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  • Patience...

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    La correspondance André Breton, Julien Gracq couvrant les années 1939 à 1966 (année de la disparition du pape du surréalisme) paraîtra le 16 octobre. Gracq écrivit une seule biographie, André Breton, quelques aspects de l'écrivain (José Corti, 1948). C'est ce dernier qui remarqua le jeune Gracq lorsqu'il publia son premier livre, le roman Au château d'Argol chez José Corti en 1938. Ils se rencontrèrent à Nantes en 1939 et leur correspondance commença alors. Breton considérait Argol  - texte imprégné de romantisme allemand -, comme "l'aboutissement du surréalisme" (*), un mouvement dont Gracq se départit aussitôt. André Pierre de Mandiargues, compagnon de route du surréalisme et futur ami de Julien Gracq, évoqua un "château ardent" à propos de ce premier livre qui met en scène trois personnages, deux hommes et une femme, les deux amis Albert et Herminien et Heide venue avec Herminien, ou plutôt cinq si l'on compte le manoir que possède Albert depuis un mois à peine et où se retrouvent ces trois personnes, ainsi que la forêt omniprésente qui coupe du monde ce trio fasciné, et dans les méandres de laquelle le lecteur semble entendre le Parsifal de Wagner. Nous savons que Gracq fut littéralement envoûté par l'immense personnalité, le caractère, l'écriture de Breton, "l'intercesseur" disait-il, et ne se cacha jamais d'entretenir une amitié "un peu cérémonieuse" avec son aîné. (Je me souviens de Julien Gracq chez lui à Saint-Florent-le-Vieil le mercredi 4 juin 2003 évoquant André Breton, le mimant en train d'écrire impeccablement, d'un seul jet, avec une assurance et une fluidité renversantes. Il y avait de l'admiration dans cette remarque, et dans ses yeux). Gallimard nous annonce donc pour l'automne un volume de leurs échanges. Il va falloir patienter. Mais, comme l'écrivit André Breton : "Indépendamment de ce qui arrive, n'arrive pas, c'est l'attente qui est magnifique." L.M. 

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    (*) Breton évoqua Au château d'Argol à la faveur d'une conférence prononcée à Yale en 1942 dans ces termes : "il s'agit d'un roman où, sans doute pour la première fois, le surréalisme se retourne librement sur lui-même pour se confronter avec les grandes expériences sensibles du passé et évaluer, tant sous l'angle de l'émotion que sous celui de la clairvoyance, ce qu'a été l'étendue de sa conquête."

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  • Fuir les suffisants

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    Envisager de mettre un tant soit peu d'ordre dans un millefeuille de textes épars provoque la chute de feuillets qui virevoltent jusqu'au sol comme des feuilles de chêne détachées par une bise de septembre. Je retombe ainsi sur un texte que j'ai rédigé il y a près de vingt ans en m'apercevant que rien n'a changé. Comme disait Le Guépard (Lampedusa/Visconti/Lancaster), il faut que tout change pour que rien ne change. Voici donc venir les suffisants : repérez-les toujours de loin afin d'avoir le temps de changer de trottoir ; il n'y a pas de temps à perdre avec ceux qui méprisent leur confident...

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    J’en ai assez de croiser des gens satisfaits d’eux-mêmes, qui s’autoproclament exceptionnels, se félicitent tous seuls, s’envoient constamment des fleurs, s’écoutent parler, et ne sont jamais à l’écoute de l’Autre. Ils passent le plus clair de leur temps à cirer leur ego et à gérer leur misérable carrière personnelle. Ceux-là sont tellement sûrs de leur (maigre) savoir, de leur opinion (hâtive) sur tout et de leurs certitudes, qu’ils ne s’aperçoivent jamais combien ils sont pitoyables et agaçants. Ils effectuent un voyage immobile dans le paraître, qui va du miroir de leur salle de bains au déballage de leur absence de doute, à qui veut bien les entendre. Les écouter est au-dessus de mes forces. Ce ne sont même pas des sophistes, car pour l’être, il faut un certain talent – condamnable certes -, mais un talent quand même. Untel me sert une psychologie à deux anciens francs, en poseur, avec le ton emprunté d’un consultant, déclarant ce qui est bon pour moi. Un autre affirme à longueur de phrases, ignore la confrontation et la remise en cause, et s’imagine toucher au sublime en reproduisant du ringard. Celle-ci veut m’attirer dans le champ de ses convictions, au mépris de ma liberté de jugement. Celui-là prétend connaître tout de moi et s’invente une mission réparatrice à mes côtés, quand je ne souhaite que solitude et recueillement au bord de la mer. Ce manque de tact m’effare. L’autosuffisance et son cortège de négligence, d’irrévérence, m’afflige. J’ai le sentiment de ne croiser que des êtres boursouflés de narcissisme, des bouffeurs de ma liberté. Au secours Socrate, qui savait seulement qu’il ne savait rien ! Devenu avare du temps que je souhaite consacrer aux autres, je décide de ne plus prêter attention à ceux qui m’enquiquinent avec leur jargon, leurs leçons, leur être bouffi d’égoïsme et leur vide ; en somme. Je préfère la compagnie d’un mauvais livre à une rencontre qui sonne creux, et préfère aux deux, un paysage que j'observe tranquillement. Fuir, esquiver, me cacher des raseurs, ces parasites qui ne vivent qu’aux dépens de ceux qui leur servent de chambre de résonance. Je n’ai pas cette vocation, ni celle de perdre mon temps. La vie enseigne chaque matin qui se lève qu’elle sera de toute façon trop courte pour pouvoir croiser tous ceux qui valent la peine parce qu’ils nous correspondent. Alors la paix ! Que ces gens, vilipendés ici, passent à côté de ce qui me paraît être une vie plus vraie – ou moins futile -, ne me gêne guère. Mais quand ils se transforment en pompes aspirantes posées en travers de mon chemin, ils constituent un délit d’entrave à ma liberté. Et je vois rouge, n’étant pas toujours à l’aise pour contourner l’obstacle quand il m’impose son indélicatesse, ni suffisamment leste pour sauter d’un seul bond par-dessus...
    Ces rencontres involontaires me font penser à Henri Calet, le délicat auteur des Grandes Largeurs et de Peau d’ours, ce journal intime qui s’achève, la veille de la mort de son auteur, par ces mots : « Ne me secouez pas, je suis plein de larmes ». Calet écrivit, en observant des célébrités à son corps défendant : « En quelle école enseigne-t-on ces manières de dédain ? Comment acquiert-on cet inimitable regard vide ? »…
    Voilà. Ce trente novembre 2006 bleu et (enfin) froid, comme j’aime les journées de novembre sur la côte basque, m’a fait buter sur deux raseurs, en ville. Par bonheur, je suis parvenu à m’en défaire et à rejoindre la plage de la Petite Chambre d’Amour, ma querencia entre toutes les querencias, où je parviens toujours à me laver du gris de la vie sans le recours à un crawl dans les vagues, mais en contemplant ces filles de l’horizon qui meurent si bellement, le ventre creusé par un modeste vent d’Est. L.M.

