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KallyVasco - Page 11

  • L'espérance

    images.jpegA la terrasse d'un café, je feuillette des magazines. Les pages de rédaction consacrées à la mode et les pages de publicité pour des marques de prêt-à-porter ne montrent que des personnages à la plastique parfaite, mais qui transportent avec une étrange ostentation une morgue terrifiante, au fond de leurs regards vides. L'absence totale du moindre sourire me fait froid dans le dos. Ces robocops de studio-photo semblent nés sans muscles zygomatiques. Ces visages profondément apathiques sont le reflet de notre temps, qui peine à jouir, voire à rire; à peine. Et de la météo du jour aussi -il ne fait pas froid que dans le dos. Malgré nous, le goût de vivre, et celui même d'exister s'amenuisent. Cela sèche imperceptiblement comme flaque au soleil. L'esprit d'innocence s'étiole, la fraîcheur de l'enfance fait la brasse coulée en chacun de nous, l'humour est en berne et la joie d'être au monde m'apparaît en jachère commandée par un moisi ambiant. Je reprends un quotidien que je n'ai pas eu le temps de lire. J'y trouve une phrase lumineuse, sertie dans l'adresse donnée par François Hollande à Libé, le 3 janvier, comme on tombe sur un bouquet de primevères au jaune pâle mais éclatant en cherchant des cèpes dans un sous-bois : L'espérance : je veux retrouver le rêve français. Celui qui permet à la génération qui vient de mieux vivre que la nôtre. Ces mots simples me bouleversent, sans doute parce que ma sensibilité se trouve ponctuellement (hy)perméable. Je souhaite tant que mes enfants connaissent le bonheur simple et l'insouciance solaire de leurs grands-parents. Je voudrais tant qu'ils vivent la jeunesse radieuse de mes parents, comme je l'ai seulement ressentie, gamin, plein d'une immense joie contemplative. Je repense au poème  Ressouvenir, de Hölderlin (photo) -Apprendre, c'est se ressouvenir de ce que l'on avait oublié, me chuchote au passage Socrate-, car il s'achève par ces mots "en bleu adorable" : La mer enlève et rend la mémoire, l'amour / De ses yeux jamais las fixe et contemple, / Mais les poètes seuls fondent ce qui demeure. Je me dis benoîtement que la poésie nous tirera toujours vers le haut, hors des draps, loin du  bruit méchant, vers la lumière et dans l'air vivifiant de l'aube. Et je m'efforce de le croire.


  • Héraclite, l'ascendant solaire

    Héraclite d'Ephèse, ou l'Ephésien, ou encore l'Obscur est, avec Empédocle d'Agrigente et Parménide d'Elée, l'un des philosophes présocratiques les plus importants, par la densité de son oeuvre -pourtant extrêmement brève. Fils de Blyson (selon Diogène Laerce), Héraclite naquit à Ephèse dans les années 500 av. J.-C. Ses 220px-Hendrik_ter_Brugghen_-_Heraclitus.jpgFragments élaborent une perception fondamentale -au sens propre- de l'Univers : le monde est créé par le feu et, en lui, il se dissout. Le devenir est une lutte de contraires et tout s'écoule comme un fleuve. Héraclite avait une appréhension des éléments qui paraît aujourd'hui étrange, ou seulement poétique : le feu, en se consumant, se mouille, en s'épaisissant, il devient eau, quand l'eau se coagule, elle se change en terre, constate-t-il et écrit-il. Un traducteur emblématique d'Héraclite, Yves Battistini, appelle Héraclite l'homme à l'habit de lumière dans le temple de l'Ombre (Parenthèse : quel torero ne rêverait-il pas d'être ainsi désigné?..).

    Filiation par connivencia

    Pour bon nombre de poètes et de philosophes, Héraclite fait figure de père fondateur : c'est un principe inévitable, un peu comme le Journal d'Amiel (et celui de Renard, en pole position) pour tous ceux qui ambitionnent de faire du leur une oeuvre littéraire. La littérature est faite, aussi, d'évidences de cet ordre. Il suffit d'observer : Héraclite est l'ascendant solaire de Hölderlin, de Heidegger et de Char. C'est comme cela qu'une sorte de filiation entre les êtres d'exception se produit : par connivencia. 

    Vivre de mort et mourir de vie, dit Héraclite. Et Hölderlin dira : La vie est une mort et gc_rt_heraclite.jpgla mort elle aussi est une vie. Heidegger consacrera un livre à l'Obscur Ephésien et un autre au Romantique allemand devenu fou et reclus à Tübingen. Heidegger fera d'ailleurs sien le fragment fameux : Il faut aussi se souvenir de celui qui oublie le chemin (voir le livre de Heidegger intitulé Chemins qui ne mènent nulle part). Enfin, en bâtissant son oeuvre, Char aura toujours les Fragments d'Héraclite suspendus au-dessus de lui comme une étoile : La foudre pilote (ou gouverne) l'univers, dit Héraclite. Char le prolonge avec : L'éclair me dure.  La traduction des Fragments par Frédéric Roussille (aux éd. Findakly) continue de faire pousser une oeuvre de base qui fait partie des fondations de la maison et qui, de surcroît, ne se détériorera pas au fil des siècles, y compris en terre volcanique...

    (J'ai publié ce papier dans Sud-Ouest Dimanche daté du 19 août 1984 : cet été-là -voir la note sur Bachelard ci-dessous-, je donnais visiblement dans le fondamental élémentaire inaltérable...) 

  • Bachelard, le feu et le rêve

    images.jpegGaston Bachelard restera le poéticien le plus sensible, le philosophe de la poésie et du rêve le plus accessible du XXème siècle. Ses célèbres travaux sur L'eau et les songes ou sur La poétique de la rêverie, chefs-d'oeuvre de limpidité, sont des invitations au voyage dans la tête du poète. Dans La flamme d'une chandelle par exemple (son oeuvre, en format de poche, est chez Corti et aux Puf), Bachelard donne à contempler le plus simplement du monde une flamme solitaire, tandis que lui s'abandonne à l'imagination sur les rêveries. Tout rêveur de flamme est un poète en puissance, écrit-il. C'est aussi un monde pour les solitaires; un monde secret et silencieux qui unit la solitude de la flamme à celle de l'homme. Grâce à la flamme, la solitude du rêveur n'est plus la solitude du vide, ajoute Bachelard. 

    L'astre de la page blanche

    Georges de La Tour (et les échos que René Char en a donnés) ne sont pas loin. Même 1009484-Georges_de_La_Tour_la_Madeleine_à_la_veilleuse.jpgs'il n'y a aucun clair-obscur dans la langue de feu (doux) de Bachelard. Pour l'écrivain, et du même coup pour l'auteur en train de rédiger l'ouvrage que nous tenons entre les mains, la chandelle est l'astre de la page blanche. Un beau sujet! Cependant, à l'analyse glacée et clinique du structuraliste ou au discours du psychanalyste, Bachelard préfère la voix de la poésie, et emprunte des vers à Novalis, à Trakl, à Pierre-Jean Jouve ou encore à Octavio Paz, pour illustrer son étude. Il y cueille les petits miracles de l'imagination. En effet, pourquoi la flamme, puisqu'elle s'envole, ne serait-elle pas un oiseau? Bachelard : Ou prendriez-vous l'oiseau ailleurs que dans la flamme? Pour Novalis, l'eau est une flamme mouillée. Octavio Paz, lui, épouse la verticalité des flammes : En haut... la lumière se dépouille de sa robe, écrit-il. Chandelle, 

    images (5).jpeglampe, flamme mouillée, la lumière qui, les soirs de solitude, étend ses ailes dans la chambre (Léon-Paul Fargue) devient à la fois l'ombre et la compagne du rêveur solitaire, qu'il soit un angoissé de la page blanche ou un mégalomane éclairé. Par la lampe, un bonheur de lumière s'imprègne, dans la chambre du rêveur, écrit Bachelard. Et dans la marge, rayé, le reste de l'humanité n'est qu'une armée de moucheurs de chandelles. C'est l'ennemie du rêve qui veille... Cela fait de La flamme d'une chandelle un livre fragile qui résiste au vent de la mode.

    (Je viens de retomber sur ce papier -il s'est glissé hors du livre qu'il met en lumière, et s'est aussitôt mis à virevolter comme un papillon, aussi l'ai-je resaisi; au sol. Je l'avais publié dans Sud-Ouest Dimanche du 8 juillet 1984. A l'époque, je donnais a minima une critique de bouquin par semaine à ce journal).

  • Grimaldi, Nicolas Grimaldi

    J'ai évoqué ses livres ici, à plusieurs reprises je crois. Là, je tombe sur un magnifique DSCF4059.JPGet très long papier paru dans Libération du 17 septembre dernier, signé Robert Maggiori (l'excellent chroniqueur philo de ce journal), sur ce philosophe un brin ermite, qui a le bonheur d'habiter depuis 1968 l'ancien sémaphore de Socoa (dans la Concha de Saint-Jean-de-Luz, près du fort Vauban, tout ça : un lieu inouï, magique, unique, de rêve total : photo ©L.M. : c'est par là-bas, au fond...). Je le regardais différemment, ces derniers jours, ce sémaphore-là (car je créchais à deux pas, entre Noël et le jour de l'An, chez mes amis Coco et Beñat : Sekulako, au passage, leur maison d'hôtes, est un pur nid de bonheur : http://www.chambres-dhotes-sekulako.com/ . Oui, je matais le sémaphore différemment, tout en me promenant là, à marée basse le matin -sous un ciel bleu dur intense d'hiver comme seul le Pays basque semble pouvoir en engendrer et en prodiguer genéreusement, avec cet air juste glacé-doux comme il faut et qui a la constante élégance de ne vous empêcher jamais d'être entièrement bien.

    images.jpeg

    Nicolas Grimaldi... (Photo © Le Monde des religions) A Bordeaux, entre 1977 et 1981, je suivais, un poil clando, son cours en fac de philo, lorsque j'étais à Sciences-Po et en Droit (je m'échappais pour) sur "Le désir et le temps" (Vrin, pour la 3ème éd.), car le sujet me fascinait, ainsi que le talent d'orateur du prof : humble, gestuel, doux, souriant, tutoyant, sans prise de tête, citant les grands maîtres comme s'il citait Devos ou sa coiffeuse (hum...), un peu à la manière de Jankélévitch lorsqu'il naquit au grand public à la faveur d'une émission demeurée célèbre d'Apostrophes (pour Le je-ne-sais-quoi du presque-rien) mais qui mourût peu de temps après, hélas, non sans avoir vendu, de ce fait télévisuel-là, autant de ses livres en quinze jours qu'il n'en avait  écoulé durant toute sa vie... Bref, Grimaldi avait ( à mes yeux d'alors -je ne l'ai jamais revu) le talent en lui et il s'en habillait aussi, mais sans apprêt, naturellement. La classe, quoi.

    Le mec, Grimaldi, me fascinait, avec ses histoires de désir, de mort du désir, d'accomplissement d'içelui dans le plaisir, fugitif... C'était à la fois philosophique et sexuel, captivant à tous les niveaux du corps et de l'esprit. Un cours érotique et solaire, dirait Michel Onfray. En plus, c'est un type -il faut le savoir d'emblée! C'est capital (à mes yeux en tout cas), qui avance que toute la question est de comprendre comment il est possible qu'il y ait dans la nature un être aussi dénaturé que l'homme.

    Or, je matais à distance respectable sa résidence "de rêve" tout en jonglant avec les flaques d'eau de mer laissées entre les rochers, tandis que mes enfants figuraient une marelle sur elles et entre eux.

    De retour aux archives, je retrouvai donc ce papier de Libé, gardé et refilé par ma petite soeur, parce que je l'avais raté à sa parution (merci Pascale!). 
    Il est précieux, ce papier de Maggiori sur Grimaldi paru dans Libé. 

    Et je vais vous en donner quelques morceaux, comme on gratifie des moineaux et un ou deux pigeons (timides retardataires), tandis que nous cassons la croûte en famille (recomposée) au Port-Vieux (Biarritz), de pain, de jamon, d'ardi gasna, de vin et d'eau (j'allais oublier quelques pâtisseries locales, dont un Russe) -un après-midi, pluvieux que la veille-, de fin décembre 2011. 

    téléchargement.jpegPhoto © Rodolphe Escher, parue dans le n° de Libération cité ici.

    Nicolas Grimaldi : Seul l'homme se demande : que dois-je faire de moi-même pour n'avoir pas raté ma vie? Que faut-il attendre de la vie pour qu'il ne suffise pas d'avoir vécu pour l'avoir gagnée? J'en suis resté là jusqu'au bout, aujourd'hui encore.

    A propos du concept de générosité chez La Rochefoucauld, ou La Bruyère d'ailleurs (peu importe, car pour notre bonheur c'est souvent un peu pareil) : La générosité (chez ces indépassables Moralistes du Grand Siècle) traduit une sorte de sentiment du quant-à-soi, pris en un sens particulier, dit N.Grimaldi : je ne vais pas me plaindre de ma situation comme si un autre en était responsable, non, c'est à moi seul qu'il appartient d'accomplir et de réaliser tout ce qui me paraît le meilleur.

    A propos de Bergson, N.G. : D'où vient qu'il manque à l'homme quelque chose qu'il ne parvient pas à déterminer, de sorte qu'il lui suffit de l'obtenir pour découvrir que ce n'était pas ce qu'il avait désiré?

    A popos de Pascal : "Jamais personne, sans la foi, n'est arrivé à ce point où tous visent continuellement. Tous se plaignent... Nous ne nous tenons jamais au présent, tout nous déçoit toujours."(Pascal). Inconstance, ennui, inquiétude, voilà la condition de l'homme. Toute mon entreprise est d'avoir tenté de rendre raison de l'anthropologie pascalienne, sans recourir à aucun des fantasmes de sa théologie, et sans Dieu, voilà.

    N.G. : Un leurre est celui de vivre dans l'illusion que ce qui est important n'est pas encore commencé. On attend des temps nouveaux parce que le présent est insupportable, alors que tout à l'inverse, c'est l'exaspération de notre attente qui rend insupportable le présent.

    N. G. : Si l'attente est l'étoffe de la conscience, l'imaginaire en est la fibre. Contrairement à ce que Sartre a prétendu, la perception et l'imagination, le réel et l'irréel ne sont pas deux mondes étanches, structurellement séparés. La figure emblématique de l'imaginaire, c'est l'hallucination, l'envoûtement, de sorte que, comme dans tout envoûtement, la conscience est capable de vivre l'irréel comme s'il était la suprême réalité, et le réel comme s'il était moins que rien. Et cela fait aussi bien la croyance, le fanatisme, les religions, etc. Et peut-être aussi la jalousie, presque entièrement fantasmatique.

    N.G. : La vie est élan. J'ai mon identité hors de moi, je suis à moi-même mon propre manque parce que je suis vivant, au sens où le propre de la vie n'est pas d'être, mais de se propager, de se répandre par sa propre nature, et de s'éprouver d'autant plus qu'elle se diffuse, qu'elle se communique davantage.

    Le véritable bien, le véritable bonheur, ce par quoi je me sens d'autant plus vivre, c'est au contraire de m'épancher, dans une sorte de générosité vitale.

    téléchargement (1).jpegPhoto © Journal Sud-Ouest

    Mais qu'est-ce qui fait que ce déploiement vitaliste, interroge Robert Maggiori, produise forcément le bien, et non une surpuissance dominante, "colonisatrice", destructrice?

    N.G. répond que l'illusion inhérente à la vie c'est, pour chaque individu, de croire qu'il est le centre de la vie et de ramener tout à lui, au lieu que la vie ne tend qu'à rayonner à partir de lui. Pour éviter toute "volonté de puissance", il faut d'abord détruire cette illusion.
     

    Précisons que Grimaldi a beaucoup étudié Descartes, mais pas davantage que Socrate ou Proust (auxquels il a consacré de précieux ouvrages, la plupart publiés aux PUF et chez Grasset. Voir dans les archives de ce blog). Qu'il ne semble absolument pas nietzschéen, en tout cas pas aficionadévôt (si je puis risquer ce mot-valise), comme un Onfray, qui est par ailleurs un admirable décodeur des concepts philosophiques si délicats de Volonté de puissance et de Surhomme, et que Nicolas Grimaldi n'est pas non plus un Schopenhauer de Saint-Jean-de-Luz. (Mon seul manque, personnel, par rapport à Grimaldi, c'est l'absence de Spinoza chez lui, ou bien alors je n'ai pas encore tout pigé, ce qui est plus que probable). Ecoutons-le encore, car il est avant tout un être lumineux et d'une richesse précieuse :

    Psychologiquement, je m'éprouve d'abord dans la solitude, dans la séparation, dans l'abandon. Je suis tout seul dans mon lit et ne peux rien sans les autres, les autres ne sont pas d'abord ceux vers lesquels mon être va se diffuser, mais ceux dont j'attends toute chose. Ensuite, je pourrai leur donner ma vie. Or il ne s'agit pas seulement de la donner biologiquement, encore faut-il infuser, transfuser l'intensité de ce que je sens, afin que les autres fassent leur propre substance de la mienne. D'un point de vue moral, donner la vie, c'est plus facile à dire qu'à faire, car je veux bien donner de l'argent, je veux bien donner des leçons ou aider quelqu'un à accomplir sa tâche, mais comment puis-je donner ma vie sans imposer ma personne et, par là, imposer une contrainte, une sorte d'aliénation, auxquelles les autres ne sont pas prêts... Il me semble que nous n'avons que deux manières d'irradier notre vie sans imposer notre personne : c'est le travail et l'amour. Dans l'amour, je donne ma vie, mais sans ma personne, tandis que dans le travail, c'est par une sorte de dévotion anonyme, clandestine, secrète -si bien que je dirais que le travail est la forme la plus discrète et la plus délicate de l'amour.

    A la question de Robert Maggiori sur la manière de se donner sans se "fondre" dans l'autre, le philosophe de Socoa répond ceci : Il y a aussi cette forme que Descartes appelait l'amour de bénévolence ou l'amour de dévotion, par lequel je me voue à la perfection, à la réalisation de l'autre. Comment dirais-je? Que la personne aimée soit comme une oeuvre en état d'inachèvement. Un même violon, un même piano ne sonnent pas de la même façon selon le musicien qui en joue. Eh bien ce que j'ambitionnerais, dit Grimaldi,  ou ce que l'amour me fait ambitionner, c'est que la personne aimée puisse "sonner" d'une manière plus émouvante, plus personnelle, grâce à ma présence, à mon attention, à ma vigilance, que sans moi. J'ambitionnerais qu'elle n'eût pas pu être autant elle-même sans moi qu'avec moi.

    Comme cela est juste et beau!.. J'en frissonne et j'en ronronne -Pas vous?

    Maggiori relance in fine en demandant alors si cela vaut pour n'importe quel amour. Réponse de NG :  Cela vaut même pour le travail du professeur, qui est de rendre la pensée aussi contagieuse qu'une émotion! Ce qui me semble le plus analogiquement proche de cet amour que j'évoque, conclut le philosophe, c'est la complémentarité de deux solistes jouant une partition piano-violon, où chacun soutient le chant de l'autre, le porte, lui apporte un surcroît de couleur, de chair, de rythme, et par conséquent de vitalité.

    Eh bé, le voilà Spinoza! Dans la vitalité, dans la joie, dans la puissance d'exister!..

    Lisez Grimaldi.DSCF4064.JPG
    Merci.

    Désormais, je ne puis regarder la concha de St-Jean-de-Luz autrement qu'en pensant à l'ermite qui se repose là-bas tout au bout le veinard (photo ©L.M.), en peignant (car il peint aussi, et beaucoup, semble-t-il), qui sourit en regardant l'horizon marin, qui médite et continue d'écrire, pour notre bonheur à venir, qui pense à bien. Comme tant d'autres pensent à mal...
    Et va comprendre, des fois : le savoir là (me) rend cette baie en forme de croissant de lune mille et une fois foulée, encore plus paisible, encore plus agréable en toute saison.

    NB : c'est bien sûr moi qui souligne (en gras) les propos qui m'apparaissent comme étant les plus marquants.

  • feuilles de décembre

    images.jpegPas mal de poches, surtout des folio et des Poésie/Gallimard, dégustés ces jours-ci. A commencer par l'anthologie personnelle de Philippe Jaccottet, immense poète que j'adore et que je lis et relis depuis 34 ans déjà. Cela s'appelle L'encre serait de l'ombre, notes, proses et poèmes (1946-2008) choisis par l'auteur, et si vous n'avez qu'un livre à acheter du poète de Grignan, grand traducteur par ailleurs, prenez celui-ci. 560 pages de bonheur poétique absolu. Dans la même collection Poésie de Gallimard, citons Mon beau navire, ô ma01070659821.gif mémoire, sous-titré Un siècle de poésie française. C'est une anthologie plutôt bien ficelée, de belle facture : honnête et pas scolaire, avec son content de grands classiques et sa dose de modernité, mais où l'on trouve, à l'instar d'une arête dans le poisson (je chipote, je sais) un poème de Rilke, qui était né à Praque et de langue allemande (mais il est vrai qu'il écrivit en français ses dernières oeuvres, notamment
    images (3).jpegVergers
    , dont est extrait le poème choisi dans la présente anthologie -et traduit d'ailleurs par Jaccottet). Mention spéciale (en Poésie/Gallimard, toujours) à l'oeuvre complète magnifique (1954-2004) du Nobel 2011, le grand poète suédois Tomas TranströmerBaltiques, car il s'agit vraiment d'une formidable découverte.  


    De Jean Clottes, préhistorien passionné, lisez le passionnant Pourquoi l'art préhistorique?, un inédit en folio/essais sur les grottes ornées de France et d'Espagne surtout, notamment la grotte Chauvet qui intéresse de plus en plus le public, même si elle ne se visite pas, et dont une réplique 

    01070816312.gif

    (façon Lascaux II) est en cours d'élaboration. Cet engouement est sans doute dû au coup de projo que le docu admirable de Werner Herzog (le réalisateur d'Aguirre... entre autres chefs d'oeuvre, et l'auteur de Sur le chemin des glaces, éd. POL, journal de voyage déjanté, sauvage et donc hölderlinien en diable) lui a donné sur grand écran. En folio essais encore, l'étude (inédite elle aussi : bien, l'initiative de faire entrer directement en format de poche des essais qui... compteront) : L'animal que je ne suis 01069227312.gifplus, titre très derridien que Etienne Bimbenet donne à ce copieux et souvent ardu (mais passionnant de bout en bout) essai sur l'origine animale de l'homme -pour faire très court. En clair, l'homme est un animal humain. Et le rapport de l'homme à l'animal, dans cette étude philosophique, va bien au-delà de l'éthologie. 


    images (2).jpegPhilippe Sollers
    continue de compiler pour notre bonheur ses articles littéraires donnés ici et là (l'Obs, Le Monde...) et cela produit à chaque fois un folio de 1000 pages et plus. Le dernier opus se nomme Discours parfait (il était paru il y a moins de deux ans en Blanche) : de l'intelligence à l'état pur, mâtinée d'une mégalomanie que l'on a fini par pardonner, ou sur laquelle nous glissons car le personnage est aussi attachant qu'irritant... tant il est brillant. Admirables pages sur Shakespeare, Montaigne, Saint-Simon, Van Gogh, Venise, Stendhal à Bordeaux... Entre autres analyses subtilement circonscrites, avec tact, érudition et talent, bien sûr.

    01067779851.gifDe Modiano, voyez L'horizon, qui n'est pas son plus mauvais roman sur le seul et (désespérément) unique sujet de son oeuvre : l'Occupation. 

    Albert Camus à 20 ans est le nouveau volume d'une collection 84626100986580S.giforiginale publiée Au Diable Vauvert, signé Macha Séry. Revivre l'aventure de la jeunesse algérienne de l'auteur du Premier homme, à Alger en 1930 donc, entre matches de foot, bistrots, copains, filles, soleil et... une tuberculose qui entre sans frapper, est vivifiant. Cela remet nos idées en place sur le Camus journaliste débutant, le jeune essayiste, le séducteur, l'homme lucide surtout. Captivant (en attendant la bio de Camus que Michel Onfray publie ce mois-ci chez Flammarion...).


    images (1).jpegRetour à Killybegs
    , qui a valu le Grand Prix du roman de l'Académie française à Sorj Chalandon (Grasset) est un bon et solide roman sur la trahison, qui fera sans doute date. Sur fond de combats de l'IRA, c'est fort comme un hot whiskey au retour d'une chasse à la bécasse dans les bushes, c'est franc comme un coup de poing bien assené et sec comme le regard d'un ami frappé de déception : cela ne cille ni ne ploie. Je ne citerai que la phrase placée en exergue du roman, relevée sur un mur de Belfast : Savez-vous ce que disent les arbres lorsque la hache entre dans la forêt? Regardez! Le manche est l'un des nôtres!

    photo.JPGDire que je n'ai pas du tout aimé La Guerre sans l'aimer, de Bernard-Henri Lévy (Grasset, 648 p.), est un euphémisme. Je voulais quand même feuilleter abondamment, m'arrêter ici ou là, tenter de comprendre la pathologie de ce Journal d'un écrivain au coeur du printemps libyen. Mais les bras m'en sont tombés. J'ai repensé à une formule de Cornelius Castoriadis à propos de "l'imposture BHL" : De la camelote à obsolescence incorporée (dans L'Obs, en 1979, déjà). Puis j'ai pensé à la posture du même. Les mots qui me sont venus à l'esprit, en feuilletant, sont, pêle-mêle : fatuité, mégalomanie, narcissisme, folie peut-être, mythomanie, délire identitaire (Malraux), culte aveugle du Moi, mépris du sujet : peuple,  guerre, victimes, morts, pathétique illustration d’une époque, achat d’une entrée dans l’histoire (Jet privé, cameraman perso...). Cela ne saurait inspirer que le dégoût, sauf à la cour de l'auteur. Le plus surprenant n’est pas que cette mise en scène incrédible soit ahurissante, mais qu’elle ne puisse pas tuer de ridicule son instigateur : comme quoi la pathologie narcissique rend si aveugle son sujet que celui-ci pense peut-être avoir vraiment agi humblement et de manière désintéressée pour son propre pays et pour le peuple libyen. BHL est juste l’illustration pornographique des limites que l’on peut oser tenter de dépasser pour satisfaire un égocentrisme gigantesque. Cet homme se rêve en Malraux depuis qu’il est tout petit et il n’a pu, à l’instar d’un Russe parvenu, que s’acheter à coups d’euros l’affligeante mise en scène de ses désirs de gloire, à défaut d’avoir attendu de se voir décerner un bon point par le public et par ses pairs, voire par la reconnaissance de l’Histoire, qui parvient encore à garder la tête froide. BHL invente l'édifiant à compte d'auteur (je sens qu'on va me la piquer, celle-là). Car le drame réside ici : les riches s’emmerdent. Il font joujou avec leur fric en se rendant en petit zinc privé à proximité raisonnable des champs de bataille, et posent en costard-chemise blanche propres (voir à ce sujet la page d'une ironie formidable, dans Technikart de la semaine passée  -photo ci-dessus, qui m'a été transmise par l'une de mes élèves en journalisme). Est-il d’ailleurs nécessaire de pointer du doigt cette risible mascarade ? Ne faut-il pas la passer sous silence plutôt qu’à tabac ? S'agirait-il d'une ambulance dorée sur laquelle nous tirons tous peu ou prou? (D’aucuns seraient tentés d’être avare de leur mépris, vu le grand nombre de nécessiteux, pour paraphraser Lichtenberg…). Ce qui est frappant, c’est de voir combien les cintrés sont capables de faire montre d'un inébranlable aplomb. Berlusconi lynché symboliquement par une Italie en liesse et unie, le soir de sa démission, déclare qu’il est fier du bilan de son (trop long) passage au gouvernement de la Botte. BHL est traîné dans la boue, conspué verbalement, ridiculisé par les Guignols de Canal+ et par tant d’articles de presse, mais non, il continue de se montrer, d’exposer  son personnage impeccablement contrôlé pour le paraître, comme si de rien n’était, voire comme si un consensus se faisait en sa faveur. Ces apparitions sans vergogne, sans aucune dignité humaine minimale, sans une once d’amour propre authentique, me font penser à ces accusés que l'on aperçoit à la télé, accablés par d’irréfutables preuves, qui réapparaissent menottés en affichant un sourire large comme l’innocence, tandis que celle-ci est devenue une chimère qu’il sera vraiment compliqué de ravoir, à l'instar d'un méchant accroc à la poche d'une veste (dûment retournée). Pour achever cette notule sur une insignifiente somme, je dirais qu'en plus, bé-ach-elle, son auteur, s'écoute écrire à chaque phrase. Mais passons.

    images.jpegimages (1).jpegLumineuse, l'idée d'Olivier Frébourg, patron des éditions des Equateurs, de reprendre dans sa petite collection Parallèles, deux textes splendides de Jean-Paul Kauffmann, l'un sur Bordeaux : Voyage à Bordeaux 1989 (que je suis fier de posséder dans son introuvable édition originale, celle de la Caisse des Dépôts et Consignations publiée à l'intention du notariat français, illustrée par Michel Guillard, mise en pages par le talentueux Marc Walter et préfacée par Jacques Chaban-Delmas!), l'autre sur le champagne : Voyage en Champagne 1990. Il s'agit de textes très littéraires sur les vins, les paysages, les hommes de la vigne. C'est précis et pêchu comme toujours avec Kauffmann, voire précieux dans l'écriture (comme du Veilletet, du Gracq) et surtout profond : le bordeaux est une initiation, prévient-il. Et le champagne est fils de l'air.

    Chez le même éditeur, voici la nouvelle édition d'un guide original : Le Guide des images (2).jpegVoyages en Cargo et autres navires, de Hugo Verlomme et Marc-Antoine Bombail. Slow is beautiful lancent avec justesse les auteurs. Un livre unique pour tout savoir sur les possibilités de voyages à bord de paquebots, cargos, car-ferries, navires mixtes, brise-glace, grands voiliers, caboteurs et autres vieux grééments, baliseurs ou navires scientifiques... Sur les océans et les mers du monde entier.

    images (4).jpegMon amour est le titre donné à une épatante anthologie de textes amoureux (folio, sous un coffret rouge ravissant bardé d'un ruban imprimé aux mots de je t'aime) que l'on a envie d'offrir -et c'est le premier but d'une telle démarche éditoriale! (Saint-Valentin oblige). Stendhal, Ovide, Proust, Cohen, Aragon, Duras, Shakespeare, Verlaine, Labé, Neruda, Eluard... Ils sont tous là et, curieusement, parmi ces classiques magnifiques, on trouve un seul contemporain peu connu pour ses textes amoureux : Jean-Christophe Rufin! Allez comprendre, des fois...

    Ravages-Slow-Tome-7_slider.jpgLa revue (mauvais esprit) Ravages publie son nouveau numéro sur le thème : Slow! Comme toujours, c'est décapant, irrévérencieux, rentre-dedans, franc du collier et salutaire, et la maquette est redoutablement chic-efficace. Slow citta, slow food, slow life, slow money, slow travel, slow drive, slow industry, slow management... Tout est passé en revue, et des signatures prestigieuses comme celle d'Edgar Morin donnent dans Ravages. Bravo!

    Dans un tout autre domaine, félicitations aux éditions Ulmer pour1318513197.jpg l'originalité et la beauté de leurs publications (déjà remarquées ici même) : Les Miscellanées du jardin, de Guillaume Pellerin et Cléophée de Turckheim, sont par exemple un chef d'euvre d'édition audacieuse, tant pour l'illustration que pour le propos. Ce petit bijou nous apprend des tas de choses sur les mots du jardin, des anecdotes, des petits trucs, et c'est captivant, élégant, subtil et surtout bourré d'infos originales et sincèrement enrichissantes.

    1317212357.jpgToujours chez Ulmer, Les Jardins à vivre de Pierre-Alexandre Risser (20 ans de jardin à Paris et ailleurs) est un ouvrage splendide sur l'oeuvre d'un paysagiste de grand talent, un créateur de jardins et de terrasses en ville beaux toute l'année, en somme. Photos remarquables.

    Signalons enfin Vice et Versailles, roman noir et parfoisimages.jpeg désopilant signé Alain Baraton (Grasset), jardinier en chef du parc de Versailles et du Trianon : cela regorge et dégorge d'intrigues, de meurtres, de coups fourrés sanglants. On se croirait chez les Borgia. Et c'est, de surcroît, écrit dans un style enlevé!

    Et comme je n'écrirai plus avant l'année prochaine sur ce chien (c'est ainsi que je nomme toujours mon blog, car il faut bien que je le nourrisse avec fidélité), je dis juste à tous : VOEUX A VOLONTE!

     

  • flacons de décembre

    IMG_2130_2.JPG

    La côte roannaise propose des vins festifs à prix plancher : oubliez le champagne cinq minutes et goûtez le demi-sec carte or 2005 de la maison JB Clair. 100% chardonnay, bulle fine, belle robe jaune paille, nez fruité (poire) et légèrement doux (miel), bouche claire, belle fraîcheur, attaque franche et persistance honorable. Cela vaut 6€ à peine et c'est très bien pour un dessert chocolaté. Les vins mousseux humbles osent le rosé : le domaine des Pothiers, cuvée Bulle est un effervescent naturel à la robe sombre (fuschia), des notes acidulées, une bulle d'une finesse correcte, sans plus. C'est un vrai vin naturel, en culture bio (8,50€) issu de gamay saint-romain qui ne se la joue pas et qui convient à l'apéro et au dessert (tarte aux fruits, par exemple).

    Du côté des coteaux d'Aix, goûtez le domaine des Terres Blanches, un blanc 2010 issu de rolle (80%), grenache blanc (10) et clairette, c'est gourmand, sur le fruit et d'une belle minéralité (11,70€).

    En saint-joseph, j'ai aimé récemment, en 2009, le domaine Pradelle, 100% syrah : charnu, paysan, fort en gueule et raffiné en arrière-bouche (14,45€). Idéal sur le petit train de côtes de chevreuil cuit juste aller-retour.

    Avec le même plat, le rasteau 2007, Ortas, excella lui aussi : 50% grenache, 40% syrah et 10% mourvèdre, d'où un relative douceur comme des chevaux en fureur sous le capot (8,90€). Au deuxième verre, ça démarre bien -fruits rouges mûrs, poivre, olive noire, herbes de garrigue... Un régal de finesse virile.

    Bu aussi un classique du bon goût des Corbières que j'aime bien retrouver chaque année : château Fabre-Gasparets 2007, du terroir de Boutenac, un rouge puissant et élégant m'annonce-t-on cette fois, et c'est d'une évidence confondante (11,90€).

