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KallyVasco - Page 9

  • Les Grecs surnommaient l'Italie "Oenotria" : "la terre du vin"

    hs vin l'express.jpgin L'EXPRESS hors-série La grande histoire du vin (en kiosque) : 

    Italie

    ANCIENNE, FERTILE ET GÉNÉREUSE

    par Léon Mazzella

    La Botte a toujours été généreuse en sang de la vigne. Avec près de 60 millions d’hectolitres, l’Italie  assure, en ce début de XXIème siècle, près de 20% de la production mondiale de vins. C’est dire son poids économique. Et si elle produit de nos jours davantage de vins que n’importe quel pays au monde – en concurrence avec la France certaines années -, elle abreuvait déjà de ses volumes l’empire romain. Ce sont les Grecs qui introduisirent la viticulture en Italie au VIIIè siècle av. J.-C. La Grande Grèce englobe alors l’Italie du Sud et la Sicile  et ce sont les Eubéens (de l’île d’Eubée, en mer Egée, en face de l’Attique), qui s’installent  les premiers dans leurs colonies, en Italie  méridionale précisément, avec des cépages antiques comme le byblinos ou l’aminios – ce dernier est, par excellence, celui des crus romains, et il fut planté initialement  en Calabre. Les Eubéens pratiquent la viticulture depuis plus d’un siècle sur leur île. Les colonies italiennes bénéficient aussitôt d’un essor de leur nouvelle économie et, très vite, les îles du Golfe de Naples, notamment Ischia  - toujours célèbre pour ses vins blancs légers et gourmands, issus de cépages (actuels) comme les biancollela, falanghina et autre forastera – ainsi que la ravissante Procida – alors couverte davantage de vignes que de citronniers, comme aujourd’hui -, produisent leurs propres amphores afin d‘expédier leur vin à Carthage, ce dès le VIIè siècle av. J.-C. Les textes fondateurs des poètes latins, comme Virgile et Pline l’ancien,  s’inspirent largement du savoir-faire grec.  « Les Géorgiques », de Virgile, et l’« Histoire naturelle », de Pline, consignent avec force précisions les préceptes de cette nouvelle activité et fournissent ainsi de véritables manuels de viticulture aux agriculteurs italiens de la fin de la République et sous l’Empire. Ces textes seront des références pour le monde viticole européen dans son ensemble, des siècles durant. Leur ton direct et tutoyant rend l’apprentissage et les travaux pratiques de la « conduite de la vigne » (selon l’expression de Pline), on ne peut plus agréables. Exemple, pris chez Virgile, à propos de la plantation des rangées de ceps  : «  Si tu traces l’emplacement du vignoble dans une plaine grasse, plante serré (…), mais si tu choisis le versant d’une côte mamelonnée ou des pentes douces, espaces généreusement tes rangées. » Voici qui correspond parfaitement au vignoble italien, lequel se répand à une vitesse prodigieuse et ne tarde pas à couvrir des zones aujourd’hui emblématiques de la carte viticole du pays, Sicile comprise, jusqu’au Latium –la  région de Rome, ainsi qu’en Etrurie, le territoire des Etrusques, soit l’actuelle Toscane. Les vins étrusques, conservés dans des amphores « italiques », sont abondamment exportés, dès cette époque, dans la plupart des pays du Bassin méditerranéen, y compris en Gaule à partir du VIè siècle av. J.-C. Les légions romaines découvriront un velours côtelé de vignes lors de leurs campagnes militaires au sud de la Botte et en Etrurie, dès le IIIè siècle av. J.-C., d’après Pierre Sillières (*). La plupart des raisins sont destinés à la vinification, dans cette Italie antique qui suit peu à peu les préceptes de Caton, de Columelle (dont le traité « De l’agriculture » , « De re rustica » demeure le plus grand traité d’agronomie que nous ait transmis l’Antiquité),  ou encore de Varron, qui publient des ouvrages dans lesquels nous trouvons déjà – entre autres - les moyens de lutter contre les petits fléaux (insectes, notamment),  y compris contre le gel (en arrosant la vigne afin de la tiédir). Mais contre la grêle, l’invocation des dieux était l’unique recours du viticulteur italien… Certains vignerons pionniers, notamment sur la côte napolitaine, vers Pompéi et au-delà (où les fouilles révélèrent  tant d’indices), passerillaient le raisin, ou bien le consommaient frais, ou encore le conservaient dans des pots, mais l’écrasante majorité du produit de la vigne était dûment fermenté, après avoir été foulé et pressuré. Selon les recherches effectuées par Pierre Sillières, la vinification  (la transformation du moût en vin),  s’effectue alors dans de grandes jarres en céramique appelées dolia, pouvant contenir 10 hl chacune, et rangées semi-enterrées dans les chais. Il est à noter que la distinction entre vins ordinaires et vins fins se fait immédiatement et que les premiers sont destinés à la plèbe et à l’armée tandis que les seconds, que les Italiens entreprennent de laisser vieillir dans des jarres, et puis qui sont « mis en amphores » (bien que le vieillissement s’effectue également en amphore), sont naturellement destinés à des classes sociales plus élevées. Selon un autre chercheur, André Tchernia (**), tous les vins réputés de l’Antiquité provenaient  d’une aire qui allait de Rome à Pompéi, soit du Latium à la Campanie, en particulier sur l’ensemble de la plaine côtière et jusqu’aux contreforts du Vésuve. Les trois vins (secs et doux) les plus recherchés sont le falerne, le vin des monts Albains et le cacube. Les règles élémentaires du commerce du vin – le commerce de proximité comme l’exportation – se mettent en place : les vins simples et nécessitant un transport coûteux sont consommés sur place et les vins « de garde » ou déjà réputés sont repérés, achetés et acheminés par des négociants, dont l’activité sera très prospère au IIIè et au IIè siècles av. J.-C. Celle-ci  reposera sur le transport en bateaux d’énormes quantités d’amphores à destination de la Gaule ou de l’Hispanie, mais celles-ci commenceront elles aussi à cultiver la vigne et à consommer par conséquent ses propres vins (lire par ailleurs). Mieux (ou pire, pour l’Italie), dès le Ier siècle ap. J.-C., souligne André Tchernia, non seulement les clients historiques de la viticulture italienne disparaissent mais ils ne tardent pas à concurrencer les vins de la Botte et à narguer celle-ci en y exportant leur propre production à Rome même ! La capitale de l’Empire devient d’ailleurs,à la faveur de son expansion rapide et colossale, un si grand consommateur de vins indigènes que les vignes de Campanie, du Latium et d’Etrurie, mais également de la région de Ravenne, de la côte adriatique et de la plaine du Pô, car on cultive dès lors la vigne un peu partout dans le pays, ne suffisent parfois pas à étancher la soif  d’un million de Romains, évaluée à environ 1,8 million d’hl annuels. A la fin du Ier siècle ap. J.C., la culture de la vigne s’étend parfois au détriment de celle du blé.  Il est à noter qu’à la faveur des écrits lumineux, voire visionnaires, de Columelle, qui était lui-même vigneron et possédait des vignes dans divers zones propices d’Italie, une classification des crus se fait jour au IIè siècle de notre ère, en fonction de critères qualitatifs : il est déjà question de terroir, de robustesse, de fécondité.  

    Une législation tardive

    Les invasions barbares (Goths, Lombards) réduisirent la viticulture à néant. Il faut attendre les effets bénéfiques de la christianisation  – surtout au Moyen-Age, puis ceux de la Renaissance (XIIIè siècle), pour observer un renouveau de la culture de la vigne, Comme une revanche, elle fut étendue à toutes les régions susceptibles de l’accueillir, qu’elles soient de plaine, de piémont ou côtières. Le XVIè siècle, après la chute des Médicis, qui connaît le règne des Habsbourg, n’est pas non plus favorable au développement de la viticulture. Le phylloxéra et la Seconde Guerre mondiale produisent les effets d’arrêt brutaux que nous savons dans la plupart des pays européens. Longtemps synonymes de vins de quantité et de moindre qualité, les vins italiens ne souffrent plus aujourd’hui de connotations négatives, mais le laxisme législatif  - il a mis près de trente ans après la France à établir des classifications claires -, a retardé d’autant la reconnaissance des grandes appellations et des grands vins italiens, et dieu sait s’ils sont nombreux.  En effet, l’après-guerre ne fut pas favorable au développement qualitatif des vins italiens. « Faire pisser la vigne » afin d’exporter de la « bibine » étaient plutôt les maîtres mots. Ce n’est qu’en 1963 qu’une loi de première importance, portant sur les normes de dénomination s d’origines des vins, jette les bases de l’organisation de la viticulture moderne italienne. Elle donnera naissance à la fameuse loi Goria de 1992, qui établit la nouvelle réglementation des dénominations d’origine. Celle-ci est relativement simple, et elle ressemble aux législations européennes en vigueur un peu partout au sein de la communauté : nous trouvons les DOC (Dénomination d’origine contrôlée), les DOCG (Dénomination d’origine contrôlée garantie), les IGT (Indication géographique typique), les vins de table (vini da tavola) et les VDN (Vins doux naturels). L’Italie compte vingt régions viticoles (comme autant de régions politiques). Du nord au sud et d’ouest en est :Val d’Aoste, Piémont, Ligurie, Lombardie, Trentin-Haut-Adige, Vénétie, Frioul-Vénétie-Julienne, Emilie-Romagne, Toscane, Ombrie, Marches, Latium, Abruzzes, Molise, Campanie, Basilicate, Pouilles, Calabre, Sardaigne et Sicile. Les vins les plus réputés se trouvent au nord de la Botte : Piémont et Toscane. Le Piémont est le royaume du cépage nebbiolo (rouge) qui donne les célèbres Barolo et Barbaresco. La Toscane viticole  rime avec Chianti (Classico ou Ruffino) et évoque aussitôt un cépage principal (rouge), le sangiovese. Cette région viticole bénie des dieux évoque aussi l’une des plus célèbres appellations  (DOCG) en vins rouges italiens, le Brunello di Montalcino . On désigne par ailleurs sous l’appellation non contrôlée de « super-toscans », des vins d’exception comme le célébrissime Sassicaia,  ou les non moins célèbres Solaia, et Tignanello. La classification des vins italiens est plus commode si nous la divisons par genre : il y a les spumante (mousseux), les frizzante (pétillants),  les amabile (demi-sec), les doux (dolce), les abboccato (mi demi-sec, mi demi-doux), les passito  (passerillés), à côté de l’armée des secco (secs : blancs, rosés ou rouges). Outre le Chianti Classico, longtemps présent sur les tables des pizzerias du monde entier, dans un flacon rond et habillé de paille tressée, le Lambrusco (Emilie-Romagne) , est sans doute le vin le plus connu hors des frontières italiennes. Le fameux blanc Orvieto provient d’Ombrie, le Frascati (issu du cépage trebbiano), du Latium. Quant au  Greco di Tufo, il contribue à la réputation des vins blancs de Campanie, connue également pour son Lacryma Christi del Vesuvio (blanc ou rouge). Le Montepulciano d’Abruzzo vient évidemment des Abruzzes. Enfin, les grandes îles (Sardaigne et Sicile) donnent des rouges puissants et charpentés (issus pour la plupart de cépage canonnau), ainsi que des blancs raffinés (issus principalement du cépage vermentino). L.M.

     

     

     

    (*) « La viticulture et le vin dans l’Antiquité », in « Voyage au pays du vin », (ouvrage collectif, Robert Laffont)

    (**)  « Le vin romain antique », de A.Tchernia et J.P.Brun (Glénat).

     

     

    Frénésie 

    L’érudit Suétone (Ier siècle de notre ère), en guise de commentaire à la décision de l’empereur Domitien, prise en 92, de donner un coup d’arrêt à la frénésie de consommation de vins italiens par les Romains, mais aussi par les Gaulois et les Ibères, écrit ceci : « La surabondance du vin et la pénurie du blé étaient l’effet d’un engouement excessif pour la vigne, d’où résultait l’abandon des labours. C’est pourquoi l’empereur interdit , en Italie, toute plantation nouvelle et ordonna, dans les provinces, d’arracher au moins la moitié des vignobles. » 

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    Cité par Roger Dion dans sa fameuse histoire de la vigne et du vin en France, et repris par Jean-Robert Pitte, in « Le désir du vin à la conquête du monde » (Fayard). 

     

  • La vie dans les tranchées

    in L'EXPRESS, hors-série La Grande Guerre (en kiosque):

    mook GG.jpgL’HORREUR AU QUOTIDIEN

    Par Léon Mazzella

     

    D’abord il y a la mort. Omniprésente, pestilentielle, celle du copain déchiqueté sous les yeux du soldat, celle de l’ennemi, celle qui rôde, celle qui frappe sans prévenir, et que nul ne voit venir.  Et puis il y a les « totos », ces poux qui grouillent et ne font pas davantage relâche que les puces, et de gros rats qui empêchent de dormir, dévorent tout, y compris les pieds et les nez des vivants. Il y a surtout la peur –cette indécollable peur au ventre, majuscule, chevillée, clouée, profonde et permanente. Qui a dit que les Poilus se faisaient parfois sous eux en jaillissant des tranchées quand il fallait y aller ? Pas les visuels rassurants des cartes postales, outil accessoire de propagande, qui montrent des soldats posant, souriants, sereins, lorsque la plupart crevaient de frousse et de maladie, agonisaient dans un trou, les jambes broyées et le cœur aussi, le corps gelé ou à demi noyé dans une boue aussi épaisse que de la crème de marrons. Même les livres emblématiques comme l’émouvant « Ceux de 14 » de Maurice Genevoix (1) disent l’horreur illimitée au quotidien, n’évoquent qu’avec tact et émotion contenue le sang, les tripes, les cris, les appels au secours, l’appel ultime à maman avant de basculer dans le néant. Lire « Sous Verdun », « La boue », « Les Eparges » (lire l’extrait ci-dessous), de Genevoix conjugue le plaisir du texte (il s’agit d’un grand moment de littérature) , et la sensation d’assister, in vivo, au quotidien du Poilu auquel Genevoix nous invite sans ambages ni précautions d’usage : son témoignage est aussi poignant que cru, aussi fort que vrai. La mort est une compagne. Un coup de pelle pour creuser une nouvelle tranchée fait tomber sur un corps en putréfaction. L’odeur de la mort est toujours là et celle des cigarettes ne parvient pas à en masquer l’indélébile trace. La mort se respire, la mort est en soi puisqu’elle attend le soldat à chaque instant. L’insoutenable légèreté de la survivance prend le poids d’un supplice, pour les Poilus que la mort côtoie de si près

    La chasse aux rats

    L’horreur, c’est aussi la chasse aux rats, parce que les rats, gras car repus de chair humaine, ont pris de l’assurance, de l’arrogance, de la présence ;  de l’omniprésence. Les rats pullulent et envahissent la vie du Poilu. Au point que le haut commandement  promet une prime de cinq sous à chaque prise. Ernst Jünger, dans « Orages d’acier » (2) autre journal de guerre emblématique –côté Allemand, cette fois-, a su décrire avec une pointe d’humour désabusé ce passe-temps : tirer les rats, les enflammer, les piéger, jouer avec la vermine. « La chasse aux rats  offre une distraction fort goûtée dans le vide des gardes. On dépose un petit bout de pain en guise d’appât et on pointe le fusil sur lui, ou bien on répand dans les trous de la poudre prise aux obus non éclatés et on y met le feu. Ils en bondissent alors en couinant, le poil roussi. Ce sont des créatures répugnantes, et je ne puis m’empêcher de penser toujours à leur activité secrète de charognards, dans les caves de la bourgade… » Erich Maria Remarque, l’auteur de « A l’Ouest, rien de nouveau », roman pacifiste exemplaire sur la Grande Guerre, évoque les « rats de cadavre ».  C’est dire. Et par-dessus le marché,  « l’été, ce sont des essaims monstrueux de mouches qui viennent pondre dans les corps des soldats en décomposition », note Jean-Yves Le Naour (3). Aussi, le quotidien du soldat dans cette fichue guerre de position, est-il loin d’être idyllique et de ressembler aux images de propagande diffusées à grande échelle et destinées à rassurer le front arrière. Lequel n’était pas dupe, lorsqu’il recevait des nouvelles du front.

    images (1).jpegtéléchargement.jpegimages (5).jpeg(1)Flammarion, 960 pages, 2013. Disponible également en Points/Roman et aux éd. Omnibus.

    (2)« Orages d’acier », par Ernst Jünger (Le Livre de Poche, 1989).

    (3)« La Grande Guerre à travers la carte postale ancienne » (HC éd. 2013).

     

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    Bonnes feuilles :

    LES EPARGES

    images.jpeg« Cela se passait aux Eparges, pendant une des attaques meurtrières du printemps 1915. On se souvient peut-être que sur cette butte des Hauts-de-Meuse, la bataille se prolongea deux mois. Une bataille sauvage, une suite presque ininterrompue d’attaques et de contre-attaques pour la conquête d’une colline de boue, dans des tranchées gluantes bouleversées par des milliers d’obus. Les havresacs, les armes, les cadavres s’enfonçaient lentement dans la glaise, des blessés perdus s’y noyaient. Chaque trou d’obus, les énormes entonnoirs creusés par l’explosion des mines devenaient autant de mares glacées, d’un jaune aigre et verdâtre empoisonné par l’hypérite (*). Et il flottait sur ce charnier une odeur fade et corrosive ensemble qui entrait loin dans la poitrine, semblait happer aux bronches comme la boue aux mains nues, aux genoux et aux reins. 

    Chaque fois qu’un régiment montait, c’étaient mille hommes qui tombaient, plusieurs centaines de tués, des blessés affreusement déchiquetés par des obus de rupture énormes, quelques fous. Les survivants descendaient au repos, dans des villages déserts et bombardés où ils ne cessaient point d’entendre, jour et nuit, le grondement de l’interminable bataille. Des renforts arrivaient, comblant les vides des compagnies. Et ils remontaient aux Eparges.
    Ils remontaient par les mêmes cheminements, les mêmes boyaux ruisselants ou gelés, vers les mêmes tranchées bouleversées, éternellement refaites et nivelées, où d’une relève à l’autre ils retrouvaient les mêmes cadavres, raidis encore dans l’attitude où la mort les avait saisis : celui-ci avec le même éclat brillant fiché dans son crâne nu comme un coin de bûcheron, cet autre avec sa main crispée par-dessus son épaule, dans la même moufle de laine bleue. Tous connus, tous reconnaissables,  compagnons et frères d’hier qu’ils ne pouvaient s’empêcher de nommer, ceux qui s’étaient effondrés sans une plainte, ceux dont ils avaient écouté, dans la nuit, gémir la longue agonie. » 

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    Maurice Genevoix, « La Ferveur du souvenir » (pp.79-80, éd. établie par Laurence Campa, ©La Table ronde, 2013)

     

    images (4).jpeg(*) Gaz moutarde : « On nomme ypérite le plus atroce des gaz de combat de la Grande Guerre », écrit l’historien André Loez, dans « Les 100 mots de la Grande Guerre » (PUF / Que sais-je ?), « du nom de la ville belge d’Ypres où il fut utilisé pour la première fois par l’Allemagne en juillet 1917. Egalement nommé gaz moutarde en raison de son odeur, il brûle la peau et les muqueuses, rendant inopérantes la protection des masques. »

    Nota : l'anachronisme figurant dans le texte de Genevoix - il évoque des faits qui se déroulent en 1915 - s'explique par la date de la rédaction de ses livres sur la Grande Guerre, largement postérieure à celle-ci. D'autres gaz  -aveuglants -  que le gaz moutarde, furent utilisés en 1915.

     

     

     

  • Origines du vin et vin des origines

    hs vin l'express.jpgPapier introductif que j'ai écrit pour le hors-série (couv. ci-contre), en kiosque depuis cette semaine :

    C’est communément vers l’Anatolie que l’on situe les premières tentatives de domestication de la vigne, liane sauvage, environ 7 000 ans avant notre ère. Mais les premiers vins les « paléovins » sont sans doute antérieurs à la culture de la vigne. Nos ancêtres du Néolithique se régalaient de boissons fermentées de céréale (bière), de miel (hydromel) ou de fruits (sureau et raisin sauvage, notamment). Des résidus d’acide tartrique, un des principaux composants du vin, ont ainsi été retrouvés sur les parois internes de poteries mises au jour sur le site de d’Hajji Firuz Tepe, en Iran. Leur datation nous ramène vers -7 500. De même, des traces de pépins de raisin fermentés, trouvées dans un village du sud-est de la Turquie, remontent au vie millénaire av. J.-C.. Favorisée, comme l’élevage, par la sédentarisation des peuplades, la viticulture se développe de la Turquie et de l’Iran vers la Mésopotamie, avant de rejoindre le Proche-Orient (-4 000), l’Egypte (-3 000), puis la Grèce et la Crète (-2 000). Elle apparaît par ailleurs en Inde, vers –500, mais rien ne permet d’y certifier la production de vin. 

    Sur les rivages de la Méditerranée, en revanche, pas de doute : l’archéobotanique nous renseigne avec précision de la fabrication d’une boisson à base de raisins fermentés. Les indices ne manquent pas, comme la forte concentration de pépins, notamment du côté de l’étang de Berre, sur l’île de Martigues, dans les Bouches-du-Rhône, et à Lattes (Hérault). 

    Tout porte à croire que ce sont les Grecs les Phocéens précisément qui auraient peu à peu converti nos ancêtres à apprécier le sang de la vigne. Ces premiers vins des Grecs installés à Massalia (Marseille) remontent à 600 av. J.-C. Le vignoble est planté en quantité autour de la cité, ainsi qu’à Agde, autre colonie. Le commerce va bon train et une amphore spéciale, la « massaliète » est même créée. 

    La culture de la vigne s’est ainsi rapidement répandue à travers toutes les civilisations qui bordent Mare Nostrum. Et comme partout dans le monde antique, y compris jusqu’en Chine, elle y joue presque toujours, un rôle religieux, voire mystique. 

    DU DIVIN AU PAÏEN

    Si le vin existe depuis environ 9 000 ans, la vigne, Euvitis, qui compte une cinquantaine de variétés, dont Vitis vinifera, celle qui nous intéresse, existe depuis des millions d’années. L’homme préhistorique commence d’abord à consommer les raisins. Puis, il découvre la fermentation du raisin, les bienfaits de cette nouvelle boisson énergisante, ainsi que les vertiges de l’ivresse. Cela nous conduit à la Bible. Vigne et vin y sont signes de richesse et de bénédiction divine d’une part, et l’ivresse est à l’origine de la Faute, d’autre part.

    Dans la Genèse, Noé, lorsque le Seigneur (YHWH) l’avertit qu’il s’apprête à détruire les humains au moyen du Déluge parce qu’ils se sont tous pervertis sauf lui, le brave Noé il lui ordonne de construire l’Arche pour sauver sa famille et les espèces animales. Noé a l’idée de préserver aussi des végétaux divers, comme la vigne, dont il emporte quelques ceps. Après quarante jours de déluge, la pluie cesse, les eaux ont recouvert la terre et l’Arche de Noé dérive aux confins de la Turquie et de l’Arménie, précisément où l’on a trouvé les plus anciens témoignages de vinification et où la vigne continue de donner du vin soit sur le mont Ararat…

    Une légende similaire se retrouve dans l’Epopée du roi Gilgamesh, qui aurait lui aussi apporté le vin à l’Humanité. Selon un texte assyrien du viie siècle av. J.-C., le mythe babylonien d’Atrahasis évoque l’hypothèse mésopotamienne (Irak) de la « grande inondation », dans la onzième tablette de l’Epopée, pour être précis, laquelle s’inspire de l’épisode du Déluge dans la Bible : il suffit de changer Noé par Uta-Napishtim et le mont Ararat par le mont Nitsir pour savourer la même allégorie.

    Revenons à Noé : c’est à partir de ses trois fils : Sem, Cham et Japhet, que la terre fut peuplée. Cham, vit un jour son père Noé, nu et ivre du vin de sa vigne. « Noé le cultivateur commença à planter la vigne » (Genèse). Noé est ainsi à la fois le premier agriculteur et le premier vigneron, et il est aussi le premier à saisir, certes à son corps défendant, le pouvoir (à la fois grisant et dévastateur) du jus de raisin fermenté. La tradition yahviste fait ainsi de la vigne le fruit de la nouvelle alliance entre Dieu et les hommes, à l’instar de l’arc-en-ciel. La vigne et les effets (bénéfiques ou néfastes) qu’elle procure symbolisent l’ordre cosmique et la fécondité naturelle. 

    La mythologie perse nous propose une autre version de l’origine du sang de la vigne. Daté au alentour de –1 400, l’Avesta, texte sacré du zoroastrisme, fait mention de la découverte, fortuite, du vin par une femme. Au palais du légendaire shah Jamshid, une des épouses du harem, se sentant délaissée par le souverain, souhaitait en finir avec la vie. Aussi, choisit-elle de se noyer dans une jarre, où l’on conservait des raisins, remplie d’un liquide réputé toxique. Or, non seulement elle ne pérît pas, mais elle connaît l’ivresse et la gaîté que celle-ci procure. Ce qui lui permit de recouvrer les faveurs de Jamshid.

    Les textes sumériens anciens, au iie millénaire av J.-C., s’intéressent aussi au vin, à qui, les premiers, ils confèrent une dimension divine. L’Epopée de Gilgamesh,  précitée, fait le récit épique de la vie du roi de la cité d’Uruk (Mésopotamie). Celui-ci, désemparé par la mort de son compagnon d’armes s’en va consulter Uta-Napishtim, sauvé du Déluge par les dieux qui lui offrirent l’immortalité. Une version sumérienne - et antérieure - au Noé de la Bible. Mais à la différence du patriarche des Hébreux, l’ancien roi de Sumer ne fait pas de vin. Il se contente de boire celui tiré d’une vigne enchantée, qui donne la vie éternelle. Mais Gilgamesh ne pourra en profiter. Siduri, déesse babylonienne du vin lui rappelle que l’immortalité doit demeurer le privilège des dieux. Preuve que le vin est bien une boisson divine avant d'être celle des hommes.

    Plus près de nous, le Cantique des cantiques offre au vin une place de choix, qu’il partage avec l’amour et l’érotisme. « Vos mamelles sont meilleures que le vin…. », « Ce qui sort de votre gorge est comme un vin excellent, digne d’être bu par mon bien-aimé et longtemps goûté entre ses lèvres et ses dents… », peut-on lire dans ce livre de la Bible, il est vrai connu pour sa poésie et sa sensualité. Par extension, l’exégèse perçoit dans la vigne, à travers ce texte sacré, la Sagesse divine et même le Sang de l’Eucharistie. 

    C’est en effet par le miracle de Cana (Galilée) que Jésus choisit de révéler sa divinité. En changeant l’eau de six jarres de pierre contenant 100 litres chacune, en excellent vin – tant qu’à faire ! – car il n’y en avait plus aux noces auxquelles il était convié, il est porteur d’un message d’amour de Dieu le père envers les hommes. Ce miracle s’inscrit par ailleurs dans la perspective de la Rédemption et il montre un Jésus aimant partager le vin. Les Evangiles (Luc et Paul notamment) ne cessent cependant de mettre en garde contre les dangers de l’ivresse. 

    Reste bien sûr la portée incommensurable du sang du Christ comme métaphore du vin et le message subliminal qu’elle contient pour réaliser combien cela a contribué à l’essor de la viticulture dans le monde chrétien : « Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour. Car ma chair est vraiment une nourriture et mon sang une boisson. Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. » Depuis lors, tous les jours, à chaque office, les prêtres boivent une coupe de vin pour célébrer l’Eucharistie.

