Belle perdue dans Causeur
Thomas Morales compare mon dernier roman à Villa triste, de Patrick Modiano. Il y a pire comparaison... Merci cher Thomas.
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Thomas Morales compare mon dernier roman à Villa triste, de Patrick Modiano. Il y a pire comparaison... Merci cher Thomas.
Ce bel article dans le grand quotidien italien sur L'Été de la Corricella / L'Estate della Corricella (récit bilingue) paru en septembre dernier chez Giannini editore.
Mon nouveau livre (un bref récit tragique) paraît la semaine prochaine en Italie chez Giannini editore. En édition bilingue (à l'attention des français qui séjournent à Naples et sur les îles du golfe). Pour l'occasion, je l'ai signé de mon nom entier, procidien.
À nouveau à l'honneur (indirectement) dans la chronique de Jean-Claude Raspiengeas publiée par La Croix L'hebdo, via le mook (déjà évoqué ici) Latitude Mer... Vive les Équateurs, Latitude Mer et Olivier Frébourg, capitaine littéraire au long cours !
Sortie ce matin en librairie, dans les maisons de la presse et les bons kiosques à bons journaux (buongiorno!), du numéro trois de Latitude Mer (piloté, commandé par Olivier Frébourg, des éditions des Equateurs). Avec des textes, entre autres, de Sylvain Tesson sur la Grèce, "des miettes dans la mer", Jean-Paul Kauffmann depuis son balcon de Saint-Malo, Patrice Franceschi, capitaine littéraire de La Boudeuse, Jean Rolin, amateur de poissons exotiques et érotiques, des poèmes de l'immense Nikos Kavvadias, un récit touchant des pérégrinations de Bernard Lavilliers, de Cuba à Saigon en croisant par Zanzibar, tant d'autres belles choses écrites, dessinées, photographiées, et ma modeste contribution avec un long texte (un extrait de roman) qui court sur une dizaine de pages, consacré à l'île napolitaine de Procida, ma querencia ritale et vitale... Foncez et lisez. "La mer, une question de fond", prévient Olivier Frébourg, d'une souriante lapalissade pas si légère que cela... L.M.
Marie-Luce Ribot et Antoine Tinel, qui pilotent le "mook" (magazine-book) Raffut, "Ceci est plus qu'une revue de rugby", du groupe Sud Ouest, m'ont demandé pour pour la rubrique Art et Littérature de leur n°3 qui paraît ce jour, un assez long texte sur mon rapport au rugby, que voilà (en photos). Ce fut l'occasion d'évoquer surtout mon fils lorsqu'il était rugbyman, ses grands-pères, et de raconter quelques anecdotes personnelles...
Retour récurrent, nécessaire, viscéralement ancré au désir incontrôlable, à Procida, isola mia. Pour y écrire. Me laver en écrivant. Bisogno. Avec méfiance, cette fois, car c'est la capitale italienne de la culture depuis le 1er janvier et jusqu'au 31 décembre, et que le monde afflue sur cet isoletto qui n'en peut mais. Certo, la culture c'est mieux que la politique ou le sport pour être distinguée une année durant.
Mais, bon. J'y suis arrivé cet après-midi, et j'ai retrouvé mes marques, mes amis Cesare, Giuseppe, Vincenzo, Aniello, Emanuele... Mes repères et mes repaires aussi, tout ce qui me rend poisson un instant échoué retrouvant la mer à la faveur d'une vague aimante comme un bras par dessus l'épaule à l'instant où on ne l'attend pas, marchant en silence le soir, côte à côte, d'un pas rythmé; entendu. L.M.
Cliquez là => LE BRUISSEMENT DU MONDE
Le choix de la première chronique littéraire de l’année s’apparente à la cueillette des champignons, dans un sous-bois, à l’automne, quand la feuille morte rythme le pas, quand l’incertitude guide la main du critique. La pluie grise les sentiments, la nature protège et isole; le critique hésite, il tâtonne, il se rétracte parfois, puis il se lance, il a enfin trouvé le livre qui correspond à son souffle intérieur, à son émotion du moment, à sa volonté de ne pas ensorceler le monde. En 2021, l’esprit ne sera ni à la querelle incestueuse, ni à la légèreté béate, plutôt à la beauté qui s’efface peu à peu, elle s’échappe, nous le sentons charnellement, et pourtant, il faut la retenir, s’incliner une dernière fois devant elle, la remercier encore et toujours. Se rappeler que sans elle, nous sommes des êtres désarticulés, surnuméraires fantômes. Cette beauté fugace n’est pas grandiloquente, elle ne bombe pas le torse, elle ne nous fait pas du gringue au coin d’une rue ou à la lecture d’un paragraphe trop étincelant; discrète, elle sait tenir ses distances.