    Le champagne Lenoble rosé 2006 (retour aux classiques de haut-vol) fut une splendeur de vinosité, de bulle extrêmement fine, de longueur et de souplesse, sur le foie gras mi-cuit cuisiné au torchon de la Comtesse du Barry (310g, 59,90€). Et meilleur encore sur un petit foie gras élaboré par Chailla, fromager-traiteur à Bayonne (30€ environ pour 200g je crois), testé sur...

    ...Le morgon de Lapierre 2010 (je n'avais que ça! Pour pique-niquer avec les enfants IMG_2179.jpgau-dessus de la plage -basque- de La Chambre d'Amour, en plein froid et à la tombée du jour. Et puis il faut préciser qu'il y avait aussi du chorizo patra negra et un jamon iberico formidables, achetés pour 3 sous à la venta Lapitxuri, à Dancharia. Alors...).

    Qu'est-ce qu'on a découvert encore... Ah, oui, lors d'une dégustation de Crozes-Hermitage en magnums uniquement, au restaurant Racines 2 (Paris 1er), où le boudin (chaud) de Christian Parra et l'entrecôte de boeuf Angus se tiennent bien à table, sans broncher, parmi les 21 grands flacons de 2009 (des infanticides, avouez! Et un paradoxe pour des magnums, sensés contenir des vins de garde, donc à boire plus tard), retenons le domaine Aleofane de Natacha Chave, léger et épicé, réglissé même, voire à peine chocolaté et très féminin (la douceur et la longueur). Le Rouvre, de Yann Chave (aucun lien familial avec le précédent) au nez de fruits rouges frais, et correctement équilibré. Les Pionniers, de la Cave de Clairmont, d'un classicisme rassurant et à la puissance toute en retenue. Au fil du temps, du domaine d'Emmanuel Darnaud, au nez de cerise mûre, chaud comme un vin de gibier. Les Chassis, de Franck Faugier, à la profondeur notable. La belle rondeur et la bouche tutoyante de La Fleur enchantée, du domaine Saint Clair, de Denis Basset. Enfin, l'expression nette du terroir, tonitruant parfois, de Crozes-Hermitage, retrouvée totalement dans Les Hauts du Fief, de Muriel Chardin-Frouin, de la Cave de Tain.

    Du côté des Terrasses du Larzac, qui m'épatent toujours, j'ai retrouvé avec bonheur le plaisir d'ouvrir une bouteille du domaine du Pas de l'Escalette, de Julien Zernott et Delphine Rousseau : pureté, élégance, grâce, fraîcheur spetentrionale, puissance du terroir. Et celui de découvrir le domaine Alexandrin, d'Alexandra et Jérôme Hermet, tout aussi fin et fort que le précité.

    Le champagne Gardet brut rosé est délicat, féminin à mort, et idéal à l'apéro en cette période d'agapes lourdes. Là, ce fut au bord de la Nive que cela eut lieu, et pop! on le but à la régalade, escorté d'un Mont d'or (tel quel : froid). Ca change d'un médoc comme ce La Tour de By 2001 encore vert, ou presque, et même du Txakoli canaille, servi à bout de bras dans les petits verres bodega, pour accompagner les pibales -décevantes ce coup-ci, et c'est pas le premier (à 49€ la p'tite cassolette, de surcroît!), de Chez Pablo (Sabin Etxea) à St-Jean-de-Luz, mais bon, ce n'est pas le sujet de cette page. 

    Les costières de nîmes, en blanc, ça ne le fait pas à chaque coup, comme si souvent en rouge, même chez un grand auquel je voue un énorme respect : Michel Gassier. son château de Nages Nostre Païs blanc 2010 ne convainc pas (90% de grenache blanc, 5% de roussanne et 5% de viognier). 9, 90€ le flacon. Pas davantage : la cuvée des Bernis blanc 2010 du château de l'Amarine (7€). En revanche, un bon point pour D'Or et de Gueules, Trassegum blanc 2010 et bravo par conséquent à Diane de Puymorin, la vigneronne qui l'élabore avec talent (10,50€) : c'est franc du nez (fruits à chair blanche), minéral mais pas trop, car le gras de la roussanne est bien là (80% de l'assemblage) pour t'enrober le tout avec maestria. Gourmand! 

    IMG_0793.JPGLorsque Les Vins du Sud-Ouest enivrent Paris, je me déplace. Cela se passait à La Bellevilloise (20ème). 29 vignerons étaient là. Du beau monde et de beaux flacons, pour accompagner quelques produits phares, comme le jambon, le foie gras et tout ça... Je retiens les jurançon de Camin Larredya, domaine piloté par une charmante petite équipe placée sous la houlette de Jean-Marc Grussaute : 9 ha à peine en conversion bio qui subliment avec beaucoup de talent les gros manseng, petit manseng et petit courbu. Tant en sec : La Part davan, La Virada, qu'en moelleux, notamment le remarquable Au Capceu, et l'excellent A Solhevat. Mention spéciale à la cuvée Alabets (et alors?, en Gascon) du château Plaisance, de Marc Penavayre, à Vacquiers (31). C'est un fronton 100% négrette élevé en cuves béton. Son frère élevé en barriques, Tot ço que cal (tout ce qu'il faut) est moins puissant, mais plus fin : normal. Bons souvenirs en passant : les classiques de chez Plageoles (gaillac), les vins si raffinés de Causse Marines (gaillac), Le Sid, puissant et sérieux, de Mathieu Cosse (cahors), le toujours meilleur vin de Mouthes Le Bihan (côtes-de-duras), l'excellent irouléguy de Thérèse et Michel Riouspeyrous : Arretxea, l'emblématique et indémodable gamme, encore enrichie, de Charles Hours, du Clos Uroulat, à Jurançon. La gamme "tradi" de la famille Hours nous enchantera toujours, surtout la Cuvée Marie (un formidable sec). Et sa gamme "trendy" nous renverse, notamment avec Happy Hours (prononcez api-ours bien sûr). Citons encore les cuvées Le Préphylloxérique (2007) du domaine Labranche-Laffont (madiran), les cuvées Hécate, et 666, d'un autre madiran (Laffont), et enfin la gamme toujours aussi épatante d'un de nos chouchous : Elian Da Ros, prince des côtes-du-marmandais.

    DSCN4405.JPGPour finir cette note, j'évoquerai Brigitte Lurton, qui fit carrière dans quelques unes des propriétés bordelaises de sa famille, notamment à Climens (barsac), et qui replonge après plusieurs années de "jachère vigneronne", en sélectionnant cette fois des vins de propriétaires des terroirs français, pour leurs qualités, leur personnalité, leur sincérité, leur franchise de goût et leur profonde simplicité... Soit bien loin des canons des entêtés à oeillères du vignoble bordelais, confits dans leur suffisance depuis des temps immémoriaux comme le dindon dans sa graisse, et qui s'empêtrent désormais dans une impasse bien obscure, par faute, notamment, de clairvoyance. Le packaging des flacons est design et chic, simple et efficace (Brigitte Lurton est
    artiste-peintre par ailleurs. http://www.brigitte-lurton.fr/). J'ai goûté avec beaucoup de plaisir sa sélection suivante de vins rouges (en 2010 ou 2009) humbles et généreux : Côtes catalanes, Côteaux du Salagou, Côteaux et terrasses de Montauban, vin de pays du Lot (malbec), et un seul blanc : un viognier des Côtes du Salagou vif, plein et tout en rondeur (admirable sur du chèvre). A des degrés divers, ces rouges sont élégants, fins, mais riches aussi, dotés d'une belle structure tannique, soyeux, expressifs -notamment s'ils sont issus de malbec, ou de syrah (montauban), volontiers épicés mais délicatement, et tous ensoleillés, ce qui les rend infiniment sympathiques. Une homogénéité salutaire se dégage de cette gamme jeune de vins très représentatifs des terroirs dont ils proviennent, et qui promet, car ce sont tous des vins de moyenne garde (3-5 ans), correctement taillés pour accompagner nos repas d'arrière-automne, comme ceux des planchas et barbecues à venir, au printemps prochain. En tout cas (vous-je-sais-pas-mais) moi, je vais en réserver quelques uns!

    (Photos : et plutôt que de coller la photo de chacun des flacons cités...)


  • La Havane, ces jours-ci

    IMG_6073.JPGRetour de Cuba. Reportage pour l'avant-première mondiale d'un film retentissant : 7 dias en La Habana, vu deux fois sur place (il me tarde sa sortie en France afin d'en lire les sous-titres et d'en saisir absolument toutes les saveurs), coproduit par Havana Club (¡El Ron de Cuba!) qui m'invitait. Je reviendrai vite pour en parler dans les grandes largeurs. Pour l'heure, 7 images (©L.M.) : Benicio del Toro (au micro, pendant la conférence de presse au Nacional) qui co-réalisait son premier film -l'un des 7 de ce bouquet de talents, Elia Suleiman (derrière le clap) immense acteur-réalisateur du silence, oscillant entre Tati et Hopper, l'affiche du film, et quelques vues de la ville magique : une jeune fille de couleurs, un daïquiri, hier au Floridita, contre Papa Hem', les mains d'un vieux torcedor achevant un panatela... ¡Hasta pronto!IMG_0059.jpg

     

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    IMG_0054.jpgIMG_6272.JPGIMG_6304.JPGIMG_6471.JPG

  • De Luca Prix François-Sommer

    images.jpegOh, ce n'est pas le Goncourt, ni le Renaudot! C'est juste un prix littéraire modeste, mais comme il a été attribué (dans la catégorie fiction) à un délicieux petit récit de l'immense écrivain Napolitain Erri De Luca, je le souligne ici. Le poids du papillon (Gallimard) a été chroniqué ici même (le 26 avril dernier), à sa sortie (*). J'ajoute, immodeste, que j'ai moi-même reçu en 1993 le Prix François-Sommer (ainsi que le Prix Jacques-Lacroix de l'Académie française) pour mon premier roman, Chasses furtives. Et que, par la suite, j'ai fait partie du jury de ce Prix François-Sommer pendant plusieurs années; jusqu'en 2002 je crois. Bravo à De Luca, donc. Lisez ce petit bijou poétique sur la montagne, le Sauvage, l'expérience des limites, l'humilité de l'homme face à l'irrationnalité animale, et aussi Tu, mio, ainsi que Trois chevaux, que Montedidio, et encore Pas ici, pas maintenant, etc. 

    (*)http://leonmazzella.hautetfort.com/archive/2011/04/26/le-poids-du-papillon.html 


  • Gaston et Gustave

    images (4).jpegC'est le livre le plus poignant de l’automne. Le plus personnel aussi, le plus fort et sans doute l’un des mieux écrits. Gaston et Gustave, publié au Mercure de France, vient de remporter le Prix Décembre (ex-aequo avec Jean-Christophe Bailly). Olivier Frébourg, écrivain (de Marine), journaliste, éditeur, nous a déjà donné une dizaine de très bons livres –romans, essais. Lisez son Nimier, trafiquant d'insolence (LTR, La Petite Vermillon), Maupassant, le clandestin (Folio), Souviens-toi de Lisbonne (La Petite Vermillon) -voir sur ce blog à la date du 20 octobre dernier, et aussi Port d'attache (Albin Michel) et encore La vie sera plus belle (Le Livre de Poche). Il avait déjà laché un livre personnel très émouvant : Un homme à la mer (folio). Avec Gaston et Gustave, il ouvre à nouveau son cœur, largement, et délivre sa peine d’une trop grand souffrance. L’écriture, nous le savons, est une catharsis contre les coups du destin. Elle doit permettre aussi d’alléger tout sentiment de culpabilité. En tout cas essayer…

    L'intransigeante loi de Flaubert

    Le Gaston du titre, c’est le survivant de jumeaux grands prématurés. Gustave, c’est Flaubert, le maître en tout d’Olivier, père de Gaston. Rappel des faits. Festival des Etonnants Voyageurs, Saint-Malo, week-end de Pentecôte, il y a cinq ans. L’auteur et son épouse Camille, enceinte de jumeaux, sont avec leurs deux premiers garçons, Martin et Jules, réunis pour un événement littéraire qui autorise des promenades aux enfants. Le lendemain, Olivier Frébourg doit regagner Paris pour son travail d’éditeur. La routine. 29 mai. Camille, dont le terme de la grossesse se situait début septembre, accouche très prématurément au bout de 26 semaines. Et c’est le drame. Olivier, réveillé en pleine nuit par sa belle-mère, revient immédiatement en Normandie comme on monte à l’échafaud, déjà perclus d’un sentiment de culpabilité impossible à contenir. Et pense déjà que tout ça, c’est la faute à la littérature. Son vieux Flaubert n’a-t-il pas toujours prescrit et suivi un précepte infaillible, une loi d’airain : un écrivain doit se consacrer à son art, n’avoir ni épouse ni enfant. Même à ses amis, Flaubert ne pardonnait pas de se fourvoyer, précise Frébourg. Au lieu de quoi Olivier à mêlé l’écriture à la vie, des métiers, et une vie familiale. Mais la bourlingue et ses enfilades de rendez-vous professionnels jettent à présent sur lui une chape de responsabilité quasi névrotique, plus lourde que la dalle d’un tombeau. Devant l’entrée du CHU de Rouen, où le petit Gaston va lutter contre la mort des semaines durant et où l’ombre de son père désemparé va désormais passer le plus clair de son temps, l’imposante statue de Flaubert se dresse comme une montagne de reproches. La statue du commandeur expose son implacable moralité de granit. Gaston est un oisillon de 981 grammes hérissé de sondes et entouré de monitors qui clignotent, oscillent, dessinent d’inquiétantes courbes. La vie de la famille a basculé un mardi de cendres, vers 6h53 du matin, lorsque Camille a été césarisée et qu’Arthur a succombé à « une souffrance fœtale aiguë ».

    Les pages crues de de la sincérité

    Commence alors un double roman, où l’auteur alterne le récit du calvaire tantôt terrifiant, tantôt bouleversant de la survie du bébé, et une sorte de biographie d’une empathie rare : Frébourg connaît Flaubert comme personne. Cette quête sourde de l’écrivain « responsable » apaisera l’auteur, pansera un tant soit peu sa douleur infinie, mais ne cautérisera jamais vraiment rien. Camille a frôlé la mort. Flaubert, l’opium de la jeunesse d’Olivier, rôdait-il ? Le premier « peau à peau » de Gaston avec sa mère, quelques jours après le drame, agira à la façon d'un miracle léger comme l'aile d'un papillon. Brisée, Camille se déplace encore dans un fauteuil roulant en skaï beigasse –l’atmosphère « hospitalière » est admirablement décrite, y compris pour ses touchantes beautés, comme ce sens inné du don que possèdent les infirmières. Puis les événements terribles s'enchaînent. L’auteur ne les épargne pas dans l’écriture. Il livre, crues, les pages sur le choix du petit cercueil, celui de l’urne, l’épisode de la crémation. Il y assistera seul. Sans famille, sans ami. Et c’est bouleversant, écrit dans une langue somptueuse qui garde une beauté froide tandis qu’elle est empreinte d'une douleur cardinale. Rien d'impudique, tant chaque mot est puissamment posé avec délicatesse et sincérité. Frébourg écrit droit, sa phrase est hiératique comme un capitaine debout, en proue dans la tempête. Camille, peintre et philosophe de profession comme dans l’intimité, affrontera l’épreuve avec un calme confondant, admirable. Olivier ne sait pas encore que sa femme le quittera bientôt. Ce retour de flamme supplémentaire couve encore.

    Le recours au maître panse la douleur

    Pour l’heure, un écrivain et père meurtri jusqu’à l’os, en appelle à Gustave, son recours dans l’œil du cyclone, et porte-flingue désigné par cette chienne de littérature. Prendre un café dans un bar et voir autour de lui l’insouciance du monde suffit à le crucifier. Des correspondances entre la vie de Flaubert et les circonstances accablantes font étrangement surface, croisent et pleuvent dans la mémoire de l’auteur. Par fétichisme sans doute, il voit des signes là où il n’y a que coïncidences. Ainsi le livre respire, qui nous prend par la main des chapitres entiers pour nous raconter Flaubert. Les lieux s’y prêtent. C’est un pays commun aux deux auteurs, le maître et le disciple. Pas un village, pas une route que Frébourg ne sache rattacher à un événement de la vie de Gustave, lorsqu’il va voir son petit Gaston. Le petit s’en sortira enfin. Les parents se retrouveront dans leur chambre, gisants pensant avoir vaincu les brisants. Camille sait qu’elle a donné la vie et la mort en même temps. Comment va-t-elle continuer avec cela. Et les autres garçons, les aînés. Et Gaston, le jumeau esseulé, qui prend à présent gramme après gramme. Et Olivier, le narrateur nu, qui livre là un roman d’une franchise intérieure gigantesque… Les dessous du voyage en Orient de Flaubert et son ami Maxime Du Camp, le jeune Flaubert se lançant à corps perdu, au cœur de la province de l’ennui, dans sa « Bovary », donc en lui-même, la genèse de « L’Education sentimentale », la correspondance du maître bien sûr, puisque c'est un monument au sein de son oeuvre...  Nous apprenons beaucoup de choses, dans notre lecture croisée de ce livre admirablement construit, puisque l’alternance des récits y est si fondue que la vie de Gustave fait corps avec la progressive venue au monde de Gaston. Frébourg va plus loin pour amoindrir le mal tandis qu'il l'accroît. Il cherche chez d’autres écrivains des échos à sa douleur, des similitudes biographiques vaine recherche. La lucidité d'Olivier est totale : il sait que la perte d’un enfant est devenue un genre littéraire. Et surtout qu’il n’y a aucune utilité au malheur. Il n'empêche.

    Réapprendre à marcher

    Un 23 août au matin, Camille annonce qu’elle quitte le père de ses quatre fils. Olivier se retrouve sonné, seul à son bureau d'écriture avec les cendres d’Arthur placées dans une urne, elle-même calée entre deux piles de livres. Partir. Il faut partir. Mais pas fuir, là-bas, fuir... Il n’ira pas dans les îles lointaines, ni dans son Vietnam adoré, il n’embarquera pas une fois encore sur un navire de la Marine pour une Erythrée conradienne. Il entamera un voyage infiniment flaubertien, « par les grèves et par les champs », pas trop loin des êtres aimés, avec un fidèle ami. Mais aucune déviation au chagrin n’amenuise celui-ci. Différer en affrontant la bête, l’ogre des lettres, le roc Flaubert, sur ses terres, n’est déjà pas si mal. Sac au dos, apercevoir des maisons de charme comme celle du bonheur familial, entendre des enfants jaillir d’une école sont cependant autant de poignards qui se dressent et trouvent le ventre du romancier. 

    images (5).jpegLa tentation d’appliquer le mot de Feydeau : « J’ai voulu noyer mon chagrin dans l’alcool mais il savait nager » est grande... Et puis la vie reprit peu à peu son cours et commença de délivrer ses premiers pansements. Olivier réapprit à marcher, en quelque sorte. Il apprit aussi à avoir les enfants une semaine sur deux. Certes, il y aura toujours une place vide sur la banquette arrière, lorsqu’il jette un regard dans le rétroviseur, mais les trois gamins sont pleins de vie. Sur la route de Croisset, le plus vivant et bé oui, c’est Gaston ! Il a à présent cinq ans et une énergie incandescente. « Seul, j’ai porté  de mes mains Arthur jusqu’au feu. À son tour, Gaston me tire de la froide solitude », écrit Frébourg. Il a osé dévoiler sa terrible histoire (nous le savons infiniment secret), et offert à la littérature un livre fort comme la mer.


    Le troisième Flaubert

    images (5).jpegJe saisis l'occasion pour saluer l'essai de Pierre-Marc de Biasi, flaubertien scientifique -limite entomologiste et aussi précis qu'un horloger genevois : Gustave Flaubert, une manière spéciale de vivre (Grasset et Livre de Poche), relu pour l'occasion, car c'est une somme édifiante, une "bio" archi-documentée, à l'anglo-saxonne, et qui caracole comme son sujet d'ailleurs. L'enquête aborde le "troisième Flaubert" : après le romancier "impersonnel des oeuvres" et l'épistolier "inimitable des lettres", il y a "l'homme-plume" au travail, le Flaubert des manuscrits et des carnets, celui pour lequel "l'oeuvre est tout et l'auteur n'est rien".                                                                                                          

  • Are you so crate?

    images (4).jpegSocrate toujours. Comment se passer d'air? De sang? D'électricité dans les veines du cerveau et de l'âme/corps? Sans Socrate, tu meurs! Laisse Platon, son exégète, son scribe. Prends Socrate, et re-sache que tu ne sais rien. Sache que tu sais nada. Et va nu. Sois. Deviens (si tu veux) celui que tu es, ou pense être. Deviens sage : sois ouverture, rigueur, courage, endurance, engagement, humilité. Ne déçois plus jamais. Apprends à comprendre ton être de tout ton être. Tu sais qu'être riche, c'est n'avoir rien à perdre. Même si ce que j'ai dit est mon maître, et ce que je n'ai pas encore dit est mon esclave, je me sens avant tout tissé de l'étoffe dont sont faits les rêves dont je ne me souviens pas.

    C'est pourquoi je regarde la lune la nuit, et pas son reflet dans l'étang ou la flaque. Je crois au réel, de moins en moins au moisi des mots consignés dans les livres.
    Même les plus beaux, les plus séduisants d'entre eux, je m'en méfie à présent. Je regarde la lune, donc. Et je rigole en voyant l'autre, à côté de moi, qui ne regarde que mon doigt pointé vers elle. La vie c'est ça un peu, non?
    Socrate, again and again : "La seule chose que j'ai comprise est que je ne sais rien". Arme-toi pour dépasser cela.

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    podcast

    T’en penses quoi, de ça, So Crate ? : Pour se compléter, pour devenir sage et fort, c’est simple, il suffit de s’ouvrir, de laisser venir ce qui manque, l’autre moitié essentielle de soi-même. Cette recherche de la complétude, demande de l’attention et de la persévérance. Apprendre à céder est un problème d’attention, et d’amour. (C’est un peu le fameux : être vaincu parfois, soumis jamais).


    Si elle savait qu’on peut toujours plus que ce que l’on croit pouvoir !.. Et toi, Socrate, qui me redit : « Ceux qui désirent le moins de choses sont le plus près des Dieux ». Yes, but…
    images.jpegEt Diogène, ton pote par-delà les siècles, qui me tire par la manche en me rappelant que là, on lui dit qu’il était interdit de cracher par terre, et par conséquent il cracha au visage de celui qui venait de le lui interdire. Diogène ajouta : c’est le seul endroit sale que j’ai trouvé.».
    J’aime, j’aime. Comme l’anecdote célèbre : L’empereur, du haut de son cheval, flanqué d’une armée de gardes du corps, se penche sur Diogène, à moitié avachi dans son tonneau, et lui dit : « J’ai beaucoup entendu parlé de toi. En bien. Demande-moi ce que tu voudras et tu l’obtiendras : Palais, or, terres, femmes, ce que tu veux ! ».
    Et Diogène de répondre, après un long silence observateur : « Oui. Ôte-toi de mon soleil ! » (Ce que je veux, c’est que tu t’en ailles, car tu me caches du soleil…).
    Le cynisme à l’état pur est une vitamine de bonheur. Et Diogène, un Socrate devenu fou (selon Platon). Mais comme dit Liebniz le coincé, « les lendemains de fête sont rarement des parties de plaisir ». Dommage pour lui : il n’a connu ni les Rolling Stones ; ni les boîtes de nuit. C’est con.

    Look at Socrate : c’est celui qui réagit. Donc le philosophe à l’état pur, du tungstène métaphysique trempé.

    Car il réagit sans se soucier du reste. De tout le reste. Il réagit. A corps et âme perdus. Son arrogance philosophique nous dure, comme l’éclair d’Héraclite, répercuté par Char, via (le douteux Heidegger), et Hölderlin. C’est bon. Ca fait un bien fou, le matin, d’y penser. Socrate ne s’inclinera jamais devant aucun pouvoir, fut-ce celui de la douleur ou encore celui de la mort (seule la ciguë aura raison de lui, mais parce qu’il aura consenti a l’absorber lui-même, en portant –seul- le poison à sa bouche). Ce type préférait mendier que demander la faveur de vivre. Une telle fierté n’est que flamenca, de nos jours. Nietzsche l’avait perçu, qui parlait du bout des
    moustaches, de philosophes fiers comme des toreros.

     

    Moi j’y vois la fierté de la parole donnée, la fierté de l’absence de mensonge : tu ne te respectes pas si tu ne dis pas la vérité –ta vérité, d’abord-, et si tu acceptes d’agir autrement que tu ne penses. Si tu feins de respecter le pouvoir que ta compétence n’a pas légitimé, t’es qu’un gros naze et oublie la glace, brise le miroir, ça t’évitera la honte (et encore).

     

    Socrate ce héros, dit (tant de belles choses pour agir sur notre quotidien, qu’il devrait être mis en flacon avec vaporisateur et distribué gratuitement à la sortie des bus, des trams, des métros, des trains, des avions, des vélos et des pigeons voyageurs !) : il dit = ne manque jamais à ta parole, un homme vrai ne se dément pas, il ne renie jamais ce qu’il a affirmé. Il n’a peur de rien, pas même de la mort (Brel : « un homme qui n’a pas peur n’est pas un homme »). Il est affranchi de toute lâcheté, rien ne l’effraie comme l’injustice, mais il consentira même à s’y plier, pour prouver que la mort n’est rien. Son sacrifice me dure davantage que l’autre sur sa croix (et les deux autres qui sont même pas sur la photo!), lequel ne m’émeut pas, parce que le gore me fait gerber et que … « Il se venge sur nous depuis deux mille ans de n’être pas mort sur un canapé » (Cioran). 

     


    La seule chose que je reproche à la pilule quotidienne nommée Socrate, c’est de ne pas contenir dans sa formule (j'ai vérifié sur le papier), un anti-douleur fondamental, réputé apaiser les frustrations d'enfants gâtés que nous sommes tous un jour ou l'autre : Nicolas Grimaldi, (dont je buvais les paroles lorsqu’il enseignait « Le désir et le temps » à la Fac de Lettres de Bordeaux, il y a quelque temps déjà), le résume ainsi, dans « Socrate, le sorcier » (Puf) : « Cette mélancolie qui vient de ce que tout nous est échec. Comme par une sorte de malédiction, notre désir n’est jamais satisfait. Jamais nous n’obtenons ce que nous attendions. Il nous suffit même de parvenir à ce que nous désirions pour qu’il ne soit plus désirable. La déception est notre lot. Cela est sans exception. Puissance, amour, plaisirs, tout tourne à dérision ». (Plus on possède plus on désire ; de sorte qu’on se trouve comme dépossédé de tout ce qu’on a par le désir de ce qu’on n’a pas). Traînons-nous comme une casserole la mélancolie de l’inaccompli ?

     
    podcast
     

    Personnellement, j’aimerais en finir avec l’aporétique, l’aporie, soit ce qui est sans issue. Les sans issue me gavent ! Je ne me sens pas l’âme du poseur qui s’interroge (avec un plaisir douteux) sur « le sans-issue, l’absence de conclusion positive », mais plutôt celle d'un (modeste) passeur -d'émotions, pas d'idées … Merde ! Socrate, c’est gai ! Socrate, c’est de la vitamine S ! C’est de l’agrume concentré. Croque ! Bon, d’accord, il est chiant parce qu’il dit toujours : « Non ! » avant de commencer. (J’en connais un autre, l'immense Julien Gracq –j’y reviendrai encore souvent-, qui commencait chacune de ses phrases, ou chacune des réponses à mes questions, lorsque je lui rendais visite à Saint-Florent-le-Vieil, par : « Non… ». C’était d’un chiant ! Mais je m’y suis fait, à force et par admiration : « vous êtes un lecteur militant », m’a-t-il dit une fois)... Socrate : le réfutateur te pousse à t’interroger d’emblée, sur ce que tu viens de dire. Prends ça ! Tiens, réfléchis, no repos ! Moi j’aime ça, la mouche du coche, l’empêcheur de tourner en rond, en carré, en bourrique. Enfin, bon…

    Je reviendrai sur Socrate (parce qu’on revient toujours à lui, t’y peux rien et c'est si bon, ça!).

     
    Nota Bene : note parue ici même en avril 2006, mais fermée aux commentaires.
    Photos : Socrate m'a piqué mon Mac.
    Diogène dans son tonneau avec des chiens.
    Zik : Abed Azrié : Alchimie, Royaume.
  • AB-BO

    images (3).jpeghttp://www.leshistoiresduderby.fr/ 
    Voici la BA d'una vidéO sur l'AB et le BO. Clochemerle sympa au prorAmme. Intitulée 4,769 km (la distance qui sépare Bayonne de Biarritz, soit un infranchissable Rugbycon), ce film sur l'ovalie authentica est 
    signé Gorka RObles Aranguiz (un amigO mio) et Comédia Productions. Commandez-lo  -Io! Té, AupA et tout (mais vive les Ciel & Blanc, quand même!).images (4).jpeg


  • Dors et fais pas chier

    C'est le titre d'un petit livre à montrer à des bambins (les dessins sont mignons et sereins) mais que seuls les adultes doivent lire pour se marrer... trois minutes montre en main. Sous le titre originel de Go the Fuck to Sleep, Adam Mansbach (texte), père d'une fille de trois ans, et Ricardo Cortés (dessin) ont fait un tabac aux USA. Depuis, le monde s'arrache les droits de cette plaquette d'une trentaine de pages publiée en France par Grasset. C'est drôle, le feuilletage fait monter en puissance un agacement paternel qui nous rappelle une pub audacieuse (Use condoms, que l'on peut voir sur Youtube). L'auteur dit tout haut ce que d'aucuns pensent tout bas. 

    dors_couv.jpg

    Exemple :

    Les hiboux ont quitté le sommet des érables,

    A tire-d'aile dans la nuit, eux seuls veillent encore.

    Mon petit lapin, je vais péter un câble.

    Je t'ai déjà dit que tu faisais chier? Allez. Dors

  • gloumiam-lu

    images (2).jpegBaïbeule : en matière de guides des vins, le Hachette fait figure de bible, à l'instar du "Rouge" (le Michelin) pour les restaurants. Lorsque je dirigeais l'outsider de ce dernier, le "Jaune" (le Guide GaultMillau France des restaurants), je faisais fi du Rouge. Enfin, je m'efforçais d'ignorer sa force, mais je luttais contre. Aprement. A présent, je reconnais clairement que le Michelin -tout comme le Guide Hachette des Vins, sont des références absolues à côté desquelles les autres guides semblent se traîner. Exception faite des images.jpegguides particuliers : les deux Lebey (restos et bistrots) pour  les tables de Paris et alentour, le fooding pour la catégorie de restos qu'il traite, ou encore le Petit Lapaque des vins de copains et le carnet de vigne omnivore de Sylvie Augereau pour les vins naturels et bios. Donc je salue ici la nouvelle édition du Hachette des vins -indispensable et constamment à portée de main pour vérifier une adresse, un cépage, un site, un truc. Ainsi qu'un petit guide fort pratique et très sympa, car bourré de découvertes : 1001 meilleurs vins à moins de 10€, que publie (pour 14,95!) Le Petit Fûté.

    images (1).jpegCôté solide, lisez Terra Madre (éd. Alternatives), de Carlo Petrini, le fondateur du mouvement Slow Food il y a un quart de siècle déjà. Et oui. Son credo : Bon, propre et juste! Cet infatigable apôtre de l'alimentation saine, diversifiée, équitable, de proximité, naturelle, bio... a lancé le programme Terra Madre en 2004. Des milliers de producteurs, de paysans, de restaurateurs, d'amateurs, se retrouvent à Turin tous les deux ans pour échanger leur savoir-faire et leur expériences. Et surtout leurs espérances. Fraternel, ce mouvement semble avoir un bel avenir devant lui. Le livre retrace les grandes lignes de la philosophie Petrini, destinée à "renouer avec la chaîne vertueuse de l'alimentation", afin que la nourriture ne nous mange pas, qu'elle ne dévore plus ni les paysans, ni l'environnement. Lutter contre le gaspillage, l'abondance, les besoins artificiels, vaincre l'incertitude ou encore prendre soin de l'économie infra-locale afin de mieux jouir de la vie via l'assiette, sont des chapitres qui fleurissent les pages de ce petit bouquin ni austère ni sectaire, ce qui constituait un risque.


    Visuel-Dictionnaire du Désir de la Bonne Chère (Honoré Champion).jpgLisez aussi les dernières parutions des éditions Honoré Champion : la collection Champion les dictionnaires s'enrichit du Dictionnaire du désir de la bonne chère, d'Alan Jones. Avec les recettes musicales du Festin joyeux (1738), trésor oublié mais mythique de la littérature culinaire française du XVIIIème siècle, signé d'un certain J.Lebas dont on ignore encore le prénom. Gastronomie et musique baroque sont ainsi liées comme avec une sauve au vin rouge capiteux. Exhumer ces recettes d'un autre temps, où l'on trouve des produits aujourd'hui impensables en cuisine, notamment des gibiers interdits, des poissons étranges, et des manières de les préparer absolument pas light et donc pas du tout politiquement correctes, est méritoire. Les recettes sont mises en chansons et cela donne une connotation joyeuse à l'ensemble. En feuilletant, on s'imagine dans une toile de Brueghel, même s'il ne s'agit pas de la même époque. Nous sommes loin des pensums à la gloire du fitness, qui font la chasse au gras. Ici, c'est à la grive qu'on la fait, ainsi qu'à la tripaille et à la carpe en matelotte. Fricassées, gibelotes, galantines, dindons, hures, ragoûts, perdreaux aux écrevisses, farces, pieds de cochon, mais aussi galimafrées, gimblettes, godiveaux, trumeau et veau de rivière parsèment les 580 pages de ce précieux dictionnaire.

    Chez le même éditeur, dans la collection (très érudite) Champion les mots, notons Le Visuel-Le Chocolat (Collection Champion Les Mots).jpgVisuel-Le Parfum (Collection Champion Les Mots).jpgchocolat, qui favorise la paresse et dispose à ces voluptés qu'inspire une vie langoureuse (c'est le titre en entier), de Nicole Cholewka. Et Le parfum, qui fortifie le cerveau et chasse cette légère rêverie qui accable l'esprit..., signé Magalie Gobet et Emmeline Le Gall. Etymologie, expressions, proverbes, termes vernaculaires, sources littéraires, illustrations... Deux petits bouquins précieux pour aller au-delà des mots qui évoquent la cabosse, la fève, la tablette, et l'essence, les fragrances et la trace...


