Petit éloge amoureux...
Voici ce que mon éditeur publie ce matin sur son compte Instagram :
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Voici ce que mon éditeur publie ce matin sur son compte Instagram :
Fier de retrouver ce jury depuis hier soir. Me voilà à nouveau membre du Prix littéraire François-Sommer en qualité de juré, récompense qui fut attribuée hier à 18h30 à Charles Stépanoff (photo LM) pour son formidable ouvrage (déjà évoqué ici), L'animal et la mort (La Découverte). Depuis Le Sang noir de Bertrand Hell, nous n'avions rien lu d'aussi intelligent, d'aussi étincelant à chaque page ou peu s'en faut, excepté un ouvrage à caractère historique de Philippe Salvadori sur La chasse sous l'Ancien régime. Le bouquin de Stépanoff fera date, c'est évident. Il traite de la prédation, en ethnologue disciple de Philippe Descola, et donc de Claude Lévi-Strauss, en remontant un peu dans le temps. Son discours, son analyse au peigne anti-poux est admirable de rigueur et de vérité objective. Elle se passe partiellement dans le Perche et alentours. L'auteur est spécialiste du chamanisme sibérien, mais par temps de Covid, il n'a pu décliner son terrain, et s'est rapproché de sa culture originelle.
Or, voilà, je suis fier de retrouver ce club, cette mini confrérie de l'Hôtel Guénégaud, musée impressionnant sis au 60, rue des Archives à Paris, en plein Marais. C'est Xavier Patier, mon ami écrivain (de grand talent) qui m'a invité à rejoindre un jury dont je fis donc déjà partie des années 1993 (date de l'obtention du Prix François-Sommer - des mains de Jacqueline Sommer, excusez du peu ! -, pour mon premier roman, Chasses furtives) à 2000, année au cours de laquelle je "décidai" de ne plus jamais chasser... avec une arme à feu, et de continuer de servir ma passion de l'approche du Sauvage à l'aide de jumelles, voire d'un reflex, lesquels sont capables d'envoyer davantage de flamme à l'âme et au coeur.
À présent, il va s'agir de dénicher, au gré de nos lectures, le prochain lauréat. Bonheur en perspective. L.M.
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Venez nombreux, comme on dit.
Ça se confirme. Dans la gueule de l'ours, de James A. McLaughlin (Rue de l'échiquier) - déjà évoqué ici, lire plus bas -, est un grand (premier) roman de nature sauvage qui sent bon les veines nouées, fluides, riches de Jim Harrison, Norman McLean, Rick Bass, James Crumley, Thomas Mc Guane... C'est puissant, rugueux, âpre, rude, fort en muscles, en alcool, en mots, en regards, en gestes, en sentiments exacerbés. La langue est somptueuse, qui abonde de descriptions tantôt lyriques tantôt sèches. Rice Moore, ce criminel en cavale devenu garde forestier au fin fond des Appalaches, ne nous quitte pas. Le cartel mexicain de la drogue à ses trousses devient anecdotique, lorsqu'il nous emporte dans son enquête sur ces ours mutilés pour en extraire la vésicule qui vaut de l'or en Chine. La mafia est là, nous la sentons partout. Mais nous ressentons davantage, pour notre bonheur, la nature brute de l'environnement aussi hostile qu'apprivoisable qui chatouille un héros peu ordinaire, au caractère trempé; inoubliable.
Idem pour Animal, - évoqué lui aussi il y a quelques jours -, de Sandrine Collette (Livre de poche), championne en intrigues sinueuses. Mara se fera prendre (euphémisme) par l'ours au Kamtchatka, puis elle ira à la rencontre du tigre en Asie, plus loin. Et de son enfance. La recherche de ses propres limites, la quête du sauvage en soi, la part d'animalité que nous possédons tous, que d'aucuns refoulent par commodité, mais que d'autres fouillent et s'efforcent d'extraire afin de la regarder en face comme le crâne dans la main d'Hamlet, Collette nous la pose sur la table comme on y dépose un coeur sanguinolent ou un foie frais, brut. Les territoires d'une impossible approche mais d'une certaine rencontre, à travers Lior, cette Diane chasseresse d'un outre-monde, deviennent un lieu inconnu des cartes, seulement repérable par les membres d'une communauté invisible. Celles des chamans de l'impossible. En faites-vous partie?
C'est un peu ce que Natassja Martin nous chuchote à voix basse, avec son magnifique récit, Croire aux fauves (Verticales), d'une beauté renversante. Ethnologue, elle faillit disparaître dans la gueule d'un ours, au Kamtchatka, elle aussi. L'animal lui fit grâce, ce qui la lia indéfiniment à lui, non sans la défigurer et lui faire endurer un temps long dans les hopîtaux russes - ce qui vaut de superbes passages sur l'univers médical, loin du confort d'une Pitié-Salpetrière... Natassja devient incarnée, habitée, intriquée, possédée. Autre. Devenue mathuka (ourse), l'auteur se métamorphose à son corps défendant en devenant mieux : miedka, marquée par l'ours. Soit moitié humaine, moitié animale. Le récit devient mystique. La quête de l'auteure mutilée sublime par ses évocations douces d'un corps à corps d'un autre temps et d'un autre monde, d'une dimension immesurable, ce que personne ne peut imaginer dans son tranquille quotidien. Ecrit dans une langue percutante et dépouillée, Croire aux fauves (*) transcende la littérature qui croit au qui-vive, au miroir dans le silence de l'autre, à la territorialité, à la puissance, à la grâce, au baiser qui ne tue pas, à la paternité, au don, à la fluidité complexe des rôles, à la fascination. À l'essence même de la chasse dans ce qu'elle a de plus sublime, philosophique, sage, essentiel.
