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alcools

  • Lionel Osmin & Cie 2024

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    Il est paru. Joie d'avoir en mains ce magazine de 80 pages que j'ai le plaisir de rédiger intégralement. Au sommaire, que des choses qui fâchent : la saga Michel Guérard, la race Aubrac, le cépage Malbec, l'appellation Marcillac, les boeufs gras de Bazas, le chef béarnais Gérard Lasbarrères, le domaine Berthoumieu en Madiran, la poterie Goicoechea, le Canal du Midi... Gratuit, on peut le trouver chez les cavistes qui vendent les vins du grand Sud-Ouest de la gamme Lionel Osmin & Cie. L.M.

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  • WHSK

    Capture d’écran 2023-05-03 à 14.50.16.pngIl y a quelques semaines, j’évoquais ici Laminak, le whisky de Martine Brana élaboré à Ossès, soit là où la distillatrice de génie produit ses fameuses eaux-de-vie de fruit (poire, prune, framboise), ainsi qu’un marc d’Irouléguy vieilli trente ans qui est à se damner.

    Aujourd’hui, c’est d’un autre whisky produit au Pays basque qu’il s’agit, nommé WHSK, des établissements Lapurdi, à Anglet. Ce blended malt issu de céréales, de trois ans d’âge, vieillit en fûts de chêne de Navarre. C’est modeste, compétitif (32€ le flacon de 70cl), et vraiment bien distillé. Robe ambrée brillante, attaque maltée d’une grande fraîcheur, avec des notes fumées très plaisantes, et de montagne (bruyère). En bouche, le vanillé domine, la céréale pointe sa rondeur et des notes boulangères persistent. C’est un whisky non pas facile, ni féminin, mais ni dérangeant, ni agressif. Il exprime la douceur, l’absence d’aspérité, il est au fond séduisant, car souple, sans vigueur particulière. Très performant pour un jeune blend.

    À déguster en écoutant Wayne Shorter (disparu le 2 mars dernier) interprétant les Bachianas Brasileiras de Villa-Lobos, puis Ahmad Jamal (disparu le 16 avril dernier) jouant Poinciana. Tout en lisant Légendes du je, de Romain Gary, compilation de ses plus beaux romans, comme Education européenne, La promesse de l'aube, Chien blanc, Les Trésors de la mer Rouge, La Vie devant soi, Pseudo... L.M

    Capture d’écran 2023-05-03 à 15.15.51.pngCapture d’écran 2023-05-03 à 15.20.52.pngCapture d’écran 2023-05-03 à 15.12.56.png

  • Arrivato

    Bon, ça y est, il m'est parvenu, ainsi qu'à la presse. Il sera en librairie le 27 de ce mois (première signature officielle le 29 à Cultura/Anglet).

    Réservez-le auprès de votre libraire. On en reparle bientôt.

    (Je l'ai aussitôt relu pour me livrer à une chasse à la coquille. Je n'en ai trouvé aucune parmi ses 190 pages.  À la bonne heure).

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  • Osmin & Cie, prénom Lionel

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    Je ne suis pas peu fier d'avoir rédigé les 64 pages du premier magazine du négociant hédoniste en vins du Grand Sud-Ouest Lionel Osmin (& Cie). Il paraît, il est beau, il est riche, gouleyant, friand, convivial, sympa, généreux, très très Sud-Ouest, et il est gratuit. C'est bien plus qu'un catalogue pour les nombreux vins proposés par l'enseigne paloise. C'est la première version de l'expression d'un art de vivre certain. J'ai mis mon coeur à l'écrire, si cela peut se dire. L.M.

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  • Parmi les écrivains gastronomes

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    Surprise, ce matin, lorsqu'un ami m'informa de la parution, en octobre dernier, d'un épais (430 pages) Dictionnaire des écrivains gastronomes chez Flammarion, signé Jean-Baptiste Baronian, et dans lequel je figure aux pages 257 et 258, entre Harry Mathews et Jay McInerney, pensant que j'étais au courant, ajoutant un tu crois qu'il nous aurait prévenus, ce petit cachottier? à l'adresse d'un mini groupe WhatsApp de quatre personnes... Je m'enquis de sa disponibilité en librairie et en trouvai un exemplaire dans la journée, dont voici des images. L'ouvrage est passionnant, qui va en effet d'Apollinaire à Zola en passant par les classiques Balzac, Baudelaire, Blixen, Boileau, Brillat-Savarin, et les modernes comme Barbery, Barnes, Barjavel, Boudard, pour ne citer que quelques noms épinglés à la lettre B. C'est dire si l'ouvrage est riche. Et savoureux. L.M.

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  • Les flacons maltés

    Les whiskys français sont de plus en plus nombreux. Qu’ils soient bretons, normands, bourguignons, lorrains, lyonnais, célèbres comme Michel Couvreur et sa gamme somptueuse, Armorik la distillerie pionnière, Rozelieures et son savoir-faire céréalier, Bellevoye et sa gamme colorée, Le Domaine des Hautes-Glaces et son sens du terroir, le Château du Breuil et son expertise en Calvados, Ninkasi et son expérience de brasseur... nous avons l'embarras du choix si nous souhaitons faire un pas de côté en laissant au bond - le temps d'un Noël - les Scotchs et autres whiskeys, sans parler des flacons japonais qui inondent le marché...

    En voici deux singuliers, Arlett et Laminak... ainsi qu'une surprise remarquable n'ayant rien à voir avec le whisky.

    Capture d’écran 2022-12-21 à 19.10.19.pngLa distillerie charentaise familiale Tessendier, notamment les deux frères Jérôme et Lilian, proposent trois whiskys Arlett : un Single Malt Original, un autre Tourbé, et enfin celui que nous avons goûté, avec une finition d’un an en fût de chênes japonais Mizunara, après un vieillissement de trois ans : la moitié de l’assemblage en fûts de chêne américain neufs et l’autre moitié en fûts de bourbon. Le résultat est envoûtant, élégant, expressif et épicé mais pas trop – poivre, cradamome. Avec ce whisky aux accents « vintage, » les frères Tessandier signent une véritable déclaration d’amour à leur mère Arlette (70 cl, 55€).

    Laminak, le tout nouveau whisky distilléCapture d’écran 2022-12-21 à 19.20.38.png par Martine Brana à Saint-Jean-Pied-de-Port – un nom qui fait référence aux petits esprits de la forêt qui sortent la nuit car ils craignent la lumière, est une perle issue de malt français brassé au Pays basque. Après une double distillation dans les alambics à repasse, ce Single Malt a vieilli quatre ans dans des barriques de l’Irouléguy blanc « maison » élaboré par Jean Brana, et ayant contenu du Petit Manseng, cépage caractéristique dont on retrouve la finesse et le fruité dans le verre. Laminak est ample, généreux, frais, correctement boisé, délicatement vanillé, et possède une belle persistance. Premier tirage : 2802 bouteilles numérotées. (70 cl, 78€).

    Capture d’écran 2022-12-21 à 19.20.00.pngUn chiffre modeste, mais qui paraît grand si nous le comparons à un autre bijou, dernier né de la maison Brana : 972 bouteilles seulement d’un Marc d’Irouléguy XO distillé il y a 30 ans par cépages rouges et blancs séparés, puis vieilli en fûts durant 22 ans. Cette eau de vie rare et précieuse est un régal de douceur, de puissance et de complexité, avec des notes de raisins secs, une pointe réglissée et une autre de pain grillé. C’est profond mais rond, charmeur et pour tout dire bluffant. (70 cl, 148€). L.M.

     

  • Glen Moray

    Capture d’écran 2022-11-30 à 13.53.31.pngCapture d’écran 2022-11-30 à 13.53.43.pngDans le Speyside, Glen Moray est une distillerie singulière (nous l'avons déjà visitée) qui s'attache, depuis 125 ans, à explorer l'influence des fûts d'origine et de contenant divers sur ses single malts. La mode est au vieillissement et au finish, soit au passage ultime dans un seul fût (single cask) ou dans des fûts ayant contenu d'autres breuvages bizarres - en l'occurrence du whisky de grain, de seigle précisément, Rye Cask Finish pour l'un, et du rhum agricole martiniquais Saint-James 1997 pour l'autre. Les résultats sont sensibles. D'un côté, le caramélisé et l'épicé dominent (vanille, citron frais, poivre blanc, caramel mou, fruits noirs de sous-bois, café en finale assez longue), et là, l'intensité fait place à l'équilibre (du confituré : abricot, poire, ananas, et aussi cerises au kirsch, pain d'épices, raisins secs en finale longue, très longue). Il n'y a que 900 flacons (75 cl, 70 €) de Rye Cask Finish pour la France, et 600 (idem) pour le Rhum agricole Cask Finish Project. Dépêchons-nous. L.M.

     

  • Un an plus tard

    Cliquez là => LE BRUISSEMENT DU MONDE

    Léon Mazzella capture quelques fragments du monde pour en saisir toute la volatilité sensuelle.

    Par THOMAS MORALES.

    Article paru dans Causeur.


    Le choix de la première chronique littéraire de l’année s’apparente à la cueillette des champignons, dans un sous-bois, à l’automne, quand la feuille morte rythme le pas, quand l’incertitude guide la main du critique. La pluie grise les sentiments, la nature protège et isole; le critique hésite, il tâtonne, il se rétracte parfois, puis il se lance, il a enfin trouvé le livre qui correspond à son souffle intérieur, à son émotion du moment, à sa volonté de ne pas ensorceler le monde. En 2021, l’esprit ne sera ni à la querelle incestueuse, ni à la légèreté béate, plutôt à la beauté qui s’efface peu à peu, elle s’échappe, nous le sentons charnellement, et pourtant, il faut la retenir, s’incliner une dernière fois devant elle, la remercier encore et toujours. Se rappeler que sans elle, nous sommes des êtres désarticulés, surnuméraires fantômes. Cette beauté fugace n’est pas grandiloquente, elle ne bombe pas le torse, elle ne nous fait pas du gringue au coin d’une rue ou à la lecture d’un paragraphe trop étincelant; discrète, elle sait tenir ses distances.

    Mazzella caresse le désenchantement

    Elle s’apprivoise difficilement. L’écrivain Léon Mazzella, styliste des terres basques, grand spécialiste du vin, part à sa recherche dans Le Bruissement du monde aux éditions Passiflore. Il est de ces explorateurs esthètes qui ne surjouent pas la surprise ou l’émerveillement. Ce gracquien sème la chronique au vent, sans charger sa phrase d’un affect débordant, elle garde sa pureté originelle tout en susurrant son pouvoir d’abstraction. Là, réside le charme vivifiant de ce recueil buissonnier qui promène son bonheur de vivre entre fragments, souvenirs d’enfance, nostalgie du cœur, sens de la transmission et plaisir du palais. Mazzella nous touche car, avouons-le, il caresse notre vieux monde, il cajole notre désenchantement, il ouvre la volière de notre mémoire. Ne vous méprenez pas sur son dessein, il ne panthéonise pas le passé, ce n’est pas un embaumeur, plutôt un exhausteur de goût. Son toucher de plume lifte l’existence, lui donne du rebond. Nous avons les mêmes codes d’entrée, les mêmes marottes, les Renault Floride et les chevauchées landaises de Christine de Rivoyre

    Compagnon hussard

    Avec ce compagnon hussard, on se rappelle d’un texte lu à l’adolescence qui a fait chavirer notre suffisance, on se met alors à dessiner des volutes de Havane dans le ciel laiteux de la province française, à rêver aux seins obuesques de Silvana Mangano dans « Riz amer » ou à la bouche désirable de l’impénétrable Monica Vitti. À nous extraire simplement de notre quotidien par le talent des autres, voilà un résumé de ce que fut notre jeunesse. Pour nous, garçons ahuris, bouffis de caractères d’imprimerie et de cinéphilie, la réalité passe souvent par le tamis de la fiction. Mazzella est un merveilleux brouilleur de météo, il détraque toutes les horloges. Avec lui, la chronologie s’émancipe des dates. On le suit avec gourmandise dans cette belle littérature, giboyeuse et sauvage des Trente Glorieuses puis, le texte suivant, il nous ramène au présent, dans le spectacle chantant d’une bergeronnette grise ou la pesanteur ensoleillée d’un champ de maïs. Tantôt mélodiste d’antan, tantôt aquarelliste du paysage en mouvement, sa mélancolie sous-jacente n’est ancrée dans aucun port d’attache. Elle est libre, elle se moque des convenances, elle cabote sur des côtes intimes. C’est pourquoi nous prenons autant de plaisir à le lire, surtout quand il écrit: « Je suis Claude Sautet » ou qu’il fait l’éloge du stylo à plume: « Bonheur de retrouver le glissement de l’encre, sa fluidité, et le crissement sur le papier vergé ivoire, cette teinte bleu nuit qui forme les lettres, les mots qui naissent, le mouvement du poignet, le sang qui afflue sur la dernière phalange de l’index comme si nous labourions ». Mazzella sait, par instinct, qu’un bon livre ne ressemble pas à une autoroute rectiligne, il doit cahoter, ne jamais utiliser le même instrument de musique, de la variété naît l’harmonie. Mazzella ose passer de Gracq au Bricomarché, sublime impertinence et poésie de l’infiniment petit, de Calet à Anouk Aimée, de Larbaud à une libellule indisciplinée, de Gómez de la Serna au croquant du chipiron. Vive 2021 !

    Le Bruissement du monde de Léon Mazzella – éditions Passiflore.

    Le Bruissement du monde

    Price: 15,00 €

     

     
     
  • À lire dans TANIN n°3 paru ce matin

    IMG_4276.jpegJ'y ai écrit pas mal de choses, dont un papier sur les crémants (sur le thème : un bon crémant vaut mieux qu'un mauvais champagne) avec une sélection de mes coups de coeur, comme suite à la dégustation forcément sérieuse d'une cinquantaine de crémants de tous horizons organisée a casa avec une poignée de potes hédonistes.
    Un autre article sur les armagnacs de demain, avec un zoom légitime sur les splendides Curiosités de Laubade, mais pas seulement.

    Et une série de brèves pour les Fêtes (caviar, vodka, whisky, rhum, gin... exceptionnels).

    Tous au kiosque ! L.M.

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  • Coquetaile alternatif

    Art-If-Ice. Même si le nom de cette cuvée est mal trouvé, et évoque une enseigneCapture d’écran 2021-07-19 à 10.37.08.png de coiffeur tentant de surfer sur le mot tif à l'aide d'un mauvais jeu de mots, le résultat est intéressant : Il s'agit d'un champagne (29€) de la Maison Charpentier (évoquée ici il y a peu), composé pour moitié de pinot meunier, de 32% de pinot noir et le reste en chardonnay, dégorgé en novembre dernier. La proposition est originale : verser environ 15 cl de cet effervescent (dosage demi-sec), ajouter un quartier de citron vert et un glaçon. C'est bluffant, délicieusement rafraîchissant, et cela change du Spritz à l'Apérol, à base - au choix : de crémant de Bordeaux, de Prosecco ou bien d'un champagne modeste.

    Idéal avec du saumon Capture d’écran 2021-07-19 à 11.17.03.pngcru juste mariné dans un généreux trait d'huile d'olive de grande qualitéFruité Vert Intense, signée Les Terres de Provence, du château Calissanne (8,90€ le mignon flacon de 25 cl). Jolies notes d'artichaut cru, de foin et de chlorophylle.

    Camus (mais non, pas Albert !..) propose un coffret (69€) amusant contenant une bouteille de cognac Île de Ré Fine Island (issu de raisins cultivés sur l'île même), une autre d'Amaretto Adriatico (liqueur d'amandes italiennes), un verre et une cuillère à cocktail. Versez le cognac et l'amaretto à part égale, ajoutez un ou deux glaçons, remuez, et le cocktail French Connection est prêt. À déguster avec des fèves de tonka préalablement sautées dans une poêle sèche.

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    Alliances littéraires : L'édition limitée en folio classique des Fleurs maladives deCapture d’écran 2021-07-19 à 10.58.13.png l'inoxydable Charles Baudelaire, illustrée de photos délicates signées Matthieu Trautmann.

    Le subtil Petit éloge de la gourmandise, de Nicolas d'Estienne d'Orves (François Bourin).

    Les poèmes profondément simples de la méconnue bulgare Aksinia Mihaylova, Ciel à perdre, suivi de Le Jardin des hommes (Poésie/Gallimard).

    Et, enfin, l'extraordinaire Poème de l'olive, de Jean Giono (folio). L.M.

    Capture d’écran 2021-07-19 à 10.58.58.pngCapture d’écran 2021-07-19 à 10.59.48.pngCapture d’écran 2021-07-19 à 11.19.45.png

     

     

     

     

     


  • Vivement le 13 janvier

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    Je tombe à l'instant sur l'annonce de la parution de mon prochain livre en surfant sur la Toile, à la recherche d'une référence bibliographique. J'ignorais qu'il était déjà signalé, notamment sur les plateformes de vente comme FNAC, Decitre, Amazon, etc. Il en va des livres comme des maillots de bain ou des manteaux : on achète les premiers en hiver et les seconds en été, lorsqu'ils apparaissent aux vitrines. Il en va ainsi de tout, au fond, sauf des fraises des quatre saisons qui naissent sous serre. Anticiper, cela me connait. Le métier de journaliste consiste aussi à avoir un temps d'avance, ne serait-ce que pour des questions de dates de bouclage. Sauf que là, il faut attendre. On peut juste réserver, pré-acheter (directement sur le site de l'éditeur, d'ailleurs). Bien, puisque ce n'est plus un secret, voici ce qu'en dit, justement, mon éditeur => Le Bruissement du monde À présent, il me tarde de distribuer le faire-part de naissance du petit dernier... L.M.

  • MOICHEF

    Voici un tandem, un jeune couple, Mathilde et Tristan, des fous de gastronomie de grande qualité qui, ayant fondé le club MOICHEF, https://bit.ly/30FNzPU, sont devenus des chasseurs de bon goût, d'excellents produits qu'ils proposent via leur club. Leur niouzzelaiteure est déjà un régal d'humour, de pertinence, de qualité d'écriture, de bonne humeur (regardez les vidéos de Tristan), et de créativité (lisez Mathilde, elle en a sous le pied). À présent, ils effectuent un périple d'une année en minibus dans tous les coins où niche, pousse, croît, nait, prospère le meilleur qui se mange et se boit. Ils sont donc sur le terrain, à la rencontre de ceux qui font. Suivez-les, adhérez, commandez et... appelez-moi la veille d'un dîner. J'apporterai les fleurs (pas forcément comestibles). Hardi-petit ! 

    => Le Tour de France gastronomique des Hardis

    (En tant qu'ex-directeur des rédactions du magazine et des guides GaultMillau, - et même s'il s'agit là d'un club, marchand, et pas d'un média - je m'autorise à tirer mon chapeau devant cette initiative innovante, car elle dépoussière le milieu, le genre, l'approche, en lui insufflant une tonicité que la presse écrite, par exemple a(vait) perdue, et un souci fondamental - la quête du très bon -, qui justifie à lui seul une telle démarche. Et si je risque la comparaison du bout de le plume, c'est parce que, justement, MOICHEF a une façon d'aborder le monde de la gastronomie qui flirte avec les techniques de la presse, sans mélanger les genres. Cette synthèse est bluffante). L.M.

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  • C'ÉTAIT DENIS...

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    Évoquer Denis Tillinac, qui vient de nous quitter parce que son cœur sans filtre l’a lâché dans la nuit du 25 au 26 septembre au Clos de Vougeot – quelle élégance du destin -, serait ajouter ici ce que tout le monde a déjà écrit : une belle et solide « nécro » bien ficelée à la manière d’un rôti dominical. Il y serait question des mêmes choses aux mêmes paragraphes. La Corrèze contre le Zambèze, Chirac et les Hussards, la presse de droite et l’édition, le rugby et la clope, l’amitié mousquetaire et la rue de l’Odéon... Je choisis, dussé-je regretter d'ores et déjà de me mettre en avant par ricochet en évoquant ce que j’ai vécu à ses côtés, de rassembler quelques bons souvenirs qui, à mes yeux, résument à leur façon le caractère de Denis. Nous nous étions perdus de vue depuis des années, mais pas de vie. Il vient de perdre la vie. Voici mon point de vue. Que l’on me pardonne ce parti-pris impudique.

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    ... et il me lance pousse toi, je prends le volant. Je l’avais cueilli à la gare de Bordeaux Saint-Jean et nous nous rendions à la réunion annuelle des Amis de Valery Larbaud, à Vichy, association dont nous étions membres cotisants inactifs. En réalité, la raison officielle fut ainsi formulée : on va boire une coupe de champagne au Casino de Vichy, et après on verra. Le soleil brillait en baissant et le pare-soleil de la voiture tombait lentement en chuintant. Au lieu de le remonter, il l’arracha d’un geste sec. Puis lorgna le mien, et l’arracha aussi. Jeta les deux en arrière, sans regarder. Il mit le chauffage à fond, lors que la température était plutôt clémente. J’ai froid, dit-il en allumant la huitième ou sixième cigarette depuis dix minutes. Il péta. Et re-péta. Et encore et encore. J’ouvris ma fenêtre. Il hurla ferme, j’ai froid. Il péta et fuma encore tant et plus, un « fog » aux relents d’arrêt à Facture du train Bordeaux-Bayonne, ou de traversée de Lacq via Mourenx, du temps des colonnes ELF rouge et blanc et de leur fumée sentant l’œuf pourri, envahissaient l’habitacle de ma Golf noire (*). Je hurlai ma désapprobation et la liberté de mon sens olfactif. Rien à foutre. J’ai froid. Voici Denis le « caractériel ». Notre côté ours en partage nous unît très vite. J’aurais pu faire pareil, un jour de mauvaise lune. Ce qui me surprit de prime abord, fut d'entendre l'expression désuète Plait-il? lorsqu'il entendait mal un mot (au lieu d'un banal Quoi?, Hein? ou encore Pardon?). Cela tranchait tellement avec l'allure trapue et bourrue du personnage. J'ai hérité de ce tic verbal, ce qui ne manque jamais de surprendre mon entourage... Parvenus à Vichy, nous vidâmes plusieurs coupes de Brut au Casino afin de tenir parole, avant de rejoindre la bande d’écrivains présents autour de Monique Kuntz, cheville ouvrière de l'association. Je me souviens de Bernard Delvaille, Robert Mallet, Georges-Emmanuel Clancier, Louis Calaferte... On s’y ennuya vite, alors nous filèrent à l’anglaise et éclatâmes de rire sur le perron, retrouvant notre liberté de gamins faisant le mur et l'école buissonnière. Denis me confia qu’il n’aimait guère les écrivains professionnels, et qu’il préférait de loin ceux qui, comme certains Américains, avaient les mains dans le cambouis, qui sont camionneurs, agriculteurs, mécanos, et qui écrivent aussi (de merveilleux livres).

