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KallyVasco

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    12.IX.1979. Ça ne me rajeunit pas... Voilà quarante-cinq ans jour pour jour, Saint Apollinaire - je me souviens de m'être dit : c'est un bon signe, garçon (tu parles !..), ce 12 septembre là, je publiais mon premier livre, « L’aube froissée ». Des poèmes mélancoliques, écorchés certains, sanguinolents par métaphore, sur l’amour déçu – le premier de l’existence ; l’adolescence en fuite, le givre consolant des aubes de novembre qui galvanisent le corps, les vols d’oiseaux de passage qui réconfortent l'âme, la découverte d’une langue, celle de René Char, qui illumine la porte étroite de l’entrée dans la vie d’homme. J’avais vingt ans et des poussières. Aujourd'hui que je renie ce maigre coup d'essai en ne le mentionnant plus dans la page "du même auteur" de mes récents ouvrages, je m'interroge... J’étais étudiant à Bordeaux et je m’ennuyais, loin des barthes de l’Adour, de la présence capitale de mon grand-père et de celle de mon chien. Je les retrouvais chaque vendredi soir à la descente du train, après le rite d’Apostrophes et les petits plats de maman servis sur un plateau devant la télé. Les femmes n’étaient encore qu’une idée vague et j’en manquais, mais je surfais. Quarante-cinq ans... Promis, dans cinq ans, je ferai une fiesta, poétique et gaie. L.M.

    La "4 de couv." :

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  • Matinée douce

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    Après avoir dévoré dès potron-minet (et comme chaque jour pour escorter quelques double express avec un croissant Picard : 10 mn au four et hop !) la presse quotidienne, hebdomadaire et magazine parue cette nuit ou il y a peu (*), j’écoute le nouvel album de l’immense David Gilmour, « Luck and Strange », aux mélodies d’une douceur aiguë qui conserve avec une mélancolie étudiée des accents Pink floydiens (ça se dit ?), tout en entamant le fascinant dernier roman de Sandrine Collette, car sa plume me captive depuis « Des nœuds d’acier » (dont j’avais rendu compte en 2013 dans Télé 7 jours). Sa « Madelaine avant l’aube » est âpre, sobre et puissante dès les premières pages (première sélection Goncourt, d’ailleurs...).

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    Je feuillette en même temps une nouveauté Ulmer reçue cette semaine (un éditeur que j’aime suivre), « Mangez néolithique », ouvrage sérieux et pragmatique, pratique même avec ses recettes pour doper la santé. Loin de notre chouchou (littéraire) sur le motif, « La cuisine paléolithique », du grand Joseph Delteil. Coquetaile... L.M.

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    (*) Je recommande le passionnant entretien croisé des rejetons Bernanos, Péguy et Claudel, mené par Clotilde Hamon-Castéran (Famille chrétienne), la nouvelle chronique (hilarante car caustique) de Bertrand de Saint-Vincent consacrée à, ou plutôt concassée sur Lucie Castets (Le Figaro magazine), celle, toujours brillante de Abnousse Shalmani sur le sort tragique des Afghanes (L'Express), et la reprise d'un portrait de Delon par Jean Cau - ça date mais c'est encore succulent (Paris Match). Sans oublier le spécial vins annuel du Point

  • Adieu Michel Guérard !

    Je le pressentais très fort depuis quelques jours, j’ai pensé, après le départ d’Alain Delon, à lui. J’avais réservé une table à la Ferme aux grives pour demain à déjeuner. Il était prévu que nous nous voyions. Je l’ai rencontré à plusieurs reprises au fil des années pour des reportages et des textes dans des livres. Je me réjouissais de le revoir, et ce pressentiment, resurgi ce matin au réveil, s’est confirmé en milieu de matinée. Demain sera un jour particulier à Eugénie-les-Bains. Nous en serons, dès avant l’heure de l’apéritif. Ci-dessous, le dernier texte que j’ai publié sur la maison Guérard, la famille, l’esprit, tout. C’est paru il y a quelques mois dans le magazine de Lionel Osmin & Cie. Bonne lecture.

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  • Annie Le Brun

    Cela fait beaucoup en quelques jours pour la collection Poésie/Gallimard. Deux géants sont partis. Charles Juliet (lire plus bas) et Annie Le Brun, que j'évoquais ici même le premier mai dernier...

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  • Signatures

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    Vu à l'instant sur les "réseaux sociaux". L'occasion de dire que je signerai à la Maison de la Presse d'Anglet Cinq Cantons (64) dimanche 4 août dès 10 h cinq de mes derniers livres : Belle perdue (Cairn), Les bonheurs de l'aube (Cairn), Petit éloge amoureux du Pays basque (Privat), Le bruissement du monde (Passiflore), Anglet (Passiflore). Et je récidiverai mardi 6 à la librairie de la Plage à Hendaye, Ikas Leku.

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  • Charles Juliet

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    Fréquemment évoqué ici, il demeurera une immense voix de la poésie contemporaine. Charles Juliet est parti aujourd'hui, jour du 114e anniversaire de la naissance de Julien Gracq et cela a peu à voir; avec. Depuis Affûts, en 1980, nous le suivions recueil après recueil publié par POL. Nous l'avions rencontré, sa pudeur et lui, sa timidité et son silence, son regard de rapace a priori adouci, à Paris, un après-midi, nous avions évidemment évoqué sa recherche obstinée de la lumière. La lumière... Les volumes précieux de son Journal. Et ses Lambeaux, son Année de l'éveil, ses conversations magnifiques avec Bram Van Velde. Son dernier livre en forme de confession de rattrapage, d'aveu indispensable, de clé de son travail, un mini recueil de quatre-cinq textes brefs, La Fracture, ouvre la voie de son oeuvre discrète. Si pure... L.M.

     

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  • Bayonne est une Fête, deuxième

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    L'édition 2024 (la seconde) paraît ce jour aux éditions Atlantica (17€). J'y figure (pages 37 à 42) comme "plume invitée"... à donner un texte sur le thème Ombres & lumières des Fêtes de Bayonne. Ce que j'ai fait avec plaisir, en invoquant tour à tour Hemingway, mon fils, Roland Barthes et Paul Jean Toulet. Les autres auteurs invités sont Itxaro Borda, Paul Larrouturou et Mehdi Ouraoui. L'ouvrage publie les lauréats de ce concours singulier initié par Gorka Robles et Pierre Casamitjana, à l'origine de l'association Le Basque & la Plume, et qui incite à adresser un récit libre sur le motif. Trois éditions sont proposées : en français, en basque et en occitan (subdivisées en deux catégories : adultes et lycéens). Il y a par conséquent trois jurys distincts. Parmi les lauréats de ce millésime, citons Maxime Krummenacker, Stella-Lou Monachino, David Ondars et Joan-Loís Lavit. L.M.

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  • "Les bonheurs de l'aube" dans Causeur, avec la plume de Thomas Morales

    Ce matin, j’ai vu un surfeur
    Les éditions CAIRN font reparaître « Les bonheurs de l’aube », le recueil de nouvelles de Léon Mazzella, chasseur de vagues et sensible écrivain de l’éphémère
    Il y a des livres courts, une centaine de pages, sans graisse et sans pathos, qui propagent longtemps en nous, une douce mélancolie. Un pincement au cœur qui n’est pas apitoiement sur soi, mais plutôt une forme de révélation. Enfin, nous allons nous détacher des huis-clos urbains et déracinés. Quelque chose de plus vaste, de plus vibrant, de plus charnel nous appelle et fait tressaillir les costauds affichant le quintal sur la balance. Léon Mazzella diffuse son gracile toucher de plume dans ce texte qui eut l’honneur d’être finaliste au Prix Goncourt de la Nouvelle en 2002. Mazzella est un nouvelliste épicurien, capable de sonder les minuscules bonheurs que nous offre la nature à qui veut bien les saisir. Dans un monde qui ne sait plus regarder un vol de perdrix ou s’émouvoir d’une truite fario dans les chaves d’une rivière, « Les bonheurs de l’aube », préface de Dominique Bona, ont le parfum des matins vitreux, entre chien et loup, l’inattendu à bout de fusil, les sens aux abois, la vue seulement brouillée par les volutes d’un cigare cubain. Á l’instant même où les Hommes se défont de leur carapace, se découvrent enfin et se confient dans une semi-clarté ou une semi-obscurité. Il est temps de parler. Il est temps de se libérer. Il est temps de ressentir l’inconnu. Plus tard, dans la matinée, quand le soleil va monter inexorablement, les réflexes sociaux viendront masquer les élans du cœur et trahir nos émotions les plus sincères. Á l’aube, dans la promesse d’un ciel nouveau et l’esprit encore encombré par les vociférations de la nuit, les chagrins prennent la forme d’une odyssée. Banale et mystérieuse. Mazzella, d’obédience gracquienne, porte en lui la mémoire de la terre. Il communie avec cette nature à la fois tempétueuse et irradiante, il la raconte dans sa bestialité et sa beauté tragique au plus près de ses pulsations sensuelles. Mazzella est le cardiologue des paysages, il mesure les battements de la forêt, de la mer, des lacs et des steppes. Il est son oreille et son écho. Ces nouvelles de quelques pages sont un voyage vers l’essentiel. Un retour à l’originel. Avant de le lire, nous avions oublié combien le lever du jour est propice aux illuminations et aux chevrotements, combien nous sommes faibles et perdus. Il se passe là, dans cet éphémère-là, des mouvements, des inclinations, des secrets bien gardés que seul un écrivain de talent peut voler à la dérobade. Dans la lignée du solognot Maurice Genevoix ou de sa compatriote landaise, Christine de Rivoyre, Mazzella nous parle des ours, des lacs, des étangs, des détroits, de la chasse au canard ou de la pêche à la mouche, il est tantôt dans la brousse face au roi de la jungle, retenons cette phrase : « l’aube n’existe pas en Afrique. Elle ne surgit jamais comme ailleurs », tantôt pilotin apprenti sur un cargo français à la merci des vents mauvais. Depuis longtemps, je n’avais pas lu un écrivain aussi proche de la nature, sans mièvrerie et fausseté, en mesure de restituer son indicible fracas. Avec Mazzella dans sa poche, on parcourt la planète à la recherche de cette minute fragile entre le jour et la nuit qui nous rend éminemment vivant. On tremble avec ses personnages, devant la crinière d’un lion ou dans l’attente de cette première vague à Biarritz, sur sa côte chérie. Les surfeurs amis sont au pied d’un Débarquement. L’irréparable sourd des ténèbres. Une « guerre » se prépare. La peur et l’excitation annoncent une bataille contre les éléments. Dompteront-ils cette crête qui les submerge ? « Elle est noire. Presque rien ne bouge. Une houle épaisse et lente chaloupe ses dessous. Nous l’entendons encore davantage que nous ne la voyons. La mer se réveille lentement. C’est une peau d’ours. Un ventre de lionne allongée. Elle est pleine mais elle commence à se retirer. La marée descend. Notre jeu consiste à prendre la première vague qui cassera » écrit le nouvelliste au plus près du tumulte. Comme moi, vous aurez forcément envie de lire la suite de cette chevauchée et tous les autres textes de ce surfeur de lumière(s).
    Thomas MORALES
    Les bonheurs de l’aube de Léon Mazzella – CAIRN
     

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  • Zita au pays de l'ours

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    Heureux de voir repris en folio le 16 mai prochain, « La grande ourse », de Maylis Adhémar, paru chez Stock l’an passé, et que nous avions présélectionné pour le Prix François Sommer 2024 (qui échut finalement à Fanny Wallendorf pour « Jusqu’au prodige », Finitude), car j'avais ardemment cru en ce livre lors des délibérations. C’est un roman puissant qui se déroule dans le Couserans, en Ariège, en montagne, au pays des ours, dans des vallées et des villages reclus, mais pas abandonnés. L’histoire est bien construite, la narration souvent palpitante, l’écriture est belle, le style haletant et précis, il y a là un véritable ton. Le roman vire quelquefois à l'essai romancé, surtout dans la seconde partie, lorsqu'il est question des ours à problèmes et de la dure condition de berger. Zita, double de l’auteur, est un formidable personnage central d’une force rare, intelligente et intransigeante. Pierrick, son homme rencontré « un samedi d’automne pluvieux, au creux de cette jeune montagne de quarante millions d’années » dans un bar plein à craquer est un citadin un peu falot, en contrepoint. Maylis Adhémar nous livre un bouquet de fulgurances sur les néo-ruraux, les bobos toulousains, les ruraux bourrus, les rugbymen rustres, les chasseurs mal dégrossis, ainsi qu’une galerie de portraits sensibles de vieux, d’éleveurs en détresse, de paysans. Zita Albouy a beaucoup voyagé en pleine nature avant de revenir à Ossèsse, où elle vit le jour en juillet 1985.  Ingénieur agronome globe-trotter cinq années durant, elle revient donc au pays, dans la ferme familiale. Elle est demeurée farouche, primitive, amoureuse, exclusive, sauvage, mi-chatte, mi-tigresse. Sa jalousie à l’encontre d’Émilie, et même d’Inès, l’ex de Pierrick et leur fille, est d’ailleurs moins réussie. La mièvrerie pointe sa mine dans le récit lorsque Inès tente d’accuser Zita d’avoir tué l’ours Anis. Mais l’évocation de Callisto, dans la dernière partie, clôt avec superbe le roman : Callisto, violée par Zeus, enfanta Arcas avant d’être transformée en ourse par l’épouse légitime de Dieu. La femme-fauve devint la proie de son propre fils, chasseur. Callisto et Arcas furent élevés dans le ciel par Zeus et devinrent des constellations. La Grande Ourse et la Petite Ourse, guides des égarés et des rêveurs de nuit... L.M.

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    Maylis Adhémar (photo © Astrid di Crollalanza).

  • Visit Bayonne 2024 (Bayonne Gourmand augmenté)

    Fier d'avoir pas mal collaboré, avec une poignée d'articles introductifs, à cette nouvelle édition (92 pages) du guide bayonnais publiée par Atlantica pour l'Office de Tourisme. Elle est gratuite, et bourrée d'infos non seulement gourmandes, mais également culturelles, patrimoniales, sportives, pratiques...

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  • René Guy Cadou

    Capture d’écran 2024-05-01 à 11.06.48.pngLe dernier recueil publié (le 25 avril dernier) par la collection Poésie/Gallimard (encore elle) m’est particulièrement cher. Il s’agit du meilleur de la poésie de René Guy Cadou, poète (souvent évoqué ici) trop tôt disparu en 1951 à l’âge de trente et un ans, et dont l’œuvre est considérable. Je ne me suis jamais détaché ni séparé longtemps de « Poésie la vie entière », ses œuvres poétiques complètes (480 pages quand même) publiées par Seghers, depuis leur acquisition à l’âge de vingt ans, à l’automne 1978. Leur découverte me fut une source de bonheur lumineuse, car je retrouvais dans le cordage de ces poèmes l’Éluard des poèmes d’amour et le Giono des sensations dans la nature, soit deux phares mêlés chez Cadou et propres à éclairer souvent, presque quotidiennement mon cheminement. Cadou fut habité par l'oeuvre de Max Jacob, et celle de Guillaume Apollinaire, auquel il consacra deux essais. « Hélène ou le Règne végétal », c’est le meilleur de la poésie d’un homme éperdument amoureux. L’intelligentsia germanopratine a longtemps négligé René Guy Cadou, le jugeant trop rural, comme elle jugeait Camus trop modeste socialement. Le poète de l’école de Rochefort, le barde de Louisfert est cependant constamment réédité et nous savons que son œuvre est appelée à perdurer. Cette nouvelle édition proposée par Gallimard est suivie d'un recueil de réflexions et d'aphorismes sur la poésie et la condition de poète intitulé « Usage interne». L.M.

