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KallyVasco - Page 14

  • Sol originel

    Je suis né sur une terre rendue arable par endroits avec l'aide des amis de mes aïeuls (je ne compte aucun "colon" parmi les miens), et justement rendue aux Arabes, inaliénables propriétaires du sol d'Algérie. Bicot, raton sont des mots haineux, inqualifiables pour quiconque possède un soupçon de discernement, voire d'intelligence, qu'aucun membre de ma famille, d'origines diverses (Andalouse, Napolitaine, Lorraine, Juive de Tétouan), n'a jamais prononcés, même au plus fort des "événements", lorsque les attentats aveugles surgissaient n'importe où. Mon grand-père maternel fut épargné, par une nuit d'embuscades généralisées dans les rues d'un Oran scintillant du reflet de la Lune sur les armes blanches brandies à tout va, au début de l’année 1962 je crois : "Non, pas lui, c'est un Saint!", hurla à temps l'un de ses agresseurs (du FLN), parce qu'il avait reconnu celui qui parlait couramment sa langue et soignait les enfants du bled durant ses week-ends (il était comptable, mais il avait appris les rudiments de la médecine pour ce faire et se rendait en moto dans le Jbel avec sa trousse, sa seringue). Il était fondamentalement humble, il avait compris les conditions -si simples!-, à réunir pour prétendre rester là où il était né (à Laferrière) : parler la langue de son hôte était la première d'entre elles. Mais bon sang, que mon grand-père Bienaimé, et Jules Roy (dans "Les Chevaux du Soleil"), avaient raison, lorsque l'un disait, et que l'autre écrivait : "là-bas, on était tous frères mais rarement beaux-frères"... Mon père, un peu tête brûlée, alors jeune (23 ans) et fougueux, s'enticha mollement des "thèses" sommaires de l'OAS sans grande conviction je sais, donc sans jamais y adhérer. Pour beaucoup, ces trois lettres représentaient un dernier joker, le Baroud d'honneur. Je ne conçois pas cela comme une tache en héritage, car son engagement (très relatif) lui appartint, par définition, en propre. Je ne suis pas de ceux qui subissent le poids des travers paternels ou maternels. J'ai mon existence à moi et elle est depuis toujours affranchie, bien distincte du vécu de mes géniteurs. Pas de mes origines ni de ma culture. Donc rien à cacher. Les équipages des cargos qu'il possédât après 1962, furent toujours composés d'Arabes en priorité, puis de Basques et de Bretons. La "nostalgérie" l'habitât jusqu'à sa mort, il y a deux ans et des poussières. Je ne suis pas encore retourné sur le sol qui m'a vu naître, comme cela se dit dans les romans désuets de Pierre Benoît ou de Louis Bertrand. Et j'ignore pourquoi ces pensées traversent soudain mon esprit, en cette matinée caniculaire d'août, troublée (c’était avant-hier) par le vacarme d’un hélicoptère jaune et rouge qui fait du surplace au-dessus de chez moi et m’empêche d’écrire. Comme je n’en peux plus, au bout d’une bonne heure, j’ouvre une fenêtre et constate qu’un bataillon de policiers a bouclé le quartier. Des membres du GIGN armés jusqu’aux cagoules trottent par endroits. Animé soudain d’une conscience banalement professionnelle, je prends ma carte de presse, mon appareil photo, un carnet et un stylo et je descends, voir. Que se passe-il ? –Motus des flics, qui m’indiquent un point presse improvisé en bas de la longue rue. Sous un soleil de plomb, des caméras s’entrechoquent. Un policier en civil, bronzé, costume gris anthracite à reflets moirés, crâne rasé, deux portables en main, s’avance au bout d’une interminable demi-heure : bousculade sauvage de confrères et de consoeurs (j’ai l’habitude : les technos des télés se croient prioritaires et sont prêts à écraser, de leur arrogance, les indigents de la presse écrite, ces préhistoriques !). L’homme à la démarche soudain chaloupée doit se sentir sur les marches, à Cannes. Il s’arrête contre le ruban de plastique rouge et blanc faisant office de barrière à la meute de sauvages chargés de retransmettre l’info au peuple de France et d’ailleurs, et déclare ceci : « Je ne peux vous communiquer aucune information pour le moment »… L’hélico fait toujours du surplace et un bruit d’enfer. Une heure plus tard, l’homme au costume anthracite nous apprend généreusement qu’un couple de jeunes braqueurs a été interpellé par la 3è DPJ et la PN et qu’une troisième personne est toujours recherchée… Nous connaissons la suite depuis deux jours. Petit fait divers. Je pense davantage à photographier le manège de mes confrères qui se tirent la bourre, et l’hidalgo de western-spaghetti, que l’éventuelle charge de la brigade légère. Puis je me ravise, en me disant que seul "Le Parisien" –forcément surreprésenté, traitera le sujet, et je rentre chez moi. L’hélico se tait enfin... Mais voilà, j’ai perdu le fil algérien. Je le retrouverai plus tard. C’est l’heure de l’apéro.

  • La puissance d'exister

    L'exercice d'une puissance, selon Spinoza, sa fameuse puissance d'exister, provient du conatus (l'effort pour persévérer dans son être -ni physique ni psychologique, mais plutôt expression de l'affirmation de soi. Du verbe latin conari : entreprendre une action*). C'est la structure désirante de l'homme, "l'appétit avec la conscience de lui-même", écrit-il dans L'Ethique. Lisant avec passion, sur le sable d'une plage corse, le précieux hors-série consacré à Spinoza, "Le maître de liberté", que publie Le Nouvel Obs, je me suis arrêté longtemps sur ceci : ce n'est pas pour connaître que l'homme désire, mais c'est pour déployer son être qu'il s'efforce d'imaginer ou de connaître. Ainsi, avec Spinoza (en rupture totale avec des pans entiers de la philosophie depuis Platon), il n'est pas nécessaire de manquer pour désirer. "Nous ne faisons effort vers aucune chose, que nous ne la voulons pas et ne tendons pas vers elle par appétit (appetere) ou désir, parce que nous jugeons qu'elle est bonne; c'est l'inverse : nous jugeons qu'une chose est bonne, parce que nous faisons effort vers elle, que nous la voulons et tendons vers elle par appétit ou désir", L'Ethique (III, prop. IX, scolie). Le désir fonde le désirable. S'attacher aux plaisirs, aux richesses, aux honneurs, détruit davantage notre puissance d'exister (notre joie), qu'elle ne l'augmente. Et notre but est de tendre vers une affectivité heureuse, avec des affects (sentiments : surtout la joie, la tristesse et le désir), épanouis, soit libres de toute culpabilité; notamment. L'un des collaborateurs de ce hors-série, Pascal Sévérac, souligne l'originalité fondamentale de l'éthique spinoziste : "rompre avec l'idée judéo-chrétienne d'un péché originel qui nous condamne à la faute et à la misère". L'Ethique "nous libère des chaînes d'une morale ascétique qui sans cesse nous culpabilise de jouir de la vie", enchérit Balthasar Thomass, lequel qualifie Spinoza "d'antidote parfait pour des époques moroses et anxiogènes comme la nôtre, un Prozac philosophioque à avaler en toutes circonstances." Dès lors, pour lutter contre nos passions tristes et tenter d'atteindre l'ataraxie, cette quiétude absolue de l'esprit, il y a la joie, l'irrépressible joie (de vivre) de Spinoza : une certaine forme de liberté, "un étendard, comme la nomme Thomass, dressé contre toute forme d'aliénation", une joie donc, seule capable d'envoyer bouler les systèmes d'oppression qui manipulent notre tristesse pour nous soumettre (Deleuze) par l'entretien méthodique de nos peurs.

    *Laurent Bove, précise, à propos du conatus : "cet effort de persévérance en acte est une puissance activement stratégique d'affirmation et de résistance de la chose à tout ce qui pourrait entraver sa persévérance indéfinie." (lire : le hors-série Spinoza de l'Obs).

  • Gorgias

    C'est l'un des plus beaux dialogues platoniciens. Socrate y est au plus haut de sa forme, pour exprimer l'art de la réthorique, la tempérance, la bienveillance, la justice (et son mal suprême corollaire : celui de n'être pas puni pour l'injustice que l'on commet); la domination des désirs et donc le bonheur : Qui veut être heureux doit se vouer à la poursuite de la tempérance et doit la pratiquer...

    Tout Socrate y est résumé, jusqu'à la métaphore de l'épisode de la ciguë. L'art de la politique, le rôle du citoyen dans la Cité, la définition du pilote, la vile incapacité pour un homme à se défendre... Bon, évidemment, Platon sépare l'âme et le corps au moment de la mort, et semble curieusement faire l'éloge de la sophistique au détour d'une tirade à l'adresse de Calllicalès. (N'est pas Spinoza qui veut).

    Gorgias ou la lumière sur les sentiments et les comportements. Le relire, c'est prendre un bain de jouvence, plonger dans un jacuzzi électrique. C'est faire le plein de sourire.

  • Marc-Aurèle à la plage

    Ne pas penser aux choses absentes comme si elles étaient déjà là; mais parmi les choses présentes, tenir compte des plus favorables et songer à quel point tu les rechercherais si elles n'étaient pas là. Prends garde aussi de ne pas t'habituer à les estimer au point d'y prendre un tel plaisir que tu sois troublé si elles disparaissaient.

    Fais-toi une parure de la simplicité, de la conscience, de l'indifférence envers tout ce qui est entre la vertu et les vices. Aime le genre humain. Obéis à Dieu.


  • pensées pour la plage

    C'est le propre d'une âme vile et sans énergie de ne s'avancer qu'en terrain sûr : la vertu veut escalader des sommets.
    Sénèque, La Providence.

    Tu me demandes ce que je cherche dans la vertu? Elle-même.
    Sénèque, La Vie heureuse.

    Le vaniteux fait dépendre son propre bonheur de l'activité d'autrui; le voluptueux de ses propres sensations, et l'homme intelligent de ses actions.
    Marc-Aurèle, Pensées pour moi-même.

    S'ils n'ont pas de part à nos succès, nos amis nous lâcherons quand nous serons dans le malheur.
    Esope, Fables.

    Il est vil et faux de dire : moi, je préfère être franc avec toi. Point n'est utile de l'annoncer; cela apparaîtra de soi-même; cela doit être écrit sur ton front; ta voix doit y faire aussitôt écho; cela se lira dans tes yeux, comme la personne aimée comprend tout dans le regard de ses amants. Bref, il faut que l'homme simple et bon soit comme celui qui pue le bouc, c'est-à-dire qu'en s'approchant de lui on le sente, qu'on le veuille ou non. La pratique de la sincérité est un coutelas. Rien de plus honteux qu'une amitié de loup. Evite cela par-dessus tout. L'homme bon, simple et beinveillant, a ces qualités dans les yeux, elles ne peuvent échapper.
    Marc-Aurèle, Pensées pour moi-même.

    Aristote se trouva un jour en butte aux interruptions continuelles d'un discoureur qui lui débitait des histoires sans queue ni tête, tout en lui répétant sans cesse : "Epatant, non, mon cher Aristote? -Pas du tout, répondit celui-ci; non, ce qui m'épate, c'est qu'on puisse rester à t'écouter quand on a des jambes."

    Plutarque, Le Bavardage.

  • Rencontre avec Edmond Jabès

    Je tombe sur ce papier, publié en 1985 dans Sud-Ouest Dimanche. L'immense écrivain a disparu depuis longtemps (16/04/12 - 02/01/91). Je le livre tel quel. Car je relisais aujourd'hui l'homme du Livre et du Désert au Livre. Ce fut, je m'en souviens parfaitement, une rencontre rare. Un de ces entretiens qui jalonnent une vie de journaliste.

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    Son œuvre est immense et abondamment étudiée à l’étranger. Les jeunes le lisent de plus en plus.
    Il est inclassable. Je l’ai rencontré alors que j’étais critique littéraire, il y a quelques années, conscient de la rareté de ses entretiens. Jabès était un écrivain difficile et secret, prudent et infiniment bon.
    L’obsession du livre et la réflexion sur le livre, l’obsession du Livre et la réflexion sur le Livre, aussi, ont dominé le travail d’un homme fasciné par le mot et par le langage autant que par le silence de la parole. L’austère travail d’écriture d’Edmond Jabès semblait lui interdire l’usage de la parole orale ; exactement comme s’il avait du toujours respecter le silence. Parler l’effrayait un peu. « Je suis visuel », me dit-il, « mais aussi et surtout à l’écoute du texte. L’expérience fondamentale du désert et de son silence absolu, intolérable, a permis à Edmond Jabès de voir qu’au-delà de ce silence du désert, une parole pouvait émerger du silence de toutes les autres paroles. Une parole non pas appelée, mais reçue. Jabès pensait que son œuvre n’appartenait à aucun genre. Comme l’essentiel de celle-ci, ce qu’il appelle « son » livre se compose du « Livre des questions », en sept volumes, et du « Livre des ressemblances », en trois volumes, on l’appelle « l’homme du Livre » . Lorsque parut son premier ouvrage, un gros recueil de poèmes, « Je bâtis ma demeure », on le qualifia de poète. C’était bien pratique. Pis « Le livre des questions » arriva et Gallimard, son éditeur, fut bien embarrassé pour classer son auteur. « Heureusement », me dit Edmond Jabès, « il y avait la collection blanche, dite de littérature générale… » . Un prestigieux fourre-tout couleur beurre frais. Edmond Jabès n’a jamais eu le sentiment de faire une œuvre littéraire, mais il ne savait pas où son travail s’établissait véritablement. En Egypte, son ambition était d’appartenir à la littérature française. Ses livres le firent entrer dans la famille de ceux qui devinrent ses amis : Max Jacob surtout, René Char, Henri Michaux, Gabriel Bounoure … « Ainsi mes livres existaient bien ;matériellement au moins. Mais à quoi se rattachaient-ils alors ?
    L’université a rapproché le travail de Jabès de l’obsession mallarméenne du livre, mais il s’en distingue dans le sens où l’obsession d’Edmond Jabès est de faire un livre qui se prolongerait dans un autre, exactement comme dans le processus humain de la reproduction. « Je tiens beaucoup à l’ouverture », confiait-il, « c’est-à-dire aux manques par lesquels le lecteur entre dans le livre et grâce auxquels il en fait son livre. Ce sont ces manques qui induisent le dialogue. Son obsession se rapprocherait beaucoup plus de l’obsession du Livre dans la tradition hébraïque. Les livres de Jabès sont profondément juifs. Il se définissait d’ailleurs comme « écrivain » et « Juif », et pas comme « écrivain juif » (mais comme ses livres n’affirment rien, il ne s’est jamais senti investi d’une quelconque mission. Il a écrit : « J’ai, comme le nomade son désert, essayé de circonscrire le territoire de blancheur de la page ; d’en faire mon véritable lieu ; comme, de son côté, le juif qui, depuis des millénaires, du désert de son livre, a fait le sien ; un désert où la parole, profane ou sacrée, humaine ou divine a rencontré le silence pour se faire vocable ; c’est-à-dire parole silencieuse de Dieu et ultime parole de l’homme.
    Son œuvre est l’expression de l’absence de racines, de la non-appartenance, de l’exil majuscule, de la solitude, du désert… D’où la profusion de voix (de rabbins imaginaires) dans ses livres. « J’ai toujours essayé de ne jamais expliciter, mais de donner à voir. Ses rabbins parlent, dialoguent invisiblement.
    Le désert, qui tient une place considérable dans chacun de ses livres, n’est pas une simple métaphore, indissociable de la notion du vide selon Jabès et de la solitude de l’homme devant la page blanche. La leçon du désert est d’abord une parole de l’abîme. « Le désert n’est pas une métaphore, mais un lieu, mon lieu… C’est le silence  nécessaire à toute parole et c’est là où la parole devient subversive », m’a-t-il dit. C’est dans « Le soupçon, le désert », qu’il écrit ceci : « Le désert est bien plus qu’une pratique du silence et de l’écoute. Il est une ouverture éternelle. L’ouverture de toute écriture, celle que l’écrivain a pour fonction de préserver. Ouverture de toute ouverture."
    Edmond Jabès s’est interrogé sans relâche sur l’essence du livre, celui que tout écrivain rêve d’écrire. « Nous avons tous un livre mythique, un livre que nous essayons de faire et que nous ne faisons jamais. C’est une quête qui ne peut se réaliser que dans l’inaccomplissement. Il a écrit quelque part : « Je lis et je relis le dernier livre que je vais écrire », et il commente cette phrase en disant : « on souhaite chaque fois écrire le livre mais en fait nous écrivons toujours sur ce livre.
    arton71.jpgLe livre de Jabès ne ressemble pas au « Livre de sable » de Borgès, c’est-à-dire au « livre-légende », au livre mémoire, au livre anonyme comme un proverbe, même si, comme Jabès le disait lui-même, « mon livre est fait sur du sable et avec du sable. Ce n’est pas non plus tout à fait « Le livre à venir » dans le sens où l’entendait  Maurice Blanchot : « Mon livre », m’a dit Jabès, « se projette toujours dans un autre livre, c’est un nouveau commencement, pas un recommencement. Le livre, c’est la durée. Un projet d’avenir. Un mouvement perpétuel, en somme. A l’instar de ceux qui, comme le poète Yves Bonnefoy, pensent que « l’imperfection est la cime », Edmond Jabès pensait que l’inachevé est la fin et que les chemins qui ne mènent nulle part (chers à Heidegger), valent mieux que ceux qui ont une destination certaine. Citant Valéry : « L’essentiel est de ne jamais arriver », Jabès montrait combien il était convaincu que les seules limites du livre sont nos propres limites. Au fond, cet homme viscéralement incapable de tout enracinement, avait finalement trouvé ses racines dans le livre –en tant que lieu.
    Evoquant un aboutissement possible de sa recherche dans le dialogue, il me dît admirablement : « Le vrai dialogue c’est lorsque l’on se sépare… Car on parle alors réellement avec ce que l’on a retenu. Une autre parole, beaucoup plus profonde, commence alors à circuler… Exactement comme deux amoureux qui, se séparant, s’écrivent aussitôt. Le silence qui s’installa alors entre nous était aussi de lui.
    Après cet entretien, nous sommes allés dîner ensemble, en compagnie de madame Jabès.
    De retour chez moi, je posais ces notes pour un article, et j’écrivais dans mon journal personnel que l’imagination tient une si grande place dans l’amour que nous pouvons parfois avoir hâte de voir partir la femme que l’on aime, car elle nous gêne pour penser à elle…  © L.M.