    En 1984, journaliste de 26 ans officiant à Pyrénées-Presse, à Pau (La République des Pyrénées et Éclair Pyrénées), je publie un article sur son « Spleen en Corrèze », intitulé « La mélancolie du localier », qui lui parvient via le service de presse des éditions Robert Laffont. Il m’appelle au journal, me propose un rendez-vous au Noailles, brasserie bordelaise mythique des Allées Tourny, afin de faire connaissance. Je m’y rends, la sole meunière et le vin des graves de Pessac-Léognan nous ravissent, la conversation fuse, plus ou moins aérienne, littéraire, hussarde, on rigole, il gueule, nous sifflons des gorgeons, il fume comme une caserne de pompiers, je grille un ou deux havanes, le serveur iconique, goitreux et bedonnant dont j’ai oublié le prénom nous offre des huîtres en guise de dessert, une amitié naît spontanément. Le déjeuner s’achève aux alentours de 17 h, après avoir fait le tour de nos connaissances communes, avoir dit du mal de la moitié d’entre elles, et infiniment de bien du tiers. Il faut tenir jusqu’à l’heure de l’apéro, pris dans la grotte du Castan, sur les quais de Garonne, à l’entrée du quartier Saint-Pierre. Nous tenons ferme. Puis, nous nous appelons régulièrement, nous nous revoyons, je passe une semaine à Tulle, on monte chaque matin à Auriac, où nous travaillons à mon futur premier roman, « Chasses furtives ». Dans la maison de Tulle, au-dessus de la pharmacie, il m’enferme dans la pièce où il acheva son « Mystère Simenon », me disant qu’il ne se lavait alors plus, qu’il se nourrissait à peine, et que son slip, s’il me l’avait jeté à la figure, m’aurait coupé la tête. Denis... Je me voyais comme Antoine Blondin séquestré par Roland Laudenbach dans une chambre d’hôtel, mais sans les feuillets à passer sous la porte en échange d’une bouteille de rouge... Monique, la sainte femme de Denis, pharmacienne sur la place, « femme de peu », comme il la nommait avec un respect dix-septiémiste en lisant à voix haute le Journal de Samuel Pepys, et tout en me commandant de relire Mauriac plus attentivement (il m’avait offert à Barbezieux le premier tome de ses romans en Pléiade), figurait la permanence, le pilier central, l’abnégation, le mur porteur. Une perle fine et rare.

    Il y a le Denis qui, m’attendant à son tour, plus tard, gare Saint-Jean, s’étant garé sur la voie des taxis, s’était vu conspuer par la profession. En guise de réponse, il avait sorti un cric ou une manivelle et menaçait de fracasser le crâne du premier venu. Par bonheur, je surgissais et calmais le jeu en arrondissant les angles in extremis. Une virée surréaliste s’ensuivit, qui eut pour but imbécile de trouver l’appartement genevois où vécût Lénine. Un type dont on se fichait bien. Et nous voici sur les routes conduisant à la Suisse, échouant bien évidemment à trouver le local, mais vidant des bouteilles de Fendant en savourant des filets de perche dans une auberge chaleureuse, avec feu de cheminée, du Vieux Genève, recommandée à Denis depuis une cabine téléphonique par Gilles Pudlowski. Ronds comme des queues de pelle, nous échouâmes également à retrouver le ticket de parking souterrain. Qu’à cela ne tint, je tordis la barrière métallique qui empêchait la sortie, manquant de me faire un tour de reins, et la voiture put se frayer un étroit passage au prix de généreuses rayures qui provoquèrent un immense éclat de rire à Denis. Nous ne savions alors pas, non plus, comment regagner notre hôtel. Le lendemain (puisque nous parvînmes cependant à dormir sur une couche accorte), pari fut lancé de nous rendre à l’aéroport helvète, d’abandonner l’automobile et de prendre le premier vol annoncé au départ, qu’il fut à destination de Lausanne, de Mars ou de Hong-Kong. J’avoue ne plus me souvenir pourquoi nous restâmes dans l’aérogare. Pourtant, ni Monique, ni Sophie, ma future épouse et mère de mes deux enfants, ne nous enjoignirent de regagner notre bercail en claquant dans leurs doigts délicats, ce que nous n’aurions d’ailleurs sûrement pas fait. Aucune contrainte matérielle, professionnelle ne pouvait alors nous faire renoncer à quoi que ce soit. Je ne me souviens plus, et c’est dommage. Encore que. Quelle importance ! Reste cette envie de se barrer n’importe où, pourvu qu’on ait l’ivresse du départ, qui lui chevillait, serré, le corps et l’âme. Denis, quoi. Je crois que c’est cette fois-là que nous avons pris la route de la Dombes. Pas sûr. Comment vérifier à présent. Peine perdue. Denis avait la bougeotte.

    Parfois, il y avait un coup de fil lapidaire lancé depuis Auriac. Cette fois, c’était depuis Paris. Tu fais quoi ? - Pas grand-chose, je rédige des articles à droite à gauche, pourquoi ? Viens, il y a des sacs postaux de manuscrits en souffrance rue du Bac. Je viens tout juste de reprendre La Table Ronde. Je n’y arriverai pas tout seul, enfin j’ai des femmes autour de moi, mais viens. Saute dans un train, je te raconterai, on va bosser ensemble. L’aventure LTR commença. Deux jours a minima par semaine, je laissais Bordeaux et devenais plus ou moins responsable du service des manuscrits des mythiques éditions de La Table Ronde sises encore au 40, rue du Bac. Stéphane Guibourgé me rejoignit bientôt et on se marrait bien tous les deux, mais notre présence alternait souvent, notre emploi du temps respectif étant aussi élastique qu'une paire de chaussettes fatiguées ou qu'un zlip comme on dit chez moi (Bayonne). C'est d'ailleurs Stéphane qui assista à l'accouchement douloureux des « Mémoires d'un jeune homme dérangé », premier roman de Frédéric Beigbeder. Denis, déjà happé par Jacques Chirac, la francophonie, l’Afrique bientôt, la rédaction de discours, la Corrèze qui le rappelait à la mi-semaine, Marie-Thérèse Caloni avec laquelle il s’enfermait des heures entières dans l’ancien bureau de Laudenbach pour relancer la splendide et juteuse collection étrangère Quai Voltaire, et sans aucun doute afin d’explorer au passage des chemins érotiques buissonniers (Laurence Caracalla, qui avait alors en charge le Service de Presse, ne me contredira pas et fermera ses yeux doux sur le motif), me laissait le champ tellement libre que, parfois, j’étais le comité de lecture à moi tout seul. Allo Denis ! Je tiens un truc, là, c’est très bon. Enfin un manuscrit qui sort du lot (j’en renvoyais une pelletée par jour avec des lettres-type néanmoins personnalisées). Bloque, dit-il. Mais... Il faut que tu le lises. Bloque je te dis. J’ai confiance. Je venais de me mettre en arrêt comme un setter irlandais devant une bécasse, devant celle qui devint la cinquième auteure la plus lue en France de nos jours. J’ai nommé Françoise Bourdin.  Jointe au fil, elle me dit que Actes Sud prenait aussi son roman, « Sang et or ». J’insistai. J’eus gain de cause. Nous le publiâmes. J’étais heureux. Je la rencontrai au cours de la Feria de Nîmes, contrat en poche à faire signer. Depuis, elle fait la carrière que nous savons chez Belfond. Pressé, caractériel, impatient, manquant parfois de vigilance, séduisant pour cela, et puis cette fougue, ces emportements immatériels, son urgence à filer au stade pour ne pas rater le coup d’envoi d’un match, et surtout le Capitole qui le ramenait sur ses terres viscérales, ainsi était Denis. À La Table Ronde, arrachée de son adresse historique, je le suivis rue Huysmans, puis rue Stanislas je crois, puis j’y retournais, rue Corneille, LTR déménagea si souvent. Denis avait transmis sa frousse de l'immobilité, sa nervosité, aux meubles et aux archives. Il fallait que ça bouge, que ça swingue. Denis, quoi... Et puis, à l’automne 1992, un boulot de rédacteur en chef de Pyrénées magazine me fut proposé à Toulouse au moment même – pile-poil -, où Denis me confia, au comptoir du Danton, Carrefour de l’Odéon, où nous avions nos habitudes de fin de journée, qu’il ne pourrait faire ça toute sa vie, et que d’autres taches l’attendait (la Chiraquie, l'écriture d'essais et de moins de romans), bref, qu’il fallait que je fasse office d’une sorte de directeur littéraire. Pam. Je venais donc de signer à Milan-Presse, préférant poursuivre une carrière de journaliste en province, en charge d’un massif sauvage, plutôt que celle d’un éditeur parisien confiné dans un bureau du sixième arrondissement, fut-ce celui-ci. Je crois que Denis m’en voulut un peu, voire beaucoup, de refuser un si beau cadeau...

    Olivier Frébourg honora cette charge douze années durant avec l’immense talent que nous savons et qu'il exerce aux Équateurs depuis 2003, et c’est sous sa férule, via Cécile Guérard, qui devint sa femme et la mère de leurs fils, que je publiais plus tard, suite à un envoi postal volontairement banalisé, mes « Bonheurs de l’aube », puis « Flamenca ». Denis planait dans les hautes sphères élyséennes et ne savait plus où donner de la tête, sinon dans la réédition et la publication des grands classiques du rugby. Son côté mi-Haedens, mi-Herrero. Tout lui. Denis, quoi...

    Souvenirs, souvenirs... Un soir, en sortant à pas d’heure de la rue du Bac, nous traînons rue de Verneuil et tombons dans un bistro de peu de hasard sur Françoise Blondin. Antoine, à l’extrême soir de sa vie, était déjà fin bourré et donc incapable de sortir en compagnie de sa femme (avec laquelle il passait beaucoup de temps à s'engueuler). Il devait réécrire inlassablement au stylo, de son écriture fleurie, enfantine et rondelette, sur la table de la cuisine, entouré de bouteilles vides, la première phrase du « P.C. des Maréchaux »... Nous buvons des coups. Sur coup. Et re-coup. Au bout de trois heures, Denis et moi sommes faits comme des rats, et Françoise Blondin entonne un classique « patron, remettez-nous ça ! ». À ce moment-là, Denis me glisse tu as une bagnole. Oui, dis-je. On va voir Frédéric Fajardie chez lui en Normandie. Tu es fou, Denis, il est bientôt minuit, tu sais où il habite au moins. Non, on trouvera bien, c’est dans le Pays d’Auge, c’est pas aussi grand que la Sibérie ! Putain, Denis, c’est immense, tu déconnes, là. Nous ramenons avec une titubante courtoisie Madame Blondin chez elle, et nous prenons la route avec un peu de sang dans l’alcool, mais suffisamment d’essence dans le réservoir pour nous permettre d’aviser la priorité à droite aux carrefours. L’époque n’était pas encore au téléphone portable et au GPS, et je n’avais que des cartes IGN Top 25 des Pyrénées à déplier sur le capot. J’ai déjà raconté cette virée dans « Dictionnaire chic du vin », à l’entrée Blondin, de même que ma première rencontre avec Jean-Paul Kauffmann à Auriac en 1984, peu de temps avant qu’il ne soit pris comme otage au Liban. En voici de courts extraits : Un soir de soif tardive, nous voilà partis au fin fond des routes normandes à la recherche du ranch perdu de l’auteur de « Brouillard d’automne ». Une échappée blondinienne en diable, comme nous en avions déjà vécues plusieurs. Arrivés – par la grâce de Dieu – et à une heure improbable chez Fajardie, klaxonnant à qui mieux mieux, pleins phares devant sa maison reconnaissable en raison de l’imposant GMC kaki de l’armée américaine garé dans le jardin, qui lui servait de véhicule, et tandis qu’un fusil de chasse pointait sa paire de canons juxtaposés par l’entrebâillement d’une fenêtre à l’étage, Denis sortait la tête hors de la voiture, et que les canons se relevaient, je dessaoulais tout à trac. Et repensais à Blondin. « Tout le reste est litres et ratures ». Fajardie nous avoua que deux secondes de plus, et il tirait dans le pare-brise. S’ensuivirent deux jours de liesse. Avec Kauffmann, ce fut différent. La première fois que je rencontrai Jean-Paul, ce fut à la fin de l’été 1984, chez Denis à Auriac, peu de temps avant son départ malheureux au Liban. Denis m’avait invité au pied levé à déjeuner. Magne-toi, saute dans ta bagnole. Je quittai Bordeaux, où je vivais alors, avec un retard considérable, et je forçais ma vieille Alfasud break rouge, dont la malle s’ouvrait à chaque virage, à dépasser ses capacités, comme on éperonne un canasson qui n’a plus l’âge de galoper follement. J’annonçai mon retard depuis une cabine téléphonique de fortune. Arrivé à pas d’heure (entre quinze et seize), et sitôt claquée la porte de la guimbarde en tentant de masquer ma confusion, je fus accueilli sur le seuil par un inconnu qui me chanta la chanson de Jeanne Moreau, « La peau, Léon », dans son intégralité et sans une faute, avant de me tendre une main ferme, en ajoutant Bonjour, Jean-Paul Kauffmann, à table ! L'autre main tenait une verre à pied de bordeaux qu'il m'offrit. À l’ombre, la malle ouverte de sa voiture débordait de bordelaises de belle extraction. Denis affichait un sourire large comme l’horizon. Il y avait Joëlle, Monique, un feu de cheminée (la frilosité de Denis), ils m’avaient attendu, ils étaient affamés et d’une infinie courtoisie.

    Nous fîmes d’autres virées, dans l’Allier du côté de Moulins, à la rencontre de cousins plus ou moins éloignés de Denis, notamment ce riche cultivateur qui avait explosé sa télévision le 10 mai 1981 d’un coup de fusil lorsque le profil de François Mitterrand était apparu, pixelisé, à vingt heures pétantes. Un mur portait les stigmates de cette accession au pouvoir... Du côté de Brive et jusqu’à Foix, nous allions à la rencontre de légendes du rugby local, des mastodontes rangés des crampons, reconvertis en patrons de bars ornés de maillots boueux et froissés mais encadrés sous verre, de ballons ovales maculés de signatures au marqueur, rangés entre les bouteilles de Ricard et de Suze. Des bestiaux des stades dont j’ai égaré les noms, des mecs velus et doux comme des agneaux de lait. À Tyrosse, il se sentait revivre à cause de l’histoire de ce petit « clup » (écrirait l'ami Christian Authier) de la légende ovale. Et puis Saint-Vincent (de Tyrosse) était le village de Sophie, ma femme, qui nous accueillit deux fois. Denis prenait toujours de ses nouvelles avant de me demander comment tu vas ! (Il m'engueula comme un malpropre lorsque je lui annonçai notre séparation). Lorsqu’il prenait le volant, ou plutôt lorsqu’il le battait froid avec ses mains à plat, ce qui n'était pas rassurant, il chantait à tue-tête, de sa voix éraillée, et dans un Anglais très approximatif, des chansons d’Elvis Presley qui le faisait retomber dans son songe insondable de « Rêveur d’Amérique ». Denis aimait virer de bord. Il avait le pied terrien et sans doute le mal de mer – je n’ai pas pu le vérifier, même à Anglet, un après-midi de tempête, où il me fit comprendre qu’il lui fallait regagner un bistrot hermétique. Toujours sa frilosité, ses polos Lacoste fermés parfois jusqu’en haut, son pull col ras ou bien en V par-dessus, sa veste à chevrons avec laquelle il devait parfois dormir, et ses paquets de clopes à répétition comme une incessante rafale de mitraillette qui agissait sur sa diction. Denis maugréait ses phrases à venir, puis les éructait, lorsqu’il était en pétard contre une idée, un fait, quelqu’un. Soit fréquemment. Un jour que je pilotais un hors-série pour VSD sur la Coupe du Monde de rugby 2007, je l’appelais pour lui demander de me donner un article du fond de ses tripes sur l’âme du rugby, l’âme des peuples, et surtout son âme à lui. Il me fit parvenir la veille du bouclage par coursier un cahier d’écolier inachevé, rédigé au bic vert, comme à son habitude. J’aimerais bien remettre la main sur ce cahier, ce soir.

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    La dernière fois que nous avons bavardé et partagé quelques verres, ce fut il y a cinq ans dans le VIIIarrondissement de Paris, après une émission de Frédéric Taddei sur Europe 1, à laquelle nous avions été conviés. Il venait pour un roman fraîchement paru chez Plon, moi pour le dictionnaire chic du vin. Le regard de Denis était plus tendre qu’à l’accoutumée, ce soir-là. Au Clos de Vougeot, l’année d’après, pour le salon Lire en Vignes, je ne l’ai pas vu. Étrange. Certaines mauvaises langues me susurraient qu’il délaissait un à un ses amis. Je ne pouvais l’entendre, encore moins le croire. Je me suis résigné, je ne l’ai plus appelé, je l’ai lu parfois dans « Valeurs », et comme je ne recevais plus ses livres, je les achetais sans lui dire le bonheur qu’ils me procuraient, amoindri cependant, en regard de la jubilation procurée par les premiers, ceux des années « Le Bonheur à Souillac », « L'Été anglais », « Maisons de familles », « À la santé des conquérants », « Rugby blues »...  Je viens de les retrouver, tous ceux-là, en éventrant les cartons de mon nouveau déménagement à Bayonne. C’est bien sûr au bic qu’il les a tous signés. Voilà ce que j’emporte avec moi, cette nuit. Ce sont les traces de cette encre, voilà ce que je garde – avant de reprendre l’un de ses bouquins au hasard, et puis non, ce sera « Le Dictionnaire amoureux de la France », allez ! Même s’il pêche par certaines facilités et redondances. Mais Denis était familier de certaines redites, du type « j’ai été déniaisé à l’âge de seize ans, sur une falaise du Dorset, par une Linda aux cheveux platinés, qui n’en menait pas large... ».

    Ce sera donc bouquin en mains, afin de retrouver son rire préhistorique, son regard de rapace dubitatif, ses gestes brusques d’homme délicat des cavernes de l’esprit, sa gouaille amicale, sa fidélité, son impossibilité à rester tranquille – chien fou, chiot de chasse dans une bagnole -, le Denis que j’aime, le Denis que nous aimions, le Denis qui nous manque. Déjà. Allo, tu fais quoi ?..  – J’arrive !

    Léon Mazzella

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    (*) Le fait est joliment reporté par Benoît Lasserre dans son hommage, publié dans Sud-Ouest dimanche dernier 27 septembre...

    Photo anonyme (en haut) capturée sur Facebook. Que l'auteur se manifeste et je créditerai ce document. Photo ci-dessous : © Jean-Pierre Muller/AFP. Au milieu, une photo prise (par je ne sais qui) au cours de l'émission d'Europe 1. Taddei de dos, Tilli à gauche, ma pomme à droite.

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  • Frédéric Musso mon ami

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    Frédéric,

    Je m’apprêtais à t’écrire qu’en dépit de nos masques de papier bleu, je franchirais « incessamment sous peu » le Rubicon des précautions d’usage afin de te rendre visite à Générargues pour parler poésie, Algérie, Camus, mais poésie avant tout. Mot, pas phrase. Les phrases, ce serait pour après. Après la kémia et le rosé glacé. Et voilà que tu casses ta pipe là, le 5 septembre. Sans prévenir, ou si pudiquement. Avec la discrétion de fumée, de lin, de soie, qui te définissait. « Je paye des années de picole et de clopes », m’écrivais-tu il y a quelques semaines, pour t’excuser auprès de la vie qui commençait à te déborder, et tandis que tu continuais de publier des photos de ta chère Marilyn sur Facebook, et que nous nous adressions des citations de poètes chaque matin ou peu s’en faut, comme on croise le fer chez les Cadets de Gascogne, histoire de se mettre en appétit de petit-déjeuner. Ping-Pong. Frédéric est aux Afriques. La Déesse n’a qu’à bien se tenir, puisqu’il arrive, fringant, séducteur et « classe ». Ton Algérie des souvenirs, ton Point sur l’île, ton Exil et sa demeure - si camusien -, tous tes poèmes taillés à la main, chacun ciselé dans le plus pur souci de l’éclat procuré par l’étincelle du mot, de la syllabe, je les ai là devant moi, tous rangés de dos, avec tes romans. Il n’en manque aucun. Je possède ton oeuvre complète et j'en suis fier, Frédéric. Je les ai lus et relus tant de fois, tes mots mon ami, et j’en aurai écrit ici et là (notamment dans L’Express) tout le bon que j’en vivais, tout le bien que d’aucuns en pensaient. Frédéric, ce soir je remplis le vase de ma tristesse avec le souvenir de nos échanges via Facebook. Comme quoi, nous étions donc devenus modernes, et irrémédiablement nostalgériques. Tu me manques. Tu commences à me manquer, là. Ça ne va pas, ça. Ça va pas du tout. Il faut faire quelque chose, Alice... L.M.

    L'essentiel de l'oeuvre de Frédéric Musso est disponible aux éditions de => La Table ronde  Si vous écrivez son nom dans la case "archives" de ce blog, vous pourrez lire au moins six articles que j'ai rédigés sur lui. Lisez Musso. FRÉDÉRIC Musso...

    Capture d’écran 2020-09-08 à 10.03.15.png Note ci-contre : Babelio. Et puis ce lien => Midi-Libre - qui présente succinctement Frédéric.

  • Fraternité

    Visuelmagloire%20HA%20Solidarite4.pngHommage au Père Magloire, célébrissime calvados, pour cetteCapture d’écran 2020-07-21 à 12.40.49.png cuvée Fraternité à prix plancher (17,90€ la bouteille de 50 cl.). Il s’agit d’un Hors-d’Âge issu de lots vieillis 12 ans au moins. C’est rond, d’une grande douceur vanillée, avec des notes fruitées et légèrement torréfiées. Cette édition spéciale fêtera les 200 ans de la marque. À déguster au crépuscule, sec, voire frappé, en faisant tourner quelques glaçons dans le verre afin de le refroidir instantanément (puis jetez la glace). Ça fonctionne bien avec Mozart comme avec Bob Marley, ainsi qu'avec quelques pages du Grand MeaulnesL.M.

     

     

  • Loin, derrière (ou devant, c'est boomerang pareil)

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    Et tout à trac (ne me demandez pas pourquoi puisque je l'ignore), je pense à Roger Couderc (Allez les petits, ce soir les Poules ont du pain sur la planche...), à Pierre Salviac, à Bala (Pierre Albaladejo, le Dacquois magnifique, avé le D de drop, si souvent je t'ai serré la pogne aux corridax...), à ces années Blondin, ces années Cormier, ces années Dutournier (Alain, en contra barrera), ces années de pur-sang, de rire, de gouaille, de magrets entiers, d'amitié, de transmission, de passages de ballons et de bons mots, de traits d'esprit et de pastis liquides et solides, d'absence de peur ; et de laisser-braire 24/24... Chaque soir, j'avais le sentiment de rentrer dîner chez Kléber et de demander à Caroline ce qu'elle nous avait préparé à manger, l'été finissait sous les tilleuls, oui, pourtant je rentrais a casa à Bayonne, tranquilou, et maman était encore de ce monde; et nous avions un seul mot en horreur : Adios. L.M.