    Quelques extraits :

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  • Annie Le Brun

    Capture d’écran 2024-05-01 à 10.33.50.pngLa collection Poésie/Gallimard à laquelle nous sommes si attachés, a la bonne idée de publier « Ombre pour ombre » d’Annie Le Brun (née en 1942). C'est l'oeuvre poétique d’une surréaliste flamboyante au verbe fort, ardent, frappeur aurait dit Georges Henein. Annie Le Brun entretint un compagnonnage avec André Breton dans la dernière époque du mouvement subversif initié par le pape sectaire de l’écriture automatique, puis devint spécialiste de l’œuvre de Sade. Poétesse prolifique dans les années 1970, personnage à l’insolence créative, son œuvre ici rassemblée offre des fulgurances qui clouent le lecteur : « Je me suis laissé découper par votre ombre ce dimanche d’hiver où vous avez traversé ma vie. » (extrait du recueil Les pâles et fiévreux après-midi des villes). « Dites-moi les loups, les orchidées, les bagages en sucre. / Dites-moi la neige qu’on écrase à la vitre de mes tempes. » (extrait de Les écureuils de l’orage). Et les poèmes reproduits ci-dessous en guise de mise en bouche. Le premier est extrait du recueil Annulaire de lune. Les deux derniers extraits, du recueil Ouverture éclair, qui s’ouvre par ces mots : « Aimer, comme l’ombre hurle en plein été. » L.M.

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  • Variette, le succès sauce Nature

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    Anne Dubarry est une femme entreprenante couverte de récompenses. Ou plutôt, ce sont ses merveilleuses sauces tomate qui récoltent des médailles. La dernière en date (ce mois-ci) , la treizième en six ans d’existence, est le prix du Bien-Manger attribué par Santé Magazine, lequel valorise la nutrition, l’environnement et le goût. Voici, à gros traits, l’histoire de Variette, entreprise sous-titrée « de graines et de goût », soit une petite structure 100 % Bio qui connaît un succès vraiment mérité. Après des études de commerce à Paris, Anne Dubarry travaille à Madrid, puis à Paris comme acheteur dans la distribution. Elle rejoint ensuite Les Ducs de Gascogne, fameuse entreprise familiale sise à Gimont (Gers), soixante ans d’existence en 2006, avec Laurence sa grande sœur et leur père. Elle y restera dix années, s’occupant de marketing, du commercial, de la communication et des achats (Laurence s’occupant de la production, de la direction administrative et des finances). « Nous sommes des sœurs complémentaires », dit Anne, « et je me suis personnellement formée solidement à une palette de compétences transversales. Lorsque je me suis sentie prête, j’ai projeté de voler de mes propres ailes ». Il faut préciser que Variette, c’est à ce jour une seule et unique personne : Anne Dubarry. Et pas mal de sous-traitants, cela va de soi. En 2016, l’entreprise Les Ducs de Gascogne, 70 employés, est vendue à des repreneurs : ni licenciement ni délocalisation. « Dans la famille, on avait fait le tour de la question foie gras, canard et traditions, et puis la filière subissait une forte concurrence », déclare Anne. « En 2017, j’ai fait des choses inhabituelles, à commencer par une première pause dans ma carrière, j’ai passé un CAP de boulangerie par défi, que j’ai obtenu un peu par miracle, en catégorie amateur, j’ai effectué un stage chez des paysans boulangers, et là j’ai beaucoup appris sur le vivant et les variétés de blé anciennes... »

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    Anne, engagée intellectuellement depuis toujours dans le domaine de l’écologie et du développement durable dans son ensemble, mais pas par mode ni opportunisme, en toute franchise intérieure, se détourne alors du monde de la viande, de l’élevage en se tournant résolument vers le végétal. « Ma famille, c’est trois générations de charcutiers conserveurs, ce sont les créateurs en 1908 de La Comtesse du Barry, c’est une réelle compétence de conserveurs. Moi, j’ai eu envie de créer une conserverie végétale axée sur le vivant. » Anne s’emploie alors à monter un cadre contraignant, fondé sur des variétés anciennes issues de semences paysannes libres de brevets et reproductibles. Son cahier des charges est volontairement drastique car elle est d’une exigence sans limites lorsqu’il est question de qualité, de respect de l’environnement et des goûts originels, s’agissant de ses « variétés originales, colorées et goûteuses ». Elle donne volontiers dans l’agro-écologie, l’agro-foresterie et tous les produits de sa gamme sont certifiés « 100% Bio ». On est tenté d'écrire 101 % !.. Anne travaille dans une dynamique de commerce équitable avec ses partenaires agriculteurs. « Je m’engage sur un volume en début d’année, je réduis les délais de paiement... Le respect est une valeur fondamentale à cultiver sans cesse. » De même, Variette se fournit dans un rayon de 100 km autour du site de production gersois, sis à Fleurance, et son rayon d’action s’étend en Occitanie. La production, entièrement artisanale, c’est 80 000 bocaux annuels, un travail de chaque instant avec nombre de partenaires engagés comme Anne elle-même. Baladez-vous sur son site, Variette - et vous découvrirez les engagements de cette petite entreprise en faveur de la biodiversité cultivée, du goût sain, des bonnes pratiques culturales, des actions exclusivement positives, au sein du très sérieux Réseau Semences Paysannes. Par ailleurs, Variette soutient, en faisant des dons, des associations œuvrant en faveur de la transition écologique comme Jardin Bellevalia (à Gimont).

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    Anne Dubarry pense 24/24 aux démarches éthiques et vertueuses. Et ce ne sont pas que des mots, mais des faits. Du réel. Depuis un an, Variette est engagée également dans la démarche RSE, pour Responsabilité Sociétale des Entreprises, « qui signifie conduire une structure de taille modeste en continuant de veiller aux soins, en toute logique avec ma philosophie du travail, fondée sur le respect total de la nature », précise-t-elle. Au début, Variette, ce fut une gamme de dix sauces tomates monovariétales, afin de mettre en avant la singularité savoureuse de chaque espèce. De la (vraie) Cœur de bœuf rouge à la Valencia en passant par la Green Zebra (la chouchou d’Anne), la Costoluto genovese, la Tomate ananas, ou encore la Brandy Wine (elles ont toutes été primées). La Noire de Crimée n’est pas en reste, pas plus que la tomate ancienne Beauté Blanche, la rose de Berne ou l’Andine cornue... « Pour chacune, la recette est identique : 95% de tomates, un peu d’huile d’olive et un soupçon d’ail auxquels j’ajoute un tout petit peu de sel et de sucre de canne non raffiné issu du commerce équitable ». Pourquoi la tomate ? « Parce que dans ma famille, on fait beaucoup de coulis l’été, c’est cette sorte de madeleine qui m’a donné envie de commencer comme ça, en 2018. Et puis, comme il existe plus de 800 variétés de tomates, Variette a du fruit sur la planche ! ». Le succès de la petite entreprise a été immédiat, entre autres grâce à un sacré coup de pouce médiatique survenu quatre mois à peine après le lancement de la marque. François-Régis Gaudry et son émission « On va déguster » sur France Inter vanta les qualités gustatives des sauces dégustées par son équipe. Ce coup de cœur (de bœuf) propulsa la machine auprès du grand public. Aujourd’hui, les revendeurs de Variette sont tous de qualité, de La Grande Épicerie du Bon Marché à Paris à l’ensemble des épiceries fines de province, le réseau Biocoop, ou des boutiques curieuses et exigeantes dans leur référencement comme Sardine à Ciboure, et puis des chefs de renom comme Jean-François Piège passent régulièrement commande à Anne.

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    « Je vends aussi via Internet, où le panier moyen de ma clientèle de particuliers est de 70€. Je remarque souvent un effet wouaouh ! lorsque l’on goûte à mes sauces. Cela réveille des saveurs de l’enfance, c’est ce que j’appelle l’effet riz au lait... » Au-delà des sauces tomates qui magnifient les spaghettis et autres penne rigate (après avoir goûté à la formidable Cœur de bœuf, par exemple, vous ne pourrez plus acheter une sauce tomate industrielle à la supérette du coin. On parie?..), Variette propose plusieurs autres gammes, du pesto de basilic à la crème de poivrons Corno di toro, des légumineuses : pois chiches noirs, blancs, houmous de lentilles multicolores, ou bien noir au cumin, le petit épeautre (un cousin du blé très ancien, 12 000 ans) des petits haricots Saint-Esprit, « blancs avec une tache lie de vin sur le côté... ». Anne en parle comme s’il s’agissait d’enfants dans une pouponnière. Et puis il y a cette rafale de médailles qui récompense le travail têtu d’Anne l’exigeante. « Cela joue à fond sur l’esprit du consommateur, qui fait totalement confiance à mes gammes ». Anne, que l’on surnommait Nanette lorsqu’elle était enfant, « c’est comme Danette mais avec un N », dit-elle en riant, a baptisé naturellement sa marque Variette, « une collection de sauces mais pas que, au positionnement réussi au bout de six années. En résumé, ce sont des produits très goûteux en plus d’être attractifs, sains, naturels, et locaux », dit-elle avec beaucoup trop de modestie. Ne l'écoutez pas. Goûtez plutôt.  Léon Mazzella

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  • Arrivato !

    Coup double chez Cairn, écrivais-je ici il y a peu, puisque j'y publie Les Bonheurs de l'aube préfacé par Dominique Bona, de l'Académie française, et Belle perdue, qui m'est parvenu hier. Le premier est déjà en librairie depuis environ deux semaines, le second y arrive progressivement. Premières signatures prévues : samedi 23 mars dès 10h à la Fnac de Dax, et le 1er avril au Biltzar de Sare. Puis il y aura le premier Salon du livre de Bayonne le 13 avril, et Guéthary à livre ouvert du 17 au 19 mai. Entre temps, quelques signatures en librairie auront lieu (à suivre)

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  • Gracq amoureux

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    Je fus pressé d’entrer dans ce bref essai de Roger Aïm sur Julien Gracq amoureux acquis hier soir. Oser entreprendre une recherche sur sa liaison avec Nora Mitrani (*) ne manque pas d’audace, voire d’impudeur. Mais elle m’intriguait évidemment, comme aficionado absolu de l’auteur du « Rivage des Syrtes », même si le sous-titre prévient sur le focus : Nora, une passion surréaliste (éd. Infimes).

    Lu aussitôt ce matin, j’avoue avoir été un peu déçu (**) car il faut attendre la page 80 (sur 100) pour voir enfin apparaître Nora dans sa relation avec Gracq. En amont, c’est une brève histoire du surréalisme, l’itinéraire de Breton, celui de Gracq en parallèle mais à gros traits, qui sont narrés – et on apprend pas mal de choses. Le personnage de Nora Mitrani (née à Sofia dans une famille d’origine judéo-espagnole et italienne) est néanmoins palpable, fougueux, sa relation avec Hans Bellmer, puis avec Julien Gracq, son engagement dans le mouvement surréaliste et dans le groupe de recherche en sociologie du CNRS, sa vie brève puisque la maladie l’emporte le 22 mars 1961 alors qu’elle n’a pas quarante ans – et Julien Gracq est à son chevet, tout concourt à en faire une femme libre et indépendante qui eut toujours « une façon scandaleuse d’exister ». Nous apprenons aussi (à regret) que ce n’est pas la femme qui inspira « Prose pour l’étrangère », ce long poème en prose sublime qui rivalise de beauté avec la « Lettera amorosa » de Char, mais que ce fut Françoise Mallet-Joris... Enfin, l’envie de revoir le film de Michel Mitrani, frère de Nora, adapté d’« Un balcon en forêt », vient de me saisir. L.M.

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    (*) Évoquée ici même à la date du 28 février 2016 => Nora Mitrani

    (**) Une autre source de déception provient du fait que, l'heure d'après avoir lu ce petit livre sur le surréalisme et Nora, j'en ai lu un autre de Roger Aïm, Julien Gracq, 3, rue de Grenier à sel (éd. Porte-parole, 2012) et que j'y ai retrouvé des pans entiers de l'un dans l'autre, tant au sujet de Gracq qu'au sujet de sa relation avec Breton, soit de longs passages repris sans scrupules dans Nora, paru le mois dernier...

  • Lionel Osmin & Cie 2024

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    Il est paru. Joie d'avoir en mains ce magazine de 80 pages que j'ai le plaisir de rédiger intégralement. Au sommaire, que des choses qui fâchent : la saga Michel Guérard, la race Aubrac, le cépage Malbec, l'appellation Marcillac, les boeufs gras de Bazas, le chef béarnais Gérard Lasbarrères, le domaine Berthoumieu en Madiran, la poterie Goicoechea, le Canal du Midi... Gratuit, on peut le trouver chez les cavistes qui vendent les vins du grand Sud-Ouest de la gamme Lionel Osmin & Cie. L.M.

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  • Leçons de choses

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    En chinant sans rien chercher, nous tombons parfois sur des petits trésors. C’est le principe actif de la démarche. Là, ce fut un manuel de Leçons de choses cours moyen datant de 1954 pour le programme de 1957, réimprimé en 1970 et que j’eus entre les mains lorsque, sur les bancs de l’école Albert 1er, je portais des culottes courtes et que ma nuque était rasée de près chaque jeudi par Mario, à l’enseigne d’Un parfum de Paris, rue Thiers à Bayonne. Feuilleter un tel trésor de planches sur l’air, le gaz, la combustion, la houille, l’eau, le corps humain, les animaux, les plantes, les fleurs... est un ravissement régressif. L’odeur du papier glacé, les illustrations – aucune photo n’y figure, le bon sens du texte simple, explicite sont touchants. L.M.

     

     

  • Au cabaret des oiseaux

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    Je ne pensais pas pouvoir être ému un jour par un texte de Francis Jammes, tant sa poésie m’a toujours laissé un goût mièvre en arrière-bouche, De l’Angelus de l’aube à l’Angelus du soir et en dépit du Deuil des primevères et des Clairières dans le ciel... Or, à la faveur d’un salon du livre ancien qui s’est tenu à Bayonne dimanche dernier, j’ai fait l’acquisition d’un petit bijou intitulé Portrait de la France, Basses-Pyrénées, Histoire naturelle et poétique, par Francis Jammes, aux éditions Émile-Paul frères, avec un frontispice sous calque signé Daragnès figurant deux pelotaris. La collection était dirigée par Jean-Louis Vaudoyer auquel nous devons notamment un très beau texte sur La Havane. Le propos de Jammes n’est évidemment pas celui d’un scientifique et sa description de la géologie manque de rigueur, comme les parties consacrées à la botanique et à la zoologie souffrent d’approximations sur lesquelles nous fermons volontiers les yeux tout en regrettant que l’ouvrage ne soit visiblement pas passé sous les fourches caudines d’un éditeur scrupuleux. Jammes écrit par exemple que « Louhossoa signifie la mer » (Itsasoa, en Basque), et que l’alose est « une sardine d’environ cinq livres dont la chair délicate a le goût de la brise du premier printemps ». Il lui est beaucoup pardonné pour cette comparaison. La pibale, du temps de Jammes, semblait mal cuisinée : « Fraîche, elle est difficile à bien frire à cause du mastic poisseux qu’en grand nombre elle forme ». C’est avec son florilège consacré aux oiseaux que Jammes émeut : « Les palombes ont la couleur des nuages orageux où se lève l’arc-en-ciel (leur gorge) ». Au sujet du lagopède en plumage hivernal : « La perdrix blanche est une poignée de flocons qui a pris vie ». Aux yeux du poète, « la bécasse a l’air d’un bouquin de cuisine savante, relié en feuilles mortes, et chiné aux marges ». Mouais... « Fauvettes et rossignols enchantent successivement, c’est-à-dire la nuit après le jour, les fiancés et les époux ». L’écureuil, quant à lui, « ressemble, quand il s’ébroue au sommet d’un chêne, à un éclaboussement de soleil ». La flore suggère également des images tendres, comme les « lianes élancées, vertes, luisantes, retombantes, des églantines telles que des cascades où frissonneraient des jeunes filles ». À la page 62 de ce petit ouvrage, j’ai fait une découverte bouleversante en apprenant que la cardère - cette plante haute et piquante qui ressemble au chardon et qui pousse à la faveur des parcelles laissées en friche - est surnommée le cabaret des oiseaux parce que ses feuilles « rembrassantes », soit réunies à leur base en godet, retiennent l’eau de pluie et désaltèrent les passereaux, notamment le chardonneret, les jours de forte chaleur. Le chardonneret apprécie aussi, surtout l'hiver, les petites graines riches en huile contenues dans la fleur de la cardère. Le cabaret des oiseaux m’a laissé rêveur, d’autant que le chardonneret est l’un de mes trois passereaux préférés, avec le merle et le rouge-gorge... L.M.