  • Ostapéouivlove

    Ouiquende (aurait écrit Nimier) à Bidarray, à l'auberge Ostapé. Le bonheur en terre basque, je l'ai déjà écrit ici et là. La sérénité apprivoisée et à peine obérée par le froissement des ailes d'un vautour qui plane au-dessus de la piscine avec vue sur les montagnes dont la douceur rappelle seulement les hanches d'une, ou dune. L'insolent raffinement de la chambre. Et de la table : Claude Calvet, le chef, signe une cuisine franche et noble, caractérisée et audacieuse, mais sage cependant. Les produits basques doivent être, eux aussi, domptés. Splendide déclinaison du cochon d'Oteiza "de la tête aux pieds", extraordinaire pigeonneau... Petit-déjeuner formidable (la charcuterie! le mamia! la vue!).

    Surprise : l'excellence du turbot aux champignons (cèpes, girolles, truffe d'été et champignons nippons dont j'ai oublié le nom) au Blue Cargo, sur la plage de Bidart, eu égard au côté mode/people et donc laissez-aller de l'adresse.

    En revanche, la salade du Paseo Café (à La Chambre d'Amour), est une mezcla de no se que pas très fraîche et hors de prix.
    Enfin, sachez qu'au bar du bout du Port Vieux à Biarritz, à l'emplacement idéal pour regarder le soleil se coucher à la fois sur l'Espagne, la Côte des Basques et le Rocher de la Vierge (à la table du haut à gauche, dans les rochers), la rondelle de citron qui accompagne le Perrier est facturée à  0,20€ sur le ticket. Choquant.

    J'écris depuis la plage des Estagnots, à Seignosse-le-Penon, Landes. Ici, la wifi est au prix de quelques grains de sable fin sur mon nouveau MacBookPro qui n'a que 4 jours d'âge (un café -le plus cher du monde-, ayant tué net le précédent Mac...).
    La houle est souple. Hier, j'avais l'impression de plonger dans la peau d'un dauphin, car un vent de terre s'était levé -rare!- dans l'après-midi, creusant les vagues, lissant la surface de l'eau, éclairant les tubes dans lesquels nous voyions passer des bancs de bars fuselés comme des étourneaux. L'envie de lancer une ligne avec un Rapala au bout me démangea.

    Poursuite de la lecture de Spinoza et de la connaissance du personnage. Savez-vous qu'il exerca, jusqu'à sa mort en 1677, le métier de polisseur de lentilles pour instruments d'optique? Et qu'il excella dans cette tâche qui lui assura toujours l'indépendance financière et la liberté de ne pas se fourvoyer avec l'Université, après son exclusion ou hérem (excommunication) en 1656 -il n'a alors que 24 ans-  de la communauté juive d'Amsterdam?

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  • Le woodland de Gracq

    A lire dans un nouveau magazine de Milan Presse, L'Esprit des LANDES, et dont le premier n° paraît, cette évocation par Julien Gracq de cette « province des arbres » qui le conduisait vers le bonheur. Voici donc le début de mon papier (la suite en kiosque!) :

    La vie est faite de rencontres, de correspondances au sens baudelairien du terme :  il arrive que la connivencia (qui partage avec le duende le talent de surgir quand ça lui chante), apparaisse au détour d’une discussion au sujet des Landes.
    Pendant plus de vingt ans, j’ai eu la chance d’échanger (par lettres et de visu), avec le plus grand prosateur du XX ème siècle (s’il faut inscrire Gracq dans le temps). Au cours de nos conversations, avec la littérature pour sujet principal, Julien Gracq empruntait des chemins de traverse comme il le faisait au volant de sa 2 CV sur les routes de France. En scrutateur du paysage, en entomologiste de l’impression procurée par l’évocation d’un coin de nature, l’entrée d’un village, la lumière d’un couchant. Les deux volumes des Lettrines et les Carnets du grand chemin sont ses livres les plus précieux « sur le motif ». Dans le Sud-Ouest, nous savons qu’il n’aima guère Bordeaux. Des Pyrénées, il retint davantage Prats de Mollo, le Vallespir, que les sommets élancés. « Le Bassin d’Arcachon, me dit-il un jour, comme Noirmoutier et le Gois, je ne les aime pas à cause de ces étendues de sable à marée basse d’où émergent des pignots, des piquets, des barques échouées et des squelettes de bateaux qui m’évoquent un paysage d’après la débâcle. » Curieux de l’autre et soucieux de s’effacer, il me questionnait sur Bayonne, ses corridas (il gardait le bon souvenir d’une), bien que le Pays basque « l’ennuyait ». Les Landes avaient sa préférence : « Parlez-moi de vos barthes de l’Adour ! » Depuis la pièce où il recevait, à Saint-Florent-le-Vieil, et par la fenêtre de laquelle je voyais couler la Loire et devinais des paysages gracquiens, nous évoquions ces prairies humides, ces paysages des confins qui métissent les milieux, et où des eaux étroites se confondent avec une terre chevelue qui les boit. Des Landes, il aimait les odeurs de résine, « de liesse et de vacances », la lumière « jaune et fruitée ». La forêt surtout : « épaisse torpeur végétale », « cuirasse de sous-bois », comme une armée qui « desserre ses rangs vers le Sud »… L’écrivain traversa ce woodland avec gourmandise, via Sanguinet, Parentis, le Pays de Born, Lit-et-Mixe et, loin de le trouver monotone, s’en émut en géographe : « Jamais je ne l’ai prise (la route des Landes) sans être habité du sentiment profond d’aborder une pente heureuse, une longue glissade protégée, privilégiée, vers le bonheur »...  ©L.M.

  • no comment (coton-tige)

    Un chômeur vole pour pouvoir manger à nouveau en prison

    Taïwan - Un demandeur d'emploi relâché de prison a volé des Coton-Tige juste pour se faire arrêter à nouveau car il " ne pouvait oublier les plateaux repas du département de police ".

    A peine a-t-il été relâché de prison pour avoir volé une paire de chaussures, qu'il a volé une boîte de Coton-Tige pour être arrêté à nouveau. L'homme sans domicile fixe a pris l'habitude de commettre régulièrement des vols afin de pouvoir se nourrir gratuitement. "Si quelqu'un ne va pas bien et vient aux alentours de l'heure du déjeuner, nous allons lui préparer quelque chose" déclare pourtant un officier. Ce chômeur n'est pas le premier à agir de la sorte. Il y a quelques mois, un autre homme a volé une moto et l'a conduite directement au bureau de police pour être emprisonné.`

    source : la page d'accueil de Yahoo.fr, cet après-midi. Qui a dit que nous étions devenus trop nombreux sur cette Terre? -Qui?.. Malthus?..

  • Un roman français

    Dans la dernière livraison du magazine Maisons Sud-Ouest, ce portrait que j'ai réalisé de Frédéric Beigbeder. J'ai lu son nouveau livre hier (Un roman français, qui paraîtra fin août chez Grasset) et j'avoue avoir été touché par l'humilité, qui semble à peine feinte*, d'un personnage sensible, a priori à l'opposé de l'image qu'il donne, en tout cas qu'il véhicule ou qui est colportée de lui (l'oiseau de nuit, le pipeule, le publicitaire qui écrit des romans à succès...). Il y est surtout question de son enfance, de sa famille, sur fond (c'est le fil conducteur du livre) de garde à vue dans une "geôle" parisienne. J'ai personnellement vécu la même expérience, deux semaines à peine avant lui, dans une cellule parisienne aussi; je connais ce traumatisme-là. Revivre enfin, à travers le livre de Beigbeder, ma propre enfance à la plage de Cénitz, à Guethary, m'a copieusement ému, hier...  Voici, par ricochet, un extrait du portrait qui paraît en kiosque :


    " Dans le capharnaüm très rangé de son appartement germanopratin, il plonge ses deux bras dans les livres empilés, trouve immédiatement « Lettres à moi-même » de Paul-Jean Toulet, les ouvre sans hésitation à la page datée du 27 octobre 1901, et nous lit les lignes qui évoquent la Villa Navarre, avenue de Trespoey à Pau. La demeure familiale des Beigbeder est aujourd’hui un hôtel Mercure… Frédéric a beau être né à Neuilly et être devenu une proie pour les magazines people, il pense souvent à Pau et au Guéthary de son enfance, à la route de Cénitz, « le sentier Damour », qui conduit à la plage où il pêchait la crevette, avant de découvrir l’ivresse douce des nuits biarrotes : « Ado, j’ai passé mon temps dans les boîtes de l’époque, comme l’Exocet, très hard-rock, très heavy metal. Oh ! Je ne suis pas du tout surfeur, mais plutôt night-clubber, là-bas ». Les origines du romancier sont Limousines et Pérgourdines, côté mère. Et Béarnaises côté père. Chaque été, il prend ses quartiers à Bidart, car sa fille Chloé, neuf ans, adore la Côte basque de son papa.
    Contrairement aux idées reçues sur le personnage, volontiers déjanté, « Beig » est un homme calme qui affiche sa triple fierté d’être citoyen d’honneur de la ville d’Oloron-Sainte-Marie, parrain de la FNAC de Pau et membre de l’Académie des Lettres Pyrénéennes (*). « J’y suis en bonne compagnie, avec Roger Grenier, Jean-Marie Rouart, Paule Constant… Edmond Rostand la fonda en 1917. Cela vaut bien l’Académie française ! ». L’écrivain souhaite désormais mentionner son appartenance à « l’autre » Académie, sur la couverture de ses prochains ouvrages. Il est souvent « descendu » sur la Côte, ces derniers mois, pour retrouver son enfance basco-béarnaise –sujet de son prochain roman, à paraître en septembre chez Grasset. « Un livre pour connaître mes origines. Car jusqu’à quarante ans, un homme veut se couper de ses racines. Après, il veut savoir qui il est et donc d’où il vient. Et le Sud-Ouest est l’endroit où je me sens le mieux sur Terre. Tout m’y plaît : la cuisine –moi qui ne suis pas du tout gastronome, les gens, les paysages. Guéthary est l’un des plus beaux endroits de la Côte basque, donc de France ! ». Aujourd’hui, rien ne l’émeut comme le souvenir des parfums de vent salé et d’hortensias, ou celui, délicat, du temps où il suffisait au petit Parisien qu’il était, d’allonger la main pour cueillir des mûres. Nous sommes loin des nuits chez Castel, rue Princesse, à Paris. L’auteur de « L’amour dure trois ans » a beau déménager chaque fois qu’il change de compagne, le siège social de son cœur est assigné à résidence à cheval entre Pau et Guéthary. Et c’est ainsi que Toulet est grand.  ©L.M.

    *L'auteur est passé maître dans l'art d'écrire : je déteste parler de moi -tout en le faisant sur 280 pages, malgré Mauriac, appelé à la rescousse... Et dans celui de se plaindre de sa condition d'enfant gâté découvrant la copie de La Geôle de Reading... Il reste, à mes yeux, l'écrivant, subtil par endroits, de choses que l'on peut ressentir sur la Côte basque. Envers et contre tout, en dépit du fameux Familles, je vous hais! et du devoir de maturité.

    (*) L’Académie édite La Revue Régionaliste des Pyrénées. Son dernier hors-série est consacré à Paul-Jean Toulet  (7, rue Henri-Faisan, 64000 Pau).

     

  • L'esprit Arzak

    Des photos de François Mouries illustrent ce papier sur le restaurant Arzak, à San Sebastien, que je signe dans le dernier n° de Maisons Sud-Ouest, et dont voici un extrait (le reste en kiosque!) :

    "Elena a quarante ans et en paraît trente. Aïta (Papa en Basque, elle l’appelle toujours ainsi) en a soixante-sept, mais il est hors-d’âge, comme les grands armagnacs. Juan Mari et Elena forment un tandem insécable en cuisine. « Los Arzak » comme on a l’habitude de les désigner, fonctionnent main dans la main depuis 1995, date à laquelle Elena est revenue à la maison mère, fondée en 1897 par les aïeuls Juan Maria Etxabe et Escolastica Lete, après des études hôtelières en Suisse et une tournée des grands chefs européens, y compris Ferran Adria, ami et compagnon d’aventures intello-gastronomiques de Juan Mari. Mais Elena a toujours traîné dans les cuisines d’aïta depuis sa plus tendre enfance. « J’avais onze ans, ma grand-mère paternelle Francesca dirigeait la casona (maison), Maïté ma mère pilotait l’administration et mon père était au piano. Avec ma sœur Marta (aujourd’hui membre de la direction du musée Guggenheim de Bilbao), nous passions deux à trois heures par jour à aider en cuisine, pendant les grandes vacances. Et pendant mon tour des grandes tables, je revenais chaque fois montrer à mon père ce que j’avais appris, nous échangions déjà beaucoup. » (...)

    Pour penser, à l’étage, passée la cave aux 100 000 bouteilles et 2500 références, qui reposent sur des bacs en inox, où la lumière provient de fibres optiques afin de ne pas augmenter la température, fixée à 16°, il y un appartement consacré à ce que nous avons envie d’appeler le « phosphoring ». C’est le labo Arzak. Il n’en existe qu’un seul autre, celui de Ferran Adria. Deux personnes, Xabi et Igor y travaillent constamment, sans jamais descendre en cuisine. Ils goûtent, tentent, pensent, isolés comme des moines du goût, déstructurent les produits comme le philosophe Derrida le faisait avec les concepts, décortiquent jusqu’à l’âme des ingrédients et les fiancent pour produire « de l’inédit bon ». La pièce d’à côté est consacrée au design des plats. Ils y sont dessinés, disposés selon des critères indispensables, on projette leurs photos au mur, on discute sans cesse. Enfin, une dernière pièce de cet étage labo est ce que Juan Mari nomme « la banque d’idées ». Elle contient 1600 produits différents, venus du monde entier, dûment lyophilisés, dans des boîtes transparentes, sur étagères, et cela constitue un trésor qui enrichit chaque jour l’esprit créatif de l’équipe. Celle-ci allie la jeunesse porteuse du savoir le plus talentueux, à l’expérience « maison » la plus sédimentée : Pello, chef des cuisines, compte trente ans de «boîte » à son actif, Antolina, pâtissière, quarante ! Une saga sur fond de longues tables en inox. Dans un établissement « reloaded » par le décorateur Borja Azcarate, lequel travaille avec le mari d’Elena, architecte, Manu Lamosa. Ça reste en famille. Revenons au labo… Machine à déshydrater, machine à lyophiliser : le tandem Arzak expérimente, n’hésite pas à utiliser les outils modernes. Interrogés sur la techno-cuisine, la cuisine moléculaire et autres avatars décriés pour leur utilisation parfois abusive de produits chimiques nocifs, « los Arzak » répondent sagement : il faut manier cela avec prudence, parcimonie et seulement pour sublimer un produit. Exemple : « de l’œuf à la poule et de la poule à l’œuf », est un plat qui est issu d’un bouillon de poule et de chair de poule  lyophilisée (réduite en poudre) laquelle, plus concentrée en goût, vient assaisonner le bouillon en rehaussant les saveurs du produit originel. Ce n’est pas pour faire joli ou tendance, mais parce que c’est bon ainsi ! Excitant pour les neurones comme pour les papilles…
    La philosophie Arzak repose sur cinq principes, comme la cuisine basque (maritime) repose sur quatre piliers : les chipirons à l’encre, la morue à la biscayenne, les kokotxas (bas-joues de merlu) au pil-pil et le merlu en sauce verte. Ces cinq axiomes sont : une cuisine d’auteur, une cuisine basque, une cuisine d’investigation, une cuisine d’évolution et une cuisine d’avant-garde. Juan Mari : « Nous partons d’une culture propre, identitaire, forte. Nous l’enrichissons en la frottant à d’autres cultures, d’autres produits, d’autres façons de faire. Nous adaptons cela au goût local et au goût général (c’est parfois difficile). Au final, nous accomplissons une évolution, nous avons le sentiment d’avoir créé quelque chose. » Aujourd’hui, « los Arzak » rêvent peut-être d’inscrire au patrimoine culturel du goût, qui n’existe pas dans le réel, mais qui transcende un tissu de légendes, un plat, un seul, que l’avenir désignerait, ou pas, comme le cinquième élément de la cuisine basque. Mais ils n’y pensent pas trop. Le tandem se concentre sur l’unité de lieu (l’adresse originelle) et l’unité de production (un seul restaurant), ce malgré des tombereaux de propositions mirifiques. L’envie d’encourager, de conseiller les initiatives formidables comme la future Université gastronomique basque les anime. Ils ont surtout l’ardent désir de continuer de cultiver leurs valeurs propres : l’humilité, la capacité à être constamment ému par le monde qui les entoure. Continuer de penser comme un enfant, enfin… « J’ai commencé dans les années soixante-cinq avec la nouvelle cuisine basque, dit Juan Mari. Vingt ans après, avec Elena, le restaurant a été propulsé dans la modernité. Aujourd’hui, ma cuisine serait impossible sans elle. Mais, surtout, avec Elena, la maison Arzak a gagné au Loto !.. »  " ©L.M.

