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Voyage

  • Con te partiró

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    C'est avec des livres comme ceux-là que l'envie de fuir en Italie m'étreint. Le délicat, sensible, si bien écrit ouvrage de la talentueuse Christiane Rancé (lire ici même l'article sur : Dictionnaire amoureux des Saints), "Bella Italia. Un itinéraire amoureux" (Tallandier) est un florilège de lieux, de sensations paysagères, d'émotions gourmandes et artistiques, car l'Italie est art et ce livre un enchantement de 330 pages, qui nous conduit à Gênes, Venise, Rome, Naples, partout, où l'on croise des peintres et des cinéastes, des écrivains et des mammas généreuses et point caricaturales, ou encore des mafieux par essence caricaturaux. C'est d'une déclaration d'amour qu'il s'agit, et nous devenons au fil des pages nous-mêmes amoureux de chaque centimètre de la Botte.

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    Pour nous épauler avant de nous envoler, Ulysse publie un album très richement illustré de plus de trois cents photos splendides, "Italie. 50 itinéraires de rêve" (titre d'une collection originale chez cet éditeur) qui figure une autre façon de nous inviter à découvrir d'abord ce que nous ne connaissons pas : les Pouilles, la Calabre... Puis à redécouvrir ce que nous pensons connaître de cet inépuisable pays de la sensibilité et de l'art. Désarmement des toboggans. Vérification de la porte opposée... L.M.

  • "Les bonheurs de l'aube" dans Causeur, avec la plume de Thomas Morales

    Ce matin, j’ai vu un surfeur
    Les éditions CAIRN font reparaître « Les bonheurs de l’aube », le recueil de nouvelles de Léon Mazzella, chasseur de vagues et sensible écrivain de l’éphémère
    Il y a des livres courts, une centaine de pages, sans graisse et sans pathos, qui propagent longtemps en nous, une douce mélancolie. Un pincement au cœur qui n’est pas apitoiement sur soi, mais plutôt une forme de révélation. Enfin, nous allons nous détacher des huis-clos urbains et déracinés. Quelque chose de plus vaste, de plus vibrant, de plus charnel nous appelle et fait tressaillir les costauds affichant le quintal sur la balance. Léon Mazzella diffuse son gracile toucher de plume dans ce texte qui eut l’honneur d’être finaliste au Prix Goncourt de la Nouvelle en 2002. Mazzella est un nouvelliste épicurien, capable de sonder les minuscules bonheurs que nous offre la nature à qui veut bien les saisir. Dans un monde qui ne sait plus regarder un vol de perdrix ou s’émouvoir d’une truite fario dans les chaves d’une rivière, « Les bonheurs de l’aube », préface de Dominique Bona, ont le parfum des matins vitreux, entre chien et loup, l’inattendu à bout de fusil, les sens aux abois, la vue seulement brouillée par les volutes d’un cigare cubain. Á l’instant même où les Hommes se défont de leur carapace, se découvrent enfin et se confient dans une semi-clarté ou une semi-obscurité. Il est temps de parler. Il est temps de se libérer. Il est temps de ressentir l’inconnu. Plus tard, dans la matinée, quand le soleil va monter inexorablement, les réflexes sociaux viendront masquer les élans du cœur et trahir nos émotions les plus sincères. Á l’aube, dans la promesse d’un ciel nouveau et l’esprit encore encombré par les vociférations de la nuit, les chagrins prennent la forme d’une odyssée. Banale et mystérieuse. Mazzella, d’obédience gracquienne, porte en lui la mémoire de la terre. Il communie avec cette nature à la fois tempétueuse et irradiante, il la raconte dans sa bestialité et sa beauté tragique au plus près de ses pulsations sensuelles. Mazzella est le cardiologue des paysages, il mesure les battements de la forêt, de la mer, des lacs et des steppes. Il est son oreille et son écho. Ces nouvelles de quelques pages sont un voyage vers l’essentiel. Un retour à l’originel. Avant de le lire, nous avions oublié combien le lever du jour est propice aux illuminations et aux chevrotements, combien nous sommes faibles et perdus. Il se passe là, dans cet éphémère-là, des mouvements, des inclinations, des secrets bien gardés que seul un écrivain de talent peut voler à la dérobade. Dans la lignée du solognot Maurice Genevoix ou de sa compatriote landaise, Christine de Rivoyre, Mazzella nous parle des ours, des lacs, des étangs, des détroits, de la chasse au canard ou de la pêche à la mouche, il est tantôt dans la brousse face au roi de la jungle, retenons cette phrase : « l’aube n’existe pas en Afrique. Elle ne surgit jamais comme ailleurs », tantôt pilotin apprenti sur un cargo français à la merci des vents mauvais. Depuis longtemps, je n’avais pas lu un écrivain aussi proche de la nature, sans mièvrerie et fausseté, en mesure de restituer son indicible fracas. Avec Mazzella dans sa poche, on parcourt la planète à la recherche de cette minute fragile entre le jour et la nuit qui nous rend éminemment vivant. On tremble avec ses personnages, devant la crinière d’un lion ou dans l’attente de cette première vague à Biarritz, sur sa côte chérie. Les surfeurs amis sont au pied d’un Débarquement. L’irréparable sourd des ténèbres. Une « guerre » se prépare. La peur et l’excitation annoncent une bataille contre les éléments. Dompteront-ils cette crête qui les submerge ? « Elle est noire. Presque rien ne bouge. Une houle épaisse et lente chaloupe ses dessous. Nous l’entendons encore davantage que nous ne la voyons. La mer se réveille lentement. C’est une peau d’ours. Un ventre de lionne allongée. Elle est pleine mais elle commence à se retirer. La marée descend. Notre jeu consiste à prendre la première vague qui cassera » écrit le nouvelliste au plus près du tumulte. Comme moi, vous aurez forcément envie de lire la suite de cette chevauchée et tous les autres textes de ce surfeur de lumière(s).
    Thomas MORALES
    Les bonheurs de l’aube de Léon Mazzella – CAIRN
     

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  • À Erratzu

    J'ai longtemps fréquenté professionnellement, en tant que critique gastronomique, les-restaurants-étoilés comme on dit (et c'était pour leur attribuer des toques). Ils ne m'ont jamais fait rêver comme une auberge d'une simplicité naturelle, d'un dépouillement et d'une humilité touchants peuvent me transporter. Dimanche, une fois encore, j'ai franchi le col d'Izpegui, passées Saint-Étienne-de-Baïgorry et la Nive devant chez Arcé. En haut, j'ai pris traditionnellement un verre de Navarre (pour un euro !) en terrasse de la venta Irigoieneko, chez Peio (non sans faire quelques provisions de bouche à vil prix), dont la vue sur la vallée du Baztan est splendide, et vaut celle que nous offre le parking, côté français, soit à trente mètres de là, sur la vallée de Baïgorry (photo), puis j'ai dégouliné en voiture les lacets de la route qui conduit à Elizondo. Mais je me suis arrêté avant, à Erratzu, bourg pourvu d'un caractère architectural séduisant, où je me rendais clandestinement pendant le confinement de l'automne 2020 car, en France les restaurants étaient alors fermés, pour y déjeuner à pas d'heure (15h30), mais ici c'est possible, et j'ai d'ailleurs du patienter une demi-heure en terrasse, au soleil, peinard; à l'auberge Kastonea. La soupe de poissons, riche en palourdes, fut délicieuse, comme la morue rôtie et gambas très correcte (j'avais envie de mer, en montagne), ainsi que la tarte au fromage, pourvue de relief. Pour un billet de 20€ (prix du menu imposé), la bouteille de vin de Navarre (une pour deux) et l'eau minérale gazeuse (un peu salée, façon Vichy Catalan) compris, on y fait un déjeuner mémorable, grâce à l'environnement aussi : les milans royaux planaient bas, le soleil brillait fort, l'immense tablée voisine célébrait gentiment un faux mariage fellinien en costumes sortis de Cinecittà, et le service de cette auberge est toujours d'une gentillesse extrême. Pur bonheur. Le but de cette note est surtout de vous montrer la "carte", el menú, rédigé au stylo bille sur un petit bout de papier (le verso d'un prospectus pour une tombola). En haut à gauche, les entrées, à droite les desserts, et en bas les plats. J'adore... L.M.

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  • Latitude MER n°3, via Procida

    Sortie ce matin en librairie, dans les maisons de la presse et les bons kiosques à bons journaux (buongiorno!), du numéro trois de Latitude Mer (piloté, commandé par Olivier Frébourg, des éditions des Equateurs). Avec des textes, entre autres, de Sylvain Tesson sur la Grèce, "des miettes dans la mer", Jean-Paul Kauffmann depuis son balcon de Saint-Malo, Patrice Franceschi, capitaine littéraire de La Boudeuse, Jean Rolin, amateur de poissons exotiques et érotiques, des poèmes de l'immense Nikos Kavvadias, un récit touchant des pérégrinations de Bernard Lavilliers, de Cuba à Saigon en croisant par Zanzibar, tant d'autres belles choses écrites, dessinées, photographiées, et ma modeste contribution avec un long texte (un extrait de roman) qui court sur une dizaine de pages, consacré à l'île napolitaine de Procida, ma querencia ritale et vitale... Foncez et lisez. "La mer, une question de fond", prévient Olivier Frébourg, d'une souriante lapalissade pas si légère que cela... L.M.

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  • Flemme

    La flemme. Elle m'étreint. Je veux seulement parler de ma nouvelle flemme à évoquer, critiquer les livres que je lis ainsi que je le fais depuis plus de quarante ans (mes débuts furent aux pages livres de Sud Ouest Dimanche). J'ai juste la force, là, de citer mes derniers bonheurs de lecture, en exposant la couverture des ouvrages (il y en a vingt-sept, ci-dessous). J'en parlerai plus tard. Peut-être. Je dirai combien le nouvel inédit de Gracq, mince comme un After Eight, est dense comme une truffe melanosporum, je dirai que la seconde Beune de Michon est torride, sexuelle, mais toute en retenue, en frôlement d'une forme de tantrisme littéraire (à rapprocher de la tentative gracquienne d'exploration d'une maison découverte fortuitement, en voyeur têtu et, à la faveur d'une apparition, d'une voix, d'un pied féminin, sujet romantique à l'imaginaire hölderlinien le plus débridé). Et qu'il faut reprendre la Grande Beune, puis lire la Petite aussitôt après. Je dirai que Patricia Perello possède une prose happante, captivante, et un sacré don de récitante (au coin du feu, du côté d'Iraty - genre). Je dirai que prendre et reprendre Colette par son meilleur (Sido, Les vrilles de la vigne) comme aussi La naissance du jour, ou bien par le prisme de l'excellent Antoine Compagnon, procure un bonheur bucolique intense qui transforme chacun de nos soupirs en détente absolue, augmentée de chants de passereaux comme une guirlande de fleurs des champs dans les cheveux. Je dirai que l'ouvrage précieux de l'ami Jean-Noël Rieffel (je puis dire que je suis à l'origine de la publication de ce touchant récit d'un ornithologue chevronné amateur de poésie - notamment celle de l'immense Jaccottet, et de vins purs) fait un éloge vibrant de la migration et de ce qu'elle génère en nous, observateurs amoureux invétérés. Je dirai que l'excellent essai de Patrick Tudoret sur une philosophie certaine de la marche conçue comme une démarche littéraire autant que poétique, est un bréviaire que j'offrirai souvent; c'est sûr. Dire que mon ami Christian Authier brille une fois encore, sur un sujet qu'il possède, La Poste, avec humour, fantaisie, connaissance fine, dérision, sarcasme et nostalgie sera une mission fortement possible. Je dirai que mon ami (décidément) Emmanuel Planes m'a étonné en m'apprenant plein de choses sur une ville, la mienne (Bayonne), que je pensais connaître comme le fond de ma poche trouée. Justement... Je dirai que s'il est un seul livre (inclassable) à retenir de cette liste, et donc à lire en priorité, ce sont ces Impardonnables de l'érudite subtile Cristina Campo. Il n'est qu'à citer ses pages sur la sprezzatura, concept italien que je vous laisse le soin de découvrir, car il est si rare dans son impossible définition que je n'ose l'évoquer. Je dirai que François Cérésa nous offre un livre salutaire, puisque notre époque marquée du sceau du nivellement par le bas, manque cruellement de panache. Et que sa galerie de portraits habilement choisis renfloue notre humeur à marée basse lorsque nous observons le monde tel qu'il va médiocrement. Je dirai que Robert Desnos continue de me bouleverser chaque fois que j'ouvre n'importe lequel de ses recueils de poèmes, je dirai qu'il m'est nécessaire de frissonner au contact de ses mots tendres et dotés d'une force douce, amoureuse et candide. Je dirai que la poésie chinoise classique - davantage que l'exégèse de Le Clézio, est un viatique pour le voyageur ne sachant pas quoi caler dans la poche extérieure de son sac à dos, fut-ce pour faire un aller-retour en basse montagne dans la journée, ou bien pour partir aux antipodes. (Pour ces derniers, je conseillerai plutôt Bouvier et Thoreau, Chatwin et Hamsun, Charles Wright et André Suarès, et puis Tesson bien entendu). Je dirai que tout amateur de littérature aime l'objet livre, le tenir en mains, le humer, l'entendre flapper ses pages du bout des doigts, et affectionne donc charnellement la police des caractères - laquelle ne nous demande jamais nos papiers... Ainsi, les Miscellanées d'un bouquineur figurent-ils une déclaration d'amour au physique du livre. Je dirai que le traducteur historique de Jim Harrison, Brice Matthieussent, a eu l'idée géniale de rassembler tous les textes évoquant Chien Brun, double de Big Jim, éparpillés dans son oeuvre accomplie, en un seul et épais, et par conséquent très précieux volume. Gloire à Brice ! Je dirai que quelques académiciens ont mille fois raison de s'insurger contre la dévalorisation de la langue française, surtout à l'heure où d'aucuns écrivent franglais, ou langage sms, à une époque inquiétante où l'invective au Palais-Bourbon touche à la sémantique poissonnière, et ce fabuleux livre rouge intitulé légèrement Flânerie au pays des mots est une invite à revoir le sujet avec beaucoup de sérieux, car il y a péril en la demeure. Je dirai que Christiane Rancé, dont nous avions loué ici même le Dictionnaire amoureux des saints, est une amoureuse totale de la Botte, et qu'elle a, ancré en elle, le talent pour la dire, avec l'élégance du semeur lorsqu'il déploie son bras : Italie je t'aime. Je dirai que Colliat est un gars malin qui a eu l'idée formidable de collectionner un millier traits d'esprit sarcastiques, cyniques, claquants, tous brillants, des réparties donc, et son anthologie figure un bréviaire du tac au tac de génie. Sur la table de chevet, svp ! Je dirai que mon philosophe chouchou Michel Onfray (je suis l'un de ces rares Mohicans qui le lisent, l'aiment et le défendent) procure comme toujours une jubilation intellectuelle en nous augmentant avec son savoir et son invitation permanente à l'interrogation en forme de bousculade qui n'est jamais bourrue, mais plutôt une douce douche froide sur le cerveau. Je dirai que Bérénice Levet nous offre un essai indispensable pour monter à l'assaut du wokisme et son insondable bêtise, et que j'ai failli surligner chaque ligne de ce livre à brandir dans toute contre-manif - et à offrir à chaque dîner en ville (comme on dit). Je dirai, s'agissant de ma passion pour les oiseaux, que Légendes... apprend quantité d'histoires, comme celle du rouge-gorge, lequel doit la couleur (orangée, cependant) de sa poitrine au frôlement avec celle, ensanglantée, du Christ sur la Croix... Mais ça, Jean-Noël Rieffel l'évoque aussi. Les deux ouvrages se font écho à certaines pages, et c'est heureux. Le mince texte du grand Pierre Bergougnioux sur les oiseaux est une sorte de tendre thriller de l'enfance circonscrit en vingt pages, et je n'en dirai pas davantage sur cette nouvelle parfaite comme un oeuf. Je dirai que l'alouette mérite encore et toujours tout notre respect, notre déférence, notre admiration face à un vol stationnaire et un chant entre tous envoûtants. Un éloge lui rend joliment grâce (la mode éditoriale serait donc à l'éloge. D'ailleurs, moi-même, avec le Pays basque...). Je dirai que Pascal Quignard, avec L'amour, la mer, semble être à son paroxysme littéraire, mais comme nous nous sommes déjà fait cette réflexion avec quelques uns de ses livres précédents, nous ne savons, je ne sais plus quoi dire, écrire. Attendons les suivants, car il y en aura bientôt. Je dirai que Ramón Gómez de la Serna est définitivement un auteur majeur de chez majeur. Et que, passé le choc produit par la lecture de son monumental Automoribundia (narré ici), il n'y aurait plus qu'à savourer le plaisir de la relecture - et bien non, voici l'Aube, mini chef-d'oeuvre de plus. Je dirai que Le nageur est un bon Assouline, qui raconte avec talent le destin singulièrement tragique d'Alfred Nakache, champion olympique de natation, juif, dénoncé à la Gestapo par une crevure immonde nommée Cartonnet, son rival dans les piscines. Je dirai que À tire d'ailes est une jolie anthologie de l'oiseau dans l'art pictural, augmentée d'illustrations fidèlement imprimées, connues ou peu connues, propices à la rêverie. Je dirai... Passée la flemme, je dirai. Ou peut-être pas. Peut-être même que je bartlebyriserai mon intention première, et que j'écrirai je préfèrerais ne pas. Chi lo sa... L.M.

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  • Arrivato

    Bon, ça y est, il m'est parvenu, ainsi qu'à la presse. Il sera en librairie le 27 de ce mois (première signature officielle le 29 à Cultura/Anglet).

    Réservez-le auprès de votre libraire. On en reparle bientôt.

    (Je l'ai aussitôt relu pour me livrer à une chasse à la coquille. Je n'en ai trouvé aucune parmi ses 190 pages.  À la bonne heure).

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  • Petit éloge amoureux...

    Voici ce que mon éditeur publie ce matin sur son compte Instagram :

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  • Du rugby

    IMG_8637.jpegMarie-Luce Ribot et Antoine Tinel, qui pilotent le "mook" (magazine-book) Raffut, "Ceci est plus qu'une revue de rugby", du groupe Sud Ouest, m'ont demandé pour pour la rubrique Art et Littérature de leur n°3 qui paraît ce jour, un assez long texte sur mon rapport au rugby, que voilà (en photos). Ce fut l'occasion d'évoquer surtout mon fils lorsqu'il était rugbyman, ses grands-pères, et de raconter quelques anecdotes personnelles...

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  • Osmin & Cie, prénom Lionel

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    Je ne suis pas peu fier d'avoir rédigé les 64 pages du premier magazine du négociant hédoniste en vins du Grand Sud-Ouest Lionel Osmin (& Cie). Il paraît, il est beau, il est riche, gouleyant, friand, convivial, sympa, généreux, très très Sud-Ouest, et il est gratuit. C'est bien plus qu'un catalogue pour les nombreux vins proposés par l'enseigne paloise. C'est la première version de l'expression d'un art de vivre certain. J'ai mis mon coeur à l'écrire, si cela peut se dire. L.M.

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  • Petit éloge amoureux du Pays basque

    Capture d’écran 2023-01-13 à 12.18.18.pngIl est certes trop tôt pour évoquer cela, mais puisque les sites marchands proposent de le pré-commander, je vous montre les "prière d'insérer" de l'éditeur de mon prochain livre, trouvés ce matin sur les sites divers comme la fnac, amazon, Babelio (ce dernier donne un texte plus touchant, mais les deux sont signés de mon éditeur chez Privat, Christian Authier). Patience jusqu'au 27 avril, jour de sortie de mon (très subjectif) Petit éloge amoureux du Pays basque.

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  • Blanc, par Tesson

    Les premières pages du nouveau livre de Sylvain Tesson à paraître le 13 chez Gallimard, et intitulé sobrement "Blanc", émaillent quelques citations sur l'idée du départ, du voyage (ci-dessous), et donnent ainsi le ton, soit celui de la bougeotte. J'y ajouterai un vers célèbre de Blaise Cendrars : "Quand tu aimes il faut partir"...

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  • Le loup des Hautes-Alpes

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    Et, soudain, il apparut, dévalant au galop la pente devant moi, à 150 m environ. J’avais par chance mes jumelles en mains. Je rentrais d’une formidable randonnée avec mon fils jusqu’au col des Marsailles, 2 601 mètres. Nous avions surplombé une vallée trouée d’un lac, celui des Cordes où prospèrent truites arc-en-ciel et cristivomers, et de deux laquettes. En face, les Alpes italiennes, leur majesté, leur aridité, leur âpreté. Un paysage somptueux à 360° (photo ci-dessus : Alpes italiennes, laquette et chien de berger). Fierté de partager ce moment avec Robin. Nous retrouvâmes Charles, son troupeau de plus de 1 200 brebis, et ses six chiens, patous compris. Comme une partie des bêtes avait échappé à sa vigilance, il fallait qu’il les retrouve vite. Je laissai Robin aider Charles, et rentrai seul, car une douleur à la hanche gauche venait de me pincer.

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    Dans la descente en zig-zag sur une pente escarpée et herbeuse, je sentis une présence. Pas n’importe laquelle. Celle d’un loup. Je me retournai souvent afin de saluer mon fils qui, sur la crête, surveillait mon retour, mais je pensai à l’idée d’un loup. Ce sentiment de forte présence qui nous suit montait en puissance. J’imaginais une rencontre, une attaque même. L’imaginaire, appelé à la rescousse, enflait ma démarche prudente à coup de paragraphes romantiques. Arrivé à la cabane, je me lavais sommairement, me changeais, et savourais la saine fatigue en m’installant dehors avec mes inséparables jumelles (seconde photo ci-dessus : la pente où le loup est apparu). Vers 19h30, je vis quelque chose d’étonnant : cinq marmottes réunies comme les doigts d’une main étaient dressées dans une attitude de méfiance.

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    L’instant d’après, le loup apparaissait loin des marmottes, qui disparurent dans leurs terriers. Je ne voulais pas croire à l’idée du loup, au loup ; à la chance d’en voir un. Je me suis dit intérieurement : ni brebis, ni chien, comment un renard peut-il être si gros et déjà en pelage d’hiver ? Remarque stupide. Dans les jumelles, j’avais reconnu aussitôt la gueule large, les oreilles du loup. Il galopait dans la descente. Cela dura une bonne minute. Je savourai chaque seconde. Puis – avait-il vu bouger les chiots qui jouaient autour de moi -, il bifurqua brutalement à 90° vers ma droite et poursuivit sa course en travers. Je pus ainsi admirer sa forte silhouette, sa longue queue fournie sur une soixantaine de mètres, à une centaine de moi, à flanc de colline. Il disparut enfin à l’épaule d’une crête, derrière un rocher, là, en face... Je n’oublierai jamais ce moment du 23 août 2022 vécu à 2 300 m d’altitude au-dessus de Cervières, au pied du pic Lombard (2 975 m), au cœur du Queyras et non loin du col de l’Izoard ; dans les Hautes-Alpes.

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    C’était la deuxième fois que je voyais cet animal. La première, à la fin du mois d’août 1997 au fin fond du Kazakhstan, en pleine steppe, loin de tout, ils étaient quatre et j’en fis le récit, intitulé « Le thé aux loups » dans mon livre « Les Bonheurs de l’aube » (La Table ronde). Cette apparition du mardi 23 août à 19h30 m’est revenue en boucle toute la soirée, toute la nuit, et le lendemain je ne cessai de regarder l’endroit où le loup était apparu comme s’il allait repasser, ce qui m’attira les plaisanteries moqueuses de mes enfants, Marine nous ayant rejoints. Oui, à l’aube du mercredi 24 août, café en main, sur le seuil de la cabane, je scrutais la ligne en « L » que l’animal avait parcourue, et je le revoyais avec une infinie précision, ce loup qui continuait de dévaler la montagne devant mes yeux...

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    Lorsque j’en fis le récit à Robin et à Charles à leur retour avec le troupeau rassemblé, vers 20h30, Charles eut aussitôt cette remarque : « Il y en a qui le guettent durant des mois et ne l’aperçoivent jamais, et toi tu es là depuis deux jours et tu en vois un ! » Autrement dit : aux innocents les mains pleines. Mais je ne me sens pas innocent en la matière. (Il s'agissait sans doute du loup qui croqua l'une de ses brebis la semaine passée, une traînarde malade que le loup empiéta et ne dévora pas entièrement). Mon fils se contenta de remarquer mes yeux « plus brillants que d’habitude », et mon émotion « palpable ». L.M.

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  • Il voyagea...

    Besoin récurrent de lire ce passage...

    « Il voyagea.
    Il connut la mélancolie des paquebots, les froids réveils sous la tente, l’étourdissement des paysages et des ruines, l’amertume des sympathies interrompues.
     Il revint.

     Il fréquenta le monde, et il eut d’autres amours encore.
    Mais le souvenir continuel du premier les lui rendait insipides ; et puis la véhémence du désir, la fleur même de la sensation était perdue. Ses ambitions d’esprit également avaient diminué. Des années passèrent ; et il supportait le désœuvrement de son intelligence et l’inertie de son cœur.
     Vers la fin de mars 1867, à la nuit tombante, comme il était seul dans son cabinet, une femme entra. »

    Gustave Flaubert, L’Éducation sentimentale, Deuxième partie, (début du) chapitre VI.

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  • Seule la terre est éternelle. Jim Harrison

    Capture d’écran 2022-03-23 à 18.32.23.pngRetour d'une salle obscure où la lumière, la Lumière, vint, divine, de la voix rocailleuse de Big Jim, notre cher, si cher Jim Harrison, disparu il y aura six ans dans trois jours. Le film que lui consacrent François Busnel et Adrien Soland est une ode aux grands espaces, à la poésie, à la Nature, aux animaux, aux rivières, aux arbres, aux femmes de la trempe de Dalva, l'inoubliable héroïne de son plus puissant roman, et aussi de Linda son épouse cinquante-quatre années durant. Jim est au bout du rouleau, il titube, tousse, ahane, fume sans relâche, s'aide d'une canne, s'essuie fréquemment la paupière qui abrite un oeil de verre depuis ses dix ans, il est lui-même. Cash. Tellement naturel, à Paradise Valley, dans le Michigan, avec sa bedaine qui jaillit du tee-shirt, ses gris-gris punaisés sur le mur de sa table de travail, où il écrivit tout son œuvre au stylo noir, et jusqu'au volant ganté de cuir indien de son 4x4 qui conduisit l'équipée jusqu'à Patagonia (Arizona), où il résida parfois et où la Faucheuse le cueillit. Ce film est émouvant car il est pudique, franc du collier, sans fard, silencieux, ouvert sur des territoires traversés par un pygargue, un vautour, un chevreuil, des bisons, deux chiens de chasse appartenant à Jim Fergus, une truite hameçonnée, des forêts et des montagnes larges comme l'univers, dans un clair-obscur de circonstance. On y voit aussi les villages américains poussiéreux, leurs commerces, leurs véhicules garés, une station-service à vendre, une désolation palpable, une barmaid sexy que Jim ne peut s'empêcher d'alpaguer en lui baisant élégamment la main droite avec la dégaine de Charles Denner à la fin du film L'homme qui aimait les femmes, de Truffaut. Tout est dit, en sourdine, sur la subtilité, le tact de l'oeuvre d'un grand écrivain américain. J'ai tout lu de lui. Absolument tout, sauf ce que l'édition nous réserve sans doute encore d'inédits, de raclures bonnes à déguster, d'articles récupérés, de nouvelles inédites, de poèmes retrouvés (ce fut un immense poète de la Nature). Je regretterai éternellement cette annulation forcée Capture d’écran 2022-03-23 à 18.34.01.png(Maman était bien trop malade pour que je parte longtemps) d'un rendez-vous pris avec lui dans le Michigan afin de "tirer" son portrait sur quelques pages dans le magazine (La Chasse) que je pilotais dans les années 1995 à 2000. Je me souviens avoir déchiré avec mélancolie mon billet d'avion. Ce soir, je reprendrai Légendes d'automne et Dalva au hasard des pages, au gré du vent, en entendant le timbre craquelé - you know... - de sa voix de grizzly édenté et romantique. L.M.

     

     

     

  • Un an plus tard

    Cliquez là => LE BRUISSEMENT DU MONDE

    Léon Mazzella capture quelques fragments du monde pour en saisir toute la volatilité sensuelle.

    Par THOMAS MORALES.

    Article paru dans Causeur.


    Le choix de la première chronique littéraire de l’année s’apparente à la cueillette des champignons, dans un sous-bois, à l’automne, quand la feuille morte rythme le pas, quand l’incertitude guide la main du critique. La pluie grise les sentiments, la nature protège et isole; le critique hésite, il tâtonne, il se rétracte parfois, puis il se lance, il a enfin trouvé le livre qui correspond à son souffle intérieur, à son émotion du moment, à sa volonté de ne pas ensorceler le monde. En 2021, l’esprit ne sera ni à la querelle incestueuse, ni à la légèreté béate, plutôt à la beauté qui s’efface peu à peu, elle s’échappe, nous le sentons charnellement, et pourtant, il faut la retenir, s’incliner une dernière fois devant elle, la remercier encore et toujours. Se rappeler que sans elle, nous sommes des êtres désarticulés, surnuméraires fantômes. Cette beauté fugace n’est pas grandiloquente, elle ne bombe pas le torse, elle ne nous fait pas du gringue au coin d’une rue ou à la lecture d’un paragraphe trop étincelant; discrète, elle sait tenir ses distances.

    Mazzella caresse le désenchantement

    Elle s’apprivoise difficilement. L’écrivain Léon Mazzella, styliste des terres basques, grand spécialiste du vin, part à sa recherche dans Le Bruissement du monde aux éditions Passiflore. Il est de ces explorateurs esthètes qui ne surjouent pas la surprise ou l’émerveillement. Ce gracquien sème la chronique au vent, sans charger sa phrase d’un affect débordant, elle garde sa pureté originelle tout en susurrant son pouvoir d’abstraction. Là, réside le charme vivifiant de ce recueil buissonnier qui promène son bonheur de vivre entre fragments, souvenirs d’enfance, nostalgie du cœur, sens de la transmission et plaisir du palais. Mazzella nous touche car, avouons-le, il caresse notre vieux monde, il cajole notre désenchantement, il ouvre la volière de notre mémoire. Ne vous méprenez pas sur son dessein, il ne panthéonise pas le passé, ce n’est pas un embaumeur, plutôt un exhausteur de goût. Son toucher de plume lifte l’existence, lui donne du rebond. Nous avons les mêmes codes d’entrée, les mêmes marottes, les Renault Floride et les chevauchées landaises de Christine de Rivoyre

    Compagnon hussard

    Avec ce compagnon hussard, on se rappelle d’un texte lu à l’adolescence qui a fait chavirer notre suffisance, on se met alors à dessiner des volutes de Havane dans le ciel laiteux de la province française, à rêver aux seins obuesques de Silvana Mangano dans « Riz amer » ou à la bouche désirable de l’impénétrable Monica Vitti. À nous extraire simplement de notre quotidien par le talent des autres, voilà un résumé de ce que fut notre jeunesse. Pour nous, garçons ahuris, bouffis de caractères d’imprimerie et de cinéphilie, la réalité passe souvent par le tamis de la fiction. Mazzella est un merveilleux brouilleur de météo, il détraque toutes les horloges. Avec lui, la chronologie s’émancipe des dates. On le suit avec gourmandise dans cette belle littérature, giboyeuse et sauvage des Trente Glorieuses puis, le texte suivant, il nous ramène au présent, dans le spectacle chantant d’une bergeronnette grise ou la pesanteur ensoleillée d’un champ de maïs. Tantôt mélodiste d’antan, tantôt aquarelliste du paysage en mouvement, sa mélancolie sous-jacente n’est ancrée dans aucun port d’attache. Elle est libre, elle se moque des convenances, elle cabote sur des côtes intimes. C’est pourquoi nous prenons autant de plaisir à le lire, surtout quand il écrit: « Je suis Claude Sautet » ou qu’il fait l’éloge du stylo à plume: « Bonheur de retrouver le glissement de l’encre, sa fluidité, et le crissement sur le papier vergé ivoire, cette teinte bleu nuit qui forme les lettres, les mots qui naissent, le mouvement du poignet, le sang qui afflue sur la dernière phalange de l’index comme si nous labourions ». Mazzella sait, par instinct, qu’un bon livre ne ressemble pas à une autoroute rectiligne, il doit cahoter, ne jamais utiliser le même instrument de musique, de la variété naît l’harmonie. Mazzella ose passer de Gracq au Bricomarché, sublime impertinence et poésie de l’infiniment petit, de Calet à Anouk Aimée, de Larbaud à une libellule indisciplinée, de Gómez de la Serna au croquant du chipiron. Vive 2021 !

    Le Bruissement du monde de Léon Mazzella – éditions Passiflore.

    Le Bruissement du monde

    Price: 15,00 €

     

     
     
  • Vivement le 13 janvier

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    Je tombe à l'instant sur l'annonce de la parution de mon prochain livre en surfant sur la Toile, à la recherche d'une référence bibliographique. J'ignorais qu'il était déjà signalé, notamment sur les plateformes de vente comme FNAC, Decitre, Amazon, etc. Il en va des livres comme des maillots de bain ou des manteaux : on achète les premiers en hiver et les seconds en été, lorsqu'ils apparaissent aux vitrines. Il en va ainsi de tout, au fond, sauf des fraises des quatre saisons qui naissent sous serre. Anticiper, cela me connait. Le métier de journaliste consiste aussi à avoir un temps d'avance, ne serait-ce que pour des questions de dates de bouclage. Sauf que là, il faut attendre. On peut juste réserver, pré-acheter (directement sur le site de l'éditeur, d'ailleurs). Bien, puisque ce n'est plus un secret, voici ce qu'en dit, justement, mon éditeur => Le Bruissement du monde À présent, il me tarde de distribuer le faire-part de naissance du petit dernier... L.M.

  • MOICHEF

    Voici un tandem, un jeune couple, Mathilde et Tristan, des fous de gastronomie de grande qualité qui, ayant fondé le club MOICHEF, https://bit.ly/30FNzPU, sont devenus des chasseurs de bon goût, d'excellents produits qu'ils proposent via leur club. Leur niouzzelaiteure est déjà un régal d'humour, de pertinence, de qualité d'écriture, de bonne humeur (regardez les vidéos de Tristan), et de créativité (lisez Mathilde, elle en a sous le pied). À présent, ils effectuent un périple d'une année en minibus dans tous les coins où niche, pousse, croît, nait, prospère le meilleur qui se mange et se boit. Ils sont donc sur le terrain, à la rencontre de ceux qui font. Suivez-les, adhérez, commandez et... appelez-moi la veille d'un dîner. J'apporterai les fleurs (pas forcément comestibles). Hardi-petit ! 

    => Le Tour de France gastronomique des Hardis

    (En tant qu'ex-directeur des rédactions du magazine et des guides GaultMillau, - et même s'il s'agit là d'un club, marchand, et pas d'un média - je m'autorise à tirer mon chapeau devant cette initiative innovante, car elle dépoussière le milieu, le genre, l'approche, en lui insufflant une tonicité que la presse écrite, par exemple a(vait) perdue, et un souci fondamental - la quête du très bon -, qui justifie à lui seul une telle démarche. Et si je risque la comparaison du bout de le plume, c'est parce que, justement, MOICHEF a une façon d'aborder le monde de la gastronomie qui flirte avec les techniques de la presse, sans mélanger les genres. Cette synthèse est bluffante). L.M.

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  • C'ÉTAIT DENIS...

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    Évoquer Denis Tillinac, qui vient de nous quitter parce que son cœur sans filtre l’a lâché dans la nuit du 25 au 26 septembre au Clos de Vougeot – quelle élégance du destin -, serait ajouter ici ce que tout le monde a déjà écrit : une belle et solide « nécro » bien ficelée à la manière d’un rôti dominical. Il y serait question des mêmes choses aux mêmes paragraphes. La Corrèze contre le Zambèze, Chirac et les Hussards, la presse de droite et l’édition, le rugby et la clope, l’amitié mousquetaire et la rue de l’Odéon... Je choisis, dussé-je regretter d'ores et déjà de me mettre en avant par ricochet en évoquant ce que j’ai vécu à ses côtés, de rassembler quelques bons souvenirs qui, à mes yeux, résument à leur façon le caractère de Denis. Nous nous étions perdus de vue depuis des années, mais pas de vie. Il vient de perdre la vie. Voici mon point de vue. Que l’on me pardonne ce parti-pris impudique.

