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Intemporel N°5 de Laubade, havane et Gracq boum hue!

Je ne connais pas de meilleur chasse-spleen, tonifiant comme les oeuvres complètes de Cioran (puisqu'il me galvanise à l'envers avec son pessimisme érigé en système de pensée), de meilleur compagnon à un havane rare -et un ami : indispensable!-, de meilleure escorte à une Pléiade racornie par tant de feuilletages avides, de Gracq (les somptueux poèmes en prose qui composent Liberté grande, ce coup-ci), de Saint-Simon ou de Flaubert (ce plaisir enfant de relire...), à une poêlée d'helvelles crépues, des champignons cueillis par ma fille dans l'Aube et qui ont un sérieux air de famille -croquant, saveurs-, avec les morilles, que l'Intemporel n°5 de Laubade, un armagnac hors-normes, hors-tout. Laissons les bêtes de concours à leurs compètes. Intemporel N°5, j'en ferai bien mon parfum et d'ailleurs il faudra que je le dise à Jean-Jacques Lesgourgues, propriétaire de Laubade : j'en ai mis une goutte sur l'index et m'en suis parfumé les deux côtés du cou sous les oreilles et jusqu'à la chemise plusieurs jours durant. C'est super. Ça fonctionne. Ca le fait papa, ai-je entendu dire. Il ne manque plus que le vaporisateur sur le goulot, comme je l'avais dit il y a des années à Brigitte Lurton, lorsqu'elle dirigeait un sauternes d'exception, le château Climens, à Barsac. Du très haut-vol. Ces alcools, ces vins presque parfums sont presque parfaits. Et c'est heureux qu'ils demeurent en deçà, car l'imperfection est la cime, dit avec justesse Yves Bonnefoy (à la suite de Rilke), et la cicatrice est bien la marque qui singularise la beauté davantage qu'un tatouage. Non? -Cependant, je ne vois pas la fêlure, je ne trouve pas la faille en humant longtemps, longtemps, longtemps (l'armagnac se respire jusqu'à plus soif), puis en buvant un peu cet alcool gascon, sauvage, paysan à chemise blanche mais pas fermée jusqu'en haut, jamais guindé, ignorant avec superbe et l'emprunt et l'artifice, cet alcool plus bronzé qu'ambré, au regard droit (et à la fin il faudra bien que le coeur se brise ou se bronze, nous chuchote Chamfort), cette franchise intérieure en bouteille, ce truc magique qui sort d'un alambic et qui est à mes yeux davantage mystérieux qu'un tube cathodique, que l'appel que je reçois depuis mon téléphone portable. L'armagnac. Le Bas-Armagnac. Laubade, Intemporel N°5 -et dieu sait si la gamme de Laubade est riche, complexe, envoûtante dans le dédale du temps, de ses millésimes si expressifs-, est une synthèse. Synthèse des meilleurs millésimes -certains sont quinqa comme moi : Vé! Conservés dans ce beau domaine cerclé comme des douelles d'un paysage d'une douceur inimitable en Cognac, cela va sans médire (on est Armagnac ou Cognac comme on est Rolling Stones ou Beatles, Klimt ou Dali, chocolat amer ou au lait). Assemblage subtil, fruit de l'harmonie des quatre cépages rois de l'appellation, avec le Baco qui se taille la part du lion (43%). Sa robe profonde m'évoque des vers de Baudelaire et un sous-bois chalossais, voire la forêt d'Iraty dans l'arrière-automne. Après la palombe, pendant la bécasse, avant la neige, pendant un rêve d'ours. Au nez, j'ai relevé ce que me disait le domaine, pour vérifier et j'ai tout coché : rien ne manque : ce rien de zeste d'orange confite comme chipé au fond d'une assiette au cours d'un coquetaile littéraire (orthographe à la Nimier) enflé de strass, de jalousies, de coups bas et de faux semblants; le clou de girofle pommé dans un plat de lentilles du premier janvier ou qui nous rappelle en nous faisant frissonner le pansement antique du dentiste : le clou importun/important que l'on chope entre les dents sans le voir comme on écrase un grain de poivre bien rond en mâchant une tranche de saucisson -ça dure et le point d'orgue sensoriel est aussi long à venir que la fin d'une anesthésie de gencive... Le caramel carré Dupont d'Isigny de notre enfance, à l'entracte au cinéma La Feria, à Bayonne, le jeudi après-midi (on y projetait Ben Hur ou Autant en emporte le vent). Il était mou et il collait un peu mais aux doigts seulement en l'ôtant du plastique -pas aux dents, mais ça nous empéguait quand même les phalanges le film durant. Il avait ce côté rimé que l'on retrouvait dans la casserole de Mamie lorsqu'elle achevait le riz au lait. Dans Intemporel aussi, car c'est une source proustienne où les madeleines sont des étincelles de mémoire affective et sensuelle, il y a ces souvenirs qui remontent du verre ad hoc -bien refermé. La cannelle et le cacao, en respirant à fond, les yeux fermés, me propulsent dans un roman de Jean Forton, au coeur d'un poème de Jean de La Ville de Mirmont, soit sur les quais de Bordeaux lorsque c'était il y a longtemps, quand l'existence était en noir et blanc nous semble-t-il, un vrai port avec des bateaux, des marins, des barriques, des bois exotiques, des odeurs partout, des bars à putes et des tentations, des sensations de voyages immobiles mais planants. Laubade vous offre ça. Il y a encore -ce n'est pas fini- du pruneau confit, avec son noyau (important le noyau, il apparaîtra dans le verre sec, et surtout le lendemain matin puisqu'il sera interdit de le laver car il faudra le laisser là pour le respirer au réveil), de la pomme au four un rien cramée parce qu'on aura mal réglé la chaleur et du tabac respiré à même la blague. Sans rire. En bouche, puisqu'il faut s'y résoudre à notre nez défendant, il y a de l'épicé, de la puissance contenue, une lionne qui ne dort que d'un oeil toujours, une grosse cylindrée qui ignore tout de la frime, une touche d'amande grillée, une douceur qui n'en finit plus de caresser notre langue et de réveiller notre palais en le piquant un chouia. Le bonheur passe le grand braquet, car avec un bas-a, soit avec un être vivant qui n'arrête pas de bouger comme un bel oiseau que l'on contient, pataud, à pleines mains, ça évolue, ça bouge, ça voyage, ça circule, ça se dirige tranquillou -au nez encore et en bouche aussi, té! Enfin bon, là ça touille, ça se mélange, ça s'escrime et ça ping-pongue- vers l'empyreumatique via le fruit confit; vers l'ineffable parfum de bitume en été juste après une pluie soudaine. Celle qui, à la plage, fait bêtement sortir les gens de l'océan et puis qu'à l'arrière de la Floride décapotée de maman, une fois tout plié, on rigole, enfants, parce que les grosses gouttes de pluie jouent de la batterie sur la carosserie et sont douces à nos lèvres salées. Retour de la Chambre d'Amour. Oui, c'est bien cette odeur chaude de route martelée par surprise et qui fume après la pluie d'été que je chope au vent de Laubade... Et encore la réglisse Haribo en rouleau, pas le Zan! Ça déménage jusqu'à la dernière vapeur de la dernière goutte. Celle qui donne naissance à l'esprit, cette étrangeté qui prolonge le voyage des heures durant. Alors merci à ceux qui oeuvrent à son élaboration, au premier rang desquels il faut saluer Arnaud Lesgourgues. Et j'arrête là, d'un coup -cut- car mon havane (Montecristo "A" -Et merde! C'est pas tous les jours dimanche. D'ailleurs c'est samedi), en est à son quatrième tiers et qu'il me brûle les doigts et que ceux-ci tapotent également l'ordi avec moins de dextérité que Glenn Gould son piano lorsqu'il vivait Bach.