    Dans la tradition juive, le vin est également omniprésent et recouvre les mêmes vertus positives, comme négatives, que dans la tradition chrétienne. « Il est le plus fidèle compagnon du monothéisme juif », écrit Jean-Robert Pitte (1). Avant de s’établir au pays de Canaan, dans la vallée du Jourdain, les Juifs avaient découvert les vertus du vin en Syrie, en Egypte, à Ur, à Babylone... Il y a une forte valeur symbolique dans le vin du shabbat, dans le vin à Rosh Hashana, à Pessah, à Pourim, comme à chaque fête, mariage et circoncision notamment. 

    Le paradoxe est que la consommation de tout alcool soit interdite par l’islam et que le vin coule à flot dans Les Mille et une nuit, dans les Robayat d’Omar Khayyâm, en Inde, en Perse et en Mésopotamie. Le Moyen-Orient a enfanté à lui seul une magnifique poésie bachique aux premiers siècles de la religion du Prophète, à la fois érotique et mystique. Et si de nombreuses sourates du Coran interdisent la consommation de vin sur la terre, elles en promettent en abondance aux élus dans l’au-delà. D’aucuns, parmi les historiens de l’islam autorisés, comme Malek Chebel (2), s’accordent malgré tout à reconnaître que, si « le vin continue à subir aujourd’hui les avanies d’une morale collective organisée et conduite par les valeurs religieuses, l’interdit de consommation demeure aussi vivace que l’est la transgression. » En réalité, chacun s’arrange à sa façon avec le ciel, et ainsi les vignerons peuvent continuer de travailler…

    DIONYSOS ET BACCHUS

    En Grèce, c’est à Oreste, fils d’Agamemnon et de Clytemnestre, que l’on doit la plantation de la première vigne (Amphictyon), et c’est à Dionysos (fils de Zeus et de la mortelle Sémélé), que revient l’art d’enseigner la viticulture. Le dieu hellène du vin (et de tous les sucs vitaux : sève, sperme, lait, sang) incarne avant tout la vigne et ses excès, soit à la fois la force végétale, la vivacité, la croissance, l’exubérance, la convivialité et aussi la violence, voire la transe que l’ivresse provoque parfois. Dans les récits d’Homère, les héros et les démiurges boivent une boisson appelée kykeon, mélange de vin, d’orge et de miel. Le vin qu’Ulysse emporte avec lui est mis sur le même plan que les sept talents d’or et le cratère géant. Il est question de vin noir (pur) ou rouge (coupé d’eau) dans L’Iliade et L’Odyssée.

    Dionysos est un dieu errant, vagabond et déconcertant, qui surgit, comme Apollon, par épiphanies (apparitions soudaines et imprévisibles). Il symbolise la fermentation, le cycle végétal, la régénération et – ici aussi – l’immortalité que le vin peut aider à atteindre. Ses pouvoirs magiques sont séduisants, et chantés par les poètes comme Oppée (iie siècle de notre ère) : « D’une baguette de roseau qu’il coupait, il perçait les roches les plus dures, et de ces blessures le dieu faisait jaillir un vin délicieux. » Dans les récits mythologiques, Dionysos est accompagné de ses ménades, ces femmes qui célèbrent son culte en chantant et en dansant en état d’ivresse. Jean-Robert Pitte rapporte que, selon le poète Nonnos, « Ampélos, jeune satyre éclatant de beauté dont Dionysos est l’amant », trouve la mort, chargé par un taureau envoyé par Até, déesse de la mort. Dionysos lui dresse une sépulture et verse de l’ambroisie (boisson exclusive des dieux, à l’exception de Dionysos, qui n’en boit pas), sur les plaies du défunt. Zeus accorde alors une seconde vie à Ampélos en le changeant en vigne. « Dionysos la vendange et tire de ses fruits, qui ont le parfum de l’ambroisie, le premier vin dans lequel il s’abîme dans le souvenir d’Ampélos et qui sublime sa douleur en joie profonde. Il se confond alors avec le breuvage divin. » Ampélos a donné ampélographie, l’étude des cépages.

    Dans la mythologie romaine, Bacchus est le pendant exact de Dionysos. Les ménades de l’un deviennent les Bacchantes de l’autre. Priape est l’ami de Bacchus, dieu de l’ivresse, du vin, des excès en tout genres, notamment sexuels et ses fêtes sont les fameuses bacchanales. Les femmes n’ont pourtant pas le droit de boire du vin, à Rome à l’époque de la République, car « il (leur) ferme le cœur à toutes ses vertus et l'ouvre à tous les vices », commente la lex romana.

    Avec la christianisation de la Gaule, le culte de Dionysos-Bacchus va brusquement chuter. Ce culte avait été bien accueilli dans la culture gallo-romaine, au point que certains princes celtes se faisaient ensevelir avec force amphores pleines de vins, comme les pharaons, afin de faciliter leur passage dans l’au-delà. L’usage des amphores en guise d’urnes funéraires n’est pas rare non plus, qui signifie clairement la croyance dans le vin comme gage d’immortalité. Mais cet accueil païen, du dieu de l’ivresse et de la transgression fut inégal. Franchement accueilli en Italie et en Afrique du Nord, il le fut plus timidement et plus tardivement dans la Gaule romaine, où seul le dieu de la vigne et des vendanges fut hardiment célébré, comme le souligne Gilbert Carrier (3). « Puisque le vin est le sang du Christ et la matière première de la transsubstantiation, selon les paroles fondatrices de la Cène, sa consommation rituelle ouvre la voie de la vie éternelle. (…) Le vin est à la vigne ce que le sang est au corps et la cuve-sarcophage symbolise l’acte de séparation et de passage, en assurant au défunt un bain d’immortalité », écrit l’historien. Mais très vite, un peu comme la sévère République romaine à l’égard des cultes dionysiaques importés en Italie, au iie siècle avant notre ère, l’Eglise chrétienne constituée s’efforce d’éliminer les éléments païens qu’elle avait dû intégrer à l’origine. » Les évêques durcissent alors le ton à l’égard de l’ivrognerie, symbole de décadence, de dégradation et vouent aux gémonies tous ceux qui s’y adonnent. C’en est terminé de l’ivresse et des fêtes païennes. Bacchus a du plomb dans l’aile. L’esprit des lois, comme celle de M. Evin, pointe déjà son nez. L.M.

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    QUAND LA CHINE VINIFIERA… 

    Des sources écrites datant de la dynastie chinoise Han, vers 126 av. J.-C., démontrent que Vitis vinifera était cultivée en grandes quantités le long de la Route de la soie, du côté de Samarkand et de Tachkent, en Ouzbékistan, et jusqu’aux confins de la Chine, dès le ive siècle avant notre ère. Cependant, la viticulture de l’Extrême-Orient en général, et chinoise en particulier, aurait été importée du Proche-Orient un peu avant notre ère, et pas dans l’Antiquité. C’est en tout cas la prudence à laquelle nous invite Jean-Robert Pitte (1). D’autres chercheurs, comme Patrick E. McGovern, sont en revanche persuadés qu’il existait une viticulture chinoise 7 000 ans av. J.-C., vers Jiahu, dans la province du Henan. Les Chinois buvaient alors un vin néolithique… mâtiné de bière et d’hydromel. C’est à la faveur de croyances conjuguées mêlant alimentation, médecine et religion, que le vin revêt, dès son apparition dans l’Empire Céleste, des vertus médicinales qui contribuent à son timide succès. Pitte oppose d’ailleurs une autre raison religieuse au faible et tardif développement de la viticulture chinoise : la plante alimentaire sacrée est le riz et la boisson fermentée qu’on en tire est le chemin du divin. Dès le départ, il n’y aurait donc pas eu de place pour le jus de raisin fermenté. Ce n’est que beaucoup plus tard, vers 600, au temps des empereurs Tang, que la viticulture devient une activité sérieuse, même si la consommation de vin, appelé « putaojiu », demeure encore confidentielle. La viticulture chinoise s’est depuis lors bien réveillée : elle s’est hissée au 6è rang de la production mondiale, et l’Empire du Milieu produit aujourd’hui 15 million d’hectolitres de vin. L.M.

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    EGYPTE

    Les Egyptiens cultivaient la vigne en pergolas, dans de grands jardins et souvent en complantation avec des figuiers. Le vin, « jrp », était blanc, rosé ou rouge. Le « paour » était sec, acide, amer même. 

     

    Toutankhamon, le fils du soleil, cultivait la vigne, les « vergers à vin » dans le Fayoum et dans le delta du Nil, au xive siècle av. J.-C. Réservé au souverain et à sa cour, le vin était consommé à leur table et servait également au culte des divinités. Ce sont des blancs doux, pour la plupart, comme le « shedeh » ou le « taniotique », à l’instar de ceux qui se trouvaient dans des amphores, dans le tombeau du fils du soleil et sur lesquelles on a pu lire la provenance exacte des nectars destinés à étancher la soif pharaonique dans l’au-delà, y compris leur âge : de 4 à 9 ans. Les autres vins produits en Egypte se nomment le « ndm », doux et recherché, le « nefer », très concentré. L.M.

    (1) Le Désir du vin à la conquête du monde (Fayard).

    (2) Anthologie du vin et de l’ivresse dans l’Islam (Seuil).

    (3) Histoire sociale et culturelle du vin (Larousse).

     

     

  • L’honneur des femmes en 1914

    mook GG.jpgPapiers parus dans le mook (le gros hors-série de L'EXPRESS consacré à la GRANDE GUERRE (actuellement en kiosque) :

    L'HONNEUR DES FEMMES

    « Si les femmes qui travaillent dans les usines de guerre s’arrêtaient  quinze minutes, la France perdrait la guerre ». Venant de Joffre –encore que l’authenticité des termes de cette phrase tonitruante et galvanisante ne soit pas totalement avérée, une telle déclaration souligne le dévouement, sous-payé, harassant, voire dangereux des « munitionnettes », ces 400 000 femmes venues en renfort des vieux, des éclopés, des réformés et autres trop jeunes ouvriers, qui voient d’ailleurs d’un mauvais œil ces femmes qui s’émancipent, coupent leurs cheveux –la coupe à la garçonne fait son apparition-, portent salopette ou pantalon (ce qui est pourtant interdit par la loi), se retroussent les manches… Mais menacent de faire aligner leurs bas salaires de « bonnes femmes » sur les leurs (une ouvrière perçoit en moyenne 0,15 F de l’heure, soit la moitié du salaire minimal). Broutilles, en regard de l’effort de guerre auquel les femmes contribueront de façon considérable : elles fabriqueront quelques 300 millions d’obus et 6 milliards de cartouches. 

    Aux champs et à l’usine

    Et elles ne travaillent pas que dans l’industrie : les hommes sont au front et, dès l'été 14, il faut bien moissonner. Les bœufs, les chevaux ont été réquisitionnés pour nourrir et transporter l'infanterie. Les femmes moissonnent seules et vont par la suite labourer en remplaçant les bêtes de somme et de trait avec leurs petits bras. Les métiers traditionnellement masculins se féminisent nécessairement : ainsi apparaissent des femmes garde-champêtre, des femmes cochers, des institutrices  dans les classes de garçons, des femmes postières –et dieu sait si l’acheminement de milliards de lettres durant toute la durée de la guerre est une activité capitale, car elle symbolise le cordon ombilical qui relie le front avant et le front arrière. On voit aussi des femmes entrer dans les écoles de commerce, des femmes maréchal-ferrant ou encore conductrices de trains et de tramways. 

    À la faveur de la guerre, la femme française s’émancipe donc, et elle assure. De toute façon, elle n’a pas le choix : elle doit être à la fois à la maison, à élever les enfants, et au travail, aux champs ou à l’usine d’armement. Elles sont plus de trois millions à être femmes d’agriculteurs, souvent seules adultes valides sur l’exploitation familiale. Et puis la femme écrit, car elle attend et espère. Les nouvelles du front disent au moins que l’homme est vivant, mais parfois c’est un télégramme qui annonce sèchement le décès du fiancé, du mari ou celui du fils. Les lettres d’amour sont légion, mais les divorces le seront aussi après le conflit (30 000 en 1920 lorsqu’ils étaient de quelques milliers avant la guerre), car la femme a conquis une certaine forme de liberté individuelle, une fierté certaine, une autonomie réelle. « J’ai quitté un agneau et j’ai retrouvé une lionne », écrit un Poilu de retour du front. La femme de 14-18, c’est aussi l’absence de femme pour le soldat –et l’absence d’homme pour la femme ! L’adultère sur le front arrière est sévèrement puni, car démoraliser le soldat de la sorte est un acte peu citoyen. Cependant, la plupart des femmes vivent douloureusement leur esseulement et sont davantage Pénélopes que volages.

    Une émancipation qui tourne court

    La femme de la Grande Guerre, c’est encore l’infirmière, la « dame blanche ». Qu’elles appartiennent à l’Union des femmes de France, à l’Association des dames françaises, à la Croix-Rouge ou encore à la Société de secours aux blessés militaires, elles sont plus de 71 000 infirmières françaises à soigner, panser, voire amputer d’innombrables blessés. Plusieurs centaines périssent sous les obus ou à cause de maladies contagieuses. Près de 400 seront néanmoins décorées de la Légion d’honneur. 

    Les femmes de l’arrière, ce sont bien sûr les nombreuses péripatéticiennes  qui, comme dans tout conflit, servent dans les bordels improvisés à proximité du front, et où des milliers de Poilus défilent. Une flambée de maladies vénériennes (250 000 soldats atteints dès 1916), inquiéta fort le haut commandement militaire, le GQG (Grand quartier général, dirigé successivement par Joffre d’août 14 à décembre 16, par Nivelle de décembre 16 à mai 17 et par Pétain de mai 17 jusqu’à l’armistice).

    La France ne sera cependant pas charitable avec cette femme guerrière sur le front arrière protéiforme où elle aura donné sans compter ; loin s’en faut. Tandis que l’Anglaise obtiendra le droit de vote, le Sénat la lui refusera en 1922 et alors que la jurisprudence sur l’avortement  s’était assouplie, voilà que la doctrine juridique en durcit la répression par une loi de 1922. (Une autre loi de 1920 interdit, dans un pays exsangue,  toute propagande en faveur de la contraception).  Parmi toutes ces femmes, on dénombre enfin 636 000 sont veuves à la fin du conflit (et 700 000 enfants sont orphelins de père). Pour 1,4 million de « tués à l’ennemi ».  

    Léon Mazzella

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    Lire : "Les poilus", par Jean-Pierre Guéno (les arènes, 2013).

    "La Grande Guerre à travers le carte postale ancienne", par Jen-Yves Le Naour (HC éd., 2013).

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    L'INFANTICIDE DEVIENT UN ACTE DE GUERRE

    Le procès fit grand bruit, que l'on appela celui de l'enfant du viol boche.

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    Il s’agit d’un fait divers, relaté et analysé par l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau, et qui sert de point de départ à son livre L'enfant de l'ennemi. Viol, avortement, infanticide pendant la Grande Guerre (1),  lequel réfléchit à l’image du corps du soldat -dans tous ses états-, mais aussi à celui de la femme en temps de guerre. En août 1916, un jeune domestique de vingt ans, réfugiée en Meurthe-et-Moselle, Joséphine Barthélémy, tue l’enfant qu’elle vient de mettre au monde. « Debout sur mon seau de toilette, dans lequel l’enfant est tombé, j’affirme qu'il n’a pas crié », déclarera-t-elle. Elle est jugée en cour d’assises pour infanticide, et même si l’avortement et l’infanticide bénéficient d’une indulgence considérable depuis le début du xixe siècle, elle risque d’écoper a minima de cinq années de prison. Avec un aplomb et une assurance confondants, Joséphine assume avoir prémédité son acte et avoir agi de façon délibérée, parce qu’elle ne voulait pas d’un « enfant de père boche ». « La femme victime d’un viol en temps de guerre, » souligne la journaliste américaine Susan Brownmiller, « est choisie non parce qu’elle est un représentant de l’ennemi, mais parce qu’elle est femme, et donc un ennemi » (2). 

    Une Jeanne d'Arc violée

    La presse parisienne s'empare de l’affaire avec délectation. "L'Excelsior" évoque « la petite servante lorraine » en en faisant une sorte de Jeanne d’Arc violée. "Le Temps" titre « L’enfant du Boche » en pages intérieures et "Le Matin"  (tirage : 1 million d’exemplaires en 1917) reprend ce même titre en Une. « Du jour où je m’aperçus que j’étais enceinte, ma résolution fut prise de supprimer l’enfant de mes bourreaux », déclare-t-elle au Petit Parisien (tirage : 1,7 million d’exemplaires en 1917). L'écho est immense. Dans sa plaidoirie, qui sera reproduite intégralement dans la "Revue des grands procès contemporains" (un honneur rare pour un juriste de 27 ans), Maître Loewel ne va pas de main morte. Il évoque, crescendo, « une maternité imposée par l’ennemi »… « Un instinct maternel qui n’a pas parlé. Un seul instinct la dirigeait : celui de la haine. »  Stéphane Audoin-Rouzeau souligne : « Combattants français, femmes violées : l’avocat établit implicitement l’identité entre les deux formes de martyre et de sacrifice. Les termes sont révélateurs : les soldats aussi souffrent, pleurent, sont frappés dans leur chair, et, en esclaves du corps et de l'esprit, incarnent la France martyrisée. Cette comparaison entre la souffrance des femmes du fait du viol allemand et celle des soldats du fait de la guerre contre ces mêmes Allemands est mise en exergue… » L’infanticide commis par Joséphine Barthélémy devient alors un véritable acte de guerre, « un acte de soldat », dira son avocat, voire un acte de représailles. L’héroïne, qui n’est par conséquent pas davantage coupable d’avoir tué son enfant qu’un soldat d’avoir tué un ennemi sur le front, sera acquittée le 23 janvier 1917 et applaudie sur son passage. 

    L.M.

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    (1) Flammarion/Champs, rééd.2013.

    (2) in Le Viol, Stock, 1976.

     

  • 661 / 13 524

    téléchargement.jpegDans la seule journée d'avant-hier, 28 novembre, 661 visiteurs uniques ont vu/lu 13 524 pages de ce blog : c'est pas mal, et c'est je pense un record depuis que j'ai ouvert KallyVasco il y a bientôt huit ans. Merci, chers visiteurs, de votre curiosité, de votre passage, et bienvenue à la case commentaires. Ce blog repose sur le principe de partage, car je n'aime rien comme faire passer lorsque quelque chose me touche, et c'est pourquoi (principalement) j'écris, ici et ailleurs. Chacun est donc invité à s'exprimer sur KallyVasco. Ainsi que sur la page facebook et sur le compte twitter éponymes. 

  • Johnny got is gun

    mook GG.jpgPapier paru dans le "mook" (gros hors-série) de L'EXPRESS sur la Grande Guerre (en kiosque depuis le 21 novembre) :

    UN PAMPHLET PACIFISTE

    Un jeune soldat américain, engagé volontaire, est atrocement mutilé par un obus aux derniers jours du conflit. Amputé des quatre membres, ayant perdu la parole, la vue, l’ouïe et l’odorat, c’est en apparence un légume de viande au visage défiguré. Mais il a gardé toute sa tête, et souffre d’entendre le monde sans le voir ni pouvoir communiquer avec lui. La médecine, qui le croit inconscient, s’acharne de surcroît ; à titre expérimental. « Je ne suis plus qu’un tas de chair qu’on maintient en vie », murmure le soldat Jo Bonham (Timothy Bottoms), à Jésus (Donald Sutherland), dans une scène onirique aussi émouvante que surréaliste (Luis Buñuel participa au scénario). Dalton Trumbo (1905-1976) réalisa lui-même « Johnny got is gun » (Prix spécial du jury à Cannes à sa sortie en 1971), son seul film, d’après son propre roman images.jpegéponyme paru en 1939. 

    Voix off

    Une relation se noue avec une infirmière bienveillante, tandis que Jo repasse le film de sa vie. Tout repose sur la voix intérieure du blessé, entre douceur et violence. Elle dit la sensibilité d’un  jeune soldat détruit, et son impuissance à hurler sa souffrance. Le procédé (repris par Julian Schnabel avec « Le scaphandre et le papillon »), rend insoutenable un film culte, qui fut aussitôt désigné comme un grand pamphlet pacifiste. De même, l’alternance entre les scènes du réel : l’hôpital, le front, filmées en noir et blanc, et les scènes évoquant les rêves et les souvenirs de Jo, tournées en couleur, augmentent radicalement la force de la cassure. « Johnny » déploie sa dimension émotionnelle lorsque l’infirmière (superbe Diane Varsi) s’aperçoit, un soir de Noël, que l’être dont elle s’occupe chaque jour avec une étrange tendresse, a un cerveau et une peau, sur laquelle elle trace d’un doigt les lettres de Merry Christmas. Mais la morale de l’époque ne flirte pas avec l’euthanasie. De bouleversant, le film  devient aussi poignant que révoltant. L.M.

    En Français : Johnny s'en va-t-en guerre.

  • Ecrire la Grande Guerre aujourd'hui

    mook GG.jpgPapier paru dans L'Express / La Grande Guerre, un mook : (gros) hors-série, en kiosque depuis le 21.

    Jean Echenoz, Jérôme Garcin, Pierre Lemaitre : trois talents distincts pour la dire autrement.

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    images.jpeg« 14 » est le roman le plus dense et le plus fulgurant sur la Grande Guerre, paru ces dernières années. Jean Echenoz, dont la concision et la maîtrise atteignent ici leur paroxysme, circonscrit  14-18 en124 pages tendues, sobres, et d’une justesse pénétrante. L’histoire ? Cinq hommes simples se retrouvent au front, une femme, Blanche, attend leur retour : Echenoz écrit à hauteur d’homme, avec une acuité redoutable, sans emphase ni pathos, le quotidien d’une guerre avec sa boue, ses rats, ses horreurs. Anthime, Padioleau, Bossis, Charles, Arcenel, plongés à leur corps défendant dans les « boyaux » des tranchées, survivent à l’absurde comme ils peuvent. Deux épisodes possèdent la perfection de l’œuf : l’économie de mots pour décrire un éclat d’obus qui arrache un bras à Anthime, et le récit millimétré d’un combat aérien sont des bijoux d’anthologie. 

    Jérôme Garcin signe un roman historique en prenant pour sujet images (1).jpegl’écrivain Bordelais Jean de La Ville de Mirmont, tombé au Chemin des Dames, « sous un ciel sans dieu », le 28 novembre 1914 à l’âge de 28 ans. À travers le prisme romanesque de Garcin, Jean de La Ville, dont l’œuvre est aussi mince que capitale, devient un personnage incandescent et tendre, à la fois avide d’en découdre et pourvu d’une sensibilité d’enfant perdu. « Bleus horizons », à l’écriture impeccable, est le roman le plus touchant sur le sujet. On n’oublie pas Louis Gémon, le narrateur. Survivant à Jean, son ami « jumeau » disparu avec « de grands départs inassouvis » en lui, il connaîtra une inconsolable mélancolie plus douloureuse qu’une amputation  – un thème cher à l’auteur d’« Olivier ». 

    images (2).jpegLe plus poignant et le plus puissant des romans les plus récents sur la Grande Guerre est sans conteste l’ample et somptueux « Au revoir là-haut », de Pierre Lemaitre –Prix Goncourt 2013. Ce roman de la colère s’ouvre sur un épisode grave qui montre les amis Edouard et Albert, deux soldats envoyés au feu par l’inhumain lieutenant Pradelle : ces 60 pages ciselées comme une nouvelle, disent à elles seules la guerre sous un aspect tranchant. Lemaître, qui possède le talent de happer son lecteur, plante aussitôt les deux rescapés dans une France d’après guerre méconnue : celle qui n’eut d’égards que pour ses glorieux morts, et qui traita ses fantomatiques survivants comme des parias. L.M.

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    « 14 », par Jean Echenoz (Minuit, 2012).

    « Bleus horizons », par Jérôme Garcin (Gallimard,  2013).

    « Au revoir là-haut », par Pierre Lemaître (Albin Michel, 2013).

     

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    Les poilus lisaient beaucoup

    Pour tromper l’ennui, les poilus lisent de nombreux journaux et livres : « La Vie parisienne », « Le images (3).jpegMatin », leurs propres journaux des tranchées, mais aussi Zola, Kipling, Loti, Laclos, Jammes, Tolstoï, Féval, Verne –et bien sûr « Le Feu » de Barbusse ! Ils lisent des romans afin de moins penser à l’horreur, et la presse afin de ne pas être coupé de l’arrière. C’est ce que traduit une étude historique passionnante, signée Benjamin Gilles : « Lectures de poilus » (Autrement, 2013). L.M.

  • Genevoix / Jünger dans les tranchées

    images.jpegPapier paru dans le "mook" consacré à la Grande Guerre, de L'Express 

    Deux visions de l'horreur

    Gendre de Maurice Genevoix, veuf de Sylvie, le livre poignant de Bernard Maris est une ode, un hommage à deux écrivains majeurs de la Grande Guerre Genevoix et Jünger. 

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    C’est un livre rédigé, de surcroît, à la table de Genevoix, au premier étage de la maison des Vernelles, en bords de cette Loire que l’auteur de « Raboliot » a tant aimée, tant évoquée dans ces inoubliables romans sauvages comme « La forêt perdue » et « La dernière harde ». Néanmoins, l’empathie de l’auteur lui fait naturellement prendre parti. Certes, il lit et continue de lire Jünger avec une ferveur égale depuis l’adolescence, mais il compare souvent et oppose parfois deux visions de la guerre : celle de Maurice Genevoix, l’auteur de l’immense « Ceux de 14 » (Albin Michel et Points/Roman), le classique du genre, et celle d’Ernst Jünger, l’auteur d’ « Orages d’acier » (Le livre de poche). Deux grands écrivains du XXè siècle. Deux livres essentiels sur la Grande Guerre. Le destin est parfois étrange, car les deux jeunes soldats se trouvaient  l’un conte l’autre à la tranchée de Calonne, aux Eparges et ils y furent blessés le même jour ; le 25 avril 1915. Ce sont deux visions de l’horreur que Bernard Maris décrit. L’une, humaniste, tendre, observe les regards des poilus ses compagnons d’infortune, pleure leur mort brutale, décrit au plus près du réel une vie inhumaine dans les tranchées : c’est celle de Genevoix. L’autre vante les vertus guerrières et viriles  et manque parfois d’empathie pour les blessés comme d’affect pour la mort des soldats amis ou ennemis. C’est celle de Jünger. Survivants de la grande boucherie, les deux écrivains ne se rencontreront jamais, car Genevoix ne le souhaitera pas. Il ne lira guère Jünger non plus. « Il y avait quelque chose d’inconciliable entre eux, et peut-être d’irréconciliable », écrit  Maris. Genevoix est un naturaliste, pas un penseur. Jünger est davantage métaphysicien. La compassion lui est étrangère. Jünger est un écrivain-né et le choc de la Grande Guerre fera de Genevoix un écrivain de la nature, mais le gibier que l’on chasse et les arbres qu’on abat dans ses romans sont des soldats par métaphore. Dans les textes de Jünger, Maris souligne que « la race n’est pas loin et que l’auteur a déjà lu Nietzsche ». Et aussi que le sel de « Ceux de 14 » est dans l’attention  infinie, d’entomologiste, clinique et passionnée, qu’il prête à ses hommes. Loin d’être manichéen, l’hommage appuyé à Genevoixmook GG.jpg n’exclut cependant jamais l’admiration pour le Jünger écrivain. Tous deux décrivent admirablement la mort de près, la peur de la peur –celle qui coupe les jambes, les silences, l’angoisse, et les beautés apaisantes de la nature qui chante tout autour de l’enfer. Tous deux se rejoignent autour de cette phrase du premier, aujourd’hui gravée sur le monument aux morts des Eparges : « Ce que nous avons fait c’était plus que ce que l’on pouvait demander à des hommes, et nous l’avons fait ». Sauf qu’il ne s’agit pas, en l’occurrence, de surhumanité, mais de grandeur. L.M.