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    ... et il me lance pousse toi, je prends le volant. Je l’avais cueilli à la gare de Bordeaux Saint-Jean et nous nous rendions à la réunion annuelle des Amis de Valery Larbaud, à Vichy, association dont nous étions membres cotisants inactifs. En réalité, la raison officielle fut ainsi formulée : on va boire une coupe de champagne au Casino de Vichy, et après on verra. Le soleil brillait en baissant et le pare-soleil de la voiture tombait lentement en chuintant. Au lieu de le remonter, il l’arracha d’un geste sec. Puis lorgna le mien, et l’arracha aussi. Jeta les deux en arrière, sans regarder. Il mit le chauffage à fond, lors que la température était plutôt clémente. J’ai froid, dit-il en allumant la huitième ou sixième cigarette depuis dix minutes. Il péta. Et re-péta. Et encore et encore. J’ouvris ma fenêtre. Il hurla ferme, j’ai froid. Il péta et fuma encore tant et plus, un « fog » aux relents d’arrêt à Facture du train Bordeaux-Bayonne, ou de traversée de Lacq via Mourenx, du temps des colonnes ELF rouge et blanc et de leur fumée sentant l’œuf pourri, envahissaient l’habitacle de ma Golf noire (*). Je hurlai ma désapprobation et la liberté de mon sens olfactif. Rien à foutre. J’ai froid. Voici Denis le « caractériel ». Notre côté ours en partage nous unît très vite. J’aurais pu faire pareil, un jour de mauvaise lune. Ce qui me surprit de prime abord, fut d'entendre l'expression désuète Plait-il? lorsqu'il entendait mal un mot (au lieu d'un banal Quoi?, Hein? ou encore Pardon?). Cela tranchait tellement avec l'allure trapue et bourrue du personnage. J'ai hérité de ce tic verbal, ce qui ne manque jamais de surprendre mon entourage... Parvenus à Vichy, nous vidâmes plusieurs coupes de Brut au Casino afin de tenir parole, avant de rejoindre la bande d’écrivains présents autour de Monique Kuntz, cheville ouvrière de l'association. Je me souviens de Bernard Delvaille, Robert Mallet, Georges-Emmanuel Clancier, Louis Calaferte... On s’y ennuya vite, alors nous filèrent à l’anglaise et éclatâmes de rire sur le perron, retrouvant notre liberté de gamins faisant le mur et l'école buissonnière. Denis me confia qu’il n’aimait guère les écrivains professionnels, et qu’il préférait de loin ceux qui, comme certains Américains, avaient les mains dans le cambouis, qui sont camionneurs, agriculteurs, mécanos, et qui écrivent aussi (de merveilleux livres).

    En 1984, journaliste de 26 ans officiant à Pyrénées-Presse, à Pau (La République des Pyrénées et Éclair Pyrénées), je publie un article sur son « Spleen en Corrèze », intitulé « La mélancolie du localier », qui lui parvient via le service de presse des éditions Robert Laffont. Il m’appelle au journal, me propose un rendez-vous au Noailles, brasserie bordelaise mythique des Allées Tourny, afin de faire connaissance. Je m’y rends, la sole meunière et le vin des graves de Pessac-Léognan nous ravissent, la conversation fuse, plus ou moins aérienne, littéraire, hussarde, on rigole, il gueule, nous sifflons des gorgeons, il fume comme une caserne de pompiers, je grille un ou deux havanes, le serveur iconique, goitreux et bedonnant dont j’ai oublié le prénom nous offre des huîtres en guise de dessert, une amitié naît spontanément. Le déjeuner s’achève aux alentours de 17 h, après avoir fait le tour de nos connaissances communes, avoir dit du mal de la moitié d’entre elles, et infiniment de bien du tiers. Il faut tenir jusqu’à l’heure de l’apéro, pris dans la grotte du Castan, sur les quais de Garonne, à l’entrée du quartier Saint-Pierre. Nous tenons ferme. Puis, nous nous appelons régulièrement, nous nous revoyons, je passe une semaine à Tulle, on monte chaque matin à Auriac, où nous travaillons à mon futur premier roman, « Chasses furtives ». Dans la maison de Tulle, au-dessus de la pharmacie, il m’enferme dans la pièce où il acheva son « Mystère Simenon », me disant qu’il ne se lavait alors plus, qu’il se nourrissait à peine, et que son slip, s’il me l’avait jeté à la figure, m’aurait coupé la tête. Denis... Je me voyais comme Antoine Blondin séquestré par Roland Laudenbach dans une chambre d’hôtel, mais sans les feuillets à passer sous la porte en échange d’une bouteille de rouge... Monique, la sainte femme de Denis, pharmacienne sur la place, « femme de peu », comme il la nommait avec un respect dix-septiémiste en lisant à voix haute le Journal de Samuel Pepys, et tout en me commandant de relire Mauriac plus attentivement (il m’avait offert à Barbezieux le premier tome de ses romans en Pléiade), figurait la permanence, le pilier central, l’abnégation, le mur porteur. Une perle fine et rare.

    Il y a le Denis qui, m’attendant à son tour, plus tard, gare Saint-Jean, s’étant garé sur la voie des taxis, s’était vu conspuer par la profession. En guise de réponse, il avait sorti un cric ou une manivelle et menaçait de fracasser le crâne du premier venu. Par bonheur, je surgissais et calmais le jeu en arrondissant les angles in extremis. Une virée surréaliste s’ensuivit, qui eut pour but imbécile de trouver l’appartement genevois où vécût Lénine. Un type dont on se fichait bien. Et nous voici sur les routes conduisant à la Suisse, échouant bien évidemment à trouver le local, mais vidant des bouteilles de Fendant en savourant des filets de perche dans une auberge chaleureuse, avec feu de cheminée, du Vieux Genève, recommandée à Denis depuis une cabine téléphonique par Gilles Pudlowski. Ronds comme des queues de pelle, nous échouâmes également à retrouver le ticket de parking souterrain. Qu’à cela ne tint, je tordis la barrière métallique qui empêchait la sortie, manquant de me faire un tour de reins, et la voiture put se frayer un étroit passage au prix de généreuses rayures qui provoquèrent un immense éclat de rire à Denis. Nous ne savions alors pas, non plus, comment regagner notre hôtel. Le lendemain (puisque nous parvînmes cependant à dormir sur une couche accorte), pari fut lancé de nous rendre à l’aéroport helvète, d’abandonner l’automobile et de prendre le premier vol annoncé au départ, qu’il fut à destination de Lausanne, de Mars ou de Hong-Kong. J’avoue ne plus me souvenir pourquoi nous restâmes dans l’aérogare. Pourtant, ni Monique, ni Sophie, ma future épouse et mère de mes deux enfants, ne nous enjoignirent de regagner notre bercail en claquant dans leurs doigts délicats, ce que nous n’aurions d’ailleurs sûrement pas fait. Aucune contrainte matérielle, professionnelle ne pouvait alors nous faire renoncer à quoi que ce soit. Je ne me souviens plus, et c’est dommage. Encore que. Quelle importance ! Reste cette envie de se barrer n’importe où, pourvu qu’on ait l’ivresse du départ, qui lui chevillait, serré, le corps et l’âme. Denis, quoi. Je crois que c’est cette fois-là que nous avons pris la route de la Dombes. Pas sûr. Comment vérifier à présent. Peine perdue. Denis avait la bougeotte.

    Parfois, il y avait un coup de fil lapidaire lancé depuis Auriac. Cette fois, c’était depuis Paris. Tu fais quoi ? - Pas grand-chose, je rédige des articles à droite à gauche, pourquoi ? Viens, il y a des sacs postaux de manuscrits en souffrance rue du Bac. Je viens tout juste de reprendre La Table Ronde. Je n’y arriverai pas tout seul, enfin j’ai des femmes autour de moi, mais viens. Saute dans un train, je te raconterai, on va bosser ensemble. L’aventure LTR commença. Deux jours a minima par semaine, je laissais Bordeaux et devenais plus ou moins responsable du service des manuscrits des mythiques éditions de La Table Ronde sises encore au 40, rue du Bac. Stéphane Guibourgé me rejoignit bientôt et on se marrait bien tous les deux, mais notre présence alternait souvent, notre emploi du temps respectif étant aussi élastique qu'une paire de chaussettes fatiguées ou qu'un zlip comme on dit chez moi (Bayonne). C'est d'ailleurs Stéphane qui assista à l'accouchement douloureux des « Mémoires d'un jeune homme dérangé », premier roman de Frédéric Beigbeder. Denis, déjà happé par Jacques Chirac, la francophonie, l’Afrique bientôt, la rédaction de discours, la Corrèze qui le rappelait à la mi-semaine, Marie-Thérèse Caloni avec laquelle il s’enfermait des heures entières dans l’ancien bureau de Laudenbach pour relancer la splendide et juteuse collection étrangère Quai Voltaire, et sans aucun doute afin d’explorer au passage des chemins érotiques buissonniers (Laurence Caracalla, qui avait alors en charge le Service de Presse, ne me contredira pas et fermera ses yeux doux sur le motif), me laissait le champ tellement libre que, parfois, j’étais le comité de lecture à moi tout seul. Allo Denis ! Je tiens un truc, là, c’est très bon. Enfin un manuscrit qui sort du lot (j’en renvoyais une pelletée par jour avec des lettres-type néanmoins personnalisées). Bloque, dit-il. Mais... Il faut que tu le lises. Bloque je te dis. J’ai confiance. Je venais de me mettre en arrêt comme un setter irlandais devant une bécasse, devant celle qui devint la cinquième auteure la plus lue en France de nos jours. J’ai nommé Françoise Bourdin.  Jointe au fil, elle me dit que Actes Sud prenait aussi son roman, « Sang et or ». J’insistai. J’eus gain de cause. Nous le publiâmes. J’étais heureux. Je la rencontrai au cours de la Feria de Nîmes, contrat en poche à faire signer. Depuis, elle fait la carrière que nous savons chez Belfond. Pressé, caractériel, impatient, manquant parfois de vigilance, séduisant pour cela, et puis cette fougue, ces emportements immatériels, son urgence à filer au stade pour ne pas rater le coup d’envoi d’un match, et surtout le Capitole qui le ramenait sur ses terres viscérales, ainsi était Denis. À La Table Ronde, arrachée de son adresse historique, je le suivis rue Huysmans, puis rue Stanislas je crois, puis j’y retournais, rue Corneille, LTR déménagea si souvent. Denis avait transmis sa frousse de l'immobilité, sa nervosité, aux meubles et aux archives. Il fallait que ça bouge, que ça swingue. Denis, quoi... Et puis, à l’automne 1992, un boulot de rédacteur en chef de Pyrénées magazine me fut proposé à Toulouse au moment même – pile-poil -, où Denis me confia, au comptoir du Danton, Carrefour de l’Odéon, où nous avions nos habitudes de fin de journée, qu’il ne pourrait faire ça toute sa vie, et que d’autres taches l’attendait (la Chiraquie, l'écriture d'essais et de moins de romans), bref, qu’il fallait que je fasse office d’une sorte de directeur littéraire. Pam. Je venais donc de signer à Milan-Presse, préférant poursuivre une carrière de journaliste en province, en charge d’un massif sauvage, plutôt que celle d’un éditeur parisien confiné dans un bureau du sixième arrondissement, fut-ce celui-ci. Je crois que Denis m’en voulut un peu, voire beaucoup, de refuser un si beau cadeau...

    Olivier Frébourg honora cette charge douze années durant avec l’immense talent que nous savons et qu'il exerce aux Équateurs depuis 2003, et c’est sous sa férule, via Cécile Guérard, qui devint sa femme et la mère de leurs fils, que je publiais plus tard, suite à un envoi postal volontairement banalisé, mes « Bonheurs de l’aube », puis « Flamenca ». Denis planait dans les hautes sphères élyséennes et ne savait plus où donner de la tête, sinon dans la réédition et la publication des grands classiques du rugby. Son côté mi-Haedens, mi-Herrero. Tout lui. Denis, quoi...

    Souvenirs, souvenirs... Un soir, en sortant à pas d’heure de la rue du Bac, nous traînons rue de Verneuil et tombons dans un bistro de peu de hasard sur Françoise Blondin. Antoine, à l’extrême soir de sa vie, était déjà fin bourré et donc incapable de sortir en compagnie de sa femme (avec laquelle il passait beaucoup de temps à s'engueuler). Il devait réécrire inlassablement au stylo, de son écriture fleurie, enfantine et rondelette, sur la table de la cuisine, entouré de bouteilles vides, la première phrase du « P.C. des Maréchaux »... Nous buvons des coups. Sur coup. Et re-coup. Au bout de trois heures, Denis et moi sommes faits comme des rats, et Françoise Blondin entonne un classique « patron, remettez-nous ça ! ». À ce moment-là, Denis me glisse tu as une bagnole. Oui, dis-je. On va voir Frédéric Fajardie chez lui en Normandie. Tu es fou, Denis, il est bientôt minuit, tu sais où il habite au moins. Non, on trouvera bien, c’est dans le Pays d’Auge, c’est pas aussi grand que la Sibérie ! Putain, Denis, c’est immense, tu déconnes, là. Nous ramenons avec une titubante courtoisie Madame Blondin chez elle, et nous prenons la route avec un peu de sang dans l’alcool, mais suffisamment d’essence dans le réservoir pour nous permettre d’aviser la priorité à droite aux carrefours. L’époque n’était pas encore au téléphone portable et au GPS, et je n’avais que des cartes IGN Top 25 des Pyrénées à déplier sur le capot. J’ai déjà raconté cette virée dans « Dictionnaire chic du vin », à l’entrée Blondin, de même que ma première rencontre avec Jean-Paul Kauffmann à Auriac en 1984, peu de temps avant qu’il ne soit pris comme otage au Liban. En voici de courts extraits : Un soir de soif tardive, nous voilà partis au fin fond des routes normandes à la recherche du ranch perdu de l’auteur de « Brouillard d’automne ». Une échappée blondinienne en diable, comme nous en avions déjà vécues plusieurs. Arrivés – par la grâce de Dieu – et à une heure improbable chez Fajardie, klaxonnant à qui mieux mieux, pleins phares devant sa maison reconnaissable en raison de l’imposant GMC kaki de l’armée américaine garé dans le jardin, qui lui servait de véhicule, et tandis qu’un fusil de chasse pointait sa paire de canons juxtaposés par l’entrebâillement d’une fenêtre à l’étage, Denis sortait la tête hors de la voiture, et que les canons se relevaient, je dessaoulais tout à trac. Et repensais à Blondin. « Tout le reste est litres et ratures ». Fajardie nous avoua que deux secondes de plus, et il tirait dans le pare-brise. S’ensuivirent deux jours de liesse. Avec Kauffmann, ce fut différent. La première fois que je rencontrai Jean-Paul, ce fut à la fin de l’été 1984, chez Denis à Auriac, peu de temps avant son départ malheureux au Liban. Denis m’avait invité au pied levé à déjeuner. Magne-toi, saute dans ta bagnole. Je quittai Bordeaux, où je vivais alors, avec un retard considérable, et je forçais ma vieille Alfasud break rouge, dont la malle s’ouvrait à chaque virage, à dépasser ses capacités, comme on éperonne un canasson qui n’a plus l’âge de galoper follement. J’annonçai mon retard depuis une cabine téléphonique de fortune. Arrivé à pas d’heure (entre quinze et seize), et sitôt claquée la porte de la guimbarde en tentant de masquer ma confusion, je fus accueilli sur le seuil par un inconnu qui me chanta la chanson de Jeanne Moreau, « La peau, Léon », dans son intégralité et sans une faute, avant de me tendre une main ferme, en ajoutant Bonjour, Jean-Paul Kauffmann, à table ! L'autre main tenait une verre à pied de bordeaux qu'il m'offrit. À l’ombre, la malle ouverte de sa voiture débordait de bordelaises de belle extraction. Denis affichait un sourire large comme l’horizon. Il y avait Joëlle, Monique, un feu de cheminée (la frilosité de Denis), ils m’avaient attendu, ils étaient affamés et d’une infinie courtoisie.

    Nous fîmes d’autres virées, dans l’Allier du côté de Moulins, à la rencontre de cousins plus ou moins éloignés de Denis, notamment ce riche cultivateur qui avait explosé sa télévision le 10 mai 1981 d’un coup de fusil lorsque le profil de François Mitterrand était apparu, pixelisé, à vingt heures pétantes. Un mur portait les stigmates de cette accession au pouvoir... Du côté de Brive et jusqu’à Foix, nous allions à la rencontre de légendes du rugby local, des mastodontes rangés des crampons, reconvertis en patrons de bars ornés de maillots boueux et froissés mais encadrés sous verre, de ballons ovales maculés de signatures au marqueur, rangés entre les bouteilles de Ricard et de Suze. Des bestiaux des stades dont j’ai égaré les noms, des mecs velus et doux comme des agneaux de lait. À Tyrosse, il se sentait revivre à cause de l’histoire de ce petit « clup » (écrirait l'ami Christian Authier) de la légende ovale. Et puis Saint-Vincent (de Tyrosse) était le village de Sophie, ma femme, qui nous accueillit deux fois. Denis prenait toujours de ses nouvelles avant de me demander comment tu vas ! (Il m'engueula comme un malpropre lorsque je lui annonçai notre séparation). Lorsqu’il prenait le volant, ou plutôt lorsqu’il le battait froid avec ses mains à plat, ce qui n'était pas rassurant, il chantait à tue-tête, de sa voix éraillée, et dans un Anglais très approximatif, des chansons d’Elvis Presley qui le faisait retomber dans son songe insondable de « Rêveur d’Amérique ». Denis aimait virer de bord. Il avait le pied terrien et sans doute le mal de mer – je n’ai pas pu le vérifier, même à Anglet, un après-midi de tempête, où il me fit comprendre qu’il lui fallait regagner un bistrot hermétique. Toujours sa frilosité, ses polos Lacoste fermés parfois jusqu’en haut, son pull col ras ou bien en V par-dessus, sa veste à chevrons avec laquelle il devait parfois dormir, et ses paquets de clopes à répétition comme une incessante rafale de mitraillette qui agissait sur sa diction. Denis maugréait ses phrases à venir, puis les éructait, lorsqu’il était en pétard contre une idée, un fait, quelqu’un. Soit fréquemment. Un jour que je pilotais un hors-série pour VSD sur la Coupe du Monde de rugby 2007, je l’appelais pour lui demander de me donner un article du fond de ses tripes sur l’âme du rugby, l’âme des peuples, et surtout son âme à lui. Il me fit parvenir la veille du bouclage par coursier un cahier d’écolier inachevé, rédigé au bic vert, comme à son habitude. J’aimerais bien remettre la main sur ce cahier, ce soir.

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    La dernière fois que nous avons bavardé et partagé quelques verres, ce fut il y a cinq ans dans le VIIIarrondissement de Paris, après une émission de Frédéric Taddei sur Europe 1, à laquelle nous avions été conviés. Il venait pour un roman fraîchement paru chez Plon, moi pour le dictionnaire chic du vin. Le regard de Denis était plus tendre qu’à l’accoutumée, ce soir-là. Au Clos de Vougeot, l’année d’après, pour le salon Lire en Vignes, je ne l’ai pas vu. Étrange. Certaines mauvaises langues me susurraient qu’il délaissait un à un ses amis. Je ne pouvais l’entendre, encore moins le croire. Je me suis résigné, je ne l’ai plus appelé, je l’ai lu parfois dans « Valeurs », et comme je ne recevais plus ses livres, je les achetais sans lui dire le bonheur qu’ils me procuraient, amoindri cependant, en regard de la jubilation procurée par les premiers, ceux des années « Le Bonheur à Souillac », « L'Été anglais », « Maisons de familles », « À la santé des conquérants », « Rugby blues »...  Je viens de les retrouver, tous ceux-là, en éventrant les cartons de mon nouveau déménagement à Bayonne. C’est bien sûr au bic qu’il les a tous signés. Voilà ce que j’emporte avec moi, cette nuit. Ce sont les traces de cette encre, voilà ce que je garde – avant de reprendre l’un de ses bouquins au hasard, et puis non, ce sera « Le Dictionnaire amoureux de la France », allez ! Même s’il pêche par certaines facilités et redondances. Mais Denis était familier de certaines redites, du type « j’ai été déniaisé à l’âge de seize ans, sur une falaise du Dorset, par une Linda aux cheveux platinés, qui n’en menait pas large... ».

    Ce sera donc bouquin en mains, afin de retrouver son rire préhistorique, son regard de rapace dubitatif, ses gestes brusques d’homme délicat des cavernes de l’esprit, sa gouaille amicale, sa fidélité, son impossibilité à rester tranquille – chien fou, chiot de chasse dans une bagnole -, le Denis que j’aime, le Denis que nous aimions, le Denis qui nous manque. Déjà. Allo, tu fais quoi ?..  – J’arrive !

    Léon Mazzella

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    (*) Le fait est joliment reporté par Benoît Lasserre dans son hommage, publié dans Sud-Ouest dimanche dernier 27 septembre...

    Photo anonyme (en haut) capturée sur Facebook. Que l'auteur se manifeste et je créditerai ce document. Photo ci-dessous : © Jean-Pierre Muller/AFP. Au milieu, une photo prise (par je ne sais qui) au cours de l'émission d'Europe 1. Taddei de dos, Tilli à gauche, ma pomme à droite.

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  • Loin, derrière (ou devant, c'est boomerang pareil)

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    Et tout à trac (ne me demandez pas pourquoi puisque je l'ignore), je pense à Roger Couderc (Allez les petits, ce soir les Poules ont du pain sur la planche...), à Pierre Salviac, à Bala (Pierre Albaladejo, le Dacquois magnifique, avé le D de drop, si souvent je t'ai serré la pogne aux corridax...), à ces années Blondin, ces années Cormier, ces années Dutournier (Alain, en contra barrera), ces années de pur-sang, de rire, de gouaille, de magrets entiers, d'amitié, de transmission, de passages de ballons et de bons mots, de traits d'esprit et de pastis liquides et solides, d'absence de peur ; et de laisser-braire 24/24... Chaque soir, j'avais le sentiment de rentrer dîner chez Kléber et de demander à Caroline ce qu'elle nous avait préparé à manger, l'été finissait sous les tilleuls, oui, pourtant je rentrais a casa à Bayonne, tranquilou, et maman était encore de ce monde; et nous avions un seul mot en horreur : Adios. L.M.

  • Quatre livres sauvages

    Capture d’écran 2020-02-08 à 21.01.18.pngÇa se confirme. Dans la gueule de l'ours, de James A. McLaughlin (Rue de l'échiquier) - déjà évoqué ici, lire plus bas -, est un grand (premier) roman de nature sauvage qui sent bon les veines nouées, fluides, riches de Jim Harrison, Norman McLean, Rick Bass, James Crumley, Thomas Mc Guane... C'est puissant, rugueux, âpre, rude, fort en muscles, en alcool, en mots, en regards, en gestes, en sentiments exacerbés. La langue est somptueuse, qui abonde de descriptions tantôt lyriques tantôt sèches. Rice Moore, ce criminel en cavale devenu garde forestier au fin fond des Appalaches, ne nous quitte pas. Le cartel mexicain de la drogue à ses trousses devient anecdotique, lorsqu'il nous emporte dans son enquête sur ces ours mutilés pour en extraire la vésicule qui vaut de l'or en Chine. La mafia est là, nous la sentons partout. Mais nous ressentons davantage, pour notre bonheur, la nature brute de l'environnement aussi hostile qu'apprivoisable qui chatouille un héros peu ordinaire, au caractère trempé; inoubliable.

    Capture d’écran 2020-02-10 à 19.53.22.pngIdem pour Animal, - évoqué lui aussi il y a quelques jours -, de Sandrine Collette (Livre de poche), championne en intrigues sinueuses. Mara se fera prendre (euphémisme) par l'ours au Kamtchatka, puis elle ira à la rencontre du tigre en Asie, plus loin. Et de son enfance. La recherche de ses propres limites, la quête du sauvage en soi, la part d'animalité que nous possédons tous, que d'aucuns refoulent par commodité, mais que d'autres fouillent et s'efforcent d'extraire afin de la regarder en face comme le crâne dans la main d'Hamlet, Collette nous la pose sur la table comme on y dépose un coeur sanguinolent ou un foie frais, brut. Les territoires d'une impossible approche mais d'une certaine rencontre, à travers Lior, cette Diane chasseresse d'un outre-monde, deviennent un lieu inconnu des cartes, seulement repérable par les membres d'une communauté invisible. Celles des chamans de l'impossible. En faites-vous partie?

    Capture d’écran 2020-02-08 à 21.02.10.pngC'est un peu ce que Natassja Martin nous chuchote à voix basse, avec son magnifique récit, Croire aux fauves (Verticales), d'une beauté renversante. Ethnologue, elle faillit disparaître dans la gueule d'un ours, au Kamtchatka, elle aussi. L'animal lui fit grâce, ce qui la lia indéfiniment à lui, non sans la défigurer et lui faire endurer un temps long dans les hopîtaux russes - ce qui vaut de superbes passages sur l'univers médical, loin du confort d'une Pitié-Salpetrière... Natassja devient incarnée, habitée, intriquée, possédée. Autre. Devenue mathuka (ourse), l'auteur se métamorphose à son corps défendant en devenant mieux : miedka, marquée par l'ours. Soit moitié humaine, moitié animale. Le récit devient mystique. La quête de l'auteure mutilée sublime par ses évocations douces d'un corps à corps d'un autre temps et d'un autre monde, d'une dimension immesurable, ce que personne ne peut imaginer dans son tranquille quotidien. Ecrit dans une langue percutante et dépouillée, Croire aux fauves (*) transcende la littérature qui croit au qui-vive, au miroir dans le silence de l'autre, à la territorialité, à la puissance, à la grâce, au baiser qui ne tue pas, à la paternité, au don, à la fluidité complexe des rôles, à la fascination. À l'essence même de la chasse dans ce qu'elle a de plus sublime, philosophique, sage, essentiel.

    Capture d’écran 2020-02-08 à 21.03.04.pngDavid Malouf, avec L'infinie patience des oiseaux (Livre de Poche), offre un roman d'une fluidité envoûtante. Deux hommes se retrouvent sur le terrain de l'ornithologie, leur passion. Ils ambitionnent de créer un sanctuaire dédié aux oiseaux en Australie, où cela se déroule. Jim et Ashley sont complices d'une certaine approche de la Nature. Les descriptions des marais qu'ils arpentent et étudient sont splendides. Un personnage féminin (comme dans tout roman aux clés basiques) interfère, et Imogen, photographe, surgit. L'amour aussi, entre Jim et elle. Mais la Grande Guerre explose. Les garçons s'engagent et se retrouvent sur le Front, du côté d'Ypres, de sinistre mémoire. L'horreur est méticuleusement décrite, sans filtre, et l'insoutenable devient tolérable à la lecture, grâce aux oiseaux migrateurs - alouettes, notamment -, à un torcol aussi, décrits avec amour par deux jeunes soldats - égarés fondamentaux comme le furent tous les soldats australiens, anglais, français, allemands... -,  et trouvant la force de s'émouvoir de l'insouciance des volatiles que le vacarme des obus ne semblait pas déranger outre mesure. Magnifique. Quatre bijoux.  L.M.

    (*) Natassja Martin vient de recevoir le Prix François-Sommer, et cela me ravit, car je l'obtins en 1993 pour mon premier roman, Chasses furtives. Preuve que le jury (dont je fis partie quelques millésimes durant), veille toujours au grain viscéralement sauvage de l'écriture. 

  • Daguin

    Je suis en train de faire mariner un lièvre, les mains dans le sang, l’ail, l’échalote, l’armagnac, et dans le tannat aussi, lorsque j’apprends qu’Alexandre est passé de l’autre côté. Je ne l’appelais pas André à cause de Dumas, auquel il me faisait penser, et parce que la première fois que je lui ai tiré le portrait, c’était pour et dans Gault-Millau, et j’avais titré mon papier « Alexandre Daguin ». Ça l’avait fait bien marrer, le Cadet, le Mousquetaire. Nous nous sommes vus parfois. À Auch, à la radio pour des enregistrements des Grandes Gueules auxquels il me convia, à Paris pour des raouts de promo gastro à la con, et je regrette de n’avoir jamais partagé un seul repas avec Son Altesse André Daguin (comme client à sa table, pour une soupe de châtaignes, une brochette de chevreuil, un magret de palombe - et oui -, c'était différent  : nous étions assis, tout petit, et il était très grand, tout blanc). Une autre fois, dans quelle gazette je ne sais plus, je titrais à son sujet : « Commissaire Magret ». Fastoche, avec le recul. Chouïa décalé, dans les années 80.

    ¡ Suerte, là-haut, sacré Gascon d’altitude !

    Ci-dessous, un chapitre sur lui et son fils Arnaud, paru dans mon livre « Le Sud-Ouest vu par Léon Mazzella » (Hugo & Cie, pp.120-125) =>

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  • et en lisant

    Capture d’écran 2019-11-16 à 13.11.30.pngLa force de Franck Bouysse est comparable à celle du Jean Carrière de L'épervier de Maheux. Avec Grossir le ciel (Le Livre de Poche), l'auteur, très remarqué cette année avec un nouveau roman qu'il nous faudra lire bientôt (Né d'aucune femme), livre un roman âpre, avec de rares personnages sauvages et durs, qui vivent reclus au fin fond des Cévennes, marqués par des secrets de famille bien ou mal gardés, et qui s'occupent de vaches, de champs, du tracteur, du fusil pour chasser des grives, du chien appelé Mars pour unique réconfort. Ils s'appellent Gus, Abel, et ils ont la poésie des gosses qui voient dans un merle faisant la roue un grand tétras amoureux. Gus a la certitude absolue d'être un fruit pourri conçu dans la violence et la haine, toujours accroché sur l'arbre d'une généalogie sans nom. Il y a des meurtres, du sordide, des mystères, des traces de pas qui inquiètent, des êtres furtifs, la nuit, les petites annonces du Chasseur français que l'on feuillette sur la toile cirée devant l'âtre, en se disant je devrais peut-être essayer. La vie dure de ces solitaires par défaut ou par destinée est leur quotidien comme s'il neigeait chaque jour de l'année, et Bouysse a le talent de savoir décrire dans une langue forte, des arbres déplumés comme des arêtes de gros poissons décharnés, le sang qui frappe régulièrement contre les tempes, le vent qui s'engouffre sous les bardeaux d'une grange en glissant sur le silence comme une araignée d'eau sur une mare étale. Oui, le Jean Carrière que nous aimons, filsCapture d’écran 2019-11-16 à 19.31.52.png spirituel de Giono, se retrouve dans Bouysse. Pas dans sa pâle copie, à la lecture fort décevante de Une bête au paradis, de Cécile Coulon (L'Iconoclaste), dont on a fait grand cas au début de l'automne, et puis flop... Avec même de drôles de coïncidences : le nom d'Abel pour désigner un personnage principal, chez Coulon, mais authentique chez Bouysse, et Paradis - nom de personnage chez Bouysse, de lieu chez Coulon. Étrange... (Le livre de Bouysse est paru en 2014, et celui de Coulon à la fin de l'été 2019). Mais, passons.


    Capture d’écran 2019-11-16 à 13.14.07.pngBien sûr, nous aimons La panthère des neiges, de Sylvain Tesson (Gallimard), car nous lisons avec plaisir et fidélité cet auteur, et le succès mérité de son dernier récit n'avait pas besoin d'un Renaudot surprise, mais c'est tant mieux.

    Les jurés de l'Interallié auraient en revanche été plus inspirés, en ceignant d'un bandeau rouge réconfortant le poignant Où vont les fils?, d'Olivier Frébourg (Mercure de France), lequel narre avec une grande franchise intérieure la vie d'un homme (l'auteur lui-même) dévastée par un divorce, la disparition du nous puisque tout est soudain dénoué, un quotidien nouveau avec lequel l'homme esseulé doit improviser, composer. Les trois fils à élever, les courses au supermarché, les sorties d'école et la honte de s'y montrer amputé, les draps froids du grand lit, le bruit du vide, la maison morte quand les enfants n'y sont pas, lors que la vie jusque là était faite de voyages au long cours, de littérature, d'amour; d'insouciance. Je ne parvenais plus à lire tant mon crâne était fendu comme un billot de bois, à la hache. Une femme m'avait aimé, désaimé, quitté. La banalité avait de quoi faire rire. Par ricochet, Olivier Frébourg peste avec raison contre la soft power de notre modernité faite de nouvelles dictatures : les réseaux sociaux, le smartphone, cette hache de guerre, ou encore "la connerie de la résilience"... Le présent défait est une des sources du malheur. Mais la destruction du passé est le plus sûr voyage vers la folie. L'homme est alors écervelé. Il s'accroche à ses souvenirs comme un naufragé à son morceau de bois. Frébourg ne croit plus qu'à la vérité des paysages, et conserve le recours aux poètes : Cadou, Vigny, Valéry, Depestre... chevillé au coeur. Il y a du Claude Sautet dans ce beau livre, et Olivier Frébourg dépeint les choses de la vie en père vrai : L'enfance est un paquebot. Il faut prendre la mer malgré les tempêtes. Où vont les fils? se demandent les pères inquiets de les perdre de vue sur la ligne d'horizon.

     

    Capture d’écran 2019-11-16 à 13.12.32.pngLa découverte par Sylvain Tesson le globe-trotter, de la magie, des mystères de l'affût et des énormes plaisirs qu'il peut procurer, y compris celui de la bredouille, car elle est alors toujours chargée d'émotions intenses, donne un récit captivant. Guetter la rarissime et menacée panthère des neiges au Tibet, à 5 000 mètres d'altitude et par -30°C, hisse l'animal majestueux, princier, au rang de mythe, de Saint Graal, d'improbable inaccessible, de reine des confins. Se savoir vu sans voir qui nous a repéré depuis longtemps, le "ce qui est là et que l'on ne voit pas", figure un autre plaisir profond de chasseur photographe comme Vincent Munier, que Sylvain Tesson accompagne, ou de chasseur tout court (et nous en connaissons un rayon). Pour ces choses si précieuses de nos jours tant encombrés de futilité et de fatuité, pour la belle langue de l'auteur, pour ses références poétiques aussi, cette panthère-là devient inoubliable.

    Capture d’écran 2019-11-16 à 13.15.03.pngLe Classique des Poèmes, Shijing (folio bilingue), est un épatant recueil de poésie chinois anonyme (et c'est encore plus beau lorsque c'est anonyme, aurait déclaré Cyrano). Les Classiques désignent dans ce vaste pays continent les indispensables de la littérature que tout lettré se doit de connaître. Ils sont au nombre de cinq : Yijing (Le Classique des Changements), Shujing (Le Classique des Documents), Lijing (Le Classique des Rites), Yuejing (Le Classique des Musiques), et Shijing, qui est le plus ancien recueil de poésie chinoise, puisqu'il date de l'Antiquité. Confucius aurait paraît-il compilé ces chants amoureux d'origine populaire, de facture simple comme une chanson d'Agnès Obel, qu'ils décrivent une barque de cyprès qui ballotte au gré du courant et devient par métaphore un coeur accablé, Une belle femme décrite à la manière des contes des Mille et une nuits, Le vent d'aurore (où) pique un faucon/sur la forêt touffue du nord. Ou encore les ailes de l'éphémère, cet insecte d'une infinie délicatesse comme l'est chacun de ces poèmes. L.M.

