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Amour

  • Gracq amoureux

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    Je fus pressé d’entrer dans ce bref essai de Roger Aïm sur Julien Gracq amoureux acquis hier soir. Oser entreprendre une recherche sur sa liaison avec Nora Mitrani (*) ne manque pas d’audace, voire d’impudeur. Mais elle m’intriguait évidemment, comme aficionado absolu de l’auteur du « Rivage des Syrtes », même si le sous-titre prévient sur le focus : Nora, une passion surréaliste (éd. Infimes).

    Lu aussitôt ce matin, j’avoue avoir été un peu déçu (**) car il faut attendre la page 80 (sur 100) pour voir enfin apparaître Nora dans sa relation avec Gracq. En amont, c’est une brève histoire du surréalisme, l’itinéraire de Breton, celui de Gracq en parallèle mais à gros traits, qui sont narrés – et on apprend pas mal de choses. Le personnage de Nora Mitrani (née à Sofia dans une famille d’origine judéo-espagnole et italienne) est néanmoins palpable, fougueux, sa relation avec Hans Bellmer, puis avec Julien Gracq, son engagement dans le mouvement surréaliste et dans le groupe de recherche en sociologie du CNRS, sa vie brève puisque la maladie l’emporte le 22 mars 1961 alors qu’elle n’a pas quarante ans – et Julien Gracq est à son chevet, tout concourt à en faire une femme libre et indépendante qui eut toujours « une façon scandaleuse d’exister ». Nous apprenons aussi (à regret) que ce n’est pas la femme qui inspira « Prose pour l’étrangère », ce long poème en prose sublime qui rivalise de beauté avec la « Lettera amorosa » de Char, mais que ce fut Françoise Mallet-Joris... Enfin, l’envie de revoir le film de Michel Mitrani, frère de Nora, adapté d’« Un balcon en forêt », vient de me saisir. L.M.

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    (*) Évoquée ici même à la date du 28 février 2016 => Nora Mitrani

    (**) Une autre source de déception provient du fait que, l'heure d'après avoir lu ce petit livre sur le surréalisme et Nora, j'en ai lu un autre de Roger Aïm, Julien Gracq, 3, rue de Grenier à sel (éd. Porte-parole, 2012) et que j'y ai retrouvé des pans entiers de l'un dans l'autre, tant au sujet de Gracq qu'au sujet de sa relation avec Breton, soit de longs passages repris sans scrupules dans Nora, paru le mois dernier...

  • Addendum (lectures)

    J'en avais oublié, évidemment (je fais référence à ma note du 31 décembre intitulée LecturesCapture d’écran 2024-01-07 à 12.05.36.png sauvées des jours), notamment ces deux-là : le tonitruant, l'intrépide, le tonique, le galvanisant Dictionnaire égoïste du panache français, de François Cérésa (Le Cherche-Midi), au style impeccable, truffé de formules qui font mouche et d'humour, et où l'on croise avec autant de désinvolture Athos et Jacques Anquetil, B.B. et Gérard Depardieu, la Légion étrangère et Vercingétorix, Romain Gary et Jean Moulin, Coco Chanel et Charles de Gaulle, Astérix et Cyrano de Bergerac. Un livre hussard en diable. Je pense que j'ai épuisé un crayon tant j'ai souligné de passages. Aussi, mieux vaut n'en citer aucun, sinon je reproduis le livre. Si, juste une phrase de la première page d'introduction, pour donner le ton : "ce mélange de courage, d'audace, d'intempérance, d'honneur, d'élégance, mais aussi de suffisance, d'orgueil mal placé, d'indiscipline et de bêtise...". Allez-y voir !

    Capture d’écran 2024-01-07 à 12.05.04.pngMes Fragiles, de Jérôme Garcin (Gallimard) est de ces livres si émouvants qu'ils vous habitent longtemps après les avoir achevés. Le sujet est grave. Il s'agit de la disparition de la mère et du frère de l'auteur en l'espace de quelques mois, au cours du confinement. Jérôme Garcin avait déjà consacré un livre à son frère jumeau écrasé par une auto sous ses yeux, à l'âge de six ans (Olivier, folio), et un autre à la mort de son père en forêt de Rambouillet dix ans plus tard (Chute de cheval, folio) . Laurent, conçu trois ans après la mort d'Olivier, est atteint d'une anomalie du gène de l'X fragile. Jérôme obtint du juge de tutelle d'en avoir l'entière responsabilité. Quant à sa mère, à l'hôpital (elle) "avait la beauté maigre, un peu sauvage, d'une rescapée de l'horreur", écrit son fils. Cet ouvrage mince, d'hommages et de douleur, de souvenirs joyeux aussi, est le livre des blessures de son auteur, dont le style, en empruntant les tons à la pudeur, augmente sa beauté, fragile, d'eau-forte. L.M.

  • Lectures sauvées des jours

    Capture d’écran 2024-01-01 à 09.40.20.pngParmi mes lectures marquantes au cours de cette année qui s’achève ce soir, je retiendrai une petite poignée de livres émouvants, à commencer par « Frère unique », d’Olivier Frébourg (Mercure de France), récit poignant, à la limite de l’insoutenable parfois, sur la disparition tragique, accidentelle, et injuste de son frère Thierry, « ponte » de la médecine, chercheur généticien de renommée mondiale et victime d’une minable erreur médicale sur le lieu même où il officia tant d’années : l’hôpital de Rouen – rendu coupable de n’avoir de surcroît jamais vraiment reconnu sa faute, ce qui donne lieu à des pages enragées de la part du frère meurtri et inconsolable ; révolté. Double peine. Mais ce livre intime (Olivier Frébourg avait déjà donné « Gaston et Gustave » sur la disparition d’un de ses fils grand prématuré, et – ai-je envie d’ajouter, « La grande nageuse », sur la douloureuse séparation d’avec la mère de tous ses fils) brille avant tout par les souvenirs d’enfance heureuse de deux frères sous le soleil des Antilles où la famille vécut un temps, de 1969 à 1972, puis en Normandie, berceau familial, car le père est un brillant commandant de Marine (officier de la Transat, il fut pressenti pour prendre le commandement du France). Nous savons Olivier Frébourg, écrivain de Marine, habité par la mer. Nous le découvrons ici « frère et fier » de son frère, son « pilier lumineux », qu’il admire sans ambages. « Nous étions des brotherships », écrit-il joliment. « J’étais enfant de la mélancolie. Il était le soleil. J’étais la lune ». L’écrivain Frébourg appelle alors à la rescousse ses vieux compagnons, Hemingway, Ovide, Dante, Virgile, Hugo, Reverzy, Buzzati, Chatwin, Brauquier et autres trafiquants d’exotisme, les poètes, les oiseaux aussi, tout fait baume, ou devrait pouvoir panser... L’ouvrage est bouleversant de bout en bout qui vous traverse de part en part. Je me souviens que, le livre achevé, mes mains tremblaient et j’avais le cœur serré comme une gorge.

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 16.57.10.png« Éloge des oiseaux de passage », de Jean-Noël Rieffel (Équateurs, vénérable maison dirigée par Olivier Frébourg) est un de mes chouchous car je suis un peu à l’origine de cette publication, puisque mon ami Jean-Noël m’avait envoyé son texte (devenant son premier lecteur, ce qui m’honora), que j’ai aussitôt aimé et transmis à mon autre ami Olivier Frébourg, qui s’enthousiasma à son tour. Ce premier livre est une ode à la migration, au pouvoir des oiseaux sur l’esprit de l’homme et donc sur son bonheur. Je partage avec son auteur trois passions : les oiseaux, la poésie et les vins purs. Il en est question dans ses pages, notamment de l’œuvre sensible et précieuse de Philippe Jaccottet. Quant aux oiseaux, ils imprègnent tant l’ouvrage qu’il me semble être composé de plumes et de chants. Je sais que le livre a connu un joli succès, et c’est justice qui me réjouit.

     

    Capture d’écran 2024-01-01 à 09.41.40.pngFervent lecteur de Pascal Quignard, dont je lis absolument tout, j’ai été une fois encore enthousiasmé par « Les heures heureuses » (Albin Michel) qui poursuit la quête spirituelle de la sensation, des émotions pures, de la source de l’amour, de l'émoi originel, l’ensemble dans une langue tendue et on ne peut plus baroque (depuis « Tous les matins du monde »), minérale, d’une précision d’horloger genevois, à la limite du jansénisme littéraire, en tous cas d’une rigueur admirable qui n’exclut jamais – et c’est l’un des talents de Quignard, la dimension extrêmement poétique de sa prose. L’auteur aborde une foule de petits sujets universels par le biais de l’anecdote historique, de la description de l’événement au demeurant insignifiant. Chacun de ses livres, notamment cette « suite » intitulée « Dernier royaume » et dont c’est le XIIe opus, renvoie - à mes yeux en tous cas - à la phrase célèbre de Miguel Torga, « l’universel, c’est le local moins les murs ». Et n’est-ce pas la première vertu de la littérature, sa mission que de rendre universel le village de Macondo dans « Cent ans de solitude » – par exemple. Aussi, et c’est un sacré atout, « un » Quignard se dévore en picorant, le lecteur peut l’aborder comme des pintxos au comptoir d’un bar de San Sebastian. Et, par surcroît, il instruit considérablement, car il n’est jamais avare de détails étymologiques, philologiques, historiques, littéraires et philosophiques, qu’il évoque La Rochefoucauld ou un inconnu, la regrettée Emmanuèle Bernheim ou Spinoza. Et nous sortons de ces « heures heureuses » galvanisé et comme abasourdi lorsque, dans une salle obscure, d’un film exceptionnel nous lisons le générique de fin avec une scrupuleuse gourmandise...

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.04.09.png« La grande ourse », de Maylis Adhémar (Stock) est un roman brillant sur un thème devenu « à la mode » : la difficile cohabitation de l’homme en milieu pastoral avec (le retour) des grands prédateurs comme le loup et l’ours – le lynx croquant surtout les chevreuils des forêts vosgiennes. En l’occurrence, il s’agit des bergers ariégeois du Couserans – cette si belle région que l’auteur(e), toulousaine, connait dans les recoins, et de l’ours. L’écriture est sensible, précise, ciselée, les personnages parfois caricaturés (les rugbymen des bars de l’arrière-pays, le chasseur bourru, le berger bucolico-gionesque, la bergère dure à la tâche...), les paysages ne sont à mon goût pas assez Capture d’écran 2024-01-01 à 09.39.01.pngmagnifiés, la narration d’un conflit qui enfle l'est bien davantage, et la jalousie de l’héroïne pour l’ex de son amoureux un peu too much. Une économie d’une cinquantaine de pages sur le sujet eut été bénéfique. Mais bon, cela n’exclut pas que ce livre soit pétri de qualités, et je le rapproche d’un autre grand texte franchement admirable, sur le même sujet, de Clara Arnaud, « Et vous passerez comme des vents fous » (Actes Sud).

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.04.37.pngSous-titré « Petite rhétorique itinérante », « En marchant », de Patrick Tudoret (Tallandier) est un précieux livre total car il entremêle érudition (sans frime aucune) et petite philosophie de la marche avec brio. Le tout piqué de souvenirs très personnels comme un gigot d’agneau l’est de gousses d’ail. Souvenons-nous que Montaigne, marcheur (et cavalier) impénitent, prétendait « penser par les pieds », et songeons avec Eugenio de Andrade, que « la démarche crée le chemin ». Tudoret est dans cette mouvance-là. Contemplatif et jamais sportif acharné, il prend le lecteur par la main, lequel prend son bâton de pèlerin, et c’est parti. Véritable anthologie littéraire à dominante poétique, le livre devient vite un compagnon que l’on est tenté de glisser dans le sac à dos pour nos prochaines haltes dans la montagne basque – où l’auteur randonne également. « Il y a une ivresse de la marche comme il y a une ivresse d’écrire », note-t-il. Tudoret aime à sentir « la pulpe d’un lieu », à en saisir « le pouls intime », et aussi marcher dans les pas des écrivains qu’il aime. Il en appelle à Saint-Augustin : « Qui n’avance pas piétine », souligne : « La marche comme école de détachement, d’affranchissement. On largue les amarres. La marche art du délestage, de l’allègement. Délestage physique, matériel, mais aussi moral : se déprendre de soi ». Et précise salutairement : « Les assis m’ennuient, ceux qui courent me fatiguent, j’aime ceux qui marchent ». Nous tous aussi, non ?..