  • D'une île sans soufre

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    Bon, alors, soufré ou pas soufré, ton vin, garçon biobo? Magma Rock, un gamay (a priori) relativement insipide, légèrement "carbo", avec quand même des notes de cerise pas encore mûre, est un vin "nature" qui hésite. Il est élaboré à Volvic (pied de nez), en Auvergne, là où les AOC de respect et de mémoire ne sont pas encore Légion (et il figure au paragraphe Loire, à la carte des vins de cette table - Hum...). No Control est sa marque de fabrique. Cela induit une posture. Le devoir d'être un -vrai- rebelle, celui qui traverse en dehors des clous quand c'est piétons-rouge, tu vois?.. Genre... C'est par conséquent l'obligation de paraître, de plaire à des cons qui n'y pigent keuts, mais qui se gaussent, se haussent du col en sifflant des quilles de vin naturels qui puent parfois la pisse de chat, la serpillère oubliée et j'en passe. Là, c'est l'étiquette qui fait tiquer. Se ficher du monde devrait obéir à certains cadres néo-shakespeariens (sulfites or not sulfites?).

    Bu, néanmoins, en excellente compagnie, dans une gargote très, très Capture d’écran 2019-10-13 à 23.12.01.pngrecommandable, nommée D'une île, sertie au coeur du Perche, en pleine brousse donc, encensée par le Fooding entre autres gazettes branchouilles, sise du côté de Rémalard, et où la cuisine du jour obéit aux contraintes du marché, à l'éthique locavore (alentour pas trop loin e basta), et d'une façon d'être qui peut exaspérer, malgré la beauté époustouflante du lieu : soit le service Erasmus (comme au Septime, difficile de se faire comprendre, parfois), l'approximation des connaissances, l'accueil minimaliste : ce laisser-faire très baba, très contrôlé en réalité (ça va avec les tics bobo), mais, mais, mais, en cuisine, ça envoie !

    Betteraves en aigre doux, chèvre frais, mûres (forcément) sauvages remarquables, Poireaux crayons (bien pochés), vinaigrette crémeuse au savagnin (impossible d'en retrouver la trace : pas bien), noix (délicatement torréfiées à sec, donc croquantes : top), Tatin d'oignons (grande!) aux graines de moutarde, crème aigrelette, et ces ris de veau croustillants (façon canelé bordelais), sauce Ranch (un peu compliquée à décrire) à se damner (les ris, pas le ranch). Boudin noir généreux et aux saveurs profondes, mousseline (suave, collante comme il faut) de pommes de terre ("pdt" sur la carte : faiblesse notée), de jolis fromages locaux (dont un livarot pas mal), une meringue mémorable sur une crème montée qui noyait quelques fruits rouges (pas tous de saison : elles viennent d'où, ces fraises, ouh-ouh !), et, et, et...

    IMG_20191011_145945_resized_20191013_111314365.jpgIMG_20191011_150104_resized_20191013_111313845.jpgIMG_20191011_150106_resized_20191013_111313379.jpgUne for-mi-da-ble carte de vins nature, bios, biodynamiques, tout ça, avec des noms de domaines à se tordre de rire comme d'hab', et donnant envie de revenir rien que pour tâter du Poil de Lièvre de Bobinet, d'un nuits-saint-georges de Philippe Pacalet (s'il y en a), d'un vin de France nommé Sorgasme (en magnum, s'il vous plait - s'il en reste), de ces blancs du Jura (et retrouver le savagnin), des vins orange d'Italie et d'ailleurs, oxydatifs comme il faut, voire d'une eau-de-vie de Cazottes pour la jouer Glougueule, soit académiquement vôtre.

    Déco attendue : poutres, cheminée, roots à mort, le masque sur la tête de chevreuil naturalisée, le renard naturalisé lui aussi et posant, les paniers à salade métalliques chinés au vide-grenier un dimanche dernier, les tables dépareillées, les bancs, tout le toutim, et une autre salle extraordinaire (à privatiser sans doute) avec immense table en bois brut, cheminée du meilleur effet, bibliothèque à l'étage, en mezzanine, l'ensemble étudié au petit point, mais chaleureux, derrière cette grande baie vitrée métallique du meilleur goût parigot-tête-de-veau-ravigote, perché.  L.M.

    Photos du bas : D'une île fait partie du hameau L'Aunay, datant du XVIIe siècle. Cinq bâtiments : restaurant, hôtel  (huit chambres, vingt-deux lits), potager, huit hectares de prairies et de forêt. Un havre.

  • Whisky Express

    IMG_20181205_145532_resized_20181205_025738181.jpgCe mercredi, dans L'EXPRESS, je donne trois pages sur le sujet malté : la revanche des Single Grain. Delphinat à The Balvenie (Speyside). Et un choix de six beaux flacons pour les Fêtes. Enjoy, avec toujours un chouia d'eau dans le verre. L.M.  =>

    IMG_20181205_145652_resized_20181205_025737304.jpgIMG_20181205_145637_resized_20181205_025736550.jpgIMG_20181205_145622_resized_20181205_025735655.jpg

  • The Quiet Man

    Capture d’écran 2018-11-14 à 00.58.54.png« The Quiet Man », « L’Homme Tranquille », film de John Ford (1952) est un incontestable chef d’œuvre. L’Irlande paysanne et villageoise, sa nature, ses rivières à truites, ses pubs à stout coulant à flots, tout est là qui nous donne envie de prendre des billets pour Dublin ou pour Cork illico. Maureen O’Hara et John Wayne y sont splendides.

    Bon, le scénario hollywoodien fonctionne à fond sur le thème (grosso modo) : on ne réveille pas un flic qui dort. Clint Eastwood aura beaucoup donné dans la veine. Ici, la mesure de John Ford est d'une délicatesse touchante. L'ex-boxeur qui sait sa force meurtrière n'en usera pas une fois de plus, qui plus est avec son beau-frère. C'est un quiet man...

    À la 18è minute, nous étouffons un rire en lisant ce qui suit. C’est le frère aîné de la rousse de feu Mary Kate, que convoite déjà Sean, Red Danaher qui parle, lorsqu’il apprend que Sean Thornton, de retour des USA sur sa terre irlandaise natale, vient d’acquérir la demeure de sa famille, « La maison de l’aube », que celui-ci convoitait : « Il le regrettera jusqu’à sa mort, s’il vit jusque-là ». C’est délicieux. 

    À une heure et dix-sept minutes, la voix de Sean/John se fait plus glamour, lorsqu’il prend Mary Kate/Maureen, qui devient sa femme, dans ses bras de boxeur repenti : « Il n’y aura pas de verrous entre nous, sauf ceux de ton cœur mercenaire ». On adore. L.M.

    Capture d’écran 2018-11-14 à 00.57.32.png

  • Et toi mon coeur...

    G02242.jpgQuel titre ! Tout terriblement, quel titre magnifique pour une anthologie des poèmes les plus emblématiques - aux yeux de Laurence Campa, sa biographe chez Gallimard (éditeur de tout l’œuvre de Guillaume Apollinaire) -, et à nos yeux aussi... Cela est déjà suffisamment fulgurant pour exciter notre instinctive adhésion. La formule lapidaire, le trait forcément provocateur pourrait être entendu à l’opposé exact de la douceur, à l’extrémité même de la plupart des preuves de cette tendresse faite homme, au fil des textes que nous avons en mémoire vive et automatique, dès lors qu’un mot-clé surgit, qu’il se soit échappé d’Alcools, de Calligrammes, des Poèmes à Lou, du Guetteur mélancolique, de L’enchanteur pourrissant, ou du Poète assassiné - puisque nous sommes lecteur assidu et inconditionnel : Mirabeau, Souvienne, Demeure, Jeunesse abandonnée, Vin trembleur, Flamme, Sentimental, Soleil, Cou coupé, Regrets, Raison, Peine, Adieu, Voie lactée, Brin de bruyère... Quantité de vers aussi : Mon verre s'est brisé comme un éclat de rire... Ô ma jeunesse abandonnée... Vienne la nuit sonne l'heure... J'ai cueilli ce brin de bruyère... Ah Dieu! que la guerre est jolie... Et monCapture d’écran 2018-10-26 à 10.17.18.png mal est délicieux... Quand donc finira la semaine... La fenêtre s'ouvre comme une orange... Ou encore : Le ciel étoilé par les obus des Boches... Sont autant de chocs vivifiants qui frappent la porte entr’ouverte de notre armoire émotionnelle.

    Revivre nos sensations secrètes (nées à l'adolescence lorsque Alcools tomba entre nos mains), celles produites par la lecture de l’œuvre poétique fondamentale du XXè siècle, celle qui préfigure Supervielle, Jaccottet, Frénaud, de Richaud, Cendrars, Jacob, et tant d’autres compagnons de route, amis ou voix soeurs, n’est pas rien. Cette poésie pure, et en rupture pas si fondamentale au fond avec celle de Rimbaud, en prolongement (par saute-mouton) de celles de Verlaine, Baudelaire et Nerval, trouve là notre assentiment à jamais réitéré. Cette prose poétique aussi, qui engendrera Toulet, Jammes, La Tour du Pin, Jouve, Follain, Cadou... demeure. Mais Notre histoire est noble est tragique... (et) Les souvenirs sont cors de chasse / Dont meurt le bruit parmi le vent. L’Apollinaire, comme on dit l’alexandrin, est éternel. Le poète partage avec André Hardellet une certaine idée du désir : Mon désir est la région qui est devant moi, écrit Guillaume, lorsque André déclare que La ligne d’horizon, c’est le tour de taille de mes désirs. Mais l'Apollinaire qui compte le plus se résume ce soir, à nos yeux, à ces trois vers d'une beauté à jamais radicale :

    Et toi mon cœur pourquoi bats-tu

     

    Comme un guetteur mélancolique

    J’observe la nuit et la mort. 

    Ceci se situe bien au-delà aussi de l’idée de modernité, incarnée par le début du poème Zone : À la fin tu es las de ce monde ancien... Lequel a un peu vieilli, non ?.. Apollinaire avait « la grâce dans la variété et l'étrangeté » (le mot est de Montaigne).

    Cette édition de poche nous est très précieuse, car elle est illustrée d’une quarantaine d’œuvres d'art pour la plupart surréalistes, ou bien associées au mouvement du dictateur André Breton. Certains furent proches d'Apollinaire, dont les critiques d'art furent nombreuses : Matisse, Marie Laurencin, Picasso, De Chirico, Derain, Dufy, Redon, Delaunay, Chagall, Brancusi, Duchamp, Braque, Léger, Picabia bien sûr, pour l’origine Dada... Bien qu’en format microscopique, ces reproductions redonnent le fond, renvoient l’idée de, nous font plonger, regarder de plus près, imaginer aussi. Et donnent envie de revoir les oeuvres en grand, voire en vrai.

    Capture d’écran 2018-10-26 à 10.13.00.pngC’est le parti pris de la collection Poésie/Gallimard que de « donner à voir », comme le disait Éluard, depuis quelques années déjà, à la fois texte et création picturale. Nous avons déjà eu, relu, revu Char/Giacometti, Éluard/Man Ray, Char/Braque, Reverdy/Picasso... Avec ce Tout terriblement, Apollinaire rejaillit dans notre quotidien plus cru que d’habitude, et c’est heureux. Nous sommes ce soir complètement Marizibill, Madeleine, Orphée, Crépuscule, Jolie Rousse, Pont Mirabeau, Nuit rhénane, soit conquis, épris, imprégné, fébrile, totalement à Lou, follement en rupture, ignorant volontaire de cette Grande Guerre qui frappe encore et que l'on dira totale, tandis qu’une grippe que l’on nommera espagnole tue elle aussi par millions. L.M.

    Guillaume Apollinaire périt de la grippe espagnole le 9 novembre 1918, soit deux jours avant l'armistice. Il avait 38 ans. 

    Tout terriblement, Anthologie des poèmes d'Apollinaire, Poésie/Gallimard, 8,30€

     

     

  • Dossier Pays basque

    Je signe les 12+2 pages (et quelques photos, dont la couv. locale) consacrées au Pays basque gourmand dans L'EXPRESS qui paraît ce matin.

    À lire notamment : une longue randonnée savoureuse et zigzagante, de l'océan (La Chambre d'Amour, à Anglet) à la montagne (Iraty, et Larrau, en Soule). Un portrait de Cédric Béchade, chef de l'Auberge basque à St-Pée-sur-Nivelle. Un autre d'Éric Ospital, charcutier-salaisonnier à Hasparren. Un autre encore de Dominic Lagadec, encyclopédiste du sagarno (le cidre basque). Et enfin une brassée d'adresses de tables et d'hôtels (tous testés), sur la Côte et à l'intérieur du Pays.

    Aux kiosques, citoyens! Et vive la presse écrite print. L.M.

     

    IMG_20180704_084203_resized_20180704_105549697.jpgIMG_20180705_110620_resized_20180705_110738979.jpgIMG_20180704_103440_resized_20180704_103625366.jpg

  • Grands Caractères

    IMG_20180303_130639_resized_20180303_075620807.jpgMe voici donc, avec quatre consoeurs des merveilleuses éditions Passiflore - pilotées par les talentueuses Florence Defos du Rau et Patricia Martinez -, décliné en édition grand format, saisie en corps 18 à l'attention de ceux qui aiment lire mais qui ont la vue basse, comme on dit : il s'agit, pour mes consoeurs, de Fabienne Thomas, Marie-Laure Hubert Nasser, Pascale Dewambrechies, et Chantal Detcherry.

    Cette édition a la taille d'un cahier, avec des pages lisibles de loin, confortables à bout de bras, que l'on feuillette comme un tapuscrit ou presque. J'ai personnellement la joie d'y donner à lire (en bonus) une préface dont me gratifia Michel Déon en 1995, ainsi qu'une lettre de Pierre Moinot - autre académicien, auteur d'un inoubliable Guetteur d'ombre (Prix Femina 1979), datant de la parution de ce petit bouquin en 1992. C'est la quatrième version de Chasses furtives. Après ses éditions chez J&D, puis Gerfaut, chez Passiflore en version normale, voici - et chez le même éditeur donc -, celle en Grands Caractères, laquelle prolonge d'ailleurs la version numérique (e-book). Pour que continue de vivre la littérature, faites passer! L.M.

    Ci-dessous, la lettre de Pierre Moinot, et pour extrait, le début du livre : 

    IMG_20180303_202022_resized_20180303_082114625.jpgIMG_20180303_202332_resized_20180303_082420642.jpg

  • Le Cédrat de Martine

    Capture d’écran 2017-11-15 à 11.13.11.pngNon, décidément rien ne l'arrête. Martine Brana, distillatrice basque, après avoir ajouté à sa gamme emblématique (poire, prune, framboise...) une clémentine bio de Corse, puis un Gin au piment d'Espelette, propose à présent une eau de vie de Cédrat bio de Corse - élevée en cuves inox afin de préserver toute la fraîcheur de ce fruit doté de qualités organoleptiques exceptionnelles -, dont la suavité et la fraîcheur sont confondantes. Le nez est aussi puissant que séducteur, infiniment fruité et zesté, et l'attaque en bouche est forte comme une aube dans la forêt de Vizzavona, avec ce rien de résiné qui envoie du caractère. Il faut avouer que l'association de la Corse et du Pays basque, fut-elle alambiquée, ne produit pas de petit lait... Très belle persistance en arrière-bouche. On en redemande. 722 flacons seulement (50 cl, 44°, 83€). Dépêchez-vous, c'est un bijou. L.M.

    Cavistes, ou bien : brana.fr

  • A déguster jusqu’à la... lit

    Capture d’écran 2017-10-13 à 11.41.47.pngNous connaissions le château La Levrette, superbe bordeaux (rouge et blanc) élaboré dans le triangle d’or du Blayais par Laetitia Mauriac, et que j’évoque dans mon « Dictionnaire chic du vin » (lire plus bas les pages 213-214). Voici le chardonnay En Levrette, cuvée du domaine des Marnes Blanches, dans le Jura. Blanc ouillé, bio, élaboré par Géraud et Pauline Fromont sur un terroir à calcaires gryphées, son étiquette est sans équivoque.Capture d’écran 2017-10-13 à 10.26.49.pngCapture d’écran 2017-10-13 à 10.27.20.png Dans les deux cas, l’allusion originelle est claire, mais elle diverge (et dix verges, c’est beaucoup, me souffle Pierre Desproges) : d’un côté, la référence à une race de lévrier italien ainsi qu’à la femelle du lévrier commun figure, silhouettée, la queue glissée entre les pattes de derrière, sur l’étiquette du vin de Laetitia Mauriac. Celle aux lièvres qui bouquinent (se reproduisent) à la saison des amours, sur la parcelle où le chardonnay pousse, est signalée – non sans malice -, sur la contre-étiquette du vin des époux Fromont. Cependant, la seconde référence est un poil abusive, car, si le lièvre mâle se dit aussi bouquin – d’où le mot bouquinage, éloigné de toute lecture, fut-elle licencieuse (on le nomme aussi capucin, oreillard, rouquin…), et eu égard à l'activité à laquelle se livre alors le... léporidé, la femelle du lièvre se nomme hase, comme celle du lapin, lapine… Mais pas levrette. Qu’importe, après tout ! Le chardonnay enjoué du Jura y va d’ailleurs franco, et anticipe nos traits d’esprit. La rédaction a tout prévu (agrandissez la photo) : ce vin, subtil étreinte d'un terroir (...) sera le partenaire idéal de vos acrobaties gourmandes (...) En Levrette vous mettra à genoux… J’ai découvert par hasard son existence sur Internet, ce matin. Je ne l’ai donc pas encore eu en mains, ni goûté ci-devant (par derrière). Ce qui ne saurait tarder, au moins pour m’initier à une gymnastique – strictement œnologique -, consistant à associer lever de coude et génuflexion : Et hop, et hop… L.M.

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    Capture d’écran 2017-10-13 à 12.03.51.pngCapture d’écran 2017-10-13 à 12.04.21.png

     

    Notons qu’il existe par ailleurs une bière artisanale nommée Levrette (goûtée en aout dernier dans les Cévennes), qui elle aussi, ne se prive pas d’allusions grivoises sur son habillage, puisque sur le col de la bouteille, nous pouvons lire (voir ci-contre) : Une petite Levrette entre amis, puis, plus bas, Bière blonde de position... A vos marques !

     

     

     

     

     

    Capture d’écran 2017-10-13 à 12.21.42.pngCapture d’écran 2017-10-13 à 12.21.55.png

  • Plonger dans la Nive

    Merci à José Tiburce (un pote du Lycée de Bayonne - voilà qui ne rajeunit guère), d'avoir exhumé ce cliché datant du début du siècle dernier, où l'on voit nombre de personnes plonger dans la Nive, depuis le pont Pannecau d'où je plongeais, une nuit arrosée (pléonasme) de Fêtes de Bayonne. Le risque était inégal, car le mien - outre le niveau de l'eau variant au fil des marées, mais il fut diligent -, était celui de rencontrer une machine à laver ou un cadre de lit. Or, il n'en fut par bonheur rien, et mon nez fut épargné. Et l'effet, immédiat sur mon ébriété. L'autre différence, de taille, est la pureté de l'eau. Inutile de dire que je plongeais alors dans le glauque, dans les années 1990. Pas ceux du cliché. Mais... Si nous rêvions, à notre époque verte, de retrouver un jour, une nuit, une Nive praticable, et nos arrière-petits-enfants une rivière buvable?..

     

    https://www.youtube.com/watch?v=oT-fY6z7CPk

     

    Capture d’écran 2017-06-13 à 13.17.19.png

  • Clémentine

    photo bouteille clémentine.jpgCette splendide eau de vie de clémentine corse bio, c’est du pur fruit que l’on « mange » tandis que nous la humons longuement, puis la dégustons lentement, au goutte à goutte, et c’est aussi comme un panier de clémentines chaudement cueillies que l’on a respirées sur l’arbre, juste avant d'en éplucher quelques unes. C’est magique. La distillation est décidément une alchimie. C'est l’art de déstructurer (à leur arrivée, les fruits sont découpés à la main et mis à macérer), dans le respect absolu de la matrice, le produit « mère ». Ce que Martine Brana réussit à faire, avec ce nouvel opus - ajouté à la gamme prestigieuse de la distillerie Etienne Brana, dont elle est la talentueuse héritière. Voici la quintessence du fruit, une sublimation par la transparence éloquente de l’alcool. Bonus esthétique et séduisant, le flacon est d’un chic redoutable. Aussi troublant que ceux que l'on aperçoit encore, dans certaines pharmacies anciennes, sur l’étagère tout là-haut. Aussi fascinant qu’un élixir de longue vie embarqué par quelque grand marin explorateur du XVIII ème siècle, et que l’on dit capable d’affronter, en pensée - en pensée seulement-, les 40 èmes rugissants, le scorbut, la dysenterie, les Indiens et toutes les tempêtes de l’âme. Et du coeur aussi…

    Capture d’écran 2017-01-20 à 17.33.18.pngDonc, cette Clémentine. Qui résonne dans ma mémoire2016-12-14 01.16.04.jpg familiale… Car, ce fruit fut inventé  dans le verger de mon grand-père, au domaine Pont-Albin, sur la petite commune de Misserghin, située sur les hauteurs d'Oran. Une modeste orangeraie (avec des biagaradiers) qui devint le terrain de jeu expérimental du Frère Clément (Clément Rodier, 1839-1904), religieux spiritain. Le bien nommé était davantage attiré par la perspective d'effectuer des greffes dans le verger providentiel, que par l'orphelinat voisin dont il avait la charge... Il créera ainsi la mandarinette, rebaptisée plus tard clémentine, réputée sans pépins, à la différence de la mandarine; avec le succès que nous savons. En 1962, les nombreux pieds-noirs qui fuirent en Corse, ou qui retrouvèrent l'île de Beauté, y firent prospérer ce fruit nouveau. Aujourd'hui, 98% des clémentines en proviennent.

    Capture d’écran 2017-01-20 à 17.38.22.pngJe la savoure, cette Clémentine, comme je boirais l’eau glacée d’une source de montagne, à plat ventre contre le torrent, après une longue et rude randonnée on ne peut plus assoiffante, à cause du fil à retordre que des isards, et des truites fario nous auraient procuré.

    Et, c’est encore là, le miracle : cette eau de vie (44°) est un don, une apparition troublante. Une aventure sensorielle. Une émotion. A partager. Comme il convient de continuer de répandre la bonne parole à propos de la Prune, de la Poire et  de la Framboise issues de la distillerie artisanale basque. L.M.

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    812 flacons de 50 cl seulement. 80€ Sur réservation : Brana

    L'abus d'alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération.

  • Dossier Whisky dans L'Express paru ce matin

    photo 2.JPGVoici le papier principal, avec l'un des encadrés. Le reste est à découvrir en kiosque.

    Speyside 

    LE TRIANGLE D'OR DES SINGLE MALTS

    Ou : Des géants au cœur (de chauffe) tendre

    Visiter les diverses distilleries d’une région singulière démontre que la qualité d’un single malt de dépend pas forcément de la taille de la fabrique.

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    L’Ecosse aimante. Ses routes du whisky, dans le nord-est du pays, entre Aberdeen où l’on atterrit, et Inverness au nord-ouest, recèlent une concentration exceptionnelle de distilleries de renom, et d’autres modestes, donc discrètes, soit une cinquantaine environ – la moitié du nombre total des distilleries du pays. Nous sommes dans le Strathspey, à cheval entre les secteurs (Council areas) de Moray et duIMG_3438.jpg Highland. Speyside est le nom donné à l’une des grandes régions du whisky écossais*. Elle doit son nom à la rivière Spey qui la traverse, comme l’autre grande rivière du cru, la Livet, principal affluent de la Spey, avec également la Fiddich et l’Avon. Deux autres rivières, la Finshorn à l’ouest, et la Deveron à l’est, strient cette zone bénie des dieux de l’eau douce. Car, le whisky, c’est d’abord une question d’eau très pure. La région, humide, fertile, si généreusement irriguée, est propice à la production de l’orge, l’autre composante de « uisce beatha » l’eau de vie, en gaélique, qui a engendré le mot whisky. Ce triangle d’or jouit par ailleurs d’un climat tempéré, moins rude que sur les îles du nord ou du sud. Speyside est par conséquent un grand terroir entouré de montagnes, où nichent depuis des lustres de très grands noms du single malt.