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    ©fotoloco

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    ©le jardin de lucie

  • la désolation sans pensée...

    Ce matin, je me suis levé avec l'intention de relire le fameux chapitre de la Recherche de Marcel Proust (Le côté de Guermantes, II, 1) dit de "la mort de la grand-mère", afin de retrouver des phrases phares annotées au fil des lectures. Et je suis tombé sur celles-ci, qui me font forte impression, puis je me suis dit en relisant et relisant l'image extraordinairement littéraire suivante, ma mère avait la désolation sans pensée d'un feuillage que cingle la pluie et retourne le vent qu'elle avait partie liée avec la prose (plus souvent somptueuse que chez Proust) de Julien Gracq.

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  • Prix François Sommer 2024

    Capture d’écran 2024-01-20 à 17.57.29.pngJeudi 18, Paris, 60 rue des Archives : Belle soirée de remise du Prix François Sommer à la talentueuse Fanny Wallendorf pour son roman « Jusqu’au prodige » (Finitude) qui nous a finalement emballés (je suis membre du jury de ce prix, dont je fus lauréat en 1993). L.M.

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    Doté de 15 000€, le Prix distingue, depuis 1980, une œuvre qui explore d’une façon originale et sensible la question des relations de l’Homme à la nature et ouvre des voies nouvelles pour penser les enjeux écologiques contemporains. Fanny Wallendorf devient la 44ème lauréate.

    Outre le livre primé, les autres ouvrages parvenus en finale, étaient : 

     
    • La grande ourse (Stock) de Maylis Adhémar. Un roman qui interroge les relations entre paysans, néoruraux et citadins dans un village d’Ariège. 
    • Et vous passerez comme des vents fous (Actes Sud), de Clara Arnaud. Roman qui nous interroge sur la question de la présence de l’ours dans les Pyrénées.
    • Faire paysan (Zoé). Enquête de Blaise Hoffmann, au cœur d’un monde agricole qui se révèle en constante réinvention de lui-même.
    • Humus (L’Observatoire) de Gaspard Koenig. Un roman social, politique, révolutionnaire, et profondément littéraire.
    • Par Monts et par vaux (Anamosa) de Martin de la Soudière. Un généreux et joyeux abécédaire, comme un dictionnaire amoureux des paysages.
    • Border la bête (La Contre Allée), poétique roman de Lune Vuillemin où paysages et personnages se mèlent pour ne faire qu’un.

     

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  • Avec Manu, la boucle est bouclée

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    Avec Manu Dubarry, la boucle de l'art et celle du couple passent par le poisson. Gyotaku mode d'emploi.

    Elle a le sens de la boucle et elle ne la boucle jamais car elle a, a minima, une idée par minute. Manu Dubarry – fille de Pierre, qui fonda Les Ducs de Gascogne, ou le foie gras dans tous ses états, a lâché Gimont pour Hossegor, son port d’attache, et les longues plages voisines de Seignosse, soit la généreuse terre gersoise pour l’océan infini de la côte landaise ; ce depuis belle lurette. Les vagues, l’horizon, le sable - et ce qui y échoue surtout, le Gouf et ses insondables mystères à tenter de deviner devant Capbreton, n’ont fait qu’attiser son imaginaire prolixe comme les vagues. Manu créé par séries continuelles. Elle figure le rythme des marées, réputé infini. Artiste autodidacte, après avoir travaillé comme peintre de décors pour le cinéma, elle transforme tout ce qu’elle touche, de ses dix doigts armés par un esprit fertile, en œuvre délicate à tirage unique et à haute valeur ajoutée sensible ; puissamment mais tendrement poétique. 

     

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    Là, elle expose plus d’une soixantaine de ses créations singulières à Olatu (100, avenue de l’Adour à Anglet, juste avant le Brise-Lames, le port de plaisance, et notre querencia gourmande, le restaurant Le Poisson à Voile). Depuis le 15 janvier et jusqu’au 28 mars (le vernissage aura lieu le 15 février à 18h.IMG_2715.jpeg Venez tous). L’espace s’y prête « qui autorise une vue d’ensemble, de loin, et aussi de pouvoir s’approcher très près de chaque cadre afin d’en lire les détails », dit-elle, « d’observer les traits, le regard, les tâches, les écailles de chaque poisson mis en scène en noir de seiche... & blanc ». C’est en réalité à une visite d’un « aquarium à sec » qu'il s'agit, qui n’est ni le musée de la Mer de Biarritz ni l’aquarium de La Rochelle ou celui de San Diego, mais la projection scénographiée d’une femme audacieuse et créative jusqu’au bout des ongles, ayant à cœur de faire œuvre de la pêche de son homme avant de la lui cuisiner. L’intention est donc, philosophiquement et sans le vouloir, puissante. Et admirable. Et cela passe par l’encre de seiche dont

    IMG_2761.jpegelle enduit chaque poisson pris dans le Gouf, au lancer, au leurre souple, au madaï, à la turlutte, à l’ascenseur, les techniques variant chaque jour, à chaque marée, selon d’ésotériques critères, parfois...

    Les poissons-filets

    « Il y a sept ou huit, ans, j’ai commencé de faire ce que j’appelle mes poissons-filets ou mes poissons démaillés, des poissons reconstitués à partir les fils multicolores de filets de pêche échoués sur les plages de Seignosse, que j’ai remaillés, reconstruits », dit Manu. « Je démaille et je couds, rien de plus, je n’ajoute rien, tout a été ramassé sur le sable ».

     

    IMG_2724.jpeg Ainsi, tout a... maille à partir avec la pêche, puisque « je fabrique des poissons, des crustacés, des mollusques avec ce qui a permis de les capturer : les fils du filet ou d’une ligne. Chaque poisson ou crustacé reprend sa forme avec l’outil de sa prise et donc de sa mise à mort ». La boucle. L’omniprésence de l’esprit de la boucle... « J’étais devant mon premier aquarium de poissons-filets, lorsque, au cours du premier confinement, au printemps 2019, une amie m’a parlé de la technique japonaise inventée en 1862, du Gyotaku (titre de l’exposition en cours). Il s’agit de « l’art d’immortaliser des poissons en prenant leur empreinte sur du papier afin de réaliser une estampe ». Cette technique est née du désir d’un seigneur d’offrir à l’empereur l’image d’une magnifique daurade, symbole de bonheur. 

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    « Les pêcheurs », enchérit Manu, « auraient utilisé la technique Gyotaku pour immortaliser leurs plus belles prises en indiquant scrupuleusement les mensurations de chaque poisson. » Et c’est d’ailleurs ce que nous lisons en parcourant cette exposition d’une richesse confondante, qui n’est pas avare en émotions. Le voyage est infiniment poétique – nous nous répétons -, et nous cheminons comme Wang-Fô se sauva dans le conte éponyme extrait des Nouvelles orientales de Marguerite Yourcenar. Le parcours de droite à gauche avec des poissons qui se croisent sans se rentrer dedans car ils vont et viennent mûs par une fluidité instinctive, et l’encre de seiche qui les définit en les dessinant, les fossilisent – ils ressemblent en effet à des fossiles multi millénaires inscrits dans le minéral. Or, nous sommes devant du papier de qualité acheté chez Sennelier à Paris, ou devant de vieux draps récupérés, parfois brodés, blanc cassé ou uniformément immaculés, et tout cela tracé de noir animal, organique ; pur. Très pur (*). Il y a là non seulement des silhouettes, mais des détails effarants de vérité, y compris lorsque certains poissons sont reproduits, retranscrits les yeux « vides », vidés, liquéfiés, soit morts depuis un certain temps après leur prise, « les yeux cavés » comme les pendus de la Ballade de Villon. Manu ne cache rien. Elle est d’une franchise intérieure totale. C’est brut enduit de douceur, animal fourré de satin, sauvage doublé de soie.

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    Chaque poisson est ainsi à plat, sauf ce couple de lieus noirs qui jaillit à l’unisson, verticalement, et semble initier une danse nuptiale. Ou ce banc de marbrés fuyant et dont on éprouve la vitesse grande. Une technique voisine dédiée au végétal se nomme le Tataki-zomé, et Manu s’y frotte déjà avec gourmandise (à suivre)...

    La révélation Gyotaku

    « La découverte du Gyotaku correspondait tellement à mon histoire, lorsque cette amie m’en parla, que ce fut un choc, en écho à mon for intérieur, à ma force intérieure également, habitée que je suis par le monde des poissons depuis trente ans. C’est ma culture, c’est mon patrimoine. Mon mari (qui n’a pas encore d’écailles sur le dos, mais peu s’en faut), après avoir travaillé un quart de siècle pour Quiksilver, et surtout après avoir été sacré champion d’Europe de surf – il était alors surnommé Le Prince des Landes », ce qui génère un sourire amoureux et ravi à Manu lorsqu’elle prononce lentement ces quatre mots... « s’est mis à pêcher chaque jour que Dieu fait « de manière obsessionnelle », précise-t-elle. Poupi, les jours de gros temps qui l’interdisent, sombre dans la mélancolie des gens de mer saisis du mal de terre. Il ne fait qu’attendre le lendemain. » Il est happé par la bile noire (qui a peut-être partie liée avec l’encre de seiche, chi lo sa) comme un bar distrait par l’hameçon dissimulé.

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    IMG_2785.jpegEt puis le père de Manu est présent aussi, il est « dans la boucle », car il a appris à sa fille à cuisiner le poisson (et pas que), ce qu’elle fait quotidiennement avec amour et application. « Lorsque Poupi – alias Jean-Louis Poupinel – apporte le fruit de sa pêche quotidienne, « je prends donc l’empreinte de chaque poisson en le badigeonnant d’encre de seiche, puis je pose le poisson sur du papier ou sur du drap. Le corps s’imprime, y compris les tâches, l’œil, les blessures, des rayures par exemple, et je les travaille grâce à ma mémoire visuelle, je retouche en quelque sorte. Je fais ça à l’instinct aussi, je restitue du mieux que je peux l’âme du poisson à travers son œil ». C’est le lieu de toutes les concentrations, comme pour le regard humain, en somme. Ainsi les poissons morts retrouvent-ils une vivacité. Un vrai regard de vivant. « Certains sont romantiques, d’autres semblent apeurés, d’autres encore expriment leur colère ». Nous parcourons lentement l’expo. Manu Dubarry s’arrête devant un chinchard encadré. « Il était très bon en ceviche, lui ». Et avoue adorer manger les « parpaillettes », les bas-joues des poissons, situées sur les côtés de la tête (à ne pas confondre avec les kokotxas de merlu, par exemple, qui se situent sous la mâchoire inférieure de cette espèce-là).

    Boucler la boucle, une obsession

    Toutes les œuvres de Manu Dubarry sont issues de poissons pêchés dans le Gouf, aux noirs mystères réputés abyssaux, bis repetita à dessein. Et Manu de préciser qu’elles sont bien sûr toutes à l’échelle 1 :1. Forcément. Et que tous les tableaux qui sont exposés, comme les précédents qui ont été vendus, représentent des pièces ayant été cuisinées par Manu. « Je les sers soit crues, en tartare, en ceviche, soit fumées avec mon petit fumoir de table, soit cuites bien sûr mais sans les cuisiner « de trop », très simplement afin de respecter l’authenticité des saveurs originelles, comme un indispensable hommage. » Cette exposition, ce travail, sont une histoire d’amour, et de poésie forte. On boucle véritablement la boucle avec Manu, et Poupi, lequel a toujours vécu sur l’eau, une planche de surf sous ses pieds ou une ligne en mains sur son bateau.

    IMG_2770.jpeg « Il tue ses poissons selon la technique japonaise ancestrale et douce qui évite la souffrance, et augmente le goût de la chair, appelée Ikejimé (en perçant instantanément le cerveau et la moelle épinière). Sa démarche globale est très nature, respectueuse jusqu’au bout... », souhaite préciser son épouse. En résumé, Poupi pêche, Manu fait œuvre d’art du produit de la quête de son homme, puis elle cuisine cela pour lui et toute la famille. « Je fais aussi bouillir chaque tête, et je garde les crânes (exposés également à Olatu) car ils sont tous différents, et fascinants par leur force évocatrice : un dragon ici comme issu de Games of Thrones, un profil de rapace là... De même, elle recueille les « plumes » de calamar qui sont d’une beauté transparente stupéfiante. « Avec Poupi, on ne se voit pas de la journée, il part pêcher très tôt et rentre tard, et nous avons peut-être inconsciemment cherché à nous rapprocher, à nous lier de cette façon. Il y a, oui, cette boucle, ce prolongement que je crée, et le retour en cuisine. Je le nourris de sa propre pêche, ainsi peut-il repartir pêcher le lendemain... » Un regard circulaire sur cette exposition en tous points unique relève ce banc de marbrés sur de la toile de drapeau tendue comme les deux battants d’un paravent japonais. Plus loin, une table de bistro offre des poissons imprimés sur son rond. L’empreinte, la trace, le patrimoine océanique... « Mon rêve serait de faire une expo à Capbreton de tous les poissons présents dans le Gouf, y compris dans ses profondeurs noires. » Cette exposition qui se tient à Olatu, c’est l’aquarium sec et kaléidoscopique, fantasmatique et poétique de Manu Dubarry. Il nous invite à nager pas à pas devant le palimpseste à l’envers de poissons imprimés à l’encre de seiche. Et c’est d’un parcours unique qu’il s’agit. D’un long poème qui réclame un livre hommage composé de haïkus et de dessins. Affaire en cours...

    Léon Mazzella

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    (*) « Il est fort probable qu'avec le temps, le noir organique de ces dessins vire au sépia », confie Manu. Ce n'est que justice : sépia signifie seiche, c'est son nom latin, son étymologie. C'est ancré... L'esprit de la boucle aura le dernier mot.

