Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

KallyVasco - Page 9

  • Une brassée de poésie

    IMG_0795.jpgUne brassée de recueils de poésie de grande qualité s'est posée au printemps dernier comme une volée de sarcelles à la surface d'un étang landais, par une nuit lumineuse de mai comme celle que nous venons de vivre. C'est à la collection Poésie/Gallimard que nous devons ce bouquet. Tout d'abord, il y a ce coffret, le second du genre, qui constitue pas à pas la précieuse petite bibliothèque du XXè siècle - qui fut celui des "utopies sanglantes" et aussi celui de la libération de l'imaginaire. Il a été concocté par Sophie Nauleau, Zeno Bianu et André Velter, et il est coédité avec Télérama. Il est composé de douze petits anthologies de poètes devenus des classiques, est c'est un régal de picorage à toute heure du jour et de la nuit. Jugez : Guillaume Apollinaire (Voie lactée ô soeur lumineuse), Louis Aragon (Ici commence la grande nuit des mots), René Char (Comme si tu étais en retard sur la vie - la phrase embématique de son célèbre poème en forme de profession de foi et de guide pour une existence artistique et libre Commune présence), Jean Cocteau (Je n'ai jamais rien vu de plus fou sur la terre), Pierre Reverdy (Et la main dans le dos qui pousse à l'inconnu), Robert Desnos (Loin de moi et semblable aux étoiles), Francis Ponge (Les rois ne touchent pas aux portes), Paul Eluard (J'ai la beauté facile est c'est heureux), Henri

    téléchargement (1).jpeg téléchargement.jpegMichaux (Comme un fou qui pèle une huître), Raymond Queneau (Cette brume insensée où s'agitent des ombres), Saint-John Perse (S'en aller!  S'en aller! Parole de vivant!), et enfin Jacques Prévert (De deux choses lune l'autre c'est le soleil). Douze petits bijoux extraits des nombreux recueils de ces douze bandits des mots, déjà parus dans la même collection (30€ le coffret). L'emblématique collection publie coup sur coup trois titres, à commencer par Un manteau de fortune, suivi du très émouvant recueil intitulé L'adieu aux lisières et de Tombeau du Capricorne, de Guy Goffette (7€), qui s'affirme toujours davantage comme un poète majeur du songe éveillé, de la nostalgie façon saudade, dans notre paysage contemporain. Le second s'appelle Entrevoir, suivi du splendide Le front contre la vitre et de La halte obscure (9,50€), et c'est signé de Paul de Roux (ami de Goffette), poète contemplatif, dépouillé et sensuel qui compte de plus en plus, lui aussi. Il y a 

    téléchargement (2).jpegenfin un petit classique formidable : Glossaire, J'y serre mes gloses, illustré par André Masson, suivi de Bagatelles végétales, illustré par Joan Miro, de Michel Leiris (9,50€). Autrement dit, un petit miracle d'édition (en format de poche), d'une part, et un régal de jeu avec les mots, d'autre part. Leiris, avec Langage tangage, A cor et à cri, entre autres grands recueils, déchaînait déjà les mots de leur définition. Là, il se lâche, déstructure, s'en donne à coeur joie, aligne les "catapultes mentales" au fil de son alphabet surréaliste et ses Bagatelles poussent encore plus loin le bouchon ludique de cette poésie cérébrale et formelle, cousine du travail de Ponge et de celui de l'Oulipo, car il entremêle les sens possibles et surtout improbables des mots : "aimer les mets des mots dans un méli-mélo de miel et de moelle", écrit-il. Et l'on devine que l'auteur devait ronronner de plaisir en créant ces anagrammes poétiques et autres mots-valises pourvus d'allitérations subtiles, chantantes et toutes dotées d'un sens inédit. 

  • Jeux de mots

     

    téléchargement (10).jpegJacques Rouvière nous avait déjà donné un délicieux Dix siècles d'humour dans la littérature française (Plon), que j'avais abondamment évoqué sur les ondes de Sud Radio lorsque j'y tenais une chronique littéraire hebdomadaire qui me laissait totalement libre de mes choix (de 2003 à 2006 ou 7). Le revoilà avec un formidable bouquin : Le livre d'or de l'esprit français (Ecriture, 22€), sous-titré de A comme Acrostiche à Z comme Zeugma. Car il s'agit de quatre-vingt jeux littéraires qui mettent en avant cet esprit français que Paul Deschanel définissait comme la raison en étincelles. Humour, virtuosité des tournures d'esprit, phrases ayant du claquant, traits, envois subtils, cette anthologie littéraire des figures de style est un régal absolu pour tous ceux qui aiment les mots et qui ne peuvent s'empêcher de jouer avec, à leur corps (et à leur esprit) défendant, parce qu'ils sont ainsi formatés, et qu'entendre quelqu'un dire quelque chose génère chez eux une irrépressible propension marginale à déjanter en créant des jeux de mots in petto et en guise de réponse, ce qui souvent décontenance. J'adore ce genre de bouquin, car c'est le prototype du livre jouissif, c'est un magasin de pâtisseries, c'est Bricorama pour le dingue de bricolage, c'est Metro (le magasin) quand on y entre pour la première fois : on s'y sent comme un enfant au cirque, comme un adulte en Tanzanie. Idem dans ce formidable livre à picorer à satiété, a tapear chaque jour à la fraîche - ces temps-ci avec un verre de rosé. Epigrammes, calembours, contrepets, calligrammes, holorimes, mots-valises, oxymores, nonsense, palindromes, pastiches, syllogismes absurdes et bien sûr métaphores - entre autres -, et aussi des raretés comme l'homéotéleute, qui est une figure de style consistant à répéter une ou plusieurs syllabes homophones (du même son) à la fin d'une série de mots ou de phrases. Un exemple, pris chez Jarry : Tiens! Polognard, soûlard, bâtard, hussard, tartare, calard, cafard, mouchard, savoyard, communard!.. Cela vous secoue les neurones et donne une sacrée envie de jouer, de jouer, de jouer... 

  • CHRONIQUES D’« ÉCRIVIN »

    bacchus et moi.jpgLe romancier new-yorkais, auteur à succès de Trente ans et des poussières, entre autres, a la passion du vin (et du luxe) chevillée au coude et au nez. Aussi donne t-il régulièrement de longues chroniques brillantes et pleines d’esprit dans House and Garden et dans le Wall Street Journal, qui sont aussi drôles qu’iconoclastes. 65 d’entre elles sont ici rassemblées. Truffés d’anecdotes – l’auteur va sur le terrain,  partout où l’on fait du vin,  de traits d’esprit et de comparaisons renversantes entre les vins rares et chers et les hommes,  ces textes à l’écriture juste sont un délice et ils se lisent comme des « shorts », de courtes nouvelles. McInerney personnifie aussi les vins : Grace Kelly serait par exemple un puligny-montrachet. Et si Mouton est Michel-Ange, selon McInerney, Lafite est Léonard de Vinci. Ou bien l’un est Armani, et l’autre Versace.  Brillant. L.M.

    Bacchus et moi, par Jay McInerney, La Martinière, 432 p., 23€

     

  • Onfray / Camus

    Je m'interroge sur cette "bien-pensance" germanopratine qui semble nier le travail comme la personne de Michel Onfray (dont j'aime les livres pour leur érotique solaire, le ton libertaire, l'athéisme tonique de l'auteur, ses parrains : Spinoza et Nietzsche, surtout), car cela m'évoque l'attitude semblable qu'une intelligentsia, de gauche et bourgeoise, parisienne et ambiguë, observait à l'adresse d'Albert Camus : il n'était pas des leurs, car il n'était pas issu de la même classe (Onfray et Camus partagent des origines familiales très modestes), leurs universités n'étaient pas semblables, bref, ils ne le reconnaissaient pas et observaient même une certaine morgue à l'égard de l'auteur de L'étranger. Certains tentèrent de le briser, de réduire ce pied-noir au rang de "philosophe pour classes Terminales"... Il en conçut une blessure, mais ne s'avoua jamais vaincu. Un homme, ça s'empêche, c'est de lui. Et pourtant, c'est Camus que nous lisons dans le monde entier aujourd'hui, davantage que Sartre (pour évoquer deux Nobel).  

    Lire par ailleurs : http://bit.ly/1m8pRBl

     

    Ce qui suit n'a rien à voir (encore que)... Ce soir, je dînais dans un restaurant parisien, La Gazzetta, qui m'avait laissé de bons souvenirs, mais là, ce fut décevant : absence totale de goûts : Tartare de bonite aux abonites absents, justement, arrosé d'une eau tomatée insipide elle aussi. Raviolis trop crus - à force de la jouer al dente - aux artichauts d'un goût fadasse, avec des amandes - les coquillages - caoutchouteux car sûrement saisis, alors qu'il faut les prendre à froid, comme les chipirons. Le bar, qui était en réalité un lieu - jaune? - mais ce ne fut pas annoncé, était cependant correctement cuit et agrémenté de pois frais et de deux asperges vertes convenables. D'autres détails heurtent aussi, comme ce verre de vin (un banal rouge sicilien) à 10€; j'en passe... Le but, ici, n'est pas de faire une critique de resto, non (je m'en fiche complètement et je n'ai pas l'humeur à cela, là. Lisez la suite : la table voisine, outrée (par le bar qui n'en était pas un), se plaignit et s'entendit répondre : si vous n'êtes pas contents, vous n'êtes pas obligés de revenir. Zut, quoi : non! Et c'est là que "ça a à voir" avec la remarque qui précède ce post scriptum, car certains restaurateurs parisiens sont devenus des enfants gâtés qui méprisent parfois leur clientèle au lieu de faire amende honorable. J'y vois un air de famille, une arrogance, voire une morgue commune. Attenzione!.. 

  • Choses vues à Amsterdam

     

    J'ai vu des trucs rigolos à Amsterdam le week-end dernier : une guimbarde havanaise. U

    n frère de nuit. Un héron climatisé devant une poissonnerie au marché Pijp (ah, les harengs frais aux oignons!..). Des tulipes bien sûr (pas rigolo, ok). Une Cinquecento en vitrine (ça change des péripatéticiennes du quartier rouge). Une occasion de ne pas boire de la bière mais un très bon vin blanc hollandais, si si! Un air de Naples dans le Waterland peuplé de beau linge : oies, canards de diverses sortes - et de limicoles aussi. Ces colverts, c'est depuis un bar que je les chope en vol, oui un bar, situé à un jet de galet du petit ferry qui nous envoie de l'autre côté du centre, depuis la gare ou par là. Un musée d'art contemporain baignoire. Un IMG_0237.JPGIMG_0241.JPGIMG_0261.JPGIMG_0274.JPGIMG_0278.JPGIMG_0332_2.JPGIMG_0448.JPGIMG_0429.JPGIMG_0337.JPGIMG_0359.JPGIMG_0379.JPGIMG_0389.JPGValloton franc de la fesse molle (oui, je sais, je fais mon snob : ayant raté l'expo à Paris, je suis allé la voir à Amsterdam. Carrément - au musée Van Gogh, et ouais : prononcez van-kkhhheeuuhh comme si vous crachiez un vieux glaviot n°3 dans les tournesols arlésiens). Des sucettes à l'amende (même pas!). Des lieux d'aisance aériens. Des vélos partout, même là. Un commerce de bouche qui ne vexera personne.

    Une injonction paradoxale dans la ville de la fumette. Un canard vénitien sans lecteurs. Un bar à tapin (ça change des tapas). Un disquaire qui aime beaucoup King Crimson! Une banque avec des racines (sans doute un Crédit agricole local. Non?.. - Ah bon). Mon IMG_0393.JPGIMG_0413.JPGIMG_0421.JPGIMG_0517.JPGIMG_0527.JPGIMG_0532.jpgIMG_0533.JPGIMG_0544.jpgIMG_0559.JPGIMG_0560.JPGpote Spinoza! Un magasin avec que des capotes à vendre.
    Et enfin Le vieil homme (et la mer) de retour au port avec son marlin même pas bouffé par les requins! Happy Gregorio...

  • L'étain la source


     
     
     
     
     
     
     

    I

    Ô nocturnes en nous, nocturnes les désirs
    Et ce vivre couché sur le versant des morts !
    Trop de dormants gémissent de n’être pas brûlés
    Trop d’ombres à qui nous refusons le sel
    De peur que leur éveil dévoile notre absence.


    II

    Qui ose encor parler de la nuit qu'il abrite,
    traverser sans mensonge les yeux qu'il a fermés ?
    Lequel d'entre nous s'est levé au milieu de son âge
    pour prendre ses souliers, le peu de pain
    qu'il lui fallait jusqu'à l'aube, et,
    sans jamais tarir, s'est mis en marche
    vers les cavernes où s'étaient dénoués
    les fils de sa naissance ?
    Et lequel eut l'audace, passé minuit,
    de s'arrêter devant son frère, au bord des arbres,
    et sut garder intacts les mots de son amour ?


    III

    Celui-là, cependant, quand son regard
    se poserait sur tes yeux, il serait
    comme une larme dans le fruit mûr,
    et des deux parts qu'il couperait,
    c'est lui qui porterait
    la plus brûlante,
    tout silence rejoint par le plus sûr chemin
    de ce qui fut
    éprouvé puis perdu, sachant l'âme qui chante
    et celle qui fut aimée.


    IV

    Car ceux qui sont passés ne sont point en retard.
    Et c'est de ces gisants, perçus dans le temps
    clos de notre amour que nous avons reçu
    perceptible mémoire de ce qui doit venir.


    V

    Ce sont les corps que la terre a portés,
    les corps gestés par elle, conçus pour notre amour, 
    corps traversés quand l'amant se contemple 
    dans l'autre et devine sa mort, 
    corps plus distants de la glaise de n'être 
    que d'elle, corps tout entiers limités au désir,
    et jamais singuliers qu'à l'heure de partir, 
    corps déjà soumis, défaits et reconstruits, 
    flux mais silence, chiffrés mais sans âge,
    bouches disant le nom que nous n'espérons pas -

    mais les yeux sont absents...

    VI

    Et quand je dis ma mère, celle qui me répond
    s'ouvre trop vaste maison pour que je puisse
    consentir à sa nuit.

    Monique Laederach, L’étain la source (l'Aire).


     

  • impressions notées en randonnant entre lacs et barrages pyrénéens

    Le courant passe. Au bout de trois heures de marche, au-delà du dernier « ressaut herbeux » indiqué par le topoguide, tandis qu’un couple de milans royaux plane au-dessus d’une clairière plate comme la main ouverte de Gulliver, nous ne nous sentons plus empêtré par la sinuosité du sentier, les hésitations de la météo et cette semelle Vibram qui menace de se décoller à gauche en nous obligeant à traîner le pied depuis deux bons kilomètres. Surgit le barrage. Gigantesque carlingue, longue coque, armure cuirassée, il figure une muraille ne pouvant s’accoupler qu’avec le silence, dans une solitude heureuse, contemplative. Celle qui aide à poétiser la vie en ne faisant rien. Rien d’autre que s’asseoir, oublier tout sauf ça, admirer, débarrassé de toute culture, en immersion dans une nature qui tolère ce qui l’épouse avec  beauté. Car un barrage, c’est beau, en altitude, les pieds cimentés dans l’eau, gagné à ses bordures par une végétation sauvage qui est parvenue à apprivoiser ce monstre dressé au ventre plat, ce chevalier sans tête qui brise l’horizon pour mieux le faire rebondir dans le regard du randonneur, au-delà du lac et sous les sapins. 

    Retenue. Retenue d’eau. Rétention bienveillante, tantôt couleur lame de scie à plat, ou bien langue infinie et bleue, augmentée d’un friselis lorsque passe un vent. Virage sur l’aile, vaguelettes, micro clapot, eau. Ici l’eau vit. Parle. Résonne contre la paroi majuscule, lui chuchote des choses à la base, lui offre son reflet quand le soleil chante. L’eau s’épanche, prend ses aises, s’étale dans les grandes largeurs, ne laisse rien transparaître de ses profondeurs.

    Intime. Le barrage se penche sur l’eau, Narcisse intimidé, au col raidi d’un Erich Von Stroheim, montagne vue par Caspar David Friedrich. Au moins. Le barrage s’arque, rentre le ventre, boute hors de, creuse devant, donne à voir ses abdos que des traces d’anciens niveaux d’eau verdissent. Le barrage étend ses bras, il semble vouloir danser le sirtaki contre l’épaule des forêts voisines. Le barrage est terre d’accueil. Pays sage d’eaux tranquilles et plongées dans l’attente d’un lâcher prise, d’une libération à venir.

    Rivage. Le paysage qui environne chaque barrage impose au regard son côté Syrtes. L’attente, l’oubli, l’ouverture à venir, l’ouverture des vannes comme un sexe.

    Origine du monde. Un frisson parcourt l’échine du randonneur qui imagine tout à trac ce paysage comme une offrande à ses yeux émerveillés, englouti sous des millions de mètres cubes d’eaux en bouillons, d’écumeuse dévastation, d’apocalypse locale, de trombe torrentielle commandée par une main d’homme.

    Fracas. Assourdissante, colérique, tellurique rumeur des eaux en fureur. Là, le barrage perd ses eaux. Accouche d’un vallon mis à nu, d’une vallée mise à sac, inonde la base et assèche les sommets. Sortie du rêve.

    Sexe. Oui, il y a du sexe de femme dans l’idée du barrage. Retenue, fuite, fontaine, sueur de sang, abandon, sommeil, nuit, profondeur, méandres, inconnu, secrets.

    Paisible étreinte. Le barrage, planté comme un quartier d’ananas au cœur d’une tranche de paysage pyrénéen, figure un gâteau de paix. Il rassure aussi puissamment l’âme du marcheur, qu’un clocher surgi du brouillard dans la plaine, réchauffe l’âme en feu de détresse d’une grappe de soldats en déroute. 

    Accroché. Il y a les pins à crochets. Les biens nommés, lorsqu’ils se reflètent dans l’eau de retenue, accrochent leur cœur à l’onde, fondent le vert cru de leurs ramures dans les nuances froides et changeantes d’un lac au tain capricieux. Dilution. Déréliction.

    Coq. Délicate apparition. Soudain l’unique se produit. L’inattendu capital, la surprise énorme, my love supreme, s’offre à nos yeux ingénus, à l’heure du casse-croûte matinal qui répare les parois de l’estomac mis à mal par la montée. Mais il s’agit là d’un ventre soudain dévasté par l’émotion : sa majesté le grand tétras nous apparaît. Magiques Pyrénées. En lisière, le grand coq de bruyère se tient immobile, aux aguets, le souffle coupé par un doute cardinal. C’est que le randonneur, microbe qu’il est, que nous sommes par conséquent, ou inconséquence, n’appartient pas au paysage familier de l’oiseau roi. Statufié, tétras scrute. L’œil serti dans sa caroncule rouge ne tremble pas. L’instinct de survie interroge le paysage, implore le retour du serein. Qui vient à peu près, car le randonneur sait tout du mimétisme et de l’art de l’immobilité. Le randonneur, par chance, sait ceci. Et cela : se tapir, se taire. Il sait éviter de gâcher l’esprit de la rencontre rare. Le coq se détend, avance une patte, puis l’autre, fait quelques pas, se risque ici, pas là, disparaît dans un buisson…

    Epée. Le barrage est une épée plantée jusqu’à la garde et dont on ignore la longueur de la lame. C’est une arme sans pommeau. Décapitée. Comme le chevalier inexistant, cette lame de béton s’enfonce obscurément. Profondément. Mystère de la pénétration. Le barrage est nuit. Inexorablement accouplé au silence massif de la montagne.

    Abandon. Regarder un barrage au centre de son environnement, c’est éprouver l’abandon. Nous imaginons vite la genèse de l’ouvrage. Une fourmilière d’hommes au travail. L’édification lente du monument. Le hérisson des machines de levage, outils en faisceaux, herses gigantesques, camions ruant, croisant, nuées de poussières, ruche. Tandis que là, devant nous, tout n’est encore que solitude et silence, harmonie arrangée d’un ouvrage avec les éléments fendus. Equilibre retrouvé. C’est à peine si nous apercevons parfois des hommes marchant comme des marins sur le pont supérieur d’un navire, casque de chantier sur la tête comme un bouton d’or, vu de loin. Il y a un côté mer dans le quotidien des agents affectés à un barrage. L’eau les unit. Le voyage immobile sépare les uns des autres. Un sel de vie différent les oppose. Mais je sais qu’une amitié sourde les unit, qu’une connivencia les confond par tacite induction. 

    Aridité. Minéralité. La pierre sèche et grise, monumentale, semble vouloir toucher le ciel. Rien ne pousse. Un barrage existe là aussi. Sur la lune pyrénéenne. ¨Paysage d’après le déluge. Silence « comac » dit-on à Toulouse. Epais. À côté duquel n’importe quel tombeau ressemble à une boîte de nuit avec DJ intégré. L’eau bouge. Rassure. Le randonneur cherche un oiseau pour apaiser cet étranglement mental. Des pensées fortes, voire mystiques, issues de lectures anciennes, remontent à la surface de son esprit : Buddha, Diogène, Pascal sont appelés à la rescousse. Tout le monde sur le pont. Le barrage finit par apaiser. Sa présence humanisée nous dit la trace. L’âme. Et l’on se prend à imaginer un moine perché dans sa thébaïde du Mont Athos. A l’horizon infini, qui sera pourtant et à jamais le tour de taille de nos désirs.

    Hiératique. Un barrage est un moine. Un chevalier errant vêtu d’une cape. Dressé sur son cheval noir, parfaitement immobile, il toise. Implacable. Il impose cette radicalité de la nuance chère à Camus, qui réchauffe l’intérieur. Corps et esprit mêlés. « Montagne des grands abusés / Au sommet de vos tours fiévreuses / Faiblit la dernière clarté. / Rien que le vide et l’avalanche / La détresse et le regret !», nous chuchote René Char dans son poème sobrement intitulé « Pyrénées ». Mais nul regret ni détresse ici-haut. « Nous avons guetté jusqu’à la terreur le dégel lunaire de la nausée », écrit-il ailleurs (« Plissement »). Le poète de « la neige inexorable »

    L.M. (extraits) A suivre.

    Capture d’écran 2014-04-27 à 19.38.27.png

     

     

     

    Pour aller avec : http://bit.ly/1jW5ClL 

    Et aussi (on en reparlera) : 

    téléchargement (8).jpeg

    téléchargement (6).jpeg

    téléchargement (7).jpeg

    téléchargement (10).jpeg

     Capture d’écran 2014-04-27 à 13.16.47.png

    téléchargement (9).jpeg

  • anonyme

    Il est des phrases paradoxales qui vous scotchent d'une "oxymorisation" du sens inattendue et en forme de balle, et qui devient aussi naturelle que l'évidence de l'amour éternel. Celle-ci, de Stéphane Audeguy, par exemple (auteur notamment d'un délicieux Petit éloge de la douceur, folio 2€), et qui ouvre une plaquette en forme d'abécédaire offerte par les libraires, ce jour, en mémoire du génocide arménien et de la traditionnelle fête "un livre, une rose" - elle a été concoctée - la plaquette nommée Un livre peut en cacher un autre -, par une brochette d'écrivains, à l'initiative du couturier Christian Lacroix, qui l'illustre. Voici la phrase : Homère, auteur fameux dont on ignore tout, nous apprend que Personne, c'est quelqu'un. N'est-ce pas lumineux, étincelant même? Je prenais Une enfance de rêve, de Catherine Millet, emporté par l'enthousiasme d'une critique dithyrambique, ces trois derniers jours (Jean Birnbaum, dans Le Monde des Livres remporte la palme de l'empathie maximale), lorsque mon libraire me dit tiens, prends ça, tu vas aimer (la plaquette Lacroix), tandis que je soulignais que le dernier Kundera et le dernier (une compil°) Echenoz m'avaient déçu, mais que je lirai néanmoins ce nouveau it-book (j'invente à l'instant l'expression). Donc Homère, le sens littéraire du paradoxe qui circonscrit, fait l'oeuf, arrondit les anges et enfle le plaisir du texte à mesure qu'en fermant les yeux, la tête en arrière, un index glissé en marque-page, nous nous disons : ptin, c'est fort ça, et ça l'est d'autant plus que c'est écrit avec une simplicité désarmante, une économie de mots qui désigne - en passant - le travail poli jusqu'au suave, de l'artisan : celui qui ne se voit pas. Trop fort, diraient mes enfants. Voilà, c'était juste une réflexion-éclair en déjeunant (et mon cabillaud refroidissant, je vais fermer). Ciao.

  • un souvenir

    J'ai totalement cessé de chasser quoi que ce soit depuis l'an 2000, excepté les idées noires. Mais, en retombant sur cette photo prise au Bénin en mars 1999 : je viens de tirer correctement - une seule balle foudroyante de .458 dont on voit le trou d'entrée - un buffle de savane dans la zone de la Mekrou, après une approche d'environ trois heures, Jean Denis, mon guide de grande chasse, fouille de son couteau pour extraire la balle champignonnée restée coincée sous le cuir (je l'ai toujours), et partage avec moi les havanes de la détente (des Presidente, de Partagas), que j'avais achetés à la fabrica Partagas même, à La Havane, un mois plus tôt... Je me dis - bon sang, c'était le bon temps où mes Pléiades d'Hemingway ne quittaient pas mes Pataugas, lorsque je bouclais mon sac et que je partais comme ça, à la recherche des limites de moi-même, au plus près d'une nature la plus sauvage possible; instinctivement au plus près de ma propre animalité, car alors je voulais marcher lion, parler buffle, voler bécassine, me poser sarcelle, virevolter vanneau et dormir lièvre.

    Alviset.jpeg

  • En hommage à Pierre Moinot, de l'Académie française, auteur du Guetteur d'ombre

    LA GUETTEUSE D’OMBRE

    Papier paru dans Billebaude n°3  (éd. Glénat) il y a deux mois environ.

    Capture d’écran 2013-08-25 à 16.12.14.png

    Il y a celles qui chassent, il y a celles qui plument et il y a celles qui savent. La chasse étant une affaire d’hommes, la majorité d’entre elles subissent plus qu’elles n’agissent. Ne parlons pas des Dianes puisqu’elles égalent les chasseurs. Elles sont animées du même feu sacré et elles utilisent une arme : fusil, arc, oiseau de proie ;  chiens et cheval. Discrètes sous leur chapeau fin, tenant de leurs doigts minces un calibre vingt, et qui vous décrochent une palombe à limite de portée, qui font mouche avec l’air de ne pas y toucher et cela sans commentaire. Avec juste un léger sourire de satisfaction et un regard qui cherche –quand même- l’approbation sous la frange.

    Le gros bataillon féminin est formé de celles qui en ont marre. 

    Marre, de septembre à janvier, quand ça ne leur prend pas avant et que ça ne dure pas jusqu’à la fin du printemps, de ne jamais passer un dimanche tranquille avec leur homme, à faire la grasse matinée et à paresser toute l’après-midi. Le petit-déjeuner au lit ne sera jamais la tasse de thé de l’homme de chasse. Il faut s’y résoudre.

    Marre de plumer et d’écorcher le jeudi, de cuisiner le vendredi et d’écouter, au cours des redoutés repas de chasse, pour la mille et unième fois, les mêmes histoires, le dernier lièvre de montagne, le premier doublé de bécasses du côté d’Ahetze, et le gros sanglier que l’on a laissé passer du côté de Lapitxuri, à Dancharia. Elles se contentent alors de corriger les menteurs. Elles rectifient le tir. Et finissent par être dégoûtées de la chasse et des chasseurs, de leurs armes et de leurs chiens, des dimanches de solitude et de leur ennui de plomb, des nuages de plumes et du sang dans l’évier ; et il n’y a pas jusqu’au parfum du thym dont elles bourrent le cul du garenne pour parvenir à leur faire oublier qu’elles sont à nouveau les marquises aux repas des quatre-vingts chasseurs. Pour le banquet du samedi soir. Rares sont celles qui ont accompagné leur dingue de mari ou d’amant au moins une fois. Et j’en connais deux ou trois qui ont fini par adhérer au rassemblement des opposants à la chasse. Une manière de divorcer en réduisant la communauté aux aguets. Dans l’air conjugal, tendu comme le ressort d’une gâchette, flottent alors le soupçon et la trahison. Le doigt sur la détente à pétition, elles vous pointent de l’autre dès que vous vous sentez droit dans vos bottes vertes. Dès lors, gare au jour où ce ne sera plus du thym qui parfumera le lapin.

    *

    Il y a enfin les renardes. Celles qui ne porteront jamais une arme mais qui chassent autant que celui qu’elles accompagnent plus qu’elles ne suivent. Parce qu’elles savent. Elles ont compris. Compris que la chasse valait mieux que la prise.

    J’en sais une qui ne dort plus dès la fin du mois de juin parce qu’elle passe ses nuits en forêt à écouter les chevreuils. C’est le temps du rut. Elle vit les yeux plantés dans les jumelles, les nuits de pleine lune, à chaque aube, et elle exulte au moindre bruissement de fougères pour l’aboiement d’un brocard ivre d’amour, pour la fuite suave d’une chevrette assouvie. C’est une guetteuse d’ombre, dans l’esprit où l’entendait Pierre Moinot.

    Elle accompagne son homme de chasse dans ses marches de sauvage. Elle se lève avant le jour pour le plaisir de l’aube. Souvent avant lui. À son contact, elle a appris  à reconnaître les oiseaux selon leur vol, leur plumage, leur taille, leur envergure et leur silhouette ; elle sait aussi reconnaître une trace de daguet de celle  d’un vieux cerf. Elle a appris surtout à aimer les oiseaux comme lui. Elle a acquis les réflexes du regard et de la dissimulation. Elle est devenue renarde. Elle chasse de tout son être. Il a réussi à lui inoculer cette passion que son grand-père lui avait lui-même transmise. Lorsqu’ils chassent ensemble, avec pour arme un regard de rapace, leurs sens bandés comme des arcs, cette intimité dans la nature procède de leur amour. Elle en est l’ombre.  Le soir venu, lorsqu’elle s’assoupit sur son épaule, elle exhale une tisane de parfums sauvages, un mélange de cèpe, de lichen et de paille brûlée, capable de le transporter –en rêve-, dans un sous-bois trempé d’automne et de faire apparaître une bécasse qui jaillit en chandelle entre deux troncs. En la respirant, il plonge dans ses forêts imaginaires. Elle l’a précédé dans ses rêves. Les yeux fermés, ils fuient le monde.