Elle s’apprivoise difficilement. L’écrivain Léon Mazzella, styliste des terres basques, grand spécialiste du vin, part à sa recherche dans Le Bruissement du monde aux éditions Passiflore. Il est de ces explorateurs esthètes qui ne surjouent pas la surprise ou l’émerveillement. Ce gracquien sème la chronique au vent, sans charger sa phrase d’un affect débordant, elle garde sa pureté originelle tout en susurrant son pouvoir d’abstraction. Là, réside le charme vivifiant de ce recueil buissonnier qui promène son bonheur de vivre entre fragments, souvenirs d’enfance, nostalgie du cœur, sens de la transmission et plaisir du palais. Mazzella nous touche car, avouons-le, il caresse notre vieux monde, il cajole notre désenchantement, il ouvre la volière de notre mémoire. Ne vous méprenez pas sur son dessein, il ne panthéonise pas le passé, ce n’est pas un embaumeur, plutôt un exhausteur de goût. Son toucher de plume lifte l’existence, lui donne du rebond. Nous avons les mêmes codes d’entrée, les mêmes marottes, les Renault Floride et les chevauchées landaises de Christine de Rivoyre
Avec ce compagnon hussard, on se rappelle d’un texte lu à l’adolescence qui a fait chavirer notre suffisance, on se met alors à dessiner des volutes de Havane dans le ciel laiteux de la province française, à rêver aux seins obuesques de Silvana Mangano dans « Riz amer » ou à la bouche désirable de l’impénétrable Monica Vitti. À nous extraire simplement de notre quotidien par le talent des autres, voilà un résumé de ce que fut notre jeunesse. Pour nous, garçons ahuris, bouffis de caractères d’imprimerie et de cinéphilie, la réalité passe souvent par le tamis de la fiction. Mazzella est un merveilleux brouilleur de météo, il détraque toutes les horloges. Avec lui, la chronologie s’émancipe des dates. On le suit avec gourmandise dans cette belle littérature, giboyeuse et sauvage des Trente Glorieuses puis, le texte suivant, il nous ramène au présent, dans le spectacle chantant d’une bergeronnette grise ou la pesanteur ensoleillée d’un champ de maïs. Tantôt mélodiste d’antan, tantôt aquarelliste du paysage en mouvement, sa mélancolie sous-jacente n’est ancrée dans aucun port d’attache. Elle est libre, elle se moque des convenances, elle cabote sur des côtes intimes. C’est pourquoi nous prenons autant de plaisir à le lire, surtout quand il écrit: « Je suis Claude Sautet » ou qu’il fait l’éloge du stylo à plume: « Bonheur de retrouver le glissement de l’encre, sa fluidité, et le crissement sur le papier vergé ivoire, cette teinte bleu nuit qui forme les lettres, les mots qui naissent, le mouvement du poignet, le sang qui afflue sur la dernière phalange de l’index comme si nous labourions ». Mazzella sait, par instinct, qu’un bon livre ne ressemble pas à une autoroute rectiligne, il doit cahoter, ne jamais utiliser le même instrument de musique, de la variété naît l’harmonie. Mazzella ose passer de Gracq au Bricomarché, sublime impertinence et poésie de l’infiniment petit, de Calet à Anouk Aimée, de Larbaud à une libellule indisciplinée, de Gómez de la Serna au croquant du chipiron. Vive 2021 !
Le Bruissement du monde de Léon Mazzella – éditions Passiflore.
Je tombe à l'instant sur l'annonce de la parution de mon prochain livre en surfant sur la Toile, à la recherche d'une référence bibliographique. J'ignorais qu'il était déjà signalé, notamment sur les plateformes de vente comme FNAC, Decitre, Amazon, etc. Il en va des livres comme des maillots de bain ou des manteaux : on achète les premiers en hiver et les seconds en été, lorsqu'ils apparaissent aux vitrines. Il en va ainsi de tout, au fond, sauf des fraises des quatre saisons qui naissent sous serre. Anticiper, cela me connait. Le métier de journaliste consiste aussi à avoir un temps d'avance, ne serait-ce que pour des questions de dates de bouclage. Sauf que là, il faut attendre. On peut juste réserver, pré-acheter (directement sur le site de l'éditeur, d'ailleurs). Bien, puisque ce n'est plus un secret, voici ce qu'en dit, justement, mon éditeur => Le Bruissement du monde À présent, il me tarde de distribuer le faire-part de naissance du petit dernier... L.M.
J'habite (plus pour longtemps) à distance raisonnable d'un village paumé dans une campagne splendide peuplée de faune sauvage ailée et poilue abondante, riche de forêts, de fleurs par milliers en ce moment, et de fruits sur leurs arbres, de champs calmes, caressée par un vent parfois dur. Le silence y règne en maître arpenteur de mes balades quotidiennes émerveillées par un chevreuil, un couple de palombes, un buisson de marguerites, le son d'une source. Je vis loin des humains, mes faux-frères. En pleine "pampa" apprivoisée. Ce matin, en me rendant à la Poste afin d'y déposer un colis, j'ai découvert l'ouverture subite de La Tarantella. Quezaco? : Pizza 24/24, il suffit de glisser une carte bancaire, et Margharita ou Regina jaillissent selon le choix présélectionné. J'ai failli en pleurer, en pensant à mon île, Procida, à la province française, au petit commerce bien évidemment. Car, non loin de là, au village voisin, il y a déjà un choc émotionnel en forme de cabine téléphonique (pour le calibrage du machin) : un distributeur de baguettes. Au pays du pain... Je souffre de notre abandon, de la poursuite inexorable comme une crue d'un exode fondamental qu'aucun bobo en résidence secondaire ne saura faire revivre avec tact, intelligence, et sentido. L.M.
Virée de quatre jours sur mon île, histoire - entre autres - de découvrir un nouveau restaurant, Da Maria alla Corricella. Maria est une femme à part, à l'abord dur, à l'abordage rêche. Elle fut la seule pêcheur(se) professionnelle de Campanie durant de très longues années. C'est une taiseuse comme la plupart des Procidiens. Je suis ami avec ses fils rugueux et soyeux à la fois Cesare et Giuseppe, depuis plus de vingt ans. À la retraite depuis des lustres, et tandis qu'elle régalait chaque jour son mari amateur de havanes, sa famille, et une partie de La Repubblica libre della Corricella (appellation absolument pas controllata), dont nous sommes membres à vie et avides, pour des agapes à l'intérieur, chez elle, ou bien le plus souvent en plein air, sur de longues tables face au porticcio, ses barques, les goélands, les chats, les filets entassés... Maria prit la décision - à force d'entendre que ses linguine aux oursins étaient des oursins iodés (ramassés tôt le matin avec une fourchette et sans masque, juste là, devant à trois cents mètres et à