    « L’homme dans la guerre. Maurice Genevoix face à Ernst Jünger », par Bernard Maris (Grasset, 2013).



     

     


     

     

     

  • La Grande Guerre, le mook

    Alviset.jpeg


















    Il paraît demain. J'ai éprouvé un immense plaisir à copiloter ce "mook" (magazine/book), avec Philippe Bidalon (nous en sommes les rédacteurs en chef), et avec une précieuse équipe de réalisation : Letizia Dannery (secrétariat de rédaction), Isabelle Bidaut (maquette et conception graphique), Stéphanie Capitolin-Deleau (maquette), Michèle Benaïm (secrétariat de rédaction), Laure Vigouroux (secrétariat de rédaction), Nicole Nogrette (iconographie), sans oublier Clotilde Baste, stagiaire de grand r/secours - qui fut mon élève à l'Institut Européen de Journalisme (promotion 2011) et qui signe ici ses premiers papiers... Davantage qu'une expérience éditoriale intense, ce fut une aventure humaine profondément amicale. Nous aurons schtroumpffé notre quotidien -près de deux mois durant - à la sauce poilu. Cela s'appelle l'immersion, dans le jargon. Peu de terrain, certes (et pour cause), beaucoup de tranchées en pensée, en rêve aussi, mais pas mal de rencontres (donc d'entretiens), énormément de lectures, des milliers de photos de "L'Illustration" examinées, et beaucoup de textes écrits bien sûr, chacun avec un immense plaisir. Le résultat : un mook de 212 pages dont nous sommes fiers. J'espère que vous aurez à coeur de le lire, car il est vraiment beau, cet exceptionnel hors-série de L'Express.

  • MATTHIEU LE TESSIER

    Papier paru dans l'urban mag Paris by Crozes-Hermitage :

    CONFONDANTES ANALOGIES

    Ils ne sont que trois à Paris à exercer le métier de maître coloriste. Amateur de vins, Matthieu Le Tessier a l’impression de flirter avec le métier de vigneron, en assemblant ses pigments et en cherchant le colori parfait. Rencontre.

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    téléchargement.jpegIl joue avec les textures, avec les matières, les contrastes, il choisit les teintes, il assemble, il connaît au quotidien le plaisir du toucher du chanvre, du coton ou de la plume. Matthieu Le Tessier (photo ci-contre), 37 ans, originaire de Paimpol, a eu la révélation sur un golf de Saint-Brieuc, en faisant une rencontre décisive avec Daniel Duminy, décédé en août dernier, qui était l’un des premiers teinturiers coloristes à l’échantillon établi à Paris. Un maître coloriste. Quelqu’un qui travaille la colorimétrie, qui mélange donc les coloris, tandis que, jusque dans les années 70, les teinturiers étaient individuellement spécialistes d’une seule couleur. « Il existe plus de 6 millions  de coloris et j’arrive à en voir 1,6 million environ, afin de pouvoir les distinguer sur un dégradé. Cette quantité est la partie du spectre des longueurs d’ondes que nous sommes capables de voir avec l’œil humain, de l’infrarouge à l’ultraviolet, en somme ». La passion, le destin de Matthieu ont donc été scellés sur un green. Aujourd’hui, dans son atelier de Belleville, il travaille, secondé par Irudayathan Luther, pour des clients allant de la haute couture (Lacroix, Dior), à Reporters sans frontières (pour teinter un gilet pare-balle du noir au vert), en passant par Cuisine TV (pour étalonner des vêtements de cuisiniers). « Il m’est arrivé de teinter un jean de Lenny Kravitz à peau de poisson (mulet) via John Galiano et je bosse pour les Folies Bergère en teignant des plumes. Lorsque je reçois un tissu, la première chose que je fais est de le toucher, puis j’examine sa blancheur ». Il se crée une relation sensuelle avec la matière. Je fais constamment la cuisine avec mes colorants. C’est comme si j’évaluais la vigne, sa maturation. J’avance en équilibrant, au milligramme près, comme on goûte à la cuve ; plus tard ». D’ailleurs, il arrive à Matthieu Le Tessier de tremper un doigt dans un bain acide ou bien alcalin afin de vérifier son bon PH (potentiel hydrogène). Il y a deux sortes de bains, en effet, et l’on retrouve encore une analogie avec l’univers de la dégustation : le bain en milieu acide est réservé aux matières animales (soie, laine, plume), tandis que le bain en milieu alcalin est réservé aux matières végétales (paille, coton, lin).

    Cet amateur de vins qui possède une cave depuis longtemps, parce que son père l’initia tôt, n’aime rien comme visiter des vignobles et écouter des vignerons. « Il y a de troublantes similitudes avec mon travail : l’association des cépages c’est mon association de colorants. Je décide, moi aussi, à un moment donné, d’arrêter le mélange des pigments lorsque j’atteins un but, une formule fixée au préalable –comme on veut faire un vin comme ci ou comme ça ». Matthieu aime la difficulté et préfère chercher tel orange à partir de jaunes et de rouges plutôt qu’à partir d’une gamme d’orangés, « c’est plus ludique, comme de tâtonner lorsqu’on vinifie ». Ses cuves de travail sont vivantes, comme le vin. L’instabilité les apparente à un être en mouvement. Reproduire un colori est chaque fois un recommencement, car cela ne dépend pas ici de la météo, mais de la « dureté » de l’eau (plus ou moins savonneuse) et des températures. Une idée surgit dans notre conversation, qui serait de reproduire l’exacte couleur des vins de chaque grande région viticole, avec les variétés spécifique de blancs et de rouges… À creuser. Reste l’étape fondamentale de la dégustation –celle du nez- qui échappe au travail de Matthieu Le Tessier, encore que les parfums des matières brutes existent bien, mais il convient de les neutraliser en les teintant. « Le toucher comme la vue (l’œil) sont ô combien servis. La bouche, vous avez vu qu’il m’arrivait de mettre un doigt dans le  bain !.. Mais l’ouïe n’est pas en reste : le craquement de la soie me touche particulièrement ». Ne parle-t-on d’ailleurs pas de certains contrastes, en matière de dégustation : doux et rugueux, fondant et croquant, solide ou gazeux ?.. L.M.

    Le Colorium, Paris 20.

     

     

  • Jambons du Pays basque


    1472095_450846168354417_1347507340_n.jpgC'est un petit livre de 64 pages (le chiffre idoine) plein de recettes et de photos (de Patrick Ballaré), et dont j'ai écrit les textes introductifs sur l'histoire des jambons du Pays basque, à commencer par celui de Bayonne.


    J'évoque par conséquent copieusement l'IGP Jambon de Bayonne (le consortium), ainsi que Pierre Oteiza, Les Aldudes et son Kintoa, Ibaïona et le trio Ospital-Montauzer-Mayté, et enfin quelques francs-tireurs de talent comme Aguerre à Itxassou ou Errecart (déjà célèbre pour son Irouléguy), à Ispoure.

    Ce petit bouquin paraît aux éditions Artza, à St-Pée-sur-Nivelle : 

    http://www.artza-editions.com 

    et il vaut à peine 12€. Vous savez donc ce qu'il vous reste à faire.

  • Télé 7 lire

    images.jpegDeux de mes dernières notes de lecture parues dans Télé 7 jours :


    New York sous l’occupation, par Jean Le Gall

    Ils ont la trentaine, ils sont riches, s’ennuient à Paris et partent à la conquête de New York en 2007. Sacha, dandy séducteur, célibataire cohérent, Frédérick son ami mou et Zelda l’amante farfelue, composent une sorte de « Jules & Jim » des années de crise. Avocats d’affaires, les deux amis trouvent vite les limites d’un monde arriviste. Sacha décidera même de lever une armée de clochards qui fondra sur la cité pour tenter d’en finir avec la morgue de la finance. Ecrit dans une langue claquante, hussarde, ce roman d’une grande teneur littéraire aux accents à la Paul Morand, porte un regard suraigu et désabusé sur une époque de faux-semblants. Brillant.

    Roman, éd. Daphnis & Chloé, 220 pages, 17 €

     


    images (1).jpegJe suis né huit fois,
    par Saber Mansouri

    Massyre naît et grandit au Nord-Ouest de la Tunisie, à La Montagne
    Blanche, un lieu unique comme Massyre est multiple. Il a sept sœurs et il effectuera huit métiers, dont celui, capital, de gardien de chèvres. Doué à l’école, il deviendra professeur d’histoire dans sa région. Nous le suivons jusqu’à son départ pour Bagdad à la recherche d’un manuscrit d’Aristote et lorsqu’il perd au tirage au sort la belle Sawdette, l’auteur offre 70 belles pages à dimension ethnographique sur une noce dans le bled. Ce premier roman chargé d’idées, notamment sur la démocratie impossible en Tunisie, possède le charme envoûtant des contes orientaux.

     

    Roman, 330 pages, 20€, éditions du Seuil.

  • Barjot de vins

    Alviset.jpegIl est paru et nous avons fêté sa sortie avec les vignerons de l'appellation, au restaurant Beaucoup (rue Froissart, Paris 3), le 4 novembre dernier : l'urban mag Paris by Crozes-Hermitage, n°1, réalisé par l'agence Clair de Lune à Lyon, et auquel j'ai beaucoup participé, est un superbe magazine (gratuit), qui ouvre avec un petit papier sur un homme formidable : François-Xavier Demaison. Une vraie rencontre.

    téléchargement.jpeg

    « JE SUIS UN BARJOT DE VINS ! »

    L’humoriste possède une solide connaissance des vins de la Vallée du Rhône, où il se rend souvent pour « chiner ». Son sketch « Le sommelier » résume sa philosophie des vignerons de vérité.

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    Sa bonhommie est une aura qui agit comme la trace d’un parfum. Même dans les salons de l’hôtel Lutetia, à Paris, où François-Xavier Demaison semble manquer d’air, de cette atmosphère propre aux vrais bons vieux bistrots parisiens patinés et chargés d’histoire qu’il adore, il diffuse sa joie de vivre. L’humoriste qui fit une entrée fracassante dans le cinéma en se mettant dans la peau de Coluche, a fait ses classes à la fois à Sciences-Po et au Cours Florent (c’est déjà plus « raccord »), avant de se lancer sur scène avec le talent que l’on sait. Mais sans jamais oublier d’entretenir comme il se boit sa passion pour les vins d’homme. « Je suis un barjot de vins depuis l’âge de 17 ans ! A 23 ans j’ai commencé à m’y intéresser sérieusement et depuis, la curiosité de mon palais augmente sans cesse. Je remonte lentement le terrain, de la Corse du Sud jusqu’au Ventoux, actuellement ». Comme d’autres chinent des meubles, François-Xavier Demaison chine chez les vignerons, discute, déguste avec eux, découvre, déniche et rapporte à Paris des trésors à partager entre potes. « Faire découvrir un vin à quelqu’un, c’est lui dire je t’aime ! », s’exclame-t-il.  « J’ai un rituel quotidien : A 19h, lorsque sonne le glas de l’apéro, un blanc sec s’impose entre amis ». S’il le peut, il se tourne alors vers Vertige, Condrieu de Cuilleron, Simone (Palette), ou un Hermitage de Jean-Louis Chave. Verre en main et verve aux lèvres, Demaison sait de quoi il parle. Sa connaissance des vins n’est pas technique mais sensible et profonde. Il évoque avec émotion des rencontres in situ avec les Faugères de Léon Barral, les Cornas de Jean-Luc Colombo, les Patrimonio d’Antoine Arena, les Cairanne des Delubac, regrette les Dagueneau, Lapierre et autres magiciens. Il aime surtout les vins puissants de la Vallée du Rhône : Gigondas, Rasteau, Vacqueyras et donc Crozes-Hermitage : « Je bois du Combier, du Chapoutier, du Alain Graillot et du Jeanne Gaillard chaque fois que je peux », lance-t-il l’œil ravivé. « Rien de tel, pour entrer en contact, qu’un vin dont le capital confiance nous plonge dans le cercle vertueux de la vie. Le but étant de ne pas décevoir, mieux vaut taper juste, dans ses choix ! » La générosité et la simplicité sérieuse des Crozes aide en cela. François-Xavier compte des complices ès vins, comme un facteur de Montreuil avec lequel il échange des textos sur leurs découvertes respectives. Ou Serge Ghoukassian, célèbre sommelier à Carpentras. Le sketche intitulé « Le sommelier » est d’ailleurs un résumé de la passion de Demaison : il s’agit d’une déclaration d’amour aux vins vrais de vignerons pétris d'amour pour le vin, doublé d’une douce déclaration de guerre aux buveurs d’étiquettes. Enfin, un homme qui sait ce que partager veut dire et qui dégaine son smartphone pour vous montrer les photos des quilles bues ces derniers jours comme on montre les gamins à la plage, est vraiment digne de confiance. L.M.

    images.jpegSes adresses Crozes-Hermitage à Paris :

    Chez Vivant Table, 43, rue des Petites Ecuries, 75010. 0142464355, « Pour la personnalité de Pierre Jancou. Je sais y aller, mais j’ai du mal à en repartir ».

    La Maison de l’Aubrac, 37, rue Marboeuf, 75008, 0143590514, « Pour la viande bien sûr, et l’atmosphère généreuse ». Pas de C.-H. à leur carte ces jours-ci…

    Le Baratin, 3, rue Jouye-Rouve, 75020, 0143493970, « parce que c’est le bon bistro à vins par excellence ! C’est mon pote Pierre Hermé qui me fit découvrir ce lieu formidable et la cuisine de Raquel ».

    FXD EN 5 DATES :

    22 septembre 1973 : naissance à Asnières.

    2 décembre 2002 : premier spectacle au Théâtre du Gymnase, à Paris.

    2005 : premier rôle à la télé dans Télé Z (pubs).

    2008 : « Coluche, l’histoire d’un mec », film d’Antoine de Caunes.

    Nomination aux Césars 2009.

    2011 : « Demaison s’évade », spectacle (théâtre de la Gaîté Montparnasse), repris en décembre 2013 (théâtre Edouard VII).

     

  • 26

    9782758804833.jpgLà, cadeau : deux des 26 villages de mon nouveau livre, pris au hasard, Balthazar. Juste pour donner à voir ou plutôt à lire. Histoire de vous donner envie d'aller acheter le bouquin, té!..


    LA CALLIGRAPHIE DE LLO

     

    Le gris domine Llo. Pas un gris négatif, de mauvais temps ou de mauvaise mine, mais un gris extrait du sol, un gris de roche et d'ardoise, un gris massif et mat. Un gris qui prolonge l'écho des vers du poète de Saillagouse, Jordi Pere Cerdá :

    Femmes de Llo

    sueurs noires de la terre

    solidifiées au soleil (...)

    Tout jaillit de la pierre :

    maisons, église et gens.

    Seins maigres, pointes de silex,

    sèches et dures épines du lait...

    Vu depuis l'auberge «Atalaya», Llo ressemble davantage à un hameau à étages qu'à un village ramassé sur lui-même, comme le sont la plupart des autres, dans cette partie des Pyrénées-Orientales. Les chemins qui le traversent sont une arabesque déchiffrable seulement vue du ciel. L'indéchiffrable est donc ici la règle et c'est une façon de préserver sa singularité. À chacun ses subterfuges. Llo en a plus d'un. Avec son aspect déguenillé, cette allure de vieux pâtre à la chemise baillant et aux pantalons zigzaguant sur les bottes, le village de Llo n'en rajoute vraiment pas pour vous inviter à déambuler parmi ses murs.

    Llo est, comme çà, une barbe blanche de deux jours.

    J'aime. J'aime ce faux négligé qui cache des fagots de bois bien rangés sous l'appentis et des plantes au garde à vous dans des jardinets plus ordonnés qu'un hall d'hôtel de ville.

    Il faut regarder attentivement ce jardin potager aux sillons droits comme un pantalon de velours côtelé bien repassé et qui n'est pas sans évoquer le bien kolkhozien, par son exiguïté, sa pauvreté apparente, son anonymat; un jardin enveloppé dans le virage qui monte vers l'auberge.

    La nature cependant prend le dessus en plein centre. Rares sont les villages dont les rues finissent traversées par une cascade qui dévale la montagne en criant pardon comme on lance un « chaud devant ! », qui galope à un bout de Llo puis saute dans le vert et s'y noie. Certes, un panneau indique qu'il s'agit d'une voie sans issue -et pour cause- mais une telle impasse vaut tous les détours. Tout voyageur fouineur est aimanté par ce type d'indication qui recèle toujours quelque chose ; presque rien. Mieux, il est constamment aux aguets de ces invitations en forme de refus. Les décliner, c'est s'exposer au parcours banal. Toute voie trouve une issue dans l'esprit.

    Llo exige d'autres détours. Qui exigent eux-mêmes un effort. Ses ruelles calligraphiques qui tournent pour mieux coudre le village rappellent à nos genoux que nous sommes dans les Pyrénées. Encore un village qui se mérite, un village aux rues étroites et escarpées, où la déclivité induit le silence. Et Llo n'est que bruits animaux et sons familiers : coqs qui se défient à tue-tête aux quatre coins du village, cloches d'un troupeau de brebis qui emprunte le chemin, bêlements, aboiements timides, chuchotements de femmes qui détournent la tête... 

    Merveille de ces villages qui ne se donnent pas d'un seul coup d'oeil, qui exigent de vous du temps, de la patience. On ne découvre pas Llo, on l'épluche. En cheminant lentement rue après rue et pas d'une rue à l'autre, justement, car elles ne communiquent pas entre elles. La plupart sont des chemins qui ne mènent nulle part. Ou plutôt qui finissent dans la verdure. Une verdure qui semble avancer comme le désert se répand. Les chemins de Llo finissent en salade comme on part en carafe.

    Un généreux parfum de menthe habite ces ruelles et partage l'atmosphère avec l'ortie et le pissenlit. Le soleil pianote sur les pierres des maisons, il joue des tons comme un torrent roule ses galets. L'ardoise ronde des toitures donne un air de laisse de basse mer des plus apaisants aux maisons que l'on prend de haut, en redescendant. D'ici, les Pyrénées semblent à l'abri de tout, leur pente est douce et c'est un terme marin qui vient à l'esprit, le mot havre, pour circonscrire le paysage que l'on embrasse à la manière d'un aquarelliste des mots soucieux de concision.

    Plus haut, une tour carrée et un rempart comme un gâteau d'éclats de noisettes strié de discrètes meurtrières, de fines fentes, cache l'intimité d'une simple villa, la villa Alione. Et tout en haut, une autre tour, en ruines, domine le village et la vallée de Saillagouse et Bourg-Madame. Il faut y monter pour au moins deux raisons. Pour l'invitation subite d'un sentier de montagne, lorsque vous êtes parvenus à la tour, à laisser Llo derrière vous et à partir en promenade, caminando, baigné du parfum plus sec du thym. Et pour cette extraordinaire sensation, en gravissant jusqu'à la ruine, du mot « rocaille » comme une allitération qui chante sous le pied et comme allusion à la racaille de la roche que vous êtes persuadés de fouler.

    En redescendant de la tour en ruine -qu'un graffiti révolutionnaire propulse dans le temps présent-, on a le choix entre un de ces raccourcis recouverts d'herbes et de fleurs qui donnent envie de courir, et le chemin goudronné, bordé par une maison en rénovation où le parpaing, sur la vieille pierre, fait l'effet d'une attelle sur une belle jambe de bois, et par un bloc de ciment sans doute appelé maison, coulé dans le plus authentique mauvais goût. Cette injure à la beauté du village prête à sourire pour peu que l'on songe immédiatement au vilain petit canard, si seul, pas beau.

     


                 
                   BAïGORRI VAGABONDE

     

                   9782758804833.jpgC’est un village où chaque demeure, blanche et rouge piment sec plutôt que sang, prend ses aises et aime contempler l'autre en prenant de la mesure et la distance nécessaire au jugement définitif. Ce village vous toise lorsque vous y êtes. Il apparaît éparpillé, dispersé. Saint-Etienne de Baïgorry est en soi un bouquet de quartiers épars : Occos, Urdos, Lezaratzu et Etxauz enfin, soulignent d'un second trait, périphérique celui-là, cet état de dispersion, d'autonomie et ce souci de l'espace personnel.

                  Seule la grande rue qui longe la Nive et ouvre le village comme la proue d'une barque fend le flot, est ramassée. Baïgorry (la rivière rouge, en Basque) ne cherche pas à se tenir chaud ni à rassembler, sauf à l'église Saint-Etienne lorsque l'on y chante et sur la place les jours de foire, comme à la fameuse de mars, aux béliers, lorsqu'un champ de bérets jauge solennellement les animaux ficelés aux platanes.

    Et encore! La grand-rue est, elle aussi, vagabonde et un peu diffuse. À la moindre bifurcation, elle vous montre du doigt une direction possible que la campagne suggère, rien qu'avec l'herbe grasse qui chatouille chaque mur et avec une invitation au paysage dans l'angle de laquelle se trouve toujours un toit, un balcon, un portail sur fond vert. La personnalité architecturale de Saint-Etienne de Baïgorry est dans cette façon personnelle que la maison a d'élire un lieu, a de s'être choisie une remise, comme on le dit pour la bécasse. Les maisons sont dispersées pour mieux asseoir leurs repères et afin de jouir d'une orientation -pourquoi toujours le Sud?- et d'une vue désirées, sur l'ensemble du village.

    Saint-Etienne de Baïgorry semble présenter, en les montrant du bout du bras et du plat de la main, la montagne d'un côté, la forêt qui coiffe la colline de l'autre et la rivière d'évidence, comme on présente ses amis à la famille. La campagne, tout autour, se referme sur le village comme une aile de poule sur ses poussins et procure ce formidable plaisir de prendre des chemins si étroits qu'on s'y frotte parfois l'épaule. Des chemins qui tiennent lieu de ruelles, où se mêlent des parfums de bouse de vache, de paille, d'ail qui cuit (et de gas-oil lorsqu'un véhicule, un seul vient à passer). Des parfums capiteux prolongés  par le son mat de notre pas qui s'estompe lorsque le goudron cède la place à la terre et à la musique  de la Nive qui joue au torrent sur les pierres, et qui étale sa perpendicularité à notre cheminement, lequel trouve là un but par défaut. L'Anglais dit alors : stop.  Le voyageur ordinaire s'assoit en tailleur et prend un moment comme on prend un verre, ailleurs...

    C'est un village où l'on vous propose tout sans insister, où l'on vous invite de façon bourrue; l'accueil n'en est que plus profond, plus sensible, car il est toujours exprimé à deux doigts de se taire. Donc Saint-Etienne se mérite, comme les autres villages de cette vallée de Baïgorry qui est sans doute l'une des plus riches du Pays basque nord, et peut-être davantage parce qu'elle feint d'ignorer qu'elle en est le coeur, qu'à partir d'elle on s'enfonce  dans ces vallées mystérieuses des Aldudes, du Pays Quint et, de l'autre côté, du Baztán, d'Erro et de Valcarlos. On pénètre un intrigant Pays basque par ce passage obligé et c'est pourquoi Saint-Etienne de Baïgorry semble avertir le voyageur de cette sorte de rite qu'il accomplit, il semble le prévenir du sens de son étape. Aussi le ralentit-elle sans effort. Il y a un côté relais de Compostelle dans le génie de ce lieu.

    Le village expose son fronton, où se disputent l'été les plus belles parties de rebot -ce jeu compliqué de pelote où l'on chante  les points-, comme on exposerait ailleurs une colonne monumentale qui imposerait le respect. Mais sans ostentation! Il l'impose dans sa blancheur et dans son évidence de nez au milieu de la figure et dans sa nécessité de coeur dans le corps animal.

    De Saint-Etienne de Baïgorry exhale aussi un amour certain du produit de la terre. Ici, on vit beaucoup de lui et pour lui. Le vignoble d'Irouléguy est dans son fief, comme certaines entreprises de conserves et de salaisons qui ont hissé le jambon et la sauce piquante au rang de monuments à visage d'ambassadeur, à force de vouloir...   

    Et puis il y a cette rivière, la Nive de Baïgorry, qui fait rêver tous les pêcheurs à la mouche, ce pont romain effilé qui l'enjambe avec maigreur, avec une prudence de chat, et tellement large et haut qu'on dirait qu'il craint une crue de fin du monde! Un pont gravé de la date 1661 en son dôme, et avec pour pavage une boursouflure de pierres de tous âges et de toutes tailles, si inégalement usées par des siècles de passage de sabots, de pluies et de pas que ce gaufrage vous donne l'impression de traverser un clavier d'accordéon jouant tout seul. D'un côté du pont, la maison Petricorena, imposante etxe  avec un côté grosse poule blanche qui ne craint pas le renard, un peu mamma italienne aussi, jusque dans ses dépendances. De l'autre, en retrait, le château d'Etxauz prend de la hauteur et donne au village un relent de structure seigneuriale. C'est vrai qu'elle est belle, dans sa digne singularité, cette demeure des vicomtes d'Etxauz, dont l'histoire se confond depuis des siècles avec celle de la vallée. Le château, frappé de la date 1555, vit naître Bertrand d'Etxauz, évêque de Bayonne en 1593 et qui devint plus tard archevêque de Tours... pour parler comme un guide couleur de ciel dégagé.

    Mais foin! Baïgorry l'authentique est en face. Blanche et rouge, donc, elle nous le joue personnel, en ordre dispersé et avec une maîtrise rare de l'art de faire croire qu'elle s'en fiche, alors qu'elle aime démesurément qu'on la regarde de près.

     

     

  • Le sommeil d'une femme

    Une phrase de Julien Gracq (je crois que c'est dans Le roi Cophetua, une des trois nouvelles de La Presqu'île, mais sans garantie), m'habite depuis de nombreuses années et, comme une chanson entêtante dont on sait qu'on ne parviendra pas à s'en défaire vite, car c'est elle qui décidera de s'évanouir sans prévenir, comme un banc de thons lorsqu'on les pêche, vite, très vite, à la ligne au large de Saint-Jean-de-Luz, cette phrase habille ma pensée, chacun des soirs, chacun des matins -ou presque- que le monde fait. La voici : Le sommeil d'une femme qu'on regarde intensément conjure autour d'elle une innocence, une sécurité presque démente : il m'a toujours paru inconcevable de s'abandonner ainsi les yeux fermés à des yeux ouverts.

  • Les plus belles fesses du Louvre...

    images.jpeg...Se retrouvent commentées dans un délicieux petit livre (que j'ai rewrité comme on dit, pour les éditions Séguier, et qui paraît le 3 octobre. 96 p. 16€). Il est co-signé Bruno de Baecque (texte) et Joëlle Jolivet (dessins), sur une idée de Jean Le Gall, qui préside aux destinées (je n'aime pas cette expression pontifiante et pourtant elle vient de me venir), de Séguier et Atlantica.

    Il s'agit d'un parcours artistique, de fesses peintes en fesses sculptées, sises ou assises au Louvre, de Delacroix à Ingres, de Bartolini à Prestinari et d'Odalisque à Vénus et d'hermaphrodite en Marie-Madeleine...

    Le livre épaule une proposition de visite thématique et commentée.

