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d'un trait

Sollers, parfois, tire des traits qui font mouche. Ainsi lisais-je dans la dernière livraison du Monde des Livres, un éloge de son Discours parfait, qui vient de paraître et qui est la 3ème compil de ses papiers et préfaces parus dans L'Obs, Le Monde et un peu partout. Il y est écrit que notre Philippe national aime à s'enfermer dans une bibliothèque pour échapper au devenir inessentiel et publicitaire de la culture contemporaine. Mais que c'est juste et beau! Cela renvoie directement à Salinger, qui vient de casser sa pipe, comme chacun sait : il cesse d'écrire en 1965 et l'auteur de L'attrape-coeurs, dont le succès est planétaire, devient au fil du temps une icône, un démiurge parce qu'il ne publie (quasiment) plus rien,  qu'il se terre, a fui le monde des humains comme on anticipe la peste! Légende contemporaine... On s'en étonne, mais on sculpte la statue de l'écrivain parce qu'il n'est pas social, ou médiatique. Etrange époque, quand même, qui m'apparaît trouble puisqu'elle hésite entre l'admiration et le reproche, entre la fascination et l'exigence... Comme si donner à lire ne suffisait pas. Idem pour les Pynchon, Michaux, Blanchot, Des Forêts, Cioran, et autres Char, Gracq, etc. Je me souviens du dernier me répétant qu'un écrivain n'était que ce qu'il écrivait. Point barre! (nous parlions d'Apostrophes et des mèches et autres décolletés si étudiés des invités de Pivot de la grande époque, et j'évoquais une fois de plus ma velléité à vouloir le rencontrer pendant les années de notre relation strictement épistolaire, car je respectais les préceptes de La littérature à l'estomac. Jusqu'à ce que je julien-craque!).
Par ailleurs, cette sortie de Chamfort, cité par Sollers, encore, dans la dernière livraison de L'Obs, me convainc derechef qu'il faut constamment revenir à tous les fragments et aphorismes de Chamfort, La Rochefoucauld, Lichtenberg, Schopenhauer, Karl Kraus, Cioran, Baltasar Gracian, voire Roger Judrin, ainsi qu'à Georges Perros collant ses papiers, à Jules Renard diariste, à Pessoa intranquille, à Amiel, à... Qui d'autre, de cette veine! (Spinoza et Montaigne, cela va de soi. Le Zarathoustra de Nietzsche, oui, sans doute... ). J'ai envie d'ajouter les Journaux, encore, de Miguel Torga et de Cesare Pavese, les Carnets de Montherlant et de Philippe Jaccottet, les presque haïkus de Giuseppe Ungaretti, Giacomo Leopardi aussi... Tant de vitamines du bonheur de lire, autant de fortifiants à prendre avant de sortir dans la jungle urbaine.

Chamfort, donc : Quand on veut plaire dans le monde, il faut se résoudre à apprendre beaucoup de choses qu'on sait par des gens qui les ignorent.

Enfin -mais cela n'a rien à voir avec ce qui précède, je retombe sur cette phrase si fragile de Gracq, et qui m'évoque tellement Schubert. Et l'aile d'un papillon dans le vent de l'aube : Il sentait battre en lui une petite vague inerte et désespérée qui était comme le bord des larmes...


Commentaires

  • oui cher Léon, tout ce boulevard du bruit et pour des riens...Gracq a infiniment raison: d'un écrivain tout ce qui importe c'est ce qu'il a écrit, et si possible faire peu de cas du reste, parce que sa vie, ses opinions ( le vrai langage: de l'image qui sort du son et ça suffit amplement) au fond...j'y reviens toujours, même si parfois ok d'accord, il faut y porter éclairage, l'époque mais qu'y faire, bref j'y reviens encore: on n'explique pas la fleur par l'engrais...Un livre dans la jungle du monde, qu'est-ce sinon autant de jolies (ou pas d'ailleurs, il est des fleurs de colère aussi) de jolies frayeuses de chemin dirait Jacottet dont tiens, hier je relisais " Et, néanmoins"...

  • J'ajouterai les Correspondances de Flaubert (que je n'ai pas lues en entier, seulement le tome offert en La Pléïade pour un Noël il y a longtemps) que je m'encourage ici à relire ;-)
    Pourtant Sollers, dont j'ai découpé quelquefois des chroniques dans Le monde pour les garder, me semble quelquefois homme de posture aussi (je n'ai pas dit d'imposture). Je l'ai écouté un peu, avec Marie darieussecq, à La grande librairie, et je l'ai trouvé bavard, peut-être agacé par le talent féminin, un peu d'une misogynie qui se laissait voir… Mais je ne connais pas assez son oeuvre pour me permettre de commenter davantage (là, je suis pile en train de commenter l'homme ;-)

  • Ne pas oublier" Les pensées échevelées" de Jerzy Lec, cf ce lien http://www.gilles-jobin.org/citations/index.php?P=l&au=210

  • ah oui cher zarmo merci du rappel...

  • Oui, ficelle, les postures de Sollers sont célèbres. C'est un joueur. Il est souvent en représentation. Mais comme il assure, car il est brillant, il lui est beaucoup pardonné.
    La correspondance de Flaubert est un chef-d'oeuvre. Reprendre certaines lettres à Louise Colet, à George Sand, par exemple, me procure personnellement autant de plaisir qu'à relire des passages fétiches de ses romans et nouvelles.
    Mais j'évoquais seulement le style "aphoristique", choisi presque exclusivement par les auteurs que je citais, et auquel j'ajoutais le Journal (pris aussi comme genre littéraire) en ce qu'il engendre aisément l'aphorisme et le fragment.
    Et c'est pourquoi les moralistes, les pamphlétaires, les esprits vifs, suraigus, au trait décapant et définitif, au style et au sens renversants comme une prise de judo fulgurante, me sont infiniment précieux. J'y retourne comme à la machine à café, comme à une tablette de chocolat. Comme il est bon de retourner aux haïkus de Bashô et aux fulgurances d'un Char. Je donnerais un roman de Houellebecq pour un seul aphorisme de Lichtenberg...

  • Matin de printemps-
    mon ombre aussi
    déborde de vie

    Kobayashi Issa, avec Bashô, l'un de mes préférés

    et d'Issa celui-ci, entre autres celui-ci

    On vieillit-
    même la longueur du jour
    est source de larmes

  • merci benoît pour cette fleur d'avant-printemps et ces feuilles mortes qui se ramassent... A l'appel!
    A propos, j'invite chacun à lire les haïkus d'un qui se trouve en haut à droite dans la colonne "blogs et sites amis" : cliquez sur Haïku.

  • merci, clin d'oeUil (lorsqu'on clique sur votre identifiant, on tombe sur un site qui offre des smileys et autres emoticons : est-ce normal?)

  • C'est vrai qu'il est superbe ce billet, merci Leo !

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