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.05.40.png« Monsieur Nostalgie », de Thomas Morales (Heliopoles), déclaration d’amour aux Trente Glorieuses, hymne au « c’était - tellement - mieux avant », est un livre délicieux d’un grand styliste dans la lignée hussarde de Blondin, qui assume avec talent son attachement aux choses surannées et passées de mode. Mais qui pourrait prétendre que Claude Sautet, Bébel, le culte de la langue française, le panache hexagonal, les livres paillards de Boudard, la voix de Michel Delpech, le plat Berry qui est le sien puissent passer un jour de mode ? Morales possède ce passé brillant, truculent, hédoniste, cultivé, amical, gascon et rastignacien, épris de clochers et de ballons de rouge partagés au zinc, du mythe B.B. et des fromages bien faits, chevillé à l’âme comme au corps. Et nous le suivons, page à page, avec une gourmandise qui augmente à mesure, en lisant en ronronnant. « Arrière les esquimaux ! » Olé...

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.06.30.png« La Vie derrière soi. Fins de la littérature », d’Antoine Compagnon (folio essais) est un essai aussi important que sombre. « La littérature a un lien essentiel avec la mort, le deuil et la mélancolie », prévient d’emblée l’ex-universitaire et essayiste des « Antimodernes » et le biographe inspiré (et à succès) de Montaigne, Proust et quelques autres. Est-ce l’âge, le décès de son épouse, la retraite prise... Compagnon se penche sur les œuvres tardives, évidemment pas comme Narcisse sur son reflet dans l’eau, mais en intellectuel constamment en question, à l’écoute, notamment sur ce qui pourrait constituer ce fléchissement de l’âme, sur ce qui préfigure chaque chant du cygne, sur les faiblesses physiques aussi – qu’il ne faut pas négliger, car elles gouvernent le mouvement de la main sur la feuille... L’érudition de l’ancien professeur au Collège de France (dont je suivais les cours, parfois dehors devant un écran géant, pour cause de succès, lorsque je vivais dans le Ve arrondissement, à un jet de galet du Collège...) brille par mille feux en voie d’extinction, et cette plongée dans les eaux profondes de l’ultima verba donne à voir et à réfléchir sur la teneur des dernières pages de « La Recherche », sur la théâtralisation du « Journal » de Gide, sur tant de récits de la vieillesse qui se révèlent parfois, souvent, plus toniques que ceux de la jeunesse, aussi. Stimulant.

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.07.00.pngBien sûr il y eut la divine surprise – oh, vingt-neuf pages à peine -, mais de l’indépassable Julien Gracq, avec « La Maison » (Corti), nouvel inédit, cadeau du ciel et des étoiles, condensé du talent immense du « patron » comme disait Nourissier. L’histoire, mais en est-ce une, est mince come un papier Rizla+, et en faut-il d’ailleurs une pour faire œuvre (à vocation) universelle ? cf. supra. L’apparition énigmatique d’une maison enfouie dans une friche sur le trajet du bus, « comme l’affût précautionneux et tendu d’une bête lourde au milieu de ces solitudes », « de ces fourrés sans oiseaux ». Nous sommes aussitôt chez Poe que Gracq vénérait autant que Verne. Son approche furtive un jour, à pied, « le besoin de me sentir le cœur net de l’envoûtement bizarre de ces bois sans joie », « une extraordinaire suggestion d’abandon et de tristesse », et tout à trac le chant à peine perçu d’une femme, « une voix nue », la vue, l’espace d’un court instant, de « quelque chose d’elle », « la pointe de deux pieds nus », et il n’en faut pas davantage pour générer une montagne d’un désir retenu serré par l’écriture comme jamais maîtrisée de l’auteur du « Balcon en forêt ». La charge érotique de ce très court texte est d’une intensité sublime puisque tout est suggéré, entrevu, et enfin la chute, que je délivre ici car elle n’empêche aucunement le plaisir du texte, sa montée en puissance comme le mercure dans le thermomètre, « ... plus nue encore, et plus secrète que les pieds nus, la masse ondée, prodiguée, déployée, comme une draperie, d’une longue chevelure blonde, la chevelure défaite d’une femme ». Qui écrit mieux ?

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.07.37.pngGrâce soit rendue à Brice Matthieussent, traducteur magnifique de tout l’œuvre – volumineuse (trente ouvrages) de « Big Jim » et à Flammarion d’avoir rassemblé tout ce que ce corpus compte de récits et d’extraits de romans, de « novelas » aussi, placés sous la personne emblématique de Chien Brun, double de Jim Harrison, « Chien Brun. L’intégrale » (Flammarion), donc. Il s’agit d’un livre en surnuméraire lorsqu’on possède une étagère pleine à ras-bord des bouquins de Jim, et qui – pour l’anecdote, faillit un jour me priver de vieillir, en tombant brusquement sur ma tête. Je m’en tirai avec un éclat de rire étrange et une bosse énorme. Ah, Chien Brun, mélancolique bâtard supposé d’Indien mais n’ayant que du sang chaud qui circule ardemment dans les veines, Chien Brun l’anar broussard du Michigan dépourvu de numéro de sécurité sociale – notez la poésie insolite de ces mots, Chien Brun pêcheur de truites et devant l’éternel, Chien Brun chasseur et trousseur, sauvage comme on aime les personnages de cette Amérique des grands espaces, court ici sur près de six cents pages, et plus on les feuillette, s’y arrête, plus Jim nous manque. Mais ce n’est pas si grave, Chien Brun se retourne, décèle votre peine, et vous embarque, et c’est bon de le suivre à nouveau, de le lire...

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.08.03.pngVoici un ouvrage singulier que Jim Harrison aurait sans doute aimé. « Chanteurs d’oiseaux », de Jean Boucault et Johnny Rasse (Les Arènes/PUG), ou l’histoire de deux surdoués de l’imitation des chants d’oiseaux – l’un est spécialiste du goéland argenté, l’autre du merle noir, qui raflent tous les concours (ce qui semble très étrange, pour un citadin) ayant cours notamment en baie de Somme, d’où ils sont issus. Terre d’oiseaux de passage, ils ont grandi parmi eux, du côté d’Arrest, leur parcours est narré en alternance, et ils se donnent aujourd’hui en spectacle, et c’est paraît-il bluffant (mais j’ai la chance immense de pouvoir les écouter bientôt, vers la mi-janvier, à Paris, à la faveur du Salon du Livre de Nature, où se tiendra leur prestation). Leur récit alterné est touchant, simple, qui décrit leur quotidien, l’école – surtout buissonnière, l’amour infini des oiseaux, l’apprentissage de leur parole, de l’infinie subtilité des « modulations de fréquence » de chacune d’elles, la naissance d’une passion dévorante, tout cela est décrit dans une langue directe et sensible, naturellement sauvage et saumâtre, avec des adjectifs beaux comme des marécages à l’aube, des joncs éclairés par un soleil timide. « Je t’apprendrai à faire le courlis cendré ». Juste cette phrase et je frissonne. Comprenne qui sait déjà...

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.08.35.png« L’ABéCédaire de Michel de Montaigne », choisi par Michel Magnien (L’Observatoire) est issu d’une collection particulièrement attachante (celui de Romain Gary nous avait ravi, il y a quelques mois). Il agit comme un « memo », un rappel, un vaccin, on le feuillette en cherchant des entrées moins convenues, laissant tomber amitié, cannibales, apprendre à mourir, éducation... en musardant du côté de bordel, branloire, chasse, constance, cul, délectation morose, désir, difformité, écrivaillerie, garde-robe, ivrognerie, etc. Inépuisable Montaigne. Ce livre est à rapprocher du (déjà ancien) « Le meilleur de Montaigne », concocté par Claude Pinganaud pour arléa. Revenir, toujours, à Montaigne.

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.09.32.pngJ’en attendais plus. Je fus déçu. Comme souvent, avec le choix de l’Académie Nobel. Louise Glück ne profita pas longtemps du sien, obtenu en 2020, car elle vient de nous quitter. La « grande » poétesse américaine se voit compilée par Poésie/Gallimard, avec « L’Iris sauvage, Meadowlands, et Averno » lesquels m’ont laissé sur ma faim de poésie profonde, dense, parce que, page 193, je ne me contente pas du début du poème intitulé

    « Anniversaire : 

    J’ai dit que tu pouvais faire un câlin.

    Ça ne veut pas dire tes pieds froids sur ma bite.

    Quelqu’un devrait t’apprendre les bonnes manières au lit. »

    Un poème, un seul (sur 450 pages, c’est léger) a trouvé grâce à mes propres critères, « Rotonde bleue :

    J’en ai assez d’avoir des mains

    dit-elle

    Je veux des ailes –

    Mais que feras-tu sans tes mains

    Pour être humain ?

    J’en ai assez de l’humain

    dit-elle

    Je veux vivre sur le soleil »...

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.10.06.pngApprocherions-nous, via cette dernière image, de l’éternité décrite (« Quoi? »..) par Rimbaud, dont on célèbre le 150eanniversaire de l’impression à compte d’auteur à Bruxelles, des cinquante-quatre pages d’« Une saison en enfer » (Poésie/Gallimard), soit une mince plaquette de textes en prose sertie de sept poèmes en vers, avec des pages blanches, des fautes typographiques demeurées (il s’agit d’un fac-similé, comme celui qu’arléa offrit à ses fidèles clients il y a quelques années). La mention PRIX : UN FRANC qui barre la page de titre (intérieure) comme une ceinture de bourreau, possède finalement l’élégance surréaliste d’un aquoibonisme de belle facture. Rimbaud détruisit le faible tirage, non sans avoir offert un exemplaire à Verlaine. C’est grâce à celui-ci que le texte fut sauvé, nous est parvenu, et nous touche encore de plein fouet :

    « Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s’ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient.

    Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. – Et je l’ai trouvée amère.  – Et je l’ai injuriée. »

    Ainsi débute cet ouvrage iconique, comme on dit, que nous ne nous lasserons jamais de rouvrir.

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.10.34.png« Je suis un volcan criblé de météores », de Etel Adnan (Poésie/Gallimard), m’est une découverte majeure. Cette somme de poésies qui couvre les années 1947 à 1997 provient d’une poétesse prolixe (1925-2021) tardivement reconnue, peintre aussi, issue du carrefour de plusieurs cultures (turque, grecque, libanaise, française, américaine). Il y a des poèmes militants à connotation politique, je les ai écartés d’instinct, considérant avec Stendhal que « la politique dans un roman, c’est un coup de pistolet dans un concert », et avec Proust que des idées dans une fiction « sont comme l’étiquette du prix laissée sur un cadeau ». En revanche, de très nombreux textes sont infiniment sensibles, touchants. Extraits :  

     

    « Le soleil dit la mer est la vie originelle,

    je suis les vignes futures et la vigueur des panthères.

    La mer est femme sur les genoux de l’aube. »

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    « La nuit coulait plus lentement

    qu’un étang. L’ange comptait

    les étoiles. Tu disais : L’amour

    est une eau qui revient à son

    aube. »

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    « J’ai épousé la lumière

    j’ai enfanté la folie

    je suis un fleuve mon amour

    tu ne peux que pleurer

    sur mes bords. »

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    « et la chaleur de ta

    passion

    prend

    la couleur du givre

    blanc comme un perpétuel printemps. »

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    « Elle avait des yeux qui faisaient

    briller le soleil au-dessus de mon lit

    et tomber la pluie

    c’est de ma mère que je parle... »

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    « La solitude du monde animal

    est entrée dans mon cerveau :

    Une femme m’a aimée au-delà de toute raison »

     

    Capture d’écran 2024-01-01 à 10.04.38.pngÀ la faveur de retards homériques des trains de la SNCF la veille de Noël et son surlendemain, et ayant pris soin, au cas où si probable, de me munir d’une Pléiade, j’ai relu les Oeuvres romanesques de Marguerite Yourcenar, la grande Marguerite Yourcenar. « Alexis ou le traité du vain combat », Le coup de grâce », « Feux », « « Nouvelles orientales », un peu de « l’Œuvre au Noir », des « Mémoires d’Hadrien »... Un bonheur réitéré une journée durant entre Bayonne et Nîmes, via Bordeaux et Toulouse. Je suis soudain tenté de reproduire ici tout ce que j’ai pu annoter au crayon sur le papier bible, tant de fulgurances, de traits, de percussion, de vérité, de subtilité extrême... Allez, juste deux ou trois comme ça, pour frissonner :

     

    « On dit : fou de joie. On devrait dire : sage de douleur. »

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    « Posséder, c’est la même chose que connaître : l’Écriture a toujours raison. L’amour est sorcier : il sait les secrets ; il est sourcier : il sait les sources. L’indifférence est borgne ; la haine est aveugle ; elles trébuchent côte à côte dans le fossé du mépris. L’indifférence ignore ; l’amour sait, il épelle la chair. Il faut jouir d’un être pour avoir l’occasion de le contempler nu. Il m’a fallu t’aimer pour comprendre que la plus médiocre ou la pire des personnes humaines est digne d’inspirer là-haut l’éternel sacrifice de Dieu. »

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    « Où me sauver ? Tu emplis le monde. Je ne puis te fuir qu’en toi ? »

     

    Capture d’écran 2023-12-31 à 17.11.54.pngJ’achèverai cette brève liste (j’en oublie, c’est certain, car une année c’est long, mais je la rectifierai, le cas échéant)... Avec une relecture faite à la faveur d’un cadeau d'anniversaire précieux comme le givre à l'aube, le premier regard de connivencia, l'amour et le vin pur en partage, le silence qui épargne le geste, les yeux fermés paupières coupées : « L’Amour fou », d’André Breton dans une belle édition rare, illustrée et numérotée du Club français du livre. J’ai éprouvé le besoin parallèle de reprendre le « André Breton. Quelques aspects de l’écrivain », de Julien Gracq (José Corti) pour ce qui y est souligné par celui qui fut fasciné par le père du surréalisme : ceCapture d’écran 2024-01-01 à 10.06.37.png pouvoir prodigieux d’associer sans contrainte pour le lecteur la poésie et l’essai, la beauté de la phrase et la réflexion sur le motif. Avec Breton, comment dire... l’émulsion, pour une fois, semble pouvoir prendre : l’eau à l’huile s’allie et la fusion procède d’un alliage unique. « L’Amour fou », donc, offert par une main experte en surréalisme, « parce que la neige demeure sous la cendre », et ses inoxydables fulgurances, pour le plaisir du texte, soit pour ne jamais changer...

