonde de Leonard Cohen... Aujourd'hui que Lorette, le chasseur, Wight is Wight... La liste est longue, disparaissent en renaissant aussitôt (l'avez-vous remarqué, aujourd'hui?), je m'aperçois d'une chose : en vieillissant (j'accuse 57 automnes au compteur bleu), j'apprécie désormais -presque autant- les tubes de Delpech que ceux que j'adulais alors. Va comprendre, des fois...
Couverture avec rabats, non corrigée, du Dictionnaire chic du vin (en librairie le 9 septembre).
Photo du bandeau de couverture : © Marine Mazzella (ma fille).
Cliquez, puis lisez :
https://www.youtube.com/watch?v=-aqFjWz41c0
Je te rencontre.
Je me souviens de toi.
Qui est tu ?
Tu me tues.
Tu me fais du bien.
Comment me serais je doutée que cette ville était faite à la taille de l´amour ?
Comment me serais je doutée que tu étais fait à la taille de mon corps même?
Tu me plais. Quel événement. Tu me plais.
Quelle lenteur tout à coup.
Quelle douceur.
Tu ne peux pas savoir.
Tu me tues.
Tu me fais du bien.
Tu me fais du bien.
J'ai le temps.
Je t'en prie.
Dévore-moi.
Déforme-moi jusqu'à la laideur.
Pourquoi pas toi ?
Pourquoi pas toi dans cette ville et dans cette nuit pareille aux autres au point de s'y méprendre ?
Je t'en prie…
Cliquez à nouveau, puis lisez :
https://www.youtube.com/watch?v=oPONf1fu2II
Je te rencontre.
Je me souviens de toi.
Cette ville était faite à la taille de l´amour.
Tu étais fait à la taille de mon corps même.
Qui est tu ?
Tu me tues.
J´avais faim. Faim d'infidélités, d´adultères, de mensonges et de mourir.
Depuis toujours.
Je me doutais bien qu'un jour tu me tomberais dessus.
Je t'attendais dans une impatience sans borne, calme.
Dévore-moi. Déforme-moi à ton image afin qu'aucun autre, après toi, ne comprenne plus du tout le pourquoi de tant de désir.
Nous allons rester seuls, mon amour.
La nuit ne va pas finir.
Le jour ne se lèvera plus sur personne.
Jamais. Jamais plus. Enfin.
Tu me tues.
Tu me fais du bien.
Nous pleurerons le jour défunt avec conscience et bonne volonté.
Nous aurons plus rien d'autre à faire que, plus rien que pleurer le jour défunt.
Du temps passera. Du temps seulement.
Et du temps va venir.
Du temps viendra. Où nous ne saurons plus nommer ce qui nous unira. Le nom ne s'en effacera peu à peu de notre mémoire.
Puis, il disparaîtra tout à fait.
© Marguerite Duras, Alain Resnais.
Les sites de vente en ligne annoncent déjà mon prochain livre, qui paraîtra fin août : Dictionnaire chic du vin (Ecriture), c'est 350 pages serrées d'hédonisme, de sérieux et de déconne, d'éloge du bien-vivre et du sang de la vigne - et ses inséparables connotations littéraires, musicales, sensuelles. Voici un aperçu capturé sur le site de la fnac :
(avec une belle faute d'orthographe -ZZ- sur la couv. provisoire)
J'ai vu des trucs rigolos à Amsterdam le week-end dernier : une guimbarde havanaise. U
n frère de nuit. Un héron climatisé devant une poissonnerie au marché Pijp (ah, les harengs frais aux oignons!..). Des tulipes bien sûr (pas rigolo, ok). Une Cinquecento en vitrine (ça change des péripatéticiennes du quartier rouge). Une occasion de ne pas boire de la bière mais un très bon vin blanc hollandais, si si! Un air de Naples dans le Waterland peuplé de beau linge : oies, canards de diverses sortes - et de limicoles aussi. Ces colverts, c'est depuis un bar que je les chope en vol, oui un bar, situé à un jet de galet du petit ferry qui nous envoie de l'autre côté du centre, depuis la gare ou par là. Un musée d'art contemporain baignoire. Un Valloton franc de la fesse molle (oui, je sais, je fais mon snob : ayant raté l'expo à Paris, je suis allé la voir à Amsterdam. Carrément - au musée Van Gogh, et ouais : prononcez van-kkhhheeuuhh comme si vous crachiez un vieux glaviot n°3 dans les tournesols arlésiens). Des sucettes à l'amende (même pas!). Des lieux d'aisance aériens. Des vélos partout, même là. Un commerce de bouche qui ne vexera personne.
Une injonction paradoxale dans la ville de la fumette. Un canard vénitien sans lecteurs. Un bar à tapin (ça change des tapas). Un disquaire qui aime beaucoup King Crimson! Une banque avec des racines (sans doute un Crédit agricole local. Non?.. - Ah bon). Mon pote Spinoza! Un magasin avec que des capotes à vendre.
Et enfin Le vieil homme (et la mer) de retour au port avec son marlin même pas bouffé par les requins! Happy Gregorio...
