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KallyVasco - Page 11

  • Le bec dans l'eau

    Papier paru dans Le Nouvel Observateur/CinéTéléObs du 7 avril dernier.

    Eau de Champagne

    La Champagne humide offre un patchwork de lacs qui constituent autant de sanctuaires pour les oiseaux migrateurs. Le bonheur ornithologique en famille.

    téléchargement.jpegIl n’y a pas que du vin en Champagne. Il y a aussi de l’eau. Il n’est qu’à citer le fameux lac du Der-Chantecoq, près de Saint-Dizier, l’un des plus grands lacs artificiels d’Europe avec près de 5000 ha en eau qui constitue un formidable réservoir de stockage des eaux de la Marne. Mais les lacs stars de Champagne, situés grosso modo entre Troyes et Saint-Dizier, occultent quelquefois des lacs et des étangs périphériques situées dans l’Aube, moins connus mais tout aussi riches en particulier d’une avifaune migratrice. Ainsi des lacs de la Forêt d’Orient et ceux du Temple-Auzon et d’Amance appartiennent-ils à ce patrimoine naturel exceptionnel. Cette « Champagne humide » a permis de constituer d’importants réservoirs de stockage de la Seine et de ses affluents, l’Aube et la Marne, afin de permettre aux Parisiens ne jamais manquer d’eau. Et lorsqu’ils manquent d’air, le Lac du Der et le Parc Naturel Régional de la Forêt d’Orient, avec sa maison du parc située à Pinay, les attendent. La chance de ces sites est de se trouver sur l’un des plus importants couloirs migratoires de France et de permettre à de nombreuses espèces d’oiseaux d’eau, à commencer par les grues cendrées  (la star des lacs de Champagne est surtout présente d’octobre à fin mars. Une « Ferme » lui est même dédiée, près du Lac du Der, à St-Rémy en Bouzemont), et à quantités d’anatidés et de limicoles, de stationner en toute tranquillité dans un sanctuaire d’une beauté saisissante à l’aube, en particulier au printemps. Les concerts de grenouilles sont relayés par les cris des poules d’eau et des canards dissimulés dans les herbes, et par les sauts des carpes, sandres et brochets. Le spectacle le plus saisissant est offert par les centaines, voire des milliers de grues cendrées en migration de retour. Avec la zone d’Arjuzanx, dans les Landes, celle du Der et de la Forêt d’Orient sont les plus grands sites d’accueil de ce grand échassier dont le passage fracassant est bruyant (la grue craque, comme la mésange zinzinule). À l’aube et au crépuscule, assister à leur déplacement vers les zones de gagnage dans le bocage est féerique. Parmi les endroits propices à leur observation, dans l’Aube, outre les grands lacs d’Orient, du Temple et Amance, il  y a des étangs tout autour qui réservent bien des surprises, lorsqu’on part en famille, avec bottes, vêtements camouflés et jumelles. Les étangs du Beaudet, de Beaumont, Saint-Nicolas, ou plus loin, ceux des Apargnes, des 15 Deniers, de Beaurepaire, du Prompt, Neuf, de la Verpile, du Parc aux Pourceaux et de Fort en Paille autour de cette belle Forêt d’Orient, riche encore d’autres promenades, à la recherche de cerfs, chevreuils et sangliers. Mais il n’y a pas que les grues et leur silhouette d’estampe japonaise. Autour des lacs du Der et de la Forêt d’Orient, au bord de leurs nombreuses anses, on aperçoit d’autres raretés comme la cigogne noire, le cygne de Bewick, le pygargue à queue blanche, le garrot à œil d’or, l’oie des moissons, le harle piette. Un observatoire spacieux et sur pilotis, à Chantecoq (lac du Der), près du « Gros Chêne » qui symbolise le lieu (Der vient d’un terme celtique signifiant chêne), permet d’observer confortablement. Mais rien en vaut une approche discrète et respectueuse, parmi les roselières des étangs proches du Der : ceux du Voisin, du Moyen, des Cloyes, des Banchets, de Bonnevais, et plus loin, d’Outines, d’Arrigny, des Landres, du Grand Coulon ou de la Forêt, ou bien depuis une digue aménagée à cet effet, afin d’éviter tout dérangement intempestif. La Maison de l’Oiseau et du Poisson et d’autres observatoires permettent avec de la chance, d’observer des hérons rares comme le butor étoilé et le blongios nain.

    L.M.

  • Rasades de rosés

    Ce sont des vins de barbecue, d’apéritifs dans la tiédeur d’une journée qui s’achève, baignée de parfums d’herbe coupée, de bitume chauffé par le soleil, de pluie soudaine et déjà oubliée et de brouillard léger. Ce sont des vins de conversations amicales, de rires francs, de sourires et de regards complices et de tapas que l’on mange avec les doigts, parce qu’avec les doigts c’est meilleur. Ce sont des rosés 2011, simples, qui ne se la jouent pas et qui sont bons, sur le fruit, la fraîcheur, le simple, le cru, le cuit, le bon; la bonté.

     

    images.jpegLes Palombières, de Rigal (château St Didier-Parnac) est un Côtes de Gascogne, 100% cabernet franc d’une franchise et d’une légèreté confondantes. Belle vinosité. Un rosé marqué par une grande fraîcheur aromatique. Nez délicat de petits fruits rouges. Jolie souplesse en bouche (2,90€ !).


    Chez le même Lotois Rigal, Libertine, en AOC Fronton (80% négrette, 10% syrah et 10% cabernet franc) a un léger sucré -limite désagréable. Grande souplesse, cependant. Robe profonde, nez de fruits trop mûrs peut-être. Un rosé de dessert, assurément, mais pas de grillades ni de charcurerie (2,90€ !).


    images (1).jpegChez Ogier (Rhône), un Côtes du Vivarais, le domaine Notre Dame de Coussignac, vin rosé Bio (80% grenache, 10% syrah, 10% cinsault), à la robe claquante, au nez pourvu d’une belle fraîcheur, attaque vive en bouche et assez persistante. Un rosé vineux comme on les aime, pourvu d’une légère acidité qui n’est pas un inconvénient (4,90€).

     

    Chez Anne de Joyeuse (Limoux), un Camas 100% pinot noir né en Haute-images (3).jpegVallée de l’Aude. Rosé de pressurage direct subissant une fermentation très courte à 15° (pour les curieux). Belle robe pâle, nez de framboise et de cerise, bouche légèrement grasse. Fraîcheur intense. images (2).jpegPour l’apéro avec du jambon espagnol.

    Un autre Camas, 100% syrah, légèrement plus capiteux –si l’on peut dire pour un rosé, exprime la même fraîcheur et la même générosité, mais plus soutenues, plus viriles (4,95€ chaque flacon).

     

    Le rosé des Riceys 2010 de Moutard (Champagne) est rustique, minéral, sec, avec un côté paysan au débouchage et à l’attaque au nez comme en bouche, qui ne sont pas déplaisants, et qui de toute façon se calme très vite, une fois le vin aéré. Un rosé de l’Aube racé, issu de pinot noir à 100%, légèrement épicé en bouche, pour des repas d’été (11,30€).

  • Rasades pour fins de repas

    Ce sont quelques vins de grande douceur : desserts, tablettes de chocolats,  tartes aux fruits, cigares, câlins. Ce sont des vins de soirées qui se prolongent...

    vignoblesetsignaturescauhapejuranconnoblessedutemps2009.jpgLe Jurançon de Cauhapé Noblesse du temps 2009 est une merveille de douceur et de vivacité, signée Henri Ramonteu. Le petit manseng s’exprime ici avec droiture et élégance, la palette aromatique va des fruits confits au miel et aux agrumes, c’est vigoureux et très long en bouche. La quintessence du jurançon comme nous l’aimons. Ni trop gras, ni trop liquoreux, juste vif et nerveux; équilibré en somme (28,50€). Gâteau basque à la cerise noire d'Itxassou, Robusto de Ramon Allones (Specially Selected).

    L’Altenbourg Gewurztraminer de Paul Blanck est l’un vignoblesetsignaturespaulblanckalsacealtenbourggewurztraminer2007.jpgde nos Alsace préférés. Il est ici présenté dans le millésime 2007. Puissance, épices, sècheresse, radicalité et finesse, harmonie, compoté, fleurs blanches, fruits croquants (poire) sont les mots qui viennent pêle-mêle à l’esprit en goûtant ce gewurztraminer d'une grande noblesse, assurément (15,70€). Lychees fraîches, éclair au chocolat.

    sudouestcahorsparadoxe2007maisoncantury.jpgEtonnants Cahors de la Maison Cantury ! Ils ne sont pas vraiment à la mode light, ces vins noirs d’une robe d’encre, profonde et d’une texture consistante, épaisse, capiteuse, voire lourde pour la cuvée Parenthèse. Les cuvées Paradoxe et Révélation sont à peine moins denses. Toutes expriment la richesse extraordinaire du malbec, sa plus pure expression, dans un souci de classicisme évident. Les trois terroirs –complémentaires- sont parmi les meilleurs de l’AOC. Les rendements sont faibles (le nombre de bouteilles est très limité) et la vinification millimétrée. Les tanins sont d’une rare finesse, le nez de ces trois vins est d’une grande expression : fruits noirs, moka, poivre, tabac, réglisse. L’identité minérale (délaissée) du malbec se révèle comme jamais sur Révélation. Quant à Parenthèse, cuvée ni collée ni filtrée, elle exprime avec vibration la puissance d’un vin vivant,  mais jamais brutal. Une expérience (env.16€). Fondant au chocolat, mousse au chocolat noir. Grand Havane (Montecristo A).

     

    roussillonmasamielvintageblanc2009.jpgLe Mas Amiel Vintage Blanc 2009  est d’une délicatesse confondante. Ce vin doux naturel remet le grenache gris au goût du jour. Sa robe blonde, son nez d’agrumes doux, sa bouche fraîche et minérale (sols schisteux), en font un vin qui a du claquant (16,50€). Salade d'agrumes (pomelos) et de pomme verte. 

     

    valleedurhonesudortascavederasteausignature2007.jpgLe VDN (vin doux naturel) de Rasteau Signature 2007, avec sa robe grenat, son nez de fruits rouges confits, de cacao, d’épices comme la cardamome et la muscade, exprime la grenache (100%, vieilles vignes) avec vigueur et douceur à la fois. C’est à la fois soyeux et frais (11,70€). Cigare de Honduras, chocolat 1848 aux noisettes entières.

     

    Le Cornas 2007 de la (formidable) Cave de Tainimages.jpeg l’Hermitage (Drôme), exprime d'exceptionnelles syrah. Nez frais, épices douces, tabac blond, olive noire, réglissé leger, puissance et souplesse et léger cacaoté en arrière-bouche (15,40€). Macarons au praliné, barre de Mars ou de Milky Way.

     

    alsacecremantbrutrosecavevigneronspfaffenheim.jpgLe Crémant brut rosé de la Cave des Vignerons de Pfaffeinheim, 100% pinot noir, doit être fier d’avoir été confondu avec des champagnes bruts dont nous tairons le nom, ici. C’était pour jouer, comme nous aimons le faire souvent avec des amis. Belle robe saumon, mousse fine, cordon délicat, fruits rouges frais en bouche, belle longueur, assez persistante. Une réussite (10€). Tarte aux fraises/framboises. 

     


    Par ailleurs, pour fiancer une botte d’asperges escortée d'une mousselineimages (2).jpeg légèrement moutardée, voici un vin surprenant et d’une fraîcheur magique : le Muscat première mise 2011 de la Cave de Pfaffeinheim (Haut-Rhin). Un miracle de fraîcheur, en effet, et de fruité délicat. Parfait, donc, sur de grosses asperges blanches des Landes, comme sur des petites vertes sauvages, maigres et tordues. Une alliance  imprévue et efficace (7,20€).

     

     

     

  • Partir

    images (6).jpegDe Nicolas Bouvier, L’Usage du monde (PBP) est devenue la bible, le bréviaire du voyageur et du travel-writer. Voici que Payot nous donne des voyages inédits, avec un titre magnifique : Il faudra repartir, dont Cendrars aurait pu être jaloux. J’y ai retenu les pages admirables sur l’Algérie, que Bouvier traverse en 1958. Sa perception fine du petit peuple d’Oran, très Espagnol, très Juif aussi, constamment mêlé aux Arabes, laisse à penser que d’aucuns, dans ces années-là, auraient été bien inspirés d’écouter un observateur comme l’auteur du Journal d’Aran, dire qu’ici, les choses peuvent s’arranger, à cause des sangs mêlés justement. Mais il s’agit de melting-pot davantage que de métissage. En cela, Jules Roy avait raison de dire que là-bas, on était tous frères, mais rarement beaux-frères… Très belles pages également sur la Chine, la Nouvelle-Zélande, le Canada et l’Indonésie.

    téléchargement (5).jpegDans la même veine de ces écrivains-reporters-observateurs, capables de décrire un simple fait divers, une scène de rue a priori ordinaire et d’en faire un moment de littérature, prenez Vu sur la mer, de Jean Rolin (La Table ronde / La petite vermillon), recueil de reportages donnés à Lui, Libération, Géo… L’auteur nous embarque sur le fleuve Congo et nous pensons au Cœur des ténèbres de Conrad, bien sûr, il nous propulse à Singapour parmi des pirates, nous fait voyager à bord d’un port-conteneur depuis St-Louis-du-Rhône, Camargue, ou bien d’un autre bateau semblable, le Ville de Bordeaux qui croise en Mer Rouge, il nous décrit « les voyageurs de l’amer »; et c’est chaque fois un ravissement. La prose de grand vent -salé, cette fois- de Rolin sonne juste, car elle est forte comme un rhum cul-sec.

    téléchargement (6).jpegCela n’a rien à voir, mais le Guide de poche des oiseaux de France (Seuil / Points2) est un microscopique ouvrage d’ornithologie très précisément illustré et qui est extrêmement fiable, car fondé sur les données irréprochables contenues dans les fameux guides du naturaliste des éditions Delachaux & Niestlé. 200 espèces d’oiseaux des jardins, des forêts, des bords de mer… y sont habilement décrits. Indispensable (à glisser dans le jean d'un gamin dont vous ne voulez plus qu'il vous dise : tous les oiseaux se ressemblent)...


     

  • Classiques

    images.jpegimages (1).jpegRelire Voltaire : le Dictionnaire philosophique (Actes Sud / Thesaurus) présenté par Béatrice Didier, l’inoxydable Candide ou l'optimisme –illustré par Quentin Blake (folio, édition anniversaire) est un bonheur auquel on ne s’attend pas. Génie, virtuosité, pensée leste et fine, phrase profonde et « enlevée », notre penseur des Lumières –à l’heure où l’on fête Rousseau- demeure un homme de polémique, de réflexion et de combat philosophique inévitable, encore aujourd’hui. Il faut lire son Dictionnaire comme un manifeste de la liberté de pensée. Il n’a pas pris une ride et si, par endroits, certains faits et commentaires semblent dater quelque peu, il faut les prendre comme on lit Saint-Simon ; en déconnectant le fil historique pour projeter le fait dans l’éternel. Jouissives lectures.

    images (4).jpegHomère ! Points nous offre l'édition en poche d'une nouvelle traduction de L’Iliade, absolument moderne. Replonger dans nos lectures (obligées) de l’enfance, avec un œil un brin vieilli, est un coup de fouet, un coup de jeune, un plongeon dans l’eau glacée de Biarritz un matin de décembre. L’immersion dans cette épopée unique de 15 500 vers en 24 chants, d’une architecture admirable, d’une immortelle poésie et d’un souffle romanesque à côté duquel même les grands auteurs Russes semblent avoir attrapé l’asthme de Proust -apparaît même nécessaire. Philippe Brunet est l’auteur de cette adaptation salutaire. Grâce lui soit rendue.

    téléchargement (3).jpegimages (3).jpegParmi les classiques modernes, citons les rééditions « collector » du Gatsby de F.S.Fitzgerald (dans la traduction inédite de Philippe Jaworski qui figurera dans l’édition de La Pléiade) et d’Exercices de style, de Queneau, dans une nouvelle édition enrichie d’exercices plus ou moins inédits (folio), parce qu'elles nous obligent avec tact et délicatesse à reprendre des textes enfouis dans notre mémoire. Idem pour La route, de Kerouac, sauf qu’il s’agit du « rouleau » original téléchargement (1).jpegtéléchargement (2).jpeg(adapté au cinéma : sortie le 23 mai), donc non censuré, que nous découvrons, histoire de se refaire un trip beat generation en essayant de retrouver des passages clés de ce gros road-novel mythique (folio) enrichi d'une floppée de textes de présentation (le roman ne débute qu'à la page 154!). A lire aussi Visions de Gérard, du même Jack Kerouac (folio), car il s’agit d’un texte très émouvant, qui évoque la mort du propre frère de l’auteur à l’âge de neuf ans. Méconnu et précieux.

    images (2).jpegEnfin, une note poétique avec les Chants berbères de Kabylie (édition bilingue, Points/poésie) qui fut concoctée par Jean Amrouche, poète algérien disparu en 1962. Il évoque avec justesse une parenté de cette poésie souvent anonyme, avec le chant profond (le cante jondo) andalou : l’appartenance ontologique à un peuple, une solidarité étroite de destin, et par conséquent une poésie forte. Essentielle. 

  • Expositions phares

    01071466564.gif01071555564.gif01017267333.gif01070610333.gifBeautés animales (Grand-Palais, à Paris, jusqu’au 16 juillet), donne A la gloire des bêtes un petit hors-série  plein de dépliants dont Gallimard/Découvertes a le secret. Signé Emmanuelle Héran, il montre des tableaux de Jeff Koons comme de Rembrandt, Dürer et Giacometti. De même, sur Degas et le nu (Musée d’Orsay, Paris, jusqu’au 1er juillet), un livre semblable, Les nus de Degas permet de voir de splendides reproductions du maître en les dépliant soigneusement. En parallèle, la collection Découvertes publie une très intéressante petite biographie illustrée : Degas, "Je voudrais être illustre et inconnu", signé Henri Loyrette (président-directeur du Louvre), à la plume alerte et vive. Un régal. Une autre exposition

    téléchargement.jpeg

    d’importance sur le chamanisme, le Vaudou…  se tient au Quai Branly, toujours à Paris et jusqu’au 29 juillet, Les maîtres du désordre, sous la direction de l'anthropologue Bertrand Hell, dont il faut lire aussi l'ouvrage quasiment éponyme : Possession et chamanisme. Les maîtres du désordre (Champs/Flammarion), et donne l’occasion à la précieuse collection Découvertes encore, de publier un ouvrage richement illustré sur Le chamanisme de Sibérie et d’Asie centrale, de Charles Stépanoff et Thierry Zarcone. Pour mieux comprendre la vie, l’amour des femmes et donc la peinture de Degas, la fascination de l’homme pour l’animal –à distinguer de l’anthropocentrisme et de la zoolâtrie ; et pour enfin mieux appréhender le monde invisible avec lequel les chamanes -ces étranges bardes thérapeuthes mystiques et démiurges- dialoguent de manière pour le moins ésotérique en faveur des hommes ordinaires.

  • En selle en forêt de Compiègne

    Papier paru la semaine dernière dans Le Nouvel Observateur/CinéTéléObs

    Un vélo vous attend en gare de Compiègne pour une escapade feuillue. La grande boucle version forestière.

    Une plaque à son nom est vissée à une table du Bistrot de Pays La Fontaine Saint-Jean, à Saint-Jean-aux-Bois, avec son nom et son surnom : Aigle IV, « parce qu’en Anglais ça donne Il gueule fort ! », précise-t-il. Luc Bison, Guide Nature à l’Office National des Forêts de Compiègne, est une figure locale. Bon vivant, conteur, il accompagne des groupes à longueur d’année pour leur faire découvrir les nombreuses richesses de cet espace qu’il connaît par cœur. Sorties au brame, aux champignons, reconnaissance végétale, sentiers botaniques, traces d’animaux, survie, contes et légendes, sorties de nuit… Tout est possible. Il suffit de réserver à l’Office du Tourisme.

    IMG_7058.JPGSi l’on souhaite seulement découvrir à vélo et seuls cette forêt de 15000ha, de 100 km de circonférence (comme Paris) et de 2000 km de chemins balisés, empruntez la Voie verte (ouverte donc aux rollers, poussettes et autres roulettes), soit une piste cyclable de 50 km, qui fait une boucle et sur laquelle on pédale tranquillou au milieu d’une splendide forêt.

    Arrivé en gare de Compiègne, il suffit de passer l’Oise (sauf si l’on décide de se diriger vers « L’armistice »), de traverser le centre ville et de longer l’hippodrome jusqu’au Carrefour Royal, point de départ de la randonnée à vélo. Le matin, il faut compter deux heures pour relier Saint-Jean-aux-Bois via Pierrefonds (12+8km). Puis une heure l’après-midi pour regagner Compiègne (8km). Cela laisse donc du temps pour le farniente.

    Le peuplement forestier est riche, qui comprend feuillus et résineux. Les espèces dominantes sont le hêtre, le charme, le chêne, le frêne et le pin sylvestre. La faune n’est pas en reste et la star de la forêt c’est le cerf, qu’il n’est pas rare de rencontrer au détour d’une futaie, traversant un chemin, seul ou en harde selon les saisons, de préférence à l’aube ou au crépuscule.

    Les attraits culturels principaux de cette forêt majestueuse sont La Clairière de l’Armistice et le wagon dans lequel elle fut signée en 1918 ; l’Allée des Beaux-Monts, large langue verte de 5 km qui part du Palais impérial (Second empire) de Compiègne ; et le château de Pierrefonds, construit par Viollet-le-Duc pour Napoléon III.

    En vélo en pleine forêt, prenez les chemins de traverse, car d’autres curiosités valent le « hors-piste » : la maison forestière de Saint-Corneille, signée Viollet-le-Duc, sa petite chapelle et son fameux Fau de Verzy, un hêtre tortillard –espèce rarissime. Le Pavillon Eugénie, devenu l’une des 30 maisons forestières de ce massif troué de quelques étangs, comme ceux de St-Pierre, autour desquels les « carpistes » (pêcheurs de carpes) campent, et ceux de Ste-Périne. L’abbaye du XIII ème siècle de St-Jean-aux-Bois et le Vieux chêne (800 ans). L’église du village du Vieux-Moulin.

    A l’aller, les carrefours balisés de fameux poteaux blancs indicateurs de chemins, sont ceux de l’Epinette, de Montmorency, du Saut du Cerf, des Sept Morts, et celui du Cerf. Au retour, ce sont ceux de la Bécasse, du Grand Ecuyer, d’Adonis, du Grand Marais, du Puits du Roi, du Val, du Moulin, de la Petite Patte d’Oie et enfin le Carrefour Royal. Détail d’importance : la pastille rouge sur chaque poteau indiquant la direction de Compiègne, il devient impossible de s’égarer.

    L.M. (texte et photo).

     


  • Waterville, Kerry

    Papier paru ce matin dans Le Nouvel Observateur-TéléCinéObs.

    Au cœur de la nature sauvage (de la côte sud-ouest de l’Irlande).

    images (1).jpegLa côte sauvage irlandaise, du côté du Ring of Kerry, a la magie des îles du Nord, vertes et pourtant si rudes. Cette côte déchiquetée qu’on longe en voiture et qu’une mer d’Irlande qui a englouti tant de navires bat froid, possède l’attirance violente des femmes renardes. Mi-ange, mi-démon, la côte irlandaise aimante. Rien n’est plus vivifiant que se réveiller de bonne heure et de partir marcher dans la campagne irlandaise, n’importe où dans les moors (étendues de bruyère), et les tourbières (prévoir des bottes) entre deux bushes (buissons épais), emmitouflé dans une veste  imperméable (la pluie irlandaise ignore les saisons). Le ring of Kerry est cependant bien ensoleillé et l’arrière printemps y est propice à toutes sortes d’activités de plein vent : équitation, golf, pêche à la mouche, observation des oiseaux…  L’idée est de séjourner à Waterville et de rayonner autour de ce village calme de bord de mer où Charlie Chaplin aimait passer ses vacances en famille, au Butler Arms Hôtel. Waterville est baignée, comme chaque village irlandais, par l’odeur âcre et légèrement goudronnée de la tourbe qui flambe lentement dans chaque cheminée. Les habitants de Waterville se retrouvent le soir au Pub, notamment au Lobster’s Pub, pour savourer un hot whiskey (avec un « e ») et disputer une partie de fléchettes, ou revoir un match de rugby en buvant lentement une pinte de Guinness. La bière brune symbolise cette Irlande « rough », taiseuse et sauvage. Sa mousse si douce, couleur ventre de bécasse, à la fraîcheur idéale (la servir glacée est une hérésie) et d’une onctuosité de chantilly, résume la sérénité d’une fin de journée passée à pêcher, à monter à cheval ou simplement à se promener le long de images (2).jpegla côte. Les nombreux lacs et rivières avec des pools (parcours de remontée) de la région sont réputés dans toute l’Europe. La pêche ouvre mi-janvier et ferme fin septembre. Les lacs comme Lough Currane, Lough Deriana, Lough Cloonaghlin ou Lough Namona sont riches de saumons et de truites de mer. Remonter la Cummeragh river est un autre plaisir de « moucheur ». On peut aussi pêcher en mer, ou bien depuis le rivage. Une sortie jusqu’à l’île de Valentia est conseillée. Là-bas, vous aurez l’impression d’être revenu au temps des Vikings. Autour de Waterville,  une virée à Killorglin –gros bourg traversé par la Luane river, riche en truites farios-, est souhaitable, au moins pour d’autres balades dans les bushes, sur les landes de tourbe infinies. Pour les amateurs de golf, c’est un paradis. Les lacs y sont nombreux et la pêche une activité courante. On peut aussi acheter son saumon fumé directement à la fumerie locale de Killorglin. A deux pas, le restaurant Nicks propose une cuisine marine et des bordeaux à prix plancher. Tralee Barrow et Killarney sont des destinations de la même eau : à fond nature et avec des pubs chaleureux pour les retours de balades « roots » et humides. Car un plaisir singulier est de s’exténuer dehors, puis de s’affaler devant un feu de tourbe, d’ôter ses bottes et de les regarder fumer tandis que nous nous repassons le film de la journée.

    L.M.

  • Drieu en Pléiade : l'homme ou l'oeuvre

    images (1).jpegFallait-il panthéonniser un fasciste collabo, antisémite, xénophobe, misogyne, habité par une névrose de l'échec qui le conduisit au suicide en 1945 -doublé d'un admirable styliste dont les romans désabusés et les nouvelles désinvoltes écrites de la main d'un séducteur un brin nihiliste continuent de ravir de jeunes lecteurs?

    Car l'oeuvre romanesque de Drieu La Rochelle est désormais disponible sur papier bible. On peut s'en indigner, comme on le fit pour la publication de son sulfureux Journal il y a vingt ans (toujours chez Gallimard, mais dans la collection Blanche, où fut également publié le non moins sulfureux Journal de Paul Morand). Soulignons que les essais de Pierre Drieu La Rochelle -la plupart fortement sujets à caution, et proches des idées de Jacques Doriot, du PPF auquel Drieu adhéra d'ailleurs-, sont justement oubliés. Poubelle. Ils n'intéressent aujourd'hui que quelques thésards et c'est tant mieux. Quant à la prose de Drieu, je confesse un attachement à mes lectures, étudiant, des romans, nouvelles, récits, fragments, d'un écrivain qui m'apparût infiniment sensuel, pourvu d'un regard lumineux sur la femme, le couple (dont j'ignorais encore tout, ou presque); éclairant en tous cas. Avec quelques amis, nous nous y retrouvions, ou nous tentions de nous y trouver -par cet effet miroir qui flatte tant les jeunes fous de littérature. Suivirent les Nimier, Blondin, Laurent, Frank -les Hussards dans leur ensemble : que des gens plus ou moins fréquentables auxquels nous avions pourtant plaisir à nous frotter en les lisant, tandis que nous aimions lire aussi Sartre, et que nous étions des baby-tonton : de jeunes hommes qui entraient dans l'âge adulte sous l'aile spirituelle et politique de François Mitterrand, dont nous partagions les idées -et le goût pour la chose écrite (les révélations sur ce passé qui ne passe pas de F.M. ne vinrent que beaucoup plus tard). Bobos avant l'heure, nous faisions Sciences-Po, votions PS en pensant au PSU de Rocard, dissertions de Gramsci en trouvant Marx un peu mou du genou. Nous lisions surtout avec gourmandise Char, Gracq et Cioran, plus quelques sucreries comme Stifter, Inoué, Toulet... Nous étions des petits cons avec un fond sympathique. Années 80.

    images.jpegEn somme, je dis (répète) juste ici qu'il convient toujours de distinguer l'homme de l'oeuvre. Sinon, qui lirait Céline ou Hamsun?

    Reprendre Récit secret, Le feu follet (et revoir le film qu'en fit Louis Malle, avec un Maurice Ronet bouleversant), L'homme couvert de femmes, certaines pages de Gilles, procure peut-être encore un plaisir simple de lecture. Il faudrait vérifier. J'avoue ne pas en avoir envie.

    Le procès fait à cette édition des oeuvres de fiction de Drieu est le reflet d'un réflexe bien-pensant. "On est dans Pavlov", lâche Sollers à ce sujet (dans Le Nouvel Observateur). J'ai moi-même jeté à la poubelle nombre de livres de Drieu, un jour où je faisais un ménage mental sur les étagères : ouste, les romans de Matzneff, les bluettes de Chardonne, et quoi d'autre encore!.. -Oh, des trucs, plein de trucs. Ce jour-là, j'oubliais le précepte clairvoyant qui précède. Aujourd'hui, je persiste à penser que nous pouvons apprécier Dr Jekyll et détester M. Hyde. Ou le contraire. Si la littérature est schizophrénique, jouons son jeu et sachons séparer le bon grain de l'ivraie. Car se refuser à le faire serait faire preuve d'un ostracisme aussi obtus que les idées que nous récusons avec tant de véhémence. Et même si nous avons le goût du paradoxe, il en est qu'il ne faut pas cultiver mais au contraire laisser en jachère.

  • L’année Klimt à Vienne

    Papier paru cette semaine dans Le Nouvel Obs CinéTéléObs/Oxygène.

    Cela ne se rate pas, si l'on aime ce peintre génial mort en 1918 à l’âge de 56 ans. Vienne fête tout au long de l’année le 150ème anniversaire de sa naissance avec de nombreuses expositions. L’occasion de découvrir une ville-musée riche de cafés littéraires et de bars à vins.

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    1367(1).jpg1368.jpg1462.jpg1467.jpg1468.jpg1363.jpg

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    C’est d’abord l'occasion de voir plus de toiles du maître Gustav Klimt qu'il n'y en a jamais eu dans sa ville. Et celle de contempler l'oeuvre de son disciple Egon Schiele. Les principales expositions se tiennent aux grands musées Leopold, et Belvedere, mais aussi au Kunsthistorisches Museum (l’équivalent de notre Louvre), à l’Albertina où l’on peut admirer les très nombreux dessins de Klimt jusqu’au 10 juin. Et encore au Musée Autrichien du Théâtre, où se trouve « La vérité nue ». Sans oublier les œuvres singulières comme « La frise Beethoven », à la Sécession, centre d’art  du nom du mouvement artistique dont Klimt fut l’un des fondateurs. Mention spéciale au musée Leopold, qui propose jusqu’au 27 août une exposition rare, Klimt Persönlich (intime), avec plus de 400 documents écrits, en particulier de nombreuses cartes postales adressées par Klimt à Emilie Flöge, l’égérie de sa vie. Le Klimt peintre de paysages y est également très présent, ainsi que des documents photographiques, une reconstitution du bureau de son atelier et d’immenses toiles inachevées. A noter que le Musée Leopold publie à cette occasion un catalogue absolument splendide (version anglaise disponible). Le Belvedere donne à voir les œuvres les plus considérables de Klimt, notamment le fameux « Baiser », décliné jusqu’à l’écoeurement dans d’innombrables produits dérivés. Le Leopold possède la plus grande collection au monde de peintures du génie expressionniste Egon Schiele. Contre le Leopold, se tient le Mumok, musée d’art contemporain de belle facture, prolongé de la Kunsthalle, elle aussi dédiée à l’art contemporain. Tous ces trésors se trouvent dans le bien nommé Quartier des Musées, et le Kunsthistoriches n’est pas très loin de là. Vienne, c'est aussi se faire plaisir –entre deux expos Klimt, en (re)voyant des toiles fétiches au « Louvre autrichien » : un Bruegel emblématique, « Les chasseurs dans la neige », un petit Friedrich, un Velasquez, quelques Kokoschka… N’oublions pas un autre grand artiste viennois, plus contemporain, disparu en 2000 : Hundertwasser, dont on visite la maison et le musée. Par ses réalisations, ce peintre et architecte extravagant donne à Vienne une touche à la Gaudi dans Barcelone. Les autres architectes et décorateurs emblématiques de la Vienne de Klimt se nomment Joseph Hoffmann et Adolf Loos, lequel aménagea par exemple le café Museum, qui est l’un des cafés littéraires les plus célèbres de Vienne. Car cette « ville-musée » est aussi celle du bon café (certains bars en proposent plusieurs dizaines, tous différents, à part le fameux café viennois, mais le simple moka est aussi bon qu’un ristretto napolitain). C’est la ville du bon chocolat (impossible de ne pas goûter à la Sacher Torte, chez Demel ou au Café Sacher –deux institutions). Et des bars à vins. Les Heuriger (tavernes à vins) sont nombreux : goûtez surtout les vins blancs, légers et fruités des collines voisines au-delà de Grinzing, tout en dégustant une bonne charcuterie, chez Gigerl, à l’Artner ou au Zwolf Apostelkeller. Vienne, qui n’est pas la ville des buveurs de bière, est également le repaire d'une certaine mémoire littéraire que l'on s'efforce de chercher en flânant dans les rues, en traînant dans les cafés, dont certains ont conservé dans leur patine un charme qui semble intact. L‘ombre de Stefan Zweig semble planer au superbe café Sperl, et c’est là que les peintres du mouvement Sécession : Klimt, Kokoschka, Schiele, imaginaient leur œuvre (et nous ne parlerons pas des musiciens). Certes, il n'y a pas de passages de l'œuvre de Schnitzler, ou des aphorismes caustiques de Kraus dans l'atmosphère, comme ça, uniquement parce qu'on souhaiterait qu'il y en eût parmi les voitures et les immeubles, et ce malgré un vieux tramway et une architecture imposante; voire lourde. Pourtant, les écrivains célèbres furent ici légion : outre les plus fameux, il y a le vivier des Hofmannsthal, Musil, Canetti, Broch, Musil et autres auteurs « périphériques » comme Rilke, Celan, Stifter. Mais fouiner, renifler les façades, les intérieurs, les visages, pour qui cherche l’esprit d’un Zweig ou celui d’un Klimt, dans les rues de la ville de Freud également, est à la fin fructueuse. Pugnace, la quête aboutit toujours à des lieux de réminiscences, à quelque détail évocateur. Le hasard accroît le plaisir : mieux vaut ne pas se préparer à tout, et laisser au génie des lieux le soin de nous réserver quelque surprise. N'est-ce pas d'ailleurs une définition possible du voyage? Car si le musée Sigmund Freud (le cabinet de consultation, au 19, Berggasse) peut décevoir les aficionados, certains cafés littéraires comme le Central, ou Landtmann, sentent les mots et les pinceaux. Quant à la scénographie exemplaire des expositions consacrées à Klimt, elle augmente notre fringale d’art. Alors pour apaiser une fringale plus terrestre, à proximité de la Sécession d’un côté, et de splendides façades Art Nouveau de l’autre, se trouve Naschmarkt, long marché de plusieurs centaines de mètres, agrémenté d’épiceries fines multicolores et d’une enfilade de bistrots et restaurants en tout genre, comme le délicieux Neni et ses spécialités israéliennes. L.M.

    Lire aussi, ici même, à la date du 27 février, Vienne en passant : http://leonmazzella.hautetfort.com/archive/2012/02/27/vienne-en-passant.html

  • Balade littéraire dans les Landes

    Papier paru ce matin dans Le Nouvel Observateur, CinéTéléObs/Oxygène (avec d'autres papiers - à suivre ici - consacrés à l'année Klimt à Vienne et à une balade ornitho autour des lacs de Champagne).