    IMG_2987.jpgDouble maturation simultanée

    Grantown-on-Spey, Dufftown, Keith… Sont autant de noms de ravissantes bourgades qui résonnent dans le cœur de l’amateur de single malt du Speyside. Prenons une distillerie au hasard, parmi celles visitées, Aberlour, sise au sein du village éponyme. Elle a de quoi surprendre par le gigantisme des installations. Marque mondialement connue, la distillerie Aberlour fut fondée par James Fleming en 1879. Ici, comme chez de glorieux voisins : Glenlivet, Glenfiddich… Nous sommes au pays des géants de la distillation, là où les alambics sont énormes et nombreux, et les chais longs comme un jour sans scotch. L’obsession de l’eau pure, qui anime le whisky man, s’infiltre jusque dans l’étymologie : Obar lobhair, « la bouche du ruisseau qui murmure », en gaélique, a donné le mot Aberlour. La Lour (bavarder, en Gaélique, en référence au son d’une cascade), coule là, pas loin de la Spey. Et c’est, comme souvent, à proximité ABERLOUR 15 ANS SELECT CASK RESERVE DETOURE.pngimmédiate d’une source d’eau cristalline et d’une pureté absolue, ou du ruisseau élu qui en découle, que la distillerie a été construite. Autre caractéristique d’Aberlour, l’importance accordée au bois des fûts. Les single malt de la maison : 10, 12, 15, 16, 18IMG_3389.jpg ans, qui raflent souvent des médailles d’or ici et là, subissent une double maturation : « double cask matured », pendant au moins douze ans, à la fois en fûts de Sherry (ou de Xérès), espagnols, la plupart ayant contenu du Oloroso, et en fûts de Bourbon, soit américains et ayant contenu du bourbon. A l’inverse de beaucoup d’autres distilleries du Speyside, pratiquant un vieillissement principal, long, en fûts de Bourbon, puis une maturation plus courte en fûts de Sherry, Aberlour a très tôt opté pour la double maturation simultanée, avant de procéder à l’assemblage des distillats. La complexité des arômes des single malt du Speyside reflète ainsi, à des degrés, voire des dominantes divers, des notes de fruits confits et d’épices – signature des fûts de Sherry, et des notes de fruits frais, rouges, et des notes vanillées – signature des fûts de Bourbon. Mais, Aberlour se livre aussi, une fois n’est pas coutume, à des créations élargissant la gamme, qui font montre d’un esprit d’ouverture. Ainsi du A’bunadh (origine, en Gaélique), exclusivement vieilli en fûts de Xérès Oloroso. Il s’agit d’un « brut de fût » (Original Cask Strength) remarquable de puissance et de velouté (mangue, pomme rouge, léger fumé à l’attaque, épicé souple, notes cacaotées, pralinées, à peine tourbées, et de pain d’épices en finale). Une sorte de synthèse du Speyside. 


    IMG_3464.jpgL’obsession de l’eau pure

    L’histoire de William Grant, le fondateur de Glenfiddich en 1887, reflète bien aussi les rapports viscéraux que le distillateur entretient avec l’eau : lorsque, dans les environs de Dufftown, il découvre en 1886 Tobbie Dhu, une source d’eau très pure, William achète aussitôt le terrain qui l’entoure, au cœur de cette verdoyante et sauvage « vallée des Cerfs » (glenfiddich, en Gaélique), pour y bâtir aussitôt lui-même, pierre par pierre, sa propre distillerie, aidé de sa femme et de leurs neuf enfants –et d’un précieux maçon. Mais c’est l’œuvre de son gendre qui distingue cette marque avant-gardiste. Charles Gordon est parti voyager à travers le monde dès 1909 avec sa grande sacoche en cuir de médecin, garnie de trois bouteilles de Glenfiddich, ainsi que de nombreux carnets qu’il noircira scrupuleusement de notes variées fort intéressantes, pour faire découvrir son whisky, de Port-Saïd à Sydney, en passant par Bombay, Rangoon, Shanghai, Hong Kong, ou encore Auckland. Charles Gordon aura roulé sa bosse du commerce à travers les océans, et, ce faisant, l’homme d’un marketing embryonnaire aura fait connaître l’eau de vie écossaise dans son ensemble, en devenant aussi son premier ambassadeur. C’est d’ailleurs en hommage à ce voyage de onze mois, précurseur, de Charles, que son « doctor bag » - nous l’avons vu sur place, fatigué, tout fripé -, a été réédité l’an passé, en édition très limitée, par une jeune artisan du cuir, Edwina de Charrette (atelier « laContrie »). Glenfiddich, la marque au cerf et à la bouteille triangulaire si ergonomique, possède – c’est rare -, sa propre tonnellerie depuis bientôt 60 ans : reconditionnés et « toastés » sur place, les fûts espagnols et américains appuient la signature des single malt maison. Et, singularité totale, le single malt 15 ans est élaboré depuis 1998 selon le principe andalou de la solera, mais dans un foudre. (Après avoir vieilli en fûts américains neufs, il séjourne donc dans un foudre maison en pin de l’Oregon). Epicé, miellé, fruité (vanille, fruits rouges, pâte d’amande, cannelle, gingembre), le « Unique Solera reserve » est vite devenu l’un des best-sellers de la marque. 

    IMG_3397.jpgÉnorme mais bon

    Lorsqu’il fonde en 1824 la distillerie The Glenlivet, dans la Livet Valley, tout près de la précieuse source Josie’s Well (que l’on peut voir, dans le parc de la distillerie), George Smith est loin d’imaginer qu’il est un pionnier qui ouvre la voie des single malts, et que dans ses futurs chais, agrandis à plusieurs reprises, pas moins de 65 000 fûts font aujourd’hui maturer en permanence, les eaux de vie de la célèbre maison. Ces single malt sont les plus consommés aux USA, et ils ont beau représenter la deuxième vente de single malt au monde, « huge » (énorme) est parfois « beautiful ». La forte personnalité d’Alan Winchester, le maître distillateur maison depuis 2009, n’est pas étrangère aux récents et fulgurants succès de la marque, sur nombre de marchés exigeants. Force est de reconnaître que la complexité et la subtilité de la gamme de ces whiskys un brin oxymoriques ne peut qu’avoir rendez-vous avec le bon goût : ils allient puissance et finesse, fougue et douceur. Comme en témoigne le 18 ans, dont on peut remplir et signer soi-même une bouteille, à l’issue d’une longue visite de la distillerie, assortie d’une dégustation – le jour de notre passage en mai dernier, c’est Charles MacLean, l’un des plus grands experts en single malt du monde, et bien connu des lecteurs de L’Express **, qui y animait une master class. Cela s’appelle la proposition « hand fill » : Un must !.. (partagé avec d’autres distilleries, qui proposent le même « clou » de visite).

    Strathisla.pngSmall is beautiful

    La modeste distillerie Strathisla, à Keith, ses petits alambics coniques, c’est le charme de l’ancien. Il s’agit de la plus ancienne distillerie en activité. Bâtie en 1786 par George Taylor et Alexander Mine tout au bord la rivière Isla dont le bruit des eaux torrentueuses berce notre visite, elle est célèbre pour ses flacons millésimés, dont certains sont très vieux et hors de prix, et pour son 12 ans d’âge relativement confidentiel. Mais elle l’est avant tout pour sa production d’une gamme de blended de Chivas Regal (elle fut rachetée en 1950 par Chivas Brothers, et elle est depuis 2001 dans le grand giron du groupe Pernod-Ricard). Et comme le fameux 12 ans d’âge entre dans la composition des blends Chivas, nous retrouvons dans ce dernier ses notes de fruits secs, d’agrumes et de céréale. Cadeau ! La gamme des Strathisla Cask Strength Edition, qui titre près de 60° d’alcool, excelle quant à elle sur les desserts, avec un nez d’acajou et des notes d’abricot, de miel et d’agrumes. Nous avons pu le vérifier au cours d’un dîner spécial accords « cask strength editions » dans la « Chivas Gallery » (les chais de la distillerie), au cours du dernier Speyside Festival. 

    De taille raisonnable mais encore modeste, The Balvenie, située contre la distillerieIMG_3398.jpg de Glenfiddich, est une marque qui a le vent en poupe. La gamme maison exprime une douceur très reconnaissable, qui sculpte son succès. Le Single Barrel 25 ans d’âge, par exemple, vieilli en fûts de chêne américains de second remplissage, sélectionnés avec un infini scrupule, est un whisky très recherché, aux notes d’ananas, de vanille, de miel, d’épices poivrées et de boisé aussi, si caractéristiques de la marque synonyme de saveurs suaves et caressantes. La visite de la distillerie expose sereinement l’artisanat du travail, des greniers à orge aux aires de maltage traditionnel (unique), et il n’y a pas, jusqu’à l’échange de quelques mots avec David Stewart, le maître de chai - un vrai sage du Speyside -, pour nous conforter dans l’idée que des distilleries à taille humaine et à forte personnalité peuvent cohabiter avec des géants au cœur (de chauffe) tendre.

    Léon Mazzella

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    *Avec l’immense région des Highlands, dont il fait partie intégrante (le Speyside se situe entre les Northern Highlands et les Eastern Highlands), les Lowlands, les îles (Orkney, ou Orcades au nord, Skye à l’ouest, et les fameuses Islay, et Jura, entre autres, au sud), et enfin Campbeltown.

    ** Charles MacLean a animé l’an dernier une série de master class « whisky » dans les locaux de L’Express, qui ont rencontré un vif succès.

     

    IMG_2907.jpgAberlour et les accords musicaux

    C’est au cours du dernier Spirit of Speyside Whisky Festival, le premier mai dernier (la prochaine édition de ce « mois du whisky » foisonnant d’activités en tous genres : dégustations, concerts, repas thématiques, dans et autour des distilleries, se déroulera du 21 avril au 1er mai 2017), que nous avons pu faire une expérience singulière à la distillerie Aberlour : deux experts en musiques et en single malts, Joel Harrison et Neil Ridley, les « Cask strength boys », proposaient une sorte de master class intitulée « The Sounds of Aberlour », dont le but était d’associer cinq whiskies maison avec cinq musiques distinctes. Le résultat fut confondant, car il était évident, à la dégustation précise et à l’écoute très concentrée, avec Robinphoto 1.JPG mon studieux voisin de table, que le style du 8 ans d’âge correspondait à la musique planante des Pink Floyd, autant que l’expression du 16 ans Old Bourbon Cask se mariait à merveille avec les airs tonitruants de Johnny Cash. Une expérience. L.M.

     

  • La Gascogne reloaded

    Capture d’écran 2016-10-04 à 18.12.23.pngIls sont jeunes, ils sont minces, ils sont beaux, ils sentent bon les sables fauves, leurs vins sont subtils, équilibrés, francs, purs et droits, leurs armagnacs sont à la fois profonds et aériens, sincères et sans ambages, le packaging des flacons est design et chic… Ils peuvent, oui, incarner une nouvelle génération de vignerons gascons, éloignée des clichés bedonnants et chargés de cholestérol, de terroir à béret et à toiles d’araignée dans le chai. Cyril et Julie Laudet sont à la tête d’une bien jolie propriété landaise, sise aux confins des Landes et du Gers, en Bas-Armagnac, à Parleboscq pour être précis, et Cyril représente la huitième génération de vignerons sur le domaine Laballe, dans l’ex « Grand-Bas ». Propriété d’abord dédiée à l’eau de vie gasconne, c’est sous l’impulsion de Noël Laudet qu’elle amorce un virage capital dans les années soixante-dix. Cet ancien régisseur du château Beychevelle, à Pauillac, se lance à domicile dans le vin blanc. Et le succès

    SABLES-FAUVES-BL-paint.jpgrencontré par sa gamme d’armagnacs, est aussitôt entériné par celui de ses blancs secs, puis moelleux, et des rouges landais. Cyril reprend les rênes du domaine en 2007, des mains de son grand-père Noël. Son épouse Julie, femme issue du marketing dans l’artisanat du cuir haut de gamme du côté de Carcassonne, le rejoint en 2009. Elle est le complément d’objet direct de son vigneron de mari. Le terroir, de sables fauves, caractéristique de la région (le sable landais, les dépôts argilo-limoneux chargés en oxyde de fer venus du Gers) donne une belle minéralité et une grande fraîcheur aux vins. Laballe joue avec l'IGP Landes pour sa gamme Terroirs Landais – à laquelle Cyril tient, car il pourrait classer ces vins-là en Côtes de Gascogne, mais non… Avec, par exemple, un blanc sec 2015 formidable (gros manseng, ugni blanc, colombard et sauvignon), minéral, frais, au nez d’agrumes et pourvu de franches notes exotiques et d’abricot en bouche. Il existe en rosé et en rouge, mais nous ne les avons pas encore goûtés. Laballe propose aussi un audacieux chardonnay des Landes (a probar aussi). En appellation Côtes de Gascogne, nous avons goûté Les Terres Basses en rouge (2015) équilibré, corpulent, sans doute grâce au merlot qui partage le gâteau avec le cabernet sauvignon et le tannat. C’est rond, élégant, épicé, puissant mais doucement. Davantage que Raisin Volé, rouge goûté dans le millésime 2014, en AOC Tursan, et dans lequel tannat, cabernet franc et cabernet sauvignon s’assemblent raisin-vole-clos-cazalet.jpgavec une délicatesse remarquable. Le cabernet franc parvient à dompter le tannat, sous ces latitudes  - c’est connu. Et le cabernet sauvignon est alors un suiveur galant. La Demoiselle de Laballe est un blanc doux classé en Côtes de Gascogne vif, nerveux, sans graisse, svelte et néanmoins doté d’un joli moelleux, comme on le dirait d’un édredon frais : léger et caressant. A noter que le mordant et souple Raisin Volé est élaboré par Cyril Laudet, en collaboration avec un confrère indépendant, le domaine Cazalet. Car Laballe possède une vingtaine d’hectares autour de Parleboscq pour ses armagnacs et ses vins, mais travaille aussi en collaboration - sur autant d'hectares en culture -, avec des vignobles voisins. Mention spéciale à L’Oustig 2015 (envie d’écrire loustic), un blanc sec atypique, classé en Vin de France, confidentiel (4 barriques) étonnant de franchise, de flaveurs d’abricot, de fruit de la passion, rond à souhait, avec un soupçon d’acidité posé comme des parenthèses davantage que comme des guillemets. Gros et petit manseng, et baroque (rare !) composent par tiers l’encépagement de ce « vin nature » qui n’est pas levuré, et qui est d’une pureté et d’une droiture confondantes.

    Côté armagnacs, la gamme est somptueuse, qui fait la part belle aux millésimes, aux assemblages bien sûr, et à des flacons issus de monocépage : baco, ugni blanc, comme ce splendide 1991, 100% Baco, à la robe caramel luisant, miracle d’équilibre et de force contenue, avec son neztrio02.jpg agréable -oui- de térébenthine furtive, et une bouche opulente où les fruits confits et les épices douces dominent avec une ténacité souple. Finesse, rondeur, charnu, longueur respectable, sont les termes qui définissent ordinairement les armagnacs racés de Laballe dans leur ensemble. Et, la tendance étant devenue structurelle, la volonté de développer la consommation de l’armagnac dilué en cocktail, est une carte que Laballe joue à fond. Pour ce faire, la gamme « 3 (Ice) -12 (Rich) -21 (Gold) », au look très moderne, est étalonnée, et elle fait un carton dans les bars dédiés.

    Une dégustation d'un large éventail de la maison (vins et eaux de vie), se tenait d’ailleurs ce 4 octobre dans un bar (restaurant) à cocktails parisien de haut-vol : Gravity Bar. Ouvert il y a un an et des poussières par Marc Longa (ancien journaliste), avec un associé, et un chef de talent, Frédérick Boucher, ce lieu freestyle à mort, au look très sports de glisse donc, mais classieux : épuré, boisé façon surf scandinave, connaît un succès mérité. La recette ? -Un mélange de mixologie (l’art de faire des cocktails) de grande qualité, et de restauration franchement gastro, et au petit point. Témoin, ce déjeuner, donc, en parfaite harmonie mets-vins de Laballe, qui proposa des huîtres bretonnes, bouillon d’anguille, mini concombre et pomelo avec le Sables Fauves blanc 2015 précité : un mariage presque trop raccord! Un délicieux foie gras au torchon audacieusement escorté d’une betterave au goût parfait, ni terreux, ni sucré, riz sauvage soufflé bien croustillant (en écho salutaire au moelleux total du reste) et pourvu d'une pointe de grillé idoine : idéal avec L’Oustig. Un cube de poitrine de cochon laquée à se damner, avec une purée d’aubergines fumée formidable, champignons de Paris marinés, oignon croquant et sésame – sur le Raisin Volé et le Terres Basses, afin d’éprouver le crescendo des deux rouges. Enfin, la poire pochée au vin blanc, faisselle de chèvre (un peu trop épais, pouf-pouf, pas assez chantilly, le chèvre), miel et noisettes correctement torréfiées – avec la Demoiselle de Laballe, à la vivacité de jeune fille espiègle s’échappant à la fraîche dans la pinède… L.M.

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    Domaine Laballe, à Parleboscq 40310.  

    Gravity Bar, 44, rue des Vinaigriers, Paris 10ème 

    Photos de Julie et Cyril Laudet, et des bouteilles : D.R. 

    ALLIANCES :

    téléchargement.jpegQue lire avec tout ça? Le Vieux Saltimbanque, ultime roman de Jim Harrison (disparu en mars dernier), sorte d'autobiographie à la troisième personne d'un immense gourmand de la vie, amateur invétéré de grands vins de Bordeaux, de chasse, de pêche à la mouche, de poésie, et de (sa) femme(s). Flammarion - qui donne9782221192795.jpg envie de reprendre illico son inoubliable Dalva et ses Légendes d'automne (10/18). Et Les lois de l'apogée, de Jean Le Gall (Robert Laffont), roman élégant et fulgurant, incisif et mordant, subtil et délicat, qui dépeint ces trente dernières années, en France, à travers les déambulations littéraro-politico-sensuelles d'un trio infernal. 

    L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.

  • Whiskies des îles du Nord

    Dans L'Express qui paraît ce lundi, un papier (ci-dessous) à propos des  single malt des îles Skye et Orcades (reportage effectué en juillet dernier). Dossier Flacons de fêtes, piloté par Philippe Bidalon.

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    L’Express / 16 novembre 2015

    SCOTCHS DE L’EXTRÊME

    Dans les îles du grand nord de l’Ecosse, Skye à l’ouest et les Orcades à l’Est, les single malt sont salins, tourbés, fumés, et au caractère plus ou moins puissant. Découverte.

    Par Léon Mazzella

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    C’est selon. Sur ces îles d’une beauté sauvage et pure, propre à aimanter durablement le voyageur le plus rétif, les whiskys sont forts en gueule comme la voix de granite d’un pêcheur de harengs de haute mer, aguerri aux éléments les plus hostiles. Un reliquat d’esprit viking souffle l’île l’île de Skye, « l’île des brumes », en Gaélique, la plus grande de l’archipel des Hébrides (intérieures), longtemps placé sous domination norvégienne. Une seule distillerie y règne encore sans partage* : Talisker. Sur une terre de Clans qui se sont longtemps affrontés depuis l’aube de l’humanité, les McLeod étant ici les plus puissants, une situation monopolistique a de quoi décontenancer les va-t’en-bagarre, « just for sport ». Talisker, sise à Carbost, fut fondée en 1830. Propriété du groupe anglais Diageo, qui possède notamment la mythique bière irlandaise Guinness, les bourbons Bulleit, et des monstres comme Johnnie Walker, J&B, ou encore les superbes Cardhu, et Dalwhinnie, met l’accent, avec ses single malt tourbés, au caractère iodé, voire « algué », salé volontairement - et assumé, sur des produits épicés, puissants, qui ne laissent aucun consommateur indifférent. Talisker fait réfléchir et stoppe, un instant, toute conversation. C’est un signe. Sa gamme (lire encadré), est « rough » : elle vivifie l’esprit. Elle est l’expression de la sauvagerie indomptée, sauf dans votre palais. Un voyage, en somme…

    Dans un gant de velours

    Avec Scapa, sur Orkney, l’île principale des Orcades, nous sommes déjà loin de Skye. C’est la plus septentrionale de l’Ecosse, sise en terre Viking assurément. Nous touchons ici à la grâce, à la douceur, à l’apprivoisement souverain, lequel semble se moquer des éléments pourtant tout aussi hostiles qu’à Skye, sur ces Orcades insolentes de beauté féline et fatale, mais qui possèdent un surcroît de délicatesse paysagère, mamelonnée, suave, sensuelle – ceci à la seule lecture d’un paysage qui invite à pêcher la truite à la mouche sèche en lac, et à chasser les limicoles, si nombreux sur l’île principale de cet archipel éclaté en une multitude d’îlots au relief déchiqueté, avant de boire le scotch du soir. Kirkwall est l’épicentre de l’archipel. C’est là que le voyageur atterrit. La distillerie, propriété du groupe Pernod-Ricard, porte un nom qui invite à l’évasion, à « s’échapper ». Un verre suffit. Surtout de l’emblématique 16 ans d’âge, à la douceur confondante, voire « rassemblante », œcuménique, propre à réconcilier tous les amateurs de whisky suave, qui – pour un jeu de mots, vous écharpe davantage qu’il ne vous échappe. Fondée en 1885, la distillerie (depuis laquelle nous pouvons voir voler les huîtriers-pie, et autres courlis cendrés, tout en dégustant), propose depuis quelques semaines à peine, un nouveau whisky phare, empreint d’une douceur régressive, et qui semble vouloir assagir les éléments ambiants, comme on coupe le son d’un geste. Ce nouveau frère du célèbre 16 ans, nommé Skiren, aux accents de Bourbon, est un scotch réconciliateur entre tous.

    Un mot, pour finir, sur la seconde distillerie d’Orkney, car elle est d’une infinie discrétion. Elle se nomme Highland Park, et propose en particulier un 25 ans d’âge remarquable. Comme quoi, sur ces îles du grand nord écossais, des palettes s’expriment en toute liberté, et signent le caractère protéiforme d’une zone qui vous attache. Et c’est ainsi que les îles sont à l’ancre… L.M.

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    *Une seconde distillerie pourrait cependant y voir prochainement le jour, qui répondrait au nom de Torabhaig. A suivre.

     

    Notes de dégustation :

    Talisker Skye. Ce single malt délicatement tourbé, excelle sur le saumon cru. Notes d’orange à la fois amère et confite, de poivre noir, de gros sel, de fumée franche et de bois neuf mêlées – en plus de cette touche finale de caramel mou, qui semble vouloir excuser la rudesse des éléments.