  • Ecrire, c'est exister contre

    Elisabeth Barillé, dans son Petit éloge du sensible (folio) : "Savourer ses sensations suppose d'en rester un tant soit peu détaché. C'est l'art des oenologues : ils posent dans leur bouche un passage de vin à déguster, en tournant attentivement les pages, en brassent les saveurs. Quand ils le recrachent, leur coup de langue est aussi un coup du cerveau se détachant de ce qu'il vient de savourer en le jugeant. En gros, tout est affaire de diététique (de dieu, d'été, d'éthique). La finesse du sensible dépend d'une diététique de la conscience. D'elle, Roland Barthes disait qu'elle était, au sens banal du terme, un plaisir."

    Plus loin : "S'il suffisait de se lâcher pour écrire, tout le monde écrirait. Se lâcher, c'est à la portée de tous, alors qu'écrire, c'est faire preuve de contrôle, juger ses pensées, peser ses mots. Inventer un langage, son langage. Poser sa voix. Ce n'est pas si simple..."

    Enfin : "Ecrire, c'est résister sans cesse. Ecrire, c'est exister contre."


     

  • L'autre Pays basque

    Le Pays basque intérieur, ça change de la côte. Balade gourmande.
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    Aïnhoa passe pour l’un des plus beaux villages de France et il l’est. C’est sans doute aussi le plus charmant du Pays basque intérieur, n’en déplaise à tant d’autres ! Mais il faut parfois choisir. Ses maisons traditionnelles, sa rue principale, le respect scrupuleux de l’architecture originelle et l’absence de pollution visuelle, le rendent infiniment attachant. Autour du splendide fronton, deux institutions trônent depuis des lustres : Ithurria et Oppoca. Registre classique audacieusement revisité par les chefs Xavier chez Ithurria et Patxi chez Oppoca. Xavier cultive son jardin pour en cuisiner les herbes, les fleurs, les légumes et les fruits (cela devient à la mode chez les chefs), et propose une cuisine franche, avec des produits locaux judicieusement choisis. En témoignent les grosses asperges des Landes (dans les « ventas » proches, vers lesquelles 12 DSCF6114.JPG000 voitures se ruent chaque jour sans s’arrêter à Aïnhoa, des asperges made in China sont paraît-il vendues ! Ici, c’est du local pur jus). Avant le coup de feu, en saison, Xavier part cueillir les figues de son figuier, à Dancharia, pour le jambon aux figues « comme ça elles ne passent pas par le frigo ! », dit-il. Stéphane est en salle, Maritxu et Marion sont à la direction, et plusieurs petits-enfants prétendent à la succession, dont Louis, déjà étudiant au Lycée hôtelier de Biarritz.
    À Oppoca, les chambres, refaites récemment, splendides et aux noms évocateurs, accueillent des voyageurs exigeants en recherche d’un calme absolu : Argi (la lumière), Izar (les étoiles), Ametz (le rêve), Ortzi (le ciel), Mendi (la montagne), Arantxa (l’aubépine). La table de Patxi est claire : porc basque d’Oteiza, truite de Banka de Michel Goïcoechea, agneau de lait des Pyrénées. Du fiable.
    À Sare, Mecque de la contrebande, Arraya tient bon la barre, avec son restaurant classique, rassurant par les temps qui courent, et son hôtel charmant. Là aussi, l’entreprise est familiale : les Fagoaga, à la suite de Paul, retraité méritant, ses fils Jean-Baptiste et son épouse Laurence (hôtel, restaurant), et Sébastien et son épouse Laurentxa (boutique de produits maison, fabrique de gâteaux basques), avec René Dubès et le jeune Olivier Sautel aux fourneaux, perpétuent une tradition saratar. Celle du goût juste et du confort vrai.  En annexe, la maison d’hôte Dominxenea (« la maison de Dominique », qui date de 1505), au cœur d’Ihalar, le quartier historique le plus beau de Sare, est une maison d’hôtes à prix doux, plantée à une minute à peine de l’hôtel. On ne peut oublier le gâteau basque estampillé Arraya (le « pastiza », en Basque) de Sébastien Fagoaga, car il reflète le savoir-faire de l’association Eguzkia (Soleil), laquelle garantit une qualité extrême, via le respect d’une charte exigeante. Ce label réunit vingt-cinq pâtissiers de la région.
    Au restaurant Lastiry, qui fait face à Arraya, Pierre et Louise Etcheverria ont ranimé une maison emblématique du village, qui tombait à l’abandon. Hôtel, restaurant, retrouvent des couleurs : « Ca faisait mal au cœur de laisser ça comme ça », dit Pierre. Le peintre Mattin Partarrieu, un ami, orne les murs, et une cuisine gaie peint généreusement les assiettes : Saint-Jacques au xingar (ventrèche), ris de veau au Moscatel, charcuteries locales comme le tripotx, extraordinaire boudin lié au sang d’agneau !
    DSCF6154.JPGÀ Saint-Pée sur Nivelle, le décor change radicalement, du moins côté face. Pile, la grande Auberge basque étend toute sa splendeur, large, débonnaire, généreuse et classique. Face aux montagnes, la modernité impose un style épuré avec les baies vitrées des chambres et du restaurant. Cédric Béchade et son équipe distillent ici une atmosphère « no stress » qui se ressent à chaque instant et partout. Les cuisiniers, foulard rouge sur la tête, exécutent une gastronomie subtile sans cris ni chuchotements, sous les yeux des clients, comme si tout coulait de source. Le chef passe les plats tout en surveillant l’ensemble. Rare. L’Auberge basque a ouvert en avril 2007 et connaît depuis un succès serein. Des pros, comme Samuel Ingelaere, sommelier exceptionnel et directeur de la boutique générale, épaulent le chef. Des céramiques signées Cazaux font office de dessous de plats, l’art, la sobriété règnent partout, du parc à l’étage des chambres au design subtil et jusqu’au bar. Le minimalisme ne rejaillit pas dans l’assiette, à la faconde de conteur gourmet. Artistique. Comme peut l’être la table historique, qui appartient au panthéon des saveurs du Pays, d’Arrambide père et fils (Firmin et Philippe), à Saint-Jean-Pied-de-Port. L’hôtel-restaurant Les Pyrénées, à l’instar de l’Irouléguy Arretxea, de Rieuspeyrous, ou des eaux-de-vie de Martine Brana, du jambon de Pierre Oteiza ou encore de l’ardi gasna (fromage de brebis) de Maïté Goni (Xistu, à Arrosa), font partie du paysage culturel. L’équipe de « Fifi » Arrambide, avec Jean Etcheparre -quarante-six ans dont trente de maison et Patrick Fillatrieau, passe avec « alegria » des plats toujours irréprochables.
    Artistique, Ostapé l’est aussi. Cette auberge de luxe, mais qui a su garder une rusticité chic, nichée sur les hauteurs de Bidarray, crée par Alain DSCF6104.JPGDucasse et dirigée depuis son ouverture par un hédoniste, François Ricau, Ostapé donc, possède de nombreux atouts, dont un chef de talent : Claude Calvet. Avec des perles comme Julie en salle, une belle carte proposant un veau élevé sous la mère, acheté sur pieds à la ferme voisine de Suraya, de même que le « mamia » (caillé de brebis) du petit-déjeuner, provient d’une ferme que l’on aperçoit en le dégustant depuis la terrasse d’Ostapé ( : « sous la feuille de chêne »), ce lieu magique, qui offre des suites d’un raffinement rare, a tout compris de l’équation du plaisir. D’ailleurs, afin de pouvoir le prolonger sans risque, Ricau propose la nuit à moitié prix, après dîner. Histoire d’oublier les virages de la route d’un retour qu’il est bon de différer.
    Au fond, il n’est qu’un seul retour que l’on redoute de différer, ici. C’est celui qui arrête le train du plaisir, quand on zippe son sac, que l’on relit l’heure du ticket retour, au moment de se dire : bon, quand est-ce que je reviens pour me frotter à nouveau à la Côte, et explorer d’autres villages gourmands de ce Pays qui sait se donner à fond, pour peu qu’on prenne le temps de l’observer, de l’écouter, de le laisser nous parler. Car c’est lui qui nous apprivoise, s’il le désire. Et jamais l’inverse. ©L.M. La suite en kiosque (pages 60 à 65 et 118-119).

    Photos (LM) : C'est à partir d'eux que l'on fait de l'ardi gasna (fromage de brebis). L'auberge Ostapé, à Bidarray : le bonheur sur la terre basque. Un gamin qui sait déjà tout de l'art de faire le behi gasna (fromage de vache), à la ferme Oheta, à St-Martin d'Arosa.

  • Cuisine de crise


    La difficulté est créatrice. Et la crise n’est jamais triste, si l’on réfléchit un peu lorsqu’on est perplexe au marché ou devant son frigo.

    La cuisine est toujours gaie, qui associe avec talent les produits simples à l’inventivité et à l’audace. La crise n’oblige en rien à manger mal. Avec quelques idées pour sublimer les restes, un trognon de chou-fleur a soudain de la gueule et des kilos de nourriture sont sauvés de la poubelle ! Les plats pauvres ont une histoire propre : les « migas » (miettes, en Espagnol), sont un plat composé à l’origine de miettes de pain ramassées aux tables des restaurants par des mendiants qui inventèrent ce mets « à la fortune de la poêle », en y ajoutant de l’ail, de l’huile d’olive et, au gré, chorizo, œuf, raisin frais ou secs. La pizza de base figure la Baie de Naples, la lave (tomate) du Vésuve, et l’écume de la mer (mozzarella). Les « pasta e fagioli » sont un plat italien humble, à base de pâtes diverses de fins de paquets, mélangées à des haricots blancs pour oublier la viande. Les « Moros y Cristianos » cubains (Maures et Chrétiens), à base de haricots noirs et de riz blanc, constituent le plat qui symbolise le métissage, une certaine « créolité » qui tient au corps. Avec la « soupe de pierres » marseillaise –des galets mis à bouillir : l’eau prend le goût de la mer et donne l’illusion du poisson-, nous touchons à la poésie. Tous ces plats réputés pauvres apaisent la faim avec talent et beauté. L’évolution du goût propulse ou rétrograde à l’envi : pêcher une femelle d’esturgeon pleine d’œufs était une plaie pour le pêcheur, il y a environ quarante ans en Gironde. Les canards de basse-cour n’en voulaient plus et les gamins se sentaient punis lorsqu’on leur en donnait à pleines cuillerées. Même chose pour les pibales. Personne ne voulait, il y a quarante ans, au fond de l’estuaire de l’Adour, de ces alevins d’anguilles valant aujourd’hui 1200€ le kilo. Sauf un fabricant de colle, installé dans les Landes, qui en débarrassait les pêcheurs. La cuisine humble a de beaux jours devant elle. Je sais qu’avec trois œufs et des chips broyées à la main et posées dessus, ma fille étudiante offre une omelette croustillante. Et qu’avec une boîte de sardines, un tube de harissa et une fourchette, elle écrase tout, tartine du pain et ravit ses copines. Pour la chef Véronique Melloul, réfléchir à un tel sujet est une occasion de cuisiner innovant et utile. Corrézienne élevée par sa grand-mère Louise, Véronique a travaillé chez les plus grands, comme Ferran Adria, et a bourlingué, notamment outre-mer, avant de se poser chez elle, au Bistro Poulbot, à Paris. La nuit, elle invente des recettes qui font entrer la campagne dans la modernité... ©L.M. (la suite en kiosque, dans VSD paru ce matin, p. 70 et s.)

  • A la santé d'Espagnet!

    festival espagnet leg.jpgEt voilà, et c'est merveilleux : l'ami Patrick Espagnet (1950-2004), qui fut un très brillant journaliste (sportif) à Sud-Ouest et un trop bref écrivain (La Gueuze, Les Noirs, XV histoires de rugby), a son Festival! A Grignols (Gironde) où il naquit. Cela se passe à la fin du mois. Demandez le programme : http://arpel.aquitaine.fr/spip.php?article100002304

    Merci à Christophe Dabitch, organisateur de ce festival, pour l'envoi de l'affiche, mi Far-West, mi Cartel (de luces y de lujo) ci-jointe.

  • British Bordeaux

    Papier d'ambiance. Hier, samedi 23 mai, dans l’après-midi, au hasard des places et des rues piétonnes de Bordeaux…
    (VSD m’avait envoyé spécialement couvrir le match des Girondins, car ils risquaient d’être sacrés champions de France à l’issue du match. Ils l’ont gagné mais dans le même temps, Marseille a gagné aussi, comme chacun sait : rendez-vous est par conséquent pris samedi prochain à Caen, pour Bordeaux).
    C’était l’été. Comme à Paris aujourd’hui. Les terrasses, pourtant nombreuses et longues comme la marée basse à Arès, au fond du Bassin, étaient bondées comme une plage au mois d’août. Mais rien, nulle part, à l’exception de rares maillots du club marine et blanc, chiffrés Kia, portés par des supporters calmes (sauf aux abords du stade, dès 18h), ne laissait deviner l’enjeu national qui s’ourdissait dans tous les esprits comme un complot.
    Prêter l’oreille nous convainquit que la fameuse retenue bordelaise et son british touch opéraient avec discrétion : on ne parlait que de ça, ici et là. Et si la plupart des conversations affectaient un tact local sur le mode rien n’est joué, une liesse communicative donnait à penser que le mot stress serait l’apanage du Rocher (Bordeaux affrontait Monaco). Et celui de confiance, le carburant girondin. Cette circonspection trahissait à peine un enthousiasme anticipé, dans l’évocation de cette nuit de mai 1999 qui vit s’embraser Lescure (le stade ne s’appelait pas encore Chaban-Delmas) et toute la ville, par contagion. Dix ans déjà…
    Vendredi, le président des Girondins, Jean-Louis Triaud, que je devais interviewer une heure avant le match, lâchait un « cool » pour résumer la situation. British jusque dans le refroidissement des esprits d’une équipe prête à en découdre, assise sur trois coussins –ses points d’avance sur Marseille (74 contre 71). La tension, légitime, fut trahie par les propos fugaces et un brin inconsistants de l’entraineur Laurent Blanc, qui avait choisi le mode dénégation, pour tiédir l’atmosphère du point presse : « les joueurs n’y pensent pas ». Tu parles, coach !
    A la veille d’une victoire qui aurait pu achever une saison splendide (10 victoires consécutives en championnat, des Girondins invaincus chez eux depuis le 7 octobre 2007, un troisième ticket en Ligue des champions : un millésime de garde), on évoquait, aux terrasses des bistros, les départs annoncés des stars : surtout ceux de Gourcuff et de Chamakh. Triaud me confia qu’il ferait tout pour garder une équipe cohérente, qui gagne et qui est dotée d’un esprit de groupe rare –comme on en rencontre au rugby…
    A observer tant d’effervescence contenue, nous en étions à nous demander si Bordeaux n’était pas en train de vinifier, à l’ombre fraîche et salutaire de ses chais, un champagne maison qui aurait explosé dans le ventre du stade à l’issue du match. La fête ne fut pas au rendez-vous, malgré le but de la tête de Chamakh. Les Girondins peuvent cependant être champions samedi prochain pour la sixième fois.

    La ville était donc tout foot, sans fanfaronner (bien lui en prit), comme Toulouse sait être tout rugby, version baroque.
    N’était la coiffure à la Chamakh : crête de coq et côtés ras, arborée par de jeunes fans, il n’y avait aucun débordement dans les rues de la ville, dont la rumeur mezza voce allait sereinement à la rencontre d’un compte à rebours. Sans fièvre. A l’image de cette 37ème journée de la Ligue 1. C'est tout Bordeaux, ça.

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    Lectures TGV. Les Onze, de Michon, sont décevants. Limite chiants. En revanche, Un an, d'Echenoz, c'est la littérature à l'état pur. Un grand bonheur de lecture, tandis que des paysages archi connus défilaient...

  • Rapprochements

    Un homme sans femme, c’est un pistolet sans chien : c’est la femme qui fait partir l’homme. Ferdinand Buisson, cité par Julien Gracq dans Lettrines (José Corti).

    À rapprocher de la fin du poème La femme intérieure, de Georges Henein, dans La force de saluer (La Différence) :

    friable
    comme une poignée de mains
    entre deux êtres sans avenir

    dure
    comme le commencement du monde

    visage secret
    visible une fois par vie
    en appuyant sur la gachette


    Lu un petit bijou, L’occupation des sols, de Jean Echenoz (Minuit), ou la force du sentiment par petites touches qui ne donnent pas l’air d’y toucher. Mais qui bouleversent.


    A rapprocher de Ce que c’est que l’amour, extraits des Microfictions de Régis Jauffret (folio) : de l’acide cru sur la vie de couple, ses sournoiseries perverses; le monde du sentiment amoureux comme il se délite. Décapant. À côté de cette prose coupante, l’humour noir, c'est de l’eau de Cologne.

    À rapprocher de cette phrase de Flaubert, dans Madame Bovary : Il ne distinguait pas (…) la dissemblance des sentiments sous la parité des expressions. Et cinquante pages plus loin : D’ailleurs, la parole est un laminoir qui allonge toujours les sentiments.

    Ci-dessous, la tombe de Roland Barthes à Urt (64), sans rapprochement.