     

  • Partir en train

    Depuis le jour de mes vingt ans, je prends le train en conscience à travers le prisme d’un livre : la lecture des premières pages d’ « Un Balcon en forêt », de Julien Gracq, lues ce jour-là, a laissé en moi une trace profonde. Gracq y décrit un train qui serpente dans la forêt des Ardennes et qui conduit l’aspirant Grange vers une maison forestière ; siège social d’un récit qui se déroule pendant la « drôle de guerre ». Ces pages ont bouleversé ma façon de voyager et ma manière d’appréhender le déplacement en train. Je ne suis jamais plus monté dans un wagon sans penser au « Balcon », au train qui s’ébranle, au sens du mot départ –que seul celui d’un cargo peut égaler en sensations-, au paysage forestier qui défile, et au serpent de wagons que le voyageur découvre à la faveur d’une courbe longue et douce.

    Les trains modernes à grande vitesse interdisent la moindre ouverture. Impossible dès lors de se pencher au-dehors pour prendre une gifle de vent qui bloque la respiration et baigne de liberté nos cheveux. Cette griserie, qui procédait du voyage, en dépit de l’alerte vissée aux parois (e pericoloso sporgersi), n’est plus. La vue est désormais plate. À angle presque droit. Sauf à être assis contre la fenêtre (mais qu’est-ce qu’une fenêtre qui ne s’ouvre pas, sinon une bouche d’autiste, une mer de verre !), le voyageur des trains modernes n’a qu’une vision faciale du paysage.
    Son territoire imaginaire s’en trouve réduit, son ouverture sur la rêverie rétrécie.
    Et par là, grande ouverte aussi.
    Paradoxalement.
    Les voyages ferroviaires incitent aujourd’hui davantage à la rêverie intérieure à travers les paysages de l’âme. Il pourra s’agir d’une lecture qui transporte, du visage d’un voyageur. L’attention se porte en dedans.

    J’écris beaucoup dans les trains. Après un somme très court, mais infiniment réparateur, à la sortie duquel une fringale d’écrire l’emporte sur celle de parcourir la presse, tandis qu’une avalanche de faits précisément coloriés afflue à mon esprit soudain frappeur.

    Il y a toujours, dans le brinquebalement d’un train qui démarre et s’arrache d’une gare, quelque chose qui l’apparente à la fois au végétal et à l’animal. La longue carcasse d’un vieux reptile craque soudain en rafales vertébrales lentes, en s’extrayant d’une brousse froissée de lianes et de mille feuilles sèches.

    Dès que ce pâté en croûte s’extirpe des flancs du quai, l’air déplacé par la fusée qui prend de la vitesse en fendant l’idée d’une destination qui déjà est annoncée à la voix, ajoute à l’arrachement –comme on le ressent d’un chêne qu’on abat et qui tombe dans un fracas de fibres déchirées-, et à la séparation du corps de la gare et de ces passagers sédentaires restés à quai, en apparence satisfaits de n’être pas du voyage.
    Leurre ! Nous partons tous.

    Celui qui regarde le train s’éloigner, est pris d’un vertige immobile assimilable à une chute horizontale. À un plongeon.
    À sa manière, il part.