  • Le nouveau Quignard

    images (1).jpegLes solidarités mystérieuses, le dernier roman de Pascal Quignard (Gallimard) est stupéfiant tant il déçoit. Disparue la magie de cet auteur précieux et fondamental -l'un des meilleurs du moment. Plus rien, dans ce livre creux, livide, insipide par endroits, de l'écriture hiératique, austère et pure, limpide et d'une beauté entre toutes remarquables. Passage à vide? Laxisme d'auteur et laisser-aller éditorial? Ce nouvel opus de l'auteur si poétique, si érudit de Vie secrète, des Petits traités, de Villa Amalia, de Tous les matins du monde et de tant d'autres bijoux, m'a ennuyé et lorsque je l'ai achevé il y a une douzaine de jours, je me suis senti désappointé, presque trahi. Reste à présent à espérer un nouveau bon bouquin -fiction ou essai, peu importe, et à relire contre toute attente le(s) Quignard que nous aimons.

  • Miam d'automne

    rubon56-cb2b5.jpgCanard exquis rassemble des recettes insolites de chefs (Parisiens d'adoption pour la plupart), à partir du canard à foie gras du Sud-Ouest. Philippe Boé est au texte, Pierre-Emmanuel Rastoin à la photo (éditions Menufretin). Et cela donne un album étonnant, avec une scénographie audacieuse qui permet de renouveler un chouia le genre. Nous aimons particulièrement les pages consacrées à nos chouchous : Julien Duboué (Dans les Landes, et Afaria, à Paris 5 et 15), Alberto Herraïz (Fogon, Paris 6), et aussi Iñaki Aizpitarte (Le Châteaubriand, et Le Dauphin, Paris 11), ou William Ledeuil (Ze Kitchen Gallery, et KGB, Paris 6). Antoine Heerah, Jean-Marc Notelet, Phiippe Labbé, Frank Xu, Alain Senderens et Jérôme Banctel sont les autres chefs qui se sont prêtés au jeu de la photo et de la recette bien sûr, le tout au service de la filière IGP (Indication géographique protégée) Canard à foie gras du Sud-Ouest. Précieux (je sens que je vais pas mal cuisiner le canard en novembre).

    Nota : le livre a été présenté -en présence de tous les chefs- à l'occasion de la soirée annuelle de l'association Gascons toujours, à l'hôtel Shangri-La (av. d'Iéna à Paris) le 19 octobre dernier. 

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    Saveurs sauvages rassemble 28 chefs autour du gibier. Autant de recettes subtiles pour cuisiner les viandes les plus savoureuses du monde. Julien Fouin est au texte, Carrie Solomon à la photo (éditions du Rouergue), et les photos sont absolument magnifiques, qui traitent chaque portrait et chaque nature morte à la manière des peintures holandaises du XVII ème siècle. Ici aussi, le genre (le livre de cuisine du gibier) est esthétiquement décapé. Certains chefs évoquent leurs souvenirs personnels de chasse, comme Thierry Marx (Le Mandarin Oriental, Paris 1) approchant l'ours à l'arc au Canada. D'autres bravent l'interdit (ce n'est pas ici qu'on leur en fera le reproche) : Jean-François Rouquette (Park Hyatt, Paris 2) donne une recette d'ortolans. Côté excellence et finesse extrême des chairs, Alexandre Gauthier (La Grenouillère, La Madelaine-sous-Montreuil) livre sa recette de bécassines, et Jean Sulpice (L'Oxalys, Val-Thorens) une autre de chamois (je ne connais pas de meilleurs gibiers dans l'assiette -et sur le terrain aussi, d'ailleurs). Notons par ailleurs les pages consacrées à des chefs que nous aimons particulièrement : Christian Etchebest (La cantine du Troquet, Paris 14), Cédric Béchade (L'AUberge basque, St-Pée-sur-Nivelle, 64) et Claude Colliot (Claude Colliot, Paris 4), lesquels proposent -ce n'est pas un hasard- chacun une recette de palombe. Nouvelle star oblige : Yves Camdeborde (Le Comptoir du Relais, Paris 6) fait la couv. et offre une recette de bécasse (on l'attendait lui aussi sur la palombe), et notons que -cerise sur le gâteau- le livre s'ouvre avec un extrait de la correspondance gourmande entre Jim Harrison et Thierry Oberlé. Superbe.

  • Allez les Blancs!

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    Une fois n'est pas coutume, je fais de la pub -ah, j'aime pas ça du tout!

    (pour une marque de lames de rasoir, en l'occurrence),

    mais elle est tellement bonne!..

    Bon, allez : au match y suerte para todos!

  • Lisbonne dans L'Obs d'hier

    2011-10-18~1363@LE_NOUVEL_OBSERVATEUR_TELE_OBS.pdf

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    Cliquez ci-dessus et vous pouvez lire un papier que je signe sur Lisbonne dans Le Nouvel Observateur - Télé Paris paru hier (daté du 22 au 29 octobre). Figure également dans cette édition un autre papier consacré au Pic du Midi de Bigorre, que je collerai ici plus tard. 

    Photo : La statue de Fernando Pessoa à la terrasse du café A Brasileira (©LM)

     

  • Vite lu

    Le Dernier des Mohicans, de Bernard Frank (Les Cahiers Rouges, Grasset, avec un avant-propos fort intéressant de Charles Dantzig), n'a pas vieilli, parce que le style de Frank est imprégné d'anti-rides. Le9782246788720.gif sujet, lui, date un peu : il s'agit d'un pamphlet à l'adresse de Jean Cau, alors secrétaire de Sartre, à propos des querelles qui agitaient le mundillo littéraire de l'époque : l'existentialisme, l'avant-garde, le Nouveau roman contre les Hussards... C'est même un libelle  pour relire l'histoire littéraire parisienne des années 50 (je possède déjà le livre dans son édition originale de 1956 : il est paru chez Fasquelle dans la collection Libelles, justement), et aussi l'occasion de relire la prose charnue et fluide de Frank. Il s'en prend avec brio aux Mandarins, le Goncourt de Simone de Beauvoir. Mais il excelle dans sa réponse à l'éreintement de son roman Les Rats (qui vilipendait les romanciers engagés), par Jean Cau dans la revue Les Temps modernes. C'est un régal de diatribe. Le "Nimier de gauche" n'y est pas méchant. C'est pire : il assène à Cau une réplique avec un style(t) fait de venin indolent plus efficace qu'une verve insolente. 

    9782070439157FS.gif

    Petit éloge de la joie, de Mathieu Terence (folio 2€) m'est apparu d'emblée dans son sujet, mais passées les premières pages, ce tout petit livre s'essouffle et se révèle être une collection distendue de pensées molles, dotée d'une philosophie faible et, tous comptes faits, il est assez barbant. En tout cas pas joyeux, or le moins qu'on attende de cet ouvrage, c'est qu'il le soit. Dommage.

    9782710368595.gifLe Bottin des lieux proustiens, de Michel Erman (La Petite vermillon, La Table ronde) fait suite au Bottin proustien, du même auteur aux mêmes éditions. Exclusivement réservé aux  familiers de la Recherche, ce petit annuaire re-situe chaque lieu évoqué dans l'espace et dans l'oeuvre, certes, mais sans plus-value. Je veux dire de manière assez administrative et donc froide. Au point de penser, si l'on ne s'est pas encore frotté à l'oeuvre de Proust, qu'elle n'est guère réjouissante (c'est le témoignage que j'ai recueilli en prêtant l'ouvrage). 

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    Premier bilan après l'apocalypse (Grasset) de  Frédéric Beigbeder m'a déplu par sa suffisance, son éclectisme très in the mood, ses lacunes abyssales, mais il m'a plu aussi parce que je me suis retrouvé en affinité avec certains bonheurs de lecture que je partage avec l'auteur : Paul-Jean Toulet, Gide, Blondin, Echenoz, Larbaud, Harrison, Blixen, Bouvier. J'estime cependant le livre inutile. Ou alors un genre littéraire nait et chaque écrivain un peu connu, curieux et altruiste pourra y aller de son anthologie personnelle. Pourquoi pas...

     

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    Côté miam-glou, le chef pâtissier Christophe Felder donne un livre de plus, que Points (Seuil) publie dans sa nouvelle collection en tout (trop?) petit format : ".2" (Point Deux). Gâteaux et tartes rassemble 60 recettes illustrées, et surtout il donne d'abord tous les tuyaux de base et les tours de main pour réussir une pâte, à la manière dont on donne un cours de cuisine. Indispensable.

     

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    Le Petit Dico des vins naturels, du sommelier Jean-Charles Botte (Le courrier du livre, préface de Michel Onfray), est une mine. Formidablement documenté, ce bouquin fait le point avec talent et science sur un vocabulaire encore nouveau. Les vins naturels commencent à pénétrer nos cavistes et donc nos caves et c'est tant mieux, mais le monde du bio a son jardon, que ce livre nous aide à décrypter. Un carnet d'adresses de vignerons et de cavistes complète le livre. Précieux.


  • Venise sur Vésuve

    Venise se donne des airs Napolitains (photos prises cette semaine ©LM).

    Lu, là-bas, entre deux expos sordides ou mortifères, rarement lumineuses, de la Biennale (mais où va l'art contemporain?..), une piètre anthologie littéraire sur la Sérénissime. Revenir aux fondamentaux, comme au rugby : Suarès, Morand, Hem', Byron... Au retour, le nouveau Quignard était arrivé entre temps!

    La "4 de couv" dit seulement ceci : Ce n'était pas de l'amour, le sentiment qui régnait entre eux deux. Ce n'était pas non plus une espèce de pardon automatique. C'était une solidarité mystérieuse. C'était un lien sans origine dans la mesure où aucun prétexte, aucun événement, à aucun moment, ne l'avait décidé ainsi. 

    J'y plonge, donc. (Pascal Quignard, Les solidarités mystérieuses, Gallimard).

     

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  • Holder se lâche

    images.jpegLe nouveau recueil de nouvelles d'Eric Holder, Embrasez-moi (le dilettante) est très cul, mais avec tellement de littérature que c'est un délice priapique. Sept nouvelles d'enfilades par surprise, avec des "oh!", les voies et détours de la f(r)iction, un talent fou pour dire la chose et surtout son approche, forcent l'admiration. Car le sujet (littéraire), qui est vieux comme l'écriture ou presque, est périlleux, pour ne pas dire casse-gueule. Holder s'en sort avec maestria, précision, une armada inouïe de métaphores succulentes et une tendresse qui éloigne chaque glissement de toute vulgarité, même s'il saupoudre ses phrases d'une touche de grivoiserie bienvenue. Ses nouvelles sont de petits chefs-d'oeuvre de littérature érotique. On en redemande, après la pause pratique.   

  • Les nuits d'une demoiselle

    Je viens de tomber par hasard sur les paroles de cette chanson en musardant parmi les commentaires laissés sur le blog : http://passouline.blog.lemonde.fr/ 

    Google a vite fait (pour moi) le rapprochement entre le texte et l'existence de sa mise en musique. Voici : http://www.youtube.com/watch?v=UcW4RfhbM88.

    Ne trouvez-vous pas qu'il est touchant, ce mélange de désuétude, de retenue et de presque pudeur dans la voix et dans la diction, pour énumérer de telles choses? Celle qui chante, Colette Renard, morte à l'âge de 86 ans il y a juste un an, est la surprenante interprète, avec ces Nuits d'une demoiselle, d'un éventail de synonymes du Mont de Vénus qui laisse délicieusement coi.

    Paroles : C. Renard, Musique : G. Breton et R. Legrand © Disques Vogue 1963.

  • L'écrivain

    Didier Dagueneau, Marcel Lapierre... Lorsque de grands vignerons s'en vont, nous craignons toujours pour les millésimes à venir, car ceux qu'ils ont écrits et réalisés s'épuisent, à coups de tire-bouchon. Avec les écrivains, c'est plus commode : on peut relire, boire chaque jour. 

    A ce propos, ou presque, connaissez-vous l'écrivain?

    C'est un terme qui désigne aussi un insecte de la famille des coléoptères, qui attaque la vigne en grignotant ses feuilles (voire les baies) et, ce faisant, les découpe en fines lanières sinueuses qui figurent des caractères ; une écriture...

    La poésie de la signification de ce nom m'épate. On appelle l'écrivain le diablotin en Île-de-France, et gribouri en Bourgogne. Et aujourd’hui eumolpe.

    Sa dénomination zoologique fut Bromius vitis, puis Adoxus obscurus, ou  vitis et maintenant Bromius obscurus.

    Le cigarier (Deporaus betulae) désigne un autre insecte, un coléoptère charençon, trapu, cousin de l’écrivain. Celui-ci a le don de rouler les feuilles de vigne afin d’y pondre ses œufs à l’intérieur !

    L’écrivain de la vigne a pratiquement disparu, et avec gribouri, nous n’étions pas loin de gribouillis, d’écrits rabougris ! On combattait l’écrivain en lâchant des poules, des dindes et des pintades à ses trousses. Il est de pires poursuivants… Puis la chimie et ses batteries d’insecticides ont eu raison de lui, sans poésie aucune, dans de nombreuses régions viticoles.

    Reste les écrivains, et parmi eux les poètes, souvenez-vous, au printemps, « de ces drôles de types qui vivent de leur plume ou qui ne vivent pas, c’est selon la saison » (Léo Ferré).

    Et il existe même des « écrivins », espèce plus rare. Ces derniers se piquent d’écrire sur le motif. Parfois, leurs écrits ne sont pas vains. C’est selon leur raison…

    Olivier de Serres, vers 1600, appelait instrumenteur le cigarier, ce génie des cépages qui ne fit pas un tabac chez les vignerons, puisqu’il les mettait en pétard. Ils ont tenté de l’éradiquer parce qu’il desséchait la vigne en la roulant. Il les aura bien enfumés en voulant seulement se reproduire à l’abri...

     

  • Beaucoup de silence pour rien

    images (1).jpegJean-Michel Delacomptée livre un Petit éloge des amoureux du silence (folio 2€) qui serait seulement délicieux s'il n'était pas entâché d'un esprit chagrin qui vire ronchon au fil des pages et qui finit par une plainte primaire, doublée d'un catalogue des nuisances sonores qui polluent notre quotidien urbain et rural. Et l'on se dit, tandis que ce petit livre nous glisse des mains, que son auteur est finalement bruyant, qu'il nous casse les oreilles en énumérant ce qui amplifie nos acouphènes. C'est dommage, car le sujet est beau. Il eut fallut peut-être traiter du silence, pas du bruit...images (2).jpeg

    Dans la même collection, Petit éloge de la première fois, de Vincent Wackenheim, est autrement plus savoureux, espiègle et séduisant. Mais le sujet s'y prête davantage.

  • BU : Grignan-les-Adhémar

    BT GLA Laurine 2010.jpgVous aimez le viognier, sa belle minéralité, ses arômes indirects (via le terroir, le climat, le sol, le sous-sol, l'assemblage, la vinification, bref : le travail de l'homme associé à celui, magistral de la Nature) de pêche blanche, de poire, d'amande douce, de fleur d'acacia, de jasmin, la robe claire et brillante qu'il donne aux vins blancs, la bonne garde qu'il promet et sait tenir? Goûtez-le -même assemblé avec d'autres cépages "accompagnateurs" qui seront là pour le flatter, dans l'appellation Grignan-les-Adhémar (Drôme). Cette petite appellation déjà provençale, où la lavande le dispute à la truffe et à la vigne et où la Marquise deLA DIGNERETTE.jpg Sévigné écrivit tant de lettres (j'ajoute que Grignan est un village associé pour moi au grand poète Philippe Jaccottet, car il y vit et que je le lis et relis sans cesse, avec une émotion égale, depuis l'été 1976), s'appelait jusqu'en 2010 Côteaux-du-Tricastin. Or, la confusion avec la centrale nucléaire éponyme commençait à nuire aux vignerons. Le nom fut changé : voilà les bons vins de Grignan-les-Adhémar. Les blancs sont frais, parfaits sur la charcuterie et les fromages de chèvre. Citons le remarquable Domaine Saint-Luc, cuvée Laurine en 2010, élaboré par les couples Hémard et Cook à La Baume de Transit. Mêmes qualités aromatiques retrouvées au nez et en bouche avec Fleur de vigne 2010, une cuvée des Alyssas, de Laurent Bes, à Clansayes (avec une bouteille étrange et reconnaissable à l'horizon). L'air de famille du terroir est là, même si cette cuvée est composée pour moitié de viognier et de grenache, tandis que Laurine comprend 85% de viognier et 15% de bourboulenc.

    Côté rosés de Grignan-les-Adhémar (là, on est sur des grenache + cinsault et un chouia de syrah, et encore, pas toujours), il n'est pas trop tard pour se régaler -l'été indien arrive! Juillet cumuleDomaine de Grangeneuve - Le Rosé, 2010.jpg avec septembre, cette année!-, voyez du côté du croquant et gourmand vin du Domaine de Montine, cuvée Gourmandises 2010 (70% grenache noir, 20% MAS THEO.jpgsyrah, 10% cinsault) : beaux arômes de fruits rouges frais, une longueur confortable et une fraîcheur persistante, surtout, qui convient aux grillades, aux poissons à la plancha et au jamon serrano. Idem (pour les accords simples au fond du jardin avec les copains, à la tombée du jour) : Domaine du Serre des Vignes, cuvée La Dignerette 2010 : arômes de fruits rouges frais (groseille, notamment), un rosé à tenter sur l'épicé des cuisines thaï, japonaise, ou bien italienne versus all'arrabiata. Enfin, le Mas Théo, cuvée TO 2010, très marqué grenache, idéal sur des salades composées comme on veut, à la fortune du pot, le soir au fond du frigo. Et pour finir le Domaine de Grangeneuve, Le Rosé 2010, élégant et délicatement fruité. Idéal sur un risotto aux chipirons et gambas, une dorade grillée avec un filet d'huile d'olive et de l'ail grillé, et enfin une pannacotta...

    Les blancs n'excèdent pas 10€ et les rosés oscillent à 6€. C'est pas la ruine, l'appellation se refait une virginité, et les jeunes vignerons qui y bossent ont un gniac formidable. Alors allez-y voir. Zou!

  • Rentrée littéraire, suite

    J'ignore vraiment pourquoi je me sens impressionné par la forme (la quantité de pages) davantage que par le fond (les thèmes sont costauds, pour la plupart) de certains livres de cette rentrée : le Reinhardt qui mélange les genres et qui m'attire par son côté sexuel, le Carrère sur le nauséabond et border-line Limonov, qui affichait il y a peu un portrait de Mussolini dans son bureau..., le Grossmann (que je lirai quand même car il semble que ce soit un livre majeur sur l'histoire d'Israel, au delà du sujet extrême du livre : la perte du fils à la guerre et le refus de la mère d'accepter cela -l'ensemble raconté par le père lui-même), le Schneider -je le lirai sans doute, moins à cause du thème du frère perdu, suicidé il y a trente-cinq ans, que pour la prose de l'auteur de "Marilyn, dernières séances", et de "Maman" -sur la mère de Proust. Tous ces livres, et bien d'autres encore, me rebutent un peu.

    Mais allez savoir pourquoi (je ne crains même pas de paraître ringard en écrivant ce qui suit) je n'ai pas cette appréhension devant la énième relecture d'un Dostoïevsky ou de Proust. Peut-être parce que je sais par avance qu'à chaque page une belle phrase me sautera à la gueule avec eux (comme avec le "Journal" de Jules Renard, un poème de Char, une page de Gracq ou les aphorismes de Cioran, en gros), et donc qu'un plaisir du texte me ravira et comblera, à lui seul, ma journée -et qu'avec les autres, je deviens méfiant, rétif, paysan : j'attends de voir. Je sais c'est con, mais qui puis-je! Reconnaissez que j'ose le dire, que je ne crains pas d'avouer cette étrange faiblesse, que j'associe à ma baisse d'aficion (tenez : demain, il y a un mano a mano Castella-Perera à Bayonne avec des toros de Jandilla : cartel de lujo! Eh bien je n'irai pas, c'est comme ça : pas assez le feeling. Perdu, le feeling, té!). Mais de voir quoi, donc ? Je me suis connu plus fonceur, plus découvreur -certes, lorsque c'était mon métier de me "cogner" toute la rentrée littéraire pour un hebdo (oulà, c'était y'a longtemps, ça), j'y allais, mes manches retroussées, et allez! J'en avalais deux-trois chaque jour, car à l'époque il y en avait quand même près de quatre cents au courrier, au total et dès avant l'été -et dès le petit-déjeuner, je me les bouffais tout crus. Puis je sélectionnais, et puis je rédigeais mes pages, je faisais part de mes coups de coeur et de mes coups de gueule...

    Aujourd'hui, je trouve peut-être que "la chair est triste..." Alors, "Rouler", de Christian Oster (L'olivier), me ravit bizarrement car son road-novel de Paris à Marseille ne raconte strictement rien, presque rien, mais-mais que cela produit de la littérature, de la vraie. Si, si. Je me régale avec de petites choses : "Petit éloge de la première fois", de Vincent Wackenheim, "Petit éloge des amoureux du silence", de Jean-Michel Delacomptée (folio 2€, les deux), "Petit dico des vins naturels" de Jean-Charles Botte (Le courrier du livre)  même si ce n'est pas de la littérature, "Les corrections" de Franzen, car je ne l'avais pas lu et que je veux le faire avant de prendre "Freedom" dont tout le monde ne parle plus. Ah, la dure loi de la mode, éphémère, et celle, plus sévère encore, de la vie d'un livre : pffffuuuiiittteuse. (Tu passes un an, six ans, à l'écrire et la presse en parle trois jours de rang et le public suit. Ou ne suivra jamais, sauf quand tu mourras, et alors là : pour trois jours maximum tu en prendras, mon vieux. N'espère pas plus -mais au fond tu t'en fous puisqu'alors tu seras mort...).

    Et vous savez quoi? Aujourd'hui, mon pied littéraire je l'ai pris avec l'album Rimbaud de La Pléiade, paru en 1967 et que j'ai trouvé pour le quart d'une demi poignée de cacahuètes chez un bouquiniste bayonnais qui ignorait qu'il valait plusieurs centaines d'€. C'est pas la question : je me le garde, bordel!  Mais écoutez : l'icono est vieillotte, l'odeur du papier est plus que moisie, les feuilles sont rêches, mais l'atmosphère de Charleville, du Harar, de cette putain d'indépassable "Saison en Enfer" sont là, pregnantes, épousantes. Et j'ai relu dans la foulée mes poèmes préférés d'Arthur, au premier rang desquels je place à jamais "Sensation". Et mon bonheur fut total. Après, je suis descendu à ma pharmacie, comme chaque jour (j'ai nommé ma librairie de quartier) et j'ai trouvé les couvertures pâles, les jaquettes aguichantes comme des pubs pour des bagnoles, et les gens qui passaient à la caisse avec leur Nothomb (j'ai rien contre elle, au fond, mais bon) ou leur Vargas (bon choix!), un rien pathétiques.

    Alors je suis allé m'asseoir dans le micro-jardin public du coin et j'ai lu vous savez quoi?.. "Avec mon meilleur souvenir", de Sagan. Oui! Et j'ai adoré, comme on adore une série genre les experts à miami police chose new york special six feet desesperate Dr who Grey's love truc. Vous voyez le genre? La littérature tient à peu de chose, pour peu qu'on prenne suffisament de distance avec cette satanée morue.

  • Nefertiti

    VU.  Le profil d'une inconnue croisée dans ma rue, et qui m'a aussitôt évoqué celui -indépassable de beauté- de la déesse Nefertiti. Lorsque j'ai croisé la copie de ce dernier (la sculpture originale est toujours à Berlin), au Musée du Caire en décembre 1987, je suis resté paralysé une demi-heure durant, devant, et à la fin j'en étais tombé amoureux (comme je tombais amoureux, bien des années auparavant, de la Danaïde, de Rodin, au musée parisien à son nom). L'inconnue disparut dans une bouche de métro, avalée par le hasard tiède d'un après-midi d'août.

    NU.  Le quotidien nous envoie plus souvent qu'avant, me semble-t-il, l'expression de l'antipathie à la gueule, de la part de nos congénères. Je fuis autant que faire se peut cette soeur jumelle de la suffisance (pour le dire à la manière de Unamuno). Aussi ai-je décidé de partir en guerre contre cette antipathie ambiante, mais à ma manière : en me préservant. La stratégie de l'évitement ! Change de trottoir lorsque tu aperçois le toxique au loin. Contre un virus, tu ne feras jamais le poids. Et ton plus sûr salut sera le demi-tour. Pour d'autres causes véritables, saines, franches et non couardes, celles qui ont de l'épaisseur et possèdent du caractère, tu trouveras d'autres forces et choisiras l'affrontement, ou bien le mimétisme, l'immobilité, l'affût, l'approche, des ruses autrement plus subtiles même. Mais là, fuis. Sans honte, car tu n'as pas à en éprouver.

    Nue, aussi, la vérité droite des mots de l'enfance, à l'instar de la peau d'une femme aimée.

     

  • le pinot noir, comme une femme

    BU.  Prends le gauche, une cuvée de La Sorga, d'Anthony Tortul, un rosé paysan de St-Chinian comme on aime le rosé : opaque, vineux, un peu gazeux, limite marigot. Loin des pétales de rose provençaux qui tordent les boyaux après vous avoir fait de la gringue. Bu aussi un Volnay d'une sensualité dévastatrice : le Clos de la Cave, du Domaine Jean-Marc Bouley. Les deux dans le millésime 2009. Ce dernier était féminin comme une caresse de femme-chatte, je le jure. De quoi vous réconcilier avec le pinot noir pour longtemps. Car ce sublime cépage est trop souvent négligé en Bourgogne, sa terre natale et d'élection, pour ne pas souligner de telles surprises, de tels efforts sans doute, qui donnent une telle expression, une telle délicatesse, cette suavité aromatique et cette présence en bouche littéralement envoûtantes. 

    LU. La nuit de San Gennaro, de l'immense écrivain hongrois Sandor Màrai (poche), pour retrouver l'atmosphère de Naples dans les années 49. Et aussi les Récits oubliés, de "la" Morante, chez Verdier. Plus subtils peut-être que les nouvelles du Châle andalou, ces textes courts disent encore et encore la sensibilité suraigüe de l'auteur de L'isola d'Arturo pour le monde de l'enfance.  Enfin, jetez-vous sur Des yeux pour voir, de Miguel de Unamuno (folio 2€) afin de découvrir un autre Unamuno, conteur (philosophique), drôle, mystérieux parfois, exquis en somme. L'auteur du Sentiment tragique de la vie dit par exemple que le sérieux et la bêtise sont frères jumeaux... Et qualifie Don Quichotte de fou sublime. Ainsi s'achève le premier conte, qui donne son titre au recueil :

    Ce qui devait suivre arriva naturellement. Juan apprit à espérer et, ainsi, à unir l'avenir au présent, le bonheur d'un perpétuel lendemain en ce monde à la douceur de se laisser vivre et aimer.
    Et plus tard, lorsqu'il connut la vraie douleur, il ne la cacha plus, en se donnant le plaisir d'être plaint, il connut la joie d'être consolé. La véritable abnégation n'est pas de savoir garder ses peines, mais de savoir les faire partager. 

  • L’oracle de Saber Mansouri

    sabermansouri.jpgL’avantage d’un blog, s’agissant de rendre compte de la lecture d’un livre, c’est que l’on peut y évoquer notre connaissance de l’auteur en prévenant immédiatement qu’il ne s’agit pas de copinage, mais d’éclairage supplémentaire. Je connais Saber Mansouri. C’est un ami. Il publie ces jours-ci son quatrième essai : « Tu deviendras un Français accompli », Oracle (*). Composé comme un anti-manuel à l’usage des immigrés choisis qui ne se hasarderont pas à franchir la Méditerranée clandestinement jusqu’à l’île de Lampedusa au péril de leur vie (il précise lui-même qu’il n’eut pas le choix, car il ne sait toujours pas nager…), mais qui prépareront un tant soi peu leur arrivée sur le sol français en pensant notamment aux concepts de consensus, d’intégration (« un long travail sur soi », dit l’auteur) et aussi de renoncement... Précisons d’emblée une chose : ce livre ne s’adresse pas aux Djerbiens qui ouvriront une épicerie de quartier, mais plutôt à tous les étrangers qui désirent effectuer des études supérieures en France, et aux intellectuels sans avenir dans leur pays, futurs thésards et universitaires à Paris, comme Saber Mansouri l’est devenu. Il a quitté le djebel proche de Tunis pour devenir, quelques longues années plus tard (il a aujourd'hui quarante ans) –mais au prix de combien de privations, de difficultés quotidiennes, donc au prix d’efforts qui forcent le respect, enseignant à l’Ecole des Hautes Etudes, directeur de collection, écrivain essayiste. Bref, un intellectuel arabisant et helléniste, historien de formation, disciple de feu Pierre Vidal-Naquet auquel il voue une adoration certaine... Mansouri est, sincèrement, un intellectuel avec lequel, j’en fais le pari, il faudra compter désormais pour débattre du monde arabe, des questions musulmanes, de l’islamisme, de l’intégration, de l’immigration et de beaucoup d’autres sujets périphériques. Saber Mansouri, à travers ce manuel d’utilisation de la France à l’attention de ceux qui parviendront à y obtenir les indispensables sésames : une carte de séjour, puis un boulot, évoque un parcours du combattant. Il s’adresse aux futurs candidats à l’immigration choisie, afin de leur donner les clés de la France (et de Paris en particulier), les trucs et astuces, tous les tuyaux. D’abord il donne (ironiquement, en pastichant les documents officiels disponibles au Centre culturel français de Tunis, intitulés La carte compétences et talents) le prix de chaque chose : baguette, ticket de cinéma, photocopie, livre de poche,  repas moyen, entrée d’une boîte de nuit « si toutefois on vous laisse entrer »… Tout est consigné. Il s’agit d’un guide teinté d’ironie mais pétri de vérités hurlantes, désarmantes et souvent choquantes quant à l’accueil qui est réservé (avec force bâtons dans les roues en forme de découragements insidieux), aux immigrés choisis, et l’on comprend mieux, à la lecture d’extraits (ahurissants) de documents qui émanent du Quai d’Orsay, d’extraits du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ou d’autres ayant trait à la naturalisation, scrupuleusement reproduits dans le livre, le caractère pernicieux de la politique d’accueil made in France. Il rappelle d’emblée que « nos doctorants maghrébins et africains ont un courage inouï à faire rougir un gardien de phare dans les eaux troubles de Bretagne ». Car pour mener à bien une thèse sur l’influence de Lévinas sur la philosophie palestinienne contemporaine, par exemple, ils ne dorment pas la nuit car ils sont veilleurs dans des hôtels miteux et sous-payeurs. Cela s’appelle le mérite, pour parler à la manière des instituteurs de la IIIème République, mais c’est ainsi, criant de vérité et de douleurs, qu’à force de volonté, on tente de se faire une place honorable dans un pays qui ne vous attend pas et qui vous accueille avec la bave du dédain au bord des lèvres. D’autant que, diplôme de 3è cycle enfin en poche, l’Université vous invite gentiment à aller apporter du sang neuf dans votre pays d’origine plutôt que de postuler en France (et bouffer le pain de nos profs)… Mansouri distille des conseils. Ceux-ci traitent des démarches administratives kafkaïennes à accomplir sans cesse, tellement désarmantes qu’elles en deviennent surhumaines, de la mise en garde contre le piège du mariage blanc –qui ne donne pas beaucoup de droits, au fond, et auquel il suggère de préférer les voies d’une intégration « raffinée », ou de la mise en garde sur la durée légale d’une thèse, qui est de quatre ans, au-delà desquels l’étudiant peut se voir reconduire gratis dans son pays, s’il n’obtient pas une lettre salvatrice de son directeur de thèse, et encore du comportement à adopter dans un bar lorsque le racisme ordinaire pointe son sale pif sur celui qui commande un café. L’apprentissage du stoïcisme, de la sagesse, de l’intelligence qui est toujours la plus forte, face au défaut d’altérité, cela se construit au jour le jour. Avec une force intérieure indispensable et c’est cela que l’auteur enseigne : il faut savoir fierté et raison garder, mais sans trop les exposer. Il y a plusieurs livres dans cet oracle. Saber Mansouri est un fin analyste du monde contemporain, un dévoreur critique de presse et un avaleur pensant (même s'il prétend que l'Africain -au sens large- ne pense pas, mais réfléchit), d’essais philosophiques. Il a d’ailleurs ses têtes, ses bêtes noires, ses chouchous, ses maîtres ès art de vivre au quotidien : Derrida, Michelet, Vidal, Foucault, Baudrillard, Gauchet, Valéry (« les livres ont les mêmes ennemis que l’homme : le feu, l’humide, les bêtes, le temps ; et  leur propre contenu »). Il est par conséquent question –toujours à l’adresse des futurs candidats à l’intégration via les études supérieures, d’analyses coups de poing sur les « i ». De l’opération militaire « Aube de l’Odyssée en Libye : « Que fait Homère à Benghazi ? C’est long à expliquer, mais l’essentiel est là, dans le ciel libyen : nos Rafale libèrent un peuple arabe ». Au sujet de la loi sur « la dissimulation du visage dans l’espace public », du « CV anonyme » et de la minorité visible, du pitoyable sarkozysme, de la montée du « parti de Marine », des cités (qu’il compare à la cité originelle, la « polis » grecque), de Touche pas à mon pote, « un slogan pathétique porté par quelques arrivistes devenus aujourd’hui les notables de l’antiracisme », de Mai 68 : « on ne sait toujours pas si c’est un caprice bourgeois ou une révolution »,  du Printemps arabe : « décidément ces Arabes sont incohérents : un printemps en hiver ! ». Le « mundillo » littéraire germanopratin (qu’il a appris à décoder) n’est pas épargné : « la république des lettres est oligarchie. La chose littéraire est parisienne et oligarchique ; c’est un domaine gardé jalousement par des enfants gâtés, égocentriques, faussement mélancoliques, aigris et attendant toute la journée, une verre de sancerre à la main, le bon mot, l’article ou l’édito qui fera décoller les ventes, la grandeur publique et médiatique de la maison et les à-valoir ». À propos des bobos (après j’arrête et je vous renvoie au livre) : « cette nouvelle classe aime les étrangers au point qu’elle a fini par occuper entièrement leurs quartiers ». Nous le voyons, c’est beaucoup plus qu’un « témoignage rare d’un immigré choisi sur l’épineux thème de l’intégration », comme le précise l’éditeur dans son prière d’insérer. Cinglant, le ton de cet oracle (lemansouri.jpg genre est inédit depuis des siècles !) est également incisif et solidement documenté –l’auteur (photo ci-contre) demeure universitaire dans la méthode de son discours. Alors s’il existe une justice dans le monde de la rentrée littéraire de ce mois de septembre, versus essais, un grand succès attend ce petit livre rouge brûlant. Sinon, je me promets de m'infliger, en pénitence, la lecture des derniers Finkielkraut, Bruckner et BHL...