    Port Ruighe, de Talisker, subit une double maturation en fûts de Porto, qui produit des notes de fruits rouges, en plus du fumé et du iodé caractéristiques de la marque.

    Talisker Storm porte bien son nom. Tempétueux, en plus d’être fumé et iodé comme ses frères, il est miellé et surtout épicé (poivre) et d’une belle puissance.

    Scapa 16. Comme une main de fer dans un gant de velours. Un single malt « under control ». A peine tourbé, et avec ses accents de tarte Tatin, de gingembre, de clémentine, de miel de bruyère, la fameuse bouteille « 16 » est une référence insulaire.

    Scapa Skiren. Notes miellées, fruitées, voire cacaotées en fin de bouche. Un accent d’Irish whiskey, une douceur briochée, fruitée (poire), et saline aussi. Un futur whisky de synthèse qui devrait connaître un grand succès auprès d’une clientèle jeune, attentive, exigeante.

    Highland Park 25 ans : Scotch singulièrement tourbé sans être envahissant. Les arômes subtils, floraux, fruités, surnagent ici comme par enchantement.

    L.M.

  • Spécial Vins de L'Express

    Il est paru ce matin, avec l’hebdo. 100 pages de plaisir, placées sous la houlette de Philippe Bidalon, auxquelles nous avons ardemment collaboré. Cours vite au kiosque le plus proche, citoyen papivore et amateur de bonnes bouteilles, afin que VIVE LA PRESSE ECRITE!

    IMG_3490.jpgA lire, notamment, des papiers sur le crowdfunding et le vin, les Bordeaux primeurs, un tour de France des vignobles (nous avons abondamment traité la Loire, l'Alsace, le Sud-Ouest, la Champagne, et pas que), les livres, l'Armagnac, les rosés de l'été (tant de flacons dégustés pour une sélection drastique et à haute valeur ajoutée garantie par nos papilles réunies), et encore bien d'autres réjouissances, dans ce numéro très spécial, très goûteux, très gouleyant, salivant, soiffard parfois, profond aussi, sincère toujours.

  • Avant-première

    Les sites de vente en ligne annoncent déjà mon prochain livre, qui paraîtra fin août : Dictionnaire chic du vin (Ecriture), c'est 350 pages serrées d'hédonisme, de sérieux et de déconne, d'éloge du bien-vivre et du sang de la vigne - et ses inséparables connotations littéraires, musicales, sensuelles. Voici un aperçu capturé sur le site de la fnac : 

    Capture d’écran 2015-04-14 à 08.42.30.png(avec une belle faute d'orthographe -ZZ- sur la couv. provisoire)
    Capture d’écran 2015-04-14 à 08.48.16.png

  • Txotx!

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    Papier qui paraît dans le dernier numéro de Pyrénées magazine :

    Txotx

    MOJON !

    Par Léon Mazzella. Photos : Serge Bonnet

    Le cidre basque n'a rien à envier à son rand cousin normand. Mieux : d'aucuns prétendent que ce dernier lui doit quelque chose… Reportage à Txopinondo, cidrerie basque du nord, avec Dominic, encyclopédiste du sagarno, lors du Txotx, la fête annuelle du cidre nouveau.

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    Il a beau être né en 1955 à Falaise (Calvados), Dominic Lagadec est le plus Basque des Normands, malgré un nom breton. Autant dire qu’il a toujours vécu “dans les pommes”.  L’apuru (patron) de la cidrerie Txopinondo ( "rassemblés autour d’un verre"), qu’il a créée à Ascain en 1998, est une encyclopédie du sagarno, le vin de pomme (Sagar : la pomme et no : qui vient de). 

    La définition juridique du cidre est “boisson fermentée à base de pommes”, et il est assimilé aux “vins tranquilles” blancs, rouges et rosés au regard des Douanes. Une cidrerie – le Pays basque en compte une centaine, surtout en Gipuzkoa, et en particulier autour d’Astigarraga et de Hernani –, désigne le lieu où l’on transforme les fruits cidricoles à pépins (pomme, poire, nèfle, coing…), à l’exception du raisin. Elles sont devenues au fil du temps des lieux de restauration. Certaines, comme Txopinondo, reçoivent le jus des pommes qui ont été pressées en Espagne, puis celui-ci est mis en barriques et il fermente à Ascain, jusqu’à la fête du Txotx, soit du cidre nouveau, qui a lieu autour de fin janvier - début février. Le terme, arrangé phonétiquement, dérive du basque zotz (petite branche d’arbre), et désigne le bout de bois qui obture l’orifice de la kupela (barrique de 5 000 à 15 000 litres – certaines peuvent contenir jusqu’à 30 000 litres !), par lequel jaillit un jet de cidre que l’on recueille dans son verre, à la queue leu leu et en file indienne, lorsqu’il est ôté d’un coup sec et à intervalles réguliers, au cri rassembleur de “mojon !” (ça mouille !), lors des longues soirées extrêmement conviviales et festives dans les cidreries, de l’hiver au printemps. Le succès rencontré par le rite du txotx et les cidreries en général va croissant et a vu passer la production du sagarno produit dans l’ensemble du Pays basque (nord et sud), de un million de litres en 1970 à douze millions aujourd’hui*. Cependant, 15 % seulement du cidre est consommé dans les cidreries et 85 % est mis en bouteilles. Le sagarno est largement distribué et même exporté : c’est le “French farm taste” très prisé des Américains, précise Lagadec, tout en mettant la dernière main au préparatifs de sa grande soirée : dans quelques heures, c'est l'ouverture de la fête annuelle du Txotx, à Txopinondo. 150 convives sont attendues, des personnalités comme José Mari Albero, qui dirige Sagardo Etxea à Aztigarraga, le maire-adjoint d'Ascain, Jean-Pierre Ibarboure… Les txuletas sont prêtes à être grillées, et la musique est assurée cette année par l'ensemble bayonnais Kriolinak. Le nombre de buveurs de cidre augmente donc vite, reprend notre encyclopédiste, et dépasse de beaucoup celui des pommiers! 

    Une histoire en dents de scie

    L’histoire du cidre basque a pourtant connu des vicissitudes et fait parfois du yoyo. La présence de pommiers en terre basque est attestée dans un document daté du 17 avril 1014, signé du roi de Navarre Sanche le Majeur.  Les cidreries sont nombreuses au Moyen-Âge, sur la Côte, autour de Bayonne et de Saint-Jean-de-Luz, et l’apogée de la culture de la pomme basque se situe au XVIIe siècle. Un pèlerin de Compostelle écrivit alors de façon imagée que l’on pouvait aller “de Bayonne à Bilbao sans descendre d’un pommier”, raconte Dominic Lagadec, tout en vérifiant ses kupelas : "C'est mon 16è Txotx ici". Nous goûtons le cidre 2013, qu'il voit évoluer depuis mai : "moins alcoolisé que l'an passé, son goût est plus franc, plus sec", commente-t-il, "sa belle robe jaune paille et jus de citron est superbe. En bouche, le pamplemousse et la mandarine explosent doucement" . "Il fut même un temps où les marins pêcheurs basques et normands échangeaient leurs greffons de pommiers en pleine mer", poursuit Dominic. Réputé pour combattre le scorbut, le cidre était également embarqué pour l’usage de l’équipage. D’aucuns prétendent même que les marins basques auraient très tôt exporté leurs meilleurs pommiers vers la Normandie, où la culture du cidre se généralisa au XIVe siècle, puis s’étendit à la Picardie, à la Bretagne et à l’Angleterre. 

    Il y a un siècle encore, la Normandie achetait des pommes en Gipuzkoa, car le savoir-faire de la transformation (distillerie, mise en bouteilles) était encore inexistant en terre basque. Une variété de pomme du Pays d’Auge se nomme d’ailleurs Bisquette (de Biscaye) et une pomme basque s’appelle Normanda. L’apogée du cidre, quant à elle, date de la fin du XIXe siècle, lorsque le transport des pommes se faisait par bateau de Honfleur à Bayonne, puis par bœufs depuis Hendaye. La culture de la pomme périclite avec la fin de la pêche hauturière et l’arrivée du maïs. La consommation du cidre passe derrière celle du vin, les goûts et le commerce évoluant. La fin de la seconde Guerre mondiale met un coup d’arrêt à la culture du cidre basque, jusqu’à la fin des années soixante, où un regain d’intérêt s’amorce, qui ne fera que croître, avec la forte demande, notamment, des sociétés gastronomiques de Donostia, et la mise en bouteille du sagarno qui se généralise. La consommation du cidre s’accélère après la mort de Franco en 1975, qui voit aussi l’essor du Txakoli. Le modèle de la bouteille de cidre basque, baptisée Sagardo est déposé en 1982. Aujourd’hui, c’est un million de repas “txotx” typiques - avec  omelette à la morue, txuleta (côte de bœuf), fromage de brebis, membrillo (pâte de coing), noix et cidre à volonté (pour 30 à 35€) qui sont servis chaque année. Le sagarno, qui titre 6°, est consommé dans l’année et il ignore le sulfitage, ce qui en fait un produit plutôt naturel, que l’on peut boire (avec modération) jusqu’au bout de la nuit. Ce premier février, l'ambiance conviviale augmente avec le temps, la chaleur, les chants, le cidre, les agapes et les rires se font plus clairs, plus forts et communicatifs. Les convives, venus en famille, entre potes ou en groupes, lèvent les verres et trinquent. Dominic passe entre les longues tablées, puis repart vers une kupela en lançant un long "Mojoooon!"..  L.M.

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    (*) En règle générale, les variétés Basques de pommes entrent dans la composition du sagarno à 30 % minimum (et jusqu’à 50%), puis ce sont des variétés Normandes, et enfin Espagnoles, en provenance des Asturies et de Galice, qui servent à son élaboration.

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    Relancer la culture de la pomme

    La municipalité d’Ascain exprime sa volonté de relancer la culture de la pomme en replantant des pommiers. Le village offre déjà un pommier à la naissance de chaque Azkindar. Et l’élection d'une ambassadrice de charme, la Reine de la Pomme se tient le 15 août depuis 8 ans.

    Cidreries du nord et du sud

    À l’exception de Txopinondo à Ascain, et de quelques restaurants cidreries où l’ambiance est reconstituée, comme Ttipia à Bayonne, le Fronton à Arbonne et la Cidrerie à Biriatou, l’écrasante majorité des cidreries se situent en Guipuzkoa, notamment autour des villages d’Hernani, comme la cidrerie Zetala, et d’Astigarraga : cidreries Rezola, Bereziartua, Petritegi, Alorrenea, Zaplain ou, proche de San Sebastian, Burkaiztegi. Fini le temps des cidreries rustiques au rez-de-chaussée en terre battue des fermes aux murs tapissés de kupelas, et où l’on mangeait le repas Txotx à la bonne franquette. Les cidreries modernes sont d’immenses salles de réception un rien froides, de prime abord, mais elles ne le restent jamais longtemps…

    Fêtes du cidre

    Txotx, début février, marque l’arrivée du cidre nouveau et l’ouverture des cidreries de tout le Pays basque.

    Autour du 21 mars, Kukuaren Kupela (la barrique du coucou), est une fête printanière qui rappelle une rite ancestral : lorsque le coucou chantait (il fallait alors avoir une pièce de monnaie dans la poche !) ceux qui n’avaient pas encore consommé tout le cidre durant l’hiver, le montraient au village. C’était un signe extérieur de richesse.

    À la mi-juin, le cidre est également fêté et donne lieu à un festival de chantsIMG_2483.jpg de marins (en langues Basque, Gasconne, Bretonne et Française), qui se tient en souvenir des marins qui partaient en Terre-Neuve et au Labrador : le sagarno embarqué servait de monnaie d’échange avec les Indiens des rives du Saint-Laurent (il était troqué contre de la graisse de baleine, qui servait à s’éclairer).

    À la mi-septembre, à l’occasion des Journées du Patrimoine, le Ban du Pressage donne
    lieu, à Ascain, et à l’aide des pommes des vergers du conservatoire municipal, à des démonstrations de pressage à l’ancienne (à l’attention des écoliers) dans les vieux pressoirs comme celui de Txopinondo qui date de 1875.

    Pour Urtezahar (la veille de la St-Sylvestre), un réveillon sans cotillons (avec viandes nobles et boisson à volonté, 55 €) se tient à Txopinondo, afin d’enterrer “la vieille année”. L.M.

     

     

     

  • Créer son propre blend

    photo.JPGPapier paru dans L'Express de cette semaine. Une expérience.

    Master class whiskies

    CRÉER SON PROPRE BLEND

    Par Léon Mazzella

    Quel amateur de whisky n’a pas rêvé d’élaborer son propre « blend », un whisky d’assemblage, qui lui ressemble ? Les master class organisées par Glen Turner sont l’occasion de se livrer à cet exercice particulier.

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    Ils représentent l’écrasante majorité des whiskies consommés dans le monde. 92% des whiskies écossais sont des Blends. Ils sont issus à 40% whiskies de malt, ou Pure malt (élaborés exclusivement à partir d’orge maltée, soit germée une fois humidifiée, puis séchée) et à 60% de whiskies de grain (maïs ou blé dans des proportions variables). S’ils n’ont ni la profondeur ni la complexité des Single malt (Pure malt provenant d’une seule distillerie), les « Blended » présentent l’avantage d’être chacun le fruit d’un mélange de cinq à cinquante malts issus de plusieurs distilleries, réalisé par le « Blender », ou maître de chai, dont le savoir-faire, avec l’alambic à distillation en continu, confine à l’alchimie. Notons que c’est à la faveur de l’épidémie de phylloxéra qui détruisit le vignoble européen à la fin du XIXe siècle, dont celui de la région de Cognac, que les Blends connurent un essor considérable – qui perdure. 

    La première étape de la master class animée par Charles MacLean, « maître du malt » (lire notre édition du 15 octobre), consiste, pour la vingtaine de participants (dont quatre femmes, le 5 décembre dernier), tous amateurs concernés, à déguster six whiskies représentatifs de la palette écossaise, aux saveurs tantôt florales, épicées, fruitées, caramélisées, boisées (single malt, blends), tantôt fumées, salines, marines (Islay), et dont la coloration varie en fonction de l’élevage. En effet, au-delà de la pureté des matières premières, et de la bonne conduite de la distillation, MacLean souligne l’importance du vieillissement en fûts de chêne, américains ou européens (espagnols notamment), dans l’élaboration du whisky, et son principe de métamorphose : « c’est comme si l’eau-de-vie était une chenille qui entrait dans un fût et qu’elle en sortait transformée en papillon : le whisky », dit-il. 

    A tâtons

    Les participants sont par ailleurs invités à réfléchir aux alliances gustatives avec une dizaine de snacks spécialement élaborés pour révéler les flaveurs spécifiques de chaque scotch. Qu’il s’agisse d’un sablé au parmesan et légumes confits, d’un saumon à la plancha, gingembre et citron vert, ou bien de pomme verte, de magret fumé, de tartare d’algues, de cheddar, de kumquat, d’œuf mimosa, ou encore des gambas au fenouil, l’aptitude des whiskies à soutenir des préparations audacieuses est confondante.

    Chacun est enfin avide d’en découdre avec l’étape expérimentale : être soi-même le « blender » de son propre whisky en réalisant le mélange qui convient à sa personnalité, ce à partir de cinq échantillons issus de plusieurs distilleries : quatre malts en provenance du Speyside, de l’île d’Islay, des Highlands et des Lowlands, et enfin un whisky de grain. Laisser libre cours à des dosages personnels oblige au tâtonnement, puis à forcer ou à minimiser selon son goût, le côté granuleux des Lowlands, la touche caramélisée des Highlands, le fumé et la pointe médicinale du Islay, la complexité céréalière du whisky de grain. Sans oublier d’ajouter de temps en temps un peu d’eau dans son verre au cours de l’élaboration expérimentale. Incomparable révélateur des saveurs du whisky, elle est l’alliée la plus sûre du dégustateur, blender or not.

     

     

     

  • Le Français a du whysky-appeal

    Papier paru hier dans L'EXPRESS de cette semaine :

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    Charles MacLean, maître du malt

    Par Léon Mazzella

     

    Le droit mène à tout… Même au whisky. Charles MacLean, pantalon écossais, moustache blonde soignée, regard vif, en est la preuve vivante : cet éphémère avocat, né en 1951 à Glasgow et vivant à Edimburg,  a troqué sa robe pour les habits de globe-trotter au service sa majesté le malt. Depuis, il parcourt le monde animer des Master Class pour le compte de diverses marques de whisky. Une passion née dans l’adolescence. A 16 ans, Charles se lie d’amitié Charly Grant, le fils du propriétaire de la distillerie The Glenlivet. Par atavisme et en plein cœur de la région du Speyside, Charly initie naturellement son pote Charles à la dégustation d’une eau de feu que ce dernier juge d’abord imbuvable, puis agréable, intéressante, complexe, intrigante. « Le whisky n’est pas franchement un easy drink », confie-t-il encore aujourd’hui. Désormais piqué au malt, il écrit des textes sur sa boisson favorite pour des agences de communication. Vite repéré pour la sincérité de ses articles sur l’élaboration, l’art de la dégustation et l’histoire du whisky, il travaille pour quantité de marques. En 1988, Charles rédige son premier livre, The Pocket guide of Scotch Whisky. Sa voie est tracée, on  s’arrache désormais ses commentaires. Il entame alors une carrière de conseiller, anime des ateliers de dégustation en Ecosse, puis au-delà du Mur d’Hadrien. Consécration, il participe à la réalisation du film La Part des anges, de Ken Loach. « Ce fut un sacré booster, avoue-t-il. Mais surtout une belle aventure. D’abord sollicité comme expert, Ken m’a demandé un matin d’interpréter mon propre rôle. ‘’Be yourself !’’ me lança-t-il. » 

    Voilà comment Charles MacLean est devenu l’un des connaisseurs les plus respectés de la planète maltée. Celui que The Times a sacré, en 2010, meilleur expert du whisky d’Ecosse, confesse avoir également une attirance pour les flacons japonais, indiens et taiwanais, en humant avec gourmandise un pur écossais Glen Turner Heritage, lors des premières master class* organisées dans l’Hexagone par la distillerie créée, en 1981, à Bathgate (Ecosse) mais en activité depuis 2004 seulement, et qu’il animait fin septembre à Paris. 

    L’occasion, pour notre expert, de rappeler combien il apprécie l’amateur français (rappelons que, avec 1,26 million d’hectolitre achetés en 2011, la France est le premier pays consommateur de whisky), car « votre culture du vin, des eaux de vie ambrées et de la gastronomie en général, vous donne un incomparable whisky-appeal. Chaque Français est un whisky-addict avec lequel j’ai plaisir à parler des grands whiskies comme des crus classés. » 

    Autour de son cou, une sorte de coquille saint-jacques se balance au gré de ses gestes amples. C’est son pedigree absolu : MacLean n’est pas peu fier d’être Master of the Quaich (en gaélique, quaich désigne le verre à whisky idéal). Ce club vénérable l’a non seulement adoubé comme Keeper (gardien du temple), en 1992, mais promu Master, il y a cinq ans, soit le titre suprême, partagé par une petite cinquantaine d’heureux élus de par le monde. Un sésame. 

     

    * Six whiskies furent proposés au cours de cette dégustation exceptionnelle : deux single malt des Highlands, Old Pulteney 12 ans d’âge (floral, aromatique, marin) et Clynelish 14 ans (suave, profond) ; un single Highlands malt, Glen Turner 12 ans (boisé, tourbé, miellé, réglissé) ; un whisky d’assemblage de malts de 15 ans d’âge, Glen Turner Heritage (boisé, vanillé, fruité, caramélisé) ; deux Islay single malt, Bowmore 12 ans (fumé, salin) et Kilchoman Machir Bay (fumé, boisé, marin). 

  • LUXE, CANNE ET VOLUPTÉ

    rhum.jpegPapier paru dans le hors-série "vins" de L'Express il y a quelques jours => allez, zou! tous au kiosque! Pour que vive la presse écrite!

    Rhums agricoles

    LUXE, CANNE ET VOLUPTÉ

    Par Léon Mazzella

    Il y a le rhum de mélasse – à la sonorité déjà dégradante, issue de résidus de sucrerie, et dont on fait la plupart des rhums basiques de la planète. Et puis il y a le rhum de canne, issu de la fermentation et de la distillation du vesou, le jus de canne à sucre. Et ça a une autre allure – au nez comme en bouche. Pour cela, il n’y a guère que la Martinique (et la Guadeloupe, bien que celle-ci ne bénéficie d’aucune AOC) qui vaillent. D’aucuns en produisent à La Réunion et à Maurice, mais force est d’admettre que les seigneurs de l’agricole nichent sous les tropiques antillais, rompus depuis des siècles à l’élaboration minutieuse du rhum à base exclusive de jus de canne. Le rhum agricole doit son acte de naissance au Père Jean-Baptiste Labat qui, en 1694, bricola une guildive (eau-de-vie sucrée) afin de soigner la fièvre. Ce qui autorise les guadeloupéens (en créole, « pèrlaba » désigne un esprit fûté) à se considérer comme les inventeurs de cet alcool, car le missionnaire dominicain l’élabora à l’artisanale distillerie Poisson, sur l’île de Marie-Galante. La culture de la canne connut alors un essor considérable qui dura jusqu’à l’aube du siècle dernier. 

    Une AOC pour la Martinique

    Il y a eu les dix commandements, les douze salopards et les sept samouraïs ; et puis il y a les onze rhums. De la Martinique. En obtenant une AOC le 5 novembre 1996, les apôtres de la canne à sucre, plante introduite dans l’île en 1638 par Christophe Colomb, ont hissé le rhum agricole et le rhum agricole vieux au niveau des meilleurs alcools européens. Que celui qui n’a jamais confondu un excellent cognac, voire un armagnac ou un calvados (lire par ailleurs dans ce numéro) avec un rhum agricole vieux en les dégustant à l’aveugle, lève le doigt. Ces liqueurs ambrées répondent aux jolis noms de Depaz, Lamauny, Bally, Clément, Neisson, Dillon et autres J.M. (Crassous de Médeuil, pour les intimes), Trois Rivières, Old Nick, Saint-James, Habitation Saint-Etienne (HSE pour les initiés du rhum de Gros-Morne)… Rappelons d’une ligne qu’il y a peu encore, le rhum entrait dans nos foyers par la cuisine, au placard pâtisserie, et n’en sortait, ni à l’heure de l’apéritif, ni à celle du digestif. Il aura fallu la mode des cocktails pour que le rhum agricole (blanc, d’abord) sorte du bois (et du formica). Le rhum ambré et le rhum vieux attendaient leur heure. Aujourd’hui, ce dernier s’apprécie seul comme une autre eau-de-vie brune, à l’instar d’un armagnac, et escorte à l’occasion son vieil ami le havane. À l’heure où les tourments de la vie quotidienne encombrent notre esprit, un rhum, un cigare, et ainsi soit-il ! Cela permet en effet de tirer un trait sur les soucis tout en faisant apparaître des saveurs de vieux souvenirs, des splendeurs aromatiques où se mêlent soleil et miel, canne et vanille, poivre et cuir, touffeur humide et sourire caraïbe. Avec un couple aussi sensuel, tout est affaire de calme et de volutes. Luxe, canne et volupté, en somme. 