    En voici un feuilletage 

    http://www.dailymotion.com/video/x14vuc8_plus-belles-fesses-du-louvre_creation

  • Chinon rien

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    Il est vrai que je suis à fond pour le développement du... Rabelais, que là-bas, je bois le vin rouge local issu de cabernet franc, chinon rien... Mais quelle ne fut pas ma surprise lorsque je fus invité à être intronisé au sein de la confrérie des Entonneurs Rabelaisiens, en qualité de blogueur vins ! Cela se passait le 12 septembre dernier au Bistrot d'à côté (rue Capture d’écran 2013-09-25 à 11.50.39.pngLalande dans le 14 ème à Paris), à l'occasion de la Saint-Gargantua (en réalité la Saint-Apollinaire, sur le calendrier), qui fut célébrée dans 28 bistrots parisiens. Et c'est dans celui "d'à côté" que le chapitre des intronisations eut lieu. Parmi les nouveaux chevaliers, il y a, de gauche à droite sur la photo ci-dessus : mes consoeurs Ophélie Neiman (blogueuse vins : Miss Glou Glou) et Anne-Victoire Jocteur Monrozier (blogueuse vin : Vicky Wine, à qui j'ai l'impression d'en coller une en prêtant serment et c'est dommage car elle est très mignonne, mais on peut la voir plus bas et des centaines de fois sur son blog), ma pomme, Charlie Darenne (illustrateur), Thierry Cap de Coume (dessinateur, photographe) et Laurent Cazaux (du Bistrot qui nous accueillait). Avouez qu'on a l'air un peu benêts avec nos bavettes, puis avec nos diplômes de chevaliers et nos grosses médailles, mais bon, c'est ainsi. On assume; cul-sec (le deal était de jurer de défendre les vins de Chinon en tous lieux, puis de vider le vase afin d'obtenir la médaille. Et à 17 h, c'est pas facile...).

    leon mazzella boit.jpg

    Capture d’écran 2013-09-25 à 11.23.33.pngLO2A2085.jpg

    ©KOEphotography.com 

     

    www.chinon-stgargantua.com 

  • Le chemin des morts

    images.jpegAnnées 80. Une décennie entre deux mondes. L'Espagne est devenue une démocratie. La France n'a plus de raison de continuer d'accorder le statut de réfugié politique aux militants de la cause basque. Le narrateur est un jeune magistrat administratif rattaché au Conseil d'Etat, nommé à la commission des recours des réfugiés. Il va commettre une sorte d'erreur judiciaire. Un dossier se présente à lui. Le cas d'un réfugié devenu relativement paisible et qui a même condamné l'assassinat par ETA de l'amiral Carrero Blanco -dauphin désigné de Franco-, en 1973, ce qui lui valut l'inimitié forte de ses comparses. Le jeune magistrat appliquera néanmoins le droit en vigueur et par conséquent la justice, en retirant son statut de réfugié à Javier Ibarrategui, venu demander son maintien. Celui-ci, en plaidant sa demande sans contester la décision qui lui fut signifiée sur le champ, précisa qu'il serait vraisemblablement assassiné dès son retour en Espagne par les polices politiques comme les GAL (Groupes antiterroristes de libération, les fameux "guérilleros du Christ-roi", liés au pouvoir espagnol, dans cet après-franquisme pour le moins hésitant et brutal). Ce fut le cas : Ibarrategui pérît à Pampelune de quatre balles de revolver tirées depuis une moto. Souvenez-vous, cela n'était pas rare à cette époque; voire dangereusement banalisé. Le récit de François Sureau (Gallimard), à l'écriture percutante et précise, dit le désarroi, trente ans après, d'un magistrat devenu avocat et écrivain (c'est peut-être l'auteur lui-même, peut-être pas), et dont la mort de ce réfugié basque hante chaque jour la conscience, tant professionnelle que personnelle. Il dit aussi combien elle continuera de le hanter jusqu'à sa dernière plaidoirie, jusqu'à son dernier livre et jusqu'à son dernier souffle (la fin du récit, à ce propos, est d'une force et d'une douceur impeccables). Court, ce livre d'une cinquantaine de petites pages est plus que touchant : il est poignant par sa crudité, sa clairvoyance, son effroyable sincérité. L'auteur ne cesse de réfléchir au "pouvoir de dire le droit sans rendre la justice, voire en commettant la plus grande des injustices". Nous pouvons, dit-il encore dans un entretien audiovisuel, "en toute conscience, concourir à des crimes, à des oublis, à une certaine manière de négliger la personne humaine". François Sureau est parvenu avec talent, grâce à une écriture sobre, tendue et droite, à rendre également "sensible la manière dont on peut penser accomplir son devoir en obéissant à sa conscience" et puis devoir affronter les conséquences ô combien détestables de ses actes. Ce Chemin des morts, qui désigne le parcours particulier qu'effectue, au Pays basque, la famille qui porte le défunt, depuis sa maison (l'etxe y figure le centre de tout) jusqu'au cimetière, est, selon les mots de l'auteur, "un appel à dépasser les notions de droit et de justice pour s'attacher davantage aux notions d'humanité". Et un pur joyau de littérature forte, nue, essentielle.

    TERRASSES DU LARZAC MAS HAUT-BUIS.jpgALLIANCES

    Comme toujours, j'ai plaisir à suggérer une alliance gourmande avec une lecture. Devant l'exceptionnelle gravité du sujet qui précède, je choisis quand même un vin qui, loin d'être austère, présente un sérieux qui force le respect et qui n'en est pas moins festif (cherchez l'erreur ou dites tout de suite que je cultive le sens du paradoxe!). Il s'agit d'un AOC Languedoc Terrasses du Larzac, appellation située au nord-ouest de Montpellier, on ne peut plus louable et qui effectue de prodigieux progrès depuis une poignée d'années. Les paysages y sont somptueux bien qu'arides, le climat méditerranéen dispense sa chaleur de garrigue, les vins y ont par conséquent un sacré caractère pour la plupart : puissants, généreux, frais, mais aussi élégants et globalement équilibrés. J'ai choisi l'un d'eux, un rouge gourmand et épicé mais pas trop, la cuvée Costa Caoude 2011 du Mas Haut Buis (21€), conduit par Olivier Jeantet à La Vacquerie et Saint-Martin. 650m d'altitude. 10 ha de vignes conduites en agriculture biologique, parmi des oliviers et des amandiers, donnant des "raisins vivants" : 40% en grenache noir, 33% en syrah et 27% en (vieux) carignan. Costa Caoude (50% grenache, 30% carignan, 20% syrah), fermente en cuve de béton, il est légèrement soufré, puis il passe un an en foudres de 20 hl et cuve béton tronconique de 30 hl. C'est un vin d'homme (*) pour escorter un gibier à plume ou à poil, ou bien une viande de boeuf racée et rassise (côte, onglet, merlan). Epicé et pourvu de notes délicates de thym et de romarin, il exprime surtout les fruits rouges et noirs sans excès et la fraîcheur caractéristique des vins rouges de l'appellation étonne toujours agréablement, ce dès l'attaque. Enjoy! 

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    (*) Que les femmes me pardonnent cette appellation non contrôlée : mon amie Brigitte Lurton, qui sait de quoi il en retourne, réagit à ce papier sur ma page facebook (où il est publié simultanément -ainsi que sur mon compte twitter) en précisant que les femmes, souvent, aiment les vins d'hommes. Et vice-versa, ai-je répondu : les hommes ne sont jamais insensibles aux vins que l'on dit féminins. Mais il est entendu qu'il faut cesser de sexer les vins comme les oiseaux sans dimorphisme apparent, que l'on prend aux filets afin de les baguer. Force est aussi de reconnaître que l'attirance hétérosexuelle joue instinctivement à pleins ballons en matière de vins. Et je connais des expertes en dégustation qui ne supportent plus l'adjectif féminin adossé aux vins -sans féminisme aucun, faut-il le préciser. Mais au nom d'une liberté sensorielle et langagière, au nom du libre cours à l'imagination lorsqu'on déguste : il faut aller plutôt vers le soyeux, le velouté, la caresse, l'élégance, la classe et autres attributs qui désignent plus spontanément les femmes que les hommes, lorsque nous sommes en présence, nez dans le verre, d'un vin dont le raffinement exclut d'emblée et sans aucun doute possible la vision du poil aux pattes. 

  • Esprit de Granit et Les Hauts du Fief

    images.jpegJe ne dirai jamais assez de bien de la Cave de Tain, à Tain L'Hermitage (Drôme). Voici deux de ses nombreuses réussites et d'abord : Esprit de Granit, un Saint-Joseph 2011 issu de syrah soyeuses comme rarement, avec une robe rubis lumineuse, un nez de fruits noirs compotés, épicé (cardamome), une bouche ample et puissante sans être machiste : élégante mais virile. Idéal sur les viandes rouges que l'on avait délaissées cet été, voire une volaille forte comme la pintade, en attendant les premières grives ou le perdreau rouge de septembre, voire le sanglier d'avant-ouverture... Renseignements pris après dégustation, il s'agit d'une sélection parcellaire, issue d'un terroir exceptionnel, en gros. Tout est maîtrisé, du travail en vert, effeuillage compris, jusqu'à la date optimale de la récolte, en passant par la sélection précise des baies juste avant la vendange. Ici, il s'agit de vieilles vignes plantées en coteau sur les contreforts du Massif Central, sur des arènes granitiques. Le flacon vaut 15€ et c'est une paille, eu égard au bonheur produit.

    images (1).jpegUne autre des dix cuvées parcellaires bichonnées par des hommes constamment sur le terrain et proposées par la Cave de Tain, est un Crozes-Hermitage 2011, Les Hauts du Fief. Et c'est splendide, corpulent, gentleman-farmer, issu de syrah de 30 ans. Robe profonde. Nez épicé (poivre) et de fruits noirs bien sûr, un rien minéral, ce qui éclaircit les fosses nasales au passage, les yeux archi-fermés. La bouche, fraîche et profonde, persistante et réglissée mais à peine, nous redonne des baies mûres à foison; et on prend. Avec ça, sortez un vieil ardi gasna (un brebis forcément paysan d'Ossau-Iraty), juste après une côte de boeuf bien persillée et sortie du froid au moins deux heures avant. Cuisson : Juste aller-retour, dirait Firmin Arrambide (Les Pyrénées, à St-Jean-Pied-de-Port, 64), sur la plancha archi-chaude. 13€ la boutanche, c'est cadeau, té!


    images (2).jpegimages (3).jpegimages (4).jpegALLIANCES : Joseph Kessel, Les mains du miracle, Jérôme Garcin, Olivier, (les deux en folio), Dylan Thomas, Portrait de l'artiste en jeune chien (Points). Du poignant, du qui décoiffe, du mémorable, qui décante en somme. Et en tongs s'il vous plaît, parce qu'il fait beau et qu'il convient de détendre l'esprit du texte. En plus, y'a été indien en vue! Si, si...

  • Drouant et l’Académie Goncourt

    Voici un papier retrouvé à l'instant dans mes archives et que publia une revue d'histoire. A l'heure où l'on pense déjà fort au lauréat du plus prestigieux des prix littéraires français, voici une évocation historique de ce restaurant chargé d'anecdotes. 

    (Personnellement, et puisque personne ne me pose la question, je donne Jean-Philippe Toussaint -pour son roman Nueque publie Minuit le 5 septembre prochain- vainqueur. Nue clôt le cycle romanesque consacré à Marie Madeleine Marguerite de Montalte, après Faire l'amour, Fuir, et La vérité sur Marie. Quatre bijoux). Et vous?


    téléchargement.jpeg« Drouant dérive du germanique drogo, qui signifie quelque chose comme le bon combat ». C’est Hervé Bazin qui parle. L’auteur de « Vipère au poing » qui fut un membre marquant de l’Académie Goncourt, savait de quoi il en retournait dans le salon du premier étage. Le bon combat demeure, qui fait triompher le livre, au restaurant Drouant, chaque année à l’heure du déjeuner, début novembre…

    Le génie d’un lieu provient du lien entre des êtres géniaux. Ici, l’escalier est signé Ruhlmann, la cuisine actuelle Antoine Westermann, l’atmosphère est résolument Art déco ; l’esprit, Goncourt.

    L’âme du lieu est double : littéraire et gourmande. Gastronomie et littérature ont toujours fait  bon ménage. La plume tombe vite le masque lorsque la fourchette montre les dents.

    Le restaurant de la Place Gaillon (Paris 2ème), n’échappe pas à la règle. Mieux : il la dicte depuis un siècle et un an. Une paille !

    Entrer chez Drouant, c’est pénétrer l’antre d’un club fermé et fixé à dix membres selon les vœux des frères Edmond et Jules de Goncourt.

    L’Académie française a ses fauteuils, ses habits verts et ses épées pour ses pensionnaires. L’Académie Goncourt elle, a ses couverts gravés au nom de ses membres. Cela vous pose. « Cette nuance, soulignait Roland Dorgelès, aide à prouver combien les académiciens de la place Gaillon se veulent des copains au sens étymologique, « ceux qui partagent le pain ». Plus prosaïquement, ajoutait Dorgelès, on parle des déjeuners Goncourt et des séances du quai Conti ». Mais la querelle de bretteurs n’a pas eu lieu. Les Académies ne se tordent pas le nez et observent au contraire un respect mutuel qui n’a pas de prix.

    Pour l’historien, Drouant évoque aussitôt Louis XV, qui aimait chasser au faucon à proximité de la porte Gaillon, l’une des six percées dans l’enceinte bastionnée dont Louis XIII avait ceinturé la capitale.

    L’homme de lettres pense immédiatement à Zola, qui campa « Au bonheur des dames » dans ce quartier, et nourrit son livre des scènes de rue quotidienne de la place et ses alentours.

    L’amateur gourmand pense à la boucherie Flesselles, qui fut célèbre dans les années 1870 et qui fut remplacée par le restaurant Drouant en 1880.

    Lorsque l’Alsacien Charles Drouant, échouant à Paris, ouvre alors un modeste café-tabac, il est loin d’imaginer  que son nom va se perpétuer ainsi. Il l’agrandit néanmoins sa petite échoppe, en fait un bistrot que des artistes et des écrivains ont la bonne idée de fréquenter : Pissaro, Daudet père et fils, Renoir, Rodin, … La bande d’intellos artistes s’agrandit, peintres, sculpteurs, poètes, journalistes, romanciers, agrandissent le cercle et en font leur repaire. Leur rituel dîner du vendredi forge la célébrité du lieu dans le métal le plus résistant.

    Le prix Goncourt existe depuis 1903 (il fut attribué pour la première fois, le 28 août de cette année-là, à Jean-Antoine Nau pour son roman « Force ennemie ». Déjà tout un programme qui renvoie à la sagacité de Bazin à propos de « Drouant / drogo »…).

    Le prix ne commencera à être décerné chez Drouant que le 31 octobre 1914 par la Société littéraire des Goncourt. Le prix ne fut pas décerné cette année-là pour cause de guerre (et il fut par ailleurs refusé une seule fois, en 1951 par Julien Gracq -photo-, pour son magnifique roman « Le rivage des Syrtes ». L’immense écrivain eut toujours « La littérature à l’estomac » et pas devant les flashes et les caméras…).

    L’Académie est donc fidèle à Drouant depuis 1914. Le testament d’Edmond de Goncourt résume l’affaire : « Je nomme pour exécuteur testamentaire mon ami Alphonse Daudet, à la charge pour lui de constituer dans l’année de mon décès, à perpétuité, une société littéraire dont la fondation a été, tout le temps de  notre vie d’hommes de lettres, la pensée de mon frère et la mienne, et qui a pour objet la création d’un prix de 5000F destiné à un ouvrage d’imagination en prose paru dans l’année, d’une rente annuelle de 6000F au profit de chacun des membres de la société » .

    Il est précisé que les dix membres désignés se réuniront pendant les mois de novembre, janvier, février, mars, avril, mai et que le prix sera décerné dans le dîner de décembre… Les frères Goncourt avaient en effet voulu recréer l’atmosphère des salons littéraires du XVIIIème siècle, et aussi l’ambiance des déjeuners et dîners littéraires mondains du XIXème, comme les fameux dîners Magny. Jules meurt trop tôt, en 1870. Edmond anime alors seul le Grenier, puis la Société littéraire, qui devient Académie afin de se démarquer de l’autre, la Française du quai Conti, parce qu’elle refusa l’immortalité à de nombreux grands écrivains comme Flaubert, Zola, Balzac, Baudelaire et Maupassant.

    Encore le bon combat. Et c’est à vous donner envie de paraphraser Sacha Guitry lorsqu’il conchiait la Légion d’Honneur : «il l’avait, encore eut-il fallu qu’il ne l’eut pas mérité »…

    48 heures après la mort d’Edmond en 1896 –il avait 74 ans-, son notaire, Maître Duplan, lisait ainsi à Alphonse Daudet et Léon Hennique, ses légataires universels, le testament précité. L’aventure était lancée.

    Depuis, le Goncourt est le plus convoité des très nombreux prix littéraires français. « Il y en a davantage que des fromages », plaisantait François Nourissier. Il assure gloire et fortune à un auteur et à son éditeur. Le restaurant Drouant bénéficie par conséquent depuis longtemps du mythe Goncourt. Abriter l’Académie équivaut à posséder le Trésor des Pirates. Un trésor métaphysique.

    À l’étage, chez Drouant, nous trouvons les Salons Goncourt, Apollinaire, Colette, Ravel et Rodin. Il est très agréable d’y déjeuner ou dîner dans la grande salle du rez-de-chaussée, près du monumental escalier.

    La veille de notre visite au restaurant, j’y avais retrouvé le lauréat 1976, Patrick Grainville, afin de lui demander un texte pour les éditions que je dirigeais alors.

    Lors de notre second passage, Jorge Semprun (mort depuis) y mangeait en agréable compagnie à une table voisine. Juillet tirait à sa fin. L’esprit du lieu était habité à tous les étages par l’Académie. Nous prenions notre repas en bas, avec une amie.

    La mosaïque bleue travaillée à la feuille d’or, le fer forgé, les glaces immenses pour « narcisser » entre la poire et le fromage ou parmi les superbes peintures qui ornent les murs, le service élégant et discret, prévenant et jamais obséquieux, escortèrent avec grâce le foie de canard marbré de pigeon et sa gaufre au lard fumé, la blanquette de barbue et de queues de langoustines et le risotto à la truffe d’été, le carré d’agneau et son gnocchi… Les fameuses feuilles de chocolat en hommage à Jules et Edmond sont un dessert des éditions… Ganache, reconnues dans le village « germanopralin ». Le vin de Vacqueyras fut parfait du début à la fin. Joie ! C’est à peu près le menu qui fut servi en 1903 lors de l’attribution du premier Goncourt (bisque d’écrevisse, barbue sauce poivrade, terrine de foie gras…), chez Champeaux.

    Les membres de l’illustre Académie doivent leurs couverts à leur nom, à André Billy (académicien de 1943 à 1971, qui en suggéra la création. Et c’est Mr Odiot, fondeur en vermeil de la Place de la Madeleine qui grava fourchettes et couteaux. De là à penser avec feru Robert Sabatier, que c’est avec ceux-ci que l’on fait de la cuisine littéraire, il n’y a qu’un « plat » que nous ne franchirons pas.

    Plutôt citer Jacques de Lacretelle, qui résumait merveilleusement l’alliance de la littérature avec la gastronomie. Composer un roman ou un menu relèverait d’une alchimie voisine : « C’est un art (la gastronomie) où il faut suivre une tradition, mais où l’on peut tout inventer. Je ne vois pas de plus belle définition pour dire ce qu’est le talent littéraire ».  L.M.

  • Un été avec Montaigne, un automne avec Camus


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    Montaigne illuminé par Antoine Compagnon -un vrai passeur, cet érudit, est la bonne surprise de l'été qui s'achève(*). Bravo à Olivier Frébourg, éditeur (Les Equateurs), pour ce formidable succès éditorial, en partie imprévisible comme il se doit et par conséquent tellement rassurant : aucune affirmation de marketteux, ni aucun pifométrage ne guideront jamais le choix du public -ce bouche à oreille magique qui tout à coup enflamme les consciences et les tables des libraires, en l'occurrence. Il en va toujours ainsi. Qui peut dire que tel roman sera le succès absolu, l'ouvrage plébiscité par un large public, cette rentrée-ci? Bien sûr il y a des tendances. Certaines sont lourdes mais sans surprise (Nothomb, d'Ormesson retrouveront leur armée de fidèles). Toussaint, Haenel, Darrieussecq, Gallay, Rolin, Germain, Ford, Coetzee, Chalandon vendront. Minard, Razon, Thomas, Ovaldé et Cabré aussi. Mais il y a certainement, parmi les 555 livres parus ou à images (1).jpegparaître ces prochains jours, un ou deux romans qui ne font pour le moment d'autre bruit que celui de leurs pages entre les doigts de lecteurs avisés et curieux et qui vont sortir de l'ombre comme le soleil entre deux masses nuageuses. On parie! Tiens, jouons un peu : vous pensez à quel livre?.. Moi je ne pense à aucune nouveauté de cette rentrée, mais à un auteur : Camus. Albert Camus. Et oui. Le 7 novembre prochain il aurait eu 100 ans (et j'espère que j'en aurai 55), et de nombreux éditeurs, à commencer par le sien (Gallimard), vont fêter l'événement, puisqu'une soixantaine d'ouvrages sont attendus sur l'inépuisable sujet. Il y a déjà eu le superbe album de Jacques Ferrandez, L'Etranger, une BD littéraire de haut-vol avant l'été (Gallimard). En folio le mois prochain, reparaîtront Les Carnets (en trois volumes), les Journaux de voyage, ainsi que des coffrets thématiques : L'absurde (L'étranger, Caligula, Le malentendu, Le mythe de Sisyphe),  La révolte (Les Justes, La peste, L'homme images (2).jpegimages (3).jpegrévolté). Vous allez voir ce que l'on va lire! Encore Camus... Je préfèrerais me réjouir du succès des livres de certains de mes amis présents à cette rentrée, comme Saber Mansouri, Je suis né huit fois (Seuil) ou Jean Le Gall, New York sous l'occupation (Daphnis et Chloé) -remarquables premier et second romans (j'y reviendrai). Mais qui sait! Et si c'était eux? dirait Lévy (Marc). Croisons les doigts.

    (*)Un été avec Montaigne est un petit livre épatant que l'on rachète et que l'on offre après l'avoir lu, avec ce plaisir de transmettre un objet à haute valeur ajoutée. A l'origine, il s'agit d'une série d'émissions brèves qui furent diffusées sur France Inter au cours de l'été 2012 (cet été, la série eut Proust pour sujet, par le même Compagnon, très fin connaisseur de l'auteur de La Recherche). La lecture revigorante du petit livre jaune agit par contagion, car la philosophie simple et droite de Montaigne l'naltérable opère, via la lecture qu'en fait Compagnon, comme une bière fraîche au coeur de la soif. L'éthique de l'auteur des Essais est une leçon de vie permanente et une esthétique : un art de vivre en beauté. Qu'il évoque l'altérité, le pouvoir et la corruption, l'éducation, le corps, la lecture ou l'arrogance, le négoce (negotium) et le loisir (otium), l'acédie ou la solitude, la vanité ou l'Amitié, la mort ou le désir, Montaigne est un guide étonnement moderne, à l'avant-garde pour son époque, qui ne cesse de douter et de rechercher son assiette (un terme d'équitation et Montaigne chevauchait beaucoup), dans un monde qui bouge; rien de plus mais le projet est de taille et permanent. Le relire est toujours aussi salutaire et à travers le libre éclairage qu'en donne donc Antoine Compagnon, Montaigne nous devient encore plus familier, plus tutoyant. Faites passer!

    PS : nous pouvons bien sûr nous interroger sur ce recours aux classiques, qui rassure en période de crise, lorsque celle-ci opère par capillarité jusque dans le moindre recoin de nos existences (la lecture, un recoin?!..), et cela ne doit pas occulter notre curiosité vive face à tant de nouveautés, de fleurs en somme, que sont les nouveaux livres d'auteurs connus et les premiers livres d'auteurs à découvrir avec alegria.

  • Frédéric Musso poète

    images.jpegFrédéric Musso fait de la photo à sa façon. Ses instantanés sont des poèmes en prose ciselés, aussi vifs que toniques et qui possèdent une qualité rare, que j'appellerai la souplesse du chat : prenez un chat, jetez-le par la fenêtre (du premier étage, ho!), le chat retombera sur ses pattes. Toujours. Un bon poème est un chat lancé par la fenêtre du premier. Un bon poème est rond. Un peu comme un oeuf (mais un oeuf c'est ovoïde, c'est pas rond! Okok). En tous cas, ça retombe sur ses pattes en bouclant sa boucle et en la bouclant, voire en vous la bouclant (en nous en bouchant un coin, quoi). Frédéric Musso y parvient. Poète exigeant, il apparaît intraitable avec le choix du mot juste (et parfois rare, ou bien oublié). Ses poèmes courts et denses sont de temps en temps teintés de lointains jeux de mots. Ils disent tous l'essentiel d'une sensation, ils captent à temps des instants fugitifs avec la main, avec une épuisette, ils enserrent un sentiment, ce sont des tableaux aussi et encore des souvenirs (d'Algérie). Certains poèmes de ce nouveau recueil au titre camusien : L'exil et sa demeure (La Table ronde, 96 p. 14€), contiennent des images fortes : "peler les mots jusqu'au trognon pour que se lève le poème"... "tu vacillais le coeur haut comme la patte du chien qui pisse"... "le bois flotté des métaphores"... "La beauté fut condamnée par contumace. On accusa les ombres de légèreté."

    En voici une petite poignée en guise d'appât : 

    "Debout dans les trèfles l'enfant se caresse comme on froisse une rose. Son autre main arrondit le soir. Enfant royal. Plus tard chargé de mots il s'astiquera sous la lampe, l'être tout entier en branle. Désuni."

    "Le coeur saillant pousser la porte d'une femme. Considérer que l'aménagement des corps ne relève pas seulement du territoire. S'asseoir au bord de la finitude et contempler l'innocence de l'origine du monde."

    "Poésie qu'on file avec la patience des vieux marcheurs. La renverser d'un revers de rêve pour que chantent les mots qu'elle brise sous nos pas."

    "Bel canto des corps. Le vent velours caressait nos chairs de poule. Un cri d'enfant est sorti de ta bouche. Quand le soleil a posé son front sur la mer nous avons allumé des américaines et nous avons souri comme des demi-dieux."

    "Dans l'odeur nue de l'aube le piéton de la plage pouvait croiser la perfection d'un squelette d'oursin, le bras d'honneur d'une branche sur le sable ou l'idée singulière que les ombres mûrissent en douce avant de s'allonger."

    "Le temps glissait sur son erre. Une créature s'attardait aux angles morts du désir. Elle caressait ta peau comme on dessine sur le sable quand le soleil va se coucher."

    "Les rêves consumés dans la broderie du sommeil. Les mots qui cillent. Ferme la fenêtre. Tire le rideau. Ta main à fleurs de cimetière sous la lampe, son ombre sur le papier où se dénoue le plus clair de ta nuit."


  • Qui o qua

    IMG_0944.jpgProcida me réconcilie avec la vie lorsque celle-ci glisse entre mes yeux. Cette île me rassemble et me ressemble. Elle irradie en moi, éloigne de la peau de mon âme les tourments. J’habite Procida comme le fleuve finit par habiter la mer. Ma confusion des sentiments s’épanouit sur le microcosme de la Corricella comme une feuille de thé dans l’eau bouillante. Chaque chose reprend place, chaque être observe l’autre en amitié ; insulairement. Ici je découle. Deviens poisson, nage en eaux claires. Je mûris comme le citron sous le soleil clément. J’oublie le manque. Je me nourris d’ombre et de petites tomates. Je IMG_0945.jpgplonge dans l’eau noire, pilote le bateau, un gozzo,  comme je caresserais une nouvelle femme. Le voilier de Paolo qui s’avance pour mouiller dans l’anse de Chiaia, le regard du vieux pêcheur taiseux qui reprise son filet, l’écho d’une Vespa à l’assaut de Terra Murata suffisent à mon bonheur écrasé de soleil du passager clandestin que je suis devenu sur l’île de mes ancêtres. 

    (photos : seul à bord, stasera : il benessere).