David Malouf, avec L'infinie patience des oiseaux (Livre de Poche), offre un roman d'une fluidité envoûtante. Deux hommes se retrouvent sur le terrain de l'ornithologie, leur passion. Ils ambitionnent de créer un sanctuaire dédié aux oiseaux en Australie, où cela se déroule. Jim et Ashley sont complices d'une certaine approche de la Nature. Les descriptions des marais qu'ils arpentent et étudient sont splendides. Un personnage féminin (comme dans tout roman aux clés basiques) interfère, et Imogen, photographe, surgit. L'amour aussi, entre Jim et elle. Mais la Grande Guerre explose. Les garçons s'engagent et se retrouvent sur le Front, du côté d'Ypres, de sinistre mémoire. L'horreur est méticuleusement décrite, sans filtre, et l'insoutenable devient tolérable à la lecture, grâce aux oiseaux migrateurs - alouettes, notamment -, à un torcol aussi, décrits avec amour par deux jeunes soldats - égarés fondamentaux comme le furent tous les soldats australiens, anglais, français, allemands... -, et trouvant la force de s'émouvoir de l'insouciance des volatiles que le vacarme des obus ne semblait pas déranger outre mesure. Magnifique. Quatre bijoux. L.M.
(*) Natassja Martin vient de recevoir le Prix François-Sommer, et cela me ravit, car je l'obtins en 1993 pour mon premier roman, Chasses furtives. Preuve que le jury (dont je fis partie quelques millésimes durant), veille toujours au grain viscéralement sauvage de l'écriture.
Je relisais Tristes tropiques, de Claude Lévi-Strauss, ce week-end, afin de peaufiner un cours de huit heures que je donnerai mercredi prochain sur le thème du journalisme de voyage à mes élèves d'un Mastère de Journalisme en Art de vivre. Mon vieil exemplaire, lu en novembre 1975 (ma prof de philo de Terminale avait eu le bon goût de nous faire étudier l'ethnologie, le structuralisme, tout ça à travers l'étude magistrale, par le père de l'anthropologie structurale, des Bororo, des Caduveo, des Nambikwara et autres Tupi-Kawahib), m'est fidèle. Considérant que ce livre figure aussi un manuel de savoir partir en (grand) reportage, je l'ai souvent repris, comme ça, pour vérifier des détails comme récemment encore, au sujet du baitemannageo, la maison des hommes où dorment les célibataires, chez les Bororo. Des trucs, quoi. Je ne m'étais encore jamais re-penché sur mes annotations en marge et au crayon vers la fin du volume, à la partie intitulée Le retour, précisément aux chapitres XXXIX, Taxila, et XL, Visite au Kyong. Quelle ne fut pas ma surprise ce matin, de lire l'étonnante clairvoyance (et intemporalité) de l'éminent anthropologue, au sujet des monothéismes, en particulier de l'Islam. Qu'on en juge (cela se retrouve page 464 et suivantes, dans l'édition originale publiée en 1955 chez Plon, dans la mythique collection Terre humaine) :
Tout l'Islam semble être, en effet, une méthode pour développer dans l'esprit des croyants des conflits insurmontables, quitte à les sauver par la suite en leur proposant des solutions d'une très grande (mais trop grande) simplicité. D'une main on les précipite, de l'autre on les retient au bord de l'abîme. (...)
Une franche conversation avec de jeunes musulmans enseigne deux choses : d'abord qu'ils sont obsédés par le problème de la virginité prénuptiale et de la fidélité ultérieure ; ensuite, que le purdah, c'est-à-dire la ségrégation des femmes, fait en un sens obstacle aux intrigues amoureuses, mais les favorise sur un autre plan : par l'attribution aux femmes d'un monde propre, dont elles sont seules à connaître les détours. (...)
Grande religion (l'Islam) qui se fonde moins sur l'évidence d'une révélation que sur l'impuissance à nouer des liens au dehors. En face de la bienveillance universelle du bouddhisme, du désir chrétien de dialogue, l'intolérance musulmane adopte une forme inconsciente chez ceux qui s'en rendent coupables ; car s'ils ne cherchent pas toujours, de façon brutale, à amener autrui à partager leur vérité, ils sont pourtant (et c'est plus grave) incapables de supporter l'existence d'autrui comme autrui. Le seul moyen pour eux de se mettre à l'abri du doute et de l'humiliation consiste dans une "néantisation" d'autrui, considéré comme témoin d'une autre foi et d'une autre conduite. (...)
Si le bouddhisme cherche, comme l'Islam, à dominer la démesure des cultes primitifs, c'est grâce à l'apaisement unifiant que porte en elle la promesse du retour au sein maternel ; par ce biais, il réintègre l'érotisme après l'avoir libéré de la frénésie et de l'angoisse. Au contraire, l'Islam se développe selon une orientation masculine. En enfermant les femmes, il verrouille l'accès au sein maternel : du monde des femmes, l'homme a fait un monde clos. Par ce moyen, sans doute, il espère aussi gagner la quiétude ; mais il la gage sur des exclusions : celles des femmes hors de la vie sociale et celle des infidèles hors de la communauté spirituelle : tandis que le bouddhisme conçoit plutôt cette quiétude comme une fusion : avec la femme, avec l'humanité, et dans une représentation asexuée de la divinité. On ne saurait imaginer de contraste plus marqué que celui du Sage et du Prophète. Ni l'un ni l'autre ne sont des dieux, voilà leur unique point commun. À tous autres égards ils s'opposent : l'un chaste, l'autre puissant avec ses quatre épouses ; l'un androgyne, l'autre barbu ; l'un pacifique, l'autre belliqueux ; l'un exemplaire et l'autre messianique.
Etc. Méditons... L.M.
