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  • Boulangerie : Montaigne quotidien

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    En direct : J'écoute Leonard Cohen, Ten new songs, puis j'écoute Alain Bashung, Bleu pétrole, je relis Hypérion de Hölderlin au hasard, je reprends les Hymnes à la nuit de  Novalis, n'en relis que les annotations en marge, faites au crayon, de mes premières lectures. Manciet, Juliet, Cadou, Neruda, Ungaretti me lancent des oeillades - et nous alors, ohé !... Je contemple sans le regarder un ciel bleu pâle. Novembre. Fin novembre doux au lieu d'être givré jusqu'à l'os, soit l'opposé d'un novembre classiquement vigoureux, capable de glacer notre oesophage lorsque nous inspirons à fond, à l'aube, face à lui tout entier. Droit dans les yeux déjà gentiment agressés par une froidure que l'on accueille "comme la nuque en sueur trouve bon le mouchoir aride" (Char). Un vent à décorner les ânes dirait mon ami Benoît génère à l'instant une rauque musique de mes volets mal arrimés. Je les ai pourtant coincés avec des bouchons. Je veux ignorer le prénom de ce nouvel ouragan - ou prétendu tel... La plage de la petite Chambre d'amour était plate tout à l'heure. Marée haute. Plate comme une crêpe sèche. Oubliée au-dessus du placard lorsqu'on a (volontairement) raté son saut dans la poêle. Cela porte bonheur, disait Maman. L'Adour (et j'aime que le correcteur rectifie aussitôt ma frappe avec une aveugle autorité : L'Amour...), uniformément beige, semblait prêt à déborder, dans l'arc de Blancpignon qui figure un mol croissant de lune. Nous connaîtrons de plus en plus de débordements. Ils ne seront pas toujours pétris de sentiments généreux, amoureux. Plutôt d'excès haineux, rugueux. Je chasse la douceur en ce dimanche comme on quémande un regard complice, une connivencia sourde. Tue. Forcément tue. En choisissant par défaut l'affût au lieu de l'approche. Preuve que je ravale à l'instar d'une biche bréhaigne, ou comme un grand vieux solitaire, une carne repliée au -fin- fond d'une forêt forcément noire. Et crue. Une page des Essais de Montaigne quotidien - plus indispensable que le pain - me sauvera, j'en suis certain. Il me faut juste me lever et l'attraper. Dresser le bras gauche, empoigner le volume avec le même délice de chaque jour. Puis, l'ouvrir au hasard, ainsi que je pratique cet exercice sportif avec La Recherche, de Proust. Nous avons les Ventoline que nous pouvons. Montaigne prescrit comme bronchodilatateur. Pourquoi pas? La belle affaire sans ordonnance... L.M.

  • émotion de gambe

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    L’année du bac, été 1976, je m’offre mes premiers disques de Jordi Savall et son ensemble Hespérion XX :  Monsieur de Sainte-Colombe, plusieurs volumes de Marin Marais... Des 33 Tours achetés à Disco Shop, mon fournisseur de la rue d’Espagne, à Bayonne. Suivent d’autres enregistrements. En septembre 1980, voyageant à travers le Portugal en minibus Bedford avec une amie, je coupe le moteur sur une place de Coimbra, au crépuscule et au son strident de martinets rasant le sol et nos têtes, devant une grande église sépulcrale. J’ouvre la portière, me parvient le son d’une viole de gambe. Nous approchons, poussons la porte, un sbire, index sur les lèvres, nous invite à nous accroupir devant le premier rang. Le concert venait de commencer. Hespérion XX. Savall, Montserrat Figueras et tout l’ensemble. Frissons durables. De ce moment-là à aujourd’hui, je n’ai jamais cessé d’écouter toutes les créations, productions, d’assister quand je le pouvais aux concerts de Jordi Savall. La disparition de Montserrat, sa femme, me fut une peine, comment dire, à caractère familial. J’habite la musique baroque et son interprétation par Jordi et ses formations successives. Bien sûr, « Tous les matins du monde » me provoquèrent un choc, comme à chacun. D’autant que Pascal Quignard figure l’un de mes écrivains français vivants préférés, et dont je lis absolument tout. Ce livre-là, je le lus, et relus trois fois d’affilée, une nuit entière, à sa parution (je ne refis cela qu’avec « Soie », d’Alessandro Barrico). Et là, à l'instant, j’écoute Lachrimae Caravaggio, Hesperion XXI, pur bonheur, allez-y, vos frissons s’impatientent => lachrimae

