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Théâtre

  • Aragon, pschitt

    Capture d’écran 2022-11-30 à 14.06.40.pngCapture d’écran 2022-11-30 à 14.06.10.pngCapture d’écran 2022-11-30 à 14.05.38.pngLa poésie militante ou insipide, pénible d'Aragon sent parfois la sueur. Ses poèmes incontinents (il perd aussi son prénom, Louis, sur les trois couvertures) proposés par Gallimard ce mois-ci : Persécuté Persécuteur, Les Chambres (sous-titre : Poème du temps qui ne passe pas), Les Adieux et autres poèmes, m'ont laissé froid. Lire un éloge de Lénine, un autre à la gloire de Staline ne passe plus, et le sigle URSS inscrit à tout bout de vers révulse, quoiqu'on sache du rôle de potiche, de plante verte du PCF qu'occupa le talentueux auteur du Fou d'Elsa au cours de ces années de plomb (lequel servit aussi à imprimer du Aragon). Ce sont là des mots fades, incapables de générer l'émotion, enfilés à la suite les yeux fermés on dirait, même lorsqu'il s'agit de l'immense Hölderlin (son long poème consacré ressemble à une copie de potache chargé d'exécuter un commentaire de texte), tout cela est écrit à la va comme je te pousse, et ne devrait en réalité pas être rassemblé, et proposé (à nouveau) à la lecture. Aragon vieillit mal. Même lorsque, tardivement, il évoque encore Elsa en fin de vie, cela sent l'amour faisandé, le passé suranné - par manque de déodorant sans doute. Et l'on se dit qu'il eut peut-être mieux valu ne pas écrire du tout, se taire et regarder, pleurer mais laisser sa plume tranquille, ou bien faire feu et flamme. Sauf que là, c'est pschitt à chaque page. Le talent a disparu... 

    Ce n'est pas le cas de Pierre Mendès France (coq à l'âne) dont les portraitsCapture d’écran 2022-11-30 à 13.59.42.png d'hommes politiques qui comptent (Churchill, de Gaulle, Ferry, Zola, Caillaux, Briand, Herriot, Jaurès, et Hubert Beuve-Méry !..) dans le recueil La vérité guidait leurs pas, exhalent le sérieux de l'analyse derrière une admiration prudente. La plume de PMF est franche, droite, comme l'homme politique le fut toute sa vie. Sa trempe manque terriblement à cette Ve république sénescente et qui n'engendre que des clowns à l'intérêt autocentré. Mendès représente aujourd'hui une gauche disparue, hélas, pétrie d'humanisme et d'intérêt général - une valeur fondamentale en voie de dilution, lorsqu'elle eut le pouvoir ; sous sa houlette.

    Capture d’écran 2022-11-30 à 14.00.31.pngRegistre voisin, Régis Debray, avec D'un siècle l'autre, un titre célinien, poursuit son autobiographie intellectuelle, désabusée, car l'homme protéiforme, limite caméléon touche-à-tout de génie est revenu de tout (l'auteur a réellement envie de nous faire savoir qu'il a tout vu, tout fait, tout compris), son existence est jalonnée d'expériences à haute valeur ajoutée, certes (le révolutionnaire emprisonné, le conseiller du Prince, le médiologue, le romancier, l'essayiste), qu'il sait mettre en valeur sans trop plastronner, quoique. Un côté Papy, raconte-nous encore l'Indo ! sans que l'on demande au Papy de nous raconter encore l'Indo, remonte à la surface de la lecture... Au soir de sa vie, Debray dresse le bilan, à la colonne PP, pour pertes et profits. D'autres volumes paraîtront. Déjà, L'exil à domicile est sorti ce mois-ci. Pas encore lu. Nous attendons néanmoins la suite de cette suite. 

    Enfin,  kilo de cerises sur le gâteau, un volume capiteux, les Tragédies complètes deCapture d’écran 2022-11-30 à 14.04.59.png Sénèque, 1000 pages, occupera nos prochaines après-midi. Pensez ! Oedipe, Les Phéniciennes, Hercule furieux, Hercule sur l'Oeta, Médée, Phèdre, Thyeste, Les Troyennes, Agamemnon sont capables de nous faire oublier un rendez-vous chez le dentiste. Nous y reviendrons, ici. Merci la collection folio. L.M.