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    Qui mieux qu’un écrivain entiché sait lire le paysage sensuel de ce département protéiforme ?

    images.jpegimages (7).jpegDu cru, ou bien frappés par cette terre, les écrivains distinguent les Landes de sable et de pins de celles vallonnées de Chalosse, les plates girondines du Tursan qui mamelonne, l’océan de maïs du silence de la haute-lande, les côteaux griffés de vignes des plages droites, le Bas-Adour drainé de fleuves du Marensin agricole, les grands étangs qui trouent la forêt de l’airial qui l’aère, le front de mer d’Hossegor des villages d’Armagnac. Les Landes sont une invitation au voyage. Immobile si l’on feuillette « l’Enterrement à Sabres » (Poésie/Gallimard), l’immense chanson de gestes hugolienne et gasconne de Bernard Manciet, l’écrivain de Trensacq, poète de images (10).jpeggénie disparu en 2005. Ou bien  en s’allongeant en pleine forêt sur un tapis d’aiguilles de pins et de fougères, le regard planté à la cime des arbres qui dansent. Il suffit alors de fermer les yeux pour confondre, comme le faisait François Mauriac, le bruissement permanent du vent dans les branches avec celui de l’océan. Le images (1).jpegimages (2).jpegBordelais Mauriac n’aimait rien comme planter ses fictions dans l’âpre lande : le village d’Argelouse est à jamais marqué par « Thérèse Desqueyroux », l’un de ses plus célèbres romans(Livre de poche). Montaigne, qui voyageait à cheval, a nourri ses « Essais » (Arléa) de centaines de chevauchées à travers les Landes. Il vante même les mérites des sources thermales de Préchacq-les-Bains dans son œuvre-vie. Jean-Paul Kauffmann a donné un livre magnifique, « La maison du retour » (folio), qui raconte comment il choisit justement de s’établir de temps à autre en forêt, à Pissos. Plus bas, on peut se promener du côté d’Onesse-et-Laharie, à la recherche de la maison des sœurs de Rivoyre, échouer à la trouver et relire « Le petit matin » (Grasset), de Christine, « la Colette des Landes », au café du coin. Les Landes, c’est la place centrale de Mont-de-Marsan à l’ouverture du premier café que l’on prend en pensant aux frères Boni : Guy et André Boniface, rugbymen de légende. Un stade porte leur nom à Montfort-en-Chalosse. Denis Lalanne, qui donna comme son ami Antoine Blondin des papiers « de garde » à « L’Equipe », écrivit un livre hommage images (3).jpegimages (4).jpegaux frangins : « Le temps des Boni » (La petite vermillon). Il vit aujourd’hui paisiblement à Hossegor. Le lire, c’est retrouver le rugby rustique de village, où les déménageurs de pianos sont plus nombreux que les joueurs du même instrument. Un autre écrivain journaliste parti trop tôt (en 2004), Patrick Espagnet, de Grignols (plus haut dans les Landes girondines), possédait une plume forgée à l’ovale. Ses nouvelles : « Les Noirs », « La Gueuze », « XV histoires de rugby » (Culture Suds), sont des chefs-d’œuvre du genre.  Les Landes, ce sont ces belles fermes à colombages avec leurs murs à briquettes en forme de fougère, qui se dressent genere-miniature.gifgrassement sur leur airial. La plus emblématique se trouve au sein du Parc régional de Marquèze, à Sabres, où l’ombre tutélaire de Félix Arnaudin, l’écrivain  photographe un brin ethnographe, plane comme un milan royal en maraude. Les clichés d’Arnaudin sont aussi précieux que ses recueils de contes (Confluences). L’un d’eux montre un images (5).jpegimages (8).jpegjeune berger, Bergerot au Pradeou, dressé dans l’immensité plate comme la main. Et évoque le tendre roman de Roger Boussinot, « Vie et mort de Jean Chalosse, moutonnier des Landes » (Livre de poche). C’est encore le souvenir de Pierre Benoît, l’auteur de « Mademoiselle de La Ferté », de « La chatelaîne du Liban » et d’Axelle » (repris le mois dernier par Albin Michel), originaire de Saint-Vincent-de-Paul, près de Dax, où il vécut « une sorte de vie animale et sylvestre » jusqu’à l’âge de seize ans. Les Landes, ce sont téléchargement.jpegenfin les inoubliables passages de Julien Gracq, dans « Lettrines 2» (José Corti). Le grand écrivain s’émeut avec l’acuité du géographe : « Jamais je ne l’ai prise (la route des Landes) sans être habité du sentiment profond d’aborder une pente heureuse, une longue glissade protégée, privilégiée, vers le bonheur » (…) « Maintenant se fait entendre dans le paysage une note plus ample et plus grave, que l’oreille surprend déjà dans le nom de Grandes Landes par lequel on désigne le massif le plus épais et le plus compact, le recès central du labyrinthe, et vraiment le cœur de la forêt. Non pas tant une forêt que plutôt une province des arbres, ce que les Anglais appelleraient woodland … »

    L.M. 

  • Avec Cagnat, ça despote!

    Petits et mechants_1.jpegJean-Pierre Cagnat*, talentueux croqueur, caricaturiste, dessinateur de presse reconnu (Le Monde, L'Express, VSD, etc), signe un petit livre délicieux et de circonstance (électorale) : Petits et méchants (Le Castor astral) et il vient de recevoir le Grand Prix de l'Humour Noir Grandville (qui récompense un dessinateur) au restaurant parisien Le Procope le 13 mars dernier pour ce petit bouquin caustique qui taille un short aux tyranneaux qui ont gouverné ou qui continuent de gouverner certaines parties du monde (mais jusqu'à quelle heure?). En couverture : Sarkozy, Napoléon, Poutine. Cagnat n'est pas de droite. Ca tombe bien, nous non plus. Sous la couverture, figurent, en dessins, tous les petits despotes, dont Cagnat donne srcupuleusement la taille réelle (en centimètres, donc) : Hitler, Lénine, Staline, Khrouchtchev, Kim-Il-Sung, Kim-Jong-Il, Hiro Hito, Gengis Kahn, Attila, Louis XIV, Goebbels... C'est fou ce qu'ils étaient petits, ces grand dictateurs et dictateurs-adjoints! Mais Cagnat ne s'arrête pas là, pensez! Il renifle le petit méchant du côté des stars aussi : Sade, Hitchcock (ah bon, il était méchant, lui?), Charles Manson (1,57m contre 1,62 pour Polanski : OK)... Il n'oublie pas non plus les nains libidineux de Blanche-Neige, Pépin Le Bref, les bouffons des rois de France, les couples de taille inégale (l'histoire les collectionne), les chanteurs (Little Richard, Prince : pourquoi?). Enfin, ce petit livre dessiné au vitriol noir & blanc s'attaque aux grands : De Gaulle, Raspoutine, Ben Laden, Saddam Hussein (1,88m : on aurait pas dit, hein?). Et enfin aux petits gentils : Woody Allen, Charlie Chaplin, Groucho Marx, Beethoven, Mozart, Picasso, Toulouse-Lautrec, Balzac, Gandhi... Un total régal de dessins aux textes de légendes griffus. Un album souverain... Un bon tyran d'encre... Bref, Cagnat, c'est Royal au bar et à lire d'un trait!

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    *Je ne tairai pas que Cagnat est un ami et que nous avons souvent bossé ensemble : en presse (GaultMillau notamment), et en édition (fitway publishing).

  • Faut-il relire (et revoir) Schoendoerffer?

    images.jpegPierre Schoendoerffer est Là-Haut (il a disparu le 14 mars dernier). De lui, nous retenons surtout les images de ses films comme La 317ème section (inoubliable duo Bruno Crémer-Jacques Perrin). C'était avant tout un écrivain. J'ai repris Le Crabe-Tambour et je me suis laissé prendre par sa prose. Puis j'ai revu le film (inoubliable duo Jean Rochefort-Claude Rich, à bord du Jauréguiberry). J'aimerais voir à présent L'honneur d'un capitaine, à propos du délicat sujet de la torture en Algérie, uniquement parce que la période me fait avaler (avec délectation) tout ce qui a trait au cinquantenaire de la fin d'une guerre qui me touche particulièrement, étant né à Oran en novembre 1958 (et même si la trame du film me semble nauséabonde, un peu connotée OAS... Mais bon, je verrai, car -par exemple- Nicole Garcia, après avoir joué dans l'adaptation de La Question, d'après le livre capital d'Henri Alleg, accepta d'incarner la veuve du capitaine Caron/Jacques Perrin, accusé de torture...).

    Un éternel côté retour d'Indo

    Nous avons instinctivement une réserve face à un auteur-réalisateur comme Schoendoerffer. Son image militariste lui colle trop à la peau. Sa tonalité droitière m'empêche, personnellement. Mais si nous oublions cela le temps d'une lecture ou d'une projection, nous nous retrouvons devant des histoires fortes, d'hommes, certes mâtinées de valeurs viriles comme l'héroisme, le courage, l'honneur et autres vertus (de virtus) qui passent, étrangement, lorsque nous regardons un peplum (et qui sont omniprésentes dans toute la production de films dits de guerre comme dans les films, de et avec, Clint Eastwood)... Cependant, il me semble que sous la peau de l'oeuvre de Schoendoerffer, perce une dimension littéraire digne de Joseph Conrad et de Herman Melville, avec ou sans la mer comme toile de fond. Et une touche de Dino Buzatti aussi. C'est pourquoi j'accepte de m'y rendrePour bien comprendre le personnage, une lecture s'impose : celle de l'ouvrage de référence que Bénédicte Chéron signe aux éditions du CNRS (d'après sa thèse sur la représentation du fait militaire et guerrier dans l'oeuvre de Schoenfoerffer). L'homme de voyage, d'aventure et de guerre, l'écrivain qui porte très tôt une caméra sur l'épaule (en qualité de cameraman pour le Service Cinématographique des Armées : le sésame de sa vie), son éternel côté retour d'Indo, sa complicité avec Georges de Beauregard, le producteur de la Nouvelle Vague, les états d'âme d'un homme blessé par les horreurs de toutes les guerres, son écriture fictionnelle et cinématographique de l'histoire, tout est décrypté avec force documentation et sans empathie; et la lecture de cet essai en devient aussi captivante que peut l'être son motif, pour peu qu'on veuille ôter un instant ses lunettes à préjugés sans avoir l'impression de se fourvoyer ou de perdre son temps. 

  • Brintemps

    Ceci est le 1000 ème article que j'écris sur mon blog, créé il y a six ans (et deux jours).

    IMG_0890.JPGLes jours rallongent et les jupes raccourcissent. Les mimosas fleurissent. En ville comme à la campagne, les palombes paradent vertigineusement : les mâles montent au ciel, planent et se laissent tomber. Ils aiment sans frein. Les femelles ne regardent même pas. C’est nuptial. Tout vibre, le merle chante plus tôt, ça bourgeonne. Envie printanière d’un œuf brouillé au beurre marin, aujourd’hui. De respirer à fond en ouvrant les fenêtres sur le monde. Bonheur de sortir tôt. Dans la rue, l’air est imprégné d’odeurs chaudes de viennoiserie. Je frôle une bourgeoise tracée au Samsara. Aspergée, plutôt. Les pas sont pressants. Le pays s’éveille. Au marché proche, les primeurs débarquent des cageots verts d’asperges et rouges de fraises. Le poissonnier étale les poissons d’avril sur la glace brisée. La vita e bella…

    J’aime, le matin, sentir ma fiasque calée dans la poche intérieure gauche de matéléchargement.jpeg veste. Il en va du canif au fond du pantalon comme de la fiasque. Si par mégarde nous l’oublions, il ou elle nous manque terriblement, alors même que nous n’en avons aucun usage. Rien à couper au couteau : ennui, saucisson, brouillard ? Le canif manque quand même au toucher. La main tâtonne désespérément l’absence. Nous nous sentons nus. Plus seul. Les affaires intimes ne sont pas à une incongruité près : c’est toujours « entre soi » que l’on aime sentir le canif dans la poche et la fiasque, là. Calée. C’est seul aussi que l’on a le plus de plaisir à ouvrir l’un et à déboucher l’autre. Oublions l’arme blanche. Chromée, chiffrée, guillochée, gainée ou non, galbée pour épouser le cœur (elle, au moins…), voilà pour le contenant de l’objet. Mettez ce que vous voulez dedans. C’est une question, capitale, de parfum. Tout alcool plongé dans une fiasque subit une pression subjective de base qui le propulse aussitôt près des Dieux. L’important, on l’aura deviné, est de dévisser l’objet et de sniffer. Boire est inutile.

    IMG_6914.JPGIl fait jour. Il fait jouir. Vos yeux embrasent, embrassent l’espace. Imaginez le plaisir de capter, à l’aurore, les parfums complexes d’une poire, au moment délicieux où le monde part bosser, et de faire alors une pause au-delà du réel, au-dessus de la mêlée qui fait la queue ou qui ahane, embouteillée et pendue à ses portables, et vous bien calé sur une motte d’illusions, un bouquet de paresse dans le dos, accoudé au comptoir du temps suspendu. Même pas dans ce rade habituel où vous avez votre ardoise. Loin! Fermez les yeux un instant –en attendant le bus, le feu vert, l’ascenseur, une augmentation, un rendez-vous gâlon, et partez ! Moi, cela m’expédie illico à 2000 mètres d’altitude, au bord d’un lac connu de quelques isards complices, et je sens une truite prendre la mouche au bout de ma soie. La poire récompense une belle prise (c’est dire si l’on est à l’abri de l’ébriété, en montagne). Le salaire de l’approche, c’est ma fiasque qui me le remet en mains propres et en liquide. Mais d’abord, par le nez, je m’octroie licence de flairer le goulot comme on respire une fleur, un cou adoré; un enfant sa mère. L’éducation du coût des choses vraies passe par là. Le bonheur est dans l'à peu près. Dans le près. Encore plus près... Approche-toi, n'aies pas peur. Comprenne qui boira. Ou basL.M.

    Photos : Un lac dans les Hautes-Pyrénées, au cours d'une randonnée, lorsque j'écrivais "Lacs et barrages des Pyrénées" pour Privat (©LM).

    Puis, de petits poussins jaunes comme disait Francis Ponge pour désigner le mimosa (© : destinationsanfrancisco.wordpress.com).


    Enfin, rien à voir : c'est le "banc Georges Simenon", à Liège, où je me trouvais en reportage la semaine dernière (pour L'Obs). Et je m'aperçois que j'ai une petite collection de photos  de statues à l'échelle:1 comme celle-ci : Pessoa, Hemingway... Prises au fil de reportages (©LM). 
  • Poétiquement

    images (6).jpeg26 mars : sixième anniversaire de ce blog.

    Il n'y a pas que des auteurs de polars talentueux, dans le Grand Nord. Il y a aussi des romanciers et des romancières remarquables, comme Katarina Mazetti (je suis particulièrement heureux de son succès pour son petit éditeur Landais, Gaïa, auquel elle reste fidèle). Et il y a les poètes. Grands, ces poètes Norvégiens, Suédois, Islandais et Lapons. Le Nobel attirubé à Tomas Tranströmer a ouvert des portes de lecture. Ainsi, la précieuse collection Poésie/Gallimard publie-t-elle une petite anthologie au titre merveilleux : Il pleut des étoiles dans notre lit. Cinq poètes du Grand Nord : Inger Christensen, Pentti Holappa, Tomas Tranströmer (dont on retrouve l'essence de Baltiques, son oeuvre quasi complète, déjà évoquée dans ces pages), Jan Erik Vold et Sigurdur Palsson. Concoctée par André Velter (par ailleurs poète lui-même et directeur de la collection), elle élargit notre champ poétique. Ici, la nature tient une place forte et l'hiver y est une saison aussi belle que le printemps dans les haïkus Japonais. On en redemande. En revanche, Marin à terre, images (1).jpegdu grand Rafael Alberti, qui paraît également dans cette collection, déçoit un peu; à la manière d'un fonds de tiroir. Certes, la voix est là, mais jamais puissante, comme elle peut l'être dans par exemple, D'Espagne et d'ailleurs (Le Temps des cerises). Un recueil agréable toutefois. Folioplus/Classiques a la bonne idée de publier une anthologie sur le thème de l'émotion -le plus souvent amoureuse. Poèmes pour images (2).jpegémouvoir réunit des classiques de la poésie lyrique, de Christine de Pisan à Michel Houellebecq, en passant par Louise Labé, Ronsard, Du Bellay, Théophile de Viau, Marceline Debordes-Valmore, Baudelaire, Lautréamont, Mallarmé, Segalen... Et, plus près de nous, de Cendrars à Césaire en passant par Supervielle, Senghor, Char, Beckett, Jaccottet ou encore Artaud et Tzara;  qui nous dit avec délicatesse, les larmes dans la littérature, et le paysage romantique comme chef-lieu des émotions. images (3).jpegL'ensemble est beau et bon comme un bouquet de pivoines que l'on s'apprête à offrir, ou bien un verre de sancerre bien frais que l'on saisit, à une terrasse ensoleillée dans les cordages d'un poème -justement. Du côté de La Table ronde, voici un cadeau comme on les aime énormément : l'intégrale des haïkus de Bashô, le maître incontesté du genre. En bilingue et dans une présentation en bichromie subtile et élégante. Un livre de garde, comme on le dit des grandsimages (4).jpegimages (5).jpeg bordeaux, intitulé Bashö. Seigneur ermite. Il y a aussi le nouveau recueil de Jean-Claude Pirotte, Ajoie, toujours aussi tendre et enjoué à la fois, amical et un rien mélancolique, auquel le titre d'un nouveau recueil de Valérie Rouzeau, Vrouz, semble faire écho, avec ce jeu de mots très contemporain, comme le sont ses poèmes à dire, si ceux de Pirotte sont souvent à boire...

  • De quelques vins d'hiver

    grand-moulin-volga.jpgVolga, un vin de chien. Déjà, le nom frappe. Le visuel de l’étiquette emboîte la patte. Pop, voyons-boire : il s’agit d’un vin de pays (des Corbières) sans pompons ni chichis, élaboré par Jean-Noël Bousquet, qui ne manque pas d’humour. Volga, mascotte de son domaine, le château Grand Moulin (déjà évoqué dans ses pages), se voit donc honoré. Le vin est agréable (50% syrah, 30% carignan, 20% grenache : classique), il passe un an en cuve. Nous avons goûté ce 2010 avec plaisir. Pour 4,50€, on ne peut pas lui demander d’aller chercher la lune, mais Volga a un certain chien, une belle clarté aux mirettes, des fruits rouges frais en truffe et un brin de longueur en gueule aussi. « Apporte !.. »

     

    Vacqueyras : l’une de mes AOC préférées (en plus, je suis D&C - Domaine de la Curniere VACQ - BT - 2009.jpgTradition 2010.jpgmembre de leur confrérie depuis 1991 ou 92, mais je ne devrais pas le dire… Encore que l’on jure, lors de n’importe quelle intronisation, de devenir l’ambassadeur du produit qui vous accueille). Alors, après tout...
    Les trois derniers flacons dégustés m’ont plu pour leur homogénéité, leur constance dans le velouté, le soyeux viril (oxymore assumé) qui dissimule au nez –mais pas longtemps : au premier verre seulement-, une puissance qui s’exprime joliment en bouche, avec des arômes classiques de fruits rouges et noirs bien mûrs, voire confits. Un rien d’épicé et un boisé délicat enveloppent le tout et c’est, comme chaque fois un voyage sensoriel. 
    Vacqueyras, c’est du sûr, pour qui aime les vins du Sud (-Est de la France). Ainsi du Domaine de la Curnière 2009 (-de 6€, vendu en grande 

    Les grands cypres.jpgdistribution comme les deux autres), des Grands Cyprès 2010 de Gabriel Meffre, travaillé en agriculture raisonnée (8€), et du domaine de la Brunerie, Tradition 2010 (8,80€) -lequel a notre préférence.

     

    Le château des Pins, Côtes-du-Roussillon 2008, de la Cave Dom Brial Dom Brial-Château les Pins 2008.jpg(grenache, syrah, mourvèdre), primé ici et là (mais  étant parfois membre de jurys de dégustation, je n’attache guère d’importance aux médailles –celles-ci comme toutes les autres), est un superbe rouge à la robe profonde et au nez épicé, de fruits rouges mûrs, avec un côté cuir assez sauvage, qui en fait un vin de gibier. Il est puissant mais sait se calmer si nous l’ouvrons vingt minutes avant (10,30€).

     

    Un autre Côtes-du-Roussillon remarquable se nomme singla-matine.jpgSingla, cuvée La Matine. Goûté en 2009, ce vin de négoce conduit en agriculture biologique (signé Le Comptoir Familial des Vins, de Laurence et Laurent de Besombes Singla) possède une finesse remarquable qui pourrait être prise pour de la légèreté, à l’attaque en bouche, eu égard à l’appellation. Or il n’en est rien, avec ses 80% de syrah et 20% de grenache noir, sa belle longueur corpulente mais soyeuse, ce flacon est un régal sur des grillades d'agneau ou de canard (6,50€).

     

    Du côté des Crémants, en voici un de Bordeaux (bouteille sombre), issu de cabernet-franc, élégant, Icone-RVB-300-DPI-JPEG[1].jpg
    images (1).jpegdélicieusement fruité (fruits jaunes et blancs du verger), mais toujours sec. Un bel effervescent d’apéritif (à 14,50€) qui fait la nique à pas mal de champagnes bruts de base que je ne nommerai pas. Il est signé Jaillance, comme cet autre effervescent, une Clairette de Die cette fois, issue de muscat, donc un blanc pétillant et doux qui se marie avec le chocolat comme les carrés noirs de Valhrôna par exemple. Nez de tilleul, de verveine et de litchi. Bouche légèrement mentholée. Un effervescent de dessert par définition (14,50€). Les deux cuvées se nomment Icône.

     

    Enfin, nous avons re-goûté le rosé du Domaine La Rouillère (voir ici même, à la date du 7 août dernier, mon reportage paru dans L’Express, spécial Saint-Tropez), à l’occasion de la présentation des vins du images.jpegdomaine au restaurant Les Tablettes, de Jean-Louis Nomicos (Paris 16). Je confirme : la Grande Réserve rosé 2011 de La Rouillère (en magnum, je images.jpegprécise), avec sa belle robe pâle, son nez de pêche et de petits fruits rouges, sa pointe à la fois mentholée et poivrée, est un rosé de caractère qui tranche avec la production locale de la Presqu’île dont il est issu. D’ailleurs, cela « fonctionna » bien avec le dessert, composé de poires confites et brioches croustillantes, sorbet citron vanille. À noter la belle tenue du Grande Réserve blanc du même domaine sur un millefeuille de foie gras et de champignons de Paris crus, ainsi que sur un œuf poché au potimarron, émulsion de parmesan et truffe noire; un ensemble d’une onctuosité confondante.

  • Nourrir son chien

    images.jpegParfois les scrupules entrent en moi « comme l'eau dans la bouche du noyé quand la résistance de la vie est passée et qu'il ne reste que la volupté de mourir... » * Un mois ou presque que je n'ai pas nourri mon chien -comprenez : que je n'ai rien posté ici, que KallyVasco mon clébard semble dépérir. Je sais qu'un blog vit sur ses réserves (je fête les 6 ans du mien ce mois-ci, et j’écrirai son millième article sous peu : celui-ci porte le n° 997), mais je n'aime pas l'idée de l'efflanqué, ni l’image des côtes apparentes ; sauf celles qui tutoient la mer. Aussi, voilà. Le dernier Nicolas Grimaldi, « L'effervescence du vide » (Grasset) peut décontenancer ses lecteurs, car il s'agit d'un texte personnel, d'une autobiographie axée sur la cassure de Mai 68, laquelle a bouleversé la vie du philosophe et avant tout celle de l'enseignant. Extrait : « Peut-être toutefois l’histoire a-t-elle agi sur nous à la manière de l’acide sur la plaque où vient d’être gravé le profil d’un visage. Comme la morsure de l’acide y creuse plus ou moins profondément le trait, ainsi nos personnalités auraient-elles été moins dessinées que burinées par l’histoire. D’un trait à peine accusé l’acide a fait une blessure. En crevassant les noirs, il a troué de lumière les espaces laissés vierges. Ainsi de nos vies crevassées par l’histoire. » En musardant jusqu'à la fin de l'ouvrage, nous comprenons certaines choses sur le cheminement de la pensée, nourrie d’intimités, d’un philosophe qui a toujours eu une vocation de « passeur ». Sa passion éphémère et cathartique, compulsive, pour la tauromachie, par exemple, peut surprendre, mais elle correspond à sa quête de la gaîté du désespoir, à celle de la soustraction au temps aussi, et à l'admiration du dérisoire. Nous aimons surtout lire combien cet homme précieux entre tous reste attaché au sens profond du partage : il n’aime rien comme « vivre avec » chaque moment intense, fut-ce une simple aube sur la mer. En jouir seul lui est tellement douloureux que cela le prive presque du plaisir saisi sur l’instant. ** C’est dire.

     

     * in « Rêveuse bourgeoisie », de PDLR (page  517, en éd. folio).

    ** Je ressens très fortement cela car je sais verbaliser depuis peu que c’est précisément ce qui m’a fait écrire et qui a donc décidé de ma vie : le simple fait de ne pas supporter de profiter seul de la beauté du monde, donc mon urgence à la transmettre, à partager avec des mots; le mieux possible…  

     

     

  • Offrez "Le Sel de la vie"

    images.jpegC'est un petit livre touchant, qui vous atteint au plus profond, comme le "Je me souviens" de Pérec a pu nous atteindre, ainsi que le fameux jeu de Barthes sur "j'aime - j'aime pas". Françoise Héritier, la grande anthropologue, publie un petit livre intime et sensuel (entendez : qui vient de ses cinq sens et qui va à nos cinq sens de lecteurs) chez Odile Jacob. Cela s'appele simplement "Le Sel de la vie". Sous forme de lettre à un ami médecin réputé, qui prend des vacances ultra-méritées en s'excusant -ce faisant- de "voler" du temps, cette adresse devient prétexte à une énumération infinie (mais qui se termine néanmoins) de ce qui a fait et qui continue de faire le sel de la vie de l'auteur -autrement dit du temps pas volé, mais revendiqué comme prise légitime sur l'existence, voire comme dû âprement conquis à coups d'heures, chaque jour -Non?.. Cela en devient magique, tant ce catalogue de menus plaisirs (loin de ceux de Delerm, plus riches en tous cas), est enjoué, gai, dicté par le bonheur simple et le désir de partage. Jamais ennuyeuse, bien au contraire, la liste de Françoise Héritier va d'un speculoos devant lequel elle craque à une piste africaine cabossée, une nuit, ou d'un film, d'une robe portée jadis, du passage d'une hirondelle, au seul fait d'effleurer des sensitives; à l'attente mollement agacée d'un être cher... Écoutons l'auteur : "Il s'agit tout simplement de la manière de faire de chaque épisode de sa vie un trésor de beauté et de grâce qui s'accroît sans cesse, tout seul, et où l'on peut se ressourcer chaque jour". Il est par conséquent, davantage que du Souvenir, question de la mémoire sensuelle de notre corps (et de notre esprit). Ce sont là de petites touches éparses, petits cailloux luminescents; des madeleines proustiennes. "Chacun les miennes", certes, mais justement : cela peut devenir un exercice. (Je sens que je vais lister le sel de ma vie...). Faites passer. 

    PS : hommage, en passant, à Michel Izard, autre grand anthropologue, disparu il y a images (1).jpegquelques jours, qui fut l'époux de Françoise Héritier, et que j'ai eu le bonheur de connaître car nous habitions le même immeuble pendant sept années. Tous deux sont parmi les plus éminents disciples de Claude Lévi-Strauss. Françoise Héritier a succédé au maître du structuralisme, comme titulaire de la chaire d'anthropologie au Collège de France, et c'est Philippe Descola qui a succédé à Françoise Héritier. Michel Izard, directeur de recherche émérite au CNRS, fut dès 1960 membre du Laboratoire d'anthropologie sociale créé par Lévi-Strauss au Collège de France, et il a notamment publié un manuel devenu un classique : "Le dictionnaire de l'ethnologiue et de l'anthropologie" (avec Pierre Bonte, aux PUF), et dirigé le Cahier de L'Herne consacré à l'auteur de "Tristes tropiques", paru en 2004. J'ai une pensée spéciale, enfin, pour Marie Mauzé, la dernière femme de Michel Izard; que j'embrasse ici. Anthropologue elle aussi, chercheur au CNRS, elle a rejoint le Laboratoire d'anthropologie sociale précité en 1986.


    podcastj'ai d'abord pensé à coller un morceau de musique baroque très austère, façon viole de gambe, luth théorbe, ou voix de la très-très regrettée Montserrat Figueras. Et puis non : ce morceau de Cranberries est bien mieux ici. Qu'ailleurs. 

  • Vienne en passant

    IMG_6748.JPGC'est l'année Klimt : ça ne se rate pas, si l'on aime ce peintre génial. Et l'occasion d'aller voir plus de toiles du maître Gustav Klimt qu'il n'y en a jamais eu à Vienne, est aussi celle de contempler l'oeuvre de son disciple Egon Schiele (sans Klimt, pas de Schiele). Pour cela seulement, et à condition d'admirer l'un et l'autre peintres, le voyage est indispensable en 2012 (rendez vous aux musées Leopold et Belvedere, principalement). Vienne, c'est aussi se faire plaisir en revoyant des toiles fétiches, un petit Friedrich ici, un Velasquez là. Cette ville musée, qui est aussi celle du bon café, IMG_6807.jpgdu bon chocolat et des bars à vins, est également le repaire d'une certaine mémoire littéraire que l'on s'efforce de chercher en flânant dans les rues, en traînant dans les cafés (certains ont conservé dans leur patine un charme qui semble intact), mais que l'on échoue à trouver bien sûr. Il n'y a pas de passages de l'oeuvre de Zweig ni de celle de Schnitzler, ou bien quelques aphorismes caustiques de Kraus dans l'atmosphère, comme ça, uniquement parce qu'on souhaiterait qu'il y en eut parmi les voitures et les immeubles, et malgré un vieux tramway et une architecture imposante; voire lourde. Nous finissons certes par relever des traces éparses, mais cette recherche est souvent vaine. C'est pourtant ainsi : nous ne pouvons pas nous empêcher de nous transformer en épagneul breton lorsque nous débarquons quelque part, là où un écrivain a vécu, écrit, aimé (et à Vienne ils sont légion). Mais fouiner, renifler les façades et les intérieurs, les perspectives ou les visages ne produit qu'une construction mentale aux contours arrangés par notre désir seulement. Alliée de la pugnacité, la bredouille n'existe cependant

    IMG_6725.JPGpas, et notre quête aboutit toujours à des lieux de réminiscences, à quelque détail évocateur qui nous ravit autant que le sentiment d'une bécasse blottie dans un inextricable roncier enivre l'épagneul précité. Le hasard accroît le plaisir : mieux vaut ne pas se préparer à tout, et laisser au génie des lieux le soin de nous réserver quelque surprise. N'est-ce pas d'ailleurs une définition possible du voyage? Sans nous laisser porter ni nous laisser guider, nous pouvons, à la façon de Montaigne, nous répéter : "je réponds ordinairement à ceux qui me demandent raison de mes voyages : que je sais bien ce que je fuis, et non pas ce que je cherche". A Vienne en 1982, visitant le Kunsthistorishes Museum, jeIMG_6751.jpg tombai en arrêt, littéralement, devant ma peinture préférée à cette époque et dont j'avais une copie à l'échelle 1 dans ma chambre d'adolescent -nous vivions ensemble, en quelque sorte (il s'agit des "Chasseurs dans la neige", de Bruegel) et comme j'ignorais que l'original se trouvait là, ce me fut un choc pictural énorme. Revoir ce tableau la semaine dernière fut forcément moins terrible. De même, tandis qu'on cherche dans la nuit viennoise et dans un dédale de ruelles un bon Heurige (taverne à vins), tomber sur une plaque évoquant Adalbert Stifter, lors que l'on admire l'auteur de "L'homme sans postérité" et que l'on ignorait qu'il faisait lui aussi partie du vivier, est un bonheur de voyageur. (Stifter, homme des grands bois et des montagnes, vécut surtout à Linz, ce n'est pas bien loin, mais Vienne l'aura "récupéré" comme elle tente de s'approprier des morceaux de Celan et de Rilke. Renseignements pris, il existe même un musée Stifter à Vienne). Mais bon, Klimt... Klimt! Et Schiele! Oui-oui, les deux. -Allez!

    Photos : © L.M.

  • Le Yémen croqué

    pres_carnet_yemen_05.jpgPhilippe Bichon est un globe-croqueur. Il parcourt le monde en le capturant avec ses pinceaux (il peint à l'aquarelle) et ses crayons. Il a déjà publié plusieurs livres, écrits et illustrés par lui, sur l'Egypte, la Jordanie (Petra), l'Inde (Rajasthan, Benares...), l'Iran, le Tibet. Il publiera ses carnets de voyage au Mali, en Birmanie, en Ethiopie. Celui que nous tenons entre les mains nous tient particulièrement à coeur car il est consacré au Yémen, un des plus beaux pays du monde, où la nature, l'architecture, les gens, sont uniques. Feuilletez ceci et vous comprendrez : http://www.globecroqueur.com/carnet_yemen.htm#

    Couv_Yemen2.jpgIl s'agit d'un énorme travail, d'une somme, d'une sensibilité avant tout, d'une poésie
    et d'une démarche de respect, d'immersion, d'observation pudique de l'autre, mon semblable à la culture différente. J'y ai retrouvé des paysages que j'ai aimés avec une émotion intense, dans cette "Arabie heureuse" où j'ai eu la chance de séjourner deux fois, en voyage, en reportage (et publiés la première fois avec un carnet de dessins de Catherine Delavallade dans "Voyageur", puis avec des photos, mais sur Sana'a seulement, dans "VSD"). 
    Philippe Bichon possède un énorme talent. Il peint et décrit ces paysages, ces villages d'une splendeur confondante, et les visages de ces hommes et femmes avec un tact inouï, une douceur, une délicatesse qui expriment totalement ce que le voyageur éprouve en marchant dans les rues d'une ville, d'un village perché dans la montagne, sur les marchés, chez l'habitant. C'est magnifique. Mention spéciale à Bleuéditions, installées à Pau, qui publient tous ces carnets : http://www.bleueditions.net/

    Le livre vaut 28€, et c'est vraiment cadeau

    (Il ne s'agit pas dans cette note d'évoquer les problèmes politiques que le Yémen rencontre, car le propos de Philippe Bichon est autre, soit au-delà de tout clivage, en empathie avec un peuple, une nature, une architecture surtout, et une humanité fondamentale -toutes choses qui frappent lorsqu'on visite ce merveilleux pays).

  • emmanuEllemange

    893747701.jpgElle mange. Car elle aime manger. Elle voyage. Pour manger, pas pour voyager. Ou alors dans sa tête, qui est reliée à son ventre. Elle écrit sur ce qu’elle mange. Chez elle, chez les autres, au restaurant d’en bas, dans celui-là, loin, parce qu’il est mortel –genre Bras; chez l’habitant aux quatre coins d’une planète réensauvagée par ses passages, et qu’elle finira par connaître par corps, côté cuisines. Elle vit pour manger et mange pour vivre (elle mange donc elle vit, dit-elle), se nourrit spirituellement et « terrestrement » surtout. Elle a des blessures inconsolables et des joies passagères, comme chacun, donc des souvenirs hauts et des souvenirs bas, mais liés à des repas –chacun son méridien de sandwich, à des aliments, à des moments de partage ou de dégustation, fut-ce debout avec un canif, ou à mains nues, ou bien –chic : à L’Ambroisie ou dans une ruelle crade, à l’extrême-orient de tout repère. Elle a des souvenirs liés à des recettes aussi, à des observations de proches ou d’êtres chers qui font, ont fait (la mémoire des gestes), qui en parlent, qui nourrissent, ou bien donnent à goûter. Elle écrit bien. De mieux en mieux. Elle travaille. Elle sait décortiquer le phrasé d’une recette aussi, je veux dire ce qui parle dans l’assiette, ce qui fait sens au-delà des cinq sens. Avec Elle mange (*), je rentre en sixième. Sans régresser ni engraisser : trop la chance.

    CANNIBALE DE SURFACE

    Elle sait dire l’émotion de tout ce qui se mange et dont elle n’est pas le nom, à la faim. Elle sait aussi le sens du mot fin. Animale, elle goûte tout. Même à l’homme, en cannibale de surface. Extrait : « On ne mange pas un homme comme un fruit.  Ça se mordille un homme, ça ne se mord pas. Ça se suce, ça se lèche, mais ça ne s’avale pas. » Son petit livre précieux est construit ainsi. Par sentiers, par la voie sentimentale, selon des axes fondamentaux, via des instincts transversaux, ces permanents culturels. Il y a une attaque, il y a une chute, et entre, il y a un voyage, une progression, des tapas, des mezze, des voyages, des hommes, un père, une grand-mère, de la séduction, de la rétention, de la dialectique du désir, du plaisir à fond les assiettes, des travaux d’approche comme on se passe du jabugo avec les yeux, et les doigts accessoirement. On y picore mais avec attention, ardeur et sentiment. Il arrive que la peau frissonne en lisant, soit qu’on se reconnaisse dans un texte écrit pour soi (pourquoi tairai-je ma fierté d’être à la carte), soit que l’on parvienne à décoder d’autres textes, ou que l’on retrouve des textes lus une première fois sur brouillon, dans une autre vie. « Elle mange » : j’avais trouvé le titre. S’en souvient-elle -peu me chaut. Ce bouquet de renoncules littéraires, écrites, stylées, chaloupées, accrues, serrées, réduites jusqu’au sirop, jusqu'au bouton, disent des moments forts, tous liés à l'acte-manger, en somme. Pour faire trivial j'écris ainsi, et me dédouaner de ne pas savoir qu’en penser à fond, tant l’empathie gagne la partie. J’aime beaucoup la table des matières de Elle mange, car le folio n'obéit qu'aux mots, lesquels obéissent à une sensibilité certaine. Ils ont leur organisation propre : à la première ligne, l’admiration ouvre la table en renvoyant à la page 57, tandis qu'à la onzième ligne de cette table-là, c’est la mort qui ouvre le bal en nous expédiant page 4.