    Traduction de mon amie écrivaine napolitaine/procidienne et présidente du Prix Elsa Morante, Tjuna Notarbartolo : 

    Procida me riconcilia con la vita quando mi scivola negli occhi. Quest'isola mi ripiglia e mi somiglia. Mi splende dentro, allontana i tormenti dalla pelle dell'anima. Abito Procida come il fiume finisce per abitare il mare. i miei sentimenti confusi si stemperano sul microcosmo della Corricella, come una foglia di tè nell'acqua bollente. ogni cosa è al suo posto, ogni essere osserva l'altro in piena amicizia; insularmente. Sono alla deriva. divengo un pesce, nuoto in acque chiare. divengo maturo come il limone sotto un sole clemente. Scordo ogni mancanza. Mi nutro d'ombre e di pomodorini. Mi immergo nel mare profondo, guido la barca, un gozzo, come se accarezzassi una nuova donna. La barca a vela di Paolo che si avvicina per bagnarsi nell'ansa della Chiaia, lo sguardo del vecchio pescatore taciturno che ripara la sua rete, l'eco di una Vespa che scala Terra Murata, bastano alla mia felicità schiacciata di sole, da passeggero clandestino, quale io sono divenuto sull'isola dei miei avi.

  • 7 à lire

    TROIS DE MES RÉCENTES CHRONIQUES PARUES DANS TÉLÉ 7 JOURS

    téléchargement.jpegDes noeuds d'acier, par Sandrine Collette

    Théo Béranger, quarante ans, vient de purger de longs mois de prison pour une rixe fratricide. La taule n’a pas réussi à briser ce costaud un peu violent. Il part en forêt pour faire le point. Tombe sur deux vieux fous armés qui le capturent et en font son esclave. Enchaîné, battu, sans eau, à peine nourri au fond d’une cave, corvéable à l’extrême, il perd toute humanité, devient moins qu’un chien. Cette terrifiante descente aux enfers décrite au scalpel tient en haleine et signe l’entrée fracassante dans le roman noir d’une auteure encore inconnue.

    Roman, Denoël, Sueurs froides, 270 pages, 17€

     


    images (1).jpegLe spectre d’Alexandre Wolf, par Gaïto Gazdanov

    Un soldat russe blanc tue un soldat bolchevique un jour de 1917. Ce meurtre hante sa vie. Emigré à Paris, devenu journaliste, il tombe sur une nouvelle écrite par un certain Alexandre Wolf qui décrit précisément l’épisode obsédant. Le narrateur n’a alors de cesse de vouloir trouver cet auteur. Une histoire d’amour fou pour la fascinante Elena ajoutera du mystère à sa quête. La rencontre avec Wolf, spectre vivant, aura lieu, mais ne fera que corser l’ensemble d’un roman captivant où l’intensité de la narration et la force des personnages rappellent Dostoïevski.

    Roman, éditions Viviane Hamy, 172 pages, 18€

     

     

    images.jpegL’armée furieuse, par Fred Vargas

    Un meurtre par étouffement à la mie de pain ouvre les nouvelles aventures de l’attachant commissaire béarnais Jean-Baptiste Adamsberg, flanqué de son complice Danglard et ici de son fils Zerk ainsi que d’un pigeon blessé aux pattes. Puis c’est le mystère d’une légende tenace du XI ème siècle, celle de l’Armée furieuse, des revenants qui chevauchent  deux ou trois fois par siècle et se saisissent des méchants pour les tuer d’atroces façons dans le bocage normand, vers Ordebec, qui va hanter ce roman aux rebondissements captivants. Adamsberg n’y croit pas, mais il enquête depuis qu’une femme, Lina, prétend avoir vu passer l’Armée, car des personnages disparaissent... Rustique, poétique, fantastique, la magie Vargas opère.

    Roman, 442 pages, J’ai Lu, 7,90€

     

     

  • Ode à Clément Faugier

    Je retrouve ce texte hivernal tandis que je bois de l'eau glacée pour me rafraîchir et que je ne veux manger que des salades frâiches et des fruits mûrs...

     

    AUX AFICIONADOS DE LA

    CREME DE MARRONS

     

    La gourmandise est faite de connivences inattendues et de correspondances inédites. Les amateurs de crème de marrons sont des passionnés : qu’un étranger évoque leur penchant dans un compartiment de train ou sur le zinc d’un bistrot et leur œil s’allume, leur sourire apparaît, leur regard devient lumineux, curieux ; ami. La conversation s’engagera inévitablement et quelque chose naîtra entre deux inconnus que rien ne liait jusque là. La crème de marrons possède cette magie de créer des liens entre aficionados silencieux, car un peu seuls avec leur gourmandise. Avouez que beaucoup n’aiment pas la crème de marrons et je me demande toujours pourquoi ils n’apprécient pas cette ineffable onctuosité, cette sensation infiniment sensuelle procurée par une incomparable consistance, ces saveurs d’automne, ce goût de nature (ardéchoise) brute, adouci par un sucré subtil et un vanillé indispensable…

    J’aime la crème de marrons. À même le pot avec une cuiller, le matin  et le soir, ou bien avec du fromage frais. Mais elle est meilleure toute seule. La crème de marrons est la madeleine de ses aficionados : leur plaisir remonte à l’enfance. Souvent j’ai été tenté de lancer un appel aux gourmands de mon espèce pour créer un club d’amateurs de crème de marrons (qui existe sans doute déjà) et je confesse un plaisir formidable à en déguster en compagnie d’un ou d’une qui l’aime autant que moi. Par goût du partage simultané. Comme pour un grand sauternes. Mais cela est étrangement rare.

    Les bonnes crèmes de marrons ne sont pas légion et celle de Clément Faugier –qui inventa la sienne en 1885 en utilisant astucieusement des bris de marrons glacés mêlés à la farine de châtaignes, du sirop de confisage, du sucre et de la vanille -, excellente, présente l’avantage d’être disponible à peu près partout, en boîtes de plusieurs tailles et même en tube ! Ah le tube de crème de marrons… Je ne connais pas de meilleur dentifrice. En montagne, c’est mon trompe-creux de huit ou neuf heures. 

    J’ai noté un jour dans un carnet, pour définir le poids de l’ennui, que certains dimanches après-midi étaient aussi épais que de la crème de marrons. Mais avec elle, l’ennui désépaissit. Lorsque je prends une copieuse cuillerée de crème de marrons, j’ai l’impression de rouler une pelle à Clément Faugier. Bizarre. L.M.

     

     

     

     

  • L'âme basque

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    Tel est le titre du long papier introductif (qui suit un bel édito), du numéro spécial Pays basque que publie Pyrénées magazine pour l'été 2013, sous la houlette de Marie Grenier (actuellement en kiosque, couverture ci-dessus). J'y signe aussi Les fêtes de Mauléon, un reportage réalisé en juillet dernier. Ca me fait drôle, car j'ai été rédacteur en chef de Pyrénées magazine et je suis un peu à l'origine de Pays basque magazine. Bon, voilà le truc sur cette indéfinissable âme basque : 


    HSbasque2013_identite.pdf

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    Dans mon pays, on remercie. Ce trait lapidaire de l’immense poète provençal René Char peut s’appliquer à l’âme basque. Ici aussi, on remercie. On reconnaît. On sait reconnaître d’un coup d’œil l’authenticité, on sait distinguer le passager sincère du faisan, on décline l’invitation du bavard, on observe le taiseux, on se toise d’un regard droit comme une pelote bien frappée. La suite appartient au temps. Celui que l’on sait donner sans compter si l’autre se montre digne de. De quoi au juste. Oh, de pas grand-chose de palpable à vrai dire, mais de tellement important, de si capital à la vérité. Un truc, une complicité, un silence éloquent, un partage fort comme un frisson, un truc quoi. Le « ça ». Un je-ne-sais-quoi-de-presque-rien-du-tout, une connivenciaSans ça, tu passes pas, tu restes là, voire tu rebrousses. Tu te casses quoi. C’est ainsi. Ainsi que la mémoire n’est pas trahie par de sournois virus, que le présent n’est pas empégué par de nuisibles invasions, que l’âme peut continuer de se sculpter au fil des jours et des nuits, à la faveur des étoiles et du savoir être de ceux qui remercient. 

    Qu’on ne se méprenne cependant pas : l’excès de méfiance nuit au développement de l’âme, la chose est entendue. Le message est passé. L’esprit n’est plus crispé sur ses traditions réputées intouchables selon une vieille rengaine devenue ringarde. Evoluons, disent les jeunes. On entend, disent les vieux. L’âme épouse l’histoire, bat la mesure de son temps, regarde devant, adossée au tronc de son précieux passé. Le tronc justement. Ce tronc commun qui n’est pas si singulier qu’il en a l’air. Qui force le respect, attire la curiosité. À présent, il convient de définir les contours, de croquer cette âme au fusain à la manière d’un jardinier paysagiste. Car elle est vaste, protéiforme, complexe et d’un bloc, paradoxalement. La nature, tantôt rugueuse, tantôt clémente du Pays a forgé l’âme basque. 

    Demandons-nous s’il est nécessaire de n’être pas Basque pour définir cette essence, à l’instar des historiens subtils de la psychologie sociale des peuples, comme le Britannique Théodore Zeldin qui a su mieux que n’importe quel observateur définir les passions françaises. Mieux vaut être un brin étranger à la cause, ou du moins avoir en soi la distance nécessaire pour pouvoir évaluer un esprit, soupeser cette fameuse âme à défaut de savoir la circonscrire exactement. Toute personne en empathie physique, géographique, sentimentale, ayant des attachements –réputés bien plus forts que d’ordinaires attaches-, avec la terre du Pays basque, peut éprouver des sensations qui touchent à cet impalpable recherché, à ce quasi-indéfinissable. « La voix, c’est ce que l’on a de plus précieux, c’est presque l’âme », me chuchote souvent une amie. Il y a un peu de cela dans l’âme basque. Au-delà du silence essentiel qui en dit long sur l’acceptation de l’un par l’autre, il y a comme une voix, une parole qui chuchote à qui sait écouter, indique le chemin ; montre la voie en somme. 

    Si nous décidons de bâtir notre demeure en terre basque, si celle-ci devient la terre élue comme on le dit d’un peuple, la résidence choisie comme on le dit de l’immigration, un courant certain, fluide et franc surtout, passe. Car c’est sur cette terre à l’âpreté profondément humaine que l’on peut se sentir habiter le monde. Le Pays basque happe. Un mot de Jorge Luis Borgès l’exprime avec une infinie justesse : « J’habitais déjà ici et ensuite j’y suis né ». Grandir, évoluer en terre basque permet d’en ressentir les bonheurs de l’enracinement serein, progressif ; souple. Se frotter aux êtres comme aux éléments permet d’en éprouver leur rigueur et leur exigence. Le Pays basque est une région de confins, ouverte sur le monde avec son balcon atlantique, qui se noie quelque peu dans des cultures cousines du Sud-Ouest et s’adosse aux Pyrénées pour mieux se tenir face aux vents. Ainsi fiance-t-il avec talent paysages et caractères. Le Pays basque s’offre à l’autre en le voyant venir. La vie d’un homme dépend tellement du génie des lieux et du beau hasard des rencontres qu’il convient d’en rater le moins possible. Davantage qu’ailleurs peut-être, le Pays basque sculpte l’autre. Nous y éprouvons avec force le sens de la fidélité et celui du bonheur. Nous y apprenons chaque jour l’amour et l’amitié qui dessinent notre géographie intérieure et délimitent nos frontières affectives. Ce territoire est une aporie heureuse. La chose est rare et par conséquent à préserver. Nous y cherchons ce qui est juste et bien. La tranquillité de l’esprit. Le repos du corps vivifié. La stimulation de la parole, le courage de regarder. 

    Le Pays basque est peuplé de femmes et d’hommes jamais blasés de leur enviable quotidien. Ils s’émerveillent sans forfanterie du pur plaisir d’exister. Cette terre enseigne le dédain du chiqué. Nos frères de joie vivent selon l’humeur des éléments : l’océan, les caprices du climat, la douceur des villages, le vent du Sud qui monte les esprits comme du lait, la montagne qui dit non. Cette façon d’être paysanne –un œil au ciel, l’autre sur la terre et cet instinct de cueilleur –saisir le bonheur, oiseau migrateur, à chaque éclaircie, apparentent l’homme d’ici à un épicurien forcé de limiter ses désirs. C’est pourquoi il est étincelant. Sa manière de vivre est une philosophie de l’instant partagé. Ce n’est pas un sage. Il sait que la parole économise l’action, mais il préfère agir, donner son pays. C’est un passeur. Ici, on s’ouvre à l’autre de manière oblative et sans se mentir à soi-même. L’âme du Pays basque est aussi une morale. Milesker. L.M.

  • boutanches hors-saison


    images.jpegBon. Ca continue. Le temps de chausser les lunettes de soleil pour pouvoir déjeuner en terrasse de choses fraîches (des huîtres et une daurade grillée), que l'orage grondait au loin. Alors, "pop!", nous avons eu juste le temps de déguster à l'apéro un Alsace épatant, le Chasselas 2012 de Paul Blanck avec quelques dés d'un Comté de Marcel Petite affiné 30 mois. Robe or pâle d'un bel effet. Nez charmeur, fort en gueule, exotique, très fruité. Bouche d'une grande fraîcheur et d'une minéralité exacte. Finale épicée (8,50€).

    Puis, re-pop (une fois les huîtres gobées et la daurade servie), nous avons découvert le Blanc de Franc de Couly-Dutheil,
    un sec de Chinon 2012  lightbox_CoulyDutheilBlancDeFrancBlancSec.jpgétonnant. Joli nez de baies sauvages et de fleurs blanches, légèrement épicé en bouche. Ce vin, 
    issu de cabernet-franc (raisin noir à jus blanc) est vinifié comme un blanc. Sa robe est d'ailleurs un chouia rosée. Il provient des premières sorties de presse. C'est un ovni blanc (6,80€).

    images (1).jpegComme il faisait à nouveau gris, froid, qu'il pleuvait jusqu'à plus soif les jours suivants, nous nous sommes risqués sur un grand flacon lourd de Rasteau 2010, ico(o)n pour escorter un gros poulet fermier à la broche qui suinta sur des patates et de l'ail en chemise. Grenache, syrah, mourvèdre composent ce vin d'une concentration et d'une complexité aromatique bluffantes. La Cave de Rasteau en a fait sa cuvée d'élite. ico(o)n est né en 2009 avec le statut de Cru (c'est en 2010 que l'INAO a approuvé le passage des vins rouges secs de Rasteau du statut de Côtes du Rhône Villages à celui de Cru). ico(o)n possède une robe noire et profonde, un nez dense de fruits rouges et noirs bien mûrs avec un accent de garrigue. La bouche est corpulente, puissante même, sans être agressive. C'est précis, compact et néanmoins charmeur. Une réussite (qui vaut quand même 42€).

     

  • Inlassablement

    images.jpeghttp://bit.ly/ La musique sensuelle et lancinante de Georges Delerue, ce générique qui signe l'amour du cinéma, le timbre de la voix de Michel Piccoli (Paul Javal), l'ingénuité légendaire de la diction de Brigitte Bardot (Camille), la mâchoire prédatrice et le regard mongol de Jack Palance, son Alfa Romeo rouge, l'escalier de la villa de Curzio Malaparte, le bleu de la Méditerranée à Capri, le texte désabusé d'Alberto Moravia, Il disprezzoFritz Lang himself, l'Odyssée, les fesses de B.B. bien sûr, les jeux de lumière de la scène culte, la tragique histoire d'un amour qui sombre et puis l'époque, mes parents, mon enfance... Inlassablement Le Mépris de Jean-Luc Godard (: un bien fou). Je t'... t..., t..., t...

     

    Le cinéma, disait André Bazin, substitue à notre regard un monde qui s'accorde à nos désirs. Le Mépris est l'histoire de ce monde. JLG

    Le manuscrit autographe du film, 59 pages écrites de la main de Godard (tous les autres sont des tapuscrits), vient d'être vendu aux enchères pour la somme record de 144.300€ chez Artcurial le 9 juin dernier. C'est un collectionneur français qui en a fait l'acquisition.

  • Erri De Luca

    Numériser.jpgJ'apprends qu'il est presque en tête des ventes en France et qu'il continue de caracoler en Italie. Erri De Luca est devenu un auteur européen phare qui n'en finit plus de raconter les dix-huit premières années de sa vie passées à Naples et à Ischia. Il vit près de Rome depuis et a aujourd'hui la soixantaine sage et rassérénée par de nombreuses randonnées en haute montagne. J'ai lu, ou relu à la faveur de rééditions en 

    images (3).jpegimages (1).jpegimages (2).jpegfolio, pas mal de choses de lui ces derniers temps : En haut à gauche (des nouvelles précieuses sur l'enfance, la liberté, le soleil, les premiers frissons amoureux : tout De Luca est déjà là et c'est paru en 1994), Première heure (le versant mystique de l'auteur, fervent lecteur matinal des Saintes Ecritures -L'auteur publie en outre, au Mercure de France, Les Saintes du scandale : Tamàr, Rahàv, Ruth, Bethsabée, Miriam-Marie, prostituées ou adultères, elles ont transgressé et choqué durablement une chrétienté par trop pudibonde); Le jour avant le bonheur (magnifique roman napolitain qui décrit un jeune orphelin -le double de l'auteur). Et là, j'ai eu par chance à chroniquer son dernier livre au titre si fort : Les poissons ne ferment images (4).jpeg20130504_195517.jpgpas les yeux, pour Télé 7 Jours. La veine de l'enfance n'est pas tarie et rappelle parfois l'écriture d'Elsa Morante (dans l'Île d'Arturo bien sûr et au gré, dans Le monde sauvé par les gamins). L'ancrage à l'île d'Ischia du jeune Erri, incarné par un gamin d'une sensibilité extrême, est là. La sensibilité d'Erri De Luca opère par capillarité, elle est virale et chatoyante à l'intérieur de nous. Le lecteur sort par conséquent de chacun de ses livres comme galvanisé par une douce énergie faite de simplicité solaire, d'épaule salée, de regards profonds, de bonté vraie et de silences amicaux.

    images.jpegJe signale enfin un texte magnifique d'Erri De Luca, sur Les odeurs de Naples, qui paraît dans le n°4 de Long Cours, le "mook" le plus littéraire du moment et le plus subtilement dédié au grand reportage. il y est question de Naples en général et de ses parfums entêtants : les gaz d'échappement, le soufre de Pozzuoli, la bolognaise -une nécessité de produire une odeur, le dimanche; le cirage pour les chaussures et les urines torrentielles des soldats américains de la seconde guerre; le calamar mit à sécher qui servira d'appât pour la pêche, la transpiration de l'auteur mêlée au parfum d'herbe fumée de son amour napolitain enfin, cette fille qui se confondait avec la ville; avec la vie que De Luca aurait pu avoir là-bas...


  • Pourquoi ils vont voir des corridas

    images.jpegLa question méritait (enfin) d'être posée, de s'intéresser à ceux qui peuplent les gradins et non plus seulement à ceux qui jouent leur vie dans l'arène. Ce collectif d'auteurs (textes réunis par Marc Delon, éd. Atlantica) où l'on trouve notamment Francis Marmande, Florence Delay, François Zumbiehl, Guy Lagorce, Jean-Marie Magnan et de nombreux anonymes (instituteurs, kinésithérapeuthes, retraités, collégiens...), exprime les motivations de deux millions de personnes qui vont aux toros en France chaque année. Ce n'est pas rien. J'y ai apporté ma petite pierre, puisque l'éditeur m'a demandé s'il pouvait reprendre un court texte intitulé Invincible, déjà paru dans Philosophie intime du Sud-Ouest (Les Equateurs) et qui évoque ma fille. Le voici :

    Marine.jpg

  • Hier : 670/4799

    Ce sont les statistiques quotidiennes de ce blog : d'une part le nombre de visiteurs uniques pour la seule journée d'hier : 670. Et d'autre part le nombre de pages vues au cours de cette même journée du 10 juin : 4799. Alors je m'interroge : qui êtes-vous? Qu'avez-vous lu? Retenu? L'écririez-vous ici?

  • Lire Lydia Flem...

    ...En cas de besoin
    Voici les notes (composées essentiellement d'extraits) que j'ai publiées ici même les 9 et 11 décembre 2006, le 18 janvier et le 24 mai 2007 et enfin le 1er mars 2009 à propos de deux livres merveilleux de Lydia Flem qui reparaissent en format de poche (Points/Seuil); et d'un troisième aussi.

    C'est donc à la faveur de ces rééditions que je me permets de les rajeunir.

    Orage émotionnel

    images (1).jpeg"A tout âge, on se découvre orphelin de père et de mère. Passée l'enfance, cette double perte ne nous est pas moins épargnée. Si elle ne s'est déjà produite, elle se tient devant nous. Nous la savions inévitable mais, comme notre propre mort, elle paraissait lointaine et, en réalité, inimaginable. Longtemps occultée de notre conscience par le flot de la vie, le refus de savoir, le désir de les croire immortels, pour toujours à nos côtés, la mort de nos parents, même annoncée par la maladie ou la sénilité, surgit toujours à l'improviste, nous laisse cois. Cet événement qu'il nous faut affronter et surmonter deux fois ne se répète pas à l'identique. Le premier parent perdu, demeure le survivant. Le coeur se serre. La douleur est là, aiguë peut-être, inconsolable, mais la disparition du second fait de nous un être sans famille. Le couple des parents s'est retrouvé dans la tombe. Nous en sommes définitivement écartés. Oedipe s'est crevé les yeux, Narcisse pleure".

    Ainsi commence Comment j'ai vidé la maison de mes parents, de Lydia Flem (Points/Seuil), un livre très émouvant et recommandable entre tous. En de telles circonstances ou pas, d'ailleurs. Que philosopher c'est apprendre à mourir…

    Extraits : Cette étrange et envahissante liberté... 

    "D'abord, l'impudeur. L'obligation de bafouer toutes les règles de la discrétion : fouiller dans les papiers personnels, ouvrir les sacs à main, décacheter et lire du courrier qui ne m'était pas adressé. Transgresser les règles élémentaires de la politesse à l'encontre de ceux qui me les avaient enseignées me blessait. L'indiscrétion m'était étrangère..."

    " En disparaissant, nos parents emportent avec eux une part de nous-mêmes. Les premiers chapitres de notre vie sont désormais écrits."

     "En les couchant dans la tombe, c'est aussi notre enfance que nous enterrons."

     "Est-ce bien normal d'éprouver successivement ou simultanément une impression effroyable d'abandon, de vide, de déchirure, et une volonté de vivre plus puissante que la tristesse, la joie sourde et triomphante d'avoir survécu, l'étrange coexistence de la vie et de la mort?"

     "C'est dans la solitude que chacun se retrouve (...) Chacun fait ce qu'il peut pour surmonter l'épreuve, bricole à sa manière, toujours bancale, malheureuse, conflictuelle, et se tait."

     "Même après leur mort, ne cessons-nous jamais de vivre pour eux, à travers eux, en fonction d'eux ou contre eux? Est-ce une dette qui nous poursuit toujours?"

     "Se séparer de nos propres souvenirs, ce n'est pas jeter, c'est s'amputer."

    "Donner est un grand bonheur. Ce que j'offrais, ce n'était pas un objet."

     "L'écriture naissait du deuil et lui offrait un refuge. Un lieu où se mettre à l'abri avant d'affronter de nouvelles vagues malaisées à contenir."

     "Devenir orphelin, même tard dans la vie, exige une nouvelle manière de penser. On parle du travail du deuil, on pourrait dire aussi rite de passage, métamorphose."

    "Les arêtes vives des premières douleurs s'émoussent, hébétude et protestations font place à une lente acceptation de la réalité. Le chagrin se creuse. Avec des moments de vide, d'absence, de tumulte. Plus tard se répand une tristesse empreinte de douceur? Une tendre peine enveloppe l'image de l'absent en soi. Le mort s'est lové en nous. Ce cheminement ne connaît pas de raccourcis. On n'y échappe pas. La mort appartient à la vie, la vie englobe la mort."

    "Mail il est un temps pour le chagrin, et un temps pour la joie."

    © Lydia Flem, Comment j'ai vidé la maison de mes parents, Seuil. 


    images.jpegLydia Flem a poursuivi avec un talent et une émotion égales, son travail -universel- de deuil de ses parents, avec Lettres d'amour en héritage (Points/Seuil). C'est d'une pudeur extrême et d'un amour infiniment grand. Le livre retrace la vie de ses parents disparus, à travers trois cartons de leur correspondance amoureuse, depuis les débuts, que leur fille (l'auteure) découvrit, en vidant la maison, une fois orpheline... La tendresse résume ce livre précieux. Il n'est pas innocent que l'écriture soit devenue, très tôt, le terrain de jeu de l'auteure, puis que celle-ci ait fait profession de psychanalyste. Par bonheur, ces deux livres sont exempts de théorie, mais emplis, au contraire, de sensibilité à vif -mais douce, comme ces napperons brodés que nous avons tous vus dans les mains de notre mère, tandis qu'elle les rangeait avec un soin particulier, alors qu'ils sentaient encore le "chaud" du fer à repasser, sur une étagère d'une armoire, quelque part dans une pièce de la maison familiale...

    Une perle parmi cent : le corps de la mère, c'est la première géographie, le pays d'où l'on vient.

     

    images (2).jpegAutres extraits

    "Largués par nos parents qui disparaissent et par nos enfants qui quittent la maison, c'est le plus souvent au même moment de la vie que nous sommes confrontés à ces séparations : nos parents meurent, nos enfants grandissent. Coincés entre deux générations, ceux à qui nous devons l'existence, ceux à qui nous l'avons donnée, qui sommes-nous désormais? Les repères vacillent, les rôles changent. Comment faire de cette double perte une métamorphose intérieure?

    Longtemps j'ai été la "fille" de mes parents, puis je suis devenue une "maman". Cette double expérience, je l'ai vécue avec ses tensions, ses lassitudes, ses émerveillements. Mais qui suis-je désormais? Quel est mon nom?

    Fille, j'ai fini de l'être. Mais cesse-t-on jamais d'être l'enfant de ses parents? Notre enfance s'inscrit dans nos souvenirs, nos rêves, nos choix, nos silences; elle survit en coulisses. Ne devenons-nous des adultes que lorsqu'il n'y a plus d'ancêtres pour nous précéder, nous protéger? Suis-je encore maman alors que mes enfants ne sont plus des enfants? La langue manque de mots pour désigner toutes les nuances de notre identité.

    Comment me situer aujourd'hui dans ma généalogie? Ne faudrait-il pas un mot particulier pour nommer les parents dont les enfants ont quitté la maison? Suis-je une "maman de loin"? Une maman à qui l'on pense, à qui l'on téléphone pour un conseil, une recette, de l'argent, un encouragement, dont on a parfois la nostalgie, mais une maman avec qui on ne sera plus jamais dans le corps à corps premier." ©Lydia Flem et Le Seuil, pour "Comment je me suis séparée de ma fille et de mon quasi-fils".

    Pour finir, ce mot de Primo Lévi, prélevé sur le blog de l'auteur : http://lyflol.blog.lemonde.fr

    “J’écris ce que je ne pourrais dire à personne.”

  • miaMai

    cfo74_2_6_1.jpg

    Avec un temps pareil, contraint de retarder les salades tomate-mozza dans le jardin que je n'ai pas avec des rosés plongés dans un seau métallique tandis que la plancha s'échauffe -quelle plancha?-, j'ai ouvert (pour trois personnes) et avec bonheur images.jpegl'excellent canard fermier aux olives vertes et son jus de romarin en bocal de 700 g de La Comtesse du Barry (19,95€) et nous l'avons escorté avec des tagliatelle fraîches et un Cahors de Rigal, contes et légendes 2010 (100% malbec, 4,90€ seulement), riche, puissant mais 

    images (1).jpegsouple et même élégant sur ces cuisses soyeuses de canard habillées d'olives. 