    « La beauté convulsive sera érotique-voilée, explosante-fixe, magique-circonstancielle ou ne sera pas. »

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    Et cette célèbre citation que l’on voudrait faire inscrire sur notre pierre tombale ou bien sur notre urne, au choix :

    « J’aimerais que ma vie ne laissât après elle d’autre murmure que celui d’une chanson de guetteur, d’une chanson pour tromper l’attente. Indépendamment de ce qui arrive, n’arrive pas, c’est l’attente qui est magnifique. »

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    Bonne Saint-Sylvestre. « Je vous souhaite d’être follement aimé(es) ». A.B.

    Léon Mazzella

     

      

  • LA GLOIRE DE SON PÈRE

    Capture d’écran 2023-12-31 à 10.01.11.png« Une histoire des Trente Glorieuses », ou la recherche du père mal connu, à travers le tableau tendre d’une époque.

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    Didier Pourquery poursuit son récit familial. Après le livre poignant sur sa fille disparue, « L’été d’Agathe », voici l’histoire de Christian, son père trop peu connu, à côté duquel le fils semble être passé. Christian mort à quarante-sept ans à peine, en 1979, au volant de sa R16 sans ceinture qu’il conduisait trop vite, parce qu’à l’époque c’était ainsi ; les Trente Glorieuses aimaient la vitesse.  L’auteur confie avoir senti l’ombre paternelle planer tandis qu’il écrivait : « mon père me parle sans cesse et sans filtre. Il me guide et me tacle... ». Le récit de Pourquery accomplit la prouesse d’être une sorte de poupée gigogne où alternent trois livres : l’histoire de Christian, ouvrier devenu manager « à force de vouloir », et dont l’ascension sociale fera la fierté du clan familial à partir du moment où il « entrera chez IBM » - il reprendra même des études à l'âge de trente ans à l'IAE fraîchement créé, un tableau de cette époque bénie des dieux de la croissance, de l’insouciance, et de la consommation des « choses » dirait Perec, qui apparaissent dans le livre comme autant d’images colorisées - soit un véritable petit essai parallèle, et enfin le parcours en filigrane du jeune Didier qui se construit, dingue de jazz dès son plus jeune âge, parti de l’économie en entreprise et qui bifurquera vers le journalisme avec le talent que d’aucuns savent*. Le tout sur fond de Gironde, berceau des Pourquery, mais à la ceinture de Bordeaux (tout gris à l’époque), du côté de Lormont, pas celle des quartiers chics. D’ailleurs, l’amoureux des mots Didier Pourquery s’en donne à cœur joie en pimentant son récit d’expressions populaires très bordeluches, et nous sourions souvent en lisant... Le sel de ce livre réside aussi dans les mots qui désignent une époque révolue mais que les « boomers » ont gardé en mémoire. Égrenés comme les perles d’un chapelet, ils illuminent et le texte et l’esprit du lecteur. Cela donne, pêle-mêle : haut-parleur, zazou, Sélection du Reader’s Digest, Cacolac, Floride (Renault), home d’enfants, Norev, caravaning, Les Pieds nickelés, Tout l’Univers, le portemine Criterium ou « le gros feutre Onyx Marker à la pointe biseautée et à l’odeur tenace », car des objets apparaissaient comme de petites merveilles : la purée en flocons, la première réunion Tupperware, la housse écossaise de la raquette de tennis en bois, les petits pots Blédina. Tout ce qui pouvait augmenter le « standing »... Et le brio de Didier Pourquery est de parvenir à mêler tout cela sans nostalgie, avec subtilité et délicatesse littéraire : une histoire familiale, le récit intime de la « recherche » du père, une confession jamais impudique, un condensé  d'essai sociologique, l’ensemble étant guidé par l’impérieux souci de l’exactitude et du détail propre à la rigueur journalistique (qui devrait toujours constituer) la base, et augmentés surtout d’une sensibilité, d’un style touchant, d’une générosité, d’une tendresse qui sont la marque de fabrique de l’auteur. Chapeau l’ami !

    Léon Mazzella

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    *Il a été notamment directeur des rédactions de Métro, de Libération, du Monde, et de The Conversation France.

    « Une histoire des Trente Glorieuses », par Didier Pourquery (Grasset). « L’été d’Agathe », paru également chez Grasset, est disponible en poche à La Petite Vermillon (La Table Ronde).

  • L'amour, c'est...

    Capture d’écran 2023-05-22 à 11.08.35.png

    Exercice : légendez cette photo. Vous avez 3 minutes.

    L’amour, c’est entamer le grand écart, c’est faire confiance, l’amour c’est s’abandonner, c’est avoir le cul entre deux chaises et ne plus savoir sur quel pied danser, l’amour c’est serré comme le café tonifiant, c’est naturel, c’est en forêt, c’est un bois de jeunes bouleaux, l’amour c’est bref comme une étreinte, l’amour interdit tout relâchement, l’amour c’est parfois en avoir plein les bottes, l’amour se fait à pieds joints, et jambes écartées le plus souvent, l’amour en terre, dans la tranchée, entre deux rives, l’amour est une frontière. L’amour... Et cette casquette alors, qu’en dire ? L.M.

  • Flemme

    La flemme. Elle m'étreint. Je veux seulement parler de ma nouvelle flemme à évoquer, critiquer les livres que je lis ainsi que je le fais depuis plus de quarante ans (mes débuts furent aux pages livres de Sud Ouest Dimanche). J'ai juste la force, là, de citer mes derniers bonheurs de lecture, en exposant la couverture des ouvrages (il y en a vingt-sept, ci-dessous). J'en parlerai plus tard. Peut-être. Je dirai combien le nouvel inédit de Gracq, mince comme un After Eight, est dense comme une truffe melanosporum, je dirai que la seconde Beune de Michon est torride, sexuelle, mais toute en retenue, en frôlement d'une forme de tantrisme littéraire (à rapprocher de la tentative gracquienne d'exploration d'une maison découverte fortuitement, en voyeur têtu et, à la faveur d'une apparition, d'une voix, d'un pied féminin, sujet romantique à l'imaginaire hölderlinien le plus débridé). Et qu'il faut reprendre la Grande Beune, puis lire la Petite aussitôt après. Je dirai que Patricia Perello possède une prose happante, captivante, et un sacré don de récitante (au coin du feu, du côté d'Iraty - genre). Je dirai que prendre et reprendre Colette par son meilleur (Sido, Les vrilles de la vigne) comme aussi La naissance du jour, ou bien par le prisme de l'excellent Antoine Compagnon, procure un bonheur bucolique intense qui transforme chacun de nos soupirs en détente absolue, augmentée de chants de passereaux comme une guirlande de fleurs des champs dans les cheveux. Je dirai que l'ouvrage précieux de l'ami Jean-Noël Rieffel (je puis dire que je suis à l'origine de la publication de ce touchant récit d'un ornithologue chevronné amateur de poésie - notamment celle de l'immense Jaccottet, et de vins purs) fait un éloge vibrant de la migration et de ce qu'elle génère en nous, observateurs amoureux invétérés. Je dirai que l'excellent essai de Patrick Tudoret sur une philosophie certaine de la marche conçue comme une démarche littéraire autant que poétique, est un bréviaire que j'offrirai souvent; c'est sûr. Dire que mon ami Christian Authier brille une fois encore, sur un sujet qu'il possède, La Poste, avec humour, fantaisie, connaissance fine, dérision, sarcasme et nostalgie sera une mission fortement possible. Je dirai que mon ami (décidément) Emmanuel Planes m'a étonné en m'apprenant plein de choses sur une ville, la mienne (Bayonne), que je pensais connaître comme le fond de ma poche trouée. Justement... Je dirai que s'il est un seul livre (inclassable) à retenir de cette liste, et donc à lire en priorité, ce sont ces Impardonnables de l'érudite subtile Cristina Campo. Il n'est qu'à citer ses pages sur la sprezzatura, concept italien que je vous laisse le soin de découvrir, car il est si rare dans son impossible définition que je n'ose l'évoquer. Je dirai que François Cérésa nous offre un livre salutaire, puisque notre époque marquée du sceau du nivellement par le bas, manque cruellement de panache. Et que sa galerie de portraits habilement choisis renfloue notre humeur à marée basse lorsque nous observons le monde tel qu'il va médiocrement. Je dirai que Robert Desnos continue de me bouleverser chaque fois que j'ouvre n'importe lequel de ses recueils de poèmes, je dirai qu'il m'est nécessaire de frissonner au contact de ses mots tendres et dotés d'une force douce, amoureuse et candide. Je dirai que la poésie chinoise classique - davantage que l'exégèse de Le Clézio, est un viatique pour le voyageur ne sachant pas quoi caler dans la poche extérieure de son sac à dos, fut-ce pour faire un aller-retour en basse montagne dans la journée, ou bien pour partir aux antipodes. (Pour ces derniers, je conseillerai plutôt Bouvier et Thoreau, Chatwin et Hamsun, Charles Wright et André Suarès, et puis Tesson bien entendu). Je dirai que tout amateur de littérature aime l'objet livre, le tenir en mains, le humer, l'entendre flapper ses pages du bout des doigts, et affectionne donc charnellement la police des caractères - laquelle ne nous demande jamais nos papiers... Ainsi, les Miscellanées d'un bouquineur figurent-ils une déclaration d'amour au physique du livre. Je dirai que le traducteur historique de Jim Harrison, Brice Matthieussent, a eu l'idée géniale de rassembler tous les textes évoquant Chien Brun, double de Big Jim, éparpillés dans son oeuvre accomplie, en un seul et épais, et par conséquent très précieux volume. Gloire à Brice ! Je dirai que quelques académiciens ont mille fois raison de s'insurger contre la dévalorisation de la langue française, surtout à l'heure où d'aucuns écrivent franglais, ou langage sms, à une époque inquiétante où l'invective au Palais-Bourbon touche à la sémantique poissonnière, et ce fabuleux livre rouge intitulé légèrement Flânerie au pays des mots est une invite à revoir le sujet avec beaucoup de sérieux, car il y a péril en la demeure. Je dirai que Christiane Rancé, dont nous avions loué ici même le Dictionnaire amoureux des saints, est une amoureuse totale de la Botte, et qu'elle a, ancré en elle, le talent pour la dire, avec l'élégance du semeur lorsqu'il déploie son bras : Italie je t'aime. Je dirai que Colliat est un gars malin qui a eu l'idée formidable de collectionner un millier traits d'esprit sarcastiques, cyniques, claquants, tous brillants, des réparties donc, et son anthologie figure un bréviaire du tac au tac de génie. Sur la table de chevet, svp ! Je dirai que mon philosophe chouchou Michel Onfray (je suis l'un de ces rares Mohicans qui le lisent, l'aiment et le défendent) procure comme toujours une jubilation intellectuelle en nous augmentant avec son savoir et son invitation permanente à l'interrogation en forme de bousculade qui n'est jamais bourrue, mais plutôt une douce douche froide sur le cerveau. Je dirai que Bérénice Levet nous offre un essai indispensable pour monter à l'assaut du wokisme et son insondable bêtise, et que j'ai failli surligner chaque ligne de ce livre à brandir dans toute contre-manif - et à offrir à chaque dîner en ville (comme on dit). Je dirai, s'agissant de ma passion pour les oiseaux, que Légendes... apprend quantité d'histoires, comme celle du rouge-gorge, lequel doit la couleur (orangée, cependant) de sa poitrine au frôlement avec celle, ensanglantée, du Christ sur la Croix... Mais ça, Jean-Noël Rieffel l'évoque aussi. Les deux ouvrages se font écho à certaines pages, et c'est heureux. Le mince texte du grand Pierre Bergougnioux sur les oiseaux est une sorte de tendre thriller de l'enfance circonscrit en vingt pages, et je n'en dirai pas davantage sur cette nouvelle parfaite comme un oeuf. Je dirai que l'alouette mérite encore et toujours tout notre respect, notre déférence, notre admiration face à un vol stationnaire et un chant entre tous envoûtants. Un éloge lui rend joliment grâce (la mode éditoriale serait donc à l'éloge. D'ailleurs, moi-même, avec le Pays basque...). Je dirai que Pascal Quignard, avec L'amour, la mer, semble être à son paroxysme littéraire, mais comme nous nous sommes déjà fait cette réflexion avec quelques uns de ses livres précédents, nous ne savons, je ne sais plus quoi dire, écrire. Attendons les suivants, car il y en aura bientôt. Je dirai que Ramón Gómez de la Serna est définitivement un auteur majeur de chez majeur. Et que, passé le choc produit par la lecture de son monumental Automoribundia (narré ici), il n'y aurait plus qu'à savourer le plaisir de la relecture - et bien non, voici l'Aube, mini chef-d'oeuvre de plus. Je dirai que Le nageur est un bon Assouline, qui raconte avec talent le destin singulièrement tragique d'Alfred Nakache, champion olympique de natation, juif, dénoncé à la Gestapo par une crevure immonde nommée Cartonnet, son rival dans les piscines. Je dirai que À tire d'ailes est une jolie anthologie de l'oiseau dans l'art pictural, augmentée d'illustrations fidèlement imprimées, connues ou peu connues, propices à la rêverie. Je dirai... Passée la flemme, je dirai. Ou peut-être pas. Peut-être même que je bartlebyriserai mon intention première, et que j'écrirai je préfèrerais ne pas. Chi lo sa... L.M.

