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Je viens de fouiller dans les archives de mars 2006 de ce blog. J'exhume cette chronique que j'avais donnée à Métro, parce qu'on n'entend plus trop parler de ce virus, qui doit continuer de cheminer tranquillou...
Lettre ouverte au canard sauvage
Mon canard,
Voilà des années que je n’aime rien comme aller t’observer, toi et tes nombreux congénères, sur les étangs et dans les marais du monde. Aujourd’hui, le regard que l’on te porte change. Tu n’es plus un enfant du Bon Dieu, ni un oiseau de bon augure. Ta liberté de traverser les ciels d’Europe a du plomb dans l’aile. Toi le migrateur, l’oiseau qui court après le soleil et devance le froid, traverse les pays sages et les pays en guerre, à la recherche de zones humides accueillantes, te voilà pestiféré. Si nous le pouvions, nous t’assignerions à résidence. Et nous déciderions de ton éradication. Tes migrations nocturnes colportent le mal. Pire : avec toi, c’est le sauvage qui contamine le domestique, et le nomade qui frappe le sédentaire. Au-delà du virus de la grippe aviaire que tu transportes à ton corps défendant, c’est le tort suprême qui est dans tes plumes : le virus de la liberté. Celle de ne te fixer nulle part et d’aller où bon te semble, en te méfiant constamment des prédateurs. On te regarde d’un œil torve et jaloux. Mon canard, tu es un paria, un déviant. Ta liberté dérange. L’errant a toujours mis mal à l’aise le claquemuré. Aujourd’hui, au lieu de continuer d’être représenté par les peintres animaliers et d’être préparé à l’orange, on se méfie de toi comme du Malin. Une nouvelle chasse a commencé dans l’esprit des humains, qui s’enfoncent plus profondément dans l’ère du soupçon. Ton faciès, d’admirable, est désormais redoutable. Alors réjouis-toi, mon canard ! Saisis cette chance d’inspirer la crainte, de faire renaître des peurs anciennes. T’approcher effraie ! Avant qu’il ne t’emporte un jour, ce virus te protège, puisqu’il te maintient à distance des grands prédateurs qui vivent debout. Et je vais te donner un conseil, mon canard : passe plus haut. Vole au-dessus des nuages. Evite les mares domestiques, même si tu as envie de fricoter avec le canard gras. Ne pense plus aux marécages périurbains. Préfère leur les marais immenses et inhospitaliers, où le danger s’annonce de loin. Ainsi chacun retrouvera la paix. Tu as été conçu pour rester libre. Sauvage et libre. Je respecterai toujours en toi le modèle de nomadisme qui te définit. Et quand ce satané virus t’emportera, j’irai raconter aux oies et aux cygnes des jardins publics, ainsi qu’aux canards à foie gras d’ici et là, le poète du ciel et des marais que tu fus. A présent échappe-toi, mon canard, le jour va se lever. Va, va !
Léon Mazzella. Journaliste et écrivain (dernier livre paru : « Flamenca », roman, La table ronde). Tribune parue dans Metro du 17 mars 2006
"Elle aspira de l'éther, sourit au doux froid qui entrait. O le petit salon du premier soir, son petit salon qu'elle avait voulu lui montrer tout de suite, après le Ritz. Debout devant la fenêtre ouverte, ils avaient respiré la nuit d'étoiles, avaient écouté le remuement des feuilles dans les arbres, murmures de leur amour. Toujours, elle lui avait dit. Ensuite, le choral qu'elle avait joué pour lui. Ensuite, le sofa, les baisers, premiers vrais baisers de sa vie. Ta femme, elle lui disait à chaque arrêt et reprise de souffle. Infatigables, ls s'annoncaient qu'ils s'aimaient, puis riaient de bonheur, puis unissaient leurs bouches, puis se détachaient pour infiniment s'annoncer la merveilleuse nouvelle. Et maintenant, maintenant." (Belle du Seigneur, d'Albert Cohen, of course)
Le bref et aéré roman de l'Afghan Atiq Rahimi, Syngué sabour (Pierre de patience), P.O.L, écrit directement en Français, est superbe, poétique, violent et tendre, bouleversant. L'abandon, l'amour, les dégâts du Coran sur le couple, l'abnégation de la femme, la douleur, la guerre, les secrets, la délivrance... Tout cela est dit sèchement, comme un feu qui craque. Rahimi écrit sans gras. Avec un regard peut-être trop cinématographique (il a adapté lui-même au grand écran Terre et cendres, son premier livre) et pas assez littéraire : on a l'impression de lire des plans, un scénario, à certainses pages, et pas d'être embarqué par le souffle d'une histoire... Bon, en même temps, ce n'est pas un livre inoubliable : je l'ai repris, feuilleté, et j'ai pensé qu'il était apparu comme le moins mauvais des quatre en lice. Les Goncourt ont donc été bien inspirés. C'est rare... Une phrase, une seule, du livre : "Ma tante n'a pas tort de dire que ceux qui ne savent pas faire l'amour, font la guerre." A la relecture, il lui manque de l'épaisseur, au sens romanesque du terme.
Je n'ai pas lu le Renaudot, du Guinéen Monémembo. Et vous?
(C'est amusant, en discutant de ces deux lauréats avec des amis, la réflexion sur "l'effet Obama" est revenue dans la discussion. Qu'en pensez-vous?).
Le pluralisme en littérature gagne du terrain et c’est salutaire. Chaque année, un petit éditeur tire les marrons du feu : Zulma cette année (bravo à l’ami Serge, qui copilote l’affaire !) avec Blas de Roblès (Là où les tigres sont chez eux), du Rouergue avec Gallay (Les Déferlantes) depuis l’été, Sabine Wespieser avec Michèle Lesbre (Le Canapé rouge) l’an passé, le dilettante il y a quelques années avec le premier Gavalda, L’Aube avec XingJiang (un Nobel chez un micro-éditeur !), etc. Il y a peu encore, d'aucuns pensaient qu'un petit éditeur n'avait aucune chance d'avoir un grand prix littéraire. Les raisons de tout cela ? Le triumvirat « galligrasseuil » a vécu, le lecteur s’est émancipé, qui ne regarde plus l’habit mais renifle le moine, il se fiche du logo, écoute son libraire aussi, qui peut faire du bon boulot. Le bouche-à-oreille supplante la presse spécialisée, dont la crédibilité est en chute libre. Le lecteur n’aime pas qu’on le prenne pour un con. Il construit son jugement lui-même et a appris à faire passer. Les feux de poudre Gallay et Barbéry (là, j’oublie l’éditeur, qui ne semble pas être à l’origine du succès, en dépit de la confiance que l’on peut, encore, avoir en Gallimard), en sont deux exemples. Ce sont des bols d’air dans un système vérolé par les connexions et les petits arrangements.
2110 pages de ce blog feuilletées ou lues hier, dont plus de la moitié à 11 heures. Zéro commentaire de la part d'à peine une centaine de visiteurs uniques. Je ne sais pas qui ils sont, qui vous êtes, si vous repassez par là. Mais je m'étonne à chaque fois de cette absence de réactivité. Moi qui pensais qu'un blog était avant tout un lieu d'échange, je m'aperçois que c'est un champ de fleurs sauvages et d'herbes folles où l'on cueille au gré... "Servez-vous".
Banc d'essai foies gras l’autre matin pour le magazine Régal au restaurant basco-landais Afaria du jeune et brillant Julien Duboué (lire par ailleurs sur ce chef). A la surprise générale, des 8 foies dégustés à l'aveugle, celui qui s'en sort le mieux est le foie gras que l'on trouve chez ED, l'épicier le moins cher... Fabriqué par Delpeyrat (une bonne maison), il se distingue aussi bien pour son aspect, son nez que pour son goût. Celui qui fut dans les choux est vendu chez Hédiard. Cher et très déçevant. Comme quoi... La Comtesse Dubarry ne s'en sort pas trop mal, mais le prix de son foie est prohibitif. Certains autres, de fabrication artisanale -par égard, pudeur et respect, nous ne les citerons pas-, vendus par Internet, s’en sortent à peine, par derrière, sur la pointe des pieds. Régal ! En période de crise, savoir qu’un bon foie gras est abordable, c’est cadeau. Faites passer!
La nouvelle inédite de Zweig, Le voyage dans le passé, déjà évoquée ici (splendide de délicatesse et de pudeur, dans ces retrouvailles de deux amoureux qui, malgré une séparation de neuf années et en dépit de la vie -une famille fondée par résignation, une tentative d'oubli iréciproque-, des thèmes chers à l'auteur de Lettre d'une inconnue, retrouvent leurs sentiments intacts), avait pour titre originel La résistance de la réalité. Grasset aurait été mieux inspiré de le garder.
A propos d'Obama, cette phrase d'une étudiante française d'origine camerounaise, citée par "Le Monde", résume à mes yeux le souffle qui caresse les continents depuis le 4 : "Jusqu'à hier, je ne mettais pas ma photo sur mes CV. Maintenant, je pense que je vais le faire. Je suis super fière d'être métisse aujourd'hui." Gageons juste que ce souffle ne se transforme pas, ici ou là, en vent arrogant et vengeur. La fierté se mettrait à singer ce contre quoi elle a si longtemps combattu.
Enfin, la perruche à collier envahit les capitales européennes, car elle est homophile, comme la tourterelle turque, qui partit elle aussi à la conquête de nos parcs et jardins il y a plusieurs décennies. Le réchauffement climatique en est la cause. C'est sympathique, mais inquiétant, cette tiédeur qui bouleverse la migration et l'ensemble des comportements du monde animal. (Quant aux ours blancs, ils ne savent plus où se planquer, car la banquise fond et "la" Palin revient).
Le rapport entre tout cela? Lorsque la réalité résiste, elle s'adapte avec effort mais sans douleur. La perruche à collier chante, à la cime des arbres fruitiers d'Europe. Et la beauté du métis demeure, je crois, ce qu'il y a de plus formidable au monde.
L'espèce humaine et notre planète cabossée ont encore de beaux jours devant eux, va!..
Affligeant. Le 12 novembre prochain, deux commissaires-priseurs, Couton & Veyrac, procèderont à la dispersion du mobilier et des objets personnels de la "succession Julien Gracq", lors d'une vente aux enchères qui se tiendra à Nantes. "L'impression de violer l'intimité de cet intraitable discret", commente avec amertume Pierre Assouline sur son blog (La république des livres). Nous partageons ce sentiment. Pour avoir vu ces objets (peintures, bibelots, télé...), m'être assis dans l'un de ces fauteuils, lors de mes précieuses visites au grand écrivain, je ressens par avance le vide abyssal de la maison du n°3 de la rue du Grenier-à-Sel, à St-Florent-le-Vieil. Et j'entends Gracq évoquer ces paysages dévastés, d'après la débâcle...
Certains jours, j'ai envie de créer une association de défense et illustration de quelques produits méconnus, négligés : le lard de Colonnata, la crème de marrons, des coquillages : les bulôts, les percebes (pousse-pieds), les navajas (couteaux), les boulettes, les oreillettes ... Vous en avez bien un ou deux en tête. On allonge la liste ensemble?..