    A LA RECHERCHE DU BEIGNET PERDU

    Emmanuelle Jary, c’est le nom de l’auteur, envoie les plats de la façon suivante : admiration, amitié, amour, égoïsme, enfance, ennui, complicité, frime, frustration, honte, mort, séduction, sensualité, tendresse, vie, dégoût, désir, rituel, caprices. Nous suivons le fil en ordre dispersé, fourchette au poing. Un certain beignet africain est sa madeleine, fondatrice et décisive, pour le moment, d’une vocation engendrée par un manque, peut-être... Par une recherche du beignet perdu, ce faux frère. Elle dévore aussi des yeux. Elle sublime ou mange à bras le corps, elle aime la truffe noire autant qu’un vieux comté, un crabe en mue ou une langue de canard, elle se ramasse à la petite cuiller lorsque Pepito, son grand-père adoré, meurt. Elle est capricieuse, pugnace, têtue, lorsqu’il s’agit de manger ça et pas autre chose. Elle dirige la guerre du goût depuis sa naissance. Elle souffre de ne pas aimer le café « comme tout le monde ». Elle peut avoir un caractère de cochon mais sa façon de manger un tablier de sapeur, juste après un gras-double dans un bouchon lyonnais (où logent les papilles de sa nation) est si confondante qu'on lui pardonne. Elle sait dire, vu depuis Paris, l’ennui épais comme la crème de marrons un dimanche après-midi comme personne : sans rien cacher de son désarroi, et c'est ce qui est infiniment touchant. Elle sait dénoncer la fausseté toujours et c’est heureux, puisque-puisque rare. C’est une femme habillée de franchise intérieure. Elle aime savoir dire le gras, l’excès, l’interdit qui dégouline, le borderline gastronomique overdosé -avec talent. D’ailleurs elle s’en délecte, provocatrice-woman. Elle ne s’embarrasse pas avec l’entregent, les précautions d’usage, les habitus versaillais, elle mange avec les doigts au Georges V si ça lui chante, et nous la devinons capable d’un hamdoullah sonore, assise en tailleur sous une tente plantée dans le Haut-Atlas, puisqu’un repas s’y honore bruyamment, selon les rites locaux en vigueur. Elle obéit à certaines règles. C’est son côté ethno, débarrassé de lunettes culturelles depuis sa découverte du goût. Car c’est lui le personnage principal, le héros. Le goût. Son goût à elle. Les goûts d’elle. Mais sa définition du goût est libertaire : un très grand vin lui importe moins que le regard de celui qui saisit le verre, servi par elle, de ce vin-là. De même, un fromage de Rocamadour pas assez fait peut la plonger dans une rage de bouc en rut. Par conséquent (et puisque je sens qu'il est temps que j’arrête), vous aimerez la lire, j'en suis absolument certain.

    (*) Editions de l’épure, 10€ (c’est cadeau).

  • Le Camus philosophe de Michel Onfray

    téléchargement.jpegOnfray a des ennemis et j’aime ce qu’il écrit, donc je n'aime guère ses ennemis. Certes, il se répète beaucoup, à l’envi, comme un distributeur de litanies, dans le présent livre aussi, et si  je me livrais à un exercice journalistique classique, celui du SR (secrétaire de rédaction), je saisirais les ciseaux de Sainte-Anastase et je taillerai là-dedans, je veux dire dans son dernier gros opus : « L’Ordre libertaire. La vie philosophique d’Albert Camus » (Flammarion) pour ôter  environ 150 pages de redondances aux 600 que j’ai cependant dévorées avec un immense plaisir  et sans en sauter une demi-ligne.

    C’est un grand livre. Certes un chouia hagiographique, certes un poil anti-sartrien bichrome (c’est black or white), voire manichéen par endroits, avec force flot de citations à charge. Certes c’est également une espèce d’autobiographie (Nietzsche : « Toute philosophie constitue une autobiographie masquée ») :

    PARALLÈLES

    Camus et Onfray ont, il faut le préciser, un parcours comparable. Mêmes origines sociales -pauvres-, même mépris pour les paillettes germanopratines, mêmes inspirations nietzschéennes, voire gramsciennes (pas convaincu par le chapitre ad hoc, et je pense bien connaître mon Gramsci), même énergie solaire (sauf que Onfray n’est pas Méditerranéen, que l’on sache), même accueil par une certaine dictature du savoir et du pouvoir éditorial (laquelle vire peu à peu à l’endogamie mentale à force de manquer d’air –mais c’est tant pis pour elle. Même cette civilisation, par ailleurs mortifère, est mortelle!).

    Même destinée libertaire aussi, voire anarchiste… Onfray n’a pas publié de fictions comme Camus, cependant. Et nous savons, à la lumière de cet essai brillant, combien « Noces », « L’Eté », « La Peste », « La chute », « L’Exil et le Royaume », etc., contiennent dans leur ventre une portée philosophique, à côté de laquelle nous étions passés jusque là, en nous attachant exclusivement à la prose sensuelle, solaire, méditerranéenne, hédoniste, algérienne, salée, profondément libre de notre Camus préféré. (Relire aussitôt « Noces », et « L’Eté », au sortir de la bio d’Onfray, fut un bonheur frais et comme neuf : garanti pièces et main d’oeuvre).

    OBSCURES RANCOEURS

    Mais il s’agit d’abord d’une biographie philosophique. Après avoir flingué Freud à la mitrailleuse lourde (« Le crépuscule d’une idole », Grasset), voici Michel Onfray en verve pour réhabiliter, car cela semblait nécessaire, le Camus philosophe pour classe d’agrég. (et non pas pour classes Terminales, pour paraphraser le titre d’un pamphlet qui m’opposa constamment à son auteur et ami, feu Jean-Jacques Brochier).

    L’Ordre libertaire est un grand bouquin parce qu’il règle les comptes avec une certaine société parisienne nombriliste, étriquée, auto-intelligentisalisée et propriétaire (putschiste) du droit de dire, de publier, de faire et de défaire, mais dans un cercle tellement restreint qu’il semble (à le renifler et tant il est nauséabond au fil du temps), avoir oublié les structures élémentaires de la parenté. Autrement dit, la prohibition (métaphysique) de l’inceste (mental) ne semble pas avoir cours dans ce marigot-là. La suffisance semble gouverner sa morgue. Ainsi que la reproduction entre soi, façon « Les héritiers » selon Bourdieu & Passeron.

    Du coup, Albert Camus le pied-noir, fils d’un père ouvrier mort au front en 14 et d’une mère analphabète (elle n'a jamais lu son fils!), n’ayant fait ni "H. IV", ni Ulm (Normale Sup), ne fait pas partie du Club Mickey, donc du sérail, de la famille bourgeoise bien-pensante. D’où leur haine, leur jalousie lorsque l’auteur de « L’étranger » obtint le Nobel en 57 (« Devant ma mère, je sens que je suis d’une race noble : celle qui n’envie rien », in « Le Premier homme »). Entre autres exemples.

    Sur cet aspect de l’homme et du ressentiment parisien, Onfray excelle. Nous sentons un Camus décidé à ne pas s’approcher trop près de ces virus, qui préfère la compagnie de l'ami absolu et total, René Char, et la perspective de vivre à Lourmarin (où il repose d’ailleurs) plutôt que rue de Chanaleilles, même si c’était bien, le temps passé là-bas.

    UN HOMME SIMPLE ET SOLAIRE

    Ce qui séduit d’emblée dans le livre d’Onfray, c’est de retrouver un Camus absolument solaire (et c’est la première fois que je lis cela, car ni Emmanuel Roblès pourtant, ni José Lenzini, et même Frédéric Musso, ni Morvan Lebesque, ni Abdelkader Djemaï, ni Jean Daniel, Jean Grenier à peine, Macha Séry un tout petit peu, n'étaient parvenus à retranscrire cela avec autant de talent et d’exactitude), un Camus résolument hédoniste et tout entier tourné vers la sensualité de la vie intellectuelle, avec le corps et l’esprit.

    Onfray fait de Camus un Zarathoustra venu d’Algérie. Et le prouve (le bonhomme connaît son Nietzsche sur le bout des doigts), mais on pourrait être tenté de lui reprocher de forcer le trait pour nous persuader de ses convictions. C’est le jeu. On le joue. 

    Plus intéressante est la manière dont Onfray souligne l’attachement inaliénable de Camus à la pauvreté dont il est issu et qui l’a forgé (les livres lui furent une conquête et pas un héritage, comme cela fut le cas pour un Sartre), ainsi qu'aux humiliés, aux taiseux comme sa mère, et donc au courage, à la noblesse humaine la plus nue, à la loyauté, au courage d’être un homme, au sens de l’honneur, à la dignité de son modeste rang ;  à la philosophie d’une morale vraie, en somme.

    UNE BIO EN EMPATHIE

    Avec ce livre, nous sommes loin des gros pavés qui font autorité, comme le Herbert R. Lottman (monumentale enquête biographique à l’anglo-saxonne, irréprochable, totale, et d’une précision d’horloger genevois croisé avec une entomologiste teutonne), ou le Todd (Olivier), que j’aime moins, mais passons. Ici, avec Onfray, tout fait bonheur, poésie, liberté, détachement, regard vers le soleil les yeux ouverts, appel à Diogène et volonté de jouissance…

    Onfray combat la légende : Non, Camus n’est pas un philosophe pour futurs bacheliers, ni un romancier à la prose douce et facile. Oui, Camus est un philosophe profond dans ses essais fameux comme « L’homme révolté » et dans ses œuvres de fiction. Oui, Camus est un anticolonialiste engagé mais mesuré, singulièrement consensuel dans une époque radicale (« la radicalité de la nuance », c’est de lui, et je n’ai pas retrouvé la formule dans le livre d'Onfray).

    Oui Camus est un païen pragmatique, un homme droit qui se souvient de l’unique leçon de son père disparu trop tôt : « un homme, ça s’empêche ». C'est encore un homme fidèle aux siens –même contre la Justice. Fidèle à sa mère d’abord, fidèle à son instituteur Louis Germain (le « Discours de Suède » rappelle cela avec superbe) fidèle à cet espèce de père de substitution.

    Fidèle aussi au maître absolu que fut Jean Grenier, son prof de philo et auteur des « Îles » et de « Inspirations méditerranéennes », qui lui fit lire aussi « La douleur », d’André de Richaud, lecture décisive. Mais avant tout parce que le professeur Grenier déclencha en Camus le désir d’écrire!..

    Camus est un disciple du « Gai savoir » et du précepte nietzschéen fameux : « Deviens celui que tu es », il est un homme qui ne cessera de faire savoir qu’il faut faire en sorte que ne doivent exister ni bourreau, ni victime.

    AU-DELA DU BAEDEKER

    Bien sûr, il est aussi question dans ce livre de Belcourt, d'Alger, de la tuberculose à dix-sept ans, des femmes, du séducteur, de son look Bogart, des clopes, de Maria Casarès, du foot, du théâtre, de Francine après Hélène, d'« Alger Républicain », de « Combat », de Paris, de l’accident fatal dans la Facel-Vega conduite par Michel Gallimard, du manuscrit du "Premier homme"... tout cela que l'on sait déjà (peu ou prou), du succès de « La Peste », de l’arbre "Etranger" qui cache la forêt d'une oeuvre puissante et protéiforme (« Meursault c’est moi », eut pu dire "Albert Flaubert", à cause du soleil), de Tipasa enfin, et du retour à. Etc.

    Tout le Baedeker Camus est forcément dans ce livre, mais par petites touches délicates. Onfray s’attachant à démontrer (avec talent et superbe) la dimension philosophique de Camus, son livre est un bréviaire indispensable. Cette dimension, incontestable pourtant, un certain Paris vétilleux, pincé du nez, coincé des neurones, refuse toujours de la reconnaître à l’auteur de « L’envers et l’endroit ». 

    Camus nous apparaît sous les traits d’un philosophe artiste –et adepte d’un art de vivre en temps de catastrophes, à l’aise dans son corps qu’il laisse s’exprimer en plongeant, en nageant, en faisant l'amour, en écrivant, en transpirant, en jouant, en lisant, en déclamant des auteurs grecs, en shootant dans un ballon rond, en chuchotant, en observant en silence l’horizon méditerranéen depuis la plage...  

    Car Camus possède le « castizo » espagnol, cette fierté si bien décrite par Michel del Castillo ici et là, ce cran donquichottesque qui n’ignore pas sa folie douce. Camus est un être charnel, exposé à la brûlure du soleil, au sel, à la cuirasse d’argent de la mer. Il n'est pas un de ces anémiés du 6ème arrondissement, perclus de rancoeurs, de jalousies et de comptes à régler avec ceux qui pourraient pisser peut-être plus loin qu'eux! –d’où les névroses auxquelles Albert est fondamentalement étranger, surtout vues depuis Alger ou Oran. Car tout cela manquerait un peu d'horizon. (Les natifs d’Oran -dont je suis- pardonnent à Camus de n’avoir pas aimé cette ville, cadre de sa "Peste", et de lui avoir préféré Alger). 

    UNE PULSION DE VIE SPINOZIENNE

    Camus nomme imbécile "celui qui a peur de jouir parce qu’il n’éprouve pas de honte à être heureux"

    Son hédonisme, avec les événements historiques dont il sera le témoin durant sa courte vie, est un antifascisme. La pulsion de vie, quasi spinozienne, de Camus, forge sa force. Celle qui lui fera éviter les pièges du communisme aveugle et ses haines recuites, sans oublier son cruel désir de vengeance.  Nul ressentiment chez Camus, souligne avec bonheur Onfray. Juste un jugement mesuré. Antimarxiste, soit anti-obtus. Il estime qu'il serait encore possible de faire cohabiter les cultures arabes et européennes sur le sol algérien,  aux premiers moments durs des « événements », qu’il ne connut qu’à peine.

    Camus est enfant du melting-pot pied-noir, enfant d’un bouillon de culture sain, vivant, prodigieusement débarrassé de l’acnée parisienne et des remugles racistes ayant largement cours bien au-dessus de Gibraltar. Il est fils de l’ouverture, de l’écoute, de l’altérité, du soleil et des bonheurs simples.

    Il se choisit Grec. Il appartient de toute façon –qui le contesterait ?- à la gauche dionysienne et laisse sur le bas-côté du chemin la gauche apollinienne, chichiteuse, pluvieuse, grisâtre, revancharde, aigrie toujours, et aussi exsangue du corps comme du cerveau.

    Camus est un homme placé de naissance du côté de l’hospitalité et du cosmopolitisme, de la fierté castillane, de la loyauté, de l’héroïsme hérités de Cervantès.

    L’armée et l’université ont refusé son admission lorsqu’il était jeune. A cause de sa santé faible. Camus taillera sa sculpture solaire dans ces refus aux relents métropolitains. Onfray circonscrit cela avec une grand justesse : Camus est un philosophe qui privilégie la sensation, l’émotion, la perception, sur le concept, l’idée, la théorie. Et c’est pourquoi il nous est si proche, si tutoyant, si populaire, si accessible aussi. Ce que d’aucuns lui reprochent, car il ne reproduisit aucun de leurs codes moisis.

    UN TROPISME LIBERTAIRE

    A commencer par le tropisme arriviste du Rastignac de sous-préfecture -ce que Camus n'est pas : il n’envie pas Paris. Comment pourrait-il avoir le désir de sa conquête ? Paris lui fera payer très cher ses origines modestes, son existence de petit pied-noir qui défendit même ceux-ci –ce qui constitua un crime de lèse-pensée-unique à l’époque des porteurs de valises, , et de France Observateur, des livres (admirables, d’ailleurs) publiés clandestinement par les éditions de Minuit (et qui ressortent ces jours-ci)… Même son insolence politique, ses prises de position méfiantes face à un Parti communiste avaleur et destructeur à l’époque, furent inscrites au débit de son compte…

    La grandeur de Camus se trouve là aussi. Comme dans les métaphores de sa vie que sont ses pièces (« Caligula », « Les Justes », ou ses adaptations dramaturgiques diverses). Onfray souligne que Camus n’est pas un contre-révolutionnaire, mais un révolutionnaire contre. La nuance est de taille.

    Je relisais hier « Misère dans la Kabylie », après avoir refermé le Onfray et avoir lu qu’il y neigeait en ce moment, comme souvent d'ailleurs. Les récits de Camus (ou reportages à rendre jaloux jusqu’à la torture, un BHL, mais certainement pas un J. Littell à propos de la Syrie –admirable série dans « Le Monde » de la semaine dernière), rappellent les journaux africains de Gide. Le talent narratif est là, profondément tourné vers l’Autre, ce qui est salutaire, et l'on trouve aussi une dimension lyrique qui fait souvent défaut dans les textes de ce genre.

    Sur la Guerre d’Algérie (elle touche ma mémoire familiale), je juge utile de citer seulement ceci, de Camus : « Quatre-vingt pour cent des Français d’Algérie ne sont pas des colons, mais des salariés ou des commerçants ». Camus ne souscrivit jamais à la justice sélective, ni à la « justice française » de la torture, pas plus qu’à la « justice nationale » des massacres.  

    Il considèrera jusqu’au bout que les Pieds-Noirs, eu égard à l’histoire de l’Algérie (ses invasions successives depuis l'Antiquité l’ayant construite) étaient des indigènes (provisoires) comme tous les autres. Camus paiera cher pour cette loyauté-là, pour sa rectitude, son bon sens, ses fidélités (ma mère contre la justice des terroristes...).

    Même des esprits réputés éclairés (Bernard Frank par exemple) le traînèrent dans la boue, suivant sûrement un courant de pensée comme on monte dans un train en marche : nous pardonnerons par conséquent beaucoup au ventriloque Frank de ce « mundillo » en mal d’espace et d’horizon...

    A la sortie de ce monument à la gloire d’un philosophe négligé, nous n’avons qu’un désir : le relire, et donc le prolonger. "Le faire passer", encore et toujours. Sans oublier les Sartre et autres bâtisseurs de lotissements d’une tenue autre, certes.

    Mais surtout de faire passer cet hédonisme de la jouissance du corps et de l’esprit mêlés, qui font trop souvent défaut au centralisme intellectuel de notre république des lettres.

     

     

  • Claude Simon et la description

    imag.jpegOn ne s’y attend pas. Claude Simon (disparu il y a six ans et demi), dans le texte d’une conférence qu’il donna en 1980 sur Proust, intitulée "Le poisson cathédrale", (in "Quatre conférences", qui paraît chez Minuit), évoque longuement l’analogie entre la fameuse madeleine et le sexe féminin. "Vulve, moule bivalve" sont là, pour l’auteur de "La corde raide" et des "Corps conducteurs". En effet, Proust décrit "des gâteaux courts et dodus qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille Saint-Jacques". Simon souligne : "moulé, valve, rainure". Et cite à nouveau Proust à propos d’Albertine nue : "son ventre se refermait à la jonction de ses cuisses par deux valves". Et plus loin (Proust, encore, au lit avec Albertine tandis que les marchands des rues  s’écrient) : "A la crevette, à la bonne crevette, j’ai de la raie toute en vie". Commentaire du Prix Nobel 1985 : "J’ai de la raie toute envie, ou encore, si l’on retourne la phrase, j’ai tout le vit en la raie". C’est mignon, ces dérives lacaniennes, de la part du grand écrivain.

    Eloge de la description

    Plus intéressantes sont ses remarques sur la littérature, en particulier la description.  (les trois autres conférences que comprend ce recueil –et où la peinture entre constamment comme appui, ou contrepoint dans sa réflexion, ont trait à la mémoire, à l’écriture et à la poétique). Longtemps considéré comme secondaire dans la fiction, l’art de décrire est pour Claude Simon fondamental. Au point qu’il pourrait définir à lui seul la chose littéraire. "Le roman ne cesse d’être le récit d’une ou plusieurs aventures en même temps et dans la mesure où il est aussi l’aventure d’un récit", écrit-il en conclusion de sa conférence intitulée "L’absente de tous bouquets". Simon se pose en auteur classique, dans la lignée de Flaubert ou Chateaubriand, lorsqu’il écrit ceci : "au contraire d’un Montherlant ou d’un Breton déclarant tous deux que lorsque dans un roman ils arrivent à une description ils tournent la page, lorsque cesse une description et que l’auteur commence à se livrer à des considérations psychologiques ou sociales, alors, c’est moi qui tourne la page". Au cœur du vieux débat sur l’engagement contre l’esthétique, de l’utilité contre l’émotion, un père du Nouveau Roman tranche bellement. Et rappelle que Proust abolit la conventionnelle distinction entre narration et description, "car est-il besoin de dire toute la distance qui sépare, et fondamentalement, le compte-rendu d’une action, d’un événement…". Comme l’œuvre peinte, ajoute Simon, l’œuvre écrite ne va plus dès lors "tirer sa pertinence" de quelque association avec un sujet important mais du fait qu’elle va s’efforcer de s’accorder, comme la musique, à "l’harmonie même de l’univers". Jean Ricardou, pour finir : "le roman n’est plus le récit d’une aventure, mais l’aventure d’un récit". C'est lumineux, brillant, revigorant tout ça. Parce que la littérature qui ne me fait pas frissonner ne mérite pas que je m’y attarde, ai-je envie d’ajouter. 

  • Gide, Journal

    images.jpegEt si c'était son meilleur livre? Celui par lequel il faut passer, comme par une porte étroite, celui qui exprimerait la quintessence gidienne, l'âme des soties, des romans, des essais, de tout. Tenu librement de 1899 à 1949, non pas en marge de l'oeuvre mais à son côté, il apparaît comme un baromètre d'un esprit lucide, clairvoyant, intraitable avec lui-même, comme la doublure d'un écrivain constamment en état de "work in progress". Je l'avais pas mal picoré dans mon exemplaire de La Pléiade, ce grand Journal (le volume qui couvre 1939-1949 et qui englobe notamment "Si le grain ne meurt"), mais en m'attachant seulement aux superbes pages consacrées à l'Afrique et notamment "Voyage au Congo", "Retour du Tchad" et "Carnets d'Egypte". Là, folio, pour les 40 ans de la collection, publie une anthologie (concoctée par Peter Schnyder et Juliette Solvès) de l'énorme Journal de Gide, et cela se lit comme un roman. Revêtu d'une jaquette bleue classieuse et veloutée au toucher, ce choix donne 450 pages tantôt crépitantes, tantôt mélancoliques, qui mêlent réflexion sur le monde, sur les amis écrivains (nous croisons Claudel, Proust, Péguy, Suarès, Jammes, Copeau, Wilde, Rilke, Blum, Barrès, Valéry), introspections, pensées et surtout travail d'écriture. Excepté les pages sur l'Urss qui dévoilent un Gide déjà marxiste et en train de devenir stalinien, et celles qui touchent à la montée du nazisme et montrent la naïveté des historiens du temps présent que sont parfois les diaristes (lesquels pêchent par manque de clairvoyance, mais se ravisent vite, heureusement), nous avons là le tableau d'une époque riche, mais que l'auteur ne retranscrit qu'avec parcimonie. Il préfère se confier à son Journal comme un Amiel, un Bloy ou bien le Cioran des Carnets.

    Mon âme est un champ de manoeuvres

    En mettant son coeur à nu et en ne s'épargnant jamais. Gide dit de son âme que c'est "un champ de manoeuvres". Et livre des fragments qui sont parfois des traits, des aphorismes précieux, des pensées à la Wilde; des formules, des mots d'esprit. J'en ai relevé un bouquet. Jugez : "La phrase est une excroissance de l'idée". "L'admirable, sur cette terre, c'est qu'on est forcé de sentir plus que de penser". "Une grande habileté, c'est de se dire que ce qui vous ennuie vous éduque." Pour moi, lire un livre, c'est m'absenter quinze jours durant avec l'auteur". "L'irretrouvable, l'ininventable, c'est la sensation". "Mettre entre soi et le monde une barrière de simplicité. Rien ne les déroute plus que le naturel". Pour les mots aussi, Gide croyait à la vertu des mauvaises fréquentations. Et cet homme fondamentalement franc avec lui-même, ne cache pas (cela rend son Journal émouvant) les flétrissures de son coeur que seul le chant matinal d'un merle parvient à apaiser à peine. Mais la pudeur semble l'enjoindre de ne pas s'épancher sur les causes de ses blessures. Gide écrit droit et avec cran. Et confesse qu'il se voulait mélancolique car il n'avait pas encore compris la supériorité du bonheur. Il cultive en revanche l'errante imprécision du désir, jouit d'une vie de jeunesse réalisée dans l'âge mûr, et regrette que "certains jours, la vie a si mauvais goût qu'on voudrait pouvoir la cracher". Gide lit La Bruyère et Nietzsche comme des auteurs définitifs. Vilipende la famille et la religion. Adore l'Italie, "où la plus sensuelle caresse rejoint la spiritualité", et se rend souvent au Maroc et en Tunisie... Et, surtout, il note le 30 mars 1932 que la perspective de la publication de son Journal, en annexe de ses oeuvres complètes, en fausse tout à coup le sens... Nous lisons alors les 130 pages qu'il reste avec une certaine méfiance. Mais rien ne change, et c'est le miracle. Le tact. La retenue. L'art. "Il est des jours où je ne me sens plus dessiné que par mes ombres", écrit-il avec un accent lichtenbergien. Gide se fait sombre parce qu'il sent le jour de sa vie baisser à mesure. Aussi, ce Journal prend-il un accent grave, et se lit comme le roman d'une vie grande. Gide ne désespère pourtant de rien, avoue s'accrocher parfois à ses carnets, déclare : "Si je ne parviens pas à rejoindre la sérénité, ma philosophie fait faillite".  Le 22 septembre 1938, il écrit : "J'ai achevé hier soir de relire les deux cent premières feuilles d'épreuves de mon Journal, pour l'édition de La Pléiade." Et cela sonne comme le trait de génie (qui, à mes yeux, pourrait définir la littérature) que Gide eut en écrivant "Paludes" -cette histoire d'un célibataire dans une tour entourée de marais. Souvenez-vous, ce sont les  premiers mots de cette précieuse sotie. ("Vers cinq heures le temps fraîchit; je fermai mes fenêtres et je me remis à écrire. A six heures entra mon grand ami Hubert; il revenait du manège. Il dit : "Tiens! tu travailles?" Je répondis : "J'écris Paludes. -Qu'est-ce que c'est? - Un livre"...). Gide dîne avec le général de Gaulle, lit Saint-Simon, est de plus en plus intraitable avec lui-même, mais avec tendresse et cela sonne comme un oxymore : "Les plaisirs sont venus se poser sur moi comme des oiseaux de passage. Pour tout accueillir, je vivais les mains ouvertes et n'ai su les refermer sur rien. Du moins ai-je appris à me juger sans indulgence, et plus sévèrement même que ne ferait un ennemi." Le Journal du Prix Nobel 1947 s'achève en conscience le 25 janvier 1950. Gide meurt le 19 février de l'année suivante à l'âge de quatre-vingt-deux ans. Nous refermons ce livre bleu avec un regret certain comme on remonte un drap jusqu'à cacher le visage.

  • crozes-hermitage blanc et foie gras!

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    C'est minéral, droit, et à la fois gras et rond. C'est un petit miracle que l'on doit à de vieux plants de marsanne qui savent (se) donner, au sol argilo-calcaire et de loess, au climat clément mais rude parfois, et surtout au talent de ceux qui créent ce Crozes-Hermitage blanc 2010 de la Cave de Tain l'Hermitage, dans la Drôme (au Nord de la Vallée du Rhône). Les Hauts d'Eole est un blanc de classe, de caractère, de rectitude, qui exprime fleurs et fruits frais, passé une robe dorée et profonde. Des touches légèrement exotiques, d'agrumes adoucis, et un très léger mentholé en fin de bouche longue, circonscrivent notre affaire. Au creux de l'hiver (et pouquoi pas!), tandis que le feu crépite, que la neige a mis la nappe sur la terre et que des livres attendent moins impatiemment qu'un chien qu'on les ouvre ou qu'on lui ouvre, boire un blanc de cette tenue là est un cadeau à partager avec une volaille à la crème, un poisson blanc en papillotte, un chèvre frais, une simple pomme; un amour ou deux amis. Ou bien tout seul, pour lui, en rentrant, après avoir ôté ses bottes et ravivé l'oeil rouge cendré de la braise; dans l'attente des précités. 11€ (c'est cadeau, à ce niveau de franchise vigneronne).

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    Foie gras d'Eden

     

    Le foie gras au gingembre et pomme de la Comtesse du Barry, présenté dans un petit écrin, semble avoir été taillé sur mesure pour être offert un 14 février. Au hasard. Le marketing valentinien a pris de l'ampleur, ces dernières années. Aurions-nous besoin d'être poussé par des rendez-vous panurgiques pour ranimer en nous le désir ou même l'idée de penser?.. A sa mère (rappelons que l'orchestration commerciale de sa Fête est une invention du régime de Vichy...), à son amour... Toujours est-il que ce foie gras se retrouve légèrement sucré, car les communicants estiment sans doute que l'amour est doux. Mais qu'il ne doit pas être mièvre. Ce petit mi-cuit baptisé Eden, à déguster à deux (il pèse 90 g et vaut 14,90€), comprend une petite pomme Granny Smith, du gingembre confit et de la cannelle. Compoté, épicé, fondant, très légèrement acidulé, exotique, gras sans être pesant, il mérite une pincée de sel et un peu de poivre noir du moulin. Dégusté -juste pour voir- sur le crozes-hermitage évoqué ci-dessus, il ne jura pas. En tous cas, évitez un vin moelleux ou liquoreux avec ce foie-là, au risque de tapisser votre langue d'une toile cirée et de baillonner vos papilles jusqu'au dessert.

     

  • Un site d'une beauté troublante

    C'est ma fille Marine qui l'a porté à ma connaissance et je souhaite aussitôt le partager avec vous : 

    http://lapetitemelancoly.tumblr.com/

    Les extraits, les auteurs choisis sont remarquables (ils figurent de surcroît dans le petit panthéon personnel de la partie peut-être la plus précieuse de ma bibliothèque). Quant aux illustrations, elles sont simplement splendides, et toutes, sans exception je crois, pourvues d'une beauté rare. La mélancolie -en tant que phéomène artistique, que concept philosophique, littéraire, pictural, est ici portée à son plus haut point de pureté troublante. C'est une rencontre. Un voyage. (Merci ma puce).

  • Grozdanovitch photographe

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    Nous connaissions le penseur, auteur d'un inoubliable Petit traité de désinvolture, et le champion de tennis. Voici le photographe sensible, qui voyage avec son amour, sa femme (à la beauté égyptienne classique) et un appareil photo depuis plus de trente ans. Il a opéré une sélection drastique dans ses malles de clichés et nous en sert une soixantaine avec des textes courts, denses, fulgurants; essentiels. Cela s'appelle L'Exactitude des songes (Rouergue) et c'est splendide de retenue, de petites touches. Denis Grozdanovitch semble dire, avec Philippe Jaccottet, qu'il ne faut jamais tout dire, mais suggérer. La Nièvre, l'Aveyron, Paris, la Tasmanie, Judith sa compagne, la Grèce, la Sicile, le Maroc, un inconnu, peu importe le lieu et les sujets, car seul compte le regard que pose l'auteur, à travers l'objectif, sur une ruine, une sculpture, une tombe, la pluie sur une vitre, un quai de gare, ou un autre de métro déserts, une enfant de dos, un escalier métallique, un paysage boueux de Normandie, une devanture d'échoppe... Les clichés possèdent la faculté magique de ressusciter des émotions, dit l'auteur. Celles, personnelles, de celui qui les a pris, bien sûr. Mais la portée de la photo, lorsqu'elle touche à l'universel, est bien là lorsqu'elle nous frappe et résonne en chacun de nous, par sa puissance d'évocation, par ce qu'elle renvoie à notre propre mémoire. Grozdanovitch a raison de citer la parole éclairante de Proust (in Le Temps retrouvé) : "... cette réalité que nous risquerions fort de mourir sans l'avoir connue, et qui est tout simplement notre vie, la vraie vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, cette vie qui, en un sens, habite chez tous les hommes aussi bien que chez l'artiste. Mais ils ne la voient pas, parce qu'ils ne cherchent pas à l'éclaircir. Et ainsi leur passé est encombré d'innombrables clichés qui restent inutiles parce que l'intelligence ne les a pas développés." Il est question dans cet ouvrage de l'état d'esprit au moment de la prise d'un instantané, et puis il y a l'examen rétrospectif, plus ou moins longtemps après. Il faut écouter les écrivains (Roland Barthes, Susan Sontag, Denis Roche) qui ont réfléchi à la photo, pour ne pas « feuilleter idiot » un album, ressentir ces  invites  aux fantaisies de l'imaginaire (Sontag) que sont les photos -en l'occurrence celles de Grozdanovitch. Lesquelles nous plongent dans une nostalgie, voire une mélancolie, en ces temps de « folle course en avant », qui ne s'apparente jamais à une intrusion, puisque nous nous approprions la photo en n'y voyant pas ce que l'auteur y retrouve. Grozdanovitch évoque la poésie latente des photos retrouvées, car ce sont des choses, des traces au cœur desquelles réside l’oxymore délicieux, souligne-t-il, de l’exactitude des songes… Chacune des photos « données à voir » dans ce joli ouvrage sont de surcroît commentées à la manière dont René Char établît l’arrière-histoire  de ses Poèmes pulvérisés, soit avec une subtilité chaleureuse faite de partage et d'éclairage. Grozdanovitch repense le moment de la capture, l'instant fugace ou réfléchi, le temps de pose ou celui du vol à l'arraché, de chaque prise de vue, puis il réexamine donc chaque photo à la lumière, tamisée par le temps, qui a déposé (ou qui révèle) dans la mémoire, une mise à distance faite de sagesse, de bienveillance, d’étonnement souvent, de grâce parfois. Le hasard produit des « bougés » heureux, des regards furtifs, des détails qui n’en sont forcément pas, de menues cicatrices, des souvenirs de bonheur total, de tristesse aussi. Ainsi ce livre devient-il une collection intime qui nous « parle », car c’est d’un « rempart contre l’oubli » qu’il s’agit, et nous en construisons tous, afin de tirer au clair notre vie avant d'en jeter le bain révélateur.


  • Avant, par JiBé

    01071397011.gifJean-Baptiste Pontalis (dites J.-B. pour ne pas passer pour un plouc à Saint-Germain-des-Près, ou bien dans n'importe quel dîner en ville de province) poursuit la publication, en petits volumes, de son autobiographie fragmentée. Au rythme d'un livre par an en moyenne, nous avons les faits marquants, les séances d'analyse mémorables, les événements personnels, amoureux, rencontres avec d'autres écrivains, les idées, sensations, désirs, pensées et autres réflexions de Pontalis, sur les femmes, la fraternité, l'amitié et autres passions ou grands instincts humains. Ces petits bouquins se lisent agréablement, comme on trempe une madeleine dacquoise dans du thé russe. C'est délicieux et l'on se presse. Le dernier, Avant (tous sont chez Gallimard), évoque la vie passée, les souvenirs personnels de l'auteur (écrits, en début d'ouvrage, à la manière du fameux Je me souviens, de Georges Perec, et sur le ton de : c'était mieux avant! mais avec une subtile mise à distance du lieu commun), l'enfance (prise comme sujet d'anthologie littéraire), et cette compilation d'articles parus en revue et d'inédits, forme un volume parfois mal serré. Il y est question, par touches délicates, de nostalgie peut-être, de regrets sans doute, de passéisme non (l'auteur parle plutôt de hors-temps en parlant d'avant, et se refuse à découper le temps) collectionnés et rapportés ici par un homme devenu vieux, "et qui se penche sur son passé", comme on dit. Il y est encore question de mémoire, et de traces (jolies pages 29 à 31), et puis comme toujours de Freud avec le psychanalyste Pontalis, au sujet des réminiscences, de l'autocensure, du souvenir-écran, de la libre association, des rêves et autres concepts. On dit que le rêve est un enfant de la nuit. Il est l'enfant de la nuit des temps (p.74). Refermant ce mince volume, nous constatons que le charme de la petite musique de JiBé opère encore, en dépit de certaines touches agaçantes qui dépeignent un précieux bourgeois délicat -légèrement vinaigré- et truffé de références en forme de must have intellectuels too much parisiens (à notre goût paysan).

  • 100 Paysages

    images.jpegIl s'agit d'un album dont l'originalité est d'être parvenu à rassembler soixante spécialistes de la lecture du paysage dans la peinture occidentale. 100 Paysages, Exposition d'un genre (éditions infolio) nous donne à voir cent oeuvres éclairées par cent textes (sur cent doubles pages), signés de noms prestigieux comme ceux de Serge Briffaud, Michel Butor, Yves Hersant, Jean-Pierre Le Dantec ou encore Jean-Robert Pitte. Chacun nous apprend à lire le paysage et son évolution à travers l'art pictural, en s'appuyant sur une peinture. Et c'est lumineux, car les commentaires ne sont ni didactiques ni abscons, mais humblement éclairants, et les oeuvres choisies, la plupart connues, sont emblématiques.

    Il s'agit d'une sorte de musée portatif, d'un recueil de la mémoire de l'architecture du paysage et de sa représentation dans la peinture occidentale, et aussi d'un mini-traité de l'histoire de l'art, vu par la lorgnette du cadre paysager de chaque peinture présentée. Cette manière inédite de raconter l'art du paysage est enrichissante, car elle s'éloigne d'emblée du piège d'une lecture bucolique, décorative -tour à tour pittoresque ou sublime-, de la représentation du vivant, tel que représenté par la peinture. Ce livre d'art puise, entre autres, chez Giotto, Van Eyck, Uccello, Mantegna, Bosch, Dürer, Da Vinci, Titien, Bruegel, El Greco, Rubens, Rembrandt, Poussin, Vermeer, Watteau, Gainsborough, Boucher, Fragonard, Turner et Friedrich.

    Le paysage par la fenêtre

    A l'origine, le paysage désigne une peinture qui n'est qu'une représentation de la nature. Il montre parfois un espace hostile, sauvage,  un paysage à apprivoiser. Puis l'humain et la construction humaine s'y inscrivent, plus ou moins discrètement. Le principe de l'autoportrait au premier plan et d'un morceau de paysage en fond, par une fenêtre souvent, occupent une place importante dans l'art, jusqu'à l'envahir parfois. Le portrait est lui aussi touché par cette composition de la peinture : songeons à La Joconde et souvenons-nous du paysage, tourmenté d'ailleurs, placé derrière la célébrissime peinture... 