     

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  • Addendum (lectures)

    J'en avais oublié, évidemment (je fais référence à ma note du 31 décembre intitulée LecturesCapture d’écran 2024-01-07 à 12.05.36.png sauvées des jours), notamment ces deux-là : le tonitruant, l'intrépide, le tonique, le galvanisant Dictionnaire égoïste du panache français, de François Cérésa (Le Cherche-Midi), au style impeccable, truffé de formules qui font mouche et d'humour, et où l'on croise avec autant de désinvolture Athos et Jacques Anquetil, B.B. et Gérard Depardieu, la Légion étrangère et Vercingétorix, Romain Gary et Jean Moulin, Coco Chanel et Charles de Gaulle, Astérix et Cyrano de Bergerac. Un livre hussard en diable. Je pense que j'ai épuisé un crayon tant j'ai souligné de passages. Aussi, mieux vaut n'en citer aucun, sinon je reproduis le livre. Si, juste une phrase de la première page d'introduction, pour donner le ton : "ce mélange de courage, d'audace, d'intempérance, d'honneur, d'élégance, mais aussi de suffisance, d'orgueil mal placé, d'indiscipline et de bêtise...". Allez-y voir !

    Capture d’écran 2024-01-07 à 12.05.04.pngMes Fragiles, de Jérôme Garcin (Gallimard) est de ces livres si émouvants qu'ils vous habitent longtemps après les avoir achevés. Le sujet est grave. Il s'agit de la disparition de la mère et du frère de l'auteur en l'espace de quelques mois, au cours du confinement. Jérôme Garcin avait déjà consacré un livre à son frère jumeau écrasé par une auto sous ses yeux, à l'âge de six ans (Olivier, folio), et un autre à la mort de son père en forêt de Rambouillet dix ans plus tard (Chute de cheval, folio) . Laurent, conçu trois ans après la mort d'Olivier, est atteint d'une anomalie du gène de l'X fragile. Jérôme obtint du juge de tutelle d'en avoir l'entière responsabilité. Quant à sa mère, à l'hôpital (elle) "avait la beauté maigre, un peu sauvage, d'une rescapée de l'horreur", écrit son fils. Cet ouvrage mince, d'hommages et de douleur, de souvenirs joyeux aussi, est le livre des blessures de son auteur, dont le style, en empruntant les tons à la pudeur, augmente sa beauté, fragile, d'eau-forte. L.M.

  • Lectures sauvées des jours

    Capture d’écran 2024-01-01 à 09.40.20.pngParmi mes lectures marquantes au cours de cette année qui s’achève ce soir, je retiendrai une petite poignée de livres émouvants, à commencer par « Frère unique », d’Olivier Frébourg (Mercure de France), récit poignant, à la limite de l’insoutenable parfois, sur la disparition tragique, accidentelle, et injuste de son frère Thierry, « ponte » de la médecine, chercheur généticien de renommée mondiale et victime d’une minable erreur médicale sur le lieu même où il officia tant d’années : l’hôpital de Rouen – rendu coupable de n’avoir de surcroît jamais vraiment reconnu sa faute, ce qui donne lieu à des pages enragées de la part du frère meurtri et inconsolable ; révolté. Double peine. Mais ce livre intime (Olivier Frébourg avait déjà donné « Gaston et Gustave » sur la disparition d’un de ses fils grand prématuré, et – ai-je envie d’ajouter, « La grande nageuse », sur la douloureuse séparation d’avec la mère de tous ses fils) brille avant tout par les souvenirs d’enfance heureuse de deux frères sous le soleil des Antilles où la famille vécut un temps, de 1969 à 1972, puis en Normandie, berceau familial, car le père est un brillant commandant de Marine (officier de la Transat, il fut pressenti pour prendre le commandement du France). Nous savons Olivier Frébourg, écrivain de Marine, habité par la mer. Nous le découvrons ici « frère et fier » de son frère, son « pilier lumineux », qu’il admire sans ambages. « Nous étions des brotherships », écrit-il joliment. « J’étais enfant de la mélancolie. Il était le soleil. J’étais la lune ». L’écrivain Frébourg appelle alors à la rescousse ses vieux compagnons, Hemingway, Ovide, Dante, Virgile, Hugo, Reverzy, Buzzati, Chatwin, Brauquier et autres trafiquants d’exotisme, les poètes, les oiseaux aussi, tout fait baume, ou devrait pouvoir panser... L’ouvrage est bouleversant de bout en bout qui vous traverse de part en part. Je me souviens que, le livre achevé, mes mains tremblaient et j’avais le cœur serré comme une gorge.

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 16.57.10.png« Éloge des oiseaux de passage », de Jean-Noël Rieffel (Équateurs, vénérable maison dirigée par Olivier Frébourg) est un de mes chouchous car je suis un peu à l’origine de cette publication, puisque mon ami Jean-Noël m’avait envoyé son texte (devenant son premier lecteur, ce qui m’honora), que j’ai aussitôt aimé et transmis à mon autre ami Olivier Frébourg, qui s’enthousiasma à son tour. Ce premier livre est une ode à la migration, au pouvoir des oiseaux sur l’esprit de l’homme et donc sur son bonheur. Je partage avec son auteur trois passions : les oiseaux, la poésie et les vins purs. Il en est question dans ses pages, notamment de l’œuvre sensible et précieuse de Philippe Jaccottet. Quant aux oiseaux, ils imprègnent tant l’ouvrage qu’il me semble être composé de plumes et de chants. Je sais que le livre a connu un joli succès, et c’est justice qui me réjouit.

     

    Capture d’écran 2024-01-01 à 09.41.40.pngFervent lecteur de Pascal Quignard, dont je lis absolument tout, j’ai été une fois encore enthousiasmé par « Les heures heureuses » (Albin Michel) qui poursuit la quête spirituelle de la sensation, des émotions pures, de la source de l’amour, de l'émoi originel, l’ensemble dans une langue tendue et on ne peut plus baroque (depuis « Tous les matins du monde »), minérale, d’une précision d’horloger genevois, à la limite du jansénisme littéraire, en tous cas d’une rigueur admirable qui n’exclut jamais – et c’est l’un des talents de Quignard, la dimension extrêmement poétique de sa prose. L’auteur aborde une foule de petits sujets universels par le biais de l’anecdote historique, de la description de l’événement au demeurant insignifiant. Chacun de ses livres, notamment cette « suite » intitulée « Dernier royaume » et dont c’est le XIIe opus, renvoie - à mes yeux en tous cas - à la phrase célèbre de Miguel Torga, « l’universel, c’est le local moins les murs ». Et n’est-ce pas la première vertu de la littérature, sa mission que de rendre universel le village de Macondo dans « Cent ans de solitude » – par exemple. Aussi, et c’est un sacré atout, « un » Quignard se dévore en picorant, le lecteur peut l’aborder comme des pintxos au comptoir d’un bar de San Sebastian. Et, par surcroît, il instruit considérablement, car il n’est jamais avare de détails étymologiques, philologiques, historiques, littéraires et philosophiques, qu’il évoque La Rochefoucauld ou un inconnu, la regrettée Emmanuèle Bernheim ou Spinoza. Et nous sortons de ces « heures heureuses » galvanisé et comme abasourdi lorsque, dans une salle obscure, d’un film exceptionnel nous lisons le générique de fin avec une scrupuleuse gourmandise...

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.04.09.png« La grande ourse », de Maylis Adhémar (Stock) est un roman brillant sur un thème devenu « à la mode » : la difficile cohabitation de l’homme en milieu pastoral avec (le retour) des grands prédateurs comme le loup et l’ours – le lynx croquant surtout les chevreuils des forêts vosgiennes. En l’occurrence, il s’agit des bergers ariégeois du Couserans – cette si belle région que l’auteur(e), toulousaine, connait dans les recoins, et de l’ours. L’écriture est sensible, précise, ciselée, les personnages parfois caricaturés (les rugbymen des bars de l’arrière-pays, le chasseur bourru, le berger bucolico-gionesque, la bergère dure à la tâche...), les paysages ne sont à mon goût pas assez Capture d’écran 2024-01-01 à 09.39.01.pngmagnifiés, la narration d’un conflit qui enfle l'est bien davantage, et la jalousie de l’héroïne pour l’ex de son amoureux un peu too much. Une économie d’une cinquantaine de pages sur le sujet eut été bénéfique. Mais bon, cela n’exclut pas que ce livre soit pétri de qualités, et je le rapproche d’un autre grand texte franchement admirable, sur le même sujet, de Clara Arnaud, « Et vous passerez comme des vents fous » (Actes Sud).

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.04.37.pngSous-titré « Petite rhétorique itinérante », « En marchant », de Patrick Tudoret (Tallandier) est un précieux livre total car il entremêle érudition (sans frime aucune) et petite philosophie de la marche avec brio. Le tout piqué de souvenirs très personnels comme un gigot d’agneau l’est de gousses d’ail. Souvenons-nous que Montaigne, marcheur (et cavalier) impénitent, prétendait « penser par les pieds », et songeons avec Eugenio de Andrade, que « la démarche crée le chemin ». Tudoret est dans cette mouvance-là. Contemplatif et jamais sportif acharné, il prend le lecteur par la main, lequel prend son bâton de pèlerin, et c’est parti. Véritable anthologie littéraire à dominante poétique, le livre devient vite un compagnon que l’on est tenté de glisser dans le sac à dos pour nos prochaines haltes dans la montagne basque – où l’auteur randonne également. « Il y a une ivresse de la marche comme il y a une ivresse d’écrire », note-t-il. Tudoret aime à sentir « la pulpe d’un lieu », à en saisir « le pouls intime », et aussi marcher dans les pas des écrivains qu’il aime. Il en appelle à Saint-Augustin : « Qui n’avance pas piétine », souligne : « La marche comme école de détachement, d’affranchissement. On largue les amarres. La marche art du délestage, de l’allègement. Délestage physique, matériel, mais aussi moral : se déprendre de soi ». Et précise salutairement : « Les assis m’ennuient, ceux qui courent me fatiguent, j’aime ceux qui marchent ». Nous tous aussi, non ?..

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.05.40.png« Monsieur Nostalgie », de Thomas Morales (Heliopoles), déclaration d’amour aux Trente Glorieuses, hymne au « c’était - tellement - mieux avant », est un livre délicieux d’un grand styliste dans la lignée hussarde de Blondin, qui assume avec talent son attachement aux choses surannées et passées de mode. Mais qui pourrait prétendre que Claude Sautet, Bébel, le culte de la langue française, le panache hexagonal, les livres paillards de Boudard, la voix de Michel Delpech, le plat Berry qui est le sien puissent passer un jour de mode ? Morales possède ce passé brillant, truculent, hédoniste, cultivé, amical, gascon et rastignacien, épris de clochers et de ballons de rouge partagés au zinc, du mythe B.B. et des fromages bien faits, chevillé à l’âme comme au corps. Et nous le suivons, page à page, avec une gourmandise qui augmente à mesure, en lisant en ronronnant. « Arrière les esquimaux ! » Olé...

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.06.30.png« La Vie derrière soi. Fins de la littérature », d’Antoine Compagnon (folio essais) est un essai aussi important que sombre. « La littérature a un lien essentiel avec la mort, le deuil et la mélancolie », prévient d’emblée l’ex-universitaire et essayiste des « Antimodernes » et le biographe inspiré (et à succès) de Montaigne, Proust et quelques autres. Est-ce l’âge, le décès de son épouse, la retraite prise... Compagnon se penche sur les œuvres tardives, évidemment pas comme Narcisse sur son reflet dans l’eau, mais en intellectuel constamment en question, à l’écoute, notamment sur ce qui pourrait constituer ce fléchissement de l’âme, sur ce qui préfigure chaque chant du cygne, sur les faiblesses physiques aussi – qu’il ne faut pas négliger, car elles gouvernent le mouvement de la main sur la feuille... L’érudition de l’ancien professeur au Collège de France (dont je suivais les cours, parfois dehors devant un écran géant, pour cause de succès, lorsque je vivais dans le Ve arrondissement, à un jet de galet du Collège...) brille par mille feux en voie d’extinction, et cette plongée dans les eaux profondes de l’ultima verba donne à voir et à réfléchir sur la teneur des dernières pages de « La Recherche », sur la théâtralisation du « Journal » de Gide, sur tant de récits de la vieillesse qui se révèlent parfois, souvent, plus toniques que ceux de la jeunesse, aussi. Stimulant.

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.07.00.pngBien sûr il y eut la divine surprise – oh, vingt-neuf pages à peine -, mais de l’indépassable Julien Gracq, avec « La Maison » (Corti), nouvel inédit, cadeau du ciel et des étoiles, condensé du talent immense du « patron » comme disait Nourissier. L’histoire, mais en est-ce une, est mince come un papier Rizla+, et en faut-il d’ailleurs une pour faire œuvre (à vocation) universelle ? cf. supra. L’apparition énigmatique d’une maison enfouie dans une friche sur le trajet du bus, « comme l’affût précautionneux et tendu d’une bête lourde au milieu de ces solitudes », « de ces fourrés sans oiseaux ». Nous sommes aussitôt chez Poe que Gracq vénérait autant que Verne. Son approche furtive un jour, à pied, « le besoin de me sentir le cœur net de l’envoûtement bizarre de ces bois sans joie », « une extraordinaire suggestion d’abandon et de tristesse », et tout à trac le chant à peine perçu d’une femme, « une voix nue », la vue, l’espace d’un court instant, de « quelque chose d’elle », « la pointe de deux pieds nus », et il n’en faut pas davantage pour générer une montagne d’un désir retenu serré par l’écriture comme jamais maîtrisée de l’auteur du « Balcon en forêt ». La charge érotique de ce très court texte est d’une intensité sublime puisque tout est suggéré, entrevu, et enfin la chute, que je délivre ici car elle n’empêche aucunement le plaisir du texte, sa montée en puissance comme le mercure dans le thermomètre, « ... plus nue encore, et plus secrète que les pieds nus, la masse ondée, prodiguée, déployée, comme une draperie, d’une longue chevelure blonde, la chevelure défaite d’une femme ». Qui écrit mieux ?

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.07.37.pngGrâce soit rendue à Brice Matthieussent, traducteur magnifique de tout l’œuvre – volumineuse (trente ouvrages) de « Big Jim » et à Flammarion d’avoir rassemblé tout ce que ce corpus compte de récits et d’extraits de romans, de « novelas » aussi, placés sous la personne emblématique de Chien Brun, double de Jim Harrison, « Chien Brun. L’intégrale » (Flammarion), donc. Il s’agit d’un livre en surnuméraire lorsqu’on possède une étagère pleine à ras-bord des bouquins de Jim, et qui – pour l’anecdote, faillit un jour me priver de vieillir, en tombant brusquement sur ma tête. Je m’en tirai avec un éclat de rire étrange et une bosse énorme. Ah, Chien Brun, mélancolique bâtard supposé d’Indien mais n’ayant que du sang chaud qui circule ardemment dans les veines, Chien Brun l’anar broussard du Michigan dépourvu de numéro de sécurité sociale – notez la poésie insolite de ces mots, Chien Brun pêcheur de truites et devant l’éternel, Chien Brun chasseur et trousseur, sauvage comme on aime les personnages de cette Amérique des grands espaces, court ici sur près de six cents pages, et plus on les feuillette, s’y arrête, plus Jim nous manque. Mais ce n’est pas si grave, Chien Brun se retourne, décèle votre peine, et vous embarque, et c’est bon de le suivre à nouveau, de le lire...