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  • Arrivato

    Bon, ça y est, il m'est parvenu, ainsi qu'à la presse. Il sera en librairie le 27 de ce mois (première signature officielle le 29 à Cultura/Anglet).

    Réservez-le auprès de votre libraire. On en reparle bientôt.

    (Je l'ai aussitôt relu pour me livrer à une chasse à la coquille. Je n'en ai trouvé aucune parmi ses 190 pages.  À la bonne heure).

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  • Procida mia

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    Retour récurrent, nécessaire, viscéralement ancré au désir incontrôlable, à Procida, isola mia. Pour y écrire. Me laver en écrivant. Bisogno. Avec méfiance, cette fois, car c'est la capitale italienne de la culture depuis le 1er janvier et jusqu'au 31 décembre, et que le monde afflue sur cet isoletto qui n'en peut mais. Certo, la culture c'est mieux que la politique ou le sport pour être distinguée une année durant.

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    Mais, bon. J'y suis arrivé cet après-midi, et j'ai retrouvé mes marques, mes amis Cesare, Giuseppe, Vincenzo, Aniello, Emanuele... Mes repères et mes repaires aussi, tout ce qui me rend poisson un instant échoué retrouvant la mer à la faveur d'une vague aimante comme un bras par dessus l'épaule à l'instant où on ne l'attend pas, marchant en silence le soir, côte à côte, d'un pas rythmé; entendu. L.M.

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  • Surfrime

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    À l’heure où j’envisage très sérieusement de me remettre au surf, malgré le risque, grand, de crampes et de séries de vagues sur la gueule, humilié par des minous qui pourraient tous être mes grands fils (mais peu me chaut), je me dis : tentons de conjurer ! Allez, j'ose... J'ose exposer - quelle impudence, quelle imprudence, quelle impudeur, ces deux vieux clichés. J'ai quinze ans (en couleur) et seize ans (en N&B), et toutes mes dents - quoique, non, peut-être pas car une planche prise en pleine poire m'en ôta un jour quelques unes et au même endroit, soit à ma sacrosainte Petite Chambre d'Amour (Anglet). Ces deux photos me montrent en train de concourir pour mes toutes premières "compètes" de surf internes, celles du O Surf Club, mon unique, mon club de cœur à tout jamais, et elles datent de 1973 et 1974, et se sont déroulées sur des vaguelettes. Sur la première, je me prends pour Gerry Lopez, mon idole d'alors, que, fébrilement, je voyais prendre d'énormes tubes, nonchalant, debout, à peine voûté, les épaules comme rentrées afin de ne pas les mouiller, dandy maillotté, lyrique muet, au spot mythique de Pipeline (Hawaï), sur les films de surf que projetait le cinéma Pax de Biarritz La Négresse. Il ne manquait à Gerry qu'une cigarette forcément allumée au bout de sa main droite... Rêve éveillé, en lévitation dans la salle de cinoche, le soir, où nous nous rendions en Mob' pour des instants de bonheur, augmentés par l'attente fébrile de Surfer magazine dans la boîte aux lettres de la maison familiale...

    Je disputai les championnats de France de surf en 1974, 1975, et renonçai à ceux - bien que sélectionné - qui se déroulèrent à Tahiti. Le coût du voyage de deux semaines, formidablement négocié par Jacques Fagalde, alors président de la Fédération Française de Surf et du O Surf Club, dérisoire, ne remua pas un cil de mes parents. Mais j'y renonçai pour les beaux yeux d'une jeune biarrote, que je devais retrouver à la fin de ses vacances en Corse avec ses parents. Je collectionnai alors les t'es con Léon viens fais pas chier pour une gonzesse t'en trouveras une autre... Je demeurai imbécilement sourd à ces prêches amicaux, bienveillants. La camaraderie rugbystique faisait une passe jusqu'à l'océan et je n’en saluai pas la geste. J'en conçus plus tard une honte épaisse... Je le regrettai amèrement. Car, lorsque Florence revint de vacances, elle m'annonça qu'elle avait rencontré un certain Thierry (que j’imaginais boutonneux et inculte) sur son lieu de villégiature, le dernier jour... J'en adore le souvenir, puisqu'il signe une certaine définition de l'ingénuité mâtinée de romantisme post-adolescent. Et c'est plutôt savoureux, non?.. L.M.

    Sur la première photo, je suis juché sur ma toute première planche, vert pomme, motif psychédélique façon t-shirt Fruit of the Loom des années Woodstock dessous, et avec un coquillage rouge incrusté sur le devant (devant mes yeux lorsque je ramais) offerte par maman pour mon BEPC. Achetée à un surfer de Long Beach (Californie) pour 300 F. Lequel fabriqua de ses mains ma première combi, une Long John qui me revêtit plusieurs hivers, augmenté à la demande climatique d'un boléro O'Neill de la meilleure facture. La seconde planche, je l'ai achetée à Jean Hazard, un Angloy du club, frère de Jackie, "amie" ici, pour 400 ou 600 F, je ne me souviens plus, mais elle m'était trop lourde, peu maniable sous le pied droit, tandis que la première, généreusement galbée en dessous et avec sa longue bulle d'air oblongue et permanente, m'était légère, légère... 

  • Il voyagea...

    Besoin récurrent de lire ce passage...

    « Il voyagea.
    Il connut la mélancolie des paquebots, les froids réveils sous la tente, l’étourdissement des paysages et des ruines, l’amertume des sympathies interrompues.
     Il revint.

     Il fréquenta le monde, et il eut d’autres amours encore.
    Mais le souvenir continuel du premier les lui rendait insipides ; et puis la véhémence du désir, la fleur même de la sensation était perdue. Ses ambitions d’esprit également avaient diminué. Des années passèrent ; et il supportait le désœuvrement de son intelligence et l’inertie de son cœur.
     Vers la fin de mars 1867, à la nuit tombante, comme il était seul dans son cabinet, une femme entra. »

    Gustave Flaubert, L’Éducation sentimentale, Deuxième partie, (début du) chapitre VI.

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  • Un an plus tard

    Cliquez là => LE BRUISSEMENT DU MONDE

    Léon Mazzella capture quelques fragments du monde pour en saisir toute la volatilité sensuelle.

    Par THOMAS MORALES.

    Article paru dans Causeur.


    Le choix de la première chronique littéraire de l’année s’apparente à la cueillette des champignons, dans un sous-bois, à l’automne, quand la feuille morte rythme le pas, quand l’incertitude guide la main du critique. La pluie grise les sentiments, la nature protège et isole; le critique hésite, il tâtonne, il se rétracte parfois, puis il se lance, il a enfin trouvé le livre qui correspond à son souffle intérieur, à son émotion du moment, à sa volonté de ne pas ensorceler le monde. En 2021, l’esprit ne sera ni à la querelle incestueuse, ni à la légèreté béate, plutôt à la beauté qui s’efface peu à peu, elle s’échappe, nous le sentons charnellement, et pourtant, il faut la retenir, s’incliner une dernière fois devant elle, la remercier encore et toujours. Se rappeler que sans elle, nous sommes des êtres désarticulés, surnuméraires fantômes. Cette beauté fugace n’est pas grandiloquente, elle ne bombe pas le torse, elle ne nous fait pas du gringue au coin d’une rue ou à la lecture d’un paragraphe trop étincelant; discrète, elle sait tenir ses distances.

    Mazzella caresse le désenchantement

    Elle s’apprivoise difficilement. L’écrivain Léon Mazzella, styliste des terres basques, grand spécialiste du vin, part à sa recherche dans Le Bruissement du monde aux éditions Passiflore. Il est de ces explorateurs esthètes qui ne surjouent pas la surprise ou l’émerveillement. Ce gracquien sème la chronique au vent, sans charger sa phrase d’un affect débordant, elle garde sa pureté originelle tout en susurrant son pouvoir d’abstraction. Là, réside le charme vivifiant de ce recueil buissonnier qui promène son bonheur de vivre entre fragments, souvenirs d’enfance, nostalgie du cœur, sens de la transmission et plaisir du palais. Mazzella nous touche car, avouons-le, il caresse notre vieux monde, il cajole notre désenchantement, il ouvre la volière de notre mémoire. Ne vous méprenez pas sur son dessein, il ne panthéonise pas le passé, ce n’est pas un embaumeur, plutôt un exhausteur de goût. Son toucher de plume lifte l’existence, lui donne du rebond. Nous avons les mêmes codes d’entrée, les mêmes marottes, les Renault Floride et les chevauchées landaises de Christine de Rivoyre

    Compagnon hussard

    Avec ce compagnon hussard, on se rappelle d’un texte lu à l’adolescence qui a fait chavirer notre suffisance, on se met alors à dessiner des volutes de Havane dans le ciel laiteux de la province française, à rêver aux seins obuesques de Silvana Mangano dans « Riz amer » ou à la bouche désirable de l’impénétrable Monica Vitti. À nous extraire simplement de notre quotidien par le talent des autres, voilà un résumé de ce que fut notre jeunesse. Pour nous, garçons ahuris, bouffis de caractères d’imprimerie et de cinéphilie, la réalité passe souvent par le tamis de la fiction. Mazzella est un merveilleux brouilleur de météo, il détraque toutes les horloges. Avec lui, la chronologie s’émancipe des dates. On le suit avec gourmandise dans cette belle littérature, giboyeuse et sauvage des Trente Glorieuses puis, le texte suivant, il nous ramène au présent, dans le spectacle chantant d’une bergeronnette grise ou la pesanteur ensoleillée d’un champ de maïs. Tantôt mélodiste d’antan, tantôt aquarelliste du paysage en mouvement, sa mélancolie sous-jacente n’est ancrée dans aucun port d’attache. Elle est libre, elle se moque des convenances, elle cabote sur des côtes intimes. C’est pourquoi nous prenons autant de plaisir à le lire, surtout quand il écrit: « Je suis Claude Sautet » ou qu’il fait l’éloge du stylo à plume: « Bonheur de retrouver le glissement de l’encre, sa fluidité, et le crissement sur le papier vergé ivoire, cette teinte bleu nuit qui forme les lettres, les mots qui naissent, le mouvement du poignet, le sang qui afflue sur la dernière phalange de l’index comme si nous labourions ». Mazzella sait, par instinct, qu’un bon livre ne ressemble pas à une autoroute rectiligne, il doit cahoter, ne jamais utiliser le même instrument de musique, de la variété naît l’harmonie. Mazzella ose passer de Gracq au Bricomarché, sublime impertinence et poésie de l’infiniment petit, de Calet à Anouk Aimée, de Larbaud à une libellule indisciplinée, de Gómez de la Serna au croquant du chipiron. Vive 2021 !