  • Rotterdam

    J’ai quinze ans. Mon père tient à ce que je l’accompagne à Rotterdam pour l’acquisition d’un nouveau cargo de l’armement familial, le Niels Frelsen, qui deviendra le Cap Falcon. Nous prenons la route depuis Bayonne dans la DS blanche immatriculée 813 LY 64 (j’ai toujours eu la mémoire inutile des plaques d’immatriculation – je peux en réciter une douzaine -, de véhicules ayant appartenu à des proches : 426 HW 64, la 404 rouge étrange, mi bordeaux, mi grenache de Naphtali, 714 GG 64, la Ford Anglia jaune pâle de mon grand-père maternel, 278 LZ 64, la Simca 1100 bleu métallisé de Maman - et nous prononcions alors l'adjectif avec le sentiment d'être à la mode -, et sa Floride décapotable blanche : 837 GQ 64, tant d'autres - mes propres véhicules à deux et quatre roues. Je retenais aussi les numéros de téléphone, c'était plus utile). J’ai en stock des détails gravés. Au Park Hôtel, où nous séjournons quatre nuits, nous mangeons rituellement des T-bone steacks et nous buvons (moi, à peine) de la bière Amstel. Sur le port, je suis captivé par le ballet incessant de centaines d’étourneaux, dont beaucoup sont immatures, en plumage beige, et par les goélands qui agacent les colverts nageant le long des canaux. Au fond de la cale sèche, l’énorme bateau gris à coque rouge mat est posé sur de simples traverses en bois. Cela m’impressionne. Je prends des photos avec mon Phokina 35 aux allures de boîtier 24/36 soviétique. Je sens dans le regard de mon père un plaisir immense de me voir là, avec lui. Je ne pense qu’aux oiseaux. De longues années après, je m’intéresserai à la mer, aux bateaux, au métier d'armateur qu’il pratiqua. Devenu père, j’ai ressenti ce grand bonheur de partager quelque chose d’essentiel dans la vie avec l’un de mes enfants. Hier soir, quarante-cinq ans après ce voyage à Rotterdam qui marqua tant mon père, j’ai eu la chance de montrer à mes deux enfants des traces de sangliers venus boire à la mare la nuit dernière, une crotte de renard audacieusement laissée presque devant notre porte, les plumes d’une palombe qui fut empiétée par une buse, à la pointe de l’aube sans doute, et d’autres de la chouette effraie qui niche dans l’une des granges. Dans les jumelles, nous avons observé tour à tour deux, trois, puis cinq chevreuils et quelques lièvres. Enfin, nous avons trinqué avec du cidre élaboré par un presque voisin, et dîné devant la cheminée d'une quasi rituelle côte de boeuf généreusement maturée, sur la longue table de ferme en chêne qui ne me quitte pas depuis mes seize ans. L.M.

  • En relisant Tristes tropiques

    Capture d’écran 2019-10-13 à 20.20.09.pngJe relisais Tristes tropiques, de Claude Lévi-Strauss, ce week-end, afin de peaufiner un cours de huit heures que je donnerai mercredi prochain sur le thème du journalisme de voyage à mes élèves d'un Mastère de Journalisme en Art de vivre. Mon vieil exemplaire, lu en novembre 1975 (ma prof de philo de Terminale avait eu le bon goût de nous faire étudier l'ethnologie, le structuralisme, tout ça à travers l'étude magistrale, par le père de l'anthropologie structurale, des Bororo, des Caduveo, des Nambikwara et autres Tupi-Kawahib), m'est fidèle. Considérant que ce livre figure  aussi un manuel de savoir partir en (grand) reportage, je l'ai souvent repris, comme ça, pour vérifier des détails comme récemment encore, au sujet du baitemannageo, la maison des hommes où dorment les célibataires, chez les Bororo. Des trucs, quoi. Je ne m'étais encore jamais re-penché sur mes annotations en marge et au crayon vers la fin du volume, à la partie intitulée Le retour, précisément aux chapitres XXXIX, Taxila, et XL, Visite au Kyong. Quelle ne fut pas ma surprise ce matin, de lire l'étonnante clairvoyance (et intemporalité) de l'éminent anthropologue, au sujet des monothéismes, en particulier de l'Islam. Qu'on en juge (cela se retrouve page 464 et suivantes, dans l'édition originale publiée en 1955 chez Plon, dans la mythique collection Terre humaine) :

    Tout l'Islam semble être, en effet, une méthode pour développer dans l'esprit des croyants des conflits insurmontables, quitte à les sauver par la suite en leur proposant des solutions d'une très grande (mais trop grande) simplicité. D'une main on les précipite, de l'autre on les retient au bord de l'abîme. (...)

    Une franche conversation avec de jeunes musulmans enseigne deux choses : d'abord qu'ils sont obsédés par le problème de la virginité prénuptiale et de la fidélité ultérieure ; ensuite, que le purdah, c'est-à-dire la ségrégation des femmes, fait en un sens obstacle aux intrigues amoureuses, mais les favorise sur un autre plan : par l'attribution aux femmes d'un monde propre, dont elles sont seules à connaître les détours.  (...)

    Grande religion (l'Islam) qui se fonde moins sur l'évidence d'une révélation que sur l'impuissance à nouer des liens au dehors. En face de la bienveillance universelle du bouddhisme, du désir chrétien de dialogue, l'intolérance musulmane adopte une forme inconsciente chez ceux qui s'en rendent coupables ; car s'ils ne cherchent pas toujours, de façon brutale, à amener autrui à partager leur vérité, ils sont pourtant (et c'est plus grave) incapables de supporter l'existence d'autrui comme autrui. Le seul moyen pour eux de se mettre à l'abri du doute et de l'humiliation consiste dans une "néantisation" d'autrui, considéré comme témoin d'une autre foi et d'une autre conduite. (...)

    Si le bouddhisme cherche, comme l'Islam, à dominer la démesure des cultes primitifs, c'est grâce à l'apaisement unifiant que porte en elle la promesse du retour au sein maternel ; par ce biais, il réintègre l'érotisme après l'avoir libéré de la frénésie et de l'angoisse. Au contraire, l'Islam se développe selon une orientation masculine. En enfermant les femmes, il verrouille l'accès au sein maternel : du monde des femmes, l'homme a fait un monde clos. Par ce moyen, sans doute, il espère aussi gagner la quiétude ; mais il la gage sur des exclusions : celles des femmes hors de la vie sociale et celle des infidèles hors de la communauté spirituelle : tandis que le bouddhisme conçoit plutôt cette quiétude comme une fusion : avec la femme, avec l'humanité, et dans une représentation asexuée de la divinité. On  ne saurait imaginer de contraste plus marqué que celui du Sage et du Prophète. Ni l'un ni l'autre ne sont des dieux, voilà leur unique point commun. À tous autres égards ils s'opposent : l'un chaste, l'autre puissant avec ses quatre épouses ; l'un androgyne, l'autre barbu ; l'un pacifique, l'autre belliqueux ; l'un exemplaire et l'autre messianique.

    Etc. Méditons... L.M.

  • Rimbaud à cheval

    Capture d’écran 2019-07-23 à 18.22.29.pngNous avions beaucoup aimé Montaigne à cheval (Points/Seuil), du regretté Jean Lacouture, car le livre caracolait et nous montrait un Montaigne toujours en selle, avide d’en découdre avec la découverte du monde qui l’entourait, du Périgord à l’Italie. Voici Les Chevaux de Rimbaud, d’Alexandre Blaineau, un spécialiste de la littérature équestre (Actes Sud, en librairie le 4 septembre), bouquin captivant qui dévoile un Voyant méconnu, et qui n’aima rien comme chevaucher, lui aussi. Nous l’imaginions exclusivement marcheur, picoté par les blés, foulant l’herbe ardennaise menue... Il monta pourtant abondamment, dans la seconde partie de sa vie. À Chypre, et surtout dans l’Afrique orientale qu’il aima et qui l’aimât tant. Le désert Somali qu’il traverse durant vingt jours le cul sur une selle, Harar bien sûr, et durablement, où il fit commerce (et se laissa photographier une fois), l’immense plateau de Boubassa, les rives de la mer Rouge, Barr-Adjam, Aden, le Yémen entier le virent aller l’amble, trottant, galopant, (se) fuyant peut-être ; sans doute... Rimbaud l’Abyssin fut ainsi, et aussi, un homme aux chevaux de vent. Semelles dans les étriers. Par bonheur sans plomb dans la cervelle. Nous l’imaginons alors comme un second Lawrence d’Arabie, la tête enveloppée d’un chech blanc crème, les paupières poussiéreuses, la peau cuivrée, tannée, la gorge sèche comme un oued en août, le regard bleu peut-être. Qui peut me dire quelle fut la couleur des yeux d’Arthur, car j’ai égaré le 06 de Verlaine ? Le « marchand cavalier » qui désespère les mauvaises récoltes de café et menace cent fois d’acheter un cheval et de (re)foutre le camp, celui qui cherche un beau jour à faire l’acquisition de quatre baudets étalons, qui écrit à sa famille de taiseux (son frère Frédéric, alcoolo, l’était plus que les autres), le 25 février 1890, « Il faut se taire », est infiniment touchant dans sa vie orientale narrée ici avec talent et précision, comme à chaque page, vers, mot d’Une Saison en Enfer. En refermant ce livre érudit, captivant, nourri d’histoires et de recherches pointues sur un Rimbaud « exilé fictif », ayant dans le regard l’expression du « défi résigné », ses longues jambes, ses bras ballants (rien de commun avec Jack Kerouac, quoique d’aucuns soient tentés de...), ce livre citant avec plaisir Thomas Mayne Reid, le père du roman d’aventures façon western, méconnu hélas, ce livre qui nous rappelle ceux du rimbaldien absolu, shooté aux Illuminations Alain Borer (en particulier son Rimbaud en Abyssinie), il devient impossible de ne pas trouver en chaque cheval aperçu un rien, un brin rimbaldien, de ressentir autrement les mouvements de sa crinière comme ceux de son « épaule qui frissonne sans cause » dit Julien Gracq dans Liberté grande, et de voir en chaque cavalier croisé désormais un nomade, impatient comme un orage désiré, allant en avant, calme et... en zigzag vers la mer, ou n’importe quoi, voire l’éternité, té!.. L.M.

     

  • Un havane n'est pas coutume

    Capture d’écran 2019-02-16 à 09.09.08.pngLe décapiter et retrouver aussitôt le fruité fort, le Sauvage, ce sous-bois des sensations comme on le dit d’un scent de bécasse sous le flair d’un setter bien créancé et statufié tout à trac. Un côté fumier aussi, mais point entêtant ni désagréable : on ne hâte pas le pas, on le ralentirait plutôt afin d’en savourer les flaveurs mâles et primitives, et de fourrure aussi mais qui possède un certain vécu, un usé rassis pelé patiné soyeux. Montecristo Open Master. Robusto robuste. Sa dégustation à cru. La meilleure. Les narines absorbantes collées contre sa tête qui exhale, enfin libérée, tant de cèpe d'octobre, de mûre de septembre écrasée par inadvertance, de primevère de décembre foulée sous la botte et dont la semelle se souviendra tout le jour, de blouson de cuir pour la moto, de cheval en sueur, de chien dans la voiture, de sauvagine, de draps dans la cabane au bout d’une semaine de bivouac. Que voulez-vous, les habanos sont ainsi lorsqu’ils sont bien... nez. Minute, je l’allume. La suite appartient aux murmures, aux yeux fermés, aux pensées, au baroque - Jordi Savall et ses fougueuses Follias de España, à une aube ici - dans les barthes de l'Adour sans doute, un crépuscule là - à La Barbade peut-être, aux sensations furtives un peu partout, un éclair dû à un subtil trait d'esprit lancé par un ami comme une ligne pour le bar, disséminées par notre oublieuse mémoire tout à coup rassemblée, au rapport comme pour prendre son quart. Passerelle. L.M.

    Capture d’écran 2019-02-16 à 19.05.28.pngAlliances : Rhum Mount Gay XO pour boire, Le fusil de chasse, de Yasushi Inoué pour lire (à voix haute, façon gueuloir de Flaubert). Le reste pour voir. Plus clair, à n'en pas douter, sur la carte brouillée de nos sentiments dans la salle dédiée. Compas. Sextant. Étoile Polaire. E la nave va.

  • La page de Rita

    Capture d’écran 2019-02-15 à 12.42.31.pngJe pensais l'avoir signalé ici, mais non. J'eus la surprise au coeur de l'été dernier de découvrir un papier élogieux et délicieusement tardif sur l'un de mes livres paru fin 2001 et qui, finaliste du Prix Goncourt de la Nouvelle, manqua cette distinction d'un cheveu. Le voici - il est signé Rita, blogueuse littéraire - et si cela vous incite, hâtez-vous, car le bouquin est en voie d'épuisement chez l'éditeur, lequel n'envisage pas de le réimprimer ou de le reprendre en format de poche dans La Petite Vermillon =>  Les Bonheurs de l'aube

     

     

  • Plozévet

    Il est des noms de lieux, comme ça... Samarkand, Tombouctou et Zanzibar font tant rêver qu’ils exigent d’aller vérifier sur place une magie projetée. Plozévet est d’une autre nature. Ce village du Pays Bigouden, situé sur la côte bretonne, non loin de la baie d’Audierne et sur la route de Quimper, a été immortalisé par un livre formidable qui connut un immense succès dès sa parution en 1975 : « Le Cheval d’Orgueil », de Pierre Jakez-Hélias (1914-1995), accueilli dans la prestigieuse collection Terre Humaine de Plon, au sein de laquelle Jean Malaurie – son initiateur – publia notamment « Tristes Tropiques », de Claude Lévi-Strauss, entre cent autres bijoux de l’ethnologie contemporaine. Cet été là, nous dévorions depuis la plage de la Chambre d’Amour, à Anglet et à marée haute (aux heures sans vagues et donc sans surf possible), ce grand livre (voir la photo qui reproduit l'exergue du livre : cette citation du grand-père de l'auteur nous éclaire sur le titre), sans rien connaître de ce village de la Bretagne profonde exploré par un enfant du pays (*). L'été suivant (celui du baccalauréat en juin et de l'examen d'entrée à Sciences-Po en septembre), fut également riche (et appauvrissant en termes d'impôt sècheresse), qui nous pria sans peine de nous plonger en pays Cathare au temps de l’Inquisition, grâce au talent de conteur de l’historien Emmanuel Le Roy Ladurie (1929-) et de son inoubliable « Montaillou, village occitan, de 1294 à 1324 » (Gallimard, Bibliothèque des Histoires). L’époque était à ces livres de connaissance à la fois historique et ethnologique. À la faveur d’une virée il y a bien des années en Haute Ariège, nous découvrîmes Montaillou – ou ce qu’il en reste. Et la déception fut au rendez-vous, car à l’instar de l’adaptation au cinéma d’un roman qui nous a plu, vouloir voir réserve des déconvenues (**). Ainsi donc de Plozévet, hier même. Lointainement habité par la lecture (il y a 43 ans) du livre de Jakez-Hélias, je confesse une petite appréhension en IMG_20181228_184535_resized_20181228_070242539.jpgdépassant vers 17 h le panneau d’entrée du village. Celui-ci se révèle être  (avouons-le d’emblée) d’une banalité commune à nos yeux, sans relief particulier, hormis son église et une place attenante... Un Intermarché relativement dissimulé ferme le village. Il me fallait quand même y aller, voir, vérifier. Pouldreuzic (village, proche, de Jakez-Hélias – sa maison natale se visite, et siège de l’entreprise Jean Hénaff, le très célèbre pâté breton à la robe métallique bleue et jaune), le port de Penhors à proximité enfin, sont plus authentiques, car de facture plus sauvage. On y retrouve l’atmosphère celtique, quasi irlandaise de la presqu’île de Crozon, en y mettant un peu du notre. Plozévet cristallisa l’attention d’observateurs de grand renom à une certaine époque. Outre « Le Cheval d’Orgueil », il faut citer l’étude sociologique « de terrain » magistrale d’Edgar Morin, « La métamorphose de Plozévet, commune de France » (Fayard, 1967). À travers la radiographie minutieuse d’un village emblématique de tous les bouleversements d’après-guerre : disparition inexorable du monde paysan, libération des femmes, révolte de la jeunesse, entrée dans le monde contemporain et ses sirènes urbaines, la société de consommation, la civilisation des loisirs, le tourisme « kodak » bientôt de masse... Sans oublier l’hygiène domestique (l’apparition des toilettes, par exemple), le développement des routes qui désenclavent, la première « folle du logis » : la télévision qui prend place à côté de la cheminée... Morin circonscrit avec pusillanimité l’entrée dans l’univers moderne. L’étude fit grand bruit et fait encore autorité (d’un point de vue historiographique). Elle constitue le pendant du livre merveilleux de Jakez-Hélias qui narre la vie quotidienne de sa propre famille d’humbles paysans en pays Bigouden, à l’immédiate après Première Guerre mondiale. Le poids de la religion, l’importance de la langue (l’époque était à l’« interdiction de parler breton et de cracher par terre »), l’extrême précision des traditions qui ordonnent et rythment la vie à la campagne, les légendes et les us, les costumes et coiffes, typiques comme le mobilier, le développement de « l’instruction », et celui de la mécanisation du travail aux champs, le récit de l’existence simple de ces gens-là éloignent le livre d’une étude ethnographique à la facture froide pour l’apparenter davantage aux « Tristes Tropiques » de Lévi-Strauss, au moins par le ton employé, la démarche à la marge, la dimension littéraire aussi (même si Lévi-Strauss plane à plusieurs crans très au-dessus de Jakez-Hélias. Rappelons juste que les jurés Goncourt hésitèrent à le couronner, puisqu'il ne faisait pas oeuvre de fiction, comme ils durent d'ailleurs réfléchir cette année au sujet du somptueux « Lambeau » de Philippe Lançon...). Autant de raisons qui justifiaient une virée, hier, du côté de Plozévet, et qui se devait de s’achever – non sans appréhension - en poussant la porte de la Maison de la presse-Café des Sports-Loto-Librairie du village, avec l’espoir d’y apercevoir ces deux livres. Un soupir de satisfaction et de soulagement libéra immédiatement mon espérance (j’eus été peiné de ne pas tomber sur leur couverture). 

    IMG_20181227_101600_resized_20181227_114815728.jpg

    Je prenais une photo des livres (ci-contre) et regagnai Primelin le cœur léger. J’avais enfin vu Plozévet. Je remis des bûches dans la cheminée en regardant l’Océan. Une bande de goélands longeait la falaise avec nonchalance, deux merles se poursuivaient en rasant l’herbe drue. Il était temps de se remettre en cuisine. Un souvenir me revint alors curieusement en touillant les légumes dans la grande poêle : celui de la cuillère en bois sculpté, et son importance le dimanche et lors des noces (***). Les paysans du Pays Bigouden s’y rendaient avec leur propre cuillère taillée dans le buis ou le pommier. Et si un jeune homme offrait la sienne à une jeune femme, cela signifiait qu’il devenait son « prétendant » (au Pays de Galles, une coutume voisine a généré l’expression de Love spoon). Je crois me souvenir aussi que certaines tables étaient creusées et que chaque cavité ronde tenait lieu d’assiette. À vérifier lorsque je retrouverai mon exemplaire racorni. L.M.

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    (*) Nous tairons ici la polémique initiée par le grand écrivain, poète Xavier Grall (1930-1981), auteur notamment d'un livre précieux entre tous, « L'inconnu me dévore » (Equateurs, rééd. 2017 aux bons soins de Pierre Adrian, et sous la houlette d'Olivier Frébourg), avec son coup de gueule « Le Cheval couché » (Hachette, 1977), qui accusait Jakez-Hélias de donner une image passéiste, voire dégradante du paysan breton que d'aucuns jugèrent hâtivement arriéré (un qualificatif aujourd'hui désuet, et jadis péjoratif, comme le mot plouc), dès la parution du « Cheval d'Orgueil ». Grall évoquait dans son pamphlet un folklorisme fossilisant. C'est dire le degré polémique qui sévît dans (le) Landerneau... 

    (**) Je n’ai pas vu l’adaptation du « Cheval d’Orgueil » qu’en donna Claude Chabrol en 1980 (avec Jacques Dufilho dans la distribution).

    (***) Vérification à venir : le rapport (improbable) entre la cuillère bigouden et la signification de l'échec total de la cuillère de bois attribuée au grand perdant, lors du Tournoi des Six Nations... Si ce que je pressens se vérifie - soit que (naître avec) une cuillère d'argent oppose les classes sociales : argent contre bois (attribut des paysans bigouden, fort pauvres pour la plupart), la philosophie du rugby serait un brin écornée à mes yeux... Mais j'en doute.

  • Développement instantané

    Capture d’écran 2018-10-14 à 09.19.57.pngL’avantage des nouvelles d’Éric Neuhoff sur les photographies à développement  instantané que nous prenions jadis avec nos Polaroïds blancs, c’est qu’elles ne s’effaceront pas avec le temps. Ces « shorts » désenchantées mais toniques – c’est le premier recueil de nouvelles du romancier des Hanches de Laetitia - sont un cocktail sweet and sour que l’on pourrait nommer Gin Fitz’, et dont la trace en arrière-bouche campera dans nos mémoires. On y trouve la tendre désinvolture de Nimier, la candeur de Déon et un zeste de Morand pour le citrique. Sans paille mais avec des glaçons, cela donne du Neuhoff, hussard mélancolique au ton singulier, effeuillant un bouquet de femmes (pour fil d'Ariane) qui ne saurait faner, toutes armées de prénoms à cran d'arrêt et de réparties à barillet, tour à tour agaçantes, capricieuses, feux-follets, félines, inconséquentes parfois, sensuelles toujours, qu'elles soient allongées sur une plage, un lit de chambre d’hôtel, ou affalées à la place du mort dans une voiture. Ce sont de belles enfuies chimériques, par conséquent inoubliables. Au fil des dix-sept épisodes d’une série que l’on pourrait titrer « un homme fragile façon puzzle », nous suivons l’auteur de Cadaquès à Lisbonne, de Toulouse à Cannes, de la Corse à l’Irlande, de la Grèce à Madère (pour une virée avec Denis Tillinac), de Saint-Tropez à Saint-Germain-des-Près, le port d’attache, sans jamais le lâcher d’une phrase. Il y a évidemment pas mal de cinéma et beaucoup de littérature entre ces pages où traine toujours un cheveu long, et comme parfumées au timbre évanoui d’une voix limpide. Nous y croisons Jean Seberg qui n’a pas disparue, pas plus que Patrick Dewaere évoquant son pote Depardieu suicidé de longue date, et l’ours J.D. Salinger répondant à une invitation de Jackie Kennedy à se rendre à la Maison Blanche. Neuhoff a toutes les audaces. Il peut dire, à l’instar de Jacques Laurent : « Rapportant ses souvenirs, il se laisse le droit de les inventer ». La mémoire de l’auteur de Costa Brava (avec laquelle il entretient les rapports d’une balle de Jokari : un fil invisible l’y ramène sans cesse), s’accroche aussi aux amitiés jalouses de l’enfance, à ses années dolce vita, à des événements survenus au cours de l’année charnière de 1982. Avec une épuisette de délicatesse, respectant toujours les précautions d’usage, Neuhoff s’est adonné à la chasse subtile aux papillons des réminiscences dispersées. Il les a recueillis, puis consignés sur un rocher parsemé de formules qui font mouche. En bas, on entend la mer qui frappe. Et ces Polaroïds, sous lesquels un cœur se retrouve parfois en pièces détachées, ont un mécanicien aimant le réparer nonchalamment – sans jamais le serrer. L.M.

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    Éric Neuhoff, Les Polaroïds, nouvelles (Le Rocher).

  • piocs

    IMG_20180812_122457_resized_20180812_122538992.jpgCapture d’écran 2018-08-12 à 12.14.59.png

     

    IMG_20180806_105836_resized_20180812_122833640.jpgIMG_20180806_175942_1_resized_20180812_122548999.jpgIMG_20180808_202559_resized_20180809_114620048.jpgJean Rolin (*), auteur du « Traquet kurde » (POL) avoue à Pascale Nivelle, qui brosse (bien, comme d'habitude, depuis ses années Libé) son portrait pour "M/Le Monde", que sa « bible » est l’ouvrage de l’ornithologue James Bond au sujet des oiseaux des Antilles et des Bahamas (attaque et début du papier ci-dessus).

    La mienne (je me permets) est plus casanière, puisque c’est « le Peterson » comme on dit dans le milieu des barjots de piocs. : « Le Guide des oiseaux d’Europe », de R. Peterson, G. Mountfort, P. Hollom et P. Géroudet (photo).

    Mais, j’avoue que lorsque j’ai acheté le guide de James Bond sur l’île de Petit Saint-Vincent (archipel antillais des Grenadines) le 27 mars 1991 (celle de l’achat de mon premier Peterson – puisqu’il en faut également un dans la voiture, et un troisième au cas où... Quoi ? -Non, rien... date du 24 mars 1978 – j’avais dix-neuf ans et encore toutes mes dents), je n’ai pensé qu’à l’agent secret de Sa Majesté, et pas aux jumelles que ce J.B. là, à l'esprit sûrement blended, devait avoir pendues au cou à longueur de journée.

    Reste que le moineau ne piaille plus beaucoup aux terrasses parisiennes, où je me trouve pour trois jours depuis hier soir, mais qu'il prospère, joyeux, au bord de l'Adour, vers le petit port de plaisance avant La Barre, et les femelles y sont plus audacieuses que les mâles pour venir chiper à même les doigts les miettes que nous leur donnons au restaurant Le Poisson à voile...

    Je me suis néanmoins réjoui ce matin, tôt, d’apercevoir un faucon crécerelle en maraude au-dessus du Jardin des Plantes. Moins d’y observer l’arrogance grandissante de corneilles noires toujours plus nombreuses -et pour cause, comparable à celle des goélands argentés sur les plages atlantiques comme celle des Cavaliers, l'autre jour, aux abords des serviettes et au couchant, lorsque le monde s'en va (mais pas que). Car, l'évocation de ce James Bond là me donne l'occasion de dresser la liste des piocs vus ces derniers jours.

    J’y ai encore regretté le désensauvagement des étourneaux, lequel confine à celui des palombes (pigeons ramiers), grasses comme des notaires balzaciens, mais qui ne se mêleront jamais aux bisets, aussi dégénérés que bigarrés.

    J'ai enragé à la vue des cadavres de deux cigognes blanches, à Lasse (près de Saint-Jean-Pied-de-Port), sans doute flinguées par un petit (ou un gros) con avide de cartons faciles sur une espèce aussi protégée que gracile...

    Hier encore, en passant dans le Tarn-et-Garonne (du côté de Saint-Antonin-Noble-Val), puis aux abords du Quercy truffier (Lalbenque, etc), et avant-hier surtout, en montagne douce car basque (vers Iraty, et Valcarlos aussi), je savourais la vue de couples de milans noirs, de quelques royaux également, des vautours fauves se rassemblant pour une hypothétique curée sur une (désormais rare) brebis crevée - eu égard aux fulgurants progrès vétérinaires, je vis quelque perdrix - grise ! au bord de l’autoroute du retour, et rouge sur place, pas loin des Aldudes (lâcher?).

    De nombreuses buses variables, plantées sur des piquets de clôture, semblaient vouloir baliser la route de Roncevaux via le col d'Ibañeta. Sans doute digéraient-elles, repues, quelques mulots et autres rainettes, ou bien elles chassouillaient d'un oeil mi-vif et à faible hauteur.

    J’ai eu le bonheur d’observer un balbuzard pêcheur au-dessus de la Nive de Baïgorry, aperçu un seul martin-pêcheur, ai rêvé de voir un cincle plongeur - mais non, senti que les hirondelles de cheminée étaient pressées de partir, accrochées aux fils électriques d'Erratzu, en Navarre, vu de rares tourterelles des bois au vol traçant de sarcelle, en bifurquant vers Chiberta (Anglet).  

    Je ne pus (toujours pas) me résoudre à la vue devenue si banale de palombes partout, jusqu'ici, et là, lors que nous les attendions comme le Messie, que nous les espérions début octobre (du verbe espagnol esperar signifiant à la fois attendre et espérer), le coeur battant la chamade... Mais ça, c'était avant les bouleversements biologiques engendrés par le réchauffement de la planète, lequel aura la peau de toute migration, et de toute chose sensible.

    J'ai senti l’émotion de Jean Brana (une autre espèce de J.B.) lorsqu’il parlait des bouvreuils, des mésanges bleues et des chardonnerets qui fréquentent son vignoble pentu d’Irouléguy certifié HVE (Haute valeur environnementale), ou bien de ses pigeons voyageurs, qu’il s'en veut de négliger, tant le travail de la vigne l’accapare (ça débrouissaillait à tout va, avec son neveu Adrien, cette semaine).

    Les huppes fasciées semblent bien se porter. C’est bon signe. En « lisant » une rivière accorte - un affluent de l’Aveyron -, hier à l’heure du pique-nique composé de produits ibériques achetés dans une venta à taille humaine, à Dantxaria, et avant d’y plonger, je vis des ablettes. Elles figurent un marqueur écologique, comme les écrevisses vernaculaires, la sauterelle verte ordinaire, le phasme, certains papillons de nuit (mais je n'y connais rien en chasses subtiles nocturnes)... Leur présence signe une tranquillité naturelle, tant ces êtres sont fragiles et détestent à mourir la pimpante gamme des saloperies signées Monsanto (entre autres nuisances).

    Alors j’ai plongé de plaisir dans l'eau vivifiante, comme je le fis quelques jours plus tôt dans un torrent proche d'Estérençuby, après avoir copieusement déjeuné à l'auberge Carricaburu (père - ou plutôt mère : c'est elle qui officie en cuisine tandis que son époux agit, agile, en salle. J'avais somptueusement déjeuné la veille à l'Auberge d'Iparla, tenue par leur talentueux fils Stéphane, à Bidarray)...  

    Et plongeant, je criais le feu de mon bonheur d'être sur cette terre dans cette eau sous un ciel d'oiseaux. L.M.

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    (*) Nous avons aimé lire son Journal de Gand aux Aléoutiennes, sa Ligne de Front, son Vu sur la mer, sa Frontière belge, ses Zones, et même son Dinard (avec des photos de Kate Barry), à leur parution.

    Autres photos : la Nive à Saint-Étienne-de-Baïgorry. Ligne de montagnes depuis le col d'Odixar (Iraty). Le vignoble de Jean Brana depuis la terrasse de l'Arradoy (Ispoure).

     

  • Da Maria alla Corricella (Procida)

    IMG_20180714_164122_resized_20180717_120038039.jpgIMG_20180714_180931_resized_20180717_123031348-1.jpgIMG_20180716_130940_resized_20180717_123030412-1.jpgIMG_20180716_130622_resized_20180717_024455912.jpgIMG_20180713_144153_resized_20180717_024456725.jpgVirée de quatre jours sur mon île, histoire - entre autres - de découvrir un nouveau restaurant, Da Maria alla Corricella. Maria est une femme à part, à l'abord dur, à l'abordage rêche. Elle fut la seule pêcheur(se) professionnelle de Campanie durant de très longues années. C'est une taiseuse comme la plupart des Procidiens. Je suis ami avec ses fils rugueux et soyeux à la fois Cesare et Giuseppe, depuis plus de vingt ans. À la retraite depuis des lustres, et tandis qu'elle régalait chaque jour son mari amateur de havanes, sa famille, et une partie de La Repubblica libre della Corricella (appellation absolument pas controllata), dont nous sommes membres à vie et avides, pour des agapes à l'intérieur, chez elle, ou bien le plus souvent en plein air, sur de longues tables face au porticcio, ses barques, les goélands, les chats, les filets entassés... Maria prit la décision - à force d'entendre que ses linguine aux oursins étaient des oursins iodés (ramassés tôt le matin avec une fourchette et sans masque, juste là, devant à trois cents mètres et à quatre ou cinq mètres de profondeur - prends bien ta respiration avant, bijou) aux linguine parfaitement al dente, que son sugo di coniglio était à se damner, et que, que, que... Son restaurant ouvrit donc, après pas mal de tracasseries administratives. Même ici, où tout semble permis, sinon autorisé (l'autorisation y étant une tolérance auto-proclamée), c'est parfois compliqué. Ah, les sortilèges de l'insularité... Mais nous y voilà : Sur cette Corricella devenue un chapelet de terrasses de restaurants légèrement inégaux. Les voisins immédiats de Maria, Vincenzo à La Graziella et Aniello à La Gorgonia - nous avons nos vieilles habitudes aux deux gargotes -, ont les dents qui grincent. Au-delà, soit à moins de dix mètres de part et d'autre, c'est déjà autre chose : Caracalè d'un côté, Maestrale de l'autre sont loin. Alors Il Postino, Fuego, La Lampara sont à des années-lumière, soit à cinquante mètres (sous le cañar, ça joue). Disons-le tout de suite : une seule chose cloche chez Maria, c'est le bruit de l'aération. Afin de ne pas s'évanouir sous sa charlotte, au fond de ces habitations semi-troglodytiques de toute la Corricella, et quand la cuisine est forcément calée contre la roche murée, il convient d'aérer puissamment. D'où l'intempestif et persistant ronronnement. Tout le reste fonctionne. L'antipasto della casa bon pour deux personnes sauf si vous avez mon appétit, doit obligatoirement être commandé (photo) avec un pichet de blanc local (très fruité, très frais ici - car son goût change d'une adresse l'autre), et une bouteille d'eau frizzante avant de commander plus avant. Puis, examiner la pêche du jour sur assiette, car elle peut convaincre de lancer quelque dorade ou sar (marbré) alla brace pour une cuisson vive sur peau non écaillée et au gros sel. Rayon pasta, demandez celles du jour qui ne figurent pas sur la carte. Aux fruits de mer (langoustines, gambas, moules, palourdes, cigales, calmars...), elles sont divines grâce au jus, ah ce jus qui mêle tomates cerise confites, ail frais, friarielli encore croquants, et eau des crustacés réduite à la cuisson... Maria a pris soin de cajoler les recettes typiquement locales de la cuisine povera, comme ces Pasta e fagioli con le cozze, des pâtes différentes de fins de paquet aux haricots blancs et aux moules. Côté Secondi piatti, notons le Coniglio alla Procidana (lapin à la Procidaine), et la Frittura di paranza, bouquet de petits poissons de roche divers et frits, à manger avec les doigts après les avoir citronnés. Rayon contorni, prenez sans hésiter le Misto di verdure, une assiette d'aubergines, courgettes, tomates, en petits dés et olives dénoyautées, le tout réduit comme une caponata gorgée de saveurs distinctes. Avant de tâter des desserts (tiramisu et tarte au citron maison évidemment, fort recommandables). Voilà. Da Maria va faire mal, j'en suis certain. Et pour finir? Avant de finir finir, une assiette de fruits (pastèque, ananas, raisin, abricot, prune - sur glace) avec un dernier pichet de bianco locale issu de falanghina ou de biancolella rempli de quartiers de pêche jaune ou blanche mêlés (variante procidienne du rosé-piscine). Puis, Un limoncello della casa con il caffè!.. Après, il sera temps de faire un tour de bateau pour aller piquer une tête au large en écoutant à fond Tu vuò fà l'americano, 'mericano, 'mericano... L.M.

     

  • Dossier Pays basque

    Je signe les 12+2 pages (et quelques photos, dont la couv. locale) consacrées au Pays basque gourmand dans L'EXPRESS qui paraît ce matin.

    À lire notamment : une longue randonnée savoureuse et zigzagante, de l'océan (La Chambre d'Amour, à Anglet) à la montagne (Iraty, et Larrau, en Soule). Un portrait de Cédric Béchade, chef de l'Auberge basque à St-Pée-sur-Nivelle. Un autre d'Éric Ospital, charcutier-salaisonnier à Hasparren. Un autre encore de Dominic Lagadec, encyclopédiste du sagarno (le cidre basque). Et enfin une brassée d'adresses de tables et d'hôtels (tous testés), sur la Côte et à l'intérieur du Pays.

    Aux kiosques, citoyens! Et vive la presse écrite print. L.M.