Blandine Vié est une sacrée auteure gourmande, passionnée de cochon au point de lui consacrer un ouvrage il y a peu et des articles à la ribambelle sur le site Greta Garbure qu’elle co-anime avec son complice Patrick de Mari. D’ailleurs, l’un de ses « posts » mis en ligne a été retenu dans une mini-anthologie de la fameuse collection « le goût de » au Mercure de France. Dans « Le goût des cochons » (8,20€) figure, aux côtés de classiques comme Renard (avec un extrait célèbre des « Histoires Naturelles »), Claudel (et un délicieux poème en prose décrivant la bête), Maupassant (avec un texte de jeunesse), Huysmans (un extrait de « En route »), Hugo (et un émouvant poème, « Le porc et le sultan »), Verlaine (avec un détonnant pastiche des « Amants » de Baudelaire, intitulé « La Mort des cochons », pornographique à souhait, tiré de « L’Album zutique » qu’il coécrivit avec Léon Valade) et, plus près de nous, Jérôme Ferrari (et un extrait brut de son « Sermon sur la chute de Rome », décrivant un paysan Corse occupé à châtrer les verrats), ou Philippe Sollers (en amoureux délicat de la chair du cochon, dont il fait l’éloge)... Figure donc un texte délicieux de Blandine Vié au sujet de l’étymologie des mots du cochon, de la truie et de ses attributs, intitulé « Une vulve de truie peut en cacher une autre ! » À l’arrière-train où vont les choses, et sans évoquer la peste porcine africaine qui fait des ravages en Chine, donc le bonheur des éleveurs bretons, et qui est provisoirement circonscrite dans les Ardennes belges, mieux vaut en rire en s’instruisant - grâce à ce texte bref et dense, érudit et drôle à la fois. Blandine y enchaîne comme dans un rébus le sens caché des mots, dont les évocations rebondissent et jouent à ... saute-cochon. Remarque : ce florilège fait la part belle au côté immonde du cochon davantage qu’à ses qualités. C’est toujours comme ça ! La relation de l’homme avec cette « bête singulière » (titre d’un ouvrage capital, de référence, sur le sujet et dont un extrait aurait pu figurer dans ce petit bouquin : « La Bête singulière. Les juifs, les chrétiens et le cochon », de Claudine Fabre-Vassas (Gallimard, Bibliothèque des Sciences humaines), est ambiguë depuis les origines. Nous lui ressemblons tant ! Je laisse le dernier mot à Churchill : « Donnez-moi un cochon ! Il vous regarde dans les yeux et vous considère comme son égal. » L.M.
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Rappel : N’oubliez pas le superbe album, richement illustré, de Éric Ospital (le charcutier star d'Hasparren) et ses amis, intitulé « Copains comme cochons » (Tana, 24,95€), car il offre, outre 75 recettes du groin à la queue, signées de chefs très gourmands, un énorme hommage à la convivialité et à l’art de vivre... dans l’esprit du Sud-Ouest, ainsi qu'une ode à l'amitié qui fait plaisir à lire et à voir. Nous croisons, au fil des pages, pêle-mêle, Joël Dupuch, Julien Duboué, Sébastien Lapaque, Jean-Luc Poujauran, Yves Camdeborde, et aussi Sébastien Gravé, Vivien Durand, Christian Constant, Stéphane Carrade, Antoine Arena, Stéphane Jégo, tant d'autres. Ils sont tous là! Afaria!..
Il est des noms de lieux, comme ça... Samarkand, Tombouctou et Zanzibar font tant rêver qu’ils exigent d’aller vérifier sur place une magie projetée. Plozévet est d’une autre nature. Ce village du Pays Bigouden, situé sur la côte bretonne, non loin de la baie d’Audierne et sur la route de Quimper, a été immortalisé par un livre formidable qui connut un immense succès dès sa parution en 1975 : « Le Cheval d’Orgueil », de Pierre Jakez-Hélias (1914-1995), accueilli dans la prestigieuse collection Terre Humaine de Plon, au sein de laquelle Jean Malaurie – son initiateur – publia notamment « Tristes Tropiques », de Claude Lévi-Strauss, entre cent autres bijoux de l’ethnologie contemporaine. Cet été là, nous dévorions depuis la plage de la Chambre d’Amour, à Anglet et à marée haute (aux heures sans vagues et donc sans surf possible), ce grand livre (voir la photo qui reproduit l'exergue du livre : cette citation du grand-père de l'auteur nous éclaire sur le titre), sans rien connaître de ce village de la Bretagne profonde exploré par un enfant du pays (*). L'été suivant (celui du baccalauréat en juin et de l'examen d'entrée à Sciences-Po en septembre), fut également riche (et appauvrissant en termes d'impôt sècheresse), qui nous pria sans peine de nous plonger en pays Cathare au temps de l’Inquisition, grâce au talent de conteur de l’historien Emmanuel Le Roy Ladurie (1929-) et de son inoubliable « Montaillou, village occitan, de 1294 à 1324 » (Gallimard, Bibliothèque des Histoires). L’époque était à ces livres de connaissance à la fois historique et ethnologique. À la faveur d’une virée il y a bien des années en Haute Ariège, nous découvrîmes Montaillou – ou ce qu’il en reste. Et la déception fut au rendez-vous, car à l’instar de l’adaptation au cinéma d’un roman qui nous a plu, vouloir voir réserve des déconvenues (**). Ainsi donc de Plozévet, hier même. Lointainement habité par la lecture (il y a 43 ans) du livre de Jakez-Hélias, je confesse une petite appréhension en dépassant vers 17 h le panneau d’entrée du village. Celui-ci se révèle être (avouons-le d’emblée) d’une banalité commune à nos yeux, sans relief particulier, hormis son église et une place attenante... Un Intermarché relativement dissimulé ferme le village. Il me fallait quand même y aller, voir, vérifier. Pouldreuzic (village, proche, de Jakez-Hélias – sa maison natale se visite, et siège de l’entreprise Jean Hénaff, le très célèbre pâté breton à la robe métallique bleue et jaune), le port de Penhors à proximité enfin, sont plus authentiques, car de facture plus sauvage. On y retrouve l’atmosphère celtique, quasi irlandaise de la presqu’île de Crozon, en y mettant un peu du notre. Plozévet cristallisa l’attention d’observateurs de grand renom à une certaine époque. Outre « Le Cheval d’Orgueil », il faut citer l’étude sociologique « de terrain » magistrale d’Edgar Morin, « La métamorphose de Plozévet, commune de France » (Fayard, 1967). À travers la radiographie minutieuse d’un village