     

    (*) Saber Mansouri, Tu deviendras un Français accompli, oracle, Tallandier, 120 pages, 9,90€. En librairie le premier septembre.

  • Le Baratin de Raquel et Pinuche

    Voici la version longue, avant coupes (il a fallu raccourcir grave et à la serpe aiguisée pour faire tenir 2 pages en 1, dans le numéro 2 de Grand Seigneur qui vient de paraître : lire notes précédentes). C'est l'une des vertus d'un blog que de donner à lire in extenso le partiel (voire le riquiqui parfois, ce qui n'est pas le cas ici).

    Restaurants / Paris

    Le BARATIN

    ON SE RISQUE SUR LE BIZARRE 

    images.jpegD’abord il y a le délicieux accent argentin de Raquel, qui dépasse en saveurs subtiles, fruitées, florales, tous les vins de vignerons que Pinuche propose à qui sait engager une conversation vraie sur le sang de la vigne et sur ceux qui en font un jus buvable à l’issue d’un processus obstiné, étiré avec patience plusieurs millénaires durant. Le Baratin date de 1987 ap. J.C. C’est déjà plus contemporain. Raquel glisse régulièrement une tête hors de sa cuisine afin de vérifier que tout roule. Philippe Pinoteau, dit Pinuche, comme dans San Antonio, parle vins avec un client accoudé au comptoir, son territoire. Raquel Carena, aux commandes du Baratin depuis décembre 1987, est arrivée de Cordoba, en Argentine sans savoir qu’elle allait se lancer dans la restauration et devenir un nom, mieux : un prénom dans le monde des bonnes adresses parisiennes. Philippe Pinoteau est arrivé dans le paysage du mythique bistrot de la rue Jouye-Rouve, Paris 20ème, en 1991 et s’y est installé aux côtés de Raquel en 2001. Pinuche, expert en vins « vivants » (il déteste l’adjectif naturel associé au vin), qu’il définit comme des vins avec des levures indigènes et aussi libres que possible de tout ajout, intrant chimique et autres sulfites en excès ou levures exogènes, qui en font des vins « morts ». Aussi humble que drôle, il se présente  comme « le chauffeur de madame avant tout, car elle n’a pas le permis ». Le Baratin fut un bistrot à vins de quartier où on cassait la graine à l’occasion, avec un peu de charcuterie et du fromage. C’est avec l’arrivée de Raquel qu’il est peu à peu devenu une table simple et de qualité, où l’on mange une excellente cuisine de bonne femme. Il est resté un vrai bistro dont l’authenticité ne se mesure pas à la patine d’un banc ou au tain d’une glace, mais à sa chaleur naturelle, à ce brouhaha nécessaire, à cette espèce de connivence amicale qui circule de table en table. Il y a deux salles, une grande ardoise, une peinture marine immense, un escalier qui conduit à la cave,  où s’ourdissent les complots tanniques et d’où Pinuche remonte des flacons choisis par lui, après avoir discuté un peu avec les clients qui veulent aller au-delà du tableau qui affiche une vingtaine de références, au verre et à la bouteille, comme La Sorga Le Désordre, le Saint-Chinian de Tortul, le Fleurie de Michel Guignier ou la Papesse de Gramenon, un côtes-du-Rhône de respect. Il n’y a jamais eu de carte des vins au Baratin. En revanche, on peut donc discuter à l’envi, sans baratiner. Le formidable menu à 16€, à déjeuner, annonce le talent de Raquel. Le 12 mai dernier, c’était un délicieux fromage de tête maison, un collier d’agneau aux épices douces qui avait confit depuis le matin, et un Saint-Nectaire idéalement parfumé. Détail agréable : le café est moulu devant vous avant que d’être passé au perco. Ici on « tchatche », on prend un verre de morgon de Foillard (la référence la plus servie au Baratin) avant de prendre une table, on refait le monde en général et celui des vins en particulier avec Pinuche bien sûr, et si le courant passe, il nous débouche des vins étranges, étrangers,  inattendus ; « on se risque sur le bizarre »…  Pinuche est ainsi : il joue avec la curiosité de ses clients. « C’est épidermique. Le vin est un produit trop complexe. J’aime comprendre ce que l’autre souhaite. Je me plante une fois sur deux, mais bon… Je suis à la fois prétentieux et paresseux ». Lorsque Raquel reprend l’adresse il y a des lustres maintenant, c’est un lieu à l’abandon. Tout à refaire. Avec son ami de l’époque, Olivier, elle propose un seul plat chaque jour. Et ça marche immédiatement. La clientèle du quartier en fait sa cantine et Raquel, qui n’avait jamais cuisiné auparavant, se prend au jeu.  « Je trouvais ça rigolo de donner à manger aux gens, alors que je ne me sentais absolument pas manuelle. Totalement autodidacte, j’ai quand même travaillé avec des chefs qui voulaient  cuisiner avec moi!». Puis, le bouche à oreille aidant, le Baratin fait boule de neige et décolle dès 1994-95, avec le soutien de copains et de copines comme Mercedès Guion, François Morel, qui ont ameuté Paris». Puis la presse de temps en temps, les guides, ont fait le reste. La cuisine de Raquel est un mélange de cuisine bourgeoise française et d’inspirations pan-méditerranéennes, terre et mer confondues. Elle aime travailler les poissons poêlés, les viandes marinées,  les « cocidos », les tripes, la joue et la queue de bœuf, le veau de qualité, les vraies volailles. Des chefs de renom comme Hermé, Rollinger, tous les grands chefs espagnols aussi, sont passés au Baratin, « du coup le monde de la gastronomie s’est vraiment intéressé à moi », dit Raquel encore étonnée. « Le Baratin, c’est indéfinissable. C’est chez moi. C’est un lieu. J’aime y nourrir les gens simplement, sans prétention gastro. Ca reste un bistro et c’est ça que j’aime avant tout, car n’ayant jamais pensé à devenir grand chef, je continue de faire et les courses et la plonge comme la cuisine ! » Simplicité et humilité sont les mots qui sautent à l’esprit lorsqu’on entre au Baratin. Des écrivains célèbres comme Jean Echenoz en ont fait leur adresse fétiche des années durant. L’austère Pascal Quignard a lui aussi élu le Baratin parmi ses repaires. Aujourd’hui, le Baratin selon Raquel, « c’est 23 ans passés dans 4 m2 de cuisine sans puits de lumière, 14 heures par jour et c’est du bonheur. Affreux, mais que du bonheur ! »

    © L.M.

    Le Baratin, 3 rue Jouye-Rouve, Paris XX.

  • Grand Seigneur n°2

    images.jpegIl est paru ce matin. C'est le trimestriel gourmand de Technikart, Grand Seigneur, le magazine qui ne se refuse rien (based-line du n°1) devenu le magazine food et lifestyle (celle du n°2). J'ai la joie (durera-t-elle, la joie?) d'y signer trois papiers, dont le premier volet d'une chronique bien placée (en dernière page), "La cuisine interdite", qui ouvre avec l'ortolan (lire ci-dessous). Les deux autres papiers traitent du resto Le Baratin (Paris 20) et du resto du Pic du Midi de Bigorre (2877 m d'alt.). 
    A lire, notamment (mais tout est à lire là-dedans, car dans le Grand Seigneur, tout est bon) : les papiers et dossiers consacrés à la cuisine des nonnes, à la passion pour les boulettes de feue Amy Winehouse, à la gauche truffée, aux apéros TV d'Aurélia, l'interview de Benjamin Bio(jo)lay et celui de Coffe, le duel Etchebest-Martin, les glaces, les fromages qui coulent, les vins en biodynamie, etc. En kiosque.

     

    La cuisine interdite, par Léon Mazzella

    Ortolans, le régime Dukan à l'envers

    Espèces protégées ou recettes de braconniers... Léon Mazzella, le Jim Harrison des Landes, nous raconte ici l'histoire secrète des cuisines interdites. Et si on commençait par l'ortolan, le grand shoot de Maïté, Juppé et Mitterrand?

    Il y a des clichés qui scotchent. Celui de Maïté, papesse de la bouffe gasconne gargantuesque des années 80,faisant une fellation au cul d’un ortolan, sur une vidéo qui circule sur YouTube, est délicieux. Une autre vidéo, où l’on voit Alain Juppé décrire  fugitivement la manière de déguster l’ortolan sous la serviette, ne dit pas que l’une des plus belles installations de chasse à l’ortolan se situait chez son père à Campagne, petit village Landais. Enfin, il y a une indécrottable anecdote selon laquelle François Mitterrand se serait gavé d’ortolans quelques jours avant sa mort, le 31 décembre 1995 chez lui à « Latché », dans le village Landais d’Azur. « L’affaire » fut rapportée dans un livre rédigé par un hâbleur, Georges-Marc Benamou. Car, renseignements pris auprès de bonnes sources (des amis présents aux côtés des Hanin, Lang, Bergé ou Emmanuelli, mais totalement inconnus du public : Jean et Yvette Munier), Tonton n’aurait pas eu la force de s’attabler ce soir-là, il goba une huître à peine et ne trouva pas l’envie de suçoter la minuscule cuisse d’un seul ortolan avant de quitter la salon. J’ai apporté moi-même ces précisions dans un courrier adressé au « Monde » daté 26-27 janvier 1997, car il fallait tenter de calmer un jeu grotesque. Reste que l’ortolan fait débat. Forcément, il est rare, cher, mythique et propice au fantasme.

    Tué à l'Armagnac

    Il fut longtemps interdit de le chasser aux matoles, ces cages-pièges qui le prennent vivant, entre la mi-août et la fin septembre, sauf si l’on était agriculteur Landais et que l’on respectait un cahier des charges kafkaïen. C’était la résultante d’une tolérance, autrement dit d’un presque vide juridique, jusqu’en 1999. Désormais, la capture de l’ortolan est totalement interdite. Piégé, l’ortolan est néanmoins (encore) engraissé jour et nuit et, ce bruant particulier (emberiza hortulana), le seul de la famille qui soit capable de tripler son poids en deux à trois semaines –c’est le régime Dukan à l’envers-, devenu gras comme un moine, achève sa vie tête la première dans un verre d’armagnac, où il est plongé, qu’il aspire et dont il inonde ses chairs. Ce qui ne gâche rien, honore l’oiseau et son bourreau. Plumé, non vidé, placé dans une cassolette à sa taille –comme un cercueil de luxe-, il est servi aux convives tandis qu’il « chante » encore tant il grésille. La serviette sur la tête, afin de ne pas laisser échapper son fumet et de masquer la grimace du dégustateur qui se brûle et se huile les babines, il est lentement dégusté avec les doigts jusqu’au bec. Tout le reste se mange, possède le goût de la noisette, du foie gras… et de l’ortolan. Et surtout, surtout, de l’interdit. Un goût indéfinissable. Autrement, ça se saurait et serait décrit ici.

    300€ par tête

    Sa commercialisation étant interdite, son prix unitaire atteint des sommets depuis quelques années. L’essentiel étant de ne pas se faire « choper », confient certains chasseurs et certains restaurateurs. Quant aux heureux consommateurs, ils figurent sur des listes d’attente, rareté des installations clandestines oblige (l’œil d’Allain Bougrain-Dubourg et des caméras de télé qui l’escortent veillent au grain, de surcroît !), et sont prêts à payer chaque oiseau une fortune. Sans parler des palais curieux, comme ceux des gastronomes japonais no limit, capables de casser la tire-lire et de supplier de grands chefs étoilés d’activer leur réseau et de leur en servir en catimini. 200, 300€ et plus l’oiseau ne leur font pas peur, mais calme la plupart des appétits. Il existe une Confrérie de l’Ortolan, à Tartas, dans les Landes. Y sont intronisés des gens de partout, puisque j’ai eu droit à cet honneur le 30 novembre 1996, aux côtés de Me Vergès, d’Alain Juppé et du cavalier olympique Jean Teulère. Les matoles réunies prenaient encore 20 à 50 000 oiseaux à ce moment-là. Invérifiable. Sur un total de un à douze millions de couples nicheurs en Europe. Difficile de savoir. Dans le doute, abstiens-toi. A ce prix-là, ce n’est pas difficile. 

    LM

    Merci à Pascal Quantin (de Tartas) de m'avoir prêté la photo qui illustre l'article, et où l'on voit 14 convives, serviette sur la tête, déguster leur ortolan à la façon d'un réu. du Ku Klux Klan.

     

     

     

  • Rentrée littéraire

    Ca commence à arriver. J'ai d'ailleurs entamé le très drôle (un style mi-Céline, mi-Boudard) "Les lumières du ciel" d'Olivier Maulin (Balland) qui confirme son talent proétiforme. Tout le ramdam autour de "Freedom", le nouveau Jonathan Franzen, m'a donné envie de lire (enfin) "Les corrections" (les deux sont à L'Olivier). Je n'ai pas encore eu le temps de lire le dernier Aharon Appelfeld ("Le garçon qui voulait dormir", L'Olivier), ni le nouveau Nicole Krauss ("La grande maison", L'Olivier encore, décidément!) parce que je suis en train d'achever "L'histoire de l'amour", que déboulent ou vont débouler en rafales serrées et nourries, les nouveaux Marie Darrieussecq (la Princesse de "Clèves" au Pays basque, il paraît : à voir de près, POL), Emmanuel Carrère sur l'écrivain "Limonov" (POL), Eric Laurrent (auteur Minuit, ça résume et ça classe), David Foenkinos (le Franzen français de la presse ces jours-ci : "aura-t-il enfin un grand prix cet automne, et nian nian nian...) avec "Les souvenirs" (Gallimard), les lectures favorites de Frédéric Beigbeder, les annuels Amélie Nothomb, Eric-Emmanuel Schmitt, Douglas Kennedy, Jean d'Ormesson, mais on s'en fout, et puis des trucs épars : les Michel Quint, Charles Dantzig (avec un roman ce coup-ci), Eric Reinhardt, Véronique Ovaldé, Laurence Cossé, Patrick Grainville, Yasmina Khadra, Lydie Salvayre, un Jean Rolin au titre durassien : "Le ravissement de Britney Spears" (POL), un Delphine de Vigan au titre bashungien : "Rien ne s'oppose à la nuit" (Lattès), un nouveau roman de Xabi Molia, et des étrangers de taille : le retour d'Arturo Perez-Reverte, de Haruki Murakami, de Philip Roth et de Mario Vargas Llosa, ainsi que les seconds livres (donc attendus au virage) de Sofi Oksanen (après "Purge"...) et David Vann (après "Sukkwan Island"...) et surtout "Du domaine des Murmures", second roman de Carole Martinez, qui fit tant sensation avec "Le coeur cousu" (Gallimard). Au rayon des premiers romans qui vont dépoter, citons (par oui-dire) "L'Art français de la guerre", d'Alexis Jenni (Gallimard), et "Du temps qu'on existait", de Marien Defalvard (Grasset), un gamin de 19 ans. Nous piocherons tranquillement et sans précipitation là-dedans. Sans nous sentir obligé. A suivre.

  • Plaine perdue

    "Vouloir écrire l’amour, c’est affronter le gâchis du langage : cette région d’affolement où le langage est à la fois trop et trop peu, excessif (par l’expansion illimitée du moi, par la submersion émotive) et pauvre (par les codes sur quoi l’amour le rabat et l’aplatit)." Roland Barthes

    C'est pourtant le passe-temps préféré de la plupart des écrivains; poètes et romanciers...

  • IbaïOna

    IMG_2315.jpgPaisible échappée à Bayonne, ses abords et ses atours, ses Adours, mes amours, alentour et dedans. Flâner, saluer, chipironer, trinquer, déguster la lumière de l'aube sur la Nive, et celle du couchant sur la dune d'Ilbarritz -comme on prend un pintxo de jamon et una copita de navarra. Lire à peine, car ici le regard se lève de la page pour contempler devant et autour. La beauté empêche. Et je pêche la beauté à la ligne d'horizon de mes désirs, au-delà du fleuve et sous les arbres. Ici, on envisage, on ne dévisage pas. Je prends place dans ma querencia atlantique à la manière d'un chien qui gratte et tourne en rond avant de s'affaler comme un sac de farine épaulé-jeté. Car Paris au mois d'août me va comme un polo moulant à col roulé en rilsan® à même la peau : ça me gratte.

  • A votre épaule dormira un essaim amoureux

    Les amants invisibles s'expatrient chaque soir,

    ils exilent leurs forces, l'eau ferme leurs yeux :

    pourquoi l'ombre est-elle véhémente sur leur som-

    meil?

      L'un dit que le chemin orné de sa douceur mène

    à la douceur de celle qu'il enchante.

      L'une découvre dans l'altitude de son ventre des 

    fleurs humides.

      Les amants invisibles sont un cratère heureux. 

    Jean-Pierre Siméon, Ouvrant, le pas, Cheyne éditeur.

     

    images (1).jpegAu début, je trouvais que ce poète avait trop lu René Char au point d'en avoir la langue imprégnée, prisonnière même, à l'instar d'une Peau d'Âne. Il est vrai que Char est un poète si inspirant, qu'il aveugle nombre de ceux qui le pastichent, font du, sans le vouloir, veux-je penser. Mais voici un poème personnel, puis un autre -le recueil en comprend beaucoup, qui me permettent de reprendre la poésie de Siméon avec sérénité. Soit en oubliant ce qui ressemble à des emprunts (faits à une morale, une diction, un ton sentencieux, un vocabulaire minéral si identifiable -pour qui a commerce avec la langue originale), que nous détectons vite, sinon nous perdrions goût. Et pied.

    En voici un autre, pour la route (les césures des deux poèmes, bien qu'étranges par endroits, sont celles du livre) :

     

    La terre un jour si tendre ouvre sa peau de

    pêche sous nos lèvres.

      Un oeil léger mesure le poids des branches.

    L'été mûrit.

      Ce chemin de cendre qu'un pas disperse, il est

    lié de roses. Le dormeur met les bras sur son front,

    cerne la plénitude de son sommeil.

      Il risque un voyage au centre de ses yeux,

    étreint son ivresse.

      Nous sommes comme lui dans la splendeur du

    buisson, une feuille fermée, prête au feu.


    Nota : le titre de cette note est emprunté à J.-P.Siméon.

    Je salue au passage le travail d'exigence de Manier-Mellinette, Cheyne éditeur au Chambon-sur-Lignon (43), et dont j'observe le travail depuis les premiers livres, qu'ils publièrent en 1980, et que j'ai toujours, là, pas loin.

     

  • Rosé : Le prestige de la presqu'île

    Ce papier, intitulé initialement : Du rosé « piscine » en mathusalem, est paru dans L'EXPRESS du 27 juillet.

    Le nom de Saint-Tropez suffit à faire vendre les vins rosés qui s'en prévalent. Les investisseurs s’affolent et les vignerons regorgent d’idées.

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    images (1).jpegLa Presqu’île rend fous les investisseurs avides de posséder un vignoble estampillé Saint-Tropez. Le groupe Bolloré a repris les domaines de La Croix et de la Bastide blanche, sur la commune de La Croix Valmer, 90 ha de vignes qui donnent un rosé classieux. Ce n’est pas le cas de tous les domaines, dont le point commun positif est de jouer volontiers la carte de l’agriculture raisonnée. À La Croix, on n’a pas lésiné sur les moyens pour remettre le vignoble en état et, surtout, confier à un architecte local de renom, François Vieillecroze, le soin d’imaginer et de réaliser un chai spectaculaire et futuriste. À Gassin, le célèbre Minuty, de réputation internationale, démontre que grande production peut rimer avec qualité. L’un de ses voisins, le domaine de La Rouillère, 40 ha plantés sur 120, appartient à un industriel de Lille, Bertrand Letartre, leader européen des produits d’hygiène et de désinfection en milieu hospitalier. « J’ai eu le coup de foudre il y a une dizaine d’années lorsque je cherchais à reprendre un domaine. J’ai racheté pour 4 millions d’euros une propriété un peu délaissée. 8 millions ont été injectés pour les travaux. Il y a eu notamment le rachat de terres à la famille de Robert Boulin. Une parcelle se nomme d’ailleurs Ministre », dit Bertrand Letartre. « Je tiens à rester propriétaire-récoltant, et il me fallait d’emblée être (re)connu dans mon village. » Comme le village se nomme St-Tropez, le travail sur le mouchoir de poche magique –du Vieux Port à Pampelonne- est capital. Il permet aux décideurs du monde entier de retenir le nom de sa remarquable cuvée Grande Réserve, un vin rosé (comme 70 à 80% des vins de la Presqu’île), qu’ils consomment plus volontiers en magnums, en jéroboams ou en mathusalems qu’en simples bouteilles de 75 cl –toujours ce goût de la démesure propre à St-Tropez. « L’image de nos vins circule, de Courchevel d’abord, où sont les commerçants tropéziens en hiver, à New York et à St-Barth’, soit là où la jet-set se déplace ». Les rosés estampillés St-Tropez font un malheur dans les lieux branchés de la planète. Leur prix sont en conséquence surestimés. Le chai de La Rouillère, archi design, à la propreté clinique qui frise l’obsession, est signé lui aussi de l’architecte en vogue Vieillecroze. « Oui, mais il a fait le notre avant celui de Bolloré », précise Bertrand Letartre. Au domaine Bertaud-Belieu, propriété d’un haut-dignitaire kazakh, on joue également la carte de la qualité. Cela n’empêche pas Jean-Christophe Sibelya, le gérant, de créer des événements. « Nous sortons des cuvées limitées ornées d’une sculpture métallique en guise d’étiquette, signée Michel Audiard, dont le prix peut atteindre 8000€ pour une paire de mathusalems livrés dans une mallette en cuir. Nous finançons l’opération  « Puits du désert », qui permet le creusement de nombreux puits au Niger. Ou bien nous ouvrons un bar dans un hydravion Catalina, époque Latécoère, chaque soir sur une plage de St-Trop’. » Grégoire Chaix, lui, avec 35 ha de vignes éparses dans les environs, produit Tropez, du prénom sésame de son grand-père, un vin archi marketté avec ses séries limitées à 6000 cols au look ravageur très night-club : Black Tropez, White Tropez. « J’ai créé aussi un cocktail à base de vin rosé et d’arôme de pêche, qui cartonne : on a déjà vendu 1,5 million de bouteilles! Il titre, au choix, 6,5° ou 0°, on le trouve partout, surtout chez moi, au Bar du Port », lequel n’a rien d’un wine-bar classique. De toute manière, ici, les vignerons eux-mêmes boivent le rosé en « piscine », soit dans un grand verre qui tient du vase rempli de glaçons. Parlez-moi de vin…  L.M.

     

  • Cette île m'inonde

    IMG_5220.JPG
    Procida me rassemble. Eloigne de moi les tourments. Ma confusion des sentiments se délie, s'épanouit ici comme une feuille de thé plongée dans l'eau ébouillantée. Chaque chose reprend place, chacun observe l'autre en amitié. Ici je découle. Deviens thon, nage en eaux claires. Je mûris comme un citron sous un soleil bruto. J'oublie le manque. Je me nourris d'ombre profonde, et de silence, de chaleur, de poisson crus.

    Photo prise le 27 juillet dernier : relève matinale du filet de mon ami Cesare Piro (à gauche, boina blanche), contre Punta Pizzaco et avec Terra Murata juchée sur Punta dei Monaci au fond, en compagnie de sa mère Maria, seule femme pêcheur professionnelle de l'île, et, à la rame, de ma fille Marine (debout en bleu pâle).

  • St-Trop, le premier papier

    EXPRESS 27 juillet 2011_Page_1 (1).jpgRetour de Procida... 

    Au courrier, je trouve L'Express et le dossier que j'ai écrit dans l'édition datée du 27 juillet au 2 août. Il comprend 12 papiers, avec ses encadrés et ses manchettes. Voici celui qui ouvre l'ensemble :


    De BB à Abramovitch

    LOIN DU BLING-BLING

    Les traces des années B.B. sont dans les mémoires. Elles ont sculpté un Saint-Tropez inaltérable, aujourd’hui davantage tourné vers une certaine conception de la dolce vita.

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    IMG_5036.JPG« Et tard dans la nuit de cet été 1965, Margot ouvrit la porte de l’hôtel familial de La Ponche à Gunther Sachs et à Brigitte Bardot. Ils voulaient une chambre, urgemment : Ma petite Brigitte… Et monsieur Gunther, mais quelle surprise !, s’exclama Margot. Ce fut leur première nuit d’amour ». Simone Duckstein, veuve du peintre Jacques Cordier dont les peintures ornent tous les murs de l’hôtel de La Ponche et directrice historique du lieu, se souvient. Brigitte était déjà une habituée, qui disait de cet hôtel mythique qu’elle y était comme chez elle à La Madrague, « avec la même bande d’amis rigolos ». À deux pas du Port, l’hôtel le plus intime de Saint-Tropez, devant une plage enrochée de poche, la ravissante Grange Batelière et la côte de Sainte-Maxime au loin, a longtemps été l’annexe de Saint-Germain-des-Près. BB y passa des semaines entières, comme Françoise Sagan et la bande de son ami Jacques Chazot, ou avec ses maris successifs Guy Schoeller, Bob Westhoff, Bernard Frank. Les Trintignant, Romy Schneider, Maurice Ronet, Daniel Gélin, Juliette Gréco, Michèle Morgan (toutes deux vivent à quelques encablures), tout le monde est passé par ici, même Jack Nicholson il y a peu. Y compris, lorsque Simone était enfant, les Eluard, Picasso, Mouloudji, Pierre Brasseur, le peintre Dunoyer de Segonzac, enterré au splendide Cimetière marin, tout proche, non loin d’Eddie Barclay dont la tombe est ornée de disques en vinyle démesurés... Les Buffet, par exemple : Annabel a rencontré Bernard à La Ponche en 1958 ! Le petit hôtel semble ainsi être (à son corps défendant, mais pas longtemps), le méridien de Greenwich des amours naissantes et des réconciliations tardives : Simone Duckstein se flatte d’avoir entendue Catherine Deneuve lui dire, un jour de 2004 tandis qu’elle tournait Princesse Marie, de Benoît Jacquot, « c’est vous qui m’avez réconciliée avec Saint-Tropez. » Les larmes lui montent aux yeux à cette évocation. Si Maupassant parle de Saint-Tropez dans ses chroniques données au Gil Blas en 1884, si Colette séjourne fréquemment dans sa maison de la baie des Caroubiers, La Treille Muscate, acquise en 1925 et où elle écrivit plusieurs de ses livres, c’est à La Ponche que Claude Lanzmann situe un séjour avec Sartre et Beauvoir dans Le lièvre de Patagonie. Sagan ouvre un chapitre de Avec mon meilleurIMG_5032.JPG souvenir par ces mots : « Nous sommes à la mi-juin... Je suis assise sur la terrasse de l'hôtel de La Ponche, à Saint-Tropez, à six heures du soir, au seuil de l'été… Les deux pieds sur une chaise ». C’est La Ponche que Bardot désignait à ses amants comme l’endroit le plus romantique du monde… Jacques Laurent –ami intime de Simone, Michèle Perrein qui fut son épouse, Michel Mohrt, Sagan bien sûr, y ont souvent écrit, et nombre d’acteurs s’y sont reposés entre deux journées de tournage. Ce, depuis 1942, pour Le Soleil a toujours raison, avec Tino Rossi, jusqu’aux nombreux tournages des années 70 et 80, en passant par 1955 qui voit un Vadim  impuissant à lutter, l’œil rivé à sa caméra, contre un Trintignant amoureux de sa jeune épouse déjà sacrée « plus belle femme du monde », et la série des Gendarmes ou encore L’année des méduses, et La piscine… Cette maison d’artistes 4 étoiles est un bijou tenu par une élégante délicate et cultivée qui semble ignorer l’autre, les autres Saint-Tropez, lesquels ne la gênent nullement. « À chacun son Saint-Tropez, et tout le monde est heureux ainsi ! », dit Simone, en citant son amie Françoise Sagan. Chacune de ces stars a donné son nom  aux 18 chambres, y compris Georges Pompidou et Kenzo, fidèles de l’hôtel. Non loin, des yachts cathédrales immaculés pressent leur cul contre un quai envahi de badauds et de faux bling-bling facilement reconnaissables. Les terrasses de Sénequier, du Gorille, de l’Escale, du Quai, du Café de Paris et autres font leurs choux gras en quatre mois avec ceux qui passent et débarquent. Mais ce strass est circonscrit. Il a moins les dimensions d’un mouchoir de poche que celles d’un string, dont les mensurations auraient pour élastiques les quais, la Citadelle, la paisible place de l’Ormeau, la Place des Lices les jours de marché (mardi, samedi) et ses boulistes de l’après-midi, lesquels songent à Henri Salvador et à Lino Ventura, et enfin la Tour du Portalet qui ouvre sur le modeste sentier du littoral –qu’il faut emprunter. Oui, le carré des milliardaires, des oligarques, des m’as-tu photographié, est ridiculement minuscule et préserve, on ne sait par quelle magie, le village dans son ensemble. Le pouvoir d’achat de ce maillot de biens est certes considérable, mais le Tropézien, qui a la tête réellement froide, ne s’en laisse IMG_2257.jpgjamais compter. Il a oublié que Mick Jagger s’est marié ici avec Bianca en 1971, il se souvient en revanche qu’il a une autre affaire à faire tourner à Courchevel, en relais de celle-ci sur le port, en deçà ou sur une plage de Pampelonne. Car aujourd’hui, il convient de suivre le VIP à la trace, dans les sillages uniformément blancs comme la fameuse Soirée –et de son yacht et de son avion privé. Le nouveau visage de St-Trop’ est davantage cosmopolite, plus exigeant, plus arrogant aussi. Les maîtres du monde, s’ils possèdent encore, parfois, le tact et l’intelligence effacée, exposent plus fréquemment des attitudes d’enfants gâtés qui veulent tout tout de suite. « Le risque est qu’ils fichent le camp ailleurs, puisque les côtes de la planète leur sont ouvertes », dit Kaled, inquiet militant de l’avenir des plages de Ramatuelle. En attendant les suites d’un éternel imbroglio (voir plus loin), Abramovitch, Paris Hilton, tel Emir, tel rock-star ou king du basket, tel président d’un fonds de pension américain aussi influent qu’un Bill IMG_2248.jpgGates, mais transparent avec son tee-shirt imprimé et ses Havaïanas aux pieds, et dans une moindre mesure un Jean-Michel Jarre ou un Alexandre Jardin croisés ce 5 juillet au fil des quais et aux bras de leur dulcinée, fabriquent le Saint-Tropez d’aujourd’hui. Celui-ci tient du zoo, lorsqu’on se trouve devant ces yachts dont on ne sait pas qui sont les singes : ceux qui les occupent, là-haut, ou bien les humbles qui,IMG_2252.jpg menton dressé et appareil photo prêt à tirer, guettent leurs occupants et se photographient devant des pavillons de complaisance évoquant les îles lointaines ? Il relève de la réserve d’Indiens : les Bateaux Verts proposent pour 9€ une balade en navette à la découverte des « villas de célébrités ». St-Trop’ tient encore du hameau charmant, lorsque l’on emprunte, depuis les quais et jusqu’à la Place des Lices, cette ravissante ruelle Etienne Berny chargée du parfum des figuiers qui dégringolent, et où deux piétons ne peuvent se croiser. Le village magique tient de l’inaltérable enfin, lorsque, devant soi, au cœur de la nuit, à l’heure où l’on quitte hagard les Caves du Roy, un nanti indien proche de la famille Mital (propriétaire dans les environs), évoquant en Anglais son dîner au Polo Club (la cuisine, italienne, y est remarquable), achète, pour se refaire, un panini à 5,40€, ni vu ni reconnu. Record absolu.  

    L.M.

    PS : L'Express a signé à tort mon dossier du nom de Léon Mazzella di Borgo, or je m'appelle di Bosco. Pfff...

    Photos (©LM) : vue du village depuis les abords du cimetière marin, des gosses qui plongent dans la crique de La Ponche depuis la Grange batelière, Tony Parker au VIP, la lampe Kalachnikov dorée qui trône sur le bureau de Grégoire Chaix (vigneron), le seau de mon rosé au Club 55.

     

  • Les folies de Saint-Tropez

    C'est le titre du dossier de 12 pages que je signe dans L'Express paru mercredi dernier. Pas encore vu. Ici (sur l'île de Procida depuis le 15), on ne trouve pas grand chose et c'est tant mieux. Tout peut attendre. A Procida, je me réconcilie avec la vie lorsque celle-ci glisse entre les yeux. Cette île irradie en moi. Elle m'inonde de benessere, je m'y inscris comme un fleuve finit en mer. 

  • L'Express spécial Pau

    images.jpegDans L'Express de cette semaine, je publie trois papiers sur le thème des grandes familles paloises : la saga des Biraben (foies gras éponymes et chevaux de course), des Escudé (sportifs de haut niveau : foot et tennis) et celle des Loustalan (presse quotidienne régionale). Il se trouve qu'en 1984, j'ai travaillé à Pau à Pyrénées Presse (La République des Pyrénées et L'Eclair des Pyrénées). Voici pourquoi je choisis de coller ci-dessous le papier qui évoque les Loustalan. Nota : ce dossier est uniquement diffusé en Béarn.

    L'engagement au quotidien

    Albert, Henri, François, Bruno. Quatre Loustalan, trois générations de patrons de presse, un titre emblématique : L’Eclair, et un fil d’Ariane : porter un vrai courant de pensée en faisant d’un quotidien beaucoup plus qu’un journal.

