Vienne en passant
C'est l'année Klimt : ça ne se rate pas, si l'on aime ce peintre génial. Et l'occasion d'aller voir plus de toiles du maître Gustav Klimt qu'il n'y en a jamais eu à Vienne, est aussi celle de contempler l'oeuvre de son disciple Egon Schiele (sans Klimt, pas de Schiele). Pour cela seulement, et à condition d'admirer l'un et l'autre peintres, le voyage est indispensable en 2012 (rendez vous aux musées Leopold et Belvedere, principalement). Vienne, c'est aussi se faire plaisir en revoyant des toiles fétiches, un petit Friedrich ici, un Velasquez là. Cette ville musée, qui est aussi celle du bon café, du bon chocolat et des bars à vins, est également le repaire d'une certaine mémoire littéraire que l'on s'efforce de chercher en flânant dans les rues, en traînant dans les cafés (certains ont conservé dans leur patine un charme qui semble intact), mais que l'on échoue à trouver bien sûr. Il n'y a pas de passages de l'oeuvre de Zweig ni de celle de Schnitzler, ou bien quelques aphorismes caustiques de Kraus dans l'atmosphère, comme ça, uniquement parce qu'on souhaiterait qu'il y en eut parmi les voitures et les immeubles, et malgré un vieux tramway et une architecture imposante; voire lourde. Nous finissons certes par relever des traces éparses, mais cette recherche est souvent vaine. C'est pourtant ainsi : nous ne pouvons pas nous empêcher de nous transformer en épagneul breton lorsque nous débarquons quelque part, là où un écrivain a vécu, écrit, aimé (et à Vienne ils sont légion). Mais fouiner, renifler les façades et les intérieurs, les perspectives ou les visages ne produit qu'une construction mentale aux contours arrangés par notre désir seulement. Alliée de la pugnacité, la bredouille n'existe cependant
pas, et notre quête aboutit toujours à des lieux de réminiscences, à quelque détail évocateur qui nous ravit autant que le sentiment d'une bécasse blottie dans un inextricable roncier enivre l'épagneul précité. Le hasard accroît le plaisir : mieux vaut ne pas se préparer à tout, et laisser au génie des lieux le soin de nous réserver quelque surprise. N'est-ce pas d'ailleurs une définition possible du voyage? Sans nous laisser porter ni nous laisser guider, nous pouvons, à la façon de Montaigne, nous répéter : "je réponds ordinairement à ceux qui me demandent raison de mes voyages : que je sais bien ce que je fuis, et non pas ce que je cherche". A Vienne en 1982, visitant le Kunsthistorishes Museum, je tombai en arrêt, littéralement, devant ma peinture préférée à cette époque et dont j'avais une copie à l'échelle 1 dans ma chambre d'adolescent -nous vivions ensemble, en quelque sorte (il s'agit des "Chasseurs dans la neige", de Bruegel) et comme j'ignorais que l'original se trouvait là, ce me fut un choc pictural énorme. Revoir ce tableau la semaine dernière fut forcément moins terrible. De même, tandis qu'on cherche dans la nuit viennoise et dans un dédale de ruelles un bon Heurige (taverne à vins), tomber sur une plaque évoquant Adalbert Stifter, lors que l'on admire l'auteur de "L'homme sans postérité" et que l'on ignorait qu'il faisait lui aussi partie du vivier, est un bonheur de voyageur. (Stifter, homme des grands bois et des montagnes, vécut surtout à Linz, ce n'est pas bien loin, mais Vienne l'aura "récupéré" comme elle tente de s'approprier des morceaux de Celan et de Rilke. Renseignements pris, il existe même un musée Stifter à Vienne). Mais bon, Klimt... Klimt! Et Schiele! Oui-oui, les deux. -Allez!
Photos : © L.M.
Commentaires
Bonjour, Léon.
Beau billet ! Egon Schiele sur l'affiche du Leopold Muséum ? Vous me donnez envie d'un saut à Vienne...
Vienne... la musique de G. Mahler... les écrits de Musil, Wittgenstein, Scnitzer, Kraus et la beauté fragile de la peinture de Klimt mais aussi de Kokoschka, Schiele, Boeckl, Gerstl... Éblouissante fin d'un siècle et sombres pressages de l'horreur imminente...
Ola, revenante! Oui. Schiele au Leopold, c'est la plus grande collection de son oeuvre au monde, et permanente. Rien que ça suffit à aller y voir, non? En plus il y a Klimt comme jamais! Que du bonheur pictural (si on aime, moi j'adore).
Et voilà, j'ai cassé ma tirelire ! j'y vais en mai ! joie joie joie !
oui, plein d'absence de mots mais je lis même si je ne laisse pas de commentaire, cher Léon.
Je sais, je sais... J'ai de nombreux visiteurs muets chaque jour et parfois près de 2000 pages vues / jour, mais Z commentaire : l'époque est au feuilletage, à la flânerie non participative, au silence, à la conso sans engagement, ou bien au furetage, au zappage, à l'observation à distance...
Pour votre décision tirelire : Top, Christiane! Tiens, "pour info", je publierai un papier sur cette année Klimt viennoise dans Le Nouvel Obs, en avril prochain. Vous avez de la chance, car en mai, il y aura une expo de plus. Veinarde, va!
bonsoir Leon. Si je devais choisir deux portraits, je dirais les tableaux intitulés "Judith I" et "La Femme à l'éventail" (estampe).
c'est très beau mais ils donnent ces femmes donnent l'impression de sortir d'une léthargie à la sortie de leur bain.
Oui, Caro (je suis allé les voir sur Internet), la seconde est moins connue, plus mystérieuse aussi. Toutes les deux sont aussi "silencieuses".