quatre ou cinq mètres de profondeur - prends bien ta respiration avant, bijou) aux linguine parfaitement al dente, que son sugo di coniglio était à se damner, et que, que, que... Son restaurant ouvrit donc, après pas mal de tracasseries administratives. Même ici, où tout semble permis, sinon autorisé (l'autorisation y étant une tolérance auto-proclamée), c'est parfois compliqué. Ah, les sortilèges de l'insularité... Mais nous y voilà : Sur cette Corricella devenue un chapelet de terrasses de restaurants légèrement inégaux. Les voisins immédiats de Maria, Vincenzo à La Graziella et Aniello à La Gorgonia - nous avons nos vieilles habitudes aux deux gargotes -, ont les dents qui grincent. Au-delà, soit à moins de dix mètres de part et d'autre, c'est déjà autre chose : Caracalè d'un côté, Maestrale de l'autre sont loin. Alors Il Postino, Fuego, La Lampara sont à des années-lumière, soit à cinquante mètres (sous le cañar, ça joue). Disons-le tout de suite : une seule chose cloche chez Maria, c'est le bruit de l'aération. Afin de ne pas s'évanouir sous sa charlotte, au fond de ces habitations semi-troglodytiques de toute la Corricella, et quand la cuisine est forcément calée contre la roche murée, il convient d'aérer puissamment. D'où l'intempestif et persistant ronronnement. Tout le reste fonctionne. L'antipasto della casa bon pour deux personnes sauf si vous avez mon appétit, doit obligatoirement être commandé (photo) avec un pichet de blanc local (très fruité, très frais ici - car son goût change d'une adresse l'autre), et une bouteille d'eau frizzante avant de commander plus avant. Puis, examiner la pêche du jour sur assiette, car elle peut convaincre de lancer quelque dorade ou sar (marbré) alla brace pour une cuisson vive sur peau non écaillée et au gros sel. Rayon pasta, demandez celles du jour qui ne figurent pas sur la carte. Aux fruits de mer (langoustines, gambas, moules, palourdes, cigales, calmars...), elles sont divines grâce au jus, ah ce jus qui mêle tomates cerise confites, ail frais, friarielli encore croquants, et eau des crustacés réduite à la cuisson... Maria a pris soin de cajoler les recettes typiquement locales de la cuisine povera, comme ces Pasta e fagioli con le cozze, des pâtes différentes de fins de paquet aux haricots blancs et aux moules. Côté Secondi piatti, notons le Coniglio alla Procidana (lapin à la Procidaine), et la Frittura di paranza, bouquet de petits poissons de roche divers et frits, à manger avec les doigts après les avoir citronnés. Rayon contorni, prenez sans hésiter le Misto di verdure, une assiette d'aubergines, courgettes, tomates, en petits dés et olives dénoyautées, le tout réduit comme une caponata gorgée de saveurs distinctes. Avant de tâter des desserts (tiramisu et tarte au citron maison évidemment, fort recommandables). Voilà. Da Maria va faire mal, j'en suis certain. Et pour finir? Avant de finir finir, une assiette de fruits (pastèque, ananas, raisin, abricot, prune - sur glace) avec un dernier pichet de bianco locale issu de falanghina ou de biancolella rempli de quartiers de pêche jaune ou blanche mêlés (variante procidienne du rosé-piscine). Puis, Un limoncello della casa con il caffè!.. Après, il sera temps de faire un tour de bateau pour aller piquer une tête au large en écoutant à fond Tu vuò fà l'americano, 'mericano, 'mericano... L.M.
Il est toujours émouvant de tomber sur un vieux cliché jauni, écorné, maltraité par le temps et sur lequel nous peinons à distinguer des détails, mais qui nous parle. Cette photo m’a été adressée (dans le corps d’un e-mail) par mon pote Jacques Ferrandez lorsqu’il travaillait à l’adaptation en BD du « Premier homme » d’Albert Camus (paru chez Gallimard l’an passé), car il me demandait si les cargos de l’armement familial, dont le port d’attache était alors celui d’Oran, avaient pu transporter Camus depuis le port d’Alger à un moment ou à un autre. Je signale en passant le très émouvant livre autobiographique de Jacques, « Entre mes deux rives », paru au Mercure de France : l’Algérie natale, Alger, le quartier de Belcourt où vécurent Camus, Sansal, Ferrandez !, Nice, l’exil, Boualem Sansal à Tipasa, Catherine Camus à Lourmarin, l’adaptation en BD de l’œuvre de son illustre(é) père, Ferrandez le camusien habité est entièrement là, et c’est écrit avec un grande sensibilité et une humilité qui forcent le respect.
Je ne connaissais pas cette photo. Je fis par conséquent appel à mon cousin Gérard Bengio, mémoire familiale vive de ce qui touche à la Méditerranée et à tout ce qui navigue sur elle, car un détail m’intriguait : la cheminée noire. Chaque cheminée des navires familiaux étant barrée d’un beau bleu ciel serti d’un grand « M » blanc, je m’interrogeais.
Gérard leva aussitôt l’énigme : l’armement Léon Mazzella & Cie avait repris l’armement Yaffil, à cette époque (aux alentours de la Seconde guerre mondiale?) et la cheminée de leurs navires était noire. Mais pourquoi alors « un » Léon Mazzella (il y en a toujours eu un pour en chasser un autre, et ce jusque dans les années 1980), parait-il ainsi sa cheminée de la couleur du deuil, et non pas de son bleu ciel et blanc maison ?.. Il me faudra rappeller Gérard.
« La photo a été prise sur le Quai du Sénégal, au port d’Oran, puisque nous devinons la colline de Santa-Cruz en arrière-plan, ainsi que le môle de l’Amirauté, à l’arrière port », précise mon petit cousin. Et comme il s’agit d’une cargaison de billons (tronçons d'arbres), cela ne fait aucun doute : seul ce quai en avait la charge... La date ? – J’ai un indice : l’homme au costume (plein centre) est mon grand-père Léon, décédé le 9 août (le jour de la St-Amour) 1951 d’une crise de cœur que l’on dit cardiaque dans une chambre d’hôtel faisant face à la gare Saint-Lazare, Paris huitième. Il se trouvait là « pour affaires » maritimes, mais les mauvaises langues familiales disent qu’il périt à la manière de Félix Faure d’une fatale fellation peut-être, à tout le moins d’une union pénétrante et adultérine, fait qui fit dire au facétieux Clémenceau à propos du Président Faure : Il a voulu vivre César, il est mort Pompée. Puis-je ajouter que l'abbé dépêché sur les lieux s'enquit de la vigueur du premier personnage de l'État en ses termes : Le Président a-t-il encore sa connaissance? Et qu'il lui fut répondu in petto : Non, elle vient de s'enfuir en empruntant l'escalier de service... Le trait, délicieux de galanterie et de finesse espiègle, est depuis consigné dans les annales élyséennes...