    Léon Mazzella

     

     

  • li Z é

    Lisez Arnaud Le Guern (son Paul Gégauff est une nostalgique pépite), lisez Christian Authier (son Soldat d'Allah est tendrement explosif), lisez Sébastien Lapaque (sa Théorie de la carte postale est un bijou timbré), lisez Olivier Frébourg (son Gaston et Gustave est un chef-d'oeuvre), lisez Ellul (La table ronde reprend notamment le précieux La parole humiliée), lisez Jaccottet, lisez Leiris, n'attendez pas le Printemps des poètes pour ça, relisez Le métier de vivre de Pavese, ne perdez pas votre temps à (re)lire Duras à cause d'un centenaire, mais relisez Camus, mais pas à cause du centenaire, oubliez Palerme et n'oubliez pas Queneau qui disait que c'est en lisant qu'on devient liseron (et aussi que c'est en écrivant qu'on devient écrevisse), lisez boulon, écrevisse, boulons, non... Non, bon d'accord. Lisez sur tablette si ça vous chante, lisez en songeant au Palais de les lisez, lisez des notices de médicaments plutôt qu'en prendre (des médicaments), cela peut-être surréaliste, à voix haute, les notices. Mais lisez, ça fait tellement de bien.

  • A.B., hommage

    http://bit.ly/1iNMiYP

     

    Angora

    Il m'aura fallu faucher les blés

    apprendre à manier la fourche

    pour retrouver le vrai

    faire table rase du passé

     

    la discorde qu'on a semée

    à la surface des regrets

    n'a pas pris

     

    le souffle coupé

    la gorge irritée

    je m'époumonais

    sans broncher

     

    Angora

    montre-moi

    d'où vient la vie 

    où vont les vaisseaux maudits

     

    Angora

    sois la soie

    sois encore à moi

     

    les pluies acides

    décharnent les sapins

    j'y peux rien, j'y peux rien

    coule la résine

    s'agglutine le venin 

     

    j'crains plus la mandragore

    j'crains plus mon destin

    j'crains plus rien

     

    le souffle coupé 

    la gorge irritée

    je m'époumonais

    sans broncher

     

    Angora

    montre-moi

    d'où vient la vie

    où vont les vaisseaux maudits

    Angora

    sois la soie

     

    sois encore à moi

    Alain Bashung, 1.XII.47 - 14.III.09

  • Iraty, again

    images (1).jpegimages (2).jpegimages.jpegtéléchargement (1).jpegtéléchargement.jpegC’est la plus grande hêtraie d’Europe. A cheval sur la France (province basque de Soule) et l’Espagne (Navarre), avec ses 17 000 hectares,  c’est une forêt certes exploitée mais très sauvage, où la profondeur du silence n’est troublée à l’automne que par le brame du cerf et le craquement d’une brindille sous le pas d’un chercheur de champignons ou plus rarement sous celui d’un chasseur de bécasse, eu égard à la pente du terrain, qui en rebute plus d'un. Les cèpes d’Iraty se conquièrent car la montagne s’apprivoise, mais celle-ci est relativement douce et la forêt correctement balisée. En octobre, elle se pare d’un mantille rouge, or, mordorée et brune qui n’a rien à envier au manteau forestier québécois. La forêt résonne de cervidés, sangliers et toutes sortes d’oiseaux (palombes, pics, vautours fauves, milans noirs et royaux, grues cendrées, passereaux divers, du pipit à la grive draine) la survolent. L’hiver, lorsque la neige recouvre les cols et le sol de la forêt, Iraty propose 4 pistes de ski de fond (35 km au total) ainsi que des itinéraires balisés pour les randonnées en raquettes : un must ! Se promener une journée dans la forêt en raquettes à la recherche des traces laissées par les animaux sur « le livre de la neige » est un pur bonheur. Le reste de l’année, les sentiers de randonnées sont nombreux en forêt (80 km de pistes forestières au total) et sur les crêtes. Une balade classique mène au Pic des Escaliers, une autre conduit au majestueux Pic d’Orhy (2017m, le point culminant), via la route des cols de chasse à la palombe : Millagate, Odixar, Tharta ou encore Sensibil. On trouve également le GR10 au départ des Chalets d’Iraty. Non loin de là se trouve la crête douce d’Orgambidexka, le « col libre », qui sert de site d’observation privilégié pour les ornithologues en herbe drue –il est situé sur un vrai couloir migratoire. Les amateurs de pêche (omble chevalier, ou saumon de fontaine, truite arc-en-ciel) peuvent s’exercer sur les deux petits lacs d’Iraty-Soule et Iraty-Cize ou bien tenter leur chance, à la mouche, dans la rivière Irati, où les truites farios donnent de la soie à retordre (carte et timbre halieutique en vente aux Chalets). Enfin, les ennemis du silence et de la lenteur peuvent se livrer aux joies du VTT (location sur place) afin de décharger un trop plein d’énergie. Iraty c’est tout cela et bien plus encore. Car c’est un site d’une grande poésie où l’on ressent profondément l’âme du Pays basque dan sa partie la plus âpre ; la Soule. L.M.

     

    Photos © CDT64.  www.tourisme64.com

     

     

    Dormir, manger : 

    Chalets d’Iraty : location de chalets (de 2 à 30 places). www.chalets-iraty.com.  Honnête restaurant à proximité (centre).

    Chalet Pedro. Une institution en pleine forêt et à cheval sur la rivière Irati. Gîte confortable, restaurant classique et typique, grande terrasse avec le son du torrent , accueil formidable d’Isabelle www.chaletpedro.com   

    A Larrau, chez Etchemaïté. Autre  institution. Hôtel très correct. Restaurant réputé (cuisine basque généreuse, tendance gastro) www.hotel-etchemaite.fr.

    A St-Jean-Pied-de-Port, Les Pyrénées, Arrambide père et fils : Hôtel (Relais & Châteaux). Le  grand restaurant de l’arrière-pays basque www.hotel-les-pyrenees.com

    Carte : TOP25 d’IGN 1346ET. Forêt d’Iraty/Pic d’Orhy.

    Equipement :

    Vêtements discrets, de pluie, chauds, bonnes chaussures de marche, jumelles, lunettes de soleil, gourde, couteau.

    Domaine-Brana-rouge.jpgArdi gasna (fromage de brebis des bergers du cru, achetez-le chez Mayté, le spécialiste du jambon Ibaïona, qui est excellent, à St-Jean-le-Vieux, avant de monter). Irouléguy (passez chez Jean et Martine Brana à St-Jean-Pied-de-Port et prenez aussi la prune ou la poire, pour la flasque). Pain (si vous montez par l'autre côté, prenez la fougasse -pas trop cuite- à Tardets, dans le virage à la sortie). 

    téléchargement.jpegLire : le must de la poésie de Philippe Jaccottet : L'encre seraitnageur-de-riviere-416658-250-400.jpg de l'ombre (Poésie/Gallimard), Aphorismes sous la lune, de Sylvain Tesson (Pocket), le dernier livre (deux novelas, genre où il excelle) de (Big) Jim Harrison, et qui arrive ce matin en librairie : Nageur de rivière (Flammarion), ou encore un ou deux classiques comme un bon Thoreau (Walden), et La rivière du sixième jour, de Norman McLean (Points) qui devint Et au milieu coule une rivière, au cinéma. 

     

     

     

  • picorage

    téléchargement (2).jpeg

    La collection Champs de Flammarion propose une anthologie délicieuse. Cette Petite bibilothèque du gourmand, concoctée par Sylvie Le Bihan et préfacée par Pierre Gagnaire, permet de découvrir ou de relire des perles littéraires. On n'échappe pas à l'épisode de la Madeleine de Proust, dans Du côté de chez Swann, aux premières pages du Salammbô, de Flaubert, qui débute, souvenez-vous, par l'admirable incipit suivant : C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar... Il y  a dans ce livre précieux des textes fondateurs d'Escoffier, de Dumas, de Rabelais, de Grimod de La Reynière, de Casanova. Nous trouvons aussi des auteurs devenus des classiques du genre -pour une part de leur oeuvre-, comme Manuel Vasquez Montalban, ou Jean-François Revel. Et aussi des morceaux de choix comme cet extrait de (l'excellent) Une gourmandise, de Muriel Barbéry, à propos de sardines grillées, des textes plus surprenants aussi, comme ceux du toujours déroutant Roland Barthes, du regretté Jean-Claude Izzo, de la Bayonnaise Marie Darrieussecq. Il y a en magasin la recette désopilante du cheval Melba de Desproges (qui nous manque davantage chaque jour), un extrait de l'inoubliable Vie et passion d'un gastronome chinois, de Lu Wenfu, un texte peu ragoûtant de Sade sur Le bel effort que d'avaler du pissat de pucelle! (on n'est pas obligé de tout boire, dans ce livre), d'autres encore, de Caroll à Onfray, de Daudet à Zola, de La Bruyère à Alain, de Rimbaud à Roy Lewis, de Camilleri à Vian ou encore Céline... Qui sont autant de pintxos (tapas basques espagnoles) à lire comme Montaigne conseillait de le faire : en picorant; comme les poules. Un régal.

  • les fondamentaux de la cuisine "sud-am"

    C'est un papier que je publie dans le magalogue (magnifique) de Voyageurs du Monde consacré à l'Amérique Latine : 

    image_brochure_bover_25.jpeg

    C’est une cuisine forte en gueule et régressive, davantage terrienne que maritime. Toujours relevée, elle flirte avec le sucré, privilégie le mou au dur et le convivial au chichiteux. Certains plats emblématiques sont éloquents, reflètent les traits des deux cultures dont cette gastronomie est issue –d’un côté l’Ibérique et de l’autre un bouquet de traditions locales de chaque pays d’Amérique du Sud. Prenons les Moros y Cristianos ou Congricubains, un classique que l’on retrouve au Nicaragua et au Costa-Rica sous le nom de Gallo pinto et encore de Pabellon criollo au Venezuela et de Rice and beans à Belize. Il est composé de haricots noirs et de riz blanc servis à parts égales mais séparées dans l’assiette. Celui qui les mange les mélange : il « métisse » ainsi moros, les Maures (par extension, les noirs venus d’Afrique) et cristianos, chrétiens blancs venus d’Espagne et du Portugal. Voilà qui donne du sens et exprime un esprit d’ouverture. Cette cuisine est fondée sur une poignée de produits faciles à préparer ou à transformer et dont la vocation roborative rappelle le travail paysan. Elle est humble ; pas pauvre. Son ingénue simplicité la rend touchante. Elle n’est pas figée, plus nutritive qu’inventive ; jamais « light ». Les produits essentiels avec lesquels elle jongle peu parlent d'eux-mêmes : ainsi du maïs, de la patate douce, présents dans de nombreux plats mexicains –pays dont les traditions culinaires dominent le continent. Du tubercule du manioc, ou Yuca, largement utilisé dans les pays andins : Colombie, Pérou, Bolivie. « Chipsé », il donne les Yucas fritas d’Equateur. Au rayon herbes, Maté (Argentine) et Epazote (Mexique) sont aussi essentielles que notre persil. Certains mélanges d’épices (cumin, coriandre) comme le Recado sont typiques du Guatemala. Quant aux piments forts, ils agrémentent systématiquement chaque plat, de la Patagonie au Panama. Les spécialités ayant conquis le monde sont légion. Il n’est qu’à citer les Fajitas (symbole de la cuisine tex-mex), les Empanadas (chaussons farcis de viandes et d’herbes aromatiques), les Tortillas diverses (galettes de maïs), comme les Totopos mexicaines (tortilla chips), les Enchilladas (pimentées), ou encore les Tostones (chips de banane plantain porto-ricaines) et les Tamales de elote (crêpes de maïs honduriennes), pour se convaincre du succès d’une cuisine quotidienne. Sans même évoquer le Guacamole (Mexique, à base d’avocat) et le Chumichuri, cette sauce argentine (ail, cayenne, oignon, persil, origan, huile, vinaigre), qui agrémente les viandes grillées –à commencer par l’excellent bœuf. Parmi les plats familiaux exprimant la fusion des deux cultures fondatrices, les Caldos et autres Cocidos sont omniprésents (ragoûts à base de viande en sauce, de légumes et de patates), comme le Tlalpeño mexicain (poulet, pois chiches, piments, avocat, epazote), ou l'intact Arroz con pollo (riz au poulet) qui a fait le tour de la planète hispanophone, avec le Puchero, sorte de pot-au-feu que l'on trouve notamment au Nicaragua et à Cuba. Equateur et Pérou aiment faire mariner les produits de la mer. Cela donne les Ceviches (crevettes ou poissons crus, citron, épices, ail). La Colombie se plait à concocter des soupes épaisses comme l'Ajiaco bogotano, à base de poulet, patates, légumes, épices, sauce piquante. Le poulet est plus volontiers cuisiné en escabèche au Guatemala. Au Panama, riz et noix coco râpée escortent des spécialités comme le Sancocho (ragoût de poulet très épicé) et la Ropavieja (soupe de bœuf épicée). Aux Honduras, on cuisine avec maestria les fruits de mer, en particulier les Curiles (bouillons de coquillages), les ragoûts généreux comme le Nacatamales (poulet ou porc et légumes en sauce) et le Yuca con chicharron (porc grillé) y mondongo (tripes). Quant au chocolat, excellent au Costa-Rica et en Equateur, il constitue la base de nombreux desserts. En sauce, il dompte les fricassées à base de porc, de canard ou de lapin avec une salutaire douceur. Une autre forme de métissage. L.M.

    http://www.voyageursdumonde.fr/voyage-sur-mesure/Img/brochures/Voyageurs-Amerique-Latine.html

  • visions de l'horreur

    téléchargement.jpegRamon del Valle-Inclan (je ne parviens pas à poser les accents qui conviennent, avec mon clavier : ajoutez-en donc deux, un sur le o du prénom, un autre sur le a de Inclan - merci), avec Un jour de guerre vu des étoiles (folio bilingue), présente l'intérêt de lire le témoignage poignant d'un Espagnol, car l'Espagne fut neutre durant toute la durée du conflit de 14-18. Or, l'écrivain manchot le plus célèbre des lettres espagnoles se rend sur le front alsacien et vosgien en 1916, survole le front de nuit, puis il retourne sur les fronts des Flandres, en Picardie, en Champagne, cette fois, où les combats sont intenses, et il témoigne de la boue, des rats, de l'odeur pestilentielle des cadavres que l'on ne peut aller chercher et enterrer, des blessés qui agonisent, du moral en berne des soldats transis d'effroi, de l'angoisse du poilu dans la tranchée au moment d'en jaillir sur ordre... Au nom du sacrifice pour une cause immatérielle nommée patrie. Valle-Inclan tenta de réveiller les consciences espagnoles endormies et confites dans une neutralité sibylline; en vain. Le livre est un moment précieux de littérature, notamment sa première partie, Minuit (La media noche). Le style, sec, est celui d'un grand reporter aguerri. Les chapitres prennent l'allure d'une chronique, avec sa vibration, son présent narratif, ses descriptions photographiques, où la nature, bien que bouleversée, boursouflée, demeure bucolique et paisible, et contraste ainsi de façon saisissante avec le théâtre d'une épouvantable boucherie absurde qui s'offre aux yeux d'un témoin qui prend des notes pour l'histoire, et pour la littérature. 

    téléchargement (5).jpeg

    Pierre Loti a lui aussi couvert la Grande Guerre, et il donna notamment des papiers d'importance à L'Illustration depuis le front. Il sera cependant plus actif sur le front arrière. L'auteur de Pêcheur d'Islande et de Ramuntcho, livre, avec Soldats bleus (La petite vermillon, de La Table ronde), son Journal intime de la Grande Guerre, qui constitue une anthologie de témoignages parmi les plus beaux qui furent écrits sur le sujet. Cependant, Loti n'est pas beaucoup sur le front des opérations, et ses pages traitent aussi bien de la pluie sur l'enfer de la Somme, que de Bayonne, d'Hendaye, de Rochefort ou de Soissons, ou encore de Paris. Cependant, c'est toujours franc, droit dans ses bottes, sans concession, parfois cru, toujours au plus près du réel - avec le style d'un écrivain qui n'est plus un novice et qui se défend de toute empathie nocive, surtout lorsqu'il décrit sans emphase l'horreur quotidienne de ces soldats bleus qui surgissent des tranchées et vont se perdre dans l'ombre, fauchés par le feu roulant d'en face; de nulle part. 

    (Je continuerai de présenter succinctement les livres intéressants qui paraissent à propos de 14-18, dans l'épais maquis d'une production généreuse). 

     

  • Portraits pour traits

    C'est ce que l'on appelle de la bonne came. Celle que je conseille aux journalistes en herbe que sont mes étudiants en

    téléchargement (1).jpeg
    images.jpegpresse écrite, cette matière en passe d'appartenir à l'archéologie du savoir. Cent portraits parmi les meilleurs parus dans Le Monde sur sept décennies (Pocket, 1000 pages!) - parce qu'il n'y a pas que ceux (excellents, souvent) de la dernière page de Libé. Le portrait, genre très prisé, fut "importé" (des USA vers la France) par Françoise Giroud. D'ailleurs, un prix à son nom récompense le meilleur portrait paru dans la presse écrite, et le millésime 2014, avec dix portraits cousus main, paraît (à La petite vermillon), et c'est encore de la bonne came, pour tous ceux qui aiment ce genre journalistique infiniment littéraire, qui produit de l'histoire à la dimension de l'individu, selon l'expression de Fernand Braudel. Il y a les stars, les inconnus célèbres, les parfaits inconnus qui possèdent de la matière, du jus, un destin brisé ou un quart d'heure de célébrité, de quoi alimenter la narration d'un papier. Il y a des écrivains, des héros, des sportifs de haut niveau, des hommes et des femmes d'Etat, des rock stars, des acteurs, des actrices, des patrons et des paysans, des SDF et des géants de l'immobilier ou de l'architecture. Tous sont matière à aiguiser les sens, à affûter les stylos, à éveiller les dessous de l'être, la face cachée, la part intime, la faille, ce fameux regard fragile, cette moue qui en dit long en observant un silence captivant, que le journaliste guette, provoque, accouche. Tous les portraits que nous pouvons lire dans ces deux ouvrages ont alimenté l'histoire immédiate et ont permis, permettent de mieux lire, de mieux comprendre le cours de la grande histoire. Et puis il y a des signatures : les auteurs de ces portraits retenus ici, et là, sont des plumes, comme on dit dans le jargon. Des encartés de respect. Des femmes et des hommes professionnels qui savent traduire une rencontre, car un bon portrait dans le journal est le condensé d'une rencontre, avec tout le poids qu'il faut donner à ce mot, par trop galvaudé. Une rencontre, oui, mais toujours avec ce qu'il faut d'indispensable distance par rapport au sujet, condition sine qua non afin de faire du journalisme vrai, sans empathie excessive, avec la compréhension idoine, la sensibilité non feinte mais retenue, la traduction précise, au plus près, de la vérité de l'autre, au service duquel nous restons - en presse écrite... Les portraits que nous lisons dans ces deux ouvrages sont comme autant de mini nouvelles, des shorts comme on dit outre-Manche, des condensés d'existence, des morceaux d'anthologie, comme on le dit de celui du boucher. De la bonne came, je vous dis.

  • Oran A/R

    téléchargement.jpegUne main amie, qui sait, m'avait adressé ce livre. Trois jours à Oran, d'Anne Plantagenet (Stock), trouble ceux qui, comme moi, avaient projeté de retourner à Oran avec leur père : c'est la trame du roman, sauf qu'il s'agit d'un vrai voyage, réalisé en 2005, du père (né là-bas) avec sa fille sur la terre des origines. La fille (l'auteur) a toujours entretenu des relations ambiguës avec l'idée de l'Algérie, son appartenance pied-noir, le désir de connaître Oran et plus précisément Misserghin (il se trouve que ma propre famille possédait aussi une propriété au village de Misserghin, sur les hauteurs d'Oran. Misserghin et sa Vierge, ses orangers, ses clémentiniers surtout... Et que le roman d'Anne Plantagenet me fut par conséquent infiniment troublant, confondant même, au fil des pages). Le talent de ce livre est d'être dénué de pathos et de décrire un homme (qui est le contraire du pied-noir caricaturé à l'envi par une filmographie, des chansonniers, une forme de racisme mou, larvaire, qui eut cours...), un homme d'abord sceptique, puis heureux d'accomplir cet acte fort. Et d'une fille en observation, en voyage de reconnaissance des noms de lieux (La Sénia, la Place d'Armes, Aïn Témouchent, la rue d'Arzew, la plage des Andalouses, la rue du Général-Leclerc, le boulevard Front-d'mer, les arènes d'Eckmühl...), en vérification sensible, sensuelle, des faits : les lentilles (du premier janvier), la mouna de Pâques à Santa-Cruz, les migas... Des odeurs aussi, et des sons, des impressions tant de fois imaginées à travers les récits de sa grand-mère. Cela rend touchant ce bref roman à l'écriture simple et comme mise à distance sans être froide pour autant. Le fameux mot de René Char, La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil, trouve ici tout son sens. (Moi aussi, j'irai passer trois jours à Oran avec ma fille).

     

  • Ne rien faire à Venise

    IMG_0656.jpgVille aimant, ville amante, ville mante, ville menteuse, fardée, ville phare, Venise est un trésor caché sous le manteau, qui éclaire le pas du voyageur. Une flamme fragile. Venise brille sous une pellicule de poussière d’histoires, Venise est une vieille dame qui ne masque plus son âge et dont on devine la beauté enfuie.

    Byron l’appelait  « le masque de l’Italie ». Derrière le masque, je vois Vénus.

    Là, rien ne presse. Quand je circule sur l’eau, il me semble que je glisse avec le temps et quand je marche, à chaque croisement de rue, surgit quelque chose de nouveau à angle droit, une rupture sensorielle, trois fois rien : un gosse accroupi près d’une rigole, une façade de marbre usée, du linge aux fenêtres, des enfants qui courent (ils sont bien les seuls à le faire dans cette ville) après les pigeons.

    Dans le silence du matin, une gondole semble ouvrir l’eau du canal comme une nappe de tissu et derrière elle, l’eau ne cicatrise jamais tout à fait. Cette impression revient sans cesse à moi. Dans la brume, lorsque l’eau coule comme du plomb fondu, la gondole apparaît comme une maquette de vaisseau fantôme et je pense à Pandora, le film. C’est avec Ava Gardner que j’aurais aimé faire l’amour à Venise, lorsque je m’y suis rendu la première fois (j'avais quatorze ans, je suivais mes parents et mes soeurs). La gondole est un long cercueil de poèmes chuchotés derrière le masque de satin des soirées louches. Moins classe, mais plus agréable, le vaporetto me transporte et plus encore. L’accelerato (le plus lent, curieusement), en hiver, permet de circuler à l’aise dans une Venise prise, en partie paralysée par le letargo, cette léthargie qui donne à la cité la silhouette d’une belle allongée sur les eaux dormantes, façon Kawabata.

    Les noms des îles principales évoquent un animal monstrueux : Dorsoduro (rond et dur comme le dos),

    Spinalunga (échine longue), Cannareggio (touffes de roseaux dressés sur les eaux). L’animal fétiche de Venise, c’est le lion. Volontiers ailé place Saint-Marc, il balise la ville et certains attribuent l’origine de Pantalone à pianta leone en référence à la manie du marchand vénitien de planter des lions sur toute terre conquise, à compter des années 828.

    Les pigeons vénitiens sont paresseux. Cocteau disait qu’ici, « les pigeons marchaient et les lions volaient ».

    J’aime marcher jusqu’à me perdre dans le labyrinthe des rues et des fondamente cousus de ponts et de sottoportici (passages voûtés) qui composent les Sestieri, les six quartiers principaux : Castello, San Piero, l’Arsenal, San Marco, Canal Grande et Canareggio. Certaines rues ont des noms étranges, comme la rue « du soleil qui mène à la cour des ordures ».  D’autres finissent en cul-de-sac, version locale : au hasard de ces rues noires où l’on n’entend que ses propres pas et où nous  ne croisons que des amoureux et des chats, il arrive de trouver un canal pour seule issue. J’aime particulièrement San Michele, l’île cimetière, parce qu’elle sent la résine, la tulipe et la terre fraîchement retournée. L’herbe caresse nonchalamment les tombes comme des anémones de mer et les cyprès, raides comme des morts debout, y figurent un orgue gigantesque et silencieux. J'ai écrit une nouvelle sur San Michele (in Les Bonheurs de l'aube, LTR), Cantos épuisants, car une forte crise d'asthme nocturne, lors de ce premier voyage adolescent, de cette prise de contact avec celle que je me refuse à appeler la Sérénissime, ne fut apaisée que lorsque je finis par m'allonger sur la tombe d'Ezra Pound, à l'aube. Allez comprendre, des fois...

    La meilleure raison d’aller à Venise et de ne rien y faire, de se prélasser à la terrasse du Florian et d’y compter les pigeons –et les canards de l’orchestre qui joue chaque soir des airs vieillots. De marcher le long du Lido, aux charmes comparables, en hiver, aux longues plages landaises et à celle de Biarritz sous les embruns, lorsque l’hôtel du Palais est fermé. Loin du centre très touristique, les Vénitiens vivent leur ville. Le silence habille le geste lent du fabricant de gondoles, le pas du chat et les mouvements de tête de la vieille veuve noire qui se chauffe sur une chaise au soleil.

    Parenthèse : la prochaine fois, je me risquerai jusqu'à l'île tranquille de San Erasmo, pour voir les vignes d'Orto, un vin blanc formidable, issu d'une malvoisie locale (malvasia istriana), pensé et ressuscité par les époux Bourguignon, toubibs de génie du vignoble, d'Alain Graillot, personnage respecté en Crozes-Hermitage et de Tandem, cette surprenante syrah marocaine - un vignoble bijou que possède Michel Thoulouze.

    Venise elle-même se laisse aller. Elle s’abandonne à son destin sous-marin, mais sans précipiter le cours des choses. Elle s’enfonce de quatre millimètres par an dans la lagune, ai-je appris. L’acqua alta projette à période fixe ce qu’elle sera. Son matelas de bois ne la soutient plus. À Venise, les arbres sont sous les pieds du voyageur : douze millions de troncs venus des Alpes et des Balkans supportent la cité à bout de bras, et sont aujourd’hui à bout de forces. J’aimerais recouvrir Venise d’une cloche de verre pour la préserver encore, ou la piquer à je ne sais quoi pour retarder sa disparition. Au moins l’adoucir. Venise s’engloutit sans se hâter, à la manière d’un transatlantique sombrant vers une cité engloutie. 

    J’en aime l’idée…

    Léon Mazzella

    (Texte et photo).

  • "Une foudre délicate tressaille en moi"

    téléchargement.jpegUne foudre délicate tressaille en moi. C'est ainsi que Belinda Cannone décrit ce... je ne sais-quoi-du-presque-tout, dans son précieux Petit éloge du désir (folio 2€). Nous avions déjà évoqué cet auteur http://bit.ly/1aOsPWA Là, en 249 fragments, elle raconte une histoire érotique, une rencontre, l'alchimie du désir et c'est délicat, et ça tressaille, et c'est bon. 

    Amour toujours? Sous la direction de Jean Birnbaum (actueltéléchargement (1).jpeg rédacteur en chef du Monde des Livres, l'indispensable supplément du quotidien du soir daté de vendredi), folio publie les actes du Forum Philo Le Monde / Le Mans organisé en novembre 2012. Christine Angot, Alain Badiou, Pascal Bruckner, Belinda Cannone, Alain Finkielkraut, Claude Hagège, Julia Kristeva, Camille Laurens, Michel Schneider, entre autres signatures, livrent leurs réflexions sur l'aventure obstinée des amants dans leur différence vraie, sur le singulier langage des amoureux, sur les thèmes proustiens les plus récurrents, et aussi sur la sacralisation de l'amour, la tragédie du couple contemporain, l'obsession sécuritaire qui touche aussi l'amour, le désir comme possible nouveau nom de l'amour, et encore l'amour maternel et l'érotisme de la reliance... Quelques thèmes parmi d'autres, abordés dans ce petit bouquin captivant.

  • Fleuve profond, sombres forêts

    téléchargement.jpegRelire Au coeur des ténèbres, de Joseph Conrad, qui devint Apocalypse now au cinéma (via Francis Ford Coppola), c'est éprouver la littérature dans sa capacité à nous introduire progressivement - en cheminant, en feuilletant - vers un ailleurs. En l'occurrence, le lecteur remonte un fleuve africain et, en s'enfonçant dans la nature, se débarrasse de son humanité jusqu'à atteindre le coeur d'une nature sinon animale, du moins déshumanisée et terrifiante. Kurtz n'est plus un homme et il n'est pas non plus barbare. Le livre agit comme une musique, comme un alcool : il enivre, embarque, emporte, par la force des mots, de la phrase, du rythme, de l'irrémédiable avancée vers le mystère. Il est ici traduit par Jean Deurbergue et publié dans la collection L'Imaginaire (Gallimard), laquelle offre également untéléchargement (1).jpeg bijou de littérature allemande, l'un des meilleurs livres d'Adalbert Stifter (l'auteur d'un chef-d'oeuvre : L'homme sans postérité, Phébus/Libretto) : Les Grands bois. Ces récits autant romantiques qu'expressionnistes (traduits par Henri Thomas), rappellent - surtout le premier, qui donne son titre au recueil- combien la nature, et notamment les grandes forêts (de Bohême, ici), sont capitales depuis J.J. Rousseau et Hölderlin. Stifter ne fut pas leur contemporain (1805-1868), mais il semble imprégné de cet amour, à la Thoreau aussi, pour la solitude dans les bois profonds, qui fonde son "réalisme poétique". Ses personnages sont des écorchés (comme il le fut lui-même), et l'on pense à la fois à la musique de Schubert (davantage qu'à celle de Wagner) et aux peintures de Caspar David Friedrich en lisant Stifter : il s'agit d'un bonheur générateur de frissons, qui agit par capillarité.  