    Le Bruissement du monde de Léon Mazzella – éditions Passiflore.

    Le Bruissement du monde

    Price: 15,00 €

     

     
     
  • So sweet was never so fatal

    J’ai repris Othello, ce matin, afin de retrouver ce moment de la scène finale (la II, de l’acte V), où le héros shakespearien s’apprête à tuer Desdémona, qu’il accuse d’adultère avec Cassio, au prétexte que ce dernier aurait été vu avec un mouchoir qu’Othello avait offert à sa belle. Je souhaitais plus précisément retrouver cette phrase si émouvante dans la langue de William : « So sweet was never so fatal », qui devient, dans la traduction qu’en donne François-Victor Hugo (La Pléiade/Gallimard) « Jamais chose si douce ne fut aussi fatale », car j’aime ce vers. Et je suis tombé sur une réplique d’Othello en forme d'onomatopée qui m’a laissé tout chose l'espace d'un instant. Lisez ci-dessous, vous comprendrez... L.M.

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  • Qu’est-ce qu’on boit le 14 février ?

    Le monde du vin sacrifie lui aussi au marketing de la Saint-Valentin, à l’instar d’une autre fête comme celle des mères. L’appellation beaujolaise Saint-Amour surfe par exemple la vague de la fête des amoureux depuis des lustres (même si la Saint-Amour est inscrite dans le calendrier à la date du 9 août, mais que celle-ci passe curieusement inaperçue). Parmi les nombreuses cuvées au nom évocateur, nous avons sélectionné neuf flacons alliant l'appel de Cupidon avec la qualité.

     

    Capture d’écran 2021-02-08 à 14.59.38.pngLes bulles étant inévitables dimanche prochain, voici pour commencer en fanfare, Petite Douceur, champagne rosé de la plus ancienne maison de vins de la Champagne, Gosset. Et pourquoi pas déboucher cette petite douceur au lit à l’heure du brunch, avec viennoiseries, brioche bien beurrée et des œufs au bacon ! Oubliez les boissons chaudes et les jus de fruits. Ce champagne à la robe délicatement saumonée et au nez de petits fruits rouges maintient également son cap de pureté face à un financier, un macaron, et saura escorter plus tard un plat sucré-salé, ou bien exotique et volontiers épicé (55€). Notre coup de cœur effervescent.

     

    Le Champagne Chassenay d’Arce propose sa cuvée Confidences (rosé 2012, Capture d’écran 2021-02-08 à 14.56.11.png 66,30€). Belle robe intense, bulle généreuse, joli nez de fruits rouges et blancs, d’épices et légèrement réglissé. 86% de pinot noir (dont 13% de vin rouge), dopés par 12% de chardonnay et 2% de pinot blanc. C’est élégant, profond, charnu, friand, riche et persistant en bouche, avec des notes florales et minérales. Six ans de vieillissement en bouteilles sont nécessaires à l’élaboration de ce champagne digne d’accompagner un carpaccio de Saint-Jacques, puis un dos de cabillaud très peu cuit au four, juteux à souhait.

     

    Capture d’écran 2021-02-08 à 15.01.11.pngPlus modeste mais bluffant en le dégustant à l’aveugle, Sainchargny Extatic Brut Blanc est un Crémant de Bourgogne de la Cave de Lugny, issu de pinot noir (45%), de chardonnay (35%) et de gamay (20%). Sa robe pâle laisse apparaître des cordons de bulles plutôt fines. La bouche, noisettée, va vers d’autres fruits secs, et ce crémant élaboré selon la méthode traditionnelle s’accorde bien avec les tartelettes aux fruits et le kouglof, comme avec un curry d’agneau, ou encore un Brie de Meaux coulant (9,55€).

     

    Capture d’écran 2021-02-08 à 14.54.43.pngBeauregard est le nom de la cuvée du Domaine Roux, un Santenay Premier Cru (subtile AOC située à l’extrême sud de la Côte de Beaune). Ce 2017, 100% chardonnay (29€) se révèle splendide au nez : fleurs blanches, acacia, verveine, noisette, pain grillé et beurré. Sa bouche, opulente, d’une grande douceur, mêle la poire et un léger miellé. Servez-lui du saumon cru mariné, une volaille de belle naissance (Challans, Bresse), un foie gras au torchon de votre fabrication, et vos papilles participeront à la fête.

     

    Les Vignerons artisans de Carcastel (Corbières) proposent la cuvée L’Ange Blanc, Capture d’écran 2021-02-08 à 14.53.59.png en IGP Vallée du Paradis. (2019, 7€). Ce blanc issu de roussanne (85%) et de marsanne (15%) est idéal pour un apéritif amoureux, à condition d’avoir préparé, pour deux, deux tranches (calibrées) d’aubergine passées au four, beurrées de tapenade noire maison et deux filets de rougets saisis (sur peau) à l’unilatérale que l'on allonge sur ce beau matelas. Un filet d’huile d’olive, une pincée de sel, et hop ! Vin d’une grande fraîcheur, doté d’une nervosité agréable, il exprime le chèvrefeuille, l’abricot, le miel (la délicate roussane) d’une part, les fruits jaunes et blancs, les fleurs, le noisetté (la vigoureuse marsanne) d’autre part. Un couple dans la bouteille.

     

    Capture d’écran 2021-02-08 à 14.53.10.pngDu côté du Muscadet de Sèvre-et-Maine, en Cru Clisson (Cru communal depuis 2011), le Château d’Amour 2014 (14,50€) doit son nom aux amoureux du village de Maisdon-sur-Sèvre qui se retrouvaient en cachette derrière le chai de ce domaine, dans les années 1890, alors délaissé après le passage du phylloxera. Blanc sec issu de melon de Bourgogne, riche, structuré, élégant, Château d’Amour exprime un nez de fruits mûrs et confits. Sa bouche, ronde, grasse, flirte avec le coing, les agrumes mûrs, et ses notes légères de miel ne contraignent pas sa minéralité. Un régal avec une cuisine de la mer (Saint-Jacques snackées, queue de lotte rôtie, dos de merlu à l’Espagnole...). Notre coup de cœur en blanc.

     

    À Régnié (quel drôle de nom, dirait Prévert), appellationCapture d’écran 2021-02-08 à 14.56.54.png d’origine protégée, Cru du Beaujolais, le Domaine Franck Chavy propose la cuvée Paradis (2019, 9,60€) issue de gamay noir. Vieilles vignes, petits rendements, utilisation de la micro-oxygénation afin d’accompagner le mûrissement avec précision, tout est pensé chez Chavy. Cette cuvée paradisiaque s’accorde à merveille avec la charcuterie ibérique à l’apéritif, puis avec une viande rouge grillée au barbecue ou bien à la cheminée, ainsi qu’avec un fromage de brebis basque (ardi gasna), grâce à son nez de petits fruits noirs (mûre, myrtille), et rouges (cerise, surtout), et à sa bouche gourmande et souple donnant l’agréable sentiment de croquer dans une pêche de vigne.

     

    Capture d’écran 2021-02-08 à 14.55.27.pngLa célèbre maison Vidal-Fleury (sise à Tupin-et-Semons) propose une Côte-Rôtie, Brune & Blonde (2018, 60€) issue de syrah et de 5% de viognier (nos deux cépages fétiches). Le nom de la cuvée fait référence aux deux vignobles de l’AOC. La brune évoque la tendresse et la puissance, la blonde la vivacité et la délicatesse. Ce nectar-ci est élevé « sous bois » (fûts et foudres) deux années durant. Sa robe a de beaux reflets carmin (Carmen n’est jamais loin, avec la syrah). Son nez vif, intense, possède des notes caractéristiques de fruits noirs frais, de violette, de poivre blanc et d’olive noire. La bouche, riche, ample, est « pleine », profondément fraîche, épicée. Belle longueur. C’est le vin qui se fiance à un gibier à poil (chevreuil, sanglier) avec panache et sans ambages. ¡ Olé !

     

    Afin d’achever ce florilège aux noms évocateurs, toujours en Côte-Rôtie (notre appellation favorite : nous ne sommesCapture d’écran 2021-02-08 à 14.57.46.png pas difficile !..), le Domaine Christophe Pichon, à Chavanay, propose la cuvée Promesse (2019, 42€), laquelle représente à peine 4 ha. Le vin est issu de syrah (90%) et de viognier (10%). Il passe 13 mois en fûts neufs (75%) et en fûts d’un an (25%). Puissance et élégance sont sa double signature. Sa robe sombre et profonde, son nez fruité mais aussi fleuri et épicé (cassis, myrtille, léger grillé), sa bouche généreuse et longue, accentuent la typicité de l’appellation. La syrah tient sa promesse d’excellence, elle est présente, pulpeuse, fraîche, d’une élégance rare. Idéal avec une côte de boeuf de Galice maturée quelques semaines, ou bien une paire de sarcelles d'hiver rôties à la goutte de sang. Notre (grand) coup de cœur en rouge. L.M.

  • Vivement le 13 janvier

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    Je tombe à l'instant sur l'annonce de la parution de mon prochain livre en surfant sur la Toile, à la recherche d'une référence bibliographique. J'ignorais qu'il était déjà signalé, notamment sur les plateformes de vente comme FNAC, Decitre, Amazon, etc. Il en va des livres comme des maillots de bain ou des manteaux : on achète les premiers en hiver et les seconds en été, lorsqu'ils apparaissent aux vitrines. Il en va ainsi de tout, au fond, sauf des fraises des quatre saisons qui naissent sous serre. Anticiper, cela me connait. Le métier de journaliste consiste aussi à avoir un temps d'avance, ne serait-ce que pour des questions de dates de bouclage. Sauf que là, il faut attendre. On peut juste réserver, pré-acheter (directement sur le site de l'éditeur, d'ailleurs). Bien, puisque ce n'est plus un secret, voici ce qu'en dit, justement, mon éditeur => Le Bruissement du monde À présent, il me tarde de distribuer le faire-part de naissance du petit dernier... L.M.

  • MOICHEF

    Voici un tandem, un jeune couple, Mathilde et Tristan, des fous de gastronomie de grande qualité qui, ayant fondé le club MOICHEF, https://bit.ly/30FNzPU, sont devenus des chasseurs de bon goût, d'excellents produits qu'ils proposent via leur club. Leur niouzzelaiteure est déjà un régal d'humour, de pertinence, de qualité d'écriture, de bonne humeur (regardez les vidéos de Tristan), et de créativité (lisez Mathilde, elle en a sous le pied). À présent, ils effectuent un périple d'une année en minibus dans tous les coins où niche, pousse, croît, nait, prospère le meilleur qui se mange et se boit. Ils sont donc sur le terrain, à la rencontre de ceux qui font. Suivez-les, adhérez, commandez et... appelez-moi la veille d'un dîner. J'apporterai les fleurs (pas forcément comestibles). Hardi-petit ! 

    => Le Tour de France gastronomique des Hardis

    (En tant qu'ex-directeur des rédactions du magazine et des guides GaultMillau, - et même s'il s'agit là d'un club, marchand, et pas d'un média - je m'autorise à tirer mon chapeau devant cette initiative innovante, car elle dépoussière le milieu, le genre, l'approche, en lui insufflant une tonicité que la presse écrite, par exemple a(vait) perdue, et un souci fondamental - la quête du très bon -, qui justifie à lui seul une telle démarche. Et si je risque la comparaison du bout de le plume, c'est parce que, justement, MOICHEF a une façon d'aborder le monde de la gastronomie qui flirte avec les techniques de la presse, sans mélanger les genres. Cette synthèse est bluffante). L.M.

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  • La dernière visite

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    Ce tableau s'intitule "La dernière visite", et je le trouve bouleversant, à la fois dans son intention idéale, picturale, dans son exécution, par sa délicatesse, sa franchise intérieure, l'expression d'une sensibilité extrême, d'un amour ultime. Observez : Nul toucher, une caresse peut-être, le tact même. C'est splendide d'amour. Et c'est signé du peintre Max Kurzweil (1867-1916), et j'aime l'idée de transmettre cette émotion-là. Sensationnelle découverte. Les "Poilus" portaient pantalon rouge en 14, jusqu'à ce que l'on réalise que cela en faisait des cibles commodes. Mais calot bleu, je crois. Il faudrait fouiller dans l'histoire des uniformes. Sont-ce les personnels non-combattants, chargés de la santé, qui portaient calot rouge assorti aux jambes?.. Ou s'agit-il d'une autre guerre?.. Demeure cette adresse d'un homme, un cavalier, un officier, à sa monture, à l'heure où l'on ne pense plus à sa promise, et juste avant d'appeler sa maman à l'aide, dans un dernier soupir. C'est tragiquement beau. J'adore cette peinture. L.M.

