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Lisez-le, cessez de le regarder!

Lisez-le, cessez d'évoquer, de ressasser sa gaucherie à l'oral, les phrases qu'il n'achève pas, ses bras qui fendent l'air comme une éolienne, son regard qui résume l'angoisse permanente et forte : lisez Modiano! Et cessez de juger, de gloser sur le mal être évident d'un homme lorsqu'il passe à la télé et pas*, ou si peu, l'écrivain qui écrit à la main, en silence, chez lui, depuis quarante-cinq ans.

Pas forcément L'Horizon, paru ces jours-ci, mais les vingt précédents, et surtout Un pedigree (et Dans le café de la jeunesse perdue), afin de comprendre tous les autres, même s'il s'agit (attention poncif) à chaque fois du même livre éternellement recommencé, à l'instar d'une douleur lancinante, ancrée très profond et qui ne passe pas.

Un pedigree a cette dimension autobiographique et sans concession qui permet d'éclairer l'oeuvre, depuis La Place de l'Etoile, son premier roman.

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*Dois-je répéter encore qu'un auteur n'est -ou ne devrait être- que ce qu'il écrit? Et que ce ne sont pas les séances de brushing-choucroute d'un Zeller ou le choix du décolleté d'un BHL, qui doivent laisser à penser d'une part que l'un écrit blond et romantique et l'autre imberbe et chic. A propos du second, certains passages de l'énorme confession inclassable de Marie Billetdoux, C'est encore moi qui vous écris! sont d'une refoutable acidité pour le jeune futur nouveau philosophe, tout entier obsédé par la construction minutieuse de son personnage, comme une midinette avant un casting...

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Tiens, par exemple, j'ai vu Charles Juliet -immense auteur, poète précieux d'Affûts, diariste profond à la langue forte et ancienne (le tome VI de son Journal vient de paraitre), l'auteur de récits et nouvelles subtils comme Lambeaux, L'année de l'éveil, Attente en automne..., signer dans une librairie, vendredi soir. Déjà, il est étrange qu'un tel ours se plie à ce genre de singerie. Et bien il était comme il doit être chaque jour, ailleurs : simple, humble, presque timide, économe de paroles, tout entier écrivain. En dépit de son profil anguleux, d'aigle en observation, il m'évoquait un bernard-l'hermite hors de sa coquille : l'abdomen frêle et fragile, infiniment vulnérable, replié sur sa fine peau, avec des pinces hypertrophiées et davantage encombrantes qu'utiles à une quelconque défense. Une sorte d'albatros baudelairien. Je me suis dit qu'il perdait son temps et qu'en étant là, il n'écrivait pas. Et que, comme souvent, nous n'avons rien à dire à un auteur assis derrière un rempart de livres, ni un auteur à un lecteur debout et tenant l'un de ces livres dans une main, il valait mieux qu'il abrège. Seul le stylo doit parler, non? Tout le reste est littérature.

Commentaires

  • Là-dessus cher Léon bien sur que...oui trois fois...Modiano, en outre chez lui cette façon de faire, l'air de rien et souvent deux phrases y suffisent, bref de faire en sorte ( c'est cette apparente économie de style, en soi un sortilège) que le lecteur, comme ça de soi, très vite s'immisce à la suite de l' errance de ses personnages, dans la ville, les rues , les lieux, la mémoire...Oui pour ma part ça qui me fascine chez lui, cette pudeur, cette discrétion...

  • C'est vrai Benoît : il existe un "sortilège" Modiano, avec cette "apparente économie de style" qui fait sa signature. Sa pudeur est maladive, et d'ailleurs, il cite Bloy dans "Un pedigree" : "L'homme a des endroits de son pauvre coeur qui n'existent pas encore et où la douleur entre afin qu'ils soient." Sa douleur, ses douleurs : la mort du frère, Rudy, alors que Patrick est encore adolescent, la négligence cruelle de ses parents qui s'apparente à une sorte d'abandon, sont constitutives d'une oeuvre infiniment lancinante... Et puis bien sûr il y a les fantômes de l'Occupation qui en sont la trame. Avec les rues de Paris, et l'annuaire du téléphone qui lui fournit tant de noms de personnages auxquels il donne vie, mystères et cette inimitable candeur qui rend chacun de ses livres touchant au plus profond de ce terme. Demain, je lirai "Dora Bruder", un Modiano qui semble fort; à part.

  • Ah "Dora Bruder"...souvenirs et remembrances éparses du temps où je jouais les aspirants critiques...chroniqueur serait infiniment plus juste... de longues minutes au tel avec cette attachée de presse qui aimait tant ça les résonances que chaque livre de Modiano laissait en elle...une trace sensible...Par moment et par endroit ,corrige moins si je dis une bêtise Léon, Michèle Lesbre je lui trouve des accointances modianesques...juste à mon humble avis...Villa triste de Modiano relu il y a peu...

  • Tout à fait d'accord, Benoît, pour "Le Canapé rouge" de Michèle Lesbre. Je n'en ai lu aucun autre de cet auteur(e).

  • Alors à propos de Juliet, écrivain secret s'il en est, cette phrase, ce fragment extirpé de " Dans la lumière des saisons", "les seuls chemins qui valent d'être empruntés sont ceux qui mènent à l'intérieur", toute son œuvre dit pas à pas ( ses poèmes, entre autres, "écrits" comme dirait Beckett " sous la dictée de l'inconscient" lui viennent, prose libre ( enfin libre...beaucoup de questions, de tâtonnements, du travel writting mental, référentiel, c'est mal dire mais ça fera) alors qu'il marche dans les rues...) écriture qui part du moi, n'a de cesse de défricher une autobiographie tourmentée ( celle d 'un "être assassiné" dès l'enfance), placée sous le signe de la douleur; s'extirper des serres du "moi-même" ( cet égocentrisme, cette auto-complaisance qui souvent peut t'affliger Léon quand les écrivains se contentent d'autofictionner) pour tendre vers la connaissance de soi, et s'élucider " devenir ce que l'on est" dirait Nietzsche, en trouvant la bonne distance, la seule forme d'objectivité littéraire qui vaille, mais quelle exigence tant il est ardu d'approcher en navigateur solitaire "le rivage des certes", tant ça implique surtout une constante auto-surveillance de ce moi egocentré . Juliet, ces deux titres pourraient presque le résumer, "Affûts" et "Fouilles"...

  • Alors, là, oui, tout à fait d'accord. Foutez-lui la paix ! Modiano... j'aime tellement le lire que j'ai fini par aimer l'écouter aussi.
    Je n'ai pas encore lu le dernier mais cette situation ne pourra pas durer très longtemps.
    Lisez Modiano et taisez-vous (pas toi, Léon, les autres, ceux qui le guettent d'un oeil mauvais).

  • ==> Sagesse : Ecoutes-le alors sur Mediapart, si tu en as la possibilité : il y a 8 petites vidéos charmantes...

  • Bonjour, j'ai eu l'occasion, une fois de me retrouver lors d'une signature face à face avec un écrivain dont j'ai beaucoup aimé le livre, et me suis senti vide de quoi lui raconter, à part le très creux et usuel "j'ai bien aimé votre livre". qu'aurais-je alors pu dire à C. Juliet dont j'ai simplement adoré les livres et l'écriture ? Rien de mieux sûrement, je reste à préférer le lire et je pense qu'il reste à préférer les écrire.

  • Face à un tel écrivain, en effet, il n'y a rien à faire, rien à espérer, excepté une banalité mutuelle que l'on mettra sur le compte de la gaucherie et d'une incapacité naturelle à n'être pas soi-même.

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