    Celui qui part quitte. Il est par conséquent saisi d’une nostalgie immédiate. D’un haut-le-cœur.
    Il est immédiatement captif de l’alchimie du ronronnement et des vibrations qui commencent à agir sur son corps et sur son esprit, et contre lesquels, bientôt, il ne pourra opposer aucune résistance.

    L’effet soporifique du départ en train est fulgurant. Chaque départ m’anesthésie. Totalement. La chute est délicieuse. Bercé comme un bébé dont le landau aurait été suspendu au cœur de la salle des machines d’un cargo, je sombre. Les vibrations me sont un massage crânien, un bain de kaolin pris chez Guérard au plus près d'Eugénie-les-Bains et au son du chant des baleines dans un magasin Nature et Découvertes.

    Après vient le rêve. Le rêve pénètre à l’aise le sommeil ferroviaire. Il possède le pass. S’installe chez lui, envahit l’espace, plante son décor, campe ses personnages. Envoie la musique. Lance la machine : ça tourne !
    Ce sont des rêves dont je me souviens au réveil. Les réveils les plus redoutables sont ceux du contrôleur qui vous tâte énergiquement le bras, et celui du voisin qui s’excuse de devoir vous déranger pour passer.

    L’envie d’écrire, implacable, surgit comme le regard d’une sphynge à la sortie du rêve. Après avoir feuilleté rapidement le viatique, écrire m’étreint. Livres et journaux peuvent attendre. Les idées qui cognent, non. Et c’est ainsi que se tricotent des textes et que naissent certains livres. Entre Tours et Poitiers, Dax et Bordeaux, Cork et Dublin, Séville et Malaga. L.M.

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    Le livre unique que j'emporterai sans doute sur une île déserte - selon la formule interrogative habituelle (mais où nicherait quand même une librairie correctement achalandée...).

  • Château Corbin 2020

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    Surgit au cœur de l’été un invincible hiver éphémère. Le pastiche camusien s’imposa. C’était hier. Le thermomètre dégringola jusqu’à la cave, d’où nous remontâmes un grand cru classé de saint-émilion, château Corbin 2020. Bras tendu, sa robe grenat, profonde, trancha sur le gris du ciel. Au nez, des flaveurs mises entre parenthèses par les rosés fluets de saison remirent le couvert avec force fruits rouges et baies sauvages où dominait la cerise noire. Le merlot, en majorité écrasante dans l’encépagement partagé avec un soupçon de cabernet franc sur treize hectares d’un seul tenant, livra sa caractéristique complexité aromatique. La bouche, suave et longue, ses soyeux tanins, sa force contenue et son élégance discrète signèrent la patte d’une femme de bon caractère.

    Depuis 1999, Anabelle Cruse Bardinet (photo ci-dessous) est aux commandes de Corbin, épaulée par une équipe vécue comme une seconde famille. C’est toujours une femme qui a présidé ce domaine centenaire marqué par le souci de parfaire une sorte d’« artisanat de luxe », se dit-il entre les rangs de vigne comme au chai, où tout est fait main.

    Nulle alliance solide cette fois, le temps n’ayant pas été assez frais pour une côte de bœuf de belle extraction. Juste une concentration exclusive de l’attention sur le verre et l’histoire qu’il nous raconta en trois temps et davantage.

    En revanche, et comme toujours, quelques suggestions parallèles : Lord Jim de Joseph Conrad, Vie et mort de Jean Chalosse moutonnier des Landes, de Roger Boussinot, et Les Foulards rouges, de Frédéric H. Fajardie. Côté son, Au-delà du délire, album du groupe Ange, et enfin Ostinato, album d’Hesperion XXI dirigé par Jordi Savall. Que l’on se sentit bien... L.M.

    40€ environ. Cavistes avisés.

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  • Faucilles

     

    La fulgurance de l’image exacte fait la littérature. Ce vers de Philippe Jaccottet le démontre avec brio : ces faucilles au ras de la paille… pour désigner le vol rapide et rasant des martinets un soir d’orage, assorti de la stridence de leur cri, est simplement prodigieux.

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    Extrait de L'encre serait de l'ombre, l'anthologie personnelle de l'auteur

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  • Il voyagea...

    Besoin récurrent de lire ce sublime passage...

    « Il voyagea.
    Il connut la mélancolie des paquebots, les froids réveils sous la tente, l’étourdissement des paysages et des ruines, l’amertume des sympathies interrompues.
     Il revint.

     Il fréquenta le monde, et il eut d’autres amours encore.
    Mais le souvenir continuel du premier les lui rendait insipides ; et puis la véhémence du désir, la fleur même de la sensation était perdue. Ses ambitions d’esprit également avaient diminué. Des années passèrent ; et il supportait le désœuvrement de son intelligence et l’inertie de son cœur.
     Vers la fin de mars 1867, à la nuit tombante, comme il était seul dans son cabinet, une femme entra. »

    Gustave Flaubert, L’Éducation sentimentale, Deuxième partie, (début du) chapitre VI.

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  • Le réveil du roi Léon

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    Chaque jour à midi, au cours des fêtes de Bayonne, un rituel se tient sur le balcon de la mairie : le réveil du roi Léon. J'étais invité à y participer ce matin au nom du jury du concours Le Basque & la Plume/Bayonne est une fête. Ambiance (photos et vidéo prises avec mon téléphone chic).