  • Fulgur

     

     

  • Loin, derrière (ou devant, c'est boomerang pareil)

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    Et tout à trac (ne me demandez pas pourquoi puisque je l'ignore), je pense à Roger Couderc (Allez les petits, ce soir les Poules ont du pain sur la planche...), à Pierre Salviac, à Bala (Pierre Albaladejo, le Dacquois magnifique, avé le D de drop, si souvent je t'ai serré la pogne aux corridax...), à ces années Blondin, ces années Cormier, ces années Dutournier (Alain, en contra barrera), ces années de pur-sang, de rire, de gouaille, de magrets entiers, d'amitié, de transmission, de passages de ballons et de bons mots, de traits d'esprit et de pastis liquides et solides, d'absence de peur ; et de laisser-braire 24/24... Chaque soir, j'avais le sentiment de rentrer dîner chez Kléber et de demander à Caroline ce qu'elle nous avait préparé à manger, l'été finissait sous les tilleuls, oui, pourtant je rentrais a casa à Bayonne, tranquilou, et maman était encore de ce monde; et nous avions un seul mot en horreur : Adios. L.M.

  • Danse du ventre

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    L'embouchure de l'Adour est un bouche-à-bouche d'amour. Le port du Boucau tremble dans un vacarme de ferraille. Une grue charge la coque d’un cargo. Au médian du fleuve, un bateau de pêche teufe-teufe. Des goélands rasent ma tête, toisent le merlu que je déguste. Juché sur une bouée, un cormoran sèche ses ailes en croix. Des remous lui offrent une danse du ventre. Calé, j’ai l'océan devant, Bayonne dans le dos, la forêt de Chiberta et les Landes sur les flancs. Paré à appareiller pour l’horizon vertical. J'aime. L.M.

     

  • Visages de Camus

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    Cliquez et regardez => Les vies d'Albert Camus

    Voilà un film magnifique, signé Georges-Marc Benamou, déjà visible sur le site de France 3, et qui sera diffusé mercredi à 21h05. Les images d'archives, colorisées pour la plupart, et issues notamment du fonds Gallimard, sont émouvantes. Nous y retrouvons la galaxie de Camus, ses amis, ses amantes, et une partie de la nébuleuse anonyme des humbles qui ont gravité autour de l'auteur du Premier homme. Parti-pris sans doute, nous entendons sa voix, nous le voyons souvent et cela ajoute à notre plaisir, mais il n'est jamais montré en train de parler... Le récit est simplement chronologique, cela ne nuit en rien le processus narratif, mais il commence fatalement par l'accident du 4 janvier 1960. Hormis un montage détestable dans ce genre de documentaire, et heureusement bref, sur les derniers instants de la vie de Camus dans la Facel Vega, route de Villeblevin, l'ensemble nous est apparu éblouissant car riche, tendre, franc, et somme toute assez complet sur le kaléidoscope Camus : Le séducteur, l'amoureux, le journaliste - historien au jour le jour -, le romancier, l'essayiste engagé, l'humaniste. Ainsi que chacun des thèmes phares de sa vie : La pauvreté originelle, le rôle de M. Germain l'instituteur et père de substitution, la mesure des tragédies du XXe siècle qui préservera Camus de toute tentation extrémiste, l'omniprésence de la Méditerranée dans son corps et dans son esprit, la blessure de l'impossible trêve civile en Algérie aux moments des événements devenus guerre, l'échec du dialogue avec le monde germanopratin et sartrien, l'importance de la mère, l'amitié forte avec une poignée de fidèles... Certains témoignages, comme celui de Mette Ivers, dernière amante de Camus, et celui de Michel Bouquet, sont bouleversants. Il y a également le récit chaleureux de Max-Pol Fouchet, les quelques mots essentiels de Jules Roy pour augmenter la valeur-ajoutée de ce film, et par conséquent l'émotion que nous éprouvons jusqu'au bout. Cliquez et regardez. Puis reprenez les livres de Camus. Tous. Et faites passer. L.M.

     

  • feuilleté de début d'année

    En quelques brèves, nous en sommes là, ces jours-ci, avec notre table de chevet :

     

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    Dévoré avec avidité le bref et profond second roman d'Arnaud de La Grange, Le huitième soir (Gallimard). Une histoire d'hommes, forte, crue, vraie, dans la funeste cuvette de Dien Bien Phu. L'occasion pour le narrateur, jeune lieutenant prisonnier du fameux bourbier qui sonnera le glas de la guerre d'Indochine, de retracer sa trop courte vie, ses engagements, ses amours, ses convictions. Une ode à l'honneur (à rapprocher du très beau La nostalgie de l'honneur, de Jean-René Van der Plaetsen), à la sincérité et à la fraternité, coulée dans un style sobre sans être sec. Efficace et mémorable.

     

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    Embarqué une fois de plus par la prose de Paul Morand. Ouvert la nuit, (Gallimard/L'Imaginaire), relu hier, possède l'inaltérable pouvoir de tenir son lecteur sans effort, par la grâce de la phrase, quoiqu'elle dise ou ne raconte pas, et ce, dès la première nuit de ce recueil qui a une suite, Fermé la nuit. Morand nouvelliste, c'est magique. Qu'on en juge ci-dessus.

     

     

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    Entamé un roman de Sandrine Collette qui reparait au Livre de Poche, Animal (nous avions évoqué son premier, Des noeuds d'acier dans les pages Livres de Télé 7 Jours, à sa parution => Des noeuds d'acier). Même gourmandise dès les premières pages qui plongent le lecteur dans un bain de nature sauvage et de personnages au caractère âpre. Ici, la forêt (népalaise, d'abord) envoûte, et Mara est une femme qui captive. Puis apparaît Lior, une Diane chasseresse totalement habitée par sa passion. Une chasse à l'ours commence dans les grands espaces du Kamtchatka. À suivre...

     

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    À rapprocher du puissant et volumineux, ample et riche Dans la gueule de l'ours, prodigieux premier roman de James A. McLaughlin (Rue de l'échiquier, en librairie le 20 janvier), dont la langue comme l'univers ne sont pas sans rappeler les écrivains rough de nature du Michigan, et pas seulement de Missoula, au premier rang desquels trône évidemment notre cher Big Jim (Harrison). Cerise sur le gâteau : c'est le grand traducteur de l'oeuvre de Jim H., Brice Mathieussent, qui signe également cette traduction-là.

     

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    Convaincu par la pudeur - pas la froideur apparente -, par la sensibilité extrême douloureusement masquée de Jean-Marie Laclavetine et son touchant Une amie de la famille (Gallimard), qui retrace un drame : la noyade accidentelle de sa propre soeur aînée, il y a cinquante ans à l'âge de vingt ans, au bout de la plage de la Petite Chambre d'Amour à Anglet, soit tout près du phare de Biarritz. Bouleversant.

     

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    Pas convaincu par Un été avec Paul Valéry, de Régis Debray (Equateurs), et pas davantage par ses Conseils d'un père à son fils (folio). Le premier est une sorte de guide Baedeker bâclé sur le motif. Le second, une ode à moi-même, mon immense culture, mon indéniable intelligence. Debray pratique le name dropping avec une mitrailleuse lourde aux nombreux chargeurs. Cela devient lassant, y compris, se dit-on, pour un fils, car il y a de l'intellectuel las, désabusé, dans les derniers ouvrages de cet essayiste prolifique, lesquels transpirent l'ennui d'écrire ou de redire, peut-être. 

     

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    Déçu par La douleur du chardonneret, d'Anna Maria Ortese (Gallimard/L'Imaginaire), inoubliable auteur, pourtant, de La mer ne baigne pas Naples. Le pâteux d'une prose fige progressivement la trame narrative et le lecteur s'embourbe malgré la qualité de ses bottes en caoutchouc. C'est long, fastidieux, rébarbatif à certaines pages, trop lent, et faute de style brillant, on finit par caler comme jadis avec Les Buddenbrook de Thomas Mann.

     

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    Enchanté, enfin, par Paris-Orphée, de Henri Cole (Le bruit du temps), sous-titré Carnet d'un poète américain à Paris, d'une tendresse et d'une délicatesse confondantes. Orné de quelques photos, ce journal qui cite de nombreux poètes français et anglo-saxons est un compagnon de promenade idéal, d'un jardin public parisien à l'autre. L.M.

  • César et Rosalie, encore

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    Cette lettre est émouvante.

    Elle évoque à la marge La chanson d'Hélène, des Choses de la vie, du même irremplaçable Claude Sautet.

    Et elle est tellement littéraire.

    Ah, l'épistolaire, ce genre précieux qui se perd...

    Ecoutez, en regardant => Rosalie

    "...Moi je marche sur les longues plages.
    C'est une maison qu'on avait oubliée.
    Carla dit qu'elle se rappelait la couleur des volets.
    Moi, je suis sûre que ce n'est pas la même.
    Mais tu sais comment sont les choses qu'on aime, on a beau les repeindre.
    Le vent s'est levé lundi et je suis contente 
    et je t'écris ma cinquième lettre
    et je m'attends à ton cinquième silence.
    J'entends toute la famille qui vit et qui rit en bas
    et si je t'écris que je suis triste, c'est malhonnête et je le sais. 
    Je ne te reverrai pas et je le sais aussi et pourtant,
    je voudrais qu'on me dise où tu es. 
    Où tu es ? 
    Tu vis et tu ne réponds pas. 
    Evidemment, Marie-Thé a failli se tuer en sautant d'un rocher.
    Simon est amoureux. 
    J'ai acheté deux robes, une petite bleue 
    et une petite blanche au marché du matin. 
    Maman a passé son permis de conduire, 
    on se demande pourquoi tout à coup. 
    Pour les robes, ce n'est pas vrai, je n'ai rien acheté
    mais je dirais n'importe quoi pour te parler de moi.
    Ce n'est pas ton indifférence qui me tourmente, 
    c'est le nom que je lui donne : la rancune, l'oubli. 
    David, César sera toujours César 
    et toi tu seras toujours David qui m'emmène sans m'emporter,
    qui me tient sans me prendre et qui m'aime sans me vouloir. »
     
    La lettre de Rosalie, «César et Rosalie», Claude Sautet, 1972
  • et en lisant

    Capture d’écran 2019-11-16 à 13.11.30.pngLa force de Franck Bouysse est comparable à celle du Jean Carrière de L'épervier de Maheux. Avec Grossir le ciel (Le Livre de Poche), l'auteur, très remarqué cette année avec un nouveau roman qu'il nous faudra lire bientôt (Né d'aucune femme), livre un roman âpre, avec de rares personnages sauvages et durs, qui vivent reclus au fin fond des Cévennes, marqués par des secrets de famille bien ou mal gardés, et qui s'occupent de vaches, de champs, du tracteur, du fusil pour chasser des grives, du chien appelé Mars pour unique réconfort. Ils s'appellent Gus, Abel, et ils ont la poésie des gosses qui voient dans un merle faisant la roue un grand tétras amoureux. Gus a la certitude absolue d'être un fruit pourri conçu dans la violence et la haine, toujours accroché sur l'arbre d'une généalogie sans nom. Il y a des meurtres, du sordide, des mystères, des traces de pas qui inquiètent, des êtres furtifs, la nuit, les petites annonces du Chasseur français que l'on feuillette sur la toile cirée devant l'âtre, en se disant je devrais peut-être essayer. La vie dure de ces solitaires par défaut ou par destinée est leur quotidien comme s'il neigeait chaque jour de l'année, et Bouysse a le talent de savoir décrire dans une langue forte, des arbres déplumés comme des arêtes de gros poissons décharnés, le sang qui frappe régulièrement contre les tempes, le vent qui s'engouffre sous les bardeaux d'une grange en glissant sur le silence comme une araignée d'eau sur une mare étale. Oui, le Jean Carrière que nous aimons, filsCapture d’écran 2019-11-16 à 19.31.52.png spirituel de Giono, se retrouve dans Bouysse. Pas dans sa pâle copie, à la lecture fort décevante de Une bête au paradis, de Cécile Coulon (L'Iconoclaste), dont on a fait grand cas au début de l'automne, et puis flop... Avec même de drôles de coïncidences : le nom d'Abel pour désigner un personnage principal, chez Coulon, mais authentique chez Bouysse, et Paradis - nom de personnage chez Bouysse, de lieu chez Coulon. Étrange... (Le livre de Bouysse est paru en 2014, et celui de Coulon à la fin de l'été 2019). Mais, passons.