Bien plus simplement, l'épouse de Léon, ma grand-mère prénommée Orabuena car elle était née Juive de Tétouan, puis rebaptisée Bonheur, sa traduction, en se mariant à l’église avec son Procidien de mari (de Procida, l’île méconnue – qu’elle le reste! - du Golfe de Naples), en fut marrie, mais point brisée. Il fallut tenir bon, en femme de caractère bien trempé. L’apparence demeura ferme, flegmatique, voire fondue dans du métal point mou et propre à empêcher toute armure de se fendre un jour, une nuit. Ni étain ni plomb dans la famille, sauf l'un pour le decorum des tables, et l'autre pour la chasse. Du fer, de l’acier, et que le cœur se bronze et jamais ne se brise. Elle sortit d’ailleurs mon père Léon du Lycée Lamoricière, où il passait ses deux bacs, afin de sculpter un armateur de dix-sept ans, flanqué contre sa mère expert-comptable et véritable patronne de la modeste entreprise, comme un daguet (il n’était plus faon tacheté, ses bois donnaient de l'avant) constamment à apprendre le métier contre sa biche de mère courage. L'époque était au privilège de masculinité, au droit d'aînesse et, in situ, au devoir de respect absolu à la culture et aux traditions méditerranéennes ancrées dans un melting-pot culturel bigarré, métissé jusqu'à plus soif et dénué de toute arrière-pensée raciste, comme on dit.
L’omerta à propos des circonstances du décès du grand-père Léon demeure, car lorsqu’il m’arrive encore de titiller ma vieille tante Thérèse, sa fille (la sœur de mon père), celle-ci glisse aussitôt sur l’affaire de ses géraniums qui fleurissent tardivement – c’est bizarre, tu ne trouves pas?.. Ou bien sur celle du mur de sa terrasse bayonnaise, côté jardin en pente, lequel menace ruine. Évoquer - fut-ce de loin - la sexualité du père ne sera jamais chose aisée, me souffle Sigmund Lacan.
C’était un « coureur » au fond, selon l’expression d’alors, un inoffensif Barbe bleue comme son frère Giacomi, et aussi l’autre, rescapé des tranchées de 14, Antoniuccio je crois... Juste bon à trousser les femmes de ménage successives de la propriété de Pont-Albin, à Misserghin, sise sur « les hauteurs de la ville » (d'Oran)... Cette page d’histoire familiale me séduit par son côté bovaryen à sa marge, doté d’un accent à la Maupassant dans ses haltes aux auberges de campagne, mâtiné d’une dose de machisme napolitain (totalement anachronique en ces temps d'une pruderie de Quaker), mais à l'effet immédiat sur les saintes nitouches déguisées en vierges effarouchées, et faisant aussitôt rire à gorge déployée tout ce qu’un quai peut compter de marins rayés et un zinc d’amis soiffards...
Gérard, fin connaisseur, précise que ce bâtiment (je reviens au cliché), est le bateau « souche » des futurs navires de la classe Victory, Empire, puis Liberty ship américains, caractérisés par la mâture en forme d’arche portée. J’affectionne ce type de détail parfaitement inutile au commun des mortels, surtout s’il est sujet au mal de mer, mais qui possède le claquant d’un poème, mâture en arche portée... Et grise l’oreille à la manière de ce qui agace actuellement ma vue, et qui se nomme joliment « les corps flottants » (des fantômes en forme de mouches qui passent devant l’œil, produisant des sous-ensembles flous, dirait Jacques Laurent, et ne laissant pas les corps tranquilles... Mon « vitré » se distend avec l’âge, mais je n’envisage pas encore de double vitrage pour le blanc de mes yeux, pas plus que mon aïeul ne pensa à porter des lunettes... à double foyer).
Or, donc, cette photo. Je la regarde et je rêve. D’une Algérie où je naquis et où je passai trois années y pico– et demie pour être précis. Je n’y suis pas encore retourné, malgré mes velléités lorsque, par exemple, je fis paraître chez Rivages « Le parler pied-noir » en 1989. Le FIS y montrant déjà le bout de sa sinistre morgue, il fut préférable d’attendre un peu. Sauf que un peu me dure.
Cette proue droite me fascine. Mon regard a toujours été attiré par ces navires façon brise-glace, l’arrondi à leur base en moins, car ce tranchant de lame, cette rectitude de col amidonné, comme celui que porte (sans la prothèse rigide) Erich Von Stroheim dans « La Grande illusion » (celui de Karl Lagerfeld ne parvient pas à m’émouvoir), lorsque le commandant Von Rauffenstein s’adresse à Pierre Fresnay : « Monsieur de Boëldieu... », sont infiniment émouvants. À quai comme en pleine guerre. L.M.
Fatto! (lire, ci-dessous, ma note datée du 24 mars dernier).
Citrons archi bios rapportés cette semaine du Giardino di Elsa (Morante) Procida, afin d'élaborer le traditionnel limoncello.
Je ne suis pas peu fier de savoir (depuis longtemps déjà), que Elsa Morante a écrit L'Isola di Arturo, le roman de Procida (Prix Strega 1957), à Eldorado, la maison familiale de mes ancêtres armateurs. Ce lieu splendide, sur mon île chérie, fait naturellement partie du parcours littéraire qui chemine le long des lieux phares évoqués dans le livre, et que chacun peut effectuer sans attendre la période de l'attribution du Premio Procida Isola di Arturo Elsa Morante, dont c'est le trentième anniversaire cette année.
Traductions :
1) L'Eldorado, la villa Mazzella di Bosco dove Elsa scrivera
1) L'Eldorado, la villa Mazzella di Bosco où Elsa écrira
La passeggiata inizia dall'Eldorado, la villa dell'antica famiglia degli armatori Mazzella di Bosco dove Elsa Morante visse et si ispiro per scrivere il suo grande romanzo ambientato della nostra isola...
La promenade commence par Eldorado, la villa de l'ancienne famille d'armateurs Mazzella di Bosco où Elsa Morante vécut et où elle trouva son inspiration pour écrire son grand roman...
Vu de Il Giardino di Elsa, un verger de citronniers qui s'achève sur une splendide terrasse en balcon au-dessus de la plage de Chiaia, avec la Corricella à gauche, la Punta Pizzaco à droite, et Capri au loin...
Merci à (la plume sagace d') Olivier Mony.