  • UN FLEUVE POUR TERROIR

    IMG_9857.JPG






    Papier paru dans L'EXPRESS, hors-série La grande histoire du vin :

    Traversé par un fleuve capital, tant sur le plan nourricier que commercial, le Val de Loire, avec ses 600 km de long et ses 68 appellation, est un monde viticole à lui tout seul. Par Léon Mazzella (textes et photos - prises volontairement en l'absence de vignes, mais toujours en bord de Loire).

    -----

    hs vin l'express.jpgLorsque Gargantua vint au monde, il s’écria : « A boire ! À boire ! ».Dans le jargon rabelaisien, un tel cri ne réclame pas un bol de Loire mais plutôt un verre de Chinon, en dépit de l’omniprésence bienfaitrice du fleuve-mère, à l’instar du Rhône dans d’autres vallées. Le Val de Loire englobe une grande mosaïque d’appellations plus prestigieuses les unes que les autres, qui courent du Pays Nantais au Centre-Loire, en passant par l’Anjou et la Touraine. Il n’est qu’à citer des noms magiques comme Sancerre, Savennières, Pouilly-Fumé, Côteaux du Loir, Muscadet, Vouvray, Montlouis-sur-Loire, Quarts de Chaume, Saumur-Champigny, Reuilly, Saint-Nicolas-de-Bourgueil et Quincy pour s’en convaincre. Quatre cépages se taillent la part du lion : chenin et sauvignon côté blanc, cabernet-franc et gamay côté rouge. Treize autres sont néanmoins utilisés. 

    Si la région « pense Loire » et vit au rythme de son magnifique fleuve, elle est également imprégnée par la culture hédoniste de l’enfant du pays. Rabelais naquit  vers 1494 à la Devinière, près de Chinon, et n’aura de cesse de vanter les bienfaits de la vigne, qu’il consommait sans modération. L’époque n’était pas regardante. « Le vin est ce qu’il y a de plus civilisé au monde », clamait-il avec la truculence que nous savons. La Loire d’un côté et Rabelais de l’autre : les nombreux vignerons du cru, ou plutôt d’une immense palette, possèdent deux vecteurs essentiels. 

    Avec 600 km et 68 appellations qui frisent l’Atlantique d’un côté et vont frapper aux portes de la Bourgogne de l’autre, le vignoble du Val de Loire est non seulement le plus long de l’Hexagone, mais également le plus complexe, eu égard à l’extraordinaire diversité de ses terroirs. L’Aubance, le Layon, la Sèvre nantaise désignent des affluents de la Loire évocateurs de beaux flacons.

    « Nul n’est censé ignorer la Loire »

    Comme partout, ce sont les légions romaines qui introduisirent ici la vigne. PlineIMG_9883.JPG l’Ancien l’évoque dans ses écrits. Au Vème siècle, nous devons le premier essor du vignoble aux moines qui ont à cœur de développer la culture de la vigne. La commercialisation  des vins est favorisée par la Sèvre, la Maine, les marais de Goulaine, qui sont autant d’accès privilégiés à la Loire et qui complètent les voies romaines. A la suite des moines, les gouvernants contribuent à l’envolée des vignobles de France : ainsi Henri II Plantagenêt, comte d’Anjou, en devenant roi d’Angleterre en 1154, exporta-t-il les vins de sa région. La bourgeoisie reprend le flambeau du Moyen-Age au XVè siècle. Les rois de France contribueront à leur tour, au succès des vins qui naissent parfois jusque devant les nombreux « châteaux de la Loire ». Le commerce –notamment avec la Hollande, sera lui aussi facilité par les affluents du grand fleuve. Les guerres de Vendée freineront l’économie : les années de la Révolution seront en effet dévastatrices pour le vignoble ligérien. Puis le phylloxera sera le gros coup dur. Et tout repartira de plus belle : les premières AOC voient le jour en 1936. En 2000, le Val de Loire est classé au Patrimoine de l’Humanité par l’Unesco. Le prestige des vins de Loire dans leur ensemble s’en trouve accru.

    IMG_0556.jpgSi « la Loire coule de source », selon un mot fameux, ou bien –selon un jeu de mots, si « Nul n’est censé ignorer la Loire », il faut encore savoir que sans son cheminement au gré du vallon qu’elle creuse en s’élargissant plus ou moins, et où elle sinue, s’insinue, irrigue, aère à qui mieux mieux, selon que l’on se situe dans le Val d’Anjou, ou vers Ponts-de-Cé et Angers, le vignoble ne serait pas ce qu’il est. 

    Rares sont les régions d’appellations, les zones de production d’importance majeure à présenter une  telle variété de vins. En effet, le Val de Loire offre toutes les couleurs de la palette vins et toutes les variétés de la planète vins. Qu’on en juge : nous trouvons des vins blancs secs et demi-secs. Des vins liquoreux et moelleux. Des vins pétillants.Des vins rosés. Des vins rouges enfin. Ce très large choix est une richesse exceptionnelle. 

    Les vins de Loire sont ainsi, qui se définissent comme des vins ayant un fleuve pourIMG_9918.jpg terroir : ce fleuve dont la largeur est légendaire, a creusé son lit pour mieux irriguer des sols d’une variété et d’une richesse rares, et pour donner naissance à une grande diversité de terroirs, sur lesquels une mosaïque d’appellations prospèrent, en élaborant des vins à partir d’une gamme de cépages unique au monde et pour la plupart vernaculaires. 

    Une longue palette de vins

    Ajoutons à cela le rôle géopolitique fondamental de la Loire dans l’essor du commerce des vins de cette immense région de production viticole et nous tenons, en du Val de Loire, l’expression de la diversité, de la variété, du choix et avant tout de la qualité. Sur un  vaste territoire, le vignoble bénéficie avec superbe de plusieurs additions : celle d’influences climatiques distinctes, et de celle des sols qui s’y trouvent. Les vins y sont par conséquent terriblement expressifs.  

    IMG_9849.JPGÀ chaque région bénie des dieux ses problèmes de luxe, pourrions-nous avancer  avec le Val de Loire. Car lorsqu’on a la chance de posséder une telle diversité, une région de crus ne peut qu’exprimer une richesse et une complexité à rendre jaloux la plupart des vignobles devant se contenter d’une unité, soit géologique, soit climatique, ou encore organoleptique si l’on est en présence d’un cépage pas partageur, ou encore tapageur. Ces richesses-là, plus monolithiques, le vignoble du Val de Loire les laissent au profit d’une théorie de la palette. Car la peinture des terroirs donne autant de familles, de types de vins distincts, au caractère singulier, voire unique sur certaines micro-appellations comme Anjou-coteaux-de-la-Loire (30ha), ou des micro-vignobles comme Pissotte (20 ha) en Pays Nantais, qu’il y a de variétés de micro-terroirs, tout au long de ce fleuve miraculeux appelé Loire –colonne vertébrale d’un vaste vignoble aux multiples facettes. Le vignoble ligérien jouit aussi de micro-climats, comme sur les Coteaux-du-Layon, tellement méditerranéen. Ainsi, l’Anjou-Saumur donne par exemple des blancs secs et liquoreux d’une tendresse forte, des rosés gastronomiques, des rouges souples et puissants et enfin des effervescents qui ont peu à envier à certains champenois. L.M.

     

    La douceur angevine

    Puisque la Loire et sa région sont propices aux adages et autres bons mots, qui ne connaît pas la fameuse expression de « douceur angevine » ? Celle-ci désigne le climat qui domine en Anjou-Saumur, et qui est de type océanique tempéré, avec de si faibles amplitudes qu’il semble incapable de faire le moindre grand écart. Si les vents venant surtout de l’Océan sont par essence humides car porteurs de précipitations grâce à l’effet de foehn, le vignoble est protégé par les contreforts  de la région de Cholet et des Mauges. Si bien que l’hygrométrie est très différente d’un versant du coteau à l’autre. Ainsi, la douceur angevine s’exprime-t-elle en accueillant par exemple une végétation caractéristique des régions du Sud. Autant d’atouts pour que la vigne s’épanouisse avec bonheur. L.M.

     

    LIQUOREUX MYTHIQUES

    Avec Quart-de-Chaume et Bonnezeaux, Savennières est l’un des trois Grands Crus de l’Anjou viticole. Confidentielle, cette appellation prestigieuse produit de grands blancs qui étaient déjà célébrés par Curnonsky, « le prince des gastronomes ».

    -----

    IMG_9900.JPGCurnonsky tenait en effet la Coulée de Serrant pour l’un des cinq meilleurs vins blancs de France. Alexandre Dumas l’évoque dans son célèbre Dictionnaire de cuisine. L’aire de l’appellation Savennières, qui englobe les deux micro appellations prestigieuses (reconnues en novembre 2011) Savennières-roche-aux-moines et Savennières-coulée-de-serrant, s’étend sur 350 ha à peine, dont le tiers est planté en vignes, et couvre trois communes : Savennières, Bouchemaine et La Poissonnière. Un terroir unique, la sublimation du chenin, voilà Savennières dans toute la beauté de son expression. L’exceptionnel coteau qui surplombe la rive droite de la Loire, à quinze kilomètres d’Angers, est à cet endroit-là une bande de faible largeur (entre 500 et 3000 mètres) sur une dizaine de kilomètres, d’une qualité de sols et d’exposition qui frôle la pureté. Quatre petits coteaux orientés sud-sud-est, perpendiculaires à la Loire voisine, abritent le vignoble des orages et le maintient dans un parfait bain de douceur… angevine. Le chenin s’y révèle corsé en diable, séveux à souhait, élégamment chargé de flaveurs mielleuses, florales et fruitées. Idéalement acide grâce au sol de schistes, il produit un blanc sec total. La IMG_9954.JPGRoche aux Moines et la célébrissime Coulée de Serrant de Nicolas Joly, l’un des premiers papes et apôtres de la conduite de la vigne en biodynamie, sont situées sur l’éperon rocheux le plus jalousé de la Loire pour son exposition idéale. Le lieu est propice à l’apparition de la pourriture noble, le fameux champignon nommé botrytis cinerea qui attaque la baie avant qu’elle ne soit « surmûrie », à l’heure où la plupart des vendanges sont faites (bien qu’il ne s’agisse pas ici de vins dits de « vendanges tardives ») et à la faveur de brouillards matinaux conjugués avec la fraîcheur humide d’un fleuve accorte. Selon la vinification, les vins sont soit secs, soit demi-secs. Question de savoir-faire humain. La Coulée de Serrant (une appellation monopole de la famille Joly) est un domaine chargé d’histoire. Plantée en vignes dès 1130 par des moines cisterciens, elle n’a connu que des vendanges consécutives (la vendange 2013 est la 883ème). Nicolas Joly, son actuel propriétaire, y pratique donc la biodynamie en pionnier scrupuleux d’une osmose de la nature avec l’homme et de l’utilisation raisonnée des rapports de forces, de ce qui donne « vie » à la plante, du système solaire à la gravité de la terre. Sans utiliser bien sûr le moindre intrant chimique et en favorisant par exemple le labour avec des chevaux!.. L’ancien monastère précité, classé à l’inventaire des monuments historiques, n’est pas très éloigné de la forteresse de la Roche aux Moines, où le fils de Philippe Auguste vainquit en 1214 Jean Sans Terre, fils de Richard Cœur de Lion. Les vignerons du cru doivent à la comtesse de Serrant d’avoir introduit le vin de Savennières à la cour de Napoléon I er. Mais dès le XIIème siècle, ce sont les moines de Saint-Nicolas d’Angers qui développèrent de façon décisive la culture de cette vigne. Les seigneurs angevins, puis la bourgeoisie, poursuivirent cette œuvre en faveur des vins de Savennières, qui avait débuté à l’époque romaine. Les vins issus de ces trois AOC doivent impérativement provenir de raisins (de chenin exclusivement) titrant au minimum 212 grammes de sucre par litre. Et comme nul fait du savennières comme bon lui semble, les rendements de base de 50 hl / ha sont ramenés à 40 hl / ha. C’est en réalité des rendements encore moindres qui sont pratiqués –parmi les plus faibles de France pour des blancs secs (jusqu’à 20-25 hl/ha)-, afin de concentrer ces vins nectars, au nom de la recherche permanente d’une qualité toujours dépassée. L.M.

     

  • PV,1.

    images.jpeg

    ... 'tain, pile un an déjà que Pierre Veilletet s'est fait la malle. Ca va trop vite. Lisez-le, relisons-le. Cela fait toujours un bien fou. Reprendre au hasard Querencia et picorer, lire un chapitre du Vin, leçon de choses, ouvrir Mari-Barbola et éprouver la sensation proustienne de se faire embarquer par la phrase plus sûrement que par une vague... Ce matin, je saisis La Pension des nonnes, car j'évoquais Gênes hier soir. En duo avec La forme d'une ville - le Nantes de Julien Gracq, car j'en fis en 1985 l'un de mes premiers papiers littéraires importants publié dans "Sud-Ouest Dimanche" - que P.V. pilotait alors (qu'à la suite de ce papier, reproduit ci-dessous, j'entamai une relation épistolaire avec J.G. qui ne cessa qu'à sa mort en 2007), que je me trouvais récemment dans cette cité et que l'un et l'autre auteurs ont su parler des villes (Bordeaux, Séville, Rome...) comme personne. Il s'agit de lire comme on compose un repas, comme on examine la carte d'un restaurant, en établissant avec sens et précision la forme d'une fête à venir immédiatement, et lire PV et JG en alternance (pas en entrée puis en plat : ¡a tapear!) est une fête. A table!

    Gracq-Nantes 3.jpeg

  • Parcours "artypique" en Pays Nantais

    La Villa-Cheminée, de Tatzu Nishi, à Cordemais. Le "Bateau mou", d'Erwin Wurm à l'écluse de la Martinière, au Pellerin. L'Observatoire, de Tadashi Kawamata, dans les marais de Lavau-sur-Loire. La Maison sur l'eau, de Jean-Luc Courcoult, à Couëron... Quelques créations insolites (il y en a huit autres), à voir en bord de Loire, le long de l'estuaire. Photos : © L.M.IMG_9861.JPGIMG_9896.jpgIMG_9880.JPGIMG_9894.JPG

  • Les Grecs surnommaient l'Italie "Oenotria" : "la terre du vin"

    hs vin l'express.jpgin L'EXPRESS hors-série La grande histoire du vin (en kiosque) : 

    Italie

    ANCIENNE, FERTILE ET GÉNÉREUSE

    par Léon Mazzella

    La Botte a toujours été généreuse en sang de la vigne. Avec près de 60 millions d’hectolitres, l’Italie  assure, en ce début de XXIème siècle, près de 20% de la production mondiale de vins. C’est dire son poids économique. Et si elle produit de nos jours davantage de vins que n’importe quel pays au monde – en concurrence avec la France certaines années -, elle abreuvait déjà de ses volumes l’empire romain. Ce sont les Grecs qui introduisirent la viticulture en Italie au VIIIè siècle av. J.-C. La Grande Grèce englobe alors l’Italie du Sud et la Sicile  et ce sont les Eubéens (de l’île d’Eubée, en mer Egée, en face de l’Attique), qui s’installent  les premiers dans leurs colonies, en Italie  méridionale précisément, avec des cépages antiques comme le byblinos ou l’aminios – ce dernier est, par excellence, celui des crus romains, et il fut planté initialement  en Calabre. Les Eubéens pratiquent la viticulture depuis plus d’un siècle sur leur île. Les colonies italiennes bénéficient aussitôt d’un essor de leur nouvelle économie et, très vite, les îles du Golfe de Naples, notamment Ischia  - toujours célèbre pour ses vins blancs légers et gourmands, issus de cépages (actuels) comme les biancollela, falanghina et autre forastera – ainsi que la ravissante Procida – alors couverte davantage de vignes que de citronniers, comme aujourd’hui -, produisent leurs propres amphores afin d‘expédier leur vin à Carthage, ce dès le VIIè siècle av. J.-C. Les textes fondateurs des poètes latins, comme Virgile et Pline l’ancien,  s’inspirent largement du savoir-faire grec.  « Les Géorgiques », de Virgile, et l’« Histoire naturelle », de Pline, consignent avec force précisions les préceptes de cette nouvelle activité et fournissent ainsi de véritables manuels de viticulture aux agriculteurs italiens de la fin de la République et sous l’Empire. Ces textes seront des références pour le monde viticole européen dans son ensemble, des siècles durant. Leur ton direct et tutoyant rend l’apprentissage et les travaux pratiques de la « conduite de la vigne » (selon l’expression de Pline), on ne peut plus agréables. Exemple, pris chez Virgile, à propos de la plantation des rangées de ceps  : «  Si tu traces l’emplacement du vignoble dans une plaine grasse, plante serré (…), mais si tu choisis le versant d’une côte mamelonnée ou des pentes douces, espaces généreusement tes rangées. » Voici qui correspond parfaitement au vignoble italien, lequel se répand à une vitesse prodigieuse et ne tarde pas à couvrir des zones aujourd’hui emblématiques de la carte viticole du pays, Sicile comprise, jusqu’au Latium –la  région de Rome, ainsi qu’en Etrurie, le territoire des Etrusques, soit l’actuelle Toscane. Les vins étrusques, conservés dans des amphores « italiques », sont abondamment exportés, dès cette époque, dans la plupart des pays du Bassin méditerranéen, y compris en Gaule à partir du VIè siècle av. J.-C. Les légions romaines découvriront un velours côtelé de vignes lors de leurs campagnes militaires au sud de la Botte et en Etrurie, dès le IIIè siècle av. J.-C., d’après Pierre Sillières (*). La plupart des raisins sont destinés à la vinification, dans cette Italie antique qui suit peu à peu les préceptes de Caton, de Columelle (dont le traité « De l’agriculture » , « De re rustica » demeure le plus grand traité d’agronomie que nous ait transmis l’Antiquité),  ou encore de Varron, qui publient des ouvrages dans lesquels nous trouvons déjà – entre autres - les moyens de lutter contre les petits fléaux (insectes, notamment),  y compris contre le gel (en arrosant la vigne afin de la tiédir). Mais contre la grêle, l’invocation des dieux était l’unique recours du viticulteur italien… Certains vignerons pionniers, notamment sur la côte napolitaine, vers Pompéi et au-delà (où les fouilles révélèrent  tant d’indices), passerillaient le raisin, ou bien le consommaient frais, ou encore le conservaient dans des pots, mais l’écrasante majorité du produit de la vigne était dûment fermenté, après avoir été foulé et pressuré. Selon les recherches effectuées par Pierre Sillières, la vinification  (la transformation du moût en vin),  s’effectue alors dans de grandes jarres en céramique appelées dolia, pouvant contenir 10 hl chacune, et rangées semi-enterrées dans les chais. Il est à noter que la distinction entre vins ordinaires et vins fins se fait immédiatement et que les premiers sont destinés à la plèbe et à l’armée tandis que les seconds, que les Italiens entreprennent de laisser vieillir dans des jarres, et puis qui sont « mis en amphores » (bien que le vieillissement s’effectue également en amphore), sont naturellement destinés à des classes sociales plus élevées. Selon un autre chercheur, André Tchernia (**), tous les vins réputés de l’Antiquité provenaient  d’une aire qui allait de Rome à Pompéi, soit du Latium à la Campanie, en particulier sur l’ensemble de la plaine côtière et jusqu’aux contreforts du Vésuve. Les trois vins (secs et doux) les plus recherchés sont le falerne, le vin des monts Albains et le cacube. Les règles élémentaires du commerce du vin – le commerce de proximité comme l’exportation – se mettent en place : les vins simples et nécessitant un transport coûteux sont consommés sur place et les vins « de garde » ou déjà réputés sont repérés, achetés et acheminés par des négociants, dont l’activité sera très prospère au IIIè et au IIè siècles av. J.-C. Celle-ci  reposera sur le transport en bateaux d’énormes quantités d’amphores à destination de la Gaule ou de l’Hispanie, mais celles-ci commenceront elles aussi à cultiver la vigne et à consommer par conséquent ses propres vins (lire par ailleurs). Mieux (ou pire, pour l’Italie), dès le Ier siècle ap. J.-C., souligne André Tchernia, non seulement les clients historiques de la viticulture italienne disparaissent mais ils ne tardent pas à concurrencer les vins de la Botte et à narguer celle-ci en y exportant leur propre production à Rome même ! La capitale de l’Empire devient d’ailleurs,à la faveur de son expansion rapide et colossale, un si grand consommateur de vins indigènes que les vignes de Campanie, du Latium et d’Etrurie, mais également de la région de Ravenne, de la côte adriatique et de la plaine du Pô, car on cultive dès lors la vigne un peu partout dans le pays, ne suffisent parfois pas à étancher la soif  d’un million de Romains, évaluée à environ 1,8 million d’hl annuels. A la fin du Ier siècle ap. J.C., la culture de la vigne s’étend parfois au détriment de celle du blé.  Il est à noter qu’à la faveur des écrits lumineux, voire visionnaires, de Columelle, qui était lui-même vigneron et possédait des vignes dans divers zones propices d’Italie, une classification des crus se fait jour au IIè siècle de notre ère, en fonction de critères qualitatifs : il est déjà question de terroir, de robustesse, de fécondité.  

    Une législation tardive

    Les invasions barbares (Goths, Lombards) réduisirent la viticulture à néant. Il faut attendre les effets bénéfiques de la christianisation  – surtout au Moyen-Age, puis ceux de la Renaissance (XIIIè siècle), pour observer un renouveau de la culture de la vigne, Comme une revanche, elle fut étendue à toutes les régions susceptibles de l’accueillir, qu’elles soient de plaine, de piémont ou côtières. Le XVIè siècle, après la chute des Médicis, qui connaît le règne des Habsbourg, n’est pas non plus favorable au développement de la viticulture. Le phylloxéra et la Seconde Guerre mondiale produisent les effets d’arrêt brutaux que nous savons dans la plupart des pays européens. Longtemps synonymes de vins de quantité et de moindre qualité, les vins italiens ne souffrent plus aujourd’hui de connotations négatives, mais le laxisme législatif  - il a mis près de trente ans après la France à établir des classifications claires -, a retardé d’autant la reconnaissance des grandes appellations et des grands vins italiens, et dieu sait s’ils sont nombreux.  En effet, l’après-guerre ne fut pas favorable au développement qualitatif des vins italiens. « Faire pisser la vigne » afin d’exporter de la « bibine » étaient plutôt les maîtres mots. Ce n’est qu’en 1963 qu’une loi de première importance, portant sur les normes de dénomination s d’origines des vins, jette les bases de l’organisation de la viticulture moderne italienne. Elle donnera naissance à la fameuse loi Goria de 1992, qui établit la nouvelle réglementation des dénominations d’origine. Celle-ci est relativement simple, et elle ressemble aux législations européennes en vigueur un peu partout au sein de la communauté : nous trouvons les DOC (Dénomination d’origine contrôlée), les DOCG (Dénomination d’origine contrôlée garantie), les IGT (Indication géographique typique), les vins de table (vini da tavola) et les VDN (Vins doux naturels). L’Italie compte vingt régions viticoles (comme autant de régions politiques). Du nord au sud et d’ouest en est :Val d’Aoste, Piémont, Ligurie, Lombardie, Trentin-Haut-Adige, Vénétie, Frioul-Vénétie-Julienne, Emilie-Romagne, Toscane, Ombrie, Marches, Latium, Abruzzes, Molise, Campanie, Basilicate, Pouilles, Calabre, Sardaigne et Sicile. Les vins les plus réputés se trouvent au nord de la Botte : Piémont et Toscane. Le Piémont est le royaume du cépage nebbiolo (rouge) qui donne les célèbres Barolo et Barbaresco. La Toscane viticole  rime avec Chianti (Classico ou Ruffino) et évoque aussitôt un cépage principal (rouge), le sangiovese. Cette région viticole bénie des dieux évoque aussi l’une des plus célèbres appellations  (DOCG) en vins rouges italiens, le Brunello di Montalcino . On désigne par ailleurs sous l’appellation non contrôlée de « super-toscans », des vins d’exception comme le célébrissime Sassicaia,  ou les non moins célèbres Solaia, et Tignanello. La classification des vins italiens est plus commode si nous la divisons par genre : il y a les spumante (mousseux), les frizzante (pétillants),  les amabile (demi-sec), les doux (dolce), les abboccato (mi demi-sec, mi demi-doux), les passito  (passerillés), à côté de l’armée des secco (secs : blancs, rosés ou rouges). Outre le Chianti Classico, longtemps présent sur les tables des pizzerias du monde entier, dans un flacon rond et habillé de paille tressée, le Lambrusco (Emilie-Romagne) , est sans doute le vin le plus connu hors des frontières italiennes. Le fameux blanc Orvieto provient d’Ombrie, le Frascati (issu du cépage trebbiano), du Latium. Quant au  Greco di Tufo, il contribue à la réputation des vins blancs de Campanie, connue également pour son Lacryma Christi del Vesuvio (blanc ou rouge). Le Montepulciano d’Abruzzo vient évidemment des Abruzzes. Enfin, les grandes îles (Sardaigne et Sicile) donnent des rouges puissants et charpentés (issus pour la plupart de cépage canonnau), ainsi que des blancs raffinés (issus principalement du cépage vermentino). L.M.

     

     

     

    (*) « La viticulture et le vin dans l’Antiquité », in « Voyage au pays du vin », (ouvrage collectif, Robert Laffont)

    (**)  « Le vin romain antique », de A.Tchernia et J.P.Brun (Glénat).

     

     

    Frénésie 

    L’érudit Suétone (Ier siècle de notre ère), en guise de commentaire à la décision de l’empereur Domitien, prise en 92, de donner un coup d’arrêt à la frénésie de consommation de vins italiens par les Romains, mais aussi par les Gaulois et les Ibères, écrit ceci : « La surabondance du vin et la pénurie du blé étaient l’effet d’un engouement excessif pour la vigne, d’où résultait l’abandon des labours. C’est pourquoi l’empereur interdit , en Italie, toute plantation nouvelle et ordonna, dans les provinces, d’arracher au moins la moitié des vignobles. » 

    ---

    Cité par Roger Dion dans sa fameuse histoire de la vigne et du vin en France, et repris par Jean-Robert Pitte, in « Le désir du vin à la conquête du monde » (Fayard). 

     

  • La vie dans les tranchées

    in L'EXPRESS, hors-série La Grande Guerre (en kiosque):

    mook GG.jpgL’HORREUR AU QUOTIDIEN

    Par Léon Mazzella

     

    D’abord il y a la mort. Omniprésente, pestilentielle, celle du copain déchiqueté sous les yeux du soldat, celle de l’ennemi, celle qui rôde, celle qui frappe sans prévenir, et que nul ne voit venir.  Et puis il y a les « totos », ces poux qui grouillent et ne font pas davantage relâche que les puces, et de gros rats qui empêchent de dormir, dévorent tout, y compris les pieds et les nez des vivants. Il y a surtout la peur –cette indécollable peur au ventre, majuscule, chevillée, clouée, profonde et permanente. Qui a dit que les Poilus se faisaient parfois sous eux en jaillissant des tranchées quand il fallait y aller ? Pas les visuels rassurants des cartes postales, outil accessoire de propagande, qui montrent des soldats posant, souriants, sereins, lorsque la plupart crevaient de frousse et de maladie, agonisaient dans un trou, les jambes broyées et le cœur aussi, le corps gelé ou à demi noyé dans une boue aussi épaisse que de la crème de marrons. Même les livres emblématiques comme l’émouvant « Ceux de 14 » de Maurice Genevoix (1) disent l’horreur illimitée au quotidien, n’évoquent qu’avec tact et émotion contenue le sang, les tripes, les cris, les appels au secours, l’appel ultime à maman avant de basculer dans le néant. Lire « Sous Verdun », « La boue », « Les Eparges » (lire l’extrait ci-dessous), de Genevoix conjugue le plaisir du texte (il s’agit d’un grand moment de littérature) , et la sensation d’assister, in vivo, au quotidien du Poilu auquel Genevoix nous invite sans ambages ni précautions d’usage : son témoignage est aussi poignant que cru, aussi fort que vrai. La mort est une compagne. Un coup de pelle pour creuser une nouvelle tranchée fait tomber sur un corps en putréfaction. L’odeur de la mort est toujours là et celle des cigarettes ne parvient pas à en masquer l’indélébile trace. La mort se respire, la mort est en soi puisqu’elle attend le soldat à chaque instant. L’insoutenable légèreté de la survivance prend le poids d’un supplice, pour les Poilus que la mort côtoie de si près

    La chasse aux rats

    L’horreur, c’est aussi la chasse aux rats, parce que les rats, gras car repus de chair humaine, ont pris de l’assurance, de l’arrogance, de la présence ;  de l’omniprésence. Les rats pullulent et envahissent la vie du Poilu. Au point que le haut commandement  promet une prime de cinq sous à chaque prise. Ernst Jünger, dans « Orages d’acier » (2) autre journal de guerre emblématique –côté Allemand, cette fois-, a su décrire avec une pointe d’humour désabusé ce passe-temps : tirer les rats, les enflammer, les piéger, jouer avec la vermine. « La chasse aux rats  offre une distraction fort goûtée dans le vide des gardes. On dépose un petit bout de pain en guise d’appât et on pointe le fusil sur lui, ou bien on répand dans les trous de la poudre prise aux obus non éclatés et on y met le feu. Ils en bondissent alors en couinant, le poil roussi. Ce sont des créatures répugnantes, et je ne puis m’empêcher de penser toujours à leur activité secrète de charognards, dans les caves de la bourgade… » Erich Maria Remarque, l’auteur de « A l’Ouest, rien de nouveau », roman pacifiste exemplaire sur la Grande Guerre, évoque les « rats de cadavre ».  C’est dire. Et par-dessus le marché,  « l’été, ce sont des essaims monstrueux de mouches qui viennent pondre dans les corps des soldats en décomposition », note Jean-Yves Le Naour (3). Aussi, le quotidien du soldat dans cette fichue guerre de position, est-il loin d’être idyllique et de ressembler aux images de propagande diffusées à grande échelle et destinées à rassurer le front arrière. Lequel n’était pas dupe, lorsqu’il recevait des nouvelles du front.

    images (1).jpegtéléchargement.jpegimages (5).jpeg(1)Flammarion, 960 pages, 2013. Disponible également en Points/Roman et aux éd. Omnibus.