     

    IMG_20180704_084203_resized_20180704_105549697.jpgIMG_20180705_110620_resized_20180705_110738979.jpgIMG_20180704_103440_resized_20180704_103625366.jpg

  • Les flacons d'abord

    Capture d’écran 2018-06-13 à 13.39.12.pngÇa commence avec un emprunt à deux incipits : ceux de « Aurélien » de Louis Aragon et du « Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline » dans la même première phrase, et ça finit par une allusion à l’excipit du « Singe en hiver » d’Antoine Blondin avec un épisode à la Roger Nimier ou à la Jean-René Huguenin. Des références en forme de révérences. On adore. Christian Authier aime le jeu et l’hommage. Avec « Des heures heureuses », son septième roman (Flammarion, 19€), il ne nous donne pas seulement à boire du bon vin à chaque page ou peu s’en faut – d’ailleurs, quand il est mauvais, cela déclenche la colère de Thomas (sa doublure) et celle de Robert Berthet son mentor. Il nous fait également rire avec une tripotée d’anecdotes (toutes vraies bien qu’invraisemblables) et jouer aux devinettes : quel écrivain ami, quel vigneron aimé, quel chef de talent se cachent derrière de vrais noms comme ceux de Maréchaux, Guégan, Lacoche, Maulin ? Alors on cherche à deviner, et Authier corse le jeu. Au rayon vignerons, Éric Callcut c’est Calcutt, Selosse c’est Selosse en substance, mais Jean-Christophe Besnard c’est Comor ! Comme Jean-Marc Filhol c’est Parisis au rayon écrivains, et Alain Laborde, Yves Camdeborde au compartiment cuisiniers. C’est relativement fastoche lorsqu’on est initié, soit un peu du club...

    Références à Blondin à coups de citations planquées, répliques-cultes des « Tontons flingueurs », d’autres allusions plus subtiles à des ouvrages de Sébastien Lapaque par exemple (Les vins de copains, Théorie de la carte postale)... L’auteur s’amuse en écrivant et cela nous procure un bien fou. De même qu’il est franchement jouissif de lire (enfin) une satire en règle des faussaires de tout poil. Qu'il s'agisse des bobos adeptes aveuglés du vin « nature » non soufré au nez de pisse de chat et au goût de vieille serpillère, comme de ceux qui les « font » sans rien faire justement, et qui ont donc du temps pour prêcher la parole sectaire de leur confrérie intégriste du goût mauvais.

    Il y a du Déon, du Nimier dans le style, et du Houellebecq dans le regard davantage mélancolique que désabusé que l’auteur porte au monde tel qu’il déçoit. Loin de surfer sur la vieille vague du c’était mieux avant, puisque « le passé qu’ils regrettaient ne datait que d’une vingtaine d’années », Authier instille par touches délicates, de manière pointilliste, ses avis sur la question contemporaine. Qu’il s’agisse de l’ère du tri sélectif, des parvenus que tout Guépard dans l'âme vilipende, de l’inculture assumée des jeunes – sans honte bue, de la dictature du portable ou – plus grave -, de la disparition du sourire. Il n’est pas tout à fait « antimoderne » non plus, mais loue à n’importe quel taux la douce fureur plutôt que la peur, de vivre.

    Le sujet principal est ce monde des vins que l’on dit vivants, ou bios pour faire court. C’est le cadre. Le contenant. Le contenu est infiniment humain, infiniment Français, si sensible, fragile même, car sous les sautes d’humeur, les boutades, les engueulades et les mornifles engendrées par la picole, les bons mots à se bidonner comme : « Patron, du vin ou on encule le chien ! », ce sont là des hommes en rupture de ban avec leur époque qui se cachent derrière le masque du sourire. Ce ne sont pas des « Enfants tristes » pour autant, mais de « vieux enfants » au cœur gros comme ça, habités par « la nostalgie de l’insouciance et de l’innocence ». Des « frères d’âmes » sachant mieux ouvrir les boutanches que fendre l’armure. « Des heures heureuses » est ainsi un roman Hussard en diable pour la joie de boire et de rire, pour les copains d’abord, cette bande de singes toujours en hiver, et il contient aussi une touche à la Drieu pour « ce désenchantement intime (qui) les rendait touchants », ce qui lui donne une belle longueur en bouche. Il y a aussi du football et pas mal de cinéma (deux marottes de l’auteur) dans ce livre qui foisonne de bonnes choses comme un assortiment de tapas nocturnes.

    Nous aimons partager les agapes toulousaines (au Tire-Bouchon notamment) et germanopratines (chez Yves Camdeborde au Comptoir du Relais, chez Michael au Moose) et fort arrosées des joyeux drilles, membres du « Clup ». Et surtout suivre les virées en voiture sur les routes des vignobles français de respect, d’un tandem de tendres fanfarons – Thomas l’élève de 26 ans au regard faussement candide, et Berthet l’agent en vins bons, la cinquantaine bougonne, voire soupe au lait. C’est Don Quichotte et Sancho Pança sans les moulins. Mais avec une Dulcinée nommée Zoé qui, surgissant tout à trac, fera flancher Thomas – et nous le comprenons en lisant le portrait de cette fée qui embarque l'amoureux pour Lisbonne, Berlin, Madrid, Istanbul et le Pays basque, histoire de l’extraire de la cave. Au point que le personnage songera à laisser tomber Berthet, les vins... Mais cet hymne à l’amitié – cheval de bataille de tous les romans d’Authier -, ne saurait dévier, sauf cas de force majeure. « Qu’est-ce qu’on boit après ? ». Je parie sur un Prieuré-Roch. On n’a pas de Romanée-Conti. L.M.

  • graBruges

    IMG_20180225_133557_resized_20180227_032801530.jpgJe fus à Bruges en fin de semaine et c'était avant-hier à peine. Je retrouvai la « Venise du Nord » enserrée dans une gangue de froid moscovite. Je revêtis moi-même des accessoires laineux d’usage polaire d'ordinaire, et que je n’utilise guère qu’à la faveur d’une approche fort hivernale de sangliers polonais ou de cerfs bulgares.

    Une obsession m’animait. Revoir les Primitifs flamands au Groeningenmuseum. Cela paraissait si raccord en un tel lieu. Revoir des toiles à l'émotion idoine. Y aller comme on s'évade d'une peinture de Brueghel pour patiner ou bien porter un renard piégé dans son dos.

    Or, j’ignorais qu’il fallut quelques années à peine pour que mes armes se rendissent à une si roide évidence : le tourisme de masse (ou la masse touristique) avait à ce point explosé, ici y compris, qu’il me submergea plus sûrement qu'une avalanche. Un magma, une soupe épaisse - que dis-je, un Cap sans bonne espérance, une Péninsule charnelle sans issue enserrèrent mon plaisir simplet de déambuler le long des canaux de cette cité entre toutes adorée pour ses charmes même - ce, jusqu’à la suffocation.

    Je fus, oui, sidéré par tant de congénères à ce point butés par l’obsession du selfie. Vous savez : cette façon si moderne de se mirer tel Narcisse dans le reflet de son minois, mais sans ostentation ni précaution d'usage, et pas dans l’eau d’un lac paisible : sur l’écran pathétique de nos solitudes numériques… Il y avait tant d'insolents selfie-sticks tendus – plusieurs manquèrent m’éborgner, au risque consolateur de ressembler tout à trac à un personnage du Jardin des Délices ou bien du Jugement dernier, de Jérôme Bosch -, que je me crus un instant piégé au cœur d’une forêt de haubans sirupeux et ne tintinnabulant point, enserré dans un fort peu plaisant port de plaisance sans aucune complaisance ni humanité. Emprisonné. Loin, très loin d'une sensation réconfortante, à la manière d'une invitation parmi les lances de La Reddition de Breda, fascinant tableau de Velazquez (visible au musée du Prado, à Madrid).

    Stupéfait par tant de marée in-humaine, je manquai m'insurger avec véhémence, mais l'esprit belge interdit subtilement, et par bonheur, un tel débordement. Au lieu de quoi je capitulai en conséquence et à ma manière. Il y avait là tant de troupeaux suivant un petit drapeau tenu à bout de bras par un guide hurlant dans un micro dûment fixé à sa mâchoire ou bien derrière son oreille. Ailleurs, quelques pétasses rose bonbon acidulé façon Hello Kitty, voyageant seules, pulvérisaient le record de selfies à la minute, sous leur bonnet pastel à pompons gesticulant, ridicule. Il y avait…

    Aucun ne regardait Bruges - je le jure. Aucun n'avait de souci architectural, ou poétique, ou bien de bienveillance pour les cygnes en couple, les corbeaux freux en maraude, ou encore pour la mousse d'un vert émeraude confondant, laissée sur le haut des parois des canaux (ce vert unique, en partage avec celui de la Jaguar Mark 2, ou bien celui de la Rover 2000 d'un identique vert anglais, roue de secours moulée sous la malle arrière, roues à rayons bien entendu pour la première). La suffocation, dis-je.

    Lorsque je la visitai il y a quelques années cette cité des eaux, elle me fut à ce point vierge de toute vulgarité qu'elle m’apparut atrocement provinciale. Une toile de Vermeer eut pu être tendue sans ménagement ni crainte sur le châssis de jours radieux et doucement caressés par un soleil poli, le long de paisibles canaux bordés de splendides bâtisses médiévales avec fenêtres à meneaux et petits carreaux de verre dépoli et coloré, précieusement entourés d’étain, que je n'en eus subi ni outrage ni surprise.

    Un bijou. Une toile de maître, c'était ça.

    Restait à gagner le Groeningen au plus vite. Vu que les frites qui nous furent servies, industrielles et décongelées (un réel choc, là), que les solettes eurent la maigreur anorexique des mannequins des années deux mille, que les croquettes aux crevettes bavèrent une lassitude crémeuse peu avenante, que les vol-au-vent nous aguichèrent sans talent aucun… Une angoisse légitime monta :

    Et si une autre forêt de selfie-sticks devait être traversée, à défaut d’avoir le droit de la scier à sa base d'un coup large de sabre, à l’entrée du musée, nous même lancé au galop de notre lourd cheval rescapé de la bataille d'Eylau... Mais non. Miracle. – Personne au guichet. Au point que le lieu sembla fermé.

    La paix simple, le soupir large, la détente méritée des muscles, le repos des nerfs enfin retrouvé, les allées propices à la réflexion sur tant d’œuvres picturales sujettes à interrogation de par leur profusion de détails, leur précision d’horloger genevois dans le trait, l’expression, le vouloir-dire, furent un bain de jouvence (ce, en dépit de travaux colossaux nous privant de la plupart des salles et donc des œuvres qu'elles recèlent…). Les Primitifs étaient partiellement là, mais bien là.

    Et je crois pouvoir écrire qu’un Jan Van Eyck me lança un clin d’œil complice que je n'osai capturer, mais retenir seulement. Entre mes mains ardentes - pleines d’ardeur à transmettre, et avides d'en découdre. Soit de partager cette détention. Ce que voilà. Puisque l’ardeur durera. Et ceci est, je crois, un bel anagramme. L.M.

  • Séville et les oiseaux

    Capture d’écran 2018-01-04 à 11.51.55.png

     

     

     

    Merveilleuse Séville qui prend le soin de réaliser un assemblage d'azulejos pour inviter - en termes choisis - les élèves du collège San Isidro à ne pas déranger les oiseaux qui vivent et nichent dans l'enceinte de celui-ci. Cela peut se lire depuis la rue, à l'entrée de l'établissement, et c'est empreint de délicatesse ferme. Le tact, et l'expression du respect fondamental. Soit l'élégance. La marque andalouse.

    De même, flâner dans les rues de cette ville splendide, c'est retrouver le chant du moineau domestique (passer domesticus) que l'on oublie, dans les grandes villes françaises où ce passereau se raréfie, mais jadis si courant que nul ne prêtait attention aux piafs. Ils sont nombreux à piailler, à venir jusqu'à vos pieds recueillir quelque miette, aux terrasses des plazas comme celle de Doña Elvira. Et entendre simplement  une conversation de moineaux (avant de les apercevoir) augmente le plaisir esthétique du voyage. L.M.

  • Le Prix In Extremis

    Capture d’écran 2017-11-15 à 16.11.51.pngIl y a des prix littéraires qui prennent le goût de l'extrême onction. La grande anthropologue Françoise Héritier, décédée ce matin, jour de ses 84 ans (*), auteur d'un délicieux et si personnel  Le sel de la vie, en marge de ses livres majeurs, avait reçu le 8, soit il y a une semaine, un prix spécial du jury Femina pour l'ensemble de son oeuvre. Aura-t-elle eu le temps d'en savourer le funeste artifice?..

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    Bravo, au passage, au talentueux Jean-Luc Coatalem, qui a décroché le Femina essai (pour lequel Héritier concourrait), avec son hommage prenant à Victor Segalen : Mes pas vont ailleurs (Stock).

    L.M.

    (*) La dernière fois que je l'ai croisée, lors d'un salon littéraire il y a un an environ, elle se déplaçait sur un fauteuil roulant et ses cervicales avaient de la peine à maintenir sa tête droite.

  • Kalach-Mont-Blanc

    Capture d’écran 2017-10-04 à 00.45.16.pngAu fin fond du Yémen, il y a quelques années. Je viens de m'emparer de la Kalachnikov de l'homme que l'on voit à droite, subjugué que j'ai osé le faire, dans ce rade où nous prenons un café à la cardamome, avec mes compagnons de voyage. Je m'apprêtais alors à allumer un cigare (Specially Selected de Ramon Allones, pour les chieurs tentés de me poser la question), lorsque me vint cette idée saugrenue. Peu après, je lui ai rendu son arme (chaque homme, là-bas, même jeune, en possède une semblable, en plus de sa jambiya, ce poignard recourbé porté au milieu de la ceinture, que l'on aperçoit à peine, ici), et lui ai offert un cigare. Nous avons fumé ensemble, plus ou moins peinards. Ca l'a détendu. Puis, nous avons mâché le qât, car il m'en offrit un sachet...

    Détail important (que j'avais d'ailleurs oublié) : j'ai fiché mon inséparable stylo à plume Mont-Blanc au bout du canon. Comme quoi, hein...

  • Le Parler pied-noir en poche

    photo 2.JPGC'est étrange, et flatteur, de se retrouver aux côtés de Nicolas Bouvier (Journal d'Aran et autres lieux), d'Anita Conti (Racleurs d'océans), d'Alexandra David-Neel (Au coeur des Himalayas), d'Ella Maillart (La Voie cruelle), ou encore Werner Herzog (Sur le chemin des glaces), dans cette collection Voyageurs de la Petite Bibliothèque Payot.

    Mon Parler pied-noir arrivera donc en librairie le 18 janvier. Il s'agit de la réédition en format de poche de mon long-seller, paru en 1989 chez Rivages et constamment réimprimé depuis. Purée!..
    J'ajoute qu'il s'agit d'une nouvelle édition revue et - considérablement - augmentée (192p. 8€)

     
     
     
     
  • Dossier Whisky dans L'Express paru ce matin

    photo 2.JPGVoici le papier principal, avec l'un des encadrés. Le reste est à découvrir en kiosque.

    Speyside 

    LE TRIANGLE D'OR DES SINGLE MALTS

    Ou : Des géants au cœur (de chauffe) tendre

    Visiter les diverses distilleries d’une région singulière démontre que la qualité d’un single malt de dépend pas forcément de la taille de la fabrique.

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    L’Ecosse aimante. Ses routes du whisky, dans le nord-est du pays, entre Aberdeen où l’on atterrit, et Inverness au nord-ouest, recèlent une concentration exceptionnelle de distilleries de renom, et d’autres modestes, donc discrètes, soit une cinquantaine environ – la moitié du nombre total des distilleries du pays. Nous sommes dans le Strathspey, à cheval entre les secteurs (Council areas) de Moray et duIMG_3438.jpg Highland. Speyside est le nom donné à l’une des grandes régions du whisky écossais*. Elle doit son nom à la rivière Spey qui la traverse, comme l’autre grande rivière du cru, la Livet, principal affluent de la Spey, avec également la Fiddich et l’Avon. Deux autres rivières, la Finshorn à l’ouest, et la Deveron à l’est, strient cette zone bénie des dieux de l’eau douce. Car, le whisky, c’est d’abord une question d’eau très pure. La région, humide, fertile, si généreusement irriguée, est propice à la production de l’orge, l’autre composante de « uisce beatha » l’eau de vie, en gaélique, qui a engendré le mot whisky. Ce triangle d’or jouit par ailleurs d’un climat tempéré, moins rude que sur les îles du nord ou du sud. Speyside est par conséquent un grand terroir entouré de montagnes, où nichent depuis des lustres de très grands noms du single malt.

    IMG_2987.jpgDouble maturation simultanée

    Grantown-on-Spey, Dufftown, Keith… Sont autant de noms de ravissantes bourgades qui résonnent dans le cœur de l’amateur de single malt du Speyside. Prenons une distillerie au hasard, parmi celles visitées, Aberlour, sise au sein du village éponyme. Elle a de quoi surprendre par le gigantisme des installations. Marque mondialement connue, la distillerie Aberlour fut fondée par James Fleming en 1879. Ici, comme chez de glorieux voisins : Glenlivet, Glenfiddich… Nous sommes au pays des géants de la distillation, là où les alambics sont énormes et nombreux, et les chais longs comme un jour sans scotch. L’obsession de l’eau pure, qui anime le whisky man, s’infiltre jusque dans l’étymologie : Obar lobhair, « la bouche du ruisseau qui murmure », en gaélique, a donné le mot Aberlour. La Lour (bavarder, en Gaélique, en référence au son d’une cascade), coule là, pas loin de la Spey. Et c’est, comme souvent, à proximité ABERLOUR 15 ANS SELECT CASK RESERVE DETOURE.pngimmédiate d’une source d’eau cristalline et d’une pureté absolue, ou du ruisseau élu qui en découle, que la distillerie a été construite. Autre caractéristique d’Aberlour, l’importance accordée au bois des fûts. Les single malt de la maison : 10, 12, 15, 16, 18IMG_3389.jpg ans, qui raflent souvent des médailles d’or ici et là, subissent une double maturation : « double cask matured », pendant au moins douze ans, à la fois en fûts de Sherry (ou de Xérès), espagnols, la plupart ayant contenu du Oloroso, et en fûts de Bourbon, soit américains et ayant contenu du bourbon. A l’inverse de beaucoup d’autres distilleries du Speyside, pratiquant un vieillissement principal, long, en fûts de Bourbon, puis une maturation plus courte en fûts de Sherry, Aberlour a très tôt opté pour la double maturation simultanée, avant de procéder à l’assemblage des distillats. La complexité des arômes des single malt du Speyside reflète ainsi, à des degrés, voire des dominantes divers, des notes de fruits confits et d’épices – signature des fûts de Sherry, et des notes de fruits frais, rouges, et des notes vanillées – signature des fûts de Bourbon. Mais, Aberlour se livre aussi, une fois n’est pas coutume, à des créations élargissant la gamme, qui font montre d’un esprit d’ouverture. Ainsi du A’bunadh (origine, en Gaélique), exclusivement vieilli en fûts de Xérès Oloroso. Il s’agit d’un « brut de fût » (Original Cask Strength) remarquable de puissance et de velouté (mangue, pomme rouge, léger fumé à l’attaque, épicé souple, notes cacaotées, pralinées, à peine tourbées, et de pain d’épices en finale). Une sorte de synthèse du Speyside. 


    IMG_3464.jpgL’obsession de l’eau pure

    L’histoire de William Grant, le fondateur de Glenfiddich en 1887, reflète bien aussi les rapports viscéraux que le distillateur entretient avec l’eau : lorsque, dans les environs de Dufftown, il découvre en 1886 Tobbie Dhu, une source d’eau très pure, William achète aussitôt le terrain qui l’entoure, au cœur de cette verdoyante et sauvage « vallée des Cerfs » (glenfiddich, en Gaélique), pour y bâtir aussitôt lui-même, pierre par pierre, sa propre distillerie, aidé de sa femme et de leurs neuf enfants –et d’un précieux maçon. Mais c’est l’œuvre de son gendre qui distingue cette marque avant-gardiste. Charles Gordon est parti voyager à travers le monde dès 1909 avec sa grande sacoche en cuir de médecin, garnie de trois bouteilles de Glenfiddich, ainsi que de nombreux carnets qu’il noircira scrupuleusement de notes variées fort intéressantes, pour faire découvrir son whisky, de Port-Saïd à Sydney, en passant par Bombay, Rangoon, Shanghai, Hong Kong, ou encore Auckland. Charles Gordon aura roulé sa bosse du commerce à travers les océans, et, ce faisant, l’homme d’un marketing embryonnaire aura fait connaître l’eau de vie écossaise dans son ensemble, en devenant aussi son premier ambassadeur. C’est d’ailleurs en hommage à ce voyage de onze mois, précurseur, de Charles, que son « doctor bag » - nous l’avons vu sur place, fatigué, tout fripé -, a été réédité l’an passé, en édition très limitée, par une jeune artisan du cuir, Edwina de Charrette (atelier « laContrie »). Glenfiddich, la marque au cerf et à la bouteille triangulaire si ergonomique, possède – c’est rare -, sa propre tonnellerie depuis bientôt 60 ans : reconditionnés et « toastés » sur place, les fûts espagnols et américains appuient la signature des single malt maison. Et, singularité totale, le single malt 15 ans est élaboré depuis 1998 selon le principe andalou de la solera, mais dans un foudre. (Après avoir vieilli en fûts américains neufs, il séjourne donc dans un foudre maison en pin de l’Oregon). Epicé, miellé, fruité (vanille, fruits rouges, pâte d’amande, cannelle, gingembre), le « Unique Solera reserve » est vite devenu l’un des best-sellers de la marque. 

    IMG_3397.jpgÉnorme mais bon

    Lorsqu’il fonde en 1824 la distillerie The Glenlivet, dans la Livet Valley, tout près de la précieuse source Josie’s Well (que l’on peut voir, dans le parc de la distillerie), George Smith est loin d’imaginer qu’il est un pionnier qui ouvre la voie des single malts, et que dans ses futurs chais, agrandis à plusieurs reprises, pas moins de 65 000 fûts font aujourd’hui maturer en permanence, les eaux de vie de la célèbre maison. Ces single malt sont les plus consommés aux USA, et ils ont beau représenter la deuxième vente de single malt au monde, « huge » (énorme) est parfois « beautiful ». La forte personnalité d’Alan Winchester, le maître distillateur maison depuis 2009, n’est pas étrangère aux récents et fulgurants succès de la marque, sur nombre de marchés exigeants. Force est de reconnaître que la complexité et la subtilité de la gamme de ces whiskys un brin oxymoriques ne peut qu’avoir rendez-vous avec le bon goût : ils allient puissance et finesse, fougue et douceur. Comme en témoigne le 18 ans, dont on peut remplir et signer soi-même une bouteille, à l’issue d’une longue visite de la distillerie, assortie d’une dégustation – le jour de notre passage en mai dernier, c’est Charles MacLean, l’un des plus grands experts en single malt du monde, et bien connu des lecteurs de L’Express **, qui y animait une master class. Cela s’appelle la proposition « hand fill » : Un must !.. (partagé avec d’autres distilleries, qui proposent le même « clou » de visite).

    Strathisla.pngSmall is beautiful

    La modeste distillerie Strathisla, à Keith, ses petits alambics coniques, c’est le charme de l’ancien. Il s’agit de la plus ancienne distillerie en activité. Bâtie en 1786 par George Taylor et Alexander Mine tout au bord la rivière Isla dont le bruit des eaux torrentueuses berce notre visite, elle est célèbre pour ses flacons millésimés, dont certains sont très vieux et hors de prix, et pour son 12 ans d’âge relativement confidentiel. Mais elle l’est avant tout pour sa production d’une gamme de blended de Chivas Regal (elle fut rachetée en 1950 par Chivas Brothers, et elle est depuis 2001 dans le grand giron du groupe Pernod-Ricard). Et comme le fameux 12 ans d’âge entre dans la composition des blends Chivas, nous retrouvons dans ce dernier ses notes de fruits secs, d’agrumes et de céréale. Cadeau ! La gamme des Strathisla Cask Strength Edition, qui titre près de 60° d’alcool, excelle quant à elle sur les desserts, avec un nez d’acajou et des notes d’abricot, de miel et d’agrumes. Nous avons pu le vérifier au cours d’un dîner spécial accords « cask strength editions » dans la « Chivas Gallery » (les chais de la distillerie), au cours du dernier Speyside Festival. 

    De taille raisonnable mais encore modeste, The Balvenie, située contre la distillerieIMG_3398.jpg de Glenfiddich, est une marque qui a le vent en poupe. La gamme maison exprime une douceur très reconnaissable, qui sculpte son succès. Le Single Barrel 25 ans d’âge, par exemple, vieilli en fûts de chêne américains de second remplissage, sélectionnés avec un infini scrupule, est un whisky très recherché, aux notes d’ananas, de vanille, de miel, d’épices poivrées et de boisé aussi, si caractéristiques de la marque synonyme de saveurs suaves et caressantes. La visite de la distillerie expose sereinement l’artisanat du travail, des greniers à orge aux aires de maltage traditionnel (unique), et il n’y a pas, jusqu’à l’échange de quelques mots avec David Stewart, le maître de chai - un vrai sage du Speyside -, pour nous conforter dans l’idée que des distilleries à taille humaine et à forte personnalité peuvent cohabiter avec des géants au cœur (de chauffe) tendre.

    Léon Mazzella

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    *Avec l’immense région des Highlands, dont il fait partie intégrante (le Speyside se situe entre les Northern Highlands et les Eastern Highlands), les Lowlands, les îles (Orkney, ou Orcades au nord, Skye à l’ouest, et les fameuses Islay, et Jura, entre autres, au sud), et enfin Campbeltown.

    ** Charles MacLean a animé l’an dernier une série de master class « whisky » dans les locaux de L’Express, qui ont rencontré un vif succès.

     

    IMG_2907.jpgAberlour et les accords musicaux

    C’est au cours du dernier Spirit of Speyside Whisky Festival, le premier mai dernier (la prochaine édition de ce « mois du whisky » foisonnant d’activités en tous genres : dégustations, concerts, repas thématiques, dans et autour des distilleries, se déroulera du 21 avril au 1er mai 2017), que nous avons pu faire une expérience singulière à la distillerie Aberlour : deux experts en musiques et en single malts, Joel Harrison et Neil Ridley, les « Cask strength boys », proposaient une sorte de master class intitulée « The Sounds of Aberlour », dont le but était d’associer cinq whiskies maison avec cinq musiques distinctes. Le résultat fut confondant, car il était évident, à la dégustation précise et à l’écoute très concentrée, avec Robinphoto 1.JPG mon studieux voisin de table, que le style du 8 ans d’âge correspondait à la musique planante des Pink Floyd, autant que l’expression du 16 ans Old Bourbon Cask se mariait à merveille avec les airs tonitruants de Johnny Cash. Une expérience. L.M.

     

  • Long Cours revient

    2016-09-30 16.45.39.jpgC’est l’excellente nouvelle de la saison : Tristan Savin a transporté Long Cours de L’Express au Point. Sa belle revue, un mook (magazine-book) consacré aux grands reportages « au long cours » d’une belle exigence littéraire, met le cap sur les pôles Nord et Sud, pour ce numéro d’une nouvelle série que nous souhaitons longue. Au sommaire, des plumes de talent, et pas que des travel-writers : Sylvain Tesson, Michel Onfray, Douglas Kennedy, Cédric Gras, Gilles Lapouge, entre autres.

    Prise de conscience et prise de position, la revue d'aventures s’est penchée sur la fonte des glaciers et les bouleversements en chaîne que cela commence d’entraîner. « La Terre ne sera bientôt plus la même », souligne Savin dans son édito. Onfray évoque Jean Malaurie, « le dernier des spartiates », explorateur, ethno-historien, fondateur de la collection Terre Humaine (Plon). Cedric Gras et Sylvain Tesson, géographes écrivains partis au Groenland, disent « adieu aux glaces », et s’interrogent avec poésie et mélancolie sur l’inexorable fonte. Julien Blanc-Gras donne des extraits de son livre « Briser la glace » (Paulsen). Cédric Gras est parti en Antarctide, à bord d’un brise-glace russe. Il est aussi question des « îles de la désolation » - l’archipel des Kerguelen, du grand froid yakoute, en Sibérie orientale, des derniers chamans de Laponie et, cerise sur le glacier, d’un extrait du journal d’Arthur Conan Doyle, « Au pôle Nord » (Paulsen), évoquant une chasse au phoque et à la baleine. Nous écoutons aussi Luc Jacquet, le réalisateur de « La Marche de l’empereur », exposant son militantisme en faveur de la défense de l’environnement, et Jean-Claude Perrier, qui a mis ses pas « En Patagonie » dans ceux de Bruce Chatwin. Enfin, Doug Kennedy réchauffe ce numéro en traversant un désert australien semé d’embushes. Un Long Cours de longue garde. L.M.

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    15,50€

     

  • Spleen parisien

    téléchargement.jpegAlors les copains te disent, te répètent depuis des lustres « trop la chance », « arrête, je vais pleurer », « et moi tu sais où j’ai bouffé », et « plains toi », et j’en passe. Trente ans que ça dure. Que j’accepte de me faire rincer dans les plus beaux endroits, en vertu d’un système huilé, admis, et qui ne se pose plus de question (s’en est-il jamais posé ?), selon lequel il faut engraisser le journaliste comme une oie pour qu’il chie un papier, même pas son foie. Dans le domaine du journalisme gastro/oeno/art de vivre/chose, comme ailleurs (j’en ai connu d’autres, très différents, et c’était la même chose : le voyage en first, le petit cadeau à l’arrivée dans la chambre, le gros juste avant de repartir, qui te fait tellement rougir que tu es obligé de le refuser -question d'éthique, mec, et tout le toutim qui ne frise plus le ridicule). Alors, oui, la semaine dernière, j’ai déjeuné chez Pierre Gagnaire, invité par les grands vins bourguignons de Bouchard, et le lendemain aux Crayères, à Reims, pour une jolie histoire champenoise – et je rendrai compte bientôt des deux, l’ingratitude étant, dans mon top-ten des déconvenues rédhibitoires, un spectre voisin de la déception : si tu acceptes, tu joues le jeu, mais tu n'entres pas dans Troie!.. Deux gargotes de très haute volée ! (meilleur déj’ à la seconde, d’ailleurs). Et j’ai séché plusieurs choses : Dutournier, Apicius… Mais je sais aussi que je me suis régalé d’un jambon-beurre avec un demi, au comptoir d’un rade improbable du 18ème arrondissement de Paris, en filant à l’Anglaise d’un énième machin. Et qu’un jour, au moment de passer à table, au George V, invité par Bernard Magrez et son château Pape-Clément à partager un somptueux repas, en compagnie de « people » éparpillés ici et là, comme Depardieu, Weber, et je ne sais plus qui encore (mazette !), saisi d’un stress des grands jours –celui qui mouille la chemise plus rapidement qu’une douche, j’ai fissa fui (prétextant un bouclage anticipé plutôt hard), puis j’ai respiré un très grand coup une fois dehors, et je me suis alors précipité dans une pizzeria de rien du tout pour manger une Margherita avec les doigts, en repliant sa pâte hélas trop molle (et en pensant fort à celle –formidable-, de Vesi, à Naples)…
    Alors, heureusement que je sais des gens intelligents parmi mes lecteurs, qui ne diront pas, hâtivement, ce mec est blasé, c’est un con, c’est un enfant gavé, un gâté pourri, et gnagnagna... Car, cela n’a rien à voir avec le fait de devenir blasé. Ce que je ne suis pas encore, au bout de tant d’années passées à « tester » les étoilés, les spas, les choses, moi qui n’aime rien comme dormir sous la yourte et partager un steak de cheval cru (épargné par les ours, la nuit dernière), avec des aigliers Kazakhs, ou un filet de buffle à la braise, en compagnie d’un pisteur Burkinabé, adossé à une roue du Land-Rover, tout en écoutant rugir les lions dans le lointain... Non, fuir les mondanités, les convenances, les précautions d’usage, les sourires forcés qui finissent par te refiler une crampe singulière aux zygomatiques, ce blazer encore neuf depuis dix ans qui te serre le dos et les épaules, les moc’ qui étranglent ton cou de pied, lors que tu portes jean-t-shirt-sneakers chaque jour, et n’aime rien comme enfiler tes bottes en caoutchouc – tes vraies pantoufles -, pour aller patauger dans les marais, non, cela n’a rien à voir avec la suffisance de certains qui s’indignent de ce que le red carpet soit plissé – soit pas assez tendu -, devant leurs augustes pas. Cela pour dire que là, au lieu d’un proutproutpincefessedemesdeux, j’ai, one more time, réellement joui (avec fierté, oui), de quatre raviolis vietnamiens « à emporter », dégustés dans leur barquette en plastoc (en me cramant les doigts : j'ai jeté trop vite la poche avec les instruments), au cœur de la ménagerie du Jardin des Plantes, au soleil, entre une chouette harfang des neiges, des oryx d’Arabie et un caracal du désert, qui partageaient une profonde mélancolie proche de la dépression animale, celle que nous ne voulons pas analyser, ni amoindrir, nous les inhumains. Empathie. L.M.

  • L'usage d'un classique

    téléchargement.jpegRelu attentivement L'Usage du monde (La Découverte), de Nicolas Bouvier, dans sa nouvelle et splendide édition. C'est le bréviaire, que dis-je : le mot de passe des écrivains voyageurs, des voyageurs, des écrivains aimant davantage décrire que crier, mais doucement, en observant d'un oeil faussement distrait les petits faits, les grands horizons, les regards larges, les senteurs, les saveurs, les odeurs, les rires francs, les sentiments ourdis, les petites choses que peu savent prélever, capter, et puis noter à la fraîche, ou bien tard dans la nuit, à la lueur d'une lune accorte ou d'une lampe vacillante, sur un cahier ami. Nicolas Bouvier (déjà évoqué ici, notamment pour son superbe texte posthume, Il faudra repartir, Payot - cherchez l'archive dans le blog), est un maître. Disparu en 1998, il nous a laissé un chef-d'oeuvre, avec L'Usage du monde. Peu importe où il va, vagabonde, avec son acolyte peintre Thierry Vernet, entre juin 1953 et décembre 1954 (de Genève à là-bas, d'Anatolie et partout en zig-zag, jusqu'en Afghanistan), car il aiguise chaque jour son talent d'écrivain du réel, de l'humain, et c'est cela qui compte : il est celui qui dit, qui décrit, par touches d'une subtilité cristlalline, et la langue, le choix des mots, le goût de l'adjectif idoine, de la métaphore juste, semblent lui être un impératif vital, une quête obsessionnelle et charmante, une source de plaisir qu'il n'a de cesse de partager avec son lecteur. Son voyage devient ainsi celui de chacun d'entre nous. Bouvier passe la main à chaque page, et nous tutoyons aussitôt ceux qu'il côtoie, ainsi que les paysages, les sensations, les déboires, la douleur, la soif, la chaleur, la rage de se faire voler, comme le petit bonheur chipé au quotidien (voyager n'est pas toujours de tout repos), les rencontres minuscules, le don du nada, une esquisse de potlatch parfois, le repos réparateur du corps meurtri par la route, la jouissance du presque-rien : un thé, un sourire, une voix d'enfant, un chant d'oiseau. C'est la magie de l'écriture de Bouvier... Si je commencais à reproduire ici des extraits de ce livre exceptionnel, cette note deviendrait un fleuve anthologique. J'avais lu L'Usage du monde, distraitement, car trop jeune sans doute, il y a des lustres. Je l'ai repris, et d'un trait ou presque, j'ai bu ses 375 pages. C'est un long drink pimenté, aigu et très doux, percutant et lascif, intraitable, poétique toujours. Avec, en bandoulière, cette permanente leçon de vie : nous ne sommes que des passagers, des errants, des observateurs éphémères, des hôtes; tout ça... Le respect nous anime et doit gouverner chacun de nos gestes, chacun de nos mots, et puis nous devons l'enseigner, ce respect de toute chose; il le faut. Une leçon de vie. LM

  • Ciao Chien-Brun, Dalva... Ciao, Big Jim!

    Capture d'écran 2016-03-27 19.32.46.png

    Je reproduis ci-dessous les deux pages que je consacre à Jim Harrison (lequel a quitté ce monde hier), dans mon Dictionnaire chic du vin (Ecriture, sept. 2015, pp.177-178), à la lettre H. So long, Jim. Notre rencontre sur tes terres n'aura donc pas lieu... 

    HARRISON, Jim

    Capture d'écran 2016-03-27 19.35.30.pngAutant faire une note sur Gargantua, tant « Big Jim », son surnom, aime bouffer, picoler (du bon – toujours lucide, le garçon !), lâcher prise, vivre en somme, dans son jardin des délices partagées en amitié. Je le sais amateur de Cos d’Estournel, saint-estèphe de très haut vol, et de tant de flacons français, de Loire, de Bourgogne et de Bordeaux. Avec Gérard Oberlé, son double du Morvan, son « jumeau astral », dirait Pierre Veilletet, Oberlé l’écrivain rabelaisien et subtil, Big Jim aime à en découdre avec les flacons purs, droits, riches, profonds, capiteux, débordant d’énergie substantielle des Côtes-du-Rhône.