Dans la dernière livraison de ce magazine, paru aujourd'hui, je donne les cinq meilleures adresses de Pintxos (bars à tapas) du moment, à San Sebastian. Les gambas de Goiz Argi (en face du restaurant de Martin Berasategui, l'un des meilleurs chefs d'Espagne), rue Fermin Calbeton, valent à elles-seules le déplacement. C'est mon fils, plutôt gueule, qui me les fit découvrir en juillet dernier.
Par ailleurs, six grands chefs du grand Sud-Ouest, comme Michel Sarran à Toulouse, Jean-Claude Tellechea à Bayonne ou encore Johan Leclerre à Aytré, m'ont parlé de leur mentor. Le plus souvent, c'est l'un de leurs proches parents. Et livrent leur recette fétiche.
Le numéro, riche en adresses de bons vins, ouvre avec Michel Bras. En kiosque.
Le merlu épais, juteux, à l'ail grillé et au vinaigre (à l'Espagnole) de Txotx, au bord de la Nive à Bayonne.
Les chipirons du Paseo Café, à La Chambre d'Amour (Anglet).
Le foie de veau à la Vénitienne et sa polenta "al salto" de Laura (Nonna Inès, rue de l'Arbalète à Paris). –Penser à y retourner pour le risotto à la truffe blanche et aux écrevisses.
Les trois oeufs de poule mi-cuits, émulsion de truffe noire, et le tournedos de veau en croûte de châtaignes de Romain Brard (Le Genty Magre, à Toulouse).
L'Oreiller de la belle Aurore (terrine de gibier à poil), un clin d'oeil à Brillat-Savarin et à son épouse Aurore, de L'épigramme, quartier St-Germain à Paris.
Le tablier de sapeur, et la tête de veau au Resto de Caro, un Bouchon Lyonnais à Valence, ont égayé mes repas de ces derniers jours.
Des adresses recommandables.
Et puis il y a ce formidable menu découverte (19€ à peine) de Xato, nouveau restaurant Espagnol, dans le Marais à Paris (avec un superbe merluza en salsa verde aux pois gourmands et petits pois). Maria José Aznar a appris le métier chez Ferran Adria, notamment. Il y a pire comme mentor. Frêle, timide, en France depuis deux ans à peine, elle propose une cuisine qui a bercé son enfance Valenciana : les arroz, les rougets, les mariscos, les boquerones, les légumes de la Huerta, les volailles, la mojama. Son gaspacho andaluz est délicieux. Elle aime cuisiner à la plancha. J’y retournerai pour son arroz negro con chipirones, histoire de le comparer à celui d’Alberto Herraiz (El Fogon), qui est grand.
Nietzsche à propos des Essais de Montaigne : La joie de vivre sur terre en a été augmentée.
C'est magnifique. Cela me rend heureux, ce soir, en rentrant, malgré la nuit qui tombe vraiment trop tôt, vous ne trouvez pas? Té! Alphonse Allais, pour l'escalier : La nuit tombait. Je la ramassai...
J'ai écrit ceci dans une nouvelle, Morbidezza (elle ouvre Les Bonheurs de l'aube, La Table ronde) : Un fils ne pense jamais qu'un jour il fermera les yeux de sa mère, qu'il donnera la nuit à celle qui lui a donné le jour... Je venais de le faire. Ce soir, je tombe sur cette phrase d'Edmond Rostand, extraite de C'est dans la nuit qu'on croit à la lumière, citée par Boris Cyrulnik (dans Parler d'amour au bord du gouffre, Odile Jacob) : Il a cru à la lumière parce qu'il était dans la nuit. Moi qui vivais en plein jour, je n'avais rien su voir. Soyons vigilants. Surtout avec nos amis, nos proches. Imitons la lionne, qui dort toujours d'un oeil. La générosité, le partage, sont à la portée de notre attention. Ils n'en demandent souvent pas davantage. Le soutien, l'aide, l'accompagnement, le fortifiant intérieur, le turbo mental, tout cet attirail précieux, nous le possédons tous, mais nous le gâchons par paresse, négligence. Je ne veux pas tenir l'égoïsme pour responsable de l'obsolescence de ce merveilleux outillage, bien que la vie m'ait parfois démontré le contraire. (Ces aveugles-là sont riches sur la forme, mais pauvres, au fond. Ils ne sauront jamais voir, qu'eux. J'ai fini par les mépriser). Alors quand un pote est dans la merde, stoppez tout et allez-y. C'est l'essentiel de votre vie. Et de la sienne, à ce moment-là. (Faites passer).
C'est le cadeau de Grasset, en ce début de novembre : un inédit de Stefan Zweig, Le Voyage dans le passé.
Page 28, cet apéritif : Dès leur première rencontre, il l'avait aimée, mais ce sentiment, qui le submergeait jusque dans ses rêves, avait beau être une passion absolue, il lui manquait néanmoins l'événement décisif qui viendrait l'ébranler, c'est-à-dire la claire prise de conscience que ce qu'il recouvrait, se dupant lui-même, du nom d'admiration, de respect et d'attachement, était pleinement de l'amour, un amour fanatique, une passion effrenée, absolue...
Page 29 : Cependant l'amour ne devient vraiment lui-même qu'à partir du moment où il cesse de flotter, douloureux et sombre, comme un embryon, à l'intérieur du corps, et qu'il ose se nommer, s'avouer du souffle et des lèvres.
La nuit, autour d'elle, était si lourde de sensualité, qu'elle s'en enveloppa comme d'un manteau pour fuir à toutes jambes vers l'avenir, en imaginant tous les moyens possibles de forcer Dick à l'embrasser...
Les Equateurs ont la belle idée de reprendre, dans l'élégante collection Parallèles, "Ce que c'est que l'exil", de Victor Hugo. Un texte bref, magnifique, concis et sans concession. Extraits en guise de tapas : Chapitre I : "Quand ils dépouillent et découronnent le droit, les hommes de violence et les traîtres d'Etat ne savent ce qu'ils font." (...) Chapitre II : " L'exil, c'est la nudité du droit. Rien de plus terrible. Pour qui? Pour celui qui subit l'exil? Non, pour celui qui l'inflige. Le supplice se retourne et mord le bourreau." (...) Vous exilez un homme. Soit. Et après? Vous pouvez arracher un arbre de ses racines, vous n'arracherez pas le jour du ciel. Demain, l'aurore." (...) "Un homme tellement ruiné qu'il n'a plus que son honneur, tellement dépouillé qu'il n'a plus que sa conscience, tellement isolé qu'il n'a plus près de lui que l'équité, tellement renié qu'il n'a plus avec lui que la vérité, tellement jeté aux ténèbres qu'il ne lui reste plus que le soleil, voilà ce que c'est qu'un proscrit." (...) Chapitre III : "Guernesey est faite pour ne laisser au proscrit que de bons souvenirs; mais l'exil existe en dehors du lieu d'exil. Au point de vue intérieur, on peut dire : il n'y a pas de bel exil. L'exil est le pays sévère; là tout est renversé, inhabitable, démoli et gisant, hors le devoir, seul debout, qui, comme un clocher d'église dans une ville écroulée, paraît plus haut de toute cette chute autour de lui. L'exil est un lieu de châtiment. De qui? Du tyran. Mais le tyran se défend..."
Mais l'enveloppe était vide et, comme les feuilles elles-mêmes, elle ne portait ni adresse d'expéditeur, ni signature. "C'est étrange", pensa-t-il, et il reprit les feuilles. Comme épigraphe ou comme titre, le haut de la première page portait ces mots : A toi qui ne m'a jamais connue. Il s'arrêta étonné. S'agissait-il de lui? S'agissait-il d'un être imaginaire? Sa curiosité s'éveilla et il se mit à lire.
Benoît Jeantet -célèbre blogueur souvent présent, ici-, signe « Short Stories » (Atlantica), un bouquet de portraits, « une poignée d'historiettes » élégantes, qui rappellent Kléber Haedens lorsqu'il ovalisait. Vingt textes (préfacés par Richard Escot –on reste en famille), qui disent tous que le rugby réunit et invente une morale, que les hommes qui y touchent ont le regard plus franc qu'ailleurs, car « au café des sports et de l'amitié », écrit l'auteur, « il expliqua pendant des heures sa passion dévorante pour ce jeu, où chaque équipe passait à ses yeux pour un condensé d'humanité... ». Au final, ces « Short Stories » sont un concentré de tendresse, une Geste douce pour dire un sport dur au cuir, décrit avec dérision au détour d'une nouvelle, comme « un truc à peu près incompréhensible pour gladiateurs rustauds, la Rome antique en moins, le rhum agricole en plus... ». Car le Jeantet a le calembour qui perle constamment au bout du stylo. Et il a l’émotion à fleur de peau, qu’il rameute ses années culottes courtes à Quillan, puisque « le rugby ennoblit les souvenirs » (Blondin), ou qu’il dépeigne Malo au chevet de son maître Jean-Pierre, parti « au pays des brumes », et auquel il « faisait la conversation comme on enverrait des balles molles. A l’aveuglette. » Il n’est donc pas nécessaire d’aimer le rugby, ni d’en connaître les règles, pour lire ces « dernières nouvelles d’Ovalie » -leçons d’humilité et de vérité humaine-, comme on prend un blanc limé en lisant le « Midol », au zinc du Café des Sports et de l’Amitié, le seul qui n’ait jamais viré de bord, mais-vi-ré de-bord…
Le discours de la flagornerie : sujet, verbe, compliment... (Avec cela, nous voilà bien).
Platon : l'éloge (par la voix de Diotime*, dans Le Banquet) ne vaut que s'il dit la vérité sur son sujet. Aujourd'hui, la vérité est une espèce rare, chassable, mais qui se terre.
Et elle a raison, du fond de son trou.
Bon, voilà. Ce soir : Platon, Zweig, Mamoulian (La Reine Christine) quand même... Et salade de pousses d'épinards au magret fumé, champignons, tomates cerises, puis riz aux coquilles St-Jacques, parce que quand même.
Quand même.
* La vérité pour elle est qu'Eros n'est pas un grand dieu, car tout désir est manque; mais, parce qu'Eros est plein de ressources pour se procurer ce dont il manque, Eros est un démon, un intermédiaire entre le divin et l'humain, comme la prêtresse Diotime l'est entre les dieux et les hommes. Elle fait office de passeur, allant du mythe au discours philosophique et poussant l'âme à dépasser son appétit de multiples choses belles pour accéder à une Beauté unique qui peut seule satisfaire le désir... (Monique Dixsaut, spécialiste de Platon).
Je respirais, délivré, en toute sérénité; et, avec une volupté neuve, je savourais sur mes lèvres, comme un pur breuvage, l'air moelleux, clarifié et légèrement enivrant qui portait en lui l'haleine des fruits et le parfum des îles lointaines...
S.Zweig, Amok
Le narrateur se trouve alors dans le port de Naples, à bord d'un navire, l'Océania.
La morale bourgeoise, c'est l'introduction de la discipline dans la vie privée (définition donnée par D. Fernandez dans "L'art de raconter"', magnifique livre de lectures).