    Figurent également dans cet ouvrage, à l'opposé, des oeuvres montrant un personnage qui contemple un paysage en tant que sujet principal du tableau (chez Friedrich, notamment). Le paysage, suis-je tenté d'ajouter, augmente aussi la dimension imaginaire de celui qui l'observe sur une peinture : j'ai personnellement rêvé des heures durant, pendant des années, enfant puis jeune homme, en présence (dans ma chambre) de la reproduction (à l'échelle Un) des Chasseurs dans la neige, de Bruegel, plongé que j'étais presque continuellement dans ce paysage médiéval hivernal, avec un ciel strié d'oiseaux migrateurs, des personnages mystérieux et une forêt attirante comme de grandes vacances... 

    Le paysage en tant que genre pictural, inclut progressivement la perspective, la mise en scène paysagère, tantôt méticuleuse, précise, tantôt panoramique, et non plus la nature prise seulement comme simple decorum, "toile de fond" -comme on parle de musique d'ascenseur. Cette distinction circonscrit précisément le genre. Lequel englobe le pittoresque (surtout au XVIIIème siècle) avec ses fausses ruines à foison, par exemple.  Bien que solidement ancré dans la pratique picturale, le paysage a toujours débordé le cadre de l'histoire de l'art au sens restreint du terme; autrement dit, le paysage n'est pas un phénomène isolé, mais une réalité liée directement à l'évolution du regard et à la perception, aux modes de représentation et à l'histoire de la technique, à la cartographie et à l'arpentage, souligne Michael Jakob (co-réalisateur de l'ouvrage, avec Claire-Lise Schwok).

    Ce livre précieux nous rappelle que le paysage en tant que genre a été une école du regard (d'abord pour les voyageurs soucieux de peindre la nature afin de "reporter" au mieux ce qu'ils avaient vu -dès avant l'invention de la photo). Cela dura jusqu'à ce que la peinture (avec Monet, Cézanne et quelques autres) ferme la fenêtre et mette le genre à genoux, puis à mort. La seconde moitié du XIXème siècle sonne ce glas et annonce une peinture post-paysagère. Subsistent le regard paysager et le territoire paysagé, précise M. Jakob. C'est ainsi qu'apparaît le pictural paysager, avec l'art des jardins et l'architecture du paysage. Un autre regard naissait, en peinture (et dans la littérature). Et une autre histoire... 


  • Nicolas Dernier

    9782246794707.jpegQue n'ai-je découvert plus tôt la chronique saint-simonienne et d'un sarcasme drôle, talentueux et très documenté, que Patrick Rambaud (Prix Goncourt pour La Bataille en 1997, mais aussi et entre plus de quarante ouvrages, auteur du Roland Barthes sans peine, et de Virginie Q., signé Marguerite Duraille...), distille avec succès chez Grasset : j'ai avalé cette Cinquième chronique du règne de Nicolas Ier avec gourmandise (les quatre précédentes ont déjà été reprises au Livre de Poche, et je sens que je vais m'y précipiter). C'est hilarant, mais il est tristement affligeant de relire l'actualité politique des mois passés, car derrière ce pastiche magnifique, écrit dans une langue ancienne et désuète, où la télé est un fenestron, tel minsitre (qui n'est point M. d'Hortefouille) un grand flandrin et où une gazette satirique ne relâche pas ses mâchoires du fessier de telle autre ministre en grande difficulté, il y a une bien triste réalité, intérieure et internationale : le livre retrace toute l'actualité de manière originale, de sorte que nous tenons là une chronique condensée par surcroît de l'année 2011. Les pages consacrées à l'affaire du Sofitel (et M. de Washington), celles consacrées à la Libye (et M. de Béhachel, Vicomte de Saint-Germain), celles touchant au voyages privés chez le Sultan Ben Ali (où apparaît la duchesse de Saint-Jean-de-Luz), entre autres succulences, sont à relire à haute voix tant elles ont du claquant. Patrick Rambaud déteste Nicolas Ier et il le répète avec, je le redis, un grand talent. Je me suis amusé à relever ses façons de nommer Sa Majeté, ou Le Prince, elles sont nombreuses, mais les voici, en guise d'apéritif. Après il vous suffira de courir en librairie et d'acquérir le volume. Mais avant, voici l'Adresse à notre Déprimante Majesté afin qu'elle prenne ses dispositions et la porte, qui fait office de préliminaire à ce cinquième volume : Incommensurable Seigneur, voyez avec clarté les choses comme elles sont, jusqu'à quels excès, quels malheurs, quels périls vous ont poussé votre penchant naturel, la satisfaction de vous-même. Gémissez-en utilement, courageusement, et sauvez votre Etat en embrassant, par une pénitence également juste, le remède unique à tant de calamités présentes et à venir : dégagez, Sire.

    Notre Verbeux Leader - Notre Prince Vigoureux  (les appellations varient en fonction de l'agitation dudit Prince et selon les circonstances, on l'aura deviné) - Notre Frivole Monarque - Notre Trépidant Tyranneau - Notre Versatile Majesté - Notre Souverain Ravi - Notre Ferme Leader - Notre Misérable Prince - Notre Intense Monarque - Notre Luminescent Souverain - Notre Explosive Majesté - Notre Roublard Souverain - Notre Turgescent Despote - Notre Leader Enflammé - Notre Prince Exalté - Notre Electrique Potentat - Notre Rageur Souverain - Notre Martial Souverain - Sa Majesté Omnipotente - Notre Enfantin Monarque - Notre Implacable Monarque - Notre Malicieux Souverain - Notre Merveilleux Leader - Notre Mirobolant Monarque - Notre Oncutueux Souverain - Notre Mobile Monarque - Notre Catastrophique Leader - Notre Souverain Sourd - Notre Sauveur Auto-Proclamé - Notre Intraitable Monarque - Notre Prince Pusillanime - Notre Reconnaissant Souverain - Notre Turpide Leader - Notre Jaloux Monarque - Notre Prince Immaculé - Notre Monarque Sanctifié -  Nicolas Le Pieux - Notre Souverain Modeste - Notre Miraculé Monarque - Notre Eclectique Leader - Notre Prince Chicaneur - Notre Rutilant Timonier - Notre Vaillant Leader - Notre Souverain Sapiens - Notre Artificieux Souverain - Notre Roublard Suzerain - Notre Rapide Monarque - Notre Pauvre Souverain - Notre Facétieux Monarque - Notre Impassible Leader - Notre Prince Furibard - Notre Majesté Immature - Notre Piètre Monarque - Notre Sulfureux Souverain - Notre Fougueux Timonier - Notre Etincelant Potentat - Notre Naïf Souverain - Notre Sagace Souverain - Notre Cupide Monarque - Notre Discret Despote - Notre Moelleux Monarque - Notre Nerveux Prince - Notre Méfiant Monarque - Notre Narcissique Leader - Notre Prince Crapahuteur - Notre Belliqueux Monarque - Notre Pugnace Leader - Notre Foudroyant Monarque - Notre Leader Va-t-en-guerre - Notre Prince Incertain - Notre Brouillon Despote - Notre Atomique Monarque - Notre Luminescent Autocrate - Notre Jacassante Majesté - Notre Oublieux Despote - Notre Impavide Leader - Notre Bouleversant Monarque - Notre Utile Monarque - Notre Pimpant Leader - Notre Guide Serein -  Notre Prince Ebloui - Notre Velléitaire Monarque - Notre Satisfaite Majesté - Notre Bancal Souverain - Notre Altesse Attendrie - Notre Vipérine Majesté - Notre Mielleux Monarque - Notre Satanique Leader - Notre Leader Belliqueux - Notre Monarque Assouvi - Notre Prince Avenant - Notre Délétère Suzerain - Notre Foutresque Tyranneau - Nicolas Le Névrosé - Notre Malin Souverain - Notre Turbulent Monarque - Notre Goulu Tyranneau - et Notre Envieux Souverain, enfin.

  • L'espérance

    images.jpegA la terrasse d'un café, je feuillette des magazines. Les pages de rédaction consacrées à la mode et les pages de publicité pour des marques de prêt-à-porter ne montrent que des personnages à la plastique parfaite, mais qui transportent avec une étrange ostentation une morgue terrifiante, au fond de leurs regards vides. L'absence totale du moindre sourire me fait froid dans le dos. Ces robocops de studio-photo semblent nés sans muscles zygomatiques. Ces visages profondément apathiques sont le reflet de notre temps, qui peine à jouir, voire à rire; à peine. Et de la météo du jour aussi -il ne fait pas froid que dans le dos. Malgré nous, le goût de vivre, et celui même d'exister s'amenuisent. Cela sèche imperceptiblement comme flaque au soleil. L'esprit d'innocence s'étiole, la fraîcheur de l'enfance fait la brasse coulée en chacun de nous, l'humour est en berne et la joie d'être au monde m'apparaît en jachère commandée par un moisi ambiant. Je reprends un quotidien que je n'ai pas eu le temps de lire. J'y trouve une phrase lumineuse, sertie dans l'adresse donnée par François Hollande à Libé, le 3 janvier, comme on tombe sur un bouquet de primevères au jaune pâle mais éclatant en cherchant des cèpes dans un sous-bois : L'espérance : je veux retrouver le rêve français. Celui qui permet à la génération qui vient de mieux vivre que la nôtre. Ces mots simples me bouleversent, sans doute parce que ma sensibilité se trouve ponctuellement (hy)perméable. Je souhaite tant que mes enfants connaissent le bonheur simple et l'insouciance solaire de leurs grands-parents. Je voudrais tant qu'ils vivent la jeunesse radieuse de mes parents, comme je l'ai seulement ressentie, gamin, plein d'une immense joie contemplative. Je repense au poème  Ressouvenir, de Hölderlin (photo) -Apprendre, c'est se ressouvenir de ce que l'on avait oublié, me chuchote au passage Socrate-, car il s'achève par ces mots "en bleu adorable" : La mer enlève et rend la mémoire, l'amour / De ses yeux jamais las fixe et contemple, / Mais les poètes seuls fondent ce qui demeure. Je me dis benoîtement que la poésie nous tirera toujours vers le haut, hors des draps, loin du  bruit méchant, vers la lumière et dans l'air vivifiant de l'aube. Et je m'efforce de le croire.


  • Héraclite, l'ascendant solaire

    Héraclite d'Ephèse, ou l'Ephésien, ou encore l'Obscur est, avec Empédocle d'Agrigente et Parménide d'Elée, l'un des philosophes présocratiques les plus importants, par la densité de son oeuvre -pourtant extrêmement brève. Fils de Blyson (selon Diogène Laerce), Héraclite naquit à Ephèse dans les années 500 av. J.-C. Ses 220px-Hendrik_ter_Brugghen_-_Heraclitus.jpgFragments élaborent une perception fondamentale -au sens propre- de l'Univers : le monde est créé par le feu et, en lui, il se dissout. Le devenir est une lutte de contraires et tout s'écoule comme un fleuve. Héraclite avait une appréhension des éléments qui paraît aujourd'hui étrange, ou seulement poétique : le feu, en se consumant, se mouille, en s'épaisissant, il devient eau, quand l'eau se coagule, elle se change en terre, constate-t-il et écrit-il. Un traducteur emblématique d'Héraclite, Yves Battistini, appelle Héraclite l'homme à l'habit de lumière dans le temple de l'Ombre (Parenthèse : quel torero ne rêverait-il pas d'être ainsi désigné?..).

    Filiation par connivencia

    Pour bon nombre de poètes et de philosophes, Héraclite fait figure de père fondateur : c'est un principe inévitable, un peu comme le Journal d'Amiel (et celui de Renard, en pole position) pour tous ceux qui ambitionnent de faire du leur une oeuvre littéraire. La littérature est faite, aussi, d'évidences de cet ordre. Il suffit d'observer : Héraclite est l'ascendant solaire de Hölderlin, de Heidegger et de Char. C'est comme cela qu'une sorte de filiation entre les êtres d'exception se produit : par connivencia. 

    Vivre de mort et mourir de vie, dit Héraclite. Et Hölderlin dira : La vie est une mort et gc_rt_heraclite.jpgla mort elle aussi est une vie. Heidegger consacrera un livre à l'Obscur Ephésien et un autre au Romantique allemand devenu fou et reclus à Tübingen. Heidegger fera d'ailleurs sien le fragment fameux : Il faut aussi se souvenir de celui qui oublie le chemin (voir le livre de Heidegger intitulé Chemins qui ne mènent nulle part). Enfin, en bâtissant son oeuvre, Char aura toujours les Fragments d'Héraclite suspendus au-dessus de lui comme une étoile : La foudre pilote (ou gouverne) l'univers, dit Héraclite. Char le prolonge avec : L'éclair me dure.  La traduction des Fragments par Frédéric Roussille (aux éd. Findakly) continue de faire pousser une oeuvre de base qui fait partie des fondations de la maison et qui, de surcroît, ne se détériorera pas au fil des siècles, y compris en terre volcanique...

    (J'ai publié ce papier dans Sud-Ouest Dimanche daté du 19 août 1984 : cet été-là -voir la note sur Bachelard ci-dessous-, je donnais visiblement dans le fondamental élémentaire inaltérable...) 

  • Bachelard, le feu et le rêve

    images.jpegGaston Bachelard restera le poéticien le plus sensible, le philosophe de la poésie et du rêve le plus accessible du XXème siècle. Ses célèbres travaux sur L'eau et les songes ou sur La poétique de la rêverie, chefs-d'oeuvre de limpidité, sont des invitations au voyage dans la tête du poète. Dans La flamme d'une chandelle par exemple (son oeuvre, en format de poche, est chez Corti et aux Puf), Bachelard donne à contempler le plus simplement du monde une flamme solitaire, tandis que lui s'abandonne à l'imagination sur les rêveries. Tout rêveur de flamme est un poète en puissance, écrit-il. C'est aussi un monde pour les solitaires; un monde secret et silencieux qui unit la solitude de la flamme à celle de l'homme. Grâce à la flamme, la solitude du rêveur n'est plus la solitude du vide, ajoute Bachelard. 

    L'astre de la page blanche

    Georges de La Tour (et les échos que René Char en a donnés) ne sont pas loin. Même 1009484-Georges_de_La_Tour_la_Madeleine_à_la_veilleuse.jpgs'il n'y a aucun clair-obscur dans la langue de feu (doux) de Bachelard. Pour l'écrivain, et du même coup pour l'auteur en train de rédiger l'ouvrage que nous tenons entre les mains, la chandelle est l'astre de la page blanche. Un beau sujet! Cependant, à l'analyse glacée et clinique du structuraliste ou au discours du psychanalyste, Bachelard préfère la voix de la poésie, et emprunte des vers à Novalis, à Trakl, à Pierre-Jean Jouve ou encore à Octavio Paz, pour illustrer son étude. Il y cueille les petits miracles de l'imagination. En effet, pourquoi la flamme, puisqu'elle s'envole, ne serait-elle pas un oiseau? Bachelard : Ou prendriez-vous l'oiseau ailleurs que dans la flamme? Pour Novalis, l'eau est une flamme mouillée. Octavio Paz, lui, épouse la verticalité des flammes : En haut... la lumière se dépouille de sa robe, écrit-il. Chandelle, 

    images (5).jpeglampe, flamme mouillée, la lumière qui, les soirs de solitude, étend ses ailes dans la chambre (Léon-Paul Fargue) devient à la fois l'ombre et la compagne du rêveur solitaire, qu'il soit un angoissé de la page blanche ou un mégalomane éclairé. Par la lampe, un bonheur de lumière s'imprègne, dans la chambre du rêveur, écrit Bachelard. Et dans la marge, rayé, le reste de l'humanité n'est qu'une armée de moucheurs de chandelles. C'est l'ennemie du rêve qui veille... Cela fait de La flamme d'une chandelle un livre fragile qui résiste au vent de la mode.

    (Je viens de retomber sur ce papier -il s'est glissé hors du livre qu'il met en lumière, et s'est aussitôt mis à virevolter comme un papillon, aussi l'ai-je resaisi; au sol. Je l'avais publié dans Sud-Ouest Dimanche du 8 juillet 1984. A l'époque, je donnais a minima une critique de bouquin par semaine à ce journal).

  • Grimaldi, Nicolas Grimaldi

    J'ai évoqué ses livres ici, à plusieurs reprises je crois. Là, je tombe sur un magnifique DSCF4059.JPGet très long papier paru dans Libération du 17 septembre dernier, signé Robert Maggiori (l'excellent chroniqueur philo de ce journal), sur ce philosophe un brin ermite, qui a le bonheur d'habiter depuis 1968 l'ancien sémaphore de Socoa (dans la Concha de Saint-Jean-de-Luz, près du fort Vauban, tout ça : un lieu inouï, magique, unique, de rêve total : photo ©L.M. : c'est par là-bas, au fond...). Je le regardais différemment, ces derniers jours, ce sémaphore-là (car je créchais à deux pas, entre Noël et le jour de l'An, chez mes amis Coco et Beñat : Sekulako, au passage, leur maison d'hôtes, est un pur nid de bonheur : http://www.chambres-dhotes-sekulako.com/ . Oui, je matais le sémaphore différemment, tout en me promenant là, à marée basse le matin -sous un ciel bleu dur intense d'hiver comme seul le Pays basque semble pouvoir en engendrer et en prodiguer genéreusement, avec cet air juste glacé-doux comme il faut et qui a la constante élégance de ne vous empêcher jamais d'être entièrement bien.

    images.jpeg

    Nicolas Grimaldi... (Photo © Le Monde des religions) A Bordeaux, entre 1977 et 1981, je suivais, un poil clando, son cours en fac de philo, lorsque j'étais à Sciences-Po et en Droit (je m'échappais pour) sur "Le désir et le temps" (Vrin, pour la 3ème éd.), car le sujet me fascinait, ainsi que le talent d'orateur du prof : humble, gestuel, doux, souriant, tutoyant, sans prise de tête, citant les grands maîtres comme s'il citait Devos ou sa coiffeuse (hum...), un peu à la manière de Jankélévitch lorsqu'il naquit au grand public à la faveur d'une émission demeurée célèbre d'Apostrophes (pour Le je-ne-sais-quoi du presque-rien) mais qui mourût peu de temps après, hélas, non sans avoir vendu, de ce fait télévisuel-là, autant de ses livres en quinze jours qu'il n'en avait  écoulé durant toute sa vie... Bref, Grimaldi avait ( à mes yeux d'alors -je ne l'ai jamais revu) le talent en lui et il s'en habillait aussi, mais sans apprêt, naturellement. La classe, quoi.

    Le mec, Grimaldi, me fascinait, avec ses histoires de désir, de mort du désir, d'accomplissement d'içelui dans le plaisir, fugitif... C'était à la fois philosophique et sexuel, captivant à tous les niveaux du corps et de l'esprit. Un cours érotique et solaire, dirait Michel Onfray. En plus, c'est un type -il faut le savoir d'emblée! C'est capital (à mes yeux en tout cas), qui avance que toute la question est de comprendre comment il est possible qu'il y ait dans la nature un être aussi dénaturé que l'homme.

    Or, je matais à distance respectable sa résidence "de rêve" tout en jonglant avec les flaques d'eau de mer laissées entre les rochers, tandis que mes enfants figuraient une marelle sur elles et entre eux.

    De retour aux archives, je retrouvai donc ce papier de Libé, gardé et refilé par ma petite soeur, parce que je l'avais raté à sa parution (merci Pascale!). 
    Il est précieux, ce papier de Maggiori sur Grimaldi paru dans Libé. 

    Et je vais vous en donner quelques morceaux, comme on gratifie des moineaux et un ou deux pigeons (timides retardataires), tandis que nous cassons la croûte en famille (recomposée) au Port-Vieux (Biarritz), de pain, de jamon, d'ardi gasna, de vin et d'eau (j'allais oublier quelques pâtisseries locales, dont un Russe) -un après-midi, pluvieux que la veille-, de fin décembre 2011. 

    téléchargement.jpegPhoto © Rodolphe Escher, parue dans le n° de Libération cité ici.

    Nicolas Grimaldi : Seul l'homme se demande : que dois-je faire de moi-même pour n'avoir pas raté ma vie? Que faut-il attendre de la vie pour qu'il ne suffise pas d'avoir vécu pour l'avoir gagnée? J'en suis resté là jusqu'au bout, aujourd'hui encore.

    A propos du concept de générosité chez La Rochefoucauld, ou La Bruyère d'ailleurs (peu importe, car pour notre bonheur c'est souvent un peu pareil) : La générosité (chez ces indépassables Moralistes du Grand Siècle) traduit une sorte de sentiment du quant-à-soi, pris en un sens particulier, dit N.Grimaldi : je ne vais pas me plaindre de ma situation comme si un autre en était responsable, non, c'est à moi seul qu'il appartient d'accomplir et de réaliser tout ce qui me paraît le meilleur.

    A propos de Bergson, N.G. : D'où vient qu'il manque à l'homme quelque chose qu'il ne parvient pas à déterminer, de sorte qu'il lui suffit de l'obtenir pour découvrir que ce n'était pas ce qu'il avait désiré?

    A popos de Pascal : "Jamais personne, sans la foi, n'est arrivé à ce point où tous visent continuellement. Tous se plaignent... Nous ne nous tenons jamais au présent, tout nous déçoit toujours."(Pascal). Inconstance, ennui, inquiétude, voilà la condition de l'homme. Toute mon entreprise est d'avoir tenté de rendre raison de l'anthropologie pascalienne, sans recourir à aucun des fantasmes de sa théologie, et sans Dieu, voilà.

    N.G. : Un leurre est celui de vivre dans l'illusion que ce qui est important n'est pas encore commencé. On attend des temps nouveaux parce que le présent est insupportable, alors que tout à l'inverse, c'est l'exaspération de notre attente qui rend insupportable le présent.

    N. G. : Si l'attente est l'étoffe de la conscience, l'imaginaire en est la fibre. Contrairement à ce que Sartre a prétendu, la perception et l'imagination, le réel et l'irréel ne sont pas deux mondes étanches, structurellement séparés. La figure emblématique de l'imaginaire, c'est l'hallucination, l'envoûtement, de sorte que, comme dans tout envoûtement, la conscience est capable de vivre l'irréel comme s'il était la suprême réalité, et le réel comme s'il était moins que rien. Et cela fait aussi bien la croyance, le fanatisme, les religions, etc. Et peut-être aussi la jalousie, presque entièrement fantasmatique.

    N.G. : La vie est élan. J'ai mon identité hors de moi, je suis à moi-même mon propre manque parce que je suis vivant, au sens où le propre de la vie n'est pas d'être, mais de se propager, de se répandre par sa propre nature, et de s'éprouver d'autant plus qu'elle se diffuse, qu'elle se communique davantage.

    Le véritable bien, le véritable bonheur, ce par quoi je me sens d'autant plus vivre, c'est au contraire de m'épancher, dans une sorte de générosité vitale.

    téléchargement (1).jpegPhoto © Journal Sud-Ouest

    Mais qu'est-ce qui fait que ce déploiement vitaliste, interroge Robert Maggiori, produise forcément le bien, et non une surpuissance dominante, "colonisatrice", destructrice?

    N.G. répond que l'illusion inhérente à la vie c'est, pour chaque individu, de croire qu'il est le centre de la vie et de ramener tout à lui, au lieu que la vie ne tend qu'à rayonner à partir de lui. Pour éviter toute "volonté de puissance", il faut d'abord détruire cette illusion.
     

    Précisons que Grimaldi a beaucoup étudié Descartes, mais pas davantage que Socrate ou Proust (auxquels il a consacré de précieux ouvrages, la plupart publiés aux PUF et chez Grasset. Voir dans les archives de ce blog). Qu'il ne semble absolument pas nietzschéen, en tout cas pas aficionadévôt (si je puis risquer ce mot-valise), comme un Onfray, qui est par ailleurs un admirable décodeur des concepts philosophiques si délicats de Volonté de puissance et de Surhomme, et que Nicolas Grimaldi n'est pas non plus un Schopenhauer de Saint-Jean-de-Luz. (Mon seul manque, personnel, par rapport à Grimaldi, c'est l'absence de Spinoza chez lui, ou bien alors je n'ai pas encore tout pigé, ce qui est plus que probable). Ecoutons-le encore, car il est avant tout un être lumineux et d'une richesse précieuse :

    Psychologiquement, je m'éprouve d'abord dans la solitude, dans la séparation, dans l'abandon. Je suis tout seul dans mon lit et ne peux rien sans les autres, les autres ne sont pas d'abord ceux vers lesquels mon être va se diffuser, mais ceux dont j'attends toute chose. Ensuite, je pourrai leur donner ma vie. Or il ne s'agit pas seulement de la donner biologiquement, encore faut-il infuser, transfuser l'intensité de ce que je sens, afin que les autres fassent leur propre substance de la mienne. D'un point de vue moral, donner la vie, c'est plus facile à dire qu'à faire, car je veux bien donner de l'argent, je veux bien donner des leçons ou aider quelqu'un à accomplir sa tâche, mais comment puis-je donner ma vie sans imposer ma personne et, par là, imposer une contrainte, une sorte d'aliénation, auxquelles les autres ne sont pas prêts... Il me semble que nous n'avons que deux manières d'irradier notre vie sans imposer notre personne : c'est le travail et l'amour. Dans l'amour, je donne ma vie, mais sans ma personne, tandis que dans le travail, c'est par une sorte de dévotion anonyme, clandestine, secrète -si bien que je dirais que le travail est la forme la plus discrète et la plus délicate de l'amour.

    A la question de Robert Maggiori sur la manière de se donner sans se "fondre" dans l'autre, le philosophe de Socoa répond ceci : Il y a aussi cette forme que Descartes appelait l'amour de bénévolence ou l'amour de dévotion, par lequel je me voue à la perfection, à la réalisation de l'autre. Comment dirais-je? Que la personne aimée soit comme une oeuvre en état d'inachèvement. Un même violon, un même piano ne sonnent pas de la même façon selon le musicien qui en joue. Eh bien ce que j'ambitionnerais, dit Grimaldi,  ou ce que l'amour me fait ambitionner, c'est que la personne aimée puisse "sonner" d'une manière plus émouvante, plus personnelle, grâce à ma présence, à mon attention, à ma vigilance, que sans moi. J'ambitionnerais qu'elle n'eût pas pu être autant elle-même sans moi qu'avec moi.

    Comme cela est juste et beau!.. J'en frissonne et j'en ronronne -Pas vous?

    Maggiori relance in fine en demandant alors si cela vaut pour n'importe quel amour. Réponse de NG :  Cela vaut même pour le travail du professeur, qui est de rendre la pensée aussi contagieuse qu'une émotion! Ce qui me semble le plus analogiquement proche de cet amour que j'évoque, conclut le philosophe, c'est la complémentarité de deux solistes jouant une partition piano-violon, où chacun soutient le chant de l'autre, le porte, lui apporte un surcroît de couleur, de chair, de rythme, et par conséquent de vitalité.

    Eh bé, le voilà Spinoza! Dans la vitalité, dans la joie, dans la puissance d'exister!..

    Lisez Grimaldi.DSCF4064.JPG
    Merci.

    Désormais, je ne puis regarder la concha de St-Jean-de-Luz autrement qu'en pensant à l'ermite qui se repose là-bas tout au bout le veinard (photo ©L.M.), en peignant (car il peint aussi, et beaucoup, semble-t-il), qui sourit en regardant l'horizon marin, qui médite et continue d'écrire, pour notre bonheur à venir, qui pense à bien. Comme tant d'autres pensent à mal...
    Et va comprendre, des fois : le savoir là (me) rend cette baie en forme de croissant de lune mille et une fois foulée, encore plus paisible, encore plus agréable en toute saison.

    NB : c'est bien sûr moi qui souligne (en gras) les propos qui m'apparaissent comme étant les plus marquants.

  • feuilles de décembre

    images.jpegPas mal de poches, surtout des folio et des Poésie/Gallimard, dégustés ces jours-ci. A commencer par l'anthologie personnelle de Philippe Jaccottet, immense poète que j'adore et que je lis et relis depuis 34 ans déjà. Cela s'appelle L'encre serait de l'ombre, notes, proses et poèmes (1946-2008) choisis par l'auteur, et si vous n'avez qu'un livre à acheter du poète de Grignan, grand traducteur par ailleurs, prenez celui-ci. 560 pages de bonheur poétique absolu. Dans la même collection Poésie de Gallimard, citons Mon beau navire, ô ma01070659821.gif mémoire, sous-titré Un siècle de poésie française. C'est une anthologie plutôt bien ficelée, de belle facture : honnête et pas scolaire, avec son content de grands classiques et sa dose de modernité, mais où l'on trouve, à l'instar d'une arête dans le poisson (je chipote, je sais) un poème de Rilke, qui était né à Praque et de langue allemande (mais il est vrai qu'il écrivit en français ses dernières oeuvres, notamment
    images (3).jpegVergers
    , dont est extrait le poème choisi dans la présente anthologie -et traduit d'ailleurs par Jaccottet). Mention spéciale (en Poésie/Gallimard, toujours) à l'oeuvre complète magnifique (1954-2004) du Nobel 2011, le grand poète suédois Tomas TranströmerBaltiques, car il s'agit vraiment d'une formidable découverte.  


    De Jean Clottes, préhistorien passionné, lisez le passionnant Pourquoi l'art préhistorique?, un inédit en folio/essais sur les grottes ornées de France et d'Espagne surtout, notamment la grotte Chauvet qui intéresse de plus en plus le public, même si elle ne se visite pas, et dont une réplique 

    01070816312.gif

    (façon Lascaux II) est en cours d'élaboration. Cet engouement est sans doute dû au coup de projo que le docu admirable de Werner Herzog (le réalisateur d'Aguirre... entre autres chefs d'oeuvre, et l'auteur de Sur le chemin des glaces, éd. POL, journal de voyage déjanté, sauvage et donc hölderlinien en diable) lui a donné sur grand écran. En folio essais encore, l'étude (inédite elle aussi : bien, l'initiative de faire entrer directement en format de poche des essais qui... compteront) : L'animal que je ne suis 01069227312.gifplus, titre très derridien que Etienne Bimbenet donne à ce copieux et souvent ardu (mais passionnant de bout en bout) essai sur l'origine animale de l'homme -pour faire très court. En clair, l'homme est un animal humain. Et le rapport de l'homme à l'animal, dans cette étude philosophique, va bien au-delà de l'éthologie. 


    images (2).jpegPhilippe Sollers
    continue de compiler pour notre bonheur ses articles littéraires donnés ici et là (l'Obs, Le Monde...) et cela produit à chaque fois un folio de 1000 pages et plus. Le dernier opus se nomme Discours parfait (il était paru il y a moins de deux ans en Blanche) : de l'intelligence à l'état pur, mâtinée d'une mégalomanie que l'on a fini par pardonner, ou sur laquelle nous glissons car le personnage est aussi attachant qu'irritant... tant il est brillant. Admirables pages sur Shakespeare, Montaigne, Saint-Simon, Van Gogh, Venise, Stendhal à Bordeaux... Entre autres analyses subtilement circonscrites, avec tact, érudition et talent, bien sûr.

    01067779851.gifDe Modiano, voyez L'horizon, qui n'est pas son plus mauvais roman sur le seul et (désespérément) unique sujet de son oeuvre : l'Occupation. 

    Albert Camus à 20 ans est le nouveau volume d'une collection 84626100986580S.giforiginale publiée Au Diable Vauvert, signé Macha Séry. Revivre l'aventure de la jeunesse algérienne de l'auteur du Premier homme, à Alger en 1930 donc, entre matches de foot, bistrots, copains, filles, soleil et... une tuberculose qui entre sans frapper, est vivifiant. Cela remet nos idées en place sur le Camus journaliste débutant, le jeune essayiste, le séducteur, l'homme lucide surtout. Captivant (en attendant la bio de Camus que Michel Onfray publie ce mois-ci chez Flammarion...).


    images (1).jpegRetour à Killybegs
    , qui a valu le Grand Prix du roman de l'Académie française à Sorj Chalandon (Grasset) est un bon et solide roman sur la trahison, qui fera sans doute date. Sur fond de combats de l'IRA, c'est fort comme un hot whiskey au retour d'une chasse à la bécasse dans les bushes, c'est franc comme un coup de poing bien assené et sec comme le regard d'un ami frappé de déception : cela ne cille ni ne ploie. Je ne citerai que la phrase placée en exergue du roman, relevée sur un mur de Belfast : Savez-vous ce que disent les arbres lorsque la hache entre dans la forêt? Regardez! Le manche est l'un des nôtres!

    photo.JPGDire que je n'ai pas du tout aimé La Guerre sans l'aimer, de Bernard-Henri Lévy (Grasset, 648 p.), est un euphémisme. Je voulais quand même feuilleter abondamment, m'arrêter ici ou là, tenter de comprendre la pathologie de ce Journal d'un écrivain au coeur du printemps libyen. Mais les bras m'en sont tombés. J'ai repensé à une formule de Cornelius Castoriadis à propos de "l'imposture BHL" : De la camelote à obsolescence incorporée (dans L'Obs, en 1979, déjà). Puis j'ai pensé à la posture du même. Les mots qui me sont venus à l'esprit, en feuilletant, sont, pêle-mêle : fatuité, mégalomanie, narcissisme, folie peut-être, mythomanie, délire identitaire (Malraux), culte aveugle du Moi, mépris du sujet : peuple,  guerre, victimes, morts, pathétique illustration d’une époque, achat d’une entrée dans l’histoire (Jet privé, cameraman perso...). Cela ne saurait inspirer que le dégoût, sauf à la cour de l'auteur. Le plus surprenant n’est pas que cette mise en scène incrédible soit ahurissante, mais qu’elle ne puisse pas tuer de ridicule son instigateur : comme quoi la pathologie narcissique rend si aveugle son sujet que celui-ci pense peut-être avoir vraiment agi humblement et de manière désintéressée pour son propre pays et pour le peuple libyen. BHL est juste l’illustration pornographique des limites que l’on peut oser tenter de dépasser pour satisfaire un égocentrisme gigantesque. Cet homme se rêve en Malraux depuis qu’il est tout petit et il n’a pu, à l’instar d’un Russe parvenu, que s’acheter à coups d’euros l’affligeante mise en scène de ses désirs de gloire, à défaut d’avoir attendu de se voir décerner un bon point par le public et par ses pairs, voire par la reconnaissance de l’Histoire, qui parvient encore à garder la tête froide. BHL invente l'édifiant à compte d'auteur (je sens qu'on va me la piquer, celle-là). Car le drame réside ici : les riches s’emmerdent. Il font joujou avec leur fric en se rendant en petit zinc privé à proximité raisonnable des champs de bataille, et posent en costard-chemise blanche propres (voir à ce sujet la page d'une ironie formidable, dans Technikart de la semaine passée  -photo ci-dessus, qui m'a été transmise par l'une de mes élèves en journalisme). Est-il d’ailleurs nécessaire de pointer du doigt cette risible mascarade ? Ne faut-il pas la passer sous silence plutôt qu’à tabac ? S'agirait-il d'une ambulance dorée sur laquelle nous tirons tous peu ou prou? (D’aucuns seraient tentés d’être avare de leur mépris, vu le grand nombre de nécessiteux, pour paraphraser Lichtenberg…). Ce qui est frappant, c’est de voir combien les cintrés sont capables de faire montre d'un inébranlable aplomb. Berlusconi lynché symboliquement par une Italie en liesse et unie, le soir de sa démission, déclare qu’il est fier du bilan de son (trop long) passage au gouvernement de la Botte. BHL est traîné dans la boue, conspué verbalement, ridiculisé par les Guignols de Canal+ et par tant d’articles de presse, mais non, il continue de se montrer, d’exposer  son personnage impeccablement contrôlé pour le paraître, comme si de rien n’était, voire comme si un consensus se faisait en sa faveur. Ces apparitions sans vergogne, sans aucune dignité humaine minimale, sans une once d’amour propre authentique, me font penser à ces accusés que l'on aperçoit à la télé, accablés par d’irréfutables preuves, qui réapparaissent menottés en affichant un sourire large comme l’innocence, tandis que celle-ci est devenue une chimère qu’il sera vraiment compliqué de ravoir, à l'instar d'un méchant accroc à la poche d'une veste (dûment retournée). Pour achever cette notule sur une insignifiente somme, je dirais qu'en plus, bé-ach-elle, son auteur, s'écoute écrire à chaque phrase. Mais passons.

    images.jpegimages (1).jpegLumineuse, l'idée d'Olivier Frébourg, patron des éditions des Equateurs, de reprendre dans sa petite collection Parallèles, deux textes splendides de Jean-Paul Kauffmann, l'un sur Bordeaux : Voyage à Bordeaux 1989 (que je suis fier de posséder dans son introuvable édition originale, celle de la Caisse des Dépôts et Consignations publiée à l'intention du notariat français, illustrée par Michel Guillard, mise en pages par le talentueux Marc Walter et préfacée par Jacques Chaban-Delmas!), l'autre sur le champagne : Voyage en Champagne 1990. Il s'agit de textes très littéraires sur les vins, les paysages, les hommes de la vigne. C'est précis et pêchu comme toujours avec Kauffmann, voire précieux dans l'écriture (comme du Veilletet, du Gracq) et surtout profond : le bordeaux est une initiation, prévient-il. Et le champagne est fils de l'air.

    Chez le même éditeur, voici la nouvelle édition d'un guide original : Le Guide des images (2).jpegVoyages en Cargo et autres navires, de Hugo Verlomme et Marc-Antoine Bombail. Slow is beautiful lancent avec justesse les auteurs. Un livre unique pour tout savoir sur les possibilités de voyages à bord de paquebots, cargos, car-ferries, navires mixtes, brise-glace, grands voiliers, caboteurs et autres vieux grééments, baliseurs ou navires scientifiques... Sur les océans et les mers du monde entier.

    images (4).jpegMon amour est le titre donné à une épatante anthologie de textes amoureux (folio, sous un coffret rouge ravissant bardé d'un ruban imprimé aux mots de je t'aime) que l'on a envie d'offrir -et c'est le premier but d'une telle démarche éditoriale! (Saint-Valentin oblige). Stendhal, Ovide, Proust, Cohen, Aragon, Duras, Shakespeare, Verlaine, Labé, Neruda, Eluard... Ils sont tous là et, curieusement, parmi ces classiques magnifiques, on trouve un seul contemporain peu connu pour ses textes amoureux : Jean-Christophe Rufin! Allez comprendre, des fois...