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    Manon, notre Grand Prix 2025 pour le récit "Le verre rouge" qui se lit comme un conte, une légende basque...


    vidéo depuis le balcon

     

  • N'y touchez pas

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    Je reprends un poème d'une infinie richesse, d'une infinie tendresse, d'une infinie pudeur, d'une infinie délicatesse. Qui lit encore René-François Sully Prudhomme?..

    Curieux comme ce célèbre poème de Sully Prudhomme (1839-1907. Il fut, en 1901, le premier prix Nobel de littérature de l'histoire) résonne à la manière des non moins fameux derniers mots de Henri Calet (1904-1956), dans Peau d'ours (Ne me secouez pas, je suis plein de larmes). Une même sensibilité extrême, celle qui définit la littérature en ce qu'elle renferme de plus ténu.

    LE VASE BRISÉ

    Le vase où meurt cette verveine
    D'un coup d'éventail fut fêlé ;
    Le coup dut effleurer à peine :
    Aucun bruit ne l'a révélé.

    Mais la légère meurtrissure,
    Mordant le cristal chaque jour,
    D'une marche invisible et sûre
    En a fait lentement le tour.

    Son eau fraîche a fui goutte à goutte,
    Le suc des fleurs s'est épuisé ;
    Personne encore ne s'en doute ;
    N'y touchez pas, il est brisé.

    Souvent aussi la main qu'on aime,
    Effleurant le cœur, le meurtrit ;
    Puis le cœur se fend de lui-même,
    La fleur de son amour périt ;

    Toujours intact aux yeux du monde,
    Il sent croître et pleurer tout bas
    Sa blessure fine et profonde ;
    Il est brisé, n'y touchez pas.

    René-François Sully Prudhomme

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  • Le style (rappel)

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    Selon le regretté Bernard Frank (1929-2006) :

    "Le style, je rougis de le répéter, n'est pas l'imitation d'un style, il est cette juste et adorable manière qu'ont les phrases de se ployer aux sinuosités d'une pensée, il est ce qui arrache une idée au ciel où elle se mourait d'ennui pour l'enduire du suc absolu de l'instant."

    Photo : © Sophie Bassouls, Paris, 07/11/1980.