    (2)« Orages d’acier », par Ernst Jünger (Le Livre de Poche, 1989).

    (3)« La Grande Guerre à travers la carte postale ancienne » (HC éd. 2013).

     

    **********

     

    Bonnes feuilles :

    LES EPARGES

    images.jpeg« Cela se passait aux Eparges, pendant une des attaques meurtrières du printemps 1915. On se souvient peut-être que sur cette butte des Hauts-de-Meuse, la bataille se prolongea deux mois. Une bataille sauvage, une suite presque ininterrompue d’attaques et de contre-attaques pour la conquête d’une colline de boue, dans des tranchées gluantes bouleversées par des milliers d’obus. Les havresacs, les armes, les cadavres s’enfonçaient lentement dans la glaise, des blessés perdus s’y noyaient. Chaque trou d’obus, les énormes entonnoirs creusés par l’explosion des mines devenaient autant de mares glacées, d’un jaune aigre et verdâtre empoisonné par l’hypérite (*). Et il flottait sur ce charnier une odeur fade et corrosive ensemble qui entrait loin dans la poitrine, semblait happer aux bronches comme la boue aux mains nues, aux genoux et aux reins. 

    Chaque fois qu’un régiment montait, c’étaient mille hommes qui tombaient, plusieurs centaines de tués, des blessés affreusement déchiquetés par des obus de rupture énormes, quelques fous. Les survivants descendaient au repos, dans des villages déserts et bombardés où ils ne cessaient point d’entendre, jour et nuit, le grondement de l’interminable bataille. Des renforts arrivaient, comblant les vides des compagnies. Et ils remontaient aux Eparges.
    Ils remontaient par les mêmes cheminements, les mêmes boyaux ruisselants ou gelés, vers les mêmes tranchées bouleversées, éternellement refaites et nivelées, où d’une relève à l’autre ils retrouvaient les mêmes cadavres, raidis encore dans l’attitude où la mort les avait saisis : celui-ci avec le même éclat brillant fiché dans son crâne nu comme un coin de bûcheron, cet autre avec sa main crispée par-dessus son épaule, dans la même moufle de laine bleue. Tous connus, tous reconnaissables,  compagnons et frères d’hier qu’ils ne pouvaient s’empêcher de nommer, ceux qui s’étaient effondrés sans une plainte, ceux dont ils avaient écouté, dans la nuit, gémir la longue agonie. » 

    -----

    Maurice Genevoix, « La Ferveur du souvenir » (pp.79-80, éd. établie par Laurence Campa, ©La Table ronde, 2013)

     

    images (4).jpeg(*) Gaz moutarde : « On nomme ypérite le plus atroce des gaz de combat de la Grande Guerre », écrit l’historien André Loez, dans « Les 100 mots de la Grande Guerre » (PUF / Que sais-je ?), « du nom de la ville belge d’Ypres où il fut utilisé pour la première fois par l’Allemagne en juillet 1917. Egalement nommé gaz moutarde en raison de son odeur, il brûle la peau et les muqueuses, rendant inopérantes la protection des masques. »

    Nota : l'anachronisme figurant dans le texte de Genevoix - il évoque des faits qui se déroulent en 1915 - s'explique par la date de la rédaction de ses livres sur la Grande Guerre, largement postérieure à celle-ci. D'autres gaz  -aveuglants -  que le gaz moutarde, furent utilisés en 1915.

     

     

     

  • Origines du vin et vin des origines

    hs vin l'express.jpgPapier introductif que j'ai écrit pour le hors-série (couv. ci-contre), en kiosque depuis cette semaine :

    C’est communément vers l’Anatolie que l’on situe les premières tentatives de domestication de la vigne, liane sauvage, environ 7 000 ans avant notre ère. Mais les premiers vins les « paléovins » sont sans doute antérieurs à la culture de la vigne. Nos ancêtres du Néolithique se régalaient de boissons fermentées de céréale (bière), de miel (hydromel) ou de fruits (sureau et raisin sauvage, notamment). Des résidus d’acide tartrique, un des principaux composants du vin, ont ainsi été retrouvés sur les parois internes de poteries mises au jour sur le site de d’Hajji Firuz Tepe, en Iran. Leur datation nous ramène vers -7 500. De même, des traces de pépins de raisin fermentés, trouvées dans un village du sud-est de la Turquie, remontent au vie millénaire av. J.-C.. Favorisée, comme l’élevage, par la sédentarisation des peuplades, la viticulture se développe de la Turquie et de l’Iran vers la Mésopotamie, avant de rejoindre le Proche-Orient (-4 000), l’Egypte (-3 000), puis la Grèce et la Crète (-2 000). Elle apparaît par ailleurs en Inde, vers –500, mais rien ne permet d’y certifier la production de vin. 

    Sur les rivages de la Méditerranée, en revanche, pas de doute : l’archéobotanique nous renseigne avec précision de la fabrication d’une boisson à base de raisins fermentés. Les indices ne manquent pas, comme la forte concentration de pépins, notamment du côté de l’étang de Berre, sur l’île de Martigues, dans les Bouches-du-Rhône, et à Lattes (Hérault). 

    Tout porte à croire que ce sont les Grecs les Phocéens précisément qui auraient peu à peu converti nos ancêtres à apprécier le sang de la vigne. Ces premiers vins des Grecs installés à Massalia (Marseille) remontent à 600 av. J.-C. Le vignoble est planté en quantité autour de la cité, ainsi qu’à Agde, autre colonie. Le commerce va bon train et une amphore spéciale, la « massaliète » est même créée. 

    La culture de la vigne s’est ainsi rapidement répandue à travers toutes les civilisations qui bordent Mare Nostrum. Et comme partout dans le monde antique, y compris jusqu’en Chine, elle y joue presque toujours, un rôle religieux, voire mystique. 

    DU DIVIN AU PAÏEN

    Si le vin existe depuis environ 9 000 ans, la vigne, Euvitis, qui compte une cinquantaine de variétés, dont Vitis vinifera, celle qui nous intéresse, existe depuis des millions d’années. L’homme préhistorique commence d’abord à consommer les raisins. Puis, il découvre la fermentation du raisin, les bienfaits de cette nouvelle boisson énergisante, ainsi que les vertiges de l’ivresse. Cela nous conduit à la Bible. Vigne et vin y sont signes de richesse et de bénédiction divine d’une part, et l’ivresse est à l’origine de la Faute, d’autre part.

    Dans la Genèse, Noé, lorsque le Seigneur (YHWH) l’avertit qu’il s’apprête à détruire les humains au moyen du Déluge parce qu’ils se sont tous pervertis sauf lui, le brave Noé il lui ordonne de construire l’Arche pour sauver sa famille et les espèces animales. Noé a l’idée de préserver aussi des végétaux divers, comme la vigne, dont il emporte quelques ceps. Après quarante jours de déluge, la pluie cesse, les eaux ont recouvert la terre et l’Arche de Noé dérive aux confins de la Turquie et de l’Arménie, précisément où l’on a trouvé les plus anciens témoignages de vinification et où la vigne continue de donner du vin soit sur le mont Ararat…

    Une légende similaire se retrouve dans l’Epopée du roi Gilgamesh, qui aurait lui aussi apporté le vin à l’Humanité. Selon un texte assyrien du viie siècle av. J.-C., le mythe babylonien d’Atrahasis évoque l’hypothèse mésopotamienne (Irak) de la « grande inondation », dans la onzième tablette de l’Epopée, pour être précis, laquelle s’inspire de l’épisode du Déluge dans la Bible : il suffit de changer Noé par Uta-Napishtim et le mont Ararat par le mont Nitsir pour savourer la même allégorie.

    Revenons à Noé : c’est à partir de ses trois fils : Sem, Cham et Japhet, que la terre fut peuplée. Cham, vit un jour son père Noé, nu et ivre du vin de sa vigne. « Noé le cultivateur commença à planter la vigne » (Genèse). Noé est ainsi à la fois le premier agriculteur et le premier vigneron, et il est aussi le premier à saisir, certes à son corps défendant, le pouvoir (à la fois grisant et dévastateur) du jus de raisin fermenté. La tradition yahviste fait ainsi de la vigne le fruit de la nouvelle alliance entre Dieu et les hommes, à l’instar de l’arc-en-ciel. La vigne et les effets (bénéfiques ou néfastes) qu’elle procure symbolisent l’ordre cosmique et la fécondité naturelle. 

    La mythologie perse nous propose une autre version de l’origine du sang de la vigne. Daté au alentour de –1 400, l’Avesta, texte sacré du zoroastrisme, fait mention de la découverte, fortuite, du vin par une femme. Au palais du légendaire shah Jamshid, une des épouses du harem, se sentant délaissée par le souverain, souhaitait en finir avec la vie. Aussi, choisit-elle de se noyer dans une jarre, où l’on conservait des raisins, remplie d’un liquide réputé toxique. Or, non seulement elle ne pérît pas, mais elle connaît l’ivresse et la gaîté que celle-ci procure. Ce qui lui permit de recouvrer les faveurs de Jamshid.

    Les textes sumériens anciens, au iie millénaire av J.-C., s’intéressent aussi au vin, à qui, les premiers, ils confèrent une dimension divine. L’Epopée de Gilgamesh,  précitée, fait le récit épique de la vie du roi de la cité d’Uruk (Mésopotamie). Celui-ci, désemparé par la mort de son compagnon d’armes s’en va consulter Uta-Napishtim, sauvé du Déluge par les dieux qui lui offrirent l’immortalité. Une version sumérienne - et antérieure - au Noé de la Bible. Mais à la différence du patriarche des Hébreux, l’ancien roi de Sumer ne fait pas de vin. Il se contente de boire celui tiré d’une vigne enchantée, qui donne la vie éternelle. Mais Gilgamesh ne pourra en profiter. Siduri, déesse babylonienne du vin lui rappelle que l’immortalité doit demeurer le privilège des dieux. Preuve que le vin est bien une boisson divine avant d'être celle des hommes.

    Plus près de nous, le Cantique des cantiques offre au vin une place de choix, qu’il partage avec l’amour et l’érotisme. « Vos mamelles sont meilleures que le vin…. », « Ce qui sort de votre gorge est comme un vin excellent, digne d’être bu par mon bien-aimé et longtemps goûté entre ses lèvres et ses dents… », peut-on lire dans ce livre de la Bible, il est vrai connu pour sa poésie et sa sensualité. Par extension, l’exégèse perçoit dans la vigne, à travers ce texte sacré, la Sagesse divine et même le Sang de l’Eucharistie. 

    C’est en effet par le miracle de Cana (Galilée) que Jésus choisit de révéler sa divinité. En changeant l’eau de six jarres de pierre contenant 100 litres chacune, en excellent vin – tant qu’à faire ! – car il n’y en avait plus aux noces auxquelles il était convié, il est porteur d’un message d’amour de Dieu le père envers les hommes. Ce miracle s’inscrit par ailleurs dans la perspective de la Rédemption et il montre un Jésus aimant partager le vin. Les Evangiles (Luc et Paul notamment) ne cessent cependant de mettre en garde contre les dangers de l’ivresse. 

    Reste bien sûr la portée incommensurable du sang du Christ comme métaphore du vin et le message subliminal qu’elle contient pour réaliser combien cela a contribué à l’essor de la viticulture dans le monde chrétien : « Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour. Car ma chair est vraiment une nourriture et mon sang une boisson. Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. » Depuis lors, tous les jours, à chaque office, les prêtres boivent une coupe de vin pour célébrer l’Eucharistie.

    Dans la tradition juive, le vin est également omniprésent et recouvre les mêmes vertus positives, comme négatives, que dans la tradition chrétienne. « Il est le plus fidèle compagnon du monothéisme juif », écrit Jean-Robert Pitte (1). Avant de s’établir au pays de Canaan, dans la vallée du Jourdain, les Juifs avaient découvert les vertus du vin en Syrie, en Egypte, à Ur, à Babylone... Il y a une forte valeur symbolique dans le vin du shabbat, dans le vin à Rosh Hashana, à Pessah, à Pourim, comme à chaque fête, mariage et circoncision notamment. 

    Le paradoxe est que la consommation de tout alcool soit interdite par l’islam et que le vin coule à flot dans Les Mille et une nuit, dans les Robayat d’Omar Khayyâm, en Inde, en Perse et en Mésopotamie. Le Moyen-Orient a enfanté à lui seul une magnifique poésie bachique aux premiers siècles de la religion du Prophète, à la fois érotique et mystique. Et si de nombreuses sourates du Coran interdisent la consommation de vin sur la terre, elles en promettent en abondance aux élus dans l’au-delà. D’aucuns, parmi les historiens de l’islam autorisés, comme Malek Chebel (2), s’accordent malgré tout à reconnaître que, si « le vin continue à subir aujourd’hui les avanies d’une morale collective organisée et conduite par les valeurs religieuses, l’interdit de consommation demeure aussi vivace que l’est la transgression. » En réalité, chacun s’arrange à sa façon avec le ciel, et ainsi les vignerons peuvent continuer de travailler…

    DIONYSOS ET BACCHUS

    En Grèce, c’est à Oreste, fils d’Agamemnon et de Clytemnestre, que l’on doit la plantation de la première vigne (Amphictyon), et c’est à Dionysos (fils de Zeus et de la mortelle Sémélé), que revient l’art d’enseigner la viticulture. Le dieu hellène du vin (et de tous les sucs vitaux : sève, sperme, lait, sang) incarne avant tout la vigne et ses excès, soit à la fois la force végétale, la vivacité, la croissance, l’exubérance, la convivialité et aussi la violence, voire la transe que l’ivresse provoque parfois. Dans les récits d’Homère, les héros et les démiurges boivent une boisson appelée kykeon, mélange de vin, d’orge et de miel. Le vin qu’Ulysse emporte avec lui est mis sur le même plan que les sept talents d’or et le cratère géant. Il est question de vin noir (pur) ou rouge (coupé d’eau) dans L’Iliade et L’Odyssée.

    Dionysos est un dieu errant, vagabond et déconcertant, qui surgit, comme Apollon, par épiphanies (apparitions soudaines et imprévisibles). Il symbolise la fermentation, le cycle végétal, la régénération et – ici aussi – l’immortalité que le vin peut aider à atteindre. Ses pouvoirs magiques sont séduisants, et chantés par les poètes comme Oppée (iie siècle de notre ère) : « D’une baguette de roseau qu’il coupait, il perçait les roches les plus dures, et de ces blessures le dieu faisait jaillir un vin délicieux. » Dans les récits mythologiques, Dionysos est accompagné de ses ménades, ces femmes qui célèbrent son culte en chantant et en dansant en état d’ivresse. Jean-Robert Pitte rapporte que, selon le poète Nonnos, « Ampélos, jeune satyre éclatant de beauté dont Dionysos est l’amant », trouve la mort, chargé par un taureau envoyé par Até, déesse de la mort. Dionysos lui dresse une sépulture et verse de l’ambroisie (boisson exclusive des dieux, à l’exception de Dionysos, qui n’en boit pas), sur les plaies du défunt. Zeus accorde alors une seconde vie à Ampélos en le changeant en vigne. « Dionysos la vendange et tire de ses fruits, qui ont le parfum de l’ambroisie, le premier vin dans lequel il s’abîme dans le souvenir d’Ampélos et qui sublime sa douleur en joie profonde. Il se confond alors avec le breuvage divin. » Ampélos a donné ampélographie, l’étude des cépages.

    Dans la mythologie romaine, Bacchus est le pendant exact de Dionysos. Les ménades de l’un deviennent les Bacchantes de l’autre. Priape est l’ami de Bacchus, dieu de l’ivresse, du vin, des excès en tout genres, notamment sexuels et ses fêtes sont les fameuses bacchanales. Les femmes n’ont pourtant pas le droit de boire du vin, à Rome à l’époque de la République, car « il (leur) ferme le cœur à toutes ses vertus et l'ouvre à tous les vices », commente la lex romana.

    Avec la christianisation de la Gaule, le culte de Dionysos-Bacchus va brusquement chuter. Ce culte avait été bien accueilli dans la culture gallo-romaine, au point que certains princes celtes se faisaient ensevelir avec force amphores pleines de vins, comme les pharaons, afin de faciliter leur passage dans l’au-delà. L’usage des amphores en guise d’urnes funéraires n’est pas rare non plus, qui signifie clairement la croyance dans le vin comme gage d’immortalité. Mais cet accueil païen, du dieu de l’ivresse et de la transgression fut inégal. Franchement accueilli en Italie et en Afrique du Nord, il le fut plus timidement et plus tardivement dans la Gaule romaine, où seul le dieu de la vigne et des vendanges fut hardiment célébré, comme le souligne Gilbert Carrier (3). « Puisque le vin est le sang du Christ et la matière première de la transsubstantiation, selon les paroles fondatrices de la Cène, sa consommation rituelle ouvre la voie de la vie éternelle. (…) Le vin est à la vigne ce que le sang est au corps et la cuve-sarcophage symbolise l’acte de séparation et de passage, en assurant au défunt un bain d’immortalité », écrit l’historien. Mais très vite, un peu comme la sévère République romaine à l’égard des cultes dionysiaques importés en Italie, au iie siècle avant notre ère, l’Eglise chrétienne constituée s’efforce d’éliminer les éléments païens qu’elle avait dû intégrer à l’origine. » Les évêques durcissent alors le ton à l’égard de l’ivrognerie, symbole de décadence, de dégradation et vouent aux gémonies tous ceux qui s’y adonnent. C’en est terminé de l’ivresse et des fêtes païennes. Bacchus a du plomb dans l’aile. L’esprit des lois, comme celle de M. Evin, pointe déjà son nez. L.M.

    -----

    QUAND LA CHINE VINIFIERA… 

    Des sources écrites datant de la dynastie chinoise Han, vers 126 av. J.-C., démontrent que Vitis vinifera était cultivée en grandes quantités le long de la Route de la soie, du côté de Samarkand et de Tachkent, en Ouzbékistan, et jusqu’aux confins de la Chine, dès le ive siècle avant notre ère. Cependant, la viticulture de l’Extrême-Orient en général, et chinoise en particulier, aurait été importée du Proche-Orient un peu avant notre ère, et pas dans l’Antiquité. C’est en tout cas la prudence à laquelle nous invite Jean-Robert Pitte (1). D’autres chercheurs, comme Patrick E. McGovern, sont en revanche persuadés qu’il existait une viticulture chinoise 7 000 ans av. J.-C., vers Jiahu, dans la province du Henan. Les Chinois buvaient alors un vin néolithique… mâtiné de bière et d’hydromel. C’est à la faveur de croyances conjuguées mêlant alimentation, médecine et religion, que le vin revêt, dès son apparition dans l’Empire Céleste, des vertus médicinales qui contribuent à son timide succès. Pitte oppose d’ailleurs une autre raison religieuse au faible et tardif développement de la viticulture chinoise : la plante alimentaire sacrée est le riz et la boisson fermentée qu’on en tire est le chemin du divin. Dès le départ, il n’y aurait donc pas eu de place pour le jus de raisin fermenté. Ce n’est que beaucoup plus tard, vers 600, au temps des empereurs Tang, que la viticulture devient une activité sérieuse, même si la consommation de vin, appelé « putaojiu », demeure encore confidentielle. La viticulture chinoise s’est depuis lors bien réveillée : elle s’est hissée au 6è rang de la production mondiale, et l’Empire du Milieu produit aujourd’hui 15 million d’hectolitres de vin. L.M.

    -----

    EGYPTE

    Les Egyptiens cultivaient la vigne en pergolas, dans de grands jardins et souvent en complantation avec des figuiers. Le vin, « jrp », était blanc, rosé ou rouge. Le « paour » était sec, acide, amer même. 

     

    Toutankhamon, le fils du soleil, cultivait la vigne, les « vergers à vin » dans le Fayoum et dans le delta du Nil, au xive siècle av. J.-C. Réservé au souverain et à sa cour, le vin était consommé à leur table et servait également au culte des divinités. Ce sont des blancs doux, pour la plupart, comme le « shedeh » ou le « taniotique », à l’instar de ceux qui se trouvaient dans des amphores, dans le tombeau du fils du soleil et sur lesquelles on a pu lire la provenance exacte des nectars destinés à étancher la soif pharaonique dans l’au-delà, y compris leur âge : de 4 à 9 ans. Les autres vins produits en Egypte se nomment le « ndm », doux et recherché, le « nefer », très concentré. L.M.

    (1) Le Désir du vin à la conquête du monde (Fayard).

    (2) Anthologie du vin et de l’ivresse dans l’Islam (Seuil).

    (3) Histoire sociale et culturelle du vin (Larousse).

     

     

  • L’honneur des femmes en 1914

    mook GG.jpgPapiers parus dans le mook (le gros hors-série de L'EXPRESS consacré à la GRANDE GUERRE (actuellement en kiosque) :

    L'HONNEUR DES FEMMES

    « Si les femmes qui travaillent dans les usines de guerre s’arrêtaient  quinze minutes, la France perdrait la guerre ». Venant de Joffre –encore que l’authenticité des termes de cette phrase tonitruante et galvanisante ne soit pas totalement avérée, une telle déclaration souligne le dévouement, sous-payé, harassant, voire dangereux des « munitionnettes », ces 400 000 femmes venues en renfort des vieux, des éclopés, des réformés et autres trop jeunes ouvriers, qui voient d’ailleurs d’un mauvais œil ces femmes qui s’émancipent, coupent leurs cheveux –la coupe à la garçonne fait son apparition-, portent salopette ou pantalon (ce qui est pourtant interdit par la loi), se retroussent les manches… Mais menacent de faire aligner leurs bas salaires de « bonnes femmes » sur les leurs (une ouvrière perçoit en moyenne 0,15 F de l’heure, soit la moitié du salaire minimal). Broutilles, en regard de l’effort de guerre auquel les femmes contribueront de façon considérable : elles fabriqueront quelques 300 millions d’obus et 6 milliards de cartouches. 

    Aux champs et à l’usine

    Et elles ne travaillent pas que dans l’industrie : les hommes sont au front et, dès l'été 14, il faut bien moissonner. Les bœufs, les chevaux ont été réquisitionnés pour nourrir et transporter l'infanterie. Les femmes moissonnent seules et vont par la suite labourer en remplaçant les bêtes de somme et de trait avec leurs petits bras. Les métiers traditionnellement masculins se féminisent nécessairement : ainsi apparaissent des femmes garde-champêtre, des femmes cochers, des institutrices  dans les classes de garçons, des femmes postières –et dieu sait si l’acheminement de milliards de lettres durant toute la durée de la guerre est une activité capitale, car elle symbolise le cordon ombilical qui relie le front avant et le front arrière. On voit aussi des femmes entrer dans les écoles de commerce, des femmes maréchal-ferrant ou encore conductrices de trains et de tramways. 

    À la faveur de la guerre, la femme française s’émancipe donc, et elle assure. De toute façon, elle n’a pas le choix : elle doit être à la fois à la maison, à élever les enfants, et au travail, aux champs ou à l’usine d’armement. Elles sont plus de trois millions à être femmes d’agriculteurs, souvent seules adultes valides sur l’exploitation familiale. Et puis la femme écrit, car elle attend et espère. Les nouvelles du front disent au moins que l’homme est vivant, mais parfois c’est un télégramme qui annonce sèchement le décès du fiancé, du mari ou celui du fils. Les lettres d’amour sont légion, mais les divorces le seront aussi après le conflit (30 000 en 1920 lorsqu’ils étaient de quelques milliers avant la guerre), car la femme a conquis une certaine forme de liberté individuelle, une fierté certaine, une autonomie réelle. « J’ai quitté un agneau et j’ai retrouvé une lionne », écrit un Poilu de retour du front. La femme de 14-18, c’est aussi l’absence de femme pour le soldat –et l’absence d’homme pour la femme ! L’adultère sur le front arrière est sévèrement puni, car démoraliser le soldat de la sorte est un acte peu citoyen. Cependant, la plupart des femmes vivent douloureusement leur esseulement et sont davantage Pénélopes que volages.

    Une émancipation qui tourne court

    La femme de la Grande Guerre, c’est encore l’infirmière, la « dame blanche ». Qu’elles appartiennent à l’Union des femmes de France, à l’Association des dames françaises, à la Croix-Rouge ou encore à la Société de secours aux blessés militaires, elles sont plus de 71 000 infirmières françaises à soigner, panser, voire amputer d’innombrables blessés. Plusieurs centaines périssent sous les obus ou à cause de maladies contagieuses. Près de 400 seront néanmoins décorées de la Légion d’honneur. 

    Les femmes de l’arrière, ce sont bien sûr les nombreuses péripatéticiennes  qui, comme dans tout conflit, servent dans les bordels improvisés à proximité du front, et où des milliers de Poilus défilent. Une flambée de maladies vénériennes (250 000 soldats atteints dès 1916), inquiéta fort le haut commandement militaire, le GQG (Grand quartier général, dirigé successivement par Joffre d’août 14 à décembre 16, par Nivelle de décembre 16 à mai 17 et par Pétain de mai 17 jusqu’à l’armistice).

    La France ne sera cependant pas charitable avec cette femme guerrière sur le front arrière protéiforme où elle aura donné sans compter ; loin s’en faut. Tandis que l’Anglaise obtiendra le droit de vote, le Sénat la lui refusera en 1922 et alors que la jurisprudence sur l’avortement  s’était assouplie, voilà que la doctrine juridique en durcit la répression par une loi de 1922. (Une autre loi de 1920 interdit, dans un pays exsangue,  toute propagande en faveur de la contraception).  Parmi toutes ces femmes, on dénombre enfin 636 000 sont veuves à la fin du conflit (et 700 000 enfants sont orphelins de père). Pour 1,4 million de « tués à l’ennemi ».  

    Léon Mazzella

    ---

    Lire : "Les poilus", par Jean-Pierre Guéno (les arènes, 2013).

    "La Grande Guerre à travers le carte postale ancienne", par Jen-Yves Le Naour (HC éd., 2013).

    -------------------------------------

    L'INFANTICIDE DEVIENT UN ACTE DE GUERRE

    Le procès fit grand bruit, que l'on appela celui de l'enfant du viol boche.

    -----

    Il s’agit d’un fait divers, relaté et analysé par l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau, et qui sert de point de départ à son livre L'enfant de l'ennemi. Viol, avortement, infanticide pendant la Grande Guerre (1),  lequel réfléchit à l’image du corps du soldat -dans tous ses états-, mais aussi à celui de la femme en temps de guerre. En août 1916, un jeune domestique de vingt ans, réfugiée en Meurthe-et-Moselle, Joséphine Barthélémy, tue l’enfant qu’elle vient de mettre au monde. « Debout sur mon seau de toilette, dans lequel l’enfant est tombé, j’affirme qu'il n’a pas crié », déclarera-t-elle. Elle est jugée en cour d’assises pour infanticide, et même si l’avortement et l’infanticide bénéficient d’une indulgence considérable depuis le début du xixe siècle, elle risque d’écoper a minima de cinq années de prison. Avec un aplomb et une assurance confondants, Joséphine assume avoir prémédité son acte et avoir agi de façon délibérée, parce qu’elle ne voulait pas d’un « enfant de père boche ». « La femme victime d’un viol en temps de guerre, » souligne la journaliste américaine Susan Brownmiller, « est choisie non parce qu’elle est un représentant de l’ennemi, mais parce qu’elle est femme, et donc un ennemi » (2). 

    Une Jeanne d'Arc violée

    La presse parisienne s'empare de l’affaire avec délectation. "L'Excelsior" évoque « la petite servante lorraine » en en faisant une sorte de Jeanne d’Arc violée. "Le Temps" titre « L’enfant du Boche » en pages intérieures et "Le Matin"  (tirage : 1 million d’exemplaires en 1917) reprend ce même titre en Une. « Du jour où je m’aperçus que j’étais enceinte, ma résolution fut prise de supprimer l’enfant de mes bourreaux », déclare-t-elle au Petit Parisien (tirage : 1,7 million d’exemplaires en 1917). L'écho est immense. Dans sa plaidoirie, qui sera reproduite intégralement dans la "Revue des grands procès contemporains" (un honneur rare pour un juriste de 27 ans), Maître Loewel ne va pas de main morte. Il évoque, crescendo, « une maternité imposée par l’ennemi »… « Un instinct maternel qui n’a pas parlé. Un seul instinct la dirigeait : celui de la haine. »  Stéphane Audoin-Rouzeau souligne : « Combattants français, femmes violées : l’avocat établit implicitement l’identité entre les deux formes de martyre et de sacrifice. Les termes sont révélateurs : les soldats aussi souffrent, pleurent, sont frappés dans leur chair, et, en esclaves du corps et de l'esprit, incarnent la France martyrisée. Cette comparaison entre la souffrance des femmes du fait du viol allemand et celle des soldats du fait de la guerre contre ces mêmes Allemands est mise en exergue… » L’infanticide commis par Joséphine Barthélémy devient alors un véritable acte de guerre, « un acte de soldat », dira son avocat, voire un acte de représailles. L’héroïne, qui n’est par conséquent pas davantage coupable d’avoir tué son enfant qu’un soldat d’avoir tué un ennemi sur le front, sera acquittée le 23 janvier 1917 et applaudie sur son passage. 