     

     

  • Autre besoin récurrent...

    Capture d’écran 2022-05-25 à 09.55.17.png... Celui de retomber sur un passage de Bérénice, de Racine, dans la scène IV du premier acte : 

     

    Antiochus :

    Rome vous vit, madame, arriver avec lui. 

    Dans l'Orient désert quel devint mon ennui !

    Je demeurai longtemps errant dans Césarée,

    Lieux charmants où mon coeur vous avait adorée.

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    Cela m'évoque aussitôt Flaubert, et l'incipit de Salammbô

    C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar.

    Il y a des des jours et des phrases, comme ça, qui sont autant d'invitations au voyage à partir des ailes d'un livre ouvert...

     

    Capture d’écran 2022-05-25 à 10.07.26.pngJe me dis d'ailleurs qu'il faudrait que je songe à reprendre, en l'augmentant d'une anthologie antonyme, celle des excipit (et pourquoi pas en une maquette tête-bêche), mon petit bouquin Premières phrases de romans célèbres paru en 2006 (fitway)...   Cliquez ici => Mon introduction à cette petite anthologie

  • So sweet was never so fatal

    J’ai repris Othello, ce matin, afin de retrouver ce moment de la scène finale (la II, de l’acte V), où le héros shakespearien s’apprête à tuer Desdémona, qu’il accuse d’adultère avec Cassio, au prétexte que ce dernier aurait été vu avec un mouchoir qu’Othello avait offert à sa belle. Je souhaitais plus précisément retrouver cette phrase si émouvante dans la langue de William : « So sweet was never so fatal », qui devient, dans la traduction qu’en donne François-Victor Hugo (La Pléiade/Gallimard) « Jamais chose si douce ne fut aussi fatale », car j’aime ce vers. Et je suis tombé sur une réplique d’Othello en forme d'onomatopée qui m’a laissé tout chose l'espace d'un instant. Lisez ci-dessous, vous comprendrez... L.M.

    IMG_1945.jpg

  • Visages de Camus

    Capture d’écran 2020-01-20 à 23.19.59.png

    Cliquez et regardez => Les vies d'Albert Camus

    Voilà un film magnifique, signé Georges-Marc Benamou, déjà visible sur le site de France 3, et qui sera diffusé mercredi à 21h05. Les images d'archives, colorisées pour la plupart, et issues notamment du fonds Gallimard, sont émouvantes. Nous y retrouvons la galaxie de Camus, ses amis, ses amantes, et une partie de la nébuleuse anonyme des humbles qui ont gravité autour de l'auteur du Premier homme. Parti-pris sans doute, nous entendons sa voix, nous le voyons souvent et cela ajoute à notre plaisir, mais il n'est jamais montré en train de parler... Le récit est simplement chronologique, cela ne nuit en rien le processus narratif, mais il commence fatalement par l'accident du 4 janvier 1960. Hormis un montage détestable dans ce genre de documentaire, et heureusement bref, sur les derniers instants de la vie de Camus dans la Facel Vega, route de Villeblevin, l'ensemble nous est apparu éblouissant car riche, tendre, franc, et somme toute assez complet sur le kaléidoscope Camus : Le séducteur, l'amoureux, le journaliste - historien au jour le jour -, le romancier, l'essayiste engagé, l'humaniste. Ainsi que chacun des thèmes phares de sa vie : La pauvreté originelle, le rôle de M. Germain l'instituteur et père de substitution, la mesure des tragédies du XXe siècle qui préservera Camus de toute tentation extrémiste, l'omniprésence de la Méditerranée dans son corps et dans son esprit, la blessure de l'impossible trêve civile en Algérie aux moments des événements devenus guerre, l'échec du dialogue avec le monde germanopratin et sartrien, l'importance de la mère, l'amitié forte avec une poignée de fidèles... Certains témoignages, comme celui de Mette Ivers, dernière amante de Camus, et celui de Michel Bouquet, sont bouleversants. Il y a également le récit chaleureux de Max-Pol Fouchet, les quelques mots essentiels de Jules Roy pour augmenter la valeur-ajoutée de ce film, et par conséquent l'émotion que nous éprouvons jusqu'au bout. Cliquez et regardez. Puis reprenez les livres de Camus. Tous. Et faites passer. L.M.