    Capture d’écran 2019-11-16 à 13.14.07.pngBien sûr, nous aimons La panthère des neiges, de Sylvain Tesson (Gallimard), car nous lisons avec plaisir et fidélité cet auteur, et le succès mérité de son dernier récit n'avait pas besoin d'un Renaudot surprise, mais c'est tant mieux.

    Les jurés de l'Interallié auraient en revanche été plus inspirés, en ceignant d'un bandeau rouge réconfortant le poignant Où vont les fils?, d'Olivier Frébourg (Mercure de France), lequel narre avec une grande franchise intérieure la vie d'un homme (l'auteur lui-même) dévastée par un divorce, la disparition du nous puisque tout est soudain dénoué, un quotidien nouveau avec lequel l'homme esseulé doit improviser, composer. Les trois fils à élever, les courses au supermarché, les sorties d'école et la honte de s'y montrer amputé, les draps froids du grand lit, le bruit du vide, la maison morte quand les enfants n'y sont pas, lors que la vie jusque là était faite de voyages au long cours, de littérature, d'amour; d'insouciance. Je ne parvenais plus à lire tant mon crâne était fendu comme un billot de bois, à la hache. Une femme m'avait aimé, désaimé, quitté. La banalité avait de quoi faire rire. Par ricochet, Olivier Frébourg peste avec raison contre la soft power de notre modernité faite de nouvelles dictatures : les réseaux sociaux, le smartphone, cette hache de guerre, ou encore "la connerie de la résilience"... Le présent défait est une des sources du malheur. Mais la destruction du passé est le plus sûr voyage vers la folie. L'homme est alors écervelé. Il s'accroche à ses souvenirs comme un naufragé à son morceau de bois. Frébourg ne croit plus qu'à la vérité des paysages, et conserve le recours aux poètes : Cadou, Vigny, Valéry, Depestre... chevillé au coeur. Il y a du Claude Sautet dans ce beau livre, et Olivier Frébourg dépeint les choses de la vie en père vrai : L'enfance est un paquebot. Il faut prendre la mer malgré les tempêtes. Où vont les fils? se demandent les pères inquiets de les perdre de vue sur la ligne d'horizon.

     

    Capture d’écran 2019-11-16 à 13.12.32.pngLa découverte par Sylvain Tesson le globe-trotter, de la magie, des mystères de l'affût et des énormes plaisirs qu'il peut procurer, y compris celui de la bredouille, car elle est alors toujours chargée d'émotions intenses, donne un récit captivant. Guetter la rarissime et menacée panthère des neiges au Tibet, à 5 000 mètres d'altitude et par -30°C, hisse l'animal majestueux, princier, au rang de mythe, de Saint Graal, d'improbable inaccessible, de reine des confins. Se savoir vu sans voir qui nous a repéré depuis longtemps, le "ce qui est là et que l'on ne voit pas", figure un autre plaisir profond de chasseur photographe comme Vincent Munier, que Sylvain Tesson accompagne, ou de chasseur tout court (et nous en connaissons un rayon). Pour ces choses si précieuses de nos jours tant encombrés de futilité et de fatuité, pour la belle langue de l'auteur, pour ses références poétiques aussi, cette panthère-là devient inoubliable.

    Capture d’écran 2019-11-16 à 13.15.03.pngLe Classique des Poèmes, Shijing (folio bilingue), est un épatant recueil de poésie chinois anonyme (et c'est encore plus beau lorsque c'est anonyme, aurait déclaré Cyrano). Les Classiques désignent dans ce vaste pays continent les indispensables de la littérature que tout lettré se doit de connaître. Ils sont au nombre de cinq : Yijing (Le Classique des Changements), Shujing (Le Classique des Documents), Lijing (Le Classique des Rites), Yuejing (Le Classique des Musiques), et Shijing, qui est le plus ancien recueil de poésie chinoise, puisqu'il date de l'Antiquité. Confucius aurait paraît-il compilé ces chants amoureux d'origine populaire, de facture simple comme une chanson d'Agnès Obel, qu'ils décrivent une barque de cyprès qui ballotte au gré du courant et devient par métaphore un coeur accablé, Une belle femme décrite à la manière des contes des Mille et une nuits, Le vent d'aurore (où) pique un faucon/sur la forêt touffue du nord. Ou encore les ailes de l'éphémère, cet insecte d'une infinie délicatesse comme l'est chacun de ces poèmes. L.M.

  • Rotterdam

    J’ai quinze ans. Mon père tient à ce que je l’accompagne à Rotterdam pour l’acquisition d’un nouveau cargo de l’armement familial, le Niels Frelsen, qui deviendra le Cap Falcon. Nous prenons la route depuis Bayonne dans la DS blanche immatriculée 813 LY 64 (j’ai toujours eu la mémoire inutile des plaques d’immatriculation – je peux en réciter une douzaine -, de véhicules ayant appartenu à des proches : 426 HW 64, la 404 rouge étrange, mi bordeaux, mi grenache de Naphtali, 714 GG 64, la Ford Anglia jaune pâle de mon grand-père maternel, 278 LZ 64, la Simca 1100 bleu métallisé de Maman - et nous prononcions alors l'adjectif avec le sentiment d'être à la mode -, et sa Floride décapotable blanche : 837 GQ 64, tant d'autres - mes propres véhicules à deux et quatre roues. Je retenais aussi les numéros de téléphone, c'était plus utile). J’ai en stock des détails gravés. Au Park Hôtel, où nous séjournons quatre nuits, nous mangeons rituellement des T-bone steacks et nous buvons (moi, à peine) de la bière Amstel. Sur le port, je suis captivé par le ballet incessant de centaines d’étourneaux, dont beaucoup sont immatures, en plumage beige, et par les goélands qui agacent les colverts nageant le long des canaux. Au fond de la cale sèche, l’énorme bateau gris à coque rouge mat est posé sur de simples traverses en bois. Cela m’impressionne. Je prends des photos avec mon Phokina 35 aux allures de boîtier 24/36 soviétique. Je sens dans le regard de mon père un plaisir immense de me voir là, avec lui. Je ne pense qu’aux oiseaux. De longues années après, je m’intéresserai à la mer, aux bateaux, au métier d'armateur qu’il pratiqua. Devenu père, j’ai ressenti ce grand bonheur de partager quelque chose d’essentiel dans la vie avec l’un de mes enfants. Hier soir, quarante-cinq ans après ce voyage à Rotterdam qui marqua tant mon père, j’ai eu la chance de montrer à mes deux enfants des traces de sangliers venus boire à la mare la nuit dernière, une crotte de renard audacieusement laissée presque devant notre porte, les plumes d’une palombe qui fut empiétée par une buse, à la pointe de l’aube sans doute, et d’autres de la chouette effraie qui niche dans l’une des granges. Dans les jumelles, nous avons observé tour à tour deux, trois, puis cinq chevreuils et quelques lièvres. Enfin, nous avons trinqué avec du cidre élaboré par un presque voisin, et dîné devant la cheminée d'une quasi rituelle côte de boeuf généreusement maturée, sur la longue table de ferme en chêne qui ne me quitte pas depuis mes seize ans. L.M.

  • Oreste en rut, ou l'instinct racinien

    Capture d’écran 2019-08-03 à 09.18.23.png

    Le héros racinien est un chevreuil en rut. Prenez d’un côté Oreste. Vous observez un personnage en proie à un transport (amoureux) qui l’entraîne hors de lui-même, voire à un destin, si l’on veut faire plus tragique. C’est la même chose. Il est devenu le sujet des Dieux qui tirent les ficelles de sa vie comme ils l’entendent. Il sent, sait (?) souhaite sa passion fatale. Il se fiche de tuer, voire de mourir pour posséder cequ’il convoite. La passion est invincible, et elle nécessite du malheur, qui l’alimente, tout en fondant le rebondissement indispensable à toute mécanique tragique. Oreste ne peut rien sur soi, mais peut encore pour soi, comme se plait à le préciser l’immense connaisseur de l’œuvre de Racine que fut Raymond Picard, et dont je m’inspire ici. Il aime d’un amour « fou » Hermione (qui aime Pyrrhus, qui aime Andromaque, qui n’aime qu’Hector, son époux défunt). C’est la chaîne tragique. La faiblesse d’Oreste, sa faute, ou plutôt son aveuglement est de penser que la puissance de son amour aura raison du refus d’Hermione. Il ne s’interroge pas sur la force de l’amour. La testostérone semble pousser le cœur du coude pour figurer au premier rang. Sûr de son destin, il croit que celle qu’il aime et qui ne l’aime pas finira forcément par l’aimer. Ben voyons. On se croirait dans une émission de téléréalité, sauf que Racine en a fait une grande tragédie. Prenez à présent l’un des chevreuils en rut que j’observais à l’aide de mes jumelles hier soir, à la tombée du jour. Les mâles aboient – c’est comme ça que l’on dit, et il s’agit vraiment d’un aboiement. Ils défient, ne pensent pas un instant qu’une seule chevrette songerait à leur résister, une fois les concurrents écartés, combattus, éliminés. Trop sûrs d’eux... L’instinct les gouverne, à l’instar des Dieux. Cette force les meut mais ne les émeut pas. Certes, le sens inné du devoir de reproduction de l’espèce préexiste à toute parade nuptiale dans le monde animal. Cependant, s’agissant d’aveuglement, le héros racinien comme le chevreuil en rut au cœur de l’été sont mêmement emportés par une puissance qui semble leur échapper, et qui n’est guère belle à voir pour un esprit délicat épris de tendresse et de tact. Vanité...  C’est pourquoi les chevrettes, et les héros raciniens féminins – Hermione, Andromaque-, sortent ontologiquement vainqueurs d’un combat qu’elles n’ont pas à mener. Et leur silence est pur. J’aime.

  • De l’Esprit français et des Saints

    Capture d’écran 2019-04-26 à 13.39.48.pngNous attendions beaucoup mais sans raison – sinon l’excitation suscitée par son titre – de ce Dictionnaire amoureux consacré à l’Esprit français (Plon/Grasset, 670 p., 25€). Metin Arditi y livre de belles pages, mais son abécédaire semble davantage tenir du fourre-tout intelligent, de l’auberge espagnole brillante tant il apparait davantage comme un collage façon puzzle, que d’un vrai projet cohérent, autant sur le fond que pour son style. Certaines entrées consacrées à des personnages célèbres figurent de sensibles mini portraits souffrant cependant d’être surchargés d’interminables citations. D’autres semblent bâclées (Gastronomie : une succession de recettes et de généralités, Cinéma : un florilège de résumés de films). D’autres encore campent là comme par erreur, ou bien leur propos n’apporte pas grand-chose (Exécutions capitales, Mauvais films, Solder la facture). Les entrées consacrées au panache, à Cyrano (via l’entrée Rostand) peuvent laisser sur notre faim, car on se prépare à lire un feu d’artifice. Le lecteur regrette au fond que les principes d’élégance, de séduction, de beauté, d’humour, de courtoisie, le goût de la conversation et du trait ne soient qu’évoqués comme ça, ne soient jamais claquants, convaincants. Sans doute voulions-nous à tout prix lire un bréviaire qui aurait assemblé les plumes de Jules Renard, Sacha Guitry, Pierre Desproges et Voltaire dans un Bic à 4 couleurs. Au lieu de quoi nous tombons sur d'étranges entrées comme celle qui est intitulée Victime exemplaire de l’obsession du panache, et dont le texte se résume à ces deux mots : Françoise Nyssen. Las... L’avantage de ce kaléidoscope est que l’on trouve en rayon à la fois Boulez, Fauré et Gainsbourg, Char, Grandes Écoles, de Gaulle et Montesquieu, les Guignols de l’info, Yves Montand et Saint-Simon, Jambon-beurre et Michelin (le guide), TGV et Jansénisme. Il y a aussi une entrée nommée Lourdeur.