Le pied de cochon pâné et la daurade piquée à l'ail sur sa galette de maïs de Gorka Roblès, restaurant Xakuta à Bayonne, sont magnifiques.
De même, les chipirons simplement poêlés, et ce merlu grillé accompagné de girolles, champignons des bois divers, pois gourmands et moules, l'ensemble d'une fraîcheur absolue -chez Diharce, restaurant La Grange, à Bayonne.
Les deux adresses sont devant la Nive, chacune d'un côté. Allez-y les yeux fermés, mais attention quand même (à la Nive, té!).
Connaissez-vous le principe de la randonnée littéraire ? Cela consiste à marcher en montagne –Basque, en l’occurrence, avec des randonneurs lecteurs, amateurs (une centaine, dimanche dernier), des gens de bonne compagnie qui aiment le texte et le sentier, qui vont, « caminando », deviser avec quelques auteurs invités et pilotés par deux couples de libraires lumineux : sortes de Platon en chaussures de montagne dirigeant leurs Socrate à la voix et au geste. C’était bien…
Avec « Elles » (folio), J B Pontalis se livre, ouvre le catalogue de ses conquêtes, convoque ses rencontres au soir de sa vie, et consulte le carnet des femmes qui lui ont échappé. Il cite Valéry : « Ni vu ni connu / Le temps d’un sein nu / Entre deux chemises », Toulet. Reprend des « cas » épanchés dans son cabinet d’analyste, évoque le vide des don juan de sous-préfecture qui cachent le creux d’une avidité ; l’inconsistance intérieure. Il dit la lâcheté des libertins qui se considèrent fidèles à leur femme. Mais à eux-mêmes ?.. Evoque les éconduits qui se sentent soudain « exportés », les jeunes filles qui attirent un JB prenant les traits –à la lecture- d’un Balthus libidineux devant ses modèles. Invoque Proust, le souffle coupé lorsque Albertine s’en va, car « une séparation subie coupe non seulement de l’autre mais de soi ». JB rêve, car rêver de ses amis disparus les rend présents. « Le rêve est notre mémoire vive », écrit-il. I
l arrive même à Pontalis d’avoir le style de Dumas, selon Stevenson; en moins riche : « léger comme une crème fouettée, résistant comme de la soie, prolixe comme un conte villageois, concis comme la dépêche d’un général. »
Et puis il y a l’opéra (napolitain surtout) dans le discours littéraire de Dominique Fernandez : « Où étudier le mieux les mœurs latines ? À l’opéra en Italie, à la corrida en Espagne. » À suivre, donc….
"Le prix Nobel de littérature 2008 a été attribué à l'écrivain français Jean-Marie Gustave Le Clézio pour son oeuvre "de la rupture", a annoncé, jeudi 9 octobre, l'academie suédoise. L'académie a fait ce choix d'un "écrivain de la rupture, de l'aventure poétique et de l'extase sensuelle, l'explorateur d'une humanité au-delà et en-dessous de la civilisation régnante", selon les attendus de l'académie. Il recevra un chèque de 10 millions de couronnes suédoises (1,02 million d'euros), le 10 décembre à Stockholm." Dixit "Le Monde.fr"
Je me souviens tout à trac de L'Inconnu sur la terre, de Mondo et autres histoires, de Désert, de Diego et Frida, du Chercheur d'or... Même si le gonze m'ennnuie souvent, depuis Onitsha et surtout Ourania, je reprendrai ces émotions -intactes-, au saut du livre et du lit. Histoire de.
Sa préface à Béatrix est un monument. Et puis il y a cette remarque, dans son essai jaune : En lisant en écrivant (à propos de Marie de Verneuil, Une Vieille Fille, déjà présente dans Les Chouans) : "Ce qui était d'abord simple articulation romanesque est devenu avec le temps, dans la conception de La Comédie humaine, osmose et même circulation du sang. Le lierre finit par enfoncer des racines vives dans le mur auquel il s'était d'abord seulement agrafé."
Il y a tous ceux qui se massent, grégaires, sur la piste cendrée de la rentrée : six cents concurrents à dossards, une trentaine de remarqués, une douzaine d'élus. Deux ou trois de remarquables. Il y ceux qui se distinguent en solo, après tout le ramdam. Soit Jean Echenoz et son Courir, sur Emil Zatopek. Un coureur de fond et de légende. Dès les premières pages, l'efficacité echenozienne devient jubilatoire. Je vous laisse : je lis Courir, de Jean Echenoz, Minuit. Un bijou. Et mes pensées vont, étrangement, à Mimoun...
C'est dans la maladie que nous nous rendons compte que nous ne vivons pas seuls, mais enchaînés à un être d'un règne différent, dont des abîmes nous séparent, qui ne nous connaît pas et duquel il est impossible de nous faire comprendre : notre corps.
Je déjeunais seul avec un manuscrit à corriger, tranquille, d'un pied de cochon pané sauce ravigote et de brochettes de coeurs de canard, à J'Go, vers Mabillon à Paris. A côté vinrent s'atabler trois êtres bruyants qui voulaient manifestement que chacun les remarque et cesse tout de go de vivre pour les regarder. Il s'agissait d'un acteur de troisième zone et de deux vieux pages, assistants, groupies, que sais-je. Afin de me concentrer, de reprendre calmement le fil de ma relecture, un moment troublée par ces trois pachydermes impolis, je fis écran avec ma main sur le front. L'acteur, que je feignis de ne pas reconnaître (qu'en avais-je à foutre!), tandis que deux ou trois passants vinrent lui serrer la main et le congratuler pour ses prestations, fut intrigué : je fus surpris de voir combien mon indifférence -l'indifférence d'un seul-, semblait le gêner comme du poil à gratter dans la chemise. Il ne cessa de se retourner vers l'ingrat, l'ovni que j'étais à ses yeux. J'en conçus un sentiment de pitié pour ces ego surdimensionnés qui ne peuvent respirer si le monde ne les observe pas avec des yeux mouillés d'envie. La serveuse du restaurant, faussement, exagérément flattée par l'acteur, ne se sentait plus. Les deux vieux parlaient très fort, comme si tout leur était forcément dû, y compris les meilleurs égards, les meilleurs vins, les plus beaux plats de ce restaurant. Ce fut pitoyable. Je corrigeais derechef, il se retournait de temps à autre pour voir si, enfin, je le reconnaitrais. Ma vue transversale me dit tout cela sans m'empêcher de travailler, bien après avoir déjeuné. Ils partirent. Debout, vêtu d'un manteau bruyamment remis, il continua d'attendre, de s'étonner de tant d'ignorance, enfin, de la part d'un être humain... C'est décidé : je n'iirai pas voir de film avec le nom d'Edouard Baer à l'affiche. Ce mec est un cabotin.
Proust nommait son asthme « mon péché originel ». Est-ce ce mal qui lui fit penser, très jeune, que l’amour est condamné et que le bonheur n’existe pas ?
L'événement fondateur des premières pages de « La Recherche », l'épisode du baiser maternel demandé, refusé, puis arraché, ce baiser perdu et retrouvé est sans doute –souligne Gerge D. Painter, son biographe incontesté, « la blessure décisive de la vie enfantine de Marcel ». Première défaite de sa « petite Maman », il faut s’interroger sur la distinction possible entre le refus initial de celle-ci et sa capitulation finale. Ainsi que sur l’obsession permanente, de MP de regagner l’amour de sa mère. L’asthme de Proust apparaît donc dans ce contexte. Il ne le quittera plus. « Son manque de souffle reproduisait peut-être », suggère Painter, « l’instant de suffocation qui survient également dans les larmes et dans le plaisir sexuel. » Le rapport causal entre les émotions fortes et l’asthme est connu. Dostoïevsky et Flaubert avaient leur épilepsie, Proust avait son asthme. Painter, perfide : « cela lui permit de se retirer du monde et de produire une œuvre de si longue haleine. »
Laura Morandi a travaillé avec Alain Ducasse au Plaza Athénée et à l’Intercontinental, notamment en pâtisserie, après avoir brillamment effectué ses études (parisiennes), à l’Ecole hôtelière ainsi qu’à la Chambre des métiers. Si la belle Italienne est née rue des Martyrs, dans le 9ème, Laura est originaire d’un village de la région de Lucca, en Toscane, nommé Camaiore. Et sa cuisine est entièrement dédiée à la Toscane… ainsi qu’à sa grande inspiratrice, la Nonna, sa grand-mère paternelle, Inès Schena, qui lui a transmis tant de secrets de cuisine authentiquement italienne, de bonne femme, ou de mamma, généreuse, fondée sur les très beaux produits de cette terre bénie. Nonna Inès est la première affaire de Laura Morandi, qui l’a ouverte il y a juste trois ans, le 15 octobre 2005. C’est en hommage à sa Nonna, qui a malheureusement disparu un mois à peine avant l’ouverture du premier restaurant de sa petite-fille chérie, que le restaurant porte ce nom. La Nonna Inès fut cuisinière et gouvernante de la famille Mondadori, du groupe éditorial et de presse éponyme, aussi célèbre dans la Botte que le nom d’Agnelli. D’origine Vénitienne (d’une zone proche des Dolomites), Inès passait la moitié de son temps dans la résidence milanaise des Mondadori, et l’autre moitié de l’année en Toscane. Gorgée de son savoir acquis auprès de la Nonna, puis à l’Ecole et enfin auprès de Ducasse, la référence absolue, Laura propose, dans son ravissant petit restaurant de la rue de l’Arbalète, dans le 5ème à Paris, une carte splendide, où trouver une faute de goût relève du prodige. C'est une adresse que nous adorons, en tout cas. Parmi les antipasti, nos préférences vont d’abord au crostone au lard de Colonnata (j’ai déjà évoqué ce produit fabuleux dans une note précédente, et si vous voulez en connaître l’histoire, les arcanes de sa fabrication et de sa conservation dans les carrières de marbre de Carrare, demandez à Laura qu’elle vous les conte, car elle le fait merveilleusement bien). L’antipasti del Nonno est perfecto : les légumes, la charcuterie et les fromages sont tous d’une qualité irréprochable (mozzarella, jambon blanc d'exception, jambon cru itou, gorgonzola, olives, tomates séchées, aubergines formidables, j’en oublie : tout est individuellement succulent…). Parmi les secondi piatti, notons le fameux osso buco, qui revient bientôt à la carte avec les polpette ! Des boulettes à se damner. L’escalope de veau Milanaise (une star plébiscitée par tous les clients) n'est plus à défendre. Avant cela, il y a Ivo : le risotto à la truffe blanche et aux écrevisses, puissant. Et parmi les pasta, je vous présente Nina : orecchiete aux pois gourmands et pignons, et Tonio : fazzoletti (pâte de lasagne roulée en cornet) à la ricotta, thon et tomates séchées, entre autres bijoux. Ceci pour vous donner un avant-goût de cette cuisine italienne, toscane, de haut-vol et à prix canons (7€ maximum pour les entrées et les desserts, et de 13 à 18€ pour les pâtes et les secondi). Parmi les desserts, les cannoncini (sortes de cornes d’abondance en pâte feuilletée, caramélisées et à la crème), la panna cotta, réinventée, avec ses amandes et ses prunes rôties, et enfin le dessert emblématique de la Nonna –la Madeleine de Laura- : il segreto di dama, ou l’éloge du chocolat au biscuit et aux noisettes, ont nos préférences. A vous d’aller découvrir le tiramisu, car chez Laura, la tradition possède toujours une plus-value. Cette femme réinvente les classiques et sublime les produits… Parmi les vins, le chianti et le vin sicilien (Terre di Ginestra) sont totalement recommandables. Le service et l’accueil sont impeccables. Il y a enfin le sourire de Laura, sa voix douce, son regard bleu derrière ses jolies lunettes, sa veste noire de chef moderne : tout, ici, est franchement réuni pour faire de cette Nonna Inès l’un des Italiens de Paris les plus en vue. Je prends les paris les yeux fermés et la main tendue.