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    En 1898, deux quotidiens palois, l’un royaliste et ultra catho, Le Mémorial, l’autre anticlérical, L’Indépendant,  poussent l’abbé Pon à quitter le Grand Séminaire et Albert Loustalan à quitter à 28 ans un poste confortable de banquier, pour fonder Le Patriote, journal d’informations démocrate chrétien, afin de créer un juste milieu dans un paysage béarnais qui compte encore aujourd’hui trois quotidiens (*). Le grand père Albert contribue rapidement à la prospérité financière du titre, qui affichait 25 000 exemplaires vendus chaque jour à la veille de la Seconde guerre mondiale. Modéré, Le Patriote comprend une majorité de laïcs dans son capital, et sa rédaction, d’obédience catholique, ne donne pas dans l’obscurantisme. La lutte est âpre et les lecteurs fidèles à chacun de ces titres. « Pau a toujours été une ville où l’on débat sur la place publique, au café comme au Zénith, lance François, petit-fils d’Albert, aujourd’hui âgé de 62 ans. » Quand Le Mémorial cesse de paraître en 1911, puis que L’Indépendant est happé par La Petite Gironde, ancêtre de Sud-Ouest, Le Patriote poursuit son aventure. Mais pendant l’Occupation –le grand-père Albert a disparu en 1936, le journal accepte la censure et la propagande, et voit un rédacteur en chef collabo continuer de noircir le journal… À la Libération, les « Rad-Soc » prennent le pouvoir et traînent Le Patriote en justice. Acquitté, il est déjà trop tard pour qu’il reparaisse, fut-ce nimbé d’une nouvelle virginité : La République des Pyrénées vient de naître, qui rafle un lectorat affamé de presse. Henri Loustalan, qui a appris le métier aux côtés de son père Albert, est un jeune docteur en Droit auteur d’une thèse sur le droit de la publicité dans la presse. Avec sa bande de potes : l’équipe des Chrétiens Sociaux de la Résistance, qui comptent à leur tête Louis Bidau, syndicaliste agricole qui sera à l’origine de la culture intensive du maïs et de la création de l’actuel consortium Euralys, ainsi que Mgr Annat, ils fondent L’Eclair des Pyrénées en octobre 1944. La ligne éditoriale du Patriote des belles années se retrouve : L’Eclair ne sera jamais un suppôt du clergé, mais il défendra des convictions, « un vrai courant de pensée » comme se plaisent à le souligner François et son frère cadet Bruno. L’Eclair étend rapidement son aire de diffusion aux « trois B » : Béarn, Basque, Bigorre et son lectorat demeure aujourd’hui encore rural et démocrate chrétien, tandis que La République est davantage située à gauche, et Sud-Ouest… au milieu sans être au Centre. Henri, qui a 35 ans à la création de L’Eclair dirige le quotidien (de directeur administratif, il deviendra vite PDG), et s’accroche, même s’il vend trois fois moins que « La Rép. » (7000 ex. contre environ 25000ex.). La Dépêche du Midi en Bigorre et La République en Béarn sont des concurrents sérieux du petit Eclair. Quant à Sud-Ouest, il est présent dans les « 3B » et au-delà. Le grand virage s’effectue au début des années 70, lorsque Henri se rapproche du groupe Sud-Ouest. L’empathie est immédiate avec le PDG Jean-François Lemoîne, qui soutient L’Eclair et garantit sa ligne éditoriale. Plus tard, Sud-Ouest rachètera La République pour ne pas la laisser au « papivore » Hersant ou, pire, à La Dépêche de la famille Baylet, et le Groupement d’Intérêt Economique Pyrénées Presse, qui englobe La République et L’Eclair, voit le jour en 1976. Ca se complique… On partage l’imprimerie, la régie publicitaire, deux journaux en guerre depuis toujours sont forcés de devenir des frères ennemis, les locaux sont communs, mais « au plomb », les ouvriers du Livre dressent des panneaux de séparation entre les tables de montage. François, ingénieur en électronique ayant déjà bourlingué, est appelé en 1984 par son père pour diriger le journal à ses côtés. Il en deviendra PDG, directeur de la publication par la suite (Henri meurt en 1998). Fidèle à la philosophie Loustalan, Henri et François développent les manifestations autour du journal, avec le Club des Amis de L’Eclair, l’Université de la Citoyenneté, le magazine Pyrène… Le jeune Bruno se destine à l’audiovisuel. Or, il effectue en 1978 un stage de 2 mois à L’Eclair, à la demande de son père, renonce à Sud Radio. Le « stage » durera 18 ans. Sa carrière se poursuivra jusqu’en 2009 au sein du groupe Sud-Ouest, à la direction du magazine Surf Session. C’est à la mort de J.F. Lemoîne en 2001 que les difficultés deviennent insurmontables : La République et L’Eclair sont désormais bonnet blanc et blanc bonnet avec une rédaction en chef commune. « Inconcevable! ». Bruno a déjà quitté le navire. François le fera en 2004. Aujourd’hui, les Loustalan brothers ont créé Valeurs du Sud qui édite un hebdo gratuit de 24 pages, L’Hebdo+, dont les caractéristiques sont d’être positif, « on ne parle jamais de ce qui fâche », d’être nourri d’infos qui remontent de la société civile et d’être alimenté  par un flux constant sur le Web. L’esprit citoyen, la circulation d’un courant de pensée désormais affranchi de connotations religieuses, se retrouvent « dans un média qui fait avancer le territoire, dans un contexte où la pluralité et la complémentarité, disparaissaient de la société française et renaissent sur la Toile », précise François. Et le fil d’Ariane est à nouveau tendu comme le zig-zag d’un éclair puisque, après les lancements de L’Hebdo+ Béarn et de L’Hebdo+ Pays Basque, L’Hebdo+ Bigorre a vu le jour en juin 2011. Revoilà  « les 3B » ! 

    Léon MAZZELLA

    (*) Sud-Ouest, La République des Pyrénées et L’Eclair des Pyrénées, propriétés du Groupe Sud-Ouest.

  • L'appel de Séville

    9782846263214.gifA l'heure où l'encierro de las San Fermines bat son plein à Pampelune (ah, le bon temps où je courais devant les toros à 7 heures du matin dans cette calle Estafeta...), voici un écho taurin remarquable :

    Prof de philo à Normale Sup, Francis Wolff est l’auteur notamment de Philosophie de la corrida (Fayard, repris au Livre de Poche), chroniqué ici à sa parution, un ouvrage fondamental sur le sujet. C'est ce livre qui a sans doute valu -honneur insigne pour un Français- à son auteur d’être invité à prononcer le pregon, ou discours inaugural de la feria de Seville 2010 (le 4 avril). Voici un extrait de ce discours déjà historique, intitulé L'Appel de Séville, et sous-titré Discours de philosophie taurine à l'usage de tous, que l’exigente aficion andalouse acclama :

    « La corrida est moins qu’un art parce qu’elle semble échouer à produire une vraie représentation, vouée qu’elle est à la présentation du vrai : un vrai danger, une blessure béante, la mort. Mais, pour la même raison, la corrida est plus qu’un art : c’est la culture humaine même. Ce n’est pas, comme l’opéra, un art total, c’est une culture totale, parce qu’en elle fusionnent toutes les autres pratiques culturelles. De fait, la corrida n’est ni un sport, ni un jeu, ni un sacrifice, elle est plus qu’un spectacle et elle n’est pas exactement un art ni vraiment un rite. Comme l’opéra, elle emprunte quelque chose à toutes les autres formes de la culture pour en faire un tout original et sublime. Elle fait de la surface des autres pratiques humaines sa propre profondeur. Au sport, elle emprunte la mise en scène du corps et le sens de l’exploit physique, mais non les scores et les records. Comme la domestication, fondement de la civilisation, elle humanise l’animal, mais elle le laisse libre. Comme dans un combat, on cherche à dominer l’adversaire, mais toujours le même doit y vaincre, c’est l’homme. Aux cultes, elle prend l’obsession des signes, mais il n’y a ni dieux ni transcendance. Au jeu, elle emprunte la gratuité et la feinte, mais les protagonistes n’y jouent pas, si ce n’est leur vie. Elle rend la tragédie réelle, parce qu’on y meurt tout de bon, mais elle rend la lutte à mort théâtrale parce qu’on y joue la vie et la mort déguisé en habit de lumière. D’un jeu, elle fait un art parce qu’elle n’a d’autre finalité que son acte ; d’un art, elle fait un jeu parce qu’elle rend sa part au hasard. Spectacle de la fatalité et de l’incertitude, où tout est imprévisible — comme dans une compétition sportive — et l’issue connue d’avance — comme dans un rite sacrificiel.. La tauromachie est moins qu’un art parce qu’elle est vraie, et au-dessus de tout autre art, aussi parce qu’elle est vraie. Le toreo, art de l’instant qui dure, ne parvient jamais à l'immuabilité des œuvres des « vrais » arts et à la pureté des créations imaginaires, parce que ses œuvres sont réelles et donc vulnérables, parce qu’elles sont entachées de l’impureté de la réalité : la blessure du corps, le sang, la mort. »

     

     

  • Une nuit au Pic


    IMG_4973.JPGJ'ai passé la nuit dernière au Pic du Midi de Bigorre, 2877 m. Au sommet, dans
    un silence infiniment pur, dans une chambre spartiate d'astronome qui tenait de la cellule monacale et de la
    cabine de marin. Auparavant, j'ai observé l'anneau de Saturne au télescope, puis un orage lointain qui zébrait les montagnes, en tirant surIMG_4931.JPG un havane et en buvant un verre de Montus 2007, vers minuit. Je m'y trouvais pour fêter les dix ans de l'ouverture du Pic au public (gros raout gastronomique, j'y reviendrai). Là, c'est juste une impression à chaud -il faisait d'ailleurs frais là-haut, le jour était donc bien choisi... S'y lever avant l'aube, ce matin, pour voir le soleil apparaître fut un bonheur ineffable. J'y reviendrai aussi. Ainsi qu'au Pic. Un livre m'accompagnait, que je relisais avec l'impression de ne l'avoir jamais lu : L'insoutenable légèreté de l'être, de Kundera. J'eus le sentiment que Tomas, Tereza, Sabina, les personnages du roman, étaient avec moi là-haut. Cela procède 
    aussi sans doute de la magie de l'altitude.

     

  • Risotto presto

    Tu huiles (d'olive bien sûr, banane!) un peu ta grande poêle, celle qui n'accroche pas encore, jettes un gros oignon bien haché, que tu laisses blanchir 5 minutes, puis tu mets le riz arborio (un verre Duralex pour 2-3 personnes), ça devient transparent tout doux, alors tu mets à bouillir 2 verres d'eau avec un bouillon Kub, tu jettes un verre de vin blanc sur le riz, tu laisses absorber, puis t'ajoutes le bouillon, mais doucement, en deux ou trois fois, tu re laisses absorber parce que le riz boit et ce n'est pas une contrepèterie ni une histoire de lait. T'arrêtes jamais de touiller avec la cuiller en bois, jamais t'entends? (la cuisine, c'est rester devant, toujours, et presque rien d'autre). Après tu baisses le feu, tu laisses le truc se faire, sans jamais cesser de remuer. Tu as le temps de réfléchir à quoi tu vas le faire, ce risotto. Pétoncles et crevettes, c'est pas mal, d'autant que Picard propose des sachets déjà bien gaulés, avec des tomates séchées et des herbes diverses, romarin, citronnelle, tout ça. Tu ajouteras des trucs à toi : Soja Kikkoman -une pitchounette giclée, piment d'Espelette (mets-y bien de la poudre, là, voilà), d'autres herbes (ciboulette, estragon), une grosse noix de beurre salé sous le riz pour finir (avant le sel de Guérande et le poivre) et un peu de parmesan pour napper à peine-à peine au moment de dresser. Et oilà oune risotto simple, vite fait, qui plaît (on me dit : mmmm, il est bon ton risotto! et je réponds chaque fois : c'est con à faire!). Là-dessus, plutôt qu'un blancimages (1).jpeg (banal), va sur un rouge léger : le jus de raisin fermenté bio de Thierry Germain : Domaine des Roches Neuves, en 2010. C'est un saumur-champigny qui se croque, il est frais comme une place de village genre Uzès sous les platanes à l'heure de la belote, et gourmand comme les draps un rien rêches et raides à l'heure de la sieste d'un juin forcément érotique.

      

    IMG_4918.JPGPour finir, au salon en écoutant de la viole de gambe, un limoncello della casa mazzella di bosco, ça te dit?..

    (J'imagine la jouissance du vigneron lorsque je réalise si modestement mon limoncello. Celui que je viens de faire a été élaboré le 9 avril 2011 à partir de 20 gros citrons difformes rapportés de l’île de Procida, n’ayant subi aucun traitement et qui ont été cueillis sur place les 29 et 30 mars. La macération a duré deux mois à l’ombre et au frais dans ma petite cuisine. Il est composé des zestes des citrons, de 3 litres d’alcool à 90°, d’1,5 kg de sucre et de 3,5 litres d’eau pure (bouillie). La mise en bouteille a été effectuée le 15 juin 2011 sans entonnoir mais j'ai presque rien mis à côté! Il doit titrer environ 40°, je n’ai pas vérifié. Il a été tiré ce coup-ci 7 bouteilles de 75 cl toutes numérotées. A consumare con moderazione. L'abuso di alcol è pericoloso per la salute).

      

  • Mardi

    images.jpegMardi *, de Melville (folio, nouv. éd. préfacée par Philippe Jaworski), commence ainsi : Nous voilà partis! Les basses voiles et les huniers sont établis, l'ancre tapissée de coraux se balance au bossoir et les trois cacatois se gonflent à la brise qui nous suit au large comme les abois d'une meute. La toile se déploie, en bas, en haut, renforcée de part et d'autre de nombreuses bonnettes; si bien qu'à la fin, comme un faucon qui plane, nous ombrageons l'océan de nos voiles et, dans un ballottement, nous fendons l'onde amère. L'esprit même du travel narrative -le récit de voyages et d'aventures, se trouve ramassé, d'emblée, avec ces premières lignes. Nous partons. Avec Melville, nous sommes d'ores et déjà embarqués, la terre s'éloigne, l'horizon est à embrasser, l'innatendu nous bronzera, les îles de Polynésie sont là tout autour, qui vont devenir allégoriques, fortement mâtinées d'imaginaire et c'est tant mieux car c'est ainsi que la littérature est grande. Cette remarque ne vaut rien si on ne l'oppose pas aux si nombreux insipides incipit qui nous font tomber des mains tant de livres. Passer la première page est parfois aussi fastidieux que de passer la barre lorsque l'on se jette à l'eau pour surfer. Sauf que cambré sur sa planche, il suffit bien souvent d'attendre la fin d'une série de vagues pour y aller, mais vite, tandis qu'avec un livre, l'insipide incipit nous fout du vague à l'âme, voire nous coupe l'envie de tourner la p(l)age. Bien sûr, Melville c'est la littérature du Grand Dehors, ce n'est pas du chichiteux nombril parisien ou new-yorkais confiné entre quatre rues et deux appart'. But... Chacun mes goûts!

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    * Voici le pitch de ce gros roman : L'équipage du narrateur rencontre une pirogue à bord de laquelle un vieux prêtre polynésien mène au sacrifice une vierge blonde. Le héros, afin de sauver la jeune fille, Yillah, tue le prêtre. Le héros aborde à l'archipel de Mardi, où le demi-dieu Tadji s'empare de lui. Yillah disparaît. La quête devient l'événement central du roman. Yillah cesse d'être une femme pour devenir symbole de beauté, de pureté et d'harmonie.


    Melville s'inspire de la théorie de l'écart chuchotée par Montaigne : Je m'instruis mieux par contrariété que par similitude, et par fuite que par suite. (Essais, Livre III, VIII), afin de nourrir son roman foisonnant de digressions multiples et de rendre sa prose joyeusement vagabonde, comme le souligne Jaworsky dans sa préface. Du coup, Mardi peut-il être picoré au lieu d'être seulement lu.

  • Métamorphoses de l'amour

    images.jpegNicolas Grimaldi, dont j'allais écouter les cours sur Le désir et le temps à la Fac de Lettres de Bordeaux au tout début des années 80, donne à présent dans la jalousie (l'enfer proustien), Socrate (le sorcier) et parle admirablement, en philosophe sage, de l'amour. Bien que son dernier livre, Métamorphoses de l'amour (Grasset) contienne de nombreux lieux communs et vérités plates, il pose en réalité les questions simples (en illustrant son propos de manière oroginale : non pas avec des textes philosophiques, mais avec des extraits de romans de Simenon!). Qu'aime-t-on quand on aime? L'attente et ses ambivalences. L'intolérable solitude. L'existence transfigurée, sont quelques thèmes majeurs parmi d'autres que l'auteur aborde dans ce petit livre précieux.

    Etre sexué, écrit Grimaldi, c'est porter en soi l'attente d'un autre. En nous faisant éprouver jusqu'à la douleur notre substantielle incomplétude, la sexualité nous fait sentir que nous avons notre identité dans l'altérité. Sentir qu'on a son centre hors de soi : en même temps que cela suffirait à définir l'attente, cela pourrait aussi définir la disposition amoureuse (p.88).

    L'amour requiert une (...) mutuelle résiliation par laquelle chacun se rend plus attentif à l'autre qu'à lui-même. C'est le moment où chacun s'émerveille de l'autre et cherche à faire retentir en lui ce qu'il éveille en nous (p.121).

    Car le propre de l'amour est de s'éprouver comme une nouvelle naissance. S'être trouvés, c'est comme avoir ressuscité de soi-même. Une nouvelle existence commence, en laquelle ne subsistera plus rien des lourdeurs et des trivialités de l'ancienne (p.147).

    A la manière dont certaines oeuvres communiquent à notre vie un surcroît d'énergie et d'intensité, la personne que nous aimons transfigure l'existence par la lumière, la couleur, le tempo que son style y apporte (p.169).

    L'amour serait donc le contraire du complexe de Pygmalion. Bien loin d'admirer dans la personne aimée ce double de nous-mêmes que nous en aurions fait, on s'émerveillerait qu'elle nous eût associé à la manière si poétique d'exister que nous appelons son style. Le merveilleux de ce que nous aurions été serait alors de l'avoir été pour elle (p.171). 

  • Costières, again

    094.jpg

    J'aime cette appellation. Les costières-de-nîmes sont à ma taille, à mon goût, à mes attentes, que je sais partagées par pas mal de monde heureusement. Vendredi 10 juin en milieu de matinée à Beaucaire, avec quelques confrères, et après une soirée de feria nîmoise endiablée qui suivait une corrida de respect (El Juli au top de sa forme et Castella qui imposa son temple au monde entier, le temps d'une série de manoletinas inoubliables, plus un jeune local, P.Oliver, qui prit l'alternative sans bruit. Deux toros de Victoriano del Rio bons, sur six, c'est beaucoup par les temps qui courent), je dégustais une trentaine de ces vins chauds, sélectionnés "sans bois" (pour la plupart...) en 2009 et 2010 surtout, plus quelques 2008. De loin, devant, se distingua Nostre Païs rouge 2008, du génial Michel Gassier (château de Nages). C'est un vin de pur plaisir, gourmand, sur le fruit, généreux, soyeux et riche, frais et équilibré, franc et corpulent, séducteur et souriant. Le bonheur! Grenache noir, carignan, mourvèdre, cinsault et un soupçon de syrah le composent.


    Puis, 
    immédiatement derrière lui, se distinguent les cuvées de la dynamique Diane de Puymorin, du château D'Or et de Gueules. Les Cimels (rouge 2009) possède un bel équilibre fruit-fraîcheur, des tanins soyeux et une belle présence en arrière-bouche. La cuvée Qu'es aQuo (rouge 09) composée de vieux carignans, est d'une grande douceur. La cuvée La Bolida (rouge 08), composée de vieilles mourvèdres, est un miracle de féminité, de rondeur et de suavité. C'est un vin de longue garde qui magnifie la mourvèdre, mais qui est déjà formidable à découvrir. Enfin, Trassegum (philtre d'amour, en Occitan), rouge 08, offre un équilibre parfait entre fruité et puissance, longueur et attaque vive mais douce, encore. La syrah domine, l'élégance le détache, l'épicé et une pointe d'olive noire l'arrondissent.

    Il y avait encore Mourgues du Grès (rouge 2009) cuvée Les galets rouges, pour la puissance de son attaque, et la cuvée Terre d'Argence, aussi, (en 2008), pour la présence charmante des fruits noirs en bouche.

    L'Ermitage (rouge 09) cuvée vieilles vignes, pour le velours bien ajusté du tandem syrah-mourvèdre. 

    La cuvée Confidence du château Beaubois, que nous avons préférée à la cuvée Elégance, trouvant que la première portait bien le nom de la seconde (rouges 09).

    La cuvée tradition du château des Bressades (rouge 2010) car c'est gourmand, doux, à fond sur le fruit et qu'une pointe de cinsault active le duo grenache-syrah, à la manière d'une série de passes inspirée de Sébastien Castella lorsque la corrida glisse vers l'ennui...

    Enfin, mention spéciale au rosé Les Cimels, de D'Or et de Gueules servi en magnum (c'est tellement mieux!), en 2010, rosé de pressée de mourvèdre et cinsault enrichi de saignée de syrah, à la robe délicate et au nez profond, avec des notes d'agrumes, de miel, de fleurs blanches et une longueur en bouche que nombre de rosés envient secrètement...

     

    Peinture : © Francine Van Hove 

    Tes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluie. Aragon, Les yeux d'Elsa.

  • entre2

    IMG_2198.jpgA menos dos (17h58, avant-hier dans les arènes ovoïdes de Nîmes) tout est sur le point de se jouer. Ou pas. J'aime tant ces moments où ça bascule dans l'inconnu, l'improbable, car les extrêmes deviennent tout à coup possibles. 

  • Lis

    images.jpegPourquoi lire? demande Charles Dantzig, avec un talent déjà démontré dans ses précédents livres de la même eau (Dictionnaire égoïste de la littérature française, et Encyclopédie capricieuse du tout et du rien, les trois chez Grasset). La lecture n'est pas contre la vie, elle est la vie, affirme-t-il. Cela se discute. D'aucuns pensent aussi cela de l'écriture. Ecrire ou vivre? Vivre empêche d'écrire mais nourrit l'écriture. Ecrire empêche de vivre et tarit l'écriture... On se mord la queue, avec de telles réflexions. Dantzig ajoute -à propos seulement de lecture, que lire ne sert à rien. Nous lisons parce que ça ne sert à rien, clame le dandy érudit. Parmi les nombreux chapitres de ce brillant essai, citons : lire pour se trouver (sans s'être cherché), lire pour se contredire, lire pour se consoler, lire pour la jouissance...

    Extraits (formules et bons mots) :

    Un bon lecteur écrit en même temps qu'il lit. Il entoure, raie, met les appréciations dans tous les interstices laissés libres par l'imprimeur. (...) Un bon lecteur est un tatoueur. Il s'approprie, tant soit peu, le bétail des livres.

    Nous choisissons, dans nos lectures, les vêtements de nos sensations, les paroles de nos bouches muettes, l'éloquence de nos pensées borborygmiques.

    L'entre les lignes est l'espace merveilleux où le lecteur à bout de raisonnements ramasse la lumière magique qui lui donne ce qu'il veut : être persuadé.

    La vie est un conte de faits. La vie est de la prose, pas de la poésie.

    On lit pour voir chez les autres les défauts que nous nous cachons à nous-mêmes.

    Une lecture réussie, c'est aussi rare, aussi bon et laissant un souvenir aussi charmé qu'un acte sexuel bien accompli. Le lecteur couche avec sa lecture.

  • Glougueule

    top.pngCliquez => http://www.glougueule.fr/ et retenez ce site! Glougueule. Pour les hommes de glou. C'est fort en humour et en autodérision, ça décape et c'est sérieusement pas sérieux. J'ai fait la connaissance de l'un de ses brillants animateurs, Philippe Quesnot, "épicier savant" à Grasse et auteur de Vin d'Yeux (Ellébore), ainsi que celle de l'un de ses complices, Jacques Ferrandez, à qui l'on doit tant de magnifiques BD, en particulier 10 tomes sur l'Algérie : Carnets d'Orient (Casterman), à l'occasion du salon Cuisine et littérature, à La Colle sur Loup, près de St-Paul de Vence, les 5 et 6 juin derniers. Nous avons goûté ensemble quelques beaux flacons, notamment de Gramenon, et ce fut le point fort d'un salon plutôt calme et pluvieux, avec les canons de La Sorga pris en compagnie d'Anthony Tortul, le vigneron qui fait ses cuvées, et sa bande de potes du bar à vins rennais L'Entonnoir.

     

  • Vide-poches

    images.jpegFrédéric H. Fajardie met le feu dans chacune des 33 nouvelles qui composent le recueil précieux concocté par Sébastien Lapaque et Jérôme Leroy : Des petites fleurs rouges devant les yeux (La Petite Vermillon / LTR). Regretté Frédéric qui écrivait dru et dur, sur et pur. La première phrase de la nouvelle intitulée La marelle (p.41) prouve (à mes yeux) et si cela est nécessaire, que c'était, que c'est un grand écrivain : Une brume humide et glacée baignait la ville d'une grisaille métallique rappelant ces capitales d'Europe orientale étreintes par un froid plus concret.

    images (1).jpegChez le même éditeur, L'argot d'Eros, de Robert Giraud, qui nous avait donné déjà L'argot du bistrot (La Petite Vermillon, donc), est un dictionnaire bandant qui donne par exemple des dizaines de façons de nommer le sexe d'une femme et celui d'un homme aussi. Le tout est illustré d'extraits de livres, comme il se doit, où l'on croise souvent Carco, Boudard, Calaferte, Gautier, Simonin, Casanova, Haedens... 

    01069102851.gifLe roman de l'été de Nicolas Fargues (Folio) est un chef d'oeuvre de perspicacité, d'observation de nous même, de nos travers, de nos moeurs urbains, mesquins, amoureux sans façon, bobo, touchants. Fargues possède un don supplémentaire à celui d'écrire (très) bien de bons romans : que celui qui n'a pas encore lu J'étais derrière toi le fasse sans délai! -Le don de dépeindre l'autre, comme le ferait un anthropologue du quotidien. Dès les premières pages, le ton est donné : Rougissant, il regretta ce réflexe mesquin qu'il méprisait si souvent chez les autres. Cette façon d'ignorer quelqu'un, tout en voulant lui laisser croire qu'on ne l'a pas remarqué. Bien vu, non?

    01004619851.gifIles à la dérive, de Papa Hemingway reparaît en folio (anniversaire oblige). L'occasion de (re)lire ces trois récits posthumes où l'on voit le double de l'auteur pêcher avec ses mômes, puis le même à Cuba et enfin en mer, donc toujours sur l'eau, pourchassant des sous-marins allemands. Avec toujours le style souple, emportant, enivrant -d'autant que les haltes, chez Hem', se font souvent pour recharger en rhum, en scotch et autres feux de l'écriture.

  • France Bleu Gascogne

    Pour les oreilles que cela intéresse, je tchatche une heure durant avec Thierry Simon, qui m'interviewe (le prétexte est mon livre Landes, les sentiers du ciel, avec des photos splendides de Frédérick Vézia, éd. Privat) dans le cadre de son émission A l'ombre des pins, dimanche prochain 29 mai de 18h à 19h sur ma vie (mes bouquins, mes papiers, mon enfance, Bayonne, mes projets, la mer, la Locale : la presse quot. régionale) -pas sur mes amis, mes emmerrrrdes, car il aurait fallu bloquer le studio toute la journée!.. Sur les ondes de France Bleu Gascogne : en direct sur le Net http://sites.radiofrance.fr/chaines/france-bleu/?tag=gascogne ou bien, pour les veinards qui seront sur place, sur 100.5 (Pays basque + Nord Espagne), 98.8 (Landes) et 103.4 (Gironde).

  • Cendrars aventurier

    images.jpegL'homme à la main coupée (des éclats d'obus lui firent perdre son bras droit en septembre 1915, à la ferme Navarin, en Champagne), fut un aventurier impénitent, un voyageur inlassable, un reporter curieux comme un pot de chambre de génie, un goinfre de sensations fortes, un amateur de vie vraie, du caractère des hommes durs -marins, soldats, bagnards, et des femmes à poigne mais au charme dévastateur. Lorsqu'il s'embarque sur un rafiot, L'Ile-de-Ré à bord duquel les cancrelats sont aussi nombreux que la racaille, la verve de l'auteur de L'Or et de Moravagine prend toute sa saveur. Qu'il parte pour le Brésil ou pour l'Antarctique, on a constamment envie de faire partie de son viatique. Le suivre ligne à ligne est un bonheur de chaque instant. Cinq récits courts, rassemblés sous le titre La vie dangereuse, reparaissent dans Les Cahiers Rouges (Grasset). Ne vous en privez surtout pas, c'est bon comme une bière par grande soif. Extrait : J'ai le goût du risque. Je ne suis pas un homme de cabinet. Jamais je n'ai su résister à l'appel de l'inconnu. Ecrire est la chose la plus contraire à mon tempérament et je souffre comme un damné de rester enfermé entre quatre murs et de noircir du papier quand, dehors, la vie grouille, que j'entends la trompe des autos sur la route, le sifflet des locomotives, la sirène des paquebots, le ronronnement des moteurs d'avion et que je pense à des villes exotiques pleines de boutiques épatantes, à des pays perdus que je ne connais pas encore, à toutes les femmes que je pourrais rencontrer et avec qui je perdrais volontiers mon temps, aux hommes qui m'attendent peut-être, prêts à m'expliquer leur activité et à me faire gagner des tas, des tas d'argent. Non, vraiment, écrire c'est peut-être abdiquer. Comme tu as bien fait de vivre -et d'écrire, Blaise...

  • Stendhal épistolier

    01008125852.gifDe la correspondance choisie de Stendhal qui paraît en folio, Aux âmes sensibles (224 lettres, 600 pages quand même) il apparaît que l'auteur du Rouge et de la Chartreuse est assoiffé de réponse de la part des destinataires de sa correspondance. A sa soeur Pauline, la "cara sorella", il fait le reproche systématique et un peu fort de ne pas lui répondre aussi vite et aussi abondamment qu'il le fait. Le genre épistolaire va bien au futur Stendhal (le jeune Henri Beyle), et il mûrit lorsque celui-ci devient soldat, puis écrivain, italien, célèbre. Même cacochyme, il conserve une verve et un style qui laisse à penser qu'il imagine bien sa correspondance publiée, un jour. Ou bien l'homme, à l'instar de Flaubert, est une machine à écrire fondamentale, une bête de littérature. Aussi, chacune de ses missives doit-elle être un morceau d'oeuvre. Qu'il décrive un paysage, une rue de Milan, une auberge de montagne, des soldats en déroute ou qu'il exprime son amour à quelque conquête, Stendhal est un écrivain puissant, comme on le dit d'une viande en sauce et d'un vin rouge ensoleillé.

  • Lectures en vrac

    images (3).jpegLe 5ème numéro de la Revue Mauvais Esprit Ravages (publiée par Hugo & Cie) s'attache des plumes célèbres : Tony Gatlif, le génial cinéaste de Vengo, à propos des gitans, Malek Chebel, athropologue algérien spécialiste de l'Islam, Pap Ndiaye, maître de conférences à l'EHESS, ou encore Esther Benbassa, titulaire de la chaire d'histoire du judaïsme à l'Ecole pratique des hautes études, pour un numéro spécial intitulé Sale race. Un bouquet de textes sans concessions, décapants et salutaires pour dénoncer les racismes ordinaires, les haines quotidiennes, les phobies, les expulsions et une odieuse politique qui n'a pas honte d'elle-même. Superbe maquette enrichie d'un jaune fluo façon stabilo des plus efficaces.

    images (1).jpegA propos des Dogon (expo d'importance au Musée du Quai Branly à Paris jusqu'au 24 juillet), deux livres de photos noir & blanc superbes d'Agnès Pataux (éditions Gourcuff Gradenigo, à Montreuil). Le premier, sobrement intitulé Dogon, nous dit les paysages et les visages avec des rides qui semblent partagées, une aridité fière et une beauté droite. C'est un livre de silence. Le second, Coeur blanc, ventre blanc (parole de féticheur qui signifie qu'on est clair et qu'on peut nous faire confiance) évoque les fétiches et les féticheurs du Mali, du Burkina Faso et du Bénin. Ces objets de divination et de pouvoir sont des oeuvres d'art. Leur puissance, leur charge symbolique semble se lire dans les clichés d'une photographe indéniablement habitée par un sujet méconnu et fascinant.

    images (2).jpegA la rencontre des plus beaux villages de France, d'Alexandre Marion et Thibault Prugne (éd. Eyrolles) présente 155 portraits au trait de villages et de leurs villageois. Car il s'agit d'un gros (320 pages) carnet de voyage avec très peu de textes. Tous les villages répertoriés par l'association des plus beaux villages de notre pays y figurent. Au total, 600 aquarelles, croquis et esquisses qui ont su éviter le piège de l'illustration passéiste, régionaliste et sympa comme un reportage avé l'assent d'une petite télé locale.

     

    vv_book_10.jpgLandes, de terre et d'eaux, proposé par les jeunes éditions dacquoises Passiflore, fiance un texte bref du romancier de terroir à succès Alain Dubos, qui court de page en page pour illustrer des illustrations à l'aquarelle pleine page et sur papier kraft (Landes oblige!), de Philippe Valliez. Une promenade sensible et poétique à travers la nature landaise, entre océan et barthes, forêt de pins et fleuve d'amour, fermes à colombages et objets domestiques, animaux sauvages et symboles forts.

    1280763421.jpgPlantes interdites, une histoire des plantes politiquement incorrectes, de Jean-Michel Groult (éd. Ulmer) est un magnifique album à l'illustration judicieuse et à la maquette originale. Un herbier, de vieilles affiches de cinéma, des documents d'époque, des réclames, des photos étonnantes épaulent avec talent un texte très documenté sur les sujets suivants : les plantes chamaniques (coca, pavot, khat, champignons...), les plantes abortives des faiseuses d'ange (armoise, genévrier sabine...), l'absinthe, la fée verte (à l'histoire trouble -mais enfin réhabilitée!), les plantes invasives (venues d'ailleurs) comme l'envahisseuse mongole, la griffe-de-sorcière ou la renouée du Japon. Et enfin les interdits agricoles : amarante, tabac, vigne, OGM et autre stévia (dont on fait un édulcorant).


    images.jpegEnfin, l'édition 2011 du fameux Guide des Gourmands, d'Elisabeth de Meurville et son équipe (Gourmands & Co) est encore plus riche que l'an passé : plus de 2000 adresses en France et en Europe des meilleurs fournisseurs de tous les beaux et bons produits alimentaires (solides et liquides) imaginables. Annuaire incomparable classé par famille de produits, mais enrichi d'un index géographique, bottin du bon goût, bréviaire du gourmet et du gourmand, ce guide de 480 pages denses, aux commentaires fiables, baptisé carnet d'adresses des chefs et des vrais amateurs, attribue cette année 118 coqs d'or aux meilleurs parmi les meilleurs. Au fil du temps, ce bouquin devient le compagnon de toute personne soucieuse de manger bon. Et ça commence à faire du monde!