    Un soir que je dînais chez Manuel Carcassonne (patron des éditions Stock, et de Grasset alors), avec Laure Gasparotto et Emmanuelle Jary, et que Pascal Quignard (l’un de mes écrivains français vivants favoris, avec Pierre Michon, Jean Échenoz, Pierre Bergounioux, Sylvie Germain et peu d’autres : Olivier Frébourg, Christian Authier, Stéphane Guibourgé...), devait être de la partie, ce fut Oberlé qui surgît, Gérard Oberlé de toute sa masse, de toute sa voix, de tout son crâne, de toute l’amplitude de sa verve et de tous ses gestes larges, nous parlâmes donc forcément de Big Jim. Je racontais que rendez-vous avait été pris, quelques années auparavant, avec lui afin de l’interviewer dans sa retraite du Montana, lorsque j’étais rédacteur en chef d’un magazine de chasse, et que je dus renoncer à ce voyage parce qu’un cancer méchant et dévastateur venait de se déclarer dans le corps de ma mère. Nous avons bu les flacons sélectionnés par la délicate Laure, ce soir-là. Et Emmanuelle, fine connaisseuse (elle débutait dans le métier de journaliste gastronomique et nous avions déjà asséché son meuble Eurocave, qui contenait de très grands crus), commentait les bouteilles tandis que Jim revenait sur la nappe de nos paroles. Manuel arbitrait, l’œil avisé – il connaissait l’animal borgne et auteur de Légendes d’automne, et il avait même déjà donné, je crois me souvenir, un vibrant entretien avec l’inoubliable auteur de Dalva au Magazine littéraire, mais il observait un demi silence de sage Sioux campé sur sa réserve. Comme quoi. Oberlé, lui, la voie si libre, en rajoutait, pantagruélique, ogre – oui ogre ! Et la soirée se plaçait naturellement sous le double signe des vins de France et de Jim Harrison, écrivain adulé par les Français. Je me jurais d’offrir un Cos d’Estournel à Jim H. lors de sa prochaine tournée « promotionnelle » en France. Las. Je ratai les suivantes. Aujourd’hui que son dos est vermoulu, et qu’il ne se sépare pas d’une canne pour aller jusqu’à un tire-bouchon, je me demande si je ne vais pas reprendre un billet d’avion pour le Montana et rouler un Cos d’Estournel dans les chemises. Vu que le vin est tiré et que ma mère est morte. L.M.

    Capture d'écran 2016-03-27 19.35.17.png

     

  • la meilleure façon...

     Capture d’écran 2015-09-16 à 14.25.39.png... de pénétrer une oeuvre est souvent d'en lire la première page. L'incipit, et au-delà de lui. Voici celle des Nouveaux monstres, de Simonetta Greggio, qui reparaît en format de poche et qui fait suite à son magnifique Dolce Vita (Stock, et Poche). Ce livre, qui resserre, relate, compresse, analyse, crie, les années 1978-2014 en Italie, son pays, cette Botte tissée de relations troubles, impures, incestueuses, grotesques, picaresques, baroques, insolentes et risibles comme certaines amours - entre l'Etat, le Vatican (l'autre Etat) et la Mafia (l'Etat suprême?). Un grand livre. 

  • Ovide, L'Art d'aimer

    téléchargement.jpegPurée! C'est dans Ovide et ça n'a pas pris une ride. C'est splendide, mais ressenti comme audacieux, 2000 ans après. Inquiétant, non...

    Extrait : 

    Si tu veux m’en croire, lecteur, ne hâte pas le plaisir de Vénus ; sache le retarder, le faire venir peu à peu, doucement.  Quand tu auras trouvé l’endroit sensible, l’organe féminin de la jouissance, pas de sotte pudeur : caresse-le, tu verras dans ses yeux brillants une tremblante lueur, flaque de soleil à la surface des eaux… Viendront alors les plaintes et un tendre murmure, de doux gémissements –et ces mots excitants qui fouaillent le désir…

    Ne va pas, voguant à pleines voiles, la laisser en arrière ! Evite, aussi, qu’elle ne te précède : qu’un même élan pousse vos navires vers le port. Quand, vaincus tous deux en même temps, l‘homme et la femme retombent ensemble, c’est là le comble du plaisir !

    Alliance : 

    images.jpegLe Gewurztraminer Grand Cru Eichberg 2011 de Martin Schaetzel, vigneron alsacien de respect, sis à Ammerschwihr. Pour le nez généreusement fruité, aux touches exotiques (lychee) de ce grand vin de garde

    BTLE-SCZ0004.jpg(élevé en biodynamie, 15-20€). Pour sa bouche aux accents miellés. Et surtout pour cet équilibre prodigieux entre minéralité, fraîcheur, acidité et douceur extrême. La puissance et l'onctuosité mêlées, en somme. Une sorte de fading oenologique, car la longueur en bouche signe aussi sa prestance. Une invitation indirecte aux plaisirs divers du coeur de l'été. L.M.

  • J'avais fini par oublier ça, Hiroshima mon amour

    téléchargement.jpegCliquez, puis lisez : 

    https://www.youtube.com/watch?v=-aqFjWz41c0

    Je te rencontre.
    Je me souviens de toi.
    Qui est tu ?
    Tu me tues.
    Tu me fais du bien.
    Comment me serais je doutée que cette ville était faite à la taille de l´amour ?
    Comment me serais je doutée que tu étais fait à la taille de mon corps même?
    Tu me plais. Quel événement. Tu me plais.
    Quelle lenteur tout à coup.
    Quelle douceur.
    Tu ne peux pas savoir.
    Tu me tues.
    Tu me fais du bien.
    Tu me fais du bien.
    J'ai le temps.
    Je t'en prie.
    Dévore-moi.
    Déforme-moi jusqu'à la laideur.
    Pourquoi pas toi ?
    Pourquoi pas toi dans cette ville et dans cette nuit pareille aux autres au point de s'y méprendre ?
    Je t'en prie…

     

    images.jpegCliquez à nouveau, puis lisez : 

    https://www.youtube.com/watch?v=oPONf1fu2II

    Je te rencontre.

    Je me souviens de toi.

    Cette ville était faite à la taille de l´amour.
    Tu étais fait à la taille de mon corps même.
    Qui est tu ?
    Tu me tues.
    J´avais faim. Faim d'infidélités, d´adultères, de mensonges et de mourir.
    Depuis toujours.
    Je me doutais bien qu'un jour tu me tomberais dessus.
    Je t'attendais dans une impatience sans borne, calme.
    Dévore-moi. Déforme-moi à ton image afin qu'aucun autre, après toi, ne comprenne plus du tout le pourquoi de tant de désir.
    Nous allons rester seuls, mon amour.
    La nuit ne va pas finir.
    Le jour ne se lèvera plus sur personne.
    Jamais. Jamais plus. Enfin.
    Tu me tues.
    Tu me fais du bien.
    Nous pleurerons le jour défunt avec conscience et bonne volonté.
    Nous aurons plus rien d'autre à faire que, plus rien que pleurer le jour défunt.
    Du temps passera. Du temps seulement.
    Et du temps va venir.
    Du temps viendra. Où nous ne saurons plus nommer ce qui nous unira. Le nom ne s'en effacera peu à peu de notre mémoire.
    Puis, il disparaîtra tout à fait.

    © Marguerite Duras, Alain Resnais.

  • Vivement Nîmes

     

     

    Capture d’écran 2015-05-22 à 11.29.43.pngQuelles affiches, por dios!.. Un mano a mano Morante de la Puebla - El Juli cet après-midi (avec des Garcigrande), une mixte (!) dimanche matin, avec Pablo Hermoso de Mendoza à cheval (2 toros de Fermin Bohorquez) et Enrique Ponce à pied face à 4 autres toros (notamment un Victoriano del Rio), et l'après-midi, c'est le retour à Nîmes des Victorino Martin! Avec deux spécialistes des toros compliqués, voire durs : Rafaelillo, et Manuel Escribano (ce dernier a triomphé à Séville, il y a deux ans), et enfin Paco Urena, qui confirmera son alternative... Et qui a gracié un Victorino l'année dernière. Cela promet - et nous serons dans les gradins (pour les Victorino seulement). "Vivement dimanche!", dirait Miguel El Drouquér II.

    Et vive les vins des Costières de Nîmes, qui organisent ce week-end de fiesta et de feria, aux bons soins de l'agence lyonnaise Clair de Lune. A suivre, pour le compte rendu de la corrida, et surtout des dégustations.

    Lire la suite

  • Zanzibar

    Papier paru ce matin dans L'Express, sur Zanzibar, où je me trouvais à la fin de l'été dernier :

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    Il y a des noms qui propulsent dès qu’on les prononce : Samarkand, Tombouctou, Zanzibar possèdent le génie du lieu entre leurs lettres. Ces mots font rêver, et refilent illico une envie d’y aller voir. Alors nous y sommes allés – voir.

    Zanzibar:Mazzella2.JPGZanzibar:Mazzella8.JPGZanzibar:Mazzella11.jpg

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    Si l’archipel tanzanien de Zanzibar (de l’arabe Zinj el Barr : « le pays des Noirs »), désigne trois îles : Unguja, Pemba et Mafia, c’est la première, appelée simplement Zanzibar, qui se visite en priorité, en partant de Dar es Salaam à bord d’un petit avion, ou mieux, par bateau depuis Bagamoyo – « là où meurt mon cœur », en Swahili, petite ville côtière qui fut jusqu’au XIXe siècle la base arrière de Zanzibar, alors plaque tournante du commerce des épices – et notamment du clou de girofle -, de l’ivoire et des esclaves. Stone Town, la capitale zanzibarite, est plus connue sous le nom de Zanzibar City. Cette splendide petite cité, dont l’architecture a subi tour à tour les influences portugaise, allemande, arabe et anglaise, est un lacis de ruelles très étroites, un éparpillement de palais délicieusement décatis, et de marchés aux épices et aux poissons qui enrichissent durablement notre mémoire olfactive. Quelques monuments comme The house of Wonders (la maison des Merveilles), ou le Fort arabe, et les jardins Forodhani, envahis chaque soir d’échoppes proposant des grillades de poissons, justifient une à deux journées de visite, avant de filer vers l’extrême nord de l’île, à une soixantaine de km de là (une heure en voiture, le double en « daladala », le bus local), aux seules fins d’avoir l’Océan indien pour horizon turquoise, en un lieu inouï et loin de tout tumulte, où chacun est prié de laisser ses tracas sur le perron d’un Lodge accorte.

    Zanzibar:Mazzella10.JPGIl n’en manque pas, de part et d’autre du  « mnarani » (phare, en Swahili), sur ce long cordon de plages de sable blanc, où une mer d’une extrême transparence se retire loin, et où, dès l’aube, les femmes pêchent à pied, poulpes, crustacés et divers poissons aux tons chatoyants, échoués dans des vasques rocheuses. A quelques centaines de mètres, une barrière de corail arrête les vagues et offre un contraste de bleus empruntés à une toile de Nicolas de Staël. A pied (plus ou moins) sec, il faut zgzaguer sur un sol hérissé d’oursins aux longs piquants – nul ne les ramasse – et parsemé d’énormes étoiles de mer rouge sang et noir qui semblent issues d’une pluie céleste. L’expression un brin ridicule : « plonger dans la carte postale », vient inévitablement à l’esprit, quoiqu’on s’en défende, en ce « Finisterre » d’une île au nom mythique. Le village de Nungwi, dont la pauvreté contraste avec le luxe des Lodge, comme dans tant d’endroits du monde, possède une curiosité, à même la plage : il s’agit d’un très artisanal chantier naval, où sont fabriqués des « dhows », ces boutres en bois et à une seule voile qui cabotent paisiblement sur ces côtes depuis des siècles. On embarque facilement à bord de l’un d’eux pour quelques dollars, afin de faire une grande balade au-delà de la barrière de corail, escorté par des dauphins, ou de pousser jusqu’à l’île de Mnemba voisine (et privée : elle appartient à Bill Gates, ainsi qu’à la chaîne sud-africaine de Lodge luxueux &Beyond), pour plonger avec masque et palmes dans ce Parc National marin, voire de lancer une ligne à la traîne, au retour, si le vent gonfle fort la voile, tout en observant les pêcheurs, de l’eau à la taille, tendre un grand filet circulaire et meurtrier. Léon Mazzella

     

    ON THE ROCK

    Zanzibar:Mazzella15.JPG« Tout homme se doit d’avoir un jour une bouteille à son nom dans un bar de Zanzibar », déclare Mezz Mezzrow, personnage de Tous les bars de Zanzibar, roman de David McNeil (Gallimard). Si l’on souhaite pousser le bouchon de la sorte, autant le faire dans le bar-restaurant le plus insolite de l’île, The Rock, situé devant la plage de Michamvi Pingwe, sur la péninsule de la côte sud-est (à moins d’une heure de route de Nungwi, et autant de Stone Town). Cette  cabane cernée d’arbustes, occupe la totalité d’un rocher que l’on atteint à pied, ou bien en barque à marée haute. Le coucher de soleil y est anthologique, l’espadon mariné, comme le barracuda braisé, généreusement épicés. Il ne reste alors plus qu’à signer un flacon pour que la vie soit un roman. L.M. 

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    Photos : © L.M.

    Lire : Tanzanie & Zanzibar (Bibliothèque du voyageur, Gallimard)

     

  • Avant-première

    Les sites de vente en ligne annoncent déjà mon prochain livre, qui paraîtra fin août : Dictionnaire chic du vin (Ecriture), c'est 350 pages serrées d'hédonisme, de sérieux et de déconne, d'éloge du bien-vivre et du sang de la vigne - et ses inséparables connotations littéraires, musicales, sensuelles. Voici un aperçu capturé sur le site de la fnac : 

    Capture d’écran 2015-04-14 à 08.42.30.png(avec une belle faute d'orthographe -ZZ- sur la couv. provisoire)
    Capture d’écran 2015-04-14 à 08.48.16.png

  • Vietnam / Baie d'Along

     

     

    Capture d’écran 2015-03-25 à 09.15.30.pngPapier paru dans le hors-série de L'ExpressC'était l'Indochine... Toujours en kiosque. Pour que Vive la presse écrite! 

    NAVIGUER SUR LA SOIE VERTE

    Bercée de légendes et sillonnée bar des bateaux de croisière à longueur d'année, la baie d'Along est d'abord l'une des merveilles naturelles du monde. Sa découverte frappe durablement chaque voyageur.

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    La huitième merveille du monde, disent les Vietnamiens, qui voient défiler trois millions de touristes, chaque année, dans cette partie du golfe du Tonkin où, sur une superficie d’environ 1 500 km2, 1969 pitons rocheux escarpés et karstiques, inhabités pour la plupart, et au total 3 000 îlots de toutes tailles, ont valu à ce site internationalement connu,  lieu de pèlerinage obligé et d’une beauté époustouflante, d’être classé une première fois au patrimoine mondial par l’Unesco en 1994, puis en 2000, pour la richesse de sa biodiversité. L'écrivain Olivier Frébourg définit la baie comme « le lieu commun du Vietnam, son slogan publicitaire » (*).

    Ha Long, « le dragon qui descend », rappelle une légende. Celle de cet animal mythologique, bienfaisant au Vietnam, qui, tiré brutalement de son sommeil, aurait plongé dans la mer et avec les battements de sa queue gigantesque, aurait taillé la montagne en pièces et en îlots, creusé des vallées profondes et des crevasses que la mer de Chine aurait ensuite comblées et sculptées. Puis, le dragon aurait trouvé l’endroit si beau qu’il choisit d’y demeurer. Les jours de brume – fréquents dans la baie, ils augmentent singulièrement son mystère et sont peut-être préférables aux jours de grand bleu -, les  guides vietnamiens veulent encore voir les écailles dorsales de la créature légendaire dans la silhouette sibylline de certains pitons. A chacun son monstre du Loch Ness. La mythique tarasque d’Along est ainsi l’occasion de conduire des touristes sur des sampans dans une zone de l’immense baie, réputée propice à l’apparition du dragon.

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    Poésie et géologie

    Des quatre villages de pêcheurs que compte la baie, Van Gia et ses habitations flottantes est le plus ancien. Aujourd’hui encore, y flottent de véritables maisons bâties sur de vastes coques plates, qui font office d’épiceries, notamment. Certains sampaniers, ou pêcheurs de ces villages racontent leurs mésaventures imaginaires, décrivant avec force détails qu’ils furent témoins du jaillissement de la queue du dragon, longue d’une trentaine de mètres, qui retomba si violemment sur l’eau que toutes les embarcations alentour faillirent chavirer. L’aura de poésie dont le site est nimbé semble infinie, en particulier lorsque une jonque glisse en silence, la nuit, ou bien à l’aube, entre ces îlots élancés comme des pains de sucre, et dont certains portent des noms d’animaux : le Chien, la Tortue, le Crapaud, la Guêpe, le Lièvre, la Libellule... D’autres ont des noms plus féériques, donnés pour la plupart par les Annamites et, à leur suite, par les officiers de Marine et les cartographes français : l’Île brûlée, le Salacco, les Pleurs, les Deux-Frères, le Colosse, le Sabot, la Vis, le Nègre… D’ailleurs, le nom même d’Along (ou Ha Long) serait dû aux Français, et il serait apparu sur les cartes maritimes au XIXe siècle, en remplacement de celui de (mer de) An Bang. Notons aussi que « Halong » désigne l’une des trois civilisations préhistoriques vietnamiennes (du post-paléolithique au post-néolithique), avec Hoa Binh et Bac Son.

    Les géologues, bien moins poètes que les pêcheurs ou que les officiers de la Royale, se limitent à expliquer l’apparition de ces reliefs karstiques par l’érosion de fonds marins calcaires, vers la fin de l’ère primaire, soit il y a 500 millions d’années – une paille ! La haute mer englobait alors la baie, qui sédimenta considérablement. Puis, les mouvements intempestifs de la croûte terrestre associés au retrait consécutif de la mer, ont fait émerger ce « champ » karstique (le plus grand du monde), et l’ont exposé au grand air, donc à l’érosion, aux caprices du temps, aux effondrements et autres fractures des sols sous-marins.

    Une autre légende prétend que l’empereur de Jade aurait demandé à la Princesse duIMG_8588.JPG ciel, le dragon Mère, de protéger le peuple Viet en bloquant la baie, afin de stopper d’incessantes invasions. L’animal mythique auraient alors craché quantité de perles et de pierres précieuses qui se seraient transformées en pitons rocheux au contact de l’eau, créant ainsi un fragile rempart de défense en forme de muraille ajourée et éparpillée. Car les « envahisseurs du Nord » n’ont jamais cessé de pénétrer le Vietnam par la baie fantastique – la Chine est proche, et la province de Quang Ninh, à laquelle appartient la baie, est frontalière de l’empire du Milieu.

    Des grottes et des calamars

    Le fondateur de la dynastie Dinh, Ngo Quyen, crut mettre un frein définitif aux IMG_8522.JPGinvasions chinoises, au Xe siècle, en coulant une bonne partie de leur flotte dans la baie. Plus tard, c’est un héros vietnamien toujours idolâtré, Tran Hung Dao, qui battit en 1288 le petit-fils de Gengis Khan, Kubilai Khan, en poussant ses nombreuses jonques mongoles vers un astucieux champ de pieux effilés et dissimulés dans l’eau, à proximité de la fameuse grotte des Merveilles, appelée aussi justement la grotte des Bouts de bois (Dau Go), et à proximité de laquelle il n’est pas rare d’observer des singes en nombre, dissimulés mais bruyants, dans la végétation luxuriante des pitons verticaux.  D’aucuns prétendent d’ailleurs que des restes de ces jonques yuans-mongols qui se sont empalées, sont encore visibles autour des redoutables pieux. Il faudrait plonger pour le vérifier.

    Puis, Along devient un repaire de pirates fort difficile à combattre, eu égard au labyrinthe flottant constitué par ces pitons garnis de grottes et de criques secrètes. La baie retrouve un peu de paix lorsque la Royal Navy montre ses muscles, dans les années 1810, et en chasse les pirates. En 1883, l’arrivée des premiers corps expéditionnaires français chargés de pacifier le Nord de l’Indochine, apaisent pour un temps ce paysage qui semble avoir été créé pour figurer la sérénité, et cette étendue d’eau comme une « soie verte », dit encore l’écrivain amoureux du Vietnam Olivier Frébourg ; de cette soie dont on fabrique le ao dai, la robe traditionnelle qui procède de l’élégance des femmes vietnamiennes. 

    Entre autres curiosités au sein de l’immense baie que l’on traverse sur l’un des nombreux bateaux consacrés aux mini-croisières, la grotte des Surprises (Sung Sot) est la plus impressionnante de toutes. Deux immenses « salles » figurent un théâtre pour la première, avec ses innombrables concrétions : stalactites et stalagmites géantes ; et un immense jardin intérieur pour la seconde, pourvu d’un lacis de roches de toute taille et de petits plans gorgés d’une eau vert émeraude, et autres vasques naturelles. La grotte, ou caverne du Palais céleste (Thien Cung) n’est pas en reste. Une légende raconte qu’un mariage y fut célébré, entre une jeune femme, May (nuage) et le prince Dragon. Sept jours et sept nuits durant, de petits dragons dansaient parmi les stalactites, des éléphants gambadaient et deux lions jouaient à se poursuivre. May eut ensuite cent enfants, pas un de moins, qu’elle éleva dans cette grotte même. La légende s’appuierait sur des scènes qui auraient été fossilisées dans la roche, mais dont on ne trouve évidemment pas trace, les grottes d’Along n’étant pas ornées.

    IMG_8552 - Version 2.jpgAujourd’hui, si un tourisme de masse conduit chaque jour des centaines de voyageurs venus du monde entier (de plus en plus de la Chine voisine), depuis le port d’embarquement de Bai Chay, qui n’a rien de bucolique mais plutôt des allures mécaniques et industrielles, si les phoques et les dauphins se raréfient dans cette partie du golfe du Tonkin – comme partout ailleurs -, si les bateaux de croisières déguisés en jonques de bois plaqué et aux voiles factices, sont parfois à touche-touche sur la « soie verte » de ce somptueux paysage, il nous est encore permis, la nuit, lorsque la jonque est au mouillage, de pêcher avec les membres de l’équipage des calamars « à la turlutte » (à l’aide d’une ligne hérissée d’hameçons que l’on agite de bas en haut), car ils sont encore nombreux dans l’eau trouble d’Along, et délicieux, correctement saisis a la plancha. C’est l’une des joies simples et secrètes que procure la huitième merveille du monde. Léon Mazzella

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    (*) Vietnam, par Olivier Frébourg, photos de Nicolas Cornet (Chêne, 2004)

     

    LA BAIE D'ALONG TERRESTRE

    IMG_8135.JPGDans le delta du fleuve rouge, la province de Nin Binh  - avec la ville éponyme et sans attrait, en son cœur -, située à une centaine de kilomètres au sud de Hanoi, est surnommée la « baie d’Along terrestre ». Avec des joyaux naturels comme Tam Coc, Van Long, la réserve naturelle de Pu Luong,  Trang An, ou encore ses villages Hang, la baie d’Along terrestre est un délicieux contrepoint à la célébrissime voisine, car elle permet de visiter l’intérieur de terres toujours très humides du Nord-Ouest, et de glisser, à bord d’un thuyen (barque en bambou tressé et goudron), sur un bras d’eau bordé de prairies vertes piquées de hérons blancs, et d’entrer de cette manière dans des grottes saisissantes de silence.

    La baie d’Along terrestre est un havre de 1 400 km2 de zones naturelles protégées, d’une grande richesse faunistique et faunique, et riche de larges plaines irriguées de rizières et bordées de montagnes abruptes. Van Long, entrelacs paisible composé de petits villages où l’on circule encore majoritairement en char à buffles et, bien sûr, en bicyclette, de rivières, de champs plats comme la main, de grottes – notamment la célèbre Ca, couverte de stalactites et dont les eaux grouillent de tilapie (poisson-chat) -, constitue la zone la plus « bio diversifiée » du pays, avec pas moins de 3 500 hectares protégés par des digues.

    Si les montagnes avoisinantes recèlent sangliers, ours et, même, quelques panthères, àIMG_8146.jpg leur pied, prospère un paradis des zones humides, des orchidées sauvages et des échassiers comme l’aigrette, le héron bihoreau ou le jacana, dans une atmosphère dont le calme suggère l’estampe. Cette partie de la baie d’Along terrestre est talonnée, dans le cœur des vietnamiens épris de nature préservée, par les beautés – certes moins sauvages - de Tam Coc. Cette cuvette entourée de pitons calcaires tombant à pic, et aux formes parfois étranges rappelant des visages, est aussi appelée « la baie d’Along sur rizières ». Une balade en barque à godille vers l’une des fameuses grottes du site (Tam Coc signifie « trois grottes »), propulse le voyageur dans l’atmosphère du film Indochine en trois coups de perche.

    Autre curiosité : en naviguant sur la rivière Ngo Dong, il n’est pas rare de croiser des femmes pêcheurs à bord de leur thuyen individuel, qui manient les rames avec leurs pieds nus, et gardent ainsi les mains libres pour tirer leurs lignes. Confondant. L. M.

     

     

     

    LE CHARBON DE LA DISCORDE

    La Société française des charbonnages du Tonkin, entreprise très prospère pendant l’époque coloniale, exploitait à outrance les mines de houille de la baie d’Along, en concurrence – comme toujours -, avec les Chinois depuis 1865. De sinistre mémoire, elle s’enrichit aux dépens de milliers de coolies vietnamiens qu’elle traitait comme des esclaves à peine payés et soumis à rude épreuve. Créée, en 1888, sur la concession de Hongay, la SFCT – dont les principaux actionnaires sont alors l’incontournable Banque de l’Indochine et le Crédit industriel et commercial -, commence à exploiter des mines.

    Comme la richesse naturelle est à fleur de terre et la main d’œuvre locale abondante et très bon marché, le tonnage de l’exploitation augmente de façon exponentielle : de 2 000 tonnes en 1890, la production passe à 500 000 tonnes à la veille de la Grande Guerre, à 1,7 million de tonnes à la veille de la crise de 1929, pour atteindre près de trois millions de tonnes à la veille du second conflit mondial (dont 2,6 millions annuels pour la seule SFCT). De 40 000 à 85 000 travailleurs vietnamiens et chinois s’épuisent dans les mines, surnommées « l’enfer de Hongay » dans la littérature anticolonialiste des années 1930, laquelle dénonce des conditions d’exploitation (qui ne pourront aller qu’en s’améliorant) d’une pénibilité révoltante. Un coolie touchait 15 sous par jour, lorsque les bénéfices nets de la SFCT frôlaient les 30 millions de francs annuels.

    Roland Dorgelès écrit, dans son livre Sur la route mandarine (Albin Michel, 1925) : « Elles sont, je crois, uniques au monde, ces mines de Hongay où l’on extrait le charbon à ciel ouvert. Campha, Haut, Monplanet, grands pans d’amphithéâtres taillés à même les mamelons. Ce sont de gigantesques escaliers noirs qui escaladent le ciel et leurs parois sont si lisses, si droites, qu’on croirait que le charbon fut découpé en tranches, ainsi qu’un monstrueux gâteau. Rien n’est à l’échelle humaine. Tout est trop haut, trop vaste, et les indigènes qui piochent les pentes ne font qu’une poussière humaine, sur ces gradins de jais. »

    La houille devient rapidement le deuxième produit d’exportation indochinoise après le riz. Avec les Charbonnages de Dong Trieu, et ceux du Tonkin (SFCT), les Français se taillent une part non négligeable du lion, ou plutôt du dragon, et se dotent de leur propre infrastructure : port, chemin de fer, centrale électrique. Extrêmement rentable, l’extraction de la houille ne sera concurrencée par la culture de l’hévéa, notamment, qu’à partir de la fin des années 1930. La seule SFCT, qui produit bon an, mal an, 1,8 million de tonnes de charbon de 1939 à 1941, voit sa production chuter à moins de 200 000 tonnes en 1945… Neuf ans – de guerre – après, les accords de GenèveIMG_8613.JPG ne mettent toutefois pas fin à l’activité, qui représente alors quelque 900 000 tonnes. 

    Un délai de grâce bien court, qui expire le 8 avril 1955, quand la république du Vietnam nationalise l’ensemble des installations. Aujourd’hui, les « gueules noires » se font rares au Vietnam, car les filons s’épuisent et le marché du charbon s’essouffle. Pourtant, le pays continue d’exploiter la houille, dans une zone discrète de cette vaste baie d’Along si paradisiaque, et dont aucun voyageur ne soupçonne l’existence à proximité des pitons rocheux. L. M.

     

     Photos : © Léon Mazzella

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  • Indochine et l'Amant

    Version longue* d'un papier paru dans L'EXPRESS cette semaine (hors-série C'était l'Indochine).

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    *Faute de place, il faut parfois couper nos textes à la machette! L'avantage d'un blog est aussi d'en proposer les versions originelles.

    Capture d’écran 2015-03-25 à 09.15.30.pngLE PRISME DOUBLE DU CINÉMA

    Le cinéma aide parfois à comprendre l’histoire. En dépit de la fiction, et lorsqu’il est servi par un scénario solide, le septième art a valeur de documentaire artistique. Deux films emblématiques disent l’Indochine française dans ses excès opposés.

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    En 1992, Régis Wargnier offre « Indochine », sur un scénario co-rédigé par les écrivains Erik Orsenna et Louis Gardel (l’auteur de « Fort Saganne ») et par la scénariste Catherine Cohen. L’Indochine des années fastes : 1920-1945 y est dépeinte, décrite, dans ses splendide et cruelle vérités. Portrait d’une famille française emblématique, qui fait fortune avec la culture de l’hévéa –principale industrie coloniale indochinoise, « Indochine » souligne l’opulence du « bon temps des colonies ». Eliane Devries (interprétée par Catherine Deneuve) est une femme d’un âge mûr, née en Indochine, qui n’a jamais vu la France et qui est la riche héritière d’une immense plantation familiale, sans doute la plus importante d’Indochine (1).

    Le feu sous l’insouciance

    Elle incarne ces années insouciantes, jusqu’à ce qu’un ferment de révolte communiste et nationaliste se fasse jour. Le film n’est cependant pas la peinture idéalisée d’une nouvelle bourgeoisie apaisée, jadis conquérante et brillant à présent d'un humanisme relatif. La dure réalité est là, notamment avec la brutalité sans limites de l’administration coloniale –Jean Yanne incarne un chef de la Sûreté au caractère de mufle. Loin, aussi, des clichés du film anticolonialiste « basiquement » militant, le long métrage de Régis Wargnier se veut consensuel mais échoue à colmater les failles, ainsi qu’à faire entendre raison, tant aux idéologies contraires qu’aux passions schismatiques. Certes, la riche héritière adopte la petite Camille, une princesse annamite devenue orpheline. Certes, l’exotisme est présent, parfois de manière très « chromo », et la vie luxueuse mais laborieuse au sein d’une plantation conduite d’une main de fer (en raison des aléas de la culture de l’hévéa), sonne assez juste. De même, résonne avec précision la montée sourde, lente et certaine d’une révolte qui préfigure le futur Vietnam. Et comme est dépeinte avec tact l’arrivée soudaine d’un bel officier de Marine qui tourne la tête d’Eliane, puis celle de Camille devenue jeune femme. « Indochine » en devient une synthèse, à la fois de cette période riche et désinvolte comme une nouvelle de Paul Morand, ou une affiche colorisée d’Air France, et aussi la chronique des années de braise d’une colonie condamnée à être emportée par le vent de l’Histoire – le tout mêlé à une tourmente amoureuse générale, car l’histoire de l’Indochine française est bien celle d’une violente passion.

    C’est là toute la portée romanesque du cinéma lorsqu’il ne se dépare pas de ses vertus ethnographiques. Car il permet, le cas échéant, de comprendre aussi la stratégie d’un parti communiste tout juste créé, d’abord dirigée contre les mandarins, ces fonctionnaires impériaux qui soutiennent les colons français, puis qui s’en prend directement à ces derniers. C’est enfin le portrait d’une jeune princesse annamite, en rupture personnelle –et par là historique, avec sa classe et sa naissance, puis qui se métamorphose en révolutionnaire rouge inflexible, symbolisant de façon éclatante un soulèvement profond mû par d’innombrables « vocations » analogues, et qui dessine le Vietnam en marche de Hô Chi Minh.

    La face cachée des colonies

    « L’Amant » valut le prix Goncourt en 1984 à Marguerite Duras et que Jean-Jacques Annaud adapta huit ans plus tard, souligne un interdit dans l’Indochine française : celui des relations intimes entre Français et Asiatiques (en l’occurrence, l’amant du roman est un riche Chinois). Au-delà de l’intrigue, mince, d’une jeune française en proie à sa libération sexuelle initiale, et en lutte contre une mère qui lui préfère son frère, le film oppose à « Indochine », de Wargnier, l’image de petits colons français ayant maille à partir avec le quotidien. Le mérite de l’histoire –pour ce qui nous intéresse directement ici-, est de souligner que l’Indochine française n’était pas uniquement peuplée de gros colons en costumes et robes de lin blanches et chapeaux à larges bords, ayant des domestiques à foison et des allures de Gatsby and Co. en villégiature prolongée sur les rives du Mékong. La jeune Marguerite est une fille de colons ruinés, qui passe douloureusement ses semaines en pension à Saigon. Sa mère est une institutrice qui peine à joindre les deux bouts. Duras, en écrivant « L’amant de la Chine du Nord » (Gallimard) en 1991, oppose une réponse non définitive, ou pas assez radicale, à l’adaptation que Jean-Jacques Annaud a faite de son œuvre originelle, « L’amant ». Le désaccord entre les deux artistes est abyssal (2). « L’Amant » (Minuit) n’en demeure pas moins la rare évocation esthétique d’une Indochine certaine des années trente, soit d’un Vietnam socialement endormi encore, bien que fermentant en silence comme le meilleur nuoc-mam (celui de l’île de Phu Quoc), ceci est d’ailleurs écrit avec la grâce, l’émotion, la nuance, la justesse, l’austérité forte de la phrase durassienne retrouvée (quoi qu’en disent les esprits chagrins), et puis la beauté des paysages naturels, ainsi que ceux de la ville, la vie bouillonnante des rues de Saigon (Marguerite Duras naquit en 1914 à Gia Dinh, près de Saigon, soit en pleine Cochinchine coloniale), et surtout de Sadec, dans le delta du Mékong, où sa mère s’établit. Terre inculte, car proie constante des eaux, la concession familiale se révèle être un piège, qui oblige la mère de Marguerite à renoncer, et à aller enseigner.

    Le dur désir de Duras

     « Un barrage contre le Pacifique » (Gallimard. Le livre manqua de peu le Goncourt en 1950), décrit déjà la terre inculte de cette concession, régulièrement inondée par la Mer de Chine, et nous dit par conséquent l’envers de l’image idéalisée des colonies, dans l’Indochine française des années trente à cinquante. La mère de Marguerite Duras, lasse d’ériger de vains barrages contre le Pacifique à la manière d’un Sisyphe résigné (osons l'oxymore), sombre dans une dépression qui devient palpable, dans l’adaptation de « L’Amant » par Jean-Jacques Annaud. La face cachée d’un colonialisme triomphal, confiant, conquérant, dominateur, richissime et insouciant, trouve avec la voix de Duras son exact contrepoint. La profonde désillusion des petits colons français qui peuplaient aussi, en nombre, l’Indochine du Tonkin à la Cochinchine en passant par l’Annam, le Cambodge et le Laos, fut retranscrite dans deux adaptations du premier roman de Duras. La première, par René Clément en 1958, avec Anthony Perkins (Jo) et Silvana Mangano (Suzanne), dans les rôles principaux, et la seconde –nettement plus fade-, par Rithy Panh, en 2009, avec une Isabelle Huppert comme absente, hors-cadre, ou déjà dans son prochain film, et un Gaspard Ulliel en « gravure de mode » sans épaisseur.