Nonna Inès, Cucina tradizionale italiana, 1, rue de l'Arbalète, 75005 Paris, 01 43 37 23 72. Formule déjeuner à 13€ et plat du jour.
Je cherchais dans ma modeste collection d'étiquettes (de vins), celle du Vin de Lune, un Pyrénéen (du piémont) à l'évocation puissante dans ma mémoire amoureuse, lorsque je suis tombé -en arrêt comme un setter tricolore devant le sentiment d'une bécasse-, sur une étiquette grande, très grande (jeroboam? Probable, connaissant papa) de Château de Malleret 1971, Haut-Médoc, avec, écrit de ma main au dos de l'étiquette : 16.XI.86, 50 ans de Maman. Comme j'aurai cet âge-là dans quelques semaines, une petite poignée, et qu'icelle a disparu il y a dix ans déjà (putain, dix ans...), cela m'a foutu un coup de poing dans la cage thoracique. Outchh. De là à bloguer dessus... C'est indécent, j'en conviens. Sauf que!.. Je lance un appel : qui me trouvera une bouteille ou deux, ou trois, de Malleret 1970, à prix raisonnable? Urgent. Ecrire au blogueur, qui transmettr@. Merci.
L’archétype du classicisme médocain se trouve dans une bouteille de Calon-Ségur, vieille propriété archi célèbre, aux flacons chers et à la personnalité affirmée, confirmée, aride, têtue, autoritaire même. Calon, au sein du vignoble de Saint-Estèphe, c’est la rigueur et l’austérité que seul le fameux cœur placé au centre de l’étiquette vient dessécher. Calon-Ségur, c’est riche, ample, viril comme une charge de cavalerie, décidé comme un ordre d’en haut. Il nous a été donné de déguster quelques millésimes exceptionnels, à un moment donné. Au château. Les 1990 et 1979 en magnums, le 1970 –date de l’apparition du fameux cœur. D'autres moins mémorables... Ce 1970 m'émût comme un film de Visconti. Il était resté fermé, amoureux éconduit, jusqu’en 1990. Il avait pris vingt ans ferme. Une fois libéré par un tire-bouchon, il chanta comme un Napolitain retrouvant la plus belle Baie du monde. Moins pète-sec que le 1990, il s’ouvrait enfin avec une élégance rêche qui ne trahissait pas un terroir sans rires et son élevage strict : en avant, calme et droit ! Calon, ce sont des vins de grande garde, en somme, à l’instar du conservatisme médocain de bon aloi, une expression n’ayant pas cours seulement à Epinal. Le 1995, boisé, épicé, truffé, frais et aux tanins puissants, présentait bien, comme ses frères d’âme. Mais qu'on se le dise : il faut tenter de dompter le Calon. En cuisine, avec la cravache à alliances. Allez ! Flanquez un sanglier en daube ou un canard au sang à ces bouteilles à jupes droites plissées et vous les verrez vite se dérider de la barette à cheveux et des tanins. Calon-Ségur sait se lâcher, si nous l'aidons. Je me souviens que, bête comme un épris jusqu'au trognon, j’offris un jour un flacon de ce cru là -pour son cœur -, à une qui faisait battre le mien (et parce qu’elle avait déjà lu Belle du seigneur), mais j’ignorais qu’elle ne buvait jamais de vin : elle garda l’étiquette après l’avoir décollée à chaud dans l’évier de son studio d’éternelle étudiante. Comme quoi, les buveurs d’étiquettes valent parfois mieux que les dégustateurs qui se la pètent. Ainsi soit-il.
Benoît nous signale (dans un commentaire à la suite de la note "Racines"), d'Edouard Glissant, l'expression de racines errantes. L'écrivain opposerait l'identité racine à l'identité relation... Cela m'évoque le ravenala, l'arbre du voyageur, gorgé d'eau salvatrice. Et le pin des Landes, aux racines si peu profondes qu'il tombe au moindre coup de vent fort. Ainsi que le nomadisme, lorsqu'il a des vélléités d'enracinement. Et encore ces oiseaux migrateurs, comme la palombe, dont la biologie, l'instinct, sont bouleversés par le monde moderne (réchauffement du climat, maïssification de la plaine..). Enfin, s'agissant d'identité et de racines, réfléchissons à "l'immigration choisie", au citoyen dans la Cité. Comment peut-on être errant?, en somme... C'est la réflexion du jour. A vos claviers.
Ca fait un moment que je veux dire un mot sur ce resto basque niché dans la rue du Pot-de-Fer, Paris 5ème, comme un diamant au coeur d'une bouse. La rue est en effet jonchée de restouilles à touristes, aguicheurs mais absolument pas sexys, tout juste nourrissants. Au bout, un peu avant la rue Tournefort (et pas à l'autre angle, en venant de la rue Mouffetard, donc celui de la rue Ortolan, qui lui aurait mieux convenu), Jean-Pierre tient "Les Bugnes". A priori, rien d'excitant, si l'on pense un peu bêtement que tous les restaurants de la rue sont d'une médiocrité semblable et que ce Basque-là l'est comme je suis archevêque. L'exception confirme la règle. Et si "l'expérience se brise sur le roc du préjugé" (Jaurès), on ne pousse pas la porte du n°11. Or, à l'intérieur, tout est bon! Les tapas, les plats du jour, la carte, les vins, le service et la faconde du patron sont un enchantement. Sa règle d'or : des produits excellents, triés sur place et qui viennent plusieurs fois par semaine de là-bas, comme la charcuterie et la viande de porc Ibaïona de chez Etchemaïté. Chipirons à l'encre, seiches à la plancha, thon (blanc) plancha, piquillos à la morue, axoa de veau délicieux, marmite du pêcheur, pieds de porc panés au foie gras, paëlla et cassoulet maison (pour les incursions extra-territoriales)... Vins d'Irouléguy (Abotia), d'Espagne et de Cahors; txakoli pour l'apéro et patxaran pour digérer. Déco rugby et corrida. Le bonheur basque est chez Jean-Pierre, qui n'est pas de là-bas mais qui est fou de ce Pays.
A la faveur d'un banc d'essai "foies gras" co-réalisé hier matin pour le magazine Régal (j'y reviendrai car il était surprenant), j'ai découvert une table basco-landaise, nichée dans le 15ème à Paris (rue Desnouettes), où l'on se sent comme là-bas : un peu comme à la maison, sur les bords de la Nive ou de l'Adour.
Tapas somptueuses à la table d'hôte qui trône à l'entrée comme dans une ferme : chipirons grillés d'une fraîcheur idéale (servis dans un sabot fabriqué à St-Etienne d'Orthe), coeurs de canards à l'ail (je publierai un jour la liste des restos parisiens qui en servent, comme Le Volant, dans le 15ème également, car ils sont rares et qu'attendre les fêtes de Dax pour en manger, m'est trop douloureux), gambas à la sauce aux épices douces...
Puis la parillada de canard, servie sur une ardoise : croupion (ou Demoiselles), coeurs, magrets, langues, avec de grosses frites maison (servies dans un pot de résine), est un bonheur paysan.
Vins (carte judicieuse) à prix normaux. Accueil et service sérieux et sympas.
Au piano : Julien Duboué, natif de St-Lon-les-Mines, Landes, près des barthes (j'y ai passé tous mes week-ends et mes vacances, adolescent, dans la maison de campagne...), qui joua au rugby à Peyrehorade, fit ses classes chez Dutournier au Carré des Feuillants, chez Daniel Boulud à New York, au Georges V de Philippe Legendre et chez Drouant, avant d'ouvrir cette première "affaire" avec sa femme Céline; il y a tout juste un an.
Du sûr, du très bon terroir avec l'accent et sans chichis : pas mal de poissons à la carte, actuellement (merlu salsa verde notamment), de l'échine de cochon Ibaïona...
Je ne parlerai pas de son boudin en croûte de moutarde et pommes car : je ne l'ai pas goûté et parce que mes confrères l'ont tellement loué que la brigade en a assez d'en servir...
"Là, se dit-elle en fixant dans ce trou noir les traverses recouvertes de sable et de poussière, là, au beau milieu; il sera puni et je serai délivrée de tous et de moi-même." (...) "Elle eut le temps d'avoir peur. "Où suis-je Que fais-je? Pourquoi?" pensa-t-elle, faisant effort pour se rejeter en arrière. Mais une masse énorme, inflexible, la frappa à la tête et l'entraîna par le dos. "Seigneur, pardonnez-moi!" murmura-t-elle, sentant l'inutilité de la lutte. Un petit homme, marmottant dans sa barbe, tapotait le fer au-dessus d'elle. Et la lumière qui pour l'infortunée avait éclairé le livre de la vie, avec ses tourments, ses trahisons et ses douleurs, brilla soudain d'un plus vif éclat, illumina les pages demeurées jusqu'alors dans l'ombre, puis crépita, vacilla, et s'éteignit pour toujours".
Ainsi disparait Anna Karénine à la page 810 du roman éponyme de Tolstoï. Depuis cette lecture, je ne peux m'empêcher d'avoir peur, lorsque j'aperçois une femme sur un quai de gare...
"J'envie ceux qui ont une terre natale, un lieu d'attache. Moi, je n'ai pas de racines, sauf des racines imaginaires. Je ne suis attaché qu'à des souvenirs". JMG Le CLezio, interview donnée au Nouvel Obs de ce matin.
"Etre d'avant-garde, c'est savoir ce qui est mort; être d'arrière garde, c'est l'aimer encore." (R. Barthes, "Réponses", Oeuvres complètes, Paris, Seuil, 2005, t. III, p. 1038).
Barthes dit de lui-même qu'il se situe à l'arrière-garde de l'avant-garde.