Le courant passe. Au bout de trois heures de marche, au-delà du dernier « ressaut herbeux » indiqué par le topoguide, tandis qu’un couple de milans royaux plane au-dessus d’une clairière plate comme la main ouverte de Gulliver, nous ne nous sentons plus empêtré par la sinuosité du sentier, les hésitations de la météo et cette semelle Vibram qui menace de se décoller à gauche en nous obligeant à traîner le pied depuis deux bons kilomètres. Surgit le barrage. Gigantesque carlingue, longue coque, armure cuirassée, il figure une muraille ne pouvant s’accoupler qu’avec le silence, dans une solitude heureuse, contemplative. Celle qui aide à poétiser la vie en ne faisant rien. Rien d’autre que s’asseoir, oublier tout sauf ça, admirer, débarrassé de toute culture, en immersion dans une nature qui tolère ce qui l’épouse avec beauté. Car un barrage, c’est beau, en altitude, les pieds cimentés dans l’eau, gagné à ses bordures par une végétation sauvage qui est parvenue à apprivoiser ce monstre dressé au ventre plat, ce chevalier sans tête qui brise l’horizon pour mieux le faire rebondir dans le regard du randonneur, au-delà du lac et sous les sapins.
Retenue. Retenue d’eau. Rétention bienveillante, tantôt couleur lame de scie à plat, ou bien langue infinie et bleue, augmentée d’un friselis lorsque passe un vent. Virage sur l’aile, vaguelettes, micro clapot, eau. Ici l’eau vit. Parle. Résonne contre la paroi majuscule, lui chuchote des choses à la base, lui offre son reflet quand le soleil chante. L’eau s’épanche, prend ses aises, s’étale dans les grandes largeurs, ne laisse rien transparaître de ses profondeurs.
Intime. Le barrage se penche sur l’eau, Narcisse intimidé, au col raidi d’un Erich Von Stroheim, montagne vue par Caspar David Friedrich. Au moins. Le barrage s’arque, rentre le ventre, boute hors de, creuse devant, donne à voir ses abdos que des traces d’anciens niveaux d’eau verdissent. Le barrage étend ses bras, il semble vouloir danser le sirtaki contre l’épaule des forêts voisines. Le barrage est terre d’accueil. Pays sage d’eaux tranquilles et plongées dans l’attente d’un lâcher prise, d’une libération à venir.
Rivage. Le paysage qui environne chaque barrage impose au regard son côté Syrtes. L’attente, l’oubli, l’ouverture à venir, l’ouverture des vannes comme un sexe.
Origine du monde. Un frisson parcourt l’échine du randonneur qui imagine tout à trac ce paysage comme une offrande à ses yeux émerveillés, englouti sous des millions de mètres cubes d’eaux en bouillons, d’écumeuse dévastation, d’apocalypse locale, de trombe torrentielle commandée par une main d’homme.
Fracas. Assourdissante, colérique, tellurique rumeur des eaux en fureur. Là, le barrage perd ses eaux. Accouche d’un vallon mis à nu, d’une vallée mise à sac, inonde la base et assèche les sommets. Sortie du rêve.
Sexe. Oui, il y a du sexe de femme dans l’idée du barrage. Retenue, fuite, fontaine, sueur de sang, abandon, sommeil, nuit, profondeur, méandres, inconnu, secrets.
Paisible étreinte. Le barrage, planté comme un quartier d’ananas au cœur d’une tranche de paysage pyrénéen, figure un gâteau de paix. Il rassure aussi puissamment l’âme du marcheur, qu’un clocher surgi du brouillard dans la plaine, réchauffe l’âme en feu de détresse d’une grappe de soldats en déroute.
Accroché. Il y a les pins à crochets. Les biens nommés, lorsqu’ils se reflètent dans l’eau de retenue, accrochent leur cœur à l’onde, fondent le vert cru de leurs ramures dans les nuances froides et changeantes d’un lac au tain capricieux. Dilution. Déréliction.
Coq. Délicate apparition. Soudain l’unique se produit. L’inattendu capital, la surprise énorme, my love supreme, s’offre à nos yeux ingénus, à l’heure du casse-croûte matinal qui répare les parois de l’estomac mis à mal par la montée. Mais il s’agit là d’un ventre soudain dévasté par l’émotion : sa majesté le grand tétras nous apparaît. Magiques Pyrénées. En lisière, le grand coq de bruyère se tient immobile, aux aguets, le souffle coupé par un doute cardinal. C’est que le randonneur, microbe qu’il est, que nous sommes par conséquent, ou inconséquence, n’appartient pas au paysage familier de l’oiseau roi. Statufié, tétras scrute. L’œil serti dans sa caroncule rouge ne tremble pas. L’instinct de survie interroge le paysage, implore le retour du serein. Qui vient à peu près, car le randonneur sait tout du mimétisme et de l’art de l’immobilité. Le randonneur, par chance, sait ceci. Et cela : se tapir, se taire. Il sait éviter de gâcher l’esprit de la rencontre rare. Le coq se détend, avance une patte, puis l’autre, fait quelques pas, se risque ici, pas là, disparaît dans un buisson…
Epée. Le barrage est une épée plantée jusqu’à la garde et dont on ignore la longueur de la lame. C’est une arme sans pommeau. Décapitée. Comme le chevalier inexistant, cette lame de béton s’enfonce obscurément. Profondément. Mystère de la pénétration. Le barrage est nuit. Inexorablement accouplé au silence massif de la montagne.
