Claudine Lemaire
Dans le mundillo de l’édition que j’ai toujours côtoyé de près ou de loin soit comme auteur, critique ou éditeur, j’ai croisé des personnages d’un autre temps dans les services de presse de certaines maisons. Ecrivant cela, je pense tout à coup à Pepita - ma vieille amie Marie Lagouanelle, longtemps pilier du « SP » du Seuil. Claudine Lemaire, qui vient de nous quitter après soixante années environ passées au service des auteurs de maisons diverses : Denoël, Gallimard, Laffont, Grasset, Plon... en était l’archétype. Ne cherchez pas, on n’en fait plus des comme ça, le moule s’est brisé avec elle comme un éclat de rire dont elle avait le secret lorsqu’elle raillait un tel ou ne s’étonnait pas de telle rumeur qu’elle avait annoncée depuis belle lurette. Déjeuner avec Claudine Lemaire, c’était se mettre à jour de tous les potins du monde éditorial germanopratin. J’adorais autant la lancer et l'écouter, que les plats canailles de chez Marcel ou du Petit Saint-Benoît. Non seulement Claudine connaissait tout le monde, mais elle savait les petits secrets, les indiscrétions du mercato, qui couchait avec qui, laquelle avait vendu son âme au diable, combien avait coûté tel lancement absurde qui fit un flop. Elle portait un regard de lynx sur cet univers dans lequel elle évoluait comme une truite dans le torrent car c'était toute sa vie, elle vivait de toutes ses fibres le corps entier de l'édition avec ses ramifications, elle observait, se moquait quand il le fallait, n’avait jamais la dent dure mais plutôt affectueuse et, surtout, surtout, elle chérissait ses auteurs et s’en occupait comme une mamma napolitaine de sa marmaille. Et puis, Claudine possédait une immense culture littéraire, ce qui devient chiche dans la profession. Rarissimes sont les attachées de presse surdimensionnées du moment comptant par exemple deux Masters consacrés à Henri Michaux dans leur cursus, qui sont aussi intarissables sur Sagan que sur Barthes ou Manciet, et qui écrivent en plus des poèmes bouleversants. Déjeuner avec Claudine Lemaire, c’était aussi voyager dans le passé. Nous évoquions les disparus : l’ami Jean-Jacques Brochier, Renaud Matignon, Robert Laffont, Françoise Verny, Bernard Frank, Jacques Laurent... Elle les avait tous connus. Claudine était l’encyclopédie du métier. Elle était souvent « emberlificotée (c'était son expression) dans un grand nombre de rendez-vous » et il n'était pas facile de la coincer une heure ou deux autour d'une table. Il y a longtemps que je n'ai plus dit « Allo Claudine, c’est Léon, non, non, ne m’envoies pas de Dictionnaires amoureux*, je suis à Paris la semaine prochaine, on déjeune ?.. » L.M.
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* Ma boîte mail garde en mémoire un échange à trois avec Jean-Claude Simoen, créateur de la collection Dictionnaire amoureux, au sujet de celui consacré aux Saints par la subtile Christiane Rancé (et sur le raté consacré à l'esprit français de Metin Arditi), ou encore d'échanges avec Claudine à propos du Bordeaux par Alain Juppé, de la Philosophie signé Luc Ferry, des Arbres selon Alain Baraton... Du discours éclatant, enfin, de Rostand lors de sa réception à l'Académie que Simoen me transmît « pour le panache »... Cela fait tant de bien.