Le nouveau livre de Philippe Vilain, Faux-père (Grasset) dresse l'autoportrait sans concession d'un salaud désinvolte, libertin, cynique, vautré avec plaisir dans son ennui, son égoïsme (il y a du Drieu antipathique dans ce roman), agrippé à son oisiveté comme la moule au rocher, brandissant la peur du néant comme on agite un drapeau blanc au bout d'une baïonnette, qui engrosse une jeune turinoise amoureuse folle de lui, qui écrit dans son journal intime qu'il ne veut pas de cet enfant et souhaite une fausse couche, qui laisse trainer ce journal, que la pure et belle Stefania découvre... C'est le roman (écrit avec précision, au scalpel, et avec une économie de mots redoutablement efficace), de la peur de l'engagement, d'un affligeant manque de courage, de la frousse du bonheur peut-être, et de la trahison qui survient par négligence -avec la découverte du carnet-, lorsque la résignation a enfin gagné l'homme lâche... Cette femme allait faire du narrateur un homme et voilà que celui-ci fuit Turin, regagne Paris, abandonne une femme profondément disgraziata. Puis il regrette (comme c'est étrange!), retourne à Turin, mais trop tard : elle a avorté dangereusement, elle est à l'hôpital, la tendre et douce Stefania. Alors, oui, il écrit que: "Tout se passait comme si, en refusant d'être père, j'avais à jamais voulu rester un fils." Mais on s'en fout. On s'en fout complètement.
Dominique Fernandez, dans L'Art de raconter, somme érudite d'un grand lecteur percutant, à lire comme on boit une bière (Grasset et Livre de Poche), souligne que ce n'est pas un hasard si l'Italie sauva Stendhal de n'être fixé que sur lui : "Question : si les romanciers ont souvent été voyageurs, pourquoi l'Italie est-elle le pays romanesque idéal? Stendhal, lui, aurait la réponse toute prête : parce que l'Italie est le pays de la passion, le pays où l'action suit immédiatement la pensée, le pays du drame et du mélodrame. En France, on se regarde vivre; en Italie, on vit."
Avec son allure d’hidalgo, on l’imagine bien chevauchant parmi les toros, dans le campo andalou,une pique à la main, puis découpant un Jabugo pour les copains, au milieu d’une oliveraie. Vu du Carré des Feuillants, son fief parisien, où il exécute une cuisine de haut-vol depuis 22 ans : « on fait ce qu’on sait faire, mais on le fait bien !..», l’homme pense à Cagnotte ; Landes. C’est là que réside son bonheur sur la terre. À la maison. Une ferme qui jouxte l’Auberge familiale où il a grandi, en regardant sa mère et sa grand-mère paternelle faire une cuisine de bonne femme. Son père était charpentier… Et sa mère ne s’appelait pas Marie, mais Renée. Henri était aussi tonnelier l’hiver et faisait déjà le vin de l’auberge pour les clients avec les vignes de la maison. De cette « Maison des vignes », Alain Dutournier dit simplement : « ma maison, elle est chez moi! J’aime l’odeur unique de sous-bois de sa cheminée, c’est l’écho de son âme »....
La suite du portrait d'Alain Dutournier en kiosque, avec quelques autres friandises, dans Maisons Sud-Ouest n°32
tu frottes de l'ail sur du pain tomaté (c'est le pan tomate catalan), t'y poses une tranche de jamon serrano, un filet d'huile d'olive, (là ça ressemble à une bruschetta), une ou deux feuilles de coriandre, une tranche fine de manchego ou de brebis basque (ardi gasna), une autre tranche de bon jamon par-dessus, et tu passes au four. C'est comme un croque, en mieux. (je me sens très tapas ce matin. D'ailleurs, ça me donne faim, tout çà. La vache...). Mais quand je pense que Castella va devoir se manger six toros cet après-midi à Nîmes...
C'est un peu chinois, mais bon... Tu prends des rougets vendangeurs, les petits. Tu lèves les filets à cru avec le couteau souple spécial. Et aussi les joues! Je sais, elles sont minus, mais bon, tu les "réserves" dans un petit bol. A part. Ecoutes la suite (au passage, tu peux si tu veux, garder les parures si tu envisages de faire un fumet). Tu fais ta tapenade d'olives noires (prends les Crespo dénoyautées en boîte, et tu piles), tu tranches fin et en biseau une baguette, tu enfournes le pain pour qu'il dore bien. Là, tu saisis sur une poêle archi-chaude tes filets sur la peau, et, avec tes autres bras (on a dit que seuls les poulpes pouvaient cuisiner, non?.. Bon, alors), t'étales ta tapenade sur le pain doré, puis tu dresses les filets saisis dessus -allez! dépêches-toi! t'es pas synchro, là... (ah! té! tu viens de piger pourquoi il fallait tailler en biseau les tranches de pain!..), oui, j'ai dit côté chair contre olive et peau croustillante dessus. Non, j'ai pas dit?.. C'était évident. Bon. T'y mets un peu de sel de Guérande ou de l'ïle de Ré. Et là, top 2 top : tu saisis aller/retour quelques secondes pas plus, les joues des rougets (pas la peine d'inviter la smala du dessus ni tes ennemis, y'en aura jamais assez) dans la même poêle. Tu les remets dans le bol (séché avant au sopalin, hop!), et tu cherches les cure-dents (nan! pas pour tes ratiches, banane! c'est pour piquer les joues des rougets!). Voilà une petite tapa raffinée vite faite et iodée à mort, avec un plus de la mort qui tue : les joues!
Le dernier roman de Dubois ressemble aux précédents : humour, dérision, mélancolie, tendresse, histoire ricaine, fonds toulousain, sauf qu'en prime, il nous sert une femme dépressive, un père survolté devenant parvenu sur le tard, un narrateur infiniment attachant (ça c'est comme d'hab') et un passage en revue des maux de notre époque. "Les accomodements raisonnables" (L'Olivier) est un beau titre. Lui : "Souvent j'éprouvais le sentiment qu'Anna m'avait glissé entre les mains, comme du sable trop fin, que je n'avais pas été capable de l'aider ni de la retenir, de trouver une alternative acceptable au Seroplex." Il cite Pessoa : "Tout effort est un crime parce que toute action est un rêve paralysé". Lui, encore, cite son père : "Tu veux savoir la seule véritable erreur que j'ai commise avec ta mère? C'est d'avoir cru absurdement que, dans la vie, les choses un jour finissent par s'arranger." (en pensant aux liens indéfectibles qui unissent un père à son fils et au gouffre qui, malgré tout, toujours, les séparera. Ce qui vaut aussi pour les filles avec leurs pères, au passage...). C'est l'histoire d'un mec qui a besoin d'être débarrassé de lui-même. Qui quitte sa femme, tombe sur le clône d'icelle, mais avec vingt/trente ans de moins, je ne sais plus, s'envoie en l'air et reçoit des appels de la première, d'outre-atlantique ou d'outre-tombe, c'est pareil. Qui en conçoit, quand même, un certain remords. Bon, en fond, y'a une histoire de scenarii hollywoodiens upper level, donc nous sommes en plein remakes à tous les étages, mais qui m'a fait tourner les pages assez vite, et puis ce passage, là, vers la fin (je suis allé jusqu'au bout parce que le mec m'est vraiment très sympathique) : "Je lui devais sans doute la déclaration la plus étrange qu'on m'ait jamais faite : Un jour je t'aimerai. Il n'existait pas de promesse plus intangible et pourtant ces quelques mots suffirent parfois à donner le courage de se fondre dans la foule et de marcher avec elle le temps qu'il fallait." Donc, allez-y, mais ne trainez pas dessus, il n'y a pas que ça à faire, non plus, moi je vous attends déjà; ailleurs.
Alain Dutournier est un magicien. A Sydr, son 4è restaurant parisien (rue de Tilsitt), la pipérade froide, oeuf poché et gaspacho vous explose au cerveau. D'emblée. Puis ça repart avec le Tataki de thon, caviar d'artichaut et moutarde aux petits pois. Le tartare (dans le contre-filet du boeuf) au couteau, copeaux de foie gras et asperges vertes y va avé alegria. L'ambiance rugby de cet espace (ouvert pour la Coupe du Monde et qui compte Philippe Sella pour associé), mériterait d'être chauffée à coup de monde et de chants (basques) peut-être (le soir). J'y ai surtout aimé (j'ai beaucoup goûté à tout) : le melon et les gambas satay-coco (jolies fiançailles), le rouget (épais, iodé et ferme) et son corail d'oursins (énorme!) avec l'émulsion (pas mode This du tout) d'olives noires, le canelloni de crabe (grave!) à la coriandre, la canette (au goût puissant) de Challans au foie gras en croûte, et le macaron au thé vert. Un vin de Faugères là-dessus le fit.
Et même si ça vous embête -je m'en fiche-, la semaine avant, j'avais testé la carte d'automne du Carré des Feuillants (rue de Castiglione), la maison-mère d'Alain Dutournier : eh bé, d'abord il faut préciser qu'à vil prix, on retrouve des plats du Carré à Sydr!.. Et qu'en plus, au Carré, le pâté en croûte de foie de lotte homardine est à tomber, mais que pour ne pas succomber, le cèpe mariné, son chapeau poêlé et son pied en petit pâté chaud vous remet en selle, que la caille des près béarnais truffée en cocotte forestière vous réconcilie avec le monde qui part en quenouille, à cause que "pour suivre", le gros vacherin, ses grosses framboises, sa meringue et sa crème fermière pure, vous envoient valser là-bas : où se dissimulent les havanes; pour le café -té!
Envie de citer Alain Dutournier, à propos de la tauromachie : "Mon attachement à la corrida est lié à l'harmonisation des contrastes dans un combat souvent imprévisible, voué au départ à la fureur et au sang. Dans le silence de l'arène, l'arrivée d'un toro mythique fort de noblesse et d'alegria suscite chez moi émotion et aussi contemplation. J'aime l'artiste inspiré dépassant sa peur, offrant son corps, s'abandonnant dans la lenteur, canalisant avec respect la violence de son partenaire au travers de la pureté et de l'intelligence du geste. Non, la corrida n'est pas un spectacle! Elle doit rester une épreuve majeure pour l'humain afin de protéger le toro de combat dans son mystère issu de la nuit des temps."
"Est-il légitime que des forces intérieures jusqu’alors inconnues se déploient et réclament d’agir? Ainsi de la recherche obstinée d’un amour égaré par négligence et qui survit, tapi dans les caves du coeur. L'amour grand n'abdique jamais. Tandis qu'il oeuvre à sa reconquête, le guetteur sent une peur acide lui monter à l’âme. L’aboutissement de sa recherche produira une infinie tendresse aux liserés sensibles comme les lèvres de l’huître. Et si l'issue devient jus de citron : il est trop tard, il songe. Pense passer à côté de la vie, celle qui correspond au partage absolu. Car cet amour est le seul à surnager à la surface du lac de sa vie. C’est là le plus troublant, le plus déchirant. Le temps engloutit les bonheurs, les malheurs et nous laisse avec une forêt de souvenirs en héritage. Mais qui peut lui dire où va cette nageuse unique au crawl suave, à la surface du lac?" (Auteur anonyme, deuxième moitié du XXème siècle).