    Léon Mazzella 

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    (1) L’historien Pierre Brocheux, dans son « Histoire économique du Vietnam, 1850-2007, La palanche et le camion » (Les Indes savantes) souligne que la décolonisation fut lente et absolument pas radicale : « au Sud-Vietnam, les Français (grandes sociétés et planteurs, commerçants et industriels) conservaient des positions clés dans l’économie. Par exemple, en 1963, 74 000 des 86 000 hectares plantés d’hévéas appartenaient toujours aux grandes sociétés françaises, la chambre de commerce française à Saigon recensait 300 entreprises dans les secteurs pharmaceutique, des pneumatiques, alimentaire, etc. »

    (2)Umberto Eco, conscient de la liberté du réalisateur lorsqu’il adaptait son succès planétaire, « Le nom de la rose », dit simplement et intelligemment ceci : « il y a mon roman, et il y aura ton film ». Marguerite Duras préfère écrire sa version vraie de l’adaptation à venir, imminente, d’un autre texte, réducteur, à ses yeux, puisqu’il ne donne à voir qu’une affaire sexuelle (initiale) entre une gamine pauvre et un riche Chinois de dix-sept ans son aîné…  « L’Amant de la Chine du Nord » est une façon de synopsis que la romancière aurait utilisé pour une adaptation, si elle avait eu à en réaliser une. (Par chance, ce ne fut pas le cas : souvenez-vous des incursions désastreuses de Marguerite dans le 7ème art, comme avec Le Camion - et Depardieu dans le rôle principal, qui ont fait dire à Pierre Desproges : Marguerite Duras n'a pas écrit que des conneries. Elle en a filmé aussi...).

     

    PRISONNIER DES KHMERS

    Le dernier film de Régis Wargnier, « Le temps des aveux » (décembre 2014), signe l’adaptation du célèbre roman autobiographique « Le Portail » (La Table ronde, 2000) de l’ethnologue François Bizot. Et raconte par conséquent la captivité de l’auteur, en mission angkorienne, lorsqu’il fut prisonnier des Khmers rouges, en 1971, dans le camp S21, de sinistre mémoire, dirigé par Douch, l’un des plus grands criminels de guerre cambodgiens –tenu responsable de la mort de 40 000 détenus-, avec Pol Pot et quelques autres. François Bizot a par ailleurs publié en 2011 une sorte d’éloge de la magnanimité, avec « Le silence du bourreau » (Flammarion), livre dans lequel il bat en brèche un lieu commun, affirmant que le bourreau –en l’occurrence Douch-, n’est ni un démon ni un monstre, mais bien pire que cela encore, puisque c’est un homme comme les autres. Et qu’il s’agit de tenter de comprendre, voire d’excuser, par-delà le ressentiment…  L.M.

     

  • Julie...

    sur ma page facebook, à l'instant :
    Kally Vasco
    8 min · Modifié · 
     
    Bon, faut arrêter ces conneries : je suis en train de regarder "Les carnets de Julie" (Andrieu) sur la chaîne n°3, parce qu'elle est a casa (au Pays basque). Mais c'est affligeant de poncifs d'un officio touristico en mal d'imagination : le château d'Abbadia, la corniche jusqu'à Hendaye, les tapas à Fontarrabie, le piment d'Espelette (in situ), Arnaga!, le petit train de la Rhune!... Arcé à Baïgorry, aussi institutionnel que Duplessy (Ostalapia à Ahetze), Dominic Lagadec et son cidre de Txopinondo (voir mon reportage dans le dernier n° de "Pyrénées magazine" sur le sujet : "Txotx"),
    et même mon pote Gorka au chant... Mais bon, ça, encore, c'est bien - il y a pire : Ciboure avec 2 "r" sur la carte (on se croirait sur les breaking news en long de BFM), je chipote, je sais, et la chasse à la palombe : au secours! Image : 2 colverts passent dans le ciel, oui, des canards, et aussitôt ça tire... Puis, après une pause taloa ventrèche dans un bar cayolar sympa, deux Dianes chasseresses apportent... des pigeons biset, des pigeons de ferme et d'église, quoi! Même pas des colombins (qui passent juste avant les palombes - c'est-à-dire les ramiers) et abusivement appelés ramiers, d'ailleurs... Ca sent le faisan concocté par une prod° parisienne sans scrupule et surtout sans aucun souci de véracité. Et ça, ça fait mal. Honteux. J'aime mon pays d'adoption, mais lorsque je le vois singé ainsi, j'ai franchement honte. Il y a aussi quelques clins d'oeil non nommés au passage - donc je le fais : les charcuteries de Pierre Oteiza, les vins de Jean Brana (deux potes, je confesse). Bon, Duplessy cite (rattrapage?) en vitesse la poire de Martine Brana. Mais l'ineffable Julie est tellement charmante, dans son rôle d'ingénue qui découvre la province et ses sauvageries comestibles concoctées par des congénères si sympathiques... Ayayaye.

  • Café et écriture

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    C'est un papier qui paraît dans un n° spécial de L'EXPRESS et de L'EXPANSION, consacré à la petite graine.

    LE CARBURANT DES CRÉATEURS

    Par Léon Mazzella

    Les écrivains en font parfois une consommation effrénée, car le café, « torréfiant intérieur », selon Balzac, maintient éveillé et stimule la création. 

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    Balzac est un cas. L’auteur de La Comédie humaine, gigantesque « peinture de la société » en plus de 90 ouvrages, qualifie le café de « torréfiant intérieur », dans son « Traité des excitants modernes ». Il note que le café ouvre l’esprit, en donne à ceux qui en manquent mais rend encore plus ennuyeux ceux qui nous ennuient… Citant le prince des gastronomes, Brillat-Savarin, l’auteur du « Père Goriot » confirme que « le café met en mouvement le sang, en fait jaillir les esprits moteurs ; excitation qui précipite la digestion, chasse le sommeil, et permet d’entretenir pendant un peu plus longtemps les facultés cérébrales ». Balzac lui-même sait gré au café de lui permettre d’écrire, de produire tant et plus. L’auteur pantagruélique alterne les ripailles les plus rabelaisiennes avec l’abstinence la plus monacale, mais sacrifie quotidiennement à l’absorption de son carburant préféré. Il possède plusieurs cafetières fétiches, dont une en argent, dite à la Chaptal. Mais c’est celle en porcelaine de Limoges, avec ses initiales sur la couronne qui lui permet de maintenir son breuvage au chaud, et que l’on peut encore voir à la Maison de Balzac, musée sis rue Raynouard à Paris, qui ne quitte jamais sa table de travail. Il prépare lui-même sa drogue douce. Il s’agit d’un mélange de  Moka auquel il ajoute du café de la Martinique et du café Bourbon. Le romancier prolifique les achète de préférence chez l’épicier Bonnemains, place Saint-Michel. Il y sacrifie une part non négligeable de ses dépenses, au moins dix fois plus que pour l’achat du pain. Son petit secret réside dans l’ajout d’une pincée de sel afin de développer les arômes d’un élixir qu’il prend soin de faire couler très lentement. Comme il ne fume pas – il déteste même le tabac-, ne  boit guère (sauf lors de gueuletons), il abuse de son unique péché mignon, mais comme le café a partie liée avec l’encre, l’abus l’excuse. Les deux liquides noirs sont les mamelles de sa création. 

    « Dès lors, tout s’agite »

    « Le café tombe dans votre estomac (…) Dès lors, tout s’agite : les idées s’ébranlent comme les bataillons de la Grande Armée sur le terrain d’une bataille », écrit-il, « et la bataille a lieu. Les souvenirs arrivent au pas de charge, enseignes déployées : la cavalerie légère des comparaisons se développe par un magnifique galop ; l’artillerie de la logique arrive avec son train et ses gargousses ; les traits d’esprit arrivent en tirailleurs ; les figures se dressent, le papier se couvre d’encre, car la veille commence et finit par des torrents d’eau noire, comme la bataille par sa poudre noire. » Et c’est ainsi, grâce à quantité de tasses dégustées, à des litres de café avalées jour et nuit – Balzac écrit beaucoup du crépuscule à l’aube-, que ses romans avancent, à l’instar d’une armée en ordre de marche et qui ne peut, dès lors, connaître la déroute. « L’état où vous met le café pris à jeun », écrit-il encore, «  dans les conditions magistrales, produit une sorte de vivacité nerveuse qui ressemble à celle de la colère. Le verbe s’élève, les gestes expriment une impatience maladive ; on veut que tout aille comme trottent les idées ; on est braque, rageur pour des riens ; on arrive à ce variable caractère du poète tant accusé par les épiciers ; on prête à autrui la lucidité dont on jouit. » Balzac déteste l’idée même d’ajouter du lait dans le café, comme d’autres n’imaginent même pas l’adjonction d’une goutte d’eau dans leur vin – au propre comme au figuré. Il a même des mots peu caressants à l’adresse des amateurs : « Offrir du café au lait, ce n’est pas une faute, c’est un ridicule. Il n’y a plus que les portières qui prennent cette mixture populacière, laquelle attriste la fibre, charge l’estomac de saburres pernicieuses et débilite le système nerveux ». Balzac est un puriste. Il lui faut du solide, du pur, du dur, du coup de fouet. Il pense que « le fluide nerveux est le conducteur de l’électricité que dégage cette substance {le café} », que son pouvoir n’est ni constant ni absolu. Conforté en cela par Rossini : « Le café, m’a-t-il dit, est une affaire de quinze ou vingt jours ; le temps fort heureusement de faire un opéra. Le fait est vrai. Mais le temps pendant lequel on jouit des bienfaits du café peut s’étendre… »  L’œuvre de Balzac le prouve avec superbe, laquelle a donné au roman français ses volumes parmi les plus riches. Comme par hasard ou par un effet de balancier (on aime les chiens ou les chats, rarement les deux à la fois), Balzac n’aime pas du tout le thé. La boisson comme son univers, qu’il ne manque pas de vilipender : « Il donnerait la morale anglaise, les miss au teint blafard, les hypocrisies et les médisances anglaises ; ce qui est certain, c’est qu’il ne gâte pas moins la femme au moral qu’au physique. Là où les femmes boivent du thé, l’amour est vicié dans son principe ; elles sont pâles, maladives, parleuses, ennuyeuses, prêcheuses. » Des propos forts de café… Un café que notre puriste prolifique et expert en « Etudes de mœurs » ne répugnait pas à consommer, à l’occasion, additionné d’un soupçon de crème. Dans « La Femme auteur », nous lisons ceci : « La tasse de café que je prends est exquise, la crème est de la crème envoyée de la ferme que mon oncle Hannequin possède à Bobigny, le café, c’est du vrai moka… ». Une entorse en forme de confession, assortie de précisions de taille : il ne s’agit pas de lait, et la provenance de la crème est un gage de qualité.

    Les premiers cafés littéraires

    Un autre grand buveur de café est Voltaire, qui passe des heures et des heures au Procope, rue de l’Ancienne-Comédie, dans le quartier de l’Odéon (et où se trouvait jadis la Comédie française).  Le Procope, « Café-Glacier depuis 1686 », fut créé par un Sicilien nommé Francesco Procopio Dei Coltelli, qui en fit un débiteur de café et de spiritueux. Pour l’auteur de « Candide », le café est une plante cultivée dans le sud et consommée dans le nord », ce qui n’ est plus vrai aujourd’hui. Voltaire boit du café dans les cafés, et lance sans le vouloir, avec ses amis Encyclopédistes, la mode des bars que l’on appelle dès lors cafés. Confondre ainsi le lieu et l’une des boissons qu’on y propose assure le succès du « petit noir ». Dès avant Sartre et Beauvoir, qui usèrent leur séant sur les banquettes du Flore et les chaises des Deux Magots voisin, boulevard Saint-Germain, les cafés deviennent littéraires au temps de Voltaire. Ce dernier n’était-il pas membre de la confrérie des buveurs de café ? Buveur impénitent – il en boit plusieurs dizaines chaque jour, mais légers ! -, il ne pense pas avec Fontenelle que c’est « un poison lent », mais au contraire un stimulant de l’esprit. Dans « Les Confessions », Rousseau témoigne de cette incroyable appétence de l’auteur de « Zadig » : Il avait la réputation de boire quarante tasses de café chaque jour pour l’aider à rester éveillé  pour penser, penser, penser à  la manière de lutter contre les tyrans et les imbéciles. » 
    Flaubert évoque le café dans « Madame Bovary » en des termes qui dénotent le soin particulier apporté à l’élaboration du breuvage : « Mm Homais réapparut, portant une de ces vacillantes machines que l’on chauffe avec de l’esprit-de-vin ; car Homais tenait à faire son café sur la table, l’ayant, d’ailleurs, torréfié lui-même, porphyrisé lui-même, mixtionné lui-même. » Brillat-Savarin souligne l’art de la torréfaction ainsi : « La décoction de café cru est une boisson insignifiante ; mais la carbonisation y développe un arôme, et y forme une huile qui caractérisent le café, tel que nous le prenons, et qui resteraient éternellement inconnus sans l’intervention de la chaleur. » 

    Boisson à connotation intellectuelle, puisqu’elle développe les capacités créatrices, le café se voit parfois opposer ses vertus à celles du thé. Proust boit quant à lui des quantités impressionnantes d’ « essence de café » – uniquement du Corcellet, acheté dans le XVIIe arrondissement de Paris, élaboré avec une précision maniaque et servi dans une cafetière en argent, cela pour tenir, et continuer de pouvoir écrire sa monumentale « Recherche du temps perdu ». Et aussi afin de calmer ses incessantes crises d’asthme. À Lisbonne, l’immense poète Fernando Pessoa passe des journées au café « A Brasileira », dans le quartier du Chiado, où il possède aujourd’hui sa statue en bronze, et c’est de là qu’il « contemple la vie en frémissant », tout en sirotant « uma bica », terme qui désigne un espresso.

    Pénétrer les cerveaux

    Cité dans l’anthologie « Le goût du café » (Mercure de France), Paul Morand déclare, non sans ironie : « Par le thé, l’Orient pénètre dans les salons bourgeois, par le café, il pénètre dans les cerveaux. » C’est dans « La Route des Indes » que l’écrivain diplomate retrace avec brio l’histoire de l’arrivée du café à la cour du Roi Soleil, puis sa conquête de l’Europe d’une boisson qui devint vite à la mode, à la cour comme dans la rue. Morand :  « Le moka brûlant fait son chemin dans l’estomac et dans les méninges de ces Nordiques lents à penser et les réveille ; les Irlandais cessent d’avoir le monopole de l’esprit ; des idées non suivies d’actes, mais qu’on aime pour leur jeu rapide et gratuit, dansent dans les têtes. » Morand se plaît à souligner l’apport spirituel du café, lequel semble secouer la vieille Europe comme une drogue douce et bienfaisante. « Stupéfiants et excitants sont les deux faces de la déesse », écrit-il encore, « les deux visages par où l’Orient sourit à l’Europe, ou grimace. Le café énerva le classicisme ; le romantisme découvrira bientôt l’autre noir abîme du désespoir humain : en 1797, Coleridge avale, à Malte, des boulettes d’opium. » 

    C’est dans son « Dictionnaire de cuisine » qu’Alexandre Dumas évoque les bienfaits du café et donne de nombreux conseils comme celui de « ne le moudre qu’au fur et à mesure des besoins, afin qu’il ne puisse perdre son arôme ».  Il prétend que « Voltaire et Delisle ont fait abus du café, qui, loin d’être un poison, comme on l’a dit d’abord, est un antidote pour tous les poisons stupéfiants ; il opère rapidement sur l’opium, sur la belladone, etc. Il faut alors le prendre très fort et une cuillerée à café toutes les cinq minutes ». Le père des « Trois Mousquetaires » donne même des recettes, comme celle du café à la crème frappé de glace, à partir d’une infusion de café Moka ou de café Bourbon : « Vous la mettez dans un bol en porcelaine, vous la sucrez convenablement, et vous y ajoutez une égale quantité de lait bouilli ou le tiers d’une crème onctueuse. Vous entourez ensuite le bol de glace pilée. »

    Enfin, Karen Blixen, dans son inoubliable « Ferme africaine », raconte son quotidien d’exploitante d’une plantation de café arabica située à près de 2000 mètres d’altitude, au Kenya, mais en revanche, elle n’abuse pas de sa consommation comme la plupart de ses frères et sœurs de plume. L.M.

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    Musiciens et peintres

    Les musiciens ne sont pas en reste. Jean-Sébastien Bach dédie au café une cantate profane, la « Cantate du café » BWV 211, pour flûte traversière, violons, timbales et voix (ténor, basse, soprano), tant il aimait ce breuvage. Il s’agit d’une sorte de mini opéra comique ayant l’addiction au café pour sujet, qui était un réel problème dans le Liepzig du XVIIIè siècle. Le dramaturge italien Carlo Goldoni consacre à sa boisson favorite une comédie de moeurs, « La Bottega del caffé ». Les artistes, compositeurs et peintres, ont eux aussi vite compris que la caféine chassait la somnolence et favorisait la création. Ludwig Van Beethoven en boit plusieurs tasses chaque matin, à raison de 60 grains scrupuleusement comptés un à un pour chaque tasse. Plus près de nous, et entre autres compositeurs et interprètes, Gustav Mahler et Glenn Gould sont célèbres pour en faire leur combustible mental fétiche.
    Quant aux peintres, s’ils en consomment depuis toujours, ils peignent à l’occasion la boisson et son service. Ainsi, de Cézanne et sa célèbre « Femme à la cafetière », ou de Manet et du non moins célèbre « Déjeuner dans l’atelier », ou encore le « Café arabe » d’Eugène Girardet, entre autres tableaux qui font du café un sujet qui n’est pas de nature morte. Mais vive. L.M.

     

  • Ecrire à Zanzibar...

    ... Au mois d'août, sur l'île propice.

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    Ci-dessus : boire une bière Kilimanjaro sur la plage de Nungwi, à l'extrême nord de l'île, tandis qu'un dhow (boutre) hisse et part pêcher.

    Ci-dessous : The Rock, un restaurant singulier que l'on atteint à pied sec à marée basse et en pirogue à marée haute. Michanwi Pingwe, au sud-est de l'île. 

    ©L.M.

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  • 64 à 75

    C'est le score qui gagne. Avec 64, on mange 75. Comment? - En s'invitant (Saint-Léon, patron de Bayonne) à Saint-Germain, autour de la rue de la soif, rue Princesse et rue Guisarde, à un jet de gravier ramassé (à marée descendante et forte, devant un shore-break pentu et bruyant, menaçant même - celui qui te prend par les chevilles que tu dois alors planter grave comme des poireaux ou des asperges si tu veux pas t'ennoyer) à la plage de La Chambre d'Amour, à ce jet donc, de la Place Saint-Sulpice (Paris 6). Le CDT64 et ses belles (Cécile, Christiane, Emilie) avaient fait rhabiller les bars-restos de la zone aux couleurs de la Côte : Bayonne, Anglet, Biarritz, Bidart, Saint-Jean-de-Luz... Et c'était super. Il y avait un monde fou, on se serait cru aux Fêtes de Bayonne : du rouge et blanc partout, des petits foulards 64 sur les nuques, des bandas, des Paquito chocolatero (même un géant, vendredi soir) envoyés ici et là, des chants basques enchaînés dans les bars (chanter à fond les cordes Aïce Hegoa rue Princesse, ça, je n'avais jamais imaginé le faire un jour). Avec mes amis Jean-Luc Poujauran, le boulanger star et Dominique Massonde, chef d'Oppoca à Aïnhoa, nous étions les Trois Mousquetaires (sans aucun d'Artagnan) d'un jury chargé de tester les tapas de tous (neuf établissements jouaient le jeu), et nous avons élu, haut la langue, Pierre, du Birdland, angle Guisarde-Princesse, pour ses makis basques, son tartare de boeuf au piment d'Espelette, et son guacamole aux gambas impeccablement rôties... Au café Bidart, la simple tapa (tranche de pain, crème fromagère au maïs rehaussée d'un poivron rouge) était elle aussi renversante (photo de l'exécutante ci-dessous), mais nous avons tranché dans l'art. Ca, c'était vendredi soir : une soirée comme on aime, a tapear, a beber de bar en bar, transpercé d'amitié et de fierté simple, habillé de si peu, revêtu de grâce (à force de), le verbe chaud et le regard droit, le bonheur tranquillou en ligne de mire et la montre dans la Nive (ici, elle s'appelle la Seine - l'Adour sert à d'autres jets et rejets). La veille, à l'Eden Park, il y avait les amis réunis : atlantica-séguier au complet, à commencer par Jean Le Gall, le boss, et puis Sylvie Dargelez l'indispensable, leurs auteurs (dont mon ami d'enfance Alain Gardinier, l'inénarrable Roland Machenaud, ma pomme), de futures pièces rapportées  comme l'ineffable Gorka! (d'autres : mais, chuuutt!), et au fond du rade Pierre Oteiza himslef aux commandes charcutières, à l'entrée : la cave d'Irouléguy déléguée aux chutes du Niagara en trois couleurs dans des verres à pied - sélect jusqu'au bout -, et la nave vava, té! Il y avait également Régine Magné (ex-Sud-Ouest et Gascons toujours), Patrick de Mari et Blandine Vié (gretagarbure, the blog gourmand entre tous!), plein d'autres... Photos (avec un téléphone, agur les pixels!) du concours de tapas. Addeou!

    IMG_1163.JPGIMG_1166.jpgIMG_1172.jpgIMG_1188.jpgIMG_1155.jpgIMG_1158.jpg

  • Choses vues à Amsterdam

     

    J'ai vu des trucs rigolos à Amsterdam le week-end dernier : une guimbarde havanaise. U

    n frère de nuit. Un héron climatisé devant une poissonnerie au marché Pijp (ah, les harengs frais aux oignons!..). Des tulipes bien sûr (pas rigolo, ok). Une Cinquecento en vitrine (ça change des péripatéticiennes du quartier rouge). Une occasion de ne pas boire de la bière mais un très bon vin blanc hollandais, si si! Un air de Naples dans le Waterland peuplé de beau linge : oies, canards de diverses sortes - et de limicoles aussi. Ces colverts, c'est depuis un bar que je les chope en vol, oui un bar, situé à un jet de galet du petit ferry qui nous envoie de l'autre côté du centre, depuis la gare ou par là. Un musée d'art contemporain baignoire. Un IMG_0237.JPGIMG_0241.JPGIMG_0261.JPGIMG_0274.JPGIMG_0278.JPGIMG_0332_2.JPGIMG_0448.JPGIMG_0429.JPGIMG_0337.JPGIMG_0359.JPGIMG_0379.JPGIMG_0389.JPGValloton franc de la fesse molle (oui, je sais, je fais mon snob : ayant raté l'expo à Paris, je suis allé la voir à Amsterdam. Carrément - au musée Van Gogh, et ouais : prononcez van-kkhhheeuuhh comme si vous crachiez un vieux glaviot n°3 dans les tournesols arlésiens). Des sucettes à l'amende (même pas!). Des lieux d'aisance aériens. Des vélos partout, même là. Un commerce de bouche qui ne vexera personne.

    Une injonction paradoxale dans la ville de la fumette. Un canard vénitien sans lecteurs. Un bar à tapin (ça change des tapas). Un disquaire qui aime beaucoup King Crimson! Une banque avec des racines (sans doute un Crédit agricole local. Non?.. - Ah bon). Mon IMG_0393.JPGIMG_0413.JPGIMG_0421.JPGIMG_0517.JPGIMG_0527.JPGIMG_0532.jpgIMG_0533.JPGIMG_0544.jpgIMG_0559.JPGIMG_0560.JPGpote Spinoza! Un magasin avec que des capotes à vendre.
    Et enfin Le vieil homme (et la mer) de retour au port avec son marlin même pas bouffé par les requins! Happy Gregorio...

  • impressions notées en randonnant entre lacs et barrages pyrénéens

    Le courant passe. Au bout de trois heures de marche, au-delà du dernier « ressaut herbeux » indiqué par le topoguide, tandis qu’un couple de milans royaux plane au-dessus d’une clairière plate comme la main ouverte de Gulliver, nous ne nous sentons plus empêtré par la sinuosité du sentier, les hésitations de la météo et cette semelle Vibram qui menace de se décoller à gauche en nous obligeant à traîner le pied depuis deux bons kilomètres. Surgit le barrage. Gigantesque carlingue, longue coque, armure cuirassée, il figure une muraille ne pouvant s’accoupler qu’avec le silence, dans une solitude heureuse, contemplative. Celle qui aide à poétiser la vie en ne faisant rien. Rien d’autre que s’asseoir, oublier tout sauf ça, admirer, débarrassé de toute culture, en immersion dans une nature qui tolère ce qui l’épouse avec  beauté. Car un barrage, c’est beau, en altitude, les pieds cimentés dans l’eau, gagné à ses bordures par une végétation sauvage qui est parvenue à apprivoiser ce monstre dressé au ventre plat, ce chevalier sans tête qui brise l’horizon pour mieux le faire rebondir dans le regard du randonneur, au-delà du lac et sous les sapins. 

    Retenue. Retenue d’eau. Rétention bienveillante, tantôt couleur lame de scie à plat, ou bien langue infinie et bleue, augmentée d’un friselis lorsque passe un vent. Virage sur l’aile, vaguelettes, micro clapot, eau. Ici l’eau vit. Parle. Résonne contre la paroi majuscule, lui chuchote des choses à la base, lui offre son reflet quand le soleil chante. L’eau s’épanche, prend ses aises, s’étale dans les grandes largeurs, ne laisse rien transparaître de ses profondeurs.

    Intime. Le barrage se penche sur l’eau, Narcisse intimidé, au col raidi d’un Erich Von Stroheim, montagne vue par Caspar David Friedrich. Au moins. Le barrage s’arque, rentre le ventre, boute hors de, creuse devant, donne à voir ses abdos que des traces d’anciens niveaux d’eau verdissent. Le barrage étend ses bras, il semble vouloir danser le sirtaki contre l’épaule des forêts voisines. Le barrage est terre d’accueil. Pays sage d’eaux tranquilles et plongées dans l’attente d’un lâcher prise, d’une libération à venir.

    Rivage. Le paysage qui environne chaque barrage impose au regard son côté Syrtes. L’attente, l’oubli, l’ouverture à venir, l’ouverture des vannes comme un sexe.

    Origine du monde. Un frisson parcourt l’échine du randonneur qui imagine tout à trac ce paysage comme une offrande à ses yeux émerveillés, englouti sous des millions de mètres cubes d’eaux en bouillons, d’écumeuse dévastation, d’apocalypse locale, de trombe torrentielle commandée par une main d’homme.

    Fracas. Assourdissante, colérique, tellurique rumeur des eaux en fureur. Là, le barrage perd ses eaux. Accouche d’un vallon mis à nu, d’une vallée mise à sac, inonde la base et assèche les sommets. Sortie du rêve.

    Sexe. Oui, il y a du sexe de femme dans l’idée du barrage. Retenue, fuite, fontaine, sueur de sang, abandon, sommeil, nuit, profondeur, méandres, inconnu, secrets.

    Paisible étreinte. Le barrage, planté comme un quartier d’ananas au cœur d’une tranche de paysage pyrénéen, figure un gâteau de paix. Il rassure aussi puissamment l’âme du marcheur, qu’un clocher surgi du brouillard dans la plaine, réchauffe l’âme en feu de détresse d’une grappe de soldats en déroute. 

    Accroché. Il y a les pins à crochets. Les biens nommés, lorsqu’ils se reflètent dans l’eau de retenue, accrochent leur cœur à l’onde, fondent le vert cru de leurs ramures dans les nuances froides et changeantes d’un lac au tain capricieux. Dilution. Déréliction.

    Coq. Délicate apparition. Soudain l’unique se produit. L’inattendu capital, la surprise énorme, my love supreme, s’offre à nos yeux ingénus, à l’heure du casse-croûte matinal qui répare les parois de l’estomac mis à mal par la montée. Mais il s’agit là d’un ventre soudain dévasté par l’émotion : sa majesté le grand tétras nous apparaît. Magiques Pyrénées. En lisière, le grand coq de bruyère se tient immobile, aux aguets, le souffle coupé par un doute cardinal. C’est que le randonneur, microbe qu’il est, que nous sommes par conséquent, ou inconséquence, n’appartient pas au paysage familier de l’oiseau roi. Statufié, tétras scrute. L’œil serti dans sa caroncule rouge ne tremble pas. L’instinct de survie interroge le paysage, implore le retour du serein. Qui vient à peu près, car le randonneur sait tout du mimétisme et de l’art de l’immobilité. Le randonneur, par chance, sait ceci. Et cela : se tapir, se taire. Il sait éviter de gâcher l’esprit de la rencontre rare. Le coq se détend, avance une patte, puis l’autre, fait quelques pas, se risque ici, pas là, disparaît dans un buisson…

    Epée. Le barrage est une épée plantée jusqu’à la garde et dont on ignore la longueur de la lame. C’est une arme sans pommeau. Décapitée. Comme le chevalier inexistant, cette lame de béton s’enfonce obscurément. Profondément. Mystère de la pénétration. Le barrage est nuit. Inexorablement accouplé au silence massif de la montagne.

    Abandon. Regarder un barrage au centre de son environnement, c’est éprouver l’abandon. Nous imaginons vite la genèse de l’ouvrage. Une fourmilière d’hommes au travail. L’édification lente du monument. Le hérisson des machines de levage, outils en faisceaux, herses gigantesques, camions ruant, croisant, nuées de poussières, ruche. Tandis que là, devant nous, tout n’est encore que solitude et silence, harmonie arrangée d’un ouvrage avec les éléments fendus. Equilibre retrouvé. C’est à peine si nous apercevons parfois des hommes marchant comme des marins sur le pont supérieur d’un navire, casque de chantier sur la tête comme un bouton d’or, vu de loin. Il y a un côté mer dans le quotidien des agents affectés à un barrage. L’eau les unit. Le voyage immobile sépare les uns des autres. Un sel de vie différent les oppose. Mais je sais qu’une amitié sourde les unit, qu’une connivencia les confond par tacite induction. 

    Aridité. Minéralité. La pierre sèche et grise, monumentale, semble vouloir toucher le ciel. Rien ne pousse. Un barrage existe là aussi. Sur la lune pyrénéenne. ¨Paysage d’après le déluge. Silence « comac » dit-on à Toulouse. Epais. À côté duquel n’importe quel tombeau ressemble à une boîte de nuit avec DJ intégré. L’eau bouge. Rassure. Le randonneur cherche un oiseau pour apaiser cet étranglement mental. Des pensées fortes, voire mystiques, issues de lectures anciennes, remontent à la surface de son esprit : Buddha, Diogène, Pascal sont appelés à la rescousse. Tout le monde sur le pont. Le barrage finit par apaiser. Sa présence humanisée nous dit la trace. L’âme. Et l’on se prend à imaginer un moine perché dans sa thébaïde du Mont Athos. A l’horizon infini, qui sera pourtant et à jamais le tour de taille de nos désirs.

    Hiératique. Un barrage est un moine. Un chevalier errant vêtu d’une cape. Dressé sur son cheval noir, parfaitement immobile, il toise. Implacable. Il impose cette radicalité de la nuance chère à Camus, qui réchauffe l’intérieur. Corps et esprit mêlés. « Montagne des grands abusés / Au sommet de vos tours fiévreuses / Faiblit la dernière clarté. / Rien que le vide et l’avalanche / La détresse et le regret !», nous chuchote René Char dans son poème sobrement intitulé « Pyrénées ». Mais nul regret ni détresse ici-haut. « Nous avons guetté jusqu’à la terreur le dégel lunaire de la nausée », écrit-il ailleurs (« Plissement »). Le poète de « la neige inexorable »

    L.M. (extraits) A suivre.

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    Pour aller avec : http://bit.ly/1jW5ClL 

    Et aussi (on en reparlera) : 

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  • un souvenir

    J'ai totalement cessé de chasser quoi que ce soit depuis l'an 2000, excepté les idées noires. Mais, en retombant sur cette photo prise au Bénin en mars 1999 : je viens de tirer correctement - une seule balle foudroyante de .458 dont on voit le trou d'entrée - un buffle de savane dans la zone de la Mekrou, après une approche d'environ trois heures, Jean Denis, mon guide de grande chasse, fouille de son couteau pour extraire la balle champignonnée restée coincée sous le cuir (je l'ai toujours), et partage avec moi les havanes de la détente (des Presidente, de Partagas), que j'avais achetés à la fabrica Partagas même, à La Havane, un mois plus tôt... Je me dis - bon sang, c'était le bon temps où mes Pléiades d'Hemingway ne quittaient pas mes Pataugas, lorsque je bouclais mon sac et que je partais comme ça, à la recherche des limites de moi-même, au plus près d'une nature la plus sauvage possible; instinctivement au plus près de ma propre animalité, car alors je voulais marcher lion, parler buffle, voler bécassine, me poser sarcelle, virevolter vanneau et dormir lièvre.

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  • Iraty, again

    images (1).jpegimages (2).jpegimages.jpegtéléchargement (1).jpegtéléchargement.jpegC’est la plus grande hêtraie d’Europe. A cheval sur la France (province basque de Soule) et l’Espagne (Navarre), avec ses 17 000 hectares,  c’est une forêt certes exploitée mais très sauvage, où la profondeur du silence n’est troublée à l’automne que par le brame du cerf et le craquement d’une brindille sous le pas d’un chercheur de champignons ou plus rarement sous celui d’un chasseur de bécasse, eu égard à la pente du terrain, qui en rebute plus d'un. Les cèpes d’Iraty se conquièrent car la montagne s’apprivoise, mais celle-ci est relativement douce et la forêt correctement balisée. En octobre, elle se pare d’un mantille rouge, or, mordorée et brune qui n’a rien à envier au manteau forestier québécois. La forêt résonne de cervidés, sangliers et toutes sortes d’oiseaux (palombes, pics, vautours fauves, milans noirs et royaux, grues cendrées, passereaux divers, du pipit à la grive draine) la survolent. L’hiver, lorsque la neige recouvre les cols et le sol de la forêt, Iraty propose 4 pistes de ski de fond (35 km au total) ainsi que des itinéraires balisés pour les randonnées en raquettes : un must ! Se promener une journée dans la forêt en raquettes à la recherche des traces laissées par les animaux sur « le livre de la neige » est un pur bonheur. Le reste de l’année, les sentiers de randonnées sont nombreux en forêt (80 km de pistes forestières au total) et sur les crêtes. Une balade classique mène au Pic des Escaliers, une autre conduit au majestueux Pic d’Orhy (2017m, le point culminant), via la route des cols de chasse à la palombe : Millagate, Odixar, Tharta ou encore Sensibil. On trouve également le GR10 au départ des Chalets d’Iraty. Non loin de là se trouve la crête douce d’Orgambidexka, le « col libre », qui sert de site d’observation privilégié pour les ornithologues en herbe drue –il est situé sur un vrai couloir migratoire. Les amateurs de pêche (omble chevalier, ou saumon de fontaine, truite arc-en-ciel) peuvent s’exercer sur les deux petits lacs d’Iraty-Soule et Iraty-Cize ou bien tenter leur chance, à la mouche, dans la rivière Irati, où les truites farios donnent de la soie à retordre (carte et timbre halieutique en vente aux Chalets). Enfin, les ennemis du silence et de la lenteur peuvent se livrer aux joies du VTT (location sur place) afin de décharger un trop plein d’énergie. Iraty c’est tout cela et bien plus encore. Car c’est un site d’une grande poésie où l’on ressent profondément l’âme du Pays basque dan sa partie la plus âpre ; la Soule. L.M.

     

    Photos © CDT64.  www.tourisme64.com

     

     

    Dormir, manger : 

    Chalets d’Iraty : location de chalets (de 2 à 30 places). www.chalets-iraty.com.  Honnête restaurant à proximité (centre).

    Chalet Pedro. Une institution en pleine forêt et à cheval sur la rivière Irati. Gîte confortable, restaurant classique et typique, grande terrasse avec le son du torrent , accueil formidable d’Isabelle www.chaletpedro.com   

    A Larrau, chez Etchemaïté. Autre  institution. Hôtel très correct. Restaurant réputé (cuisine basque généreuse, tendance gastro) www.hotel-etchemaite.fr.

    A St-Jean-Pied-de-Port, Les Pyrénées, Arrambide père et fils : Hôtel (Relais & Châteaux). Le  grand restaurant de l’arrière-pays basque www.hotel-les-pyrenees.com

    Carte : TOP25 d’IGN 1346ET. Forêt d’Iraty/Pic d’Orhy.