Procida me réconcilie avec la vie lorsque celle-ci glisse entre mes yeux. Cette île me rassemble et me ressemble. Elle irradie en moi, éloigne de la peau de mon âme les tourments. J’habite Procida comme le fleuve finit par habiter la mer. Ma confusion des sentiments s’épanouit sur le microcosme de la Corricella comme une feuille de thé dans l’eau bouillante. Chaque chose reprend place, chaque être observe l’autre en amitié ; insulairement. Ici je découle. Deviens poisson, nage en eaux claires. Je mûris comme le citron sous le soleil clément. J’oublie le manque. Je me nourris d’ombre et de petites tomates. Je plonge dans l’eau noire, pilote le bateau, un gozzo, comme je caresserais une nouvelle femme. Le voilier de Paolo qui s’avance pour mouiller dans l’anse de Chiaia, le regard du vieux pêcheur taiseux qui reprise son filet, l’écho d’une Vespa à l’assaut de Terra Murata suffisent à mon bonheur écrasé de soleil du passager clandestin que je suis devenu sur l’île de mes ancêtres.
(photos : seul à bord, stasera : il benessere).
Traduction de mon amie écrivaine napolitaine/procidienne et présidente du Prix Elsa Morante, Tjuna Notarbartolo :
Procida me riconcilia con la vita quando mi scivola negli occhi. Quest'isola mi ripiglia e mi somiglia. Mi splende dentro, allontana i tormenti dalla pelle dell'anima. Abito Procida come il fiume finisce per abitare il mare. i miei sentimenti confusi si stemperano sul microcosmo della Corricella, come una foglia di tè nell'acqua bollente. ogni cosa è al suo posto, ogni essere osserva l'altro in piena amicizia; insularmente. Sono alla deriva. divengo un pesce, nuoto in acque chiare. divengo maturo come il limone sotto un sole clemente. Scordo ogni mancanza. Mi nutro d'ombre e di pomodorini. Mi immergo nel mare profondo, guido la barca, un gozzo, come se accarezzassi una nuova donna. La barca a vela di Paolo che si avvicina per bagnarsi nell'ansa della Chiaia, lo sguardo del vecchio pescatore taciturno che ripara la sua rete, l'eco di una Vespa che scala Terra Murata, bastano alla mia felicità schiacciata di sole, da passeggero clandestino, quale io sono divenuto sull'isola dei miei avi.
Avec la prison (Terra Murata, Istituto de pena) au premier plan. Au fond, Ischia et la courbe du Monte Epomeo, au-delà de la Chiaiolella et de l'isoletto de Vivara. Une terrasse sublime, vue à 360° sur Procida dans son entier, Ischia, Capri, le Vésuve, la Baie de Naples et, par beau temps, les îles Pontines de Ventotene et Ponza. Aïe aïe aïe.
tu vuo'fa'l'americano (Renato Carosone)
Un nom du cinéma italien des grandes années vient de mourir le 7 mars à l'âge de 90 ans. De Damiano Damiani, on se souvient peut-être de El Chuncho (1967), un western spaghetti dans la veine des Sergio Leone, avec la révolution mexicaine de 1910 pour cadre et Gian Maria Volonte et Klaus Kinski pour acteurs principaux. On se souvient de Pizza Connection -à propos de la mafia (Ours d'or à Berlin en 1985), ou de La mafia fait la loi (1968, avec Claudia Cardinale; d'après un roman de Leonardo Sciascia). Pour la télévision, Damiano Damiani fut le co-auteur des premiers épisodes (on ne parlait pas encore de saisons), d'une série lancée en 1984 et qui connut un grand succès au-delà des frontières de la Botte : La Piovra (La Mafia), avec Michele Placido pour acteur principal. Mais qui se souvient de L'île des amours interdites, adapté de l'Isola di Arturo, L'Île d'Arturo, d'Elsa Morante, le grand roman (Prix Strega 1957 -le Goncourt italien), de "la" Morante et qui a Procida pour cadre? Le film valut à Damiani le Grand Prix du Festival de Saint-Sebastien en 1961. Damiani était le cinéaste des problèmes sociaux et il se rapproche en cela du néoréalisme italien. L'Île des amours interdites, tourné en noir et blanc, montre une Procida encore sauvage, une prison, Terra Murata, en activité (elle ne fermera qu'en 1988) et des personnages d'une sensibilité à fleur de peau. De ce film, fidèle au roman, il se dégage une poésie simple, un dépouillement; une vérité pure comme l'enfance lorsqu'elle rencontre la mélancolie et qu'elle cesse de jouer avec un chien sur la plage.
Pour l'édition du centenaire de la naissance de l'auteur de L'île d'Arturo, de Aracoeli, de La Storia et autres chefs-d'oeuvre, le Prix Elsa Morante -présidé par Tjuna Notarbartolo, une amie follement amoureuse de Procida, écrivain (son dernier livre A volo d'angelo, Felici editore, connaît actuellement un joli succès dans la Botte) et critique littéraire napolitaine, morantienne jusqu'au dernier cheveu noir jais-, s'enrichit d'une session "paroles en musique" (présidée par Dacia Maraini) -signe d'ouverture des prix littéraires italiens totalement inédite, inconnue, voire inenvisageable (?) en France. Il a désigné ce matin la chanteuse Gianna Nannini pour le côté morantissime de ses chansons et surtout de leurs paroles. Extrait du Corriere della sera de ce jour : Nel centenario della nascita di Elsa Morante, il Premio intitolato alla grande scrittrice si arricchisce di una nuova sezione, 'Parole in musica', dedicata ai grandi cantautori italiani, e la giuria presieduta da Dacia Maraini premia Gianna Nannini ''per la narrativita' luminosa delle sue canzoni, veicolo di emozioni nel senso piu' 'morantiano' del termine'. Voici le site de Gianna Nannini, italianissime comme on aime, la voix éraillée à mort, qui semble gravée à la grappa et à la clope, à l'insomnie et au sexe; bref d'un certain glamour... : http://www.giannanannini.com/it/home/ Il donne de nombreux courts extraits de ses chansons, pour ceux qui ne connaissent pas encore le timbre mélancolique de sa voix. On aime ou on n'aime pas. "C'est variétoche à donf!", diront certains. Et alors? L'éclectisme n'empêche pas de continuer de frissonner en écoutant Schubert, de pleurer en écoutant les Doors et Bashung, d'être bouleversé en écoutant M. de Sainte-Colombe et Chet Baker et d'aimer aussi Nannini sans se sentir incohérent!.. Indéniablement, l'italianité, la langueur, le fading des chansons de Gianna N. rappelle -en la modernisant considérablement, cela va de soi-, la prose langoureuse, enveloppante, envoûtante, impregnée de tant de sortilèges de "la" Morante, dont on ne se lasse pas de relire L'Île d'Arturo, entre autres romans marquants de la littérature italienne du XXème siècle. Lire par ailleurs ses Récits oubliés publiés par Verdier, l'heureux et méritant éditeur de Lagrasse qui vient de remporter ce matin le Prix Décembre avec Mathieu Riboulet et ses Oeuvres de miséricorde.