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.08.03.pngVoici un ouvrage singulier que Jim Harrison aurait sans doute aimé. « Chanteurs d’oiseaux », de Jean Boucault et Johnny Rasse (Les Arènes/PUG), ou l’histoire de deux surdoués de l’imitation des chants d’oiseaux – l’un est spécialiste du goéland argenté, l’autre du merle noir, qui raflent tous les concours (ce qui semble très étrange, pour un citadin) ayant cours notamment en baie de Somme, d’où ils sont issus. Terre d’oiseaux de passage, ils ont grandi parmi eux, du côté d’Arrest, leur parcours est narré en alternance, et ils se donnent aujourd’hui en spectacle, et c’est paraît-il bluffant (mais j’ai la chance immense de pouvoir les écouter bientôt, vers la mi-janvier, à Paris, à la faveur du Salon du Livre de Nature, où se tiendra leur prestation). Leur récit alterné est touchant, simple, qui décrit leur quotidien, l’école – surtout buissonnière, l’amour infini des oiseaux, l’apprentissage de leur parole, de l’infinie subtilité des « modulations de fréquence » de chacune d’elles, la naissance d’une passion dévorante, tout cela est décrit dans une langue directe et sensible, naturellement sauvage et saumâtre, avec des adjectifs beaux comme des marécages à l’aube, des joncs éclairés par un soleil timide. « Je t’apprendrai à faire le courlis cendré ». Juste cette phrase et je frissonne. Comprenne qui sait déjà...

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.08.35.png« L’ABéCédaire de Michel de Montaigne », choisi par Michel Magnien (L’Observatoire) est issu d’une collection particulièrement attachante (celui de Romain Gary nous avait ravi, il y a quelques mois). Il agit comme un « memo », un rappel, un vaccin, on le feuillette en cherchant des entrées moins convenues, laissant tomber amitié, cannibales, apprendre à mourir, éducation... en musardant du côté de bordel, branloire, chasse, constance, cul, délectation morose, désir, difformité, écrivaillerie, garde-robe, ivrognerie, etc. Inépuisable Montaigne. Ce livre est à rapprocher du (déjà ancien) « Le meilleur de Montaigne », concocté par Claude Pinganaud pour arléa. Revenir, toujours, à Montaigne.

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.09.32.pngJ’en attendais plus. Je fus déçu. Comme souvent, avec le choix de l’Académie Nobel. Louise Glück ne profita pas longtemps du sien, obtenu en 2020, car elle vient de nous quitter. La « grande » poétesse américaine se voit compilée par Poésie/Gallimard, avec « L’Iris sauvage, Meadowlands, et Averno » lesquels m’ont laissé sur ma faim de poésie profonde, dense, parce que, page 193, je ne me contente pas du début du poème intitulé

    « Anniversaire : 

    J’ai dit que tu pouvais faire un câlin.

    Ça ne veut pas dire tes pieds froids sur ma bite.

    Quelqu’un devrait t’apprendre les bonnes manières au lit. »

    Un poème, un seul (sur 450 pages, c’est léger) a trouvé grâce à mes propres critères, « Rotonde bleue :

    J’en ai assez d’avoir des mains

    dit-elle

    Je veux des ailes –

    Mais que feras-tu sans tes mains

    Pour être humain ?

    J’en ai assez de l’humain

    dit-elle

    Je veux vivre sur le soleil »...

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.10.06.pngApprocherions-nous, via cette dernière image, de l’éternité décrite (« Quoi? »..) par Rimbaud, dont on célèbre le 150eanniversaire de l’impression à compte d’auteur à Bruxelles, des cinquante-quatre pages d’« Une saison en enfer » (Poésie/Gallimard), soit une mince plaquette de textes en prose sertie de sept poèmes en vers, avec des pages blanches, des fautes typographiques demeurées (il s’agit d’un fac-similé, comme celui qu’arléa offrit à ses fidèles clients il y a quelques années). La mention PRIX : UN FRANC qui barre la page de titre (intérieure) comme une ceinture de bourreau, possède finalement l’élégance surréaliste d’un aquoibonisme de belle facture. Rimbaud détruisit le faible tirage, non sans avoir offert un exemplaire à Verlaine. C’est grâce à celui-ci que le texte fut sauvé, nous est parvenu, et nous touche encore de plein fouet :

    « Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s’ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient.

    Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. – Et je l’ai trouvée amère.  – Et je l’ai injuriée. »

    Ainsi débute cet ouvrage iconique, comme on dit, que nous ne nous lasserons jamais de rouvrir.

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.10.34.png« Je suis un volcan criblé de météores », de Etel Adnan (Poésie/Gallimard), m’est une découverte majeure. Cette somme de poésies qui couvre les années 1947 à 1997 provient d’une poétesse prolixe (1925-2021) tardivement reconnue, peintre aussi, issue du carrefour de plusieurs cultures (turque, grecque, libanaise, française, américaine). Il y a des poèmes militants à connotation politique, je les ai écartés d’instinct, considérant avec Stendhal que « la politique dans un roman, c’est un coup de pistolet dans un concert », et avec Proust que des idées dans une fiction « sont comme l’étiquette du prix laissée sur un cadeau ». En revanche, de très nombreux textes sont infiniment sensibles, touchants. Extraits :  

     

    « Le soleil dit la mer est la vie originelle,

    je suis les vignes futures et la vigueur des panthères.

    La mer est femme sur les genoux de l’aube. »

    -----

    « La nuit coulait plus lentement

    qu’un étang. L’ange comptait

    les étoiles. Tu disais : L’amour

    est une eau qui revient à son

    aube. »

    -----

    « J’ai épousé la lumière

    j’ai enfanté la folie

    je suis un fleuve mon amour

    tu ne peux que pleurer

    sur mes bords. »

    -----

    « et la chaleur de ta

    passion

    prend

    la couleur du givre

    blanc comme un perpétuel printemps. »

    -----

    « Elle avait des yeux qui faisaient

    briller le soleil au-dessus de mon lit

    et tomber la pluie

    c’est de ma mère que je parle... »

    -----

    « La solitude du monde animal

    est entrée dans mon cerveau :

    Une femme m’a aimée au-delà de toute raison »

     

    Capture d’écran 2024-01-01 à 10.04.38.pngÀ la faveur de retards homériques des trains de la SNCF la veille de Noël et son surlendemain, et ayant pris soin, au cas où si probable, de me munir d’une Pléiade, j’ai relu les Oeuvres romanesques de Marguerite Yourcenar, la grande Marguerite Yourcenar. « Alexis ou le traité du vain combat », Le coup de grâce », « Feux », « « Nouvelles orientales », un peu de « l’Œuvre au Noir », des « Mémoires d’Hadrien »... Un bonheur réitéré une journée durant entre Bayonne et Nîmes, via Bordeaux et Toulouse. Je suis soudain tenté de reproduire ici tout ce que j’ai pu annoter au crayon sur le papier bible, tant de fulgurances, de traits, de percussion, de vérité, de subtilité extrême... Allez, juste deux ou trois comme ça, pour frissonner :

     

    « On dit : fou de joie. On devrait dire : sage de douleur. »

    -----

    « Posséder, c’est la même chose que connaître : l’Écriture a toujours raison. L’amour est sorcier : il sait les secrets ; il est sourcier : il sait les sources. L’indifférence est borgne ; la haine est aveugle ; elles trébuchent côte à côte dans le fossé du mépris. L’indifférence ignore ; l’amour sait, il épelle la chair. Il faut jouir d’un être pour avoir l’occasion de le contempler nu. Il m’a fallu t’aimer pour comprendre que la plus médiocre ou la pire des personnes humaines est digne d’inspirer là-haut l’éternel sacrifice de Dieu. »

    -----

    « Où me sauver ? Tu emplis le monde. Je ne puis te fuir qu’en toi ? »

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.11.54.pngJ’achèverai cette brève liste (j’en oublie, c’est certain, car une année c’est long, mais je la rectifierai, le cas échéant)... Avec une relecture faite à la faveur d’un cadeau d'anniversaire précieux comme le givre à l'aube, le premier regard de connivencia, l'amour et le vin pur en partage, le silence qui épargne le geste, les yeux fermés paupières coupées : « L’Amour fou », d’André Breton dans une belle édition rare, illustrée et numérotée du Club français du livre. J’ai éprouvé le besoin parallèle de reprendre le « André Breton. Quelques aspects de l’écrivain », de Julien Gracq (José Corti) pour ce qui y est souligné par celui qui fut fasciné par le père du surréalisme : ceCapture d’écran 2024-01-01 à 10.06.37.png pouvoir prodigieux d’associer sans contrainte pour le lecteur la poésie et l’essai, la beauté de la phrase et la réflexion sur le motif. Avec Breton, comment dire... l’émulsion, pour une fois, semble pouvoir prendre : l’eau à l’huile s’allie et la fusion procède d’un alliage unique. « L’Amour fou », donc, offert par une main experte en surréalisme, « parce que la neige demeure sous la cendre », et ses inoxydables fulgurances, pour le plaisir du texte, soit pour ne jamais changer...

    « La beauté convulsive sera érotique-voilée, explosante-fixe, magique-circonstancielle ou ne sera pas. »

    -----

    Et cette célèbre citation que l’on voudrait faire inscrire sur notre pierre tombale ou bien sur notre urne, au choix :

    « J’aimerais que ma vie ne laissât après elle d’autre murmure que celui d’une chanson de guetteur, d’une chanson pour tromper l’attente. Indépendamment de ce qui arrive, n’arrive pas, c’est l’attente qui est magnifique. »

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    Bonne Saint-Sylvestre. « Je vous souhaite d’être follement aimé(es) ». A.B.

    Léon Mazzella

     

      

  • LA GLOIRE DE SON PÈRE

    Capture d’écran 2023-12-31 à 10.01.11.png« Une histoire des Trente Glorieuses », ou la recherche du père mal connu, à travers le tableau tendre d’une époque.

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    Didier Pourquery poursuit son récit familial. Après le livre poignant sur sa fille disparue, « L’été d’Agathe », voici l’histoire de Christian, son père trop peu connu, à côté duquel le fils semble être passé. Christian mort à quarante-sept ans à peine, en 1979, au volant de sa R16 sans ceinture qu’il conduisait trop vite, parce qu’à l’époque c’était ainsi ; les Trente Glorieuses aimaient la vitesse.  L’auteur confie avoir senti l’ombre paternelle planer tandis qu’il écrivait : « mon père me parle sans cesse et sans filtre. Il me guide et me tacle... ». Le récit de Pourquery accomplit la prouesse d’être une sorte de poupée gigogne où alternent trois livres : l’histoire de Christian, ouvrier devenu manager « à force de vouloir », et dont l’ascension sociale fera la fierté du clan familial à partir du moment où il « entrera chez IBM » - il reprendra même des études à l'âge de trente ans à l'IAE fraîchement créé, un tableau de cette époque bénie des dieux de la croissance, de l’insouciance, et de la consommation des « choses » dirait Perec, qui apparaissent dans le livre comme autant d’images colorisées - soit un véritable petit essai parallèle, et enfin le parcours en filigrane du jeune Didier qui se construit, dingue de jazz dès son plus jeune âge, parti de l’économie en entreprise et qui bifurquera vers le journalisme avec le talent que d’aucuns savent*. Le tout sur fond de Gironde, berceau des Pourquery, mais à la ceinture de Bordeaux (tout gris à l’époque), du côté de Lormont, pas celle des quartiers chics. D’ailleurs, l’amoureux des mots Didier Pourquery s’en donne à cœur joie en pimentant son récit d’expressions populaires très bordeluches, et nous sourions souvent en lisant... Le sel de ce livre réside aussi dans les mots qui désignent une époque révolue mais que les « boomers » ont gardé en mémoire. Égrenés comme les perles d’un chapelet, ils illuminent et le texte et l’esprit du lecteur. Cela donne, pêle-mêle : haut-parleur, zazou, Sélection du Reader’s Digest, Cacolac, Floride (Renault), home d’enfants, Norev, caravaning, Les Pieds nickelés, Tout l’Univers, le portemine Criterium ou « le gros feutre Onyx Marker à la pointe biseautée et à l’odeur tenace », car des objets apparaissaient comme de petites merveilles : la purée en flocons, la première réunion Tupperware, la housse écossaise de la raquette de tennis en bois, les petits pots Blédina. Tout ce qui pouvait augmenter le « standing »... Et le brio de Didier Pourquery est de parvenir à mêler tout cela sans nostalgie, avec subtilité et délicatesse littéraire : une histoire familiale, le récit intime de la « recherche » du père, une confession jamais impudique, un condensé  d'essai sociologique, l’ensemble étant guidé par l’impérieux souci de l’exactitude et du détail propre à la rigueur journalistique (qui devrait toujours constituer) la base, et augmentés surtout d’une sensibilité, d’un style touchant, d’une générosité, d’une tendresse qui sont la marque de fabrique de l’auteur. Chapeau l’ami !

    Léon Mazzella

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    *Il a été notamment directeur des rédactions de Métro, de Libération, du Monde, et de The Conversation France.

    « Une histoire des Trente Glorieuses », par Didier Pourquery (Grasset). « L’été d’Agathe », paru également chez Grasset, est disponible en poche à La Petite Vermillon (La Table Ronde).

  • À Erratzu

    J'ai longtemps fréquenté professionnellement, en tant que critique gastronomique, les-restaurants-étoilés comme on dit (et c'était pour leur attribuer des toques). Ils ne m'ont jamais fait rêver comme une auberge d'une simplicité naturelle, d'un dépouillement et d'une humilité touchants peuvent me transporter. Dimanche, une fois encore, j'ai franchi le col d'Izpegui, passées Saint-Étienne-de-Baïgorry et la Nive devant chez Arcé. En haut, j'ai pris traditionnellement un verre de Navarre (pour un euro !) en terrasse de la venta Irigoieneko, chez Peio (non sans faire quelques provisions de bouche à vil prix), dont la vue sur la vallée du Baztan est splendide, et vaut celle que nous offre le parking, côté français, soit à trente mètres de là, sur la vallée de Baïgorry (photo), puis j'ai dégouliné en voiture les lacets de la route qui conduit à Elizondo. Mais je me suis arrêté avant, à Erratzu, bourg pourvu d'un caractère architectural séduisant, où je me rendais clandestinement pendant le confinement de l'automne 2020 car, en France les restaurants étaient alors fermés, pour y déjeuner à pas d'heure (15h30), mais ici c'est possible, et j'ai d'ailleurs du patienter une demi-heure en terrasse, au soleil, peinard; à l'auberge Kastonea. La soupe de poissons, riche en palourdes, fut délicieuse, comme la morue rôtie et gambas très correcte (j'avais envie de mer, en montagne), ainsi que la tarte au fromage, pourvue de relief. Pour un billet de 20€ (prix du menu imposé), la bouteille de vin de Navarre (une pour deux) et l'eau minérale gazeuse (un peu salée, façon Vichy Catalan) compris, on y fait un déjeuner mémorable, grâce à l'environnement aussi : les milans royaux planaient bas, le soleil brillait fort, l'immense tablée voisine célébrait gentiment un faux mariage fellinien en costumes sortis de Cinecittà, et le service de cette auberge est toujours d'une gentillesse extrême. Pur bonheur. Le but de cette note est surtout de vous montrer la "carte", el menú, rédigé au stylo bille sur un petit bout de papier (le verso d'un prospectus pour une tombola). En haut à gauche, les entrées, à droite les desserts, et en bas les plats. J'adore... L.M.