    Equipement :

    Vêtements discrets, de pluie, chauds, bonnes chaussures de marche, jumelles, lunettes de soleil, gourde, couteau.

    Domaine-Brana-rouge.jpgArdi gasna (fromage de brebis des bergers du cru, achetez-le chez Mayté, le spécialiste du jambon Ibaïona, qui est excellent, à St-Jean-le-Vieux, avant de monter). Irouléguy (passez chez Jean et Martine Brana à St-Jean-Pied-de-Port et prenez aussi la prune ou la poire, pour la flasque). Pain (si vous montez par l'autre côté, prenez la fougasse -pas trop cuite- à Tardets, dans le virage à la sortie). 

    téléchargement.jpegLire : le must de la poésie de Philippe Jaccottet : L'encre seraitnageur-de-riviere-416658-250-400.jpg de l'ombre (Poésie/Gallimard), Aphorismes sous la lune, de Sylvain Tesson (Pocket), le dernier livre (deux novelas, genre où il excelle) de (Big) Jim Harrison, et qui arrive ce matin en librairie : Nageur de rivière (Flammarion), ou encore un ou deux classiques comme un bon Thoreau (Walden), et La rivière du sixième jour, de Norman McLean (Points) qui devint Et au milieu coule une rivière, au cinéma. 

     

     

     

  • les fondamentaux de la cuisine "sud-am"

    C'est un papier que je publie dans le magalogue (magnifique) de Voyageurs du Monde consacré à l'Amérique Latine : 

    image_brochure_bover_25.jpeg

    C’est une cuisine forte en gueule et régressive, davantage terrienne que maritime. Toujours relevée, elle flirte avec le sucré, privilégie le mou au dur et le convivial au chichiteux. Certains plats emblématiques sont éloquents, reflètent les traits des deux cultures dont cette gastronomie est issue –d’un côté l’Ibérique et de l’autre un bouquet de traditions locales de chaque pays d’Amérique du Sud. Prenons les Moros y Cristianos ou Congricubains, un classique que l’on retrouve au Nicaragua et au Costa-Rica sous le nom de Gallo pinto et encore de Pabellon criollo au Venezuela et de Rice and beans à Belize. Il est composé de haricots noirs et de riz blanc servis à parts égales mais séparées dans l’assiette. Celui qui les mange les mélange : il « métisse » ainsi moros, les Maures (par extension, les noirs venus d’Afrique) et cristianos, chrétiens blancs venus d’Espagne et du Portugal. Voilà qui donne du sens et exprime un esprit d’ouverture. Cette cuisine est fondée sur une poignée de produits faciles à préparer ou à transformer et dont la vocation roborative rappelle le travail paysan. Elle est humble ; pas pauvre. Son ingénue simplicité la rend touchante. Elle n’est pas figée, plus nutritive qu’inventive ; jamais « light ». Les produits essentiels avec lesquels elle jongle peu parlent d'eux-mêmes : ainsi du maïs, de la patate douce, présents dans de nombreux plats mexicains –pays dont les traditions culinaires dominent le continent. Du tubercule du manioc, ou Yuca, largement utilisé dans les pays andins : Colombie, Pérou, Bolivie. « Chipsé », il donne les Yucas fritas d’Equateur. Au rayon herbes, Maté (Argentine) et Epazote (Mexique) sont aussi essentielles que notre persil. Certains mélanges d’épices (cumin, coriandre) comme le Recado sont typiques du Guatemala. Quant aux piments forts, ils agrémentent systématiquement chaque plat, de la Patagonie au Panama. Les spécialités ayant conquis le monde sont légion. Il n’est qu’à citer les Fajitas (symbole de la cuisine tex-mex), les Empanadas (chaussons farcis de viandes et d’herbes aromatiques), les Tortillas diverses (galettes de maïs), comme les Totopos mexicaines (tortilla chips), les Enchilladas (pimentées), ou encore les Tostones (chips de banane plantain porto-ricaines) et les Tamales de elote (crêpes de maïs honduriennes), pour se convaincre du succès d’une cuisine quotidienne. Sans même évoquer le Guacamole (Mexique, à base d’avocat) et le Chumichuri, cette sauce argentine (ail, cayenne, oignon, persil, origan, huile, vinaigre), qui agrémente les viandes grillées –à commencer par l’excellent bœuf. Parmi les plats familiaux exprimant la fusion des deux cultures fondatrices, les Caldos et autres Cocidos sont omniprésents (ragoûts à base de viande en sauce, de légumes et de patates), comme le Tlalpeño mexicain (poulet, pois chiches, piments, avocat, epazote), ou l'intact Arroz con pollo (riz au poulet) qui a fait le tour de la planète hispanophone, avec le Puchero, sorte de pot-au-feu que l'on trouve notamment au Nicaragua et à Cuba. Equateur et Pérou aiment faire mariner les produits de la mer. Cela donne les Ceviches (crevettes ou poissons crus, citron, épices, ail). La Colombie se plait à concocter des soupes épaisses comme l'Ajiaco bogotano, à base de poulet, patates, légumes, épices, sauce piquante. Le poulet est plus volontiers cuisiné en escabèche au Guatemala. Au Panama, riz et noix coco râpée escortent des spécialités comme le Sancocho (ragoût de poulet très épicé) et la Ropavieja (soupe de bœuf épicée). Aux Honduras, on cuisine avec maestria les fruits de mer, en particulier les Curiles (bouillons de coquillages), les ragoûts généreux comme le Nacatamales (poulet ou porc et légumes en sauce) et le Yuca con chicharron (porc grillé) y mondongo (tripes). Quant au chocolat, excellent au Costa-Rica et en Equateur, il constitue la base de nombreux desserts. En sauce, il dompte les fricassées à base de porc, de canard ou de lapin avec une salutaire douceur. Une autre forme de métissage. L.M.

    http://www.voyageursdumonde.fr/voyage-sur-mesure/Img/brochures/Voyageurs-Amerique-Latine.html

  • Ne rien faire à Venise

    IMG_0656.jpgVille aimant, ville amante, ville mante, ville menteuse, fardée, ville phare, Venise est un trésor caché sous le manteau, qui éclaire le pas du voyageur. Une flamme fragile. Venise brille sous une pellicule de poussière d’histoires, Venise est une vieille dame qui ne masque plus son âge et dont on devine la beauté enfuie.

    Byron l’appelait  « le masque de l’Italie ». Derrière le masque, je vois Vénus.

    Là, rien ne presse. Quand je circule sur l’eau, il me semble que je glisse avec le temps et quand je marche, à chaque croisement de rue, surgit quelque chose de nouveau à angle droit, une rupture sensorielle, trois fois rien : un gosse accroupi près d’une rigole, une façade de marbre usée, du linge aux fenêtres, des enfants qui courent (ils sont bien les seuls à le faire dans cette ville) après les pigeons.

    Dans le silence du matin, une gondole semble ouvrir l’eau du canal comme une nappe de tissu et derrière elle, l’eau ne cicatrise jamais tout à fait. Cette impression revient sans cesse à moi. Dans la brume, lorsque l’eau coule comme du plomb fondu, la gondole apparaît comme une maquette de vaisseau fantôme et je pense à Pandora, le film. C’est avec Ava Gardner que j’aurais aimé faire l’amour à Venise, lorsque je m’y suis rendu la première fois (j'avais quatorze ans, je suivais mes parents et mes soeurs). La gondole est un long cercueil de poèmes chuchotés derrière le masque de satin des soirées louches. Moins classe, mais plus agréable, le vaporetto me transporte et plus encore. L’accelerato (le plus lent, curieusement), en hiver, permet de circuler à l’aise dans une Venise prise, en partie paralysée par le letargo, cette léthargie qui donne à la cité la silhouette d’une belle allongée sur les eaux dormantes, façon Kawabata.

    Les noms des îles principales évoquent un animal monstrueux : Dorsoduro (rond et dur comme le dos),

    Spinalunga (échine longue), Cannareggio (touffes de roseaux dressés sur les eaux). L’animal fétiche de Venise, c’est le lion. Volontiers ailé place Saint-Marc, il balise la ville et certains attribuent l’origine de Pantalone à pianta leone en référence à la manie du marchand vénitien de planter des lions sur toute terre conquise, à compter des années 828.

    Les pigeons vénitiens sont paresseux. Cocteau disait qu’ici, « les pigeons marchaient et les lions volaient ».

    J’aime marcher jusqu’à me perdre dans le labyrinthe des rues et des fondamente cousus de ponts et de sottoportici (passages voûtés) qui composent les Sestieri, les six quartiers principaux : Castello, San Piero, l’Arsenal, San Marco, Canal Grande et Canareggio. Certaines rues ont des noms étranges, comme la rue « du soleil qui mène à la cour des ordures ».  D’autres finissent en cul-de-sac, version locale : au hasard de ces rues noires où l’on n’entend que ses propres pas et où nous  ne croisons que des amoureux et des chats, il arrive de trouver un canal pour seule issue. J’aime particulièrement San Michele, l’île cimetière, parce qu’elle sent la résine, la tulipe et la terre fraîchement retournée. L’herbe caresse nonchalamment les tombes comme des anémones de mer et les cyprès, raides comme des morts debout, y figurent un orgue gigantesque et silencieux. J'ai écrit une nouvelle sur San Michele (in Les Bonheurs de l'aube, LTR), Cantos épuisants, car une forte crise d'asthme nocturne, lors de ce premier voyage adolescent, de cette prise de contact avec celle que je me refuse à appeler la Sérénissime, ne fut apaisée que lorsque je finis par m'allonger sur la tombe d'Ezra Pound, à l'aube. Allez comprendre, des fois...

    La meilleure raison d’aller à Venise et de ne rien y faire, de se prélasser à la terrasse du Florian et d’y compter les pigeons –et les canards de l’orchestre qui joue chaque soir des airs vieillots. De marcher le long du Lido, aux charmes comparables, en hiver, aux longues plages landaises et à celle de Biarritz sous les embruns, lorsque l’hôtel du Palais est fermé. Loin du centre très touristique, les Vénitiens vivent leur ville. Le silence habille le geste lent du fabricant de gondoles, le pas du chat et les mouvements de tête de la vieille veuve noire qui se chauffe sur une chaise au soleil.

    Parenthèse : la prochaine fois, je me risquerai jusqu'à l'île tranquille de San Erasmo, pour voir les vignes d'Orto, un vin blanc formidable, issu d'une malvoisie locale (malvasia istriana), pensé et ressuscité par les époux Bourguignon, toubibs de génie du vignoble, d'Alain Graillot, personnage respecté en Crozes-Hermitage et de Tandem, cette surprenante syrah marocaine - un vignoble bijou que possède Michel Thoulouze.

    Venise elle-même se laisse aller. Elle s’abandonne à son destin sous-marin, mais sans précipiter le cours des choses. Elle s’enfonce de quatre millimètres par an dans la lagune, ai-je appris. L’acqua alta projette à période fixe ce qu’elle sera. Son matelas de bois ne la soutient plus. À Venise, les arbres sont sous les pieds du voyageur : douze millions de troncs venus des Alpes et des Balkans supportent la cité à bout de bras, et sont aujourd’hui à bout de forces. J’aimerais recouvrir Venise d’une cloche de verre pour la préserver encore, ou la piquer à je ne sais quoi pour retarder sa disparition. Au moins l’adoucir. Venise s’engloutit sans se hâter, à la manière d’un transatlantique sombrant vers une cité engloutie. 

    J’en aime l’idée…

    Léon Mazzella

    (Texte et photo).

  • UN FLEUVE POUR TERROIR

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    Papier paru dans L'EXPRESS, hors-série La grande histoire du vin :

    Traversé par un fleuve capital, tant sur le plan nourricier que commercial, le Val de Loire, avec ses 600 km de long et ses 68 appellation, est un monde viticole à lui tout seul. Par Léon Mazzella (textes et photos - prises volontairement en l'absence de vignes, mais toujours en bord de Loire).

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    hs vin l'express.jpgLorsque Gargantua vint au monde, il s’écria : « A boire ! À boire ! ».Dans le jargon rabelaisien, un tel cri ne réclame pas un bol de Loire mais plutôt un verre de Chinon, en dépit de l’omniprésence bienfaitrice du fleuve-mère, à l’instar du Rhône dans d’autres vallées. Le Val de Loire englobe une grande mosaïque d’appellations plus prestigieuses les unes que les autres, qui courent du Pays Nantais au Centre-Loire, en passant par l’Anjou et la Touraine. Il n’est qu’à citer des noms magiques comme Sancerre, Savennières, Pouilly-Fumé, Côteaux du Loir, Muscadet, Vouvray, Montlouis-sur-Loire, Quarts de Chaume, Saumur-Champigny, Reuilly, Saint-Nicolas-de-Bourgueil et Quincy pour s’en convaincre. Quatre cépages se taillent la part du lion : chenin et sauvignon côté blanc, cabernet-franc et gamay côté rouge. Treize autres sont néanmoins utilisés. 

    Si la région « pense Loire » et vit au rythme de son magnifique fleuve, elle est également imprégnée par la culture hédoniste de l’enfant du pays. Rabelais naquit  vers 1494 à la Devinière, près de Chinon, et n’aura de cesse de vanter les bienfaits de la vigne, qu’il consommait sans modération. L’époque n’était pas regardante. « Le vin est ce qu’il y a de plus civilisé au monde », clamait-il avec la truculence que nous savons. La Loire d’un côté et Rabelais de l’autre : les nombreux vignerons du cru, ou plutôt d’une immense palette, possèdent deux vecteurs essentiels. 

    Avec 600 km et 68 appellations qui frisent l’Atlantique d’un côté et vont frapper aux portes de la Bourgogne de l’autre, le vignoble du Val de Loire est non seulement le plus long de l’Hexagone, mais également le plus complexe, eu égard à l’extraordinaire diversité de ses terroirs. L’Aubance, le Layon, la Sèvre nantaise désignent des affluents de la Loire évocateurs de beaux flacons.

    « Nul n’est censé ignorer la Loire »

    Comme partout, ce sont les légions romaines qui introduisirent ici la vigne. PlineIMG_9883.JPG l’Ancien l’évoque dans ses écrits. Au Vème siècle, nous devons le premier essor du vignoble aux moines qui ont à cœur de développer la culture de la vigne. La commercialisation  des vins est favorisée par la Sèvre, la Maine, les marais de Goulaine, qui sont autant d’accès privilégiés à la Loire et qui complètent les voies romaines. A la suite des moines, les gouvernants contribuent à l’envolée des vignobles de France : ainsi Henri II Plantagenêt, comte d’Anjou, en devenant roi d’Angleterre en 1154, exporta-t-il les vins de sa région. La bourgeoisie reprend le flambeau du Moyen-Age au XVè siècle. Les rois de France contribueront à leur tour, au succès des vins qui naissent parfois jusque devant les nombreux « châteaux de la Loire ». Le commerce –notamment avec la Hollande, sera lui aussi facilité par les affluents du grand fleuve. Les guerres de Vendée freineront l’économie : les années de la Révolution seront en effet dévastatrices pour le vignoble ligérien. Puis le phylloxera sera le gros coup dur. Et tout repartira de plus belle : les premières AOC voient le jour en 1936. En 2000, le Val de Loire est classé au Patrimoine de l’Humanité par l’Unesco. Le prestige des vins de Loire dans leur ensemble s’en trouve accru.

    IMG_0556.jpgSi « la Loire coule de source », selon un mot fameux, ou bien –selon un jeu de mots, si « Nul n’est censé ignorer la Loire », il faut encore savoir que sans son cheminement au gré du vallon qu’elle creuse en s’élargissant plus ou moins, et où elle sinue, s’insinue, irrigue, aère à qui mieux mieux, selon que l’on se situe dans le Val d’Anjou, ou vers Ponts-de-Cé et Angers, le vignoble ne serait pas ce qu’il est. 

    Rares sont les régions d’appellations, les zones de production d’importance majeure à présenter une  telle variété de vins. En effet, le Val de Loire offre toutes les couleurs de la palette vins et toutes les variétés de la planète vins. Qu’on en juge : nous trouvons des vins blancs secs et demi-secs. Des vins liquoreux et moelleux. Des vins pétillants.Des vins rosés. Des vins rouges enfin. Ce très large choix est une richesse exceptionnelle. 

    Les vins de Loire sont ainsi, qui se définissent comme des vins ayant un fleuve pourIMG_9918.jpg terroir : ce fleuve dont la largeur est légendaire, a creusé son lit pour mieux irriguer des sols d’une variété et d’une richesse rares, et pour donner naissance à une grande diversité de terroirs, sur lesquels une mosaïque d’appellations prospèrent, en élaborant des vins à partir d’une gamme de cépages unique au monde et pour la plupart vernaculaires. 

    Une longue palette de vins

    Ajoutons à cela le rôle géopolitique fondamental de la Loire dans l’essor du commerce des vins de cette immense région de production viticole et nous tenons, en du Val de Loire, l’expression de la diversité, de la variété, du choix et avant tout de la qualité. Sur un  vaste territoire, le vignoble bénéficie avec superbe de plusieurs additions : celle d’influences climatiques distinctes, et de celle des sols qui s’y trouvent. Les vins y sont par conséquent terriblement expressifs.  

    IMG_9849.JPGÀ chaque région bénie des dieux ses problèmes de luxe, pourrions-nous avancer  avec le Val de Loire. Car lorsqu’on a la chance de posséder une telle diversité, une région de crus ne peut qu’exprimer une richesse et une complexité à rendre jaloux la plupart des vignobles devant se contenter d’une unité, soit géologique, soit climatique, ou encore organoleptique si l’on est en présence d’un cépage pas partageur, ou encore tapageur. Ces richesses-là, plus monolithiques, le vignoble du Val de Loire les laissent au profit d’une théorie de la palette. Car la peinture des terroirs donne autant de familles, de types de vins distincts, au caractère singulier, voire unique sur certaines micro-appellations comme Anjou-coteaux-de-la-Loire (30ha), ou des micro-vignobles comme Pissotte (20 ha) en Pays Nantais, qu’il y a de variétés de micro-terroirs, tout au long de ce fleuve miraculeux appelé Loire –colonne vertébrale d’un vaste vignoble aux multiples facettes. Le vignoble ligérien jouit aussi de micro-climats, comme sur les Coteaux-du-Layon, tellement méditerranéen. Ainsi, l’Anjou-Saumur donne par exemple des blancs secs et liquoreux d’une tendresse forte, des rosés gastronomiques, des rouges souples et puissants et enfin des effervescents qui ont peu à envier à certains champenois. L.M.

     

    La douceur angevine

    Puisque la Loire et sa région sont propices aux adages et autres bons mots, qui ne connaît pas la fameuse expression de « douceur angevine » ? Celle-ci désigne le climat qui domine en Anjou-Saumur, et qui est de type océanique tempéré, avec de si faibles amplitudes qu’il semble incapable de faire le moindre grand écart. Si les vents venant surtout de l’Océan sont par essence humides car porteurs de précipitations grâce à l’effet de foehn, le vignoble est protégé par les contreforts  de la région de Cholet et des Mauges. Si bien que l’hygrométrie est très différente d’un versant du coteau à l’autre. Ainsi, la douceur angevine s’exprime-t-elle en accueillant par exemple une végétation caractéristique des régions du Sud. Autant d’atouts pour que la vigne s’épanouisse avec bonheur. L.M.

     

    LIQUOREUX MYTHIQUES

    Avec Quart-de-Chaume et Bonnezeaux, Savennières est l’un des trois Grands Crus de l’Anjou viticole. Confidentielle, cette appellation prestigieuse produit de grands blancs qui étaient déjà célébrés par Curnonsky, « le prince des gastronomes ».

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    IMG_9900.JPGCurnonsky tenait en effet la Coulée de Serrant pour l’un des cinq meilleurs vins blancs de France. Alexandre Dumas l’évoque dans son célèbre Dictionnaire de cuisine. L’aire de l’appellation Savennières, qui englobe les deux micro appellations prestigieuses (reconnues en novembre 2011) Savennières-roche-aux-moines et Savennières-coulée-de-serrant, s’étend sur 350 ha à peine, dont le tiers est planté en vignes, et couvre trois communes : Savennières, Bouchemaine et La Poissonnière. Un terroir unique, la sublimation du chenin, voilà Savennières dans toute la beauté de son expression. L’exceptionnel coteau qui surplombe la rive droite de la Loire, à quinze kilomètres d’Angers, est à cet endroit-là une bande de faible largeur (entre 500 et 3000 mètres) sur une dizaine de kilomètres, d’une qualité de sols et d’exposition qui frôle la pureté. Quatre petits coteaux orientés sud-sud-est, perpendiculaires à la Loire voisine, abritent le vignoble des orages et le maintient dans un parfait bain de douceur… angevine. Le chenin s’y révèle corsé en diable, séveux à souhait, élégamment chargé de flaveurs mielleuses, florales et fruitées. Idéalement acide grâce au sol de schistes, il produit un blanc sec total. La IMG_9954.JPGRoche aux Moines et la célébrissime Coulée de Serrant de Nicolas Joly, l’un des premiers papes et apôtres de la conduite de la vigne en biodynamie, sont situées sur l’éperon rocheux le plus jalousé de la Loire pour son exposition idéale. Le lieu est propice à l’apparition de la pourriture noble, le fameux champignon nommé botrytis cinerea qui attaque la baie avant qu’elle ne soit « surmûrie », à l’heure où la plupart des vendanges sont faites (bien qu’il ne s’agisse pas ici de vins dits de « vendanges tardives ») et à la faveur de brouillards matinaux conjugués avec la fraîcheur humide d’un fleuve accorte. Selon la vinification, les vins sont soit secs, soit demi-secs. Question de savoir-faire humain. La Coulée de Serrant (une appellation monopole de la famille Joly) est un domaine chargé d’histoire. Plantée en vignes dès 1130 par des moines cisterciens, elle n’a connu que des vendanges consécutives (la vendange 2013 est la 883ème). Nicolas Joly, son actuel propriétaire, y pratique donc la biodynamie en pionnier scrupuleux d’une osmose de la nature avec l’homme et de l’utilisation raisonnée des rapports de forces, de ce qui donne « vie » à la plante, du système solaire à la gravité de la terre. Sans utiliser bien sûr le moindre intrant chimique et en favorisant par exemple le labour avec des chevaux!.. L’ancien monastère précité, classé à l’inventaire des monuments historiques, n’est pas très éloigné de la forteresse de la Roche aux Moines, où le fils de Philippe Auguste vainquit en 1214 Jean Sans Terre, fils de Richard Cœur de Lion. Les vignerons du cru doivent à la comtesse de Serrant d’avoir introduit le vin de Savennières à la cour de Napoléon I er. Mais dès le XIIème siècle, ce sont les moines de Saint-Nicolas d’Angers qui développèrent de façon décisive la culture de cette vigne. Les seigneurs angevins, puis la bourgeoisie, poursuivirent cette œuvre en faveur des vins de Savennières, qui avait débuté à l’époque romaine. Les vins issus de ces trois AOC doivent impérativement provenir de raisins (de chenin exclusivement) titrant au minimum 212 grammes de sucre par litre. Et comme nul fait du savennières comme bon lui semble, les rendements de base de 50 hl / ha sont ramenés à 40 hl / ha. C’est en réalité des rendements encore moindres qui sont pratiqués –parmi les plus faibles de France pour des blancs secs (jusqu’à 20-25 hl/ha)-, afin de concentrer ces vins nectars, au nom de la recherche permanente d’une qualité toujours dépassée. L.M.

     

  • Parcours "artypique" en Pays Nantais

    La Villa-Cheminée, de Tatzu Nishi, à Cordemais. Le "Bateau mou", d'Erwin Wurm à l'écluse de la Martinière, au Pellerin. L'Observatoire, de Tadashi Kawamata, dans les marais de Lavau-sur-Loire. La Maison sur l'eau, de Jean-Luc Courcoult, à Couëron... Quelques créations insolites (il y en a huit autres), à voir en bord de Loire, le long de l'estuaire. Photos : © L.M.IMG_9861.JPGIMG_9896.jpgIMG_9880.JPGIMG_9894.JPG

  • 26

    9782758804833.jpgLà, cadeau : deux des 26 villages de mon nouveau livre, pris au hasard, Balthazar. Juste pour donner à voir ou plutôt à lire. Histoire de vous donner envie d'aller acheter le bouquin, té!..


    LA CALLIGRAPHIE DE LLO

     

    Le gris domine Llo. Pas un gris négatif, de mauvais temps ou de mauvaise mine, mais un gris extrait du sol, un gris de roche et d'ardoise, un gris massif et mat. Un gris qui prolonge l'écho des vers du poète de Saillagouse, Jordi Pere Cerdá :

    Femmes de Llo

    sueurs noires de la terre

    solidifiées au soleil (...)

    Tout jaillit de la pierre :

    maisons, église et gens.

    Seins maigres, pointes de silex,

    sèches et dures épines du lait...

    Vu depuis l'auberge «Atalaya», Llo ressemble davantage à un hameau à étages qu'à un village ramassé sur lui-même, comme le sont la plupart des autres, dans cette partie des Pyrénées-Orientales. Les chemins qui le traversent sont une arabesque déchiffrable seulement vue du ciel. L'indéchiffrable est donc ici la règle et c'est une façon de préserver sa singularité. À chacun ses subterfuges. Llo en a plus d'un. Avec son aspect déguenillé, cette allure de vieux pâtre à la chemise baillant et aux pantalons zigzaguant sur les bottes, le village de Llo n'en rajoute vraiment pas pour vous inviter à déambuler parmi ses murs.

    Llo est, comme çà, une barbe blanche de deux jours.

    J'aime. J'aime ce faux négligé qui cache des fagots de bois bien rangés sous l'appentis et des plantes au garde à vous dans des jardinets plus ordonnés qu'un hall d'hôtel de ville.

    Il faut regarder attentivement ce jardin potager aux sillons droits comme un pantalon de velours côtelé bien repassé et qui n'est pas sans évoquer le bien kolkhozien, par son exiguïté, sa pauvreté apparente, son anonymat; un jardin enveloppé dans le virage qui monte vers l'auberge.

    La nature cependant prend le dessus en plein centre. Rares sont les villages dont les rues finissent traversées par une cascade qui dévale la montagne en criant pardon comme on lance un « chaud devant ! », qui galope à un bout de Llo puis saute dans le vert et s'y noie. Certes, un panneau indique qu'il s'agit d'une voie sans issue -et pour cause- mais une telle impasse vaut tous les détours. Tout voyageur fouineur est aimanté par ce type d'indication qui recèle toujours quelque chose ; presque rien. Mieux, il est constamment aux aguets de ces invitations en forme de refus. Les décliner, c'est s'exposer au parcours banal. Toute voie trouve une issue dans l'esprit.

    Llo exige d'autres détours. Qui exigent eux-mêmes un effort. Ses ruelles calligraphiques qui tournent pour mieux coudre le village rappellent à nos genoux que nous sommes dans les Pyrénées. Encore un village qui se mérite, un village aux rues étroites et escarpées, où la déclivité induit le silence. Et Llo n'est que bruits animaux et sons familiers : coqs qui se défient à tue-tête aux quatre coins du village, cloches d'un troupeau de brebis qui emprunte le chemin, bêlements, aboiements timides, chuchotements de femmes qui détournent la tête... 

    Merveille de ces villages qui ne se donnent pas d'un seul coup d'oeil, qui exigent de vous du temps, de la patience. On ne découvre pas Llo, on l'épluche. En cheminant lentement rue après rue et pas d'une rue à l'autre, justement, car elles ne communiquent pas entre elles. La plupart sont des chemins qui ne mènent nulle part. Ou plutôt qui finissent dans la verdure. Une verdure qui semble avancer comme le désert se répand. Les chemins de Llo finissent en salade comme on part en carafe.

    Un généreux parfum de menthe habite ces ruelles et partage l'atmosphère avec l'ortie et le pissenlit. Le soleil pianote sur les pierres des maisons, il joue des tons comme un torrent roule ses galets. L'ardoise ronde des toitures donne un air de laisse de basse mer des plus apaisants aux maisons que l'on prend de haut, en redescendant. D'ici, les Pyrénées semblent à l'abri de tout, leur pente est douce et c'est un terme marin qui vient à l'esprit, le mot havre, pour circonscrire le paysage que l'on embrasse à la manière d'un aquarelliste des mots soucieux de concision.

    Plus haut, une tour carrée et un rempart comme un gâteau d'éclats de noisettes strié de discrètes meurtrières, de fines fentes, cache l'intimité d'une simple villa, la villa Alione. Et tout en haut, une autre tour, en ruines, domine le village et la vallée de Saillagouse et Bourg-Madame. Il faut y monter pour au moins deux raisons. Pour l'invitation subite d'un sentier de montagne, lorsque vous êtes parvenus à la tour, à laisser Llo derrière vous et à partir en promenade, caminando, baigné du parfum plus sec du thym. Et pour cette extraordinaire sensation, en gravissant jusqu'à la ruine, du mot « rocaille » comme une allitération qui chante sous le pied et comme allusion à la racaille de la roche que vous êtes persuadés de fouler.

    En redescendant de la tour en ruine -qu'un graffiti révolutionnaire propulse dans le temps présent-, on a le choix entre un de ces raccourcis recouverts d'herbes et de fleurs qui donnent envie de courir, et le chemin goudronné, bordé par une maison en rénovation où le parpaing, sur la vieille pierre, fait l'effet d'une attelle sur une belle jambe de bois, et par un bloc de ciment sans doute appelé maison, coulé dans le plus authentique mauvais goût. Cette injure à la beauté du village prête à sourire pour peu que l'on songe immédiatement au vilain petit canard, si seul, pas beau.

     


                 
                   BAïGORRI VAGABONDE

     

                   9782758804833.jpgC’est un village où chaque demeure, blanche et rouge piment sec plutôt que sang, prend ses aises et aime contempler l'autre en prenant de la mesure et la distance nécessaire au jugement définitif. Ce village vous toise lorsque vous y êtes. Il apparaît éparpillé, dispersé. Saint-Etienne de Baïgorry est en soi un bouquet de quartiers épars : Occos, Urdos, Lezaratzu et Etxauz enfin, soulignent d'un second trait, périphérique celui-là, cet état de dispersion, d'autonomie et ce souci de l'espace personnel.

                  Seule la grande rue qui longe la Nive et ouvre le village comme la proue d'une barque fend le flot, est ramassée. Baïgorry (la rivière rouge, en Basque) ne cherche pas à se tenir chaud ni à rassembler, sauf à l'église Saint-Etienne lorsque l'on y chante et sur la place les jours de foire, comme à la fameuse de mars, aux béliers, lorsqu'un champ de bérets jauge solennellement les animaux ficelés aux platanes.

    Et encore! La grand-rue est, elle aussi, vagabonde et un peu diffuse. À la moindre bifurcation, elle vous montre du doigt une direction possible que la campagne suggère, rien qu'avec l'herbe grasse qui chatouille chaque mur et avec une invitation au paysage dans l'angle de laquelle se trouve toujours un toit, un balcon, un portail sur fond vert. La personnalité architecturale de Saint-Etienne de Baïgorry est dans cette façon personnelle que la maison a d'élire un lieu, a de s'être choisie une remise, comme on le dit pour la bécasse. Les maisons sont dispersées pour mieux asseoir leurs repères et afin de jouir d'une orientation -pourquoi toujours le Sud?- et d'une vue désirées, sur l'ensemble du village.

    Saint-Etienne de Baïgorry semble présenter, en les montrant du bout du bras et du plat de la main, la montagne d'un côté, la forêt qui coiffe la colline de l'autre et la rivière d'évidence, comme on présente ses amis à la famille. La campagne, tout autour, se referme sur le village comme une aile de poule sur ses poussins et procure ce formidable plaisir de prendre des chemins si étroits qu'on s'y frotte parfois l'épaule. Des chemins qui tiennent lieu de ruelles, où se mêlent des parfums de bouse de vache, de paille, d'ail qui cuit (et de gas-oil lorsqu'un véhicule, un seul vient à passer). Des parfums capiteux prolongés  par le son mat de notre pas qui s'estompe lorsque le goudron cède la place à la terre et à la musique  de la Nive qui joue au torrent sur les pierres, et qui étale sa perpendicularité à notre cheminement, lequel trouve là un but par défaut. L'Anglais dit alors : stop.  Le voyageur ordinaire s'assoit en tailleur et prend un moment comme on prend un verre, ailleurs...

    C'est un village où l'on vous propose tout sans insister, où l'on vous invite de façon bourrue; l'accueil n'en est que plus profond, plus sensible, car il est toujours exprimé à deux doigts de se taire. Donc Saint-Etienne se mérite, comme les autres villages de cette vallée de Baïgorry qui est sans doute l'une des plus riches du Pays basque nord, et peut-être davantage parce qu'elle feint d'ignorer qu'elle en est le coeur, qu'à partir d'elle on s'enfonce  dans ces vallées mystérieuses des Aldudes, du Pays Quint et, de l'autre côté, du Baztán, d'Erro et de Valcarlos. On pénètre un intrigant Pays basque par ce passage obligé et c'est pourquoi Saint-Etienne de Baïgorry semble avertir le voyageur de cette sorte de rite qu'il accomplit, il semble le prévenir du sens de son étape. Aussi le ralentit-elle sans effort. Il y a un côté relais de Compostelle dans le génie de ce lieu.

    Le village expose son fronton, où se disputent l'été les plus belles parties de rebot -ce jeu compliqué de pelote où l'on chante  les points-, comme on exposerait ailleurs une colonne monumentale qui imposerait le respect. Mais sans ostentation! Il l'impose dans sa blancheur et dans son évidence de nez au milieu de la figure et dans sa nécessité de coeur dans le corps animal.

    De Saint-Etienne de Baïgorry exhale aussi un amour certain du produit de la terre. Ici, on vit beaucoup de lui et pour lui. Le vignoble d'Irouléguy est dans son fief, comme certaines entreprises de conserves et de salaisons qui ont hissé le jambon et la sauce piquante au rang de monuments à visage d'ambassadeur, à force de vouloir...   

    Et puis il y a cette rivière, la Nive de Baïgorry, qui fait rêver tous les pêcheurs à la mouche, ce pont romain effilé qui l'enjambe avec maigreur, avec une prudence de chat, et tellement large et haut qu'on dirait qu'il craint une crue de fin du monde! Un pont gravé de la date 1661 en son dôme, et avec pour pavage une boursouflure de pierres de tous âges et de toutes tailles, si inégalement usées par des siècles de passage de sabots, de pluies et de pas que ce gaufrage vous donne l'impression de traverser un clavier d'accordéon jouant tout seul. D'un côté du pont, la maison Petricorena, imposante etxe  avec un côté grosse poule blanche qui ne craint pas le renard, un peu mamma italienne aussi, jusque dans ses dépendances. De l'autre, en retrait, le château d'Etxauz prend de la hauteur et donne au village un relent de structure seigneuriale. C'est vrai qu'elle est belle, dans sa digne singularité, cette demeure des vicomtes d'Etxauz, dont l'histoire se confond depuis des siècles avec celle de la vallée. Le château, frappé de la date 1555, vit naître Bertrand d'Etxauz, évêque de Bayonne en 1593 et qui devint plus tard archevêque de Tours... pour parler comme un guide couleur de ciel dégagé.

    Mais foin! Baïgorry l'authentique est en face. Blanche et rouge, donc, elle nous le joue personnel, en ordre dispersé et avec une maîtrise rare de l'art de faire croire qu'elle s'en fiche, alors qu'elle aime démesurément qu'on la regarde de près.