  • Louis-René des Forêts

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    Lors de la rentrée littéraire de septembre 2015, j'écrivais ici (ceci) que le meilleur livre de cette ruée était paru en juin. Les Œuvres complètes de l’immense Louis-René des Forêts (1918-2000), furent le très beau cadeau de cet été-là, que la collection Quarto de Gallimard (une collection qui se bonifie considérablement avec le temps *, en laissant sur le carreau ses concurrentes : Bouquins/Laffont, Omnibus, et que dirige la talentueuse et charmante Aude Cirier avec laquelle je partage depuis peu le privilège de siéger au jury du Basque & la Plume pour le concours annuel Bayonne est une fête, récompensant des récits des fêtes de Bayonne - lire plus bas). Quarto a fait ce cadeau aux aficionados de l’auteur inoubliable du Bavard et d’Ostinato, pour ne citer que deux ouvrages majeurs que l’on se plait à relire régulièrement, pour le plaisir de la langue, celui de l’émotion forte, très forte, que des Forêts instille (« faire passer dans les mots la sève fertilisante sans laquelle ils ne sont que du bois mort »). L’édition, assurée par le talentueux Dominique Rabaté, universitaire sans les défauts inhérents à la profession, est un spécialiste de l’auteur. Le volumineux pavé (1342 pages) s’ouvre sur un précieux album de famille, où  de nombreuses photos, des lettres (pas seulement à des écrivains célèbres, mais aussi à des amis très chers – comme l’entendait Montaigne, et pas facebook -, tels Jean de Frotté), une biographie précise et chaleureuse, sont agréablement dispersées, afin d’entrer dans l’œuvre – par une nouvelle inédite, de surcroît, intitulée Les Coupables -, de la manière la plus douce qui soit, la plus musicale, pourrait-on dire, puisque Louis-René des Forêts fut habité toute sa vie par la musique, au point de faire de son premier roman, Les Mendiants, une sorte de suite polyphonique, et de chacun de ses livres, l’écho au « fil conducteur » de son existence. Le volume que nous tenons en mains est par ailleurs riche de témoignages nombreux et prestigieux, qui vont de Maurice Blanchot (et son célèbre texte sur Le Bavard, intitulé La Parole vaine, qui figura dans une édition rare en 10/18), à Jean-Louis Ezine (un entretien clé à propos d’Ostinato), en passant par Philippe Jaccottet (superbe texte d’analyse droite et rigoureuse d’un écrivain que feu le grand poète de Grignan admirait), Michel Leiris, Raymond Queneau (des Forêts participa avec Monsieur Zazie, à la création de l’Encyclopédie de La Pléiade, avant de devenir membre du comité de lecture de « la Banque de France de l’édition », laquelle publia, avec sa filiale le Mercure de France, la majeure partie de son œuvre), et encore André Frénaud, Pascal Quignard, Marcel Arland, Jean Roudaut, Pierre Klossowski, Charles du Bos, André du Bouchet… Du beau linge, et des textes enrichissants, tant sur ce que l’on apprend de l’auteur de Pas à pas jusqu’au dernier, que sur le travail, l’écriture ou tout simplement l’amitié de ces compagnons de route, de ces « alliés substantiels ». Il fut beaucoup reproché à des Forêts de cesser d’écrire, après avoir conquis un lectorat fidèle et ayant pris goût. Il se mit alors à peindre dix années durant et se tût – littérairement -, environ dix de plus (et le volume « donne à voir » ses peintures, tourmentées, imprégnées à la fois d’un surréalisme figuratif, et d’une fantasmagorie à la Jérôme Bosch). Il faut savoir que l’année 1965 fut la cassure majeure de la vie de l’écrivain. Sa fille Elisabeth mourut accidentellement à l’âge de quatorze ans, et d’une telle déchirure, nul ne se remet. Cependant, le père terrassé, désagrégé, commence alors à bâtir en silence, pierre à pierre, un travail de deuil qui ressemble à la tâche de Sisyphe, ou bien à une entreprise vaine et condamnée d’avance. Cela s’appellera, après plusieurs tentatives de renoncement, quelques publications fragmentaires en revue, Ostinato, en 1997. (Au Mercure de France d’abord, dans L’Imaginaire/Gallimard aujourd’hui, en plus de l’édition monumentale dont nous rendons compte). Un chef d’œuvre, même si cette expression est par trop usitée et par conséquent galvaudée. Un livre inclassable et incassable, bien qu’il semble fait de cristal. Et de cendre, ou plutôt de pluie d’étoiles. Ostinato, ou obstinément, le devoir d’achèvement, est l'un des plus somptueux hommages faits à la langue française de ces dernières décennies. Ce livre semble avoir été écrit comme  Beethoven composa ses plus beaux quatuors, soit une fois devenu totalement sourd. Des Forêts l’entendait un peu, et sans forfanterie, de cette oreille (et il les avait grandes). Ostinato, avec Le Bavard, Les Mégères de la mer, les Poèmes de Samuel Wood aussi, sont de ces textes que l’on a plaisir à lire à voix haute à un être cher, tout en marchant, livre en main, dans la campagne ou dans un sous-bois. Livre de recueillement, long poème en prose, livre d’une vie, livre-vie, livre de la déchirure et de l’impossible reconstruction, il est l’offrande musicale d’un auteur précieux et trop méconnu, à la fois à la littérature, au questionnement sur la langue – son pouvoir, sa raison d’être pour l’auteur, et pour un hypothétique lecteur aussi -, à cette « vieille arme ébréchée du langage », et enfin à l’essence de la vie même. Nous imaginons sans peine Le Bavard et son célèbre incipit : « Je me regarde souvent dans la glace. », lu au théâtre par un Sami Frey, un Claude Rich, un Jean-François Balmer (à la manière des Braises, de Sandor Marai, ou de Novecento, d’Alessandro Baricco, ou encore de Pour un oui ou pour un non, de Nathalie Sarraute : vous voyez ?..). Car il y a dans chacun des livres de Louis-René des Forêts, à la fois la suggestion musicale et le plaisir du texte qui ne demande qu’à être partagé… musicalement, fut-ce à la voix, notre principal, primitif instrument. Des Forêts est encore de ces noms d’auteurs qui se chuchotent. Le seul fait d’apercevoir quelqu’un lire l’un de ses livres, dans un transport en commun par exemple (mais cela est rarissime), suffit à nous persuader que nous appartenons à une même confrérie, et que nous souhaitons, l’inconnu(e) comme soi-même, qu’elle ne demeure pas une société secrète. La littérature a le don subtil de générer ce type de menu plaisir; et c’est heureux. Ecoutons Dominique Rabaté, qui ouvre son texte de présentation avec ces mots : « L’éclat du rire, le sel des larmes et la toute-puissante sauvagerie : voilà en une formule ternaire magnifique ce à quoi fait encore appel Louis-René des Forêts dans le dernier de ses grands livres, Ostinato. La vivacité d’une ironie frondeuse, l’amertume vivifiante qui déchire le cœur mais le baigne de sève marine, le sursaut de révolte puisé à même la force du monde extérieur auquel il faut s’accorder, ce sont là les qualités de cette ‘’voix de l’enfant’’ dont son œuvre fait résonner toutes les harmoniques. » Des Forêts fut toute sa vie également habité par la poésie. Ses amis et compagnons de la revue L’Ephémère se nomment Paul Celan, Jacques Dupin, Yves Bonnefoy, en plus des du Bouchet et Leiris précités. Les « voies et détours de sa fiction » emprunteront ainsi les voies royales du poème (de facture volontiers classique, voire hugolienne), en plus de la peinture. Sans jamais oublier une portée musicale pour toile de fond. Ce trio d’expressions, cette recherche pugnace de la clé qui ouvrira(it) tout, empêcheront ce « vœu de silence » majuscule qui manqua priver le lecteur de certains livres importants de Louis-René des Forêts, sommes-nous tentés d’ajouter égoïstement. L’auteur vécut si douloureusement cette « interminable expiation qui se vit dans la déchéance de survivre »... Habité par une « souffrance qui frappe si haut que la voix se retire », des Forêts lâcha : « S’imposer silence par dévotion au langage, c’est aussi comme sous-entendre que les mots sont facteurs de dévoiement. » Louis-René des Forêts fut encore l’écrivain braconnier qui pratiquait le détournement. Mais la littérature ne peut-elle pas être définie par le seul mot de détour ? C’est en tout cas ce que nous croyons fermement. A cet instant, il convient de prévenir de deux choses : des Forêts a été perçu comme « un écrivain pour écrivains ». Vous savez, cette expression commode qui permet de mettre dans un tiroir les très grands comme Julien Gracq, les maîtres, les « patrons », aurait dit Nourissier, en interdisant de facto leur accès « gratuit ». Un aveu d'élitisme corportatiste, en somme… Cela est considérablement réducteur, même si c'est extrêmement flatteur pour l’auteur qui se voit ainsi « classé ». Or, des Forêts est bien plus qu’un auteur que ses pairs respectent et  dont ils se défendent de s’inspirer (tout au plus s’en imprègnent-ils, et c’est déjà un baume, un onguent suffisants). Il ne fut pas non plus, un précurseur ou un apôtre, à son corps défendant, de l’autofiction, et encore moins un adepte de la confession narcissique. Ni La Chambre des enfants, encore moins Face à l’immémorable – belle réflexion sur l’acte grave d’écrire -, ou même Le Malheur au Lido, ne constituent des textes dont une impudeur à peine déguisée aurait guidé la plume de leur auteur. Dominique Rabaté évoque plutôt une « autobiographie extérieure » (à propos d’Ostinato), comme on peut parler, avec humour, de journal extime, dès lors que l’on décide de rendre public ses carnets… Suivant en cela la belle formule du critique Robert Kanters (nous citons de mémoire) : « Le roman et le journal intime sont comme le vêtement et sa doublure, et cette dernière est d’une étoffe si fine et si précieuse que l’on peut être tenté de porter un jour le vêtement retourné. » En lisant des Forêts, auteur fragile, nous relevons des « manières de traces », nous découvrons « le corps obscurci de la mémoire », « tout ce qui respire à ciel ouvert » (couleurs, odeurs, humeurs), là où « le temps reste à la neige, le cœur brûlant toujours d’anciennes fièvres ». Nous éprouvons physiquement l’épaisseur des silences en picorant ses livres, et nous écoutons « les sourdes vibrations de sa fièvre prise comme un fleuve dans le gel qui craque au premier souffle printanier. » Une phrase, magnifique entre toutes, suffit à circonscrire l’âme et la rigueur de la prose poétique de son auteur : « Que jamais la voix de l’enfant en lui ne se taise, qu’elle tombe comme un don du ciel offrant aux mots desséchés l’éclat de son rire, le sel de ses larmes, sa toute-puissante sauvagerie. » Qu’on ne se méprenne donc pas : des Forêts a toujours tenu son je à distance, en respectant cette pudeur essentielle qui distinguera toujours le vécu mis en prose du livre authentique. C’est ainsi que, depuis Lucrèce, une voix intérieure, « venue d’ailleurs », parfois, peut toucher à l’universel. Cela s’appelle encore la littérature. Faites passer. Léon Mazzella