     

    IMG_1225.jpgDU VESOU AU FOUDRE

    Le « vin de canne », ou vesou, titre 5 petits degrés. Il est issu de la fermentation éthylique du jus par l’action des levures naturelles, puis il est distillé (en continu) dans un alambic à colonne, composé de plateaux « d’épuisement » qui reçoivent le vin par le haut. Le résultat titre 70°, qu’il convient de diluer jusqu’à obtenir 55° ou  50°, selon que l’on souhaite faire un rhum ambré, un rhum vieux, ou un rhum paille ou bien un blanc, bien sûr (ils sont tous « agricoles »). Les rhums agricoles passent de un à quinze ans en foudres de chêne. Quatre ans sont nécessaires pour obtenir un VSOP, six pour un XO, et entre huit et douze ans pour qualifier un rhum « Vieux hors d’âge ». L.M.

     

     

     

  • L'ivres-se

    IMG_1225.jpgPapier sur les livres évoquant le vin et autres breuvages paru dans le hors-série vins de L'EXPRESS / L.M.

     

    L’AUTODÉRISION DE L’AMATEUR BOBO

    Mimi, Fifi & Glouglou, par Michel Tolmer, L’épure, 96 p., 22€

    Les habitués de l’hilarant site Glougueule, « pour les hommes et les femmes de glou », créé par Michel Quesnot, connaissent les aventures  - sous-titrées : « Petit traité de dégustation » - de ce trio de joyeux drilles qui n’a qu’une obsession : déguster des vins à l’aveugle. Michel Tolmer, célèbre dessinateur au service de la dive, nous régale en pratiquant l’autodérision avec finesse. Car son trio, loin d’occuper « les territoires de l’arrogance et de la morgue », comme le dit justement dans sa préface Jacques Ferrandez, autre auteur célèbre de BD et compagnon de zinc, se vautre avec joie dans la syntaxe du bobo qui ne désigne un vin que par le prénom du vigneron, ou bien par la parcelle inconnue dont est issu ledit vin. Un grand moment de rigolade à lire à la régalade.

     

    livres vins.jpegLE RUBAN MAGIQUE

    La magie du 45è parallèle, par Olivier Bernard et Thierry Dussard, Féret, 160 p., 19,50€

    Ce ruban planétaire –situé entre le 45ème et le 50ème parallèle -, est une sorte de ligne de démarcation, « une ligne de partage où convergent les équilibres », résume Olivier Bernard (Domaine de Chevalier, dans les Graves), coauteur de cet ouvrage avec le journaliste Thierry Dussard et vingt-six contributeurs aussi prestigieux dans leur domaine propre, que Michel Serres, Alain Dutournier, Jean-Louis Chave et Jean-Robert Pitte. C’est donc à la fois une bonne étoile et un beau mystère, car il permet d’engendrer des vins exceptionnels sur son sillage. Comme il existe ainsi une ligne de partage du vin (à l’instar de celle des eaux), une « ligne à haute tension » qui ne donne « rien de trop », souligne l’écrivain Jean-Paul Kauffmann dans sa préface. C’est le méridien de Greenwich des amateurs du sang de la vigne, « le tracé de l’excellence », « le fil rouge de l’excellence viticole », précise Aubert de Villaine (même si le 45è touche surtout Bordeaux et si la Côte d’Or se situe sur le 47è). Car il faut s’y résoudre : c’est là que ça passe, par ce juste milieu que ça se passe, là que l’équilibre se fait et que l’excellence naît,  par le biais d’une alchimie aussi poétique que scientifique, mais que l’indispensable savoir-faire de l’homme vigneron parachève. Parallèle jacta est, pourrait-on ajouter. 

     

    LA BIBLE EFFERVESCENTE

    Un parfum de champagne, par Richard Juhlin, Féret,  400 p., 54,50€

    L’auteur, réputé être le plus grand expert au monde des vins de Champagne, est un surdoué du nez, un souverain pif ! Il en a dégusté et noté 8000 pour cet énorme livre appelé à faire date. Œnologue suédois, journaliste wine globe-trotter  et conférencier recherché, Richard Juhlin offre cette somme dont l’ambition est d’être, de son propre aveu, « une approche aromatique orientée sur le plaisir de la dégustation, reflétant ma propre philosophie de l’effervescence champenoise ». Une sorte d’autobiographie ouvre le livre, qui se poursuit naturellement par des chapitres évoquant l’histoire, la géographie, le savoir-faire champenois, enrichie d’une galerie de portraits et de l’écho prodigieux du champagne dans nos univers culturels. Il s’agit cependant d’un propos personnel à chaque page, car Juhlin est davantage épicurien que technicien : « je transforme en mots ces instants fragiles de la dégustation où je sens le champagne », écrit-il par exemple. La seconde partie de l’album, qui passe en revue 8000 flacons, force le respect, car non seulement les notes reflètent un talent, mais elles font également écho, avec sensibilité et respect, aux hommes et aux femmes qui élaborent le vin le plus magique du monde. Et l’auteur d’ajouter  « une chose est certaine, après avoir dégusté tous ces Champagne, la vie est trop courte pour boire du cava espagnol ! ». Pop… 

     

    LE VERRE EST UN PASSEUR D’ÉMOTION

    Inspirations, par Gérard-Philippe Manbillard, Glénat, 25€

    L’idée, originale, revient à Christian Michellod, qui créa la Fondation Moi pourlivres vins1 1.jpeg Toit, destinée à venir en aide aux enfants de Colombie. Puis ce livre, pour évoquer les vins du Valais (Suisse) en invitant des stars du cinéma, du sport, de la littérature, de la mode ou de la musique à photographier le plus librement possible un verre de vin. Cela produit un livre estuaire, « dont les histoires se rejoignent comme des rivières qui se jettent à la mer ». De Paul Smith à Sandrine Bonnaire, d’Eric Neuhoff à Viggo Mortensen ou encore de Jacques Dutronc à Zinédine Zidane et Sarah Moon, 56 regards très personnels et redoutablement esthétiques pour la plupart composent un album singulier.

     

    TRONCHES ANGEVINES

    Vignerons d’Anjou, Gueules de Vignerons, par Jean-Yves  Bardin (photos) et Patrick Rigourd (textes), Anovi, 128 p., 22 €

    C’est un livre de douceur. Angevine, pour le coup. La galerie de portraits brut nature de cette pléiade de vignerons d’Anjou est une ode à l’humain qui travaille la vigne avec talent, constance et pugnacité tout en respectant  les lois naturelles et en repoussant l’intrant chimique comme la peste. Il y a des stars : Nicolas Joly, Agnès et René Mosse, Patrick Baudouin, Mark Angeli, Jo Pithon, Vincent Ogereau… D’autres un peu moins connus. La plupart travaillent « en bio » et tous affichent ici leur authenticité, car ces portraits saisis sur le vif comme une côte sur la braise, disent l’Anjou vigneron qui hisse son savoir-faire au plus haut depuis quelques années, et vise les sommets. Feu !

     

    SAKÉ MODE D’EMPLOI

    L’Art du saké, par Toshiro Kuroda, photos d’Iris L., La Martinière, 224 p., 49€

    Toshiro Kuroda est un sakéologue passionné par ce produit japonais méconnu, sorte de « bière de riz », fabriqué à base de riz rond, poli, fermenté, puis pasteurisé et qui exprime une palette aromatique à faire pâlir les vins les plus complexes. L’auteur nous dit tout sur l’élaboration du saké et sur les différentes familles de cet alcool plusieurs fois millénaire : sakés aromatiques, de goûts, de fraîcheur, matures. Sakés namazake (crus), futsushu (de table), junmaï (sans distillat d’alcool), de garde, ou encore kimoto (au levurage naturel). Il nous ouvre également les portes des grandes maisons de saké. Le livre – aux photos splendides, s’accompagne enfin de recettes au saké signées par de grands chefs français. Zen et raffiné

     

    Ô MAGNY !

    Into wine, une invitation au plaisir, par Olivier Magny, 10/18, 250 p., 13,10€

    Le créateur de l’école de dégustation Ô Chateau et du bar à vins parisien éponyme, est un sommelier autodidacte passionné, ayant le beau souci de transmettre son goût pour le sang de la vigne avec humour et fraîcheur. Olivier Magny raconte ici son propre parcours dans le monde joyeux des vignerons du monde entier avec sensibilité et humilité. Il est question dans cet ouvrage un peu fourre-tout de biodynamie, de wine-makers, de bouteilles coups de cœur, des courbes comparées de ventes de pauillac et de Prozac, de l’affligeante propagande anti-vin, de l’art de lire une étiquette ou encore des « terroiristes ». Une saine invitation au plaisir à picorer au hasard.

     

    livrevinn.jpegODE EN BD À LA BOURGOGNE 

    Chroniques de la vigne, par Fred Bernard, Glénat, 152 p., 19,50€

    Auteur de nombreuses BD pour la jeunesse, Fred Bernard, né à Savigny-les-Beaune, fils et petit-fils de vignerons, choisit de raconter le vignoble bourguignon à travers une conversation atypique et chaleureuse avec son grand-père. L’ouvrage est enrichi d’extraits lumineux des « Effets psychologiques du vin », d’Edmondo de Amicis (L’Anabase). Les dessins sont sensibles, et l’approche « tutoyante » du vin par les propos tendrement passionnés du papy, rendent l’ouvrage infiniment touchant.

     

    ALIMENTAIRE, MON CHER…

    Boire sans grossir, sans excès… Et sans nuire à sa santé, par Laure Gasparotto, Flammarion, 230 p., 17 €

    Le vin est un aliment. Il fallait le rappeler et l’hédoniste Professeur Jean-Didier Vincent l’exprime brillamment dans sa préface. Laure Gasparotto prolonge cette tautologie de façon quasi scientifique : dis-moi quel est ton métabolisme et je te dirai quels vins boire, lance d’emblée l’auteure (en précisant d’ailleurs que les vins dits naturels ne sont pas davantage bons pour la santé que les autres). Laure invite à boire avec modération, toujours pour le plaisir et plutôt en mangeant, nous aide consciencieusement à choisir les vins afin de ne pas grossir, établit des « points santé » selon les couleurs, les appellations et même selon les domaines ! Apprendre ainsi que le champagne d’Anselme Selosse est bon pour notre corps, réjouit l’esprit (en taquinant le porte-monnaie), mais bon, tant qu’on a la santé… 

     

    AUBERT DE VILLAINE A DISPARU

    La Romanée contée, Pinot noir contre Dragon blanc, par Simmat & Bercovici, Vents d’Ouest, 64 p., 12,50€

    Le duo a encore frappé. Le journaliste Benoist Simmat au stylo (infos garanties bien « sourcées »), et Philippe Bercovici, « l’homme qui dessine plus vite que son ombre » aux crayons,  nous donnent une nouvelle BD en forme de polar bachique ayant pour thème l’énigmatique disparition, lors d’une soirée donnée à Clos Vougeot, du plus célèbre vigneron français, Aubert de Villaine, « l’homme de la Romanée-Conti ». Et c’est parti !.. Le lecteur se régale, croise Bernard Pivot, François Pinault, Robert Parker et Louis Ng, milliardaire chinois, embarque pour Macao, le tout dans un tourbillon hilarant et captivant comme un thriller. Remettez-nous ça !

     

    SAINT-EMILION VU DE L’INTERIEUR

    Esprit de Saint-Emilion, par Daniel Rey et Geneviève Jamin, photos de Flavio Pagani, Les éditions d’Autils, 264 p., xxx €

    Plus d’un million de personnes visitent chaque année Saint-Emilion, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, mais personne, ou si peu, ne pénètre l’intérieur des châteaux les plus célèbres du cru. C’est à ce voyage que « Esprit de Saint-Emilion » nous convie, en faisant la part belle aux photos. En feuilletant, nous avons le sentiment d’être un instant l’hôte des propriétaires de crus aussi célèbres qu’Angelus, Ausone, Cheval  Blanc ou Troplong-Mondot. Et d’entrer dans le salon de l’un d’eux, d’en investir le canapé, de passer par la cuisine et d’y soulever un couvercle. Pour une fois, nous ne sommes plus les visiteurs des seuls chais. Le lecteur possède les clés, et ici, tout est luxe, calme et volupté, dirait Baudelaire. Raffinement et décoration bourgeoise en disent long sur les habitants des lieux. Peut-être autant que leurs vins eux-mêmes.

  • La bière fait son cinéma

    Je publie ce papier dans STUDIO Ciné Live magazine de ce mois-ci.

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    Nous sommes loin de la Croisette, loin des stars, du strass et des paillettes. Le temps du Festival est derrière nous, l’été est déjà là. Passons au comptoir et dans la salle obscure, ou devant notre écran le temps de quelques films. De brasserie en brasserie, nous allons sillonner en pensée les pays de la bière, à commencer par la Belgique, la Hollande –et surtout Amsterdam, Heineken city-, en nous livrant au jeu des alliances impromptues du septième art et de la cervoise. 

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    C’est parti : « On va au Winchester, on boit une bonne bière en attendant que les choses se calment ». Cette réplique se trouve dans le film « Shaun Of The Dead». Une pellicule chargée de zombies un rien romantique, signé Edgar Wright, avec Simon Pegg et Nick Frost. Avec une telle toile, c’est une Pelforth brune qu’il faut, ou bien une Tiger, la bière de Singapour. 

    Car il existe des bières adaptées à chaque type de film : une Heineken, une 33 Export, sont des « mousses » qui conviennent particulièrement bien aux comédies légères et aux films à l’humour qui flirte parfois avec la gaudriole soft. Ce sont ces DVD que l’on regarde par un dimanche après-midi, lorsque l’on revient de la plage, comme « Dix bonnes raisons de te larguer », comédie davantage dramatique que romantique réalisée par Gil Junger  (et adaptation contemporaine de « La mégère apprivoisée », de Shakespeare). Dans « Incognito », d’Eric Lavaine, avec le chanteur Bénabar et Frank Dubosc à l’affiche, il y a ce dialogue piquant : « Mais tu peux pas mettre un slip, bordel ?- Pourquoi ?- Bah, je sais pas, tu ne t'es pas dit un moment aujourd'hui, tiens je vais mettre un slip ? (…) - Pas de slip, pas de bière !.. » C’est plutôt drôle, et donc rafraîchissant comme une blonde pression.

    Dans un registre voisin, le cultissime « Dîner de cons », de Francis Veber, avec Jacques Villeret et Thierry Lermitte, recèle une perle qui offre une touche gastronomique – n’oublions pas la cuisine à la bière, chère aux Flamands :  « Moi mon truc, c'est de rajouter une petite goutte de bière quand j'ai battu les œufs ... - L'adresse, bordel ! » Villeret prend d’ailleurs l’accent belge à plusieurs reprises dans ce film désopilant.

    Avec les westerns, il ne faut pas hésiter à déguster une Desperados ! Cela s’impose. S’agissant des films d’aventure, de cape et d’épée ou bien des films historiques qui revisitent des mythes inusables, il y a les bières fortes, un brin rustiques : Murphy’s, comme Foster’s se fiancent allègrement à cet extrait de « Robin des Bois, Prince des voleurs », interprété par un Kevin Costner magistral, dans une réalisation tonitruante que nous devons à Kevin Reynolds : « Le manger est à la portée de tous les imbéciles, mais notre seigneur, dans sa divine sagesse, a prévu une meilleure façon de le consommer. Et levons une prière de remerciement à notre créateur qui, dans sa bonté céleste, nous a donné... la bière. » C’est un hommage! Notons que choisir ici de boire une Affligen, une bière d’abbaye et de légende, serait même « raccord ». Les bières brassées par des moines sont mystérieuses. Et grâce soit rendue aux cisterciens qui inventèrent la bière trappiste. Les bières d'abbaye (bénédictines ou norbertines), sont en revanche brassées de façon « laïque », soit rarement  au sein d'une abbaye. 

    bière - st.jpegAvec de vieux films devenus des classiques, où les scènes de beuverie abondent, comme « Un singe en hiver », d’Henri Verneuil, interprété par Jean Gabin et Jean-Paul Belmondo (d’après l’inoubliable roman d’Antoine Blondin), nous pouvons nous laisser aller à choisir des bières toniques et à fort caractère, comme ces trois méditerranéennes : Cruzcampo pour l’Espagne, Moretti pour Italie, Sagres pour le Portugal, et ne pas hésiter non plus à ajouter une larme de Picon dans l’une de ces cervoises : « Le Picon-bière, ça pardonne pas. C'est de ça que mon pauvre papa est mort. Il n'y a rien de plus traître ! » Évidemment, cela reste une réplique. L’exagération est fréquemment de mise, au cinéma. 

    Avec des comédies déjantées, voire hallucinogènes, qui flirtent avec le genre thriller, comme le célèbre « Las Vegas Parano », il convient de pencher pour des bières rousses, comme George Killian’s et Adelscott. Cette dernière possède une touche particulière car elle est aromatisée au malt à whisky : « On avait une galaxie multicolore de remontants, sédatifs, hilarants, larmoyants, criants, en plus une bouteille de tequila, une bouteille de rhum, une caisse de bières. (…) Non qu'on ait eu besoin de tout ça pour le voyage, mais quand on démarre un plan drogue, la tendance, c'est de repousser toute limite. » Le film de Terry Gilliam n’y va pas de main morte, comme nous savons, et Benicio del Toro comme Johnny Depp y sont de vrais ambassadeurs de notre boisson de prédilection.

    Dans « Un jour sans fin », de Harold Ramis avec un Bill Murray formidable et une Andy MacDowell éblouissante, nous avons cette réplique fameuse, qui va si bien à une bière pression servie directement à la maison, à l’aide un Beertender® en forme d’obus, redoutablement chic et chargé d’une blonde classique, pourquoi pas de l'Amstel : « Toute la vie c'est la même chanson, nettoie ta chambre, tiens-toi droit, essuie-toi les pieds, sois un homme, n'embête pas ta sœur , ne mélange jamais la bière et le vin, oh oui, ne conduis jamais sur la voie ferrée. » 

    Si nous choisissons de voir un dessin animé, une bière sans alcool comme la Buckler est toute désignée. À la rigueur, nous choisirons une Panach’. 

    Nous repensons alors au Fischermännele, le petit garçon Fischer des plaques émaillées de notre enfance. Il est assis sur un tonneau et vide goulûment une grande chope. Cette bière alsacienne bien houblonnée se prend à la pression et à la hussarde, sans chichis ni cacahuètes, dans la plupart des bars situés au nord du 45è parallèle. C’est la bière parfaite pour regarder un film tendre, un drame psychologique pourvu d’une happy end.  

    Enfin, la série culte « Dexter », dans laquelle Michael C. Hall interprète Dexterstudio.jpeg Morgan, expert en médecine légale et assassin de criminels, il y a cette sortie un brin brutale : « D'habitude, je viens ici pour balancer des corps par le fond. Pas des bouteilles de bière comme un gros dégueulasse. » Associons là d’emblée à des bières étrangères aux noms évoquant le septième art : Star, la bière du Nigeria, ou bien Stella, la bière égyptienne, et nous voici aussitôt propulsés sur la piste aux étoiles. L.M.

     

    Pseudo : Enzo Luppolo (houblon, en Italien).

     

  • LE CALVA OSE

    IMG_1225.jpgReportage paru dans le hors-série Vins de L'Express, juin 2014

    Longtemps confiné au rang d’eau-de-vie mineure chez nous, le Calvados a conquis le monde, où il est synonyme du savoir faire français artisanal et prestigieux, tout en plongeant sans complexe dans des cocktails auxquels il doit peut-être sa survie. Reportage en Pays d’Auge. Par Léon Mazzella

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    Ne dites plus jamais calva pour évoquer le Calvados. « Dit-on pinard pour désigner un margaux ? », s’indigne Jean-Roger Groult, du domaine éponyme classé en AOC Calvados Pays d’Auge (lire encadré). Ne demandez donc plus jamais « un p’ti calva » pour commander cette eau-de-vie brune qui souffre encore d’une image poussiéreuse et dévalorisante d’alcool que l’on verse dans l’eau chaude pour se requinquer, ou bien dans le café (le café-calva, encore appelé « café nature » dans certains bars de la côte normande), comme de l’image de cette bouteille oubliée en haut de l’armoire du bistro ; au mieux de celle du « trou normand ». L’interprofession s’évertue à redorer le blason d’un alcool quelque peu en déshérence à l’intérieur de ses frontières. Car, à l’étranger – le Calvados s’exporte en moyenne à 55% et jusqu’à 87% dans certaines maisons comme Boulard -, l’eau-de-vie de cidre jouit d’une image forte : celle d’un produit à forte valeur ajoutée culturelle, fruit de l’inimitable savoir-faire français. Artisanal, précieux, chic, raffiné, cosy. 

    La griffe du Pays d’Auge

    Au sein de l’appellation qui représente l’excellence du Calvados, nous trouvons, d’une part un jeune artisan qui se hisse modestement à la première place mondiale – Jean-Roger Groult (Calvados Roger Groult), en respectant la tradition d’un savoir faire maison depuis cinq générations. Pas très loin, un autre trentenaire, œnologue de formation, se plait à expérimenter les effets du bois sur l’eau-de-vie : Guillaume Drouin effectue un travail d’orfèvre, artisanal aussi, depuis trois générations. Nous avons d’autre part un trio de choc avec une puissance de feu considérable, trois Calvados complémentaires, unis pour la force, le luxe et le très haut de gamme à l’exportation : Spirit France, qui regroupe les Calvados Père Magloire – une légende française -, Boulard, et Lecompte. Et entre ces deux pôles, il existe d’autres maisons qui privilégient aussi la qualité et cultivent le prestige français auprès des nouveaux grands marchés comme la Russie et la Scandinavie. Le Calvados du Breuil est de ceux-là. Nous pourrions également citer Pierre Huet, Adrien Camut, Michel Huart, Louis Dupont… Nombreux sont les apôtres du Calvados de respect qui savent s’appuyer sur des méthodes traditionnelles et s’ouvrir à un monde moderne qui répugne de plus en plus à consommer des alcools titrant 40° en fin de repas, mais qui s’intéresse en revanche à leur dilution dans des cocktails de haute volée.