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96€ départ cave. Eu égard à cet alcool d'Apollinaire, dyonisiaque, bachique et hédoniste en diable, élu -au passage- World Best Brandy à la San Francisco World Spirit Competition en 2007, c'est que dalle. Et qu'un flacon vous dure toute la vie, si celle-ci est faite de mémoire.

 

Commentaires

  • Leon tu n'es pas crédible car tout l monde sait que nous sommes amis de longue date ...mais sait aussi que tu es un expert LUCIDE en produits de qualité et en particulier ceux de ta terre de naissance : LA GASCOGNE ! Bonne dégustation.
    Demain je mangerai une bonne palombe a LARRAU la Mecque de la Soule et penserai bien a toi , le talentueux et sensible chasseur d'oiseaux migrateurs J.J.L.

  • Mon cher Jean-Jacques,
    Tu me prends en défaut, la main dans la flasque! Bravo. Touché-coulé. Heureusement qu'il ne s'agit pas d'un article de presse!.. D'habitude, lorsque je copine sur mon blog pour un livre écrit par un ami ou pour un vin produit par un autre ami, je préviens en collant la mention "attention spécial copinage". Là, c'est vrai, j'ai oublié de le faire. C'est que tout le monde sait que Laubade est un grand armagnac. Mais bon, on dira que je me suis fait embarquer par un petit fond de verre, à peine un "tiop", comme par une jolie vague ou par une belle brune. Enfin voilà...
    Bonne palombe demain chez Etchemaïté (cuite au capucin?).
    PS : je suis né à Oran et je ne chasse plus du tout depuis 12 ans.

  • Je n'ai jamais fumé le cigare ... Tiens, j'ai lu il n'y a pas longtemps que le pâtissier Philippe Conticini faisait une recette à l'infusion de tabac, bon, à l'Amsterdamer, ce qui est peut-être de la petite bière pour les spécialistes, encore que je ne vois pas bien avec quel autre tabac faire ça ... mais je trouve l'idée intéressante. Je n'ai jamais bu d'Armagnac, et découvert le cognac il y a peu. Les Rolling Stones m'ont toujours insupportée parce que je ne parviens pas à dissocier musique et chanteur, et que MJ m'horripile, sa seule vue suffisant à me donner une furieuse envie de lui mettre des claques (tant qu'à aimer les têtes à claques, je préfère celle d'Iggy Pop) : les goûts et les couleurs ... Je n'ai jamais été non plus foncièrement attirée par la musique des Beatles, mais ado j'avais un faible irrépressible pour Mc Cartney. Euh, pareil pour Dali, les provocateurs me fatiguent, mais je veux bien lui reconnaître du génie, et les montres molles me "parlent", en plus d'un ou deux autres tableaux me portant à une rêverie féconde. Klimt, j'ai aimé, oui, mais on en a trop parlé (et peut-être que les goûts changent, sans aucun doute même) : il faut dire je n'aime pas -non plus, je suis négative n'est-ce pas ?- quand les choses et les êtres deviennent trop à la mode, et recueillent un consensus de louanges exacerbées, ça gâche mon plaisir, je suis peut-être snob. Oui, snobbbb, sans doute, car j'eusse aimer aimer le chocolat amer, beau, et que je trouve fin et raffiné : mais c'est le chocolat au lait que je préfère, attitude rustre et plus attachée à l'enfance sans doute, quoique ..., mais c'est comme ça. Et pour continuer dans la même veine, je ne sais pas si j'aurais été plutôt chats sauvages ou chaussettes noires (http://loeildukrop.eklablog.com/avec-le-temps-a56117373) [désolée, je ne sais pas -encore- faire un lien direct] si on m'avait demandé mon avis ...
    Après toutes ces remarques perso et inutiles, un merci pour vos billets que je trouve toujours dignes d'intérêt. Bonne fin de semaine à vous.

  • MERCI pour vos lectures, chère Nikole.

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