emblématique de tous les bouleversements d’après-guerre : disparition inexorable du monde paysan, libération des femmes, révolte de la jeunesse, entrée dans le monde contemporain et ses sirènes urbaines, la société de consommation, la civilisation des loisirs, le tourisme « kodak » bientôt de masse... Sans oublier l’hygiène domestique (l’apparition des toilettes, par exemple), le développement des routes qui désenclavent, la première « folle du logis » : la télévision qui prend place à côté de la cheminée... Morin circonscrit avec pusillanimité l’entrée dans l’univers moderne. L’étude fit grand bruit et fait encore autorité (d’un point de vue historiographique). Elle constitue le pendant du livre merveilleux de Jakez-Hélias qui narre la vie quotidienne de sa propre famille d’humbles paysans en pays Bigouden, à l’immédiate après Première Guerre mondiale. Le poids de la religion, l’importance de la langue (l’époque était à l’« interdiction de parler breton et de cracher par terre »), l’extrême précision des traditions qui ordonnent et rythment la vie à la campagne, les légendes et les us, les costumes et coiffes, typiques comme le mobilier, le développement de « l’instruction », et celui de la mécanisation du travail aux champs, le récit de l’existence simple de ces gens-là éloignent le livre d’une étude ethnographique à la facture froide pour l’apparenter davantage aux « Tristes Tropiques » de Lévi-Strauss, au moins par le ton employé, la démarche à la marge, la dimension littéraire aussi (même si Lévi-Strauss plane à plusieurs crans très au-dessus de Jakez-Hélias. Rappelons juste que les jurés Goncourt hésitèrent à le couronner, puisqu'il ne faisait pas oeuvre de fiction, comme ils durent d'ailleurs réfléchir cette année au sujet du somptueux « Lambeau » de Philippe Lançon...). Autant de raisons qui justifiaient une virée, hier, du côté de Plozévet, et qui se devait de s’achever – non sans appréhension - en poussant la porte de la Maison de la presse-Café des Sports-Loto-Librairie du village, avec l’espoir d’y apercevoir ces deux livres. Un soupir de satisfaction et de soulagement libéra immédiatement mon espérance (j’eus été peiné de ne pas tomber sur leur couverture).
Je prenais une photo des livres (ci-contre) et regagnai Primelin le cœur léger. J’avais enfin vu Plozévet. Je remis des bûches dans la cheminée en regardant l’Océan. Une bande de goélands longeait la falaise avec nonchalance, deux merles se poursuivaient en rasant l’herbe drue. Il était temps de se remettre en cuisine. Un souvenir me revint alors curieusement en touillant les légumes dans la grande poêle : celui de la cuillère en bois sculpté, et son importance le dimanche et lors des noces (***). Les paysans du Pays Bigouden s’y rendaient avec leur propre cuillère taillée dans le buis ou le pommier. Et si un jeune homme offrait la sienne à une jeune femme, cela signifiait qu’il devenait son « prétendant » (au Pays de Galles, une coutume voisine a généré l’expression de Love spoon). Je crois me souvenir aussi que certaines tables étaient creusées et que chaque cavité ronde tenait lieu d’assiette. À vérifier lorsque je retrouverai mon exemplaire racorni. L.M.
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(*) Nous tairons ici la polémique initiée par le grand écrivain, poète Xavier Grall (1930-1981), auteur notamment d'un livre précieux entre tous, « L'inconnu me dévore » (Equateurs, rééd. 2017 aux bons soins de Pierre Adrian, et sous la houlette d'Olivier Frébourg), avec son coup de gueule « Le Cheval couché » (Hachette, 1977), qui accusait Jakez-Hélias de donner une image passéiste, voire dégradante du paysan breton que d'aucuns jugèrent hâtivement arriéré (un qualificatif aujourd'hui désuet, et jadis péjoratif, comme le mot plouc), dès la parution du « Cheval d'Orgueil ». Grall évoquait dans son pamphlet un folklorisme fossilisant. C'est dire le degré polémique qui sévît dans (le) Landerneau...
(**) Je n’ai pas vu l’adaptation du « Cheval d’Orgueil » qu’en donna Claude Chabrol en 1980 (avec Jacques Dufilho dans la distribution).
(***) Vérification à venir : le rapport (improbable) entre la cuillère bigouden et la signification de l'échec total de la cuillère de bois attribuée au grand perdant, lors du Tournoi des Six Nations... Si ce que je pressens se vérifie - soit que (naître avec) une cuillère d'argent oppose les classes sociales : argent contre bois (attribut des paysans bigouden, fort pauvres pour la plupart), la philosophie du rugby serait un brin écornée à mes yeux... Mais j'en doute.
Il y a des prix littéraires qui prennent le goût de l'extrême onction. La grande anthropologue Françoise Héritier, décédée ce matin, jour de ses 84 ans (*), auteur d'un délicieux et si personnel Le sel de la vie, en marge de ses livres majeurs, avait reçu le 8, soit il y a une semaine, un prix spécial du jury Femina pour l'ensemble de son oeuvre. Aura-t-elle eu le temps d'en savourer le funeste artifice?..
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Bravo, au passage, au talentueux Jean-Luc Coatalem, qui a décroché le Femina essai (pour lequel Héritier concourrait), avec son hommage prenant à Victor Segalen : Mes pas vont ailleurs (Stock).
L.M.
(*) La dernière fois que je l'ai croisée, lors d'un salon littéraire il y a un an environ, elle se déplaçait sur un fauteuil roulant et ses cervicales avaient de la peine à maintenir sa tête droite.
Découverte de mon papier sur les Fêtes de Bayonne (10 pages dans Pyrénées magazine, spécial Pays basque, qui paraît), chez Arcé, à Baïgorry.
EXTRAITS :
Il est paru ce matin. A vot' bon coeur!
C'est étrange, et flatteur, de se retrouver aux côtés de Nicolas Bouvier (Journal d'Aran et autres lieux), d'Anita Conti (Racleurs d'océans), d'Alexandra David-Neel (Au coeur des Himalayas), d'Ella Maillart (La Voie cruelle), ou encore Werner Herzog (Sur le chemin des glaces), dans cette collection Voyageurs de la Petite Bibliothèque Payot.
Mon Parler pied-noir arrivera donc en librairie le 18 janvier. Il s'agit de la réédition en format de poche de mon long-seller, paru en 1989 chez Rivages et constamment réimprimé depuis. Purée!..