  • Sauver Boualem Sansal

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    Nous redoutions cette arrestation depuis longtemps. Boualem Sansal m’avait confié bien pire et bien plus beau : « je sais que je peux être tué d’une minute à l’autre, mais je préfère ne pas y penser et continuer de vivre normalement en Algérie, car si je prends peur, je transmets ma peur à ma femme et ça je ne le souhaite pas... Mais je suis peut-être devenu trop connu pour risquer désormais quelque chose ». J’aime Boualem depuis notre première rencontre, j’aime tous ses livres, son rarissime courage, sa bonté, sa franchise, sa gentillesse, son inquiétude majeure pour une France – dont il aime tant la langue et l’histoire - devenue démesurément pleutre devant l’islamisme qui la gangrène. Boualem figure à mes yeux un sage indien des hautes plaines, une sorte de Socrate, une Cassandre pugnace, un écrivain d’une trempe fougueuse, que seuls l’obscurantisme à front de bœuf et « la marée montante de la bêtise » (Camus) peuvent démolir. Nous devons absolument tout faire pour sa libération. Tout. Et prier pour que rien de grave ne lui arrive. L.M. 

  • Un beau ténébreux (au hasard)

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    Julien Gracq est plus fort que tout, que tous. Je le savais, je le sais, je le redis. Je viens tout juste d'attraper comme ça "Un beau ténébreux" sur l'étagère large de ses oeuvres, lequel n'est vraiment pas mon livre préféré de mon auteur fétiche, et je l'ouvre au hasard. Page 48 (ci-dessus) et aussitôt la magie opère. La littérature à l'état pur comme on le dit d'un diamant, est là, contenue, concentrée sur quelques lignes, une page qui en aspire d'autres, toutes les autres, et le désir immédiat de remonter la source, de revenir à la page une. J'ai des frissons devant tant de style, de subtilité, de sensibilité, d'images, de profondeur, de sincérité, de beauté majuscule... Les larmes pourraient me gagner comme lorsqu'on est - si rarement - saisi par "le syndrome de Florence", dit aussi "de Stendhal". Je me garderai ce soir de mettre au rapport mes livres préférés de JG, par crainte de faire une attaque littéraire, maladie rarissime contractée après lecture de chefs-d'oeuvre, non repérée par le Vidal à dos rouge, et à ce jour inguérissable - et c'est tant mieux ! L.M.

     

  • Chadburn

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    Quel âge ai-je, quinze ans au maximum, mes parents reviennent d'une croisière en Croatie et par là-haut sur le paquebot France où ils retrouvèrent leurs amis Jean-Jacques et Anne-Marie Lesgourgues, qui sont aussi et encore mes fidèles amis (Maman m'avait rapporté ce tee-shirt marqué du plus beau mot qui soit), je porte une casquette de marin car mon père tenait à ce que j'aille au lycée la tête ainsi couverte, et vêtu d'un caban bleu marine, d'un pull marin avec boutonnière sur l'épaule gauche, et d'un pantalon "pan" disions-nous, avec boutonnière en pont sur trois côtés (je ne me souviens pas des chaussures, mais ce n'était pas des bottes bleues), je porte au cou un sifflet de chioulayre pour faire venir les alouettes, lequel ne m'a jamais quitté, et j'actionne l'imposant chadburn de cuivre et de verre (qui trône toujours chez moi, et qui, sauvé de la casse, provient d'un des bateaux de l'armement familial), la photo fut prise par mon ami Peyo Durandeux, qui aurait eu 66 ans ce 17 novembre (nous avions dix jours de différence) si une rupture d'anévrisme ne l'avait pas soustrait à nous le 1er janvier 1999, lors qu'il dansait, à Saint-Leu (La Réunion) dans les bras de sa femme Odile. J'aime ce cliché saisi avec mon Polaroid blanc, un peu construit, mais il lui est pardonné, car nous avions quinze ans, ce devait donc se passer en 1973. E la nave va...