     

  • Oreste en rut, ou l'instinct racinien

    Capture d’écran 2019-08-03 à 09.18.23.png

    Le héros racinien est un chevreuil en rut. Prenez d’un côté Oreste. Vous observez un personnage en proie à un transport (amoureux) qui l’entraîne hors de lui-même, voire à un destin, si l’on veut faire plus tragique. C’est la même chose. Il est devenu le sujet des Dieux qui tirent les ficelles de sa vie comme ils l’entendent. Il sent, sait (?) souhaite sa passion fatale. Il se fiche de tuer, voire de mourir pour posséder cequ’il convoite. La passion est invincible, et elle nécessite du malheur, qui l’alimente, tout en fondant le rebondissement indispensable à toute mécanique tragique. Oreste ne peut rien sur soi, mais peut encore pour soi, comme se plait à le préciser l’immense connaisseur de l’œuvre de Racine que fut Raymond Picard, et dont je m’inspire ici. Il aime d’un amour « fou » Hermione (qui aime Pyrrhus, qui aime Andromaque, qui n’aime qu’Hector, son époux défunt). C’est la chaîne tragique. La faiblesse d’Oreste, sa faute, ou plutôt son aveuglement est de penser que la puissance de son amour aura raison du refus d’Hermione. Il ne s’interroge pas sur la force de l’amour. La testostérone semble pousser le cœur du coude pour figurer au premier rang. Sûr de son destin, il croit que celle qu’il aime et qui ne l’aime pas finira forcément par l’aimer. Ben voyons. On se croirait dans une émission de téléréalité, sauf que Racine en a fait une grande tragédie. Prenez à présent l’un des chevreuils en rut que j’observais à l’aide de mes jumelles hier soir, à la tombée du jour. Les mâles aboient – c’est comme ça que l’on dit, et il s’agit vraiment d’un aboiement. Ils défient, ne pensent pas un instant qu’une seule chevrette songerait à leur résister, une fois les concurrents écartés, combattus, éliminés. Trop sûrs d’eux... L’instinct les gouverne, à l’instar des Dieux. Cette force les meut mais ne les émeut pas. Certes, le sens inné du devoir de reproduction de l’espèce préexiste à toute parade nuptiale dans le monde animal. Cependant, s’agissant d’aveuglement, le héros racinien comme le chevreuil en rut au cœur de l’été sont mêmement emportés par une puissance qui semble leur échapper, et qui n’est guère belle à voir pour un esprit délicat épris de tendresse et de tact. Vanité...  C’est pourquoi les chevrettes, et les héros raciniens féminins – Hermione, Andromaque-, sortent ontologiquement vainqueurs d’un combat qu’elles n’ont pas à mener. Et leur silence est pur. J’aime.