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    * Avec les volumes consacrés à Char, Camus, Hemingway, Modiano, Maupassant, Montaigne, J.-B. Pontalis, Boualem Sansal, Georges Perros, Christian Bobin, Cesare Pavese, Pablo Neruda, Romain Gary, et tant d'autres que nous possédons (nous attendons le Roger Nimier à l'automne prochain), Quarto s’affirme comme une collection de « semi-poche » (« de sac », plutôt) de tout premier plan.

    Louis-René des Forêts, Œuvres complètes, Quarto/Gallimard, 28€.

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  • Le Basque & la Plume 2025

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    Voilà. Le jury a délibéré vendredi matin dans la rigueur et l'allégresse, le sérieux et l'humour, l'exigence et la dérision, et il a élu, dans la catégorie adultes, un grand prix, quatre lauréats et un prix spécial Florence Delay en hommage à notre présidente d'honneur décédée trois jours plus tôt, le 1er juillet. Dans la catégorie lycéens, le jury a choisi un grand prix et deux lauréats. Lire plus bas la liste des vainqueurs qui verront leur récit des fêtes de Bayonne publié dans le millésime 2025 du livre Bayonne est une fête (éd. Atlantica).

    Sur les photos prises par Mathieu Prat à l'hôtel Koegui à Bayonne : Aude Cirier (cheveux courts), Marine Brugier Dutournier (cheveux longs), Frédéric Beigbeder (barbu), Jean-Paul Alègre, président du jury (bras tendu, chemise bleu ciel), et votre serviteur comme on dit. Au micro, tour à tour, Pierre Casamitjana (lunettes), à l'origine du concours avec Gorka Robles Aranguiz.  L.M.