Un autre mot, tiens, à propos de Prix d'automne, sur la surprise du Renaudot, attribué hier : je déjeunais tardivement (et pour cause) avec un ami finaliste de ce prix, Christian Authier, qui me fit part en me rejoignant au Comptoir du Relais (de l'Odéon, Paris VI), piloté par notre pote Yves Camdeborde, de la stupeur qui planait chez Stock, son éditeur, où un autre finaliste, Vassilis Alexakis, donné favori, affichait une triste mine. Chacun sait à présent que Jean-Marie Gustave Le Clézio a sorti de son chapeau, au dernier moment (après dix tours de piste) un livre, Notre-Dame du Nil (Gallimard, éditeur de Le Clézio... et qui n'avait pour l'heure rien raflé dans la course aux Prix) et son auteure rwandaise méconnue, Scholastique Mukasonga, alors qu'il ne figurait pas sur la short list et que peu de jurés avaient même eu connaissance du livre (Jérôme Garcin, de L'Obs, l'avait, lui, lu et en avait rendu compte dans ses pages). L'auteure, aussitôt prévenue, aurait même cru à une blague par téléphone. C'est dire! Comment comprendre une telle surprise dont le Renaudot est d'ailleurs coutumier (Némirovsky et Pennac, déjà, pour des raisons différentes...). Le non-respect des règles, passe. Ce détournement au service de rattrapages, non. Mais on va encore penser que je suis mauvaise langue.
Mais bref, bravo à l'initiative, à l'esprit d'ouverture du Prix Elsa-Morante et à l'équipe qui l'anime sans compter ni son temps ni son énergie (je pense notamment aux soeurs jumelles Iki et Gilda Notarbartolo, ainsi qu'à Enzo Colimoro, tous trois brillants journalistes napolitains). Un seul regret : que ce prestigieux prix littéraire ne soit plus attribué à Procida. Mais bon, je m'en suis déjà consolé...
Photos : Elsa Morante, Gianna Nannini, Scholastique Mukasonga.
©L.M. Juillet 2011.
Procida me rassemble. Eloigne de moi les tourments. Ma confusion des sentiments se délie, s'épanouit ici comme une feuille de thé plongée dans l'eau ébouillantée. Chaque chose reprend place, chacun observe l'autre en amitié. Ici je découle. Deviens thon, nage en eaux claires. Je mûris comme un citron sous un soleil bruto. J'oublie le manque. Je me nourris d'ombre profonde, et de silence, de chaleur, de poisson crus.
Photo prise le 27 juillet dernier : relève matinale du filet de mon ami Cesare Piro (à gauche, boina blanche), contre Punta Pizzaco et avec Terra Murata juchée sur Punta dei Monaci au fond, en compagnie de sa mère Maria, seule femme pêcheur professionnelle de l'île, et, à la rame, de ma fille Marine (debout en bleu pâle).
C'est le titre du dossier de 12 pages que je signe dans L'Express paru mercredi dernier. Pas encore vu. Ici (sur l'île de Procida depuis le 15), on ne trouve pas grand chose et c'est tant mieux. Tout peut attendre. A Procida, je me réconcilie avec la vie lorsque celle-ci glisse entre les yeux. Cette île irradie en moi. Elle m'inonde de benessere, je m'y inscris comme un fleuve finit en mer.
Tu huiles (d'olive bien sûr, banane!) un peu ta grande poêle, celle qui n'accroche pas encore, jettes un gros oignon bien haché, que tu laisses blanchir 5 minutes, puis tu mets le riz arborio (un verre Duralex pour 2-3 personnes), ça devient transparent tout doux, alors tu mets à bouillir 2 verres d'eau avec un bouillon Kub, tu jettes un verre de vin blanc sur le riz, tu laisses absorber, puis t'ajoutes le bouillon, mais doucement, en deux ou trois fois, tu re laisses absorber parce que le riz boit et ce n'est pas une contrepèterie ni une histoire de lait. T'arrêtes jamais de touiller avec la cuiller en bois, jamais t'entends? (la cuisine, c'est rester devant, toujours, et presque rien d'autre). Après tu baisses le feu, tu laisses le truc se faire, sans jamais cesser de remuer. Tu as le temps de réfléchir à quoi tu vas le faire, ce risotto. Pétoncles et crevettes, c'est pas mal, d'autant que Picard propose des sachets déjà bien gaulés, avec des tomates séchées et des herbes diverses, romarin, citronnelle, tout ça. Tu ajouteras des trucs à toi : Soja Kikkoman -une pitchounette giclée, piment d'Espelette (mets-y bien de la poudre, là, voilà), d'autres herbes (ciboulette, estragon), une grosse noix de beurre salé sous le riz pour finir (avant le sel de Guérande et le poivre) et un peu de parmesan pour napper à peine-à peine au moment de dresser. Et oilà oune risotto simple, vite fait, qui plaît (on me dit : mmmm, il est bon ton risotto! et je réponds chaque fois : c'est con à faire!). Là-dessus, plutôt qu'un blanc (banal), va sur un rouge léger : le jus de raisin fermenté bio de Thierry Germain : Domaine des Roches Neuves, en 2010. C'est un saumur-champigny qui se croque, il est frais comme une place de village genre Uzès sous les platanes à l'heure de la belote, et gourmand comme les draps un rien rêches et raides à l'heure de la sieste d'un juin forcément érotique.
Pour finir, au salon en écoutant de la viole de gambe, un limoncello della casa mazzella di bosco, ça te dit?..
(J'imagine la jouissance du vigneron lorsque je réalise si modestement mon limoncello. Celui que je viens de faire a été élaboré le 9 avril 2011 à partir de 20 gros citrons difformes rapportés de l’île de Procida, n’ayant subi aucun traitement et qui ont été cueillis sur place les 29 et 30 mars. La macération a duré deux mois à l’ombre et au frais dans ma petite cuisine. Il est composé des zestes des citrons, de 3 litres d’alcool à 90°, d’1,5 kg de sucre et de 3,5 litres d’eau pure (bouillie). La mise en bouteille a été effectuée le 15 juin 2011 sans entonnoir mais j'ai presque rien mis à côté! Il doit titrer environ 40°, je n’ai pas vérifié. Il a été tiré ce coup-ci 7 bouteilles de 75 cl toutes numérotées. A consumare con moderazione. L'abuso di alcol è pericoloso per la salute).