    L.M.

    ----

    (1) Flammarion/Champs, rééd.2013.

    (2) in Le Viol, Stock, 1976.

     

  • 661 / 13 524

    téléchargement.jpegDans la seule journée d'avant-hier, 28 novembre, 661 visiteurs uniques ont vu/lu 13 524 pages de ce blog : c'est pas mal, et c'est je pense un record depuis que j'ai ouvert KallyVasco il y a bientôt huit ans. Merci, chers visiteurs, de votre curiosité, de votre passage, et bienvenue à la case commentaires. Ce blog repose sur le principe de partage, car je n'aime rien comme faire passer lorsque quelque chose me touche, et c'est pourquoi (principalement) j'écris, ici et ailleurs. Chacun est donc invité à s'exprimer sur KallyVasco. Ainsi que sur la page facebook et sur le compte twitter éponymes. 

  • Johnny got is gun

    mook GG.jpgPapier paru dans le "mook" (gros hors-série) de L'EXPRESS sur la Grande Guerre (en kiosque depuis le 21 novembre) :

    UN PAMPHLET PACIFISTE

    Un jeune soldat américain, engagé volontaire, est atrocement mutilé par un obus aux derniers jours du conflit. Amputé des quatre membres, ayant perdu la parole, la vue, l’ouïe et l’odorat, c’est en apparence un légume de viande au visage défiguré. Mais il a gardé toute sa tête, et souffre d’entendre le monde sans le voir ni pouvoir communiquer avec lui. La médecine, qui le croit inconscient, s’acharne de surcroît ; à titre expérimental. « Je ne suis plus qu’un tas de chair qu’on maintient en vie », murmure le soldat Jo Bonham (Timothy Bottoms), à Jésus (Donald Sutherland), dans une scène onirique aussi émouvante que surréaliste (Luis Buñuel participa au scénario). Dalton Trumbo (1905-1976) réalisa lui-même « Johnny got is gun » (Prix spécial du jury à Cannes à sa sortie en 1971), son seul film, d’après son propre roman images.jpegéponyme paru en 1939. 

    Voix off

    Une relation se noue avec une infirmière bienveillante, tandis que Jo repasse le film de sa vie. Tout repose sur la voix intérieure du blessé, entre douceur et violence. Elle dit la sensibilité d’un  jeune soldat détruit, et son impuissance à hurler sa souffrance. Le procédé (repris par Julian Schnabel avec « Le scaphandre et le papillon »), rend insoutenable un film culte, qui fut aussitôt désigné comme un grand pamphlet pacifiste. De même, l’alternance entre les scènes du réel : l’hôpital, le front, filmées en noir et blanc, et les scènes évoquant les rêves et les souvenirs de Jo, tournées en couleur, augmentent radicalement la force de la cassure. « Johnny » déploie sa dimension émotionnelle lorsque l’infirmière (superbe Diane Varsi) s’aperçoit, un soir de Noël, que l’être dont elle s’occupe chaque jour avec une étrange tendresse, a un cerveau et une peau, sur laquelle elle trace d’un doigt les lettres de Merry Christmas. Mais la morale de l’époque ne flirte pas avec l’euthanasie. De bouleversant, le film  devient aussi poignant que révoltant. L.M.

    En Français : Johnny s'en va-t-en guerre.

  • Ecrire la Grande Guerre aujourd'hui

    mook GG.jpgPapier paru dans L'Express / La Grande Guerre, un mook : (gros) hors-série, en kiosque depuis le 21.

    Jean Echenoz, Jérôme Garcin, Pierre Lemaitre : trois talents distincts pour la dire autrement.

    ---

    images.jpeg« 14 » est le roman le plus dense et le plus fulgurant sur la Grande Guerre, paru ces dernières années. Jean Echenoz, dont la concision et la maîtrise atteignent ici leur paroxysme, circonscrit  14-18 en124 pages tendues, sobres, et d’une justesse pénétrante. L’histoire ? Cinq hommes simples se retrouvent au front, une femme, Blanche, attend leur retour : Echenoz écrit à hauteur d’homme, avec une acuité redoutable, sans emphase ni pathos, le quotidien d’une guerre avec sa boue, ses rats, ses horreurs. Anthime, Padioleau, Bossis, Charles, Arcenel, plongés à leur corps défendant dans les « boyaux » des tranchées, survivent à l’absurde comme ils peuvent. Deux épisodes possèdent la perfection de l’œuf : l’économie de mots pour décrire un éclat d’obus qui arrache un bras à Anthime, et le récit millimétré d’un combat aérien sont des bijoux d’anthologie. 

    Jérôme Garcin signe un roman historique en prenant pour sujet images (1).jpegl’écrivain Bordelais Jean de La Ville de Mirmont, tombé au Chemin des Dames, « sous un ciel sans dieu », le 28 novembre 1914 à l’âge de 28 ans. À travers le prisme romanesque de Garcin, Jean de La Ville, dont l’œuvre est aussi mince que capitale, devient un personnage incandescent et tendre, à la fois avide d’en découdre et pourvu d’une sensibilité d’enfant perdu. « Bleus horizons », à l’écriture impeccable, est le roman le plus touchant sur le sujet. On n’oublie pas Louis Gémon, le narrateur. Survivant à Jean, son ami « jumeau » disparu avec « de grands départs inassouvis » en lui, il connaîtra une inconsolable mélancolie plus douloureuse qu’une amputation  – un thème cher à l’auteur d’« Olivier ». 

    images (2).jpegLe plus poignant et le plus puissant des romans les plus récents sur la Grande Guerre est sans conteste l’ample et somptueux « Au revoir là-haut », de Pierre Lemaitre –Prix Goncourt 2013. Ce roman de la colère s’ouvre sur un épisode grave qui montre les amis Edouard et Albert, deux soldats envoyés au feu par l’inhumain lieutenant Pradelle : ces 60 pages ciselées comme une nouvelle, disent à elles seules la guerre sous un aspect tranchant. Lemaître, qui possède le talent de happer son lecteur, plante aussitôt les deux rescapés dans une France d’après guerre méconnue : celle qui n’eut d’égards que pour ses glorieux morts, et qui traita ses fantomatiques survivants comme des parias. L.M.

    ---

    « 14 », par Jean Echenoz (Minuit, 2012).

    « Bleus horizons », par Jérôme Garcin (Gallimard,  2013).

    « Au revoir là-haut », par Pierre Lemaître (Albin Michel, 2013).

     

     ----------

     

    Les poilus lisaient beaucoup

    Pour tromper l’ennui, les poilus lisent de nombreux journaux et livres : « La Vie parisienne », « Le images (3).jpegMatin », leurs propres journaux des tranchées, mais aussi Zola, Kipling, Loti, Laclos, Jammes, Tolstoï, Féval, Verne –et bien sûr « Le Feu » de Barbusse ! Ils lisent des romans afin de moins penser à l’horreur, et la presse afin de ne pas être coupé de l’arrière. C’est ce que traduit une étude historique passionnante, signée Benjamin Gilles : « Lectures de poilus » (Autrement, 2013). L.M.

  • Genevoix / Jünger dans les tranchées

    images.jpegPapier paru dans le "mook" consacré à la Grande Guerre, de L'Express 

    Deux visions de l'horreur

    Gendre de Maurice Genevoix, veuf de Sylvie, le livre poignant de Bernard Maris est une ode, un hommage à deux écrivains majeurs de la Grande Guerre Genevoix et Jünger. 

    ---

    C’est un livre rédigé, de surcroît, à la table de Genevoix, au premier étage de la maison des Vernelles, en bords de cette Loire que l’auteur de « Raboliot » a tant aimée, tant évoquée dans ces inoubliables romans sauvages comme « La forêt perdue » et « La dernière harde ». Néanmoins, l’empathie de l’auteur lui fait naturellement prendre parti. Certes, il lit et continue de lire Jünger avec une ferveur égale depuis l’adolescence, mais il compare souvent et oppose parfois deux visions de la guerre : celle de Maurice Genevoix, l’auteur de l’immense « Ceux de 14 » (Albin Michel et Points/Roman), le classique du genre, et celle d’Ernst Jünger, l’auteur d’ « Orages d’acier » (Le livre de poche). Deux grands écrivains du XXè siècle. Deux livres essentiels sur la Grande Guerre. Le destin est parfois étrange, car les deux jeunes soldats se trouvaient  l’un conte l’autre à la tranchée de Calonne, aux Eparges et ils y furent blessés le même jour ; le 25 avril 1915. Ce sont deux visions de l’horreur que Bernard Maris décrit. L’une, humaniste, tendre, observe les regards des poilus ses compagnons d’infortune, pleure leur mort brutale, décrit au plus près du réel une vie inhumaine dans les tranchées : c’est celle de Genevoix. L’autre vante les vertus guerrières et viriles  et manque parfois d’empathie pour les blessés comme d’affect pour la mort des soldats amis ou ennemis. C’est celle de Jünger. Survivants de la grande boucherie, les deux écrivains ne se rencontreront jamais, car Genevoix ne le souhaitera pas. Il ne lira guère Jünger non plus. « Il y avait quelque chose d’inconciliable entre eux, et peut-être d’irréconciliable », écrit  Maris. Genevoix est un naturaliste, pas un penseur. Jünger est davantage métaphysicien. La compassion lui est étrangère. Jünger est un écrivain-né et le choc de la Grande Guerre fera de Genevoix un écrivain de la nature, mais le gibier que l’on chasse et les arbres qu’on abat dans ses romans sont des soldats par métaphore. Dans les textes de Jünger, Maris souligne que « la race n’est pas loin et que l’auteur a déjà lu Nietzsche ». Et aussi que le sel de « Ceux de 14 » est dans l’attention  infinie, d’entomologiste, clinique et passionnée, qu’il prête à ses hommes. Loin d’être manichéen, l’hommage appuyé à Genevoixmook GG.jpg n’exclut cependant jamais l’admiration pour le Jünger écrivain. Tous deux décrivent admirablement la mort de près, la peur de la peur –celle qui coupe les jambes, les silences, l’angoisse, et les beautés apaisantes de la nature qui chante tout autour de l’enfer. Tous deux se rejoignent autour de cette phrase du premier, aujourd’hui gravée sur le monument aux morts des Eparges : « Ce que nous avons fait c’était plus que ce que l’on pouvait demander à des hommes, et nous l’avons fait ». Sauf qu’il ne s’agit pas, en l’occurrence, de surhumanité, mais de grandeur. L.M.

    « L’homme dans la guerre. Maurice Genevoix face à Ernst Jünger », par Bernard Maris (Grasset, 2013).



     

     


     

     

     

  • La Grande Guerre, le mook

    Alviset.jpeg


















    Il paraît demain. J'ai éprouvé un immense plaisir à copiloter ce "mook" (magazine/book), avec Philippe Bidalon (nous en sommes les rédacteurs en chef), et avec une précieuse équipe de réalisation : Letizia Dannery (secrétariat de rédaction), Isabelle Bidaut (maquette et conception graphique), Stéphanie Capitolin-Deleau (maquette), Michèle Benaïm (secrétariat de rédaction), Laure Vigouroux (secrétariat de rédaction), Nicole Nogrette (iconographie), sans oublier Clotilde Baste, stagiaire de grand r/secours - qui fut mon élève à l'Institut Européen de Journalisme (promotion 2011) et qui signe ici ses premiers papiers... Davantage qu'une expérience éditoriale intense, ce fut une aventure humaine profondément amicale. Nous aurons schtroumpffé notre quotidien -près de deux mois durant - à la sauce poilu. Cela s'appelle l'immersion, dans le jargon. Peu de terrain, certes (et pour cause), beaucoup de tranchées en pensée, en rêve aussi, mais pas mal de rencontres (donc d'entretiens), énormément de lectures, des milliers de photos de "L'Illustration" examinées, et beaucoup de textes écrits bien sûr, chacun avec un immense plaisir. Le résultat : un mook de 212 pages dont nous sommes fiers. J'espère que vous aurez à coeur de le lire, car il est vraiment beau, cet exceptionnel hors-série de L'Express.

  • MATTHIEU LE TESSIER

    Papier paru dans l'urban mag Paris by Crozes-Hermitage :

    CONFONDANTES ANALOGIES

    Ils ne sont que trois à Paris à exercer le métier de maître coloriste. Amateur de vins, Matthieu Le Tessier a l’impression de flirter avec le métier de vigneron, en assemblant ses pigments et en cherchant le colori parfait. Rencontre.

    ---

    téléchargement.jpegIl joue avec les textures, avec les matières, les contrastes, il choisit les teintes, il assemble, il connaît au quotidien le plaisir du toucher du chanvre, du coton ou de la plume. Matthieu Le Tessier (photo ci-contre), 37 ans, originaire de Paimpol, a eu la révélation sur un golf de Saint-Brieuc, en faisant une rencontre décisive avec Daniel Duminy, décédé en août dernier, qui était l’un des premiers teinturiers coloristes à l’échantillon établi à Paris. Un maître coloriste. Quelqu’un qui travaille la colorimétrie, qui mélange donc les coloris, tandis que, jusque dans les années 70, les teinturiers étaient individuellement spécialistes d’une seule couleur. « Il existe plus de 6 millions  de coloris et j’arrive à en voir 1,6 million environ, afin de pouvoir les distinguer sur un dégradé. Cette quantité est la partie du spectre des longueurs d’ondes que nous sommes capables de voir avec l’œil humain, de l’infrarouge à l’ultraviolet, en somme ». La passion, le destin de Matthieu ont donc été scellés sur un green. Aujourd’hui, dans son atelier de Belleville, il travaille, secondé par Irudayathan Luther, pour des clients allant de la haute couture (Lacroix, Dior), à Reporters sans frontières (pour teinter un gilet pare-balle du noir au vert), en passant par Cuisine TV (pour étalonner des vêtements de cuisiniers). « Il m’est arrivé de teinter un jean de Lenny Kravitz à peau de poisson (mulet) via John Galiano et je bosse pour les Folies Bergère en teignant des plumes. Lorsque je reçois un tissu, la première chose que je fais est de le toucher, puis j’examine sa blancheur ». Il se crée une relation sensuelle avec la matière. Je fais constamment la cuisine avec mes colorants. C’est comme si j’évaluais la vigne, sa maturation. J’avance en équilibrant, au milligramme près, comme on goûte à la cuve ; plus tard ». D’ailleurs, il arrive à Matthieu Le Tessier de tremper un doigt dans un bain acide ou bien alcalin afin de vérifier son bon PH (potentiel hydrogène). Il y a deux sortes de bains, en effet, et l’on retrouve encore une analogie avec l’univers de la dégustation : le bain en milieu acide est réservé aux matières animales (soie, laine, plume), tandis que le bain en milieu alcalin est réservé aux matières végétales (paille, coton, lin).

    Cet amateur de vins qui possède une cave depuis longtemps, parce que son père l’initia tôt, n’aime rien comme visiter des vignobles et écouter des vignerons. « Il y a de troublantes similitudes avec mon travail : l’association des cépages c’est mon association de colorants. Je décide, moi aussi, à un moment donné, d’arrêter le mélange des pigments lorsque j’atteins un but, une formule fixée au préalable –comme on veut faire un vin comme ci ou comme ça ». Matthieu aime la difficulté et préfère chercher tel orange à partir de jaunes et de rouges plutôt qu’à partir d’une gamme d’orangés, « c’est plus ludique, comme de tâtonner lorsqu’on vinifie ». Ses cuves de travail sont vivantes, comme le vin. L’instabilité les apparente à un être en mouvement. Reproduire un colori est chaque fois un recommencement, car cela ne dépend pas ici de la météo, mais de la « dureté » de l’eau (plus ou moins savonneuse) et des températures. Une idée surgit dans notre conversation, qui serait de reproduire l’exacte couleur des vins de chaque grande région viticole, avec les variétés spécifique de blancs et de rouges… À creuser. Reste l’étape fondamentale de la dégustation –celle du nez- qui échappe au travail de Matthieu Le Tessier, encore que les parfums des matières brutes existent bien, mais il convient de les neutraliser en les teintant. « Le toucher comme la vue (l’œil) sont ô combien servis. La bouche, vous avez vu qu’il m’arrivait de mettre un doigt dans le  bain !.. Mais l’ouïe n’est pas en reste : le craquement de la soie me touche particulièrement ». Ne parle-t-on d’ailleurs pas de certains contrastes, en matière de dégustation : doux et rugueux, fondant et croquant, solide ou gazeux ?.. L.M.

    Le Colorium, Paris 20.

     

     

  • Jambons du Pays basque


    1472095_450846168354417_1347507340_n.jpgC'est un petit livre de 64 pages (le chiffre idoine) plein de recettes et de photos (de Patrick Ballaré), et dont j'ai écrit les textes introductifs sur l'histoire des jambons du Pays basque, à commencer par celui de Bayonne.


    J'évoque par conséquent copieusement l'IGP Jambon de Bayonne (le consortium), ainsi que Pierre Oteiza, Les Aldudes et son Kintoa, Ibaïona et le trio Ospital-Montauzer-Mayté, et enfin quelques francs-tireurs de talent comme Aguerre à Itxassou ou Errecart (déjà célèbre pour son Irouléguy), à Ispoure.

    Ce petit bouquin paraît aux éditions Artza, à St-Pée-sur-Nivelle : 

    http://www.artza-editions.com 

    et il vaut à peine 12€. Vous savez donc ce qu'il vous reste à faire.

  • Télé 7 lire

    images.jpegDeux de mes dernières notes de lecture parues dans Télé 7 jours :


    New York sous l’occupation, par Jean Le Gall

    Ils ont la trentaine, ils sont riches, s’ennuient à Paris et partent à la conquête de New York en 2007. Sacha, dandy séducteur, célibataire cohérent, Frédérick son ami mou et Zelda l’amante farfelue, composent une sorte de « Jules & Jim » des années de crise. Avocats d’affaires, les deux amis trouvent vite les limites d’un monde arriviste. Sacha décidera même de lever une armée de clochards qui fondra sur la cité pour tenter d’en finir avec la morgue de la finance. Ecrit dans une langue claquante, hussarde, ce roman d’une grande teneur littéraire aux accents à la Paul Morand, porte un regard suraigu et désabusé sur une époque de faux-semblants. Brillant.

    Roman, éd. Daphnis & Chloé, 220 pages, 17 €

     


    images (1).jpegJe suis né huit fois,
    par Saber Mansouri

    Massyre naît et grandit au Nord-Ouest de la Tunisie, à La Montagne
    Blanche, un lieu unique comme Massyre est multiple. Il a sept sœurs et il effectuera huit métiers, dont celui, capital, de gardien de chèvres. Doué à l’école, il deviendra professeur d’histoire dans sa région. Nous le suivons jusqu’à son départ pour Bagdad à la recherche d’un manuscrit d’Aristote et lorsqu’il perd au tirage au sort la belle Sawdette, l’auteur offre 70 belles pages à dimension ethnographique sur une noce dans le bled. Ce premier roman chargé d’idées, notamment sur la démocratie impossible en Tunisie, possède le charme envoûtant des contes orientaux.

     

    Roman, 330 pages, 20€, éditions du Seuil.

  • Barjot de vins

    Alviset.jpegIl est paru et nous avons fêté sa sortie avec les vignerons de l'appellation, au restaurant Beaucoup (rue Froissart, Paris 3), le 4 novembre dernier : l'urban mag Paris by Crozes-Hermitage, n°1, réalisé par l'agence Clair de Lune à Lyon, et auquel j'ai beaucoup participé, est un superbe magazine (gratuit), qui ouvre avec un petit papier sur un homme formidable : François-Xavier Demaison. Une vraie rencontre.

    téléchargement.jpeg

    « JE SUIS UN BARJOT DE VINS ! »

    L’humoriste possède une solide connaissance des vins de la Vallée du Rhône, où il se rend souvent pour « chiner ». Son sketch « Le sommelier » résume sa philosophie des vignerons de vérité.

                                                                                   ------

    Sa bonhommie est une aura qui agit comme la trace d’un parfum. Même dans les salons de l’hôtel Lutetia, à Paris, où François-Xavier Demaison semble manquer d’air, de cette atmosphère propre aux vrais bons vieux bistrots parisiens patinés et chargés d’histoire qu’il adore, il diffuse sa joie de vivre. L’humoriste qui fit une entrée fracassante dans le cinéma en se mettant dans la peau de Coluche, a fait ses classes à la fois à Sciences-Po et au Cours Florent (c’est déjà plus « raccord »), avant de se lancer sur scène avec le talent que l’on sait. Mais sans jamais oublier d’entretenir comme il se boit sa passion pour les vins d’homme. « Je suis un barjot de vins depuis l’âge de 17 ans ! A 23 ans j’ai commencé à m’y intéresser sérieusement et depuis, la curiosité de mon palais augmente sans cesse. Je remonte lentement le terrain, de la Corse du Sud jusqu’au Ventoux, actuellement ». Comme d’autres chinent des meubles, François-Xavier Demaison chine chez les vignerons, discute, déguste avec eux, découvre, déniche et rapporte à Paris des trésors à partager entre potes. « Faire découvrir un vin à quelqu’un, c’est lui dire je t’aime ! », s’exclame-t-il.  « J’ai un rituel quotidien : A 19h, lorsque sonne le glas de l’apéro, un blanc sec s’impose entre amis ». S’il le peut, il se tourne alors vers Vertige, Condrieu de Cuilleron, Simone (Palette), ou un Hermitage de Jean-Louis Chave. Verre en main et verve aux lèvres, Demaison sait de quoi il parle. Sa connaissance des vins n’est pas technique mais sensible et profonde. Il évoque avec émotion des rencontres in situ avec les Faugères de Léon Barral, les Cornas de Jean-Luc Colombo, les Patrimonio d’Antoine Arena, les Cairanne des Delubac, regrette les Dagueneau, Lapierre et autres magiciens. Il aime surtout les vins puissants de la Vallée du Rhône : Gigondas, Rasteau, Vacqueyras et donc Crozes-Hermitage : « Je bois du Combier, du Chapoutier, du Alain Graillot et du Jeanne Gaillard chaque fois que je peux », lance-t-il l’œil ravivé. « Rien de tel, pour entrer en contact, qu’un vin dont le capital confiance nous plonge dans le cercle vertueux de la vie. Le but étant de ne pas décevoir, mieux vaut taper juste, dans ses choix ! » La générosité et la simplicité sérieuse des Crozes aide en cela. François-Xavier compte des complices ès vins, comme un facteur de Montreuil avec lequel il échange des textos sur leurs découvertes respectives. Ou Serge Ghoukassian, célèbre sommelier à Carpentras. Le sketche intitulé « Le sommelier » est d’ailleurs un résumé de la passion de Demaison : il s’agit d’une déclaration d’amour aux vins vrais de vignerons pétris d'amour pour le vin, doublé d’une douce déclaration de guerre aux buveurs d’étiquettes. Enfin, un homme qui sait ce que partager veut dire et qui dégaine son smartphone pour vous montrer les photos des quilles bues ces derniers jours comme on montre les gamins à la plage, est vraiment digne de confiance. L.M.

    images.jpegSes adresses Crozes-Hermitage à Paris :

    Chez Vivant Table, 43, rue des Petites Ecuries, 75010. 0142464355, « Pour la personnalité de Pierre Jancou. Je sais y aller, mais j’ai du mal à en repartir ».

    La Maison de l’Aubrac, 37, rue Marboeuf, 75008, 0143590514, « Pour la viande bien sûr, et l’atmosphère généreuse ». Pas de C.-H. à leur carte ces jours-ci…

    Le Baratin, 3, rue Jouye-Rouve, 75020, 0143493970, « parce que c’est le bon bistro à vins par excellence ! C’est mon pote Pierre Hermé qui me fit découvrir ce lieu formidable et la cuisine de Raquel ».

    FXD EN 5 DATES :

    22 septembre 1973 : naissance à Asnières.

    2 décembre 2002 : premier spectacle au Théâtre du Gymnase, à Paris.

    2005 : premier rôle à la télé dans Télé Z (pubs).

    2008 : « Coluche, l’histoire d’un mec », film d’Antoine de Caunes.

    Nomination aux Césars 2009.

    2011 : « Demaison s’évade », spectacle (théâtre de la Gaîté Montparnasse), repris en décembre 2013 (théâtre Edouard VII).

     

  • 26

    9782758804833.jpgLà, cadeau : deux des 26 villages de mon nouveau livre, pris au hasard, Balthazar. Juste pour donner à voir ou plutôt à lire. Histoire de vous donner envie d'aller acheter le bouquin, té!..


    LA CALLIGRAPHIE DE LLO

     

    Le gris domine Llo. Pas un gris négatif, de mauvais temps ou de mauvaise mine, mais un gris extrait du sol, un gris de roche et d'ardoise, un gris massif et mat. Un gris qui prolonge l'écho des vers du poète de Saillagouse, Jordi Pere Cerdá :

    Femmes de Llo

    sueurs noires de la terre

    solidifiées au soleil (...)

    Tout jaillit de la pierre :

    maisons, église et gens.

    Seins maigres, pointes de silex,

    sèches et dures épines du lait...

    Vu depuis l'auberge «Atalaya», Llo ressemble davantage à un hameau à étages qu'à un village ramassé sur lui-même, comme le sont la plupart des autres, dans cette partie des Pyrénées-Orientales. Les chemins qui le traversent sont une arabesque déchiffrable seulement vue du ciel. L'indéchiffrable est donc ici la règle et c'est une façon de préserver sa singularité. À chacun ses subterfuges. Llo en a plus d'un. Avec son aspect déguenillé, cette allure de vieux pâtre à la chemise baillant et aux pantalons zigzaguant sur les bottes, le village de Llo n'en rajoute vraiment pas pour vous inviter à déambuler parmi ses murs.

    Llo est, comme çà, une barbe blanche de deux jours.

    J'aime. J'aime ce faux négligé qui cache des fagots de bois bien rangés sous l'appentis et des plantes au garde à vous dans des jardinets plus ordonnés qu'un hall d'hôtel de ville.

    Il faut regarder attentivement ce jardin potager aux sillons droits comme un pantalon de velours côtelé bien repassé et qui n'est pas sans évoquer le bien kolkhozien, par son exiguïté, sa pauvreté apparente, son anonymat; un jardin enveloppé dans le virage qui monte vers l'auberge.

    La nature cependant prend le dessus en plein centre. Rares sont les villages dont les rues finissent traversées par une cascade qui dévale la montagne en criant pardon comme on lance un « chaud devant ! », qui galope à un bout de Llo puis saute dans le vert et s'y noie. Certes, un panneau indique qu'il s'agit d'une voie sans issue -et pour cause- mais une telle impasse vaut tous les détours. Tout voyageur fouineur est aimanté par ce type d'indication qui recèle toujours quelque chose ; presque rien. Mieux, il est constamment aux aguets de ces invitations en forme de refus. Les décliner, c'est s'exposer au parcours banal. Toute voie trouve une issue dans l'esprit.

    Llo exige d'autres détours. Qui exigent eux-mêmes un effort. Ses ruelles calligraphiques qui tournent pour mieux coudre le village rappellent à nos genoux que nous sommes dans les Pyrénées. Encore un village qui se mérite, un village aux rues étroites et escarpées, où la déclivité induit le silence. Et Llo n'est que bruits animaux et sons familiers : coqs qui se défient à tue-tête aux quatre coins du village, cloches d'un troupeau de brebis qui emprunte le chemin, bêlements, aboiements timides, chuchotements de femmes qui détournent la tête... 

    Merveille de ces villages qui ne se donnent pas d'un seul coup d'oeil, qui exigent de vous du temps, de la patience. On ne découvre pas Llo, on l'épluche. En cheminant lentement rue après rue et pas d'une rue à l'autre, justement, car elles ne communiquent pas entre elles. La plupart sont des chemins qui ne mènent nulle part. Ou plutôt qui finissent dans la verdure. Une verdure qui semble avancer comme le désert se répand. Les chemins de Llo finissent en salade comme on part en carafe.

    Un généreux parfum de menthe habite ces ruelles et partage l'atmosphère avec l'ortie et le pissenlit. Le soleil pianote sur les pierres des maisons, il joue des tons comme un torrent roule ses galets. L'ardoise ronde des toitures donne un air de laisse de basse mer des plus apaisants aux maisons que l'on prend de haut, en redescendant. D'ici, les Pyrénées semblent à l'abri de tout, leur pente est douce et c'est un terme marin qui vient à l'esprit, le mot havre, pour circonscrire le paysage que l'on embrasse à la manière d'un aquarelliste des mots soucieux de concision.

    Plus haut, une tour carrée et un rempart comme un gâteau d'éclats de noisettes strié de discrètes meurtrières, de fines fentes, cache l'intimité d'une simple villa, la villa Alione. Et tout en haut, une autre tour, en ruines, domine le village et la vallée de Saillagouse et Bourg-Madame. Il faut y monter pour au moins deux raisons. Pour l'invitation subite d'un sentier de montagne, lorsque vous êtes parvenus à la tour, à laisser Llo derrière vous et à partir en promenade, caminando, baigné du parfum plus sec du thym. Et pour cette extraordinaire sensation, en gravissant jusqu'à la ruine, du mot « rocaille » comme une allitération qui chante sous le pied et comme allusion à la racaille de la roche que vous êtes persuadés de fouler.

    En redescendant de la tour en ruine -qu'un graffiti révolutionnaire propulse dans le temps présent-, on a le choix entre un de ces raccourcis recouverts d'herbes et de fleurs qui donnent envie de courir, et le chemin goudronné, bordé par une maison en rénovation où le parpaing, sur la vieille pierre, fait l'effet d'une attelle sur une belle jambe de bois, et par un bloc de ciment sans doute appelé maison, coulé dans le plus authentique mauvais goût. Cette injure à la beauté du village prête à sourire pour peu que l'on songe immédiatement au vilain petit canard, si seul, pas beau.