Abandon. Regarder un barrage au centre de son environnement, c’est éprouver l’abandon. Nous imaginons vite la genèse de l’ouvrage. Une fourmilière d’hommes au travail. L’édification lente du monument. Le hérisson des machines de levage, outils en faisceaux, herses gigantesques, camions ruant, croisant, nuées de poussières, ruche. Tandis que là, devant nous, tout n’est encore que solitude et silence, harmonie arrangée d’un ouvrage avec les éléments fendus. Equilibre retrouvé. C’est à peine si nous apercevons parfois des hommes marchant comme des marins sur le pont supérieur d’un navire, casque de chantier sur la tête comme un bouton d’or, vu de loin. Il y a un côté mer dans le quotidien des agents affectés à un barrage. L’eau les unit. Le voyage immobile sépare les uns des autres. Un sel de vie différent les oppose. Mais je sais qu’une amitié sourde les unit, qu’une connivencia les confond par tacite induction.
Aridité. Minéralité. La pierre sèche et grise, monumentale, semble vouloir toucher le ciel. Rien ne pousse. Un barrage existe là aussi. Sur la lune pyrénéenne. ¨Paysage d’après le déluge. Silence « comac » dit-on à Toulouse. Epais. À côté duquel n’importe quel tombeau ressemble à une boîte de nuit avec DJ intégré. L’eau bouge. Rassure. Le randonneur cherche un oiseau pour apaiser cet étranglement mental. Des pensées fortes, voire mystiques, issues de lectures anciennes, remontent à la surface de son esprit : Buddha, Diogène, Pascal sont appelés à la rescousse. Tout le monde sur le pont. Le barrage finit par apaiser. Sa présence humanisée nous dit la trace. L’âme. Et l’on se prend à imaginer un moine perché dans sa thébaïde du Mont Athos. A l’horizon infini, qui sera pourtant et à jamais le tour de taille de nos désirs.
Hiératique. Un barrage est un moine. Un chevalier errant vêtu d’une cape. Dressé sur son cheval noir, parfaitement immobile, il toise. Implacable. Il impose cette radicalité de la nuance chère à Camus, qui réchauffe l’intérieur. Corps et esprit mêlés. « Montagne des grands abusés / Au sommet de vos tours fiévreuses / Faiblit la dernière clarté. / Rien que le vide et l’avalanche / La détresse et le regret !», nous chuchote René Char dans son poème sobrement intitulé « Pyrénées ». Mais nul regret ni détresse ici-haut. « Nous avons guetté jusqu’à la terreur le dégel lunaire de la nausée », écrit-il ailleurs (« Plissement »). Le poète de « la neige inexorable »
L.M. (extraits) A suivre.
Pour aller avec : http://bit.ly/1jW5ClL
Et aussi (on en reparlera) :
Angora
Il m'aura fallu faucher les blés
apprendre à manier la fourche
pour retrouver le vrai
faire table rase du passé
la discorde qu'on a semée
à la surface des regrets
n'a pas pris
le souffle coupé
la gorge irritée
je m'époumonais
sans broncher
Angora
montre-moi
d'où vient la vie
où vont les vaisseaux maudits
Angora
sois la soie
sois encore à moi
les pluies acides
décharnent les sapins
j'y peux rien, j'y peux rien
coule la résine
s'agglutine le venin
j'crains plus la mandragore
j'crains plus mon destin
j'crains plus rien
le souffle coupé
la gorge irritée
je m'époumonais
sans broncher
Angora
montre-moi
d'où vient la vie
où vont les vaisseaux maudits
Angora
sois la soie
sois encore à moi
Alain Bashung, 1.XII.47 - 14.III.09
Il y a des soirs, comme ça. Faut pas chercher.
http://www.youtube.com/watch?v=t936rzOt3Zc
(Donizetti, L'elixir d'amour, le fameux passage intitulé Una furtiva lagrima, interprété en 1904 par Enrico Caruso).
Chet.
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ce soir c'est menu unique (imposé donc)
http://www.youtube.com/watch?v=9Q7Vr3yQYWQ&list=RD023j8mr-gcgoI
Alors allez-y voir et donnez-m'en des nouvelles : http://territoirescritiques.blogspot.fr/
Pour les clics ultérieurs, il figure parmi les favoris (colonne de gauche, plus bas).
Tout est bon chez Sylvain. Bons voyages.
Rina Ketty http://www.youtube.com/watch?v=lTcbitMWMUA
Les Séparés
N'écris pas. Je suis triste, et je voudrais m'éteindre.
Les beaux étés sans toi, c'est la nuit sans flambeau.
J'ai refermé mes bras qui ne peuvent t'atteindre,
Et frapper à mon coeur, c'est frapper au tombeau.
N'écris pas!
N'écris pas. N'apprenons qu'à mourir à nous-mêmes.
Ne demande qu'à Dieu...qu'à toi, si je t'aimais!
Au fond de ton absence écouter que tu m'aimes,
C'est entendre le ciel sans y monter jamais.
N'écris pas!
N'écris pas. Je te crains ; j'ai peur de ma mémoire ;
Elle a gardé ta voix qui m'appelle souvent.
Ne montre pas l'eau vive à qui ne peut la boire.
Une chère écriture est un portrait vivant.
N'écris pas!
N'écris pas ces doux mots que je n'ose plus lire :
Il semble que ta voix les répand sur mon coeur ;
Que je les vois brûler à travers ton sourire ;
Il semble qu'un baiser les empreint sur mon coeur.
N'écris pas!