J'ajoute qu'il s'agit d'une nouvelle édition revue et - considérablement - augmentée (192p. 8€)
C’est l’excellente nouvelle de la saison : Tristan Savin a transporté Long Cours de L’Express au Point. Sa belle revue, un mook (magazine-book) consacré aux grands reportages « au long cours » d’une belle exigence littéraire, met le cap sur les pôles Nord et Sud, pour ce numéro d’une nouvelle série que nous souhaitons longue. Au sommaire, des plumes de talent, et pas que des travel-writers : Sylvain Tesson, Michel Onfray, Douglas Kennedy, Cédric Gras, Gilles Lapouge, entre autres.
Prise de conscience et prise de position, la revue d'aventures s’est penchée sur la fonte des glaciers et les bouleversements en chaîne que cela commence d’entraîner. « La Terre ne sera bientôt plus la même », souligne Savin dans son édito. Onfray évoque Jean Malaurie, « le dernier des spartiates », explorateur, ethno-historien, fondateur de la collection Terre Humaine (Plon). Cedric Gras et Sylvain Tesson, géographes écrivains partis au Groenland, disent « adieu aux glaces », et s’interrogent avec poésie et mélancolie sur l’inexorable fonte. Julien Blanc-Gras donne des extraits de son livre « Briser la glace » (Paulsen). Cédric Gras est parti en Antarctide, à bord d’un brise-glace russe. Il est aussi question des « îles de la désolation » - l’archipel des Kerguelen, du grand froid yakoute, en Sibérie orientale, des derniers chamans de Laponie et, cerise sur le glacier, d’un extrait du journal d’Arthur Conan Doyle, « Au pôle Nord » (Paulsen), évoquant une chasse au phoque et à la baleine. Nous écoutons aussi Luc Jacquet, le réalisateur de « La Marche de l’empereur », exposant son militantisme en faveur de la défense de l’environnement, et Jean-Claude Perrier, qui a mis ses pas « En Patagonie » dans ceux de Bruce Chatwin. Enfin, Doug Kennedy réchauffe ce numéro en traversant un désert australien semé d’embushes. Un Long Cours de longue garde. L.M.
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15,50€
L'ami Christian Authier a décroché le Renaudot essai pour son magnifique De chez nous (Stock), évoqué ici, ainsi que sur le Huff'Post : http://bit.ly/1xg1ELM et je suis vraiment très heureux pour lui. On trinquera! (par parenthèse : dans la première sélection de l'Interallié, figuraient les noms de quatre potes : Stéphane Guibourgé, dont j'ai chroniqué ici aussi : http://bit.ly/1t6YVFy (ainsi que sur le Huf'Post), l'époustouflant Les fils de rien, les princes, les humiliés (Fayard), Christian Authier pour son précédent livre, Soldat d'Allah (Grasset), Jean-Marc Parisis - mais je n'ai pas encore lu ses Inoubliables (Flammarion)-, et Simonetta Greggio pour sa suite donnée à Dolce Vita, avec Les Nouveaux monstres (Stock). Reste seulement Simo en lice, et je croise les doigts, de pied y compris, pour qu'elle décroche le prix!).
Sarah Bakewell, avec Comment vivre? Une vie de Montaigne en une question et vingt tentatives de réponses (Livre de Poche) redonne la fringale de relire les Essais. C'est brillant, tonique, lumineux, simple et tutoyant. Nous suivons Montaigne pas à pas au fil de sa vie et de ses réflexions permanentes. Et nous nous disons que l'auteur d'un incomparable livre-vie, est définitivement notre auteur-miroir, notre meilleur compagnon de chaque jour, notre philosophe quotidien.
Avec Les Napolitains, de Marcelle Padovani, Henry Dougier (qui créa les éditions autrement) inaugure une collection, Lignes de vie d'un peuple, aux éditions HD, qui s'attachera à raconter les peuples aujourd'hui, par trop invisibles. En mettant en scène leurs valeurs, leurs interrogations, leurs créations, leurs passions en partage, à travers des narrations fortes, des portraits, des enquêtes de terrain rédigées par des écrivains un brin ethnologues, la collection promet d'offrir des histoires marquantes issues de cultures profondes. Avec Les Napolitains, déjà, c'est gagné : leur ironie dévastatrice, leur conscience aiguë du malheur de vivre, le bonheur simple de leur puissance d'exister spinozienne, leur sens inné d'acteurs tragiques -et comiques- de la comédie humaine, en font un peuple à part qui touche néanmoins à un certain universel, que d'aucuns lui envie. Titres à venir : Les Islandais, Les Catalans, les Ecossais, les Roumains, les Suisses, les Anglais, les Canadiens francophones, les Irlandais, les Brésiliens, les Indiens, les Ukrainiens : ça promet grave...
Le Dictionnaire chic de philosophie, de Frédéric Schiffter (Ecriture) est un abécédaire amoureux et désinvolte qui donne un salutaire coup de fouet à la philo. telle qu'on l'édite. Le prof-de-philo-surfeur-biarrot - à qui l'on doit également une délicieuse Petite philosophie du surf (Atlantica), est un dilettante de génie qui aime flirter dans tous les sens du terme : avec Montaigne, Cioran, Nietzsche et les jolies filles, forcément. Nihilisme, bikinisme, mélancolie, dandysme, ivrognerie, onanisme, libertinage, naufrage amoureux, égoïsme, flemme et filles de la plage sont des entrées qui se côtoient et se frottent avec joie, dans ce gros bouquin à déguster comme Montaigne recommandait de lire : en picorant à la manière des poules.
Les mots de l'époque (autrement), est le recueil des précieuses, savoureuses, toujours très attendues chroniques intitulées Juste un mot, que l'ami Didier Pourquery a donné au Monde, et qu'il donne à présent au Huff'Post. Réunies (il y en a 100), elles dessinent un bonheur : celui de relire la pensée incisive de Pourquery, son écoute suraiguë, et tendre aussi, du monde contemporain (des mots) tel qu'il gesticule, évolue, se métisse, se fond, se confond et enrichit nos parlers contemporains. Il y est question de tics, de trouvailles, d'extravagances du langage quotidien. De Waouh! à Bâtard, de "J'lui fais" à Genre!, de Réenchanter à Melon (avoir le), en passant par Célib', Deadline, P'tit mail, Souci (pas d'), et de Boucle (tu me mets dans la), à Revisité, Improbable, Dispo, Boulet, ou encore Impacter, et Au final, les billets de Didier sont la peinture en mots de notre temps : c'est précieux, précis, drôle, fin, subtil, et c'est de surcroît un bonheur d'écriture et donc de lecture.