  • enrosadira

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    "Le jour a toujours l'air d'avoir passé une nuit blanche quand il se lève. Les Italiens ont un mot intraduisible pour désigner l'instant où le soleil réveille le monde d'une caresse : enrosadira...", lis-je chez Sylvain Tesson dans Le Point de cette semaine. Le fanatique de l'aube que je suis l'approuve tellement.

    Photos : les barthes de l'Adour du côté de Pey et de Siest (40), un matin de novembre givré comme je les adore).

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  • Con te partiró

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    C'est avec des livres comme ceux-là que l'envie de fuir en Italie m'étreint. Le délicat, sensible, si bien écrit ouvrage de la talentueuse Christiane Rancé (lire ici même l'article sur : Dictionnaire amoureux des Saints), "Bella Italia. Un itinéraire amoureux" (Tallandier) est un florilège de lieux, de sensations paysagères, d'émotions gourmandes et artistiques, car l'Italie est art et ce livre un enchantement de 330 pages, qui nous conduit à Gênes, Venise, Rome, Naples, partout, où l'on croise des peintres et des cinéastes, des écrivains et des mammas généreuses et point caricaturales, ou encore des mafieux par essence caricaturaux. C'est d'une déclaration d'amour qu'il s'agit, et nous devenons au fil des pages nous-mêmes amoureux de chaque centimètre de la Botte.

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    Pour nous épauler avant de nous envoler, Ulysse publie un album très richement illustré de plus de trois cents photos splendides, "Italie. 50 itinéraires de rêve" (titre d'une collection originale chez cet éditeur) qui figure une autre façon de nous inviter à découvrir d'abord ce que nous ne connaissons pas : les Pouilles, la Calabre... Puis à redécouvrir ce que nous pensons connaître de cet inépuisable pays de la sensibilité et de l'art. Désarmement des toboggans. Vérification de la porte opposée... L.M.

  • L'ineffable

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    C’est une pièce plus mince qu’un After Eight, mais ça envoie du menthol pour un moment. C’est une hostie théâtrale, une victime qui fond bien sous la langue, il suffit de fermer les yeux. Et sa teneur est d’une densité épaisse. « Pour un oui ou pour un non », de Nathalie Sarraute (folio lycée, programme du bac, je retombe en arrière enfance...), c’est comac. Son pitch tient en deux phrases. Il est question d’amitié. D’un mot de trop, prononcé – par l’un, à l’autre -, avec une once de mépris et de jalousie mêlés : « C’est bien, ça… ». Genre drop de la dernière seconde. Tout tourne autour de ces trois mots, qui mettent à bas des années d’amitié. Le talent de Sarraute, avec une économie de mots janséniste, fait le reste. Soit « le job ». J’aime...

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    Dans la même collection, nous avons eu le plaisir de relire « On ne badine pas avec l'amour », de Musset, et de découvrir « Le Menteur », de Corneille, formidable échafaudage dramatique sur le thème du quiproquo, l'affabulation. Facétieux, ça aussi... L.M.

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  • Molière à coeur

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    Ceci ne s'adresse pas seulement aux coeurs d'artichaut... Il y eut, pour célébrer l’année Molière (diable ! J'accuse un grand retard...) ce facétieux petit recueil habilement troussé et tendrement illustré par Pascal Lemaître, champion des petits cœurs bien placés, « Parlez d’amour dans la langue de Molière » (à l'impératif), textes choisis par Julie Maillard (éd. de l’aube). Vous allez tout de suite comprendre si j'écris qu'il s'agit d'un livre pour lieu d’aisance, ou bien pour la table sise au chevet d’un lit à deux places, histoire de lui dire avant, ou après : écoute, écoute... Le florilège, extrait des plus fameuses pièces de Molière, s’articule autour du fait amoureux, du combat de l’amour, de l’amour heureux... et se désarticule au moment de l’amour malheureux. C’est tendre, c’est fin, ça pince, ça charme, c’est fort. Molière, quoi. (Extraits ci-après). L.M.

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