Offrez "Le Sel de la vie"
C'est un petit livre touchant, qui vous atteint au plus profond, comme le "Je me souviens" de Pérec a pu nous atteindre, ainsi que le fameux jeu de Barthes sur "j'aime - j'aime pas". Françoise Héritier, la grande anthropologue, publie un petit livre intime et sensuel (entendez : qui vient de ses cinq sens et qui va à nos cinq sens de lecteurs) chez Odile Jacob. Cela s'appele simplement "Le Sel de la vie". Sous forme de lettre à un ami médecin réputé, qui prend des vacances ultra-méritées en s'excusant -ce faisant- de "voler" du temps, cette adresse devient prétexte à une énumération infinie (mais qui se termine néanmoins) de ce qui a fait et qui continue de faire le sel de la vie de l'auteur -autrement dit du temps pas volé, mais revendiqué comme prise légitime sur l'existence, voire comme dû âprement conquis à coups d'heures, chaque jour -Non?.. Cela en devient magique, tant ce catalogue de menus plaisirs (loin de ceux de Delerm, plus riches en tous cas), est enjoué, gai, dicté par le bonheur simple et le désir de partage. Jamais ennuyeuse, bien au contraire, la liste de Françoise Héritier va d'un speculoos devant lequel elle craque à une piste africaine cabossée, une nuit, ou d'un film, d'une robe portée jadis, du passage d'une hirondelle, au seul fait d'effleurer des sensitives; à l'attente mollement agacée d'un être cher... Écoutons l'auteur : "Il s'agit tout simplement de la manière de faire de chaque épisode de sa vie un trésor de beauté et de grâce qui s'accroît sans cesse, tout seul, et où l'on peut se ressourcer chaque jour". Il est par conséquent, davantage que du Souvenir, question de la mémoire sensuelle de notre corps (et de notre esprit). Ce sont là de petites touches éparses, petits cailloux luminescents; des madeleines proustiennes. "Chacun les miennes", certes, mais justement : cela peut devenir un exercice. (Je sens que je vais lister le sel de ma vie...). Faites passer.
PS : hommage, en passant, à Michel Izard, autre grand anthropologue, disparu il y a quelques jours, qui fut l'époux de Françoise Héritier, et que j'ai eu le bonheur de connaître car nous habitions le même immeuble pendant sept années. Tous deux sont parmi les plus éminents disciples de Claude Lévi-Strauss. Françoise Héritier a succédé au maître du structuralisme, comme titulaire de la chaire d'anthropologie au Collège de France, et c'est Philippe Descola qui a succédé à Françoise Héritier. Michel Izard, directeur de recherche émérite au CNRS, fut dès 1960 membre du Laboratoire d'anthropologie sociale créé par Lévi-Strauss au Collège de France, et il a notamment publié un manuel devenu un classique : "Le dictionnaire de l'ethnologiue et de l'anthropologie" (avec Pierre Bonte, aux PUF), et dirigé le Cahier de L'Herne consacré à l'auteur de "Tristes tropiques", paru en 2004. J'ai une pensée spéciale, enfin, pour Marie Mauzé, la dernière femme de Michel Izard; que j'embrasse ici. Anthropologue elle aussi, chercheur au CNRS, elle a rejoint le Laboratoire d'anthropologie sociale précité en 1986.
j'ai d'abord pensé à coller un morceau de musique baroque très austère, façon viole de gambe, luth théorbe, ou voix de la très-très regrettée Montserrat Figueras. Et puis non : ce morceau de Cranberries est bien mieux ici. Qu'ailleurs.
Commentaires
même comme ça ...
"Je sais, je sais... J'ai de nombreux visiteurs muets chaque jour et parfois près de 2000 pages vues / jour, mais Z commentaire : l'époque est au feuilletage, à la flânerie non participative, au silence, à la conso sans engagement, ou bien au furetage, au zappage, à l'observation à distance..."
...ce n'est pas désagréable du tout (et ça donne envie de lire !) !
Z (comme Zorro !)
Vous avez raison de faire ce jeu de mots (zéro - Zorro), Christiane, car de nos jours, la plupart des commentateurs (et ce n'est pas votre cas) avancent masqués, se dissimulent derrière un ou des pseudos fantasques : je pense à la tribu qui crée l'insupportable cacophonie sur le blog de Pierre Assouline (un instant calmée par un coup de gueule du taulier, elle est déjà de retour, comme les souris ou les étourneaux). Certes, le masque nous protège du risque, lorsque l'exposition présente un danger (Anonymus, journalistes et artistes Arabes ou Chinois dans leurs pays, etc). Mais là!.. Cela manque de panache, voire de courage.
Oui et non, Léon. Pour moi : simplicité avec ma vraie identité mais pour d'autres le pseudo permet, sur ces supports étranges que sont les plateformes de commentaires, d'être libres. Certains y dévoilent une férocité qui doit être camouflée dans la vie quotidienne, d'autres essaient d'exister sans les paillettes de la renommée (je souris en pensant à la chanson de Brassens) et d'autres y glissent des mots qu'on aimerait ne pas lire ou divaguent... C'est le monde en réduction avec ses justes, ses terribles, ses lâches, ses courageux... ses fous !
Je passe en priorité chez P. Assouline par fidélité (le premier blog littéraire que j'ai connu !) parce que j'aime ses billets et lire certains commentateurs. Chez vous, je me fais des absences suivies de fringales où j'avale tous les billets inconnus, les lisant, les relisant, savourant ! Parfois je vous mets en ligne chez d'autres blogueurs ou amis. J'aime votre écriture et votre éthique. J'aime aussi ne pas me sentir obligée de poser un commentaire chez mes amis, dont vous.
bien à vous,
christiane
J'aime, Christiane, votre façon de lire, car elle suit le précepte de Montaigne : il faut lire en picorant, à la façon des poules.
Vous ne m'ôterez pas de l'idée que derrière l'usage commode du pseudo, saute aux yeux le mot pleutre... Reviens Cyrano!
Ah, Léon, j'aime beaucoup cette poule qui picore... en souhaitant qu'elle échappe à la poulardisation mondiale !
Aux poules de refuser d'être nourries aux hormones Marc Lévy et consorts!..
Vous avez un don pour manier l'humour ! Bien d'accord !
La première vertu de l'homme (et de la femme), selon moi, c'est l'humour.
Celle ou celui qui en est dépourvu ne mérite aucune affection ni écoute.
Le "manier", c'est s'honorer de battre en brèche la morosité de la vie, cette crue sournoise qui inonde nos jours et nos nuits, et moisit jusqu'aux étages de notre quotidien.
Le brandir, l'automatiser, c'est posséder l'esprit de rempart.
Et je me souviens chaque matin qui se lève, qu'il faut agir contre : dire, écrire, regarder... Mais contre. Toujours.
Et la meilleure arme douce pour ce faire, c'est indéniablement l'humour, je crois.
Ce livre est nécessaire. Je viens de le lire et ça fait fleurir la mémoire : que de joies ! là, tout au long de la vie... Juste ralentir et ouvrir tous les sens pour capter le don de la vie. Beau choix, cher ami, ce livre de Françoise Héritier... et la vie s'ensoleille...
Oui. Ce petit livre est un printemps.