  • Un inédit de Rostand

    IMG_20181218_113337_resized_20181218_113430117.jpgÀ défaut de publier un inédit de Marcel Proust, Atlantica livre un inédit d’Edmond Rostand, « La Maison des amants ». Ce n’est pas rien. C’est même beaucoup. Certes, cette pièce est inachevée. Mais la beauté réside dans l’inachevé, quoi qu'en dise l'un de ses personnages (lire plus bas). C’est l’acte I d’une pièce prévue en trois. Le premier tiers. Le reste est à imaginer, à échafauder, construire, détruire, refaire. Jusqu’au quatrième tiers... Et, si l’on considère « Cyrano de Bergerac » comme l’un des plus beaux textes jamais écrits en langue française, nous ne regrettons pas l’hypothétique exhumation d’un Proust de derrière les tiroirs brinquebalants aux relents de naphtaline. Après tout, Marcel manqua le Goncourt et Edmond connut un succès populaire foudroyant. Ces deux-là n’ont pas fini de connaître les lois de l’apogée... Le succès de « La Recherche » fut plus lent, mais pas moins durable. Sur la ligne de départ, les paris auraient pu aller bon train. Marcel demeure un ton au-dessus, celui de l’introspection. J’ai plaisir à le nommer ornithologue de l’homme – ce drôle d’oiseau. Rostand est bien plus généreux, débonnaire sans compter, cash en somme. Et puis ils sont incomparables à la fin – pourquoi cette digression, je vous le demande ?.. Cette « Maison des amants » est d’une facture plutôt prude, elle cultive le tact et la bienséance comme d’autres le haricot tarbais ou le voussoiement. Le titre est beau et prometteur. Les aficionados d’Edmond avaient eu la joie de découvrir un premier inédit voilà quelques années : « Le Gant Rouge ». Voici, par l’entremise d’un spécialiste incontesté de l’œuvre de Rostand, l’universitaire Olivier Goetz (maître de conférences en arts du Spectacle à l’Université de Lorraine, et entre autres co-organisateur d’un colloque qui se tint à Arnaga – Cambo, demeure-musée de l’auteur de « L’Aiglon », en septembre dernier, sur le thème suivant : Poésie du spectacle et spectacle de la poésie dans l'oeuvre d'Edmond Rostand), ce début de pièce interrompu par la maladie, la guerre et enfin la mort de son auteur de la grippeIMG_20181218_113250_resized_20181218_113429716.jpg espagnole le 2 décembre 1918 – il y a tout juste un siècle -, qui devait narrer l’amour absolu entre Joconde et Hermeril (« Cyrano » fut donné en novembre 1897, mais les feuillets de cette pièce inachevée datent de 1895). C’est vif et primesautier, léger et frais, en vers, et contre toute attente cinq scènes en disent déjà long, sur une petite quarantaine de pages aérées. Les amants ne « parlent » cependant pas dans ce premier acte, et nous le regrettons. Ils sont évoqués par d’autres personnages, ce qui rend l’extrait encore plus appétant ; et frustrant. Qu’importe ! Un certain Taldo déclare, page 33 :

    « C’est le seul grand amour que j’attends, que j’espère.

    Pas d’amour à mi-cœur, pas d’amour à mi-ciel.

    J’adore le parfait. Je hais le partiel.

    L’incomplet me paraît ce qu’il y a de pire,

    Et c’est à l’absolu, seulement, que j’aspire. »

    Tout Rostand...

    L’ouvrage comprend par ailleurs le fac-similé du manuscrit enrichi, raturé, corrigé de la main de son auteur, ce qui constitue déjà un précieux document : voir le travail en cours et tenter de deviner ce qui se passait dans la tête de celui qui cheminait sur le papier IMG_20181218_113313_resized_20181218_113430503.jpgcrayon en main, est toujours émouvant. Un texte de Goetz, « Exquise esquisse », analyse la genèse de la pièce, et clôt ce petit bouquin précieux et co-édité avec la Villa Arnaga-Musée Edmond Rostand, propriétaire du manuscrit. À quelques jours de découvrir au cinéma (le 9 janvier) le film « Edmond » (d')après la pièce homonyme (et formidable, nous l'avons vue il y a quelques mois au théâtre du Palais-Royal, à Paris), du même Alexis Michalik, l'actualité a du pif et ne manque pas de panache. L.M.

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    Atlantica, 13€

     

  • Macbeth à bouffer du foin

    Capture d’écran 2018-02-10 à 20.14.46.pngVous souhaitez être dégoûté du théâtre, détester Shakespeare, haïr les comédiens : Allez donc voir le Macbeth mis en scène par Stéphane Braunschweig à l'Odéon (Paris VIème, vous avez jusqu'au 10 mars pour ce faire). Car, voilà une mise en scène indigente comme on en voit guère plus, sinon dans certains Lycées de province, lors des kermesses de fin d'année animées par les théâtreux boutonneux de classes de seconde.

    L'amateurisme est ici un euphémisme. L'emphase un diminutif. La cohésion d'une troupe une vue de l'esprit. Le décor une plaisanterie. Le jeu des acteurs une chimère. L'émotion un rêve. L'enchainement improbable des scènes une pitoyable dose de sueur. La narration impose un train laborieux.  La récitation scolaire d'un texte pourtant beau figure une punition (même si les époux Macbeth sont en soi une tragique et intemporelle sinécure relativement aisée à dynamiser, voire à dynamiter - on en a vu d'autres, des Macbeth davantage sentis, autrement plus incarnés).

