Quignard, encore
Pascal Quignard, auteur prolifique, opportun rééditeur, surgit dans la collection Poésie/Gallimard, que dirige André Velter, avec un volume bifrons : une traduction emblématique, fondatrice, d'Alexandra, de Lycophron (ultime tragédie des anciens grecs) et une somme de fragments parfois intimes, en tous cas qui en apprennent sur l'auteur discret des Petits traités, intitulée Zétès (celui qui cherche, en Grec). Car Quignard cherche constamment. Le sens purement originel -à croire que l'étymologie ne le satisfait guère, est son obsession. Ainsi ce recueil est précieux en ce sens qu'il nous renvoie à la définition, au charnel du mot, à son essence, à la source du sens. Au vrai sens de chaque mot prononcé, écrit, crié. A cet essentiel que nous perdons tous en chemin, pressés, téléphoneportablisés, tandis que nous nous plaignons de l'absence de vérité à nos jours; et à nos nuits.
Il est intéressant de noter le voisinage, "les alliés substantiels" (Char) de Quignard : Celan, Des Forêts, Levinas, Du Bouchet, Hocquard, Auster, Klossowski, Lambrichs, Veinstein, Vuarnet, Rothko, Caillois, Suied, Deguy, Queneau... Du beau monde, monacal et infiniment créatif, fondateur, même, d'une espèce de XXIème siècle, non?
L'essentiel, dans Quignard, étant l'observation du silence, à la manière du chasseur à l'affût, nous pensons avec lui à ce silence aussi contagieux que le renouvellement de la voix violente des oiseaux peut l'être, d'espèce à espèce, dans les cris qui visiblement jouissent de la lumière qui revient, du fonds de la nuit et du temps, dans l'aube. J'aime également le Quignard exalté qui remet les choses de l'ordre urbain quotidien dans l'ordre, en rappelant que : L'humanité n'a jamais été aussi inhumaine. Son désensauvagement est plus féroce que la vie primitive. Il faut parler de surensauvagement...
C'est ce Quignard, qui rappelle aussi que masque se dit persona en latin. Par conséquent, que penser du mot personnage, qui viendrait de per-sonare, sonner à travers?
Plus loin, il est souligné que le mot style renvoie directement, en latin, au stylus, à l'épieu, à la pointe, au stylet... Au stylo de la mise à mort.
Et s'agissant encore de ce silence essentiel, il nous est rappelé que le Juif traduit la voix de Yahvé en loi (torah), que le Chrétien traduit la voix de Dieu en foi (fides), et que le Musulman traduit celle d'Allah en soumission (islam).
Nous n'en avons jamais fini avec Pascal Quignard, cet éternel chasseur de sens mimétique. Je le soupçonne même, lorsqu'il se rend avec affection au Baratin, fameux restaurant du 20 ème arrondissement de Paris, à la carte des vins (qui comptent) exemplaire, à la cuisine de femme, homérique (de Raquel Carena), de penser à son premier livre, intitulé La catégorie du baratin, mais finalement titré La parole de la Délie par Louis-René des Forêts, car ce dernier trouvait trop lacanien le titre proposé, pour cet essai sur Maurice Scève, que signait un jeune inconnu répondant au nom de Pascal Quignard...
Commentaires
oui...des Forêts, Celan, Levinas et tous les autres...dont Blanchot aussi...soit la littérature et le silence ( la mort...) qui lui est propre, qui l'accompagne..."le silence la seule exigence qui vaille"... a la fois quête quasi impossible...si tout s etait pour de bon comment le dire le silence...juste chanter en blanc...faire sa voix de pauvre...Blanchot soit la beauté de l'effacement, l'amour de la discrétion...grand bien ça fait ce genre de livres, tu as raison Léon, dont lectures et re n'épuisent pas le sens...
J'ai hâte de visiter Le Baratin et de lire ce dernier Quignard. Merci pour cet article.