    Le meilleur Calvados du monde

    Jean-Roger Groult, 32 ans, à la tête de l’exploitation familiale qui porte son nom et qui distille depuis cinq générations du Calvados sur les hauteurs du Pays d’Auge, au sud de l’appellation – à Saint-Cyr du Ronceray très exactement -, peut être fier du travail accompli par les huit personnes qui font vivre la distillerie, car son Calvados Roger Groult 3 ans a été sacré meilleur Calvados du monde, et son Calvados Roger Groult Venerable, Calvados d’argent lors des World Calvados Awards (*), qui se sont tenus à Londres le 20 février dernier. Sa réflexion est simple, qui repose sur le maintien d’une recette ancestrale qui marche – il ne la change donc pas -, mais l’améliore en douceur tout en continuant de plaire à des clients, dont certains suivent la marque depuis plus d’un demi-siècle. Au Clos de la  Hurvanière, siège bucolique et typiquement normand de cette dynastie de distillateurs récoltants, 25 variétés de pommes à cidre prospèrent sur 23 hectares (6 en Basse-tige et 17 en Haute-tige), qui fournissent la moitié des fruits nécessaires au domaine (l’autre moitié provient des vergers environnants), et donnent un cidre qui repose lentement près d’un an, avant de subir une double distillation artisanale dans trois petits alambics « à repasse », chauffés exclusivement au feu de bois (250 à 300 stères par an sont nécessaires), puis élevés dans des fûts centenaires. La production annuelle, de 50 000 bouteilles en AOC Calvados Pays d’Auge, est issue de 600 tonnes de fruits. « Le goût Groult, on le reconnaît à l’aveugle ; c’est un style », déclare sans aucune forfanterie Jean-Roger, en plongeant une pipette dans un fût noir. Ce goût, c’est un mélange de finesse, d’élégance, de féminité, de subtilité. Pas d’alcool fort chez Groult, « et tant pis pour les marchés qui en réclament », ajoute-t-il en tendant un verre de son Calvados Vénérable. « Nous avons une approche naturelle du produit depuis 150 ans, car nos fournisseurs traitent à peine leurs arbres et, ici, sans le vouloir, nous faisons de l’agriculture raisonnée, en continuant juste à faire comme on a toujours fait! ». Chez Groult, une tonne de pommes posées sur la plateforme en béton originale, inventée par son grand-père Roger, avant de passer sur un pressoir à bandes, donne 680 litres de jus qui devient cidre. 600 tonnes annuelles donnent 400 000 litres de cidre à 7° à distiller, soit environ 40 000 litres de Calvados. « On ne cherche pas le sur rendement, on distille le cidre qui a un an de cuve – lorsque le minimum légal est de 6 semaines -, ce qui permet de travailler un alcool racé, aromatique, structuré ». Jean-Roger se fiche par ailleurs du bois neuf. « La dernière fois qu’on en a acheté, c’était dans les années 80. En revanche, certains fûts de la maison sont centenaires et n’ont jamais été totalement vidées. Celle-là, dit-il en prélevant dans une vieille barrique du chai historique de l’ancêtre Pierre, mort en 1918, contient plus de 60 millésimes, et donne notre Réserve Ancestrale, d’âge inconnu… On sacrifie ainsi chaque année une partie de la récolte, en l’ajoutant à de vieux Calvados qui prennent le jeune par la main ». Selon un principe qui s’apparente à celui des soleras d’Andalousie, Jean-Roger et son maître de chai ne proposent pas de Calvados millésimés (excepté un 2002) – ils n’ont d’ailleurs pas la demande-, et préfèrent se livrer à un jeu d’assemblages sans fin, « parce que l’assemblage, c’est comme le métissage, cela donne toujours quelque chose de plus beau », déclare Jean-Roger.

    L’artisanat haut de gamme

    Autre son de serpentin chez Drouin, où la réflexion sur l’origine des fûts utilisés est capitale : ils ont servi au Porto, au Xérès, au Banyuls, au Madère, aux grands Médocs et, une fois grattés et passés au cidre par M. Duchemin, tonnelier à Honfleur, ils confèrent leurs saveurs propres au Calvados. Le travail sur les vieux millésimes – mis en bouteilles après vingt ans de fûts minimum ! – la marque de fabrique Drouin, est également fondamental. Cela donne l’occasion à Guillaume Drouin de se livrer à des expérimentations qui enrichissent sa gamme protéiforme de Calvados (notamment « Expression » : des eaux de vie issues d’un seul type de fût). Les Calvados Drouin ont conquis le monde, d’abord sous la houlette de son père Christian, lequel s’associât avec un distillateur et bouilleur de cru de génie, Pierre Pivet, dont l’alambic ambulant (construit en 1946), désormais fixé, trône et sert toujours (avec deux autres alambics), à la distillation. La douceur de la voix de Guillaume se retrouve d’ailleurs dans un verre de 1993, dans un autre de 1970. Ou encore de 1939 (issu d’un lot de fûts enterrés pendant la guerre, et mis en bouteille 47 ans plus tard, en 1986). Cet homme mesuré aime écouter la nature, observer les vaches lorsqu’elles secouent les pommiers, entendre les pommes tomber. Il la respecte, aussi : hormis la bouillie bordelaise, soit le strict minimum, utilisée dans les vergers, il n’y a aucun intrant artificiel dans le domaine du Cœur de Lion, d’ailleurs en 3ème année de conversion en agriculture raisonnée, et où les pommes sont délicatement écrasées par des presses « à paquet ». Les Calvados sont issus à la fois de cidres jeunes, et sont peu aptes au vieillissement, et de cidres d’un an qui donnent une colonne vertébrale, puissance et complexité aromatique aux Calvados de garde. Malgré ces attentions, Drouin père et fils sont très à l’écoute des nouveaux modes de consommation, en cocktails, de leurs Calvados d’exception. Car leurs meilleurs ambassadeurs sont les barmen et autres mixologistes experts en cocktails, qu’ils s’appellent Colin (du mythique Ritz-Hemingway), Robin (ex-Silencio, à Paris), ou qu’ils animent les nouveaux bars branchés parisiens comme Experimental cocktail club, Marie Celeste, Sherry Butt, et le Coq. Sans parler des bars de l’étranger. De même, Christian Drouin est loin de négliger les 25 à 30 000 visiteurs annuels de son domaine, qui peuvent déguster jusqu’à 35 millésimes, car « cela vaut mieux que toutes les pages de pub ! », renchérit-il en accueillant un groupe de chefs cuisiniers Lettons.

    L’esprit français « marketé » 

    Vincent Boulard, en charge désormais de la communication de Spirit France, bien qu’intarissable sur sa marque éponyme, est fier du développement dans la complémentarité des trois marques du giron : un Père Magloire relooké et rajeuni, au positionnement populaire, un Boulard entre moyen de gamme et prestige, et enfin un Lecompte, qu’il définit comme « le Calvados des connaisseurs ». Trois démarches commerciales distinctes, des marchés communs à la base, un mode de consommation nouveau – sur glace et en cocktails – « en plein boom, et nous accompagnons avec force cette tendance », dit-il, « comme nous demandons à nos maîtres de chai, avec le grand respect qu’on leur doit, car ils restent au centre de notre stratégie, d’élaborer des Calvados assemblés selon une feuille de route, des figures imposées en quelque sorte, afin de répondre aux attentes des consommateurs, pays par pays ». Chez Spirit France, le marketing est roi, la démarche à caractère industriel préside aux choix stratégiques (c’est relatif, eu égard aux volumes : le Cognac représente par exemple 22 fois le Calvados), mais cela n’empêche pas Vincent Boulard et ses équipes de s’intéresser de près au grain du bois, plus ou moins fin, qui diffuse plus ou moins ses tanins, et de passer commande chaque année de centaines de fûts brûlés et montés sur mesure, pour coller à des cahiers des charges pointus. Vincent Boulard sait depuis longtemps (son père le lui avait prédit), qu’il travaille aujourd’hui à vendre du Calvados comme on vend du parfum. D’où le soin considérable apporté au packaging, d’où les carafes et les coffrets luxueux : les flacons, au look « parfum » en effet, atteignent des prix tropéziens pour des Calvados : jusqu’à 350€, comme le multivintage de Lecompte, le Boulard Extra ou le Père Magloire 35 ans d’âge. Certains flacons « top luxe » sont à l’étude, qui atteindront 500€ l’unité. Sans compter les éditions spéciales, les « coups », comme cette cuvée « Ike » (Eisenhower) : 15 exemplaires, dont deux ont été offerts à Barack Obama et à François Hollande le 6 juin prochain. Le reste (sauf un pour les archives) sera vendu au profit des vétérans du Débarquement de Normandie… « Notre chance a été de rechercher et de trouver un investisseur, afin de grandir encore davantage, qui ne soit pas un géant du whisky par exemple, car le petit Calvados s’y serait noyé. Avec Timour Goriaïev – qui nous laisse travailler -, comme avec Christophe Clavé, qui préside Spirit France, le souci est uniquement celui de hisser notre produit vers le Paradis ! », ajoute Vincent Boulard, «  et de constituer un joli portefeuille de marques d’eaux-de-vie, ce que nous avons commencé de faire en créant ex-nihilo, en qualité de négociant, l’Armagnac Le Marque en 2012 ». L’homme d’affaires russe Timour Goriaïev, ancien patron des cosmétiques Kalina, qu’il vendit à Unilever, a effectivement pour objectif de faire entrer le Calvados dans l’univers du grand luxe. Il a racheté Pays d’Auge Finances (Boulard, Lecompte et Père Magloire), il y a sept ans, rebaptisé aussitôt l’entreprise Spirit France – l’intention de déborder du Calvados, comme on l’a vu, est claire. Et possède de facto le tiers de la production totale de Calvados. Plusieurs millions d’euros d’investissement ont été injectés dans la modernisation et l’agrandissement de l’outil : un chai gigantesque devrait par exemple être inauguré cette année à Reux, « afin d’anticiper l’accélération de notre développement », précise Vincent Boulard. En amont, l’effort porte sur la sélection drastique des pommes, afin de privilégier avec obsession les arômes des fruits sur le bois et l’alcool. Le chiffre d’affaires escompté de Spirit France est de 20 millions d’euros et plus. La clientèle atteinte est assez peu Normande. La Russie, la Scandinavie, les USA et le Canada, le Japon, la Chine timidement (un bureau a néanmoins été ouvert à Hong-Kong), sont les principaux clients de ces nouveaux Calvados de luxe, que l’on trouve également dans les boutiques des grands aéroports internationaux, ainsi que dans les « bars à calvados ». Le premier du genre propose près de 100 Calvados exclusivement, à l’hôtel Intercontinental Times Square de New York. Top classe !

    Une démarche écologique

    Tant de strass tranche avec l’accent mis sur l’agriculture raisonnée au château du Breuil. Propriété (de taille plutôt respectable, comparée aux domaines Drouin, ou Groult), de la puissante distillerie suisse Diwisa (vodkas, whiskies, tequilas, gin, etc), du Breuil garde une dimension humaine et naturaliste. Didier Bedu, son directeur, par ailleurs président de l’IDAC (l’interprofession des appellations cidricoles, qui organise notamment les Trophées internationaux des Calvados Nouvelle Vogue depuis 1997, dédiés aux cocktails), est aussi fier du respect de la parité dans l’entreprise, et de l’utilisation de produits 100% français (excepté les bouchons de liège !), qu’il l'est des ruches exerçant une action de pollinisation des vergers du domaine, des chevreuils et des sangliers qui s’y promènent, des cygnes du lac, et des grives du parc arboré qui conduit, au-dessus de la mythique rivière La Touques, jusqu’aux alambics et aux chais (avec quelques fûts de chênes normands !). Cette atmosphère ravit les 38 000 visiteurs annuels du domaine et sa boutique – ce qui en fait la 3ème entreprise touristique de la région, en termes de fréquentation. Au Breuil, nous trouvons aussi bien du Pommeau, un Calvados spécial, le « chocolate blend », conçu avec le chocolatier Michel Cluizel, qu’un Calvados confidentiel, dégusté au domaine, issu des meilleurs assemblages maison, vendu dans une carafe en cristal St-Louis, et qui vaut la bagatelle de 2 250€. De quoi tomber dans les pommes. L.M.

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    (*) Concours international qui fait partie des World Drinks Awards et qui réunit un jury de professionnels chargés de déguster à l’aveugle. Le Calvados Roger Groult fait partie du club Vignobles & Signatures.

     

    ENCADRÉ

    "Y'EN A AUSSI"…

    AOC Calvados Pays d’Auge. La plus prestigieuse des trois appellations concernées par l’eau-de-vie normande élaborée à partir de pommes à cidre (29% de la production totale de Calvados), L’AOC Calvados représente 70% de la production et l’appellation Calvados Domfrontais, 1%. Cette dernière produit le Poiré, à base de poires, tandis que les deux autres se concentrent sur quelque 200 variétés de pommes douces (comme la Noël des champs, et la Bedan), douces-amères (le Bisquet, le Moulin à vent), acidulées (la Rambaud, l’Avrolle), amères (Antoinette, le Fréquin rouge, Marie Ménard), même si la plupart des domaines n’utilisent qu’une quarantaine de variétés. « Le Calvados du Domfrontais est une eau-de-vie (distillation simple, alambic à colonne) qui doit contenir 30% de poires (le reste en pommes) », précise Guillaume Drouin, « mais elle en comporte souvent davantage. Très fuitée, plus montante, ses arômes nous parlent très vite : c’est un Calvados droit et franc. Tandis qu’en Pays d’Auge (double distillation obligatoire), le Calvados est plus assis, plus lent à venir car plus complexe, plus souple, plus sage, sur la rondeur ». L.M.

     

    SELECTION /DÉGUSTATION

    Château du Breuil XO 20 ans d’âge

    La Réserve des Seigneurs (XO 20 ans d’âge) est l’expression du savoir-faire de ce domaine soucieux du respect de la nature. Equilibre, palette aromatique large et rondeur charnue n’empêchent pas souplesse et grande longueur. 65€

    Christian Drouin 1993

    Ce calvados, qui remporta le prix du meilleur producteur européen de spiritueux, devant cognacs et whiskies, est aussi discret qu’élégant, avec ses arômes beurrés, pâtissiers, et aussi de cire, de tilleul, miellés et un chouia botrytisés (il séjourna dans d’anciens fûts du château Guiraud, sauternes réputé) – un régal ! 92€

    Boulard Extra

    C’est d’un calvados exigeant qu’il s’agit, car son élégance et sa subtilité attendent une réponse à notre adresse. Gourmand, il est aussi complexe : notes de caramel, de vanille, de violette, d’amande douce et de tarte Tatin soutenues 390€

    Roger Groult Vénérable

    Le calvados signature de la maison (élu 2ème meilleur calvados du monde cette année), élaboré à partir d’eaux-de-vie de plus de 18 ans d’âge, est un miracle d’élégance et de finesse, de féminité et de subtilité aromatique, avec la douceur de la pomme cuite et une touche de pain d’épices en finale, ainsi que des notes florales, boisées et un fruité pulpeux et  croquant à la fois,  mais légèrement acidulé aussi : la quintessence (à prix encore doux). 70€

    Lecompte multivintage (1988, 1989, 1990) :

    Le plus expressif de cette marque d’initiés : élégant, « très calvados », sur le fruit donc, aucune aspérité, fin, avec la touche indispensable de pomme confite en arrière-bouche. 250€

     

  • Le nouveau hors-série Vins de L'Express

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    Il est paru. Outre les Bordeaux primeurs et un tour de France des vignobles (lire deux extraits ci-dessous), ce hors-série de 100 pages piloté par Philippe Bidalon, propose une large sélection estivale de champagnes (blancs et rosés), et de vins rosés scrupuleusement triés. J'y signe par ailleurs un reportage sur le Calvados (à lire plus tard), entre autres réjouissances. On peut également y découvrir une enquête sur le prix du foncier dans le vignoble, ainsi qu'un papier sur ces vins étranges qui vieillissent quelque temps sous la mer... Allez, tous au kiosque! 

     

     

    LA MAISON DE NÉGOCE QUI MONTE LIONEL OSMIN et Cie

    lionel&cie40.jpgBéarnais pur manseng (petit et gros), Lionel Osmin, qui se définit comme un « passeur de vins » - la philosophie du rugby n’est pas loin -, a eu il y a quatre ans l’idée géniale de fédérer la palette des vins du grand Sud-Ouest, vaste région (aux 150 cépages quand même) en créant une société de négoce capable de proposer tous ses crus, de Marcillac à Irouléguy, de Jurançon à Cahors et de Gaillac à Bergerac en passant par Buzet et récemment l'Armagnac! Cette signature transversale fut une première régionale et devint vite un sacré booster pour l’ensemble de la profession, par trop éparpillée jusque là, avec un « chacun dans son coin » en guise de démarche déconcertante. L’idée germait dans la tête de Lionel Osmin depuis que le déclic s’était fait lors d’un stage chez le vigneron du Jurançon Charles Hours, son mentor. Il réunit alors cinq complices (la mention « et Cie » a du sens), dont Benoît Vettorel pour le marketing – l’homme qui a fait le succès phénoménal de Tariquet, et Damiens Sartori (un « faiseur de vins » de haut-vol), plus trois compères pour la force de vente : Jean Alain Ménard, Florian Abadie et Pierre Courdurié. Le pack court vers le succès en chinant, en révélant des talents, en accompagnant les vignerons jusqu’à l’essai entre les potes. Plusieurs gammes figurent au catalogue : Les Villas (vins de cépages, dont le fameux Chambre d’Amour, blanc moelleux -la photo ci-dessus a d'ailleurs été prise a la plage éponyme d'Anglet), les vins d’appellations, les grandes cuvées, qui allient cépages et terroirs, et les cuvées Estela, soit l’excellence des vins du Sud-Ouest mise en bouteilles selon des critères de qualité stricts. Et au premier rang desquels figurent l’authenticité, un sacré caractère, une attitude, une autre dimension en somme : celle d’un Sud-Ouest transcendé. Faites passer ! L.M.

    www.osmin.fr

     

    UNE RÉUSSITE EXCEPTIONNELLE LA FAMILLE PERRIN

    Capture d’écran 2014-06-05 à 09.46.48.pngVoilà cinq générations et plus d’un siècle que la famille Perrin  fait rayonner les vins de la Vallée du Rhône. D’abord dans son propre terroir et à présent dans plus de quatre-vingts pays. C’est d’une famille soudée, nombreuse, où chacun tient son rôle dans l’entreprise  prospère qu’il s’agit. Jacques, le fondateur, avait initié une manière de faire et surtout une façon d’appréhender  la nature et le travail de la vigne dans son ensemble qui semblent visionnaires, à l’heure du tout bio et du tout nature. Le magazine britannique spécialisé dans le vin « Decanter » a d’ailleurs élu en mars dernier la famille Perrin personnalité de l’année 2014, notamment pour son activité pionnière en termes d’agriculture biologique (depuis 1950) et biodynamique (dès 1974). Jean-Pierre et François Perrin, ses héritiers, poursuivent ce travail de respect sur ses terres de l’ensemble de cette merveilleuse vallée rhodanienne, côté sud, de Chateauneuf-du-Pape (avec le château de Beaucastel) à Tavel, de Vacqueyras à Cairanne, des Beaumes-de-Venise à Gigondas (avec le clos des Tourelles) en passant par Vinsobres, mais aussi en côtes du rhône septentrionales  (côté nord) avec la gamme Nicolas Perrin. Partout, chaque cépage est non pas subi mais dompté et sublimé. « Suivre ses idées au mépris parfois de celles des autres, c’est affirmer son identité, c’est aussi prendre le risque d’être incompris, voire d’être considéré comme marginal », déclarent Jean-Pierre et François. Force est de reconnaître que la pugnacité de cette famille a fait par exemple de La vieille Ferme –l’un des étendards de leur gamme, l’image même des vins du Rhône pour de nombreux consommateurs étrangers. Parmi les dernières activités  « successfull » de cette famille très nature, et bien présente en Provence également, notons la collaboration de Marc Perrin - l'homme qui monte, dans le clan, et qui s'occupe déjà de Tablas de Paso Robles, le vignoble californien familial -, avec Brad Pitt et Angelina Jolie à la conception et à l'élaboration de leur célèbre côtes de provence rosé Miraval, classé parmi les 100 meilleurs vins du monde par un autre magazine influent, "The Wine Spectator". L.M. 

     www.familleperrin.com

  • Bayonne par Toulet

    téléchargement.jpegOh, c'est loin d'être le meilleur poème des Contrerimes, de Paul-Jean Toulet, mais il s'intitule Bayonne, alors... Et puis j'y vois -mais c'est personnel- tant de choses dans cette rue Port-Neuf effleurée par Toulet, de l'héritage au coeur en morceaux, de l'insupportable soeur aux alarmes -et aux larmes que seul un chocolat chaud (de Cazenave) est capable de sécher.






    Bayonne ! Un pas sous les Arceaux


    "Bayonne ! Un pas sous les Arceaux,
    Que faut-il davantage
    Pour y mettre son héritage
    Ou son coeur en morceaux ?

    Où sont-ils, tout remplis d’alarmes,
    Vos yeux dans la noirceur,
    Et votre insupportable soeur,
    Hélas ; et puis vos larmes ?"

    Tel s’enivrait, à son phébus,
    D’un chocolat d’Espagne,
    Chez Guillot, le feutre en campagne,
    Monsieur Bordaguibus.

    Paul-Jean Toulet, Contrerimes (Poésie/Gallimard).


    ALLIANCES

    FRAPIN_multimillesime_serie5.jpg(En-deçà du chocolat chaud). Une fois n'est pas coutume : en pays d'armagnac, voici une recommandation -rarissime sur ce blog- pour un cognac. Frapin, le "trésor" du château Fontpinot, propose une Grande Champagne nommée Multimillésime n°5 : 1982 - 1986 - 1989. Décidément, la mode est au n°5 (Laubade, déjà -lire plus bas à la date du 24 novembre), soit au parfum dont une seule goutte habillait Marilyn Monroe pour la nuit. Là, il s'agit de la 5ème édition d'un multimillésime maison. Le 1982 apporte ses notes de rancio, de fruits secs et d'épices douces. Le 1986 enrichit l'assemblage avec ses notes fruitées et de fleurs blanches. Le 1989 offre enfin son bouquet fleuri, ses touches d'abricot sec et de compote de coing. Nous y avons également apprécié, à l'épreuve du verre sec, ses arômes de boîte à cigares et de cheminée chaude. Série très limitée (1270 ex. 180€). 

  • Islay al Dante

    12yearsold.pngLes single malt de Bowmore 12 ans, 15 ans ou 18 ans d'âge possèdent un subtil arôme tourbé que la distillerie prend à sa source, dans l'eau d'une pureté confondante du fleuve Laggan. Bowmore est l'une des huit distilleries de la toute petite île d'Islay et elle fut fondée en 1779 par un marin nommé David Simson. C'est aussi l'une des très rares distilleries à produire sa propre orge maltée sur aire, retournée comme il se doit par les malteurs à l'aide de pelles à malt en bois. Le maltage est l'une des sept étapes de l'élaboration d'un whisky. Il est suivi du séchage au four, du broyage, du brassage, de la fermentation, de la distillation et enfin de la maturation. La présence d'un parfum de sel marin signe les grands Islay comme le 12 ans d'âge à la robe ambrée et chaude, au nez fumé et miellé avec une pointe d'agrume et à la persistance, en bouche, où perce une note cacaotée et finement tourbée. Le 15 ans, Darkest, porte bien son nom. Plus boisé, plus puissant aussi, il dégage des flaveurs de cèdre et de Xérès qui rappelle l'origine des fûts dans lesquels il vieillit. Le 18 ans, plus doux mais si fin, légèrement caramélisé au nez, exprime un fruité exotique en bouche et possède une finale qui répugne à mourir et dans laquelle nous retrouvons l'iode, la tourbe et le parfum de l'herbe coupée que les si nombreux cerfs d'Islay broutent la nuit (32€ le 12 ans).

    Zimages.jpgAlliances : La Comédie, du divin Dante, dans sa nouvelle édition avec une traduction révisée, signée Jean-Charles Vegliante, publiée par Poésie/Gallimard. Parce que cet inoxydable chef-d'oeuvre (de 1250 pages dans la présente édition bilingue), peut ressembler aux tempêtes qu'essuie Islay et particulièrement la distillerie Bowmore, dont les flancs blancs sont régulièrement battus par les vents et les vagues comme un insubmersible rafiot. Et que Bowmore est un whisky diabolique. Comme La Comédie est un fleuve immense au débit bouillonnant qui emporte le lecteur comme une bûche dans un rapide. Par opposition, l'accord se fait, qui procède comme souvent d'un paradoxe et d'une sensationnelle tension.