    Rien ne va. Rien ne passe : aucun courant, aucune sensation, rien. De rien. Près de trois heures à se morfondre et à enrager, et même si les voisins de rang foutent le camp un à un, rester pour voir. Jusqu'au bout -Heureusement, à la fin il y en a qui sifflent le spectacle. Cela conforte. De maigres applaudissements convenus signent un satisfecit poli, voire syndical.

    Shakespeare fut absent hier soir, l'à-peu-préisme souverain, le laxisme éloquent, la déception majuscule. Le plaisir enfin, en berne totale. Ni Py ni Bondy (mais pas Strehler) n'étaient parvenus à nous infliger une telle peine sans raison valable. Nous n'avions pourtant commis aucune infraction ni aucun crime avant de venir... La scène de l'Odéon nous est (provisoirement) devenue une sous-rien. ¡Hasta la vista! L.M.

  • El Cid


    Capture d’écran 2017-11-14 à 10.58.20.pngUn lépreux : Merci Seigneur El Cid.


    Rodrigue : Tu sais donc comment on m’appelle. 

     

    Le lépreux : Il n’y à qu’un seul homme en Espagne qui puisse humilier un Roi et faire boire un lépreux à son outre.

     

  • Grand Finale / Hofesh Shechter

    Capture d’écran 2017-06-15 à 15.01.42.png

     

     

    Vu, hier soir à la Villette (Paris) un spectacle du jeune et déjà immense chorégraphe britannique d’origine israélienne Hofesh Capture d’écran 2017-06-15 à 17.21.36.pngShechter : «  Grand Finale ». Comme il s’agissait d’une première mondiale, ses dix danseurs et son ensemble de cinq à sept musiciens, étaient galvanisés. L’émotion – parfois extrême : le bord des larmes, la teneur, la force (jusqu’au frisson), la suavité, la poésie, et aussi la brutalité, le cru, la puissance tellurique de la musique supplémentaire qui remuait les ventres, les images, la lumière d’une précision d’horloger genevois – un spectacle comme en noir et blanc -, et puis, comme toujours en pareille occasion, les références, réminiscences, métaphores, comparaisons, évocations, illuminations même, qui affluent à notre esprit et à notre corps défendant, Capture d’écran 2017-06-15 à 17.21.52.pngcar celui-ci lutte avec notre sensibilité, laquelle emporte toujours la partie. Oui, la peau met chaque fois awazate ippon les neurones. Pêle-mêle surgirent (en moi)  les camps de la mort et le remplissage de leurs fosses communes par des esclaves dédiés, les Réfugiés de ces jours-ci, le gaz propagé au-dessus d’un village syrien peuplé d’enfants, Moïse fendant la mer, le cuirassé Potemkine et l’écho qu’en donnât Eisenstein, la stupéfiante gaité mélancolique des déracinés, les danses tziganes et ashkénazes mêlées, des folklores

    Capture d’écran 2017-06-15 à 15.02.00.pngextrêmement orientaux, et soudain si proches, des tableaux comme une expo photo, et puis Hiroshima, et encore Anselm Kiefer et ses créations fortes et lourdes, verticales et épaisses, Soulages et ses monumentales noirceurs d’une luminosité aveuglante, la Renaissance désirée comme au sortir du roman apocalyptique « La route », de Cormac McCarthy, et le sourire suggéré en seconde partie du spectacle. Mais surtout… Une chorégraphie de groupe – non pas synchronisée, à l’américaine -, mais en symbiose totale, en tacite conduction, en « commune présence ». Comme si ces dix danseurs d'exception étaient conduits par une force intérieure, et 
    Capture d’écran 2017-06-15 à 15.16.23.pngen partage absolu. Douceur, mollesse under control, flagada professionnel, alternent avec une rigueur magnifiquement brusque, dont le coupant du geste, et la fulgurance rythmée, n’ont d’égales que l’abandon des corps dans les muscles des autres, soit ceux qui retiennent, ceux qui restent, ceux qui veillent. Et cela recommence. L.M.