Romans, de Patrick Modiano est le Quarto (Gallimard) qu'il faut avoir chez soi, car il rassemble le meilleur de notre nouveau Nobel : Villa triste, Livret de famille, Rue des boutiques obscures (son Goncourt), Remise de peine, Chien de printemps, Dora Bruder (inoubliable livre!), Accident nocturne, Un pedigree (à nos yeux le plus touchant, car peut-être le plus vrai de ses livres), Dans le café de la jeunesse perdue (sans doute le plus abouti des Modiano), et L'horizon. Avec ça, je vous mets L'herbe des nuits, ainsi que Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier (le petit dernier, d'une tendresse extrême, qui fait forcément un carton en librairie), et je vous sers aussi Une jeunesse -Allez! Vous tenez là l'oeuvre d'un homme humble, qui s'exprime aussi mal à l'oral qu'il excelle, à l'écrit, à nous (re)dire le Paris des années noires de l'Occupation - et pas seulement. Le Quarto, Romans est par ailleurs enrichi d'un cahier de photos tirées des archives personnelles de l'auteur, qui en disent plus long qu'une biographie. Intime et pudique à la fois, comme Modiano lui-même.
Je me suis régalé à feuilleter, à m'arrêter ici ou là selon l'humeur, au fil des pages, de 365 expressions philosophiques expliquées, de Michel Brivot et Nicole Masson (Chêne), car c'est un rappel salutaire et ludique qui nous est fait, à partir de citations célèbres, assorties de leur explication simple, de leur contexte et de quelques mots sur leur auteur. C'est donc pédagogique, à glisser dans le sac à dos des ados, tiens! Afin qu'ils lâchent un instant leur outils 2.0 pour se pencher sur des pistes de réflexions bien connues, comme On ne naît pas femme, on le devient (Beauvoir), L'enfer, c'est les autres (Sartre), Rien n'est beau que le vrai : le vrai seul est aimable (Boileau), Ce qui est animal devient humain, ce qui est humain devient animal (Marx), etc. Ca ne peut pas faire de mal.
Chez le même éditeur (Chêne), paraît un petit monument éditorial que tout amateur de plantes doit posséder, car c'est une somme, signée d'un grand spécialiste, Jean-Marie Pelt, que c'est admirablement bien illustré de planches botaniques et de chromo anciens. Cela s'appelle Les Plantes qui guérissent, qui nourrissent, qui décorent (les trois parties de ce gros ouvrage). Un album de longue garde, comme on le dit de certains grands crus.
Un mot, enfin, pour évoquer Encore des nouilles, recueil des chroniques culinaires loufoques que le très regretté Pierre Desproges donna à Cuisine & Vins de France, de septembre 1984 à novembre 1985 (on s'en souvient bien!). C'est publié par Les Echappés, et c'est hilarant de la première à la dernière ligne On en pleure de bonheur en lisant, c'est du grand Desproges. Un grand régal. A table!
Ecouter : Cat Power : The Greatest
http://www.huffingtonpost.fr/leon-mazzella/etudes-sur-la-biere_b_5620102.html?utm_hp_ref=france
Beautés animales (Grand-Palais, à Paris, jusqu’au 16 juillet), donne A la gloire des bêtes un petit hors-série plein de dépliants dont Gallimard/Découvertes a le secret. Signé Emmanuelle Héran, il montre des tableaux de Jeff Koons comme de Rembrandt, Dürer et Giacometti. De même, sur Degas et le nu (Musée d’Orsay, Paris, jusqu’au 1er juillet), un livre semblable, Les nus de Degas permet de voir de splendides reproductions du maître en les dépliant soigneusement. En parallèle, la collection Découvertes publie une très intéressante petite biographie illustrée : Degas, "Je voudrais être illustre et inconnu", signé Henri Loyrette (président-directeur du Louvre), à la plume alerte et vive. Un régal. Une autre exposition
d’importance sur le chamanisme, le Vaudou… se tient au Quai Branly, toujours à Paris et jusqu’au 29 juillet, Les maîtres du désordre, sous la direction de l'anthropologue Bertrand Hell, dont il faut lire aussi l'ouvrage quasiment éponyme : Possession et chamanisme. Les maîtres du désordre (Champs/Flammarion), et donne l’occasion à la précieuse collection Découvertes encore, de publier un ouvrage richement illustré sur Le chamanisme de Sibérie et d’Asie centrale, de Charles Stépanoff et Thierry Zarcone. Pour mieux comprendre la vie, l’amour des femmes et donc la peinture de Degas, la fascination de l’homme pour l’animal –à distinguer de l’anthropocentrisme et de la zoolâtrie ; et pour enfin mieux appréhender le monde invisible avec lequel les chamanes -ces étranges bardes thérapeuthes mystiques et démiurges- dialoguent de manière pour le moins ésotérique en faveur des hommes ordinaires.
Rendez-vous, Place Saint-André, de Colette Larraburu (Elkar) -voir la note du 10 décembre dernier, est un ravissement. Sous-titre : Trente ans de vie du Café des Pyrénées : c'est réducteur, car ce sont trente ans de vie bayonnaise qui sont ici contés, tant l'objet de l'étude reflète les années 80 à aujourd'hui dans leur globalité. Il s'agit d'une enquête aussi sérieuse que chaleureuse, vivante, profondément humaine, à la fois psychologique et sociologique. Le microcosme du Café des Pyrénées, à Bayonne, est un prisme au travers duquel un pan d'une certaine histoire du Pays basque, de la cause basque aussi, peuvent-être lus. Ce bar qui ouvre sur l'emblématique Place Saint-André, constitue un espace où l'évolution des habitus, a été marquée par des phénomènes saillants : la rue Pannecau en tant qu'artère-symbole où furent perpétrés nombre d'attentats, notamment ceux du GAL. La disparition progressive du petit commerce de proximité. La reconquête de l'espace avec l'arrivée d'étudiants. Et cela, Colette Larraburu en "rend compte" à travers de nombreux témoignages. Son livre est le fruit d'un travail minutieux de journaliste scrupuleux, qui sait donner la parole à, et reporter avec talent. Rendez-vous, Place Saint-André est l'histoire, humaine, d'un lieu singulier et à forte valeur ajoutée. Vif, alerte et précis, son écriture est belle, de surcroît.