    Ravages-Slow-Tome-7_slider.jpgLa revue (mauvais esprit) Ravages publie son nouveau numéro sur le thème : Slow! Comme toujours, c'est décapant, irrévérencieux, rentre-dedans, franc du collier et salutaire, et la maquette est redoutablement chic-efficace. Slow citta, slow food, slow life, slow money, slow travel, slow drive, slow industry, slow management... Tout est passé en revue, et des signatures prestigieuses comme celle d'Edgar Morin donnent dans Ravages. Bravo!

    Dans un tout autre domaine, félicitations aux éditions Ulmer pour1318513197.jpg l'originalité et la beauté de leurs publications (déjà remarquées ici même) : Les Miscellanées du jardin, de Guillaume Pellerin et Cléophée de Turckheim, sont par exemple un chef d'euvre d'édition audacieuse, tant pour l'illustration que pour le propos. Ce petit bijou nous apprend des tas de choses sur les mots du jardin, des anecdotes, des petits trucs, et c'est captivant, élégant, subtil et surtout bourré d'infos originales et sincèrement enrichissantes.

    1317212357.jpgToujours chez Ulmer, Les Jardins à vivre de Pierre-Alexandre Risser (20 ans de jardin à Paris et ailleurs) est un ouvrage splendide sur l'oeuvre d'un paysagiste de grand talent, un créateur de jardins et de terrasses en ville beaux toute l'année, en somme. Photos remarquables.

    Signalons enfin Vice et Versailles, roman noir et parfoisimages.jpeg désopilant signé Alain Baraton (Grasset), jardinier en chef du parc de Versailles et du Trianon : cela regorge et dégorge d'intrigues, de meurtres, de coups fourrés sanglants. On se croirait chez les Borgia. Et c'est, de surcroît, écrit dans un style enlevé!

    Et comme je n'écrirai plus avant l'année prochaine sur ce chien (c'est ainsi que je nomme toujours mon blog, car il faut bien que je le nourrisse avec fidélité), je dis juste à tous : VOEUX A VOLONTE!

     

  • flacons de décembre

    IMG_2130_2.JPG

    La côte roannaise propose des vins festifs à prix plancher : oubliez le champagne cinq minutes et goûtez le demi-sec carte or 2005 de la maison JB Clair. 100% chardonnay, bulle fine, belle robe jaune paille, nez fruité (poire) et légèrement doux (miel), bouche claire, belle fraîcheur, attaque franche et persistance honorable. Cela vaut 6€ à peine et c'est très bien pour un dessert chocolaté. Les vins mousseux humbles osent le rosé : le domaine des Pothiers, cuvée Bulle est un effervescent naturel à la robe sombre (fuschia), des notes acidulées, une bulle d'une finesse correcte, sans plus. C'est un vrai vin naturel, en culture bio (8,50€) issu de gamay saint-romain qui ne se la joue pas et qui convient à l'apéro et au dessert (tarte aux fruits, par exemple).

    Du côté des coteaux d'Aix, goûtez le domaine des Terres Blanches, un blanc 2010 issu de rolle (80%), grenache blanc (10) et clairette, c'est gourmand, sur le fruit et d'une belle minéralité (11,70€).

    En saint-joseph, j'ai aimé récemment, en 2009, le domaine Pradelle, 100% syrah : charnu, paysan, fort en gueule et raffiné en arrière-bouche (14,45€). Idéal sur le petit train de côtes de chevreuil cuit juste aller-retour.

    Avec le même plat, le rasteau 2007, Ortas, excella lui aussi : 50% grenache, 40% syrah et 10% mourvèdre, d'où un relative douceur comme des chevaux en fureur sous le capot (8,90€). Au deuxième verre, ça démarre bien -fruits rouges mûrs, poivre, olive noire, herbes de garrigue... Un régal de finesse virile.

    Bu aussi un classique du bon goût des Corbières que j'aime bien retrouver chaque année : château Fabre-Gasparets 2007, du terroir de Boutenac, un rouge puissant et élégant m'annonce-t-on cette fois, et c'est d'une évidence confondante (11,90€).

    Le champagne Lenoble rosé 2006 (retour aux classiques de haut-vol) fut une splendeur de vinosité, de bulle extrêmement fine, de longueur et de souplesse, sur le foie gras mi-cuit cuisiné au torchon de la Comtesse du Barry (310g, 59,90€). Et meilleur encore sur un petit foie gras élaboré par Chailla, fromager-traiteur à Bayonne (30€ environ pour 200g je crois), testé sur...

    ...Le morgon de Lapierre 2010 (je n'avais que ça! Pour pique-niquer avec les enfants IMG_2179.jpgau-dessus de la plage -basque- de La Chambre d'Amour, en plein froid et à la tombée du jour. Et puis il faut préciser qu'il y avait aussi du chorizo patra negra et un jamon iberico formidables, achetés pour 3 sous à la venta Lapitxuri, à Dancharia. Alors...).

    Qu'est-ce qu'on a découvert encore... Ah, oui, lors d'une dégustation de Crozes-Hermitage en magnums uniquement, au restaurant Racines 2 (Paris 1er), où le boudin (chaud) de Christian Parra et l'entrecôte de boeuf Angus se tiennent bien à table, sans broncher, parmi les 21 grands flacons de 2009 (des infanticides, avouez! Et un paradoxe pour des magnums, sensés contenir des vins de garde, donc à boire plus tard), retenons le domaine Aleofane de Natacha Chave, léger et épicé, réglissé même, voire à peine chocolaté et très féminin (la douceur et la longueur). Le Rouvre, de Yann Chave (aucun lien familial avec le précédent) au nez de fruits rouges frais, et correctement équilibré. Les Pionniers, de la Cave de Clairmont, d'un classicisme rassurant et à la puissance toute en retenue. Au fil du temps, du domaine d'Emmanuel Darnaud, au nez de cerise mûre, chaud comme un vin de gibier. Les Chassis, de Franck Faugier, à la profondeur notable. La belle rondeur et la bouche tutoyante de La Fleur enchantée, du domaine Saint Clair, de Denis Basset. Enfin, l'expression nette du terroir, tonitruant parfois, de Crozes-Hermitage, retrouvée totalement dans Les Hauts du Fief, de Muriel Chardin-Frouin, de la Cave de Tain.

    Du côté des Terrasses du Larzac, qui m'épatent toujours, j'ai retrouvé avec bonheur le plaisir d'ouvrir une bouteille du domaine du Pas de l'Escalette, de Julien Zernott et Delphine Rousseau : pureté, élégance, grâce, fraîcheur spetentrionale, puissance du terroir. Et celui de découvrir le domaine Alexandrin, d'Alexandra et Jérôme Hermet, tout aussi fin et fort que le précité.

    Le champagne Gardet brut rosé est délicat, féminin à mort, et idéal à l'apéro en cette période d'agapes lourdes. Là, ce fut au bord de la Nive que cela eut lieu, et pop! on le but à la régalade, escorté d'un Mont d'or (tel quel : froid). Ca change d'un médoc comme ce La Tour de By 2001 encore vert, ou presque, et même du Txakoli canaille, servi à bout de bras dans les petits verres bodega, pour accompagner les pibales -décevantes ce coup-ci, et c'est pas le premier (à 49€ la p'tite cassolette, de surcroît!), de Chez Pablo (Sabin Etxea) à St-Jean-de-Luz, mais bon, ce n'est pas le sujet de cette page. 

    Les costières de nîmes, en blanc, ça ne le fait pas à chaque coup, comme si souvent en rouge, même chez un grand auquel je voue un énorme respect : Michel Gassier. son château de Nages Nostre Païs blanc 2010 ne convainc pas (90% de grenache blanc, 5% de roussanne et 5% de viognier). 9, 90€ le flacon. Pas davantage : la cuvée des Bernis blanc 2010 du château de l'Amarine (7€). En revanche, un bon point pour D'Or et de Gueules, Trassegum blanc 2010 et bravo par conséquent à Diane de Puymorin, la vigneronne qui l'élabore avec talent (10,50€) : c'est franc du nez (fruits à chair blanche), minéral mais pas trop, car le gras de la roussanne est bien là (80% de l'assemblage) pour t'enrober le tout avec maestria. Gourmand! 

    IMG_0793.JPGLorsque Les Vins du Sud-Ouest enivrent Paris, je me déplace. Cela se passait à La Bellevilloise (20ème). 29 vignerons étaient là. Du beau monde et de beaux flacons, pour accompagner quelques produits phares, comme le jambon, le foie gras et tout ça... Je retiens les jurançon de Camin Larredya, domaine piloté par une charmante petite équipe placée sous la houlette de Jean-Marc Grussaute : 9 ha à peine en conversion bio qui subliment avec beaucoup de talent les gros manseng, petit manseng et petit courbu. Tant en sec : La Part davan, La Virada, qu'en moelleux, notamment le remarquable Au Capceu, et l'excellent A Solhevat. Mention spéciale à la cuvée Alabets (et alors?, en Gascon) du château Plaisance, de Marc Penavayre, à Vacquiers (31). C'est un fronton 100% négrette élevé en cuves béton. Son frère élevé en barriques, Tot ço que cal (tout ce qu'il faut) est moins puissant, mais plus fin : normal. Bons souvenirs en passant : les classiques de chez Plageoles (gaillac), les vins si raffinés de Causse Marines (gaillac), Le Sid, puissant et sérieux, de Mathieu Cosse (cahors), le toujours meilleur vin de Mouthes Le Bihan (côtes-de-duras), l'excellent irouléguy de Thérèse et Michel Riouspeyrous : Arretxea, l'emblématique et indémodable gamme, encore enrichie, de Charles Hours, du Clos Uroulat, à Jurançon. La gamme "tradi" de la famille Hours nous enchantera toujours, surtout la Cuvée Marie (un formidable sec). Et sa gamme "trendy" nous renverse, notamment avec Happy Hours (prononcez api-ours bien sûr). Citons encore les cuvées Le Préphylloxérique (2007) du domaine Labranche-Laffont (madiran), les cuvées Hécate, et 666, d'un autre madiran (Laffont), et enfin la gamme toujours aussi épatante d'un de nos chouchous : Elian Da Ros, prince des côtes-du-marmandais.

    DSCN4405.JPGPour finir cette note, j'évoquerai Brigitte Lurton, qui fit carrière dans quelques unes des propriétés bordelaises de sa famille, notamment à Climens (barsac), et qui replonge après plusieurs années de "jachère vigneronne", en sélectionnant cette fois des vins de propriétaires des terroirs français, pour leurs qualités, leur personnalité, leur sincérité, leur franchise de goût et leur profonde simplicité... Soit bien loin des canons des entêtés à oeillères du vignoble bordelais, confits dans leur suffisance depuis des temps immémoriaux comme le dindon dans sa graisse, et qui s'empêtrent désormais dans une impasse bien obscure, par faute, notamment, de clairvoyance. Le packaging des flacons est design et chic, simple et efficace (Brigitte Lurton est
    artiste-peintre par ailleurs. http://www.brigitte-lurton.fr/). J'ai goûté avec beaucoup de plaisir sa sélection suivante de vins rouges (en 2010 ou 2009) humbles et généreux : Côtes catalanes, Côteaux du Salagou, Côteaux et terrasses de Montauban, vin de pays du Lot (malbec), et un seul blanc : un viognier des Côtes du Salagou vif, plein et tout en rondeur (admirable sur du chèvre). A des degrés divers, ces rouges sont élégants, fins, mais riches aussi, dotés d'une belle structure tannique, soyeux, expressifs -notamment s'ils sont issus de malbec, ou de syrah (montauban), volontiers épicés mais délicatement, et tous ensoleillés, ce qui les rend infiniment sympathiques. Une homogénéité salutaire se dégage de cette gamme jeune de vins très représentatifs des terroirs dont ils proviennent, et qui promet, car ce sont tous des vins de moyenne garde (3-5 ans), correctement taillés pour accompagner nos repas d'arrière-automne, comme ceux des planchas et barbecues à venir, au printemps prochain. En tout cas (vous-je-sais-pas-mais) moi, je vais en réserver quelques uns!

    (Photos : et plutôt que de coller la photo de chacun des flacons cités...)


  • La Havane, ces jours-ci

    IMG_6073.JPGRetour de Cuba. Reportage pour l'avant-première mondiale d'un film retentissant : 7 dias en La Habana, vu deux fois sur place (il me tarde sa sortie en France afin d'en lire les sous-titres et d'en saisir absolument toutes les saveurs), coproduit par Havana Club (¡El Ron de Cuba!) qui m'invitait. Je reviendrai vite pour en parler dans les grandes largeurs. Pour l'heure, 7 images (©L.M.) : Benicio del Toro (au micro, pendant la conférence de presse au Nacional) qui co-réalisait son premier film -l'un des 7 de ce bouquet de talents, Elia Suleiman (derrière le clap) immense acteur-réalisateur du silence, oscillant entre Tati et Hopper, l'affiche du film, et quelques vues de la ville magique : une jeune fille de couleurs, un daïquiri, hier au Floridita, contre Papa Hem', les mains d'un vieux torcedor achevant un panatela... ¡Hasta pronto!IMG_0059.jpg

     

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    IMG_0054.jpgIMG_6272.JPGIMG_6304.JPGIMG_6471.JPG

  • De Luca Prix François-Sommer

    images.jpegOh, ce n'est pas le Goncourt, ni le Renaudot! C'est juste un prix littéraire modeste, mais comme il a été attribué (dans la catégorie fiction) à un délicieux petit récit de l'immense écrivain Napolitain Erri De Luca, je le souligne ici. Le poids du papillon (Gallimard) a été chroniqué ici même (le 26 avril dernier), à sa sortie (*). J'ajoute, immodeste, que j'ai moi-même reçu en 1993 le Prix François-Sommer (ainsi que le Prix Jacques-Lacroix de l'Académie française) pour mon premier roman, Chasses furtives. Et que, par la suite, j'ai fait partie du jury de ce Prix François-Sommer pendant plusieurs années; jusqu'en 2002 je crois. Bravo à De Luca, donc. Lisez ce petit bijou poétique sur la montagne, le Sauvage, l'expérience des limites, l'humilité de l'homme face à l'irrationnalité animale, et aussi Tu, mio, ainsi que Trois chevaux, que Montedidio, et encore Pas ici, pas maintenant, etc. 

    (*)http://leonmazzella.hautetfort.com/archive/2011/04/26/le-poids-du-papillon.html 


  • Gaston et Gustave

    images (4).jpegC'est le livre le plus poignant de l’automne. Le plus personnel aussi, le plus fort et sans doute l’un des mieux écrits. Gaston et Gustave, publié au Mercure de France, vient de remporter le Prix Décembre (ex-aequo avec Jean-Christophe Bailly). Olivier Frébourg, écrivain (de Marine), journaliste, éditeur, nous a déjà donné une dizaine de très bons livres –romans, essais. Lisez son Nimier, trafiquant d'insolence (LTR, La Petite Vermillon), Maupassant, le clandestin (Folio), Souviens-toi de Lisbonne (La Petite Vermillon) -voir sur ce blog à la date du 20 octobre dernier, et aussi Port d'attache (Albin Michel) et encore La vie sera plus belle (Le Livre de Poche). Il avait déjà laché un livre personnel très émouvant : Un homme à la mer (folio). Avec Gaston et Gustave, il ouvre à nouveau son cœur, largement, et délivre sa peine d’une trop grand souffrance. L’écriture, nous le savons, est une catharsis contre les coups du destin. Elle doit permettre aussi d’alléger tout sentiment de culpabilité. En tout cas essayer…

    L'intransigeante loi de Flaubert

    Le Gaston du titre, c’est le survivant de jumeaux grands prématurés. Gustave, c’est Flaubert, le maître en tout d’Olivier, père de Gaston. Rappel des faits. Festival des Etonnants Voyageurs, Saint-Malo, week-end de Pentecôte, il y a cinq ans. L’auteur et son épouse Camille, enceinte de jumeaux, sont avec leurs deux premiers garçons, Martin et Jules, réunis pour un événement littéraire qui autorise des promenades aux enfants. Le lendemain, Olivier Frébourg doit regagner Paris pour son travail d’éditeur. La routine. 29 mai. Camille, dont le terme de la grossesse se situait début septembre, accouche très prématurément au bout de 26 semaines. Et c’est le drame. Olivier, réveillé en pleine nuit par sa belle-mère, revient immédiatement en Normandie comme on monte à l’échafaud, déjà perclus d’un sentiment de culpabilité impossible à contenir. Et pense déjà que tout ça, c’est la faute à la littérature. Son vieux Flaubert n’a-t-il pas toujours prescrit et suivi un précepte infaillible, une loi d’airain : un écrivain doit se consacrer à son art, n’avoir ni épouse ni enfant. Même à ses amis, Flaubert ne pardonnait pas de se fourvoyer, précise Frébourg. Au lieu de quoi Olivier à mêlé l’écriture à la vie, des métiers, et une vie familiale. Mais la bourlingue et ses enfilades de rendez-vous professionnels jettent à présent sur lui une chape de responsabilité quasi névrotique, plus lourde que la dalle d’un tombeau. Devant l’entrée du CHU de Rouen, où le petit Gaston va lutter contre la mort des semaines durant et où l’ombre de son père désemparé va désormais passer le plus clair de son temps, l’imposante statue de Flaubert se dresse comme une montagne de reproches. La statue du commandeur expose son implacable moralité de granit. Gaston est un oisillon de 981 grammes hérissé de sondes et entouré de monitors qui clignotent, oscillent, dessinent d’inquiétantes courbes. La vie de la famille a basculé un mardi de cendres, vers 6h53 du matin, lorsque Camille a été césarisée et qu’Arthur a succombé à « une souffrance fœtale aiguë ».

    Les pages crues de de la sincérité

    Commence alors un double roman, où l’auteur alterne le récit du calvaire tantôt terrifiant, tantôt bouleversant de la survie du bébé, et une sorte de biographie d’une empathie rare : Frébourg connaît Flaubert comme personne. Cette quête sourde de l’écrivain « responsable » apaisera l’auteur, pansera un tant soit peu sa douleur infinie, mais ne cautérisera jamais vraiment rien. Camille a frôlé la mort. Flaubert, l’opium de la jeunesse d’Olivier, rôdait-il ? Le premier « peau à peau » de Gaston avec sa mère, quelques jours après le drame, agira à la façon d'un miracle léger comme l'aile d'un papillon. Brisée, Camille se déplace encore dans un fauteuil roulant en skaï beigasse –l’atmosphère « hospitalière » est admirablement décrite, y compris pour ses touchantes beautés, comme ce sens inné du don que possèdent les infirmières. Puis les événements terribles s'enchaînent. L’auteur ne les épargne pas dans l’écriture. Il livre, crues, les pages sur le choix du petit cercueil, celui de l’urne, l’épisode de la crémation. Il y assistera seul. Sans famille, sans ami. Et c’est bouleversant, écrit dans une langue somptueuse qui garde une beauté froide tandis qu’elle est empreinte d'une douleur cardinale. Rien d'impudique, tant chaque mot est puissamment posé avec délicatesse et sincérité. Frébourg écrit droit, sa phrase est hiératique comme un capitaine debout, en proue dans la tempête. Camille, peintre et philosophe de profession comme dans l’intimité, affrontera l’épreuve avec un calme confondant, admirable. Olivier ne sait pas encore que sa femme le quittera bientôt. Ce retour de flamme supplémentaire couve encore.

    Le recours au maître panse la douleur

    Pour l’heure, un écrivain et père meurtri jusqu’à l’os, en appelle à Gustave, son recours dans l’œil du cyclone, et porte-flingue désigné par cette chienne de littérature. Prendre un café dans un bar et voir autour de lui l’insouciance du monde suffit à le crucifier. Des correspondances entre la vie de Flaubert et les circonstances accablantes font étrangement surface, croisent et pleuvent dans la mémoire de l’auteur. Par fétichisme sans doute, il voit des signes là où il n’y a que coïncidences. Ainsi le livre respire, qui nous prend par la main des chapitres entiers pour nous raconter Flaubert. Les lieux s’y prêtent. C’est un pays commun aux deux auteurs, le maître et le disciple. Pas un village, pas une route que Frébourg ne sache rattacher à un événement de la vie de Gustave, lorsqu’il va voir son petit Gaston. Le petit s’en sortira enfin. Les parents se retrouveront dans leur chambre, gisants pensant avoir vaincu les brisants. Camille sait qu’elle a donné la vie et la mort en même temps. Comment va-t-elle continuer avec cela. Et les autres garçons, les aînés. Et Gaston, le jumeau esseulé, qui prend à présent gramme après gramme. Et Olivier, le narrateur nu, qui livre là un roman d’une franchise intérieure gigantesque… Les dessous du voyage en Orient de Flaubert et son ami Maxime Du Camp, le jeune Flaubert se lançant à corps perdu, au cœur de la province de l’ennui, dans sa « Bovary », donc en lui-même, la genèse de « L’Education sentimentale », la correspondance du maître bien sûr, puisque c'est un monument au sein de son oeuvre...  Nous apprenons beaucoup de choses, dans notre lecture croisée de ce livre admirablement construit, puisque l’alternance des récits y est si fondue que la vie de Gustave fait corps avec la progressive venue au monde de Gaston. Frébourg va plus loin pour amoindrir le mal tandis qu'il l'accroît. Il cherche chez d’autres écrivains des échos à sa douleur, des similitudes biographiques vaine recherche. La lucidité d'Olivier est totale : il sait que la perte d’un enfant est devenue un genre littéraire. Et surtout qu’il n’y a aucune utilité au malheur. Il n'empêche.

    Réapprendre à marcher

    Un 23 août au matin, Camille annonce qu’elle quitte le père de ses quatre fils. Olivier se retrouve sonné, seul à son bureau d'écriture avec les cendres d’Arthur placées dans une urne, elle-même calée entre deux piles de livres. Partir. Il faut partir. Mais pas fuir, là-bas, fuir... Il n’ira pas dans les îles lointaines, ni dans son Vietnam adoré, il n’embarquera pas une fois encore sur un navire de la Marine pour une Erythrée conradienne. Il entamera un voyage infiniment flaubertien, « par les grèves et par les champs », pas trop loin des êtres aimés, avec un fidèle ami. Mais aucune déviation au chagrin n’amenuise celui-ci. Différer en affrontant la bête, l’ogre des lettres, le roc Flaubert, sur ses terres, n’est déjà pas si mal. Sac au dos, apercevoir des maisons de charme comme celle du bonheur familial, entendre des enfants jaillir d’une école sont cependant autant de poignards qui se dressent et trouvent le ventre du romancier. 

    images (5).jpegLa tentation d’appliquer le mot de Feydeau : « J’ai voulu noyer mon chagrin dans l’alcool mais il savait nager » est grande... Et puis la vie reprit peu à peu son cours et commença de délivrer ses premiers pansements. Olivier réapprit à marcher, en quelque sorte. Il apprit aussi à avoir les enfants une semaine sur deux. Certes, il y aura toujours une place vide sur la banquette arrière, lorsqu’il jette un regard dans le rétroviseur, mais les trois gamins sont pleins de vie. Sur la route de Croisset, le plus vivant et bé oui, c’est Gaston ! Il a à présent cinq ans et une énergie incandescente. « Seul, j’ai porté  de mes mains Arthur jusqu’au feu. À son tour, Gaston me tire de la froide solitude », écrit Frébourg. Il a osé dévoiler sa terrible histoire (nous le savons infiniment secret), et offert à la littérature un livre fort comme la mer.


    Le troisième Flaubert

    images (5).jpegJe saisis l'occasion pour saluer l'essai de Pierre-Marc de Biasi, flaubertien scientifique -limite entomologiste et aussi précis qu'un horloger genevois : Gustave Flaubert, une manière spéciale de vivre (Grasset et Livre de Poche), relu pour l'occasion, car c'est une somme édifiante, une "bio" archi-documentée, à l'anglo-saxonne, et qui caracole comme son sujet d'ailleurs. L'enquête aborde le "troisième Flaubert" : après le romancier "impersonnel des oeuvres" et l'épistolier "inimitable des lettres", il y a "l'homme-plume" au travail, le Flaubert des manuscrits et des carnets, celui pour lequel "l'oeuvre est tout et l'auteur n'est rien".                                                                                                          

  • Are you so crate?

    images (4).jpegSocrate toujours. Comment se passer d'air? De sang? D'électricité dans les veines du cerveau et de l'âme/corps? Sans Socrate, tu meurs! Laisse Platon, son exégète, son scribe. Prends Socrate, et re-sache que tu ne sais rien. Sache que tu sais nada. Et va nu. Sois. Deviens (si tu veux) celui que tu es, ou pense être. Deviens sage : sois ouverture, rigueur, courage, endurance, engagement, humilité. Ne déçois plus jamais. Apprends à comprendre ton être de tout ton être. Tu sais qu'être riche, c'est n'avoir rien à perdre. Même si ce que j'ai dit est mon maître, et ce que je n'ai pas encore dit est mon esclave, je me sens avant tout tissé de l'étoffe dont sont faits les rêves dont je ne me souviens pas.

    C'est pourquoi je regarde la lune la nuit, et pas son reflet dans l'étang ou la flaque. Je crois au réel, de moins en moins au moisi des mots consignés dans les livres.
    Même les plus beaux, les plus séduisants d'entre eux, je m'en méfie à présent. Je regarde la lune, donc. Et je rigole en voyant l'autre, à côté de moi, qui ne regarde que mon doigt pointé vers elle. La vie c'est ça un peu, non?
    Socrate, again and again : "La seule chose que j'ai comprise est que je ne sais rien". Arme-toi pour dépasser cela.

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    T’en penses quoi, de ça, So Crate ? : Pour se compléter, pour devenir sage et fort, c’est simple, il suffit de s’ouvrir, de laisser venir ce qui manque, l’autre moitié essentielle de soi-même. Cette recherche de la complétude, demande de l’attention et de la persévérance. Apprendre à céder est un problème d’attention, et d’amour. (C’est un peu le fameux : être vaincu parfois, soumis jamais).


    Si elle savait qu’on peut toujours plus que ce que l’on croit pouvoir !.. Et toi, Socrate, qui me redit : « Ceux qui désirent le moins de choses sont le plus près des Dieux ». Yes, but…
    images.jpegEt Diogène, ton pote par-delà les siècles, qui me tire par la manche en me rappelant que là, on lui dit qu’il était interdit de cracher par terre, et par conséquent il cracha au visage de celui qui venait de le lui interdire. Diogène ajouta : c’est le seul endroit sale que j’ai trouvé.».
    J’aime, j’aime. Comme l’anecdote célèbre : L’empereur, du haut de son cheval, flanqué d’une armée de gardes du corps, se penche sur Diogène, à moitié avachi dans son tonneau, et lui dit : « J’ai beaucoup entendu parlé de toi. En bien. Demande-moi ce que tu voudras et tu l’obtiendras : Palais, or, terres, femmes, ce que tu veux ! ».
    Et Diogène de répondre, après un long silence observateur : « Oui. Ôte-toi de mon soleil ! » (Ce que je veux, c’est que tu t’en ailles, car tu me caches du soleil…).
    Le cynisme à l’état pur est une vitamine de bonheur. Et Diogène, un Socrate devenu fou (selon Platon). Mais comme dit Liebniz le coincé, « les lendemains de fête sont rarement des parties de plaisir ». Dommage pour lui : il n’a connu ni les Rolling Stones ; ni les boîtes de nuit. C’est con.

    Look at Socrate : c’est celui qui réagit. Donc le philosophe à l’état pur, du tungstène métaphysique trempé.

    Car il réagit sans se soucier du reste. De tout le reste. Il réagit. A corps et âme perdus. Son arrogance philosophique nous dure, comme l’éclair d’Héraclite, répercuté par Char, via (le douteux Heidegger), et Hölderlin. C’est bon. Ca fait un bien fou, le matin, d’y penser. Socrate ne s’inclinera jamais devant aucun pouvoir, fut-ce celui de la douleur ou encore celui de la mort (seule la ciguë aura raison de lui, mais parce qu’il aura consenti a l’absorber lui-même, en portant –seul- le poison à sa bouche). Ce type préférait mendier que demander la faveur de vivre. Une telle fierté n’est que flamenca, de nos jours. Nietzsche l’avait perçu, qui parlait du bout des
    moustaches, de philosophes fiers comme des toreros.

     

    Moi j’y vois la fierté de la parole donnée, la fierté de l’absence de mensonge : tu ne te respectes pas si tu ne dis pas la vérité –ta vérité, d’abord-, et si tu acceptes d’agir autrement que tu ne penses. Si tu feins de respecter le pouvoir que ta compétence n’a pas légitimé, t’es qu’un gros naze et oublie la glace, brise le miroir, ça t’évitera la honte (et encore).

     

    Socrate ce héros, dit (tant de belles choses pour agir sur notre quotidien, qu’il devrait être mis en flacon avec vaporisateur et distribué gratuitement à la sortie des bus, des trams, des métros, des trains, des avions, des vélos et des pigeons voyageurs !) : il dit = ne manque jamais à ta parole, un homme vrai ne se dément pas, il ne renie jamais ce qu’il a affirmé. Il n’a peur de rien, pas même de la mort (Brel : « un homme qui n’a pas peur n’est pas un homme »). Il est affranchi de toute lâcheté, rien ne l’effraie comme l’injustice, mais il consentira même à s’y plier, pour prouver que la mort n’est rien. Son sacrifice me dure davantage que l’autre sur sa croix (et les deux autres qui sont même pas sur la photo!), lequel ne m’émeut pas, parce que le gore me fait gerber et que … « Il se venge sur nous depuis deux mille ans de n’être pas mort sur un canapé » (Cioran). 

     


    La seule chose que je reproche à la pilule quotidienne nommée Socrate, c’est de ne pas contenir dans sa formule (j'ai vérifié sur le papier), un anti-douleur fondamental, réputé apaiser les frustrations d'enfants gâtés que nous sommes tous un jour ou l'autre : Nicolas Grimaldi, (dont je buvais les paroles lorsqu’il enseignait « Le désir et le temps » à la Fac de Lettres de Bordeaux, il y a quelque temps déjà), le résume ainsi, dans « Socrate, le sorcier » (Puf) : « Cette mélancolie qui vient de ce que tout nous est échec. Comme par une sorte de malédiction, notre désir n’est jamais satisfait. Jamais nous n’obtenons ce que nous attendions. Il nous suffit même de parvenir à ce que nous désirions pour qu’il ne soit plus désirable. La déception est notre lot. Cela est sans exception. Puissance, amour, plaisirs, tout tourne à dérision ». (Plus on possède plus on désire ; de sorte qu’on se trouve comme dépossédé de tout ce qu’on a par le désir de ce qu’on n’a pas). Traînons-nous comme une casserole la mélancolie de l’inaccompli ?

     
    podcast
     

    Personnellement, j’aimerais en finir avec l’aporétique, l’aporie, soit ce qui est sans issue. Les sans issue me gavent ! Je ne me sens pas l’âme du poseur qui s’interroge (avec un plaisir douteux) sur « le sans-issue, l’absence de conclusion positive », mais plutôt celle d'un (modeste) passeur -d'émotions, pas d'idées … Merde ! Socrate, c’est gai ! Socrate, c’est de la vitamine S ! C’est de l’agrume concentré. Croque ! Bon, d’accord, il est chiant parce qu’il dit toujours : « Non ! » avant de commencer. (J’en connais un autre, l'immense Julien Gracq –j’y reviendrai encore souvent-, qui commencait chacune de ses phrases, ou chacune des réponses à mes questions, lorsque je lui rendais visite à Saint-Florent-le-Vieil, par : « Non… ». C’était d’un chiant ! Mais je m’y suis fait, à force et par admiration : « vous êtes un lecteur militant », m’a-t-il dit une fois)... Socrate : le réfutateur te pousse à t’interroger d’emblée, sur ce que tu viens de dire. Prends ça ! Tiens, réfléchis, no repos ! Moi j’aime ça, la mouche du coche, l’empêcheur de tourner en rond, en carré, en bourrique. Enfin, bon…

    Je reviendrai sur Socrate (parce qu’on revient toujours à lui, t’y peux rien et c'est si bon, ça!).

     
    Nota Bene : note parue ici même en avril 2006, mais fermée aux commentaires.
    Photos : Socrate m'a piqué mon Mac.
    Diogène dans son tonneau avec des chiens.
    Zik : Abed Azrié : Alchimie, Royaume.
  • AB-BO

    images (3).jpeghttp://www.leshistoiresduderby.fr/ 
    Voici la BA d'una vidéO sur l'AB et le BO. Clochemerle sympa au prorAmme. Intitulée 4,769 km (la distance qui sépare Bayonne de Biarritz, soit un infranchissable Rugbycon), ce film sur l'ovalie authentica est 
    signé Gorka RObles Aranguiz (un amigO mio) et Comédia Productions. Commandez-lo  -Io! Té, AupA et tout (mais vive les Ciel & Blanc, quand même!).images (4).jpeg


  • Dors et fais pas chier

    C'est le titre d'un petit livre à montrer à des bambins (les dessins sont mignons et sereins) mais que seuls les adultes doivent lire pour se marrer... trois minutes montre en main. Sous le titre originel de Go the Fuck to Sleep, Adam Mansbach (texte), père d'une fille de trois ans, et Ricardo Cortés (dessin) ont fait un tabac aux USA. Depuis, le monde s'arrache les droits de cette plaquette d'une trentaine de pages publiée en France par Grasset. C'est drôle, le feuilletage fait monter en puissance un agacement paternel qui nous rappelle une pub audacieuse (Use condoms, que l'on peut voir sur Youtube). L'auteur dit tout haut ce que d'aucuns pensent tout bas. 

    dors_couv.jpg

    Exemple :

    Les hiboux ont quitté le sommet des érables,

    A tire-d'aile dans la nuit, eux seuls veillent encore.

    Mon petit lapin, je vais péter un câble.

    Je t'ai déjà dit que tu faisais chier? Allez. Dors

  • gloumiam-lu

    images (2).jpegBaïbeule : en matière de guides des vins, le Hachette fait figure de bible, à l'instar du "Rouge" (le Michelin) pour les restaurants. Lorsque je dirigeais l'outsider de ce dernier, le "Jaune" (le Guide GaultMillau France des restaurants), je faisais fi du Rouge. Enfin, je m'efforçais d'ignorer sa force, mais je luttais contre. Aprement. A présent, je reconnais clairement que le Michelin -tout comme le Guide Hachette des Vins, sont des références absolues à côté desquelles les autres guides semblent se traîner. Exception faite des images.jpegguides particuliers : les deux Lebey (restos et bistrots) pour  les tables de Paris et alentour, le fooding pour la catégorie de restos qu'il traite, ou encore le Petit Lapaque des vins de copains et le carnet de vigne omnivore de Sylvie Augereau pour les vins naturels et bios. Donc je salue ici la nouvelle édition du Hachette des vins -indispensable et constamment à portée de main pour vérifier une adresse, un cépage, un site, un truc. Ainsi qu'un petit guide fort pratique et très sympa, car bourré de découvertes : 1001 meilleurs vins à moins de 10€, que publie (pour 14,95!) Le Petit Fûté.

    images (1).jpegCôté solide, lisez Terra Madre (éd. Alternatives), de Carlo Petrini, le fondateur du mouvement Slow Food il y a un quart de siècle déjà. Et oui. Son credo : Bon, propre et juste! Cet infatigable apôtre de l'alimentation saine, diversifiée, équitable, de proximité, naturelle, bio... a lancé le programme Terra Madre en 2004. Des milliers de producteurs, de paysans, de restaurateurs, d'amateurs, se retrouvent à Turin tous les deux ans pour échanger leur savoir-faire et leur expériences. Et surtout leurs espérances. Fraternel, ce mouvement semble avoir un bel avenir devant lui. Le livre retrace les grandes lignes de la philosophie Petrini, destinée à "renouer avec la chaîne vertueuse de l'alimentation", afin que la nourriture ne nous mange pas, qu'elle ne dévore plus ni les paysans, ni l'environnement. Lutter contre le gaspillage, l'abondance, les besoins artificiels, vaincre l'incertitude ou encore prendre soin de l'économie infra-locale afin de mieux jouir de la vie via l'assiette, sont des chapitres qui fleurissent les pages de ce petit bouquin ni austère ni sectaire, ce qui constituait un risque.


    Visuel-Dictionnaire du Désir de la Bonne Chère (Honoré Champion).jpgLisez aussi les dernières parutions des éditions Honoré Champion : la collection Champion les dictionnaires s'enrichit du Dictionnaire du désir de la bonne chère, d'Alan Jones. Avec les recettes musicales du Festin joyeux (1738), trésor oublié mais mythique de la littérature culinaire française du XVIIIème siècle, signé d'un certain J.Lebas dont on ignore encore le prénom. Gastronomie et musique baroque sont ainsi liées comme avec une sauve au vin rouge capiteux. Exhumer ces recettes d'un autre temps, où l'on trouve des produits aujourd'hui impensables en cuisine, notamment des gibiers interdits, des poissons étranges, et des manières de les préparer absolument pas light et donc pas du tout politiquement correctes, est méritoire. Les recettes sont mises en chansons et cela donne une connotation joyeuse à l'ensemble. En feuilletant, on s'imagine dans une toile de Brueghel, même s'il ne s'agit pas de la même époque. Nous sommes loin des pensums à la gloire du fitness, qui font la chasse au gras. Ici, c'est à la grive qu'on la fait, ainsi qu'à la tripaille et à la carpe en matelotte. Fricassées, gibelotes, galantines, dindons, hures, ragoûts, perdreaux aux écrevisses, farces, pieds de cochon, mais aussi galimafrées, gimblettes, godiveaux, trumeau et veau de rivière parsèment les 580 pages de ce précieux dictionnaire.