     


                 
                   BAïGORRI VAGABONDE

     

                   9782758804833.jpgC’est un village où chaque demeure, blanche et rouge piment sec plutôt que sang, prend ses aises et aime contempler l'autre en prenant de la mesure et la distance nécessaire au jugement définitif. Ce village vous toise lorsque vous y êtes. Il apparaît éparpillé, dispersé. Saint-Etienne de Baïgorry est en soi un bouquet de quartiers épars : Occos, Urdos, Lezaratzu et Etxauz enfin, soulignent d'un second trait, périphérique celui-là, cet état de dispersion, d'autonomie et ce souci de l'espace personnel.

                  Seule la grande rue qui longe la Nive et ouvre le village comme la proue d'une barque fend le flot, est ramassée. Baïgorry (la rivière rouge, en Basque) ne cherche pas à se tenir chaud ni à rassembler, sauf à l'église Saint-Etienne lorsque l'on y chante et sur la place les jours de foire, comme à la fameuse de mars, aux béliers, lorsqu'un champ de bérets jauge solennellement les animaux ficelés aux platanes.

    Et encore! La grand-rue est, elle aussi, vagabonde et un peu diffuse. À la moindre bifurcation, elle vous montre du doigt une direction possible que la campagne suggère, rien qu'avec l'herbe grasse qui chatouille chaque mur et avec une invitation au paysage dans l'angle de laquelle se trouve toujours un toit, un balcon, un portail sur fond vert. La personnalité architecturale de Saint-Etienne de Baïgorry est dans cette façon personnelle que la maison a d'élire un lieu, a de s'être choisie une remise, comme on le dit pour la bécasse. Les maisons sont dispersées pour mieux asseoir leurs repères et afin de jouir d'une orientation -pourquoi toujours le Sud?- et d'une vue désirées, sur l'ensemble du village.

    Saint-Etienne de Baïgorry semble présenter, en les montrant du bout du bras et du plat de la main, la montagne d'un côté, la forêt qui coiffe la colline de l'autre et la rivière d'évidence, comme on présente ses amis à la famille. La campagne, tout autour, se referme sur le village comme une aile de poule sur ses poussins et procure ce formidable plaisir de prendre des chemins si étroits qu'on s'y frotte parfois l'épaule. Des chemins qui tiennent lieu de ruelles, où se mêlent des parfums de bouse de vache, de paille, d'ail qui cuit (et de gas-oil lorsqu'un véhicule, un seul vient à passer). Des parfums capiteux prolongés  par le son mat de notre pas qui s'estompe lorsque le goudron cède la place à la terre et à la musique  de la Nive qui joue au torrent sur les pierres, et qui étale sa perpendicularité à notre cheminement, lequel trouve là un but par défaut. L'Anglais dit alors : stop.  Le voyageur ordinaire s'assoit en tailleur et prend un moment comme on prend un verre, ailleurs...

    C'est un village où l'on vous propose tout sans insister, où l'on vous invite de façon bourrue; l'accueil n'en est que plus profond, plus sensible, car il est toujours exprimé à deux doigts de se taire. Donc Saint-Etienne se mérite, comme les autres villages de cette vallée de Baïgorry qui est sans doute l'une des plus riches du Pays basque nord, et peut-être davantage parce qu'elle feint d'ignorer qu'elle en est le coeur, qu'à partir d'elle on s'enfonce  dans ces vallées mystérieuses des Aldudes, du Pays Quint et, de l'autre côté, du Baztán, d'Erro et de Valcarlos. On pénètre un intrigant Pays basque par ce passage obligé et c'est pourquoi Saint-Etienne de Baïgorry semble avertir le voyageur de cette sorte de rite qu'il accomplit, il semble le prévenir du sens de son étape. Aussi le ralentit-elle sans effort. Il y a un côté relais de Compostelle dans le génie de ce lieu.

    Le village expose son fronton, où se disputent l'été les plus belles parties de rebot -ce jeu compliqué de pelote où l'on chante  les points-, comme on exposerait ailleurs une colonne monumentale qui imposerait le respect. Mais sans ostentation! Il l'impose dans sa blancheur et dans son évidence de nez au milieu de la figure et dans sa nécessité de coeur dans le corps animal.

    De Saint-Etienne de Baïgorry exhale aussi un amour certain du produit de la terre. Ici, on vit beaucoup de lui et pour lui. Le vignoble d'Irouléguy est dans son fief, comme certaines entreprises de conserves et de salaisons qui ont hissé le jambon et la sauce piquante au rang de monuments à visage d'ambassadeur, à force de vouloir...   

    Et puis il y a cette rivière, la Nive de Baïgorry, qui fait rêver tous les pêcheurs à la mouche, ce pont romain effilé qui l'enjambe avec maigreur, avec une prudence de chat, et tellement large et haut qu'on dirait qu'il craint une crue de fin du monde! Un pont gravé de la date 1661 en son dôme, et avec pour pavage une boursouflure de pierres de tous âges et de toutes tailles, si inégalement usées par des siècles de passage de sabots, de pluies et de pas que ce gaufrage vous donne l'impression de traverser un clavier d'accordéon jouant tout seul. D'un côté du pont, la maison Petricorena, imposante etxe  avec un côté grosse poule blanche qui ne craint pas le renard, un peu mamma italienne aussi, jusque dans ses dépendances. De l'autre, en retrait, le château d'Etxauz prend de la hauteur et donne au village un relent de structure seigneuriale. C'est vrai qu'elle est belle, dans sa digne singularité, cette demeure des vicomtes d'Etxauz, dont l'histoire se confond depuis des siècles avec celle de la vallée. Le château, frappé de la date 1555, vit naître Bertrand d'Etxauz, évêque de Bayonne en 1593 et qui devint plus tard archevêque de Tours... pour parler comme un guide couleur de ciel dégagé.

    Mais foin! Baïgorry l'authentique est en face. Blanche et rouge, donc, elle nous le joue personnel, en ordre dispersé et avec une maîtrise rare de l'art de faire croire qu'elle s'en fiche, alors qu'elle aime démesurément qu'on la regarde de près.

     

     

  • Le sommeil d'une femme

    Une phrase de Julien Gracq (je crois que c'est dans Le roi Cophetua, une des trois nouvelles de La Presqu'île, mais sans garantie), m'habite depuis de nombreuses années et, comme une chanson entêtante dont on sait qu'on ne parviendra pas à s'en défaire vite, car c'est elle qui décidera de s'évanouir sans prévenir, comme un banc de thons lorsqu'on les pêche, vite, très vite, à la ligne au large de Saint-Jean-de-Luz, cette phrase habille ma pensée, chacun des soirs, chacun des matins -ou presque- que le monde fait. La voici : Le sommeil d'une femme qu'on regarde intensément conjure autour d'elle une innocence, une sécurité presque démente : il m'a toujours paru inconcevable de s'abandonner ainsi les yeux fermés à des yeux ouverts.

  • Les plus belles fesses du Louvre...

    images.jpeg...Se retrouvent commentées dans un délicieux petit livre (que j'ai rewrité comme on dit, pour les éditions Séguier, et qui paraît le 3 octobre. 96 p. 16€). Il est co-signé Bruno de Baecque (texte) et Joëlle Jolivet (dessins), sur une idée de Jean Le Gall, qui préside aux destinées (je n'aime pas cette expression pontifiante et pourtant elle vient de me venir), de Séguier et Atlantica.

    Il s'agit d'un parcours artistique, de fesses peintes en fesses sculptées, sises ou assises au Louvre, de Delacroix à Ingres, de Bartolini à Prestinari et d'Odalisque à Vénus et d'hermaphrodite en Marie-Madeleine...

    Le livre épaule une proposition de visite thématique et commentée.

    En voici un feuilletage 

    http://www.dailymotion.com/video/x14vuc8_plus-belles-fesses-du-louvre_creation

  • Chinon rien

    je mengage.jpg









    Il est vrai que je suis à fond pour le développement du... Rabelais, que là-bas, je bois le vin rouge local issu de cabernet franc, chinon rien... Mais quelle ne fut pas ma surprise lorsque je fus invité à être intronisé au sein de la confrérie des Entonneurs Rabelaisiens, en qualité de blogueur vins ! Cela se passait le 12 septembre dernier au Bistrot d'à côté (rue Capture d’écran 2013-09-25 à 11.50.39.pngLalande dans le 14 ème à Paris), à l'occasion de la Saint-Gargantua (en réalité la Saint-Apollinaire, sur le calendrier), qui fut célébrée dans 28 bistrots parisiens. Et c'est dans celui "d'à côté" que le chapitre des intronisations eut lieu. Parmi les nouveaux chevaliers, il y a, de gauche à droite sur la photo ci-dessus : mes consoeurs Ophélie Neiman (blogueuse vins : Miss Glou Glou) et Anne-Victoire Jocteur Monrozier (blogueuse vin : Vicky Wine, à qui j'ai l'impression d'en coller une en prêtant serment et c'est dommage car elle est très mignonne, mais on peut la voir plus bas et des centaines de fois sur son blog), ma pomme, Charlie Darenne (illustrateur), Thierry Cap de Coume (dessinateur, photographe) et Laurent Cazaux (du Bistrot qui nous accueillait). Avouez qu'on a l'air un peu benêts avec nos bavettes, puis avec nos diplômes de chevaliers et nos grosses médailles, mais bon, c'est ainsi. On assume; cul-sec (le deal était de jurer de défendre les vins de Chinon en tous lieux, puis de vider le vase afin d'obtenir la médaille. Et à 17 h, c'est pas facile...).

    leon mazzella boit.jpg

    Capture d’écran 2013-09-25 à 11.23.33.pngLO2A2085.jpg

    ©KOEphotography.com 

     

    www.chinon-stgargantua.com 

  • Le chemin des morts

    images.jpegAnnées 80. Une décennie entre deux mondes. L'Espagne est devenue une démocratie. La France n'a plus de raison de continuer d'accorder le statut de réfugié politique aux militants de la cause basque. Le narrateur est un jeune magistrat administratif rattaché au Conseil d'Etat, nommé à la commission des recours des réfugiés. Il va commettre une sorte d'erreur judiciaire. Un dossier se présente à lui. Le cas d'un réfugié devenu relativement paisible et qui a même condamné l'assassinat par ETA de l'amiral Carrero Blanco -dauphin désigné de Franco-, en 1973, ce qui lui valut l'inimitié forte de ses comparses. Le jeune magistrat appliquera néanmoins le droit en vigueur et par conséquent la justice, en retirant son statut de réfugié à Javier Ibarrategui, venu demander son maintien. Celui-ci, en plaidant sa demande sans contester la décision qui lui fut signifiée sur le champ, précisa qu'il serait vraisemblablement assassiné dès son retour en Espagne par les polices politiques comme les GAL (Groupes antiterroristes de libération, les fameux "guérilleros du Christ-roi", liés au pouvoir espagnol, dans cet après-franquisme pour le moins hésitant et brutal). Ce fut le cas : Ibarrategui pérît à Pampelune de quatre balles de revolver tirées depuis une moto. Souvenez-vous, cela n'était pas rare à cette époque; voire dangereusement banalisé. Le récit de François Sureau (Gallimard), à l'écriture percutante et précise, dit le désarroi, trente ans après, d'un magistrat devenu avocat et écrivain (c'est peut-être l'auteur lui-même, peut-être pas), et dont la mort de ce réfugié basque hante chaque jour la conscience, tant professionnelle que personnelle. Il dit aussi combien elle continuera de le hanter jusqu'à sa dernière plaidoirie, jusqu'à son dernier livre et jusqu'à son dernier souffle (la fin du récit, à ce propos, est d'une force et d'une douceur impeccables). Court, ce livre d'une cinquantaine de petites pages est plus que touchant : il est poignant par sa crudité, sa clairvoyance, son effroyable sincérité. L'auteur ne cesse de réfléchir au "pouvoir de dire le droit sans rendre la justice, voire en commettant la plus grande des injustices". Nous pouvons, dit-il encore dans un entretien audiovisuel, "en toute conscience, concourir à des crimes, à des oublis, à une certaine manière de négliger la personne humaine". François Sureau est parvenu avec talent, grâce à une écriture sobre, tendue et droite, à rendre également "sensible la manière dont on peut penser accomplir son devoir en obéissant à sa conscience" et puis devoir affronter les conséquences ô combien détestables de ses actes. Ce Chemin des morts, qui désigne le parcours particulier qu'effectue, au Pays basque, la famille qui porte le défunt, depuis sa maison (l'etxe y figure le centre de tout) jusqu'au cimetière, est, selon les mots de l'auteur, "un appel à dépasser les notions de droit et de justice pour s'attacher davantage aux notions d'humanité". Et un pur joyau de littérature forte, nue, essentielle.

    TERRASSES DU LARZAC MAS HAUT-BUIS.jpgALLIANCES

    Comme toujours, j'ai plaisir à suggérer une alliance gourmande avec une lecture. Devant l'exceptionnelle gravité du sujet qui précède, je choisis quand même un vin qui, loin d'être austère, présente un sérieux qui force le respect et qui n'en est pas moins festif (cherchez l'erreur ou dites tout de suite que je cultive le sens du paradoxe!). Il s'agit d'un AOC Languedoc Terrasses du Larzac, appellation située au nord-ouest de Montpellier, on ne peut plus louable et qui effectue de prodigieux progrès depuis une poignée d'années. Les paysages y sont somptueux bien qu'arides, le climat méditerranéen dispense sa chaleur de garrigue, les vins y ont par conséquent un sacré caractère pour la plupart : puissants, généreux, frais, mais aussi élégants et globalement équilibrés. J'ai choisi l'un d'eux, un rouge gourmand et épicé mais pas trop, la cuvée Costa Caoude 2011 du Mas Haut Buis (21€), conduit par Olivier Jeantet à La Vacquerie et Saint-Martin. 650m d'altitude. 10 ha de vignes conduites en agriculture biologique, parmi des oliviers et des amandiers, donnant des "raisins vivants" : 40% en grenache noir, 33% en syrah et 27% en (vieux) carignan. Costa Caoude (50% grenache, 30% carignan, 20% syrah), fermente en cuve de béton, il est légèrement soufré, puis il passe un an en foudres de 20 hl et cuve béton tronconique de 30 hl. C'est un vin d'homme (*) pour escorter un gibier à plume ou à poil, ou bien une viande de boeuf racée et rassise (côte, onglet, merlan). Epicé et pourvu de notes délicates de thym et de romarin, il exprime surtout les fruits rouges et noirs sans excès et la fraîcheur caractéristique des vins rouges de l'appellation étonne toujours agréablement, ce dès l'attaque. Enjoy! 

    ------

    (*) Que les femmes me pardonnent cette appellation non contrôlée : mon amie Brigitte Lurton, qui sait de quoi il en retourne, réagit à ce papier sur ma page facebook (où il est publié simultanément -ainsi que sur mon compte twitter) en précisant que les femmes, souvent, aiment les vins d'hommes. Et vice-versa, ai-je répondu : les hommes ne sont jamais insensibles aux vins que l'on dit féminins. Mais il est entendu qu'il faut cesser de sexer les vins comme les oiseaux sans dimorphisme apparent, que l'on prend aux filets afin de les baguer. Force est aussi de reconnaître que l'attirance hétérosexuelle joue instinctivement à pleins ballons en matière de vins. Et je connais des expertes en dégustation qui ne supportent plus l'adjectif féminin adossé aux vins -sans féminisme aucun, faut-il le préciser. Mais au nom d'une liberté sensorielle et langagière, au nom du libre cours à l'imagination lorsqu'on déguste : il faut aller plutôt vers le soyeux, le velouté, la caresse, l'élégance, la classe et autres attributs qui désignent plus spontanément les femmes que les hommes, lorsque nous sommes en présence, nez dans le verre, d'un vin dont le raffinement exclut d'emblée et sans aucun doute possible la vision du poil aux pattes. 

  • Esprit de Granit et Les Hauts du Fief

    images.jpegJe ne dirai jamais assez de bien de la Cave de Tain, à Tain L'Hermitage (Drôme). Voici deux de ses nombreuses réussites et d'abord : Esprit de Granit, un Saint-Joseph 2011 issu de syrah soyeuses comme rarement, avec une robe rubis lumineuse, un nez de fruits noirs compotés, épicé (cardamome), une bouche ample et puissante sans être machiste : élégante mais virile. Idéal sur les viandes rouges que l'on avait délaissées cet été, voire une volaille forte comme la pintade, en attendant les premières grives ou le perdreau rouge de septembre, voire le sanglier d'avant-ouverture... Renseignements pris après dégustation, il s'agit d'une sélection parcellaire, issue d'un terroir exceptionnel, en gros. Tout est maîtrisé, du travail en vert, effeuillage compris, jusqu'à la date optimale de la récolte, en passant par la sélection précise des baies juste avant la vendange. Ici, il s'agit de vieilles vignes plantées en coteau sur les contreforts du Massif Central, sur des arènes granitiques. Le flacon vaut 15€ et c'est une paille, eu égard au bonheur produit.

    images (1).jpegUne autre des dix cuvées parcellaires bichonnées par des hommes constamment sur le terrain et proposées par la Cave de Tain, est un Crozes-Hermitage 2011, Les Hauts du Fief. Et c'est splendide, corpulent, gentleman-farmer, issu de syrah de 30 ans. Robe profonde. Nez épicé (poivre) et de fruits noirs bien sûr, un rien minéral, ce qui éclaircit les fosses nasales au passage, les yeux archi-fermés. La bouche, fraîche et profonde, persistante et réglissée mais à peine, nous redonne des baies mûres à foison; et on prend. Avec ça, sortez un vieil ardi gasna (un brebis forcément paysan d'Ossau-Iraty), juste après une côte de boeuf bien persillée et sortie du froid au moins deux heures avant. Cuisson : Juste aller-retour, dirait Firmin Arrambide (Les Pyrénées, à St-Jean-Pied-de-Port, 64), sur la plancha archi-chaude. 13€ la boutanche, c'est cadeau, té!


    images (2).jpegimages (3).jpegimages (4).jpegALLIANCES : Joseph Kessel, Les mains du miracle, Jérôme Garcin, Olivier, (les deux en folio), Dylan Thomas, Portrait de l'artiste en jeune chien (Points). Du poignant, du qui décoiffe, du mémorable, qui décante en somme. Et en tongs s'il vous plaît, parce qu'il fait beau et qu'il convient de détendre l'esprit du texte. En plus, y'a été indien en vue! Si, si...

  • Drouant et l’Académie Goncourt

    Voici un papier retrouvé à l'instant dans mes archives et que publia une revue d'histoire. A l'heure où l'on pense déjà fort au lauréat du plus prestigieux des prix littéraires français, voici une évocation historique de ce restaurant chargé d'anecdotes. 

    (Personnellement, et puisque personne ne me pose la question, je donne Jean-Philippe Toussaint -pour son roman Nueque publie Minuit le 5 septembre prochain- vainqueur. Nue clôt le cycle romanesque consacré à Marie Madeleine Marguerite de Montalte, après Faire l'amour, Fuir, et La vérité sur Marie. Quatre bijoux). Et vous?


    téléchargement.jpeg« Drouant dérive du germanique drogo, qui signifie quelque chose comme le bon combat ». C’est Hervé Bazin qui parle. L’auteur de « Vipère au poing » qui fut un membre marquant de l’Académie Goncourt, savait de quoi il en retournait dans le salon du premier étage. Le bon combat demeure, qui fait triompher le livre, au restaurant Drouant, chaque année à l’heure du déjeuner, début novembre…

    Le génie d’un lieu provient du lien entre des êtres géniaux. Ici, l’escalier est signé Ruhlmann, la cuisine actuelle Antoine Westermann, l’atmosphère est résolument Art déco ; l’esprit, Goncourt.

    L’âme du lieu est double : littéraire et gourmande. Gastronomie et littérature ont toujours fait  bon ménage. La plume tombe vite le masque lorsque la fourchette montre les dents.

    Le restaurant de la Place Gaillon (Paris 2ème), n’échappe pas à la règle. Mieux : il la dicte depuis un siècle et un an. Une paille !

    Entrer chez Drouant, c’est pénétrer l’antre d’un club fermé et fixé à dix membres selon les vœux des frères Edmond et Jules de Goncourt.

    L’Académie française a ses fauteuils, ses habits verts et ses épées pour ses pensionnaires. L’Académie Goncourt elle, a ses couverts gravés au nom de ses membres. Cela vous pose. « Cette nuance, soulignait Roland Dorgelès, aide à prouver combien les académiciens de la place Gaillon se veulent des copains au sens étymologique, « ceux qui partagent le pain ». Plus prosaïquement, ajoutait Dorgelès, on parle des déjeuners Goncourt et des séances du quai Conti ». Mais la querelle de bretteurs n’a pas eu lieu. Les Académies ne se tordent pas le nez et observent au contraire un respect mutuel qui n’a pas de prix.

    Pour l’historien, Drouant évoque aussitôt Louis XV, qui aimait chasser au faucon à proximité de la porte Gaillon, l’une des six percées dans l’enceinte bastionnée dont Louis XIII avait ceinturé la capitale.

    L’homme de lettres pense immédiatement à Zola, qui campa « Au bonheur des dames » dans ce quartier, et nourrit son livre des scènes de rue quotidienne de la place et ses alentours.

    L’amateur gourmand pense à la boucherie Flesselles, qui fut célèbre dans les années 1870 et qui fut remplacée par le restaurant Drouant en 1880.

    Lorsque l’Alsacien Charles Drouant, échouant à Paris, ouvre alors un modeste café-tabac, il est loin d’imaginer  que son nom va se perpétuer ainsi. Il l’agrandit néanmoins sa petite échoppe, en fait un bistrot que des artistes et des écrivains ont la bonne idée de fréquenter : Pissaro, Daudet père et fils, Renoir, Rodin, … La bande d’intellos artistes s’agrandit, peintres, sculpteurs, poètes, journalistes, romanciers, agrandissent le cercle et en font leur repaire. Leur rituel dîner du vendredi forge la célébrité du lieu dans le métal le plus résistant.

    Le prix Goncourt existe depuis 1903 (il fut attribué pour la première fois, le 28 août de cette année-là, à Jean-Antoine Nau pour son roman « Force ennemie ». Déjà tout un programme qui renvoie à la sagacité de Bazin à propos de « Drouant / drogo »…).

    Le prix ne commencera à être décerné chez Drouant que le 31 octobre 1914 par la Société littéraire des Goncourt. Le prix ne fut pas décerné cette année-là pour cause de guerre (et il fut par ailleurs refusé une seule fois, en 1951 par Julien Gracq -photo-, pour son magnifique roman « Le rivage des Syrtes ». L’immense écrivain eut toujours « La littérature à l’estomac » et pas devant les flashes et les caméras…).

    L’Académie est donc fidèle à Drouant depuis 1914. Le testament d’Edmond de Goncourt résume l’affaire : « Je nomme pour exécuteur testamentaire mon ami Alphonse Daudet, à la charge pour lui de constituer dans l’année de mon décès, à perpétuité, une société littéraire dont la fondation a été, tout le temps de  notre vie d’hommes de lettres, la pensée de mon frère et la mienne, et qui a pour objet la création d’un prix de 5000F destiné à un ouvrage d’imagination en prose paru dans l’année, d’une rente annuelle de 6000F au profit de chacun des membres de la société » .

    Il est précisé que les dix membres désignés se réuniront pendant les mois de novembre, janvier, février, mars, avril, mai et que le prix sera décerné dans le dîner de décembre… Les frères Goncourt avaient en effet voulu recréer l’atmosphère des salons littéraires du XVIIIème siècle, et aussi l’ambiance des déjeuners et dîners littéraires mondains du XIXème, comme les fameux dîners Magny. Jules meurt trop tôt, en 1870. Edmond anime alors seul le Grenier, puis la Société littéraire, qui devient Académie afin de se démarquer de l’autre, la Française du quai Conti, parce qu’elle refusa l’immortalité à de nombreux grands écrivains comme Flaubert, Zola, Balzac, Baudelaire et Maupassant.

    Encore le bon combat. Et c’est à vous donner envie de paraphraser Sacha Guitry lorsqu’il conchiait la Légion d’Honneur : «il l’avait, encore eut-il fallu qu’il ne l’eut pas mérité »…

    48 heures après la mort d’Edmond en 1896 –il avait 74 ans-, son notaire, Maître Duplan, lisait ainsi à Alphonse Daudet et Léon Hennique, ses légataires universels, le testament précité. L’aventure était lancée.

    Depuis, le Goncourt est le plus convoité des très nombreux prix littéraires français. « Il y en a davantage que des fromages », plaisantait François Nourissier. Il assure gloire et fortune à un auteur et à son éditeur. Le restaurant Drouant bénéficie par conséquent depuis longtemps du mythe Goncourt. Abriter l’Académie équivaut à posséder le Trésor des Pirates. Un trésor métaphysique.

    À l’étage, chez Drouant, nous trouvons les Salons Goncourt, Apollinaire, Colette, Ravel et Rodin. Il est très agréable d’y déjeuner ou dîner dans la grande salle du rez-de-chaussée, près du monumental escalier.

    La veille de notre visite au restaurant, j’y avais retrouvé le lauréat 1976, Patrick Grainville, afin de lui demander un texte pour les éditions que je dirigeais alors.

    Lors de notre second passage, Jorge Semprun (mort depuis) y mangeait en agréable compagnie à une table voisine. Juillet tirait à sa fin. L’esprit du lieu était habité à tous les étages par l’Académie. Nous prenions notre repas en bas, avec une amie.

    La mosaïque bleue travaillée à la feuille d’or, le fer forgé, les glaces immenses pour « narcisser » entre la poire et le fromage ou parmi les superbes peintures qui ornent les murs, le service élégant et discret, prévenant et jamais obséquieux, escortèrent avec grâce le foie de canard marbré de pigeon et sa gaufre au lard fumé, la blanquette de barbue et de queues de langoustines et le risotto à la truffe d’été, le carré d’agneau et son gnocchi… Les fameuses feuilles de chocolat en hommage à Jules et Edmond sont un dessert des éditions… Ganache, reconnues dans le village « germanopralin ». Le vin de Vacqueyras fut parfait du début à la fin. Joie ! C’est à peu près le menu qui fut servi en 1903 lors de l’attribution du premier Goncourt (bisque d’écrevisse, barbue sauce poivrade, terrine de foie gras…), chez Champeaux.

    Les membres de l’illustre Académie doivent leurs couverts à leur nom, à André Billy (académicien de 1943 à 1971, qui en suggéra la création. Et c’est Mr Odiot, fondeur en vermeil de la Place de la Madeleine qui grava fourchettes et couteaux. De là à penser avec feru Robert Sabatier, que c’est avec ceux-ci que l’on fait de la cuisine littéraire, il n’y a qu’un « plat » que nous ne franchirons pas.

    Plutôt citer Jacques de Lacretelle, qui résumait merveilleusement l’alliance de la littérature avec la gastronomie. Composer un roman ou un menu relèverait d’une alchimie voisine : « C’est un art (la gastronomie) où il faut suivre une tradition, mais où l’on peut tout inventer. Je ne vois pas de plus belle définition pour dire ce qu’est le talent littéraire ».  L.M.

  • Un été avec Montaigne, un automne avec Camus


    images.jpeg

    Montaigne illuminé par Antoine Compagnon -un vrai passeur, cet érudit, est la bonne surprise de l'été qui s'achève(*). Bravo à Olivier Frébourg, éditeur (Les Equateurs), pour ce formidable succès éditorial, en partie imprévisible comme il se doit et par conséquent tellement rassurant : aucune affirmation de marketteux, ni aucun pifométrage ne guideront jamais le choix du public -ce bouche à oreille magique qui tout à coup enflamme les consciences et les tables des libraires, en l'occurrence. Il en va toujours ainsi. Qui peut dire que tel roman sera le succès absolu, l'ouvrage plébiscité par un large public, cette rentrée-ci? Bien sûr il y a des tendances. Certaines sont lourdes mais sans surprise (Nothomb, d'Ormesson retrouveront leur armée de fidèles). Toussaint, Haenel, Darrieussecq, Gallay, Rolin, Germain, Ford, Coetzee, Chalandon vendront. Minard, Razon, Thomas, Ovaldé et Cabré aussi. Mais il y a certainement, parmi les 555 livres parus ou à images (1).jpegparaître ces prochains jours, un ou deux romans qui ne font pour le moment d'autre bruit que celui de leurs pages entre les doigts de lecteurs avisés et curieux et qui vont sortir de l'ombre comme le soleil entre deux masses nuageuses. On parie! Tiens, jouons un peu : vous pensez à quel livre?.. Moi je ne pense à aucune nouveauté de cette rentrée, mais à un auteur : Camus. Albert Camus. Et oui. Le 7 novembre prochain il aurait eu 100 ans (et j'espère que j'en aurai 55), et de nombreux éditeurs, à commencer par le sien (Gallimard), vont fêter l'événement, puisqu'une soixantaine d'ouvrages sont attendus sur l'inépuisable sujet. Il y a déjà eu le superbe album de Jacques Ferrandez, L'Etranger, une BD littéraire de haut-vol avant l'été (Gallimard). En folio le mois prochain, reparaîtront Les Carnets (en trois volumes), les Journaux de voyage, ainsi que des coffrets thématiques : L'absurde (L'étranger, Caligula, Le malentendu, Le mythe de Sisyphe),  La révolte (Les Justes, La peste, L'homme images (2).jpegimages (3).jpegrévolté). Vous allez voir ce que l'on va lire! Encore Camus... Je préfèrerais me réjouir du succès des livres de certains de mes amis présents à cette rentrée, comme Saber Mansouri, Je suis né huit fois (Seuil) ou Jean Le Gall, New York sous l'occupation (Daphnis et Chloé) -remarquables premier et second romans (j'y reviendrai). Mais qui sait! Et si c'était eux? dirait Lévy (Marc). Croisons les doigts.