Extrait d'une superbe anthologie que publie Poésie/Gallimard, intitulée Je voudrais tant que tu te souviennes, Poèmes mis en chansons de Rutebeuf à Boris Vian (éd. de Sophie Nauleau). On relit Rimbaud, Villon, Michaux, Queneau, Apollinaire, Eluard, Labé, Cadou... Et en même temps on chantonne Ferré, Brassens, Gréco, Gainsbourg, Jean-Louis Murat, Julien Clerc (écouter ci-dessous), Cora Vaucaire... Le bonheur.
Mieux, l'intention de ce petit livre est de rendre aux poètes ce que l'on a fini par attribuer à leurs interpètes chanteurs. Ainsi Barbara doit-elle à Brassens, Gréco à Queneau et Ferrat à Aragon. D'abord! Salutaire et beau.
Il y a des après-midi où l'on se sent ainsi serti dans ce poème sublime de M.D.-V., et résonne alors qu'Au fond de ton absence écouter que tu m'aimes, / C'est entendre le ciel sans y monter jamais. Soit un sentiment étrange, car éloigné du sujet, mais dont l'empathie littéraire nous fait monter les larmes aux yeux, quand bien même nous ne nous sentons pas ou plus touchés au coeur par ces mots, mais plus bellement atteints durablement dans notre peau, par la force du souvenir d'une écorchure vive, par la beauté de la douleur, la sainteté du malheur; la poésie en somme.
http://www.dailymotion.com/video/xdtefg_julien-clerc-les-separes_music#.UXKXESskZQo
Alliances roses :
Château de Jau, avec ce poème et cette mise en musique, car ce Côtes du Roussillon rosé (60% syrah, 40% grenache noir) possède une énergie rare par les temps qui courent et qui nous donnent à boire de ces rosés pétale de rose et un rien évanescents; creux en somme. Celui-ci est frais, vivace comme une plante qui se réveille aux premiers rayons du soleil et sa vinosité est présente autant que ses arômes de fruits rouges croquants (7,95€). Le Jaja de Jau, sa petite soeur -rosée elle aussi, plus simple (4,95€), n'en est pas moins affriolante et agréable : c'est une syrah de la famille Dauré (qui vinifie les deux), elle exprime la Méditerranée avec brio; dans sa simplicité chaleureuse. Pour le bonheur de nos fin d'après-midi d'arrière-printemps (pourri -soit, mais bon). Drappier,
champagne rosé brut nature, 100% pinot noir, est une valeur sûre. Vivacité, fin cordon, bulle fine, un nez de fruits rouges et ce très léger épicé en bouche en font un champagne printanier idéal. Pour lui-même ou avec une soupe de fraises (33,56€). Perles grises est une jolie surprise qui vient des coteaux du Vendômois. Signé Patrice Colin, cet effervescent 100% pineau d’Aunis à la robe saumonée et à la belle minéralité possède un nez d’agrumes et légèrement herbé du meilleur effet (7,60€). R'osez, côtes du rhône d'Ortas (Cave de Rasteau) innove avec un look résolument
contemporain et qui vise de nouveaux consommateurs, jeunes et sans prise de tête; avec ce serpent qui ondule sur l'étiquette. Le vin est simple et efficace, car sur le fruit, les rouges comme les agrumes. Sa fraîcheur persistante avec ce rien de bonbon anglais et de poivré en font un rosé de soirée séduisant (5,55€). Plus austère est le rosé d'Epineuil, un bourgogne de Moutard Diligent, 2010, méticuleusement vendangé nuitamment, vinifié avec méticulosité, car c'est un rosé racé bien que sauvage, persistant et rebelle jusqu'en fin de bouche : on adore, sur un onglet poêlé ou bien avec un pigeonneau acheté au marché d'Evry-le-Châtel, non loin d'Epineuil (8,30€), dans l'Aube encore, et que l'on grille dehors en regardant passer et en écoutant craquer les grues cendrées qui remontent le ciel tout en visant une halte salutaire sur le Lac de Der quasi voisin. Enfin, hommage à
ce rosé formidable de Bandol, gourmand et de repas, gastronomique comme on dit ici ou là : le Domaine de la Nartette (2012, 12,80€, Moulin de la Roque, vin biologique), est un ravissement printanier sur une dorade à la plancha, une poignée d'amis choisis et un rayon vif de soleil attendu patiemment. 60% mourvèdre, 25% grenache, 15% cinsault, fruits rouges, ananas, miel, tilleul. Charnu, épicé, à peine poivré : un délice. Ample, très aromatique, puissant sans être envahissant, c'est un rosé de caractère. Voire de respect.
Dessert :
http://www.youtube.com/watch?v=GFJnJsPgss8&list=RD025ppiWEdors4
Kapsberger, Piccinini Chiaconna, par Jan Grüter au luth théorbe.
Jacaras par l'ensemble Arpeggiata, dirigé par Christina Pluhar (luth), accompagné de Pepe Habichuela pour la note de guitare flamenca à la fin de ce morceau baroquissime et un rien rock du grand Kapsberger (1580-1651) : http://bit.ly/14wlJoh
Si tu m'appartenais (faisons ce rêve étrange!),
Je voudrais avant toi m'éveiller le matin
Pour m'accouder longtemps près de ton sommeil d'ange,
Egal et murmurant comme un ruisseau lointain.
J'irais à pas discrets cueillir de l'églantine,
Et, patient, rempli d'un silence joyeux,
J'entr'ouvrirais tes mains, qui gardent ta poitrine,
Pour y glisser mes fleurs en te baisant les yeux.