    Chez le même éditeur, dans la collection (très érudite) Champion les mots, notons Le Visuel-Le Chocolat (Collection Champion Les Mots).jpgVisuel-Le Parfum (Collection Champion Les Mots).jpgchocolat, qui favorise la paresse et dispose à ces voluptés qu'inspire une vie langoureuse (c'est le titre en entier), de Nicole Cholewka. Et Le parfum, qui fortifie le cerveau et chasse cette légère rêverie qui accable l'esprit..., signé Magalie Gobet et Emmeline Le Gall. Etymologie, expressions, proverbes, termes vernaculaires, sources littéraires, illustrations... Deux petits bouquins précieux pour aller au-delà des mots qui évoquent la cabosse, la fève, la tablette, et l'essence, les fragrances et la trace...


  • Le nouveau Quignard

    images (1).jpegLes solidarités mystérieuses, le dernier roman de Pascal Quignard (Gallimard) est stupéfiant tant il déçoit. Disparue la magie de cet auteur précieux et fondamental -l'un des meilleurs du moment. Plus rien, dans ce livre creux, livide, insipide par endroits, de l'écriture hiératique, austère et pure, limpide et d'une beauté entre toutes remarquables. Passage à vide? Laxisme d'auteur et laisser-aller éditorial? Ce nouvel opus de l'auteur si poétique, si érudit de Vie secrète, des Petits traités, de Villa Amalia, de Tous les matins du monde et de tant d'autres bijoux, m'a ennuyé et lorsque je l'ai achevé il y a une douzaine de jours, je me suis senti désappointé, presque trahi. Reste à présent à espérer un nouveau bon bouquin -fiction ou essai, peu importe, et à relire contre toute attente le(s) Quignard que nous aimons.

  • Miam d'automne

    rubon56-cb2b5.jpgCanard exquis rassemble des recettes insolites de chefs (Parisiens d'adoption pour la plupart), à partir du canard à foie gras du Sud-Ouest. Philippe Boé est au texte, Pierre-Emmanuel Rastoin à la photo (éditions Menufretin). Et cela donne un album étonnant, avec une scénographie audacieuse qui permet de renouveler un chouia le genre. Nous aimons particulièrement les pages consacrées à nos chouchous : Julien Duboué (Dans les Landes, et Afaria, à Paris 5 et 15), Alberto Herraïz (Fogon, Paris 6), et aussi Iñaki Aizpitarte (Le Châteaubriand, et Le Dauphin, Paris 11), ou William Ledeuil (Ze Kitchen Gallery, et KGB, Paris 6). Antoine Heerah, Jean-Marc Notelet, Phiippe Labbé, Frank Xu, Alain Senderens et Jérôme Banctel sont les autres chefs qui se sont prêtés au jeu de la photo et de la recette bien sûr, le tout au service de la filière IGP (Indication géographique protégée) Canard à foie gras du Sud-Ouest. Précieux (je sens que je vais pas mal cuisiner le canard en novembre).

    Nota : le livre a été présenté -en présence de tous les chefs- à l'occasion de la soirée annuelle de l'association Gascons toujours, à l'hôtel Shangri-La (av. d'Iéna à Paris) le 19 octobre dernier. 

    images.jpeg

    Saveurs sauvages rassemble 28 chefs autour du gibier. Autant de recettes subtiles pour cuisiner les viandes les plus savoureuses du monde. Julien Fouin est au texte, Carrie Solomon à la photo (éditions du Rouergue), et les photos sont absolument magnifiques, qui traitent chaque portrait et chaque nature morte à la manière des peintures holandaises du XVII ème siècle. Ici aussi, le genre (le livre de cuisine du gibier) est esthétiquement décapé. Certains chefs évoquent leurs souvenirs personnels de chasse, comme Thierry Marx (Le Mandarin Oriental, Paris 1) approchant l'ours à l'arc au Canada. D'autres bravent l'interdit (ce n'est pas ici qu'on leur en fera le reproche) : Jean-François Rouquette (Park Hyatt, Paris 2) donne une recette d'ortolans. Côté excellence et finesse extrême des chairs, Alexandre Gauthier (La Grenouillère, La Madelaine-sous-Montreuil) livre sa recette de bécassines, et Jean Sulpice (L'Oxalys, Val-Thorens) une autre de chamois (je ne connais pas de meilleurs gibiers dans l'assiette -et sur le terrain aussi, d'ailleurs). Notons par ailleurs les pages consacrées à des chefs que nous aimons particulièrement : Christian Etchebest (La cantine du Troquet, Paris 14), Cédric Béchade (L'AUberge basque, St-Pée-sur-Nivelle, 64) et Claude Colliot (Claude Colliot, Paris 4), lesquels proposent -ce n'est pas un hasard- chacun une recette de palombe. Nouvelle star oblige : Yves Camdeborde (Le Comptoir du Relais, Paris 6) fait la couv. et offre une recette de bécasse (on l'attendait lui aussi sur la palombe), et notons que -cerise sur le gâteau- le livre s'ouvre avec un extrait de la correspondance gourmande entre Jim Harrison et Thierry Oberlé. Superbe.

  • Allez les Blancs!

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    Une fois n'est pas coutume, je fais de la pub -ah, j'aime pas ça du tout!

    (pour une marque de lames de rasoir, en l'occurrence),

    mais elle est tellement bonne!..

    Bon, allez : au match y suerte para todos!

  • Lisbonne dans L'Obs d'hier

    2011-10-18~1363@LE_NOUVEL_OBSERVATEUR_TELE_OBS.pdf

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    Cliquez ci-dessus et vous pouvez lire un papier que je signe sur Lisbonne dans Le Nouvel Observateur - Télé Paris paru hier (daté du 22 au 29 octobre). Figure également dans cette édition un autre papier consacré au Pic du Midi de Bigorre, que je collerai ici plus tard. 

    Photo : La statue de Fernando Pessoa à la terrasse du café A Brasileira (©LM)

     

  • Vite lu

    Le Dernier des Mohicans, de Bernard Frank (Les Cahiers Rouges, Grasset, avec un avant-propos fort intéressant de Charles Dantzig), n'a pas vieilli, parce que le style de Frank est imprégné d'anti-rides. Le9782246788720.gif sujet, lui, date un peu : il s'agit d'un pamphlet à l'adresse de Jean Cau, alors secrétaire de Sartre, à propos des querelles qui agitaient le mundillo littéraire de l'époque : l'existentialisme, l'avant-garde, le Nouveau roman contre les Hussards... C'est même un libelle  pour relire l'histoire littéraire parisienne des années 50 (je possède déjà le livre dans son édition originale de 1956 : il est paru chez Fasquelle dans la collection Libelles, justement), et aussi l'occasion de relire la prose charnue et fluide de Frank. Il s'en prend avec brio aux Mandarins, le Goncourt de Simone de Beauvoir. Mais il excelle dans sa réponse à l'éreintement de son roman Les Rats (qui vilipendait les romanciers engagés), par Jean Cau dans la revue Les Temps modernes. C'est un régal de diatribe. Le "Nimier de gauche" n'y est pas méchant. C'est pire : il assène à Cau une réplique avec un style(t) fait de venin indolent plus efficace qu'une verve insolente. 

    9782070439157FS.gif

    Petit éloge de la joie, de Mathieu Terence (folio 2€) m'est apparu d'emblée dans son sujet, mais passées les premières pages, ce tout petit livre s'essouffle et se révèle être une collection distendue de pensées molles, dotée d'une philosophie faible et, tous comptes faits, il est assez barbant. En tout cas pas joyeux, or le moins qu'on attende de cet ouvrage, c'est qu'il le soit. Dommage.

    9782710368595.gifLe Bottin des lieux proustiens, de Michel Erman (La Petite vermillon, La Table ronde) fait suite au Bottin proustien, du même auteur aux mêmes éditions. Exclusivement réservé aux  familiers de la Recherche, ce petit annuaire re-situe chaque lieu évoqué dans l'espace et dans l'oeuvre, certes, mais sans plus-value. Je veux dire de manière assez administrative et donc froide. Au point de penser, si l'on ne s'est pas encore frotté à l'oeuvre de Proust, qu'elle n'est guère réjouissante (c'est le témoignage que j'ai recueilli en prêtant l'ouvrage). 

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    Premier bilan après l'apocalypse (Grasset) de  Frédéric Beigbeder m'a déplu par sa suffisance, son éclectisme très in the mood, ses lacunes abyssales, mais il m'a plu aussi parce que je me suis retrouvé en affinité avec certains bonheurs de lecture que je partage avec l'auteur : Paul-Jean Toulet, Gide, Blondin, Echenoz, Larbaud, Harrison, Blixen, Bouvier. J'estime cependant le livre inutile. Ou alors un genre littéraire nait et chaque écrivain un peu connu, curieux et altruiste pourra y aller de son anthologie personnelle. Pourquoi pas...

     

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    Côté miam-glou, le chef pâtissier Christophe Felder donne un livre de plus, que Points (Seuil) publie dans sa nouvelle collection en tout (trop?) petit format : ".2" (Point Deux). Gâteaux et tartes rassemble 60 recettes illustrées, et surtout il donne d'abord tous les tuyaux de base et les tours de main pour réussir une pâte, à la manière dont on donne un cours de cuisine. Indispensable.

     

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    Le Petit Dico des vins naturels, du sommelier Jean-Charles Botte (Le courrier du livre, préface de Michel Onfray), est une mine. Formidablement documenté, ce bouquin fait le point avec talent et science sur un vocabulaire encore nouveau. Les vins naturels commencent à pénétrer nos cavistes et donc nos caves et c'est tant mieux, mais le monde du bio a son jardon, que ce livre nous aide à décrypter. Un carnet d'adresses de vignerons et de cavistes complète le livre. Précieux.


  • Venise sur Vésuve

    Venise se donne des airs Napolitains (photos prises cette semaine ©LM).

    Lu, là-bas, entre deux expos sordides ou mortifères, rarement lumineuses, de la Biennale (mais où va l'art contemporain?..), une piètre anthologie littéraire sur la Sérénissime. Revenir aux fondamentaux, comme au rugby : Suarès, Morand, Hem', Byron... Au retour, le nouveau Quignard était arrivé entre temps!

    La "4 de couv" dit seulement ceci : Ce n'était pas de l'amour, le sentiment qui régnait entre eux deux. Ce n'était pas non plus une espèce de pardon automatique. C'était une solidarité mystérieuse. C'était un lien sans origine dans la mesure où aucun prétexte, aucun événement, à aucun moment, ne l'avait décidé ainsi. 

    J'y plonge, donc. (Pascal Quignard, Les solidarités mystérieuses, Gallimard).

     

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  • Holder se lâche

    images.jpegLe nouveau recueil de nouvelles d'Eric Holder, Embrasez-moi (le dilettante) est très cul, mais avec tellement de littérature que c'est un délice priapique. Sept nouvelles d'enfilades par surprise, avec des "oh!", les voies et détours de la f(r)iction, un talent fou pour dire la chose et surtout son approche, forcent l'admiration. Car le sujet (littéraire), qui est vieux comme l'écriture ou presque, est périlleux, pour ne pas dire casse-gueule. Holder s'en sort avec maestria, précision, une armada inouïe de métaphores succulentes et une tendresse qui éloigne chaque glissement de toute vulgarité, même s'il saupoudre ses phrases d'une touche de grivoiserie bienvenue. Ses nouvelles sont de petits chefs-d'oeuvre de littérature érotique. On en redemande, après la pause pratique.   

  • Les nuits d'une demoiselle

    Je viens de tomber par hasard sur les paroles de cette chanson en musardant parmi les commentaires laissés sur le blog : http://passouline.blog.lemonde.fr/ 

    Google a vite fait (pour moi) le rapprochement entre le texte et l'existence de sa mise en musique. Voici : http://www.youtube.com/watch?v=UcW4RfhbM88.

    Ne trouvez-vous pas qu'il est touchant, ce mélange de désuétude, de retenue et de presque pudeur dans la voix et dans la diction, pour énumérer de telles choses? Celle qui chante, Colette Renard, morte à l'âge de 86 ans il y a juste un an, est la surprenante interprète, avec ces Nuits d'une demoiselle, d'un éventail de synonymes du Mont de Vénus qui laisse délicieusement coi.

    Paroles : C. Renard, Musique : G. Breton et R. Legrand © Disques Vogue 1963.

  • L'écrivain

    Didier Dagueneau, Marcel Lapierre... Lorsque de grands vignerons s'en vont, nous craignons toujours pour les millésimes à venir, car ceux qu'ils ont écrits et réalisés s'épuisent, à coups de tire-bouchon. Avec les écrivains, c'est plus commode : on peut relire, boire chaque jour. 

    A ce propos, ou presque, connaissez-vous l'écrivain?

    C'est un terme qui désigne aussi un insecte de la famille des coléoptères, qui attaque la vigne en grignotant ses feuilles (voire les baies) et, ce faisant, les découpe en fines lanières sinueuses qui figurent des caractères ; une écriture...

    La poésie de la signification de ce nom m'épate. On appelle l'écrivain le diablotin en Île-de-France, et gribouri en Bourgogne. Et aujourd’hui eumolpe.

    Sa dénomination zoologique fut Bromius vitis, puis Adoxus obscurus, ou  vitis et maintenant Bromius obscurus.

    Le cigarier (Deporaus betulae) désigne un autre insecte, un coléoptère charençon, trapu, cousin de l’écrivain. Celui-ci a le don de rouler les feuilles de vigne afin d’y pondre ses œufs à l’intérieur !

    L’écrivain de la vigne a pratiquement disparu, et avec gribouri, nous n’étions pas loin de gribouillis, d’écrits rabougris ! On combattait l’écrivain en lâchant des poules, des dindes et des pintades à ses trousses. Il est de pires poursuivants… Puis la chimie et ses batteries d’insecticides ont eu raison de lui, sans poésie aucune, dans de nombreuses régions viticoles.

    Reste les écrivains, et parmi eux les poètes, souvenez-vous, au printemps, « de ces drôles de types qui vivent de leur plume ou qui ne vivent pas, c’est selon la saison » (Léo Ferré).

    Et il existe même des « écrivins », espèce plus rare. Ces derniers se piquent d’écrire sur le motif. Parfois, leurs écrits ne sont pas vains. C’est selon leur raison…

    Olivier de Serres, vers 1600, appelait instrumenteur le cigarier, ce génie des cépages qui ne fit pas un tabac chez les vignerons, puisqu’il les mettait en pétard. Ils ont tenté de l’éradiquer parce qu’il desséchait la vigne en la roulant. Il les aura bien enfumés en voulant seulement se reproduire à l’abri...

     

  • Beaucoup de silence pour rien

    images (1).jpegJean-Michel Delacomptée livre un Petit éloge des amoureux du silence (folio 2€) qui serait seulement délicieux s'il n'était pas entâché d'un esprit chagrin qui vire ronchon au fil des pages et qui finit par une plainte primaire, doublée d'un catalogue des nuisances sonores qui polluent notre quotidien urbain et rural. Et l'on se dit, tandis que ce petit livre nous glisse des mains, que son auteur est finalement bruyant, qu'il nous casse les oreilles en énumérant ce qui amplifie nos acouphènes. C'est dommage, car le sujet est beau. Il eut fallut peut-être traiter du silence, pas du bruit...images (2).jpeg

    Dans la même collection, Petit éloge de la première fois, de Vincent Wackenheim, est autrement plus savoureux, espiègle et séduisant. Mais le sujet s'y prête davantage.

  • BU : Grignan-les-Adhémar

    BT GLA Laurine 2010.jpgVous aimez le viognier, sa belle minéralité, ses arômes indirects (via le terroir, le climat, le sol, le sous-sol, l'assemblage, la vinification, bref : le travail de l'homme associé à celui, magistral de la Nature) de pêche blanche, de poire, d'amande douce, de fleur d'acacia, de jasmin, la robe claire et brillante qu'il donne aux vins blancs, la bonne garde qu'il promet et sait tenir? Goûtez-le -même assemblé avec d'autres cépages "accompagnateurs" qui seront là pour le flatter, dans l'appellation Grignan-les-Adhémar (Drôme). Cette petite appellation déjà provençale, où la lavande le dispute à la truffe et à la vigne et où la Marquise deLA DIGNERETTE.jpg Sévigné écrivit tant de lettres (j'ajoute que Grignan est un village associé pour moi au grand poète Philippe Jaccottet, car il y vit et que je le lis et relis sans cesse, avec une émotion égale, depuis l'été 1976), s'appelait jusqu'en 2010 Côteaux-du-Tricastin. Or, la confusion avec la centrale nucléaire éponyme commençait à nuire aux vignerons. Le nom fut changé : voilà les bons vins de Grignan-les-Adhémar. Les blancs sont frais, parfaits sur la charcuterie et les fromages de chèvre. Citons le remarquable Domaine Saint-Luc, cuvée Laurine en 2010, élaboré par les couples Hémard et Cook à La Baume de Transit. Mêmes qualités aromatiques retrouvées au nez et en bouche avec Fleur de vigne 2010, une cuvée des Alyssas, de Laurent Bes, à Clansayes (avec une bouteille étrange et reconnaissable à l'horizon). L'air de famille du terroir est là, même si cette cuvée est composée pour moitié de viognier et de grenache, tandis que Laurine comprend 85% de viognier et 15% de bourboulenc.

    Côté rosés de Grignan-les-Adhémar (là, on est sur des grenache + cinsault et un chouia de syrah, et encore, pas toujours), il n'est pas trop tard pour se régaler -l'été indien arrive! Juillet cumuleDomaine de Grangeneuve - Le Rosé, 2010.jpg avec septembre, cette année!-, voyez du côté du croquant et gourmand vin du Domaine de Montine, cuvée Gourmandises 2010 (70% grenache noir, 20% MAS THEO.jpgsyrah, 10% cinsault) : beaux arômes de fruits rouges frais, une longueur confortable et une fraîcheur persistante, surtout, qui convient aux grillades, aux poissons à la plancha et au jamon serrano. Idem (pour les accords simples au fond du jardin avec les copains, à la tombée du jour) : Domaine du Serre des Vignes, cuvée La Dignerette 2010 : arômes de fruits rouges frais (groseille, notamment), un rosé à tenter sur l'épicé des cuisines thaï, japonaise, ou bien italienne versus all'arrabiata. Enfin, le Mas Théo, cuvée TO 2010, très marqué grenache, idéal sur des salades composées comme on veut, à la fortune du pot, le soir au fond du frigo. Et pour finir le Domaine de Grangeneuve, Le Rosé 2010, élégant et délicatement fruité. Idéal sur un risotto aux chipirons et gambas, une dorade grillée avec un filet d'huile d'olive et de l'ail grillé, et enfin une pannacotta...

    Les blancs n'excèdent pas 10€ et les rosés oscillent à 6€. C'est pas la ruine, l'appellation se refait une virginité, et les jeunes vignerons qui y bossent ont un gniac formidable. Alors allez-y voir. Zou!

  • Rentrée littéraire, suite

    J'ignore vraiment pourquoi je me sens impressionné par la forme (la quantité de pages) davantage que par le fond (les thèmes sont costauds, pour la plupart) de certains livres de cette rentrée : le Reinhardt qui mélange les genres et qui m'attire par son côté sexuel, le Carrère sur le nauséabond et border-line Limonov, qui affichait il y a peu un portrait de Mussolini dans son bureau..., le Grossmann (que je lirai quand même car il semble que ce soit un livre majeur sur l'histoire d'Israel, au delà du sujet extrême du livre : la perte du fils à la guerre et le refus de la mère d'accepter cela -l'ensemble raconté par le père lui-même), le Schneider -je le lirai sans doute, moins à cause du thème du frère perdu, suicidé il y a trente-cinq ans, que pour la prose de l'auteur de "Marilyn, dernières séances", et de "Maman" -sur la mère de Proust. Tous ces livres, et bien d'autres encore, me rebutent un peu.

    Mais allez savoir pourquoi (je ne crains même pas de paraître ringard en écrivant ce qui suit) je n'ai pas cette appréhension devant la énième relecture d'un Dostoïevsky ou de Proust. Peut-être parce que je sais par avance qu'à chaque page une belle phrase me sautera à la gueule avec eux (comme avec le "Journal" de Jules Renard, un poème de Char, une page de Gracq ou les aphorismes de Cioran, en gros), et donc qu'un plaisir du texte me ravira et comblera, à lui seul, ma journée -et qu'avec les autres, je deviens méfiant, rétif, paysan : j'attends de voir. Je sais c'est con, mais qui puis-je! Reconnaissez que j'ose le dire, que je ne crains pas d'avouer cette étrange faiblesse, que j'associe à ma baisse d'aficion (tenez : demain, il y a un mano a mano Castella-Perera à Bayonne avec des toros de Jandilla : cartel de lujo! Eh bien je n'irai pas, c'est comme ça : pas assez le feeling. Perdu, le feeling, té!). Mais de voir quoi, donc ? Je me suis connu plus fonceur, plus découvreur -certes, lorsque c'était mon métier de me "cogner" toute la rentrée littéraire pour un hebdo (oulà, c'était y'a longtemps, ça), j'y allais, mes manches retroussées, et allez! J'en avalais deux-trois chaque jour, car à l'époque il y en avait quand même près de quatre cents au courrier, au total et dès avant l'été -et dès le petit-déjeuner, je me les bouffais tout crus. Puis je sélectionnais, et puis je rédigeais mes pages, je faisais part de mes coups de coeur et de mes coups de gueule...

    Aujourd'hui, je trouve peut-être que "la chair est triste..." Alors, "Rouler", de Christian Oster (L'olivier), me ravit bizarrement car son road-novel de Paris à Marseille ne raconte strictement rien, presque rien, mais-mais que cela produit de la littérature, de la vraie. Si, si. Je me régale avec de petites choses : "Petit éloge de la première fois", de Vincent Wackenheim, "Petit éloge des amoureux du silence", de Jean-Michel Delacomptée (folio 2€, les deux), "Petit dico des vins naturels" de Jean-Charles Botte (Le courrier du livre)  même si ce n'est pas de la littérature, "Les corrections" de Franzen, car je ne l'avais pas lu et que je veux le faire avant de prendre "Freedom" dont tout le monde ne parle plus. Ah, la dure loi de la mode, éphémère, et celle, plus sévère encore, de la vie d'un livre : pffffuuuiiittteuse. (Tu passes un an, six ans, à l'écrire et la presse en parle trois jours de rang et le public suit. Ou ne suivra jamais, sauf quand tu mourras, et alors là : pour trois jours maximum tu en prendras, mon vieux. N'espère pas plus -mais au fond tu t'en fous puisqu'alors tu seras mort...).

    Et vous savez quoi? Aujourd'hui, mon pied littéraire je l'ai pris avec l'album Rimbaud de La Pléiade, paru en 1967 et que j'ai trouvé pour le quart d'une demi poignée de cacahuètes chez un bouquiniste bayonnais qui ignorait qu'il valait plusieurs centaines d'€. C'est pas la question : je me le garde, bordel!  Mais écoutez : l'icono est vieillotte, l'odeur du papier est plus que moisie, les feuilles sont rêches, mais l'atmosphère de Charleville, du Harar, de cette putain d'indépassable "Saison en Enfer" sont là, pregnantes, épousantes. Et j'ai relu dans la foulée mes poèmes préférés d'Arthur, au premier rang desquels je place à jamais "Sensation". Et mon bonheur fut total. Après, je suis descendu à ma pharmacie, comme chaque jour (j'ai nommé ma librairie de quartier) et j'ai trouvé les couvertures pâles, les jaquettes aguichantes comme des pubs pour des bagnoles, et les gens qui passaient à la caisse avec leur Nothomb (j'ai rien contre elle, au fond, mais bon) ou leur Vargas (bon choix!), un rien pathétiques.

    Alors je suis allé m'asseoir dans le micro-jardin public du coin et j'ai lu vous savez quoi?.. "Avec mon meilleur souvenir", de Sagan. Oui! Et j'ai adoré, comme on adore une série genre les experts à miami police chose new york special six feet desesperate Dr who Grey's love truc. Vous voyez le genre? La littérature tient à peu de chose, pour peu qu'on prenne suffisament de distance avec cette satanée morue.

  • Nefertiti

    VU.  Le profil d'une inconnue croisée dans ma rue, et qui m'a aussitôt évoqué celui -indépassable de beauté- de la déesse Nefertiti. Lorsque j'ai croisé la copie de ce dernier (la sculpture originale est toujours à Berlin), au Musée du Caire en décembre 1987, je suis resté paralysé une demi-heure durant, devant, et à la fin j'en étais tombé amoureux (comme je tombais amoureux, bien des années auparavant, de la Danaïde, de Rodin, au musée parisien à son nom). L'inconnue disparut dans une bouche de métro, avalée par le hasard tiède d'un après-midi d'août.

    NU.  Le quotidien nous envoie plus souvent qu'avant, me semble-t-il, l'expression de l'antipathie à la gueule, de la part de nos congénères. Je fuis autant que faire se peut cette soeur jumelle de la suffisance (pour le dire à la manière de Unamuno). Aussi ai-je décidé de partir en guerre contre cette antipathie ambiante, mais à ma manière : en me préservant. La stratégie de l'évitement ! Change de trottoir lorsque tu aperçois le toxique au loin. Contre un virus, tu ne feras jamais le poids. Et ton plus sûr salut sera le demi-tour. Pour d'autres causes véritables, saines, franches et non couardes, celles qui ont de l'épaisseur et possèdent du caractère, tu trouveras d'autres forces et choisiras l'affrontement, ou bien le mimétisme, l'immobilité, l'affût, l'approche, des ruses autrement plus subtiles même. Mais là, fuis. Sans honte, car tu n'as pas à en éprouver.

    Nue, aussi, la vérité droite des mots de l'enfance, à l'instar de la peau d'une femme aimée.

     

  • le pinot noir, comme une femme

    BU.  Prends le gauche, une cuvée de La Sorga, d'Anthony Tortul, un rosé paysan de St-Chinian comme on aime le rosé : opaque, vineux, un peu gazeux, limite marigot. Loin des pétales de rose provençaux qui tordent les boyaux après vous avoir fait de la gringue. Bu aussi un Volnay d'une sensualité dévastatrice : le Clos de la Cave, du Domaine Jean-Marc Bouley. Les deux dans le millésime 2009. Ce dernier était féminin comme une caresse de femme-chatte, je le jure. De quoi vous réconcilier avec le pinot noir pour longtemps. Car ce sublime cépage est trop souvent négligé en Bourgogne, sa terre natale et d'élection, pour ne pas souligner de telles surprises, de tels efforts sans doute, qui donnent une telle expression, une telle délicatesse, cette suavité aromatique et cette présence en bouche littéralement envoûtantes. 

    LU. La nuit de San Gennaro, de l'immense écrivain hongrois Sandor Màrai (poche), pour retrouver l'atmosphère de Naples dans les années 49. Et aussi les Récits oubliés, de "la" Morante, chez Verdier. Plus subtils peut-être que les nouvelles du Châle andalou, ces textes courts disent encore et encore la sensibilité suraigüe de l'auteur de L'isola d'Arturo pour le monde de l'enfance.  Enfin, jetez-vous sur Des yeux pour voir, de Miguel de Unamuno (folio 2€) afin de découvrir un autre Unamuno, conteur (philosophique), drôle, mystérieux parfois, exquis en somme. L'auteur du Sentiment tragique de la vie dit par exemple que le sérieux et la bêtise sont frères jumeaux... Et qualifie Don Quichotte de fou sublime. Ainsi s'achève le premier conte, qui donne son titre au recueil :

    Ce qui devait suivre arriva naturellement. Juan apprit à espérer et, ainsi, à unir l'avenir au présent, le bonheur d'un perpétuel lendemain en ce monde à la douceur de se laisser vivre et aimer.
    Et plus tard, lorsqu'il connut la vraie douleur, il ne la cacha plus, en se donnant le plaisir d'être plaint, il connut la joie d'être consolé. La véritable abnégation n'est pas de savoir garder ses peines, mais de savoir les faire partager. 

  • L’oracle de Saber Mansouri

    sabermansouri.jpgL’avantage d’un blog, s’agissant de rendre compte de la lecture d’un livre, c’est que l’on peut y évoquer notre connaissance de l’auteur en prévenant immédiatement qu’il ne s’agit pas de copinage, mais d’éclairage supplémentaire. Je connais Saber Mansouri. C’est un ami. Il publie ces jours-ci son quatrième essai : « Tu deviendras un Français accompli », Oracle (*). Composé comme un anti-manuel à l’usage des immigrés choisis qui ne se hasarderont pas à franchir la Méditerranée clandestinement jusqu’à l’île de Lampedusa au péril de leur vie (il précise lui-même qu’il n’eut pas le choix, car il ne sait toujours pas nager…), mais qui prépareront un tant soi peu leur arrivée sur le sol français en pensant notamment aux concepts de consensus, d’intégration (« un long travail sur soi », dit l’auteur) et aussi de renoncement... Précisons d’emblée une chose : ce livre ne s’adresse pas aux Djerbiens qui ouvriront une épicerie de quartier, mais plutôt à tous les étrangers qui désirent effectuer des études supérieures en France, et aux intellectuels sans avenir dans leur pays, futurs thésards et universitaires à Paris, comme Saber Mansouri l’est devenu. Il a quitté le djebel proche de Tunis pour devenir, quelques longues années plus tard (il a aujourd'hui quarante ans) –mais au prix de combien de privations, de difficultés quotidiennes, donc au prix d’efforts qui forcent le respect, enseignant à l’Ecole des Hautes Etudes, directeur de collection, écrivain essayiste. Bref, un intellectuel arabisant et helléniste, historien de formation, disciple de feu Pierre Vidal-Naquet auquel il voue une adoration certaine... Mansouri est, sincèrement, un intellectuel avec lequel, j’en fais le pari, il faudra compter désormais pour débattre du monde arabe, des questions musulmanes, de l’islamisme, de l’intégration, de l’immigration et de beaucoup d’autres sujets périphériques. Saber Mansouri, à travers ce manuel d’utilisation de la France à l’attention de ceux qui parviendront à y obtenir les indispensables sésames : une carte de séjour, puis un boulot, évoque un parcours du combattant. Il s’adresse aux futurs candidats à l’immigration choisie, afin de leur donner les clés de la France (et de Paris en particulier), les trucs et astuces, tous les tuyaux. D’abord il donne (ironiquement, en pastichant les documents officiels disponibles au Centre culturel français de Tunis, intitulés La carte compétences et talents) le prix de chaque chose : baguette, ticket de cinéma, photocopie, livre de poche,  repas moyen, entrée d’une boîte de nuit « si toutefois on vous laisse entrer »… Tout est consigné. Il s’agit d’un guide teinté d’ironie mais pétri de vérités hurlantes, désarmantes et souvent choquantes quant à l’accueil qui est réservé (avec force bâtons dans les roues en forme de découragements insidieux), aux immigrés choisis, et l’on comprend mieux, à la lecture d’extraits (ahurissants) de documents qui émanent du Quai d’Orsay, d’extraits du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ou d’autres ayant trait à la naturalisation, scrupuleusement reproduits dans le livre, le caractère pernicieux de la politique d’accueil made in France. Il rappelle d’emblée que « nos doctorants maghrébins et africains ont un courage inouï à faire rougir un gardien de phare dans les eaux troubles de Bretagne ». Car pour mener à bien une thèse sur l’influence de Lévinas sur la philosophie palestinienne contemporaine, par exemple, ils ne dorment pas la nuit car ils sont veilleurs dans des hôtels miteux et sous-payeurs. Cela s’appelle le mérite, pour parler à la manière des instituteurs de la IIIème République, mais c’est ainsi, criant de vérité et de douleurs, qu’à force de volonté, on tente de se faire une place honorable dans un pays qui ne vous attend pas et qui vous accueille avec la bave du dédain au bord des lèvres. D’autant que, diplôme de 3è cycle enfin en poche, l’Université vous invite gentiment à aller apporter du sang neuf dans votre pays d’origine plutôt que de postuler en France (et bouffer le pain de nos profs)… Mansouri distille des conseils. Ceux-ci traitent des démarches administratives kafkaïennes à accomplir sans cesse, tellement désarmantes qu’elles en deviennent surhumaines, de la mise en garde contre le piège du mariage blanc –qui ne donne pas beaucoup de droits, au fond, et auquel il suggère de préférer les voies d’une intégration « raffinée », ou de la mise en garde sur la durée légale d’une thèse, qui est de quatre ans, au-delà desquels l’étudiant peut se voir reconduire gratis dans son pays, s’il n’obtient pas une lettre salvatrice de son directeur de thèse, et encore du comportement à adopter dans un bar lorsque le racisme ordinaire pointe son sale pif sur celui qui commande un café. L’apprentissage du stoïcisme, de la sagesse, de l’intelligence qui est toujours la plus forte, face au défaut d’altérité, cela se construit au jour le jour. Avec une force intérieure indispensable et c’est cela que l’auteur enseigne : il faut savoir fierté et raison garder, mais sans trop les exposer. Il y a plusieurs livres dans cet oracle. Saber Mansouri est un fin analyste du monde contemporain, un dévoreur critique de presse et un avaleur pensant (même s'il prétend que l'Africain -au sens large- ne pense pas, mais réfléchit), d’essais philosophiques. Il a d’ailleurs ses têtes, ses bêtes noires, ses chouchous, ses maîtres ès art de vivre au quotidien : Derrida, Michelet, Vidal, Foucault, Baudrillard, Gauchet, Valéry (« les livres ont les mêmes ennemis que l’homme : le feu, l’humide, les bêtes, le temps ; et  leur propre contenu »). Il est par conséquent question –toujours à l’adresse des futurs candidats à l’intégration via les études supérieures, d’analyses coups de poing sur les « i ». De l’opération militaire « Aube de l’Odyssée en Libye : « Que fait Homère à Benghazi ? C’est long à expliquer, mais l’essentiel est là, dans le ciel libyen : nos Rafale libèrent un peuple arabe ». Au sujet de la loi sur « la dissimulation du visage dans l’espace public », du « CV anonyme » et de la minorité visible, du pitoyable sarkozysme, de la montée du « parti de Marine », des cités (qu’il compare à la cité originelle, la « polis » grecque), de Touche pas à mon pote, « un slogan pathétique porté par quelques arrivistes devenus aujourd’hui les notables de l’antiracisme », de Mai 68 : « on ne sait toujours pas si c’est un caprice bourgeois ou une révolution »,  du Printemps arabe : « décidément ces Arabes sont incohérents : un printemps en hiver ! ». Le « mundillo » littéraire germanopratin (qu’il a appris à décoder) n’est pas épargné : « la république des lettres est oligarchie. La chose littéraire est parisienne et oligarchique ; c’est un domaine gardé jalousement par des enfants gâtés, égocentriques, faussement mélancoliques, aigris et attendant toute la journée, une verre de sancerre à la main, le bon mot, l’article ou l’édito qui fera décoller les ventes, la grandeur publique et médiatique de la maison et les à-valoir ». À propos des bobos (après j’arrête et je vous renvoie au livre) : « cette nouvelle classe aime les étrangers au point qu’elle a fini par occuper entièrement leurs quartiers ». Nous le voyons, c’est beaucoup plus qu’un « témoignage rare d’un immigré choisi sur l’épineux thème de l’intégration », comme le précise l’éditeur dans son prière d’insérer. Cinglant, le ton de cet oracle (lemansouri.jpg genre est inédit depuis des siècles !) est également incisif et solidement documenté –l’auteur (photo ci-contre) demeure universitaire dans la méthode de son discours. Alors s’il existe une justice dans le monde de la rentrée littéraire de ce mois de septembre, versus essais, un grand succès attend ce petit livre rouge brûlant. Sinon, je me promets de m'infliger, en pénitence, la lecture des derniers Finkielkraut, Bruckner et BHL...

     

    (*) Saber Mansouri, Tu deviendras un Français accompli, oracle, Tallandier, 120 pages, 9,90€. En librairie le premier septembre.

  • Le Baratin de Raquel et Pinuche

    Voici la version longue, avant coupes (il a fallu raccourcir grave et à la serpe aiguisée pour faire tenir 2 pages en 1, dans le numéro 2 de Grand Seigneur qui vient de paraître : lire notes précédentes). C'est l'une des vertus d'un blog que de donner à lire in extenso le partiel (voire le riquiqui parfois, ce qui n'est pas le cas ici).