    DSCF6222.JPG

  • Syrah

    Voici le début d'une chronique vins, anglée cépages, que j'assure désormais dans M, le mensuel du journal Le Monde. Elle est parue hier à Paris et parâit aujourd'hui en province. Lire aussi dans ce beau 3ème numéro, les papiers consacrés à Paul Andreu, Hokkaïdo et aux façons d'écrire la peinture AVEC les peintres...

    images.jpgSYRAH : LA PUISSANCE SEREINE
    Cépage emblématique des côtes du rhône septentrionales, originaire de Perse, éclatante en Australie, la syrah est une baie rouge de caractère qui adore le soleil et les sols pauvres.

    On l’appelle aussi sereine. Parmi les nombreux synonymes de la syrah, cépage phare des côtes du rhône septentrionales, il y a aussi shiraz, son nom australien –un continent où elle prospère, car elle se rit des fortes chaleurs, fait son miel des sols pauvres, résiste bien aux maladies de la vigne et sait vivre seule, à 100% dans la bouteille, même si elle excelle en se fiancant aux cinsault, grenache et autre mourvèdre. La syrah donne les grands vins de qualité intense et noble : côte-rôtie, cornas, hermitage, saint-joseph, palette, châteauneuf-du-pape. Généreuse et pas narcissique, la syrah est le cépage améliorateur par excellence. Elle servait jadis, les années pluvieuses, à relever les grands bordeaux en mal d’architecture et de profondeur. On appelait (ou chuchotait) cela « hermitager », en référence à l’appellation reine des côtes du rhône septentrionales, qui engendre les meilleures syrah du monde. Il n’est qu’à goûter un Gambert de Loche 2005 en sélection parcellaire, de la formidable Cave de Tain l’Hermitage, dans la Drome, laquelle produit aussi un cornas de haute volée : Arènes sauvages 2005, pour s’en convaincre. Aujourd’hui, certains hermitage et autres côtes-rôtie ne considèrent même plus les grands bordeaux comme des concurrents. Mais si ce cépage élégant, profond et puissant, à la robe grenat, pourpre et brillante, au nez de fruits noirs frais, d’épices douces, aux notes animales, de réglisse, de sous-bois, de tabac blond et de truffe, à la bouche dense, boisée, grillée, voire torréfiée, si ce cépage à la langueur savoureuse et pourvu d’une belle longueur fait corps avec la région du Rhône, il provient néanmoins du Moyen-Orient. D’où son nom, qui évoque la ville persane de Chiraz (Iran). Du pays d’Omar Khayyam, auteur sensuel des fameux « Ruba ‘iyat », le cépage a pris les bateaux phocéens, débarqua à Marseille et se plut immédiatement alentour. Les amphores grecques de Tain-l’Hermitage appuient ce qui n’est plus une hypothèse, même si Probus, empereur romain, l’aurait lui aussi rapporté d’Egypte, via Syracuse (sans jeu de mots), pour la donner aux Gaulois, avec le droit de cultiver la vigne en général... ©LM (la suite en kiosque!)

  • basquonneries

    DSCF6063.JPGreportage en pays basque intérieur.

    tout un programme, l'intérieur...

    surtout celui de ce pays.

    la tripe du sujet, zugarramurdi, urdax, derrière la rhune, en deçà de sare, de l'arraya (quel beau gâteau basque tu fais là, sébastien fagoaga!), de lastiry, du fantôme de popaul dutournier, de l'écho des pelotes contre le fronton, au-delà de l'arza mendi, d'iparla et même des vautours fauves qui planent en silence au-dessus des artisans de l'ardi gasna, et qui savent ce que nous, humains, ne saurons jamais.

    DSCF6072.JPGles oiseaux savent

    et planent

    en silence.

    somptueux dîners chez cédric béchade (l'auberge basque, à saint-pée : chambres sereines), claude calvet (ostapé à bidarray : nuit rare, petit-déjeuner de soleil), pintxos de fou au fuego negro à san seba, la gamba de goiz argi (à inscrire d'urgence au patximoine de l'humanitad de l'unescoloco), tapas classicas à la cepa et alentour, déjeuner DSCF6114.JPGgrrrand chez arrambide à saint-jean-pied-de-port (comme d'hab'), idem à oppoca et ithurria à aïnhoa, incursion intéressante chez philippe à biarritz, au kaïku de saint-jean-de-luz aussi, et la concha la nuit, devant le brouillarta, lorsque le clapot atlantique fait la pige à la méditerranée...

    DSCF6086.JPGun tiop de sagarno (cidre basque) à ostillopitz (sare) chez jean-élie, un tross d'ardi gasna chez maïté goni à saint-martin d'arrossa,

    les collines vertes qui mamellonent mieux que des seins adorés, une chapelle planquée à flanc de crête, derrière des hêtres qui se refont la cerise, en vert, la terrasse plus paisible (sans le flot des bagnoles qui vont aux ventas peio, lapitxuri, etc, acheter des asperges et des piquillos made in china sans le savoir) au café ezkurra perpendiculairement au fronton d'ainhoa (agur Yves!..), la tombe de roland barthes, à urt, juste aller-retour pour la photo (on est pas des DSCF6095.JPGboeufs), relire toulet au bar françois, à bayonne, se perdre les yeux dans le courant de la nive, se redire que sainte-barbe, à saint-jean-de-luz (bon, d'accord, l'intérieur devient ici largement extérieur, mais on n'est pas des veaux marins non plus) possède une vue qui permet, par beau temps (le cas, dimanche dernier) de réserver une tournée de txakoli au txantxangorri, à hondarribia (fontarrabie) quasiment à la voix,

    et

    se direDSCF6145.JPG

    demain

    ici

    je serai

    sûr,

    oui...

     

  • Sensualité d'Ayo

    images.jpgSensuelle Ayo, hier soir au Printemps de Bourges.

    Elle suivait un Arthur H en début de soirée, qui fut très pâle, sans aucune émotion -sauf lorsqu'il rendit hommage au grand Bashung en chantant La nuit je mens (On m'a vu dans le Vercors... J'ai fait l'amour à des murènes...) et une Anaïs, dont la patate est énorme, inattendue et pas seulement loprsqu'elle reprend ses deux tubes.

    Elle précéda Amadou et Mariam, qui mirent le feu à l'immense chapiteau du Phénix, aux alentours de minuit, avec Le dimanche à Bamako.

    La belle Nigérianno-Gitane Ayo possède une voix magique, elle danse à merveille, son allure est pure et sa guitare envûtante. Elle chanta, par égard pour son public, Down on my knees en Français. Ayo ou la beauté musicale à l'état de soie.

    Et vive les vins de Menetou-Salon, qu'ils soient blancs issus de Sauvignon, ou rouges issus de Pinot noir.

  • Mimosa Pudica

    mimosa.jpgReprendre la lecture des Ménines, de Velasquez, faite par Michel Foucault, au début de ses monumentaux Mots et les choses, c’est boire une vision lumineuse et infiniment tonique du peintre et de ses doubles.

    Tandis que… Je repense tout à trac (et va savoir pourquoi, té!) à ma chemise tachée de mûres, à chaque rentrée de septembre, au Lycée, à Bayonne (et à ma peau salée lorsque j'allais surfer à La Chambre d'Amour, les matins où je commencais à dix heures... Ou bien herbacée, les aubes où j'allais, d'un coup de moto, faire, fissa, une passée aux grives...).  En me disant que mes enfants, à Paris, n’ont pas eu le bonheur simple et naturel des mêmes taches...

    Je viens d’écrire et d’envoyer le portrait de Beigbeder, inattendu Basco-Béarnais dans l’âme, sous ses allures déjantées de night-clubber posant volontiers pour les port-folio des magazines pipeule. Il y a du Paul-Jean Toulet des Lettres à moi-même chez ce mec. Ce qui le rend sympathique.

    Et c’est ainsi qu’Allah est grand !, aurait conclu Vialatte le Grand.

    Mais je bifurquerai plutôt, en pensant qu’un blog, c’est quoi ? –Un piètre faire-valoir de son auteur en exposition permanente.

    Voyez : mes petits papiers, mes souvenirs (marins et autres), mes lectures, mes humeurs, mes affinités, mes attachements, ma nostalgie, mes emmerdes... Et pourquoi pas, tant qu’on y est, mes petits grattages de tête, ma propre recherche du temps perdu, mon work in progress, mes manques (à gagner) et mes démangeaisons sexuelles lorsque je croise Laetitia Casta, Sophie Duez ou Emmanuelle Béart en faisant mon marché !..

    Allez, va, ce chien (surnom de KallyVasco) n’est, au fond, qu’un miroir flétri qui ne frissonne plus guère, à l’instar de Mimosa Pudica, cette plante sensitive -magique, plutôt- achetée chez Truffaut samedi dernier, et que je caresse du bout des doigts pour la voir se refermer au contact de ma chaleur humaine –parce que, n’ayant pas la main verte, je néglige de lui donner à boire chaque jour.

  • Sister/Ship

    Surprises du Web : en musardant, je suis tombé sur cette photo, qui représente un cargo qui m'est familier, car j'ai navigué à son bord, à l'âge de 15 ans, comme pilotin, et qu'il portait mon nom. Emotion... Les souvenirs affluent soudain. La traversée, de Saint-Malo jusqu'à Bayonne. Puis le départ de Bayonne pour Saint-Louis-du-Rhône (Camargue), via... Gibraltar!.. L'été, le Tour de France à la télé, dans le mess, le passage effrayant, mais terriblement émouvant, du Détroit (décrit dans Les Bonheurs de l'aube, que j'ai publié à La Table ronde), car je tenais alors la barre (c'était tombé pendant mon quart!). La pêche de dorades grosses comme ça depuis le pont, au mouillage. Les prises de quart de midi à seize heures et de minuit à quatre heures. L'apprentissage de la mer, tracer la route du bateau, tout seul ou presque, avec l'aide d'un sextant. L'échelle, la passerelle de secours au cuivre oxydé, en plein vent tout là-haut. Le Pacha (tonton Doudou était son surnom) : il ignorait l'usage du radar et me laissait me démerder (en me lorgnant d'un oeil faussement assoupi). Il m'enseigna les étoiles, le compas et les cartes marines. La cambuse (je me goinfrais l'après-midi, avec la complicité de Joseph et d'Abdou...). L'équipage, la lecture de Kipling et de mon premier Conrad (Lord Jim). La tenue d'un journal de bord et la reproduction fidèle de tous les fanions et de toutes les bouées, de tous les phares et de toutes les balises et autres signaux et faisceaux, figurés à l'encre de Chine, au fusain et aux crayons de couleurs "aquarellables", sur papier Canson. Les escales, les ports. Les marins Arabes, Basques et Bretons, qui lisaient Union avec avidité (est-ce que ce journal de roman-photo-cul en format télépoche existe encore?), et qui me demandèrent, en descendant la passerelle, à la première escale, à moi puceau, si j'avais besoin de préservatrices... Alors l'espace d'un instant, je me souviens de m'être senti "grand".

    L M.jpg



  • Tenerife

    VSD sort une nouvelle formule ce matin, plus claire, plus moderne, plus agréable. J'y publie un reportage effectué pour eux à Tenerife : "L'île enchantée". Extraits (le reste en kiosque!) :

    DSCF5794.JPG« C’est comme si nous marchions sur la Lune, vous ne trouvez pas ? D’ailleurs, les tests des robots qui iront sur Mars ont été effectués ici il  y a deux mois. Et c’est ici que des scènes de La Guerre des étoiles ont été tournées ». Mary Cabral, guide intrépide au mollet d’acier, de l’association Patea sus montes, saute comme un isard d’une roche volcanique à l’autre. Les sentiers balisés sont  nombreux dans la région phare du Teide, point culminant de l’île, des Canaries, d’Espagne et de l’Atlantique. DSCF5627.JPGAvec ses 3718 mètres d’altitude, le volcan endormi domine un parc immense, riche de concrétions et de rochers  aux formes étranges prisés des fous d’escalade, de coulées de lave couleur réglisse ou chocolat, et où vivent, parmi une flore incroyablement riche pour un paysage si sec, un lézard, le tizon (Gallota galloti) et un pinson (bleu) endémiques. Le refuge d’Altavista, à 3500 mètres, propose un confort spartiate et donne envie de le quitter tôt pour saluer l’aube au plus près du sommet (un téléphérique dépose à 3500 m, mais demande 25€ à chaque passager). Un parador se trouve aussi dans la Caldera (cratère géant produit par l’effondrement de la partie centrale des volcans), parmi les Roques de Garcia, à 2300 m d’altitude quand même. Tenerife ne plaisante pas avec la nature. Ici, on ne ramasse aucune pierre volcanique (leur tas à l’aéroport du retour, derrière le scanner, est néanmoins impressionnant), aucune fleur non plus, et on ne dévie pas d’une semelle : randonner hors-piste peut coûter 600€ d’amendes."

    DSCF5866.JPG




    DSCF5970.JPG"Du côté de Los Cristianos et de la plage de Las Americas (Puerto Colon), au Sud, le béton est heureusement circonscrit dans des complexes touristiques, sur un périmètre restreint. 65% du potentiel hôtelier de Tenerife y sont néanmoins concentrés. Au-delà, c’est aussitôt la campagne et la montagne, des vignes en terrasse qui grimpent à l’assaut du Teide, lequel ferme le paysage, et devant, passé le port de pêche « bio » et sa criée (ici, aucune pêche aux filets : même le thon rouge est pêché à la ligne !), il est possible d’embarquer pour aller observer les baleines (des globicéphales macrorynchus, en réalité), appelées baleines pilotes parce qu’elles guidaient les marins vers les eaux calmes. DSCF5960.JPGSédentaire, la colonie de cette partie de l’île, riche de 400 individus environ, se rencontre à un mille des côtes à peine, à la faveur du relief volcanique qui plonge immédiatement le rivage à des fonds vertigineux. Là où les baleines vont se nourrir de gros calmars la nuit. Le jour, elles se nourrissent de petits calmars en surface. Elles ne sont pas farouches, et nager parmi elles en masque, tuba et palmes, est un bonheur ineffable. Unique. Les baleines avancent lentement, en ligne, plongent suavement, disparaissent soudain dans le noir des profondeurs, puis réapparaissent pour respirer bruyamment à quelques mètres de vous. « Ailleurs, il faudrait faire 20 à 30 milles pour pouvoir en observer », précise Sergio Hanquet, spécialiste des cétacés, auteur d’ouvrages sur le sujet... "

    ©L.M. (texte et photos. Sur la première, en haut : Carlos Muñoz Yagüe, auteur des photos du reportage parues dans VSD).

  • CochonCanaille

    Ribouldingue, dans le V ème à Paris, fait la fête aux plats canailles et on adore ça. La table est tenue par Nadège Varigny (de la bande à Yves Camdeborde, Le Comptoir à l'Odéon, Paris VI). L'adresse : rue St-Julien le Pauvre (là où se trouvait El Fogon d'Alberto Herraiz*), célèbre le cochon et les abats comme personne. Hier soir, pouir patienter, la couenne de cochon finement tranchée reposait sur un mesclun subtilement vinaigré. Puis c'est la salade de tétines de vache, le groin de cochon aux lentilles et les rognons blancs d'agneau en persillade qui ont lancé le bal, car c'est toujours mieux de prendre trois entrées quand on est deux. Suivirent l'oreille de cochon pânée et la tête de veau et sa cervelle, sauce gribiche. Que du bonheur, avec une Poignée de raisin de Gramenon, côtes du rhône d'une évidente simplicité. Ajoutez un saint-marcellin à point et un sablé aux marrons et vous comprendrez pourquoi Ribouldingue, avec un menu-carte à 29€, est l'une de nos adresses préférées. Et au diable la cuisine light des restos chichiteux!

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    * ¡ el rey de los arroces y de los gaspachos !.. est installé, avec une étoile décrochée dans le Rouge 2009, quai des Grands-Augustins (Paris VI ème) depuis quelques années.

  • anCora


    Il m'aura fallu faucher les blés
    Apprendre à manier la fourche
    Pour retrouver le vrai
    Faire table rase du passé
    La discorde qu'on a semé
    A la surface des regrets
    N'a pas pris

    Le souffle coupé
    La gorge irritée
    Je m'époumonais
    Sans broncher


    Angora
    Montre-moi d'où vient la vie
    Où vont les vaisseaux maudits
    Angora
    Sois la soie, sois encore à moi...

    Les pluies acides décharnent les sapins
    J'y peux rien, j'y peux rien
    Coule la résine
    S'agglutine le venin
    J'crains plus la mandragore
    J'crains plus mon destin
    J'crains plus rien

    Le souffle coupé
    La gorge irritée
    Je m'époumonais
    Sans broncher

    Angora
    Montre-moi d'où vient la vie
    Où vont les vaisseaux maudits
    Angora
    Sois la soie, sois encore à moi...

  • Dieu EST gascon, con.

    Lisez "Dieu est-il gascon?" de mon ex boss (oh, de 87 à 91, juste) Christian Millau, car ça trucule et ça grésille, ça bouillonne et ça regarde franc. Bon, c'est publié au Rocher, un éditeur au soufre (et qui souffre), mais c'est bon comme un Grand-Bas sur place, a las cinco de la tarde.

  • PanaMa dans M (Le Monde)

    DSCF5110.JPGLisez "M", mensuel du journal "Le Monde", paru aujourd'hui à Paris et qui sera en province demain. Voici un extrait d'un reportage effectué au Panama, pages 38, 39 & 40 (ma chronique vins a encore sauté!.. Grrr... Vive la pub).