Connnaissez-vous la napolitude ? Ce terme désigne l’univers cosmopolite et chatoyant, multiculturel –à la fois espagnol, grec, africain de Naples, qui est sûrement la ville la plus séduisante et la plus ensorcelante d’Europe (du Sud). Démesurée, débordante, exagérée, toujours dans cet excès à deux doigts du troppo, cette ville d’art, de vitalités énormes et disparates, offre un charme capital qui touche. Et fort. Dominique Fernandez, Napolitain de cœur depuis toujours, signe un livre de plus –mais quel magnifique album ! avec Ferrante Ferranti, photographe (Imprimerie Nationale, 59€, parution le 20 avril) qui nous montre une Naples splendide et arrogante, sensuelle et infiniment artistique, scandaleuse et talentueuse. Naples semble se foutre du tourisme lisse et mondialisé. Elle laisse cela aux cités du Nord de la Botte. Dire du mal d’elle (ville de voleurs, de poubelles non ramassées, de mafieux et de misère) équivaut à redire de Venise qu’elle est romantique, que les chats sont sournois et la mer… humide. C'est s'arrêter à l'écume, au fard, au cliché. Pour le passager au regard vrai, l’usage de Naples est celui de l’art de voyager, celui qui ne craint jamais le venin. (A dire vrai, je n’aime guère ceux qui font la grimace à l’évocation de cette ville merveilleuse et j’aime ceux dont le regard s’illumine en entendant les six lettres qui forment son nom). Vivre et savourer Naples, c’est marcher jusqu’à se perdre dans Spaccanapoli, c’est errer sur les quais du port, au-delà de la Mergellina, c’est manger une pizza chez Vesi, aller revoir les fresques de Pompéi au Musée, avant de boire un blanc issu de Falanghina en contemplant l’une des plus belles baies du monde. Fernandez est un compagnon formidable, qui aime viscéralement une ville qu’il connaît à fond et cet album sobrement intitulé Naples, est un beau-livre étincelant, dans lequel Fernandez a raison de préciser qu’un amour partagé pour cette ville scelle le voyageur à ses habitants. Il ne suffit pas de prendre un café au Gambrinus, Piazza del Plebiscito (le meilleur du monde), même si ce café littéraire est un bonheur esthétique dans ses salons intérieurs, et qu’il porte la marque d’Oscar Wilde (qui porta à terme sa « Ballade de la geôle de Reading » lors d’un séjour ici : « chacun tue ce qu’il aime »…), si Malaparte en voisin, D’Annunzio en « étranger », Domenico Rea en « local », s’y sont arrêtés souvent, car il faut avant tout se mêler, parler, marcher via Toledo (la plus belle rue du monde, selon Stendhal), via dei Tribunali en se frottant, car il faut affronter, ne jamais ignorer ni avoir l’air de se méfier. Alexandre Dumas, avait déjà compris cela. Que l’on ait la foi ou pas, écoutons ce trait de Cocteau : « Le pape est à Rome, mais Dieu est à Naples ». Fernandez, à propos de Spaccanapoli : « La rue qui ose « fendre » (spaccare) la ville, comme le couteau sépare les deux moitiés de la pastèque, comme l’homme déchire l’intimité de la femme. Une rue-blessure, obscène comme un viol, purulente comme une plaie, joyeuse comme une victoire, rectiligne et secrète, drôle et sévère, populaire et docte. » Je me trouvais à Naples il y a huit jours à peine. Et voilà ! J’ai déjà envie d’y retourner… Au moins pour manger un babà et une sfogliatella chez Scaturchio -la meilleure pâtisserie de Naples, selon Dominique Fernandez, minuscule, planquée près la place San Domenico Maggiore, dans Spaccanapoli. Avant de retourner encore et toujours à Procida. Fernandez achève son texte -superbement illustré par Ferranti, sur l'île de Graziella, et surtout d'Arturo. Il rappelle la dernière phrase du roman d'Elsa Morante (Arturo quitte son île en bateau et se retourne une dernière fois sur le paradis perdu de son enfance -et cette image, que l'on ne retrouve cependant pas tout à fait dans le film -revu hier- qu'en a tiré Damiano Damiani, résonne comme un épisode de l'Odyssée). L'isola non si vedeva piu. On ne voyait plus l'île. Ou, mieux : L'île ne se voyait plus...
Et dans la seule traduction disponible en Français (de Michel Arnaud, 1963, pour Gallimard), cela donne : On ne voyait plus mon île. J'aime assez cette appropriation par Arturo d'une île aux dimensions modestes, car cela renvoie une fois encore -dans la langue de Morante- à un réflexe d'enfant).
Il y avait, là, cette semaine, des silences faibles, des lumières ténues et chaudes, des rires francs et durables, des sons de cloches chaque quart d'heure sauf la nuit, des petits thons remontés dans les filets, des citronniers envahis de fruits, des beignets de fleurs de courgettes, du vin pur d'amitié, et de l'amour entre les mains.