Signe d'époque : la critique se penche à juste titre sur la perle rare : le sixième roman (en 45 ans : 6 événements) de l'invisible Thomas Pynchon. 1200 pages, touffu, complexe, "Contre-jour" (Seuil) ne fera pas des ventes comme un Nothomb ou un Dubois. Mais le plus suprenant est que l'on s'attache moins au contenu de ce livre qu'au mystère qu'entretient -sans doute à son corps défendant- son auteur. Que l'on revienne toujours à l'homme invisible davantage qu'à l'écrivain. Une photo de lui -la seule-, prise dans les années 50, montre un jeune homme au regard triste et aux incisives de lapin (il doit zozoter). Comme il a toujours fui la presse, les plateaux télé, que sa biographie tient au gros feutre sur un ticket de métro, on en fait un phénomène. Certes, il a été lu et a inspiré nombre d'auteurs américains, il est de la trempe des plus grands écrivains secrets (Beckett, Cioran, Blanchot, Michaux, Gracq, dans leur registre propre), mais de là à s'esbaubir sur "l'écrivain que l'on ne voit pas", dont on ne sait rien, qui n'apparaît pas, n'a pas d'adresse... Lisons-le e basta! Si vous cherchez Pynchon, allez en librairie. M'est avis qu'il habite son oeuvre et nulle part ailleurs. Mais cela ne suffit pas à notre époque cathodique, où le strass et le brushing avant de "passer" chez Trucmuche, devant une noria d'attachées de presse stressées, sont devenus la règle. Triste. Comme le regard que semble déjà porter T.P. sur le monde. Ses livres l'ont d'ailleurs prouvé, un à un. Le désenchantement fait oeuvre. C'est déjà ça.
Le quatrième roman de Christian Authier, Une Belle époque, (lire la note intitulée Province, publiée le 26 août), possède l’épaisseur, le corps tranquille et l’amplitude des livres de la maturité, comme on dit dans les feuilles littéraires. Authier sait construire un roman de 300 pages qui alterne le récit des péripéties politico-humanitaires, légères, d’une bande de potes, tous anciens de Sciences-Po Toulouse, dans les années quatre-vingt-dix, jusqu’aux élections de 95 (la machine politique, véreuse, et le clan Baudis en particulier, sont ici laminés en règle), la peinture ironique d'une droite qui essaya de devenir la plus sympa après avoir été la plus bête du monde, et une histoire d’amour avec une Clémence au charme envoûtant. Sans oublier de traiter au vitriol La Dépêche du Midi (à peine déguisée en Gazette) et le passé nauséabond de la famille qui possède encore le journal toulousain. Je serais d’ailleurs curieux de connaître les provisions pour procès de Stock, son éditeur. Authier détruit avec humour les suffisants, les parvenus de l'économie locale, les emperlousées des cocktails de préfecture, comme Muriel Barbéry a su le faire dans les cent premières pages de son élégant Hérisson. Authier y ajoute une distance qui est la marque des auteurs de fond. Ceux qui savent être sans concession, y compris avec eux-mêmes. Qui n'ont pas besoin de décrire le tragique des événements pour que nous le ressentions jusqu'à la moelle, avec le recours, simple à première vue, au verbe rare, à l’adjectif pudique, à la phrase courte et néanmoins souple : il faut parfois sacrifier à la tentation littéraire authentique, qui est de dire ces choses réputées indicibles que le lecteur a déjà vécues. La mélancolie d’Authier navigue au plus près du fil de l’eau lorsqu’il décrit Clémence, dont « la fraîcheur me ramenait vers ces contrées où l’impatience se marie à la langueur et à l’assurance qu’un soleil de printemps réchauffera toujours l’eau froide des grands âges ». Page 248, la jeune femme devient une déesse. L'image de la vérité, qui ne dure jamais. Rappelle que tout le reste n'est pas littérature. Authier, qui ne lâche son lecteur qu'à la dernière ligne, l'étreint avec la ceinture de l’émotion, par touches, à pas de loup, vers ce plaisir étrange que l’on dit textuel. Une réussite.
"Tout en estimant qu'Anna devait rompre avec Vronsky, il était prêt, si tout le monde jugeait cette rupture impossible, à tolérer leur liaison, pourvu que les enfants demeurassent avec lui à l'abri des éclaboussures et qu'aucun bouleversement n'intervînt dans sa propre existence. Cette solution, pour vilaine qu'elle fût, valait pourtant mieux qu'une rupture, qui, tout en vouant Anna à une position honteuse et sans issue, l'eût privé, lui, de tout ce qu'il aimait. Mais il sentait son impuissance dans cette lutte, il savait d'avance qu'on l'empêcherait d'agir sagemment pour l'obliger à faire le mal que tout le monde jugeait nécessaire." (p.467, Pléiade)
"Et cependant, dès qu'il fut hors de danger, Vronsky éprouva un esentiment de délivrance. Il s'était en quelque sorte lavé de sa honte et de son humiliation : désormais il pouvait penser avec calme à Alexis Alexandrovitch, reconnaître sa grandeur d'âme sans en être écrasé. Il pouvait en outre regarder les gens en face, et reprendre son existence habituelle, conformément aux principes qui la dirigeaient. Ce qu'il ne parvenait point, malgré tous ses efforts, à s'arracher du coeur, c'était le regret, voisin du désespoir, d'avoir perdu Anna pour toujours. Maintenant qu'il avait racheté sa faute envers Karénine, il était certes fermement résolu à ne pas se placer entre l'épouse repentante et son mari; mais pouvait-il échapper au souvenir d'instants de bonheur trop peu appréciés autrefois et dont le charme le poursuivait sans cesse?" (p.476, idem)
Ces deux extraits ne sont pas dans le dernier Christine Angot, dont le célébrissime extrait : "Ne te trompes pas de trou", fait la joie de la presse... littéraire, ces jours-ci (il s'agirait, sur 320 pages, de ses coucheries avec Doc Gyneco...).
Non, ces deux extraits, je viens de les piocher, en lisant, en écrivant, dans Anna Karénine, de Léon Tolstoï.
La classe...
Mais je ne ferais pas le grincheux : certes, ne perdons pas de temps avec les histoires de cul des Millet, Angot et conso(eu)rts. Voyons les derniers Sylvie Germain, Marie Nimier, Jean-Paul Dubois (reçu ce matin, feuilleté : ça a l'air fort!), Régis Jauffret, Olivier Rolin, Richard Ford, Thomas Pynchon, Christian Oster... Car il ne faut pas désespérer nos contemporains.
Une Belle époque, de Christian Authier, paraît chez Stock. Je viens de l'acheter. Les premières pages évoquent avec subtilité les charmes désuets de la province (l'action se passe à Toulouse). Ecoutez (je reviendrai sur le livre lorsque je l'aurai terminé) : "En province, la vie est molle et le temps passe lentement. On peut parfois vieillir sur pied. (...) A Paris, personne ne se regarde. Chez moi, tout le monde s'observe. Ici, on a besoin d'être vu pour se sentir exister. D'où l'importance des terrasses de café, des grandes places, des rues piétonnes et des soirées privées de quatre cents personnes. (...) La province ne connaît pas la solitude, on s'y ennuie ensemble." C'est si juste.
Voir, colonne de gauche, la revue de presse de ce livre.
4 de couverture :
« Je compte Bayonne comme point d’ancrage et la plage de La Chambre d’Amour pour épicentre. Autour, jusqu’à Bordeaux au nord, Saint-Sébastien et Pampelune au sud, Toulouse à l’est, j’ai ménagé des repaires. En partant à la rencontre d’un pays dont je me suis épris de bonne heure, j’ai sillonné avec appétit, routes, villages et sentiers envahis de ronces. Mes camarades de surf ont perdu leurs mèches blondes. Je les retrouve chaque été aux Fêtes de Bayonne et de Pampelune. Nous sommes saisis de crampes lorsque nous tentons de suivre nos fils sur les vagues. Dans mon Sud-Ouest, je cherche la tranquillité de l’âme, le repos du corps vivifié, la stimulation de la parole, le courage du regard. Le Sud-Ouest est peuplé de femmes et d’hommes jamais blasés de leur enviable quotidien. Ils s’émerveillent sans forfanterie du plaisir d’exister. Mes frères de joie vivent selon l’humeur des éléments : l’océan, les caprices du climat, le vent du sud qui monte les esprits comme du lait. Ici, on s’ouvre à l’autre sans se mentir. »
Léon Mazzella, journaliste et écrivain, a notamment publié Les Bonheurs de l’aube et Flamenca aux éditions de La Table Ronde.
"Martine a épousé la baie. Catalane de Perpignan, elle a récemment posé son sac au Grand-Hôtel, dont elle supervise le spa, après avoir passé plusieurs années en Sardaigne et n’envisage plus de reprendre la route des spas prestigieux du monde, sauf peut-être pour Bali, « mais dans longtemps », car sa fille y vit. Martine se baigne chaque jour dans cet océan maté par des brise-lames et des seuils de garantie qui en ont fait une maquette de Méditerranée au pays du surf.
Les Luziens d’adoption possèdent la distance nécessaire au regard juste et à l’amour choisi –comme on le dit de l’immigration, qu’aucun natif ni aucun touriste ne porteront jamais. Ils partagent avec les voyageurs, ces passagers clandestins de l’émotion, la faculté d’immersion en délicatesse. Par mimétisme animal, l’étranger aborde la baie de Saint-Jean-de-Luz ou celle d’Along, muni d’un savoir se confondre. Il n’impose ni ne prélève, cueille selon ses besoins. (Ainsi les Blondes d’Aquitaine sont bien gardées). Le nouveau Luzien épouse sans dot. L’air de ne pas y toucher. D’ailleurs s’il touche l’autre, c’est avec le viatique de sa liberté. Sa carte de visite n’est pas un bristol. C’est une poignée de main en arrivant, l’offrande du récit d’un parcours, le brouillon de sa carte du Tendre en partant.
Martine Briu, donc. Orfèvre en aménagement et gestion d’un spa à partir d’un credo double : le sens du goût et celui du plaisir de l’autre. Cela passe par l’étude personnalisée de chaque client. Elle tutoie déjà Saint-Jean, qui, d’emblée, le lui rend bien. Myriam vient de Brest. Encyclopédie gracieuse de l’histoire luzienne, elle raconte mieux qu’un Basque –désolé, l’architecture des maisons d’armateurs, la pêche à la baleine, le mariage de Louis XIV, les Kaskarots, Agotak (cagots), Bohémiens et autres proscrits refoulés dans les faubourgs, à Ciboure, ou la lutte des hommes de Napoléon contre les éléments naturels. Antienne : le Parisien est celui qui connaît le moins bien le Louvre. Il en va des musées comme des baies. Celle de Saint-Jean a l’accent de celle de « San Seba » et de celle de Naples. Rhune, Monte Igueldo, Vésuve ont partie liée. Montagnes douces –volcanique la dernière, elles embrassent concha et baies dans un quotidien sans vagues, d’un mouvement curviligne, que seul le second baiser de Maman Proust réclamé par le petit Marcel peut égaler en soulagement. (...)
Pour ceux qui aiment revoir le film de Louis Malle adapté du texte fulgurant de Drieu, voici des plans superbes sur un Maurice Ronet bouleversant jusqu'au cut final d'un film immense. La musique, étrange, ne colle pas, elle adhère seulement à l'image, aux regards, au ralenti. Non?..