    L'ISTHME VERT

    DSCF5037.JPG« Nous avons fui en pirogue notre province du Darien parce que les guérilleros venus de Colombie nous pillaient et nous agressaient et que la réglementation du Parc national nous a subitement interdit de pratiquer l’agriculture et l’élevage. Ici, dans la province de Panama, nous sommes à l’abri et nous survivons de l’artisanat. » En écoutant Atilano, vêtu d’un simple pagne et la peau peinte de noir au hawa, le fruit d’un arbre local, nous avons l’impression de voir, en couleurs, les photos prises par Claude Lévi-Strauss, qui illustrent ses Tristes Tropiques. Atilano est le chef de la communauté Embera des bords du fleuve Gatun, non loin des écluses éponymes du canal de Panama. Embera Quera –du nom d’un parfum endémique, compte 23 familles totalisant 70 personnes sur les 800 que compte, dans la province de Panama, un groupe pacifique et allergique au progrès. Atilano Flaco n’est pas dupe : « Nous avons conscience d’être des Indiens de Réserve, mais notre peuple ayant toujours été rebelle à toute organisation sociale, nous disparaîtrons en résistant à notre manière. » Il sait que sa communauté participe d’un écotourisme de pacotille, « ethnique », en accueillant des groupes avec de rapides démonstrations de danses folkloriques en costumes de gala, fleurs d’hibiscus dans les cheveux et peintures tribales sur le corps. Atilano ajoute : « C’était ça, ou disparaître rapidement. Et nous tenons au maintien intact de notre culture. »DSCF5133.JPG
    La mélancolie des Tropiques

    Son discours est cohérent. « Le produit de l’artisanat réalisé par les femmes sert à payer le loyer de nos terres : 11 000 $ par an pour 6 ha, une somme considérable pour nos familles accrochées à leurs activités primitives. » En croisant le regard mélancolique d’une enfant, nous pensons au discours que J.M.G. Le Clézio a prononcé devant l’Académie Nobel : il a dédié son prestigieux prix à Elvira, conteuse de la forêt Embera, qui représente à ses yeux « la poésie en action, le théâtre antique en même temps que le roman le plus contemporain ». L’écrivain vécut plusieurs mois avec les Embera, dans la forêt du Darien, au cours des années soixante-dix. Cette communauté lui a procuré « l’une des plus grandes émotions littéraires de mon âge adulte », déclara le Nobel 2008.
    La communauté du fier Atilano se déplace en pirogue dans la lagune poissonneuse où prospère une multitude d’oiseaux. Les crocodiles cohabitent avec les caïmans, les singes capucins avec les paresseux, la nature est scrupuleusement protégée. « Si nous voulons couper un arbre, nous devons prévenir les autorités qui le feront à notre place et en replanteront aussitôt deux  autres », dit-il. L’arrivée au petit hameau de cases, niché dans la plus douce des solitudes, au fond d’un lac féerique, se fait aussi en pirogue. Celle-ci serpente sur le fleuve, parmi aigrettes, perroquets, aigles noirs, iguanes, tortues, d’immenses eucalyptus couverts de lianes, poules d’eau, canards, jacanas, et s’achève en se frayant un passage entre mangroves et nénuphars..."DSCF5076.JPG

    L.M. (©texte & photos)

    La suite en kiosque.

  • Elsa

    Quand même, Aragon, parfois, c'est pas si mal, non...

    Chanson du miroir déserté


    Où es-tu toi dans moi qui bouges
    Toi qui flambes dans moi soudain
    Et ce mouvement de ta main
    Pour mettre à tes lèvres du rouge

    Où es-tu plaisir de ma nuit
    Ma fugitive passagère
    Ma reine aux cheveux de fougère
    Avec tes yeux couleur de pluie

    J’attends la minute où tu passes
    Comme la terre le printemps
    Et l’eau dormante de l’étang
    La rame glissant sur sa face

    Dans mon cadre profond et sombre
    Je t’offre mes grands secrets
    Approche-toi plus près plus près
    Pour occuper toute mon ombre

    Envahis-moi comme une armée
    Prends mes plaines prends mes collines
    Les parcs les palais les salines
    Les soirs les songes les fumées

    Montre-moi comme tu es belle
    Autant qu’un meurtre et qu’un complot
    Mieux que la bouche formant l’o
    Plus qu’un peuple qui se rebelle

    Sur les marais comme à l’affût
    Un passage de sauvagines
    Et battant ce que j’imagine
    Anéantis ce que tu fus

    Reviens visage à mon visage
    Mets droit tes grands yeux dans tes yeux
    Rends-moi les nuages des cieux
    Rends-moi la vue et tes mirages

  • Adjani la Grande

    Allez voir La journée de la jupe, film bêtement boudé par les grands réseaux de distribution en salles parce qu'il a été diffusé sur Arte en avant-première (en clair, il a osé paraître en poche avant de sortir en grand format, du coup ça boude, en haut), car c'est une oeuvre cinématographique qui transcende les genres. Cinéma, théâtre (une tragédie)... Huis-clos, unité de lieu et de temps, circonscription des personnages et contrôle strict du texte, arborescence des sujets, intensité dramatique tenue bride serrée, poupée gigogne des sentiments, alternance des styles, confusion lucide des procédés, interprétation extraordinaire d'Isabelle Adjani... Un bijou, cette jupe, signée Jean-Paul Lilienfeld. Ni leçon de morale, ni film à thèse, mais plutôt exposition sensible de cet essentiel qui touche, un jour, à l'improviste, au plus profond de l'histoire d'une poignée d'êtres, plongés d'un seul coup d'un seul dans le même bain. Celui de l'existence dans son tissu le plus fragile.

  • cigare béarnais

    Voici la fin du papier que je consacre à Noël Labourdette (cigare le Navarre), dans le dernier n° de "Maisons Sud-Ouest" (le reste en kiosque, avec notamment un portrait d'Ivan Levaï et un compte-rendu de visite-test au SPA du Grand-Hôtel de St-Jean-de-Luz. La vie est dure) :

    "..Noël Labourdette voulait que la terre choisisse la variété du tabac. Ainsi, plusieurs furent travaillées à l’aveugle. Au fil des ans, Labourdette et son commando de choc travaillèrent les techniques de séchage, de fermentation, avant de trouver un endroit pour installer la manufacture, proche des plants, pour ne pas faire « voyager » le tabac. À Navarrenx, seize personnes travaillent, dont neuf rouleuses de cigares. Quatre sont Cubaines : Olga, Daymi, Greta et Maory. Christophe, tabaculteur, ou « veguero », vit sur la plantation –dont il est propriétaire-, et veille, avec quinze autres personnes, aux séchoirs et aux « tapados », ces voiles de mousseline qui filtrent 17 à 20% du rayonnement solaire et protègent ainsi les précieuses et fragiles feuilles de cape. Comme à Cuba. « Mieux ! Mes capes sont parmi les meilleures du monde, selon certains acheteurs mondiaux, dit Noël. Mes méthodes de fermentation sont uniques, bien qu’inspirées du travail de la vigne. Je tiens à diriger la fermentation afin de contrôler parfaitement la qualité de chaque feuille de cape. Je définis les degrés d’humidité et de chaleur nécessités par chaque type de feuille : capes, hautes (pour la force), basses (pour la combustion), moyennes (pour les arômes). Les capes ne sont jamais en contact avec l’eau, fut-ce en micro gouttelettes. » Cuba a commencé de s’inspirer de la méthode, « pour améliorer leur production, pas pour m’imiter ! », précise Noël, modeste.
    L’eau qui descend de la Pierre Saint-Martin en devenant la Mielle, rivière d’une pureté rare, arrose le tabac. L’absence de culture intensive et la très faible utilisation d’engrais chimiques autour de la plantation de Moumour sont avérées. La plantation a minoré par quinze les engrais nécessaires au tabac. Le taux de substances cancérigènes y est dix fois inférieur à la moyenne nationale. Nous pouvons écrire que Noël a inventé le cigare bio. Le cigare français bio. Mieux : le cigare béarnais bio.
    En dix ans, Labourdette a réussi le pari difficile de l’élégance, dans un monde de brutes où la subtilité devient rare. Il pourrait faire des cigares « markettés », virils, comme un vigneron peut faire du vin sur concentré, façon confiture de mûres, pour plaire à un Parker au goût étrange mais terriblement prescripteur. Non. Labourdette donne dans le cousu main, il fait naître, élabore, élève des cigares pourvus d’une belle progression de fumage, dotés d’une suavité et d’une complexité étendues. Le Navarre n’est pas un cigare racoleur. Il exige une attention particulière. Sa palette aromatique a même élargi le vocabulaire dédié : on parle de figue fraîche, de châtaigne, à propos du seul Navarre, cigare synonyme de raffinement ; pas le luxe. Labourdette est d’ailleurs tout sauf un homme ostentatoire. C’est un hédoniste discret qui n’entend pas dévier du chemin de la qualité extrême."

  • Ciao Bello Bashung...


    images.jpgCantique des Cantiques : http://www.deezer.com/#music/result/all/cantique%20des%20cantiques%20bashung

    Au-delà de toutes ses chansons, passées en boucle ce soir, Bashung, c’est cette dernière geste, en concert au Bataclan le 7 décembre. L’émotion à l’état pur, comme on le dit des métaux précieux... Du tungstène encore vivant, bougeant à peine, des mouvements langoureux du bras,  une chorégraphie timide et lente comme un tsunami réfléchi, une vague à l'âme du monde entier, et une voix douce et merveilleuse, enveloppante, chaude comme jamais elle ne l'avait été, je crois, dans aucun enregistrement. Une voix, la  voix du passage, du mystère, de l’entre-deux, la voix de l’adieu imprégné de retenue. La voix des mots clairs prononcés avec l’élégance majuscule, la voix cardinale de celui qui, sous son chapeau de politesse, derrière ses lunettes de pudeur, en retrait d’un costume noir d’au-delà déjà, la voix de certitude qui disait la vérité crue. La voix, quoi. La voix de Bashung : une page se tourne, une génération s’interroge, prend peur, se dit qu’elle est soudain propulsée en première ligne, à l’arrière des berlines, oui, et des dauphines aussi –mais pour combien de temps… Réécouter Bashung, se dire c’est lui. Oser Joséphine jusqu’à la corde, parce que rien ne s’oppose à la nuit. Cette nuit, j’impose Bashung aux voisins, comme s’il avait gagné le match. Yep. A fond les balayettes, comme si on avait gagné ce grand mec qu'on a perdu, là. Là. Bashung ou la dignité, le verbe, l'âme au bord des lèvres qui remonte de la gorge.

    Noir ce monde... J'ai des doutes... Angora...  Gaby... Je t'ai manqué... Vénus... La nuit je mens... Vertige de l'amour... Tant de nuits... Ma petite entreprise... Il voyage en solitaire...

    Ciao Bello, ciao...

     

     

  • M

    Lisez M, le nouveau mensuel du journal Le Monde, qui paraît cet après-midi à Paris (gratuit avec le journal) et demain en province. Ce lien permet de le découvrir en avant-première. Personnellement, j'y écrirai sur les voyages, européens et lointains, et tiendrai la chronique vins (laquelle a sauté pour sa première apparition, à cause d'une page de pub... C'est bon signe et tant mieux, en ces temps de morosité ambiante!). Vive l'énergie positive, celle qui va de l'avant et répond à la crise par l'initiative.

  • flem, deuxième

    Ma fille aura vingt ans demain, 2 mars. Emotion. Loin des deux chansons de Reggiani, plus près de la vérité. De la mise en lumière, de l'exposition à la lumière, de l'existence; l'unique. De l'expérience, prodigieuse, de la mise au monde par paternité.


    podcast
    ombra mai fu, haendel (difficile à dépasser...)

    Extrait, encore : "Largués par nos parents qui disparaissent et par nos enfants qui quittent la maison,c'est le plus souvent au même moment de la vie que nous sommes confrontés à ces séparations : nos parents meurent, nos enfants grandissent. Coincés entre deux générations, ceux à qui nous devons l'existence, ceux à qui nous l'avons donnée, qui sommes-nous désormais? Les repères vacillent, les rôles changent. Comment faire de cette double perte une métamorphose intérieure?
    Longtemps j'ai été la "fille" de mes parents, puis je suis devenue une "maman". Cette double expérience, je l'ai vécue avec ses tensions, ses lassitudes, ses émerveillements. Mais qui suis-je désormais? Quel est mon nom?
    Fille, j'ai fini de l'être. Mais cesse-t-on jamais d'être l'enfant de ses parents? Notre enfance s'inscrit dans nos souvenirs, nos rêves, nos choix, nos silences; elle survit en coulisses. Ne devenons-nous des adultes que lorsqu'il n'y a plus d'ancêtres pour nous précéder, nous protéger? Suis-je encore maman alors que mes enfants ne sont plus des enfants? La langue manque de mots pour désigner toutes les nuances de notre identité.
    Comment me situer aujourd'hui dans ma généalogie? Ne faudrait-il pas un mot particulier pour nommer les parents dont les enfants ont quitté la maison? Suis-je une "maman de loin"? Une maman à qui l'on pense, à qui l'on téléphone pour un conseil, une recette, de l'argent, un encouragement, dont on a parfois la nostalgie, mais une maman avec qui on ne sera plus jamais dans le corps à corps premier." ©Lydia Flem et Le Seuil, pour "Comment je me suis séparée de ma fille et de mon quasi-fils".

    Ce mot de Primo Lévi, prélevé sur le blog de l'auteur : http://lyflol.blog.lemonde.fr

    “J’écris ce que je ne pourrais dire à personne.”

  • merveilleuse lydia flem

    elle nous a donné "comment j'ai vidé la maison de mes parents", puis "lettres d'amour en héritage", dont ce blog parla abondamment.

    voici "comment je me suis séparée de ma fille et de mon quasi-fils" (seuil).

    un nouveau bijou de sensibilité qui parle à chacun, de "la danse fragile de l'existence".

    "la littérature permet d'échapper à la vie -celle qu'on croit, à tort, la vraie- pour en inventer une autre, bien plus exaltante...

    "de la littérature on ne sort jamais indemne. on y parcourt la planète dans son ombre...

    "l'art nous transforme. on se surprend à n'être plus tout à fait pareil en lisant, page après page, ces histoires qui deviennent notre intimité extrême, épousant les plis de nos pensées...

    -----

    par ailleurs, voici un chouia d'éluard, qui soutient man ray (les mains libres, poésie/gallimard), pour aérer un peu la fenêtre de ce gentil dimanche premier mars qui nous chuchote le printemps, avec une délicatesse comparable aux adieux lents, monstrueusement émouvants, d'Alain Bashung et au vol des oies des moissons qui strient le ciel de leurs "V" renversants en revenant d'Afrique, là-haut, très haut, si près si l'on sait voir ou mieux : les regarder -sans les entendre-, fendre l'air.

    le don

    elle est noyau figue pensée

    elle est le plein soleil sous mes paupières closes

    et la chaleur brillante dans mes mains tendues


    elle est la fille noire et son sang fait la roue

    dans la nuit d'un feu mûr.

     

  • le chien maigrit

    Délaisser le chien. Ne plus le nourrir. KallyVasco est mon chien. Là, à force de reportages, en Catalogne notamment, et de mille trucs inutiles à faire, on lui voit les côtes à mon chien. Et ce ne sont pas celles que les marins espèrent.

    Tiens, mange çà, Kally...
    En attendant des pâtées meilleures, car je repars.

     

    Pasajes, ou Pasaia, pueblo basque espagnol.