    (*)Un été avec Montaigne est un petit livre épatant que l'on rachète et que l'on offre après l'avoir lu, avec ce plaisir de transmettre un objet à haute valeur ajoutée. A l'origine, il s'agit d'une série d'émissions brèves qui furent diffusées sur France Inter au cours de l'été 2012 (cet été, la série eut Proust pour sujet, par le même Compagnon, très fin connaisseur de l'auteur de La Recherche). La lecture revigorante du petit livre jaune agit par contagion, car la philosophie simple et droite de Montaigne l'naltérable opère, via la lecture qu'en fait Compagnon, comme une bière fraîche au coeur de la soif. L'éthique de l'auteur des Essais est une leçon de vie permanente et une esthétique : un art de vivre en beauté. Qu'il évoque l'altérité, le pouvoir et la corruption, l'éducation, le corps, la lecture ou l'arrogance, le négoce (negotium) et le loisir (otium), l'acédie ou la solitude, la vanité ou l'Amitié, la mort ou le désir, Montaigne est un guide étonnement moderne, à l'avant-garde pour son époque, qui ne cesse de douter et de rechercher son assiette (un terme d'équitation et Montaigne chevauchait beaucoup), dans un monde qui bouge; rien de plus mais le projet est de taille et permanent. Le relire est toujours aussi salutaire et à travers le libre éclairage qu'en donne donc Antoine Compagnon, Montaigne nous devient encore plus familier, plus tutoyant. Faites passer!

    PS : nous pouvons bien sûr nous interroger sur ce recours aux classiques, qui rassure en période de crise, lorsque celle-ci opère par capillarité jusque dans le moindre recoin de nos existences (la lecture, un recoin?!..), et cela ne doit pas occulter notre curiosité vive face à tant de nouveautés, de fleurs en somme, que sont les nouveaux livres d'auteurs connus et les premiers livres d'auteurs à découvrir avec alegria.

  • Frédéric Musso poète

    images.jpegFrédéric Musso fait de la photo à sa façon. Ses instantanés sont des poèmes en prose ciselés, aussi vifs que toniques et qui possèdent une qualité rare, que j'appellerai la souplesse du chat : prenez un chat, jetez-le par la fenêtre (du premier étage, ho!), le chat retombera sur ses pattes. Toujours. Un bon poème est un chat lancé par la fenêtre du premier. Un bon poème est rond. Un peu comme un oeuf (mais un oeuf c'est ovoïde, c'est pas rond! Okok). En tous cas, ça retombe sur ses pattes en bouclant sa boucle et en la bouclant, voire en vous la bouclant (en nous en bouchant un coin, quoi). Frédéric Musso y parvient. Poète exigeant, il apparaît intraitable avec le choix du mot juste (et parfois rare, ou bien oublié). Ses poèmes courts et denses sont de temps en temps teintés de lointains jeux de mots. Ils disent tous l'essentiel d'une sensation, ils captent à temps des instants fugitifs avec la main, avec une épuisette, ils enserrent un sentiment, ce sont des tableaux aussi et encore des souvenirs (d'Algérie). Certains poèmes de ce nouveau recueil au titre camusien : L'exil et sa demeure (La Table ronde, 96 p. 14€), contiennent des images fortes : "peler les mots jusqu'au trognon pour que se lève le poème"... "tu vacillais le coeur haut comme la patte du chien qui pisse"... "le bois flotté des métaphores"... "La beauté fut condamnée par contumace. On accusa les ombres de légèreté."

    En voici une petite poignée en guise d'appât : 

    "Debout dans les trèfles l'enfant se caresse comme on froisse une rose. Son autre main arrondit le soir. Enfant royal. Plus tard chargé de mots il s'astiquera sous la lampe, l'être tout entier en branle. Désuni."

    "Le coeur saillant pousser la porte d'une femme. Considérer que l'aménagement des corps ne relève pas seulement du territoire. S'asseoir au bord de la finitude et contempler l'innocence de l'origine du monde."

    "Poésie qu'on file avec la patience des vieux marcheurs. La renverser d'un revers de rêve pour que chantent les mots qu'elle brise sous nos pas."

    "Bel canto des corps. Le vent velours caressait nos chairs de poule. Un cri d'enfant est sorti de ta bouche. Quand le soleil a posé son front sur la mer nous avons allumé des américaines et nous avons souri comme des demi-dieux."

    "Dans l'odeur nue de l'aube le piéton de la plage pouvait croiser la perfection d'un squelette d'oursin, le bras d'honneur d'une branche sur le sable ou l'idée singulière que les ombres mûrissent en douce avant de s'allonger."

    "Le temps glissait sur son erre. Une créature s'attardait aux angles morts du désir. Elle caressait ta peau comme on dessine sur le sable quand le soleil va se coucher."

    "Les rêves consumés dans la broderie du sommeil. Les mots qui cillent. Ferme la fenêtre. Tire le rideau. Ta main à fleurs de cimetière sous la lampe, son ombre sur le papier où se dénoue le plus clair de ta nuit."


  • Qui o qua

    IMG_0944.jpgProcida me réconcilie avec la vie lorsque celle-ci glisse entre mes yeux. Cette île me rassemble et me ressemble. Elle irradie en moi, éloigne de la peau de mon âme les tourments. J’habite Procida comme le fleuve finit par habiter la mer. Ma confusion des sentiments s’épanouit sur le microcosme de la Corricella comme une feuille de thé dans l’eau bouillante. Chaque chose reprend place, chaque être observe l’autre en amitié ; insulairement. Ici je découle. Deviens poisson, nage en eaux claires. Je mûris comme le citron sous le soleil clément. J’oublie le manque. Je me nourris d’ombre et de petites tomates. Je IMG_0945.jpgplonge dans l’eau noire, pilote le bateau, un gozzo,  comme je caresserais une nouvelle femme. Le voilier de Paolo qui s’avance pour mouiller dans l’anse de Chiaia, le regard du vieux pêcheur taiseux qui reprise son filet, l’écho d’une Vespa à l’assaut de Terra Murata suffisent à mon bonheur écrasé de soleil du passager clandestin que je suis devenu sur l’île de mes ancêtres. 

    (photos : seul à bord, stasera : il benessere).

    Traduction de mon amie écrivaine napolitaine/procidienne et présidente du Prix Elsa Morante, Tjuna Notarbartolo : 

    Procida me riconcilia con la vita quando mi scivola negli occhi. Quest'isola mi ripiglia e mi somiglia. Mi splende dentro, allontana i tormenti dalla pelle dell'anima. Abito Procida come il fiume finisce per abitare il mare. i miei sentimenti confusi si stemperano sul microcosmo della Corricella, come una foglia di tè nell'acqua bollente. ogni cosa è al suo posto, ogni essere osserva l'altro in piena amicizia; insularmente. Sono alla deriva. divengo un pesce, nuoto in acque chiare. divengo maturo come il limone sotto un sole clemente. Scordo ogni mancanza. Mi nutro d'ombre e di pomodorini. Mi immergo nel mare profondo, guido la barca, un gozzo, come se accarezzassi una nuova donna. La barca a vela di Paolo che si avvicina per bagnarsi nell'ansa della Chiaia, lo sguardo del vecchio pescatore taciturno che ripara la sua rete, l'eco di una Vespa che scala Terra Murata, bastano alla mia felicità schiacciata di sole, da passeggero clandestino, quale io sono divenuto sull'isola dei miei avi.

  • 7 à lire

    TROIS DE MES RÉCENTES CHRONIQUES PARUES DANS TÉLÉ 7 JOURS

    téléchargement.jpegDes noeuds d'acier, par Sandrine Collette

    Théo Béranger, quarante ans, vient de purger de longs mois de prison pour une rixe fratricide. La taule n’a pas réussi à briser ce costaud un peu violent. Il part en forêt pour faire le point. Tombe sur deux vieux fous armés qui le capturent et en font son esclave. Enchaîné, battu, sans eau, à peine nourri au fond d’une cave, corvéable à l’extrême, il perd toute humanité, devient moins qu’un chien. Cette terrifiante descente aux enfers décrite au scalpel tient en haleine et signe l’entrée fracassante dans le roman noir d’une auteure encore inconnue.

    Roman, Denoël, Sueurs froides, 270 pages, 17€

     


    images (1).jpegLe spectre d’Alexandre Wolf, par Gaïto Gazdanov

    Un soldat russe blanc tue un soldat bolchevique un jour de 1917. Ce meurtre hante sa vie. Emigré à Paris, devenu journaliste, il tombe sur une nouvelle écrite par un certain Alexandre Wolf qui décrit précisément l’épisode obsédant. Le narrateur n’a alors de cesse de vouloir trouver cet auteur. Une histoire d’amour fou pour la fascinante Elena ajoutera du mystère à sa quête. La rencontre avec Wolf, spectre vivant, aura lieu, mais ne fera que corser l’ensemble d’un roman captivant où l’intensité de la narration et la force des personnages rappellent Dostoïevski.

    Roman, éditions Viviane Hamy, 172 pages, 18€

     

     

    images.jpegL’armée furieuse, par Fred Vargas

    Un meurtre par étouffement à la mie de pain ouvre les nouvelles aventures de l’attachant commissaire béarnais Jean-Baptiste Adamsberg, flanqué de son complice Danglard et ici de son fils Zerk ainsi que d’un pigeon blessé aux pattes. Puis c’est le mystère d’une légende tenace du XI ème siècle, celle de l’Armée furieuse, des revenants qui chevauchent  deux ou trois fois par siècle et se saisissent des méchants pour les tuer d’atroces façons dans le bocage normand, vers Ordebec, qui va hanter ce roman aux rebondissements captivants. Adamsberg n’y croit pas, mais il enquête depuis qu’une femme, Lina, prétend avoir vu passer l’Armée, car des personnages disparaissent... Rustique, poétique, fantastique, la magie Vargas opère.

    Roman, 442 pages, J’ai Lu, 7,90€

     

     

  • Ode à Clément Faugier

    Je retrouve ce texte hivernal tandis que je bois de l'eau glacée pour me rafraîchir et que je ne veux manger que des salades frâiches et des fruits mûrs...

     

    AUX AFICIONADOS DE LA

    CREME DE MARRONS

     

    La gourmandise est faite de connivences inattendues et de correspondances inédites. Les amateurs de crème de marrons sont des passionnés : qu’un étranger évoque leur penchant dans un compartiment de train ou sur le zinc d’un bistrot et leur œil s’allume, leur sourire apparaît, leur regard devient lumineux, curieux ; ami. La conversation s’engagera inévitablement et quelque chose naîtra entre deux inconnus que rien ne liait jusque là. La crème de marrons possède cette magie de créer des liens entre aficionados silencieux, car un peu seuls avec leur gourmandise. Avouez que beaucoup n’aiment pas la crème de marrons et je me demande toujours pourquoi ils n’apprécient pas cette ineffable onctuosité, cette sensation infiniment sensuelle procurée par une incomparable consistance, ces saveurs d’automne, ce goût de nature (ardéchoise) brute, adouci par un sucré subtil et un vanillé indispensable…

    J’aime la crème de marrons. À même le pot avec une cuiller, le matin  et le soir, ou bien avec du fromage frais. Mais elle est meilleure toute seule. La crème de marrons est la madeleine de ses aficionados : leur plaisir remonte à l’enfance. Souvent j’ai été tenté de lancer un appel aux gourmands de mon espèce pour créer un club d’amateurs de crème de marrons (qui existe sans doute déjà) et je confesse un plaisir formidable à en déguster en compagnie d’un ou d’une qui l’aime autant que moi. Par goût du partage simultané. Comme pour un grand sauternes. Mais cela est étrangement rare.

    Les bonnes crèmes de marrons ne sont pas légion et celle de Clément Faugier –qui inventa la sienne en 1885 en utilisant astucieusement des bris de marrons glacés mêlés à la farine de châtaignes, du sirop de confisage, du sucre et de la vanille -, excellente, présente l’avantage d’être disponible à peu près partout, en boîtes de plusieurs tailles et même en tube ! Ah le tube de crème de marrons… Je ne connais pas de meilleur dentifrice. En montagne, c’est mon trompe-creux de huit ou neuf heures. 

    J’ai noté un jour dans un carnet, pour définir le poids de l’ennui, que certains dimanches après-midi étaient aussi épais que de la crème de marrons. Mais avec elle, l’ennui désépaissit. Lorsque je prends une copieuse cuillerée de crème de marrons, j’ai l’impression de rouler une pelle à Clément Faugier. Bizarre. L.M.

     

     

     

     

  • L'âme basque

    Scan.jpeg








    Tel est le titre du long papier introductif (qui suit un bel édito), du numéro spécial Pays basque que publie Pyrénées magazine pour l'été 2013, sous la houlette de Marie Grenier (actuellement en kiosque, couverture ci-dessus). J'y signe aussi Les fêtes de Mauléon, un reportage réalisé en juillet dernier. Ca me fait drôle, car j'ai été rédacteur en chef de Pyrénées magazine et je suis un peu à l'origine de Pays basque magazine. Bon, voilà le truc sur cette indéfinissable âme basque : 


    HSbasque2013_identite.pdf

    ----------

    Dans mon pays, on remercie. Ce trait lapidaire de l’immense poète provençal René Char peut s’appliquer à l’âme basque. Ici aussi, on remercie. On reconnaît. On sait reconnaître d’un coup d’œil l’authenticité, on sait distinguer le passager sincère du faisan, on décline l’invitation du bavard, on observe le taiseux, on se toise d’un regard droit comme une pelote bien frappée. La suite appartient au temps. Celui que l’on sait donner sans compter si l’autre se montre digne de. De quoi au juste. Oh, de pas grand-chose de palpable à vrai dire, mais de tellement important, de si capital à la vérité. Un truc, une complicité, un silence éloquent, un partage fort comme un frisson, un truc quoi. Le « ça ». Un je-ne-sais-quoi-de-presque-rien-du-tout, une connivenciaSans ça, tu passes pas, tu restes là, voire tu rebrousses. Tu te casses quoi. C’est ainsi. Ainsi que la mémoire n’est pas trahie par de sournois virus, que le présent n’est pas empégué par de nuisibles invasions, que l’âme peut continuer de se sculpter au fil des jours et des nuits, à la faveur des étoiles et du savoir être de ceux qui remercient. 

    Qu’on ne se méprenne cependant pas : l’excès de méfiance nuit au développement de l’âme, la chose est entendue. Le message est passé. L’esprit n’est plus crispé sur ses traditions réputées intouchables selon une vieille rengaine devenue ringarde. Evoluons, disent les jeunes. On entend, disent les vieux. L’âme épouse l’histoire, bat la mesure de son temps, regarde devant, adossée au tronc de son précieux passé. Le tronc justement. Ce tronc commun qui n’est pas si singulier qu’il en a l’air. Qui force le respect, attire la curiosité. À présent, il convient de définir les contours, de croquer cette âme au fusain à la manière d’un jardinier paysagiste. Car elle est vaste, protéiforme, complexe et d’un bloc, paradoxalement. La nature, tantôt rugueuse, tantôt clémente du Pays a forgé l’âme basque. 

    Demandons-nous s’il est nécessaire de n’être pas Basque pour définir cette essence, à l’instar des historiens subtils de la psychologie sociale des peuples, comme le Britannique Théodore Zeldin qui a su mieux que n’importe quel observateur définir les passions françaises. Mieux vaut être un brin étranger à la cause, ou du moins avoir en soi la distance nécessaire pour pouvoir évaluer un esprit, soupeser cette fameuse âme à défaut de savoir la circonscrire exactement. Toute personne en empathie physique, géographique, sentimentale, ayant des attachements –réputés bien plus forts que d’ordinaires attaches-, avec la terre du Pays basque, peut éprouver des sensations qui touchent à cet impalpable recherché, à ce quasi-indéfinissable. « La voix, c’est ce que l’on a de plus précieux, c’est presque l’âme », me chuchote souvent une amie. Il y a un peu de cela dans l’âme basque. Au-delà du silence essentiel qui en dit long sur l’acceptation de l’un par l’autre, il y a comme une voix, une parole qui chuchote à qui sait écouter, indique le chemin ; montre la voie en somme. 

    Si nous décidons de bâtir notre demeure en terre basque, si celle-ci devient la terre élue comme on le dit d’un peuple, la résidence choisie comme on le dit de l’immigration, un courant certain, fluide et franc surtout, passe. Car c’est sur cette terre à l’âpreté profondément humaine que l’on peut se sentir habiter le monde. Le Pays basque happe. Un mot de Jorge Luis Borgès l’exprime avec une infinie justesse : « J’habitais déjà ici et ensuite j’y suis né ». Grandir, évoluer en terre basque permet d’en ressentir les bonheurs de l’enracinement serein, progressif ; souple. Se frotter aux êtres comme aux éléments permet d’en éprouver leur rigueur et leur exigence. Le Pays basque est une région de confins, ouverte sur le monde avec son balcon atlantique, qui se noie quelque peu dans des cultures cousines du Sud-Ouest et s’adosse aux Pyrénées pour mieux se tenir face aux vents. Ainsi fiance-t-il avec talent paysages et caractères. Le Pays basque s’offre à l’autre en le voyant venir. La vie d’un homme dépend tellement du génie des lieux et du beau hasard des rencontres qu’il convient d’en rater le moins possible. Davantage qu’ailleurs peut-être, le Pays basque sculpte l’autre. Nous y éprouvons avec force le sens de la fidélité et celui du bonheur. Nous y apprenons chaque jour l’amour et l’amitié qui dessinent notre géographie intérieure et délimitent nos frontières affectives. Ce territoire est une aporie heureuse. La chose est rare et par conséquent à préserver. Nous y cherchons ce qui est juste et bien. La tranquillité de l’esprit. Le repos du corps vivifié. La stimulation de la parole, le courage de regarder. 

    Le Pays basque est peuplé de femmes et d’hommes jamais blasés de leur enviable quotidien. Ils s’émerveillent sans forfanterie du pur plaisir d’exister. Cette terre enseigne le dédain du chiqué. Nos frères de joie vivent selon l’humeur des éléments : l’océan, les caprices du climat, la douceur des villages, le vent du Sud qui monte les esprits comme du lait, la montagne qui dit non. Cette façon d’être paysanne –un œil au ciel, l’autre sur la terre et cet instinct de cueilleur –saisir le bonheur, oiseau migrateur, à chaque éclaircie, apparentent l’homme d’ici à un épicurien forcé de limiter ses désirs. C’est pourquoi il est étincelant. Sa manière de vivre est une philosophie de l’instant partagé. Ce n’est pas un sage. Il sait que la parole économise l’action, mais il préfère agir, donner son pays. C’est un passeur. Ici, on s’ouvre à l’autre de manière oblative et sans se mentir à soi-même. L’âme du Pays basque est aussi une morale. Milesker. L.M.

  • boutanches hors-saison


    images.jpegBon. Ca continue. Le temps de chausser les lunettes de soleil pour pouvoir déjeuner en terrasse de choses fraîches (des huîtres et une daurade grillée), que l'orage grondait au loin. Alors, "pop!", nous avons eu juste le temps de déguster à l'apéro un Alsace épatant, le Chasselas 2012 de Paul Blanck avec quelques dés d'un Comté de Marcel Petite affiné 30 mois. Robe or pâle d'un bel effet. Nez charmeur, fort en gueule, exotique, très fruité. Bouche d'une grande fraîcheur et d'une minéralité exacte. Finale épicée (8,50€).

    Puis, re-pop (une fois les huîtres gobées et la daurade servie), nous avons découvert le Blanc de Franc de Couly-Dutheil,
    un sec de Chinon 2012  lightbox_CoulyDutheilBlancDeFrancBlancSec.jpgétonnant. Joli nez de baies sauvages et de fleurs blanches, légèrement épicé en bouche. Ce vin, 
    issu de cabernet-franc (raisin noir à jus blanc) est vinifié comme un blanc. Sa robe est d'ailleurs un chouia rosée. Il provient des premières sorties de presse. C'est un ovni blanc (6,80€).

    images (1).jpegComme il faisait à nouveau gris, froid, qu'il pleuvait jusqu'à plus soif les jours suivants, nous nous sommes risqués sur un grand flacon lourd de Rasteau 2010, ico(o)n pour escorter un gros poulet fermier à la broche qui suinta sur des patates et de l'ail en chemise. Grenache, syrah, mourvèdre composent ce vin d'une concentration et d'une complexité aromatique bluffantes. La Cave de Rasteau en a fait sa cuvée d'élite. ico(o)n est né en 2009 avec le statut de Cru (c'est en 2010 que l'INAO a approuvé le passage des vins rouges secs de Rasteau du statut de Côtes du Rhône Villages à celui de Cru). ico(o)n possède une robe noire et profonde, un nez dense de fruits rouges et noirs bien mûrs avec un accent de garrigue. La bouche est corpulente, puissante même, sans être agressive. C'est précis, compact et néanmoins charmeur. Une réussite (qui vaut quand même 42€).

     

  • Inlassablement

    images.jpeghttp://bit.ly/ La musique sensuelle et lancinante de Georges Delerue, ce générique qui signe l'amour du cinéma, le timbre de la voix de Michel Piccoli (Paul Javal), l'ingénuité légendaire de la diction de Brigitte Bardot (Camille), la mâchoire prédatrice et le regard mongol de Jack Palance, son Alfa Romeo rouge, l'escalier de la villa de Curzio Malaparte, le bleu de la Méditerranée à Capri, le texte désabusé d'Alberto Moravia, Il disprezzoFritz Lang himself, l'Odyssée, les fesses de B.B. bien sûr, les jeux de lumière de la scène culte, la tragique histoire d'un amour qui sombre et puis l'époque, mes parents, mon enfance... Inlassablement Le Mépris de Jean-Luc Godard (: un bien fou). Je t'... t..., t..., t...

     

    Le cinéma, disait André Bazin, substitue à notre regard un monde qui s'accorde à nos désirs. Le Mépris est l'histoire de ce monde. JLG

    Le manuscrit autographe du film, 59 pages écrites de la main de Godard (tous les autres sont des tapuscrits), vient d'être vendu aux enchères pour la somme record de 144.300€ chez Artcurial le 9 juin dernier. C'est un collectionneur français qui en a fait l'acquisition.

  • Erri De Luca

    Numériser.jpgJ'apprends qu'il est presque en tête des ventes en France et qu'il continue de caracoler en Italie. Erri De Luca est devenu un auteur européen phare qui n'en finit plus de raconter les dix-huit premières années de sa vie passées à Naples et à Ischia. Il vit près de Rome depuis et a aujourd'hui la soixantaine sage et rassérénée par de nombreuses randonnées en haute montagne. J'ai lu, ou relu à la faveur de rééditions en 

    images (3).jpegimages (1).jpegimages (2).jpegfolio, pas mal de choses de lui ces derniers temps : En haut à gauche (des nouvelles précieuses sur l'enfance, la liberté, le soleil, les premiers frissons amoureux : tout De Luca est déjà là et c'est paru en 1994), Première heure (le versant mystique de l'auteur, fervent lecteur matinal des Saintes Ecritures -L'auteur publie en outre, au Mercure de France, Les Saintes du scandale : Tamàr, Rahàv, Ruth, Bethsabée, Miriam-Marie, prostituées ou adultères, elles ont transgressé et choqué durablement une chrétienté par trop pudibonde); Le jour avant le bonheur (magnifique roman napolitain qui décrit un jeune orphelin -le double de l'auteur). Et là, j'ai eu par chance à chroniquer son dernier livre au titre si fort : Les poissons ne ferment images (4).jpeg20130504_195517.jpgpas les yeux, pour Télé 7 Jours. La veine de l'enfance n'est pas tarie et rappelle parfois l'écriture d'Elsa Morante (dans l'Île d'Arturo bien sûr et au gré, dans Le monde sauvé par les gamins). L'ancrage à l'île d'Ischia du jeune Erri, incarné par un gamin d'une sensibilité extrême, est là. La sensibilité d'Erri De Luca opère par capillarité, elle est virale et chatoyante à l'intérieur de nous. Le lecteur sort par conséquent de chacun de ses livres comme galvanisé par une douce énergie faite de simplicité solaire, d'épaule salée, de regards profonds, de bonté vraie et de silences amicaux.

    images.jpegJe signale enfin un texte magnifique d'Erri De Luca, sur Les odeurs de Naples, qui paraît dans le n°4 de Long Cours, le "mook" le plus littéraire du moment et le plus subtilement dédié au grand reportage. il y est question de Naples en général et de ses parfums entêtants : les gaz d'échappement, le soufre de Pozzuoli, la bolognaise -une nécessité de produire une odeur, le dimanche; le cirage pour les chaussures et les urines torrentielles des soldats américains de la seconde guerre; le calamar mit à sécher qui servira d'appât pour la pêche, la transpiration de l'auteur mêlée au parfum d'herbe fumée de son amour napolitain enfin, cette fille qui se confondait avec la ville; avec la vie que De Luca aurait pu avoir là-bas...


  • Pourquoi ils vont voir des corridas

    images.jpegLa question méritait (enfin) d'être posée, de s'intéresser à ceux qui peuplent les gradins et non plus seulement à ceux qui jouent leur vie dans l'arène. Ce collectif d'auteurs (textes réunis par Marc Delon, éd. Atlantica) où l'on trouve notamment Francis Marmande, Florence Delay, François Zumbiehl, Guy Lagorce, Jean-Marie Magnan et de nombreux anonymes (instituteurs, kinésithérapeuthes, retraités, collégiens...), exprime les motivations de deux millions de personnes qui vont aux toros en France chaque année. Ce n'est pas rien. J'y ai apporté ma petite pierre, puisque l'éditeur m'a demandé s'il pouvait reprendre un court texte intitulé Invincible, déjà paru dans Philosophie intime du Sud-Ouest (Les Equateurs) et qui évoque ma fille. Le voici :

    Marine.jpg

  • Hier : 670/4799

    Ce sont les statistiques quotidiennes de ce blog : d'une part le nombre de visiteurs uniques pour la seule journée d'hier : 670. Et d'autre part le nombre de pages vues au cours de cette même journée du 10 juin : 4799. Alors je m'interroge : qui êtes-vous? Qu'avez-vous lu? Retenu? L'écririez-vous ici?

  • Lire Lydia Flem...

    ...En cas de besoin
    Voici les notes (composées essentiellement d'extraits) que j'ai publiées ici même les 9 et 11 décembre 2006, le 18 janvier et le 24 mai 2007 et enfin le 1er mars 2009 à propos de deux livres merveilleux de Lydia Flem qui reparaissent en format de poche (Points/Seuil); et d'un troisième aussi.

    C'est donc à la faveur de ces rééditions que je me permets de les rajeunir.

    Orage émotionnel

    images (1).jpeg"A tout âge, on se découvre orphelin de père et de mère. Passée l'enfance, cette double perte ne nous est pas moins épargnée. Si elle ne s'est déjà produite, elle se tient devant nous. Nous la savions inévitable mais, comme notre propre mort, elle paraissait lointaine et, en réalité, inimaginable. Longtemps occultée de notre conscience par le flot de la vie, le refus de savoir, le désir de les croire immortels, pour toujours à nos côtés, la mort de nos parents, même annoncée par la maladie ou la sénilité, surgit toujours à l'improviste, nous laisse cois. Cet événement qu'il nous faut affronter et surmonter deux fois ne se répète pas à l'identique. Le premier parent perdu, demeure le survivant. Le coeur se serre. La douleur est là, aiguë peut-être, inconsolable, mais la disparition du second fait de nous un être sans famille. Le couple des parents s'est retrouvé dans la tombe. Nous en sommes définitivement écartés. Oedipe s'est crevé les yeux, Narcisse pleure".

    Ainsi commence Comment j'ai vidé la maison de mes parents, de Lydia Flem (Points/Seuil), un livre très émouvant et recommandable entre tous. En de telles circonstances ou pas, d'ailleurs. Que philosopher c'est apprendre à mourir…

    Extraits : Cette étrange et envahissante liberté... 

    "D'abord, l'impudeur. L'obligation de bafouer toutes les règles de la discrétion : fouiller dans les papiers personnels, ouvrir les sacs à main, décacheter et lire du courrier qui ne m'était pas adressé. Transgresser les règles élémentaires de la politesse à l'encontre de ceux qui me les avaient enseignées me blessait. L'indiscrétion m'était étrangère..."

    " En disparaissant, nos parents emportent avec eux une part de nous-mêmes. Les premiers chapitres de notre vie sont désormais écrits."

     "En les couchant dans la tombe, c'est aussi notre enfance que nous enterrons."

     "Est-ce bien normal d'éprouver successivement ou simultanément une impression effroyable d'abandon, de vide, de déchirure, et une volonté de vivre plus puissante que la tristesse, la joie sourde et triomphante d'avoir survécu, l'étrange coexistence de la vie et de la mort?"

     "C'est dans la solitude que chacun se retrouve (...) Chacun fait ce qu'il peut pour surmonter l'épreuve, bricole à sa manière, toujours bancale, malheureuse, conflictuelle, et se tait."

     "Même après leur mort, ne cessons-nous jamais de vivre pour eux, à travers eux, en fonction d'eux ou contre eux? Est-ce une dette qui nous poursuit toujours?"

     "Se séparer de nos propres souvenirs, ce n'est pas jeter, c'est s'amputer."

    "Donner est un grand bonheur. Ce que j'offrais, ce n'était pas un objet."

     "L'écriture naissait du deuil et lui offrait un refuge. Un lieu où se mettre à l'abri avant d'affronter de nouvelles vagues malaisées à contenir."

     "Devenir orphelin, même tard dans la vie, exige une nouvelle manière de penser. On parle du travail du deuil, on pourrait dire aussi rite de passage, métamorphose."

    "Les arêtes vives des premières douleurs s'émoussent, hébétude et protestations font place à une lente acceptation de la réalité. Le chagrin se creuse. Avec des moments de vide, d'absence, de tumulte. Plus tard se répand une tristesse empreinte de douceur? Une tendre peine enveloppe l'image de l'absent en soi. Le mort s'est lové en nous. Ce cheminement ne connaît pas de raccourcis. On n'y échappe pas. La mort appartient à la vie, la vie englobe la mort."