...En voici une, cueillie dans A l'ombre des jeunes filles en fleurs :
Quand on aime, l'amour est trop grand pour pouvoir être contenu tout entier en nous; il irradie vers la personne aimée, rencontre en elle une surface qui l'arrête, le force à revenir vers son point de départ, et c'est ce choc en retour de notre propre tendresse que nous appelons les sentiments de l'autre et qui nous charme plus qu'à l'aller, parce que nous ne reconnaissons pas qu'elle vient de nous.
...Alors qu'en réalité -ou plutôt dans une scène décrite avec humour par Roger Nimier, dans son roman Les Epées : "je" dîne en tête-à-tête avec elle (et l'amour que je lui porte), lorsque soudain, je sens quelque chose... je me crois aimé, je vérifie... et ce n'est que le pied de la table qui touche ma chaussure.
Mais bon. (Tant de mains pour transformer le monde et si peu de regards pour le contempler. Julien Gracq).
« Le petit homme », comme le surnommait Bala (Pierre Albaladejo) au cours de cette soirée qu’il anima avec Zocato, était venu, avec son sourire, la bonté de son regard, l’humilité de ses silences, sa femme ; son père. Vêtu d’un beau costume sans lumières, Cesar Rincon était à Paris, avant-hier soir, pour une soirée privée (et surprise) donnée et concoctéeen son honneur.
L’honneur de l’immense maestro colombien qui a fait ses adieux à la tauromachie.
Aujourd’hui ganadero dans son pays, dans une finca perchée à plus de 2400 mètres d’altitude, Rincon demeure le torero qui a le plus respecté le toro, qui n’a jamais refusé d’en toréer un seul au prétexte qu’il l’aurait (commodément) jugé intoréable.
Rincon nous a donné l’occasion de voir, presque à chacune de ses corridas, comment il évaluait un toro, gommait ses défauts, voire ôtait sa mansedumbre et en révélait sa noblesse ou son fond de caste. Torero de respect, il aura profondément marqué les années 90.
Une belle poignée d’aficionados, réunis autour de Jean-François Mengelle, venus principalement de Bayonne et Dax, pour rejoindre l’aficion parisienne (du Sud-Ouest), avait décidé d’organiser cette belle fête au théâtre Edouard VII. ¡Suerte Cesar !
J'imagine un peu ce que serait ma journée, si maman, qui était au lycée à Oran, dans la même classe qu'un jeune duduche dégingandé, disait-elle, nommé Yves Saint-Laurent, avait préféré cet homme à mon père!..
Plus sérieusement, et pour répondre aux pieds en éventail d'une Angélique rechargée par son week-end, voici, non pas une réflexion philosophique, mais une phrase de Proust, extraite du Côté de Guermantes. Pour la beauté :
"...mes regards se sentirent croisés par l'incandescence volontaire et les feux des yeux de la princesse, laquelle les avait fait entrer à son insu en conflagration rien qu'en les bougeant pour chercher à voir à qui sa cousine venait de dire bonjour, et celle-ci, qui m'avait reconnu, fit pleuvoir sur moi l'averse étincelante et céleste de son sourire".
Une merde !.. Je n’imaginais pas que l’on puisse laisser sortir un tel ramassis de lieux communs sirupeux, un discours de la bêtise qui se croit novateur en plus, surla tauromachie !: Une sous-espèce de présentation et d'éloge mou, sans relief, sans aucune âme, avec un vernis de connaissance pompé sur wikipedia et vu, vite, depuis des gradins... Outre le fait que le livre soit rempli jusqu’à ras-bord d’inexactitudes, de platitudes et de fautes (même d’orthographe un peu partout !), qu'il soit à peine écrit en Français, ce parallélipipède de papier se veut avisé, fait l’intelligent. Or, c'est une aberration indépassable sur le sujet. J’ose à peine vous donner ses références –mais comme ce sont les seules qu’on puisse lui attribuer, les voici : Marine de Tilly, Corridas, De sang et d’or, Ed. du Rocher, 19,90€ Oubliez !
Les commentaires laissés par Aude, hier, m’ont donné envie de revenir à un livre de Sylvain Tesson ce matin. Mes annotations nombreuses me rappellent que j’avais consacré une bonne demi-heure à son Petit traité sur l'immensité du monde, sur les ondes de Sud-Radio (ainsi qu'à Anatomie de l'errance de Chatwin). Il cite Saint-Augustin : « le bonheur, c’est de désirer ce que l’on possède déjà ». Ceci pour la note récente consacrée au désir, qui a généré tant de commentaires. Tesson pense à la figure du wanderer, qui n’a pas d’amarres à couper puisqu’il n’en a aucune. Il s'en sent proche. Errant libre de toute entrave, le wanderer se distingue du voyageur classique : vagabond romantique, loup des steppes misanthrope, cavalier seul, ermite des taïgas, moine-mendiant, troubadour, hobos, trappeur, coureur de bois, errant. C’est un être « perpétuellement en état de poésie » (Novalis). Il ne supporte pas que le soleil, à son lever, parte sans lui, dit Tesson. Le nomade « change le sable du sablier en poudre d’escampette, brise le cadran de l’horloge et se sert des aiguilles pour piquer sa propre croupe. (… ) Au tic-tac de l’horloge, le voyageur répond par le martèlement de sa semelle… » Lisez Tesson et partez (ou l’inverse : partez et lisez-le au bivouac).
Rencontré ce matin Sylvain Tesson chez mon nouvel éditeur (le même que lui : Les Equateurs). L’auteur du « Petit traité sur l’immensité du monde » (évoqué sur ce blog, comme deux autres de ses précieux livres), est un petit homme sec et tout en muscles, le cheveu ras, l’humour à fleur de lèvres. De ces hommes rares qui écoutent l’autre, s’intéressent, font montre d’une gentillesse naturelle. Aucun calcul semble n’avoir jamais traversé sa vie. Homme des grands espaces, solitaire amoureux fou de nature sauvage, marcheur impénitent (comme Montaigne et Olivier Germain-Thomas, il pense par les pieds, puis laisse infuser), celui que je persiste à comparer à Bruce Chatwin, Paul Théroux, Nicolas Bouvier et quelques autres travel-writers, n’est pas comme Nicolas Vanier, faux Jack London (que je voyais de temps à autre, avant qu’il ne devienne la star des traîneaux sponsorisés que l’on sait). Humble, vrai, Sylvain Tesson repart toujours (il m'a d'ailleurs semblé étrange de faire sa connaissance à Paris) –dans quelques jours passer son examen de saut en parachute, puis en Bretagne. Après ? –Quelque part dans le vaste monde, loin de la civilisation qui nous bouffe tout cru. Une rencontre.
Un bienfait principal du voyage en train est de nous permettre d'avaler des livres tandis que la micheline avale les kilomètres. Le TGV tend à devenir mon salon de lecture favori. Avant-hier, à la faveur d'un retard de deux heures entre Bordeaux et Paris, j'ai pu engouffrer la totale de Jean de La Ville de Mirmont, qui reparaît donc en semi-poche (Les Cahiers Rouges). J'ai déjà dit ici le bien que je pensais des poèmes de L’Horizon chimérique, de l’absurde troublant des Contes, de l’énigmatique roman Les Dimanches de Jean Dézert.
Puis, j’ai pris Je vivais seul, dans les bois, de Henry David Thoreau, en folio à 2€ (premier et long chapitre de son fameux Walden) : écolo, roots, authentique -nous sommes en 1845 ; « into the wild » , genre…
Enfin, j’ai lu Les grandes blondes, de jean Echenoz (minuit/double). Là, les étincelles stylistiques qui font sens et qui définissent à mes yeux une certaine littérature contemporaine, française, vraiment jouissive, que le catalogue des éditions de Minuit reflète bien depuis une vingtaine d’années, a repoussé les limites de ma fatigue et une légitime propension à m’endormir, bercé par les vibrations et le ronronnement du wagon.
Trois exemples : un court, un plus long et un autre en guise de sujet de réflexion :
« Donatienne (s’exprime) d’une voix rapide, acérée mais fragile comme une arête de craie."
« … il retire un quarante-cinq tours de sa pochette, il dépose Excessif sur la platine. Debout près de la fenêtre il aperçoit, sur le boulevard, une femme en cuir en train de s’extraire d’un véhicule diesel. La chanson passe, il écoute les paroles, il fait éclater entre ses doigts les petites bulles en plastique de l’enveloppe, l’une après l’autre, comme il traitait déjà, trente ans plus tôt, en famille en vacances, les petites bulles de varech sur les roches submergées de la presqu’île de Giens (Var). »
Enfin, il y a ce début de chapitre (le sixième) : « On peut se représenter le sommeil sous plusieurs formes. Echarpe grise, écran de fumée, sonate. Vol plané d’un grand oiseau pâle, portail vert entrouvert. Plaines. Mais aussi nœud coulant, gaz asphyxiant, clarinette basse. Insecte rétracté sur sa vie brève, dernier avis avant saisie. Rempart. C’est une question de style, c’est selon la manière dont chacun dort ou pas, selon les rêves qui l’éborgnent ou l’épargnent . »
Et pour vous, le sommeil revêt quelle forme, a quelle image ? C’est la question du jour. A vous !
"Pour chercher le duende, il n'existe ni carte ni ascèse. On sait seulement qu'il brûle le sang comme une pommade d'éclats de verre, qu'il épuise, qu'il rejette toute la douce géométrie apprise, qu'il brise les styles, qu'il appuie sur la douleur humaine qui n'a pas de consolation."
Federico Garcia Lorca, Jeu et théorie du duende, (conférence prononcée en 1933 à Buenos-Aires et à Montevideo). Texte bilingue chez Allia.
Un buste de Jules César a été découvert en Arles en 2007. La nouvelle, secrètement gardée, est "tombée" il y a quelques jours seulement (Une du Monde, jeudi ou vendredi dernier). Il pourrait s'agir du seul buste réalisé du vivant du dictateur romain.
Il est émouvant, étonnament moderne, si loin, si proche. Touchant, même. Contemporain, en somme.
Il y a juste un truc qui cloche et qu'il me coûte de dire : je n'ai pas pu m'empêcher de trouver à cette sculpture une étrange ressemblance avec George W. Bush*. Et -cela va sans dire, mais-, je trouve infiniment plus de classe et de talent à l'auteur de La Guerre des Gaules, qu'à l'hôte pitoyable de la Maison-Blanche...
Et vous?
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* Pas sur cette photo, mais sur une video qu'il m'a été donné de regarder sur le fil audiovisuel de l'AFP (disponible notamment en se rendant sur la page d'accueil de Yahoo).
A propos, je vous donne une autre info, assez méconnue : on a coutume de penser que les gladiateurs, en entrant dans l'arène, s'adressaient à celui qui la présidait (l'empereur ou un autre personnage d'importance), en lui adressant le fameux brindis suivant : "Ave César, morituri te salutant" (ceux qui vont mourir te saluent). Et bien c'est faux! J'en crois Paul Veyne, éminent spécialiste de la Rome antique. Il l'affirme dans l'un de ses ouvrages, Sexe et pouvoir à Rome, recueil d'articles donnés à la revue L'Histoire, au chapître intitulé Les gladiateurs, artistes maudits (Points).