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  • Signature à Guéthary

    Capture d’écran 2023-08-16 à 12.33.38.pngLa très singulière librairie - maison de la presse - dépôt de pain - relais de poste - souvenirs - cadeaux VOIE UNE, sise à la mini-gare de Guéthary que toutes les gares de l'hexagone envient, et d'où l'on contemple l'océan, les surfeurs, les petits bateaux, l'horizon, l'appel du large et les parallèles ferrées, à la perpendiculaire, m'accueille donc dimanche prochain. Venez nombreux.

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  • Petit bonhomme amoureux de chemin

    Capture d’écran 2023-08-07 à 18.25.29.pngMon Petit éloge amoureux du Pays basque semble avoir l'heur de plaire. Privat, son éditeur, vient de le réimprimer, on se dirige vers les 3 000 exemplaires au bout de trois mois et demi d'exposition, il se vend très peu dans la banlieue de Dakar, dans le vieux Islamabad, ainsi que dans les hameaux reculés de Meurthe-et-Moselle. Cela ne m'étonne guère. En revanche, les libraires du grand Pays basque et du Sud Ouest élargi l'aiment, et le font savoir. La presse l'a certes promu, du Figaro Magazine à La Croix l'hebdo en passant par Sud Ouest bien sûr, ainsi que Causeur, Pyrénées magazine, L'Incorrect, La Dépêche du Midi, etc. Mais ce sont les lecteurs que je rencontre chaque week-end, puisque je me plie à deux séances de signature hebdomadaires (la prochaine se tiendra dimanche prochain 20 août dès 11h à Guéthary, à la librairie Voie Une, contre l'arrêt de voie ferrée le plus fantasmé de l'hexagone), qui l'élisent et le font eux aussi savoir, si j'en juge par ceux qui m'en présentent à signer pour leurs parents et amis, après l'avoir lu eux-mêmes . Cela fait bigrement plaisir. Et, ici, là, je remercie chacun. Pourvu que ça dure. L.M.

     

     

  • Prochaines signatures

    Je signerai mon Petit élogeCapture d’écran 2023-08-07 à 18.25.29.png amoureux du Pays basque (éditions Privat), samedi 12 août dès 10h à la Librairie Leku Ona à Saint-Pée-sur-Nivelle, dimanche 13 août dès 11h à la maison de la presse/librairie Darrigade à Biarritz, et dimanche 20 août à partir de 11h à la librairie Voie Une, à Guéthary. 
    Faites passer !
     
    (Ci-dessous, Sud Ouest du 11 août).
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  • M.K.

    C'est une Plaisanterie ?.. N'a t-il pas écrit L'Immortalité ?.. Ainsi, La Vie est ailleurs... Il n'y a donc pas de Testaments trahis... Ce n'est pas à cause de L'Ignorance... L'Insoutenable légèreté de l'être donne envie de danser La Valse aux adieux... En songeant aux Risibles amours... avec La Lenteur qui convient... Puisque tout cela n'est qu'une Fête de l'insignifiance... Où l'on perd jusqu'à L'Identité... Rideau !
     
    (Je garde par ailleurs le souvenir d'un échange à propos de son goût pour le vin et l'armagnac - je lui offrais alors, à sa demande, mon Dictionnaire chic du vin. C'était en 2016 chez ma soeur Muriel à Paris, et nous parlâmes aussi de littérature, de Gallimard son éditeur avec lequel il ne fut pas tendre ce jour-là... ainsi que des traductions scrupuleuses de son oeuvre... Véra était là, bien sûr, car ce couple insécable semblait incapable de vivre à moins d'un mètre l'un de l'autre. Milan était gai mais fatigué, et il regagna tôt son appartement, juste au-dessus. Une Rencontre...). L.M.
     

    Capture d’écran 2023-07-12 à 12.06.48.png

  • Signatures du ouiquènde

    Blablabasque vendredi prochain dès 19h, puis signature, et apéro amical chez ELKAR à Bayonne, la librairie face à la cathédrale et à la médiathèque. Merci pour leur accueil. Venez tous.

    Et signature-blabla à la librairie LE 5e ART, à Saint-Jean-de-Luz le lendemain matin, samedi 1er juillet à partir de 11 heures. Revenez tous !

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  • Latitude MER n°3, via Procida

    Sortie ce matin en librairie, dans les maisons de la presse et les bons kiosques à bons journaux (buongiorno!), du numéro trois de Latitude Mer (piloté, commandé par Olivier Frébourg, des éditions des Equateurs). Avec des textes, entre autres, de Sylvain Tesson sur la Grèce, "des miettes dans la mer", Jean-Paul Kauffmann depuis son balcon de Saint-Malo, Patrice Franceschi, capitaine littéraire de La Boudeuse, Jean Rolin, amateur de poissons exotiques et érotiques, des poèmes de l'immense Nikos Kavvadias, un récit touchant des pérégrinations de Bernard Lavilliers, de Cuba à Saigon en croisant par Zanzibar, tant d'autres belles choses écrites, dessinées, photographiées, et ma modeste contribution avec un long texte (un extrait de roman) qui court sur une dizaine de pages, consacré à l'île napolitaine de Procida, ma querencia ritale et vitale... Foncez et lisez. "La mer, une question de fond", prévient Olivier Frébourg, d'une souriante lapalissade pas si légère que cela... L.M.

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  • Rencontres/signatures à venir

    À Bordeaux, à La Machine à Lire, ce jour (premier juin) de 18h30 à 20h.

    Puis, à l'entrée du centre Leclerc de Bayonne, samedi 3 juin de 15h à 17h;

    Aux Belles pages de Guethary les samedi 17 et dimanche 18 juin;

    À la librairie Elkar à Bayonne, vendredi 30 juin à partir de 18h30;

    Au 5e Art à Saint-Jean-de-Luz samedi 1er juillet dès 11h;

    À la librairie L'Alinéa, à Bayonne, samedi 8 juillet dès 10h30;

    À la Librairie de la plage, à Hendaye, dimanche 16 juillet à partir de 11h.

    (à suivre).

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  • L'amour, c'est...

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    Exercice : légendez cette photo. Vous avez 3 minutes.

    L’amour, c’est entamer le grand écart, c’est faire confiance, l’amour c’est s’abandonner, c’est avoir le cul entre deux chaises et ne plus savoir sur quel pied danser, l’amour c’est serré comme le café tonifiant, c’est naturel, c’est en forêt, c’est un bois de jeunes bouleaux, l’amour c’est bref comme une étreinte, l’amour interdit tout relâchement, l’amour c’est parfois en avoir plein les bottes, l’amour se fait à pieds joints, et jambes écartées le plus souvent, l’amour en terre, dans la tranchée, entre deux rives, l’amour est une frontière. L’amour... Et cette casquette alors, qu’en dire ? L.M.

  • Signatures de la semaine

    J'évoquerai et signerai Petit éloge amoureux du Pays basque (éd. Privat) à Paris, à l'étage du Café de la Mairie (du 6e), place Saint-Sulpice, mercredi 10 mai à partir de 18h30, invité par l'association pour une culture gourmande 31 Raspail.

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    Et j'évoquerai et signerai Le Bruissement du monde, ainsi que Chasses furtives (éd. Passiflore), à la Médiathèque de Magescq (Landes), plus précisément à la Salle de musique, Espace Jean Mora, le vendredi 12 mai à partir de 19h.

    CLIQUEZ => https://www.mairie-magescq.fr/l-actu-du-moment/rencontre-d-auteur-avec-leon-mazzella

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  • WHSK

    Capture d’écran 2023-05-03 à 14.50.16.pngIl y a quelques semaines, j’évoquais ici Laminak, le whisky de Martine Brana élaboré à Ossès, soit là où la distillatrice de génie produit ses fameuses eaux-de-vie de fruit (poire, prune, framboise), ainsi qu’un marc d’Irouléguy vieilli trente ans qui est à se damner.

    Aujourd’hui, c’est d’un autre whisky produit au Pays basque qu’il s’agit, nommé WHSK, des établissements Lapurdi, à Anglet. Ce blended malt issu de céréales, de trois ans d’âge, vieillit en fûts de chêne de Navarre. C’est modeste, compétitif (32€ le flacon de 70cl), et vraiment bien distillé. Robe ambrée brillante, attaque maltée d’une grande fraîcheur, avec des notes fumées très plaisantes, et de montagne (bruyère). En bouche, le vanillé domine, la céréale pointe sa rondeur et des notes boulangères persistent. C’est un whisky non pas facile, ni féminin, mais ni dérangeant, ni agressif. Il exprime la douceur, l’absence d’aspérité, il est au fond séduisant, car souple, sans vigueur particulière. Très performant pour un jeune blend.

    À déguster en écoutant Wayne Shorter (disparu le 2 mars dernier) interprétant les Bachianas Brasileiras de Villa-Lobos, puis Ahmad Jamal (disparu le 16 avril dernier) jouant Poinciana. Tout en lisant Légendes du je, de Romain Gary, compilation de ses plus beaux romans, comme Education européenne, La promesse de l'aube, Chien blanc, Les Trésors de la mer Rouge, La Vie devant soi, Pseudo... L.M

    Capture d’écran 2023-05-03 à 15.15.51.pngCapture d’écran 2023-05-03 à 15.20.52.pngCapture d’écran 2023-05-03 à 15.12.56.png

  • Flemme

    La flemme. Elle m'étreint. Je veux seulement parler de ma nouvelle flemme à évoquer, critiquer les livres que je lis ainsi que je le fais depuis plus de quarante ans (mes débuts furent aux pages livres de Sud Ouest Dimanche). J'ai juste la force, là, de citer mes derniers bonheurs de lecture, en exposant la couverture des ouvrages (il y en a vingt-sept, ci-dessous). J'en parlerai plus tard. Peut-être. Je dirai combien le nouvel inédit de Gracq, mince comme un After Eight, est dense comme une truffe melanosporum, je dirai que la seconde Beune de Michon est torride, sexuelle, mais toute en retenue, en frôlement d'une forme de tantrisme littéraire (à rapprocher de la tentative gracquienne d'exploration d'une maison découverte fortuitement, en voyeur têtu et, à la faveur d'une apparition, d'une voix, d'un pied féminin, sujet romantique à l'imaginaire hölderlinien le plus débridé). Et qu'il faut reprendre la Grande Beune, puis lire la Petite aussitôt après. Je dirai que Patricia Perello possède une prose happante, captivante, et un sacré don de récitante (au coin du feu, du côté d'Iraty - genre). Je dirai que prendre et reprendre Colette par son meilleur (Sido, Les vrilles de la vigne) comme aussi La naissance du jour, ou bien par le prisme de l'excellent Antoine Compagnon, procure un bonheur bucolique intense qui transforme chacun de nos soupirs en détente absolue, augmentée de chants de passereaux comme une guirlande de fleurs des champs dans les cheveux. Je dirai que l'ouvrage précieux de l'ami Jean-Noël Rieffel (je puis dire que je suis à l'origine de la publication de ce touchant récit d'un ornithologue chevronné amateur de poésie - notamment celle de l'immense Jaccottet, et de vins purs) fait un éloge vibrant de la migration et de ce qu'elle génère en nous, observateurs amoureux invétérés. Je dirai que l'excellent essai de Patrick Tudoret sur une philosophie certaine de la marche conçue comme une démarche littéraire autant que poétique, est un bréviaire que j'offrirai souvent; c'est sûr. Dire que mon ami Christian Authier brille une fois encore, sur un sujet qu'il possède, La Poste, avec humour, fantaisie, connaissance fine, dérision, sarcasme et nostalgie sera une mission fortement possible. Je dirai que mon ami (décidément) Emmanuel Planes m'a étonné en m'apprenant plein de choses sur une ville, la mienne (Bayonne), que je pensais connaître comme le fond de ma poche trouée. Justement... Je dirai que s'il est un seul livre (inclassable) à retenir de cette liste, et donc à lire en priorité, ce sont ces Impardonnables de l'érudite subtile Cristina Campo. Il n'est qu'à citer ses pages sur la sprezzatura, concept italien que je vous laisse le soin de découvrir, car il est si rare dans son impossible définition que je n'ose l'évoquer. Je dirai que François Cérésa nous offre un livre salutaire, puisque notre époque marquée du sceau du nivellement par le bas, manque cruellement de panache. Et que sa galerie de portraits habilement choisis renfloue notre humeur à marée basse lorsque nous observons le monde tel qu'il va médiocrement. Je dirai que Robert Desnos continue de me bouleverser chaque fois que j'ouvre n'importe lequel de ses recueils de poèmes, je dirai qu'il m'est nécessaire de frissonner au contact de ses mots tendres et dotés d'une force douce, amoureuse et candide. Je dirai que la poésie chinoise classique - davantage que l'exégèse de Le Clézio, est un viatique pour le voyageur ne sachant pas quoi caler dans la poche extérieure de son sac à dos, fut-ce pour faire un aller-retour en basse montagne dans la journée, ou bien pour partir aux antipodes. (Pour ces derniers, je conseillerai plutôt Bouvier et Thoreau, Chatwin et Hamsun, Charles Wright et André Suarès, et puis Tesson bien entendu). Je dirai que tout amateur de littérature aime l'objet livre, le tenir en mains, le humer, l'entendre flapper ses pages du bout des doigts, et affectionne donc charnellement la police des caractères - laquelle ne nous demande jamais nos papiers... Ainsi, les Miscellanées d'un bouquineur figurent-ils une déclaration d'amour au physique du livre. Je dirai que le traducteur historique de Jim Harrison, Brice Matthieussent, a eu l'idée géniale de rassembler tous les textes évoquant Chien Brun, double de Big Jim, éparpillés dans son oeuvre accomplie, en un seul et épais, et par conséquent très précieux volume. Gloire à Brice ! Je dirai que quelques académiciens ont mille fois raison de s'insurger contre la dévalorisation de la langue française, surtout à l'heure où d'aucuns écrivent franglais, ou langage sms, à une époque inquiétante où l'invective au Palais-Bourbon touche à la sémantique poissonnière, et ce fabuleux livre rouge intitulé légèrement Flânerie au pays des mots est une invite à revoir le sujet avec beaucoup de sérieux, car il y a péril en la demeure. Je dirai que Christiane Rancé, dont nous avions loué ici même le Dictionnaire amoureux des saints, est une amoureuse totale de la Botte, et qu'elle a, ancré en elle, le talent pour la dire, avec l'élégance du semeur lorsqu'il déploie son bras : Italie je t'aime. Je dirai que Colliat est un gars malin qui a eu l'idée formidable de collectionner un millier traits d'esprit sarcastiques, cyniques, claquants, tous brillants, des réparties donc, et son anthologie figure un bréviaire du tac au tac de génie. Sur la table de chevet, svp ! Je dirai que mon philosophe chouchou Michel Onfray (je suis l'un de ces rares Mohicans qui le lisent, l'aiment et le défendent) procure comme toujours une jubilation intellectuelle en nous augmentant avec son savoir et son invitation permanente à l'interrogation en forme de bousculade qui n'est jamais bourrue, mais plutôt une douce douche froide sur le cerveau. Je dirai que Bérénice Levet nous offre un essai indispensable pour monter à l'assaut du wokisme et son insondable bêtise, et que j'ai failli surligner chaque ligne de ce livre à brandir dans toute contre-manif - et à offrir à chaque dîner en ville (comme on dit). Je dirai, s'agissant de ma passion pour les oiseaux, que Légendes... apprend quantité d'histoires, comme celle du rouge-gorge, lequel doit la couleur (orangée, cependant) de sa poitrine au frôlement avec celle, ensanglantée, du Christ sur la Croix... Mais ça, Jean-Noël Rieffel l'évoque aussi. Les deux ouvrages se font écho à certaines pages, et c'est heureux. Le mince texte du grand Pierre Bergougnioux sur les oiseaux est une sorte de tendre thriller de l'enfance circonscrit en vingt pages, et je n'en dirai pas davantage sur cette nouvelle parfaite comme un oeuf. Je dirai que l'alouette mérite encore et toujours tout notre respect, notre déférence, notre admiration face à un vol stationnaire et un chant entre tous envoûtants. Un éloge lui rend joliment grâce (la mode éditoriale serait donc à l'éloge. D'ailleurs, moi-même, avec le Pays basque...). Je dirai que Pascal Quignard, avec L'amour, la mer, semble être à son paroxysme littéraire, mais comme nous nous sommes déjà fait cette réflexion avec quelques uns de ses livres précédents, nous ne savons, je ne sais plus quoi dire, écrire. Attendons les suivants, car il y en aura bientôt. Je dirai que Ramón Gómez de la Serna est définitivement un auteur majeur de chez majeur. Et que, passé le choc produit par la lecture de son monumental Automoribundia (narré ici), il n'y aurait plus qu'à savourer le plaisir de la relecture - et bien non, voici l'Aube, mini chef-d'oeuvre de plus. Je dirai que Le nageur est un bon Assouline, qui raconte avec talent le destin singulièrement tragique d'Alfred Nakache, champion olympique de natation, juif, dénoncé à la Gestapo par une crevure immonde nommée Cartonnet, son rival dans les piscines. Je dirai que À tire d'ailes est une jolie anthologie de l'oiseau dans l'art pictural, augmentée d'illustrations fidèlement imprimées, connues ou peu connues, propices à la rêverie. Je dirai... Passée la flemme, je dirai. Ou peut-être pas. Peut-être même que je bartlebyriserai mon intention première, et que j'écrirai je préfèrerais ne pas. Chi lo sa... L.M.