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    Capture d’écran 2017-06-15 à 15.17.05.pngLe spectacle est donné jusqu’au 24 juin. Au-delà de cette date, vous serez exposé à un accès de manque peu recommandable.

  • je marche à toi

    Capture d’écran 2017-03-08 à 01.06.41.pngJ'ai écouté la voix de Jean-Louis Trintignant ce mardi soir, à la salle Pleyel (Paris). Il a lu de nombreux poèmes de Desnos, de Prévert, de Vian... Le plus émouvant, de loin, car il invoquait le souvenir de Marie sa fille, est de Gaston Miron, et ce sont les derniers vers du long poème intitulé La marche à l'amour, extrait du recueil L'homme rapaillé). J'ajoute que, sans les violoncelles, la contrebasse et l'accordéon (Daniel Mille) superbement mis au service de la musique d'Astor Piazzolla, ce spectacle formidable n'aurait rien donné ; ou si peu. Voici le poème majeur - arrangé, allongé par Trintignant :

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    je marche à toi, je titube à toi, je meurs de toi

    lentement je m'affale de tout mon long dans l'âme

     

    je marche à toi, je titube à toi, je bois

    à la gourde vide du sens de la vie

    à ces pas semés dans les rues sans nord ni sud

    à ces taloches de vent sans queue et sans tête

     

    je marche à toi, je titube à toi, je meurs de toi

    lentement je m'affale de tout mon long dans l'âme

     

    je marche à toi, je titube à toi, je bois

     

    je n'ai plus de visage pour l'amour

    je n'ai plus de visage pour rien de rien

    parfois je m'assois par pitié de moi

    j'ouvre mes bras à la croix des sommeils

    à la croix des sommeils

     

    mon corps est un dernier réseau de tics amoureux

    avec à mes doigts les ficelles des souvenirs perdus

    je n'attends pas à demain je t'attends

    je n'attends pas la fin du monde je t'attends

    dégagé de la fausse auréole de ma vie

     

    je n'attends pas à demain je t'attends

    je n'attends pas la fin du monde je t'attends

    je n'attends pas à demain je t'attends

    je n'attends pas la fin du monde je t'attends

     

    je t’attends…

     

     

  • Bon appétit, Messieurs!

    RUY BLAS - Victor Hugo
    Acte III - Scène 2 :

     

    Ruy Blas, survenant.


    Bon appétit, messieurs ! 

    Tous se retournent. Silence de surprise et d'inquiétude. Ruy Blas se couvre, croise les bras, et poursuit en les regardant en face.