Et tes yeux étonnés reconnaîtraient la terre
Dans les choses où Dieu mit le plus de douceur,
Puis tourneraient vers moi leur naissante lumière,
Tout pleins de mon offrande et tout pleins de ton coeur.
Oh! Comprends ce qu'il souffre et sens bien comme il aime,
Celui qui poserait, au lever du soleil,
Un bouquet, invisible encor, sur ton sein même,
Pour placer ton bonheur plus près de ton réveil!
René-François Sully Prudhomme, Les Solitudes - 1869.
Alliances:
- Kapsberger, Toccata arpeggiata :
http://www.youtube.com/watchv=6bLMwphe284&list=PLIHXLH60E8Lx1QhG_Ozj1QWnyRTNa-z1s
- Couvent des Visitandines, Pinot noir 2010 (Patriarche, à Beaune, 5,40€). Robe intense, brillante. Nez de fruits rouges frais comme la framboise cueillie et aussitôt croquée. Bouche fine, légère, tanins souples. Un rouge clair et printanier pour prendre par le bras un pigeonneau en crapaudine.
tu vuo'fa'l'americano (Renato Carosone)
Pour l'édition du centenaire de la naissance de l'auteur de L'île d'Arturo, de Aracoeli, de La Storia et autres chefs-d'oeuvre, le Prix Elsa Morante -présidé par Tjuna Notarbartolo, une amie follement amoureuse de Procida, écrivain (son dernier livre A volo d'angelo, Felici editore, connaît actuellement un joli succès dans la Botte) et critique littéraire napolitaine, morantienne jusqu'au dernier cheveu noir jais-, s'enrichit d'une session "paroles en musique" (présidée par Dacia Maraini) -signe d'ouverture des prix littéraires italiens totalement inédite, inconnue, voire inenvisageable (?) en France. Il a désigné ce matin la chanteuse Gianna Nannini pour le côté morantissime de ses chansons et surtout de
leurs paroles. Extrait du Corriere della sera de ce jour : Nel centenario della nascita di Elsa Morante, il Premio intitolato alla grande scrittrice si arricchisce di una nuova sezione, 'Parole in musica', dedicata ai grandi cantautori italiani, e la giuria presieduta da Dacia Maraini premia Gianna Nannini ''per la narrativita' luminosa delle sue canzoni, veicolo di emozioni nel senso piu' 'morantiano' del termine'. Voici le site de Gianna Nannini, italianissime comme on aime, la voix éraillée à mort, qui semble gravée à la grappa et à la clope, à l'insomnie et au sexe; bref d'un certain glamour... :
http://www.giannanannini.com/it/home/ Il donne de nombreux courts extraits de ses chansons, pour ceux qui ne connaissent pas encore le timbre mélancolique de sa voix. On aime ou on n'aime pas. "C'est variétoche à donf!", diront certains. Et alors? L'éclectisme n'empêche pas de continuer de frissonner en écoutant Schubert, de pleurer en écoutant les Doors et Bashung, d'être bouleversé en écoutant M. de Sainte-Colombe et Chet Baker et d'aimer aussi Nannini sans se sentir incohérent!.. Indéniablement, l'italianité, la langueur, le fading des chansons de Gianna N.
rappelle -en la modernisant considérablement, cela va de soi-, la prose langoureuse, enveloppante, envoûtante, impregnée de tant de sortilèges de "la" Morante, dont on ne se lasse pas de relire L'Île d'Arturo, entre autres romans marquants de la littérature italienne du XXème siècle. Lire par ailleurs ses Récits oubliés publiés par Verdier, l'heureux et méritant éditeur de Lagrasse qui vient de remporter ce matin le Prix Décembre avec Mathieu Riboulet et ses Oeuvres de miséricorde.
Un autre mot, tiens, à propos de Prix d'automne, sur la surprise du Renaudot, attribué hier : je déjeunais tardivement (et pour cause) avec un ami finaliste de ce prix, Christian Authier, qui me fit part en me rejoignant au Comptoir du Relais (de l'Odéon, Paris VI), piloté par notre pote Yves Camdeborde, de la stupeur qui planait chez Stock, son éditeur, où un autre finaliste, Vassilis Alexakis, donné favori, affichait une triste mine. Chacun sait à présent que Jean-Marie Gustave Le Clézio a sorti de son chapeau, au dernier moment (après dix tours de piste) un livre, Notre-Dame du Nil (Gallimard, éditeur de Le Clézio... et qui n'avait pour l'heure rien raflé dans la course aux Prix) et son auteure rwandaise méconnue, Scholastique Mukasonga, alors qu'il ne figurait pas sur la short list et que peu de jurés avaient même eu connaissance du livre (Jérôme Garcin, de L'Obs, l'avait, lui, lu et en avait rendu compte dans ses pages). L'auteure, aussitôt prévenue, aurait même cru à une blague par téléphone. C'est dire! Comment comprendre une telle surprise dont le Renaudot est d'ailleurs coutumier (Némirovsky et Pennac, déjà, pour des raisons différentes...). Le non-respect des règles, passe. Ce détournement au service de rattrapages, non. Mais on va encore penser que je suis mauvaise langue.
Mais bref, bravo à l'initiative, à l'esprit d'ouverture du Prix Elsa-Morante et à l'équipe qui l'anime sans compter ni son temps ni son énergie (je pense notamment aux soeurs jumelles Iki et Gilda Notarbartolo, ainsi qu'à Enzo Colimoro, tous trois brillants journalistes napolitains). Un seul regret : que ce prestigieux prix littéraire ne soit plus attribué à Procida. Mais bon, je m'en suis déjà consolé...