     

  • Maman

    01069851022.GIFMaman chérie. C'est le titre d'un élégant folio sous emboîtage de velours rose (9,90€) qui célèbre toutes les mères. L'anthologie littéraire est composée d'extraits de textes célèbres tous parus chez Gallimard, et qui vont bien au-delà du célébrissime Livre de ma mère d'Albert Cohen (dont trois pages ouvrent néanmoins le volume) et de La Promesse de l'aube de Romain Gary. On y lit ou relit avec un immense plaisir des pages de Camus (Le premier homme), Sartre (Les mots), Duras (Un barrage contre le Pacifique), Modiano (Un pedigree), mais également du Bobin (La part manquante), du Ben Jelloun (Sur ma mère), du Perec (W ou le souvenir d'enfance), et des choses éparses parfois splendides, souvent touchantes : Annie Ernaux, Jules Renard, Jules Vallès, Sempé/Goscinny, Steinbeck, Céline, Erri De Luca, Charles Juliet -les extraits de ces deux derniers sont à encadrer, Musset, Proust (le célèbre passage de Du Côté de chez Swann ou le petit Marcel évoque "la puberté du chagrin et l'émancipation des larmes" et même du Jean-Louis Ezine. Gary est émouvant lorsqu'il déclare que, "avec l'amour maternel, la vie nous fait à l'aube une promesse qu'elle ne tient jamais". Son fils Alexandre Diego Gary (dans S. ou l'espérance de vie) est bouleversant lorsqu'il avoue avoir été tenté de tuer l'entourage de sa mère, "tant j'avais besoin qu'elle me porte son attention, à moi et à personne d'autre". Car le livre, divisé en plusieurs parties, classe les textes en fonction de la douceur d'une mère (les souvenirs d'enfance), de l'ingtratitude inattendue : "ma mère, c'est la cinquantaine épanouie dans l'égoïsme" (Morand), et enfin des mères disparues. Car la perte de la mère engendre des romans depuis l'aube de l'humanité. Ce travail de deuil par l'écriture est devenu un genre littéraire, pourrait-on dire. Inutile de préciser que c'est un petit cadeau à glisser dans la poche d'un môme qui ne saura pas quoi offir à sa mère, le dimanche 29...

     

     

     

  • Flacons

    images (2).jpegBu Le Désordre (rouge, 2009) le Saint-Chinian d'Anthony Tortul, Domaine La Sorga, au Baratin, célèbre bistro du 20ème à Paris, tenu par Raquel et Pinuche, et c'est excellent! Gourmand, complètement sur le fruit, ce vin absolument naturel est un grand bonheur de flaveurs franches.

    Goûté 4 rosés de Vacqueyras, l'une de mes appellations préférées en rouge : magnifique Monardière (2010) de Martine et Christian Vache. Robe pâle, nez fruité (agrumes, pêche), bouche délicate. C'est un vin issu d'un assemblage de rosé de saignée et de rosé de pressurage direct, élevé six mois en cuves sur lies fines. Les Ondines (2009) situé sur le beau plateau des garrigues de Sarrians, face aux Dentelles de Montmirail chères à Char, est soutenu à l'oeil, avec un léger perlant à l'ouverture. Frais en bouche, c'est un rosé vineux comme on les aime, avec une longueur persistante. Seigneur de Fontimple, produit par la très performante cave coop Vignerons de caractère, engagée à fond dans l'agriculture raisonnée et le développement durable, est un 2010 franc et puissant, charnu, désaltérant cependant, et délicatement épicé. Le Couroulou, (courlis : l'oiseau, en Provençal) de Guy Ricard, malgré une bouteille légèrement bouchonnée, laisse apparaître, avec cette cuvée Rosette 2010, de jolies notes de framboise, cassis, myrtille, cerise, et une longueur en bouche remarquable.

    Le rosé du château Cavalier (Pierre Castel) en 2010, est un côtes-de-provence à la robe saumonnée très brillante, au nez exotique (fruits) et à la bouche ample et généreuse. Jalade, du fameux domaine de La Clapière (Pays d'Oc, près de Pézenas) est un rosé 2010 plus facile que le précédent, un vin de soif, très aromatique, d'une fraîcheur durable et pourvu d'un nez de fruits rouges soutenu.

     

     

     

     

     

  • DSK, Panurge, Deloire

    Un lynchage dont la presse est responsable : merci confrères!

    Une dictature aveugle de l'humeur, propagée à la vitesse de la lumière : sympa la Toile!

    L'omnipotence du préjugé.

    La propagation de la rumeur en toute impunité -pire : relayée par une opinion qui se moque de n'entendre qu'une version de prétendus faits.

    L'indécence.

    L'oubli fondamental de la circonspection, de l'observation silencieuse, de la patience, de l'écoute, de l'enquête, de la froideur nécessaire aussi. 

    Quid de la présomption d'innocence, aux USA, avec un tel ramdam?

    Le règne d'une pudibonderie nauséabonde.

    L'inintelligence, au fond.

    La bêtise qui s'assume.

    L'aplomb des cons qui jugent, aboient, bêlent.

    Et qui n'ont même pas conscience de la honte qui les fige.

    Nous voilà revenus au temps des tribunaux expéditifs et fantaisistes de l'Inquisition, aux procès en sorcellerie, au tabassages de rue : lynchage, ratonnade. A l'esprit Dupont la joie, le film.

    Au réflexe insensé du groupe animal en migration : gnous, étourneaux.

    Au chien abattu par son maître qui l'accusait de la rage...

    Panurge.

    Sans parler d'un possible complot, ou réglement de compte, en provenance de la droite française ou des ennemis de DSK au FMI -il en a tant.

    (Et si je puis me permettre, en pleine politique-fiction, un voeu totalement subjectif : Vivement que cet homme brillant qui aime les femmes qui l'aiment -et alors?- soit blanchi, que d'odieux coupables soient menottés à leur tour et qu'il ambitionne de présider un jour la France).

    Je recommande l'opinion libre de Christophe Deloire, directeur du CFJ (Centre de formation des journalistes, à Paris) et auteur de Sexus politicus (Albin Michel), que publie Le Monde et lemonde.fr, cet après-midi. Extrait :

    "Se garder de propager les rumeurs, tel est notre devoir. Les laisser se propager sans avoir la curiosité de les vérifier est une erreur. Nous devons avoir la décence commune, comme dans le poème de Rudyard Kipling, Tu seras un homme mon fils, de recevoir d'un même front "deux menteurs", le triomphe et la défaite, et ne pas mentir d'un seul mot. Le rôle des journalistes ne consiste pas plus à accabler Dominique Strauss-Kahn qu'à faire office de témoins de moralité, il consiste à approcher au plus près de la vérité, sans jamais considérer qu'un procès-verbal même avec un tampon officiel, est une parole d'Evangile, sans jamais nous autoriser non plus à ne pas savoir faute d'avoir cherché."

  • Black Cahors is back!

    La James Beard Foundation vient de décerner le prix de la meilleure vidéo  à  « The Scent of Black », film réalisé en 2010 par Graperadio.com (Californie) avec le soutien de l’Union Interprofessionnelle du Vin de Cahors. 

    Ce film (cliquez=> http://www.graperadio.com/archives/2010/12/26/the-scent-of-black/évoque à la fois le vin de Cahors et la truffe noire : un même terroir, une même culture gastronomique, un imaginaire mystérieux en commun. Et une couleur en partage : le noir. 

    Pour qui aime comme moi les petits matins dans la campagne cadurcienne, les dégustations chez les vignerons de caractère comme Arnaldo Dimani au Domaine du Bout du Lieu, ou Fabrice Durou, du château de Gaudou, les balades dans les truffières avec Pierre-Jean Pébeyre ou, il y a quelques années, avec Marthe Delon et son cochon numéroté (annuel),  les rituels du Marché aux truffes de Lalbenque, après la dégustation de la fameuse omelette au Lion d'or (servie toute l'année, 28€ : des truffes aux oeufs!), le marché sous la Halle de Cahors le samedi matin, et tant d'autres souvenirs, ce film rameutera la poésie du Lot, la puissance de ses vins issus de Côt (Malbec) et bien entendu le parfum de Tuber melanosporum..

    « The Scent of Black » pourrait encore être primé, car il figure parmi les finalistes du Born Digital Wine Awards (18 mai, Londres)  et du festival Oenovideo (2 -5 juin, Arbois, dans le Jura). 

     

     

  • l'oisiveté, oiseau d'été

    L'oisiveté est mon occupation préférée, se plaisait à dire Montaigne

    Kundera écrit ceci (dans L'art du roman) à propos de la mère de tous les vices : Tant pis si en français, la sonorité de ce mot me paraît tellement séduisante. C'est grâce à l'association corésonnante : l'oiseau d'été de l'oisiveté.

    J'adore. 

  • Cioran en Pléiade

    images (1).jpegLes dix livres écrits en français (les autres le furent en roumain) entre 1949 (Précis de décomposition) et 1987 (Aveux et anathèmes) par le plus jubilatoire de nos pessimistes, le plus ironique de nos philosophes apocalyptiques et sceptiques, paraîtront en un seul volume de la Pléiade en novembre prochain. Voilà qui donne envie de relire en picorant, sans attendre, les milliers d'aphorismes décapants, au style somptueux, et qui agissent comme une vitamine, un tonique sur nos coups de blues, de l'auteur des Syllogismes de l'amertume, de La tentation d'exister, de De l'inconvénient d'être né ou encore de Ecartèlement. Il y avait déjà, outre chaque livre principal disponible en poche, un gros volume de la collection Quarto intitulé Oeuvres. Ce sera là "juste" une consécration posthume pour Emil-Michel Cioran, en même temps qu'une édition fétiche de lecteur bibliophile.

     

     

     

  • mon10mai

    mitterrand2.jpg

    Je n'oublierai jamais cette soirée-là. Je devais me coucher tôt car le lendemain matin, je commencais les épreuves d'examen de fin d'études à Sciences-Po par la matière la plus importante : culture générale. Avec mes potes, nous étions devenus incollables sur le mitterrandisme car il apparaissait très probable que le sujet puisse tomber. A l'annonce du résultat de l'élection, la liesse s'empara du pays comme de mon studio d'étudiant. Nous avons aussitôt bu du rouge, du champagne, puis nous sommes partis dans ma vieille 4L pleine comme un oeuf avec Béné, ma soeur Muriel (je me souviens d'Hervé sur le toit et de je ne sais plus qui accroché au capot, peut-être Roudil) pour faire la fête à quelques centaines de mètres, Place de la Victoire, à Bordeaux (chacun sa Bastille). La nuit fut longue et belle. Le lendemain à 8h, le sujet de l'épreuve écrite fut les nouveaux pauvres. C'était aussi d'actualité... La suite? Mes années tonton, mes années actives, mes années d'homme. La marque de la plus importante tranche d'une vie. Une génération, pas une vénération. Mais une association quand même entre une France enfin à gauche et quinze ans de construction personnelle, intérieure et extérieure. Du coup, trente ans après, mon 10 mai 81 demeure le point de départ d'une existence dans le réel. Char dit : le poème est l'amour réalisé du désir demeuré désir. Je ne sais comment, mais il y avait un peu de ça, le lendemain...

    Photo : le 11, au Panthéon. 

    Le lendemain, elle était souriante...

    P.S. : J'ajoute qu'il est salutaire de relire l'édition du Monde de ce jour-là, offerte en fac-similé avec le journal daté du 12 mai (disponible dès cet après-midi). L'éditorial de Jacques Fauvet d'une part, et les analyses de Noël-Jean Bergeroux et d'André Laurens d'autre part, sont des modèles du genre.

  • Bayonne m'attache

    Voici un extrait de mon livre Philosophie intime du Sud-Ouest (Les Equateurs, 14€ : c'est pas la mort), qui évoque ma ville d'adoption. Parce que ce soir, à Paris, elle me manque comme une femme. Comprenne qui voudra bien essayer de piger le truc.

    51gZyoUWwYL._SL500_AA300_.jpgOuverte au vent océanique et aussi à Aïce Hegoa, le vent du Sud, à la montagne douce, à la campagne mamelonnée, à l’Espagne complice, Bayonne se fout des métropoles. Elle est mon aimant. Paris est loin, Bordeaux davantage. Certaines cités se donnent des airs. Bayonne n’en manque pas. Il souffle les nuits de Fêtes jusqu’aux aurores qui hésitent entre Nive et Adour, à l’heure du partage des eaux et des dégâts collatéraux, des bleus à l’âme et  des pansements distribués par l’amitié. Bayonne partage le pain et le vin avec l’inconnu. Bien sûr s’il franchit avec succès l’initiation infligée par tout Bayonnais. Il faut avoir l’accent, connaître le surnom du nouveau président de l’Aviron, le résultat des matches dominicaux.

    Le Bayonnais est partout. En sous-sol, où l’on conspire à l’aise et préfère cru le jambon, à la lumière : club, peña, cave garnie. En surface : zinc, resto, à la maison. À l’air libre mais circonscrit : terrasse, arènes, stade, plage proche, marché. Enfant, la rue Thiers me semblait plus large et l’Adour figurait le Mississipi de mes lectures. J’accompagnais ma mère Aux Dames de France, devenues Galeries Lafayette, Biarritz Bonheur aussi. Les toreros descendaient au Grand-Hôtel. Les Madrilènes venaient en limousines. Les frontaliers de « San Seba » sortaient par demi-douzaines de Fiat 500 blanches arquées sur roulettes. La cage d’ascenseur du hall de l’hôtel grinçait –j’en entends encore le cliquetis. À l’accueil, l’énorme Monsieur Léonard l’était vraiment. Il n’y avait pas trop de monde aux Fêtes. On ne s’habillait pas en rouge et blanc. Devenu Bayonnais du dimanche, je reviens sur mes années d’enfance et d’adolescence aux écoles Sévigné, Albert-1er, puis au Lycée, à Marracq. Les années surf et mobylette. Mon Bayonne est gris comme les remparts, vert comme les langues d’herbe un peu partout, marron de feuilles de platane en bouillie.

    IMG_0042.JPGEnfant, le jeudi était jour de coiffeur, au Parfum de Paris. Mario m’asseyait face à un meuble en bois sombre orné d’une plaque cuivrée à l’adresse du 11, rue Jean-Goujon. La glace sans tain. Le cuir pour aiguiser le rasoir qui raidissait la nuque en remontant. Je serrais les dents. Les flacons de parfum Old Spice sur l’étagère, voilier bleu dessiné sur fond blanc, bouchons à vis crantée rouge. Ça piquait.

    Avec mon père, nous gobions des huîtres sous les arceaux rue Port-Neuf, le dimanche matin, Le Su’Ouess plié sous le bras. On ne parlait pas encore de (bons) vins du pays –les irouléguy blancs de Brana, de Peïo Espil. On ne trouvait qu’une piquette rouge baptisée Makila, du nom du bâton basque en néflier. Il fallait se cogner du muscadet pour faire passer. Et ça passait.

    Le bonheur d’apercevoir le cloître de la cathédrale chaque mercredi de cours de dessin, chez Madame Chaudière, l’année du bac, avant de jeter le vélo contre le mur.

    Les goélands et les vanneaux se posaient innocemment sur la pelouse maigre et gelée du stade Saint-Léon, rebaptisé Jean-Dauger, les après-midi d’hiver, à l’entraino, un de ces jours glacés où il fallait se pisser dans la combi en se jetant sur la planche de surf, à la Chambre d’Amour.

    Bayonne, c’est se garer au plus près des Arènes à cinq heures, les après-midi de corrida, boire un demi avant et une manzanilla après, sur le montón du Cercle Taurin.

    La subtilité des accents désigne le rang social, le quartier d’habitation, la marque de voiture. Les origines de chacun sont identiques. Chaque gorge racle un fond de terroir. C’est  mas o menos pointu, traînant, sur le S ou sur le R. Avec des Bah ! Pareil ! Sûr ! Signes de distinction affirmés haut et rouge, l’air de rien : chemise Paseo, polo 64, tee-shirt Kukuxumusu. C’est dîner à La Grange, chez Diharce et l’abono aux arènes de Lachepaillet. Ou bien un taloa au xingar, casse-croûte à la ventrèche, un rosé rue Pannecau et chanter avec les copains jusqu’à plus soif. Ou encore lancer une ligne depuis le pont Saint-Esprit et rêver de louvines grosses comme ça en remontant un muge, puis aller taper le carton rue Maubec.

    Bayonne possède un port sensuel à la courbe de l’Adour. Un croissant de lune s’y perd en étendant le bras au-delà de Blancpignon, « au soufre », la SNPA. Au soufre, j’accompagnais mon père, les yeux protégés par un masque de ski noir acheté chez le shipchandler. Il y en avait toujours deux paires sur le tableau de bord de la DS.

    IMG_0044.JPGLe pont Grenet rouge vif ne laisse plus passer les cargos. Côté Boucau, le port prend des allures de vieux jeune homme bien mis. Quais pavés, grues arquées, pontons de bois et cormorans qui sèchent leurs ailes, juchés sur des bouées, tandis que le sillage de la vedette du Pilotage leur offre une danse du ventre. Ça sent le mazout, la peinture au minium, l’aussière salée. Les moineaux ont toujours été nombreux à picorer tout ce qui échouait au creux des rails désaffectés. Sans jamais entamer ce que le port a gardé de mystères marseillais, d’histoires biscayennes, de légendes russes et de fantômes de complaisance.

    Bayonne, c’était les jouets d’Armada, les habits d’enfants à la mode chez Mamby, le faux-filet chez Bourdalès, la vraie Jacqueline au comptoir du Perroquet, la fraîcheur de la rue Gosse, l’attitude noble du paysan de pierre adossé à un bœuf, au Monument aux morts. La crampe menaçante du Cardinal Lavigerie statufié, entre les deux ponts qui partagent les eaux comme Dieu les coups de cornes. Pas toujours équitablement. L’étroite Nive n’est pas rancunière. Je lui suis reconnaissant de n’avoir pas été basse, lorsque j’ai plongé en elle depuis le pont Pannecau, au cœur d’une nuit de Fêtes.

    Le cinéma s’appelait La Feria, nous achetions des Batna à l’entracte. La librairie c’était Mon Livre rue Thiers. Marcel Dangou s’y rendait chaque soir en claudiquant pour ramasser la caisse. La boulangerie des sœurs Lascoutxs –étaient-elles nées vieilles, rue d’Espagne, sentait le Zan. Je revois leur nez maigre avec une goutte au bout. Elles vendaient bonbecs et chocolatines. Après l’école, on y chipait oursons en guimauve et carambars par poignées. À côté, farces et attrapes ne valaient rien. Émile tenait le magasin Tixit. Nous passions des après-midi à écouter des 33 tours à Disco Shop. Un jour d’octobre, tout le monde leva la tête : un vol de palombes mit l’éternité à passer, couvrit le ciel et le bruit de la ville. Un vieux crachait sans cesse de sa fenêtre du premier, en face de chez Campistron l’épicier. « Chez Campistron, tout est bon ! ».

    Aucun Bayonnais ne peut oublier son premier chocolat chez Cazenave. La mousse, les demi-toasts beurrés à chaud, la vaisselle fleurie, le petit plateau, le tablier blanc à dentelles des dames en noir.

    Mon Bayonne du ouiquende commence par le plaisir de faire la tournée des popotes, les librairies. Je traîne au marché ouvert où l’on ne trouve plus de volaille vivante, grignote une entame de fromage, feuillette le journal en buvant un coup au Mastroquet des Halles, picore un morceau de jambon Ibaï Ona tendu par Georges devant la boucherie Montauzer, passe à la librairie de La rue en pente. Je m’y sens chez moi.

    IMG_0046.JPGLa nuit, les brouillards sur l’Adour étouffent nos pas dans les rues sombres qui bordent la Villa Chagrin, la prison.

    Le sportif à la démarche montée sur ressorts, se plie au rituel des courses en ville avec sa  femme, les veilles de match. Bayonne, c’est une partie de pelote au Trinquet moderne, une volaille rôtie à l’Asador, un jaune au Clou ou au Machicoulis, un footing sur le chemin de halage depuis l’Aviron jusqu’aux contreforts d’Ustaritz et retour. Puis c’est l’heure du txakoli et des tapas à Ibaïa ou à Txotx, quai Jauréguiberry. Suivent, au choix, la pipérade chez Joséphine, au Bar du Marché (elle aura peut-être des cèpes pour l’omelette et nous nous calerons au fond, tranquilles), ou les huîtres chez Joël Dupuch, lunettes de soleil sur le nez.

    Revoir un petit Dürer au Musée Bonnat. Traîner sans raison un après-midi pluvieux. Fumer un havane à l’ombre des remparts proches de la cathédrale. S’ennuyer peut être délicieux dans les rues mortes de la ville, si on sait éprouver jusqu’au vertige le silence du désert, rue Orbe, un après-midi de match, entre deux essais. En contrepoint, le souvenir du cliquetis de la machine à faire les cartouches de Bernizan, rue des Basques, derrière le long comptoir en bois fatigué, relève de la musique.

    Bayonne, c’est se moquer de Biarritz et ignorer Dax (trop loin). Affecter l’indifférence à l’égard de la politique locale et de ses collusions séculaires avec le sport.

    Penser à revenir à Bayonne. Pour de bon. 

     

    © L.M. (texte et photos prises pendant la rédaction de ce truc)

  • Terrasses du Larzac

    pas-de-escalette.jpgImpressionnante appellation méconnue et puissante comme les plus belles AOC du grand Languedoc, décidément de plus en plus riche en bons flacons. Le Domaine du Pas de l'Escalette, notamment, de Julien Zernott et Delphine Rousseau, goûté récemment (Les Clapas, un rouge 2009, 12,80€), est un miracle de fraîcheur, de minéralité, de fruité et de densité. C'est du vin bio (dernière année de conversion ECOCERT), ça passe dix mois sous bois, c'est composé de grenache (40%), carignan (30), syrah (20) et cinsault (10), ça perche à 350 m d'altitude, les vignes sont en terrasses et c'est gourmand, généreux, "sur le fruit", et formidable avec les viandes à la plancha. 

    Goûté par ailleurs Le Vignoble des 2 terres, un autre rouge des Côteaux duexcellence-saint-michel-grandmont.jpg Languedoc Terrasses du Larzac, en 2008, cuvée Excellence de Saint Michel de Grandmont (12€), élaboré par la Cave coopérative Les Vignerons de Saint Félix - Saint-Jean : c'est soyeux, épicé, à la fois puissant et raffiné. Retenez cette AOC...

  • Balade ensorcelante à Zugarramurdi

    Papier paru dans TéléParis Obs (Le Nouvel Observateur)

    de cette semaine (7-13 mai) 

    Observez cette étrange et belle façon qu'ont les villages basques – à l'image parfaite d'Ainhoa –, de faire d'un accotement de maisons typiques un vrai village. Pour notre bonheur, Zugarramurdi n'échappe pas à la règle. Ici, le mot immeuble doit être rarement prononcé et l'etxe (la maison basque) vit épaule contre épaule. Autrement dit, chacune d'elles pourrait aussi bien vivre sa vie en plein champ. Zugarramurdi, au-delà de Sare et aux portes de la vallée du Baztán, est célèbre pour sa grotte (qui se visite) appelée Akelarren-leze et qui fut réputée comme refuge de sorcières jusqu'aux 7 et 8 novembre 1610, dates funestes qui virent trois cents personnes inculpées par le sieur de Lancre pour délits de sorcellerie dont une douzaine brûlées sur un bûcher.

    Akelarre désigne l'aire plane située devant la grotte de Zugarramurdi. Le mot vient du basque ake : bouc et larre : pré et signifie réunion de sorcières. Zugarramurdi est donc le village des sorcières comme Lourdes est la ville de la Vierge. À chacun sa grotte. Celle de Zugarramurdi possède une sorte de fenêtre, d'où Aker, le diable à forme de bouc, convoquait sorciers et sorcières, soit ses dévots. Au bout d'Akelarren-leze, se trouve Sorguinen-leze : la grotte des sorcières proprement dite, un havre de fraîcheur au creux duquel coule un ruisseau, Infernuko Erreka (le ruisseau de l'Enfer) ; un lieu propice au laisser-courre de l'imagination.

    À la venta-bar-tabac-épicerie et bricoles en tous genres située au centre du village, on évoque avec ravissement le calme de son village. Une sérénité certaine se lit sur le visage du « taulier ». Elle exprime un esperanto du regard et des traits : il suffit de regarder le taulier pour comprendre que la paix l'habite comme elle habite les lieux, même si l'on ne comprend pas un mot de son espagnol prononcé du bout des lèvres, car Pepe n'a plus de dents.

    Et les sorcières, aujourd'hui, que sont-elles devenues ?

    Pepe rit, dit qu'il n'y en a plus depuis longtemps, évoque ces agapes étranges du 15 août célébrées par les anciens du village, au cours desquelles deux moutons sont tués dans la grotte, puis grillés et mangés sur place, puis il réfléchit en silence, se ravise, sourit et lâche : les sorcières ? Chaque femme en est une, mais ce sont de bonnes sorcières, des fées ensorcelantes !

    Son brujas de suerte, des sorcières de bonheur.

    Nous marchons doucement jusqu'à sa maison. La vie paisible coule à Zugarramurdi comme le ruisseau de la grotte. C'est à peine si un écho parvient à troubler la surface des choses et l'enveloppe de l'atmosphère. On se prend à rêver d'un passage de sorcières comme d'un vol de palombes, pour réveiller les esprits et mettre le village en émoi. Le poulailler, plongé dans une obscurité à faire frémir les pinceaux d'un Georges de La Tour navarrais, sent le chaud et la paille usée par le cul des poules. Un âne bascule son long museau par-dessus les planches, souffle bruyamment et couche ses oreilles. L'oeil de Pepe s'éclaire soudain. Il se tait. Rêve.

    À l'intérieur, sa sorcière de femme est en train d'achever de préparer le déjeuner. Una cocina de bruja buena. Me revient à l'esprit le nom d'une excellente table de San Sebastian, tenue de main de maître par un certain Pedro Subijana et qui s'appele «Akelare» (avec un seul r ). Y voir un signe n'est pas sorcier.

    © L.M.

     

    Si la visite des grottes de Zugarramurdi et de Sare ne vous suffit pas, faites une balade cool à pied (ou à cheval) autour de ces deux villages, et suivez une partie du long sentier des contrebandiers jusqu’aux cols de Lizarietta et de Lizuniaga, au cône de l’Ibanteli, en pensant à « Ramuntcho », le roman de Pierre Loti. Durée à la carte : 1, 2, 4 heures et plus. Carte IGN TOP25 n° 1245OT.

    Autre rando possible : jusqu’à Etxalar, visite de la palombière aux filets verticaux (pantières), et halte à la « venta » Halty, en revenant vers Zugarramurdi, pour reprendre des forces à base de charcuterie espagnole et de vins de Navarre…

    Y aller :

    TGV jusqu’à Bayonne (env. 5 h depuis Paris-Montparnasse), puis route de Sare. Zugarramurdi est à 4 km du fameux village des contrebandiers.

    Manger et dormir :

    À Sare : Hôtel restaurant Arraya. Une institution au cœur du village. Formidable cuisine basque « reloaded », chambres cosy. Achetez leur gâteau basque en partant. Tél : 05 59 54 20 46.

    À Zugarramurdi : auberge (hôtel-restaurant) Graxiana : belles chambres spacieuses, cuisine navarraise rustique et généreuse. Tél : +34 675 711 498 (Espagne).


  • 2 nouvelles balades très nature dans Le Nouvel Obs de ce matin

    Voici la première, consacrée aux grands lacs pyrénéens, du côté du Néouvielle, en plein Parc national. 

     

    Papier paru dans TéléParisObs daté du 7 au 13 mai :


    IMG_0543.JPGVoyage en altitude dans la réserve du Néouvielle

    Faune étrange et flore rarissime attendent le randonneur autour des grands lacs d’altitude, dans la réserve du Néouvielle, en plein Parc national. Les Pyrénées à l’état sauvage et beau.

     

    La forêt de pins à crochets, aux alentours du lac de Cap de Long, c’est Brocéliande revue et corrigée à la manière des estampes japonaises. Rares sont les oiseaux. Tous se taisent. Des branches craquent ici et là et sous nos pieds. Et toujours ce bruit torrentiel de cascades qui dialoguent d’une paroi l’autre…

    Le massif du Néouvielle expose ses grandes eaux : lacs d’Orédon, d’Aubert, d’Aumar, de Cap de Long et de l’Oule. Et ses laquettes. La plus grande conduit au barrage d’Aubert. Le décor est vaste et planté de pins à crochets pluricentenaires. Nous sommes au pays des marmottes. Les rhododendrons et les raisins d’ours, les gentianes, les anémones couvrent les landes aux airs de pelouses rasées de frais. Tout autour, des chemins sont des invitations à grimper. Les grands pics, de 3000 et plus, ou moins, qu’importe (lorsqu’on aime la montagne, on ne compte pas), semblent s’être donné rendez-vous. Néouvielle, Ramoun, Campbieil, Lustou, Batoua. Depuis le col d’Estoudou, via le GR10, le lac d’Orédon à ses pieds, le randonneur se sent pousser les ailes de Zarathoustra. Magie de la réserve du Néouvielle. Laquettes enchâssées. L’insouciance des paysages. Leur rudesse. Ces troncs tordus –certains très vieux pins à crochets des bords du lac d’Aubert ressemblent à des aussières aux torons serrés, nerveux, torturés à mort. Gris scintillant, presque métallisé. Massif granitique. Aiguilles de pierre. De la Hourquette d’Aubert, une forêt antique cache à peine le pic du Néouvielle. Aumar et Aubert sont à nos pieds. L’expression « grands espaces » saute comme un lapin, du stylo au carnet.

    Projet. Aller voir le Gourg de Rabas. Pour son nom étrange. Et rien d’autre. Lac d’Aubert, col de Madamète. Le Gourg est décrit poétiquement comme « un petit lac lové dans une cuvette de granit. » Le crapaud accoucheur y bat son record d’altitude : 2400 mètres. Deux bonnes raisons de serrer les lacets et de repartir. Arrivé dans la grande Réserve, par Orédon, un sentiment Canadien étreint le voyageur. La brume répugne à se dissiper, de surcroît, sur la nappe d’Orédon, augmentant ainsi ses mystères de Grand Ouest devenant Grand Nord. Le bruit sourd d’une cascade rappelle l’océan déchaîné, la nuit. Un vent tempétueux à la cime d’une forêt de plaine. Dans cette espèce d’obscurité blanche, un lac –deviné-, devient une fosse aux secrets, un abîme insondable. Une invitation au voyage au centre de la Terre.

    IMG_0553.JPGEuprocte. Et aussi desman, cincle plongeur... Les lacs engendrent du bizarre. À côté de cette faune rare qui se cache, la truite fario et la bergeronnette des ruisseaux deviennent des passants ordinaires. On prête moins attention au moucheté des flancs de l’une et au ventre jaune de la seconde. Nous recherchons l’exceptionnelle rencontre avec ces étranges petites traces de la Préhistoire, à ces jolis cadeaux endémiques. Un lac d’altitude est prodigue, exotique, surprenant, généreux. À ses abords, les cadeaux abondent. C’est un Cabinet de curiosités. Un cadeau de Noël peut surgir à chaque pas.

    Ici des renoncules à feuilles capillaires et des laiches des rivières. Là des grassettes, des droseras et des sphaignes, signalent la présence de tourbières près des grands lacs. Il est étrange de marcher sur le sol meuble, mouvant par endroits, des prairies tourbeuses « qui sont le résultat de la décomposition de déchets et de restes végétaux accumulés au fil du temps », lit-on sur un panneau du Parc. Nous passons du Canada à l’Irlande. De l’immensité du lac évoquant une mer intérieure à la spongiosité, à la sensation du gorgé d’eau qui happe le pied. Magie des lacs d’altitude. Prairies tourbeuses, végétation éponge, tourbières lacustres qui comblent peu à peu les lacs de faible profondeur. La tourbe gagne par le fond. Il ne manque que des bécassines égarées au bord de cette laquette. Envie légitime d’une Guinness pression…

    Montée vers Cap de Long. Tout à coup, le ciel s’ouvre, débarrasse la table, tire la nappe à lui, les nuages se dispersent plus vite qu’un troupeau de moutons effrayés, ils ouvrent la voie, découvrent en contrebas le lac d’Orédon et la forêt de pins à crochets aux troncs bandés comme des arcs, qui l’environne. Fourrure protectrice. Le mauve et le jaune des fleurs illuminent un paysage qui sort de l’ombre. Phares. Fleurs sauvages, granit sec, pentes anguleuses et coupantes. Comment ce pin-ci peut-il rester planter là ? Escarpement, hostilité, paysage en rasoir.

    Un grand corbeau traverse, royal, de part en part, le paysage suspendu au-dessus du lac, comme un funambule qui danserait sur son fil au-dessus d’un grand Canyon.

    Le brouillard nous enveloppe à nouveau, nous caresse, nous humecte les cils ; nous noie enfin. Englouti, nous devenons avion plongé dans un bain de nuages. Les phares blancs, cette fois, de pâquerettes tout autour, tremblent légèrement au passage d’une bise timide. Le soleil persiste à vouloir percer, qui plante la fine lance d’un rayon dans nos yeux.

    Une fenêtre de ciel bleu dans la brume, pointe Cap de Long du doigt. Il est tour à tour gris granit des origines, minier, et gris souris, puis gris étain, ou plomb fondu, gris noir enfin, de cette teinte trop mate pour un Pantonier que seuls les dieux pourraient dessiner, avec le recours de la lumière. Et la facétie de ses jeux et ballets incessants.

    IMG_0903.JPGLa surface du lac, vue d’en haut, à toucher presque Cap de Long, et un léger clapot provoqué par des langues de vent râpeuses, figurent un toit de grange ariégeoise, aux reflets d’ardoise, qui n’aurait pas de fin, comme on en trouve, assoupies par le temps, nichées au fond de la vallée de Bethmale, en Couserans ; leurs ailes grises étendues comme celles d’un albatros mises à sécher.

    Même mieux caché qu’un trésor par une épaisse purée de pois blanchâtre, un lac demeure une présence grande. Un quai des brumes. Nous l’entendons bruire, clapoter, couler, sourdre, cogner à ses bords. Bateau à quai. Alors nous le sentons, ce lac, nous éprouvons sa vérité de monstre assoupi. Nous le guettons en silence, par crainte d’éveiller sa tension en mode pause. Deviner le lac relève de la chasse à l’approche.

     

    ©L. M.

    Texte & photos.


    Pratique :

    - Y aller : Paris-Tarbes en TGV via Bordeaux. 5 h environ. Puis prendr el aroute desIMG_0576.JPG lacs, jusqu’à celui d’Orédon.