    C'est un village de pierre ocre qui a les pieds dans un bras de mer et que nous nous refuserons à comparer à Venise, même si la ressemblance y est frappante par endroits. Ou bien alors, Venise est le Pasajes italien et n'en parlons plus.
    Passée la zone industrielle et le port maritime hérissé de grues monumentales, par Lezo, le contraste est aussi saisissant que lors du passage inespéré d'un nuage sur le soleil de midi : on tombe  littéralement sur un petit bijou tout en longueur -on aperçoit sa hauteur qu'après- nommé Pasajes, ou Pasaia, comme la montagne change soudain de stature et de statut en s'achevant de manière abrupte sur la côte. Nous parlons alors de falaises et le regard, de montagnard, devient étrangement atlantique même si l'on est au sommet du Jaizkibel.
    Le petit village de Pasajes est, dans cette zone - au sens où l'entendait Apollinaire-, une sorte de jardin intérieur, de territoire secret, d'oasis, de femme élue dans la foule grise. D'ailleurs, la réticence naturelle et délicieuse avec laquelle le passant ne vous indique pas directement le chemin mais plutôt le détour : «Pasajes, lequel?» authentifie ce sentiment jaloux. Il y a plusieurs Pasajes. Pasajes San Juan, le port industriel, les faubourgs (faux bourgs?) bref,  le paysage tourne autour du pot et, à l'espagnole, parle  avec beaucoup de bruit et de gestes amples -les bretelles d'autoroute, les ponts, les bateaux, la colline à flanc, les grues- et, au fond, c'est maternellement que le paysage entoure le village pour mieux le préserver des blessures d'un tourisme qui ne serait plus local et convenu. C'est une perle avec, à gauche, des ruelles en pente qui finissent à l'eau et, à droite, des escaliers étroits en guise de ruelles et munis de  rampes, qui montent jusqu'aux arbres, où le village s'achève. D'un côté, cela sent le figuier et la marée, de l'autre l'hortensia et le tilleul. L'atmosphère est présalée, elle hésite entre la mer et la terre. Le village est adossé à la montagne comme un enfant colle  à sa mère, mais il regarde l'océan. Il est entre deux chaises...
    Le partage du village a été fait au couteau : une rue, une seule, Donibane kalea (rue Saint-Jean) qui est un réservoir de fraîcheur et un conservatoire d'odeurs familières, parallèle au bras de mer, ouvre le village. Tous les cinquante mètres environ, une arche enjambe Donibane kalea, car ici les maisons ont des membres et on passe dessous avec le regard gourmand que l'on porte à une danseuse de flamenco lorsqu'elle retrousse ses lourds volants à dentelles.
    Par bonheur, la rue est conçue pour la semelle et par pour le pneumatique. On entre à Pasajes en rangeant son véhicule comme on ôte ses chaussures sur la margelle d'un lieu saint.
    A cause des balcons au-dessus de l'eau, des nombreuses terrasses de restaurants où le merluza en salsa verde  est roi, à cause des goélands, du triple alignement de barques bleues et du retentissement énorme de la sirène des bateaux qui prennent la mer, Pasajes est un port qui oublie les Pyrénées. Mais à cause des vieux coiffés de bérets qui se chauffent sur les bancs, à cause de la belle place aux balcons débordant de géraniums et de linge mis à sécher, qui donnent l'impression que les maisons, elles aussi, peuvent mettre les voiles ,Pasajes est un village hybride. A cause de ces escaliers-rues qui serpentent dans le village en desservant les maisons, qui sont bordés d'herbes folles, qui finissent dans la verdure et qui grimpent sec, et parce qu'on tourne le dos à la mer lorsqu'on les gravit, Pasajes est pyrénéen.
    Ce singulier village a l'audace d'imposer au voyageur son église principale, celle du rez-de-chaussée  du village, tout au fond (il y en a une autre à l'étage  et une troisième à l'entrée) : Donibane kalea profite de son statut de rue unique et donc incontournable pour finir par l'entrée de l'église! Autrement dit, son intention ou son but est, ma foi, obligatoire, sauf à virer de bord vers la gauche, juste avant le perron, jusqu'à une placette habillée de bancs propices à l'attente et aux bavardages.
    Cette église possède, au bout de son porche, outre une immense grille noire qui semble, paradoxalement, en interdire l'entrée, une grande maquette de goélette sous verre et une porte de sortie latérale, côté mer, où l'on retrouve la placette, les bancs, l'attente et les médisances de bon aloi que l'on murmure sous le clocher.
    Comme Pasajes est un village avec un étage, il faut s'insinuer et parvenir à son balcon pour contempler son crâne de tuiles et sa chevelure d'antennes. Le chemin étroit en ciment, rigole. Les hortensias sont bouffis d'aise. L'église du sommet côtoie le sémaphore et l'épaule dans sa fonction d'avertisseur des âmes.
    D'en haut, tout s'éclaircit. Ce petit joyau de village jalousement tenu à l'écart des flots humains, offert chichement avec une parcimonieuse réserve, mais cependant franche, est comme un quartier d'orange retourné. Il fait le gros dos à la manière d'une gondole à re-goudronner, comme un hérisson en boule. Sa vocation de préservation se lit de là comme une évidence. Et  la cicatrice ou la plaie, je ne sais pas, que déroule le ruban de Donibane kalea, fait soudain figure de porte ouverte à l'outrecuidance. Mais passons.  ©L.M.

  • Les années Table Ronde

    Le nouveau livre de Tillinac, "Rue Corneille", évoque entre autres ses années passées à La Table Ronde, que j'ai un peu connues au tout début*, puisque Denis m'avait appelé à la rescousse dès qu'il prit la barre du bateau alors ancré rue du Bac : "En 1990, au moment où l'on m'a proposé de diriger les Editions de La Table Ronde", écrit Tillinac, "j'allais suivre en Somalie un ami abouché avec les ennemis de Siyad Barré. Dégommer un tyran, c'est toujours une bonne chose. Du moins j'avais envie de m'en persuader. J'ai hésité et finalement j'ai choisi la littérature, contre l'aventure. (...) Voici en substance mon anti-destin." Puis la frégate a accosté rue Huysmans -personne n'aimât : "triste, sombre, grand mais gris", disait José (l'un des piliers de la maison, avec Françoise) cet après-midi, puis rue Corneille, avant d'amarrer rue Séguier, où Denis est venu signer avec stylo bille et nonchalance, son service de presse, aujourd'hui. Alice :  "Alors, tu as vu ton livre? Ca te fait quoi?" Lui : "C'est le 30ème, qu'est-ce que ça pourrait me faire!". Dans ces mémoires, le venin de la mélancolie se mêle à celui de la nostalgie. Les années pédégèsques du Hussard chiraquien qui s'est souvent trouvé en Afrique davantage qu'à Auriac, Corrèze, sont placées sous le signe de la profonde complicité avec Marie-Thérèse Caloni, qui fut son bras droit à La Table, et que la maladie emporta au cours de l'été 2006. Le livre lui est naturellement dédié. Tilli y raconte par le menu "le ressac de ses sentiments, les éclats d'une conscience tantôt en vadrouille, tantôt lovée dans le giron de son village ou à l'ombre des arcades du théâtre de l'Odéon. Deux capitaineries aussi peu modernes l'une que l'autre." Il ajoute ailleurs : "Je ne suis pas branché. Je préfère les idées qui émeuvent à celles qui mobilisent, le sourire de l'humour à la hargne de l'engagisme, les sentiments qui rafraîchissent à ceux qui culpabilisent." Tout DT. Suivent la Chiraquie, le rugby, la Corrèze, l'équipe de LTR (Olivier Frébourg, Alice Déon qui sa succédé à Denis Tillinac...), les affinités  et les inimitiés politiques et littéraires, les indéracinables amitiés : Debray, Kauffmann, Dauzier... Et, toujours, comme un chant de merle au crépuscule de son Petit Liré, le retour au bercail, et un avion qui trace le ciel et file -qui sait-, vers Bamako ou Brazzaville. Marie-Thérèse Caloni plane au-dessus du livre, de la page 7 à la page 206, laquelle s'achève par une remarque, tendre, de lucidité méritoire : "Le coeur, grâce au Ciel, n'a pas le don de la chronologie. Le mien en tout cas. Mes années Table Ronde, je les revois comme si c'était hier, je les revis quand ça me chante et ainsi suis-je fait que mes souvenirs ont la manie de seriner sans relâche des airs d'autrefois. C'est peut-être pour ça que je suis devenu un écrivain, et rien d'autre." Yep, Denis, et tu as eu raison de faire diversion (passe croisée) tout à l'heure, en disant que çà faisait vraiment mal au coeur, cette forêt Landaise que nous aimons tous les deux, couchée en une nuit...

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    "Rue Corneille", La Table ronde, 18€. Un précédent livre de Tillinac, "Dernier verre au Danton" (Pocket) évoquait déjà les premières années Table Ronde.

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    * J'y bouffais du manuscrit deux jours par semaine. Je vivais alors à Bordeaux et le TGV était mon salon de lecture préféré. Cela dura deux années. Après, je migrais à Toulouse où un boulot chez Milan mit fin à ces zig-zags. En 2001, je me retrouvais par hasard "auteur maison". La suite appartient à ceux qui lisent tôt.

  • Klimt réincarné(e)

    Dès que j'ai un peu de sous, je m'offre ma première peinture d' EkAT et je fais provision de nouilles chez Ed, pour compenser. Il y a des choix prioritaires, dans l'existence, surtout en période de crise. Ed en fait partie. Ekat aussi... Allez-y voir et dépêchez-vous d'en acquérir : c'est encore abordable, mais la côte va monter. Et vite. Moi j'adore. Toute la production ne figure pas sur le site, qui en est un timide aperçu. J'ai pu voir les oeuvres récentes, c'est bouleversant. J'écrirai bientôt, ici, sur le motif. Sur l'émotion que cela procure. Sur cette Klimt réincarnée, doucement écorchée et qui s'exprime avec une infinie délicatesse (de tons, de courbes, de suggéré, d'évanescence, de pudeur, de végétal, de soie, d'absence, de dos, de non-dit, de silences criants, d'allusions sensuelles contenues, de gestes inachevés, d'inaccessibles dire et faire, et pourtant!)...

  • En cas d'amour...

    ... Brisez la glace à l'aide du petit marteau qui frappe à l'intérieur de votre tête.

    Anne Dufourmantelle, dans son précieux -bien que parfois complexe, jargonaute, livre : En cas d'amour. Psychopathologie de la vie amoureuse, Payot, cite Pascal (Discours sur les passions de l'amour, in Ecrits sur la grâce).

    "Les âmes propres à l'amour demandent une vie d'action qui éclate en événements nouveaux. Comme le dedans est mouvement, il faut aussi que le dehors le soit, et cette manière de vivre est un merveilleux acheminement à la passion. (...) Dans l'amour, on n'ose hasarder, parce que l'on craint de tout perdre : il faut pourtant avancer; mais qui peut dire jusqu'où? L'on tremble toujours jusqu'à ce que l'on ait trouvé ce point. La prudence ne fait rien pour s'y maintenir quand on l'a trouvé."

    C'est la réflexion du jour. A vos remarques, prêts? -Ecrivez!

  • Amour! -Tes papiers!..

    "Il aurait beau lui dire qu'il l'aime et la trouve belle, son regard amoureux ne pourrait la consoler. Parce que le regard de l'amour est le regard de l'esseulement. Jean-Marc pensait à la solitude amoureuse de deux vieux êtres devenus invisibles aux autres : triste solitude qui préfigure la mort. Non, ce dont elle a besoin, ce n'est pas d'un regard d'amour, mais de l'inondation des regards inconnus, grossiers, concupiscents et qui se posent sur elle sans sympathie, sans choix, sans tendresse ni politesse, fatalement, inévitablement. Ces regards la maintiennent dans la société des humains. Le regard de l'amour l'en arrache." Milan Kundera, L'identité, folio p.52-53.

    A propos de la rougeur qui se diffuse et se répand sur la peau de Chantal, l'héroïne du beau livre de Kundera, et qui constitue le second "motif" du livre (le premier étant l'identité : la femme aimée ne cesse de changer de visage, en rêve, en vrai, ne suscitant pas la joie des métamorphoses vivantes mais plutôt celles de l'horreur et de la terreur face à l'altération, la dégradation), le grand critique italien Pietro Citati écrivait ceci dans la Nrf de janvier 1998 : "Cette couleur dissimule la honte, le regret, le désir, la nostalgie, le mystère surtout."

    Cela n'a rien à voir, mais la phrase est bouleversante : "Des femmes en voiles noirs défilent à l’aube, dans le bruit de chauve-souris de leurs châles, pour aller prendre de l’eau à la source…" Claude-Michel Cluny à propos d'une des nouvelles d'un livre immense : "Le Llano en flammes", de Juan Rulfo...

     

  • fidélité

    Plus on est fidèle, dit le Roumain de Moldavie Panaït Israti, et plus on est généreux, car l'infidèle ne garde rien pour lui. Il féconde la vie et passe. En lui, rien n'est croupissement; tout est orage, orage créateur.

     

  • Si mais non

    Lu Quartier nègre, de Simenon, dans l'après-midi. Comme çà. L'énergie balzacienne avec un souffle plus court, comme volontairement asthmatisé. De ses aventures féminines, il parle comme d'une satisfaction musculaire... Robocop-Georges. Dans Quand j'étais vieux, il note ceci : "J'ai besoin, pour ne pas me sentir prisonnier de la société, de caresser une cuisse au passage, de faire l'amour sans déclaration, sans passion, de traiter le sexe, d'un instant à l'autre, dans mon bureau, n'importe où, comme on le traitait, comme on le traite, dans la forêt équatoriale ou à Tahiti." Ce sentiment est lumineux, qui éclaire tant sur les immenses créateurs comme lui, et Hugo, Dumas, Balzac... Tous auront pantagruélisé les femmes pour nourrir leur oeuvre. Et la délicatesse, dans tout çà?.. C'est le débat du soir. A vous!

  • l'essence, peut-être

    "Le romancier authentique", écrit Dominique Fernandez dans L'Art de raconter (Poche), "crée ses personnages avec les directions infinies de sa vie possible, le romancier factice les crée avec la ligne unique de sa vie réelle."
    Si d'aucuns méditaient cela, et agissaient en conséquence, il y aurait moins de sacs postaux en toile de jute, bourrés d'improbables tapuscrits, chaque matin chez les éditeurs...

     

  • à table!

    Je le re sers, et il n'y aura que ça à manger ce soir. Voilà. Un étrange blues, un certain jazz infiniment sensuel, Chet au meilleur de sa forme.
    En passant, j'ai écouté ce qu'Elvis Costello avait fait de ce sublime Almost Blue : c'est aussi sensible qu'une cafetière en plastique. Son interprétation m'a évoqué un pékinois hargneux aux gros yeux de dorade morte, sous un petit crâne plat de crétin.

    Retour à l'essentiel : fromage & dessert.

    http://www.youtube.com/watch?v=z4PKzz81m5c

     

  • Nu

    http://photosmotstoros.blogspot.com/

    Je recommande ce blog, trouvé par hasard en cherchant des infos sur le grand photographe Sebastiao Salgado, car il allie les mots, les photos et les toros.

    Photo de © Waclaw Wantuch
    http://www.waclawwantuch.comakt-102-103 copieblog ww.jpg

  • zou

    Il y a tant d'humilité forte et revigorante dans "Les Disparus", de Daniel Mendelsohn (J'ai Lu) que j'y passerai bientôt une bonne grande journée, et -pareil!-, tellement de talent dans "Petites épiphanies" de Caio Fernando Abreu (José Corti), mais, mais... Si peu de matière dans le raccoleur "J'aime" de Nane Beauregard (POL), une insipidité si confondante dans "Mon voisin" de Milena Angus (Liana Levi) -qui nous a habitués à mieux (relire "Mal de pierre", Poche), de l'humour tordant, chez la même éditrice, dans "Comment lui dire adieu", de la désinvolte Cécile Slanka, enfin, bon oui, d'accord, encore des choses à tirer des "Contrerimes" de Paul-Jean Toulet (Poésie/Gallimard ou GF), dont Frédéric Beigbeder m'a lu des extraits, chez lui, la semaine dernière (ça fait bien de l'écrire, nan?), et aussi une envie de relire, à haute voix, pour sa musique étrange, le mince et précieux "Archipel et Nord", de Claude Simon (Minuit) que quand même, ce soir, ce sera malgré presque rien, plateau-dvd. Zou.

  • La chorégraphie du désir

    C'est un papier que j'ai écrit à la demande d'ENJEUX/Les Echos, pour leur rubrique "Une passion, un écrivain". Cela parait aujourd'hui. En voici les premières lignes (la suite en kiosque).

    On dit du tango que c’est un sentiment qui se danse. Le flamenco, tesson de tragédie en travers d’une gorge éraillée, chante la douleur du monde et de l’amour. Il figure un éclat noir sous lequel on devine le sang et l’eau, le cœur et la sueur, le sein et le suaire. Un cri. Il se creuse pour cambrer la parole. Et le regard. Cette concentration, ce ramassé comme on le dit d’un félin prêt à bondir sur sa proie qu’il tient déjà entre ses yeux.

    Le flamenco offre à la fois chant, musique ou danse purs et ces trois arts entremêlés.
    Être flamenco, comme on naît torero : une façon d’habiter le monde. Les « coplas » (strophes), ces poèmes lapidaires andalous issus de l’âme gitane, incandescente, indomptable, fière, deviennent les paraboles de l’amour dansé : « Ton visage, c’est la Sierra Morena, et tes yeux, les bandits qu’on y rencontre ». Le flamenco est une ombre portée, un poignet cassé, un regard sombre, une cuisse dénudée. Il traduit avec douleur, dents serrées, la langue noueuse du corps à cœur : « Va et que l’on te tire dessus avec la poudre de mes yeux et les balles de mes soupirs ». Il y a un état d’esprit flamenco. Sur scène ou dans la rue, il ou elle danse en raclant le sol du bout des pieds, en chaloupant ses sentiments. Le corps prolonge l’esprit, obéit à un langage, à une gestuelle codés, sous ses allures rebelle, sauvage. Fauve…

    L’Andalousie, berceau du flamenco, aux origines gitanes, mauresques, de la « marisma », les marais de la plaine du Guadalquivir, l’a vu naître dans les quartiers anciens ou portuaires de Séville, Cordoue, Malaga, Sanlucar de Barrameda, El Puerto de Santa Maria. Dans quelques « pueblos blancos » perdus, aussi, entre des oliveraies infinies et un « campo seco » où tentent de paître des taureaux de combat. Villages juchés sur des collines aux courbes douces, sensuelles, qui recèlent des « tablaos » (bars chantants).

    A la faveur du hasard et de la bonne volonté de la Vierge noire de Séville, la Macarena, un soir, un groupe local improvise… un duende peut naître. Le duende est le but absolu du flamenco (inspiration et plaisir total à la fois. Le mot vient de dueño, le maître). Sorte de « saudade » portugaise, sentiment ineffable, transe, il surgit comme la grâce au carrefour des arts conjugués de la danse, de la musique et du chant. À l’improviste, dans la voix d’un « cantaor » entrant soudain en communion avec la danse. Il peut ne toucher qu’une seule personne, ou bien se répandre comme le feu. Dans le dépouillement du « cante puro », le chant pur, plus aucun son n’accompagne le chant. Ce « silence sonore », brisé par la voix, forme une plainte déchirante, un hymne à l’amour, à la mort. Le duende se recherche. Mais il faut le laisser venir, en réalité. Chacun l’attend, bien sûr, chaque soir de spectacle. Tout le monde l’espère (la langue espagnole s’avère formidable : esperar signifie à la fois attendre et espérer). « Tout ce qui a des sons noirs a du duende. Ces sons noirs sont le mystère, les racines (…). Le duende aime le bord de la blessure et s’approche des lieux où les formes se fondent dans un désir qui brûle…», disait Federico Garcia Lorca en citant un ami qui écoutait la musique de Manuel de Falla.