Photos : Elsa Morante, Gianna Nannini, Scholastique Mukasonga.
Chopin, Concerto pour piano n°2, Larghetto. Avec un verre de Château Martinon, entre-deux-mers 2011 (signé Jérôme Trolliet : un fruité franc et généreux, un nez d'une fraîcheur confondante, une bouche pleine et ronde), pour escorter de toutes petites crevettes (qui deviennent grises) jetées vivantes, transparentes et en bouquet dans une poêle chaude avec un fond accueillant d'huile d'olive, d'ail finement coupé et de persil plat. Saupoudrez généreusement de sel et poivrez. C'est si rare d'en trouver chez le poissonnier! En lisant quoi? -Les Haïkus saisonniers de Kerouac (La petite vermillon de LTR) qui n'égalent pas les maîtres du genre
Japonais, mais qui possèdent la légèreté apparente du beatnik de Sur la route. Ou bien une nouvelle (courte) de Conrad, Jeunesse par exemple, car dans une nouvelle de Conrad, il y a tout Conrad ramassé (éd. autrement) et que tout Conrad ramassé en une poignée de pages, c'est l'océan avec des hommes de bonne volonté dessus.
Photo de crevettes vivantes : ©recettesdecrevettes.fr
Vue, écoutée hier soir au Nouveau Casino (rue Oberkampf à Paris). Elle dégage. Seule, sans son Band, elle alterne chansons au piano et à la guitare. Les meilleures sont à la guitare, dont sortent des sons bouleversants. Sa façon langoureuse, mélancolique, infiniment lente de faire mourir les cordes en laissant tomber doucement son bras droit, les yeux fermés et la bouche entr'ouverte sur un son à peine audible -de sa voix qui évoque immédiatement celle de Catpower, la rendent infiniment fragile et ses reprises sont fortes, tenues serrées, délicatement maîtrisées. Emouvante Joan As Police Woman. Le dernier morceau (offert en rappel) fait partie de son futur album. La vidéo bientôt, ici même (avec un téléphone, bon, mais elle envoie quand même). Photo : © L.M.
Frondi tenere e belle
del mio platano amato,
per voi risplenda il fato.
Tuoni, lampi, e procelle
non v’oltraggino mai la cara pace,
né giunga a profanarvi
austro rapace.
Douces et charmantes branches
de mon cher platane,
le destin vous sourit!
Que le tonnerre, l’éclair et la tempête
ne troublent jamais votre précieuse paix,
et le rapace vent du sud
ne vienne pas non plus vous violenter!
Haendel, Serse. ©Gérard Lesne
Et, bis :
http://www.youtube.com/watch?feature=endscreen&v=Qyg0Ttx16uk&NR=1
Cette sublime interprétation de Ombra mai fu, par ©Paula Rasmussen.
Mode d'emploi : immédiatement après, cliquez sur le morceau qui ouvre le post suivant.
Ombra mai fu
di vegetabile
cara ed amabile,
soave più.
Jamais l’ombre
d’aucun arbre ne fut
plus douce, plus précieuse,
plus agréable.
Je ne sais pas si un autre morceau de musique me bouleverse autant que cet extrait (les paroles, végétales*, sont d'un librettiste anonyme) du Serse, opéra de Haendel. Ce matin, je me sens totalement Ombra mai fu.
Version interprétée par ©Gérard Lesne
*Il s'agit quand même, avec ce Largo de Haendel, d'un chant d'amour de Xerxés à un platane!.. La suite (ou plutôt le texte qui précéde) dans le post suivant.
http://www.youtube.com/watch?v=Y6X6s3WuUOA
© Claudio Baglioni, E tu.
Le 24 mai 1594, Orlando Lassus, 62 ans, Maître de chapelle du duc de Bavière, dédie son chant du cygne, « Lagrime di San Pietro », Les larmes de Saint-Pierre, cycle monumental de vingt et un madrigaux, au Pape Clément VIII, composé à partir de poèmes de Luigi Tansillo. Philipp Herreweghe et son ensemble Collegium Vocale, restituent cette oeuvre avec un art, un talent, une douceur, une délicatesse qui forcent le respect et les larmes les plus rétives. J’en frissonne rien que d’écrire cela, au souvenir de ce concert de voix si parfaitement accordées. Avec l’image, cela donne une diffusion sur Arte, le 22 avril prochain à six heures du matin, parce que l’avenir sensible appartient à ceux qui tendent l’oreille tôt. Et puis de toute façon, l’aube étant incontestablement le moment unique de la vie si l'on prête un tant soit peu attention à celle-ci, aller à sa rencontre pour écouter cela, c'est juste du bonheur à l'état pur, de l'eau de source entre les mains jointes par le bas, un haïku amoureux reçu/envoyé à l'élu(e) tandis que nous pensons à autre chose, à Piss Christ, oeuvre majeure d'Andres Serrano, saccagée en Avignon par d'inquiétants extrémistes par exemple...
Extrait des Pêcheurs de perles, de Bizet, chanté par Tino Rossi : quelques minutes de sérénité kitsch.