    Capture d’écran 2023-05-03 à 10.08.37.pngCapture d’écran 2023-05-03 à 10.08.30.pngCapture d’écran 2023-05-03 à 10.07.16.pngCapture d’écran 2023-05-03 à 10.07.27.pngCapture d’écran 2023-05-03 à 10.07.35.pngCapture d’écran 2023-05-03 à 10.07.45.pngCapture d’écran 2023-05-03 à 10.07.56.pngCapture d’écran 2023-05-03 à 10.08.04.pngCapture d’écran 2023-05-03 à 10.08.12.pngCapture d’écran 2023-05-03 à 10.08.20.pngCapture d’écran 2023-05-03 à 10.08.45.pngCapture d’écran 2023-05-03 à 10.08.53.pngCapture d’écran 2023-05-03 à 10.09.00.pngCapture d’écran 2023-05-03 à 10.09.09.pngCapture d’écran 2023-05-03 à 10.09.16.pngCapture d’écran 2023-05-03 à 10.09.24.pngCapture d’écran 2023-05-03 à 10.09.33.pngCapture d’écran 2023-05-03 à 10.09.41.pngCapture d’écran 2023-05-03 à 10.09.47.pngCapture d’écran 2023-05-03 à 10.09.57.pngCapture d’écran 2023-05-03 à 10.10.05.pngCapture d’écran 2023-05-03 à 10.10.22.pngCapture d’écran 2023-05-03 à 10.10.28.pngCapture d’écran 2023-05-03 à 10.10.36.pngCapture d’écran 2023-05-03 à 10.10.53.pngCapture d’écran 2023-05-03 à 10.10.45.pngCapture d’écran 2023-05-03 à 10.10.13.png

  • Arrivato

    Bon, ça y est, il m'est parvenu, ainsi qu'à la presse. Il sera en librairie le 27 de ce mois (première signature officielle le 29 à Cultura/Anglet).

    Réservez-le auprès de votre libraire. On en reparle bientôt.

    (Je l'ai aussitôt relu pour me livrer à une chasse à la coquille. Je n'en ai trouvé aucune parmi ses 190 pages.  À la bonne heure).

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  • Petit éloge amoureux...

    Voici ce que mon éditeur publie ce matin sur son compte Instagram :

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  • Du rugby

    IMG_8637.jpegMarie-Luce Ribot et Antoine Tinel, qui pilotent le "mook" (magazine-book) Raffut, "Ceci est plus qu'une revue de rugby", du groupe Sud Ouest, m'ont demandé pour pour la rubrique Art et Littérature de leur n°3 qui paraît ce jour, un assez long texte sur mon rapport au rugby, que voilà (en photos). Ce fut l'occasion d'évoquer surtout mon fils lorsqu'il était rugbyman, ses grands-pères, et de raconter quelques anecdotes personnelles...

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  • Osmin & Cie, prénom Lionel

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    Je ne suis pas peu fier d'avoir rédigé les 64 pages du premier magazine du négociant hédoniste en vins du Grand Sud-Ouest Lionel Osmin (& Cie). Il paraît, il est beau, il est riche, gouleyant, friand, convivial, sympa, généreux, très très Sud-Ouest, et il est gratuit. C'est bien plus qu'un catalogue pour les nombreux vins proposés par l'enseigne paloise. C'est la première version de l'expression d'un art de vivre certain. J'ai mis mon coeur à l'écrire, si cela peut se dire. L.M.

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  • Parmi les écrivains gastronomes

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    Surprise, ce matin, lorsqu'un ami m'informa de la parution, en octobre dernier, d'un épais (430 pages) Dictionnaire des écrivains gastronomes chez Flammarion, signé Jean-Baptiste Baronian, et dans lequel je figure aux pages 257 et 258, entre Harry Mathews et Jay McInerney, pensant que j'étais au courant, ajoutant un tu crois qu'il nous aurait prévenus, ce petit cachottier? à l'adresse d'un mini groupe WhatsApp de quatre personnes... Je m'enquis de sa disponibilité en librairie et en trouvai un exemplaire dans la journée, dont voici des images. L'ouvrage est passionnant, qui va en effet d'Apollinaire à Zola en passant par les classiques Balzac, Baudelaire, Blixen, Boileau, Brillat-Savarin, et les modernes comme Barbery, Barnes, Barjavel, Boudard, pour ne citer que quelques noms épinglés à la lettre B. C'est dire si l'ouvrage est riche. Et savoureux. L.M.

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  • Petit éloge amoureux du Pays basque

    Capture d’écran 2023-01-13 à 12.18.18.pngIl est certes trop tôt pour évoquer cela, mais puisque les sites marchands proposent de le pré-commander, je vous montre les "prière d'insérer" de l'éditeur de mon prochain livre, trouvés ce matin sur les sites divers comme la fnac, amazon, Babelio (ce dernier donne un texte plus touchant, mais les deux sont signés de mon éditeur chez Privat, Christian Authier). Patience jusqu'au 27 avril, jour de sortie de mon (très subjectif) Petit éloge amoureux du Pays basque.

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  • Françoise Bourdin, Sang et or

    IMG_8094.jpegIMG_8097.jpegNoël 2022 au fin fond du Périgord pourpre en compagnie de ma fille, de son bébé d’un mois et demi et de la famille de son compagnon, le père de Sael Áodhán. Nous sommes treize autour de la cheminée que j’alimente en chêne sec. J’apprends la mort de Françoise Bourdin et je me souviens. Rapidement, je parcours la dépêche reproduite un peu partout, à peine modifiée, sur cet auteur « populaire » qui a vendu plus de quinze millions de livres en cinquante romans issus de sagas familiales comme les lecteurs de Christian Signol, de Claude Michelet... et de Françoise Bourdin les aiment. Pas besoin d’un papier dans Le Monde des Livres ou Le Figaro littéraire - lesquels les boudent en se pinçant le nez - pour propulser ces sous-marins de l’édition qui, sans aucun bruit, en font beaucoup dans les chaumières, loin des bobolands circonscrits à quelques arrondissements germanopratins. Je me souviens... Je copilotais le service des manuscrits de La Table ronde avec Stéphane Guibourgé (que devient-il ?) deux jours par semaine (je vivais encore à Bordeaux), tour à tour rue du Bac, rue Huysmans, rue Corneille... Autrement dit, j’ouvrais le sac postal quotidien en toile de jute beige, j’en extrayais le monceau de tapuscrits, je les flairais tous avec une technique « pro » précise, et, un matin de l’année 1990, je suis tombé sur l’un d’eux, mince, intitulé « Sang et or » (était-ce le titre originel ou bien celui que je trouvai au moment des épreuves corrigées ?) d’une certaine Françoise Bourdin qui n’avait publié jusque là que deux romans chez Julliard, « De Vagues herbes jaunes » en 1974, et « Les Soleils mouillés » en 1975. Rien d'autre depuis quinze années. Je me souviens m’être assis par terre, entouré de piles de tapuscrits sous papier kraft comme un soldat de sacs de sable, et avoir lu d’un trait ce texte dont l’action dure quelques minutes au cours desquelles un jeune torero gravement encorné est transporté à l’infirmerie de l’arène où il est en train de toréer, et l’instant de son expiration. Entre temps, sa vie défile, Bourdin la raconte, et c’est poignant, tendre et tragique, solaire et mélancolique. J’alerte aussitôt mon pote et néanmoins président des éditions Denis Tillinac par téléphone (absent, il surfait alors en Chiraquie). On a reçu un manuscrit fascinant d'une presque inconnue, il faut que tu le lises. Bloque, appelle-là, et tu lui proposes un contrat. Mais, Denis, tu ne veux pas le lire avant ? Pas le temps, j’ai confiance, vas-y. J’appelle Françoise Bourdin. Elle me dit que Actes Sud lui a déjà donné une réponse positive. Je lui coupe quasiment la parole en lui disant que je m’en fiche. Où êtes-vous ? À la Feria de Nîmes justement, pour voir des toros. J’adore. J’arrive. (J’y retournerai en septembre de la même année, à la Feria des Vendanges, pour assister à la prise d’alternative de Jesulín de Ubrique). Je pris un contrat pré rempli comme un constat d’accident au 40, rue du Bac, et un train à la gare Montparnasse. Nous nous retrouvâmes dans les salons de l’hôtel Imperator, et elle signa le contrat tandis que je sifflais manzanilla sur manzanilla La Gitana. Nous publiâmes son troisième roman en mai 1991. Une peinture de Fernando Botero, « Muerte de Luis Chalmeta » orne en vignette la couverture. J’en conçus une certaine fierté lorsque, plusieurs années après, Françoise Bourdin devint l’un des écrivains les plus lus de France, le (ou la ?) cinquième je crois. Je l’ai croisée à plusieurs reprises lorsque je fus éditeur chez Editis entre 2002 et 2006, au sein de Place des éditeurs, dont ma boutique, fitway publishing faisait partie. Mes bureaux étaient voisins de palier de ceux de Belfond, son éditeur historique. Nous prîmes quelques verres lors de salons du livre à Paris et à Francfort je crois aussi, et puis en bas des éditions, avenue d’Italie dans le XIIIe. Elle était timide, frêle, mais son regard était doux et droit, d’acier tendre. La force du jockey sous une apparence cristalline. Elle se souvenait en riant de moi déboulant à Nîmes... Je confesse n’être pas lecteur de ses romans, de cette littérature que l’on dit populaire, mais ni par aversion ni par snobisme. Seulement parce qu’elle ne me « parle » pas, comme par ailleurs la science-fiction, la fantasy, le polar (à de très rares exceptions près), le développement personnel, l'ésotérisme, la B.D. figurent des genres qui me sont étrangers – et je m’en réjouis d’une certaine manière, car cela fait ça en moins à découvrir, lors que je sais, hélas, que je n’aurais pas assez de quarantedouze vies pour avoir le temps long et calme de lire tout ce que j’envisage de lire de poésie, de romans, de philosophie, d’essais... Je confesse n’avoir pas lu une ligne de Françoise Bourdin après « Sang et or », et je me souviens le lui avoir dit, et qu’elle me répondit par un grand éclat de rire, et qu’elle me fit déposer, la délicate, une pile de Pocket choisis de ses romans, mais que je distribuais – sans éprouver le moindre sentiment d’ingratitude, cependant -, à des amies de passage chez moi (car j’ai le sentiment que le public de sa littérature est essentiellement féminin), lors de dîners à mon domicile parisien qui s’achevaient invariablement par une répartition de livres empilés devant la porte – condition expresse établie : nul ne sortira d’ici sans plusieurs livres en mains. « Sang et or » donc, que je viens de retrouver dans le long rayon de ma bibliothèque réservé à la tauromachie littéraire. Je ne sais pas si j’ai envie de le reprendre, tant ma « desafición » est devenue grande. Peut-être, oui, quand même, en souvenir de la confiance de Denis, pour l’effervescence nîmoise de ce jour-là, pour l’émotion singulière, pour la pluie qui tombe soudain sur Bayonne ce 29 décembre 2022 après-midi, et ma moto qui se mouille avec le casque et les gants sur la selle. Pour les livres. Je vais appeler ma fille, tiens, et prendre des nouvelles du petit. L.M.

  • Les flacons maltés

    Les whiskys français sont de plus en plus nombreux. Qu’ils soient bretons, normands, bourguignons, lorrains, lyonnais, célèbres comme Michel Couvreur et sa gamme somptueuse, Armorik la distillerie pionnière, Rozelieures et son savoir-faire céréalier, Bellevoye et sa gamme colorée, Le Domaine des Hautes-Glaces et son sens du terroir, le Château du Breuil et son expertise en Calvados, Ninkasi et son expérience de brasseur... nous avons l'embarras du choix si nous souhaitons faire un pas de côté en laissant au bond - le temps d'un Noël - les Scotchs et autres whiskeys, sans parler des flacons japonais qui inondent le marché...

    En voici deux singuliers, Arlett et Laminak... ainsi qu'une surprise remarquable n'ayant rien à voir avec le whisky.

    Capture d’écran 2022-12-21 à 19.10.19.pngLa distillerie charentaise familiale Tessendier, notamment les deux frères Jérôme et Lilian, proposent trois whiskys Arlett : un Single Malt Original, un autre Tourbé, et enfin celui que nous avons goûté, avec une finition d’un an en fût de chênes japonais Mizunara, après un vieillissement de trois ans : la moitié de l’assemblage en fûts de chêne américain neufs et l’autre moitié en fûts de bourbon. Le résultat est envoûtant, élégant, expressif et épicé mais pas trop – poivre, cradamome. Avec ce whisky aux accents « vintage, » les frères Tessandier signent une véritable déclaration d’amour à leur mère Arlette (70 cl, 55€).

    Laminak, le tout nouveau whisky distilléCapture d’écran 2022-12-21 à 19.20.38.png par Martine Brana à Saint-Jean-Pied-de-Port – un nom qui fait référence aux petits esprits de la forêt qui sortent la nuit car ils craignent la lumière, est une perle issue de malt français brassé au Pays basque. Après une double distillation dans les alambics à repasse, ce Single Malt a vieilli quatre ans dans des barriques de l’Irouléguy blanc « maison » élaboré par Jean Brana, et ayant contenu du Petit Manseng, cépage caractéristique dont on retrouve la finesse et le fruité dans le verre. Laminak est ample, généreux, frais, correctement boisé, délicatement vanillé, et possède une belle persistance. Premier tirage : 2802 bouteilles numérotées. (70 cl, 78€).