    Ô ministres intègres !
    Conseillers vertueux ! Voilà votre façon
    De servir, serviteurs qui pillez la maison !
    Donc vous n'avez pas honte et vous choisissez l'heure,
    L'heure sombre où l'Espagne agonisante pleure !
    Donc vous n'avez ici pas d'autres intérêts
    Que remplir votre poche et vous enfuir après !
    Soyez flétris, devant votre pays qui tombe,
    Fossoyeurs qui venez le voler dans sa tombe !
    – Mais voyez, regardez, ayez quelque pudeur.
    L'Espagne et sa vertu, l'Espagne et sa grandeur,
    Tout s'en va. – nous avons, depuis Philippe Quatre,
    Perdu le Portugal, le Brésil, sans combattre ;
    En Alsace Brisach, Steinfort en Luxembourg ;
    Et toute la Comté jusqu'au dernier faubourg ;
    Le Roussillon, Ormuz, Goa, cinq mille lieues
    De côte, et Fernambouc, et les montagnes bleues !
    Mais voyez. – du ponant jusques à l'orient,
    L'Europe, qui vous hait, vous regarde en riant.
    Comme si votre roi n'était plus qu'un fantôme,
    La Hollande et l'anglais partagent ce royaume ;
    Rome vous trompe ; il faut ne risquer qu'à demi
    Une armée en Piémont, quoique pays ami ;
    La Savoie et son duc sont pleins de précipices.
    La France pour vous prendre attend des jours propices.
    L'Autriche aussi vous guette. Et l'infant bavarois
    Se meurt, vous le savez. – quant à vos vice-rois,
    Médina, fou d'amour, emplit Naples d'esclandres,
    Vaudémont vend Milan, Leganez perd les Flandres.
    Quel remède à cela ? – l'Etat est indigent,
    L'Etat est épuisé de troupes et d'argent ;
    Nous avons sur la mer, où Dieu met ses colères,
    Perdu trois cents vaisseaux, sans compter les galères.
    Et vous osez ! ... – messieurs, en vingt ans, songez-y,
    Le peuple, – j'en ai fait le compte, et c'est ainsi ! –
    Portant sa charge énorme et sous laquelle il ploie,
    Pour vous, pour vos plaisirs, pour vos filles de joie,
    Le peuple misérable, et qu'on pressure encor,
    À sué quatre cent trente millions d'or !
    Et ce n'est pas assez ! Et vous voulez, mes maîtres ! ... –
    Ah ! J'ai honte pour vous ! – au dedans, routiers, reîtres,
    Vont battant le pays et brûlant la moisson.
    L'escopette est braquée au coin de tout buisson.
    Comme si c'était peu de la guerre des princes,
    Guerre entre les couvents, guerre entre les provinces,
    Tous voulant dévorer leur voisin éperdu,
    Morsures d'affamés sur un vaisseau perdu !
    Notre église en ruine est pleine de couleuvres ;
    L'herbe y croît. Quant aux grands, des aïeux, mais pas d'œuvres.
    Tout se fait par intrigue et rien par loyauté.
    L'Espagne est un égout où vient l'impureté
    De toute nation. – tout seigneur à ses gages
    À cent coupe-jarrets qui parlent cent langages.
    Génois, sardes, flamands, Babel est dans Madrid.
    L'alguazil, dur au pauvre, au riche s'attendrit.
    La nuit on assassine, et chacun crie : à l'aide !
    – Hier on m'a volé, moi, près du pont de Tolède ! –
    La moitié de Madrid pille l'autre moitié.
    Tous les juges vendus. Pas un soldat payé.
    Anciens vainqueurs du monde, espagnols que nous sommes.
    Quelle armée avons-nous ? À peine six mille hommes,
    Qui vont pieds nus. Des gueux, des juifs, des montagnards,
    S'habillant d'une loque et s'armant de poignards.

  • Parle plus bas si c'est d'amour

    Capture d’écran 2016-04-28 à 09.42.44.pngIl y a des parfums shakespeariens dans l'atmosphère. Qui s'en plaindrait! Hier soir, Arte redonnait Beaucoup de bruit pour rien, du fougueux (et egocentrique) Kenneth Branagh - avec la superbe Emma Thompson, entre autres (le casting est de rêve) : la joie, la jeunesse, la beauté, l'audace, l'honneur, la frivolité et la turbulence des sentiments, la jalousie, la vengeance, l'amour, la délicatesse, la force... C'est d'ailleurs de cette pièce que la phrase reprise en titre de cette note est extraite. Et c'est le titre que Grasset (Les Cahiers Rouges) propose pour une petite anthologie délicieuse, en forme de dictionnaire d'à peine 130 pages, des citations du grand Will, dispersées dans ses quarante pièces et ses cent quarante-quatre sonnets. D'Ambition à Vieillesse, nous musardons et retrouvons avec un air satisfait Nous sommes de l'étoffe dont sont faits les rêves (Prospero, dans La Tempête), Un cheval! Un cheval! Mon royaume pour un cheval! (Richard III), et sans aller jusqu'à chercher To be..., nous tombons sur des perles, comme L'oiseau de l'aube chante toute la nuit (Hamlet), ou Les paroles qui les accompagnaient étaient faites d'un souffle si embaumé qu'ils en étaient plus riches. Puisqu'ils ont perdu leur parfum, reprenez-les; car, pour un noble coeur, le plus riche don devient pauvre, quand celui qui donne n'aime plus (Ophélie, dans Hamlet). Le même éditeur propose également un "vrai" Hamlet, présenté par Gérard Mordillat, qui en connaît un rayon. Il s'agirait là de la version antérieure à celle que le monde entier joue à l'envi sur toutes les scènes. Et qui aurait été écrite à quatre mains, avec le concours de Thomas Kyd donné à Shakespeare. C'est ce qu'affirmait un universitaire britannique, Gerald Mortimer-Smith, shakespearien éruditCapture d’écran 2016-04-28 à 09.43.16.png jusqu'au bout des ongles et des cheveux (disparu il y a tout juste sept ans), et avec lequel Mordillat a travaillé. Nous tenons donc là, en traduction, le fameux proto-Hamlet. Soit un petit événement dans le mundillo. Quoiqu'il en soit, c'est une belle occasion de relire une pièce qui nous offre d'emblée des bouquets de fleurs printanières. En voici deux. L.M.