...Comme on peut aimer l'avant-dire, le silence de la parole, les manuscrits, les répétitions -celle-ci est sublime, qui magnifie Haendel avec une joie désarmante. Et un talent inouï (merci EkAT!). Lis tes ratures!..
http://www.dailymotion.com/video/x35sb1_voglio-tempo-dessay-haendel_music
http://www.youtube.com/watch?v=Mb3iPP-tHdA
L'un des plus beaux slowbraguette de tous les temps, signé Procol Harum, avec une video -la préhistoire du clip-, aussi ringarde qu'actuelle : l'histoire du look et des préséances se répète et donne lieu à de savoureux paradoxes. C'est tellement touchant que le dernier clip à super effets spéciaux de n'importe quel avatar de Madonna me fait bailler tant il veut m'impressionner...
And, some years later... Ca donne ceci :
http://www.youtube.com/watch?v=p8jJ1ORIOes&NR=1&feature=fvwp
L'air fameux qui ouvre le Serse, de Haendel, Ombra mai fu, évoque l'amour d'un empereur pour un arbre : Nous sommes en 480 av. JC. Xerxès, traversant la Lydie, s'éprit d'un platane et le fit orner de colliers et de bracelets en or (selon Hérodote). Cela donne, avec Haendel, l'un des plus émouvants arias de la musique baroque.
Frondi tenere e belle
del mio platano amato,
per voi risplenda il fato.
Tuoni, lampi, e procelle
non v’oltraggino mai la cara pace,
né giunga a profanarvi
austro rapace.
Ombra mai fu
di vegetabile
cara ed amabile,
soave più.
Douces et charmantes branches
de mon cher platane,
le destin vous sourit!
Que le tonnerre, l’éclair et la tempête
ne troublent jamais votre précieuse paix,
et le rapace vent du sud
ne vienne pas non plus vous violenter!
Jamais l’ombre
d’aucun arbre ne fut
plus douce, plus précieuse,
plus agréable!
Ci-dessous, ce bijoujoyaudiamantcaillouchougenou, interprété par le génial Gérard Lesne :
Lire La barque silencieuse, de Pascal Quignard, comme on picore des tapas au comptoir, tout en regardant la mer.
Y ajouter un Quintet de Schubert, et laisser aller les pensées à partir de la seule évocation, jointe ci-dessous, faite par l'auteur en page treize : Plus d'autre musique dans ce monde que le bruit de l'eau et des barques précautionneuses des pêcheurs qui doucement font glisser l'ancre avant de lancer leurs lignes dans la brume sur l'eau grise. Ou bien garder un index entre les pages du livre, interrompre un instant la lecture pour repenser au coeur de la nuit dernière, fermer les yeux. Quignard, encore : Le corps humain dans le noir est comme une barque qui se désamarre, quitte la terre, dérive. Reprendre cette prose somptueuse, avec un plaisir immense, subtil, comparable à celui de retourner au très précieux Ostinato, de Louis-René des Forêts.
http://www.deezer.com/fr/#music/result/all/schubert%20quintets
Schubert, Quintet à cordes
Opus 163 D 956 (2 : Adagio)
Par le Amadeus Quartet et William Pleeth.
Ecoutez Victor Démé (faites connaissance sur deezer.com d'abord) : langueurs, humilité, ingénuité, douceur, franchise des cordes vocales, souplesse des gestes qui caressent les "drums", le reste, tout le Burkina de la brousse est réuni dans sa voix, ses lancers, et c'est salutaire comme le verre d'eau du désert, car ça réapprend à aimer regarder le soleil en face, et la pluie aussi...
http://www.deezer.com/en/index.php#music/victor-deme
dans la jungle des 45 tours de notre enfance : Gigliola Cinquetti, Non ho l'eta' (je n'ai pas lâge) :
http://www.deezer.com/listen-690256
http://www.deezer.com/#music/result/all/michael%20jackson
Sensuelle Ayo, hier soir au Printemps de Bourges.
Elle suivait un Arthur H en début de soirée, qui fut très pâle, sans aucune émotion -sauf lorsqu'il rendit hommage au grand Bashung en chantant La nuit je mens (On m'a vu dans le Vercors... J'ai fait l'amour à des murènes...) et une Anaïs, dont la patate est énorme, inattendue et pas seulement loprsqu'elle reprend ses deux tubes.
Elle précéda Amadou et Mariam, qui mirent le feu à l'immense chapiteau du Phénix, aux alentours de minuit, avec Le dimanche à Bamako.
La belle Nigérianno-Gitane Ayo possède une voix magique, elle danse à merveille, son allure est pure et sa guitare envûtante. Elle chanta, par égard pour son public, Down on my knees en Français. Ayo ou la beauté musicale à l'état de soie.
Et vive les vins de Menetou-Salon, qu'ils soient blancs issus de Sauvignon, ou rouges issus de Pinot noir.
Il m'aura fallu faucher les blés
Apprendre à manier la fourche
Pour retrouver le vrai
Faire table rase du passé
La discorde qu'on a semé
A la surface des regrets
N'a pas pris
Le souffle coupé
La gorge irritée
Je m'époumonais
Sans broncher
Angora
Montre-moi d'où vient la vie
Où vont les vaisseaux maudits
Angora
Sois la soie, sois encore à moi...