     

     

  • L'âme basque

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    Tel est le titre du long papier introductif (qui suit un bel édito), du numéro spécial Pays basque que publie Pyrénées magazine pour l'été 2013, sous la houlette de Marie Grenier (actuellement en kiosque, couverture ci-dessus). J'y signe aussi Les fêtes de Mauléon, un reportage réalisé en juillet dernier. Ca me fait drôle, car j'ai été rédacteur en chef de Pyrénées magazine et je suis un peu à l'origine de Pays basque magazine. Bon, voilà le truc sur cette indéfinissable âme basque : 


    HSbasque2013_identite.pdf

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    Dans mon pays, on remercie. Ce trait lapidaire de l’immense poète provençal René Char peut s’appliquer à l’âme basque. Ici aussi, on remercie. On reconnaît. On sait reconnaître d’un coup d’œil l’authenticité, on sait distinguer le passager sincère du faisan, on décline l’invitation du bavard, on observe le taiseux, on se toise d’un regard droit comme une pelote bien frappée. La suite appartient au temps. Celui que l’on sait donner sans compter si l’autre se montre digne de. De quoi au juste. Oh, de pas grand-chose de palpable à vrai dire, mais de tellement important, de si capital à la vérité. Un truc, une complicité, un silence éloquent, un partage fort comme un frisson, un truc quoi. Le « ça ». Un je-ne-sais-quoi-de-presque-rien-du-tout, une connivenciaSans ça, tu passes pas, tu restes là, voire tu rebrousses. Tu te casses quoi. C’est ainsi. Ainsi que la mémoire n’est pas trahie par de sournois virus, que le présent n’est pas empégué par de nuisibles invasions, que l’âme peut continuer de se sculpter au fil des jours et des nuits, à la faveur des étoiles et du savoir être de ceux qui remercient. 

    Qu’on ne se méprenne cependant pas : l’excès de méfiance nuit au développement de l’âme, la chose est entendue. Le message est passé. L’esprit n’est plus crispé sur ses traditions réputées intouchables selon une vieille rengaine devenue ringarde. Evoluons, disent les jeunes. On entend, disent les vieux. L’âme épouse l’histoire, bat la mesure de son temps, regarde devant, adossée au tronc de son précieux passé. Le tronc justement. Ce tronc commun qui n’est pas si singulier qu’il en a l’air. Qui force le respect, attire la curiosité. À présent, il convient de définir les contours, de croquer cette âme au fusain à la manière d’un jardinier paysagiste. Car elle est vaste, protéiforme, complexe et d’un bloc, paradoxalement. La nature, tantôt rugueuse, tantôt clémente du Pays a forgé l’âme basque. 

    Demandons-nous s’il est nécessaire de n’être pas Basque pour définir cette essence, à l’instar des historiens subtils de la psychologie sociale des peuples, comme le Britannique Théodore Zeldin qui a su mieux que n’importe quel observateur définir les passions françaises. Mieux vaut être un brin étranger à la cause, ou du moins avoir en soi la distance nécessaire pour pouvoir évaluer un esprit, soupeser cette fameuse âme à défaut de savoir la circonscrire exactement. Toute personne en empathie physique, géographique, sentimentale, ayant des attachements –réputés bien plus forts que d’ordinaires attaches-, avec la terre du Pays basque, peut éprouver des sensations qui touchent à cet impalpable recherché, à ce quasi-indéfinissable. « La voix, c’est ce que l’on a de plus précieux, c’est presque l’âme », me chuchote souvent une amie. Il y a un peu de cela dans l’âme basque. Au-delà du silence essentiel qui en dit long sur l’acceptation de l’un par l’autre, il y a comme une voix, une parole qui chuchote à qui sait écouter, indique le chemin ; montre la voie en somme. 

    Si nous décidons de bâtir notre demeure en terre basque, si celle-ci devient la terre élue comme on le dit d’un peuple, la résidence choisie comme on le dit de l’immigration, un courant certain, fluide et franc surtout, passe. Car c’est sur cette terre à l’âpreté profondément humaine que l’on peut se sentir habiter le monde. Le Pays basque happe. Un mot de Jorge Luis Borgès l’exprime avec une infinie justesse : « J’habitais déjà ici et ensuite j’y suis né ». Grandir, évoluer en terre basque permet d’en ressentir les bonheurs de l’enracinement serein, progressif ; souple. Se frotter aux êtres comme aux éléments permet d’en éprouver leur rigueur et leur exigence. Le Pays basque est une région de confins, ouverte sur le monde avec son balcon atlantique, qui se noie quelque peu dans des cultures cousines du Sud-Ouest et s’adosse aux Pyrénées pour mieux se tenir face aux vents. Ainsi fiance-t-il avec talent paysages et caractères. Le Pays basque s’offre à l’autre en le voyant venir. La vie d’un homme dépend tellement du génie des lieux et du beau hasard des rencontres qu’il convient d’en rater le moins possible. Davantage qu’ailleurs peut-être, le Pays basque sculpte l’autre. Nous y éprouvons avec force le sens de la fidélité et celui du bonheur. Nous y apprenons chaque jour l’amour et l’amitié qui dessinent notre géographie intérieure et délimitent nos frontières affectives. Ce territoire est une aporie heureuse. La chose est rare et par conséquent à préserver. Nous y cherchons ce qui est juste et bien. La tranquillité de l’esprit. Le repos du corps vivifié. La stimulation de la parole, le courage de regarder. 

    Le Pays basque est peuplé de femmes et d’hommes jamais blasés de leur enviable quotidien. Ils s’émerveillent sans forfanterie du pur plaisir d’exister. Cette terre enseigne le dédain du chiqué. Nos frères de joie vivent selon l’humeur des éléments : l’océan, les caprices du climat, la douceur des villages, le vent du Sud qui monte les esprits comme du lait, la montagne qui dit non. Cette façon d’être paysanne –un œil au ciel, l’autre sur la terre et cet instinct de cueilleur –saisir le bonheur, oiseau migrateur, à chaque éclaircie, apparentent l’homme d’ici à un épicurien forcé de limiter ses désirs. C’est pourquoi il est étincelant. Sa manière de vivre est une philosophie de l’instant partagé. Ce n’est pas un sage. Il sait que la parole économise l’action, mais il préfère agir, donner son pays. C’est un passeur. Ici, on s’ouvre à l’autre de manière oblative et sans se mentir à soi-même. L’âme du Pays basque est aussi une morale. Milesker. L.M.

  • Comte-Sponville, quand même

    images.jpegBon, le gars ne m'émeut guère, j'ai lu ses principaux bouquins (tous des best-sellers comme ceux de Onfray mais je préfère Onfray et je me réjouis de toute façon tellement de ce que des livres de philo, même softs, se vendent comme des chocolatines!...), mais bon, voilà. Sauf que là, dans un avion, j'ai lu un entretien tout simple, voire simpliste, avec André Comte-Sponville à propos de la simplicité je crois; ça devait être dans une revue de compagnie aérienne, était-ce Air France mag?.. Je ne sais plus (et j'aurais aimé pouvoir citer au moins le confrère qui a réalisé l'interviouve (j'ai arraché une page du mag, mais elle est tronquée). En tout cas, voici ce qu'il fallait en retenir, car c'est bluffant ce qui suit, même si parfois le gonze enfonce des portes ouvertes à deux battants larges -mais bon, vous allez aimer j'en suis sûr, ou bien alors je me fais moine (enfin... Oupoupoup... On verra, hein).

    Citations :

    "La simplicité n'est pas de l'ordre de l'avoir, mais de l'être (...) La simplicité c'est d'abord le naturel. C'est la vie réduite à sa plus simple expression. La vie insignifiante.

    Le contraire du simple n'est pas le complexe, mais le faux. Etre simple, c'est ne pas faire attention, ne pas calculer, être sans ruser et sans secret, sans idées de derrière, sans programme, sans projet... La simplicité est oubli de soi, c'est en quoi elle est une vertu : non le contraire de l'égoïsme, comme la générosité, mais le contraire du narcissisme, de la prétention, de la suffisance. Le simple n'a rien à prouver, puisqu'il ne veut rien paraître, ni rien à chercher, puisque tout est là. Quoi de plus simple que la simplicité? Quoi de plus léger? Quoi de plus difficile? C'est la vertu des sages et la sagesse des saints.

    Quant à la sérénité, ce qu'Epicure appelait l'ataraxie, elle est peut-être le plus simple et le plus rare de nos états d'âme... (...) Les plaisirs de la promenade (exemple) : c'est le corps qui se promène. Mais c'est l'esprit qui en jouit. 

    A propos du plaisir simple et du présent : Le passé n'est pas, puisqu'il n'est plus. Ni l'avenir, puisqu'il n'est pas encore. Donc il n'y a que le présent. Mais le plus souvent, nous en sommes séparés par le regret ou la nostalgie, ou bien par l'espoir et la crainte... Nous ne sommes plus dans la simplicité de vivre, mais dans la dualité, dans la distension de l'âme, comme disait Saint-Augustin, comme écartelés entre le passé et l'avenir... Vivre simplement, c'est donc vivre au présent. C'est en quoi la simplicité nous ouvre au monde et aussi à l'éternité.

    Le présent, contrairement à ce qu'on dit souvent, ne disparaît jamais. Les événements changent : le présent demeure.

    Il ne faut pas confondre la simplicité et le bonheur. Quand vous êtes malheureux, soyez simplement malheureux. Cela vaut mieux que vouloir à tout prix le bonheur, quand le réel s'y oppose. Et quand vous n'êtes ni heureux ni malheureux, ce qui est le cas le plus ordinaire, soyez simplement dans l'entre-deux... La simplicité est une vertu. Le bonheur une chance. Ce qui est vrai, en revanche, c'est qu'il est difficile d'être heureux quand on ne sait pas apprécier les plaisirs simples de l'existence. Non qu'ils suffisent toujours au bonheur, hélas, mais parce que le bonheur, sans eux, n'est qu'un rêve ou un mensonge.

    Il y a de grands plaisirs (dans l'amour, l'art, la sexualité, la philosophie, la spiritualité ou l'action), qui sont plus précieux que les petits. Ils sont souvent moins simples? Soit. C'est pourquoi la simplicité est une vertu nécessaire et difficile. Etre simple, ce n'est pas chercher la petitesse. C'est refuser les fausses grandeurs."

  • Au cul des coqs dans la bruyère kazakh

    Capture d’écran 2013-10-16 à 09.20.18.pngL'une des magies d'Internet est de retomber sur un texte ancien, de le relire et de se dire : ça tient encore la piste (ayant davantage emprunté des chemins de traverse qui ont toujours engendré mes chemins d'écriture -que des routes droites et balisées), et de se dire donc : tiens, et si je le mettais en ligne, celui-ci... En voici donc un, dans les archives, qui fut publié par feu Le Journal des Lointains, que l'écrivain Marc Trillard dirigeait chez Buchet-Chastel. Une revue-livre littéraire dédiée au grand reportage; un ancêtre des mooks d'aujourd'hui, abondamment illustrés -à l'instar de l'emblématique revue XXI (Les Arènes), ou bien du jeune Long Cours (L'Express). Cela se passait au Kazakhstan en 1997. Et fut publié dix ans après (en général, je publie dix ans après).

    Nota Bene : c’était à la période où Lady Di mourût. Je l’appris avec une semaine de retard. Dans la steppe où je me trouvais –à huit mille cinq cents kilomètres de Paris, trois mille cinq cents de Pékin, à cinq heures de piste d’un premier village et à dix-huit du premier centre de soins hospitaliers, le monde pouvait tourner en vrille sans que je le sache. Et c’était bien ainsi… Surtout de réaliser qu'avec mes compagnons de fortune, nous faisions partie des rares humains qui apprenaient cette nouvelle planétaire avec tant de retard, en tombant sur ses portraits qui inondaient le kiosque à journaux de l'aéroport d'Istanbul, au retour de notre longue virée.

     

    AU CUL DES COQS DANS LA BRUYERE KAZAKH


    29 août. Vol Paris-Istanbul. Escale dans la capitale turque. Eternelle magie du voyage. Jusque dans les façons de faire pour reconnaître individuellement ses bagages sur la piste, avant de remonter dans l’avion... Ce qui me ravit délicieusement énerve toujours quelques grincheux qui ont vite recours à l’adjectif sauvage pour désigner les us d’une civilisation étrangère. C’est affligeant. Les veneurs qui sont du voyage et qui tenteront de prendre un cerf maral –le plus gros du monde- avec leur meute de quarante-deux chiens solognots et les petits chevaux kazakhs, sont moins cul pincé que je ne le craignais. Ils sont même assez chauds : chaque femme qui passe est déshabillée du regard et abordée sans ambages. Ils aiment aussi l’alcool et les cigares et semblent peu habitués à voyager. C’est de bon augure. Touffeur. Attente. Retard (prévisible) de l’avion pour Alma-Ata (j’ai du mal à dire ou à écrire Almaty car Alma-Ata, c’est comme Samarkand et Zanzibar, comme la route de la soie ou celle des épices : du rêve brut). Vendeurs de loukoums. La photo de Carole Bouquet au duty-free. Bu une bière tiède. 21 heures (locales). L’avion est plein. Beaucoup de chinois et de mongols, j’avoue ne pas les distinguer avec certitude.

    Vol Istanbul - Alma-Ata. 4 h 45 dans les airs. Il sera environ cinq heures du matin à l’arrivée (heure kazakh), soit environ deux heures du matin ce samedi 30 août en France. Là, nous avons le choix entre une visite de la capitale du Kazakhstan (aux allures de cité russe formée de gros cubes de béton triste), puis prendre un avion réputé improbable, voire périlleux (2 h 30 de vol) ou bien se taper, avec les chiens, environ trente heures de bus sur les « routes » …

    Autrement écrit, mon choix est fait. Je testerai le talent des pilotes de la Kazakhstan Airlines.

    Almaty signifie « le village des pommiers ». Kazakh, selon la même source –une brochure égarée-, signifie brigand, rebelle, guerrier nomade en lutte contre l’Etat, et ses compatriotes. De tels éclairages laissent à penser qu’un tel pays ne peut pas avoir de mauvais fond.

    Alma-Ata est appelée Almaty depuis le printemps 1993. Je reprends mes deux vieux Hemingway dans l’édition de La Pléiade. Les exemplaires sont fatigués, usés par les voyages que nous avons faits ensemble. Mais là, c’est différent, je les sors de la routine africaine, puisque je les ai emmenés en Asie.

     

    31 août. Après le vol Almaty – Ust-Kamenogorsk (vite surnommé : Ouste ! Calmez les gosses), à bord d’un avion d’une vétusté de cheval fourbu et de camion retraité  -il n’y avait même pas de ceinture de sécurité à mon siège-  , nous avons pris la route. Huit heures de bus prévues. Il y en aura dix-huit.

    Nous sommes déjà dimanche matin, il est 7 h 30, et nous avons dormi dans le bus, habillés, sur des sièges durs comme du bois ; au bord d’un lac immense, en attendant le bac qui doit nous faire passer. Malgré nos fusées éclairantes et notre klaxon qui déchirait un silence de nuit dans le désert, il n’est pas arrivé à l’heure, hier soir. L’explication est simple, et courante : l’équipage était fin saoul, à bord. Nous entendions leurs chants d’ivresse. Le bac a passé la nuit en face… Aube. Un vol de canards passe au ras de l’eau. Il y a des mouettes et, curieusement, des pigeons bisets surgis de nulle part, et une longue file de camions et de voitures derrière nous. Les Russes qui nous accompagnent sont toujours souriants et aimables. Depuis hier, nous mangeons un pain dur et gris, du saucisson de cheval, une sorte de gros fromage de vache à pâte molle, des petits-beurre et de l’eau gazeuse légèrement salée dans des bouteilles de plastique trop mou. Ce matin, ils ont trouvé le moyen de faire du thé : un bonheur ! Hier soir, l’atterrissage de notre petit Tupolev sur la piste d’Ust-Kamenogorsk fut splendide. Il était environ 19 heures, la lumière était douce et le paysage infiniment serein, vert amande. Rivière argentée, montagnes au loin, longue, longue plaine à donner envie de chevaucher sans fin. Un paysage de film russe. Nuit dans le bus qui cahotait, puis, à l’arrêt, dans le même bus, à la recherche du sommeil, entassé comme les autres sur les sacs et les sièges, la tête contre mon barda, dur, avec la mallette à cartouches pour oreiller, ma veste de chasse pour couverture et mes pataugas aux pieds depuis maintenant plus de 48 heures. Nous sommes précisément à Buhtarma. Cette première nuit kazakh fut si étoilée que j’ai trouvé –pour la première fois -, qu’il y en avait trop ! Et toujours ce temps superbe, bleu dur. 

    Traversée en bus de la steppe. Je me serais cru dans « Urga » et dans « Soleil trompeur », les films magnifiques de Nikita Mikhalkov, surtout lorsque nous avons perdu notre route (l’épisode fameux du camion qui cherche à retrouver son chemin, dans « Soleil trompeur », et qui traverse tout le film, ne quittera pas mon esprit pendant tout le voyage).

    Arrivée après 5 h 30 de chaleur, de poussière fine et pénétrante, de chaos qui faisaient ruer le camion-bus, au campement de yourtes. Le paysage immédiat est montagneux. Nous sommes à 1500 mètres d’altitude. Tout autour du campement,une large plaine sauvage d’herbes sèches qui alterne curieusement avec des champs de blé,  car on a de la peine à imaginer que l’homme puisse travailler le sol ou autre chose, ici, si loin de tout.

    J’ai vu une énorme crotte d’ours fraîche, en partant pour la première chasse. Charmant, lorsque l’on s’en va chercher des petits coqs de bruyère. Les ours viennent dans les champs, la nuit. Il y en a beaucoup, paraît il.  C’est un brun assez semblable au notre. Les loups aussi sont nombreux par ici. Les tétras-lyre sont en revanche assez rares. Le paysage m’évoque les plateaux de Castille. Je retrouve aussi la Russie des grands tétras. Mais foin des comparaisons, je découvre surtout le Kazakhstan dans toute sa beauté sauvage. Pas un avion ne passe, pas une trace blanche, donc, pour rayer le ciel bleu, ni l’écho d’un bruit. Cela devient rare. Au cours du premier dîner sous la yourte-restaurant, un chasseur de maral cita cette phrase fameuse de Charles X, dans une lettre à sa femme : « Madame, il fait grand vent et j’ai pris trois loups »…

     

    1 septembre. Aujourd’hui, je n’ai tiré que deux cartouches avec mon petit calibre vingt : deux tétras au tableau (pourvu que ça dure). Les paysages sont splendides. Les couleurs d’automne : mordoré, jaune, rouge, habillent les arbres dont les tons changent vite. La montagne est sèche, l’herbe et les bois cassants. Le vent est tiède et très desséchant aussi. Nos lèvres gercent et se fendent. Le guide de chasse kazakh fut un peu benêt : il semblait découvrir les territoires en même temps que nous, mais la journée fut belle. Nous avons trouvé un piège à ours artisanal : un braconnier avait installé une carcasse de cheval (et une autre de chien, ou bien c’était la victime du piège devenue appât). L’entrée du piège était barrée d’un fil de pêche tendu à hauteur d’un ours marchant à quatre pattes. Une grosse branche avait été disposée pour forcer l’animal à entrer ainsi car, au bout du fil, la détente d’un vieux fusil à un coup du type Simplex ou Baïkal, solidement attaché et dissimulé, devait porter un coup de feu à la tête et à bout portant. C’était la seule entrée du piège : les trois autres côtés étaient barrés par d’épais branchages. Les braconniers font cela pour la peau de l’ours.

    Au retour, je me suis baigné dans l’eau glacée d’un torrent, sous l’œil d’un aigle (et de Samia, l’unique femme de l’équipée. Elle a dix-neuf ans, son bac en poche, et s’offre un grand voyage dépaysant parce qu’elle adore la chasse. Elle est très belle. Très blonde. D’origine Germanique. Vierge, sans doute). Vivifiant à crier ; le bain.

    La soirée fut longue et arrosée, placée sous les signes entrelacés de la vodka et des chansons ; nous avons ri sous les étoiles très tard dans la nuit, avec nos compagnons kazakhs, jusqu’à ce qu’un chasseur se mette à hurler depuis sa yourte, « vos gueules ! ».

    Bonne nuit.

     

    Mardi 2 septembre. Ce matin, réveil vers 9 h 30, calmement. Nous allons monter les chevaux kazakhs. Aucune chasse n’est prévue, sauf que j’ai envie, avec mes deux compagnons de chambrée (ou de yourte) d’aller faire un tour à cheval, carabine en bandoulière, là où passent parfois les loups, selon les guides ; puis de vérifier si la bécassine solitaria, qu’un veneur m’affirme avoir levé, se trouve encore autour du petit marigot, au-delà du campement. L’équipe de TF1 est arrivée dans la nuit. Ils dorment, sauf Christophe, qui prépare le tournage en lisant sa documentation. Il fait grand vent (doux) et je n’ai pas vu, pas pris, de loup…

    J’ai bu l’eau de la rivière et ne fut pas dérangé. Il est recommandé, avant cela, de vérifier si une carcasse de cheval ne traîne pas dans l’eau, en amont ; les kazakhs ayant la fâcheuse manie d’abandonner dans le courant et pas sur l’herbe. Nous sommes au cœur de la civilisation du cheval : le peuple kazakh, nomade, le monte (ils semblent nés sur une selle) et le mange.

    Merveille de pouvoir ainsi boire l’eau pure d’un pays sauvage, préservé (je serai sourd, tout au long du séjour, aux dires concernant les essais nucléaires répétés –mais où ?- et sur la radioactivité élevée du pays)… Après-midi douce. Lumière extraordinaire, à rendre fou un photographe. Les bouleaux prennent un peu plus d’automne chaque jour. Monter à cheval dans un tel paysage n’a pas d’équivalent. Nous avons tourné ensemble, avec TF1, notre recherche de la bécassine solitaire. Nous n’en avons vu (et pris) qu’une ordinaire. Et examiné de belles crottes d’ours pleines de baies à peine digérées. Certains ont aperçu des loups. Demain, les veneurs chasseront. Les chasseurs à tir comme moi pourront les suivre à cheval ou bien marcher derrière les coqs de bruyère, ailleurs. Je ne partirai pas avec les veneurs à cause des plaies que la selle kazakh, a déjà infligé à mes fesses. Il est question de faire une battue au loup, après-demain. Puis de partir vers un camp volant dans les parages duquel vivraient quelques chevreuils de Sibérie et de nombreux tétras. Chouette programme en perspective. L’impression de dépaysement que je ressens est telle que le mot dépaysement me paraît désuet. J’ai la flemme de chercher le mot ad hoc.

    De là, nous passerons à nouveau par Ust-Kamenogorsk.
    Bonheur de se laver dans la rivière ou de prendre un banhia, cette sorte de sauna russe improvisé sous une yourte hermétique, qui garde la chaleur d’un poêle. De laver mes vêtements dans le courant du ruisseau, d’observer ces ciels incroyablement étoilés. Samia, dans la yourte qui abrite le banhia, m’a appelé pour que je vienne lui frotter le dos. Je l’ai fait avec reconnaissance.

    Isolement et bonheur simple. Ce soir, les veneurs et leurs 42 chiens sont partis bivouaquer loin d’ici, pour chasser de bonne heure demain. Sans les aboiements incessants de la meute, parquée dans un chenil de fortune, la nuit sera plus calme.

     

    Mercredi 3 septembre. Ce matin tôt, quatre loups sont passés en trottant sur la crête au-dessus du campement, à une centaine de mètres, tandis que j’achevais mon thé. Un cheval découpé hier, et dont les restes ont été laissés sur place, à proximité des yourtes, les aura attirés. Ils se sont arrêtés, m’ont regardé, et disparu dans la coupure du jour, à l’embrasement de l’aube. Le camp est vide, nous partons chasser le coq. Il fait froid la nuit, et chaud durant la journée. A huit heures, le pull-over devient incommodant. Journée dure (physiquement) mais saine, beaucoup d’oiseaux défendant chèrement leur peau,  crapahut sur des crêtes et des pentes escarpées, échappée belle et montagnarde. Comme j’aime. Nous avons appris à boire l’eau des ruisseaux, à plat ventre, à l’aide d’une paille que l’on confectionne en  coupant une branche de sureau. Bain, presque nus, dans la rivière. Le bonheur inouï procuré par la première gorgée de cette bière locale, même tiède, appelée « Faxe », lorsqu’on ne l’attend pas, ou plus…

    Et cette soif immense, ce bonheur de boire à une source qu’il faut imaginer pure, ou bien à laquelle il vaut mieux ne pas penser. Volodia, le chauffeur, m’a tendu depuis son camion un verre de vodka kazakh, au moment où le soleil disparaissait à l’horizon et où des tétras-lyre quittaient les vallées fraîches pour se rendre au gagnage dans les champs de blé, sur les plateaux. Plaine rase et paysage infini de montagnes mauves. Au cours du dîner, les veneurs ont raconté comment ils avaient « attaqué » un cerf maral ce matin, puis leur déconvenue, la perte de plusieurs chiens. Le banhia fut salutaire, après cette journée écrasante de chaleur. Je me serais cru à nouveau sur les plateaux de Castille en août, lorsque l’on y chasse la caille ; ou en Corse –le grésillement perpétuel des insectes en moins. Avant de dîner, j’ai pris un cheval sellé et, carabine dans le dos,  suis parti au-delà des collines qui entourent le campement, avec l’espoir d’apercevoir encore quelque loup…

    Je repense aux quatre silhouettes de l’aube. Longtemps, je les verrai repasser dans ma tête, sur cette crête découpée comme une mâchoire.

     


    Jeudi 4 septembre.
    Affût à l’ours, très tôt. Nous sommes partis chevaucher vers 5 heures 30 et nous nous sommes postés loin de nos chevaux, éloignés de plus de quatre cents mètres les uns des autres, derrière des rochers. J’étais flanqué de l’équipe de TF1, qui a l’habitude de rester immobile et silencieuse. À midi, nous avions pour invités quelques apparatchiks locaux, sans doute attirés par un possible bakchich. Les organisateurs français de ces chasses doivent savoir les flatter de temps à autre… Ce soir, je reprendrai un cheval sellé et je repartirai en balade jusqu’au couchant, ma carabine dans le dos et les jumelles battant mon ventre, « dans la nature, heureux comme avec une femme » (Rimbaud) à moins que Samia ne veuille m’accompagner.

     

    Vendredi cinq septembre. Temps couvert. Je n’ai pas eu le courage de me lever à 5 heures pour aller à la rencontre des loups avec mes compagnons de yourte, et je m’en veux. Une grande battue collective est organisée aujourd’hui. Ours, loups, marals, chevreuils de Sibérie et autres lynx peuvent être aperçus. Nous ne verrons rien. Sauf un paysage grandiose et des lumières d’une beauté rare. Le meilleur, ce fut de retourner à cheval jusqu’au campement (l’aller avait été effectué en camion) : deux heures trente de galop et de trot, à cinq cavaliers, dont un kazakh facétieux qui veillait sur nous et s’amusait à tenter d’attraper nos chevaux au lasso, et à essayer de dénouer nos selles pendant le galop. Nous avons fait la course sur les chemins avec eux, et j’étais comme un cosaque de sous-préfecture.


    Samedi six septembre. Il a plu toute la nuit et il ne fait plus chaud mais assez frais. Il paraît que la neige peut arriver très vite et qu’en quelques jours nous passions d’un climat estival à l’hiver, le vrai, avec une épaisse couche de neige. Les kazakhs commencent d’ailleurs à démonter quelques yourtes. Le campement sera bientôt déplacé vers une zone plus clémente. Chasse au tétras. Le peu d’oiseaux que nous réussissons à capturer améliorent l’ordinaire, fait de cheval à midi et de cheval le soir… Nous avons dormi sur les chaumes, à l’abri du camion, après le casse-croûte de midi. Passée aux coqs, le soir. Les voir planer, ailes arquées, comme des bolides d’un autre temps, est un ravissement. Je ne peux me résoudre à les tirer, ce soir. Les copains s’en chargent. Nous en plumerons pour le dîner.

     

    Dimanche sept septembre. Nous quittons le campement. Le long trajet de retour commence. Journée passée dans le bus, depuis les yourtes que nous avons longtemps regardées derrière nous et à travers le nuage de poussière du camion, jusqu’à Ust-Kamenogorsk, via le bac qu’il fallut bakchicher de plus de 200 dollars afin qu’il parte plus vite, ceci pour ne pas rater l’avion. Nous l’avons eu (nouveaux bakchichs et palabres interminables avec les autorités pour les armes et l’excédent de poids, qui grève nos réserves en liquidités).

    Délices et affres du voyage dans un bus fatigué de rouler comme un vieux canasson fourbu. Les arrêts, les pauses, les petites pannes et ça repart, les sautes d’humeur du moteur, la côte qui essouffle le vieux cheval de métal jusqu’à l’inquiétude, l’inconfort auquel personne ne fait plus attention ; la beauté salutaire, salvatrice, des paysages immenses et ces lumières splendides du Kazakhstan effacent tous les déboires ordinaires –lesquels, de toute façon, font le piment de tout voyage. « Sérénité crispée », préciserait René Char.

    Au bac, devant le lac, des gamins qui ne semblent rien posséder nous ont offert des poissons séchés, un homme nous a servi de la vodka maison qui tenait de l’éther et du désinfectant domestique, et une femme est venue ajouter une pastèque à ces dons du fond du cœur. Vive émotion parmi nous (si j’excepte les propos déplacés, mais vite matés, sur la nourriture pleine de microbes qu’il ne faut pas toucher…). Dîner rapide à Ust-K., dans un restaurant sinistre, dans cette ville sinistre elle aussi.  Le Tupolev, aussi usé que le bus, a péniblement décollé pour Alma-Ata. Une hôtesse est venue me demander si je possédais un revolver. Ma voisine de gauche sera habitée par le soupçon jusqu’à l’arrêt complet de l’appareil à l’arrivée. Au restaurant, quelques heures auparavant, nous fûmes comme des enfants, plantés devant une grande glace : après tant de jours sans nouvelles du monde ni de nous-même, certains se sont trouvés amaigris et bronzés.

    Sur le trajet du retour, lors de haltes dans des hameaux, j’ai offert quelques couteaux de poche et des dizaines de stylos. Les couteaux pour les hommes, les stylos pour les enfants (et des regards pour les femmes) parce que la culture se transmet par le trait (par l’écrit ou par le dessin). Et que donner un stylo (là où on n’en trouve aucun) me semble être un geste symbolique fort, davantage que l’illustration caricaturale du colonisateur qui jette les bics aux gamins africains, du haut de son 4x4 filant à vive allure…

     

    Lundi 8 septembre. Départ d’Alma-Ata après une courte nuit à l’hôtel. Blattes, robinetterie défectueuse, eau brune, personnel froid, lit passable, interminables formalités administratives avant d’obtenir la clé de la chambre ne m’ont jamais exaspéré. Ailleurs comme ici. Surtout ici où, dès lors que l’on est immergé dans les difficultés locales, notre patience se renforce et le chasseur voyageur acquiert une certaine sérénité devant toute difficulté.

    Vol pour Paris via Istanbul. Survol magnifique de la Géorgie, de l’Azerbaïdjan  et de l’Arménie. Ciel bleu dense et montagnes enneigées. Nous sommes passés juste au-dessus de Tbilissi. Transit en Turquie. Certains d’entre nous en ont marre : c’est ce fameux empressement de retrouver son chez soi aussitôt que nous sommes sur le chemin du retour… Plusieurs d’entre nous toussent ; moi, j’ai mal à la gorge et ne parviens pas à faire cesser un saignement de nez intermittent depuis plusieurs jours. D’autres ont de sérieux problèmes intestinaux, c’est la « tourista » de règle (transit double). Dans la salle d’embarquement, bigarrée comme j’aime, le contraste saisissant d’une jeune fille en gandoura noire et tchador jusqu’aux yeux, chaussée de baskets vert cru très tendance, aux semelles compensées et walkman sur les oreilles. Je mange des loukoums. Des bébés braillent dans tous les coins. Et il y a toujours un imbécile (blanc) pour se plaindre des étranges manières des étrangers, chez eux... Nous apercevons la ville d’Istanbul au-delà des avions. Elle est très proche. Il est toujours un peu frustrant de ne pouvoir visiter une telle ville lorsque l’on se trouve ainsi entre deux vols ; assignés à résidence. Les yeux verts et les yeux bleus, si clairs, des visages turcs. Leur beauté paysanne rugueuse et forte. Visages d’hommes rudes, durs, comme dans les films de Ylmaz Güney, notamment « Yol ». À côté d’eux, les canons de la beauté dominante, internationale, blonde et pâle, me semblent anémiés, privés de force et de caractère. L’avion est plein d’enfants. Les passagers sont presque tous Turcs. Vont-ils tenter une autre vie en France ? Couleurs, voiles, yeux clairs, regards droits. Paris est raide, devant. Et possède encore le goût rogue de la fadeur jalouse. Partir, vite. Repartir…

    ©LM

  • San Diego

    IMG_7415.JPGPremière impression au retour d'une semaine de reportage dans cette grande ville de la côte californienne : ici, tout est plus grand : les avenues, les routes, les gâteaux IMG_7414.jpgindividuels, l'épaisseur des tranches de pain, l'embase des verres de margarita, la quadrature des lits, l'espace des chambres d'hôtel, la proéminence des ventres, la profondeur des fauteuils, la cuvette des toilettes, la visière des casquettes, la largeur des tables au restaurant, le volume des voitures et la hauteur des mugs... IMG_7176.JPG
    L'Européen s'y sent riquiqui, mais du coup très à l'aise.

    Je me trouvais dans cette immense cité, doublée d'une ville de garnison où l'armée -surtout la IMG_7138.jpgMarine- a établi ses quartiers les plus gigantesques des USA; avec trois autres confrères : une Italienne, un Espagnol et un Norvégien (invités par British Airways à tester la somptueuse nouvelle classe Premium à bord du vol Londres-San Diego. Cela est indécent, je sais).

    A chaud, je voudrais juste dire l'impression de neutralité, voire de fadeur qui se dégage de l'atmosphère d'une telle ville, comme lorsqu'on inspecte un établissement pour en vérifier sa propreté attendue et que tout y est IMG_7241.jpgbien rangé. Rien ne dépasse, à San Diego. L'ordre règne en silence et chaque activité a son espace dédié, y compris la promenade des chiens. Chacun cultive IMG_7334.jpgson corps comme un jardin, circule gadgetisé, soit hérissé d'accessoires comme un Marine's en Afghanistan -fut-ce pour effectuer un simple jogging, et respecte autrui en observant scrupuleusement les règles d'un code de savoir-vivre en société qui force le respect d'un Latin désordonné par nature. C'est la Californie, mais ce sont les États-Unis, et nombreuses sont donc les choses interdites en 

    IMG_7407.JPGpublic (rappelées sur d'omniprésents panneaux), comme fumer et boire. Ça sent la liberté totale mais tout est under control. C'est l'un des paradoxes de l'American way of life. Bien sûr il y a, à San Diego, du local fameux : des spots de surf mythiques, un zoo IMG_7329.JPGmondialement connu, une Université prestigieuse... Mais le voyageur cherche l'âme dans tout cela, et échoue à la trouver. Sauf peut-être dans Little Italy, où l'on assiste à des scènes qui semblent empruntées à la série The Soprano, dans Old Town aussi, le San Diego mexicain (la frontière est à quelques kilomètres seulement, Tijuana à un quart d'heure de route) et ce malgré IMG_7268.JPGles nombreuses boutiques de souvenirs et d'artisanat de pacotille, mais moins à Down Town, la ville moderne et son Waterfront garni de quelques gratte-ciel face à d'anciens bateaux, comme la goélette Star of India qui abrite un intéressant Musée de la Marine, deux ou trois sous-marins et le porte-avion Midway, reconverti en gigantesque musée. Pas davantage de supplément d'âme à La Jolla,IMG_7260.JPG sorte de zone ouvertement huppée collée à la côte. A peine à Balboa, où de nombreux musées (admirables musée des Beaux-Arts, et de la Photo) ont investi les bâtiments baroques (façon Prado) des Expositions universelles de 1915 et 1935. Torrey Pines est plus sauvage, avec ses falaises et sa côte déchiquetée, à quelques kilomètres du centre et
    IMG_7366.JPGjuste devant des bâtiments universitaires plutôt bien lotis, question environnement. L'avantage de San Diego est finalement d'être à la fois une immense ville aux dimensions suffisamment confortables pour que l'on ne s'y sente jamais oppressé (du coup, son côté suisse est moins palpable) est surtout sa proximité immédiate avec une côte sauvage et un arrière-pays qui l'est tout autant -lesquels procèdent du charme singulier de la cité. 

    Photos : ©L.M.


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    British Airways www.britishairways.com : Paris Orly ou CDG - Londres Heathrow
    Terminal 5, puis (du même Terminal), Londres - San Diego (10h de vol, 9h de décalage horaire). 

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