    Il s'agit de vins et de plats d'automne mais comme cette saison semble déjà là -Zou! 

    Nous avons récidivé quelques jours plus tard puisque le soleil restait en berne et la pluie au flot fixe, avec le coq au vin de Madiran de la même Comtesse du Barry, en bocal de 700 g itou (19,95€), et ce fut délicieux avec des papardelle fraîches cette fois et un flacon Ortas tradition 2011 de la cave de Rasteau téléchargement.jpeg(Vaucluse) -grenache, syrah, mourvèdre. Aussitôt le Sud souffla, s'assît à côté de nous, donna son jus ensoleillé aux accents de vacqueyras de ce vin (7,70€) aux nez de fruits noirs, d'épices et un rien animal. Le Madiran de la sauce, discret, laissant la vedette aux morceaux généreux et tendres de coq, l'accord se fit. Et ceci n'est pas une contrepèterie.


  • minis

    téléchargement.jpegAu début je trouvais le format mal commode et devoir prendre le livre verticalement m'était trop inhabituel et puis je m'y suis fait bien sûr, au mini format de la collection Point2 et là, j'ai plaisir à me bidonner en relisant Desproges : Les réquisitoires du tribunal des flagrants délires (et à me redire qu'il nous manque, mais qu'il nous manque!..), à rire aussi avec Le dico de l'humour juif, de Victor Malka, à me régaler en téléchargement (1).jpegm'instruisant avec Le petit livre des expressions, de Gilles Henry et Marianne Tillier, pour téléchargement (2).jpegconnaître le sens et l'origine de : en voiture Simone, soupe à la grimace, être beurré comme un p'tit Lu, à la fortune du pot, broyer du noir, mon cul sur la commode... Un livre à rapprocher du classique La puce à l'oreille du regretté Claude Duneton (Livre de Poche) et dont Points publie justement un dico indispensable à mes yeux, le Petit dictionnaire du françaisimages.jpeg familier, où l'on comprend le sens de confiote, pote, fric, baffe, se cailler, Pétaouchnok, torgnole, pignouf, flic, zizi, barca, furax, blairer, etc. Un régal. Toujours en Point2, Sylvie Dumon-Josset donne 1001 secrets de la langue française : orthographe, conjugaison, style, vocabulaire -tout y passe pour nous ôter des épines du pied lorsqu'on écrit... à la main et que l'on doute d'un pluriel malicieux, que l'on ne téléchargement (3).jpegsait plus conjuguer le verbe coudre, qu'on hésite à mettre une cédille là-dessous, à coller un accent ici ou là, qu'un pléonasme surgit à notre insu ou que l'on colle au féminin un mot masculin; entre autres! Avec Point2, je peux aussi écouter Brassens en lisant les paroles de toutes ses chansons, être sérieux et relire Le mondetéléchargement (4).jpeg de Sophie, de Jostein Gaarder, sorte d'histoire des idées philosophiques et de leurs auteurs à travers un roman largement épistolaire et qui a conquis quarante millions de téléchargement (5).jpegtéléchargement (6).jpegtéléchargement (7).jpeglecteurs depuis 1991 (ce livre indispensable et qui a mis le feu à l'intérêt général pour la philosophie à portée de tous -souvenez-vous!, est paru en 1995 en France). Je peux aussi -et quel bonheur c'est!, reprendre tranquillou Roméo et Juliette de Shakespeare ou A l'ombre des jeunes filles en fleur, de Proust, tout en attendant le bus, un ami ou le beau temps (et pour cette dernière attente, choisir Proust est plus prudent)...

    9,90€ chaque Point2 sauf exception, et 12€ le Duneton (Points).

  • Télé7, others

    Trois de mes récentes petites chroniques parues dans Télé 7 Jours.

    images (12).jpegCode 93, par Olivier Norek

    L’auteur, lieutenant de police à la section Enquête et Recherche du SDPJ 93, le Service départemental de police judiciaire de Seine Saint-Denis, sait ce qu’il endure. Du lourd chaque jour. Soit des crimes gratuits, des violences extrêmes, une jeunesse qui se bousille, les drames de la banlieue. Ce premier roman n’est pas du Fred Vargas, mais si ça y ressemble. Un air des scénarios d’Olivier Marchal flotte entre ses pages. Il y a beaucoup d’hémoglobine, des faits dingues comme un mort qui se réveille en pleine autopsie ou un toxico qui périt par autocombustion et surtout Coste, double de l’auteur, flic sensible, mystérieux, attachant, à la fois dur à cuire et cœur d’artichaut. Code 93 se lit comme on regarde Les Experts : avec un plaisir vrai.

    Roman, Michel Lafon, 300 pages, 19€


    images.jpegRemonter la Marne, par Jean-Paul Kauffmann

    L’écrivain décida de remonter à pied les 520 km de la rivière depuis sa confluence avec la Seine aux portes de Paris jusqu’à sa source sur le plateau de Langres, lesté d’un sac à dos de 30 kg contenant notamment  une provision de cigares. Le voyage à pied permet de scruter une région chargée d’histoire, d’observer les paysages avec un regard de géographe et les riverains avec un œil d’ethnologue bienveillant. Il nécessite surtout un talent de prosateur à l’écriture somptueuse. Jean-Paul Kauffmann a le don du mot juste. Ce récit est aussi celui des sens, surtout celui de l’olfaction. « Chemin faisant », la Marne devient un être vivant. Nous croisons des écrivains locaux comme Bossuet et des compagnons de marche : Bachelard, Ponge. Et surtout des citoyens de bords de Marne indociles appelés « conjurateurs ». Un voyage profondément humain et au plus près de la nature, au cœur d’un extrait de France comme on le dit d’un livre. 

    Fayard, 264 pages, 19,50€


    images (13).jpegL’étoile et la vieille, par Michel Rostain

    L’étoile, c’est Odette, célèbre accordéoniste qui marqua la France des années 50. La vieille, c’est encore elle, l’artiste qui refuse d’admettre que les désastres de la vieillesse pourraient l’empêcher d’effectuer sa dernière tournée. Odette, c’est Yvette Horner, une étoile qui ne brille plus. Le livre conte l’histoire forte entre la star et son « metteur » (en scène), double de M.Rostain, au cours des répétitions quotidiennes ; jusqu’à l’annulation du spectacle. « Un artiste meurt toujours une première fois avant de mourir physiquement ». Un roman poignant à partir d’une histoire vraie, par l'auteur du" Fils", Goncourt du premier roman 2011. 

    Roman, Kero, 222 pages, 17€ 

  • essentiels

    images.jpegLe livre majeur paru ces derniers mois est Remonter la Marne, de Jean-Paul Kauffmann (Fayard). J'ai lu deux fois ce livre : en l'achevant, je l'ai aussitôt recommencé afin de rester dans la musique, dans la phrase, dans la subtilité des descriptions, l'analyse aiguë des personnages croisés, le choix du mot juste et parfois rare ou oublié, la remarque qui touche, l'extrême sensibilité de l'auteur et puis bien sûr la démarche générale : une pérégrination à la manière des travel-writers comme Jacques Lacarrière (Kauffmann avait d'ailleurs promis à l'auteur de Chemin faisant d'effectuer images (1).jpegun périple semblable -c'est chose faite), à la recherche de soi-même au détour d'un chemin, dans la fumée d'un havane, à la tombée du soir lorsque la lumière touche à la grâce. Dans la foulée, j'ai lu Dans les forêts de Sibérie, de Sylvain Tesson (folio), que je rapproche du premier. Une longue marche d'un côté, une retraite statique de l'autre, mais un même élan vers la vérité intérieure, la quête des limites, la communion avec le simple, le rugueux, la nature, l'essentiel. L'épure à la fin. Des livres comme ces deux-là sont rares. L'un et l'autre images (2).jpegpossèdent une écriture somptueuse de surcroît. Je les ai rangés côte à côte à présent, pas trop loin de (presque) tous les autres livres de ces deux auteurs précieux. A noter un folio 2€ de Tesson, extrait de Une vie à coucher dehors (folio) et qui s'intitule L'éternel retour -cinq nouvelles coups de poing. Un petit régal.

    L'aventure, pour quoi faire? Telle est la question posée par les onze auteurs d'un manifeste que publie Points Aventure/Seuil et qui ouvre une nouvelle collection de livres en format de poche écrits par des aventuriers tes temps modernes, images (3).jpegdes bourlingueurs nommés Patrice Franceschi (il pilote la collection), Jean-Claude Guillebaud (beau texte intitulé Vers l'autre et vers soi-même), Olivier Frébourg (superbe texte intitulé Fuir seul, vers le seul -le mot est emprunté à Plotin), Sylvain images (4).jpegimages (5).jpegTesson, Tristan Savin (qui pilote le "mook" Long Cours, auteur ici de la nouvelle forte Le lion de Belfort), Gérard Chaliand, Bruno Corty, Jean-Christophe Rufin, Martin Hirsch, Laurent Joffrin et Olivier Archambeau. L'aventure peut elle encore avoir un sens dans un siècle exploré jusqu'à l'os, où la technologie interdit à l'homme de se perdre, où le principe de précaution et la recherche de sécurité sont des diktats ordinaires digérés ?.. L'altérité, la rencontre vraie, l'esprit de liberté demeurent. "L'aventure ou l'antidote au suicide collectif", écrit l'ami images (6).jpegFrébourg, qui pense aussi que "la liberté, ça ne se négocie pas : c'est la part des anges". Parmi les premiers titres de cette collection, outre ce manifeste inédit, citons le très beau livre de Luis Sepùlveda et du photographe Daniel Mordzinski, Dernières nouvelles du Sud -un long voyage en Patagonie, à rapprocher du touchant journal de voyage, Patagonie intérieure, que Lorette Nobécourt publie chez Grasset en plus de son roman sur Hildegarde de Bingen, La clôture des merveilles.

    Oui, j'ai connu des jours de grâce, l'oeuvre de Pierre Veilletet, paraît en un seul volume chez Arléa, avec une touchante introduction de Catherine Guillebaud (il me semble avoir été écouté par l'éditeur... Lire ici à la date du 15 janvier, en bas de l'article : http://bit.ly/13AcnET) et c'est un vrai bonheur teinté de tristesse : relire les sept livres de Veilletet en sachant qu'il n'y en aura plus d'autre est une peine. Le refaire c'est le fêter et c'est avant tout retrouver un plaisir du texte devenu rare lui aussi. Veilletet est définitivement un grand styliste doublé d'un romancier et d'un essayiste d'une sensibilité percutante.

    Aussi incongru que cela puisse paraître, j'enchaîne avec Alcools dont folio publie une édition anniversaire (c'est le centième de sa publication), superbement enrichie de textes d'Apollinaire sur la 

    images (7).jpeggenèse, la création, la composition de l'emblématique recueil avec un flip-book qui montre des photos (datant de 1914) d'Apollinaire et de son ami André Rouveyre en train de rire. Il y a aussi des textes admirables de Paul Léautaud, Blaise Cendrars, Pierre Reverdy, Max Jacob, René Guy Cadou, Maurice Fombeure, Louis Aragon, Allan Ginsberg et, plus près de nous, de Jacques Réda, André Velter, Guy Goffette, et Adonis, qui rendent hommage à la beauté d'Alcools. A noter également la publication d'un folioplus sur le recueil, doté d'un solide dossier analytique signé Sophie-Aude Picon.

    Poétiquement encore, citons la remarquable édition bilingue de Partie de neige du grand Paul Celan (Points/Poésie).

    images (9).jpegSoixante-dix poèmes écrits au cours des deux dernières années de la vie de Celan, 1967-68, fortement teintés d'un érotisme discret.

    Dans la même collection, paraissent les Derniers poèmes de Hölderlin (édition bilingue également, traduction de Jean-Pierre Burgart). Ce sont les fameux poèmes "de la folie" (que nous possédons dans la traduction de Pierre-Jean Jouve, chez Gallimard), écrits entre 1807 et 1843 dans la tour de Tübingen, chez le menuisier Zimmer qui logeait un immense poète devenu complètement fou à son retour, à pied, de Bordeaux... Une voix unique.

    En Poésie/Gallimard, l'édition de Cellulairement, suivi de Mes prisons (petits texte en prose), de Verlaine, images (10).jpegest précieuse car elle comprend le fac-similé du manuscrit original. Et il est toujours touchant de "lire l'écriture" des écrivains que l'on aime. Ici, les pages sont limpides, sans ratures (l'inverse d'un manuscrit tempétueux, foisonnant, d'un Flaubert ou d'un Proust), et pourtant Verlaine écrivit cela en prison, à Bruxelles,

    images (11).jpeg puis à Mons entre 1873 et 1875. La Chanson de Gaspard Hauser et L'Art poétique, entre autres poèmes célèbres, figurent dans ce livre.

  • un livre, une rose

    Capture d’écran 2013-04-27 à 10.20.46.pngJ'ai capturé ces images sur une page facebook recommandable, celle de Improbables Librairies, Improbables Bibliothèques. Je me trouvais chez mon libraire fétiche, de quartier, un arbre à lettres (image africaine, "griote", voyageuse...), ce matin lorsque une auteure Stock, par ailleurs en charge du ministère de la culture, y entra aussi (suivie de quelques paparazzis). J'appris que c'était la journée des droits d'auteur et aussi celle de l'opération un livre, une rose... Charmante Aurélie, fondue dans un jean neuf, qui acheta notamment Les poissons ne ferment pas les yeux, le dernier livre d'Erri De Luca. Ainsi eut-elle "un homme dans la poche".Capture d’écran 2013-04-27 à 10.19.05.pngCapture d’écran 2013-04-27 à 10.26.52.png

  • Les séparés, de Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)

    Les Séparés

    N'écris pas. Je suis triste, et je voudrais m'éteindre.
    Les beaux étés sans toi, c'est la nuit sans flambeau.
    J'ai refermé mes bras qui ne peuvent t'atteindre, 
    Et frapper à mon coeur, c'est frapper au tombeau.
    N'écris pas!

    N'écris pas. N'apprenons qu'à mourir à nous-mêmes.
    Ne demande qu'à Dieu...qu'à toi, si je t'aimais!
    Au fond de ton absence écouter que tu m'aimes,
    C'est entendre le ciel sans y monter jamais.
    N'écris pas!

    N'écris pas. Je te crains ; j'ai peur de ma mémoire ; 
    Elle a gardé ta voix qui m'appelle souvent.
    Ne montre pas l'eau vive à qui ne peut la boire.
    Une chère écriture est un portrait vivant.
    N'écris pas!

    N'écris pas ces doux mots que je n'ose plus lire : 
    Il semble que ta voix les répand sur mon coeur ; 
    Que je les vois brûler à travers ton sourire ; 
    Il semble qu'un baiser les empreint sur mon coeur.
    N'écris pas!

    images.jpegExtrait d'une superbe anthologie que publie Poésie/Gallimard, intitulée Je voudrais tant que tu te souviennes, Poèmes mis en chansons de Rutebeuf à Boris Vian (éd. de Sophie Nauleau). On relit Rimbaud, Villon, Michaux, Queneau, Apollinaire, Eluard, Labé, Cadou... Et en même temps on chantonne Ferré, Brassens, Gréco, Gainsbourg, Jean-Louis Murat, Julien Clerc (écouter ci-dessous), Cora Vaucaire... Le bonheur.

    Mieux, l'intention de ce petit livre est de rendre aux poètes ce que l'on a fini par attribuer à leurs interpètes chanteurs. Ainsi Barbara doit-elle à Brassens, Gréco à Queneau et Ferrat à Aragon. D'abord! Salutaire et beau.

    Il y a des après-midi où l'on se sent ainsi serti dans ce poème sublime de M.D.-V., et résonne alors qu'Au fond de ton absence écouter que tu m'aimes, / C'est entendre le ciel sans y monter jamais. Soit un sentiment étrange, car éloigné du sujet, mais dont l'empathie littéraire nous fait monter les larmes aux yeux, quand bien même nous ne nous sentons pas ou plus touchés au coeur par ces mots, mais plus bellement atteints durablement dans notre peau, par la force du souvenir d'une écorchure vive, par la beauté de la douleur, la sainteté du malheur; la poésie en somme.

     

    http://www.dailymotion.com/video/xdtefg_julien-clerc-les-separes_music#.UXKXESskZQo


    Alliances roses : 

    images (1).jpegimages (2).jpegChâteau de Jau, avec ce poème et cette mise en musique, car ce Côtes du Roussillon rosé (60% syrah, 40% grenache noir) possède une énergie rare par les temps qui courent et qui nous donnent à boire  de ces rosés pétale de rose et un rien évanescents; creux en somme. Celui-ci est frais, vivace comme une plante qui se réveille aux premiers rayons du soleil et sa vinosité est présente autant que ses arômes de fruits rouges croquants (7,95€). Le Jaja de Jau, sa petite soeur -rosée elle aussi, plus simple (4,95€), n'en est pas moins affriolante et agréable : c'est une syrah de la famille Dauré (qui vinifie les deux), elle exprime la Méditerranée avec brio; dans sa simplicité chaleureuse. Pour le bonheur de nos fin d'après-midi d'arrière-printemps (pourri -soit, mais bon). Drappier, images (3).jpegimages (4).jpegchampagne rosé brut nature, 100% pinot noir, est une valeur sûre. Vivacité,  fin cordon, bulle fine, un nez de fruits rouges et ce très léger épicé en bouche en font un champagne printanier idéal. Pour lui-même ou avec une soupe de fraises (33,56€). Perles grises est une jolie surprise qui vient des coteaux du Vendômois. Signé Patrice Colin, cet effervescent 100% pineau d’Aunis à la robe saumonée et à la belle minéralité possède un nez d’agrumes et légèrement herbé du meilleur effet (7,60€). R'osez, côtes du rhône d'Ortas (Cave de Rasteau) innove avec un look résolument r_osez_3_bouteilles_ortas_cave_de_rasteau copie.jpg
    contemporain et qui vise de nouveaux consommateurs, jeunes et sans prise de tête; avec ce serpent qui ondule sur l'étiquette. Le vin est simple et efficace, car sur le fruit, les rouges comme les agrumes. Sa fraîcheur persistante avec ce rien de bonbon anglais et de poivré en font un rosé de soirée séduisant (5,55€). Plus austère est le rosé d'Epineuil, un bourgogne de Moutardtéléchargement.jpeg Diligent, 2010, méticuleusement vendangé nuitamment, vinifié avec méticulosité, car c'est un rosé racé bien que sauvage, persistant et rebelle jusqu'en fin de bouche : on adore, sur un onglet poêlé ou bien avec un pigeonneau acheté au marché d'Evry-le-Châtel, non loin d'Epineuil (8,30€), dans l'Aube encore, et que l'on grille dehors en regardant passer et en écoutant craquer les grues cendrées qui remontent le ciel tout en visant une halte salutaire sur le Lac de Der quasi voisin. Enfin, hommage à images (5).jpegce rosé formidable de Bandol, gourmand et de repas, gastronomique comme on dit ici ou là : le Domaine de la Nartette (2012, 12,80€, Moulin de la Roque, vin biologique), est un ravissement printanier sur une dorade à la plancha, une poignée d'amis choisis et un rayon vif de soleil attendu patiemment. 60% mourvèdre, 25% grenache, 15% cinsault, fruits rouges, ananas, miel, tilleul. Charnu, épicé, à peine poivré : un délice. Ample, très aromatique, puissant sans être envahissant, c'est un rosé de caractère. Voire de respect.

    Dessert :

    http://www.youtube.com/watch?v=GFJnJsPgss8&list=RD025ppiWEdors4

    Kapsberger, Piccinini Chiaconna, par Jan Grüter au luth théorbe.

  • Faire plaisir

    Si tu m'appartenais (faisons ce rêve étrange!),

    Je voudrais avant toi m'éveiller le matin

    Pour m'accouder longtemps près de ton sommeil d'ange,

    Egal et murmurant comme un ruisseau lointain.

     

    J'irais à pas discrets cueillir de l'églantine,

    Et, patient, rempli d'un silence joyeux,

    J'entr'ouvrirais tes mains, qui gardent ta poitrine,

    Pour y glisser mes fleurs en te baisant les yeux.

     

    Et tes yeux étonnés reconnaîtraient la terre

    Dans les choses où Dieu mit le plus de douceur,

    Puis tourneraient vers moi leur naissante lumière,

    Tout pleins de mon offrande et tout pleins de ton coeur.

     

    Oh! Comprends ce qu'il souffre et sens bien comme il aime,

    Celui qui poserait, au lever du soleil, 

    Un bouquet, invisible encor, sur ton sein même,

    Pour placer ton bonheur plus près de ton réveil!

     

    René-François Sully Prudhomme, Les Solitudes - 1869.



    Alliances: 

    images.jpeg- Kapsberger, Toccata arpeggiata :

    http://www.youtube.com/watchv=6bLMwphe284&list=PLIHXLH60E8Lx1QhG_Ozj1QWnyRTNa-z1s

     

    téléchargement.jpeg- Couvent des Visitandines, Pinot noir 2010 (Patriarche, à Beaune, 5,40€). Robe intense, brillante. Nez de fruits rouges frais comme la framboise cueillie et aussitôt croquée. Bouche fine, légère, tanins souples. Un rouge clair et printanier pour prendre par le bras un pigeonneau en crapaudine.

  • siffler

    Je me disais à moi-même, enfant : Comment fais-tu pour te donner du courage? -Je siffle fort et je chante jusqu'à ne plus rien entendre autour lorsque je marche seul dans une forêt, la nuit, pourquoi...

    Hier encore, un arc-en-ciel, un ciel d'étain, des lueurs d'aube de l'humanité vinrent frapper le soir. Je me disais à moi-même, en prenant un verre à une terrasse-querencia : et, vois-tu comme la lumière orangée des soirs nuageux de cet avril mouillé passe sa main sur les choses, les arbres, les immeubles pour les rassurer? -Oh oui et cela m'a rasséréné hier encore, tandis que je marchais parmi.


    Fin d'après-midi, je vais prendre Philippe Jaccottet (Tâches de soleil, ou d'ombre), et reprendre Claude Simon (La route des Flandres, Les Géorgiques) pour la soirée ; c'est essentiel. Cela permettra d'oublier les cahuzaqueries du monde nauséabond qui vaque et autres turpitudes sans intérêt général. Non? (si-si).

     

  • Des arbres et des fleurs

    images (1).jpegLe beau livre des arbres et des fleurs que signe Dominique Pen Du -journaliste et auteur spécialisée (Chêne, 25€) faisait l'objet de deux ouvrages distincts parus l'an dernier. Réunis en un joli beau volume illustré de chromos anciennes : une page de texte sur un arbre ou une fleur et un chromo en face -telle est la maquette, d'une efficace simplicité, de ce dictionnaire compact de 350 pages. L'ouvrage offre plus de 160 entrées sous formes de fiches où l'anecdote est partout, et l'histoire, les termes vernaculaires, les rappels de certaines croyances dont la botanique est truffée sautent à chaque paragraphe. Le livre va d'Abies Pinsapo (le sapin d'Espagne) à Zinnia (une fleur de la famille des Astéracées), en passant par l'ancolie, la digitale, le mancenillier, le phlox, la reine-des-prés, le sycomore et encore la verveine... Une lecture vivifiante.

    images.jpegDans le même esprit, le somptueux Grand dictionnaire de mon petit jardin, d'Anne-France Dautheville (Belin, 28€), paru précédemment chez Minerva, est riche de 400 entrées où l'on passe en revue fleurs, arbres, insectes, oiseaux, maladies, haies, sol et autres serpents ou termes comme la floraison et concepts comme la ruse -car les herbes, mauvaises ou non, savent inventer des tours de passe-passe. Chaque note sur une plante, une fleur, un arbre, un fruit... délivre son bouquet d'informations insolites, d'enseignements historiques, anecdotiques ici aussi ou encore étymologiques. On ressort plus riche de chaque lecture faite au gré. Ce gros livre est de surcroît admirablement illustré de planches en couleurs et il comporte -cerise sur le gâteau-, des petits encadrés systématiques sur la culture (quand et comment planter) et les astuces (pour que ça pousse bien). C'est précieux. Il faut dire que son auteur est une spécialiste très cultivée, une voyageuse qui a sillonné le monde, discuté avec les jardiniers de tous les continents et qu'elle possède une plume alerte.

    images (2).jpegA la cueillette des plantes sauvages utiles. Plantes médicinales, tinctoriales, aromatiques, dépollueuses, fourragères... Ou comment savoir les reconnaître et minimiser le risque si l'on tente une aventure into the wild, ou bien si l'on souhaite par exemple fabriquer une eau de toilette personnalisée, ou vouloir bien identifier, tout simplement, les plantes sauvages entre elles. Tels sont les objets de ce livre très utile signé Nathalie Machon et Danielle Machon (Dunod, 15,90€). Ce guide "nouvelle génération", réalisé en collaboration avec le Muséum national d'Histoire naturelle, est extrêmement fiable et pratique. Il appartient à la collection L'amateur de Nature, qui rassemble des guides de terrain comme celui-ci, richement illustrés (par Delphine Zigoni, en l'occurrence), bourrés d'infos et d'astuces. A glisser dans le sac à dos.

    images (3).jpegPour un nouvel exotisme au jardin, de Jean-Michel Groult (Actes Sud, 22€), fait le point sur la quête de l'exotisme devenue omniprésente dans nos jardins et ce depuis des lustres. L'auteur, à qui nous devons nombre d'ouvrages sur le sujet botanique (notamment, et parmi les plus récents, Une histoire des plantes politiquement incorrectes, évoquée sur ce blog), parle d'invitation au voyage immobile. Groult pense et démontre que cet exotisme va loin : fruit d'un tourment complexe fait de songes et de passions, il n'exprime pas qu'un aimable dépaysement, mais une façon bien occidentale, d'appréhender une relation au monde. Un essai brillant (admirable troisième chapitre, intitulé tropical pour être honnête). 