    "Mail il est un temps pour le chagrin, et un temps pour la joie."

    © Lydia Flem, Comment j'ai vidé la maison de mes parents, Seuil. 


    images.jpegLydia Flem a poursuivi avec un talent et une émotion égales, son travail -universel- de deuil de ses parents, avec Lettres d'amour en héritage (Points/Seuil). C'est d'une pudeur extrême et d'un amour infiniment grand. Le livre retrace la vie de ses parents disparus, à travers trois cartons de leur correspondance amoureuse, depuis les débuts, que leur fille (l'auteure) découvrit, en vidant la maison, une fois orpheline... La tendresse résume ce livre précieux. Il n'est pas innocent que l'écriture soit devenue, très tôt, le terrain de jeu de l'auteure, puis que celle-ci ait fait profession de psychanalyste. Par bonheur, ces deux livres sont exempts de théorie, mais emplis, au contraire, de sensibilité à vif -mais douce, comme ces napperons brodés que nous avons tous vus dans les mains de notre mère, tandis qu'elle les rangeait avec un soin particulier, alors qu'ils sentaient encore le "chaud" du fer à repasser, sur une étagère d'une armoire, quelque part dans une pièce de la maison familiale...

    Une perle parmi cent : le corps de la mère, c'est la première géographie, le pays d'où l'on vient.

     

    images (2).jpegAutres extraits

    "Largués par nos parents qui disparaissent et par nos enfants qui quittent la maison, c'est le plus souvent au même moment de la vie que nous sommes confrontés à ces séparations : nos parents meurent, nos enfants grandissent. Coincés entre deux générations, ceux à qui nous devons l'existence, ceux à qui nous l'avons donnée, qui sommes-nous désormais? Les repères vacillent, les rôles changent. Comment faire de cette double perte une métamorphose intérieure?

    Longtemps j'ai été la "fille" de mes parents, puis je suis devenue une "maman". Cette double expérience, je l'ai vécue avec ses tensions, ses lassitudes, ses émerveillements. Mais qui suis-je désormais? Quel est mon nom?

    Fille, j'ai fini de l'être. Mais cesse-t-on jamais d'être l'enfant de ses parents? Notre enfance s'inscrit dans nos souvenirs, nos rêves, nos choix, nos silences; elle survit en coulisses. Ne devenons-nous des adultes que lorsqu'il n'y a plus d'ancêtres pour nous précéder, nous protéger? Suis-je encore maman alors que mes enfants ne sont plus des enfants? La langue manque de mots pour désigner toutes les nuances de notre identité.

    Comment me situer aujourd'hui dans ma généalogie? Ne faudrait-il pas un mot particulier pour nommer les parents dont les enfants ont quitté la maison? Suis-je une "maman de loin"? Une maman à qui l'on pense, à qui l'on téléphone pour un conseil, une recette, de l'argent, un encouragement, dont on a parfois la nostalgie, mais une maman avec qui on ne sera plus jamais dans le corps à corps premier." ©Lydia Flem et Le Seuil, pour "Comment je me suis séparée de ma fille et de mon quasi-fils".

    Pour finir, ce mot de Primo Lévi, prélevé sur le blog de l'auteur : http://lyflol.blog.lemonde.fr

    “J’écris ce que je ne pourrais dire à personne.”

  • miaMai

    cfo74_2_6_1.jpg

    Avec un temps pareil, contraint de retarder les salades tomate-mozza dans le jardin que je n'ai pas avec des rosés plongés dans un seau métallique tandis que la plancha s'échauffe -quelle plancha?-, j'ai ouvert (pour trois personnes) et avec bonheur images.jpegl'excellent canard fermier aux olives vertes et son jus de romarin en bocal de 700 g de La Comtesse du Barry (19,95€) et nous l'avons escorté avec des tagliatelle fraîches et un Cahors de Rigal, contes et légendes 2010 (100% malbec, 4,90€ seulement), riche, puissant mais 

    images (1).jpegsouple et même élégant sur ces cuisses soyeuses de canard habillées d'olives. 

    Il s'agit de vins et de plats d'automne mais comme cette saison semble déjà là -Zou! 

    Nous avons récidivé quelques jours plus tard puisque le soleil restait en berne et la pluie au flot fixe, avec le coq au vin de Madiran de la même Comtesse du Barry, en bocal de 700 g itou (19,95€), et ce fut délicieux avec des papardelle fraîches cette fois et un flacon Ortas tradition 2011 de la cave de Rasteau téléchargement.jpeg(Vaucluse) -grenache, syrah, mourvèdre. Aussitôt le Sud souffla, s'assît à côté de nous, donna son jus ensoleillé aux accents de vacqueyras de ce vin (7,70€) aux nez de fruits noirs, d'épices et un rien animal. Le Madiran de la sauce, discret, laissant la vedette aux morceaux généreux et tendres de coq, l'accord se fit. Et ceci n'est pas une contrepèterie.


  • minis

    téléchargement.jpegAu début je trouvais le format mal commode et devoir prendre le livre verticalement m'était trop inhabituel et puis je m'y suis fait bien sûr, au mini format de la collection Point2 et là, j'ai plaisir à me bidonner en relisant Desproges : Les réquisitoires du tribunal des flagrants délires (et à me redire qu'il nous manque, mais qu'il nous manque!..), à rire aussi avec Le dico de l'humour juif, de Victor Malka, à me régaler en téléchargement (1).jpegm'instruisant avec Le petit livre des expressions, de Gilles Henry et Marianne Tillier, pour téléchargement (2).jpegconnaître le sens et l'origine de : en voiture Simone, soupe à la grimace, être beurré comme un p'tit Lu, à la fortune du pot, broyer du noir, mon cul sur la commode... Un livre à rapprocher du classique La puce à l'oreille du regretté Claude Duneton (Livre de Poche) et dont Points publie justement un dico indispensable à mes yeux, le Petit dictionnaire du françaisimages.jpeg familier, où l'on comprend le sens de confiote, pote, fric, baffe, se cailler, Pétaouchnok, torgnole, pignouf, flic, zizi, barca, furax, blairer, etc. Un régal. Toujours en Point2, Sylvie Dumon-Josset donne 1001 secrets de la langue française : orthographe, conjugaison, style, vocabulaire -tout y passe pour nous ôter des épines du pied lorsqu'on écrit... à la main et que l'on doute d'un pluriel malicieux, que l'on ne téléchargement (3).jpegsait plus conjuguer le verbe coudre, qu'on hésite à mettre une cédille là-dessous, à coller un accent ici ou là, qu'un pléonasme surgit à notre insu ou que l'on colle au féminin un mot masculin; entre autres! Avec Point2, je peux aussi écouter Brassens en lisant les paroles de toutes ses chansons, être sérieux et relire Le mondetéléchargement (4).jpeg de Sophie, de Jostein Gaarder, sorte d'histoire des idées philosophiques et de leurs auteurs à travers un roman largement épistolaire et qui a conquis quarante millions de téléchargement (5).jpegtéléchargement (6).jpegtéléchargement (7).jpeglecteurs depuis 1991 (ce livre indispensable et qui a mis le feu à l'intérêt général pour la philosophie à portée de tous -souvenez-vous!, est paru en 1995 en France). Je peux aussi -et quel bonheur c'est!, reprendre tranquillou Roméo et Juliette de Shakespeare ou A l'ombre des jeunes filles en fleur, de Proust, tout en attendant le bus, un ami ou le beau temps (et pour cette dernière attente, choisir Proust est plus prudent)...

    9,90€ chaque Point2 sauf exception, et 12€ le Duneton (Points).

  • Télé7, others

    Trois de mes récentes petites chroniques parues dans Télé 7 Jours.

    images (12).jpegCode 93, par Olivier Norek

    L’auteur, lieutenant de police à la section Enquête et Recherche du SDPJ 93, le Service départemental de police judiciaire de Seine Saint-Denis, sait ce qu’il endure. Du lourd chaque jour. Soit des crimes gratuits, des violences extrêmes, une jeunesse qui se bousille, les drames de la banlieue. Ce premier roman n’est pas du Fred Vargas, mais si ça y ressemble. Un air des scénarios d’Olivier Marchal flotte entre ses pages. Il y a beaucoup d’hémoglobine, des faits dingues comme un mort qui se réveille en pleine autopsie ou un toxico qui périt par autocombustion et surtout Coste, double de l’auteur, flic sensible, mystérieux, attachant, à la fois dur à cuire et cœur d’artichaut. Code 93 se lit comme on regarde Les Experts : avec un plaisir vrai.

    Roman, Michel Lafon, 300 pages, 19€


    images.jpegRemonter la Marne, par Jean-Paul Kauffmann

    L’écrivain décida de remonter à pied les 520 km de la rivière depuis sa confluence avec la Seine aux portes de Paris jusqu’à sa source sur le plateau de Langres, lesté d’un sac à dos de 30 kg contenant notamment  une provision de cigares. Le voyage à pied permet de scruter une région chargée d’histoire, d’observer les paysages avec un regard de géographe et les riverains avec un œil d’ethnologue bienveillant. Il nécessite surtout un talent de prosateur à l’écriture somptueuse. Jean-Paul Kauffmann a le don du mot juste. Ce récit est aussi celui des sens, surtout celui de l’olfaction. « Chemin faisant », la Marne devient un être vivant. Nous croisons des écrivains locaux comme Bossuet et des compagnons de marche : Bachelard, Ponge. Et surtout des citoyens de bords de Marne indociles appelés « conjurateurs ». Un voyage profondément humain et au plus près de la nature, au cœur d’un extrait de France comme on le dit d’un livre. 

    Fayard, 264 pages, 19,50€


    images (13).jpegL’étoile et la vieille, par Michel Rostain

    L’étoile, c’est Odette, célèbre accordéoniste qui marqua la France des années 50. La vieille, c’est encore elle, l’artiste qui refuse d’admettre que les désastres de la vieillesse pourraient l’empêcher d’effectuer sa dernière tournée. Odette, c’est Yvette Horner, une étoile qui ne brille plus. Le livre conte l’histoire forte entre la star et son « metteur » (en scène), double de M.Rostain, au cours des répétitions quotidiennes ; jusqu’à l’annulation du spectacle. « Un artiste meurt toujours une première fois avant de mourir physiquement ». Un roman poignant à partir d’une histoire vraie, par l'auteur du" Fils", Goncourt du premier roman 2011. 

    Roman, Kero, 222 pages, 17€ 

  • essentiels

    images.jpegLe livre majeur paru ces derniers mois est Remonter la Marne, de Jean-Paul Kauffmann (Fayard). J'ai lu deux fois ce livre : en l'achevant, je l'ai aussitôt recommencé afin de rester dans la musique, dans la phrase, dans la subtilité des descriptions, l'analyse aiguë des personnages croisés, le choix du mot juste et parfois rare ou oublié, la remarque qui touche, l'extrême sensibilité de l'auteur et puis bien sûr la démarche générale : une pérégrination à la manière des travel-writers comme Jacques Lacarrière (Kauffmann avait d'ailleurs promis à l'auteur de Chemin faisant d'effectuer images (1).jpegun périple semblable -c'est chose faite), à la recherche de soi-même au détour d'un chemin, dans la fumée d'un havane, à la tombée du soir lorsque la lumière touche à la grâce. Dans la foulée, j'ai lu Dans les forêts de Sibérie, de Sylvain Tesson (folio), que je rapproche du premier. Une longue marche d'un côté, une retraite statique de l'autre, mais un même élan vers la vérité intérieure, la quête des limites, la communion avec le simple, le rugueux, la nature, l'essentiel. L'épure à la fin. Des livres comme ces deux-là sont rares. L'un et l'autre images (2).jpegpossèdent une écriture somptueuse de surcroît. Je les ai rangés côte à côte à présent, pas trop loin de (presque) tous les autres livres de ces deux auteurs précieux. A noter un folio 2€ de Tesson, extrait de Une vie à coucher dehors (folio) et qui s'intitule L'éternel retour -cinq nouvelles coups de poing. Un petit régal.

    L'aventure, pour quoi faire? Telle est la question posée par les onze auteurs d'un manifeste que publie Points Aventure/Seuil et qui ouvre une nouvelle collection de livres en format de poche écrits par des aventuriers tes temps modernes, images (3).jpegdes bourlingueurs nommés Patrice Franceschi (il pilote la collection), Jean-Claude Guillebaud (beau texte intitulé Vers l'autre et vers soi-même), Olivier Frébourg (superbe texte intitulé Fuir seul, vers le seul -le mot est emprunté à Plotin), Sylvain images (4).jpegimages (5).jpegTesson, Tristan Savin (qui pilote le "mook" Long Cours, auteur ici de la nouvelle forte Le lion de Belfort), Gérard Chaliand, Bruno Corty, Jean-Christophe Rufin, Martin Hirsch, Laurent Joffrin et Olivier Archambeau. L'aventure peut elle encore avoir un sens dans un siècle exploré jusqu'à l'os, où la technologie interdit à l'homme de se perdre, où le principe de précaution et la recherche de sécurité sont des diktats ordinaires digérés ?.. L'altérité, la rencontre vraie, l'esprit de liberté demeurent. "L'aventure ou l'antidote au suicide collectif", écrit l'ami images (6).jpegFrébourg, qui pense aussi que "la liberté, ça ne se négocie pas : c'est la part des anges". Parmi les premiers titres de cette collection, outre ce manifeste inédit, citons le très beau livre de Luis Sepùlveda et du photographe Daniel Mordzinski, Dernières nouvelles du Sud -un long voyage en Patagonie, à rapprocher du touchant journal de voyage, Patagonie intérieure, que Lorette Nobécourt publie chez Grasset en plus de son roman sur Hildegarde de Bingen, La clôture des merveilles.

    Oui, j'ai connu des jours de grâce, l'oeuvre de Pierre Veilletet, paraît en un seul volume chez Arléa, avec une touchante introduction de Catherine Guillebaud (il me semble avoir été écouté par l'éditeur... Lire ici à la date du 15 janvier, en bas de l'article : http://bit.ly/13AcnET) et c'est un vrai bonheur teinté de tristesse : relire les sept livres de Veilletet en sachant qu'il n'y en aura plus d'autre est une peine. Le refaire c'est le fêter et c'est avant tout retrouver un plaisir du texte devenu rare lui aussi. Veilletet est définitivement un grand styliste doublé d'un romancier et d'un essayiste d'une sensibilité percutante.

    Aussi incongru que cela puisse paraître, j'enchaîne avec Alcools dont folio publie une édition anniversaire (c'est le centième de sa publication), superbement enrichie de textes d'Apollinaire sur la 

    images (7).jpeggenèse, la création, la composition de l'emblématique recueil avec un flip-book qui montre des photos (datant de 1914) d'Apollinaire et de son ami André Rouveyre en train de rire. Il y a aussi des textes admirables de Paul Léautaud, Blaise Cendrars, Pierre Reverdy, Max Jacob, René Guy Cadou, Maurice Fombeure, Louis Aragon, Allan Ginsberg et, plus près de nous, de Jacques Réda, André Velter, Guy Goffette, et Adonis, qui rendent hommage à la beauté d'Alcools. A noter également la publication d'un folioplus sur le recueil, doté d'un solide dossier analytique signé Sophie-Aude Picon.

    Poétiquement encore, citons la remarquable édition bilingue de Partie de neige du grand Paul Celan (Points/Poésie).

    images (9).jpegSoixante-dix poèmes écrits au cours des deux dernières années de la vie de Celan, 1967-68, fortement teintés d'un érotisme discret.

    Dans la même collection, paraissent les Derniers poèmes de Hölderlin (édition bilingue également, traduction de Jean-Pierre Burgart). Ce sont les fameux poèmes "de la folie" (que nous possédons dans la traduction de Pierre-Jean Jouve, chez Gallimard), écrits entre 1807 et 1843 dans la tour de Tübingen, chez le menuisier Zimmer qui logeait un immense poète devenu complètement fou à son retour, à pied, de Bordeaux... Une voix unique.

    En Poésie/Gallimard, l'édition de Cellulairement, suivi de Mes prisons (petits texte en prose), de Verlaine, images (10).jpegest précieuse car elle comprend le fac-similé du manuscrit original. Et il est toujours touchant de "lire l'écriture" des écrivains que l'on aime. Ici, les pages sont limpides, sans ratures (l'inverse d'un manuscrit tempétueux, foisonnant, d'un Flaubert ou d'un Proust), et pourtant Verlaine écrivit cela en prison, à Bruxelles,

    images (11).jpeg puis à Mons entre 1873 et 1875. La Chanson de Gaspard Hauser et L'Art poétique, entre autres poèmes célèbres, figurent dans ce livre.

  • un livre, une rose

    Capture d’écran 2013-04-27 à 10.20.46.pngJ'ai capturé ces images sur une page facebook recommandable, celle de Improbables Librairies, Improbables Bibliothèques. Je me trouvais chez mon libraire fétiche, de quartier, un arbre à lettres (image africaine, "griote", voyageuse...), ce matin lorsque une auteure Stock, par ailleurs en charge du ministère de la culture, y entra aussi (suivie de quelques paparazzis). J'appris que c'était la journée des droits d'auteur et aussi celle de l'opération un livre, une rose... Charmante Aurélie, fondue dans un jean neuf, qui acheta notamment Les poissons ne ferment pas les yeux, le dernier livre d'Erri De Luca. Ainsi eut-elle "un homme dans la poche".Capture d’écran 2013-04-27 à 10.19.05.pngCapture d’écran 2013-04-27 à 10.26.52.png

  • Les séparés, de Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)

    Les Séparés

    N'écris pas. Je suis triste, et je voudrais m'éteindre.
    Les beaux étés sans toi, c'est la nuit sans flambeau.
    J'ai refermé mes bras qui ne peuvent t'atteindre, 
    Et frapper à mon coeur, c'est frapper au tombeau.
    N'écris pas!

    N'écris pas. N'apprenons qu'à mourir à nous-mêmes.
    Ne demande qu'à Dieu...qu'à toi, si je t'aimais!
    Au fond de ton absence écouter que tu m'aimes,
    C'est entendre le ciel sans y monter jamais.
    N'écris pas!

    N'écris pas. Je te crains ; j'ai peur de ma mémoire ; 
    Elle a gardé ta voix qui m'appelle souvent.
    Ne montre pas l'eau vive à qui ne peut la boire.
    Une chère écriture est un portrait vivant.
    N'écris pas!

    N'écris pas ces doux mots que je n'ose plus lire : 
    Il semble que ta voix les répand sur mon coeur ; 
    Que je les vois brûler à travers ton sourire ; 
    Il semble qu'un baiser les empreint sur mon coeur.
    N'écris pas!

    images.jpegExtrait d'une superbe anthologie que publie Poésie/Gallimard, intitulée Je voudrais tant que tu te souviennes, Poèmes mis en chansons de Rutebeuf à Boris Vian (éd. de Sophie Nauleau). On relit Rimbaud, Villon, Michaux, Queneau, Apollinaire, Eluard, Labé, Cadou... Et en même temps on chantonne Ferré, Brassens, Gréco, Gainsbourg, Jean-Louis Murat, Julien Clerc (écouter ci-dessous), Cora Vaucaire... Le bonheur.

    Mieux, l'intention de ce petit livre est de rendre aux poètes ce que l'on a fini par attribuer à leurs interpètes chanteurs. Ainsi Barbara doit-elle à Brassens, Gréco à Queneau et Ferrat à Aragon. D'abord! Salutaire et beau.

    Il y a des après-midi où l'on se sent ainsi serti dans ce poème sublime de M.D.-V., et résonne alors qu'Au fond de ton absence écouter que tu m'aimes, / C'est entendre le ciel sans y monter jamais. Soit un sentiment étrange, car éloigné du sujet, mais dont l'empathie littéraire nous fait monter les larmes aux yeux, quand bien même nous ne nous sentons pas ou plus touchés au coeur par ces mots, mais plus bellement atteints durablement dans notre peau, par la force du souvenir d'une écorchure vive, par la beauté de la douleur, la sainteté du malheur; la poésie en somme.

     

    http://www.dailymotion.com/video/xdtefg_julien-clerc-les-separes_music#.UXKXESskZQo


    Alliances roses : 

    images (1).jpegimages (2).jpegChâteau de Jau, avec ce poème et cette mise en musique, car ce Côtes du Roussillon rosé (60% syrah, 40% grenache noir) possède une énergie rare par les temps qui courent et qui nous donnent à boire  de ces rosés pétale de rose et un rien évanescents; creux en somme. Celui-ci est frais, vivace comme une plante qui se réveille aux premiers rayons du soleil et sa vinosité est présente autant que ses arômes de fruits rouges croquants (7,95€). Le Jaja de Jau, sa petite soeur -rosée elle aussi, plus simple (4,95€), n'en est pas moins affriolante et agréable : c'est une syrah de la famille Dauré (qui vinifie les deux), elle exprime la Méditerranée avec brio; dans sa simplicité chaleureuse. Pour le bonheur de nos fin d'après-midi d'arrière-printemps (pourri -soit, mais bon). Drappier, images (3).jpegimages (4).jpegchampagne rosé brut nature, 100% pinot noir, est une valeur sûre. Vivacité,  fin cordon, bulle fine, un nez de fruits rouges et ce très léger épicé en bouche en font un champagne printanier idéal. Pour lui-même ou avec une soupe de fraises (33,56€). Perles grises est une jolie surprise qui vient des coteaux du Vendômois. Signé Patrice Colin, cet effervescent 100% pineau d’Aunis à la robe saumonée et à la belle minéralité possède un nez d’agrumes et légèrement herbé du meilleur effet (7,60€). R'osez, côtes du rhône d'Ortas (Cave de Rasteau) innove avec un look résolument r_osez_3_bouteilles_ortas_cave_de_rasteau copie.jpg
    contemporain et qui vise de nouveaux consommateurs, jeunes et sans prise de tête; avec ce serpent qui ondule sur l'étiquette. Le vin est simple et efficace, car sur le fruit, les rouges comme les agrumes. Sa fraîcheur persistante avec ce rien de bonbon anglais et de poivré en font un rosé de soirée séduisant (5,55€). Plus austère est le rosé d'Epineuil, un bourgogne de Moutardtéléchargement.jpeg Diligent, 2010, méticuleusement vendangé nuitamment, vinifié avec méticulosité, car c'est un rosé racé bien que sauvage, persistant et rebelle jusqu'en fin de bouche : on adore, sur un onglet poêlé ou bien avec un pigeonneau acheté au marché d'Evry-le-Châtel, non loin d'Epineuil (8,30€), dans l'Aube encore, et que l'on grille dehors en regardant passer et en écoutant craquer les grues cendrées qui remontent le ciel tout en visant une halte salutaire sur le Lac de Der quasi voisin. Enfin, hommage à images (5).jpegce rosé formidable de Bandol, gourmand et de repas, gastronomique comme on dit ici ou là : le Domaine de la Nartette (2012, 12,80€, Moulin de la Roque, vin biologique), est un ravissement printanier sur une dorade à la plancha, une poignée d'amis choisis et un rayon vif de soleil attendu patiemment. 60% mourvèdre, 25% grenache, 15% cinsault, fruits rouges, ananas, miel, tilleul. Charnu, épicé, à peine poivré : un délice. Ample, très aromatique, puissant sans être envahissant, c'est un rosé de caractère. Voire de respect.

    Dessert :

    http://www.youtube.com/watch?v=GFJnJsPgss8&list=RD025ppiWEdors4

    Kapsberger, Piccinini Chiaconna, par Jan Grüter au luth théorbe.

  • Faire plaisir

    Si tu m'appartenais (faisons ce rêve étrange!),

    Je voudrais avant toi m'éveiller le matin

    Pour m'accouder longtemps près de ton sommeil d'ange,

    Egal et murmurant comme un ruisseau lointain.

     

    J'irais à pas discrets cueillir de l'églantine,

    Et, patient, rempli d'un silence joyeux,

    J'entr'ouvrirais tes mains, qui gardent ta poitrine,

    Pour y glisser mes fleurs en te baisant les yeux.

     

    Et tes yeux étonnés reconnaîtraient la terre

    Dans les choses où Dieu mit le plus de douceur,

    Puis tourneraient vers moi leur naissante lumière,

    Tout pleins de mon offrande et tout pleins de ton coeur.

     

    Oh! Comprends ce qu'il souffre et sens bien comme il aime,

    Celui qui poserait, au lever du soleil, 

    Un bouquet, invisible encor, sur ton sein même,

    Pour placer ton bonheur plus près de ton réveil!

     

    René-François Sully Prudhomme, Les Solitudes - 1869.



    Alliances: 

    images.jpeg- Kapsberger, Toccata arpeggiata :

    http://www.youtube.com/watchv=6bLMwphe284&list=PLIHXLH60E8Lx1QhG_Ozj1QWnyRTNa-z1s

     

    téléchargement.jpeg- Couvent des Visitandines, Pinot noir 2010 (Patriarche, à Beaune, 5,40€). Robe intense, brillante. Nez de fruits rouges frais comme la framboise cueillie et aussitôt croquée. Bouche fine, légère, tanins souples. Un rouge clair et printanier pour prendre par le bras un pigeonneau en crapaudine.

  • siffler

    Je me disais à moi-même, enfant : Comment fais-tu pour te donner du courage? -Je siffle fort et je chante jusqu'à ne plus rien entendre autour lorsque je marche seul dans une forêt, la nuit, pourquoi...

    Hier encore, un arc-en-ciel, un ciel d'étain, des lueurs d'aube de l'humanité vinrent frapper le soir. Je me disais à moi-même, en prenant un verre à une terrasse-querencia : et, vois-tu comme la lumière orangée des soirs nuageux de cet avril mouillé passe sa main sur les choses, les arbres, les immeubles pour les rassurer? -Oh oui et cela m'a rasséréné hier encore, tandis que je marchais parmi.


    Fin d'après-midi, je vais prendre Philippe Jaccottet (Tâches de soleil, ou d'ombre), et reprendre Claude Simon (La route des Flandres, Les Géorgiques) pour la soirée ; c'est essentiel. Cela permettra d'oublier les cahuzaqueries du monde nauséabond qui vaque et autres turpitudes sans intérêt général. Non? (si-si).

     

  • Des arbres et des fleurs

    images (1).jpegLe beau livre des arbres et des fleurs que signe Dominique Pen Du -journaliste et auteur spécialisée (Chêne, 25€) faisait l'objet de deux ouvrages distincts parus l'an dernier. Réunis en un joli beau volume illustré de chromos anciennes : une page de texte sur un arbre ou une fleur et un chromo en face -telle est la maquette, d'une efficace simplicité, de ce dictionnaire compact de 350 pages. L'ouvrage offre plus de 160 entrées sous formes de fiches où l'anecdote est partout, et l'histoire, les termes vernaculaires, les rappels de certaines croyances dont la botanique est truffée sautent à chaque paragraphe. Le livre va d'Abies Pinsapo (le sapin d'Espagne) à Zinnia (une fleur de la famille des Astéracées), en passant par l'ancolie, la digitale, le mancenillier, le phlox, la reine-des-prés, le sycomore et encore la verveine... Une lecture vivifiante.

    images.jpegDans le même esprit, le somptueux Grand dictionnaire de mon petit jardin, d'Anne-France Dautheville (Belin, 28€), paru précédemment chez Minerva, est riche de 400 entrées où l'on passe en revue fleurs, arbres, insectes, oiseaux, maladies, haies, sol et autres serpents ou termes comme la floraison et concepts comme la ruse -car les herbes, mauvaises ou non, savent inventer des tours de passe-passe. Chaque note sur une plante, une fleur, un arbre, un fruit... délivre son bouquet d'informations insolites, d'enseignements historiques, anecdotiques ici aussi ou encore étymologiques. On ressort plus riche de chaque lecture faite au gré. Ce gros livre est de surcroît admirablement illustré de planches en couleurs et il comporte -cerise sur le gâteau-, des petits encadrés systématiques sur la culture (quand et comment planter) et les astuces (pour que ça pousse bien). C'est précieux. Il faut dire que son auteur est une spécialiste très cultivée, une voyageuse qui a sillonné le monde, discuté avec les jardiniers de tous les continents et qu'elle possède une plume alerte.

    images (2).jpegA la cueillette des plantes sauvages utiles. Plantes médicinales, tinctoriales, aromatiques, dépollueuses, fourragères... Ou comment savoir les reconnaître et minimiser le risque si l'on tente une aventure into the wild, ou bien si l'on souhaite par exemple fabriquer une eau de toilette personnalisée, ou vouloir bien identifier, tout simplement, les plantes sauvages entre elles. Tels sont les objets de ce livre très utile signé Nathalie Machon et Danielle Machon (Dunod, 15,90€). Ce guide "nouvelle génération", réalisé en collaboration avec le Muséum national d'Histoire naturelle, est extrêmement fiable et pratique. Il appartient à la collection L'amateur de Nature, qui rassemble des guides de terrain comme celui-ci, richement illustrés (par Delphine Zigoni, en l'occurrence), bourrés d'infos et d'astuces. A glisser dans le sac à dos.

    images (3).jpegPour un nouvel exotisme au jardin, de Jean-Michel Groult (Actes Sud, 22€), fait le point sur la quête de l'exotisme devenue omniprésente dans nos jardins et ce depuis des lustres. L'auteur, à qui nous devons nombre d'ouvrages sur le sujet botanique (notamment, et parmi les plus récents, Une histoire des plantes politiquement incorrectes, évoquée sur ce blog), parle d'invitation au voyage immobile. Groult pense et démontre que cet exotisme va loin : fruit d'un tourment complexe fait de songes et de passions, il n'exprime pas qu'un aimable dépaysement, mais une façon bien occidentale, d'appréhender une relation au monde. Un essai brillant (admirable troisième chapitre, intitulé tropical pour être honnête).