     

    CATEGORIE ADULTES

    -Lauréate : Manon MATHIEU (Biarritz, 28 ans) pour Le Verre Rouge

    -Prix spécial du Jury Florence DELAY : Clotilde VIDAL (Anglet, 29 ans) pour Le silence d’Hegoak

    -Textes primés :

    Thomas VIGNAU (Bayonne, 34 ans) pour Bayonne, capitale du monde

    Jocelyn HÉRITIER (Rochemaure, 50 ans) pour Chants de coquelicots

    Scott MIRLIN (Paris, 31 ans), pour Le dernier verre

    Maika GOENA (St Pierre d’Irube, 32 ans), pour Un battement à contretemps

     

    PRIX SUD-OUEST FONDATION HETZI DES LYCÉENS

    -Lauréate : Sybille FESCHI (Guadeloupe, 18 ans) pour Le ruban rouge

    -Textes primés :

    Margot ROBIN (St Julien-en-Born, 19 ans) pour Bayonne, entre deux temps

    Elaia ELISSEYRI (Mendionde, 16 ans), pour Ecrire les fêtes

    Le Palmarès en langues basque et occitane sera communiqué dans le courant de la semaine.

    Capture d’écran 2025-07-06 à 09.24.18.pngCapture d’écran 2025-07-06 à 17.26.59.pngCapture d’écran 2025-07-06 à 09.23.43.pngCapture d’écran 2025-07-06 à 09.24.34.pngCapture d’écran 2025-07-06 à 17.26.47 2.pngCapture d’écran 2025-07-06 à 09.23.29.pngCapture d’écran 2025-07-07 à 09.08.27.pngCapture d’écran 2025-07-07 à 09.08.36.png

     

     

  • Retrouver Gioconda

    J'aime lorsqu'un livre tombe d'une des étagères, car s'en échappe quelque marque-page ayant du sens (billet de corrida, mot doux, photo oubliée) et s'y accroche le désir de reprendre l'ouvrage, au moins les annotations en marge que nous relisons avec gourmandise, en nous replongeant dans l'atmosphère de notre première ou seconde lecture (les traits du crayon se distinguent). Ainsi, ce matin, de l'émouvante Gioconda, de Nikos Kokàntzis. J'ai retrouvé également ce que j'en avais pensé après l'avoir lue, il y a sept ans...

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    Notre regard s’est inexorablement porté vers un fulgurant et tendre récit d’une désarmante vérité, limpide comme une source de montagne, fragile comme ta peau dans le lit défait de l’aube, touchant tant il est habité par une bouleversante sincérité. Oh, vous lirez en une heure à peine cette centaine de pages empreintes de délicatesse et d’une impudeur paradoxale. Son auteur n’était pas écrivain. Nikos Kokàntzis (1930-2009) a simplement vécu à Thessalonique une histoire d’amour, la première, la fondatrice, la fondamentale à l’âge de treize ans avec Gioconda, une juive de son âge qui sera déportée et gazée à Auschwitz une poignée de mois après leur rencontre. Leur idylle possède les charmes subtils et écorchés vifs, mais si délicieusement douloureux de la découverte des sentiments et des corps, que la lecture de Gioconda (éd. de l'aube) en devient admirablement suffocante. Et cela est dit, décrit, avec une infinie beauté, une immense ingénuité surtout, qui donnent à ce récit toute sa saveur primale. Les scènes des premiers émois, des premiers frissons, des premières pénétrations sont un long tremblement détaillé comme par souci entomologique – il fallait sans doute à l’auteur marquer profondément ce départ double dans la vie, vers un bonheur coupé net. 

    Cela pour souligner que, n’étant pas un professionnel de l'écriture, Kokàntzis ne se la joue jamais, et donne par conséquent à lire une sorte de texte d'une pureté cristalline, situé à des années-lumière de tout calcul littéraire, fourbe souvent, faux trop fréquemment. Nikos rédige avec le sang de son cœur à jamais tranché, haché. C’est seulement en 1975, âgé de 45 ans et lesté de 45 tonnes de charge d'âme a minima, qu'il se décida à écrire cette fébrile histoire inoubliable, tant la belle Gioconda aux yeux envoûtants, atrocement assassinée par la barbarie nazie à l’âge de quatorze ans, est désormais faite, construite pour nous habiter et nous poursuivre longtemps après que nous ayons refermé ce petit livre précieux entre tous. Faites passer, c’est une sorte de talisman comme le sont Laissez-moi, de Marcelle Sauvageot, Lettre d’une inconnue, de Stefan Zweig, ou encore La boîte en os, d'Antoinette Peské. De sacrées références, vous ne trouvez pas? Car, ce qui est magique à l'intérieur de ces livres-là, c'est moins l'atrocité de leur issue que l'insoutenable, la douloureuse beauté du lent, langoureux déroulement de leur non-histoire... 