Voici la préface que j'ai donné à ce livre :
"Un café peut devenir une seconde maison, si l’on affectionne les lieux de rencontre, d’échanges et de fusion des caractères sur l’autel d’un comptoir unique. Chaque café est un tissu de liens, un cœur qui bat, un organe de circulation de l’information allant de l’extérieur vers l’intérieur, soit, en l’occurrence, des artères du Pays basque vers l’entrelacs veiné de la ville –Bayonne, où se chuchotent et se chantent les nouvelles depuis toujours. C’est aussi le réceptacle d’informations plus délicates, à caractère politique, disons à forte valeur ajoutée. Pas de complot ourdi, de piège déjoué ou de tension désamorcée sans un café pour les fomenter ou les dissoudre. Si les murs d’un café sont en ciment, l’esprit qui y circule cimente ceux qui le fréquentent : ça ne sortira pas d’ici. Dans ce livre précieux, qui porte un regard d’une acuité rare sur un microcosme singulier, Colette Larraburu a su avec maestria toucher l’âme de ces lieux de mémoire et de vie forte, en ouvrant celle des hommes et des femmes qui les animent par destination. L’écoute est un art, faire dire en est un autre, d’amont. Colette Larraburu possède l’un et l’autre. En la lisant, j’ai appris mille secrets bayonnais et autant de ficelles éclairantes sur l’esprit de cafés d’apparence familière. Car, en observant et en laissant s’épancher avec tact les acteurs de ce monde irremplaçable –qui bat cependant de l’aile dans nos sociétés moisies, ce que révèle Colette Larraburu, à partir d’une observation à la fois clinique et clanique, mais surtout empathique et chaleureuse, touche à l’universel. Et c’est ainsi que l’image de la palombière, avec son poste de vigie, un ou plusieurs guetteurs, pour comparer et donc mieux comprendre la philosophie des cafés bayonnais, peut être déclinée à l’envi. Il existe des palombières dans le monde entier ! Où, dès leur seuil franchi, une batterie de rites de passage se met en branle, car il ne s’agit jamais de franchir le rugby, con! Il faut encore savoir en jouer, avoir la démarche idoine pour se faire accepter, la jouer humble, passer le ballon, offrir des sourires et des verres, et laisser le sac de ses défauts à l’entrée. Entre la porte et le zinc, le café impose sa vérité à celui qui y pénètre. La situation stratégique de tel bar, comme le mythique Café des Pyrénées, au bout de la rue Pannecau –ce « pont entre le Petit et le Grand Bayonne », détermine par ailleurs l’atmosphère particulière de chacun. Au-delà, tout est question d’affinités passagères ou durables. Personnellement, j’ai longtemps été Machicoulis, puis Au Clou, et pas seulement pendant les fêtes, plutôt le matin tôt. De même que le samedi, je suis Bar du marché : un petit coup du coude avant de passer à la table de Joséphine, sur place. J’ai vu apparaître des cafés « de détournement du sujet originel », ceux où l’on grignote pas mal, à l’instar d’Ibaïa, entre tant d’autres. Les querencias changent : mon actuelle, c’est le café François : Au mastroquet des halles… Nos préférences créent des habitudes. Mais il vaut mieux prendre l’habitude de n’avoir aucune préférence : je serai à jamais du côté de ceux qui entretiennent « l’esprit bar », en défendant le convivial poteo contre le pathétique botellon, descendant du xahakua, qui avait de la classe. Enfin, la nostalgie grave nos choix irrationnels : à cause des souvenirs que j’y ai sculptés lycéen, c’est Chez Tony, ancienne « annexe » depuis longtemps disparue du Lycée, que se trouve mon bar élu. Fantomatique, il demeure et j’y entends encore, en passant devant le commerce qui l’a remplacé, l’intact brouhaha de mes potes de bahut." © L.M.
C'est un livre qui paraît aujourd'hui, je ne l'ai pas encore vu, mais j'ai le plaisir -et l'honneur- de l'avoir préfacé. Son auteur, une amie et consoeur, Colette Larraburu, s'est livrée à une enquête historique et sociologique, étalée sur trente ans, du Café des Pyrénées, bar emblématique bayonnais. Dire que les cafés sont des lieux de vie, d'échanges, de socialisation et d'information est une tautologie. Etudiant à Sciences Po, j'avais eu le bonheur de pouvoir choisir, pour sujet de mémoire de fin d'études, le "décortiquage" sociologique (la mode était à Bourdieu, à l'époque), linguistique, économique, social, etc., une année durant, d'un bar de Bordeaux, L'Oriental, Place de la Victoire (il changea par la suite plusieurs fois de nom -il était déjà rebaptisé Le Central à la fin de mon enquête de terrain). C'est dire si la proposition de préfacer un tel livre m'a aussitôt séduit! L'Oriental, Les Pyrénées, je repense, une fois de plus, à la parole si juste, si profonde de l'écrivain portugais Miguel Torga : L'universel, c'est le local moins les murs...
Alors Bravo Colette! Il me tarde de recevoir le bouquin et de le lire! (J'y reviendrai donc). Il est publié aux éditions Elkar : Rendez-vous Place Saint-André. Et voici ce que Emmanuel Planes en dit ce matin dans le journal Sud-Ouest :
http://www.sudouest.fr/2010/12/10/le-cafe-des-pyrenees-un-balcon-sur-saint-andre-263243-4018.php
Un peu de douceur dans un monde de passionnés exclusifs ? Extraits de l'enquête à lire dans la dernière livraison de Pays basque magazine.