    Capture d’écran 2022-12-21 à 19.20.00.pngUn chiffre modeste, mais qui paraît grand si nous le comparons à un autre bijou, dernier né de la maison Brana : 972 bouteilles seulement d’un Marc d’Irouléguy XO distillé il y a 30 ans par cépages rouges et blancs séparés, puis vieilli en fûts durant 22 ans. Cette eau de vie rare et précieuse est un régal de douceur, de puissance et de complexité, avec des notes de raisins secs, une pointe réglissée et une autre de pain grillé. C’est profond mais rond, charmeur et pour tout dire bluffant. (70 cl, 148€). L.M.

     

  • La tour de Montaigne

    WhatsApp Image 2022-12-11 at 23.38.19 (3).jpegIMG_7565.jpegIMG_7568.jpegIMG_7560.jpegIMG_7583.jpegIMG_7617.jpegPèlerinage émouvant de groupie assumé, hier après-midi à la tour de Montaigne, à Saint-Michel-de-Montaigne (24). Visite monacale et infiniment tranquille à l'heure où la lumière d'hiver baisse en rougissant avec componction un ciel glacé et roide. Emprunter l'escalier en colimaçon aux marches usées, voir le lit, la cheminée, des peintures murales effacées, l'âtre, ce qui faisait office de lieu d'aisance, penser la cuisine, ouvrir les fenêtres, contempler la pièce ronde du bureau surtout, les inscriptions en grec et en latin dans le bois de chacune des poutres - les citations de philosophes (au premier rang desquels loge Socrate) qui accompagnèrent Montaigne, imaginer la bibliothèque face à la table de travail, écouter le silence alors à peine troublé par un pinson et un rouge-gorge, affronter le froid d'hier et ressentir, autant que faire se peut, ce que Montaigne dut tant éprouver là afin d'y écrire ses Essais. D'où, me dis-je, la présence de trois selles d'époque, car Montaigne galopait par monts et par vaux lorsqu'il n'écrivait pas ce que, justement, il prélevait en voyageant, en frottant sa cervelle à celle de l'Autre. Par pénétration, et comme par une sorte de palimpseste, j'eus l'envie forte de croire que je pouvais me projeter instantanément entre 1533 et 1592 là même, et j'imaginai, j'ai imaginé, j'ai forcé mes sens, mes muscles, mes idées rassemblées en désordre. J'ai voulu. Le moment fut délicieux, vivifiant et d'une sereine intensité, car vide de tout élément extérieur, humain surtout. La solitude (partagée) savourée en un tel endroit me fut un cadeau du ciel. J'ai repris les Essais, ce matin,  non sans avoir rangé au préalable, dans la part de rayon de ma bibliothèque consacrée à Montaigne, une bouteille qui ne se boit pas, mais qui doit loger parmi l'Oeuvre, ses éditions diverses et son exégèse. Elle porte le nom de l'auteur, car un  vignoble en appellation Bergerac prospère tout autour de la tour. L.M.IMG_7736.jpeg

  • Aragon, pschitt

    Capture d’écran 2022-11-30 à 14.06.40.pngCapture d’écran 2022-11-30 à 14.06.10.pngCapture d’écran 2022-11-30 à 14.05.38.pngLa poésie militante ou insipide, pénible d'Aragon sent parfois la sueur. Ses poèmes incontinents (il perd aussi son prénom, Louis, sur les trois couvertures) proposés par Gallimard ce mois-ci : Persécuté Persécuteur, Les Chambres (sous-titre : Poème du temps qui ne passe pas), Les Adieux et autres poèmes, m'ont laissé froid. Lire un éloge de Lénine, un autre à la gloire de Staline ne passe plus, et le sigle URSS inscrit à tout bout de vers révulse, quoiqu'on sache du rôle de potiche, de plante verte du PCF qu'occupa le talentueux auteur du Fou d'Elsa au cours de ces années de plomb (lequel servit aussi à imprimer du Aragon). Ce sont là des mots fades, incapables de générer l'émotion, enfilés à la suite les yeux fermés on dirait, même lorsqu'il s'agit de l'immense Hölderlin (son long poème consacré ressemble à une copie de potache chargé d'exécuter un commentaire de texte), tout cela est écrit à la va comme je te pousse, et ne devrait en réalité pas être rassemblé, et proposé (à nouveau) à la lecture. Aragon vieillit mal. Même lorsque, tardivement, il évoque encore Elsa en fin de vie, cela sent l'amour faisandé, le passé suranné - par manque de déodorant sans doute. Et l'on se dit qu'il eut peut-être mieux valu ne pas écrire du tout, se taire et regarder, pleurer mais laisser sa plume tranquille, ou bien faire feu et flamme. Sauf que là, c'est pschitt à chaque page. Le talent a disparu... 

    Ce n'est pas le cas de Pierre Mendès France (coq à l'âne) dont les portraitsCapture d’écran 2022-11-30 à 13.59.42.png d'hommes politiques qui comptent (Churchill, de Gaulle, Ferry, Zola, Caillaux, Briand, Herriot, Jaurès, et Hubert Beuve-Méry !..) dans le recueil La vérité guidait leurs pas, exhalent le sérieux de l'analyse derrière une admiration prudente. La plume de PMF est franche, droite, comme l'homme politique le fut toute sa vie. Sa trempe manque terriblement à cette Ve république sénescente et qui n'engendre que des clowns à l'intérêt autocentré. Mendès représente aujourd'hui une gauche disparue, hélas, pétrie d'humanisme et d'intérêt général - une valeur fondamentale en voie de dilution, lorsqu'elle eut le pouvoir ; sous sa houlette.

    Capture d’écran 2022-11-30 à 14.00.31.pngRegistre voisin, Régis Debray, avec D'un siècle l'autre, un titre célinien, poursuit son autobiographie intellectuelle, désabusée, car l'homme protéiforme, limite caméléon touche-à-tout de génie est revenu de tout (l'auteur a réellement envie de nous faire savoir qu'il a tout vu, tout fait, tout compris), son existence est jalonnée d'expériences à haute valeur ajoutée, certes (le révolutionnaire emprisonné, le conseiller du Prince, le médiologue, le romancier, l'essayiste), qu'il sait mettre en valeur sans trop plastronner, quoique. Un côté Papy, raconte-nous encore l'Indo ! sans que l'on demande au Papy de nous raconter encore l'Indo, remonte à la surface de la lecture... Au soir de sa vie, Debray dresse le bilan, à la colonne PP, pour pertes et profits. D'autres volumes paraîtront. Déjà, L'exil à domicile est sorti ce mois-ci. Pas encore lu. Nous attendons néanmoins la suite de cette suite. 

    Enfin,  kilo de cerises sur le gâteau, un volume capiteux, les Tragédies complètes deCapture d’écran 2022-11-30 à 14.04.59.png Sénèque, 1000 pages, occupera nos prochaines après-midi. Pensez ! Oedipe, Les Phéniciennes, Hercule furieux, Hercule sur l'Oeta, Médée, Phèdre, Thyeste, Les Troyennes, Agamemnon sont capables de nous faire oublier un rendez-vous chez le dentiste. Nous y reviendrons, ici. Merci la collection folio. L.M.

     

     

  • Glen Moray

    Capture d’écran 2022-11-30 à 13.53.31.pngCapture d’écran 2022-11-30 à 13.53.43.pngDans le Speyside, Glen Moray est une distillerie singulière (nous l'avons déjà visitée) qui s'attache, depuis 125 ans, à explorer l'influence des fûts d'origine et de contenant divers sur ses single malts. La mode est au vieillissement et au finish, soit au passage ultime dans un seul fût (single cask) ou dans des fûts ayant contenu d'autres breuvages bizarres - en l'occurrence du whisky de grain, de seigle précisément, Rye Cask Finish pour l'un, et du rhum agricole martiniquais Saint-James 1997 pour l'autre. Les résultats sont sensibles. D'un côté, le caramélisé et l'épicé dominent (vanille, citron frais, poivre blanc, caramel mou, fruits noirs de sous-bois, café en finale assez longue), et là, l'intensité fait place à l'équilibre (du confituré : abricot, poire, ananas, et aussi cerises au kirsch, pain d'épices, raisins secs en finale longue, très longue). Il n'y a que 900 flacons (75 cl, 70 €) de Rye Cask Finish pour la France, et 600 (idem) pour le Rhum agricole Cask Finish Project. Dépêchons-nous. L.M.

     

  • Sacré Voutch

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    Mieux que Sempé. En tout cas selon ma sensibilité. J'adore Voutch, pourquoi le cacher. Je me régale lorsqu'il donne un dessin au Point, ou sur sa page Facebook. Son nouvel opus paraît le 8 décembre au Cherche midi (où l'auteur a déjà publié une quinzaine de livres). Le pire n'est même pas certainLe titre est déjà un programme. L'album est paru en 1999, mais il a été totalement rénové et enrichi de dessins inédits en livre. L'acuité du regard porté par le dessinateur sur les faits sociaux de notre temps est renversante. Avec toujours cette pointe de cynisme, une touche indispensable de dérision et un trait nonchalant. L'air de ne pas y toucher, Voutch appuie là où ça coince et c'est drôle, très drôle. Qu'il s'agisse de la vie des très riches, du couple qui s'ennuie, du corps médical, de l'atmosphère au bureau (rappelant en cela l'humour décapant du mystérieux Etienne Dorsay, lequel sévit sur twitter et instagram notamment), de la solitude du célibataire, de la psychologie féminine, des animaux de compagnie, du yéti ou du monde de l'édition lorsqu'il se laisse amadouer par les sirènes du marketing le plus outrancier, l'absurde est omniprésent dans le trait et dans le texte. Sacré Voutch... L.M.

    Extraits :

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  • Secs constats

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    Je me trouvais dimanche 23 en Baie du Mont Saint-Michel, sur les prés salés, partageant l'herbe que je foulais avec de réputés moutons aux saveurs singulières, pour une marche tiédie par un air étonnamment hors-saison. Justement, l'herbe. Celle-ci crissait sous la botte par endroits, et pas une goutte d'eau n'irriguait ni les canaux au fond craquelé, ni les mares des huttes de chasse. Tout était sec jusqu'à la lisière du Mont, l'eau retrouvée. Je levai en marchant quelques alouettes, des étourneaux picoraient les crottes de moutons, de rares goélands leucophores s'envolaient à regret à mon approche, des corneilles noires demeuraient; arrogantes - il faut s'y faire depuis un certain nombre d'années. Aucun bec plat, canard ou sarcelle, aucune bécassine, aucun autre limicole, et rien qui striait le ciel, ni pluviers, ni courlis, ni pieds-rouges (chevaliers gambette) - ah si, un vanneau égaré, esseulé sans doute, cria son désarroi en virevoltant à basse altitude, sur le chemin du retour. Pour un peu, je n'aurais pas été surpris de voir décoller une ganga cata. Non, j'exagère. Mais j'y pensais, car j'étais inquiet, voire attristé.

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    Hier matin, en randonnant du côté d'Etxalar, au Pays basque espagnol (pas loin de Zugarramurdi et Sare), je levai de rares grives sur un sol vert et dru, tandis qu'habituellement elles auraient dû fuser en bouquet de chaque buisson, fut-il d'ajoncs et de ronces. Des vautours fauves planaient en spirale, des milans royaux maraudaient. Quelques coups de feu signalaient un passage timide de palombes peut-être ; de grives plutôt. Le ciel était gris, l'atmosphère opaque, et comme ourdie par un silence inhabituel. Je me suis dit que la migration, qui devrait battre son plein, était en berne, ou bien en grève, ou alors à la messe.

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    Ce matin, du côté de Bidart, levé à l'extrême pointe de l'aube, café en main, j'eus la joie de voir passer trois maigres vols de palombes, et surtout d'observer des grives musiciennes en migration, mais stationnant afin de se refaire la cerise avant de reprendre leur route vers l'Espagne et au-delà. Elles étaient cependant là, à portée, allant d'une branche à l'autre tout autour, des hauts pins aux petits bosquets, de la haie garnie de lierre et de glycine au laurier rose qui perd peu à peu ses fleurs. J'en conçus une nouvelle et amère constatation. Les grives (musicienne et mauvis, surtout), avaient un peu déserté octobre et novembre ces dernières années, et je m'en étais inquiété. Les voilà qui réapparaissent, en nombre, et c'est tellement heureux. Mais, l'urbanisation et l'invasion du territoire péri-urbain, lequel gagne la campagne, l'espace sauvage, empiète sur le biotope animal, mange l'environnement de l'oiseau. Ainsi, la grive reprend-elle des forces dans les jardins, soit là où il y avait auparavant des haies riches en baies, et des prés sous-cutanés de lombrics gras. Aussi, l'espace vital animal se confond-il désormais avec l'expansion des besoins en logement de l'homme (sur la Côte basque, cela est criant, voire révoltant : où que l'on se trouve, il y a dans notre champ de vision un immeuble en construction ou une grue trônant au coeur d'un chantier). Les grives, donc, s'accommodent des villas, des maisons, des jardins, des rues et des routes bruyantes, où leur instinct les ramène comme un aimant les attirerait inexorablement ; à leur corps défendant. Ainsi se désensauvagent-elles, et c'est cela qui m'est douloureux. L.M.

  • Blanc, par Tesson

    Les premières pages du nouveau livre de Sylvain Tesson à paraître le 13 chez Gallimard, et intitulé sobrement "Blanc", émaillent quelques citations sur l'idée du départ, du voyage (ci-dessous), et donnent ainsi le ton, soit celui de la bougeotte. J'y ajouterai un vers célèbre de Blaise Cendrars : "Quand tu aimes il faut partir"...

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  • Avec Rimbaud, il suffit d'un vers...

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    ... pour être emporté. Exemple, ce matin, je relis le poème Ophélie, qui possède les accents du Dormeur du val, et ce vers, le trentième, me cloue : Tu te fondais à lui comme une neige au feu. J'en ai frissonné. Certes, c'est l'image, à la Gracq ou à la Giono (je suis en train de me régaler avec Le Chant du monde) qui interpelle, séduit. En littérature, il suffit souvent de l'usage de l'adverbe "comme" (à condition de ne pas en abuser et de lui trouver des remplaçants) pour créer immédiatement une sorte d'émerveillement. Les exemples sont nombreux. Et nous pourrions nous amuser à en collectionner une belle ribambelle... 

    Le poème de Rimbaud évoque l'Ophélie peinte par J.E. Millais (ci-dessus) et surtout le personnage de Shakespeare (dans Hamlet), qui devint folle, se suicida (?) en se noyant dans un ruisseau et dont le corps entouré de fleurs flottera mille ans sans être altéré. Un mythe naquit.

    Gaston Bachelard, dans L'Eau et les rêves, s'est penché sur "le complexe d'Ophélie". L'eau est la vraie matière de la mort bien féminine, écrit-il. L.M.

     

     

     

  • Amour du journalisme

    Cet extrait de Racontez-moi les flamboyants, de Christine de Rivoyre, m'est lumineux. Il parlera à mes confrères et consoeurs animés de l'intérieur par le métier. C'est tellement cela. À l'instar d'Albert Camus disant qu'il n'avait jamais été aussi heureux que sur les planches d'un théâtre, sur un stade de football et dans les salles de rédaction et de montage d'un journal, les bonheurs professionnels de mon existence se sont toujours produits au moment où je démarrais une voiture, entrais dans un wagon, montais dans un avion et partais en reportage, quel qu'il fut, où que ce fut. Puis, ils résidaient dans une rédac, soit là où je me suis toujours senti aussi bien que chez moi. Surtout les jours de bouclage... 

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