  • Astrance, le livre

    images.jpegIl est rare que je garde des "beaux-livres" de cuisine, de ces albums à la gloire de, avec des photos léchées abusivement, prises en gros plan avec des floutés et des bougés devenus ringards aujourd'hui, de pleines pages qui sont comme des peintures sur assiette -et on voudrait nous faire croire qu'on feuillette un catalogue d'art contemporain et puis des textes hagiographiques, des dithyrambes, des recettes maquettées comme des poèmes inédits de Rimbaud. Bref, en général, je m'en sépare vite en les offrant à des amies aimant cuisiner et qui se fichent de cette mise en scène et qui les chargent vite en projections de graisse tout en tambouillant, un oeil sur eux, un autre sur le motif; le sujet. Là, je pense aux rares bouquins que j'ai gardés, comme celui de Michel Bras (Rouergue). Il en reste peu. Le pontifiant Une journée à elBulli (Ferran Adria, Phaidon), m'a gonflé -le pape de la moléculaire eut la suffisance de le présenter à la presse à... Beaubourg! Le grand livre d'Hélène Darroze aussi (offert vite). Enfin, bon, là, j'en tiens un vrai, un qui n'est pas prêt de quitter mes lieux : Astrance Livre de cuisine (Le Chêne, 70€). Parce que le bouquin est vraiment somptueux, sous emboîtage, avec son second livre, un cahier de recettes pas-à-pas, qui frappent par leur modestie : Pascal Barbot (le chef) y livre ses secrets pour tenter de réalsier les grands classiques de sa table comme l'aubergine au miso, le millefeuille de foie gras (une tarte avec des  champignons de Paris d'un incroyable croquant), le dashi, et aussi la façon de cuire avec précision un poisson à la poêle ou à la vapeur... Les textes -du gros livre principal-, sont de Chihiro Masui, une Japonaise infusée, perfusée à la haute gastronomie française. Les photos sont signées Richard Haughton, un Irlandais familier des grandes cuisines françaises. Astrance nous dit surtout la fusion, l'alchimie de la rencontre entre un chef cuisinier réellement exceptionnel, Pascal Barbot, formé chez Passard (L'Arpège) notamment, et un chef d'orchestre en salle, Christophe Rohat donc, maître de cérémonie plutôt, directeur de la machine ainsi que leur brigade décontractée et tellement talentueuse qu'on est tenté de se dire, en entrant à l'Astrance (mon restaurant préféré et de loin dans sa catégorie), que l'exigence de l'excellence est ici au rendez-vous jusque dans le moindre recoin, lequel n'a rien à cacher. Les deux complices ont ouvert l'Astrance en 2000 (25 couverts et pas un de plus, jamais!  -C'est plein chaque jour, réservez bien à l'avance). A l'époque, je dirigeais les rédactions de GaultMillau (magazine et guides) et ma rédac. se trouvait à un jet de galets de là, Square Petrarque. téléchargement.jpegL'Astrance est rue Beethoven et tout cela gravite autour du Trocadéro, à Paris, sur les hauteurs puisque, d'en haut, on voit la Seine qui ne serpente pas. La découverte de cette table (je fus alerté par une éclaireuse hors-pair, mon amie Marie-Caroline Malbec, laquelle fait la tambouille à Alain Passard à l'occasion et la faisait également à feu Bernard Frank lorsqu'il traînait par chez elle, car c'est une journaliste-cuisinière de haute volée), fut une révélation qui vous scotche pour longtemps. Je n'en fis pas ma cantine, pensez!.. Les notes de frais connaissaient déjà leurs limites et mes ressources étaient maigrichonnes. Mais nous fîmes de Barbot le cuisinier de l'année, au Guide jaune. C'était le minimum. Avec une note au maximum, délivrée par l'un de mes plus fiables enquêteurs (je ne devais pas à intervenir, oeuf corse) et le grand papier qui allait avec, dans le magazine. La cuisine inventive, révolutionnaire, d'une simplicité touchante et pour tout dire émouvante de Barbot, allait droit au coeur de tous ceux -et ils furent vite nombreux à se passer le mot, qui savent distinguer l'essentiel de l'esbrouffe (l'esbrouffe? -Un truc très parisien qui fonctionne comme un virus souriant et il faut apprendre à se méfier de ces sourires figés-là). Aujourd'hui, l'Astrance est l'une des meilleures tables de l'hexagone. Et la sincérité, le savoir-faire, la créativité, la générosité, la modestie jamais feinte, la magie et les recettes de ce duo (Pascal et Christophe), impeccablement épaulé par une équipe réduite mais redoutablement efficace, n'a pas pris un pépin de melon en treize ans. Rare. Ce livre est à leur image : aucun texte qui escorte de sublimes photos n'est inutile, car tous fouillent l'anecdote, l'arrière-histoire comme disait René Char à propos de ses poèmes, l'avant-cuisine, ce qui se passe dans la tête de Pascal, ce qui chuchote en lui lorsqu'il voyage en Extrême-Orient, à la recherche de flaveurs et d'alliances, ce qui lui passe par l'esprit quand il pense à la perfection de l'oeuf, lorsqu'il met au point un plat risque zéro, ou bien qu'il flirte avec l'excellence en sachant qu'elle sera -heureusement- toujours à venir. Sauf qu'à chaque repas, Barbot et Rohat, animés par l'envie de faire plaisir, cette chose toute simple, réussissent leur coup à force de talents réunis, conjugués; bien dans leur tête. Dire que le livre passe en revue les agrumes, les piments, les herbes, les fleurs, les algues, les  vinaigres, les épices, les truffes, le pain grillé... est faible. Ses 350 pages mettent en scène, en lumière, en musique et en joie cent et un produits. Le livre devient une invitation au voyage, comme chaque repas pris à l'Astrance est une expérience singulière; l'apprentissage de l'épure intellectuelle et gustative.

    Photo : Christophe Rohat (à g.) et Pascal Barbot ©vivelarestauration.com

  • cadeauésie

    images.jpegLe coffret est arrivé par coursier et quand je l'ai ouvert, je me suis exclamé de bonheur. Il y a des jours comme ça où vous pensez que c'est votre fête, mais non -ou bien oui. 

    Poésie/Gallimard (André Velter) et Télérama (Fabienne Pascaud) se sont associés pour proposer une Petite Bibliothèque de Poésie (30€) composée de douze volumes d'un format agréable, plus petit que l'habituel de la collection Poésie, minces (48 pages dont 40 de poèmes), essentiels, qui sont donc eux-mêmes des mini-anthologies de poètes emblématiques, intemporels ayant bousculé le langage et innové en leur temps respectif. Ce Coffret des Douze marquera.

    En voici l'éclectique composition : François Villon, Frères humains qui après nous vivez. Charles d'Orléans, En la forêt de longue attente. Maurice Scève, Plutôt seront Rhône et Saône déjoints. Pierre de Ronsard, Afin qu'à tout jamais de siècle en siècle vive. Théophile de Viau, Après m'avoir fait tant mourir. Jean de La Fontaine, Un savetier chantait du matin jusqu'au soir. Marceline Desbordes-Valmore, Qui me rendra ces jours où la vie a des ailes. Victor Hugo, Car le mot, qu'on le sache, est un être vivant. Gérard de Nerval, Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée. Charles Baudelaire, Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat. Paul Verlaine, Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant. Arthur Rimbaud, J'étais soucieux de tous les équipages. On se lassera de ces compagnons avec difficulté et c'est heureux. Ce coffret de chevet est un cadeau poétique majeur; un viatique. La véritable  marque de l'arrivée du printemps.

    En offrande, ce sonnet de Théophile de Viau :

    Je songeais que Phyllis des enfers revenue,
    Belle comme elle était à la clarté du jour,
    Voulait que son fantôme encore fît l’amour
    Et que comme Ixion j’embrassasse une nue.
     
    Son ombre dans mon lit se glissa toute nue
    Et me dit : « Cher Thyrsis, me voici de retour,
    Je n’ai fait qu’embellir en ce triste séjour
    Où depuis ton départ le sort m’a retenue.
     
    « Je viens pour rebaiser le plus beau des amants,
    Je viens pour remourir dans tes embrassements. »
    Alors, quand cette idole eut abusé ma flamme,
     
    Elle me dit : « Adieu, je m’en vais chez les morts,
    Comme tu t’es vanté d’avoir foutu mon corps,
    Tu te pourras vanter d’avoir foutu mon âme ! »

  • Mort d'un grand éditeur

    images.jpeg

    Jean-Marc Roberts vient de capituler face au cancer. Il luttait depuis longtemps. Il avait trouvé la force et l'élégance de donner un dernier livre de souvenirs et de dialogue avec sa maladie, Deux vies valent mieux qu'une (Flammarion), car c'était aussi un écrivain raffiné; au talent précoce : romancier à dix-huit ans, prix Renaudot à vingt-cinq pour Affaires étrangères. Il présidait les éditions Stock avec sa grande personnalité, son flair, un talent qu'il avait exercé longtemps au Seuil (où je fis sa connaissance dans les années 1982-84. Il ressemblait alors à cette photo de ©Sophie Bassouls), puis chez Fayard avant de lancer la fameuse collection Bleue chez Stock. Certains de mes amis étaient, sont ses auteurs sous casaque bleue : Christian Authier, Simonetta Greggio, Jean-Marc Parisis. C'est à eux que je pense aussi, ce soir.

     

  • lire7

    Quelques unes de mes chroniques parues récemment dans Télé7jours.images.jpeg


    Chronique d’hiver, par Paul Auster

    À l’âge de 64 ans, un grand écrivain américain se penche sur son passé à la deuxième personne. En se parlant à lui-même, il nous tutoie. Un homme est entré dans l’hiver de sa vie et se souvient. Ce premier volume de mémoires (le second aura trait au travail d’écriture) saisit l’auteur à l’âge de 3,5 ans lorsqu’une glissade lui fait frôler la mort. Avec une sincère lucidité, Paul Auster revisite les moments saillants –et anodins, donc universels-, d’une existence traversée depuis 30 ans par l’amour total -pour et- d’une seule femme, l’écrivain Siri Hustvedt. On y croise leur fille Sophie, des êtres qui comptent et surtout une multitude de faits quotidiens, consignés ici parce qu’ils devaient frapper la porte de l’esprit. Crépusculaire, grave et beau, c’est le livre le plus touchant d’Auster. L.M.

    Mémoires, Actes Sud, 252 pages, 22,50€


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    Bérénice 34-44, par Isabelle Stibbe

    Son prénom la prédestinait. Sa vocation sûre de comédienne la fera entrer au Conservatoire, puis à la Comédie-Française en 1937 contre l’avis de son père, le fourreur parisien Maurice Capel, né Moïshe Kapelouchnik. C’est la consécration à 18 ans pour Bérénice de Lignères (son nom d’artiste). Mais la seconde guerre éclate et la barbarie nazie n’épargne pas la Maison de Molière, où nous croisons notamment Louis Jouvet. Ce premier roman à l’écriture enveloppante conte le destin d’une femme courageuse dont les origines juives seront dénoncées, dans un Paris occupé admirablement décrit. L.M.

    Roman, Serge Safran éditeur,  320 pages, 18€


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    La Campagne de France, de Jean-Claude Lalumière 

    Installés à Biarritz, Alexandre et Otto donnent dans le voyage culturel. Forcés de revoir leurs ambitions à la baisse, ils inscrivent Bergues (Bienvenue chez les Ch’tis) à leur programme, via quand même la Gironde de François Mauriac, Oradour-sur-Glane et le Limousin de Jean Giraudoux. Leur « Cultibus » embarque douze retraités Luziens forts en gueule et aux préoccupations terre-à-terre. Cela donne une comédie désopilante et burlesque fleurie d’une kyrielle d’aventures rocambolesques. L’équipée est gratinée et l’auteur excelle dans la satire raffinée. L.M.

    Roman, le dilettante,  288 pages,  17,50€


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    La montée des cendres, par Pierre Patrolin

    Dans ce roman singulier, il pleut sur Paris. Beaucoup. Et puis il neige. Et la Seine grossit. Un homme, qui vient d’emménager au cœur de la capitale, a trouvé un briquet laissé à côté de sa cheminée. Dès lors, alors que la ville se noie, ce Robinson urbain se sent investi d’une mission : entretenir la flamme fragile que, par réflexe, il a allumée en s’installant chez lui. Mettre la main sur tout ce qui brûle, dans les rues, les jardins, devient son obsession… Où cela peut-il le conduire ? Une fable poétique, dans la veine de La Route, de McCarthy. L.M.

    Roman. P.O.L., 188 p., 16 €


  • flacons frais

    images.jpgPour escorter un Saint-Félicien bien fait, le Château de France, pessac-leognan blanc (2011), 80% sauvignon, 20% sémillon, avec son nez gourmand d'agrumes et de fruits exotiques et sa bouche délicatement épicée, est un régal. 4 ha sur les 40 que compte cette propriété sont consacrés à l'élaboration de ce blanc raffiné et résolument de garde. A peine 15000 bouteilles (21€) sont produites. Rappelons que l'AOC Pessac-Leognan produit sans conteste les meilleurs mages.jpgblancs de toute la région de Bordeaux.

    Le champagne Brut Réserve de Charles Heidsieck est un multi millésime remarquable. Sa bulle est fine et le cordon élégant. Le nez est brioché et de fruits exotiques et de fruits secs. En bouche, cette sélection de vins de réserve ayant jusqu'à dix ans lui donne de la profondeur et une onctuosité charnue. Un beau flacon (40€) pour accompagner un foie gras au torchon par exemple.

    iges.jpgSaint André de Figuière, de la famille Combard à Londe les Maures (près de Toulon), célèbre pour ses rosés tranquilles, produit Atmosphère, un extra-brut rosé (2011) -un vin "méthode traditionnelle" issu de cinsault et de grenache vinifiés séparément, qui subissent une première fermentation en cuve et une seconde en bouteille (la prise de mousse, par addition de moût de raisin, ou liqueur de tirage). Cet effervescent provençal a tout pour plaire. Beau nez tendre et friand de baies rouges fraîches, bulle assez fine, notes toastées en bouche, finale fraîche et ronde (17,50€). Et je m'interdis d'écrire qu'il s'agit d'un vin féminin!

  • Salon du Livre

    chasses-furtives.jpgSpécial autopromo... Je suis invité à signer Chasses furtives sur le stand des éditions Passiflore (U65 - T77) http://www.editions-passiflore.com/collection-itineraire-roman/35-chasses-furtives.html  samedi prochain 23 mars à partir de 16h au Salon du livre de Paris.

    Comme je me suis laissé dire qu'il se trouvait encore quelques rares citoyens qui ne possédaient curieusement pas ce livre, ce message leur est particulièrement adressé. Il n'y aura donc pas foule devant la table du singe. 

    http://bit.ly/X048l7

  • Villa Blanche

     

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    C'est un grand chardonnay d'une belle complexité,  droit, minéral, acide ce qu'il faut, à l'attaque vive et puissante, à la fois aromatique et gras donc élégant et doté d'une belle longueur en bouche. Elaboré avec autant d'amour que de savoir-faire, semble-t-il, c'est un vin signé Calmel + J.Joseph, soit un grand vin du Languedoc-Roussillon (IGP Pays d'Oc, 2012) et sur la contre-étiquette de cette cuvée rare appelée Villa Blanche, nous lisons avec plaisir un concentré de la philosophie de ces vignerons scrupuleux : Transparence pour des vins libres. J'adore! La bouteille est équipée d'un bouchon à vis. J'aime de plus en plus cela. Pas vous? Voilà un grand blanc de confiance parmi des vins de respect et surtout un chardonnay exceptionnel (7€).

  • VDD

    images.jpgimags.jpgimas.jpgDom Brial (Baixas, Pyrénées-Orientales) est une grande cave qui regroupe 380 coopéateurs produisant 85000 hl de vins sur 2500 ha de vignes. C'est énorme. Cela ne l'empêche pas de bénéficier pour ses vins qui voient le jour en Languedoc-Roussillon et grâce à  un travail raisonné sur la nature effectué jour après jour depuis longtemps déjà, du label VDD, Vignerons Développement Durable, certifié par l'Institut Coopératif du Vin et qui touche une douzaine de caves identiques à celle-ci. Ces caves oeuvrent à l'utilisation et à la promotion d'énergies douces (solaire, notamment) et aux traitements alternatifs propres (comme la fertilisation naturelle). La gamme Helios de Dom Brial, déclinée dans les trois couleurs désigne des vins tranquilles très simples et au rapport qualité-prix intéressant (5€ chaque flacon). Helios rouge (carignan, grenache, syrah, mourvèdre) est puissant et possède un beau nez de baies rouges et noires bien mûres. Helios blanc (grenache blanc, malvoisie, macabeu) est frais mais on lui reprochera un léger perlant un peu gênant en bouche. Helios rosé (syrah, grenache noir) est un honnête vin de grillades printanières. Des flacons sudistes sans prétention et à qui nous ne demanderons rien d'ailleurs, pour tant de beaux jours à venir.

  • Royal palais

    Pierre au Palais-Royal à Paris (10, rue de Richelieu) est un beau restaurant bistronomique, frais et dont la clarté tranche sur les tons noir et blanc et sur cette originale décoration africaine, tendance résolument zébrée, surtout dans la seconde salle du fond. Jolie moquette lie de vin. L'accueil sympathique et le discours à la prise de commande d'Eric Sertour, son accent de Montélimar, son expertise en vins et ses conseils judicieux, notamment sur les plats du marché du jour ajoutés au formidable menu-carte, font oublier un service un peu froid par ailleurs. Superbes produits maîtrisés -qu'ils proviennent de la mer ou de la terre-, magnifiés même, audacieusement associés et dont les cuissons sont d'une précision d'horloger genevois. Les desserts sont par ailleurs dignes de ceux d'un vrai bon pâtissier. A la carte, nous sont proposés, pêle-mêle : Poêlée d'ormeaux et berniques à l'ail, salicornes (+7€ s'il est choisi au menu-carte recommandable). Sardines bretonnes cuites au citron confit et absinthe fraîche, salade de lentilles blondes, mâche et grenade. Filets de rouget barbet de l'île d'Yeu, poêlée de courgettes fleurs, girolles et amandes fraîches, beurre blanc au thym citronné. Saint-Pierre rôti, fricassée d'aubergines et piquillos, pistou à la roquette et noix (+5€). Filet de boeuf de race Normande façon Rossini (foie gras, sauce truffée) pommes de terre boulangère (+15€)... Et aussi des nèfles tièdes au miel, pain d'épices et sorbet yaourt, gingembre confit (je les ai goûtées en annexe, car devant mon hésitation avec une autre douceur, il me fut proposé gracieusement un échantillon de mon non-choix -cette marque de tact est remarquable. Cependant, le pain d'épices était sec, les nèfles fades et le sorbet bon). Mon repas du 14 juin dernier fut composé d'un risotto d'orge perlée au parmesan et cresson et premiers champignons sauvages (mousserons et petites girolles) : orge trop croquante, bon jus de viande pour relever l'ensemble, qui réclame le poivre du moulin... Puis d'un canard croisé "comme dans le XIII ème", l'aile laquée, la cuisse en raviole poêlée, sauté de langues, gombos et blettes aux cinq parfums : un pur délice! L'aile désigne ici le flanc (ou magret), mais passons. Superbes cuissons distinctes, très bons légumes, ravioles fortes en goût (y avait-il aussi le foie en elles?). Et enfin d'un millefeuille au chocolat et noix de macademia, la "crema" d'un expresso : Délicieux, infiniment délicat, très belle exécution (visuelle et gustative). Le café est bon, sans plus et servi avec deux mini financiers à la noisette excellents. Le pain est un honnête "campagne" à la bonne odeur fraîche de levain lorsqu'on plante discrètement mais profondément ses narines dans la mie. La carte des vins est judicieuse : à noter que le chef, Eric Sertour (aujourd'hui secondé par un ancien de chez Jacques Cagna, Konrad Ceglowski), est également Meilleur Sommelier de France), mais elle est très chère; sauf au verre : 6€ et quelques bons choix, notamment le rosé de Mourgues du Grès (costières-de-Nîmes), ou encore le rouge de La Célestière (un châteauneuf-du-pape déclassé en côtes-du-rhône), les deux proposés dans le millésime 2010. Il existe aussi un très intéressant menu-carte à 33€ (entrée+plat ou plat+dessert), ou bien à 39€ (dessert compris). Le plat du jour pris seul coûte 28€. Les plats de ce jour-là étaient une poêlée de girolles d'Auvergne (minuscules comme des boutons). Un sandre poché. Une caille désossée flambée à l'eau de vie, purée de patates douces. Un dernier mot sur le hall d'accueil, qui est chaleureux, ce qui n'est pas souvent le cas dans ce quartier froid qui va du Palais-Royal à l'Opéra Garner. Pierre au Palais-Royal est un resto cosy de déjeuner d'affaires et aussi une table chic pour y diner entre amis, voire en amoureux (personnellement, ce n'est pas là que j'amènerais des potes du Sud-Ouest ni ma dulcinée, mais bon). Enfin, il m'en a coûté 61€ pour ce repas avec 3 verres de vin... J'enquêtais -comme souvent- pour un célèbre guide gastronomique. Si je publie ce compte rendu de visite succinct, c'est parce que je viens de tomber dessus et que je m'aperçois tardivement qu'il est resté au marbre de l'édition 2013 dudit guide. Alors autant partager ici ; une fois n'étant pas coutume!

  • Les poètes des jardins

    ndex.jpgLe paysagiste est un poète des jardins et cet ouvrage magnifique est pour lui et tous ceux qui poursuivent des études d'architecte-paysagiste : Carnet de travail d'un jardinier paysagiste, de Hugues Peuvergne (Ulmer, 30€), est une sorte de carnet intime des nombreuses réalisations d'un virtuose de la nature, étape par étape avec force illustrations, photos, dessins, plans, textes poétiques et nécessairement pratiques, voire techniques mais dans une langue imagée et simple. L'ouvrage présente dix-sept des plus beaux jardins mis en scène par l'auteur dont c'est le métier depuis vingt-six ans, aménagés avec subtilité, intelligence, sensibilité, à Paris, en région parisienne et au-delà. Cela ressemble à un carnet de voyages dans un espace vert et fleuri et dans un temps apaisé, rasséréné par le travail harmonieux de l'homme lorsqu'il sait écouter la nature et l'allier à notre quotidien. Vivant, ce livre l'est aussi par le récit de rencontres humaines et paysagères, par ses anecdotes et ses croquis et esquisses, de la genèse de chaque projet à sa livraison.

    Hugues Peuvergne donnera une conférence (dédicace) le 12 avril prochain au fameux Domaine de Saint-Jean-de-Beauregard, dans l'Essonne (situé à 27 km de Paris).

  • Rambaud, dernière

    index.jpgC'est le sixième et dernier volume de la chronique rédigée à la manière d'un Duc de Saint-Simon des temps modernes, du règne de Nicolas Ier, Notre Culotté Potentat qui présida le pays dans l'intérêt particulier davantage que général; ce durant cinq ans. Patrick Rambaud excelle avec cet ultime opus irrévérencieux à souhait et comme tous les autres désopilant. L'ouvrage voit également le couronnement de M. de la Corrèze et nous permet de revivre l'affaire DSK (avec M. de Washington), entre autres faits marquants de cette pitoyable fin de règne d'un Sautillant Monarque par trop autocrate. J'ai particulièrement savouré le chapitre V qui évoque sous le sous-titre : La corrida de Bayonne l'accueil particulièrement vif que les Bayonnais réservèrent à Notre Leader Furieux au cours de la campagne. Souvenez-vous comme ces moments furent délicieux...  Tombeau de Nicolas Ier et avènement de François IV, par Patrick Rambaud, Grasset 16€.

     

  • Sagesses à 2€

    images (2).jpegLe marché est encombré mais les éditeurs y vont encore : folio 2€ lance sa sous-collection, baptisée Sagesses, avec une
    images (1).jpeg dizaine de titres minces et essentiels : Cioran, Pensées étranglées (extraits du Mauvais démiurge), Ellul, Je suis sincère avec moi-même (déjà évoqué ici il y a quelques jours : "Presse Papier". Extraits de Exégèse des nouveaux lieux communs), Sénèque, De la providence (extraits de Lettres à Lucilius et de Stoïciens), Tchouang-tseu, Joie suprême, Maître Eckhart, L'amour est fort comme la mort, Saâdi, Le Jardin des Fruits, et encore Liu An, Du monde des hommes (de l'art de vivre pami ses semblables), un ouvrage01073218624.gif sur la voie du zen de Dôgen, Corps et esprit, et un extrait de La Légende dorée (vie des saintes 01074165624.gifillustres) de Voragine... Avec une collection à ce prix, ces petits livres que l'on a envie d'offrir comme on achète des chocolatines sont voués au succès. C'est le miracle du (mini) poche que de faire tenir tant d'esprit, de sagesse, de réflexions intemporelles pour la plupart, dans un bouquin aussi épaisimages.jpeg qu'une tranche de pain de mie et à peine davantage qu'une tranche de jambon coupée comme avant. La images (3).jpegforme est séduisante et les textes sont des compagnons pour le jardin, l'attente, les 01073219624.giftransports en commun. Quoi de plus stimulant en effet, tandis que l'on attend un ami quelque part, surtout pas temps de neige comme aujourd'hui, que de lire des aphorismes de Cioran, une pensée de Sénèque, des réflexions sur le bonheur d'un sage chinois, des sentences et des historiettes persanes ou encore des méditations sur la vie contemplative, le détachement, la honte, la jalousie, le pardon, le discernement... qui nous sont chuchotées par les maîtres -anciens et modernes- de la sérénité (re)trouvée? On en redemande.

  • Damiano Damiani

    l-ile-des-amours-interdites-affiche_240844_14171.jpgUn nom du cinéma italien des grandes années vient de mourir le 7 mars à l'âge de 90 ans. De Damiano Damiani, on se souvient peut-être de El Chuncho (1967), un western spaghetti dans la veine des Sergio Leone, avec la révolution mexicaine de 1910 pour cadre et Gian Maria Volonte et Klaus Kinski pour acteurs principaux. On se souvient de Pizza Connection  -à propos de la mafia (Ours d'or à Berlin en 1985), ou de La mafia fait la loi (1968, avec Claudia Cardinale; d'après un roman de Leonardo Sciascia). Pour la télévision, Damiano Damiani fut le co-auteur des premiers épisodes (on ne parlait pas encore de saisons), d'une série lancée en 1984 et qui connut un grand succès au-delà des frontières de la Botte : La Piovra (La Mafia), avec Michele Placido pour acteur principal. Mais qui se souvient de L'île des amoursth.jpg interdites, adapté de l'Isola di Arturo, L'Île d'Arturo, d'Elsa Morante, le grand roman (Prix Strega 1957 -le Goncourt italien), de "la" Morante et qui a Procida pour cadre? Le film valut à Damiani le Grand Prix du Festival de Saint-Sebastien en 1961. Damiani était le cinéaste des problèmes sociaux et il se rapproche en cela du néoréalisme italien. L'Île des amours interdites, tourné en noir et blanc, montre une Procida encore sauvage, une prison, Terra Murata, en activité (elle ne fermera qu'en 1988) et des personnages d'une sensibilité à fleur de peau. De ce film, fidèle au roman, il se dégage une poésie simple, un dépouillement; une vérité pure comme l'enfance lorsqu'elle rencontre la mélancolie et qu'elle cesse de jouer avec un chien sur la plage.

     

  • Ivre de poésie

    « Il faut être toujours ivre, tout est là ; c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. Mais de quoi ? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous ! » Baudelaire.

    imges.jpegA noter, la parution d'une précieuse petite anthologie concoctée par Zéno Bianu, orfèvre en la matière : Poèmes à dire, une anthologie de poésie contemporaine francophone, publiée par Poésie/Gallimard (6,90€) à l'occasion du Printemps des Poètes 2013 (du 9 au 24 mars). De Paul Claudel à Valérie Rouzeau, de Guillaume Apollinaire à Serge Pey, de Jean Malrieu à Bernard Manciet, de Georges Ribemont-Dessaignes à Dominique Sampiero, de Paul Eluard à André Velter, voici un florilège à déclamer au lit, assis tailleur sur les draps : Ecoute, amour, écoute!.. A proposer à l'inconnu, à lire, à dire, à crier, à chanter, à téléphoner, à laisser sur un répondeur, à reproduire dans une lettre -une vraie, avec une enveloppe et un timbre choisi et son adresse écrite à la plume; à textoer (pourquoi pas!), afin de révéler le cante hondo ou jondo, ce chant profond de la poésie viscérale andalouse, flamenca et plus largement, afin de voir fleurir, s'épanouir l'émotion qui se dégage et s'impose à partir de chaque poème francophone reproduit dans ce précieux petit bouquin, lorsque chacun d'entre eux est vécu et offert avec la voix; avec la voix seulement (sans malédiction), la voix qui vient du ventre qui bouillonne, celle qui vient aussi du coeur qui gonflonne... Aux seules fins de la jubilation du partage comme me l'écrit lui-même Zéno; dans la commune présence d'une fraternité essentielle, afin de tenir en échec les puissances environnantes du monde hostile...

    Extrait au pif : 

    Dormir avec toi.

     Ecoute le tonnerre, ce bûcheron, traverser la nuit. Entends ce délire. Ah! Serre-moi dans tes jambes nues. Inonde-moi de chaleur, de lumière. L'orage monte des draps froissés. Je ne suis qu'un homme dans les bras de la nuit (...)

    Dormir avec toi.

     Je dors en toi. Je dors toujours en toi, plus profondément en toi. Je t'enlace, tu me pénètres des dents, des bras. Tu as le râle des palombes. Les yeux fermés, je vois ouverts tes yeux. Y dérivent les rivières. (...)