    - Manger et dormir : A Luz-St-Sauveur : Hôtel-restaurant le Montaigu, 0562928171

    Auberge du Lienz chez Louisette, à Barèges 0899022096

    Hôtel restaurant Le Viscos à St-Savin (gastro), 0562970228

    Refuge, sur place (aux portes du Parc, à 1820 m d’altitude) : celui du Lac de l’Oule, proche de Saint-Lary et sur la route d’Espiaube 0562984862

    - Carte IGN TOP 25 1748 ET

    - Lire : Lacs et barrages des Pyrénées, Privat, textes : ma pomme. Aquarelles de Philippe Lhez.

  • Pilepocket

    J'adore les folio à 2€ parce qu'ils ne ressemblent pas à des livres à 2 balles. Ils sont beaux comme les autres folio, juste un peu plus minces, encore que. Mais cette minceur leur va bien. J'aime leur côté After eight. Leur densité (l'éditeur privilégiant la nouvelle), donne du mentholé à la lecture. C'est le piment du genre short qui veut cela. J'aime offrir ces plaquettes à l'occasion, autrement dit en ciblant avec précision chaque titre pour chacun de mes destinataires. Un folio à 2€ est parfois composé d'extraits d'un autre folio ou, plus intéressant, il peut être extrait d'un volume de la Pléiade. Le catalogue de ces lectures apéritives et appétentes est splendide. Ces petits bouquins donnent faim. Ce sont de véritables appâts.

    Parmi les dix nouveautés du mois, j'ai retenu Une drôle de traversée, d'Ernest Hemingway (dont on célèbrera le 2 juillet le cinquantième anniversaire de son double coup de carabine 458 Dumoulin -je crois- dans la calebasse), nouvelle extraite du précieux volume des Nouvelles complètes (Quarto) et qui donnera plus tard En avoir ou pas. Mais il ne s'agit pas de l'ébauche ou du brouillon du célèbre roman, mais d'une vraie nouvelle d'une bonne trempe. Le cadre : Cuba 1933. Les personnages : un contrebandier trafiquant qui carbure au rhum, un homme d'affaires véreux appelé Le Chinois, des clandestins, une sombre affaire qui tournera mal, ou plutôt qui chavirera au large de Key West... On adore et on entend la voix de Humphrey Bogart en lisant...

    De Flaubert, il y a deux bijoux, qui préfigurent Madame Bovary : Un parfum à sentir ou Les Baladins, et Passion et vertu. Deux nouvelles aussi courtes que précieuses. Classées parmi les Oeuvres de jeunesse (en Pléiade), elles ont justement la fraîcheur d'un Flaubert déjà efficace comme un chat : c'est leste, ça rebondit toujours bien, c'est vif et câlin, mais gaffe!.. On n'oublie pas facilement la Marguerite du premier texte, ni la Mazza du second. Et même si ça sent le vaudeville de province, les charmes vénéneux de la passion aveuglante, la tentative de reconquête d'un amour, l'adultère basiquement libérateur, c'est Flaubert qui écrit : total respect à chaque page.

    De Théophile Gautier, La cafetière, La morte amoureuse, et Le pied de momie sont trois récits fantastiques "en habit noir", où l'on voit notamment un homme rêver qu'il danse avec une femme qui se transforme en cafetière volante. Puis un prêtre, Romuald, qui tombe fou amoureux d'une certaine Clarimonde le jour de son ordination. La femme, d'une beauté paralysante, meurt, puis se réveille, déclare sa jalousie envers Dieu pour exprimer son amour au jeune prêtre, et retourne à la mort. Mais tout cela n'est-il que songe?.. Il y a enfin, dans le troisième récit, un homme qui, ayant acheté un pied de momie, plonge en songe dans l'Egypte pharaonique. Avec le sens puissant du conteur, Gautier nous emporte contre lui comme un ballon ovale et l'on se sent bien, là, serré, sanglé à son écriture comme un gamin happé par son premier Jules Verne.

    De Lucrèce -qu'il est bon de le lire de temps à autre, voici L'esprit et l'âme se tiennent étroitement unis (..."et ne forment ensemble qu'une seule substance"), extrait du célèbre De la nature. Il nous rappelle, et c'est salutaire, que la crainte de la mort et le dégoût de la vie sont l'effet de l'ignorance, il rend hommage au divin Epicure, précise que l'esprit et l'âme sont une partie du corps, que l'âme et le corps sont solidaires l'un de l'autre et que l’âme, étant partie du corps, est mortelle comme tout autre organe. Cela se discute... Depuis des siècles.

    Et de Carlos Fuentes, voici En bonne compagnie, suivi de La chatte de ma mère (extraits de En inquiétante compagnie), deux contes gothiques qui mettent en scène, le premier, les deux vieilles tantes acariâtres, Maria Serena et Maria Zenaida, célibataires aigries évidemment, du jeune Alejandro de la Guardia, et que l’on ne souhaiterait pas rencontrer dans la vie réelle, même le temps d'un thé forcément amer dans leur demeure sombre qui pue le renfermé. Nous retrouvons avec bonheur la langue drue et le ton claquant, cinglant même, du Fuentes de l'inoubliable Diane ou la chasseresse solitaire. Je n’ai pas lu le second conte.

     

  • Guides de nature

    Je sais pas vous mais moi... J'adore les guides naturalistes de terrain. J'ai constamment mon Peterson (Le Guide des oiseaux d'Europe, de Mountfort, Hollom, Peterson et alii) dans ma voiture, avec les jumelles, ou bien (un autre exemplaire) à la maison, près de la main. Et ce depuis trente ans et des poussières. Les guides Delachaux & Niestlé sont mes petites bibles. Mais il n'y a pas qu'eux...

    Le printemps explose. Le week-end dernier, dans l'Aube, en Champagne, les fleurs ont surgi, grandi un peu partout, d'un seul coup. En l'espace de deux jours, leur présence avait accru le paysage, son âme, jusqu'à envahir notre regard matinal, par la fenêtre. Nous avons ramassé beaucoup de muguet en sous-bois et les coqs faisans se tancaient à qui mieux mieux, dès avant l'aube. Les chevreuils se montraient en lisière, les palombes continuaient de parader, le coucou appelait, les premières tourterelles des bois, de retour d'Afrique, roucoulaient à l'ombre des forêts, les chataigniers, les cerisiers étaient blancs de fleurs, les boutons d'or prenaient le pas, ou le ton, sur l'herbe dans les clairières et les hirondelles silencieuses virevoltaient sous les toits. Dans ces cas-là, il est bon d'avoir un guide sur soi pour lever un doute : hirondelle de cheminée ou de fenêtre? Tourterelle des bois ou Turque? Brocard ou chevrette? Tilleul ou acacia? Ail des ours ou chèvrefeuille...

    1296664938.jpg1296663820-pt.jpg1296664129-pt.jpg1296664755-pt.jpg

     

    Oiseaux, Arbres, Fleurs, Mammifères : voici 4 guides enrichis de nombreuses photos, publiés par les éditions Ulmer, à glisser dans le sac à dos ou dans la portière de la voiture, avant de partir en randonnée en forêt, au marais, sur la côte, en plaine, en famille ou en solitaire. Ils sont pratiques, souples, solides, d'une lecture rapide et facilitée par une cartographie précise, des textes courts et des dessins de traces, pour les animaux. Identifier un labbe parasite, un rhinolophe euryale, un chêne pédonculé et une gentiane inconnue des services de police devient un jeu de feuilletage.

    1295369734-pt.jpg1290771649-pt.jpgPlus intéréssants encore sont, chez le même éditeur, Plantes sauvages comestibles, qui propose en plus des fiches, 100 recettes pour accomoder 35 plantes, comme la benoîte, le coquelicot, l'ortie, la pain de coucou ou encore le pissenlit. Enfin, Reconnaître les chants d'oiseaux, augmenté d'un CD, permet aux enfants de se familiariser avec les chants et les cris des passereaux, limicoles, gallinacés et autres oiseaux d'eau relativement familiers ou rapaces courants. Six guides de saison.

     

    Guides Ulmer, de 9,90€ à 12,90€, sauf le livre sur les plantes comestibles : 14,95€.

     

  • Le poids du papillon

     

    A12935.jpgC'est le nouveau livre d'Erri De Luca et il est mince comme la silhouette d'un braconnier dessiné par Dubout. S'y trouvent deux nouvelles, une longue (une soixantaine de pages) qui donne son titre au livre et un autre très courte, Visite à un arbre, sans grand intérêt. Le poids du papillon est une sorte de conte merveilleux pour grands enfants épris de nature sauvage, de justice, de combat intérieur avec ce qui reste de nature animale au fond de notre nature humaine. Un braconnier qui a déjà pris plusieurs centaines de chamois dans les Alpes italiennes (Dolomites), convoite le roi d'entre eux, le chamois mythique, magnifique, âpre au combat contre les siens, énorme, réputé imprenable. La lutte avec l'homme armé s'engage dans ces montagnes, un matin de novembre. Il y a beaucoup de silence, de solitude, de retrait, d'énergie concentrée. Je ne dirai rien de plus, ni du symbole des dettes, qui se paient à la fin, une fois pour toutes. Ni de la force de l'aile d'un papillon blanc sur une carabine, sur le poids du ciel ou sur celui de la vie. Ni du poids de l'aile d'un papillon sur les années sauvages de deux êtres enlacés et glacés dans la mort, qui ne se pèse pas, qui s'évalue à l'aune de la poésie. Car la langue de De Luca, infiniment subtile, se découvre, lorsqu'elle possède comme ici la délicatesse d'un haïku. En lisant cette nouvelle, j'ai pensé aussi à ce précieux extrait du poème La prière, de Giuseppe Ungaretti (traduit par Philippe Jaccottet) : 

     

    La vie lui est d'un poids énorme

    Comme aile d'abeille morte

    A la fourmi qui la traîne.

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    Gallimard, 9,50€

  • Rouges de terrasse

    Le Mas des Bressades 2010 est un Costières de Nîmes rouge de caractère, composé de syrah et de grenache à 55/45. Il donne un nez franc davantage herbé (on sent la garrigue) que fruité et une bouche friande et fraîche, claire et suave. Il supporte les plats épicés et s’accommode d’une salade. 6€.

    Le Domaine de la Patience, Cuvée Sébastien 2009 est un autre Costières de Nîmes rouge  (j’aime décidément cette appellation) élégamment marqué par la syrah (85%). Il présente une robe noire assez austère, son nez est sauvage, épicé, et de fruits confits que l’on retrouve en bouche. 11€ est le prix du flacon idoine pour une côte de bœuf, un carpaccio bien mariné et épicé, ou bien une tablette de chocolat noir. Un vin profond, vivant et charmeur comme les Costières savent en produire. On adore.

    Du côté de Crozes-Hermitage, David Reynaud 2009, du Domaine Les Bruyères est un rouge 100% syrah conduit en biodynamie. La robe est foncée, le nez est marqué par les fruits rouges et la bouche est sensuelle, avec cette touche de violette sur le cassis, la vanille et le poivre gris. Mais il ne nous emballe pas. De même cet autre Crozes-Hermitage 2009, pourtant signé de Laurent Combier. Un 100% syrah réglissé avec une dominante de fruits noirs bien mûrs, voire confiturés en bouche, mais qui ne laissent pas la trace habituelle, faite d’une belle longueur, d’une ampleur, d’une mâche, d’un équilibre épices-fruits noirs parfait… Ou alors ce sont nos papilles qui sont tournées vers l’été et qui ne pensent plus aux appellations qui réclament une daube, un bourguignon, une brochette de grives, un pâté d’alouettes… 9,80€ le Reynaud et 11€ le Combier. Si le thermomètre chute, débouchez ces syrah slim avant de lancer la plancha.

    Altos ibéricos 2008 est un tempranillo 100% pourvu d’un caractère de toro bravo. Ce Rioja Alavesa (la meilleure zone –une enclave basque- de cette grande et magnifique appellation espagnole) de la famille Torrès, passe un an en fûts et roupille six mois en bouteille avant de sortir du toril. Ce vin-là a été mis en bouteille en août 2010. Sa robe est de sang noir, comme la peau d'une grosse cerise très mûre. Son nez est intense, qui vous jette une compote de fruits aux narines et sa bouche se calme, avec suavité, mais sans vous lâcher. La longueur est celle d’une passe de muleta qui enroule le toro dans une chorégraphie centrée, avec ce qu’il faut d’épicé pour tenir en haleine votre vis-à-vis ès dégustation jusqu’à la prise de ces notes, précisément. Parfait avec un jamon ibérico, un queso  manchego, une perdrix rouge s’il vous en reste une dans le congélo.

  • Le rosé du jour

    C'est un Cabernet-Sauvignon 2010, signé Domaine de la Grande Courtade, une propriété de la famille Fabre depuis 1763, à Béziers, et dont les vignes se trouvent sur l'oppidum d'Ensérune. C'est frais, fruité et gourmand, c'est en IGP Pays d'Oc, mais c'est un chouia trop acidulé, façon bonbon anglais Quality Street, ou bien français de La pie qui chante à la cerise, vous voyez le truc? Du coup, et malgré une robe saumonée qui n'annonce pas une telle sucrosité, les accords sont réduits, et à l'apéro, ça plastifie un peu la langue et ses papilles. La contre-étiquette nous vante un nez de fraise tagada. Mais c'est précisément cela qui pose problème. 4,90€. A fiancer avec du melon peut-être, ou bien avec des framboises nature. 

  • L'art du roman selon Kundera

    L’actualité Kundera m’a poussé à reprendre L’art du roman (essai) plutôt qu’un de ses romans, car c’est un recueil de formules salutaires, et de bon sens, sur le sujet. Par un romancier qui avoue n’être attaché à rien sauf à l’héritage décrié de Cervantès.

    Extraits :

     

    Le romancier n’est ni historien ni prophète : il est explorateur de l’existence (p.59, en folio).

     

    Si le roman doit vraiment disparaître, ce n’est pas qu’il soit au bout de ses forces mais c’est qu’il se trouve dans un monde qui n’est plus le sien (p.28).

     

    Mais l’esprit de notre temps est fixé sur l’actualité qui est si expansive, si ample qu’elle repousse le passé de notre horizon et réduit le temps à la seule seconde présente. Inclus dans ce système, le roman n’est plus œuvre (chose destinée à durer, à joindre le passé et l’avenir) mais événement d’actualité comme d’autres événements, un geste sans lendemain (pp.30-31).

     

    Le roman n’est pas une confession de l’auteur, mais une exploration de ce qu’est la vie humaine dans le piège qu’est devenu le monde (p.39).

     

    Tous les romanciers n’écrivent, peut-être, qu’une sorte de thème (le premier roman) avec variations (p.159).

     

    Je rêve d’un monde où les écrivains seraient obligés par la loi de garder secrète leur identité et d’employer des pseudonymes. Trois avantages : limitation radicale de la graphomanie ; diminution de l’agressivité dans la vie littéraire ; disparition de l’interprétation biographique d’une œuvre (p.169).

     

    D’après une métaphore célèbre, le romancier démolit la maison de sa vie pour, avec les briques, construire une autre maison : celle de son roman (p.174).

     

    Le romancier est celui qui, selon Flaubert, veut disparaître derrière son œuvre. Disparaître derrière son œuvre, cela veut dire renoncer au rôle d’homme public. Ce n’est pas facile aujourd’hui où tout ce qui est tant soit peu important doit passer par la scène insupportablement éclairée des mass media qui, contrairement à l’intention de Flaubert, font disparaître l’œuvre derrière l’image de son auteur (p.185-186).

     

     

  • Flacons du lundi

    Château d’Or et de Gueules est un Costières-de-Nîmes (2008) d’une grande douceur. Très fruité, ce rouge planté en Syrah (45%), Carignan (35%) et Grenache (20%) s’appelle Cimel, ce qui signifie bouquet de fleurs en Occitan.  Son nez est de fruits noirs frais et mûrs. En bouche, c’est l’adjectif soyeux qui s’impose d’emblée. Des notes de fruits noirs reviennent, avec une agréable touche confite. Il vaut 8,50€ et c’est une sorte de rouge d’été, pour accompagner magrets, côtelettes et tartes aux fruits.

    Le Canon du Maréchal. Ce célèbre vin en IGP Pays des Côtes Catalanes doit son nom aux vignes ayant appartenu au Maréchal Joffre, enfant de Rivesaltes. Nous avons goûté le rosé 2010 du Domaine Cazes qui l'élabore avec une précision d'horloger helvète (et le propose également en BIB de 3, 5 et 10 litres). Il s'agit d'un vin élevé en biodynamie depuis bientôt 15 ans. 40% de Syrah, 40% de Merlot, 20% de Grenache noir lui donnent robustesse et souplesse, fraîcheur et générosité. Fruits des sous-bois, touche légère d’agrumes sont aisément perceptibles, tant au nez qu’en bouche. Pour 6,50€, la bouteille surfe tranquillement sur la charcuterie et les poissons grillées, même s’ils ne sont pas bio ! Le Maréchal n’est pas sectaire. Il existe aussi en rouge (2010, Syrah-Merlot à 50/50) : c'est doux, tendre gourmand et printanier : pas compliqué, quoi!

    1688. Ce rosé pétillant sans alcool est un pur produit marketing : Bouteille stylée, lourde, à l’ancienne, elle évoque le champagne rare. 1688 fait forcément rêver. Le nom semble avoir été trouvé pour le marché chinois : Maison Honoré du Faubourg. Une légende (faut-il y croire?) raconte l’aventure d’une lettre datant de 1688, contenant la recette, qui fut perdue puis retrouvée chez un bouquiniste parisien… Bref, si ce breuvage, appelé Grand Rosé, issu de raisins rouges et blancs quand même, avec un nez muscaté agréable, n’était pas bon, on vous le dirait. Or, on en oublie qu’il y a 0% d’alcool (et ni additifs, ni sucres ajoutés) dans cette sorte d’apéritif étrange et doux, qui ressemble à un effervescent champenois et qui est capable de séduire, et pas que les filles ! 10,55€ le flacon, quand même.

  • Lagrime di San Pietro

    Le 24 mai 1594, Orlando Lassus, 62 ans, Maître de chapelle du duc de Bavière, dédie son chant du cygne, « Lagrime di San Pietro », Les larmes de Saint-Pierre,  cycle monumental de vingt et un madrigaux, au Pape Clément VIII, composé à partir de poèmes de Luigi Tansillo. Philipp Herreweghe et son ensemble Collegium Vocale, restituent cette oeuvre avec un art, un talent, une douceur, une délicatesse qui forcent le respect et les larmes les plus rétives. J’en frissonne rien que d’écrire cela, au souvenir de ce concert de voix si parfaitement accordées. Avec l’image, cela donne une diffusion sur Arte, le 22 avril prochain à six heures du matin, parce que l’avenir sensible appartient à ceux qui tendent l’oreille tôt. Et puis de toute façon, l’aube étant incontestablement le moment unique de la vie si l'on prête un tant soit peu attention à celle-ci, aller à sa rencontre pour écouter cela, c'est juste du bonheur à l'état pur, de l'eau de source entre les mains jointes par le bas, un haïku amoureux reçu/envoyé à l'élu(e) tandis que nous pensons à autre chose, à Piss Christ, oeuvre majeure d'Andres Serrano, saccagée en Avignon par d'inquiétants extrémistes par exemple...

  • Le flacon du jour : le rosé des Ollieux Romanis

    Ollieux romanis rosé.jpgLe terroir est excellent, dans les Corbières, puisque c'est celui de Boutenac. La propriété est très grande : 150 ha dont 130 d'un seul tenant, et bien exposés sur un sol rouge argilo-calcaire. L'encépagement est original : grenache gris à 70% (le reste en cinsault). La robe, rose très pâle, est infiniment féminine, séduisante, presque timide comme les joues d'une hôtesse de l'air au temps d'Air Inter dans la Caravelle du vol pour Orly au départ de Biarritz-Parme. Parme, justement (mais coupé très très fin : transparent, quoi). Le nez est de fruits frais vifs comme la groseille, et la bouche est tendre et vivace. En somme, il s'agit d'un rosé de délicatesse, de charme, d'apéritif raffiné, pas d'un rosé de rugbymen pour la 3ème mi-temps du match qui se disputera dans 2 heures et qui opposera les Leicester Tigers à Gloucester (mon fils est sur les gradins, le veinard, et cela se passe au fin fond de la campagne anglaise). Pour 7€, voilà un rosé 2010 classieux mais cool pour la tombée du jour, lorsque le jardin sent le chaud de l'après-midi et que percent les premiers parfums herbacés et terreux de la nuit, et si l'été finit sous les tilleuls, comme dirait Kléber Haedens, le printemps peut bien s'achever ici et maintenant. Retourne les saint-jacques sur ta plancha, Pierrot, elles sont en train de cramer!..

    Château Ollieux Romanis, Cuvée Classique, rosé 2010 des Corbières, Jaqueline Bories, vigneronne-éleveuse à Montseret dans l'Aude.

  • L'odeur du figuier

    51zze+0yHZL._SL500_AA300_.jpgSimonetta Greggio est Italienne, elle écrit en Français et elle porte le Sud dans son écriture comme Albert Londres portait la plume dans la plaie (*). Il y a du soleil qui oblige les yeux, de la sensualité qui tressaille, de l'Italie forte et vraie, du sable entre les doigts de pied, de la chaleur envahissante comme les caresses et les baisers peuvent l’être, des nuits blanches pour diverses raisons, dans chacune des cinq nouvelles de ce nouveau livre, L’odeur du figuier (Flammarion, 17€) et tout cela embaume un printemps hésitant, pas tout à fait comme le ciseau du couturier fend la soie : avec cette douceur décidée qui ne se retourne pas et va droit. Tutto diretto. Il y a beaucoup d'amour dans cet ouvrage, d'amour comblé ou déçu, d'amour assouvi un temps, un temps seulement, d'amour attendu, espéré, d'amour bafoué par des cons d'hommes (tiens, jeu de mots), d'amour total, volontaire et issu du don majuscule. D'amour partagé parfois. Il s'agit surtout, en fil d'Ariane, d’histoires écorchées d'impossibles couples. On saute sur des coups de foudre, ces "rencontres de deux urgences disponibles", on contemple derrière des lunettes de soleil virtuelles, une paire de personnages échappés d'un film encore inédit de Godard & Truffaut, où Chiara et Tsvi évoluent comme des traductions métaphysiques de la nonchalance d'avant l'Internet. Ils sont touchants et, n'étaient d'embarrassantes fourmis bien mandibulées, ils seraient aussi touchés par la grâce. Simonetta Greggio a beau se défendre de tout excès en brandissant, au détour de certaines phrases, un never complain, never explain muet, elle fend nos coeurs d'artichauts, mais elle a le tact de les cuisiner pour ses lecteurs au lieu d’imposer sans sommation leur masse lacrymale. "Je n'ai jamais pu quitter un homme sans en être désespérée, et aussi férocement soulagée", écrit-elle. L’improbable narratrice dit. L’auteur écrit. Celle-ci (which one?!) nous a avoué, lors d'une lecture en public de Fiat 500, la 5ème nouvelle du recueil, que toutes ces histoires étaient nées de son imaginaire (la part du vécu, la part d'inventé, hein, on n'en connaîtra jamais la proportion, ma p'tite dame!). Or, lorsque nous lisons : "C'est l'hiver, les nuits sont longues; j'essuie mes larmes et j'écoute la pluie qui tombe avec un vrai intérêt, un intérêt entier, exagéré, comme quand on est dans une salle d'attente et qu'on a rien à lire", nous y sommes et nous y croyons. Nous croyons à la vérité Greggio. Nous la lisons au plus près. Cette vérité est faite d'empêchement, pas de renoncement. D'empêchement. Et aussi, par exemple, d'un hommage au très grand écrivain (je pèse mes adjectifs) Mario Rigoni Stern, dont elle évoque Le Sergent dans la neige (histoire homérique, romantique, dostoïevskienne et en même temps pudique comme une sotie de Gide, humble comme du Primo Levi, sur la retraite de Russie, au milieu de laquelle une poignée de soldats italiens se débat, hébétée, et qui commence par ces mots : "J'ai encore dans les narines l'odeur de la graisse qui fumait sur le fusil-mitrailleur brûlant."). L’année 82 est le titre de notre nouvelle préférée, sur les cinq. Elle semble évoquer l’arrivée de la jeune Simo à Paris, sans le sou, prête à en découdre, à bouffer le monde avec les os, la graisse et les habits qui vont avec. Le récit de la galère de Léo, de mille métiers, mille misères, en désappointements et déconvenues qui sont autant de leçons sur la nature masculine et la vie, est une leçon de courage en temps de crise et en 3D. Au moins. Les années sida pointent leur sale pif d'oursin couard, et c’est tout à coup vraiment compliqué, non. Là, SimoGreggio la joue scénar’, électrique, godardienne, on dirait une Wiazemsky qui ose, elle se lâche : cut, plan serré, travelling arrière, large maintenant, reviens sur le truc, là, oui, voi-là ! On la tient. L'écriture, qui prend l'accent du film Jules et Jim, ne perd cependant jamais de vue l'objectif, qui est de dire : mon vieux, ma vieille, l'amour, c'est compliqué. Pas impossible, non, mais compliqué. Très compliqué. Telle est la leçon primordiale. Et Simonetta, par bonheur, rebondit, le corps mangé de sel sur l’anse caillouteuse de Positano, parce que le foutoir de Naples l’effraie, et qu’elle vit alors la passion (sexuelle seulement : résumons) avec un Moreno, un cyclone. (Donc le seul endroit sûr, c'est son œil). Tout cela fait un livre. Lorsqu’il s’agit d’un recueil de nouvelles, vient cet irrépressible besoin d’en chercher obstinément une ou plusieurs unités fondamentales, surtout celle qui décolle, au-delà du fil d'Ariane. Le roman nous manque, son absence nous intrigue. Ici, avec ce livre-là, l'unité n'a pas besoin d'être cherchée sur place, mais d'être reconnue, retrouvée peut-être, dans ces vers de Shelley, lesquels ferment L’odeur du figuier :

    L’esprit

    Est la vie

    Qui coule à travers

    Ma mort

    Sans fin

    Comme une rivière

    Qui n’a pas peur

    De devenir

    La mer.

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    (*) Notre rôle (les journalistes) n'est pas d'être pour ou contre, il est de porter la plume dans la plaie. Célèbre maxime du Prince des reporters, Albert Londres, que tout journaliste digne de ce titre a, punaisée, au-dessus de son Mac. -Je me trompe?..

     

  • Le flacon du jour : le Rosé de La Chevalière

    rose_max.jpgC'est un rosé vineux comme on en trouve guère plus, à la robe pétale de rose sombre, loin des robes saumonées très tendance, qui standardisent le look de beaucoup de rosés. C'est la maison Laroche (à Chablis) qui produit ce vin du Pays d'Oc (IGP) en 2010. Il est pourvu d'un joli nez de fruits rouges frais de saison : fraise, framboise. La bouche est suave et d'une douceur de pétale, pour le coup. Des lèvres de velours, cette bouche. 60% de Syrah et 40% de Grenache issus de différents terroirs, assemblés, élevés 3 mois en cuve inox et mis en bouteille au Mas La Chevalière, près de Béziers donnent ce flacon remarquable par sa finesse davantage que par sa puissance. La bouteille coûte 7,80€ et elle les vaut. Avec quoi? -Grillades (rouges, blanches) toutes simples, pizza, soupe (ou salade) des fruits précités.

  • Pêcher à la mouche dans l'Allier

    Papier paru cette semaine dans Paris Télé OBS (Le Nouvel Observateur)

     

    Les rivières auvergnates de l’Allier offrent des spots d’anthologie pour la pratique de la plus noble des pêches.

     

    Le Massif Central propose de nombreuses possibilités aux amateurs de pêche en rivière, et l’Allier possède sans doute les plus beaux « parcours », notamment pour les « moucheurs». Ces puristes, esthètes, excellent dans l’art de pêcher la truite au moyen d’un leurre en plumes et en poil monté « maison » autour d’un hameçon, et sensé imiter un insecte tombé à l’eau. Ils sont nombreux sur les rivières d’un département aux paysages sauvages et d’une tranquillité absolue. La pêche sportive y a adopté le « no kill », qui consiste à remettre le poisson pris à l’eau. Le « fly-fishing » désigne un certain état d’esprit, fait de respect, d’observations infinies avant que de pêcher : on dit qu’il faut « lire la rivière », y deviner la présence d’une truite en chasse, à l’affût à l’ombre d’un arbre ; et aussi de poésie. Cette discipline halieutique est pratiquée par une « élite » pour laquelle l’éthique d’une pêche qui ressemble à une chasse à l’approche est primordiale, et la prise accessoire. Parmi les rivières de moyenne montagne du département, il y a l’Allier lui-même, sur lequel on pêche en canoë, au lancer, à roder le long des berges, notamment des silures. Mais les meilleures zones de pêche sont incontestablement les Gorges de la Sioule et de la Bouble (rivières de première catégorie, comme il se doit), pour la pêche à la mouche, ainsi qu’au leurre et au toc (appât naturel). Des séjours à thème assortis de stages à la journée ou à la carte permettent de s’initier ou de se perfectionner à la truite à la mouche ou au toc, au brochet au lancer, ou bien à roder, ou au poser, ou encore à la carpe à la grande canne. Dans cette zone réputée, la Sablière du Raduron, à Ebreuil, et le Plan d’eau de Bellenaves, sont célèbres pour la carpe et le brochet.

    La Besbre et le Sichon sont des hauts lieux de pêche à la mouche. Le complexe piscicole et halieutique de Venas, et le réservoir des Crochauds, proposent des parcours de pêche enviés. Enfin, dans le Val d’Allier, il est possible de pratiquer la pêche insolite de l’alose de remontée à la mouche dans le secteur de Moulins. Le réservoir de Fougères, à Saint-Christophe, au pied de la montagne bourbonnaise entre Vichy et Lapalisse, recèle des truites arc-en-ciel pouvant peser jusqu’à trois kilos. Autre zone valant le détour, le Moulin du Piat, à Ferrière, au cœur de la montagne bourbonnaise. Une pisciculture y ouvre son élevage à la pêche dans d’immenses bassins, ainsi qu’un parcours « mouche » sur 900 mètres de rivière, nécessitant quatre heures de pêche. Il y a encore le Plan d’eau privé de Villemouze, pour la pêche des carnassiers aux leurres en no-kill obligatoire. Plusieurs moniteurs-guides de pêche de renom, bardés de diplômes ad hoc, proposent leurs services : A Yzeure, Alain Gourin enseigne à tous sur la Sioule : débutants, chevronnés, enfants, petits groupes. Philippe Parrat, à Beaune d’Allier, propose un catalogue de stages pour tous niveaux, toutes techniques, tous environnements pour des pêcheurs de 10 à 77 ans. Ainsi que des stages aventure en rivière, et fournit la logistique, jusqu’aux chalets et aux repas au bord de l’eau. Cerise sur le gâteau, l’environnement de ces sanctuaires où la truite prospère en reine, est bordé par l’un des plus beaux villages de France : Charroux, et par le vignoble de la jeune appellation Saint-Pourçain, riche d’une vingtaine de propriétés viticoles qui se visitent toutes. 

     

    ©L.M.

     

    - Pour tout renseignement : www.federation-peche-allier.fr

    - Y aller : En voiture : 3H30 depuis Paris (Moulins est à 294 km).

    - Se loger : une telle activité privilégie les gîtes, sis à proximité des lieux de pêche. Pour toute réservation : www.allier-reservation.com

    Gîte le Mas de Bessat (3 épis) à Saint-Pourçain-sur-Sioule (au cœur du vignoble)

    Gîte Le Chatelard (3 épis), au dessus de la vallée de la Sioule.

    Gîte Villeneuve (3 épis), hameau du Val de Sioule.

    Hôtel Le Chêne Vert, à Saint-Pourçain-sur-Sioule 0470453273

    - Se nourrir :

    Restaurant Les Quatre Saisons, à Saulcet (spécialités du terroir bourbonnais). 0470453269

    La Grande Poterie, à Coulandon, Maison et table d’hôte de qualité. 0470443039

    Le Chêne Vert, à Saint-Pourçain (restaurant de l’hôtel précité).

     

  • la plancha a sa fédé

    C'est le barbecue de l'avenir, un mode de cuisson de respect, un état d'esprit venu du sud de l'Espagne, qui a gagné le Pays basque et commence à envahir l'hexagone, si l'on en juge par le choix, dans les supermarchés, de planchas portatives, électriques (les meilleures sont au gaz, bien sûr, mais elles coûtent plus cher). Alain Darroze, cuisinier ancré dans le terroir au point d'avoir créé jadis Sos-Racines, et actuellement installé à Bayonne, a créé avec quelques partenaires la Fédération française de cuisine à la plancha. Cet outil que l'on trouve désormais dans la plupart des jardins du grand sud-ouest, et qui sert aussi bien à cuire under control viandes, poissons, légumes ou fruits, commence sérieusement à intéresser tout un chacun. D'où l'idée de lancer les premiers championnats de France amateurs de cuisine à la plancha. Vingt champions issus des concours régionaux disputeront les épreuves finales à la Foire de Paris, du 28 avril au 7 mai prochains. A suivre...

     

    home_r1_c2.jpgAlain Darroze : la Plancha c’est le respect du produit, et par conséquent du terroir dont il émane. C’est aussi la convivialité du sud, mais, et j’y tiens beaucoup, vécue, transformée, adaptée par d’autres cultures de partage, tout aussi chaleureuses, du Nord jusqu' à l’Est de la France. Et puis la Plancha c’est aussi la santé ! La chasse au gras ouverte toute l’année ! www.ff-cuisine-plancha.fr

  • Barcelone : en finir avec Gaudi

    Papier paru cette semaine dans Paris Télé OBS (Le Nouvel Observateur)

    C'EST PAR L'ART QU'ON  ENTRE ICI

    Un arbre cache la forêt de l’art dans la capitale catalane. Il se nomme Antoni Gaudi. Or, Barcelone sans Gaudi existe. Nous l’avons visitée.

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     Pour en finir avec l’omniprésent architecte, synonyme de Barcelone, et dont les reproductions figurent sur les casquettes et les porte-clés, au point qu’un certain tourisme se mue en terrorisme et « oblige » chaque visiteur à se rendre au Parc Güell, il suffit de penser Miro, Picasso et Tapies.  Idem pour la littérature : Manuel Vasquez Montalban, écrivain « officiel » de la ville, semble faire partie des produits touristiques, au même titre que les Ramblas et la Sagrada Familia. C’est oublier Eduardo Mendoza, Carlos Ruiz Zafon ou Francisco Gonzalez Ledesma d’un côté, et par exemple la tour Agbar, signée Jean Nouvel de l’autre.