Ce pourrait être l'une des définitions de l'existence, l'un de ses axiomes, son antienne la plus rejouée. Arioste (dans Orlando furioso, le Roland furieux) et bien d'autres, disent ceci (là, c'est Lucrèce, dans La Nature des choses, cité par Montaigne dans le chapitre LIII, intitulé D'un mot de César, du Livre I de ses indépassables Essais) :
"Tant qu'il nous fuit, l'objet de notre désir
Nous paraît plus désirable que tout le reste.
S'offre-t-il à notre prise, notre désir se porte ailleurs
Et la même soif nous tient en suspens, bouche ouverte."
Je le savais depuis le début (juin 2007), mais je ne voulais pas en faire état. Cela fait (à ma connaissance) deux fois que ce blog est cité par France Inter (lien ci-dessus), comme un blog du plaisir, bla-bla, un blog intéressant et dédié aux bonnes choses et bla-bla et recommandablablabla... (une fois par Alexandre Boussageon, une autre par David Abiker). Et puis ce matin, je me suis dit : on est une petite poignée à échaffauder ce blog, il faut que j'informe les doigts de la main.
Merci à vous d'enrichir KallyVasco chaque jour et chaque nuit! Il n'est qu'à citer le 24ème commentaire, qui vient juste de tomber sous la note "Oblatif, oblada...", d'un certain Blond d'Aquitaine, pour se convaincre de la qualité des intervenants!.. Un blog est un produit en commun.
Doit-on opposer le fameux Carpe diem d'Horace (et sa suite chrétienne : e memento mori) : cueille le jour et souviens-toi que tu es mortel, à la pensée de Spinoza : L'homme libre ne pense pas à la mort, sa sagesse n'est pas méditation de la mort, mais méditation de la vie. Qu'il faille constamment chercher l'ataraxie, la paix de l'âme, en considérant que cette quête est recevable uniquement dans la vie, me semble certain (à condition de ne pas croire en un au-delà). Et qu'il faille avoir le souci (socratique) des autres, jusqu'au presqu'oubli de soi,aussi. Sénèque : Vis pour autrui, si tu veux vivre pour toi. L'Evangile -que je ne fréquente guère- dit pourtant, en substance, que la bonté suppose le désintéressement total. Elle doit être en quelque sorte spontanée et irréfléchie, sans le moindre calcul, sans la moindre complaisance en soi-même. Pure théorie, c'est vrai... Selon le philosophe Pierre Hadot, seul Marc-Aurèle a atteint ce sommet. Relisons Marc-Aurèle...
La gourmandise est faite de connivences inattendues et de correspondances inédites. Les amateurs de crème de marrons sont des passionnés : qu’un étranger évoque leur penchant dans un compartiment de train ou sur le zinc d’un bistrot et leur œil s’allume, leur sourire apparaît, leur regard devient lumineux, curieux ; ami. La conversation s’engagera inévitablement et quelque chose naîtra entre deux inconnus que rien ne liait jusque là. La crème de marrons possède cette magie de créer des liens entre aficionados silencieux, car un peu seuls avec leur gourmandise. Avouez que beaucoup n’aiment pas la crème de marrons et je me demande toujours pourquoi ils n’apprécient pas cette ineffable onctuosité, cette sensation infiniment sensuelle procurée par une incomparable consistance, ces saveurs d’automne, ce goût de nature (ardéchoise) brute, adouci par un sucré subtil et un vanillé indispensable… J’aime la crème de marrons. À même le pot avec une cuiller, le matin et le soir, ou bien avec du fromage frais. Mais elle est meilleure toute seule. La crème de marrons est la madeleine de ses aficionados : leur plaisir remonte à l’enfance. Souvent j’ai été tenté de lancer un appel aux gourmands de mon espèce pour créer un club d’amateurs (qui existe sans doute déjà) et je confesse un plaisir formidable à en déguster en compagnie d’un ou d’une qui l’aime autant que moi. Par goût du partage simultané. Comme avec un grand sauternes. Mais cela est étrangement rare. Les bonnes crèmes de marrons ne sont pas légion et celle de Clément Faugier –qui inventa la sienne en 1885 en utilisant astucieusement des bris de marrons glacés mêlés à la farine de châtaignes, du sirop de confisage, du sucre et de la vanille -, excellente, présente l’avantage d’être disponible à peu près partout, en boîtes de plusieurs tailles et même en tube ! Ah le tube de crème de marrons… Je ne connais pas de meilleur dentifrice. En montagne, c’est mon trompe-creux de huit ou neuf heures. J’ai noté un jour dans un carnet, pour définir le poids de l’ennui, que certains dimanches après-midi étaient aussi épais que de la crème de marrons. Mais avec elle, l’ennui désépaissit. Lorsque je prends une copieuse cuillerée de crème de marrons, j’ai l’impression de rouler une pelle à Clément Faugier. Bizarre. L.M.
Tu vas avoir quatre-vingt deux ans. Tu as rapetissé de six centimètres, tu ne pèses que quarante-cinq kilos et tu es toujours belle, gracieuse et désirable. Cela fait cinquante-huit ans que nous vivons ensemble et je t'aime plus que jamais. Je porte de nouveau au creux de ma poitrine un vide dévorant que seule comble la chaleur de ton corps contre le mien.
J'ai compris avec toi que le plaisir n'est pas quelque chose qu'on prend ou qu'on donne. Il est manière de donner et d'appeler le don de soi de l'autre. Nous nous sommes donnés l'un à l'autre entièrement.
Nous serons ce que nous ferons ensemble.
Tu m'avais fourni la possibilité de m'évader de moi-même et de m'installer dans un ailleurs dont tu étais la messagère. Avec toi je pouvais mettre ma réalité en vacances. Tu étais le complément de l'irréalisation du réel, moi-même y compris, auquel je procédais depuis sept ou huit ans par l'activité d'écrire. Tu étais porteuse pour moi de la mise entre parenthèses du monde menaçant dans lequel j'étais un réfugié à l'existence illégitime, dont l'avenir ne dépassait jamais trois mois. Je n'avais pas envie de revenir sur terre. Je trouvais refuge dans une expérience merveilleuse et refusais qu'elle soit rattrapée par le réel.
J'aimais que tu me réclames tout en me laissant tout le temps dont j'avais besoin.
Tu étais unie, disais-tu, avec quelqu'un qui ne pouvait vivre sans écrire et tu savais que celui qui veut être écrivain a besoin de pouvoir s'isoler, de prendre des notes à toute heure du jour ou de la nuit; que son travail sur le langage se poursuit bien après qu'il a posé le crayon, et peut prendre totalement possession de lui à l'improviste, au beau milieu d'un repas ou d'une conversation.
Aimer un écrivain, c'est aimer qu'il écrive, disais-tu. "Alors écris!"
En été nous admirions les acrobaties aériennes des hirondelles dans la cour de l'immeuble et tu as dit : "Que de liberté pour si peu de responsabilité!".
La découverte avec toi de l'amour, allait enfin m'amener à vouloir exister; et mon engagement avec toi allait devenir le ressort d'une conversion existentielle.
Une annotation de Kafka dans son Journal peut résumer mon état d'esprit d'alors : "Mon amour de toi ne s'aime pas." Je ne m'aimais pas de t'aimer.
"Je ne veux plus remettre l'existence à plus tard." (Georges Bataille).
Une main amie m'a fait un cadeau gigantesque, hier : le coffret de 13 CD de Michel Onfray sur Montaigne. C'est son cours de philosophie donné à l'Université populaire de Caen en 2004. J'en avais entendu quelques extraits, subjugants, sur France Culture. J'en avais rêvé, ... l'a fait.
Pour les écouter tranquillou, je sens que je vais monter dans Pépètte (ma wouature) et rouler -au hasard- jusqu'à Séville... Avec une halte-hommage(s) à Bordeaux...
Si vous connaissez déjà ces CD, n'hésitez pas à partager ici vos impressions.
Je le répète, le but premier et principal de ce blog est de "faire passer". Aussi tout est bon : une recette, un cadeau, un cd, une lecture, une rencontre, une lumière, un lever de lune, un coucher de brune, un cours de philo sur Montaigne itou, donc. Allez, Zou! Et si vous ignoriez ces cours de "Contre-histoire de la philosophie" (concentrés également en volumes qui paraissent régulièrement chez Grasset -ce blog s'est fait l'écho des premiers : fouillez), cela ne fait rien! Parlons de Montaigne, d'Onfray, de n'importe quel passage des Essais... Re-Zou (allez)!
Tu coupes en petits morceaux une mangue et une pêche, effeuilles de la coriandre, presses un citron, t'attrapes un dos de cabillaud, le poêles un chouia, et tu mets tout ça dans du papier sulfurisé que tu fermes, façon papillote. T'as salé et poivré, avant. Et au four ! C’est bientôt prêt. Du riz, et zou. Autant de papillotes que de bouches à nourrir.
Tant que ça cuit, tu prépares une salade avec oranges pelées, feuilles de chêne, jeunes carottes marinées (un peu avant) avec huile d’olive et cumin, de l’eau de fleur d’oranger, une pincée de cannelle, des olives noires, et zouzou. Dessert ? Bé... une salade de gariguettes (elles sont belles et leur goût est enfin arrivé) avec des feuilles de menthe et du jus de fruits frais en pack, genre multivitamines. Pas de sucre, malheureux ! Bon, allez, à table…
Mardi. Muriel et Pascale toujours aussi belles. Surtout devant une assiette d’antipasti del nonno. À côté d’elles, les brunes qui passent devant la terrasse paraissent fades. Ce sont mes sœurs, pourquoi ? La voiture sent le renfermé après quatre mois de jachère. Putain de garde à vue (penser à créer ce Prix littéraire que je nommerai Le GAVé. Il récompensera le plus beau récit de Garde A Vue. Avis…). Bosser avec Gérard et les filles me fait aimer le travail autant que la plage. Gérard conduit trop. Ses aller-retour hebdomadaires à Izotges, Gers, le crèvent. Nous n’irons pas au bal, ce soir. En revanche, l’œil malicieux de Sophie invite à décompresser autour de deux Perrier-tranche. Notre amitié cristallise comme un pot de miel au fond d’un placard de résidence secondaire. Elle a un dîner. Sur son visage, je lis une sérénité qui me fait plaisir. J’aime Saint-Germain-des-Près en cette saison, encore basse. Rien ne presse. Personne ne m’attend, excepté le chat de ma fille, à l’appétit vagabond. Havanes, librairie. Enfin échoué, je dépose ma carcasse, sac de marin, savoure mon être-au-monde en regardant le ciel noir que je sais étoilé. Le quotidien oblige à négliger notre conscience du pur bonheur d’exister. Léonard Cohen, un thé vert, mon chien (ce blog). « Et si la littérature était un animal qu’on traîne à ses côtés, nuit et jour, un animal familier et exigeant, qui ne vous laisse jamais en paix, qu’il faut aimer, nourrir, sortir ? » (Roger Grenier). Pour un peu, je me sentirais à la campagne. Manquent les parfums de la nuit : menthe glacée, ronce, terre tiède.