  • Parrèsia

    Le mot grec parrèsia désigne le franc-parler de l'ami, le dire-vrai du confident, par opposition à la flatterie de l'hypocrite ou du courtisan.

    La parrèsia implique le courage de tout dire, au risque de déplaire, voire de fâcher.

    La parrèsia est aussi rare que la truffe blanche d'Alba dans une quincaillerie ou qu'une passoire en ferblanterie dans une banque de dépôt.

    John Lennon : "la vie c'est ce qui arrive quand on avait prévu autre chose".

    Marguerite Yourcenar : "Quand tous les calculs se révèlent faux, quand les philosophes eux-mêmes n'ont plus rien à nous dire, il est excusable de se tourner vers le babillage fortuit des oiseaux, ou vers le lointain contrepoids des astres". (Mémoires d'Hadrien).

  • again, chet

    http://www.deezer.com/#music/result/track/almost%20blue

    bouleversant Chet

    de retour du Panama (j'en parlerai ici, je collerai quelques photos -j'y étais en reportage pour un grand quotidien), je me suis retrouvé dans la tempête de mon Sud-Ouest, et là, je m'apprêtais à écrire des trucs sur cette dévastation, et aussi sur les Embera, au Panama, ou sur Chucho Valdès, rencontré au Jazz festival de Panama city, mais le coeur n'y est pas. Je pense, ce soir, davantage au Vaisseau des morts, de B.Traven, à Dans la lumière froide, de Pierre Mac Orlan aussi -des histoires de mer, crues. Au chenin (le cépage), aux vingt ans de ma fille (bientôt), à mes prochains départs pour des îles lointaines et chaudes, au subtil cigare Navarre, au feu de cheminée devant le lit, la nuit dernière, à l'amour, au ciel glacé ce matin, au riz basmati, à ma bagnole que je ne retrouve plus car j'oublie toujours où je l'ai garée. Et à Chet, bien sûr. Almost blue...

  • Il Disprezzo

    http://fr.youtube.com/watch?v=OBo2c98Dzl0

    Que serait Le Mépris d'Alberto Moravia, sans Jean-Luc Godard? -Un roman moins "ensablant" que L'Ennui, du même Moravia. Que serait Le Mépris de Godard (1963!), sans la musique de Georges Delerue? -Un film littéraire d'anthologie. Que serait Le Mépris sans ce générique indépassable, qui renvoie tous les génériques à de pitoyables envies de pop-corn? Jamais générique de film n'avait été, ne sera (?) aussi émouvant, totalement, tendrement, tragiquement émouvant... Il y a aussi les fesses, la voix et l'ingénuité de BB, le chapeau et l'immense talent de Michel Piccoli, l'accent renversant et la désinvolture de Jack Palance, Fritz Lang en personne dans son propre rôle, et Giorgia Moll. Il y a Capri et la maison de Curzio Malaparte. Il y a enfin les prises de vue de Raoul Coutard. L'histoire belle de Paul Javal et de sa femme Camille. Et la musique, encore, de Georges Delerue...

    "Le cinéma, disait André Bazin, substitue à notre regard un monde qui s'accorde à nos désirs. Le Mépris est l'histoire de ce monde". JLG.

  • Musarder

    558 romans, dont 347 Français, c’est le thermostat de l’avalanche annoncée en librairie. Pour une « rentrée », ça ressemble davantage à une sortie, façon buse (le tuyau) de bord de mer.

    On parle de « poids lourds » de la littérature comme des « éléphants » au PS, en citant, pêle-mêle : Vautrin, Queffelec, Combescot, Auster, Chessex, Rouaud, Decoin, Coe, Labro, Sollers, Rambaud, Djian, Makine, Fernandez, Dugain…

    Et j'ai la vision de rouleaux compresseurs jaunes craignant pour le maintien de leur position enviée, sur les sentiers de la gloire*, comme le cerf devant son harpail au moment du renouvellement du bail : le brame.


    Cela donne envie d’aller voir les « chevau-légers », pas encore « camionnisés », mais pas à la remorque non plus : Adam, Viel, Delaume, J. Rolin, Millet, Ph. Besson, Lindon, de Prada, Pancrazi, Rohe, Du Boucheron…


    Vite parcourus :

    Le nouveau Audeguy, « Nous autres », très Kenyan, déroute par sa densité et son tissage. À lire, puis reprendre « La Théorie des nuages ».

    Le Bolaño, « Le Secret du mal », est le résultat d’un coup de balayette avec la pelle dans l'autre main sur ses inédits, articles et autres trucs inachevés. Reprendre « Les Détectives sauvages ».

    Le nouveau Sepulveda me semble en appeler aux vieux trucs qui ont fait le succès du « Vieux qui lisait des romans d'amour » (le chasseur de jaguars, etc) mais j'espère me tromper. Quoique, c'est si bon... Lire celui-ci et reprendre le classique.

    Le Rolin à propos des chiens errants du monde entier (métaphore de l'écrivain?) est hiératique et sculptural : « Un chien mort après lui ». Se jeter dessus.

    Le nouveau Adam semble reprendre ses déjà vieux démons, qui font le troublant de ses précédents romans. Là, il campe son histoire à St-Malo. Reprendre « Falaises ». Mais lire « Des Vents contraires ».

    Le nouveau Viel, « Paris-Brest », attire. Comme les précédents. À cause de la langue, de la désinvolture, du « ton » Minuit. À lire. Et reprendre « Insoupçonnable », qui reparaît.

    Aller renifler le nouveau Goux : « Les Hautes falaises » pour découvrir un auteur exigeant, le Djian, « Impardonnables » car il se passe au Pays basque, et le Rouaud, « La Femme promise » pour retrouver sa musique.

    L’inclassable de Dantzig, « Encyclopédie capricieuse du tout et du rien », m'est tombé des mains. Tandis que son « Dictionnaire égoïste de la littérature française » m’avait enchanté. Le reprendre.

    Attendre un petit inédit annoncé, de Claude Simon, « Archipel, et Nord).

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    * "L'ambition est le fumier de la gloire". L'Arétin.

     

  • Voeux à Volonté!

    Il y a La Ballade de la geôle de Reading, poème difficilement dépassable d'Oscar Wilde, il y a Almost blue de Chet Baker et sa voix à pleurer, il y a aussi des oursins, un aller-retour à Versailles pour ne pas voir Koons (trop de queue). Un Magnum 46, habano tiré à la fraîche, entre trois et quatre heures du matin devant ma ligne de partage des eaux, soit là où l'Adour et la Nive se séparent. Le souvenir des voeux de Julien Gracq, dans ma boîte aux lettres creuse, ce matin et demain. Une rentrée copieuse qui se profile : des romans à gober vite, pas comme on avale les Quiberon n°3 de Joël D., des lentilles partagées avec les enfants : Lentilles le premier, des pesetas toute l'année, disait ma mère. La neige qui résiste au bord des routes de campagne, La lointaine petite tente de bleu / Que  nous prisonniers nommons ciel (Wilde), un besoin de soleil et de mer chaude (bientôt, au Panama), la trace d'un côte-rôtie (La Mouline 1978), un vol de grues qui craque dans la nuit; des matins magiciens.

    http://www.deezer.com/#music/result/all/almost%20blue%20chet%20baker%20let%27s%20get%20lost

  • Darroze, prénom Hélène

    Hélène est malade à l’automne, dans son restaurant de la rue d’Assas à Paris, ou au Connaught à Londres, dont elle dirige les cuisines une semaine sur deux (d’un mercredi à l’autre), car elle est loin des Landes et de leurs couleurs, de leurs parfums de sous-bois, de champignons, elle se sent loin des ambiances de palombière, où l’on rigole et ripaille avant tout. Ses Landes lui manquent plus que jamais à cette période de l’année, car elles la renvoient à son enfance, lorsqu’elle relevait les matoles à ortolans avec son père. Elle se souvient des sorties dans la vieille Peugeot blanche de son grand-père, pour aller cueillir les fraises des bois à Vielle-Soubiran, ou bien ramasser des asperges : « c’est l’odeur d’humidité, le journal mouillé sur lequel on les dépose, le « clac » quand on les cueille. » Hélène se rappelle des dimanches soir au restaurant familial de Villeneuve-de-Marsan, lorsque les chasseurs arrivaient avec des sangliers entiers qui la terrorisaient, et les producteurs qui passaient en semaine avec leurs cageots de cèpes et leur canards gras… (la suite du portrait d'Hélène Darroze, que j'ai donné à Maisons Sud-Ouest? -Au kiosque, té! ©L.M.)

  • Comme une poignée de mains

    Ce matin, lorsque j’ai ouvert les deux battants de la porte et que je suis sorti sur le seuil, un chevreuil a fui, le feu aux quatre pieds, en aboyant de surprise. À son passage, le givre qui avait recouvert d’un voile sucré les prairies alentour, crissa. Un soleil timide mais franc du rayon caressait le velours côtelé des vignes pelées, au-delà du fleuve et de la hêtraie…
    Les bûches qui ont dormi dehors sont congelées. Les braises les feront péter doucement, tandis que le café passera. Hier soir, ce sont des sarcelles qui sont passées en rasant l’étang voisin, alors que nous attaquions l’apéro dans le jardin, emmitouflés, avec un foie gras mi-cuit escorté d’un blanc de Cérons, pour changer. Puis, nous avons testé en famille une recette du bouquin d’Hélène, par envie de cèpes et de girolles. Il faut que j’appelle Catherine, tout à l’heure, pour qu’elle m’apporte quelques bocaux de cous farcis et l’irouléguy sans étiquette de son oncle. Un mail de Beñat vient de tomber : il confirme notre virée d’après-demain du côté d’Izotges, près de Riscle, pour saluer Gégé, et chiner un peu sur les marchés, car Beñat a besoin de décorer la grange qu’il a fini de retaper. Puis nous remonterons tranquillement vers l’île de Ré, juste pour les grandes marées, en faisant une halte à Bordeaux, histoire de remplir la malle de flacons. Sur la photo de l’an dernier, Pierrot et Manou, en waders, ont l’air de pingouins chez les scaphandriers, mais ils sont capables de ramasser des coques pour une équipe de rugby. Té, justement, le programme du Tournoi me tente avec Irlande-France, ou France-Galles… Mais j’aimerais mieux refaire le match Toulouse-Bayonne, avec des copains Toulousains et Bayonnais !.. Les autres pages du journal sont désespérantes : la crise mondiale grignote toujours plus de terrain et d’énergies. L’humour est en berne, la bonne humeur vagabonde, la croissance buissonnière et les profils, bas. La frilosité et le repli ne peuvent pas donner le change aux guerres et aux fléaux. Je plie le quotidien et le bazardes de dépit, dans le panier à petit bois et vieux papiers. Face au chaos, « Maisons Sud-Ouest » agira encore comme un rempart contre la déprime, un chasse-spleen inoxydable, une bouffée d’air pur, une poignée de mains. C’est une valeur sûre. ©L.M. (Edito de "Maisons Sud-Ouest" n°34, Hiver 2008/2009).

  • Manger romain

    Le repas-type du Romain (sous la Rome antique)
    Les orgies étaient l’exception qui confirmait une règle de frugalité et l’apanage d’une minorité de riches. La diététique était déjà une préoccupation.
    L’image d’Epinal nous renvoie un Romain oisif, occupé à des orgies perpétuelles, allongé, entouré de victuailles et de courtisanes. Cette image fausse nous renseigne quand même sur les menus d’exception de l’aristocratie romaine : cochonnaille, jambons, boudins, volailles, gibier, mouton, bœuf, poissons et crustacés, fruits, légumes divers. Amphores de vins, en général doux, voire sucrés et lourds.
    Le quotidien est autre dans la Rome antique. La frugalité est de rigueur, soit que la pauvreté force le Romain, soit qu’un souci de santé l’y pousse volontairement. Notons que l’ivrognerie comme la gourmandise excessive étaient condamnées. Au temps d’Apicius, gourmet célèbre sous l’Empire, la cuisine mêle fréquemment le sucré et le salé. Elle est riche en herbes, épices locales ou importées d’Orient : poivre, cumin, ail, thym, oignon, origan, persil, rue, menthe, gingembre, câpres, pignons de pin, laurier, silphium (ombellifère) et garum.
    Le garum, sorte de nuoc-mâm, est une macération au sel, d’intestins de thons et de maquereaux. Très répandu, il est l’indispensable condiment de chaque repas, notamment du soir.
    Trois repas rythment la journée du Romain. Le jentaculum, ou petit-déjeuner, est fait de pain, galette, ail, biscuits secs et sucrés. Le prandium, ou déjeuner, est rapide, souvent pris simplement avec du pain, des fruits, quelques olives. Le soir, la cena est le repas le plus important. Légumes, fruits, poissons, viandes le composent. Le pain est souvent aromatisé avec du pavot, de l’anis, du céleri. Le boulanger, pistor, apparaît dès le II ème siècle av. J .C. Le patissier, pistor dulciarius, prépare la classique placenta, à base de pâte de farine, miel, semoule et fromage.
    Le raffinement de la cuisine poussait l’inventivité à l’extrême : un ragout de langues de flamants roses, symbole du luxe, n’était préparé, par des cuisiniers privés, que dans les grandes familles romaines. Il existait des écoles de cuisine. Parmi les plats principaux, courants, il y avait la patina, ou patella, une sorte de flan à base de légumes, poissons et œufs. Les ofellae sont à base de morceaux de viandes en brochettes. Le minutal est une fricassée de poisson ou de viande avec des fruits. Le vin était consommé additionné d’eau, voire d’eau de mer, de miel, d’aromates divers, afin d’alléger son aspect sirupeux.
    L’art culinaire avait ses coquetteries : il s’agissait de transformer, de masquer, ou de rendre méconnaissable les produits d’origine. Faire passer un quartier de porc pour une volaille en le « sculptant » littéralement, donner à des tétines de truie –plat recherché, l’apparence d’un poisson… Le Romain pratiquait le gavage des coqs, et des oies dont il mangeait déjà le foie gras.
    Les femmes n’assistaient pas aux repas, habituellement. Les courtisanes accompagnaient en revanche les hommes. Mères de famille, épouses, enfants se tenaient donc à l’écart et dînaient ensemble. Les hommes prenaient volontiers leurs repas sur des lits. Le triclinium désignait trois lits à trois places, en fer à cheval autour d’une table. Neuf convives, le nombre des Muses, était un maximum. Debout, esclaves, serveurs composaient l’aréopage d’une certaine aristocratie.

    Un repas sous César
    Rapporté par Macrobe, voici un menu exceptionnel.
    Hors-d’œuvre : coquillages, fruits de mer, grives sur asperges, poules bouillies, marrons à la sauce d’huîtres et de moules. Vin doux.
    Poissons de mer, becfigues, filets de sanglier, pâtés de volaille et de gibier. Tétines de truie, têtes de porcs, ragoûts de poisson, de canard, de lièvre.Volailles rôties.
    Les desserts, sans doute variés de ce repas, sont inconnus.

    Deux Apicius
    Le premier vécut de –25 à 37. Il élaborait des recettes fort complexes. Homme raffiné, il n’hésitait pas à faire de longs et périlleux voyages pour en rapporter des denrées qu’il jugeait nécessaires à son art culinaire.
    Le second Apicius vécut au tout début de notre ère. Il s’est contenté de reprendre nombre de recettes de son illustre homonyme. Son fameux Traité de gastronomie date du Vème siècle. Il renferme un autre traité, riche d’enseignements ethnographiques sur les moeurs culinaires, et donc sur les mœurs tout court des Romains!

    © L.M., versus no light... sta serra.

  • La voix vraie de Bashung

    Alain Bashung à l'Elysée-Montmartre, hier soir. Un concert émouvant, un air de dernière tournée, une musique réglée à la perfection, et puis la gestuelle lente, bouleversante de Bashung, sa voix pure, profonde, vraie, intacte. Mais le chapeau, la peau... Beau à pleurer.

    http://www.deezer.com/track/1111764

     

  • Connaissez-vous Robert Alexis?

    Non... C'est un auteur discret, Lyonnais, publié par José Corti (rien de commun est la devise de l'éditeur de Gracq et de Bachelard). "La robe " (son premier roman), reparaît en format de poche (Points), et c'est un bijou cette robe, un bijou de moins de quatre-vingt dix pages. Austérité, rigueur militaire, libertinage, beauté italienne voluptueuse (façon Bellucci), un air de "Senso", le livre, un air de Visconti aussi -lorsqu'il adapte le texte de Camilo Boito, mais avec une économie janséniste des mots en cadeau sec. Une sorte de roman d'amour constat, mais pas froid. Et c'est la magie de ce petit bouquin : en apparence rebutant comme un réveil de chambrée de caserne, il se révèle, au fil des pages, aussi doux et érotique qu'une grasse matinée très très amoureuse. Fascinant!