    Jean Malrieu, extrait, page 78.


    Un dernier pour le chemin

    La main, en écrivant

    La main est le berger de l'ombre. L'ombre des mots. L'ombre de rien. Elle rassemble. Une île entre le visible et l'invisible. C'est par là qu'elle touche les morts, qu'elle les caresse et leur parle. Ils posent leur front glacé entre nos doigts. C'est la mémoire des outils, des courbatures. Des gestes vers la terre. Et l'on se surprend à tracer dans l'air des arabesques de semailles, à abattre des arbres de verre. A détourner des rivières muettes. La main sait tout. Le mouvement du pain. Les poutres sur l'épaule. Conduire les troupeaux. Cueillir, toucher, ouvrir (...) 

    Dominique Sampiero, extrait, page 156. 

     


  • Comte-Sponville, quand même

    images.jpegBon, le gars ne m'émeut guère, j'ai lu ses principaux bouquins (tous des best-sellers comme ceux de Onfray mais je préfère Onfray et je me réjouis de toute façon tellement de ce que des livres de philo, même softs, se vendent comme des chocolatines!...), mais bon, voilà. Sauf que là, dans un avion, j'ai lu un entretien tout simple, voire simpliste, avec André Comte-Sponville à propos de la simplicité je crois; ça devait être dans une revue de compagnie aérienne, était-ce Air France mag?.. Je ne sais plus (et j'aurais aimé pouvoir citer au moins le confrère qui a réalisé l'interviouve (j'ai arraché une page du mag, mais elle est tronquée). En tout cas, voici ce qu'il fallait en retenir, car c'est bluffant ce qui suit, même si parfois le gonze enfonce des portes ouvertes à deux battants larges -mais bon, vous allez aimer j'en suis sûr, ou bien alors je me fais moine (enfin... Oupoupoup... On verra, hein).

    Citations :

    "La simplicité n'est pas de l'ordre de l'avoir, mais de l'être (...) La simplicité c'est d'abord le naturel. C'est la vie réduite à sa plus simple expression. La vie insignifiante.

    Le contraire du simple n'est pas le complexe, mais le faux. Etre simple, c'est ne pas faire attention, ne pas calculer, être sans ruser et sans secret, sans idées de derrière, sans programme, sans projet... La simplicité est oubli de soi, c'est en quoi elle est une vertu : non le contraire de l'égoïsme, comme la générosité, mais le contraire du narcissisme, de la prétention, de la suffisance. Le simple n'a rien à prouver, puisqu'il ne veut rien paraître, ni rien à chercher, puisque tout est là. Quoi de plus simple que la simplicité? Quoi de plus léger? Quoi de plus difficile? C'est la vertu des sages et la sagesse des saints.

    Quant à la sérénité, ce qu'Epicure appelait l'ataraxie, elle est peut-être le plus simple et le plus rare de nos états d'âme... (...) Les plaisirs de la promenade (exemple) : c'est le corps qui se promène. Mais c'est l'esprit qui en jouit. 

    A propos du plaisir simple et du présent : Le passé n'est pas, puisqu'il n'est plus. Ni l'avenir, puisqu'il n'est pas encore. Donc il n'y a que le présent. Mais le plus souvent, nous en sommes séparés par le regret ou la nostalgie, ou bien par l'espoir et la crainte... Nous ne sommes plus dans la simplicité de vivre, mais dans la dualité, dans la distension de l'âme, comme disait Saint-Augustin, comme écartelés entre le passé et l'avenir... Vivre simplement, c'est donc vivre au présent. C'est en quoi la simplicité nous ouvre au monde et aussi à l'éternité.

    Le présent, contrairement à ce qu'on dit souvent, ne disparaît jamais. Les événements changent : le présent demeure.

    Il ne faut pas confondre la simplicité et le bonheur. Quand vous êtes malheureux, soyez simplement malheureux. Cela vaut mieux que vouloir à tout prix le bonheur, quand le réel s'y oppose. Et quand vous n'êtes ni heureux ni malheureux, ce qui est le cas le plus ordinaire, soyez simplement dans l'entre-deux... La simplicité est une vertu. Le bonheur une chance. Ce qui est vrai, en revanche, c'est qu'il est difficile d'être heureux quand on ne sait pas apprécier les plaisirs simples de l'existence. Non qu'ils suffisent toujours au bonheur, hélas, mais parce que le bonheur, sans eux, n'est qu'un rêve ou un mensonge.

    Il y a de grands plaisirs (dans l'amour, l'art, la sexualité, la philosophie, la spiritualité ou l'action), qui sont plus précieux que les petits. Ils sont souvent moins simples? Soit. C'est pourquoi la simplicité est une vertu nécessaire et difficile. Etre simple, ce n'est pas chercher la petitesse. C'est refuser les fausses grandeurs."

  • 603 / 1226

    Je ne pige pas le truc. Hier, vous avez été 603 visiteurs uniques sur ce fucking blog et vous avez regardé 1226 pages d'içelui. Et combien de commentaires? -Z. Pourquoi. Je ne pige toujours pas le truc. Le truc de la participation, de l'interactivité, tout ça, cela m'échappe. Alors oui j'ai eu 2-3 mails directs. Mais bon... Je pige aussi, un peu, le truc de la conso d'un blog, en passant, je musarde -ça oui (la preuve). Mais bon, un blog c'est aussi fait pour lui donner de la vie, du sang, de la chair, des frottements, des frictions, du peps, non?.. Ou alors je me trompe...  ¡A ver!

  • viral

    IMG_8047.JPGEnseigner la philosophie, pour Nicolas Grimaldi, c'est tenter de rendre la pensée aussi contagieuse que l'émotion.


    Lorsque je jouis seul d'un paysage merveilleux, que je ne peux donc pas partager mon émotion, ce que je ressens alors est étrange : c'est comme si j'en étais privé.

    Ce qui n'est déjà plus l'ombre et pas encore la proie (André Breton, à propos du chien-et-loup).

    Etrangeté du manque. Et de l'imagination, qui tient une si grande place dans l'amour que quelquefois nous avons hâte de voir partir la personne aimée : elle nous gêne pour penser à elle.

    Photo : Pêcheur sur l'eau, Hanoi, ©L.M.

  • gloûté pour vlous

    images.jpgTrès belle prestance pour ce rouge de la région de Béziers. Roqua Blanca est un vignoble d'une trentaine d'hectares sur des sols schisteux ici et argilo-calcaire caillouteux là. Le vin s'appelle La Croix Chevalière et il est réalisé par les vignobles Laroche à Chablis. Nous avons goûté le 2009, un vin de garde assurément. Sa robe obscure, son nez un rien torréfié avec des dominantes de cassis mûr et sa bouche ample et opulente en font un rouge idéal sur une côte de boeuf (ce fut le cas). La syrah, fiancée au merlot et à la grenache, s'assouplit en conversant avec ses copines. Belle bête. 23€

    Family Reserve Hautes-Terres 2004, du château Fourcas-Dupré (Listrac) est aussi splendide mais pourvu de plus d'élégance, si l'on Image 4.pngpeut comparer les deux flacons sur la même côte de boeuf (ce qui fut fait). Vin de garde, prestigieux, il exprime le meilleur de cette propriété emblématique de l'appellation médocaine, pilotée par Patrice et Ghislain Pagès. Attaque douce, montée en puissance au nez et en bouche avec une belle longueur. Flaveurs épicées, toastées, de sous-bois, giboyeuses même, avec un rien de réglissé. Un chouia plus de cabernet-sauvignon que de merlot, un peu de cabernet-franc et un soupçon de petit verdot, un tiers de fûts neufs, une conduite raisonnée de la vigne... En bouche, cela donne une belle fraîcheur mi-poivrée, mi-chocolatée. La finesse est là et la force aussi, mais discrète, pas trapue. L'élégance, quoi. 14€

    Le gagnant (sur la côte de boeuf) fut Coin Caché, cuvée très concentrée et issue de vieilles vignes - 85% grenache et le reste en syrah, du mas de la dame, un rouge en appellation Les Baux de Provence 2008 capiteux, riche, à la robe noire, au nez franchement expressif de fruits rouges mûrs en soupe (fraises) ou même à l'eau de vie (cerises) et d'épices douces. La parcelle qui le produit est la plus ancienne de ce domaine conduit en bio (Qualité France). Simone de Beauvoir évoque les vins du mas de la dame dans La Force de l'âge; ceci pour l'anecdote. Ce sont cependant deux femmesimmmages.jpg ex-journalistes, Anne Poniatowski et Caroline Missoffe qui pilotent le mas bien nommé : elles ont repris la propriété familiale il y a bientôt vingt ans et se sont entourées des conseils de Jean-Luc Colombo (dont les Cornas sont légendaires). Néanmoins, Coin Caché n'a rien d'un vin féminin -qualificatif ridicule à la vérité, chacun en convient aujourd'hui. Sauf que cette cuvée, qui titre d'ailleurs 14,5°, possède vraiment du poil aux pattes. Dominent ce nez de fruits macérés et surtout cette bouche charnue, ample, avec une longueur remarquable et d'une puissance à faire trembler la daube de sanglier la plus sauvage. Env. 20€

    image1.jpgTrès intéressante gamme d'Ackerman (Saumur) : Secret des Vignes. Le blanc, un Saumur (2010) 100% chenin, est d'une grande fraîcheur et pourvu d'une belle matière. Nez explosif de fleurs blanches et légèrement miellé, voire exotique. Bouche structurée, fruitée, épicée légèrement et d'une remarquable persistance. Parfait pour un poisson blanc à la crème ou bien une viande blanche grillée. 8,90€

    Le rouge de la gamme, un Saumur Champigny 2010, est surprenant de force. Ce 100% cabernet-franc (sélection de vieilles vignes à faibles rendements), exprime une concentration, un soyeux, une structure franchement notables. Très beau nez de fruits rouges et noirs mûrs, bouche épicée. Bien sur un jamon pata negra avec juste du pain aux céréales. 9,90€

    A noter, le Pinot Gris 2010 Ancestrum, de la Cave des vignerons de index.jpgPfaffenheim. Ce diamant jaune d'Alsace possède un joli nez d'agrumes confits, de poivre blanc et de raisin pas tout à fait sec. Bouche vive, épicée et longue. Un plateau de fromages de chèvre lui imaes.jpgva bien. Le Gewurztraminer 2011, de la même cave, est très floral avec des notes complexes de fruits à chair blanche et jaune. Belle minéralité en bouche, concentration appuyée, longueur remarquable. Bien sur un fromage à pâte persillée un peu gras (gorgonzola) ou bien une tarte à la pâte d'amande, de type galette des rois. 16€ chaque flacon.

    idex.jpgBelle surprise, enfin, que cette Mondeuse (Savoie) 2011 de La Cave du Prieuré (Barlet Raymond & Fils) à Jongieux. Ce rouge d'une grande franchise surprend par sa puissance, son équilibre remarquable et sa complexité, assez peu courants pour l'appellation (et le cépage mondeuse), en tous cas dans nos souvenirs. Remarquable. 7,20€

     

  • L'avantage, avec Spinoza...

    ... C'est que, ouvrir au hasard l'Ethique produit le même effet que celui d'ouvrir au hasard le Journal de Jules Renard : à chaque page ou mieux : à chaque tombée des yeux sur un passage -aussi maigre soit-il, il se produit une petite décharge électrique, une lumière, une satisfaction intellectuelle immédiate, confondante, transmissible, irradiante. Exemple : il y a une minute, j'ai ouvert Ethique, je suis tombé sur la page 425 de l'édition bilingue en Points et j'ai lu ceci :

    Proposition LIV :

    Le Repentir n'est pas une vertu, autrement dit, ne naît pas de la raison ;  mais qui se repent de ce qu'il a fait est deux fois malheureux, autrement dit impuissant.

    Question : la psychanalyse a-t-elle envisagée l'impuissance à la suite de la double peine?.. (Merci Baruch!).

  • Presse papier

    imagesA.jpegIgnacio Ramonet (Le Monde diplomatique) livre une histoire synthétique de la presse écrite française et surtout des crises qu'elle traverse, dans son précieux essai intitulé L'explosion du journalisme. Des médias de masse à la masse des médias (folio actuel). La révolution numérique, les réseaux sociaux qui font de n'importe qui un producteur d'informations capable de s'improviser journaliste et qui sacralisent ainsi l'amateurisme; le phénomène Wikileaks (un journalisme sans journalistes), la crise grave bien sûr qui rend le lecteur de presse papier rétif à l'achat d'un contenu qu'il prend l'habitude de lire désormais sur sa tablette, son ordi, son téléphone -et aussi en raison d'une perte de crédibilité aiguë de la presse en général; la pub qui déserte les supports traditionnels, la fermeture des kiosques, Presstalis, principal acteur chargé d'acheminer notre canard préféré dans lesdits kiosques qui licencie 50% de son personnel, faute de taff, les charrettes dans les rédac invitant à passer au guichet en zappant l'étape caisse, etc. De Sud-Ouest à El Pais en passant par tant de confrères, nous en connaissons hélas la musique... Le tableau est noir mais dopant, à la réflexion, car Gutenberg n'est pas mort, même si on annonce sa disparition depuis plus d'un siècle; la presse n'ayant pas encore vécu son Age d'or.

    Le vrai journalisme : de terrain, de reportage, d'investigation, a du plomb dans l'aile car il est devenu coûteux, voire jugé inutile (par certaines rédactions qui sont tombées sur la tête!) dans un monde en pleine mutation technologique et où l'accès instantané à une overdose d'informations planétaire, mondialisée permet de faire l'économie du terrain... Et donc de la qualité (qui dit reportage dit automatiquement terrain et un papier fait sans terrain est un papier sans saveurs, voire sans consistance; de toute façon sans grand intérêt). Mais cette forme de journalisme, rigoureux par essence (et cela devrait être un pléonasme), reste justement le dernier rempart contre la médiocrité de la course à l'info (la dictature de l'urgence, voire du sensationnel seulement), qui néglige jusqu'à la vérification élémentaire de la véracité et propage la rumeur à l'occasion, entretenant ainsi une diminution de l'exigence d'un lecteur saoulé, eu égard à la faiblesse neuronale d'une certaine offre éditoriale. Car le terrain est gage de qualité s'il est assorti du travail normal de décryptage, d'analyse, de mise à distance du sujet : le B.A BA. 

    Et cela, seule la presse écrite -de qualité- peut encore l'offrir à un lecteur conscient images (4).jpegde la valeur du travail correctement fait ; car il en reste, de ces lecteurs. Ramonet dresse par ailleurs un tableau complet de l'univers de l'information reloaded : le Web, les sites d'info gratuits, les payants (aucun n'ayant encore trouvé un modèle économique qui pourrait être suivi), les pure players, le pari fait par certains groupes de presse sur la tablette comme outil miraculeux et garant de l'avenir de la presse "écrite", etc.  

    L'essai vivifiant quant au fond, d'Ignacio Ramonet est à rapprocher du passionnant Manifeste (une plaquette de vingt pages) que le mook XXI offre avec son n°21 : Un autre journalisme est possible, disent ses rédacteurs (Patrick de St-Exupéry et Laurent Beccaria), car parier aveuglément sur la révolution numérique est peut-être un leurre, que des journaux sans publicité sont possibles, et qu'un journalisme utile a un bel avenir devant lui, pour peu qu'il revienne un peu aux "fondamentaux" : le temps, le terrain, le rôle capital de l'image, la cohérence; l'indépendance, l'audace, le désir de refonder une presse pour un lecteur et non pas pour des annonceurs. Cette plaquette aura beaucoup fait parler d'elle dans le Landerneau et au-delà heureusement -preuve qu'un certain nombre de lecteurs s'interrogent sérieusement à propos des dérives d'une certaine presse sans qualités et qui pourrait devenir une nouvelle norme si l'on n'y prend pas garde.

    En cela, le rôle du journaliste éclairé rejoint celui du images (3).jpegphilosophe dans la cité. C'est à lui que revient le rôle d'éveilleur des esprits lorsque ceux-ci sont atteints des syndrômes du laisser-faire, de la banalité du mal (cher à Hannah Arendt); bref lorsqu'ils sont sous anesthésie sociale. L'aiguillon, la mouche du coche, l'empêcheur de penser en rond, c'est autant ce grain de sable qui dérange (le journaliste selon Edwy Plenel), que le philosophe. Socrate n'a-t-il pas un peu inventé une certaine forme de journalisme de qualité, avec la fameuse ironie qui images (2).jpegcaractérise sa réthorique (lorsqu'il s'adressait aux Sophistes ou aux simples citoyens d'Athènes et qui séduisit tant le Camus journaliste*), et même l'art de conduire un reportage, avec la maïeutique, ou l'art d'accoucher les esprits?

    Ce sont autant de (re)lectures passionnantes, auxquelles il conviendra d'ajouter une réédition d'un livre de Jacques Ellul : "Je suis sincère avec moi-même" et autres lieux communs (folio 2€) : extraits d'Exégèse des nouveaux lieux communs, et la publication éclairante de Hériter d'Ellul (actes des conférences du 12 mai dernier à l'occasion du centenaire de sa naissance), qui contient notamment les contributions précieuses de Simon Charbonneau, Sébastien Morillon et Jean-Luc Porquet (la collection La Petite Vermillon, de La Table ronde, poursuit -et c'est admirable-, la publication de l'oeuvre capitale d'Ellul : 13 titres sont déjà parus). Ellul, qui répétait à l'envi dans son cours sur La pensée marxiste à Sciences-Po Bordeaux (j'en ai le vif souvenir) : Exister c'est résister, Ellul pour finir, donc, cité dans le Manifeste XXI : Ce qui nous menace ce n'est pas l'excès d'information, mais l'excès d'insignifiance. Dont acte.

    *Lire Les devoirs du journaliste, d'Albert Camus, dans Le Monde daté du 17 mars 2012

  • Par amour

    images.jpgAmour (Haneke) est un film important pour tous ceux qui ont vécu un accompagnement, une fin de vie, un désastre par l'amoindrissement lent et irréversible. Son réalisme est non seulement touchant mais impressionnant -je veux dire qu'il nous renvoie à nous même comme un bain révélateur impressionne (encore parfois) un papier photosensible. J'y ai relevé quelques phrases qui figurent des sortes de pétales :

    Jean-Louis Trintignant à Emmanuelle Riva, en rentrant d'un concert qui donnait Schubert : T’ai-je dit que je t’ai trouvée belle, ce soir ?..

    Emmanuelle Riva à Jean-Louis Trintignant, revenant seul de l'enterrement d'un ami mais elle ne peut désormais plus se déplacer, car elle est devenue hémiplégique : Qu’est-ce que tu dirais si personne ne venait à ton enterrement ? Lui : -Rien, probablement…

    JLT à ER, puis la réponse de  JLT, au chevet de sa femme : Mais tu ne m’infliges rien !.. -Tu n’es pas obligé de mentir.

    Le film aurait pu s'appeler "Par amour". Il nous concerne tous, un jour ou l'autre. L'épure de Haneke le rend essentiel. Et beau comme la peau.



  • Jean de La Ville, again

    Je retombe sur ce papier de Jérôme Garcin (attention, je vais parler de moi!), paru dans La Provence et qui faisait écho au "Coup de coeur" qu'il me consacra quelques jours plus tôt dans Le Nouvel Observateur. J'avais oublié cette mise en parallèle enviable avec Jean de La Ville de Mirmont. A l'heure où Garcin consacre son dernier livre à la vie trop brève du poète bordelais -mais je n'ai pas encore lu Bleus horizons (Gallimard), cet hommage est comme une balle correctement tirée. Il va droit au coeur.

    Image 4.png

  • Lectures pour 7

     

    index.jpgLa femme infidèle, de Philippe Vilain

     

    Pierre Grimaldi, expert-comptable, a épousé Morgan Lorenz, consultante. Ils ont 35 ans, pas d’enfant, vivent paisiblement à Paris depuis 8 ans lorsque Pierre découvre que sa femme le trompe. Atterré, il ne parvient pas à l’affronter, l’espionne sans conviction. Ce long monologue comme une lettre à un inconnu explore la psychologie du couple avec talent et mièvrerie mêlés.Un voyage à Naples où l’aveu sera fait, une virée à Capri de Pierre seul, dénoueront l’esprit d’un homme soudain conscient qu’il a droit à plusieurs vies. Lui aussi. Grasset, 160 pages, 14,95€

    imaes.jpgVénéneuse, de Patrick Eudeline

     

     

    Antoine, écrivain parisien branché, tombe fou amoureux de Camille, de 30 ans sa cadette. Elle est « l’Enfer et le Paradis réunis ». Cette Nîmoise déjantée va les engouffrer dans une passion guidée par le sexe. Roman très contemporain à l’écriture hachée (l’auteur est très rock), Vénéneuse fleure le Paris futile des night people en quête et en perte d’eux-mêmes. On y lit l’aveuglement d’un quinqua qu’une beauté volage, attirée par un certain Peter puis par des apprentis toreros, rendra fou. Ce qui rend attachant ce roman trépidant. Flammarion 240 pages, 19€

     


    ims.jpgLa nuit  tombe, d’Antoine Choplin

    Gouri prend la route de Kiev à Pripiat, à proximité de Tchernobyl, avec sa moto et une remorque. Il retourne dans la zone interdite où errent des gardes et des voleurs. Fait halte chez d’anciens amis reclus ; irradiés. Resserrés dans l’hébétude comme des animaux dans le froid, ils attendent et se souviennent de la pluie noire. Un silence lourd habite ce road-roman à l’écriture hiératique. Retourner dans la ville fantôme est une folie. Mais Gouri veut revoir son appartement et  en rapporter une porte.Son ami Kouzma l’accompagnera.Un air d’apocalypse flotte, qui rappelle « La route » de Cormac McCarthy. La Fosse aux Ours, 128 pages, 16€ Prix France Télévisions.


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    Portraits de femmes, de Philippe Sollers

    Voici un livre vrai qui dépeint avec tendresse les femmes qui ont jalonné la vie de Sollers l’érudit. Sa mère d’abord, « bourgeoise décalée », Eugenia, l’employée de maison qui le déniaisa à l’âge de 15 ans, l’écrivain Dominique Rolin, de 23 ans son aînée –une histoire forte, la psychanalyste Julia Kristeva, l’épouse depuis 1967, offrent les pages les plus émouvantes de ce bilan qui dévoile aussi les prénoms des femmes qui ont nourri chacun des livres d’un auteur amoureux des héroïnes de la littérature et de l’Histoire. Un hommage sensible. Flammarion, 160 pages, 15€.

     

     Quatre de mes chroniques plus ou moins hebdomadaires données à Télé 7 Jours (A suivre)

     

  • The Peterson

    images.jpgLe Peterson (le Guide Peterson des oiseaux de France et d'Europe, de P. Peterson, G. Mountfort, P.A.D. Hollom et P. Géroudet; Delachaux & Niestlé, 29€) n'a pas relooké que sa couverture. The guide indispensable, qui escorte inlassablement des dizaines de milliers d'aficionados a los oiseaux depuis 1954 et qui en fait de bons ornithos de base, est indétrônable. On aura beau faire, il reste le meilleur. Entièrement revu, corrigé, augmenté, actualisé, il est encore plus riche de 1500 illustrations nécessaires à l'identification sûre de plus de 700 espèces d'oiseaux. 366 cartes de distribution géographique éclairent un propos concis, précis, juste, fiable et passionnant. Une mine, un compagnon, un objet inséparable de la boîte à gants, de la poche de la veste en toile brune, de la table de chevet et de la mémoire; à la fin. Bref, Le Peterson, quoi.

  • Car j'ai de grands départs inassouvis en moi

    50 manières de dire je t'aime.jpgC'est plus original que l'indigeste Belle du seigneur d'Albert Cohen. Les éditions Marabout proposent cette boîte de 50 petits messages amoureux roulés qui disent l'amour de ce grain de beauté là rien qu'à moi, ou bien l'amour de ta part de mystère à toi... 50 manières de dire je t'aime, 6,99€ Pour ceux qui sacrifient au rituel marketté et forcément mièvre de la Saint-Valentin en y injectant de l'humour.

    Villa Chambre d'Amour est un blanc de VillaChambredAmour.jpegGascogne légèrement moelleux (75% gros manseng, 25% sauvignon blanc) au nez d'agrumes, d'ananas et de vanille. Il escorte bien le foie gras, la tarte tatin et la fourme d'Ambert. (Vignobles Lionel Osmin. 7,50€ le flacon).

    images.jpegL'idéal est de le déguster à la plage de La Chambre d'Amour (Anglet), assis sur le parapet et face à un océan qui était légèrement déchaîné dimanche dernier... En reprenant au hasard les poèmes de L'Horizon chimérique (extrait ci-dessous), de Jean de La Ville de Mirmont, dans la nouvelle édition de ses oeuvres complètes que propose La Petite Vermillon (La Table ronde, 8,70€) sous le titre (de l'unique roman de l'auteur), Les dimanches de Jean Dézert. Le recueil contient donc également le splendide City of Benares, qui ouvre les Contes.

    Je suis de ceux dont les désirs sont sur la terre.

    Le souffle qui vous grise emplit mon coeur d'effroi,

    Mais votre appel, au fond des soirs, me désespère,

    Car j'ai de grands départs inassouvis en moi.

  • Nouilles froides à Pyongyang

    images.jpegCe récit de voyage est terrifiant. Déguisé en professionnel du tourisme en quête de nouveaux marchés, Jean-Luc Coatalem s'est introduit, avec son ami Clorinde (qui ressemble comme deux chemises Marcel Lassance à Dominique Gaultier, pilote dandy des éditions le dilettante) dans ce mystérieux pays à l'opacité légendaire et dont on sait moins de choses qu'on parvient à en connaître des lointaines galaxies. La Corée du Nord n'est pas franchement un paradis pour touristes libres. Aucun mouvement n'y est possible sans le contrôle paranoïaque d'une collante poignée de guides complices d'un pouvoir absolu et froidement dictatorial. Néanmoins, Coatalem, dont on connaît le talent pour raconter ses voyages au Vietnam ou au Paraguay, nous embarque, avec Nouilles froides à Pyongyang (Grasset, 17,60€) dans cet univers concentrationnaire, ubuesque tendance nazi, kafkaïen version schizoïde, totalement absurde à la vérité, en nous faisant rire jaune. Lui-même a peur parfois. Souvent il se demande ce qu'il est venu foutre dans ce pays, mais jamais il ne nous ennuie car ses descriptions, à partir de notes et d'observations dérobées, soulignent la singularité planétaire d'un pays qui musèle son peuple avecIMG_9525.JPG une violence dont on ne peut que deviner l'ampleur. Ce récit se double d'une excellente histoire résumée du pays, de ses chefs fous (Kim Jong-il et Kim Jong-un notamment), non sans dériver avec bonheur en compagnie de Melville (l'archipel de papier de Mardi deviendra un refuge), Larbaud, Valéry, le subtil Marcel Thiry et autres nourritures qui viennent images.jpgcompenser la faim au sens propre. A noter aussi la reprise en poche du Gouverneur d'Antipodia (J'ai Lu), précédent livre de Coatalem, qui lui a valu le Prix Roger-Nimier 2012; l'année du cinquantenaire de l'accident mortel de l'auteur des Enfants téléchargement.jpegtristes. D'ailleurs, saluons au passage la qualité et l'audace de l'éditeur Stéphane Million et de sa revue littéraire iconoclaste Bordel, dont le dernier numéro est consacré aux Hussards (la bande -fondatrice- à Déon, Blondin, Nimier, Laurent et aussi Frank, Haedens, voire Huguenin et quelques autres). Cette revue rassemble surtout les signatures de l'écurie maison, laquelle livre des points de vue d'une pertinence rare sur un sujet maintes fois traité.