  • Intemporel N°5 de Laubade, havane et Gracq boum hue!

    Je ne connais pas de meilleur chasse-spleen, tonifiant comme les oeuvres complètes de Cioran (puisqu'il me galvanise à l'envers avec son pessimisme érigé en système de pensée), de meilleur compagnon à un havane rare -et un ami : indispensable!-, de meilleure escorte à une Pléiade racornie par tant de feuilletages avides, de Gracq (les somptueux poèmes en prose qui composent Liberté grande, ce coup-ci), de Saint-Simon ou de Flaubert (ce plaisir enfant de relire...), à une poêlée d'helvelles crépues, des champignons cueillis par ma fille dans l'Aube et qui ont un sérieux air de famille -croquant, saveurs-, avec les morilles, que l'Intemporel n°5 de Laubade, un armagnac hors-normes, hors-tout. Laissons les bêtes de concours à leurs compètes. Intemporel N°5, j'en ferai bien mon parfum et d'ailleurs il faudra que je le dise à Jean-Jacques Lesgourgues, propriétaire de Laubade : j'en ai mis une goutte sur l'index et m'en suis parfumé les deux côtés du cou sous les oreilles et jusqu'à la chemise plusieurs jours durant. C'est super. Ça fonctionne. Ca le fait papa, ai-je entendu dire. Il ne manque plus que le vaporisateur sur le goulot, comme je l'avais dit il y a des années à Brigitte Lurton, lorsqu'elle dirigeait un sauternes d'exception, le château Climens, à Barsac. Du très haut-vol. Ces alcools, ces vins presque parfums sont presque parfaits. Et c'est heureux qu'ils demeurent en deçà, car l'imperfection est la cime, dit avec justesse Yves Bonnefoy (à la suite de Rilke), et la cicatrice est bien la marque qui singularise la beauté davantage qu'un tatouage. Non? -Cependant, je ne vois pas la fêlure, je ne trouve pas la faille en humant longtemps, longtemps, longtemps (l'armagnac se respire jusqu'à plus soif), puis en buvant un peu cet alcool gascon, sauvage, paysan à chemise blanche mais pas fermée jusqu'en haut, jamais guindé, ignorant avec superbe et l'emprunt et l'artifice, cet alcool plus bronzé qu'ambré, au regard droit (et à la fin il faudra bien que le coeur se brise ou se bronze, nous chuchote Chamfort), cette franchise intérieure en bouteille, ce truc magique qui sort d'un alambic et qui est à mes yeux davantage mystérieux qu'un tube cathodique, que l'appel que je reçois depuis mon téléphone portable. L'armagnac. Le Bas-Armagnac. Laubade, Intemporel N°5 -et dieu sait si la gamme de Laubade est riche, complexe, envoûtante dans le dédale du temps, de ses millésimes si expressifs-, est une synthèse. Synthèse des meilleurs millésimes -certains sont quinqa comme moi : Vé! Conservés dans ce beau domaine cerclé comme des douelles d'un paysage d'une douceur inimitable en Cognac, cela va sans médire (on est Armagnac ou Cognac comme on est Rolling Stones ou Beatles, Klimt ou Dali, chocolat amer ou au lait). Assemblage subtil, fruit de l'harmonie des quatre cépages rois de l'appellation, avec le Baco qui se taille la part du lion (43%). Sa robe profonde m'évoque des vers de Baudelaire et un sous-bois chalossais, voire la forêt d'Iraty dans l'arrière-automne. Après la palombe, pendant la bécasse, avant la neige, pendant un rêve d'ours. Au nez, j'ai relevé ce que me disait le domaine, pour vérifier et j'ai tout coché : rien ne manque : ce rien de zeste d'orange confite comme chipé au fond d'une assiette au cours d'un coquetaile littéraire (orthographe à la Nimier) enflé de strass, de jalousies, de coups bas et de faux semblants; le clou de girofle pommé dans un plat de lentilles du premier janvier ou qui nous rappelle en nous faisant frissonner le pansement antique du dentiste : le clou importun/important que l'on chope entre les dents sans le voir comme on écrase un grain de poivre bien rond en mâchant une tranche de saucisson -ça dure et le point d'orgue sensoriel est aussi long à venir que la fin d'une anesthésie de gencive... Le caramel carré Dupont d'Isigny de notre enfance, à l'entracte au cinéma La Feria, à Bayonne, le jeudi après-midi (on y projetait Ben Hur ou Autant en emporte le vent). Il était mou et il collait un peu mais aux doigts seulement en l'ôtant du plastique -pas aux dents, mais ça nous empéguait quand même les phalanges le film durant. Il avait ce côté rimé que l'on retrouvait dans la casserole de Mamie lorsqu'elle achevait le riz au lait. Dans Intemporel aussi, car c'est une source proustienne où les madeleines sont des étincelles de mémoire affective et sensuelle, il y a ces souvenirs qui remontent du verre ad hoc -bien refermé. La cannelle et le cacao, en respirant à fond, les yeux fermés, me propulsent dans un roman de Jean Forton, au coeur d'un poème de Jean de La Ville de Mirmont, soit sur les quais de Bordeaux lorsque c'était il y a longtemps, quand l'existence était en noir et blanc nous semble-t-il, un vrai port avec des bateaux, des marins, des barriques, des bois exotiques, des odeurs partout, des bars à putes et des tentations, des sensations de voyages immobiles mais planants. Laubade vous offre ça. Il y a encore -ce n'est pas fini- du pruneau confit, avec son noyau (important le noyau, il apparaîtra dans le verre sec, et surtout le lendemain matin puisqu'il sera interdit de le laver car il faudra le laisser là pour le respirer au réveil), de la pomme au four un rien cramée parce qu'on aura mal réglé la chaleur et du tabac respiré à même la blague. Sans rire. En bouche, puisqu'il faut s'y résoudre à notre nez défendant, il y a de l'épicé, de la puissance contenue, une lionne qui ne dort que d'un oeil toujours, une grosse cylindrée qui ignore tout de la frime, une touche d'amande grillée, une douceur qui n'en finit plus de caresser notre langue et de réveiller notre palais en le piquant un chouia. Le bonheur passe le grand braquet, car avec un bas-a, soit avec un être vivant qui n'arrête pas de bouger comme un bel oiseau que l'on contient, pataud, à pleines mains, ça évolue, ça bouge, ça voyage, ça circule, ça se dirige tranquillou -au nez encore et en bouche aussi, té! Enfin bon, là ça touille, ça se mélange, ça s'escrime et ça ping-pongue- vers l'empyreumatique via le fruit confit; vers l'ineffable parfum de bitume en été juste après une pluie soudaine. Celle qui, à la plage, fait bêtement sortir les gens de l'océan et puis qu'à l'arrière de la Floride décapotée de maman, une fois tout plié, on rigole, enfants, parce que les grosses gouttes de pluie jouent de la batterie sur la carosserie et sont douces à nos lèvres salées. Retour de la Chambre d'Amour. Oui, c'est bien cette odeur chaude de route martelée par surprise et qui fume après la pluie d'été que je chope au vent de Laubade... Et encore la réglisse Haribo en rouleau, pas le Zan! Ça déménage jusqu'à la dernière vapeur de la dernière goutte. Celle qui donne naissance à l'esprit, cette étrangeté qui prolonge le voyage des heures durant. Alors merci à ceux qui oeuvrent à son élaboration, au premier rang desquels il faut saluer Arnaud Lesgourgues. Et j'arrête là, d'un coup -cut- car mon havane (Montecristo "A" -Et merde! C'est pas tous les jours dimanche. D'ailleurs c'est samedi), en est à son quatrième tiers et qu'il me brûle les doigts et que ceux-ci tapotent également l'ordi avec moins de dextérité que Glenn Gould son piano lorsqu'il vivait Bach.

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    96€ départ cave. Eu égard à cet alcool d'Apollinaire, dyonisiaque, bachique et hédoniste en diable, élu -au passage- World Best Brandy à la San Francisco World Spirit Competition en 2007, c'est que dalle. Et qu'un flacon vous dure toute la vie, si celle-ci est faite de mémoire.

     

  • La bière est une femme

    Ce que je préfère dans la bière, c'est la moustache blanche qu'elle laisse sur ta bouche lorsque tu bois à mon verre et que tu ris d'aise, coquine au regard de voleuse de cerises. Ce n'est ni une Kriek, ni une Mort Subite, mais une blonde à l'amertume bouleversante venue des contrées de Hamlet, le Danemark. To beer or not to beer ?... Nous dînons sur les Champs, ce n'est pas un déjeuner sur l'herbe, pourtant l'aneth embaume la table, le saumon porte un nom de baiser, de chanteur  -Bécaud ; et je t'embrasse.  J'absorbe l'écume de basse mer sur le liseré de ta lèvre supérieure. Nous avons sillonné la Scandinavie et la Belgique des abbayes de brasserie en brasserie, comme des moines trappistes.

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    Ambrées, rouges, gueuzes à la bulle fine comme le meilleur champagne, bulle grossière de certains lambics, kirschées,  cidrées, maltées à mort, épicées, nous avons bu l'alcool de ta passion.  J'ai suivi. Moi le buveur de bordeaux. Certains soirs, aux alentours de minuit, lorsque notre identité ignore les frontières, nous entrions dans une toile de Brueghel le Vieux. Je tenais ma chope aussi sûrement que tes hanches.

    Tu invoquais Gambrinus, le roi légendaire, protecteur de la bière. Je pensais au meilleur café du monde que l'on boit au bar éponyme de Naples. Tu précisais que dans l'Egypte ancienne, la bière, d'origine divine, était placée sous haute et double protection : celle d'Isis, déesse de l'orge et celle d'Osiris, le patron des brasseurs. D'après Le livre des rêves, un rêve de bière est un présage favorable. Patron, remettez-nous  ça !..

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    Tu me dis qu'elle a toujours été un Hausgebräu, une activité domestique réservée aux femmes, comme la cuisson du pain. Dans la mythologie germanique, comme dans une saga romanesque scandinave, celle qui fait la meilleure bière –fut-ce avec sa salive pour levure-, décide du choix d'Odin… C'est ainsi que Geirhildr emporta le cœur du roi Alrekr en laissant  Signy fermenter son chagrin au pied de  l'alambic.  La déesse de la bière fait aussi la cervoise dans le Bas-Rhin médiéval. De nos jours, lorsqu'elle porte les chopes par demi-douzaines entre les bancs d'une brasserie peuplée de marins, j'entends Brel. Et je ferme les yeux sur celui qui caresse ses fesses en passant. En pensant au bas de tes reins. Au parking sous tes reins, aussi.

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    Tu féminises ton alcool préféré à outrance. La bière, dis-tu, est sensible à toutes les infections tandis qu'elle fermente. L'orage est un fléau aussi grave qu'une femme ayant ses règles : si celle-ci vient à pénétrer une cave de fermentation, la bière tourne. Faemina menstruata est une croyance dure qui perdure. Un spectre aussi redoutable qu'une sphinge à l'entrée du sommeil.

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    Tes souviens-tu du Fischermännele, le petit garçon Fischer des plaques émaillées de notre enfance ? Il est assis sur un tonneau et vide goulûment une grande chope. Cette modeste bière alsacienne bien houblonnée se prend à la pression et à la hussarde, sans chichis ni cacahuètes, dans tous les bars de la planète nord, ou presque.

    J'ai en mémoire une bière polonaise bue un matin d'août dans la campagne de Gdansk, l'été de mes vingt ans. C'est un mélange très spécial qui permet au paysan de se rouler nu dans la neige avant d'enfourcher son tracteur. En voici la recette : porter une bière à ébullition, y ajouter deux jaunes d'œufs et une cuillérée à soupe de sucre en poudre. Boire chaud. L'été, cela fait l'effet d'un sauna et l'alcool monte vertigineusement à la tête. L'initiation relève du bizuth.

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    C'est dans une corne d'aurochs que la bière circulait  dans les antiques libations, rappelle l'ethnologue Bertrand Hell, auteur de ton livre de chevet durant ce voyage, L'homme et la bière. Le mâle affirmait sa virtus en la brandissant galbée et sans faux-col.

    Luther , dans ses Propos de table, écrit : « le vin est un don de Dieu, la bière une tradition  humaine ». Elle est quand même issue de quatre éléments : l'orge, que l'on transforme en malt, l'eau pure, le houblon –épice dont on n'utilise que les cônes, soit les fleurs femelles non fécondées.  La levure constitue l'âme de la bière, elle transforme les sucres du malt en alcool et gaz carbonique.

    Au-delà, il s'agit d'un mariage mystique : tu cites à nouveau Hell à propos du feu et de l'eau, symbolisés par deux triangles, l'un pointé au nord, l'autre pointé au sud et qui, combinés, forment le sceau de Salomon que l'on retrouve au-dessus de la cuve à brasser.  « Cette union de l'eau et du feu, du principe générateur masculin  et de la semence féminine », s'exprime à la manière d'une alliance alchimique.

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    La bière génère un discours alambiqué, si l'on s'intéresse à son élaboration. Mais comme tu es du côté des hédonistes qui ne lisent jamais les notices d'utilisation, tu sais l'essentiel : les lager, les pils, les bières de garde –qui ne manquent pas de corps. A voix basse, tu dis qu'elles mûrissent lentement sous leur bouchon muselé, en cave, là où s'ourdissent les complots et s'élaborent dans un silence obscur les grands breuvages issus de l'orge ou de la vigne. En Belgique, on parle alors de bière sur levure, de bière sur lie et de bière vivante ! Si je libère la gardienne de sa muselière, tu crois qu'elle me mordra ?

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    La bière perd-elle sa virilité ? L'image d'une boisson amère à l'odeur déplaisante, propre à effrayer les femmes, n'a plus cours et tu en conçois une certaine fierté : 35% des buveurs sont des buveuses et la place de la bière dans les rites d'initiation où la virilité d'un homme est jaugée à l'aune de sa capacité d'absorption est frappée du syndrome d'Epinal.

    Conviviale, on la partage et on la boit rarement seul. Sauf pour le plaisir « delermien » de la première gorgée.

    Rien ne remplace la fraîcheur d'un verre de bière désiré comme une femme, ou un homme, au cœur de l'été.

    Nous tombons d'accord : il manquera toujours à l'eau ce piquant, cette chaleur intérieure, cette complexité organoleptique que possède chaque bière –il ne s'agit pas, à l'instar  des portos et des champagnes, d'un produit générique !-. La bière est comme le vin un alcool évolutif auquel on accorde un vocabulaire identique de dégustation à l'œil, au nez et en bouche, avec bouquet, robe, longueur, saveurs et flaveurs infinies et décrites avec poésie ou jargon abscons ; c'est selon.

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    Les bières brassées par des moines sont mystérieuses.

    Grâce soit rendue aux cisterciens qui inventèrent la bière trappiste, leur ordre, au sein de cinq communautés à peine (Orval, Chimay, Westmalle, Rochefort et Westvleteren). Les bières d'abbaye (bénédictines ou norbertines), sont en revanche brassées de façon « laïque », rarement  au sein d'une abbaye. Question d'opportunisme : sur l'étiquette, c'est du faux fait maison.

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    Avant l'heure de la mise en bière, il convient d'éviter la petite bière et lui préférer la cuisine à la bière, comme savent la faire les cuisiniers des Flandres, d'Alsace et de Scandinavie. Tu m'avais invité chez Ghislaine Arabian, chef française d'origine belge aux humeurs célèbres, car elle excellait, là où elle exerça et exaspéra, dans la haute cuisine à la bière. Au-delà de la cochonaille et de la pomme de terre –la bière est résolument du côté du gras-, elle osait le turbot et autres produits nobles.

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    Reste qu'avec la bière, tu trouves que les hommes font les choses à moitié.

    Ne commande-t-on pas un demi (qui est en réalité un quart), au lieu d'une entière ?

    Merci par conséquent à toi et à toutes les femmes de faire baisser la pression et de lever nos inhibitions en buvant plus souvent leurs demis avec les hommes, leurs compléments d'objet direct. A la mienne!

    L.M.

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    Bertrand Hell, « L'homme et la bière », éd. Jean-Pierre Gyss.

    Papier paru dans Senso il y a cinq ou six ans, voire plus et que m'avait demandé Olivier Barrot. Je viens de retomber dessus. Envie de le mettre ici.

  • En cas d'absinthe

    C'est le retour de la Fée verte. L'absinthe, réhabilitée, sort du purgatoire pour nous en faire voir à tous les zincs.

    Avant de passer à table, on peut se faire le palais avec une plante interdite depuis 1915, politiquement incorrecte et qui se boit, comme la « grande absinthe » (Artemisia absinthium). Cette plante, de la famille des armoises, est appelée aussi la Fée verte. Des liquoristes malins, comme La Liquoristerie de Provence qui élabore la Versinthe, soit une boisson « aux plantes d’absinthe » la précision permettant d’échapper à l’interdiction, est une héritière de l’absinthe originale chère aux grands poètes et peintres disparus (Van Gogh, Verlaine…). Les liquoristes respectent cependant la législation qui limite le taux de thuyone à 35 mg/litre. La thuyone est une substance active que l’on extrait de l’Absinthe quand on la fait images (1).jpegmacérer. C’est elle qui est accusée  de sublimer la créativité et parfois de rendre « fou »… Au bout de 95 années d’interdiction, la loi de 1915 qui, en interdisant l’absinthe, ouvrit un boulevard à toutes les boissons anisées (*), pourrait bien être abrogée, car le Sénat a déjà voté son abrogation en décembre 2010, faisant enfin suite à un décret de 1988 qui a mis fin à la prohibition de l’absinthe par un dispositif technique. La proposition d’abrogation effectue actuellement la « navette parlementaire ». À suivre, donc. L’absinthe serait ainsi réhabilitée. Bue additionnée d’eau selon un rituel précis : on verse notamment l’eau glacée lentement sur un sucre posé sur la cuillère à absinthe… Verte, blanche, ou bien déclinée  en cocktails, l’Absinthe sulfureuse au goût anisé et légèrement amer de la fin du XIXème siècle, pourrait bien devenir branchée. Les « markéteux » y pensent fort.

    Alliances : bon, avec ça on pense automatiquement à Artaud, Michaux, Mallarmé, images (2).jpegBaudelaire et autres addicts. Je préfère suggérer le dernier Echenoz, 14 (Minuit) pour sa prose d'une pureté, d'une épure, d'un dégraissage, d'une essence d'extrait rarement lues ailleurs, même chez lui. Ses phrases, voire ses chapitres, courts certes, retombent sur leurs pattes (surtout le 7) comme un chat jeté du troisième étage : ça fonctionne à la perfection, à la manière d'une suite, d'un menuet, d'une pièce; d'un oeuf. Echenoz a d'ailleurs quelques lignes pour les soldats (de 14-18) que seul l'alcool fort pouvait projeter au devant du front de feu et d'acier avec une relative inconscience -nécessaire et bienvenue, la peur au ventre, baïonnette au clair et regard voilé dans la vague du vague, la mort dans l'âme déjà et le corps en miettes avant que d'être, déchiqueté, laissé aux rats.

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    images.jpeg(*) lire : Plantes interditesde J.M. Groult, éd. Ulmer (ci-dessous, l'extrait d'une note publiée ici le 22 mai 2011) :

    Plantes interdites, une histoire des plantes politiquement incorrectes, de Jean-Michel Groult (éd. Ulmer) est un magnifique album à l'illustration judicieuse et à la maquette originale. Un herbier, de vieilles affiches de cinéma, des documents d'époque, des réclames, des photos étonnantes épaulent avec talent un texte très documenté sur les sujets suivants : les plantes chamaniques (coca, pavot, khat, champignons...), les plantes abortives des faiseuses d'ange (armoise, genévrier sabine...), l'absinthe, la fée verte (à l'histoire trouble -mais enfin réhabilitée!), les plantes invasives (venues d'ailleurs) comme l'envahisseuse mongole, la griffe-de-sorcière ou la renouée du Japon. Et enfin les interdits agricoles : amarante, tabac, vigne, OGM et autre stévia (dont on fait un édulcorant).



  • La voix de Char

    index.jpgC'est un petit événement mais un événement quand même pour ceux qui aiment la poésie de René Char comme je l'aime : Gallimard publie Poèmes de René Char choisis et lus par René Char himself (15,90€). Un véritable document. L'immense poète avait enregistré ce bouquet de 30 poèmes (plus deux de Charles Cros) parmi les plus emblématiques de son abondante "production" (A***, Allégeance, La chambre dans l'espace, Joue et dors, Réception d'Orion, A une ferveur belliqueuse, Chanson du velours à côtes, Redonnez-leur, L'Alouette, Faim rouge, Le bois de l'Epte, Les seigneurs de Maussane...) le 15 février 1987 aux Busclats (chez lui, à l'Île-sur-la-Sorgue), soit environ un an avant sa mort. Entendre la voix rocailleuse, sourde, forte, puissante, minérale, sentir la gravité derrière cet accent provençal qui rappelle le physique de colosse de Char est une émotion précieuse et vraie. Cet enregistrement (qui s'achève par la lecture de deux poèmes de Charles Cros, prononcé crosse par Char), est en effet rare... Je possède un disque 33 tours du même acabit, acheté il y a une trentaine d'années, d'enregistrements identiques, avec d'autres poèmes, certains présents dans ce CD y figurent aussi, mais avec une autre diction (l'enregistrement date des années 70, si mes souvenirs sont bons, car le vinyle n'est pas à portée de main et d'oeil). Ecouter Char, avec le présent (aux deux sens du terme) CD, fermer les yeux, savourer en frissonnant la saveur de ses mots, la raideur digeste de sa morale, l'évidence de ses images, la profondeur générale de chacun de ses vers, m'est un bonheur constant et quasi quotidien -singulièrement augmenté par cet enregistrement inédit et inattendu (quel bonheur), car j'entretiens un commerce (au sens où Montaigne emploie ce mot) assidu avec ma Pléiade archi-usée de Char, mon poète de chevet définitif. Puisse cet enregistrement vous donner une chair de poule unique; celle de la commune présence. Ecoutez et lisez.

    Extraits : Allégeance, et A*** :
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    index.jpgAlliances : Avec une telle teneur, laissons les gentils rosés de Provence d'ordinaire si agréables et risquons-nous  sur le Calvados exceptionnel de Roger Groult. Nous sommes en Pays d'Auge, on secoue les pommiers, on gaule les pommes, une ramasseuse achève la geste. Les pommes sont selon : amères, douces, douces-amères. Puis le fruit se décompose, le cidre fermente un an avant sa distillation. Après, il croise le flair avec le cuivre de l'alambic et ça chauffe lentement, très lentement. La récolte 2012 (moindre volume, donc forte concentration aromatique escomptée), sera distillée en février 2014. Aussi, le 3 ans d'âge, qui subit pour notre bonheur une double distillation au feu de bois, servi en flacon de 500 ml, est un concentré de saveur-faire, de Normandie subtile, flaubertienne d'ordinaire mais charienne aujourd'hui -et c'est ainsi.