    Restaurants / Paris

    Le BARATIN

    ON SE RISQUE SUR LE BIZARRE 

    images.jpegD’abord il y a le délicieux accent argentin de Raquel, qui dépasse en saveurs subtiles, fruitées, florales, tous les vins de vignerons que Pinuche propose à qui sait engager une conversation vraie sur le sang de la vigne et sur ceux qui en font un jus buvable à l’issue d’un processus obstiné, étiré avec patience plusieurs millénaires durant. Le Baratin date de 1987 ap. J.C. C’est déjà plus contemporain. Raquel glisse régulièrement une tête hors de sa cuisine afin de vérifier que tout roule. Philippe Pinoteau, dit Pinuche, comme dans San Antonio, parle vins avec un client accoudé au comptoir, son territoire. Raquel Carena, aux commandes du Baratin depuis décembre 1987, est arrivée de Cordoba, en Argentine sans savoir qu’elle allait se lancer dans la restauration et devenir un nom, mieux : un prénom dans le monde des bonnes adresses parisiennes. Philippe Pinoteau est arrivé dans le paysage du mythique bistrot de la rue Jouye-Rouve, Paris 20ème, en 1991 et s’y est installé aux côtés de Raquel en 2001. Pinuche, expert en vins « vivants » (il déteste l’adjectif naturel associé au vin), qu’il définit comme des vins avec des levures indigènes et aussi libres que possible de tout ajout, intrant chimique et autres sulfites en excès ou levures exogènes, qui en font des vins « morts ». Aussi humble que drôle, il se présente  comme « le chauffeur de madame avant tout, car elle n’a pas le permis ». Le Baratin fut un bistrot à vins de quartier où on cassait la graine à l’occasion, avec un peu de charcuterie et du fromage. C’est avec l’arrivée de Raquel qu’il est peu à peu devenu une table simple et de qualité, où l’on mange une excellente cuisine de bonne femme. Il est resté un vrai bistro dont l’authenticité ne se mesure pas à la patine d’un banc ou au tain d’une glace, mais à sa chaleur naturelle, à ce brouhaha nécessaire, à cette espèce de connivence amicale qui circule de table en table. Il y a deux salles, une grande ardoise, une peinture marine immense, un escalier qui conduit à la cave,  où s’ourdissent les complots tanniques et d’où Pinuche remonte des flacons choisis par lui, après avoir discuté un peu avec les clients qui veulent aller au-delà du tableau qui affiche une vingtaine de références, au verre et à la bouteille, comme La Sorga Le Désordre, le Saint-Chinian de Tortul, le Fleurie de Michel Guignier ou la Papesse de Gramenon, un côtes-du-Rhône de respect. Il n’y a jamais eu de carte des vins au Baratin. En revanche, on peut donc discuter à l’envi, sans baratiner. Le formidable menu à 16€, à déjeuner, annonce le talent de Raquel. Le 12 mai dernier, c’était un délicieux fromage de tête maison, un collier d’agneau aux épices douces qui avait confit depuis le matin, et un Saint-Nectaire idéalement parfumé. Détail agréable : le café est moulu devant vous avant que d’être passé au perco. Ici on « tchatche », on prend un verre de morgon de Foillard (la référence la plus servie au Baratin) avant de prendre une table, on refait le monde en général et celui des vins en particulier avec Pinuche bien sûr, et si le courant passe, il nous débouche des vins étranges, étrangers,  inattendus ; « on se risque sur le bizarre »…  Pinuche est ainsi : il joue avec la curiosité de ses clients. « C’est épidermique. Le vin est un produit trop complexe. J’aime comprendre ce que l’autre souhaite. Je me plante une fois sur deux, mais bon… Je suis à la fois prétentieux et paresseux ». Lorsque Raquel reprend l’adresse il y a des lustres maintenant, c’est un lieu à l’abandon. Tout à refaire. Avec son ami de l’époque, Olivier, elle propose un seul plat chaque jour. Et ça marche immédiatement. La clientèle du quartier en fait sa cantine et Raquel, qui n’avait jamais cuisiné auparavant, se prend au jeu.  « Je trouvais ça rigolo de donner à manger aux gens, alors que je ne me sentais absolument pas manuelle. Totalement autodidacte, j’ai quand même travaillé avec des chefs qui voulaient  cuisiner avec moi!». Puis, le bouche à oreille aidant, le Baratin fait boule de neige et décolle dès 1994-95, avec le soutien de copains et de copines comme Mercedès Guion, François Morel, qui ont ameuté Paris». Puis la presse de temps en temps, les guides, ont fait le reste. La cuisine de Raquel est un mélange de cuisine bourgeoise française et d’inspirations pan-méditerranéennes, terre et mer confondues. Elle aime travailler les poissons poêlés, les viandes marinées,  les « cocidos », les tripes, la joue et la queue de bœuf, le veau de qualité, les vraies volailles. Des chefs de renom comme Hermé, Rollinger, tous les grands chefs espagnols aussi, sont passés au Baratin, « du coup le monde de la gastronomie s’est vraiment intéressé à moi », dit Raquel encore étonnée. « Le Baratin, c’est indéfinissable. C’est chez moi. C’est un lieu. J’aime y nourrir les gens simplement, sans prétention gastro. Ca reste un bistro et c’est ça que j’aime avant tout, car n’ayant jamais pensé à devenir grand chef, je continue de faire et les courses et la plonge comme la cuisine ! » Simplicité et humilité sont les mots qui sautent à l’esprit lorsqu’on entre au Baratin. Des écrivains célèbres comme Jean Echenoz en ont fait leur adresse fétiche des années durant. L’austère Pascal Quignard a lui aussi élu le Baratin parmi ses repaires. Aujourd’hui, le Baratin selon Raquel, « c’est 23 ans passés dans 4 m2 de cuisine sans puits de lumière, 14 heures par jour et c’est du bonheur. Affreux, mais que du bonheur ! »

    © L.M.

    Le Baratin, 3 rue Jouye-Rouve, Paris XX.

  • Grand Seigneur n°2

    images.jpegIl est paru ce matin. C'est le trimestriel gourmand de Technikart, Grand Seigneur, le magazine qui ne se refuse rien (based-line du n°1) devenu le magazine food et lifestyle (celle du n°2). J'ai la joie (durera-t-elle, la joie?) d'y signer trois papiers, dont le premier volet d'une chronique bien placée (en dernière page), "La cuisine interdite", qui ouvre avec l'ortolan (lire ci-dessous). Les deux autres papiers traitent du resto Le Baratin (Paris 20) et du resto du Pic du Midi de Bigorre (2877 m d'alt.). 
    A lire, notamment (mais tout est à lire là-dedans, car dans le Grand Seigneur, tout est bon) : les papiers et dossiers consacrés à la cuisine des nonnes, à la passion pour les boulettes de feue Amy Winehouse, à la gauche truffée, aux apéros TV d'Aurélia, l'interview de Benjamin Bio(jo)lay et celui de Coffe, le duel Etchebest-Martin, les glaces, les fromages qui coulent, les vins en biodynamie, etc. En kiosque.

     

    La cuisine interdite, par Léon Mazzella

    Ortolans, le régime Dukan à l'envers

    Espèces protégées ou recettes de braconniers... Léon Mazzella, le Jim Harrison des Landes, nous raconte ici l'histoire secrète des cuisines interdites. Et si on commençait par l'ortolan, le grand shoot de Maïté, Juppé et Mitterrand?

    Il y a des clichés qui scotchent. Celui de Maïté, papesse de la bouffe gasconne gargantuesque des années 80,faisant une fellation au cul d’un ortolan, sur une vidéo qui circule sur YouTube, est délicieux. Une autre vidéo, où l’on voit Alain Juppé décrire  fugitivement la manière de déguster l’ortolan sous la serviette, ne dit pas que l’une des plus belles installations de chasse à l’ortolan se situait chez son père à Campagne, petit village Landais. Enfin, il y a une indécrottable anecdote selon laquelle François Mitterrand se serait gavé d’ortolans quelques jours avant sa mort, le 31 décembre 1995 chez lui à « Latché », dans le village Landais d’Azur. « L’affaire » fut rapportée dans un livre rédigé par un hâbleur, Georges-Marc Benamou. Car, renseignements pris auprès de bonnes sources (des amis présents aux côtés des Hanin, Lang, Bergé ou Emmanuelli, mais totalement inconnus du public : Jean et Yvette Munier), Tonton n’aurait pas eu la force de s’attabler ce soir-là, il goba une huître à peine et ne trouva pas l’envie de suçoter la minuscule cuisse d’un seul ortolan avant de quitter la salon. J’ai apporté moi-même ces précisions dans un courrier adressé au « Monde » daté 26-27 janvier 1997, car il fallait tenter de calmer un jeu grotesque. Reste que l’ortolan fait débat. Forcément, il est rare, cher, mythique et propice au fantasme.

    Tué à l'Armagnac

    Il fut longtemps interdit de le chasser aux matoles, ces cages-pièges qui le prennent vivant, entre la mi-août et la fin septembre, sauf si l’on était agriculteur Landais et que l’on respectait un cahier des charges kafkaïen. C’était la résultante d’une tolérance, autrement dit d’un presque vide juridique, jusqu’en 1999. Désormais, la capture de l’ortolan est totalement interdite. Piégé, l’ortolan est néanmoins (encore) engraissé jour et nuit et, ce bruant particulier (emberiza hortulana), le seul de la famille qui soit capable de tripler son poids en deux à trois semaines –c’est le régime Dukan à l’envers-, devenu gras comme un moine, achève sa vie tête la première dans un verre d’armagnac, où il est plongé, qu’il aspire et dont il inonde ses chairs. Ce qui ne gâche rien, honore l’oiseau et son bourreau. Plumé, non vidé, placé dans une cassolette à sa taille –comme un cercueil de luxe-, il est servi aux convives tandis qu’il « chante » encore tant il grésille. La serviette sur la tête, afin de ne pas laisser échapper son fumet et de masquer la grimace du dégustateur qui se brûle et se huile les babines, il est lentement dégusté avec les doigts jusqu’au bec. Tout le reste se mange, possède le goût de la noisette, du foie gras… et de l’ortolan. Et surtout, surtout, de l’interdit. Un goût indéfinissable. Autrement, ça se saurait et serait décrit ici.

    300€ par tête

    Sa commercialisation étant interdite, son prix unitaire atteint des sommets depuis quelques années. L’essentiel étant de ne pas se faire « choper », confient certains chasseurs et certains restaurateurs. Quant aux heureux consommateurs, ils figurent sur des listes d’attente, rareté des installations clandestines oblige (l’œil d’Allain Bougrain-Dubourg et des caméras de télé qui l’escortent veillent au grain, de surcroît !), et sont prêts à payer chaque oiseau une fortune. Sans parler des palais curieux, comme ceux des gastronomes japonais no limit, capables de casser la tire-lire et de supplier de grands chefs étoilés d’activer leur réseau et de leur en servir en catimini. 200, 300€ et plus l’oiseau ne leur font pas peur, mais calme la plupart des appétits. Il existe une Confrérie de l’Ortolan, à Tartas, dans les Landes. Y sont intronisés des gens de partout, puisque j’ai eu droit à cet honneur le 30 novembre 1996, aux côtés de Me Vergès, d’Alain Juppé et du cavalier olympique Jean Teulère. Les matoles réunies prenaient encore 20 à 50 000 oiseaux à ce moment-là. Invérifiable. Sur un total de un à douze millions de couples nicheurs en Europe. Difficile de savoir. Dans le doute, abstiens-toi. A ce prix-là, ce n’est pas difficile. 

    LM

    Merci à Pascal Quantin (de Tartas) de m'avoir prêté la photo qui illustre l'article, et où l'on voit 14 convives, serviette sur la tête, déguster leur ortolan à la façon d'un réu. du Ku Klux Klan.

     

     

     

  • Rentrée littéraire

    Ca commence à arriver. J'ai d'ailleurs entamé le très drôle (un style mi-Céline, mi-Boudard) "Les lumières du ciel" d'Olivier Maulin (Balland) qui confirme son talent proétiforme. Tout le ramdam autour de "Freedom", le nouveau Jonathan Franzen, m'a donné envie de lire (enfin) "Les corrections" (les deux sont à L'Olivier). Je n'ai pas encore eu le temps de lire le dernier Aharon Appelfeld ("Le garçon qui voulait dormir", L'Olivier), ni le nouveau Nicole Krauss ("La grande maison", L'Olivier encore, décidément!) parce que je suis en train d'achever "L'histoire de l'amour", que déboulent ou vont débouler en rafales serrées et nourries, les nouveaux Marie Darrieussecq (la Princesse de "Clèves" au Pays basque, il paraît : à voir de près, POL), Emmanuel Carrère sur l'écrivain "Limonov" (POL), Eric Laurrent (auteur Minuit, ça résume et ça classe), David Foenkinos (le Franzen français de la presse ces jours-ci : "aura-t-il enfin un grand prix cet automne, et nian nian nian...) avec "Les souvenirs" (Gallimard), les lectures favorites de Frédéric Beigbeder, les annuels Amélie Nothomb, Eric-Emmanuel Schmitt, Douglas Kennedy, Jean d'Ormesson, mais on s'en fout, et puis des trucs épars : les Michel Quint, Charles Dantzig (avec un roman ce coup-ci), Eric Reinhardt, Véronique Ovaldé, Laurence Cossé, Patrick Grainville, Yasmina Khadra, Lydie Salvayre, un Jean Rolin au titre durassien : "Le ravissement de Britney Spears" (POL), un Delphine de Vigan au titre bashungien : "Rien ne s'oppose à la nuit" (Lattès), un nouveau roman de Xabi Molia, et des étrangers de taille : le retour d'Arturo Perez-Reverte, de Haruki Murakami, de Philip Roth et de Mario Vargas Llosa, ainsi que les seconds livres (donc attendus au virage) de Sofi Oksanen (après "Purge"...) et David Vann (après "Sukkwan Island"...) et surtout "Du domaine des Murmures", second roman de Carole Martinez, qui fit tant sensation avec "Le coeur cousu" (Gallimard). Au rayon des premiers romans qui vont dépoter, citons (par oui-dire) "L'Art français de la guerre", d'Alexis Jenni (Gallimard), et "Du temps qu'on existait", de Marien Defalvard (Grasset), un gamin de 19 ans. Nous piocherons tranquillement et sans précipitation là-dedans. Sans nous sentir obligé. A suivre.

  • Plaine perdue

    "Vouloir écrire l’amour, c’est affronter le gâchis du langage : cette région d’affolement où le langage est à la fois trop et trop peu, excessif (par l’expansion illimitée du moi, par la submersion émotive) et pauvre (par les codes sur quoi l’amour le rabat et l’aplatit)." Roland Barthes

    C'est pourtant le passe-temps préféré de la plupart des écrivains; poètes et romanciers...

  • IbaïOna

    IMG_2315.jpgPaisible échappée à Bayonne, ses abords et ses atours, ses Adours, mes amours, alentour et dedans. Flâner, saluer, chipironer, trinquer, déguster la lumière de l'aube sur la Nive, et celle du couchant sur la dune d'Ilbarritz -comme on prend un pintxo de jamon et una copita de navarra. Lire à peine, car ici le regard se lève de la page pour contempler devant et autour. La beauté empêche. Et je pêche la beauté à la ligne d'horizon de mes désirs, au-delà du fleuve et sous les arbres. Ici, on envisage, on ne dévisage pas. Je prends place dans ma querencia atlantique à la manière d'un chien qui gratte et tourne en rond avant de s'affaler comme un sac de farine épaulé-jeté. Car Paris au mois d'août me va comme un polo moulant à col roulé en rilsan® à même la peau : ça me gratte.

  • A votre épaule dormira un essaim amoureux

    Les amants invisibles s'expatrient chaque soir,

    ils exilent leurs forces, l'eau ferme leurs yeux :

    pourquoi l'ombre est-elle véhémente sur leur som-

    meil?

      L'un dit que le chemin orné de sa douceur mène

    à la douceur de celle qu'il enchante.

      L'une découvre dans l'altitude de son ventre des 

    fleurs humides.

      Les amants invisibles sont un cratère heureux. 

    Jean-Pierre Siméon, Ouvrant, le pas, Cheyne éditeur.

     

    images (1).jpegAu début, je trouvais que ce poète avait trop lu René Char au point d'en avoir la langue imprégnée, prisonnière même, à l'instar d'une Peau d'Âne. Il est vrai que Char est un poète si inspirant, qu'il aveugle nombre de ceux qui le pastichent, font du, sans le vouloir, veux-je penser. Mais voici un poème personnel, puis un autre -le recueil en comprend beaucoup, qui me permettent de reprendre la poésie de Siméon avec sérénité. Soit en oubliant ce qui ressemble à des emprunts (faits à une morale, une diction, un ton sentencieux, un vocabulaire minéral si identifiable -pour qui a commerce avec la langue originale), que nous détectons vite, sinon nous perdrions goût. Et pied.

    En voici un autre, pour la route (les césures des deux poèmes, bien qu'étranges par endroits, sont celles du livre) :

     

    La terre un jour si tendre ouvre sa peau de

    pêche sous nos lèvres.

      Un oeil léger mesure le poids des branches.

    L'été mûrit.

      Ce chemin de cendre qu'un pas disperse, il est

    lié de roses. Le dormeur met les bras sur son front,

    cerne la plénitude de son sommeil.

      Il risque un voyage au centre de ses yeux,

    étreint son ivresse.

      Nous sommes comme lui dans la splendeur du

    buisson, une feuille fermée, prête au feu.


    Nota : le titre de cette note est emprunté à J.-P.Siméon.

    Je salue au passage le travail d'exigence de Manier-Mellinette, Cheyne éditeur au Chambon-sur-Lignon (43), et dont j'observe le travail depuis les premiers livres, qu'ils publièrent en 1980, et que j'ai toujours, là, pas loin.

     

  • Rosé : Le prestige de la presqu'île

    Ce papier, intitulé initialement : Du rosé « piscine » en mathusalem, est paru dans L'EXPRESS du 27 juillet.

    Le nom de Saint-Tropez suffit à faire vendre les vins rosés qui s'en prévalent. Les investisseurs s’affolent et les vignerons regorgent d’idées.

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    images (1).jpegLa Presqu’île rend fous les investisseurs avides de posséder un vignoble estampillé Saint-Tropez. Le groupe Bolloré a repris les domaines de La Croix et de la Bastide blanche, sur la commune de La Croix Valmer, 90 ha de vignes qui donnent un rosé classieux. Ce n’est pas le cas de tous les domaines, dont le point commun positif est de jouer volontiers la carte de l’agriculture raisonnée. À La Croix, on n’a pas lésiné sur les moyens pour remettre le vignoble en état et, surtout, confier à un architecte local de renom, François Vieillecroze, le soin d’imaginer et de réaliser un chai spectaculaire et futuriste. À Gassin, le célèbre Minuty, de réputation internationale, démontre que grande production peut rimer avec qualité. L’un de ses voisins, le domaine de La Rouillère, 40 ha plantés sur 120, appartient à un industriel de Lille, Bertrand Letartre, leader européen des produits d’hygiène et de désinfection en milieu hospitalier. « J’ai eu le coup de foudre il y a une dizaine d’années lorsque je cherchais à reprendre un domaine. J’ai racheté pour 4 millions d’euros une propriété un peu délaissée. 8 millions ont été injectés pour les travaux. Il y a eu notamment le rachat de terres à la famille de Robert Boulin. Une parcelle se nomme d’ailleurs Ministre », dit Bertrand Letartre. « Je tiens à rester propriétaire-récoltant, et il me fallait d’emblée être (re)connu dans mon village. » Comme le village se nomme St-Tropez, le travail sur le mouchoir de poche magique –du Vieux Port à Pampelonne- est capital. Il permet aux décideurs du monde entier de retenir le nom de sa remarquable cuvée Grande Réserve, un vin rosé (comme 70 à 80% des vins de la Presqu’île), qu’ils consomment plus volontiers en magnums, en jéroboams ou en mathusalems qu’en simples bouteilles de 75 cl –toujours ce goût de la démesure propre à St-Tropez. « L’image de nos vins circule, de Courchevel d’abord, où sont les commerçants tropéziens en hiver, à New York et à St-Barth’, soit là où la jet-set se déplace ». Les rosés estampillés St-Tropez font un malheur dans les lieux branchés de la planète. Leur prix sont en conséquence surestimés. Le chai de La Rouillère, archi design, à la propreté clinique qui frise l’obsession, est signé lui aussi de l’architecte en vogue Vieillecroze. « Oui, mais il a fait le notre avant celui de Bolloré », précise Bertrand Letartre. Au domaine Bertaud-Belieu, propriété d’un haut-dignitaire kazakh, on joue également la carte de la qualité. Cela n’empêche pas Jean-Christophe Sibelya, le gérant, de créer des événements. « Nous sortons des cuvées limitées ornées d’une sculpture métallique en guise d’étiquette, signée Michel Audiard, dont le prix peut atteindre 8000€ pour une paire de mathusalems livrés dans une mallette en cuir. Nous finançons l’opération  « Puits du désert », qui permet le creusement de nombreux puits au Niger. Ou bien nous ouvrons un bar dans un hydravion Catalina, époque Latécoère, chaque soir sur une plage de St-Trop’. » Grégoire Chaix, lui, avec 35 ha de vignes éparses dans les environs, produit Tropez, du prénom sésame de son grand-père, un vin archi marketté avec ses séries limitées à 6000 cols au look ravageur très night-club : Black Tropez, White Tropez. « J’ai créé aussi un cocktail à base de vin rosé et d’arôme de pêche, qui cartonne : on a déjà vendu 1,5 million de bouteilles! Il titre, au choix, 6,5° ou 0°, on le trouve partout, surtout chez moi, au Bar du Port », lequel n’a rien d’un wine-bar classique. De toute manière, ici, les vignerons eux-mêmes boivent le rosé en « piscine », soit dans un grand verre qui tient du vase rempli de glaçons. Parlez-moi de vin…  L.M.

     

  • Cette île m'inonde

    IMG_5220.JPG
    Procida me rassemble. Eloigne de moi les tourments. Ma confusion des sentiments se délie, s'épanouit ici comme une feuille de thé plongée dans l'eau ébouillantée. Chaque chose reprend place, chacun observe l'autre en amitié. Ici je découle. Deviens thon, nage en eaux claires. Je mûris comme un citron sous un soleil bruto. J'oublie le manque. Je me nourris d'ombre profonde, et de silence, de chaleur, de poisson crus.

    Photo prise le 27 juillet dernier : relève matinale du filet de mon ami Cesare Piro (à gauche, boina blanche), contre Punta Pizzaco et avec Terra Murata juchée sur Punta dei Monaci au fond, en compagnie de sa mère Maria, seule femme pêcheur professionnelle de l'île, et, à la rame, de ma fille Marine (debout en bleu pâle).

  • St-Trop, le premier papier

    EXPRESS 27 juillet 2011_Page_1 (1).jpgRetour de Procida... 

    Au courrier, je trouve L'Express et le dossier que j'ai écrit dans l'édition datée du 27 juillet au 2 août. Il comprend 12 papiers, avec ses encadrés et ses manchettes. Voici celui qui ouvre l'ensemble :


    De BB à Abramovitch

    LOIN DU BLING-BLING

    Les traces des années B.B. sont dans les mémoires. Elles ont sculpté un Saint-Tropez inaltérable, aujourd’hui davantage tourné vers une certaine conception de la dolce vita.

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    IMG_5036.JPG« Et tard dans la nuit de cet été 1965, Margot ouvrit la porte de l’hôtel familial de La Ponche à Gunther Sachs et à Brigitte Bardot. Ils voulaient une chambre, urgemment : Ma petite Brigitte… Et monsieur Gunther, mais quelle surprise !, s’exclama Margot. Ce fut leur première nuit d’amour ». Simone Duckstein, veuve du peintre Jacques Cordier dont les peintures ornent tous les murs de l’hôtel de La Ponche et directrice historique du lieu, se souvient. Brigitte était déjà une habituée, qui disait de cet hôtel mythique qu’elle y était comme chez elle à La Madrague, « avec la même bande d’amis rigolos ». À deux pas du Port, l’hôtel le plus intime de Saint-Tropez, devant une plage enrochée de poche, la ravissante Grange Batelière et la côte de Sainte-Maxime au loin, a longtemps été l’annexe de Saint-Germain-des-Près. BB y passa des semaines entières, comme Françoise Sagan et la bande de son ami Jacques Chazot, ou avec ses maris successifs Guy Schoeller, Bob Westhoff, Bernard Frank. Les Trintignant, Romy Schneider, Maurice Ronet, Daniel Gélin, Juliette Gréco, Michèle Morgan (toutes deux vivent à quelques encablures), tout le monde est passé par ici, même Jack Nicholson il y a peu. Y compris, lorsque Simone était enfant, les Eluard, Picasso, Mouloudji, Pierre Brasseur, le peintre Dunoyer de Segonzac, enterré au splendide Cimetière marin, tout proche, non loin d’Eddie Barclay dont la tombe est ornée de disques en vinyle démesurés... Les Buffet, par exemple : Annabel a rencontré Bernard à La Ponche en 1958 ! Le petit hôtel semble ainsi être (à son corps défendant, mais pas longtemps), le méridien de Greenwich des amours naissantes et des réconciliations tardives : Simone Duckstein se flatte d’avoir entendue Catherine Deneuve lui dire, un jour de 2004 tandis qu’elle tournait Princesse Marie, de Benoît Jacquot, « c’est vous qui m’avez réconciliée avec Saint-Tropez. » Les larmes lui montent aux yeux à cette évocation. Si Maupassant parle de Saint-Tropez dans ses chroniques données au Gil Blas en 1884, si Colette séjourne fréquemment dans sa maison de la baie des Caroubiers, La Treille Muscate, acquise en 1925 et où elle écrivit plusieurs de ses livres, c’est à La Ponche que Claude Lanzmann situe un séjour avec Sartre et Beauvoir dans Le lièvre de Patagonie. Sagan ouvre un chapitre de Avec mon meilleurIMG_5032.JPG souvenir par ces mots : « Nous sommes à la mi-juin... Je suis assise sur la terrasse de l'hôtel de La Ponche, à Saint-Tropez, à six heures du soir, au seuil de l'été… Les deux pieds sur une chaise ». C’est La Ponche que Bardot désignait à ses amants comme l’endroit le plus romantique du monde… Jacques Laurent –ami intime de Simone, Michèle Perrein qui fut son épouse, Michel Mohrt, Sagan bien sûr, y ont souvent écrit, et nombre d’acteurs s’y sont reposés entre deux journées de tournage. Ce, depuis 1942, pour Le Soleil a toujours raison, avec Tino Rossi, jusqu’aux nombreux tournages des années 70 et 80, en passant par 1955 qui voit un Vadim  impuissant à lutter, l’œil rivé à sa caméra, contre un Trintignant amoureux de sa jeune épouse déjà sacrée « plus belle femme du monde », et la série des Gendarmes ou encore L’année des méduses, et La piscine… Cette maison d’artistes 4 étoiles est un bijou tenu par une élégante délicate et cultivée qui semble ignorer l’autre, les autres Saint-Tropez, lesquels ne la gênent nullement. « À chacun son Saint-Tropez, et tout le monde est heureux ainsi ! », dit Simone, en citant son amie Françoise Sagan. Chacune de ces stars a donné son nom  aux 18 chambres, y compris Georges Pompidou et Kenzo, fidèles de l’hôtel. Non loin, des yachts cathédrales immaculés pressent leur cul contre un quai envahi de badauds et de faux bling-bling facilement reconnaissables. Les terrasses de Sénequier, du Gorille, de l’Escale, du Quai, du Café de Paris et autres font leurs choux gras en quatre mois avec ceux qui passent et débarquent. Mais ce strass est circonscrit. Il a moins les dimensions d’un mouchoir de poche que celles d’un string, dont les mensurations auraient pour élastiques les quais, la Citadelle, la paisible place de l’Ormeau, la Place des Lices les jours de marché (mardi, samedi) et ses boulistes de l’après-midi, lesquels songent à Henri Salvador et à Lino Ventura, et enfin la Tour du Portalet qui ouvre sur le modeste sentier du littoral –qu’il faut emprunter. Oui, le carré des milliardaires, des oligarques, des m’as-tu photographié, est ridiculement minuscule et préserve, on ne sait par quelle magie, le village dans son ensemble. Le pouvoir d’achat de ce maillot de biens est certes considérable, mais le Tropézien, qui a la tête réellement froide, ne s’en laisse IMG_2257.jpgjamais compter. Il a oublié que Mick Jagger s’est marié ici avec Bianca en 1971, il se souvient en revanche qu’il a une autre affaire à faire tourner à Courchevel, en relais de celle-ci sur le port, en deçà ou sur une plage de Pampelonne. Car aujourd’hui, il convient de suivre le VIP à la trace, dans les sillages uniformément blancs comme la fameuse Soirée –et de son yacht et de son avion privé. Le nouveau visage de St-Trop’ est davantage cosmopolite, plus exigeant, plus arrogant aussi. Les maîtres du monde, s’ils possèdent encore, parfois, le tact et l’intelligence effacée, exposent plus fréquemment des attitudes d’enfants gâtés qui veulent tout tout de suite. « Le risque est qu’ils fichent le camp ailleurs, puisque les côtes de la planète leur sont ouvertes », dit Kaled, inquiet militant de l’avenir des plages de Ramatuelle. En attendant les suites d’un éternel imbroglio (voir plus loin), Abramovitch, Paris Hilton, tel Emir, tel rock-star ou king du basket, tel président d’un fonds de pension américain aussi influent qu’un Bill IMG_2248.jpgGates, mais transparent avec son tee-shirt imprimé et ses Havaïanas aux pieds, et dans une moindre mesure un Jean-Michel Jarre ou un Alexandre Jardin croisés ce 5 juillet au fil des quais et aux bras de leur dulcinée, fabriquent le Saint-Tropez d’aujourd’hui. Celui-ci tient du zoo, lorsqu’on se trouve devant ces yachts dont on ne sait pas qui sont les singes : ceux qui les occupent, là-haut, ou bien les humbles qui,IMG_2252.jpg menton dressé et appareil photo prêt à tirer, guettent leurs occupants et se photographient devant des pavillons de complaisance évoquant les îles lointaines ? Il relève de la réserve d’Indiens : les Bateaux Verts proposent pour 9€ une balade en navette à la découverte des « villas de célébrités ». St-Trop’ tient encore du hameau charmant, lorsque l’on emprunte, depuis les quais et jusqu’à la Place des Lices, cette ravissante ruelle Etienne Berny chargée du parfum des figuiers qui dégringolent, et où deux piétons ne peuvent se croiser. Le village magique tient de l’inaltérable enfin, lorsque, devant soi, au cœur de la nuit, à l’heure où l’on quitte hagard les Caves du Roy, un nanti indien proche de la famille Mital (propriétaire dans les environs), évoquant en Anglais son dîner au Polo Club (la cuisine, italienne, y est remarquable), achète, pour se refaire, un panini à 5,40€, ni vu ni reconnu. Record absolu.  

    L.M.

    PS : L'Express a signé à tort mon dossier du nom de Léon Mazzella di Borgo, or je m'appelle di Bosco. Pfff...

    Photos (©LM) : vue du village depuis les abords du cimetière marin, des gosses qui plongent dans la crique de La Ponche depuis la Grange batelière, Tony Parker au VIP, la lampe Kalachnikov dorée qui trône sur le bureau de Grégoire Chaix (vigneron), le seau de mon rosé au Club 55.

     

  • Les folies de Saint-Tropez

    C'est le titre du dossier de 12 pages que je signe dans L'Express paru mercredi dernier. Pas encore vu. Ici (sur l'île de Procida depuis le 15), on ne trouve pas grand chose et c'est tant mieux. Tout peut attendre. A Procida, je me réconcilie avec la vie lorsque celle-ci glisse entre les yeux. Cette île irradie en moi. Elle m'inonde de benessere, je m'y inscris comme un fleuve finit en mer. 

  • L'Express spécial Pau

    images.jpegDans L'Express de cette semaine, je publie trois papiers sur le thème des grandes familles paloises : la saga des Biraben (foies gras éponymes et chevaux de course), des Escudé (sportifs de haut niveau : foot et tennis) et celle des Loustalan (presse quotidienne régionale). Il se trouve qu'en 1984, j'ai travaillé à Pau à Pyrénées Presse (La République des Pyrénées et L'Eclair des Pyrénées). Voici pourquoi je choisis de coller ci-dessous le papier qui évoque les Loustalan. Nota : ce dossier est uniquement diffusé en Béarn.

    L'engagement au quotidien

    Albert, Henri, François, Bruno. Quatre Loustalan, trois générations de patrons de presse, un titre emblématique : L’Eclair, et un fil d’Ariane : porter un vrai courant de pensée en faisant d’un quotidien beaucoup plus qu’un journal.

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    En 1898, deux quotidiens palois, l’un royaliste et ultra catho, Le Mémorial, l’autre anticlérical, L’Indépendant,  poussent l’abbé Pon à quitter le Grand Séminaire et Albert Loustalan à quitter à 28 ans un poste confortable de banquier, pour fonder Le Patriote, journal d’informations démocrate chrétien, afin de créer un juste milieu dans un paysage béarnais qui compte encore aujourd’hui trois quotidiens (*). Le grand père Albert contribue rapidement à la prospérité financière du titre, qui affichait 25 000 exemplaires vendus chaque jour à la veille de la Seconde guerre mondiale. Modéré, Le Patriote comprend une majorité de laïcs dans son capital, et sa rédaction, d’obédience catholique, ne donne pas dans l’obscurantisme. La lutte est âpre et les lecteurs fidèles à chacun de ces titres. « Pau a toujours été une ville où l’on débat sur la place publique, au café comme au Zénith, lance François, petit-fils d’Albert, aujourd’hui âgé de 62 ans. » Quand Le Mémorial cesse de paraître en 1911, puis que L’Indépendant est happé par La Petite Gironde, ancêtre de Sud-Ouest, Le Patriote poursuit son aventure. Mais pendant l’Occupation –le grand-père Albert a disparu en 1936, le journal accepte la censure et la propagande, et voit un rédacteur en chef collabo continuer de noircir le journal… À la Libération, les « Rad-Soc » prennent le pouvoir et traînent Le Patriote en justice. Acquitté, il est déjà trop tard pour qu’il reparaisse, fut-ce nimbé d’une nouvelle virginité : La République des Pyrénées vient de naître, qui rafle un lectorat affamé de presse. Henri Loustalan, qui a appris le métier aux côtés de son père Albert, est un jeune docteur en Droit auteur d’une thèse sur le droit de la publicité dans la presse. Avec sa bande de potes : l’équipe des Chrétiens Sociaux de la Résistance, qui comptent à leur tête Louis Bidau, syndicaliste agricole qui sera à l’origine de la culture intensive du maïs et de la création de l’actuel consortium Euralys, ainsi que Mgr Annat, ils fondent L’Eclair des Pyrénées en octobre 1944. La ligne éditoriale du Patriote des belles années se retrouve : L’Eclair ne sera jamais un suppôt du clergé, mais il défendra des convictions, « un vrai courant de pensée » comme se plaisent à le souligner François et son frère cadet Bruno. L’Eclair étend rapidement son aire de diffusion aux « trois B » : Béarn, Basque, Bigorre et son lectorat demeure aujourd’hui encore rural et démocrate chrétien, tandis que La République est davantage située à gauche, et Sud-Ouest… au milieu sans être au Centre. Henri, qui a 35 ans à la création de L’Eclair dirige le quotidien (de directeur administratif, il deviendra vite PDG), et s’accroche, même s’il vend trois fois moins que « La Rép. » (7000 ex. contre environ 25000ex.). La Dépêche du Midi en Bigorre et La République en Béarn sont des concurrents sérieux du petit Eclair. Quant à Sud-Ouest, il est présent dans les « 3B » et au-delà. Le grand virage s’effectue au début des années 70, lorsque Henri se rapproche du groupe Sud-Ouest. L’empathie est immédiate avec le PDG Jean-François Lemoîne, qui soutient L’Eclair et garantit sa ligne éditoriale. Plus tard, Sud-Ouest rachètera La République pour ne pas la laisser au « papivore » Hersant ou, pire, à La Dépêche de la famille Baylet, et le Groupement d’Intérêt Economique Pyrénées Presse, qui englobe La République et L’Eclair, voit le jour en 1976. Ca se complique… On partage l’imprimerie, la régie publicitaire, deux journaux en guerre depuis toujours sont forcés de devenir des frères ennemis, les locaux sont communs, mais « au plomb », les ouvriers du Livre dressent des panneaux de séparation entre les tables de montage. François, ingénieur en électronique ayant déjà bourlingué, est appelé en 1984 par son père pour diriger le journal à ses côtés. Il en deviendra PDG, directeur de la publication par la suite (Henri meurt en 1998). Fidèle à la philosophie Loustalan, Henri et François développent les manifestations autour du journal, avec le Club des Amis de L’Eclair, l’Université de la Citoyenneté, le magazine Pyrène… Le jeune Bruno se destine à l’audiovisuel. Or, il effectue en 1978 un stage de 2 mois à L’Eclair, à la demande de son père, renonce à Sud Radio. Le « stage » durera 18 ans. Sa carrière se poursuivra jusqu’en 2009 au sein du groupe Sud-Ouest, à la direction du magazine Surf Session. C’est à la mort de J.F. Lemoîne en 2001 que les difficultés deviennent insurmontables : La République et L’Eclair sont désormais bonnet blanc et blanc bonnet avec une rédaction en chef commune. « Inconcevable! ». Bruno a déjà quitté le navire. François le fera en 2004. Aujourd’hui, les Loustalan brothers ont créé Valeurs du Sud qui édite un hebdo gratuit de 24 pages, L’Hebdo+, dont les caractéristiques sont d’être positif, « on ne parle jamais de ce qui fâche », d’être nourri d’infos qui remontent de la société civile et d’être alimenté  par un flux constant sur le Web. L’esprit citoyen, la circulation d’un courant de pensée désormais affranchi de connotations religieuses, se retrouvent « dans un média qui fait avancer le territoire, dans un contexte où la pluralité et la complémentarité, disparaissaient de la société française et renaissent sur la Toile », précise François. Et le fil d’Ariane est à nouveau tendu comme le zig-zag d’un éclair puisque, après les lancements de L’Hebdo+ Béarn et de L’Hebdo+ Pays Basque, L’Hebdo+ Bigorre a vu le jour en juin 2011. Revoilà  « les 3B » ! 

    Léon MAZZELLA

    (*) Sud-Ouest, La République des Pyrénées et L’Eclair des Pyrénées, propriétés du Groupe Sud-Ouest.