Les pluies acides décharnent les sapins
J'y peux rien, j'y peux rien
Coule la résine
S'agglutine le venin
J'crains plus la mandragore
J'crains plus mon destin
J'crains plus rien
Le souffle coupé
La gorge irritée
Je m'époumonais
Sans broncher
Angora
Montre-moi d'où vient la vie
Où vont les vaisseaux maudits
Angora
Sois la soie, sois encore à moi...
http://musique.fluctuat.net/alain-bashung/angora-t8522.html
Cantique des Cantiques : http://www.deezer.com/#music/result/all/cantique%20des%20cantiques%20bashung
Au-delà de toutes ses chansons, passées en boucle ce soir, Bashung, c’est cette dernière geste, en concert au Bataclan le 7 décembre. L’émotion à l’état pur, comme on le dit des métaux précieux... Du tungstène encore vivant, bougeant à peine, des mouvements langoureux du bras, une chorégraphie timide et lente comme un tsunami réfléchi, une vague à l'âme du monde entier, et une voix douce et merveilleuse, enveloppante, chaude comme jamais elle ne l'avait été, je crois, dans aucun enregistrement. Une voix, la voix du passage, du mystère, de l’entre-deux, la voix de l’adieu imprégné de retenue. La voix des mots clairs prononcés avec l’élégance majuscule, la voix cardinale de celui qui, sous son chapeau de politesse, derrière ses lunettes de pudeur, en retrait d’un costume noir d’au-delà déjà, la voix de certitude qui disait la vérité crue. La voix, quoi. La voix de Bashung : une page se tourne, une génération s’interroge, prend peur, se dit qu’elle est soudain propulsée en première ligne, à l’arrière des berlines, oui, et des dauphines aussi –mais pour combien de temps… Réécouter Bashung, se dire c’est lui. Oser Joséphine jusqu’à la corde, parce que rien ne s’oppose à la nuit. Cette nuit, j’impose Bashung aux voisins, comme s’il avait gagné le match. Yep. A fond les balayettes, comme si on avait gagné ce grand mec qu'on a perdu, là. Là. Bashung ou la dignité, le verbe, l'âme au bord des lèvres qui remonte de la gorge.
Noir ce monde... J'ai des doutes... Angora... Gaby... Je t'ai manqué... Vénus... La nuit je mens... Vertige de l'amour... Tant de nuits... Ma petite entreprise... Il voyage en solitaire...
Ciao Bello, ciao...
http://www.dailymotion.com/video/x4oqer_folies-despagne-marin-marais-sophie_music
(Merci Aline : j'ai rouvé ce lien sur ton blog. Et j'aime tant ces Folies d'Espagne...).
Je le re sers, et il n'y aura que ça à manger ce soir. Voilà. Un étrange blues, un certain jazz infiniment sensuel, Chet au meilleur de sa forme.
En passant, j'ai écouté ce qu'Elvis Costello avait fait de ce sublime Almost Blue : c'est aussi sensible qu'une cafetière en plastique. Son interprétation m'a évoqué un pékinois hargneux aux gros yeux de dorade morte, sous un petit crâne plat de crétin.
Retour à l'essentiel : fromage & dessert.
http://www.youtube.com/watch?v=z4PKzz81m5c
Au fond, en blanc comme toujours, Chucho Valdès.
Pour changer de Led Zep'
http://www.deezer.com/track/9-crimes-T697670
Alain Bashung à l'Elysée-Montmartre, hier soir. Un concert émouvant, un air de dernière tournée, une musique réglée à la perfection, et puis la gestuelle lente, bouleversante de Bashung, sa voix pure, profonde, vraie, intacte. Mais le chapeau, la peau... Beau à pleurer.
http://www.deezer.com/track/1111764
La voix si pure d'Elisabeth Schwarzkopf sur le Quatrième dernier chant de Strauss, ou l'expression même du Romantisme.
"A travers les peines et les joies,
nous avons marché, la main dans la main.
Maintenant, nous nous reposons tous deux
dans le pays silencieux." (Première strophe).
souvenirs de scènes de cinéma, souvenirs personnels d'enfance, écouter cela, par ces temps moroses, c'est ajouter du jus de soleil dans le punch du soir.
http://www.deezer.com/track/197271
http://fr.youtube.com/watch?v=waia83h6Y2k
http://fr.youtube.com/watch?v=7cPQbNNPkn4&feature=related
http://www.dailymotion.com/video/x1fk3o_miriam-makeba-pata-pata_music
Frondi tenere e belle
ou l'émotion à l'état pur
http://fr.youtube.com/watch?v=6JgIIGgxymU
réveillez vos voisins ou, mieux! invitez-les (le partage, le partage...)
again & again...
Ma fille m'a fait découvrir récemment deezer.com Vous connaissez sans doute. Sinon, découvrez : c'est le site idéal, gratuit, pour bosser (devant son ordi) en écoutant tout ce que l'on veut et que l'on n'a pas, ni dans son itunes, ni dans sa cdiscothèque.
This sunday morning, I've got the pêche with the big noyau. Yeeeeep!
C'est Michel Foucault qui l'a écrit, alors ardi gasna* les anti! : "être torero", c'est une façon d'être, de "styliser son existence", de s'identifier à sa fonction; c'est une certaine manière de s'exposer sans le montrer, de dominer les événements en se maîtrisant soi-même et de promettre une victoire de l'imprévisible.
*camembert.
(La Vénus de Bashung, ci-dessus offerte à vos oreilles, n'est pas un paso doble. So what! comme on dit pour faire mode).
(de rien...)
Même lorsqu'il reprend un inoxydable de Cohen (Suzanne, ci-jointe), ou bien un Manset inaltérable (Il voyage en solitaire), le dernier cd de Bashung, Bleu pétrole, est splendide.