Les femmes qui chassent sont de plus en plus nombreuses. Elles sont plus habiles –plus fines, cela va de soi -, et plus adroites que les hommes. Leur connaissance aussi est plus solide : elles se sont préparées à entrer dans un monde de machos où elles ne sont pas sûres d’être admises. Et au lieu de se faire toutes petites, elles jouent en général la carte de l’égalité, en montrant aux hommes qu’elles n’ont rien à leur envier ni à apprendre d’eux. La chasse est avant tout une histoire de mecs. C’est le pré carré des mâles, leur réserve, leur « privilège de masculinité ». La plupart des modes de chasse interdisent de séjour les femmes, au nom d’une inconsciente méfiance, ou bien pour préserver une niche à la société des hommes entre eux. Parfois c’est au nom de superstitions oiseuses mais respectables qu’elles n’ont aucun droit de cité. Ainsi, les femmes ont-elles été longtemps interdites de palombières lorsqu’elles avaient leur « règles », au motif que ces dernières empêchaient la pose des palombes, voire leur simple passage ! Idem dans l’Est de la France et dans le Bocage, si l’on en croit les sociologues Bertrand Hell et Yvonne Verdier. En gros, la présence des femmes ferait fuir le gibier, selon des croyances que l’on retrouve dans plusieurs régions d’Europe et d’ailleurs. La chasse est une affaire d’hommes passionnés jaloux de leur chose à eux. Pourtant certaines poussent l’audace (selon des chasseurs exclusifs) jusqu’à partager leur passion propre ! Et comme eux, elles aiment attendre guetter, se lever tôt, dresser les filets des pantières des Aldudes ou partir à l’assaut des cols d’Iraty, elles savent braver la ronce et vider un oiseau à la vitesse de l’éclair, écouter la nature et tenir un fusil. Les vraies femmes de chasse expriùent la sagesse, l'adresse, la perspicacité et la modestie. Discrètes, elles savent et ne parlent pas (à l’inverse de ceux qui parlent et bien souvent ne savent pas).
À Lepeder, la palombière des Aldudes, au Pays basque, c’est un peu spécial : Katixa Ospital, 35 ans dont une trentaine de chasse, dirige cette pantière (filets verticaux) depuis des années déjà. Propriété de sa famille, Lepeder a toujours fait participer le village à la chasse : les filets, les chatars et leurs grands draps blancs agités au bout de longs bâtons, les lanceurs de palettes sensées imitées le vol prédateur de l’autour des palombes, le bien nommé qui attaque par dessous en enserrant sa proie… « Tout le monde y met du sien. Mais depuis les années trente, ce sont des femmes qui dirigent. Et les hommes ne mouftent pas… », dit Katixa, jeune maman qui vit elle-même aux Aldudes. Au début, c’était les grandes tantes de Katixa qui menaient le bal d’une vingtaine de chasseurs. Puis d’autres femmes. Katixa dirige aussi l’association Lepedereko Usotegia (la chasse à la palombe de Lepeder), créée « pour élargir, ouvrir la chasse, trop souvent associée à la famille Ospital, au reste du village. Car Lepeder appartient réellement au patrimoine de la petite vallée des Aldudes ». Au début, le rôle des femmes se limitaient au maintien des filets. Les jeunes filles encore enfants étaient envoyées dans les postes éloignés, ceux des chatars, afin que le bruit n’effraie pas les oiseaux au moment crucial d’abattre les filets sur une volée. Volontiers matriarcale, la chasse de Lepeder vit très bien sa particularité. Les taches subalternes : tuer, plumer, vider, cuisiner, étaient traditionnellement dévolues aux filetiers pour la première et pour les autres, au personnel de maison qui se chargeait également de préparer la cuisine et d’apporter les paniers-repas à l’heure du déjeuner. Aujourd’hui, chacun apporte son casse-croûte et, eu égard aux faibles prises (de 200 à 500 oiseaux par saison !) les palombes sont partagées sur place et préparées dans chaque foyer. « Aujourd’hui, sur la chasse, dit Katixa, il y a toujours 4 ou 5 femmes, sur 13 hommes environ : c’est pas mal ! »…
Ailleurs, en Gironde notamment, des enquêtes révèlent des cas de divorce pour cause de chasse à la palombe : trop long, trop important, non négociable, passion dévorante… Tout cela a raison de certains couples. Cependant, certaines femmes interrogées démontrent l'évolution des mentalités cynégétiques. Elles aiment suivre leur mari, ne se sentent pas rejetées de la palombière, cette « garçonnière cynégétique », s’y font dorloter, car les hommes deviennent, dans leur résidence secondaire de l’automne, de vraies fées du logis. Pour ces femmes, la chasse c’est la vie, « la palombe » fait partie du quotidien, nul ne songe même à contester son bien-fondé. Certaines tâches demeurent l’apanage des hommes, comme le gavage des appeaux (au bouche à bouche avec du grain mâché par l’homme, puis soufflé dans le jabot de l’oiseau). Finalement, tout est question de tact. Les femmes qui participent ou même qui chassent, n’essaient jamais de prendre toute la place traditionnellement dévolue aux hommes. Ainsi achètent-elles leur droit d’entrée. Katixa est une exception qui confirme la règle.
© L.M.
Lire : « Le sang noir », B. Hell, Flammarion/Champs. Et « Façons de dire, façons de faire », Y.Verdier, Gallimard/Folio essais.
Voir, dans la même livraison de Pays basque magazine, un papier sur la Venta Burkaïtz, un restaurant niché au Col des Veaux, près du Pas de Roland, après Itxassou, dans la montagne basque (avant-goût) :
L'impression de relire les notes de Lévi-Strauss prises chez les Nambikwara, les Caduveo, les Bororo, les Tupi-Kawahib...
Avec cette inextinguible amertume de feu, depuis mon retour...
(Re-)Lisez-le.
En plus d'être un plein de jaja pour les neurones, lire, relire Claude Lévi-Strauss, c'est littérairement jouissif.