    Horatio :

    Mais moi je veux mourir sur tes lèvres, maîtresse

    C'est ma gloire, mon heur, mon trésor, ma richesse

    Car j'ai logé ma vie en ta bouche, mon coeur.

    Hamlet :

    Doute que les astres soient des flammes

    Soute que le soleil tourne

    Doute de la vérité même

    Mais ne doute pas que je t'aime.

    Capture d’écran 2016-04-28 à 10.07.51.pngAlliances :

    Le Beaujolais rosé de Dominique Piron, parce qu'il est à la fois délicat et profond. Nous tenons là un gamay (2015, bien sûr), floral et rafraîchissant comme on l'aime en cette saison.

    Pour 7€, c'est une affaire.

    Avec une pièce de luth de John Dowland, of corse! Le compositeur qui illustra les pièces de Shakespeare de son vivant.Capture d’écran 2016-04-28 à 10.26.38.png

    podcast

    Il s'agit en l'occurrence d'une Lachrimae, interprétée par mon ami talentueux Raymond Cousté.

    L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.

    Mais l'abus de poésie, de verbe, de musique élizabethaine et de beauté, eux, ne le sont pas... 

  • Cyrano l'inoxydable

    téléchargement (1).jpegVu, hier soir au théâtre de la Porte Saint-Martin (*), à Paris, un Cyrano brillantissime interprété par un Philippe Torreton aussi émouvant que magistral, avec une mise en scène décapante et truffée d’excellentes trouvailles contemporaines (en particulier la scène du Balcon de Roxane, jouée avec Skype!.. Et la finale : Mon panache... Sur une chanson d'Alain Bashung : émotion maximale), signée Dominique Pitoiset. J’y ai amené mon fils, et j’en étais fier, car Cyrano est définitivement le personnage que je préfère, pour ses inflexibles vertus morales – c’est un modèle pour un jeune, à l’instar du rugby, qui peut en être un autre, et vous voyez ce que je veux dire. Je considère par ailleurs le texte d’Edmond Rostand (que j’apprends peu à peu par cœur, avec les années), comme l’un des plus beaux de la littérature française. Il y a quelques semaines, je voyais le Cyrano, réalisé par Denis Podalydès àtéléchargement.jpeg la Comédie-française, avec Michel Vuillermoz dans le rôle-nez. Magnifique, dans le registre classique, en costumes d’époque. Je pense que chacun a en mémoire l’interprétation époustouflante que Gérard Depardieu offrit au cinéma, parce qu’elle est propre à graver durablement les esprits. Aussi, celle-ci est-elle devenue, inconsciemment, notre référent. L’interprétation-étalon. Force est malgré tout de reconnaître que, tant Vuillermoz que Torreton renouvellent le genre avec leur talent respectif. Et surtout que téléchargement (2).jpegle texte, inaltérable, d’une facture splendide, avec ses rimes, ses traits, son humour, sa candeur, sa délicatesse, son infinie mélancolie, sa pudeur et sa grandeur, traverse chaque mise en scène, quelle qu’elle soit, comme une flèche. Et que cela durera encore longtemps, pour notre bonheur d’amateur et de lecteur. L.M.

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    (*) Emotion! C'est dans ce théâtre que Rostand donna la Première deCapture d'écran 2016-04-11 13.55.43.png son Cyrano, le 27 décembre 1897, craignant un bide : vingt minutes d'applaudissements, quarante rappels... La pièce fut jouée quatre cents fois de décembre 1897 à mars 1899. Elle fêtera sa millième représentation en 1913. Excusez du peu... Hier soir, ce furent cinq rappels et une standingue ovacheune, comme on dit en Gascon, qui firent faire un peu de gymnastique assouplissante à onze comédiens ravis.