  • L'appel de Séville

    9782846263214.gifA l'heure où l'encierro de las San Fermines bat son plein à Pampelune (ah, le bon temps où je courais devant les toros à 7 heures du matin dans cette calle Estafeta...), voici un écho taurin remarquable :

    Prof de philo à Normale Sup, Francis Wolff est l’auteur notamment de Philosophie de la corrida (Fayard, repris au Livre de Poche), chroniqué ici à sa parution, un ouvrage fondamental sur le sujet. C'est ce livre qui a sans doute valu -honneur insigne pour un Français- à son auteur d’être invité à prononcer le pregon, ou discours inaugural de la feria de Seville 2010 (le 4 avril). Voici un extrait de ce discours déjà historique, intitulé L'Appel de Séville, et sous-titré Discours de philosophie taurine à l'usage de tous, que l’exigente aficion andalouse acclama :

    « La corrida est moins qu’un art parce qu’elle semble échouer à produire une vraie représentation, vouée qu’elle est à la présentation du vrai : un vrai danger, une blessure béante, la mort. Mais, pour la même raison, la corrida est plus qu’un art : c’est la culture humaine même. Ce n’est pas, comme l’opéra, un art total, c’est une culture totale, parce qu’en elle fusionnent toutes les autres pratiques culturelles. De fait, la corrida n’est ni un sport, ni un jeu, ni un sacrifice, elle est plus qu’un spectacle et elle n’est pas exactement un art ni vraiment un rite. Comme l’opéra, elle emprunte quelque chose à toutes les autres formes de la culture pour en faire un tout original et sublime. Elle fait de la surface des autres pratiques humaines sa propre profondeur. Au sport, elle emprunte la mise en scène du corps et le sens de l’exploit physique, mais non les scores et les records. Comme la domestication, fondement de la civilisation, elle humanise l’animal, mais elle le laisse libre. Comme dans un combat, on cherche à dominer l’adversaire, mais toujours le même doit y vaincre, c’est l’homme. Aux cultes, elle prend l’obsession des signes, mais il n’y a ni dieux ni transcendance. Au jeu, elle emprunte la gratuité et la feinte, mais les protagonistes n’y jouent pas, si ce n’est leur vie. Elle rend la tragédie réelle, parce qu’on y meurt tout de bon, mais elle rend la lutte à mort théâtrale parce qu’on y joue la vie et la mort déguisé en habit de lumière. D’un jeu, elle fait un art parce qu’elle n’a d’autre finalité que son acte ; d’un art, elle fait un jeu parce qu’elle rend sa part au hasard. Spectacle de la fatalité et de l’incertitude, où tout est imprévisible — comme dans une compétition sportive — et l’issue connue d’avance — comme dans un rite sacrificiel.. La tauromachie est moins qu’un art parce qu’elle est vraie, et au-dessus de tout autre art, aussi parce qu’elle est vraie. Le toreo, art de l’instant qui dure, ne parvient jamais à l'immuabilité des œuvres des « vrais » arts et à la pureté des créations imaginaires, parce que ses œuvres sont réelles et donc vulnérables, parce qu’elles sont entachées de l’impureté de la réalité : la blessure du corps, le sang, la mort. »

     

     

  • Une nuit au Pic


    IMG_4973.JPGJ'ai passé la nuit dernière au Pic du Midi de Bigorre, 2877 m. Au sommet, dans
    un silence infiniment pur, dans une chambre spartiate d'astronome qui tenait de la cellule monacale et de la
    cabine de marin. Auparavant, j'ai observé l'anneau de Saturne au télescope, puis un orage lointain qui zébrait les montagnes, en tirant surIMG_4931.JPG un havane et en buvant un verre de Montus 2007, vers minuit. Je m'y trouvais pour fêter les dix ans de l'ouverture du Pic au public (gros raout gastronomique, j'y reviendrai). Là, c'est juste une impression à chaud -il faisait d'ailleurs frais là-haut, le jour était donc bien choisi... S'y lever avant l'aube, ce matin, pour voir le soleil apparaître fut un bonheur ineffable. J'y reviendrai aussi. Ainsi qu'au Pic. Un livre m'accompagnait, que je relisais avec l'impression de ne l'avoir jamais lu : L'insoutenable légèreté de l'être, de Kundera. J'eus le sentiment que Tomas, Tereza, Sabina, les personnages du roman, étaient avec moi là-haut. Cela procède 
    aussi sans doute de la magie de l'altitude.

     

  • Risotto presto

    Tu huiles (d'olive bien sûr, banane!) un peu ta grande poêle, celle qui n'accroche pas encore, jettes un gros oignon bien haché, que tu laisses blanchir 5 minutes, puis tu mets le riz arborio (un verre Duralex pour 2-3 personnes), ça devient transparent tout doux, alors tu mets à bouillir 2 verres d'eau avec un bouillon Kub, tu jettes un verre de vin blanc sur le riz, tu laisses absorber, puis t'ajoutes le bouillon, mais doucement, en deux ou trois fois, tu re laisses absorber parce que le riz boit et ce n'est pas une contrepèterie ni une histoire de lait. T'arrêtes jamais de touiller avec la cuiller en bois, jamais t'entends? (la cuisine, c'est rester devant, toujours, et presque rien d'autre). Après tu baisses le feu, tu laisses le truc se faire, sans jamais cesser de remuer. Tu as le temps de réfléchir à quoi tu vas le faire, ce risotto. Pétoncles et crevettes, c'est pas mal, d'autant que Picard propose des sachets déjà bien gaulés, avec des tomates séchées et des herbes diverses, romarin, citronnelle, tout ça. Tu ajouteras des trucs à toi : Soja Kikkoman -une pitchounette giclée, piment d'Espelette (mets-y bien de la poudre, là, voilà), d'autres herbes (ciboulette, estragon), une grosse noix de beurre salé sous le riz pour finir (avant le sel de Guérande et le poivre) et un peu de parmesan pour napper à peine-à peine au moment de dresser. Et oilà oune risotto simple, vite fait, qui plaît (on me dit : mmmm, il est bon ton risotto! et je réponds chaque fois : c'est con à faire!). Là-dessus, plutôt qu'un blancimages (1).jpeg (banal), va sur un rouge léger : le jus de raisin fermenté bio de Thierry Germain : Domaine des Roches Neuves, en 2010. C'est un saumur-champigny qui se croque, il est frais comme une place de village genre Uzès sous les platanes à l'heure de la belote, et gourmand comme les draps un rien rêches et raides à l'heure de la sieste d'un juin forcément érotique.

      

    IMG_4918.JPGPour finir, au salon en écoutant de la viole de gambe, un limoncello della casa mazzella di bosco, ça te dit?..

    (J'imagine la jouissance du vigneron lorsque je réalise si modestement mon limoncello. Celui que je viens de faire a été élaboré le 9 avril 2011 à partir de 20 gros citrons difformes rapportés de l’île de Procida, n’ayant subi aucun traitement et qui ont été cueillis sur place les 29 et 30 mars. La macération a duré deux mois à l’ombre et au frais dans ma petite cuisine. Il est composé des zestes des citrons, de 3 litres d’alcool à 90°, d’1,5 kg de sucre et de 3,5 litres d’eau pure (bouillie). La mise en bouteille a été effectuée le 15 juin 2011 sans entonnoir mais j'ai presque rien mis à côté! Il doit titrer environ 40°, je n’ai pas vérifié. Il a été tiré ce coup-ci 7 bouteilles de 75 cl toutes numérotées. A consumare con moderazione. L'abuso di alcol è pericoloso per la salute).

      

  • Mardi

    images.jpegMardi *, de Melville (folio, nouv. éd. préfacée par Philippe Jaworski), commence ainsi : Nous voilà partis! Les basses voiles et les huniers sont établis, l'ancre tapissée de coraux se balance au bossoir et les trois cacatois se gonflent à la brise qui nous suit au large comme les abois d'une meute. La toile se déploie, en bas, en haut, renforcée de part et d'autre de nombreuses bonnettes; si bien qu'à la fin, comme un faucon qui plane, nous ombrageons l'océan de nos voiles et, dans un ballottement, nous fendons l'onde amère. L'esprit même du travel narrative -le récit de voyages et d'aventures, se trouve ramassé, d'emblée, avec ces premières lignes. Nous partons. Avec Melville, nous sommes d'ores et déjà embarqués, la terre s'éloigne, l'horizon est à embrasser, l'innatendu nous bronzera, les îles de Polynésie sont là tout autour, qui vont devenir allégoriques, fortement mâtinées d'imaginaire et c'est tant mieux car c'est ainsi que la littérature est grande. Cette remarque ne vaut rien si on ne l'oppose pas aux si nombreux insipides incipit qui nous font tomber des mains tant de livres. Passer la première page est parfois aussi fastidieux que de passer la barre lorsque l'on se jette à l'eau pour surfer. Sauf que cambré sur sa planche, il suffit bien souvent d'attendre la fin d'une série de vagues pour y aller, mais vite, tandis qu'avec un livre, l'insipide incipit nous fout du vague à l'âme, voire nous coupe l'envie de tourner la p(l)age. Bien sûr, Melville c'est la littérature du Grand Dehors, ce n'est pas du chichiteux nombril parisien ou new-yorkais confiné entre quatre rues et deux appart'. But... Chacun mes goûts!

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    * Voici le pitch de ce gros roman : L'équipage du narrateur rencontre une pirogue à bord de laquelle un vieux prêtre polynésien mène au sacrifice une vierge blonde. Le héros, afin de sauver la jeune fille, Yillah, tue le prêtre. Le héros aborde à l'archipel de Mardi, où le demi-dieu Tadji s'empare de lui. Yillah disparaît. La quête devient l'événement central du roman. Yillah cesse d'être une femme pour devenir symbole de beauté, de pureté et d'harmonie.


    Melville s'inspire de la théorie de l'écart chuchotée par Montaigne : Je m'instruis mieux par contrariété que par similitude, et par fuite que par suite. (Essais, Livre III, VIII), afin de nourrir son roman foisonnant de digressions multiples et de rendre sa prose joyeusement vagabonde, comme le souligne Jaworsky dans sa préface. Du coup, Mardi peut-il être picoré au lieu d'être seulement lu.

  • Métamorphoses de l'amour

    images.jpegNicolas Grimaldi, dont j'allais écouter les cours sur Le désir et le temps à la Fac de Lettres de Bordeaux au tout début des années 80, donne à présent dans la jalousie (l'enfer proustien), Socrate (le sorcier) et parle admirablement, en philosophe sage, de l'amour. Bien que son dernier livre, Métamorphoses de l'amour (Grasset) contienne de nombreux lieux communs et vérités plates, il pose en réalité les questions simples (en illustrant son propos de manière oroginale : non pas avec des textes philosophiques, mais avec des extraits de romans de Simenon!). Qu'aime-t-on quand on aime? L'attente et ses ambivalences. L'intolérable solitude. L'existence transfigurée, sont quelques thèmes majeurs parmi d'autres que l'auteur aborde dans ce petit livre précieux.

    Etre sexué, écrit Grimaldi, c'est porter en soi l'attente d'un autre. En nous faisant éprouver jusqu'à la douleur notre substantielle incomplétude, la sexualité nous fait sentir que nous avons notre identité dans l'altérité. Sentir qu'on a son centre hors de soi : en même temps que cela suffirait à définir l'attente, cela pourrait aussi définir la disposition amoureuse (p.88).

    L'amour requiert une (...) mutuelle résiliation par laquelle chacun se rend plus attentif à l'autre qu'à lui-même. C'est le moment où chacun s'émerveille de l'autre et cherche à faire retentir en lui ce qu'il éveille en nous (p.121).

    Car le propre de l'amour est de s'éprouver comme une nouvelle naissance. S'être trouvés, c'est comme avoir ressuscité de soi-même. Une nouvelle existence commence, en laquelle ne subsistera plus rien des lourdeurs et des trivialités de l'ancienne (p.147).

    A la manière dont certaines oeuvres communiquent à notre vie un surcroît d'énergie et d'intensité, la personne que nous aimons transfigure l'existence par la lumière, la couleur, le tempo que son style y apporte (p.169).

    L'amour serait donc le contraire du complexe de Pygmalion. Bien loin d'admirer dans la personne aimée ce double de nous-mêmes que nous en aurions fait, on s'émerveillerait qu'elle nous eût associé à la manière si poétique d'exister que nous appelons son style. Le merveilleux de ce que nous aurions été serait alors de l'avoir été pour elle (p.171). 

  • Costières, again

    094.jpg

    J'aime cette appellation. Les costières-de-nîmes sont à ma taille, à mon goût, à mes attentes, que je sais partagées par pas mal de monde heureusement. Vendredi 10 juin en milieu de matinée à Beaucaire, avec quelques confrères, et après une soirée de feria nîmoise endiablée qui suivait une corrida de respect (El Juli au top de sa forme et Castella qui imposa son temple au monde entier, le temps d'une série de manoletinas inoubliables, plus un jeune local, P.Oliver, qui prit l'alternative sans bruit. Deux toros de Victoriano del Rio bons, sur six, c'est beaucoup par les temps qui courent), je dégustais une trentaine de ces vins chauds, sélectionnés "sans bois" (pour la plupart...) en 2009 et 2010 surtout, plus quelques 2008. De loin, devant, se distingua Nostre Païs rouge 2008, du génial Michel Gassier (château de Nages). C'est un vin de pur plaisir, gourmand, sur le fruit, généreux, soyeux et riche, frais et équilibré, franc et corpulent, séducteur et souriant. Le bonheur! Grenache noir, carignan, mourvèdre, cinsault et un soupçon de syrah le composent.


    Puis, 
    immédiatement derrière lui, se distinguent les cuvées de la dynamique Diane de Puymorin, du château D'Or et de Gueules. Les Cimels (rouge 2009) possède un bel équilibre fruit-fraîcheur, des tanins soyeux et une belle présence en arrière-bouche. La cuvée Qu'es aQuo (rouge 09) composée de vieux carignans, est d'une grande douceur. La cuvée La Bolida (rouge 08), composée de vieilles mourvèdres, est un miracle de féminité, de rondeur et de suavité. C'est un vin de longue garde qui magnifie la mourvèdre, mais qui est déjà formidable à découvrir. Enfin, Trassegum (philtre d'amour, en Occitan), rouge 08, offre un équilibre parfait entre fruité et puissance, longueur et attaque vive mais douce, encore. La syrah domine, l'élégance le détache, l'épicé et une pointe d'olive noire l'arrondissent.

    Il y avait encore Mourgues du Grès (rouge 2009) cuvée Les galets rouges, pour la puissance de son attaque, et la cuvée Terre d'Argence, aussi, (en 2008), pour la présence charmante des fruits noirs en bouche.

    L'Ermitage (rouge 09) cuvée vieilles vignes, pour le velours bien ajusté du tandem syrah-mourvèdre. 

    La cuvée Confidence du château Beaubois, que nous avons préférée à la cuvée Elégance, trouvant que la première portait bien le nom de la seconde (rouges 09).

    La cuvée tradition du château des Bressades (rouge 2010) car c'est gourmand, doux, à fond sur le fruit et qu'une pointe de cinsault active le duo grenache-syrah, à la manière d'une série de passes inspirée de Sébastien Castella lorsque la corrida glisse vers l'ennui...

    Enfin, mention spéciale au rosé Les Cimels, de D'Or et de Gueules servi en magnum (c'est tellement mieux!), en 2010, rosé de pressée de mourvèdre et cinsault enrichi de saignée de syrah, à la robe délicate et au nez profond, avec des notes d'agrumes, de miel, de fleurs blanches et une longueur en bouche que nombre de rosés envient secrètement...

     

    Peinture : © Francine Van Hove 

    Tes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluie. Aragon, Les yeux d'Elsa.

  • entre2

    IMG_2198.jpgA menos dos (17h58, avant-hier dans les arènes ovoïdes de Nîmes) tout est sur le point de se jouer. Ou pas. J'aime tant ces moments où ça bascule dans l'inconnu, l'improbable, car les extrêmes deviennent tout à coup possibles. 

  • Lis

    images.jpegPourquoi lire? demande Charles Dantzig, avec un talent déjà démontré dans ses précédents livres de la même eau (Dictionnaire égoïste de la littérature française, et Encyclopédie capricieuse du tout et du rien, les trois chez Grasset). La lecture n'est pas contre la vie, elle est la vie, affirme-t-il. Cela se discute. D'aucuns pensent aussi cela de l'écriture. Ecrire ou vivre? Vivre empêche d'écrire mais nourrit l'écriture. Ecrire empêche de vivre et tarit l'écriture... On se mord la queue, avec de telles réflexions. Dantzig ajoute -à propos seulement de lecture, que lire ne sert à rien. Nous lisons parce que ça ne sert à rien, clame le dandy érudit. Parmi les nombreux chapitres de ce brillant essai, citons : lire pour se trouver (sans s'être cherché), lire pour se contredire, lire pour se consoler, lire pour la jouissance...

    Extraits (formules et bons mots) :

    Un bon lecteur écrit en même temps qu'il lit. Il entoure, raie, met les appréciations dans tous les interstices laissés libres par l'imprimeur. (...) Un bon lecteur est un tatoueur. Il s'approprie, tant soit peu, le bétail des livres.

    Nous choisissons, dans nos lectures, les vêtements de nos sensations, les paroles de nos bouches muettes, l'éloquence de nos pensées borborygmiques.

    L'entre les lignes est l'espace merveilleux où le lecteur à bout de raisonnements ramasse la lumière magique qui lui donne ce qu'il veut : être persuadé.

    La vie est un conte de faits. La vie est de la prose, pas de la poésie.

    On lit pour voir chez les autres les défauts que nous nous cachons à nous-mêmes.

    Une lecture réussie, c'est aussi rare, aussi bon et laissant un souvenir aussi charmé qu'un acte sexuel bien accompli. Le lecteur couche avec sa lecture.

  • Glougueule

    top.pngCliquez => http://www.glougueule.fr/ et retenez ce site! Glougueule. Pour les hommes de glou. C'est fort en humour et en autodérision, ça décape et c'est sérieusement pas sérieux. J'ai fait la connaissance de l'un de ses brillants animateurs, Philippe Quesnot, "épicier savant" à Grasse et auteur de Vin d'Yeux (Ellébore), ainsi que celle de l'un de ses complices, Jacques Ferrandez, à qui l'on doit tant de magnifiques BD, en particulier 10 tomes sur l'Algérie : Carnets d'Orient (Casterman), à l'occasion du salon Cuisine et littérature, à La Colle sur Loup, près de St-Paul de Vence, les 5 et 6 juin derniers. Nous avons goûté ensemble quelques beaux flacons, notamment de Gramenon, et ce fut le point fort d'un salon plutôt calme et pluvieux, avec les canons de La Sorga pris en compagnie d'Anthony Tortul, le vigneron qui fait ses cuvées, et sa bande de potes du bar à vins rennais L'Entonnoir.

     

  • Vide-poches

    images.jpegFrédéric H. Fajardie met le feu dans chacune des 33 nouvelles qui composent le recueil précieux concocté par Sébastien Lapaque et Jérôme Leroy : Des petites fleurs rouges devant les yeux (La Petite Vermillon / LTR). Regretté Frédéric qui écrivait dru et dur, sur et pur. La première phrase de la nouvelle intitulée La marelle (p.41) prouve (à mes yeux) et si cela est nécessaire, que c'était, que c'est un grand écrivain : Une brume humide et glacée baignait la ville d'une grisaille métallique rappelant ces capitales d'Europe orientale étreintes par un froid plus concret.

    images (1).jpegChez le même éditeur, L'argot d'Eros, de Robert Giraud, qui nous avait donné déjà L'argot du bistrot (La Petite Vermillon, donc), est un dictionnaire bandant qui donne par exemple des dizaines de façons de nommer le sexe d'une femme et celui d'un homme aussi. Le tout est illustré d'extraits de livres, comme il se doit, où l'on croise souvent Carco, Boudard, Calaferte, Gautier, Simonin, Casanova, Haedens... 

    01069102851.gifLe roman de l'été de Nicolas Fargues (Folio) est un chef d'oeuvre de perspicacité, d'observation de nous même, de nos travers, de nos moeurs urbains, mesquins, amoureux sans façon, bobo, touchants. Fargues possède un don supplémentaire à celui d'écrire (très) bien de bons romans : que celui qui n'a pas encore lu J'étais derrière toi le fasse sans délai! -Le don de dépeindre l'autre, comme le ferait un anthropologue du quotidien. Dès les premières pages, le ton est donné : Rougissant, il regretta ce réflexe mesquin qu'il méprisait si souvent chez les autres. Cette façon d'ignorer quelqu'un, tout en voulant lui laisser croire qu'on ne l'a pas remarqué. Bien vu, non?

    01004619851.gifIles à la dérive, de Papa Hemingway reparaît en folio (anniversaire oblige). L'occasion de (re)lire ces trois récits posthumes où l'on voit le double de l'auteur pêcher avec ses mômes, puis le même à Cuba et enfin en mer, donc toujours sur l'eau, pourchassant des sous-marins allemands. Avec toujours le style souple, emportant, enivrant -d'autant que les haltes, chez Hem', se font souvent pour recharger en rhum, en scotch et autres feux de l'écriture.

  • France Bleu Gascogne

    Pour les oreilles que cela intéresse, je tchatche une heure durant avec Thierry Simon, qui m'interviewe (le prétexte est mon livre Landes, les sentiers du ciel, avec des photos splendides de Frédérick Vézia, éd. Privat) dans le cadre de son émission A l'ombre des pins, dimanche prochain 29 mai de 18h à 19h sur ma vie (mes bouquins, mes papiers, mon enfance, Bayonne, mes projets, la mer, la Locale : la presse quot. régionale) -pas sur mes amis, mes emmerrrrdes, car il aurait fallu bloquer le studio toute la journée!.. Sur les ondes de France Bleu Gascogne : en direct sur le Net http://sites.radiofrance.fr/chaines/france-bleu/?tag=gascogne ou bien, pour les veinards qui seront sur place, sur 100.5 (Pays basque + Nord Espagne), 98.8 (Landes) et 103.4 (Gironde).

  • Cendrars aventurier

    images.jpegL'homme à la main coupée (des éclats d'obus lui firent perdre son bras droit en septembre 1915, à la ferme Navarin, en Champagne), fut un aventurier impénitent, un voyageur inlassable, un reporter curieux comme un pot de chambre de génie, un goinfre de sensations fortes, un amateur de vie vraie, du caractère des hommes durs -marins, soldats, bagnards, et des femmes à poigne mais au charme dévastateur. Lorsqu'il s'embarque sur un rafiot, L'Ile-de-Ré à bord duquel les cancrelats sont aussi nombreux que la racaille, la verve de l'auteur de L'Or et de Moravagine prend toute sa saveur. Qu'il parte pour le Brésil ou pour l'Antarctique, on a constamment envie de faire partie de son viatique. Le suivre ligne à ligne est un bonheur de chaque instant. Cinq récits courts, rassemblés sous le titre La vie dangereuse, reparaissent dans Les Cahiers Rouges (Grasset). Ne vous en privez surtout pas, c'est bon comme une bière par grande soif. Extrait : J'ai le goût du risque. Je ne suis pas un homme de cabinet. Jamais je n'ai su résister à l'appel de l'inconnu. Ecrire est la chose la plus contraire à mon tempérament et je souffre comme un damné de rester enfermé entre quatre murs et de noircir du papier quand, dehors, la vie grouille, que j'entends la trompe des autos sur la route, le sifflet des locomotives, la sirène des paquebots, le ronronnement des moteurs d'avion et que je pense à des villes exotiques pleines de boutiques épatantes, à des pays perdus que je ne connais pas encore, à toutes les femmes que je pourrais rencontrer et avec qui je perdrais volontiers mon temps, aux hommes qui m'attendent peut-être, prêts à m'expliquer leur activité et à me faire gagner des tas, des tas d'argent. Non, vraiment, écrire c'est peut-être abdiquer. Comme tu as bien fait de vivre -et d'écrire, Blaise...

  • Stendhal épistolier

    01008125852.gifDe la correspondance choisie de Stendhal qui paraît en folio, Aux âmes sensibles (224 lettres, 600 pages quand même) il apparaît que l'auteur du Rouge et de la Chartreuse est assoiffé de réponse de la part des destinataires de sa correspondance. A sa soeur Pauline, la "cara sorella", il fait le reproche systématique et un peu fort de ne pas lui répondre aussi vite et aussi abondamment qu'il le fait. Le genre épistolaire va bien au futur Stendhal (le jeune Henri Beyle), et il mûrit lorsque celui-ci devient soldat, puis écrivain, italien, célèbre. Même cacochyme, il conserve une verve et un style qui laisse à penser qu'il imagine bien sa correspondance publiée, un jour. Ou bien l'homme, à l'instar de Flaubert, est une machine à écrire fondamentale, une bête de littérature. Aussi, chacune de ses missives doit-elle être un morceau d'oeuvre. Qu'il décrive un paysage, une rue de Milan, une auberge de montagne, des soldats en déroute ou qu'il exprime son amour à quelque conquête, Stendhal est un écrivain puissant, comme on le dit d'une viande en sauce et d'un vin rouge ensoleillé.

  • Lectures en vrac

    images (3).jpegLe 5ème numéro de la Revue Mauvais Esprit Ravages (publiée par Hugo & Cie) s'attache des plumes célèbres : Tony Gatlif, le génial cinéaste de Vengo, à propos des gitans, Malek Chebel, athropologue algérien spécialiste de l'Islam, Pap Ndiaye, maître de conférences à l'EHESS, ou encore Esther Benbassa, titulaire de la chaire d'histoire du judaïsme à l'Ecole pratique des hautes études, pour un numéro spécial intitulé Sale race. Un bouquet de textes sans concessions, décapants et salutaires pour dénoncer les racismes ordinaires, les haines quotidiennes, les phobies, les expulsions et une odieuse politique qui n'a pas honte d'elle-même. Superbe maquette enrichie d'un jaune fluo façon stabilo des plus efficaces.

    images (1).jpegA propos des Dogon (expo d'importance au Musée du Quai Branly à Paris jusqu'au 24 juillet), deux livres de photos noir & blanc superbes d'Agnès Pataux (éditions Gourcuff Gradenigo, à Montreuil). Le premier, sobrement intitulé Dogon, nous dit les paysages et les visages avec des rides qui semblent partagées, une aridité fière et une beauté droite. C'est un livre de silence. Le second, Coeur blanc, ventre blanc (parole de féticheur qui signifie qu'on est clair et qu'on peut nous faire confiance) évoque les fétiches et les féticheurs du Mali, du Burkina Faso et du Bénin. Ces objets de divination et de pouvoir sont des oeuvres d'art. Leur puissance, leur charge symbolique semble se lire dans les clichés d'une photographe indéniablement habitée par un sujet méconnu et fascinant.

    images (2).jpegA la rencontre des plus beaux villages de France, d'Alexandre Marion et Thibault Prugne (éd. Eyrolles) présente 155 portraits au trait de villages et de leurs villageois. Car il s'agit d'un gros (320 pages) carnet de voyage avec très peu de textes. Tous les villages répertoriés par l'association des plus beaux villages de notre pays y figurent. Au total, 600 aquarelles, croquis et esquisses qui ont su éviter le piège de l'illustration passéiste, régionaliste et sympa comme un reportage avé l'assent d'une petite télé locale.

     

    vv_book_10.jpgLandes, de terre et d'eaux, proposé par les jeunes éditions dacquoises Passiflore, fiance un texte bref du romancier de terroir à succès Alain Dubos, qui court de page en page pour illustrer des illustrations à l'aquarelle pleine page et sur papier kraft (Landes oblige!), de Philippe Valliez. Une promenade sensible et poétique à travers la nature landaise, entre océan et barthes, forêt de pins et fleuve d'amour, fermes à colombages et objets domestiques, animaux sauvages et symboles forts.

    1280763421.jpgPlantes interdites, une histoire des plantes politiquement incorrectes, de Jean-Michel Groult (éd. Ulmer) est un magnifique album à l'illustration judicieuse et à la maquette originale. Un herbier, de vieilles affiches de cinéma, des documents d'époque, des réclames, des photos étonnantes épaulent avec talent un texte très documenté sur les sujets suivants : les plantes chamaniques (coca, pavot, khat, champignons...), les plantes abortives des faiseuses d'ange (armoise, genévrier sabine...), l'absinthe, la fée verte (à l'histoire trouble -mais enfin réhabilitée!), les plantes invasives (venues d'ailleurs) comme l'envahisseuse mongole, la griffe-de-sorcière ou la renouée du Japon. Et enfin les interdits agricoles : amarante, tabac, vigne, OGM et autre stévia (dont on fait un édulcorant).


    images.jpegEnfin, l'édition 2011 du fameux Guide des Gourmands, d'Elisabeth de Meurville et son équipe (Gourmands & Co) est encore plus riche que l'an passé : plus de 2000 adresses en France et en Europe des meilleurs fournisseurs de tous les beaux et bons produits alimentaires (solides et liquides) imaginables. Annuaire incomparable classé par famille de produits, mais enrichi d'un index géographique, bottin du bon goût, bréviaire du gourmet et du gourmand, ce guide de 480 pages denses, aux commentaires fiables, baptisé carnet d'adresses des chefs et des vrais amateurs, attribue cette année 118 coqs d'or aux meilleurs parmi les meilleurs. Au fil du temps, ce bouquin devient le compagnon de toute personne soucieuse de manger bon. Et ça commence à faire du monde!

     

  • Maman

    01069851022.GIFMaman chérie. C'est le titre d'un élégant folio sous emboîtage de velours rose (9,90€) qui célèbre toutes les mères. L'anthologie littéraire est composée d'extraits de textes célèbres tous parus chez Gallimard, et qui vont bien au-delà du célébrissime Livre de ma mère d'Albert Cohen (dont trois pages ouvrent néanmoins le volume) et de La Promesse de l'aube de Romain Gary. On y lit ou relit avec un immense plaisir des pages de Camus (Le premier homme), Sartre (Les mots), Duras (Un barrage contre le Pacifique), Modiano (Un pedigree), mais également du Bobin (La part manquante), du Ben Jelloun (Sur ma mère), du Perec (W ou le souvenir d'enfance), et des choses éparses parfois splendides, souvent touchantes : Annie Ernaux, Jules Renard, Jules Vallès, Sempé/Goscinny, Steinbeck, Céline, Erri De Luca, Charles Juliet -les extraits de ces deux derniers sont à encadrer, Musset, Proust (le célèbre passage de Du Côté de chez Swann ou le petit Marcel évoque "la puberté du chagrin et l'émancipation des larmes" et même du Jean-Louis Ezine. Gary est émouvant lorsqu'il déclare que, "avec l'amour maternel, la vie nous fait à l'aube une promesse qu'elle ne tient jamais". Son fils Alexandre Diego Gary (dans S. ou l'espérance de vie) est bouleversant lorsqu'il avoue avoir été tenté de tuer l'entourage de sa mère, "tant j'avais besoin qu'elle me porte son attention, à moi et à personne d'autre". Car le livre, divisé en plusieurs parties, classe les textes en fonction de la douceur d'une mère (les souvenirs d'enfance), de l'ingtratitude inattendue : "ma mère, c'est la cinquantaine épanouie dans l'égoïsme" (Morand), et enfin des mères disparues. Car la perte de la mère engendre des romans depuis l'aube de l'humanité. Ce travail de deuil par l'écriture est devenu un genre littéraire, pourrait-on dire. Inutile de préciser que c'est un petit cadeau à glisser dans la poche d'un môme qui ne saura pas quoi offir à sa mère, le dimanche 29...

     

     

     

  • Flacons

    images (2).jpegBu Le Désordre (rouge, 2009) le Saint-Chinian d'Anthony Tortul, Domaine La Sorga, au Baratin, célèbre bistro du 20ème à Paris, tenu par Raquel et Pinuche, et c'est excellent! Gourmand, complètement sur le fruit, ce vin absolument naturel est un grand bonheur de flaveurs franches.

    Goûté 4 rosés de Vacqueyras, l'une de mes appellations préférées en rouge : magnifique Monardière (2010) de Martine et Christian Vache. Robe pâle, nez fruité (agrumes, pêche), bouche délicate. C'est un vin issu d'un assemblage de rosé de saignée et de rosé de pressurage direct, élevé six mois en cuves sur lies fines. Les Ondines (2009) situé sur le beau plateau des garrigues de Sarrians, face aux Dentelles de Montmirail chères à Char, est soutenu à l'oeil, avec un léger perlant à l'ouverture. Frais en bouche, c'est un rosé vineux comme on les aime, avec une longueur persistante. Seigneur de Fontimple, produit par la très performante cave coop Vignerons de caractère, engagée à fond dans l'agriculture raisonnée et le développement durable, est un 2010 franc et puissant, charnu, désaltérant cependant, et délicatement épicé. Le Couroulou, (courlis : l'oiseau, en Provençal) de Guy Ricard, malgré une bouteille légèrement bouchonnée, laisse apparaître, avec cette cuvée Rosette 2010, de jolies notes de framboise, cassis, myrtille, cerise, et une longueur en bouche remarquable.

    Le rosé du château Cavalier (Pierre Castel) en 2010, est un côtes-de-provence à la robe saumonnée très brillante, au nez exotique (fruits) et à la bouche ample et généreuse. Jalade, du fameux domaine de La Clapière (Pays d'Oc, près de Pézenas) est un rosé 2010 plus facile que le précédent, un vin de soif, très aromatique, d'une fraîcheur durable et pourvu d'un nez de fruits rouges soutenu.

     

     

     

     

     

  • DSK, Panurge, Deloire

    Un lynchage dont la presse est responsable : merci confrères!

    Une dictature aveugle de l'humeur, propagée à la vitesse de la lumière : sympa la Toile!

    L'omnipotence du préjugé.

    La propagation de la rumeur en toute impunité -pire : relayée par une opinion qui se moque de n'entendre qu'une version de prétendus faits.

    L'indécence.

    L'oubli fondamental de la circonspection, de l'observation silencieuse, de la patience, de l'écoute, de l'enquête, de la froideur nécessaire aussi. 

    Quid de la présomption d'innocence, aux USA, avec un tel ramdam?

    Le règne d'une pudibonderie nauséabonde.

    L'inintelligence, au fond.

    La bêtise qui s'assume.

    L'aplomb des cons qui jugent, aboient, bêlent.

    Et qui n'ont même pas conscience de la honte qui les fige.

    Nous voilà revenus au temps des tribunaux expéditifs et fantaisistes de l'Inquisition, aux procès en sorcellerie, au tabassages de rue : lynchage, ratonnade. A l'esprit Dupont la joie, le film.

    Au réflexe insensé du groupe animal en migration : gnous, étourneaux.

    Au chien abattu par son maître qui l'accusait de la rage...

    Panurge.

    Sans parler d'un possible complot, ou réglement de compte, en provenance de la droite française ou des ennemis de DSK au FMI -il en a tant.

    (Et si je puis me permettre, en pleine politique-fiction, un voeu totalement subjectif : Vivement que cet homme brillant qui aime les femmes qui l'aiment -et alors?- soit blanchi, que d'odieux coupables soient menottés à leur tour et qu'il ambitionne de présider un jour la France).

    Je recommande l'opinion libre de Christophe Deloire, directeur du CFJ (Centre de formation des journalistes, à Paris) et auteur de Sexus politicus (Albin Michel), que publie Le Monde et lemonde.fr, cet après-midi. Extrait :

    "Se garder de propager les rumeurs, tel est notre devoir. Les laisser se propager sans avoir la curiosité de les vérifier est une erreur. Nous devons avoir la décence commune, comme dans le poème de Rudyard Kipling, Tu seras un homme mon fils, de recevoir d'un même front "deux menteurs", le triomphe et la défaite, et ne pas mentir d'un seul mot. Le rôle des journalistes ne consiste pas plus à accabler Dominique Strauss-Kahn qu'à faire office de témoins de moralité, il consiste à approcher au plus près de la vérité, sans jamais considérer qu'un procès-verbal même avec un tampon officiel, est une parole d'Evangile, sans jamais nous autoriser non plus à ne pas savoir faute d'avoir cherché."

  • Black Cahors is back!

    La James Beard Foundation vient de décerner le prix de la meilleure vidéo  à  « The Scent of Black », film réalisé en 2010 par Graperadio.com (Californie) avec le soutien de l’Union Interprofessionnelle du Vin de Cahors. 

    Ce film (cliquez=> http://www.graperadio.com/archives/2010/12/26/the-scent-of-black/évoque à la fois le vin de Cahors et la truffe noire : un même terroir, une même culture gastronomique, un imaginaire mystérieux en commun. Et une couleur en partage : le noir. 

    Pour qui aime comme moi les petits matins dans la campagne cadurcienne, les dégustations chez les vignerons de caractère comme Arnaldo Dimani au Domaine du Bout du Lieu, ou Fabrice Durou, du château de Gaudou, les balades dans les truffières avec Pierre-Jean Pébeyre ou, il y a quelques années, avec Marthe Delon et son cochon numéroté (annuel),  les rituels du Marché aux truffes de Lalbenque, après la dégustation de la fameuse omelette au Lion d'or (servie toute l'année, 28€ : des truffes aux oeufs!), le marché sous la Halle de Cahors le samedi matin, et tant d'autres souvenirs, ce film rameutera la poésie du Lot, la puissance de ses vins issus de Côt (Malbec) et bien entendu le parfum de Tuber melanosporum..

    « The Scent of Black » pourrait encore être primé, car il figure parmi les finalistes du Born Digital Wine Awards (18 mai, Londres)  et du festival Oenovideo (2 -5 juin, Arbois, dans le Jura). 

     

     

  • l'oisiveté, oiseau d'été

    L'oisiveté est mon occupation préférée, se plaisait à dire Montaigne

    Kundera écrit ceci (dans L'art du roman) à propos de la mère de tous les vices : Tant pis si en français, la sonorité de ce mot me paraît tellement séduisante. C'est grâce à l'association corésonnante : l'oiseau d'été de l'oisiveté.

    J'adore.