    Tout Miro

    S’agissant d’art pictural contemporain, la Fondation Joan Miro, dans le quartier haut de Montjuic (la montagne des Juifs), au sud de la ville, recèle au bord d’un parc paisible, et à côté du plus important musée d’art de Catalogne (le MNAC), quatorze mille œuvres du grand artiste avant-gardiste, dont dix mille dessins, dans un somptueux édifice signé Josep Lluis Sert. L’œuvre protéiforme de Miro est là réunie, avec les nombreuses sculptures, peintures, céramiques, qui font écho à toutes les époques du créateur. La Fondation est également riche d’une aile en hommage aux « alliés substantiels » (l’expression est de René Char) de Miro, et donne ainsi à voir des œuvres de Marcel Duchamp, Alexander Calder, Antoni Tapies, Pierre Alechinsky, Fernand Léger, Wilfredo Lam, Balthus, Yves Tanguy, André Masson, Antonio Saura, Max Ernst ou encore Eduardo Chillida.

    Picasso jeune et Bleu

    C’est dans une rue piétonne du vieux Barcelone, juste avant Barceloneta, que se trouve le musée Picasso, dont la richesse n’a rien à envier à ses homologues de Malaga et de Paris. S’il ne possède pas certaines toiles emblématiques (le talent des musées Picasso est d’avoir « su » répartir l’œuvre), il comprend de nombreuses pièces maîtresses, comme l’interprétation des Ménines de Velazquez, soit une célèbre série de cinquante-huit tableaux. Et aussi Le Fou, et d’innombrables dessins – plus de mille sept cents œuvres au total, couvrant les années de jeunesse et la période Bleue, offertes par l’immense Pablo à la ville de ses attachements fondamentaux.

    Tapies tout neuf 

    Les lieux de l’art moderne les plus emblématiques de Barcelone sont par ailleurs le Musée d’Art contemporain (MACBA) et le Centre de Culture Contemporaine (CCCB), lequel fait partie du premier, au cœur du vibrant Barrio Chino, peuplé d’intellectuels et d’étudiants. On y trouve notamment des œuvres  de Jorge Oteiza, Miro et Tapies.

    La Fondation Tapies se trouve justement rue Aragon, en plein centre, à quelques mètres de la Casa Batllo, sans doute la plus subtile réalisation de Gaudi pour un client privé. L’extraordinaire musée dédié à Antoni Tapies, a rouvert en mars 2010 après deux ans de fermeture pour travaux. La façade du bâtiment, signée Lluis Domenech i Montaner, surmontée de « Nuage et chaise », structure géante en fil métallique signée Tapies, abrite l’œuvre du chef du file du courant Moderniste, les collections personnelles accumulées par l’artiste et des expositions temporaires des créateurs qui marquent leur temps. Louise Bourgeois y a exposé. D’importantes rétrospectives (Brassaï, Picabia, Andy Warhol), y ont eu lieu. Les Fondations Miro et Tapies sont les passages privilégiés de l’expression catalane de l’art contemporain ; dans la ville de Gaudi.

    ©L.M.

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    Tarragone, future capitale culturelle ?

    À quarante minutes de train du centre de Barcelone, par une voie côtière ravissante, se trouve une cité balnéaire riche de vestiges romains impressionnants, comme cet amphithéâtre qui mord le sable fin de la plage, en plein centre ville, une cité au passé médiéval entretenu, et une ville high-tech résolument tournée vers l’art contemporain. Tarragone, où se fabriqua jusqu’en 1989 la fameuse liqueur Chartreuse, est une cité déjà classée en 2000 au Patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco pour ses richesses archéologiques. Candidate à l’élection de capitale culturelle européenne 2016 (Cordoue et Malaga sont ses principales concurrentes espagnoles), Tarragone regarde devant elle, poursuit une vaste politique de grands travaux visant à renforcer ses structures d’accueil pour l’opéra et toutes les formes de musiques, la danse moderne, la peinture et la sculpture contemporaines. Elle transforme, entre autres, une gigantesque fabrique de tabacs et ses arènes en futurs lieux de rencontre culturels, destinés à faire de cette cité dotée d’un des ports les plus actifs de la Péninsule, un prolongement naturel à Barcelone. D’autant qu’ici, c’est un tapis de Miro qui capte l’attention du visiteur du musée d’art moderne de la ville, et que seul un élève de Gaudi, Jujol (Josep Maria Jujol I Gibert), signa discrètement mais efficacement le décor du théâtre Métropol, lequel figure un paquebot, le long de modestes Ramblas qui vivent intensément la nuit. L’empereur Hadrien vécut à Tarraco –nom romain de Tarragone (elle fut la capitale de l’Empire sous Auguste) et quitta la cité pour Tivoli, en déclarant que son cœur demeurerait « dans la ville où le printemps est éternel. » Joan Cavallé Busquets, écrivain, dramaturge, érudit local et artisan militant de la candidature de Tarragone, nous a confié qu’elle est « la ville de la culture de la paix ». Constamment détruite au fil des siècles, mais toujours debout, cette ancienne ville de garnisons sous Franco n’a-t-elle pas réhabilité ses casernes en départements de son Université...

    L.M.

     

    Pratique :

    Comment s’y rendre : Vols quotidiens depuis Paris et les principales villes de France, sur Iberia, Air France, et les compagnies low coast comme Vueling.

    Dormir à Barcelone : Chic & Basic Born. Hôtel archi design de très bon goût dans le vieux quartier (50, rue Princesa), à quelques mètres du Musée Picasso.

    Manger à Barcelone : Lonja de tapas, Place del Palau, et Celler de la Ribera, 6, Place de las Olles  : délicieuses tapas, vins catalans au verre.

    Dormir à Tarragone : Husa Imperial Tarraco, Passage Palmeres. Idéalement placé, devant l’amphithéâtre romain et la mer.

    Manger à Tarragone : aq restaurant, ou la modernité gastronomique dans sa belle expression (l’esprit d’Adria plane ici). 7, rue les Coques. Et L’Anap, bâti contre un mur du Forum romain (classé). Cuisine inventive, artistique. 14, rue Comte.

    Lire : Les romans « barcelonais » de Montalban et de Mendoza (Points/roman) et « Les Marana », roman de Balzac dont l’action se déroule à Tarragone (Albin Michel)

  • Manuscrits de guerre, 2

    images (1).jpegLa seconde partie du livre de Julien Gracq contenant deux inédits et intitulé Manuscrits de guerre est donc un récit, sans titre, écrivais-je hier (lire ci-dessous : Manuscrits de guerre, 1) et reprend des passages, des phrases, des thèmes, des impressions, des actions aussi du Journal qui le précède. Il est écrit à la troisième personne de l'imparfait et met en scène le lieutenant G. Il est aisé de rapprocher celui-ci de l'aspirant Grange du Balcon en forêt. Les deux sont le même double de l’auteur. Le scénario du début (seulement) du Balcon est identique, les lieux sont les mêmes, les compagnons d'armes aussi ... Au début du récit, la plage décrite ainsi que ses environs, Malo (-les Bains, près de Dunkerque, lit-on) ressemble cependant à s'y méprendre à celle de Morgat, qui servit de cadre au Beau ténébreux. Même atmosphère de côte sauvage bretonne, avec des mouettes et leurs cris de poulies rouillées. Il est probable que Gracq commençait d'écrire ce second roman-là, qui paraîtra en 1945, tandis que le Balcon, récit, ne paraîtra qu'en 1958. L'évocation des beautés de la Flandre hollandaise préfigure par ailleurs l'un des plus beaux textes de Gracq : Sieste en Flandre hollandaise (Liberté grande).

    Ce récit met en scène un personnage hiératique et stoïque, soucieux d'une morale certaine. Davantage qu'à Grange, nous pensons alors à Aldo (Le Rivage des Syrtes). Un fil d’Ariane court, qui peut se résumer d’une phrase : la poésie d’une guerre, c’est l’ennui quand on la fait. On songe aux attentes dans le Rivage et dans le Balcon aussi. En somme, ce récit assez bref contient déjà tout le terreau sur lequel Gracq bâtira l’essentiel de son œuvre de fiction. C’est pourquoi il est précieux. En revanche, l’action y est permanente (débâcle  oblige : les soldats français ne sont plus commandés,  égarés sur l’asphalte enfondu de sueur des routes nationales…  Ils risquent à tout moment de frôler l’ennemi, vivent sous un parapluie d’avions (…) La troupe avait absorbé les couleurs de la défaite comme une éponge boit l’eau… Le qui vive est constant) et cette vivacité des scènes est inhabituelle, dans les récits, nouvelles et romans de Gracq. Elle est de surcroît singulièrement accrue, par rapport au Journal dont ce récit est directement issu.

    En contrepoint, paisiblement, Gracq livre des images sensationnelles dans cette langue somptueuse dont il ne se départira jamais (bien que les lignes qui suivent contiennent -à notre avis- une exceptionnelle imprécision, voire un défaut léger de ponctuation). Extrait :

    G. n’avait pas envie de dormir : cette soirée, tout de même, c’était une veille d’armes. Roulé dans sa capote sous les étoiles claires, allongé au côté de l’équipe du canon de 25, il écoutait couler dans la nuit comme une eau la conversation étouffée des soldats qui sourdait de la terre ; rafraîchissante et intarissable comme une source, avec ses hésitations et ses doux silences cette petite voix changée, toute drôle des heures de nuit qu’avaient les hommes, comme des enfants qui se parlent au long de la route en revenant de l’école – une voix de sérieux, si pénétrée de l’importance des choses dites.

     

    Manuscrits de guerre, par Julien Gracq, José Corti, 19€

     

     

  • Manuscrits de guerre, 1

    images (1).jpegLe livre (*) est composé de deux inédits (lire ici à la date du 4 avril) : un Journal intitulé Souvenirs de guerre, signé Louis Poirier, et un récit sans titre. Le journal, entre le carnet de bord et ler procès-verbal du quotidien d'une petite garnison que dirige le lieutenant Louis Poirier (que l'on sent devenir l'écrivain Julien Gracq, à la faveur de l'aventure de la guerre), a été écrit sur un cahier ligné ordinaire de marque Le Conquérant. L'époque : mai-juin 1940, la drôle de guerre sent fort la défaite, la débâcle. Le lieu : autour de la frontière belge, de Winnezeele en Flandre française le 10 mai, à Zyckelin, près de Dunkerque le 2 juin. Les thèmes majeurs de l'oeuvre à venir sont déjà là, fournis peut-être par l'atmosphère de cette (drôle de) guerre : l'attente, l'anxiété et la peur, mais l'attente surtout. Louis Poirier ne supporte pas trop ses soldats, des alcooliques manquant de courage et d'intelligence, marchant au pinard, appelé mazout. Il ne fait pas corps, souligne Bernhild Boie, qui signe l'avant-propos (et veille par ailleurs à la postérité de l'oeuvre publiée et inédite de Gracq), il reste à l'écart, lit, fume, flâne, commande lorsqu'il y est contraint. Il est comme il se décrira plus tard, dans Lettrines je crois, évoquant ses années de collège en internat à Nantes qui lui furent un supplice. De toute façon, il répugne tout autant à commander qu'à être commandé. Les "envolées lyriques", rares, sont provoquées par la nature à l'aube, un paysage bucolique, des parfums et des teintes sauvages : ce sont des trèves poétiques en pleine guerre, quelquefois à quelques mètres de l'ennemi. Ou bien ce sont des gares rimbaldiennes dans la nuit sonore que l'auteur évoque, ou encore le silence magique des polders ou bien des fleurs qui tintent, éclatent, éclairent. Le reste est scrupuleusement noté. Mais avec tact et talent : Même plus d'avions. C'est la nuit du silence magique : nous marchons sur une mer dont les vagues se seraient figées. Certains passages interpellent l'aficionado de Gracq : lire d'un auteur fétiche ce qui suit est surprenant à plusieurs titres : J'empoigne mon fusil anglais, et vide le chargeur au hasard sur les silhouettes, à travers le soupirail. Le tir est décevant. Les silhouettes, très espacées, continuent à sautiller, à chaque instant masquées par les brins d'herbe qui ondulent devant nous. En avons-nous même touché? Gracq en guerre, tirant sur des soldats allemands! Gracq évoquant cela avec une froideur de circonstance, certes, mais quand même. Nous pensons alors à La Route des Flandres, de Claude Simon. Gracq, plus loin : Une de mes grandes appréhensions dans cette guerre était la vue du sang qui d'habitude me rend malade. Mais ici, ça ne me fait rien. (Il est en train de panser un soldat dont une cuisse vient d'être traversée par une balle). Et puis il y a surtout la chute de ce Journal, à la page 158 : les Allemands entrent dans la maison où la poignée de soldats dont l'auteur fait partie est retranchée, la porte de la cave s'ouvre et Julien Gracq (qui n'a alors signé qu'un seul livre : Au château d'Argol, en 1934), s'écrie aussitôt : Ne tirez pas. Nous nous rendons. Sans cela, nous n'aurions peut-être jamais lu ses 19 ouvrages suivants...

    (A suivre)

    (*) Manuscrits de guerre, par Julien Gracq, José Corti, 19€

    P.S. : un mot sur le physique du livre : c'est le premier ouvrage de Gracq, publié comme les 19 autres chez José Corti, à être déjà massicoté. Nous n'y avons pas retrouvé ce plaisir sensuel d'entrer dans chacun de ses livres, page après page, à l'aide d'un canif bien aiguisé. Le format a par ailleurs changé, qui adopte cette fois celui de la plupart des romans publiés par les éditions de Minuit : un 13,5 x 18 infiniment agréable.

    Photo : gazette-drouot.com

  • Dans les Landes... Mais à Paris, rue Monge

    Julien Duboué, chef de Afaria, A table! en Basque, évoqué déjà sur ce blog (le 25 septembre 2008), installé 15, rue Desnouettes, Paris 15, a donc ouvert il y a trois mois à peine une seconde enseigne bien gasconne : Dans les Landes... Mais à Paris (119 bis, rue Monge, Paris 5) et cette nouvelle bonne table, où il se trouve en permanence pour un temps (ayant confié les rênes d’Afaria à son « ombre » en cuisine), ne désemplit pas, même l'après-midi, où une grande terrasse continue de servir à boire et à manger. La formule est formidable : des tapas copieuses (façons raciones à San Seba) et très savoureuses, mêlant terre et mer, terroir basco-landais (les Landes seules ne suffiraient pas!) et pitchounettes incursions ailleurs. Le service est jeune, compétent et très souriant, physionomiste même. C'est servi dans des torchons qui tapissent des pots de résine (comme pour les admirables pieds de cochons désossés, mis en cubes pânés –la star de la carte, à mes yeux et papilles), ou bien des sabots comme on en fabriquait encore, il y a peu, à Siest juste en bas, devant les barthes... (pour présenter la chiffonnade de jambon Ibaïona, ou bien les chipirons aux piments doux, d'une fraîcheur, et donc d'un moelleux et d'un gusto extraordinaires), les tables individuelles et surtout les deux grandes tables collectives, assez hautes, invitent les Parisiens à pratiquer un échange convivial qui a toujours cours, de Peyrehorade le mercredi, jour de marché, à touche-touche aux Pieds de cochons, ou bien le dimanche avant le match de rugby, jusqu'à Fontarrabie, calle San Pedro du côté de Xanxangorri et au-delà, via Bayonne, quai Jauréguiberry, vers Ibaïa et Txotx. L'ardoise, outre un plat de chaque jour, offre une liste de tapas qui font (malheureusement) toutes envie. Outre les précitées (car nous y sommes déjà allés plusieurs fois), il y a aussi la (délicieuse) tortilla, qui change : un coup aux papas bravas et oignons confits, là aux premières asperges blanches... Les filets de caille marinés et délicieusement croustillants, les cœurs de canards en persillade – comme aux Fêtes de Dax, ces gambas avec une sauce d’inspiration thaï à se damner,  le mini croissant au jambon truffé,  la tourtière aux pommes et sa petite crème au beurre salé : parfaite, et encore ces couteaux et moules basquaise, qu’il me faudra bientôt goûter, ainsi que la poitrine de cochon (ibaïona) et la brochette de jambon au fromage de brebis (ardi gasna)… La carte des vins est évidemment  sud-ouest à fond, et c’est bien, tant mieux car  magnifique (notamment les côteaux-de-chalosse, vins modestes mais de caractère, trop méconnus à mon goût). Les prix sont assez doux. Un seul petit reproche : il faudrait que l’arrivée des plats ne ressemble pas à une avalanche, car on se sent alors speedé : comme c’est chaud et que l’on n’a pas envie de manger froid de si bonnes choses, on passe d'un plat l'autre à 100 à l’heure… Bon, c'était un samedi soir et la fois précédente, sur semaine, ce coup d'accélérateur ne s'était pas produit. Astuce : commandez les tapas en deux fois ! Par conséquent un immense bravo au jeune chef –il n’a pas 30 ans, natif d’un village infiniment cher à mon cœur,  Saint-Lon-les-Mines. J’ai passé le plus clair de mon adolescence dans la campagne autour de la ferme que mes parents avaient achetée à St-Lon, et j'y ai même trouvé le sujet et le cadre de mon premier roman, Chasses furtives (lire ci-contre à gauche). Julien Duboué a fait ses classes chez des chefs qui sont par ailleurs devenus des amis : Alain Dutournier (Carré des Feuillants, Trou Gascon, Pinxo… à Paris), Philippe Legendre (lorsqu’il était au Georges V à Paris) et chez lequel je me trouvais encore avant-hier à déguster sa cuisine pour les copains et la famille, bien planqués en Sologne, ou bien des cuisiniers de respect chez qui je me régale toujours : Jean Coussau à Magescq (Relais de la Poste) , Francis Gabarrus à Saubusse (Villa Stings), ainsi que chez Drouant (j'aime moins) et même chez Boulud à New York! (jamais testé). Aupa!

     

       

     

  • Flacons de saison

    Vins de vienne.jpgMagnifique Crozes-Hermitage 2008 signé Les Vins de Vienne : une syrah à la fois toute en puissance et en velours -une panthère, ce vin! Belle robe profonde, nez épicé et fruits rouges très mûrs en bouche, longueur confortable,  une réussite (à 13,50€) pour les soirées qui donnent envie de griller une côte de boeuf comme en hiver, pour changer des poissons.

    En AOC Crémant d'Alsace, un pinot noir 100% donnant un rosé pourvu d'uneCave de Beblenhaim.jpg belle tenue de mousse, et une structure très équilibrée en bouche, nous fait oublier les champagnes bruts rosés que l'on a désormais l'habitude de boire pour un oui ou pour un non. Ce pétillant nommé Au château, est signé de la Cave coopérative vinicole de Beblenheim (6,15€ à peine).

    CuveeBicentenaireAckerman.jpgDans le même esprit, mais en blanc, la cuvée à fines bulles subtiles d'Ackerman, à Saumur, est un miracle d'équilibre entre la fraîcheur et la maturité. A l'aveugle, plusieurs copains ont dit : c'est du champagne. Bon, il s'agissait de la Cuvée du bicentenaire de la maison, issue d'un assemblage méticuleusement étudié (chenin, cabernet franc, cabernet sauvignon, grolleau, pineau d'Aunis : il sont tous là!). 14,90€

    Ces deux effervescents, rosé et blanc, sont parfaits à l'apéro et peuvent suivre, à table, sur une salade aux agrumes et saumon, enchaîner sur une volaille blanche, ou bien revenir pour la tarte aux fraises.

    Béret noir, annoncé il y a peu dans ces pages, est un Saint-Mont composé à 70% de tannat,Beret Noir 2009 Producteurs Plaimont.jpg à 15% de pinenc et de cabernet-franc et cabernet-sauvignon pour le reliquat de 15%. C'est rouge profond, c'est solide, fort en fruits noirs, en épices douces aussi, c'est correctement tanique à l'attaque en bouche, mais le fruité revient en douceur et la fraîcheur calme l'ensemble, avec une note légèrement cacaotée du meilleur effet. Idéal sur la charcuterie du Sud-Ouest et ibérique, puis sur le magret ou le travers de porc à la plancha, ce vin simple comme on les aime ne vaut que 6,50€ et c'est très bien comme ça.

     

  • La napolitude

    entrer des mots clefsConnnaissez-vous la napolitude ? Ce terme désigne l’univers cosmopolite et chatoyant, multiculturel –à  la fois espagnol, grec, africain de Naples, qui est sûrement la ville la plus séduisante et la plus ensorcelante d’Europe (du Sud). Démesurée, débordante, exagérée, toujours dans cet excès à deux doigts du troppo, cette ville d’art, de vitalités énormes et disparates, offre un charme capital qui touche. Et fort. Dominique Fernandez, Napolitain de cœur depuis toujours, signe un livre de plus –mais quel magnifique album ! avec Ferrante Ferranti, photographe (Imprimerie Nationale, 59€, parution le 20 avril) qui nous montre une Naples splendide et arrogante, sensuelle et infiniment artistique, scandaleuse et talentueuse. Naples semble se foutre du tourisme lisse et mondialisé. Elle laisse cela aux cités du Nord de la Botte. Dire du mal d’elle (ville de voleurs, de poubelles non ramassées, de mafieux et de misère) équivaut à redire de Venise qu’elle est romantique, que les chats sont sournois et la mer… humide. C'est s'arrêter à l'écume, au fard, au cliché. Pour le passager au regard vrai, l’usage de Naples est celui de l’art de voyager, celui qui ne craint jamais le venin. (A dire vrai, je n’aime guère ceux qui font la grimace à l’évocation de cette ville merveilleuse et j’aime ceux dont le regard s’illumine en entendant les six lettres qui forment son nom). Vivre et savourer Naples, c’est marcher jusqu’à se perdre dans Spaccanapoli,  c’est errer sur les quais du port, au-delà de la Mergellina, c’est manger une pizza chez Vesi, aller revoir les fresques de Pompéi au Musée, avant de boire un blanc issu de Falanghina en contemplant l’une des plus belles baies du monde. Fernandez est un compagnon formidable, qui aime viscéralement une ville qu’il connaît à fond et cet album sobrement intitulé Naples, est un beau-livre étincelant, dans lequel Fernandez a raison de préciser qu’un amour partagé pour cette ville scelle le voyageur à ses habitants. Il ne suffit pas de prendre un café au Gambrinus, Piazza del Plebiscito (le meilleur du monde), même si ce café littéraire est un bonheur esthétique dans ses salons intérieurs, et qu’il porte la marque d’Oscar Wilde (qui porta à terme sa « Ballade de la geôle de Reading » lors d’un séjour ici : « chacun tue ce qu’il aime »…), si Malaparte en voisin,  D’Annunzio en « étranger », Domenico Rea en « local »,  s’y sont arrêtés souvent, car il faut avant tout se mêler, parler, marcher via Toledo (la plus belle rue du monde, selon Stendhal), via dei Tribunali en se frottant, car il faut affronter, ne jamais ignorer ni avoir l’air de se méfier. Alexandre Dumas, avait déjà compris cela. Que l’on ait la foi ou pas, écoutons ce trait de Cocteau : « Le pape est à Rome, mais Dieu est à Naples ». Fernandez, à propos de Spaccanapoli : « La rue qui ose « fendre » (spaccare) la ville, comme le couteau sépare les deux moitiés de la pastèque, comme l’homme déchire l’intimité de la femme. Une rue-blessure, obscène comme un viol, purulente comme une plaie, joyeuse comme une victoire, rectiligne et secrète, drôle et sévère, populaire et docte. » Je me trouvais à Naples il y a huit jours à peine. Et voilà ! J’ai déjà envie d’y retourner… Au moins pour manger un babà et une sfogliatella chez Scaturchio -la meilleure pâtisserie de Naples, selon Dominique Fernandez, minuscule, planquée près la place San Domenico Maggiore, dans Spaccanapoli. Avant de retourner encore et toujours à Procida. Fernandez achève son texte -superbement illustré par Ferranti, sur l'île de Graziella, et surtout d'Arturo. Il rappelle la dernière phrase du roman d'Elsa Morante (Arturo quitte son île en bateau et se retourne une dernière fois sur le paradis perdu de son enfance -et cette image, que l'on ne retrouve cependant pas tout à fait dans le film -revu hier- qu'en a tiré Damiano Damiani, résonne comme un épisode de l'Odyssée). L'isola non si vedeva piu. On ne voyait plus l'île. Ou, mieux : L'île ne se voyait plus...

    Et dans la seule traduction disponible en Français (de Michel Arnaud, 1963, pour Gallimard), cela donne : On ne voyait plus mon île. J'aime assez cette appropriation par Arturo d'une île aux dimensions modestes, car cela renvoie une fois encore -dans la langue de Morante- à un réflexe d'enfant). 

     

     

     

  • 3 randos dans Le Nouvel Obs de ce matin

    Je les signe les 3. Elles ont des thèmes distincts :

    la première, nature à fond, s'intitule Pêcher à la mouche dans l'Allier et ses affluents. Parce que le fly-fishing de truites sauvages dans un département aussi préservé vaut son pesant de mouches artificielles.

    La seconde est une balade littéraire : La Charente est un songe. Ses compagnons se nomment Chardonne, Loti, Vigny, sans oublier la BD, et Georges Monti, éditeur singulier à l'enseigne du temps qu'il fait

    La troisième touche à l'art moderne et contemporain à Barcelone : C'est par l'art qu'on entre ici, ou comment en finir avec l'envahissant Gaudi en allant directement voir Tapiès, Miro et Picasso.

    Télé Paris OBS du 9 au 15 mai, paru ce jeudi 7, pages 22-23 et 30-31.

     

    Voici la littéraire :

    LA CHARENTE EST UN SONGE

    La Charente a eu Vigny et son chantre se nomme Chardonne. C’est aujourd’hui le cœur du sujet BD. Promenade avec incursion maritime, pour saluer Loti, et la lumière de Ronce...

    « Pour moi, la Charente est un songe ; pays plus rêvé que réel. Pays marin par sa lumière, ses nuages lourds entre des percées d’azur, ses pluies qui ont tant de force. La mer est proche, même si l’on habite Barbezieux. » Difficile d’évoquer la Charente littéraire sans dégainer la prose douce et crémeuse et néanmoins envoûtante de Jacques Chardonne. En dépit de son passé collaborationniste qui lui valut d’être emprisonné à la Libération, et à condition de vouloir un instant distinguer l’homme de l’œuvre (comment lire Céline, sinon ?), l’envie est donc grande de citer « l’écrivain du couple » que François Mitterrand –un voisin de Jarnac, admirait et aimait tant lire, et qui décrivit la Charente avec la sensibilité d’un Vuillard peignant.

    Barbezieux ne serait qu’une ville de province banale sans l’aide de Chardonne. Son livre « Le bonheur de Barbezieux » la métamorphose : « Cette cité éphémère sur la place du Château, ses rumeurs, ses senteurs, ont contenu pour moi l’exotisme du monde. Plus tard, dans mes voyages, mes amours, je n’ai rien connu de plus brûlant ; et je sens toujours ce qui m’aurait manqué, quand le goût me vient d’écrire, si je n’avais pas été enfant dans une petite ville. » Notons que la maison natale de l’écrivain ne se visite pas et filons vers le Nord-Ouest.

    À Cognac, le festival de Littératures européennes, qui accueillera l’Espagne en novembre prochain, est devenu un rendez-vous capital. Né en 1988 à l’occasion du centenaire de la naissance de Jean Monnet, ce festival est devenu un véritable carrefour des littératures où l’on débat trois jours durant, où les Prix Jean-Monnet et Prix Bouchons de culture sont décernés, et où l’on discute avec de nombreux auteurs, car le festival se veut avant tout un « lieu de rencontres et de dialogue entre les écrivains et le public ».

    Cognac est aussi la ville d’un éditeur singulier, Le temps qu’il fait, créé par Georges Monti en 1981. Cet éditeur exigeant, de la trempe d’un José Corti, d’un Verdier ou encore de L’Escampette, que dirige son voisin (de Chauvigny, dans la Vienne) et ami Claude Rouquet, a des noms prestigieux à son catalogue riche de plus de 500 titres, tous joliment imprimés de surcroît :Il n’est qu’à citer Armand Robin, Jean Paulhan, Christian Bobin, Jean-Loup Trassard, Jean-Claude Pirotte, Jean-Pierre Abraham, André Frénaud, François Augiéras, Philippe Jaccottet, Georges Perros, pour se convaincre de la qualité d’un éditeur pour lequel la littérature est « cette science subtile de l’égarement », selon le mot d’André Dhôtel. Cap à l’Est, à présent.

    À Angoulême, c’est bien entendu le festival international de la BD qui se tient chaque année à la fin du mois de janvier, qui est associé depuis plus de trente ans à cette ville. La Cité internationale de la BD et de l’image, avec son musée, sa bibliothèque, sa maison des auteurs, ses expos, rencontres, colloques, projections, animations pour les enfants à longueur d’année a renforcé le prestige, et donné à la capitale de la Saintonge de solides galons en matière de 9ème art (après le cinéma et la télévision –l’expression fut trouvée par Morris en 1964).

    À Champagne-Vigny, situé à environ 20 km au sud d’Angoulême, se trouve une propriété viticole où l’on produit du cognac, du pineau et du vin, Le Maine Giraud, ou Logis Alfred de Vigny. Il s’agit d’un musée et d’un chai doublé d’une distillerie. La tour d’ivoire du poète de « La mort du loup » se visite. Vigny appelait sa propriété « ma sainte solitude ».

    Sauter par-dessus les limites administratives et se risquer vers la mer pour mieux revenir dans les terres, est le propre de l’écrivain. Ainsi, de Royan, Chardonne préfère évoquer la forêt voisine de Braconne plutôt que les plages surpeuplées l’été. Puis, il contourne, prend le lecteur par la main et le conduit à Ronce-les-Bains, « où la Seudre s’étale dans l’océan. La somptueuse route qui vient d’atteindre la Coubre à grands frais n’a pas encore déversé sa furie dans la forêt de Ronce. À Ronce, la mer se retire si loin qu’elle semble disparaître découvrant un désert mouillé, une étendue de sable et de vase mauve… » S’il n’avait pas signé tant de romans d’amour, Chardonne pourrait passer pour un écrivain régionaliste : « À Ronce, le soir, qui délaisse la côte pour l’intérieur, quand la mer est basse sur l’étendue de sable mouillé, palette brune, des reflets concentrés se déposent en taches huileuses, rouges, verts, ors violents, vite dissipés, et qui reviendront à l’aube prochaine, dilués dans les nuées de nacre et d’ambre. »

    Evoquer ici le Rochefort de Pierre Loti signifie carrément braconner en Charente-Maritime, mais la maison-musée (visites sur rendez-vous) de Julien Viaud, alias Pierre Loti, aussi somptueuse qu’extravagante car elle reflète l’exotisme des nombreux voyages du capitaine de vaisseau écrivain que fut l’auteur de « Pêcheur d’Islande » et de « Ramuntcho », vaut franchement que l’on pousse jusque là.

    Et c’est à 32 km de là, à Ronce encore que, feuilletant Chardonne, nous avons envie de retourner pour achever cette balade. « Ici, la lumière existe en soi, onctueuse, teintée de nacre, comme indépendante des choses qu’elle éclaire ; lumière vibrante des terres basses, pareille en Hollande ; un nuage brusquement s’ouvre comme une fleur bleue ; beauté indéfinissable, telles ces nuances de la vie, ces choses qui sont et ne sont pas, qui dépendent du regard… »

    ©L.M.

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    De Jacques Chardonne, sur la Charente, lire notamment « Propos comme çà », « Matinales », « Le Bonheur de Barbezieux » et « Le ciel dans la fenêtre » (Grasset, Albin Michel, Stock, La Table ronde).

    http://www.livre-poitoucharentes.org

    Cognac : http://www.litteratures-europeennes.com

    BD : www.bdangouleme.com

    http://www.citebd.org

    Vigny : http://www.mainegiraud.com

    Maison de Pierre Loti : http://www.ville-rochefort.fr Tél. 05 46 82 91 90

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    - S’y rendre :

    TGV Paris-Angoulême (2h30 env.)

    En voiture : A10 (4h env.)

    - Se loger :

    Angoulême : Le Palma, 0545952289

    Cognac : Héritage, 0545820126

    Rochefort : Palmier sur Cour, 0546995454

    Ronce : Le Grand Chalet, 0546360641

    - Se nourrir :

    Angoulême : Agape, 0545951813

    Cognac : La Courtine, 0545823478

    Rochefort : La Belle Poule, 0546997187

    Ronce : Le Grand Chalet, 0546360641 (restaurant de l’hôtel)

     

  • Gracq inédit

    ManucritsGuerre_gracq.jpgBon, a vue de nez, ce ne sont pas les prémices d'Un balcon en forêt, bien que ce recueil inédit et posthume (le premier depuis la disparition de son auteur), intitulé sobrement Manuscrits de guerre, soit composé d'un journal et d'un récit qui annonce la fiction du Balcon. Mais pour les fans de ce récit paru en 1958 (j'en suis), il devrait s'agir (nous y reviendrons après lecture : le livre paraît dans 3 jours -chez José Corti, bien sûr) d'un diptyque éclairant, puisque Julien Gracq, ou plutôt le lieutenant Louis Poirier, l'écrivit pendant la drôle de guerre (le journal est daté du 10 mai au 2 juin 1940, et le second texte débute le 23 mai de la même année), depuis les abords imédiats de la frontière belge. Il s'agit, en gros, de la chronique d'une défaite annoncée, qui fut fulgurante, mais avec l'oeil et la plume de qui nous savons, la chose devrait avoir une dimension singulière. A suivre...

     

  • Procida off

    IMG_1958.JPGIMG_1957.JPG

    IMG_4332.JPGIMG_4406.JPGIMG_4291.JPGIMG_4376.JPGIMG_1959.jpgentrer des mots clefsentrer des mots clefs

    Il y avait, là, cette semaine, des silences faibles, des lumières ténues et chaudes, des rires francs et durables, des sons de cloches chaque quart d'heure sauf la nuit, des petits thons  remontés dans les filets, des citronniers envahis de fruits, des beignets de fleurs de courgettes, du vin pur d'amitié, et de l'amour entre les mains.

     

     


     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Kundera

    Pléiadisé, immortalisé donc, voici Milan Kundera en deux volumes reliés plein cuir, mais sans appareil critique lourd et polluant. Rien que l'oeuvre, sans graisse : le romancier n'est qu'elle-même et rien d'autre. L'aversion de l'auteur de L'art du roman pour le biographique, l'interview, la trahison possible, est légendaire. Donc lire Kundera, et basta. S'interroger quand même sur l'incroyable minutie de cet auteur, sur son attachement maniaque à contrôler chaque mot, chaque signe de chacune des nombreuses traductions de chacun de ses livres, passant jusqu'à trois ans à réviser, retoucher l'une d'elles.