Il neige à angle coupant : 35-40°, avec ce vent glacial qui hache en biais le rideau des flocons, alors je pense au réchauffement de ma planète car, n'ayant jamais été bricoleur, je sais à peine isoler mes grandes fenêtres. Donc j'alimente un feu de cheminée généreux et pousse les chauffages électriques à fond. Et tant pis si la moitié fout le camp par les interstices. J'ai déjeuné merveilleusement avec mon fils au Vertbois (38, rue du Vertbois à Paris 3 : un excellent resto nouvellement tenu -depuis le 15 mars- par deux charmantes associées, Soline Bourgeot et Pauline Mure ) d'un thon rouge formidable avec son pesto et ses herbes thaï, et d'une entrecôte de l'Aubrac tendre et fameuse, en provenance de la boucherie du Rouillon, à Athis-Mons, accompagnée d'un Premières-Côtes-de-Bordeaux signé des époux Dupuch, L'Alios de Sainte-Marie (2008) friand, carrément sur le fruit, gourmand et bien merloté. A présent, je mets des légumes tranchés fins à revenir dans une bonne huile d'olive (oignon, ail, carottes, tomates cerises entières -elles crèveront toutes seules-, céleri, cèpes, champignons de Paris), j'ajoute des herbes diverses : persil plat, romarin, estragon, laurier froissé pour qu'il dégage bien. Je fais revenir à part un lapin en morceaux. Au bout d'un moment je mélange le tout avec une grande rasade de vin blanc et ça mijote à tout petit feu pendant trois quarts d'heure dans la grande cocotte. Le temps d'attraper divers bonbons : Chez Marcel Lapierre, de Sébastien Lapaque, sur le regretté Marcel et son morgon adorable, L'argot du bistrot du regretté Robert Giraud (les deux à La Table Ronde, Petite Vermillon), les livres de Simonetta Greggio (quatre sont déjà au Livre de Poche) que j'ai à la fois bouffé et dégusté l'un derrière l'autre, ces derniers jours : j'ai particulièrement aimé la sensibilité droite et forte comme une aube de novembre sur un plateau de l'Aubrac de "son" Diable au corps : Les Mains nues, et la subtilité gourmande de Etoiles (aussitôt offert à Philippe Legendre, ex 3*** au Four Seasons - Georges V). Il y a aussi La douceur des hommes, si sensuel, et Col de l'ange, intime en diable -familial même ... Je survole le quatuor, feuillette en m'arrêtant sur mes annotations au stylo. Ca mijote tout doux en cuisine, bbllbbllbbllbbll... A mi-cuisson, j'ôterai les morceaux de lapin pour les désosser et remettre le rongeur émietté dans la cocotte en fonte. J'ai encore le temps de prendre un vieux bouquin retrouvé, Le roman d'Angelo, de Luchino Visconti (Gallimard, Haute enfance) en pensant à l'île d'Ischia, la grande voisine de ma Procida chérie, puis Les fiancées sont froides, de Guy Dupré (Petite Vermillon, encore) pour le plaisir accru, toujours, de retrouver une prose hiératique et pure comme celle du Gracq du Rivage. Clin d'oeil amical à la préface donnée par Jean-Marc Parisis à cette salutaire réédition... Je picore, lis comme on mange des tapas entre copains, debout, à la barra d'un rade recommandable derrière la Concha de San Seba. Je tire sur un havane (Short Churchill, de Romeo y Julieta), écoute un live de M, Les Saisons de passage, au rock aride et fort comme l'armagnac de Laubade, Intemporel n°5. L'après-midi passe ainsi. Je plongerai au dernier moment les papardelle dans l'eau bouillante, ce soir, -oh, quelques minutes à peine, et les incorporerai à mon sugo di coniglio correctement réduit. Je sais d'avance que, à l'instar du couscous de ma mère, il sera meilleur demain. "Le lendemain, il sera souriant, tu verras"... La Sierra du Sud 2009, au top ces temps-ci (un côtes-du-rhône de haut vol signé Gramenon) escortera le tout avec une dignité qui forcera le respect dû à la vigneronne qui officie là-bas. Nevica : Il neige. Je ne pense plus au réchauffement de ma planète, à présent embaumée par les parfums mêlés en provenance (j'ai failli écrire Provence) de la cuisine...
Acqua fresca
Vino puro
Fica stretta
Cazzo duro!..
Photo (©LM) : Depuis Kostaldea, bar au-dessus de La Chambre d'Amour, Anglet, 64.
Ca bouge! La meilleure adresse, ex-aequo avec Gorgonia, toujours très bien (surtout pour les pâtes au homard, les pasta e fagioli ou les poissons du jour grillés et la gentillesse d'Aniello) était -à mes papilles- La Conchiglia, sur la plage de Chiaia. Or, la chef est partie officier à La Pergola, qui était déjà une très bonne adresse sur l'île. Les pâtes alla ricca de la Conchiglia ont du coup du plomb dans l'aile et la carte semble aller à vau-l'eau, avec à peine quelques plats disponibles -les pâtes fraîches maison demeurent cependant très bonnes. Caracalè (voisin de Gorgonia, sur la Corricella) est devenue vraiment excellent : je monte cette adresse de trois crans en la hissant, cette année, au premier rang, avec, sur le port de Sent'Co, Sfizico. Une adresse proche, Fammivento se maintient (extraordinaire sformato di melanzane), comme Scarabeo, à l'intérieur de l'île. Mais la palme revient -et c'est une surprise personnelle- au si sympathique Vincenzo, de Graziella, "le" bistro sur Corricella, pour sa friture (aérienne, façon tempura) d'anchois et de chipirons, d'une fraicheur et d'une franchise de goût exceptionnelle. Mention spéciale enfin, à Girone, sur la plage de Ciraccio (Chiaiolella) pour la générosité de ses plats humbles et la gentillesse des patrons.
http://www.youtube.com/watch?v=gAJj4dZjIYY&feature=related
Gigliola Cinquetti, Non ho l'età..
Une semaine sur l'île de Procida regonfle, donne envie de continuer d'écrire, d'écrire là-bas aussi, à défaut d'y vivre; entre deux balades en scooter d'une plage l'autre, et deux terrasses de restaurants de poissons et de fruits de mer. L'île n'est-elle pas devenue un jardin d'écriture, où Elsa Morante écrivit plusieurs de ses livres, dans la propriété Mazzella di Bosco ou hôtel Eldorado (rebaptisée ll giardino di Elsa), avec ses allées de citronniers qui poussent leur feuillage jusqu'à ce balcon merveilleux, en bord de falaise, au-dessus de la plage de Chiaia et du petit port de la Corricella, avec la côte amalfitaine et Capri à l'horizon ? J'en reviens et comme à chacun de mes retours de cette île-querencia, je suis la proie d'une mélancolie tonique, que la lecture de L'isola nomade (adm editoriale, sept. 2010), recueil de récits sur Procida rassemblés par Tjuna Notarbartolo, écrivain et présidente du Prix Elsa-Morante, augmente cette fois d'une joie singulière, celle qui rassérène car elle est fleurie de promesses et de bonheurs à venir, encore, bientôt ; là-bas.
(Peinture de Luigi Nappa, photo LM, couverture du livre et peinture de Roger Chapelet, représentant le s/s Procida...).