  • pampatagonie

    Il est des livres, brefs et coupants, dont on ne se sépare jamais, même si notre oublieuse mémoire les néglige. Ainsi de Chaves, d'Eduardo Mallea, dont mon regard, ce matin, a surpris le dos. J'ai tiré l'ouvrage du rayon et relu certains passages annotés en première lecture. La Patagonie, le silence, l'âpreté, l'aridité des regards, des sentiments, des paysages, des traits taciturnes, des yeux brûlés à force de rester ouverts, une bouche rigide, des cheveux charbon, Chaves (pas de prénom) est un léopard nocturne sans voracité ni proies en tête, qui regarde les choses. Personne ne voit en lui un poète écorché. Il entre dans son univers de silences, s'écarte, mais sait tant écouter les autres. Surgit une femme providentielle nommée Pure. L'amour. Sauvage et beau. Naît une fille. Donc, rien que du banal... Mais dans la langue sèche de Mallea, les petits riens deviennent de l'or en pépites brutes. "Ainsi, la ferveur succédant à la crainte, s'écoulèrent sept années pendant lesquelles la vie les effleura sans s'appesantir, comme un avion frôlant le sol au décollage." Impassibilité, gravité, mutisme, autisme? Chaves, c'est la forteresse du vide. Et ça remplit; fort.

    (éd. autrement).

     

  • Le plaisir aristocratique de déplaire

    L’expression est de Dominique de Roux.

    Donc, à la fin de cette note, je me serai fait deux ennemis de plus… Me reviennent en effet une parole fraîche et un souvenir durable.

    La première : j’ai interviewé Ivan Levaï, cette semaine, qui ne s’est pas caché de son aversion pour Jean-Pierre Elkabbach, son tueur à Europe 1. « Il est né le dos courbé », me dit-il. Tour à tour giscardien, mitterrandien, chiraquien, sarkozyen (who’s next ?), toujours là tandis que Levaï s’est fait virer sans cesse : la gloire de Levaï, homme debout, sa fierté de grande gueule intègre. De Juif absolu et de libre penseur.

    Le souvenir, maintenant : je déjeunais avec Julien Gracq à « La Gabelle », en bas de chez lui à Saint-Florent, au bord de la Loire, à l’issue d’une matinée passée à parler littérature, dans son salon, et à feuilleter (quel cadeau ce fut!) les « grands papiers » somptueux des éditions originales et limitées de certains de ses livres, comme « Les Eaux étroites », « Un Balcon en forêt »... Soudain surgit François Bon avec sa famille. Il vit le Maître, se précipita stupéfait, interrompit notre conversation, notre repas. Sans un regard pour moi, il ploya son dos, fit une grotesque révérence, gestuelle et verbale. Gracq lui coupa net la parole, étendit un bras vers moi et dit, tranchant : « Je vous présente Léon Mazzella. » Soit personne, sauf son invité, ce jour-là de janvier. Le grand écrivain savait vivre (ô combien), il avait cette élégance dont beaucoup –que nous savons apprécier par ailleurs pour leur vérité (je lis Bon avec plaisir, lorsqu’il publie chez Minuit et chez Verdier)-, ne possèderont jamais…

  • en lisant, en bloguant

    Plusieurs personnes, cette semaine, m’ont affirmé tenir « Un bonheur parfait », de James Salter (Points) pour l'un de leurs romans préférés. Je l'ai commencé pour comprendre : ce bouquin vous happe avec son infinie douceur, il possède une voix de fée, en lui nous glissons comme avec Mozart, nous coulons –ou plutôt nous descendons une rivière en pirogue, sans être encore au courant de ce qui nous attend. Pour l'heure (les 70 premières pages) le plaisir est là, d'une simplicité inouïe, enviable, palpable. L'atmosphère est au rêve, mais les images du récit bien réelles. Nous sommes dans ce livre comme dans un grand lit, un dimanche matin, vers onze heures, avec notre amour enlacé, chaud, et l’avenir dessiné dans le ciel bleu par la fenêtre, en fines arabesques blanches... Donc, poursuivons.

    « Le quart », de Nikos Kavvadias (folio), roman-culte en Grèce, est un texte brut sur la vie de marin à bord d’un vieux cargo, une allégorie du désespoir et de la mélancolie. Les images sont crues, car à quai, les bars à putes sont sans poésie et à bord, la mer, intraitable. C’est du Conrad sans concessions ni enjoliveurs chromés à chaque chapitre. Ici, les ventilateurs, en tournant, torréfient le vide, par les hublots les aubes sont jaunes, et la lumière chétive, maladive, sent le phénol. Les marins ont beau se laver, ils sentent une odeur rance d’huile de poisson, de rouille et d’aqua forte… Puissant.

    Jean de Malestroit a bien connu Julien Gracq (Julien Gracq, quarante ans d'amitié 1967-2007). Voisin, viticulteur, il lui a rendu régulièrement visite à St-Florent-le-Vieil. Il nous livre le journal de ces rencontres. Ce livre, paru aux éditions Pascal Galodé (tiens ! le revoilà, celui-ci…), est un véritable document d’étude pour un thésard. Scrupuleusement consignées, les petits riens de l’existence du grand écrivain –dont on vient de disperser les biens personnels-, révèlent, au détour de certaines pages, des indices sur sa vie privée, qu’il tenait aussi secrète que le fond d'un coffre de banque helvète. Cependant, nous ne sommes pas dans les pages de « Voici », heureusement. Gracq y converse, donne son sentiment sur le monde qu’il habite et l’effraie souvent, sur la littérature surtout, ses lectures du moment, les flatteurs qui le courtisent, les classiques qui ne le déçoivent pas, et parfois, en effet, sur Nora Mitrani (la femme de sa vie ?..), sur sa sœur, l’Histoire, le temps qu’il fait… Précieux.

    Jean-Pierre Martinet, c’est noir comme du Bove et gai comme du Kafka. Mais c’est de la littérature à l’état pur. On le ressort ces jours-ci : « Jérôme » (Finitude), « Ceux qui n’en mènent pas large » (Le dilettante), « L’Ombre des forêts » (La Table ronde). Je me souviens de notre enthousiasme à le découvrir et à en parler –dans les années 1986-87-, dans les pages de « Sud-Ouest Dimanche », avec Pierre Veilletet, rédac’chef de ce journal dont j’étais le fier pigiste des pages Lettres. Martinet nous faisait l’effet des « Poulpes » de Raymond Guérin, du Journal d’Henri Calet, des nouvelles d’André de Richaud, des lettres de Joë Bousquet. J’ai repris « L’Ombre des forêts » et retrouvé cette émotion vive, dépouillée, cette écriture essentielle qui avance nue, fragilisée à l’extrême et qui se fraie quand même, incandescente mais discrète, une voie parmi les hommes… « J’ai essayé de peindre dans ce livre, disait Martinet à Alfred Eibel, des êtres au bout du rouleau, des infirmes du sentiment prisonniers de leur enfer intime, et qui, faute de pouvoir échanger des caresses, en sont réduits à échanger des coups ». Bouleversant.

    Le premier roman de Sophie Poirier, « La libraire a aimé » (Ana), est savamment construit sur une idée originale : un homme, Paul et une femme, Corinne, se retrouvent chaque jour à 19h30 à la terrasse d’un café pour parler des livres qu’ils lisent, en buvant du whisky. Peu à peu, elle devient secrètement amoureuse de Paul. Un jour, il n’est pas au rendez-vous. Elle s’aperçoit qu’elle ne sait rien de lui, même pas son adresse. L’angoisse s’installe. Elle part à sa recherche, jusqu’à New York (il m’a semblé que nous laissions Bordeaux), croise Paul Auster, interroge l’oncle de Paul –Franck, appelé Vladimir. Corinne erre mais ne désespère jamais. Je ne vous dirai évidemment pas si elle échoue à retrouver son lecteur de 19h30 ! Mais le ton, la subtilité des dialogues, une sècheresse durassienne, la sincérité qui se dégage de chacun des courts chapitres de ce petit livre, le rendent attachant comme une ficelle tressée au poignet… Prometteur.

    J’achèverai ce résumé des lectures de la semaine en épinglant une mention spéciale aux maillots de Christian Jean et Thomas Bianchin, qui publient « Ruck’n’roll » (éd. Cielstudio) : une déclaration d’amour au rugby, à l’âme de ce sport plus humain que l’humanité, plus généreux et noble qu’une anthologie de la Bible, car le rugby applique le texte, lui. Textes sensibles, photos émouvantes, se font des passes croisées qui portent toutes en elles le souci de la transmission et de la beauté du don pour rien, ou si ! du don pour que ça continue, et qu’importe le but. C’est dans une sorte de traité de savoir-vivre que ce beau-livre nous entraîne, via le sujet rugby, lequel en vaut beaucoup d’autres… Philosophique.

  • Lilith

     


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    "Parfum de Gitane" (Barzakh) in Vague, d'Anouar Brahem

    Lilith, Cœur double, de Marcel Schwob, extrait : « Alors il aima Lilith, la première femme d’Adam, qui ne fut pas créée de l’homme. Elle ne fut pas faite de terre rouge, comme Ève, mais de matière inhumaine ; elle avait été semblable au serpent, et ce fut elle qui tenta le serpent pour tenter les autres. Il lui parut qu’elle était plus vraiment femme, et la première, de sorte que la fille du Nord qu’il aima finalement dans cette vie, et qu’il épousa, il lui donna le nom de Lilith. Mais c’était un pur caprice d’artiste ; elle était semblable à ces figures préraphaélites qu’il faisait revivre sur ses toiles. Elle avait les yeux de la couleur du ciel, et sa longue chevelure blonde était lumineuse comme celle de Bérénice, qui, depuis qu’elle l’offrit aux dieux, est épandue dans le firmament. Sa voix avait le doux son des choses qui sont près de se briser ; tous ses gestes étaient tendres comme des lissements de plumes ; et si souvent elle avait l’air d’appartenir à un monde diffèrent de celui d’ici-bas qu’il la regardait comme une vision ».

  • encore

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    The man who sold the world, in Unplugged in New York, Nirvana.

     

    "Résonances. Cette chambre d'hôtel a ta voix, tes reins, tes pas et ton agacement matinal. Résidence provisoire de notre amour. Le silence qui a suivi ton départ referme sur moi son étourdissement serein. Ses traces sont des sillons d'évidence.

    La nuit souveraine déplie l'étrange jusqu'au coeur des corps, dénoue la douleur fil à fil, renoue nos regards nus, emboîte notre chance unique jusqu'au matin magicien.

    L'amour dépose ses auréoles sur les draps pour sanctifier nos nuits. En eux, je me sens chaud de toi.
    Fondre, se refondre dans ce lit défait où tes beautés dardantes laissent des traces profondes en s'élevant vers le soleil."

    ©L.M. Première page de : "Je l'aime encore", éd. Abacus, 1995.

    Peinture : © EKAT

  • cuccuruccucu


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    juste pour le plaisir de fermer les yeux et de retrouver le souvenir de cette scène, dans le film d'Almodovar, le travelling, la déco et l'emocion un poil bobo (on pardonne), ce pourquoi le son seul, comme au bon vieux temps du poste à galène, est ici offert sans le recours à l'image, cette mère maquerelle de notre mémoire, cette paresseuse qui envoûte notre bonne volonté, cette économiseuse de nos regards aigus...

  • Chasse-spleen


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    Gimme Shelter, by Patti Smith

    Il y a des chasse-spleen, comme çà, qui se lisent et ne se boivent pas, quoique la lecture... J'ai eu Cioran, longtemps, pour vitamine C. Il vivifiait la noirceur (- + - = + !). L'homéopathie agissait comme un onguent. Les Pensées de Flaubert et le Journal de Jules Renard ont ce pouvoir voisin de la douleur, de diffuser du bonheur comme du parfum à l'intérieur de soi. Ce sont des piqûres sur nos fesses d'enfant : l'appréhension, la frousse, puis l'étonnement du même-pas-mal. Enfin, le soupir de soulagement, parfois un hoquet d'émotion et des yeux enlarmés qui sourient large. Une sorte de fading...

    Great Gustave :

    "Sans cesse l'antithèse se dresse devant mes yeux. Je n'ai jamais vu un enfant sans penser qu'il deviendrait vieillard, un berceau sans songer à une tombe. La contemplation d'une femme nue me fait rêver à son squelette. C'est ce qui fait que les spectacles joyeux me rendent triste et que les spectacles tristes m'affectent peu. Je pleure trop en dedans pour verser des larmes au dehors; une lecture m'émeut plus qu'un malheur réel."

    "Quand une fois on a baisé un cadavre au front, il vous en reste toujours sur les lèvres quelque chose, une amertume infinie, un arrière-goût de néant que rien n'efface."

    "Le seul moyen de supporter l'existence, c'est de s'étourdir dans la littérature comme dans une orgie perpétuelle. Le vin de l'art cause une longue ivresse, et il est inépuisable. C'est de penser à soi qui rend malheureux."

     

  • Le gai savoir

    182. "Dans la solitude. Quand on vit seul, on ne parle pas trop haut, on n'écrit pas non plus trop haut : on craint l'écho, le vide de l'écho, la critique de la nymphe Echo. La solitude modifie toutes les voix". Nietzsche.

    Et la voix, c'est ce que nous avons de moins charnel; c'est presque l'âme.

    Ecrire l'âme. Décrire la voix, le moins que charnel; l'écho, la nymphe. La lymphe, l'éther de la voix, l'êtor, la femme de soie, cette brume matinale qui disparaît, timide, aux premières blessures du jour. Le sang noir, la nuit, l'aube à la fin. Qui résoud et recoud les âmes entre elles. Non?..

  • Foie gras, suite

    Dans une note du 6 novembre, j'annonçais la victoire d'ED L'Epicier, au banc d'essai foies gras effectué récemment. En réalité (le magazine Régal est arrivé ce matin au courrier avec le papier correspondant), c'est Dupérier* qui l'a emporté. ED est second et a eu, en prime, le coup de coeur du jury. Son rapport qualité/prix semble imbattable. Hediard est avant-dernier.

    *Foie gras de canard entier des Landes mi-cuit (IGP). 53€ / 550g.

  • Un regard chargé d'envie...

    ...est plus dangereux qu'un fusil chargé de plomb. Proverbe napolitain.


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    Antonio Vivaldi, Dixit Dominus (final) : Sicut erat in principio (Jean-Claude Malgoire, dir. et l'English Bach Festival Orchestra). Pour Alina...

     

    Et l'extrait qui suit est chargé d'érotisme comme un canon de 75 mm : jusqu'à la gueule. Comme quoi, suggérer sera toujours la cime.

    (Deux phrases-phares, avant : Ne pas tout dire mais suggérer. Philippe Jaccottet. L'imperfection est la cime. Yves Bonnefoy.)

    "A Megara on met encore des oeillets aux balcons, et les femmes portent des robes longues; c'est pour cette raison que la simple vision d'une cheville fait littéralement trembler les jeunes gens. Mais ceci arrive rarement, car elles sont prudentes et surveillées; et elles se surveillent elles-mêmes; et s'il pleut, elles préfèrent rentrer à la maison avec l'ourlet de leur robe maculé de boue que d'avoir les bas mordus par des regards chauds comme des baisers." Giuseppe Antonio Borgese, Les Belles (Gallimard).

     

  • San Pietro


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    Ciaccona, de Kapsberger (1640), in : Libro Quarto D'intavolatura Di Chitarone, par Rolf Lislevand (luth).

    Ernst Jünger écrivit une plaquette sur San Pietro, « l'Île » (Sarde) par excellence selon lui, ou il assista, notamment, à une matanza (pêche -radicale et sans issue- au thon rouge) qui le marqua à jamais. Et une pêche à l'espadon, décrite dans ce petit livre précieux.

    Il y est aussi question de l'essentiel du voyageur. Un air de Nicolas Bouvier flotte à la surface du texte magnifique de Jünger, à la manière de la peau du lait à la surface d’un bol chaud. On aime la crème ou on ne l'aime pas. Avant de livrer quelques mots de San Pietro (suivi de Serpentara, précieuse plaquette parue à La Délirante -je me souviens d'une conversation avec le poète Fouad-El-Etr, qui dirige ces éditions, à propos de Jünger, avant de lui acheter ce livre, il y a sept ans, au « Marché de la Poésie » annuel de la Place St-Sulpice, à Paris : émouvante, simple et dénuée d'atours : nul ne tentait de prouver quoi que ce soit à l'autre ; cela devient si rare!), et bien que cela n’ait aucun rapport, le vin de Sauternes, château Gilette 1955, Crème de tête, bu avec mes enfants et quelques fidèles, samedi dernier, en guise de dessert et accompagné juste de la voix de Catpower, dépassait, d’au moins trois franches coudées, tous les opéras italiens et les paysages givrés, d’aube de l’humanité, grâce à ses flaveurs de melon glacé, de confiture de pastèque, de foie gras poivré, de tarte à la rhubarbe, et aussi, oui ! de baies croquantes quoique flétries, de raisin surmûri, gavées de soleil et de brouillards matinaux. Un très grand moment…

    Donc, de Jünger, cet extrait, comme on arrache une dent à la Vénus de Milo (sans gloire, car comment pourrait-elle se défendre ?..) : « Tout voyage doit inclure le pèlerinage au sens ancien du terme. Sinon, il ne reste qu’une accumulation d’images avec lesquelles le promeneur remplit son for intérieur, comme un album avec des cartes, mais cela reste plutôt nuisible, car le moi est dispersé. N’avons-nous pas souvent l’évidence d’une médiocre chasse aux images avec ces voyageurs qui, de spectateurs en éveil, se transforment en preneurs de clichés photographiques, et traversent le monde en aveugles ?  (…) Il n’y a qu’un voyage, le voyage de la vie, et chaque déplacement dans ce monde en est un des segments. Le but de chaque journée est à l’image du but de la vie, et devrait être un pilgrim’s progress. Sinon, nous avons fait un mouvement raté, inutile, nous multiplions le nombre des rotations vaines. »
    Je comprends –tout à trac-, pourquoi Gracq fut le grand ami de Jünger. Il y a là, concentrée, l’acuité d’un regard (porté) sur le monde (in)actuel, que les deux grands écrivains partageaient.