    Ce ne peut être le hasard, puisqu’il n’existe pas. J’ai lu peu après un bref roman, Helena ou la mer en été, de l’Espagnol Juliàn Ayesta, paru en 1952 à Madrid, et seulement en juin 2018 en France, directement en format de poche (traduit et postfacé par Xavier Mauméjean). Il y a un air de famille littéraire avec la touchante Gioconda du Grec Nikos Kokàntzis. Mêmes émois adolescCapture d’écran 2025-07-06 à 10.55.44.pngents, même tendresse, une poésie méditerranéenne en partage avec, au menu : mer, sel, sable, soleil, sieste, rires, et onirisme aussi, mais surtout un fin moins tragique chez Ayesta que dans le récit grec. Le roman est cependant décousu : la première partie a des allures de comédie italienne : un repas dominical au jardin décrit avec talent car, en peu de mots la joie, les hommes avant la corrida de l’après-midi, les verres de Marie-Brizard, les cigares au bord des lèvres, les enfants qui posent des questions et qui agacent les adultes, puis qui s’échappent, crient, s’amusent, les miettes sur la nappe, les bouteilles de cidre vidées, le soleil qui perce entre les branches, les tantes qui pérorent et médisent par bonté, les cousins de Madrid qui surgissent, la fiesta simple qui se poursuit... Le ton du souvenir de l’enfance est donné sans compter, avec force détails, et nous ressentons le plaisir que l'auteur a eu à écrire ces trente-six premières pages. Puis, une partie austère évoque la religion catholique et ses méandres, un pensionnat, le tabou sexuel, autant de sujets qui nous font tourner les pages en soupirant. Enfin, une troisième partie tonique et un rien débridée, voit revenir Helena, aperçue dans la première, chargée d’amour retenu pour un narrateur débordant d’amour lyrique et sensuel. C’est tendre, ingénu, sans excès, limpide et ensoleillé. La lecture idoine pour ré-entrer dans l'été en surfant sur un fading d'une infinie douceur. L.M.

     

  • Claudine Lemaire

    Capture d’écran 2025-07-03 à 08.04.01.pngDans le mundillo de l’édition que j’ai toujours côtoyé de près ou de loin soit comme auteur, critique ou éditeur, j’ai croisé des personnages d’un autre temps dans les services de presse de certaines maisons. Ecrivant cela, je pense tout à coup à Pepita - ma vieille amie Marie Lagouanelle, longtemps pilier du « SP » du Seuil. Claudine Lemaire, qui vient de nous quitter après soixante années environ passées au service des auteurs de maisons diverses : Denoël, Gallimard, Laffont, Grasset, Plon... en était l’archétype. Ne cherchez pas, on n’en fait plus des comme ça, le moule s’est brisé avec elle comme un éclat de rire dont elle avait le secret lorsqu’elle raillait un tel ou ne s’étonnait pas de telle rumeur qu’elle avait annoncée depuis belle lurette. Déjeuner avec Claudine Lemaire, c’était se mettre à jour de tous les potins du monde éditorial germanopratin. J’adorais autant la lancer et l'écouter, que les plats canailles de chez Marcel ou du Petit Saint-Benoît. Non seulement Claudine connaissait tout le monde, mais elle savait les petits secrets, les indiscrétions du mercato, qui couchait avec qui, laquelle avait vendu son âme au diable, combien avait coûté tel lancement absurde qui fit un flop. Elle portait un regard de lynx sur cet univers dans lequel elle évoluait comme une truite dans le torrent car c'était toute sa vie, elle vivait de toutes ses fibres le corps entier de l'édition avec ses ramifications, elle observait, se moquait quand il le fallait, n’avait jamais la dent dure mais plutôt affectueuse et, surtout, surtout, elle chérissait ses auteurs et s’en occupait comme une mamma napolitaine de sa marmaille. Et puis, Claudine possédait une immense culture littéraire, ce qui devient chiche dans la profession. Rarissimes sont les attachées de presse surdimensionnées du moment comptant par exemple deux Masters consacrés à Henri Michaux dans leur cursus, qui sont aussi intarissables sur Sagan que sur Barthes ou Manciet, et qui écrivent en plus des poèmes bouleversants. Déjeuner avec Claudine Lemaire, c’était aussi voyager dans le passé. Nous évoquions les disparus : l’ami Jean-Jacques Brochier, Renaud Matignon, Robert Laffont, Françoise Verny, Bernard Frank, Jacques Laurent... Elle les avait tous connus. Claudine était l’encyclopédie du métier. Elle était souvent « emberlificotée (c'était son expression) dans un grand nombre de rendez-vous » et il n'était pas facile de la coincer une heure ou deux autour d'une table. Il y a longtemps que je n'ai plus dit « Allo Claudine, c’est Léon, non, non, ne m’envoies pas de Dictionnaires amoureux*, je suis à Paris la semaine prochaine, on déjeune ?.. » L.M.

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    * Ma boîte mail garde en mémoire un échange à trois avec Jean-Claude Simoen, créateur de la collection Dictionnaire amoureux, au sujet de celui consacré aux Saints par la subtile Christiane Rancé (et sur le raté consacré à l'esprit français de Metin Arditi), ou encore d'échanges avec Claudine à propos du Bordeaux par Alain Juppé, de la Philosophie signé Luc Ferry, des Arbres selon Alain Baraton... Du discours éclatant, enfin, de Rostand lors de sa réception à l'Académie que Simoen me transmît  « pour le panache »... Cela fait tant de bien.

  • Signatures

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    Alors, vendredi 4 juillet (après-demain) délibérations le matin à Bayonne du jury (dont je fais partie) du concours Le Basque et la Plume (Bayonne est une fête 2025) suivies d'un déjeuner. Puis, direction le Salon du Livre d'Hossegor pour signer Les Bonheurs de l'aube et Belle perdue au stand des éditions Cairn jusqu'à 18h. Le lendemain, samedi 5, signature toute la journée sur le stand des éditions Passiflore de Chasses furtives et du Bruissement du monde. Dimanche? - Plage, pourquoi...

     

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