    Capture d’écran 2019-04-26 à 13.40.20.pngCompagnons de l'invisible

    Plus jouissif, admirablement bien écrit, d’une rigoureuse cohérence en dépit de certaines entrées qui (d)étonnent – mais elles sont justement contextualisées et replacées dans l’esprit du sujet, le Dictionnaire amoureux des Saints que signe Christiane Rancé (Plon, 730 p., 27€), est un ravissement d’érudition et de sensibilité. Tenu bride serrée, le texte toujours dense et scrupuleux, riche et racé ambitionne de nous donner un avant-goût du paradis, et je crois qu’il y parvient. Les « incontournables » sont tous convoqués, de (saint) Jean-Baptiste à Thérèse de Lisieux (et d’Avila aussi), de François d’Assise à Saint-Louis, Padre Pio, Don Bosco, Saint-Augustin, Bernadette Soubirous, Jean-Paul II, Antoine de Padoue, Marie-Madeleine et Mère Teresa. D’autres saint(e)s moins connu(e)s comblent nos abyssales lacunes. Il y a aussi les anachorètes, les Innocents et les cénobites, les Rois Mages, Dante, Satan (qui « s’est réservé la haine des saints », Georges Bernanos), et l’Enfer. L’auteur ouvre son abécédaire à Mauriac, Claudel, Chateaubriand, J.-S. Bach, Léon Bloy, Jean Guitton, Saint-Exupéry, ce qui ne surprend guère, et – plus original, également à Cioran (des pages splendides), Baudelaire (fils de prêtre), Oscar Wilde, Pasolini, Nimier (et son Grand d’Espagne, essai sur Bernanos), Rimbaud et aux peu connus mais précieux Roger Judrin, Armel Guerne et Raymond Lulle. Figurent, non sans humour, saint Glinglin, saint Frusquin et autres saints imaginaires : Goulard, Lippard, Lambin, Lundi, Rechignoux, Couillebault... Et les méconnues saintes travesties (déguisées en hommes) : Thècle, Pélagie (reprendre La Légende dorée, de Jacques de Voragine), Marguerite, Gala, Paula, Eugénie, Marine et Jeanne d’Arc !

    Car, qu’est-ce qu’un saint au fond, sinon « un héros de la vie désintéressée », selon la formule d’Ernest Renan. Nous cheminons au flanc de l’auteur avec ces compagnons de l’invisible guidés par leur définition propre de l’amour, et qu’il ne faut pas réduire à la dévotion aveugle, l’abstinence et l’anorexie. Pas davantage qu’il ne faut confondre béatement une certaine littérature avec le mysticisme. Cependant, Christiane Rancé est capable de voir de la passion et du sacré entre les lignes, les vers, les êtres en portant son regard suraigu. Certaines pages sont exceptionnelles, comme celles qui sont consacrées à Saint Jean de la Croix, l’auteur du fameux Cantique spirituel. « De tous les saints que je suis impatiente de rencontrer, d’âme à âme, si je suis autorisée à monter au Ciel, il y a Jean de la Croix », écrit l’auteur, dont un aïeul fut le frère de l’abbé de Rancé (confie-t-elle avec une infinie pudeur), lequel initia la réforme de l’abbaye de la Trappe en 1660, et auquel Chateaubriand consacra l’un des plus beaux livres de prose française, Vie de Rancé. L.M.

     

  • Êtres sensibles, lisez Christine de Pizan

    G01932.jpgSavez-vous - mais qui peut prétendre savoir ce qui suit, aujourd'hui? - savez-vous donc que dans la théorie courtoise, le baiser représente le quatrième degré de l'amour dans une hiérarchie qui en compte cinq, selon le modèle des cinq sens? Le baiser correspond à celui du goût. Et cela nous est déjà si délicieux de l'apprendre. C'est Jacqueline Cerquiglini-Toulet (un lien de parenté avec Paul-Jean? - J'ai demandé, elle l'ignore), fervente préfacière et éditrice de ces ballades de Christine de Pizan, qui l'écrit. L'ouvrage, Cent ballades d'amant et de dame, est d'importance (Poésie/Gallimard, 10€). D'une part nous lisons un homme d'une loyauté sans faille, quoique, et d'autre part, les réponses d'une femme aimante mais infiniment prudente. Les amants dialoguent au fil de cent poèmes, ce qui n'est pas rien lorsque le désir attise. Ce sont des lettres, des messages, des hommages, des envois, des plaintes parfois, de fougueuses adresses, des reproches aussi, des invites, un faux dialogue peut-être, la distance entretient l'absence en tentant de la dissoudre, le choix du mot fait le reste, maintient, magnifie, tient tout cet édifice d'une intense fragilité droit. À l'époque de Christine de Pizan (1364, Venise - 1430, Poissy), la ballade est une forme à trois strophes avec un refrain d'un ou deux vers. Dans ces Cent ballades d'amant et de dame, si pressantes, la longueur des strophes est délicieusement écourtée parfois, et la taille des vers varie au gré de la disposition des rimes... Les 336 pages du recueil nous offrent ainsi un bouquet de retenue, 20.jpgl'expression parfaite de l'amour courtois cher aux troubadours : Que votre doux amour soit vers moi tourné / Car mon coeur est déjà plus noir qu'une mûre, lit-on dès le premier envoi. Ce qui fait délice, c'est la nomination de l'alternance : L'Amant, La Dame, L'Amant, La Dame, se répondent et nous suivons un ping-pong amoureux d'une fine délicatesse, un échange d'une stupéfiante modernité : Le dard d'amour qui, comme il se doit, / T'enverra des pensers / Pleins de désir, par divers sentiers, / Tantôt joyeux, tantôt douloureux... La ballade 20 (photo jointe) exprime une affirmation féministe de bon aloi. À laquelle la Dame ajoute, quelques pages plus loin, des vers à nos yeux définitifs :  À rien ne sert de résister, / Amour est mon adversaire, / Je ne peux m'y soustraire. Car, il s'agit là, au détour de quelque strophe, d'une joute jouant sur le désir de l'autre : Car je ne veux que votre doux vouloir. / Votre volonté seule est la mienne... dit-il, tandis qu'elle semble, semble seulement, lâcher prise : Je suis vôtre, vous m'avez justement conquise, / Il n'est plus besoin que j'en sois requise, / Amour le veut; vous avez trouvé le chemin /Pour prendre mon coeur / Sans mauvaise ruse, par73.jpg une très loyale quête. / Je le sais en vérité, je m'en suis bien enquise, / Et puisqu'il me plaît ainsi, en toute guise, / Du bien en résultera pour moi. Ce à quoi répond tardivement, et c'est agaçant, l'amant balourd mais lucide et d'une belle patience - à sa décharge, ainsi que d'une capacité à accepter les coups portés : Vrais amants courtois, sachez qu'il n'est dureté / Que de se séparer de sa dame et maîtresse. L'Amant se déclare, sans forfaiture aucune, comme étant un serviteur lige, et cela est d'une admirable rareté. Il entre en merencolie, terme désuet, d'époque, pour désigner la mélancolie. La Dame, infiniment romantique avant l'heure, confesse une fièvre (Ballade 100.jpgLai.jpg100, jointe), qu'une réalité va corroborer : Je m'y fiai : mon coeur se fend en deux / Car sa parole séduisante, trompeuse, / Et son maintien courtois et aimable / M'affirmaient qu'il disait vérité, / Et tel n'était le cas, c'est bien prouvé : / Il a déshérité mon coeur de la joie. Tout est déjà dit, là, sur la légendaire lâcheté masculine. Le cuir me part (Mon coeur se brise), déclare la Dame. Le lecteur est subjugué par tant de droiture sans ambages, de franchise intérieure sans détour. L.M.

  • Plaidoyer pour le sourire

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    Quel éditeur oserait apposer un tel bandeau aujourd'hui? L'époque est au bandeau qui baillonne. Voire, et même davantage, à l'autocensure induite par le (horrible expression) politiquement-correct. La doxa aura-t-elle raison de l'humour, de l'ironie, du second degré? Le sourire, le rire gras même (avant un Irlande-France, c'est de mise), sont-ils plus menacés que la fauvette à ailes roses et le cochenille à pois verts?.. Je pense que si. En passant, comme ça, cet auteur est précieux, son style claquant comme celui de Nimier, ses métaphores toniques, et même galvanisantes. Et cet essai, drôle. Et je continue bien entendu de mépriser, tant qu'à faire, les esprits chagrins. LM

  • La page de Rita

    Capture d’écran 2019-02-15 à 12.42.31.pngJe pensais l'avoir signalé ici, mais non. J'eus la surprise au coeur de l'été dernier de découvrir un papier élogieux et délicieusement tardif sur l'un de mes livres paru fin 2001 et qui, finaliste du Prix Goncourt de la Nouvelle, manqua cette distinction d'un cheveu. Le voici - il est signé Rita, blogueuse littéraire - et si cela vous incite, hâtez-vous, car le bouquin est en voie d'épuisement chez l'éditeur, lequel n'envisage pas de le réimprimer ou de le reprendre en format de poche dans La Petite Vermillon =>  Les Bonheurs de l'aube

     

     

  • Courtois

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    Lire Christine de Pizan (1364-1430). Grâce à Poésie/Gallimard, c'est possible. Ces Cent ballades d'amant et de dame sont un bijou de "correspondance" amoureuse croisée, en vers, qui loue l'amour courtois, souffle le tact et la délicatesse, vante le respect absolu du désir de l'autre. C'est juste beau. J'en reparlerai. Ceci est une mise en bouche. L.M.

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  • Un inédit de Rostand

    IMG_20181218_113337_resized_20181218_113430117.jpgÀ défaut de publier un inédit de Marcel Proust, Atlantica livre un inédit d’Edmond Rostand, « La Maison des amants ». Ce n’est pas rien. C’est même beaucoup. Certes, cette pièce est inachevée. Mais la beauté réside dans l’inachevé, quoi qu'en dise l'un de ses personnages (lire plus bas). C’est l’acte I d’une pièce prévue en trois. Le premier tiers. Le reste est à imaginer, à échafauder, construire, détruire, refaire. Jusqu’au quatrième tiers... Et, si l’on considère « Cyrano de Bergerac » comme l’un des plus beaux textes jamais écrits en langue française, nous ne regrettons pas l’hypothétique exhumation d’un Proust de derrière les tiroirs brinquebalants aux relents de naphtaline. Après tout, Marcel manqua le Goncourt et Edmond connut un succès populaire foudroyant. Ces deux-là n’ont pas fini de connaître les lois de l’apogée... Le succès de « La Recherche » fut plus lent, mais pas moins durable. Sur la ligne de départ, les paris auraient pu aller bon train. Marcel demeure un ton au-dessus, celui de l’introspection. J’ai plaisir à le nommer ornithologue de l’homme – ce drôle d’oiseau. Rostand est bien plus généreux, débonnaire sans compter, cash en somme. Et puis ils sont incomparables à la fin – pourquoi cette digression, je vous le demande ?.. Cette « Maison des amants » est d’une facture plutôt prude, elle cultive le tact et la bienséance comme d’autres le haricot tarbais ou le voussoiement. Le titre est beau et prometteur. Les aficionados d’Edmond avaient eu la joie de découvrir un premier inédit voilà quelques années : « Le Gant Rouge ». Voici, par l’entremise d’un spécialiste incontesté de l’œuvre de Rostand, l’universitaire Olivier Goetz (maître de conférences en arts du Spectacle à l’Université de Lorraine, et entre autres co-organisateur d’un colloque qui se tint à Arnaga – Cambo, demeure-musée de l’auteur de « L’Aiglon », en septembre dernier, sur le thème suivant : Poésie du spectacle et spectacle de la poésie dans l'oeuvre d'Edmond Rostand), ce début de pièce interrompu par la maladie, la guerre et enfin la mort de son auteur de la grippeIMG_20181218_113250_resized_20181218_113429716.jpg espagnole le 2 décembre 1918 – il y a tout juste un siècle -, qui devait narrer l’amour absolu entre Joconde et Hermeril (« Cyrano » fut donné en novembre 1897, mais les feuillets de cette pièce inachevée datent de 1895). C’est vif et primesautier, léger et frais, en vers, et contre toute attente cinq scènes en disent déjà long, sur une petite quarantaine de pages aérées. Les amants ne « parlent » cependant pas dans ce premier acte, et nous le regrettons. Ils sont évoqués par d’autres personnages, ce qui rend l’extrait encore plus appétant ; et frustrant. Qu’importe ! Un certain Taldo déclare, page 33 :

    « C’est le seul grand amour que j’attends, que j’espère.

    Pas d’amour à mi-cœur, pas d’amour à mi-ciel.

    J’adore le parfait. Je hais le partiel.

    L’incomplet me paraît ce qu’il y a de pire,

    Et c’est à l’absolu, seulement, que j’aspire. »

    Tout Rostand...

    L’ouvrage comprend par ailleurs le fac-similé du manuscrit enrichi, raturé, corrigé de la main de son auteur, ce qui constitue déjà un précieux document : voir le travail en cours et tenter de deviner ce qui se passait dans la tête de celui qui cheminait sur le papier IMG_20181218_113313_resized_20181218_113430503.jpgcrayon en main, est toujours émouvant. Un texte de Goetz, « Exquise esquisse », analyse la genèse de la pièce, et clôt ce petit bouquin précieux et co-édité avec la Villa Arnaga-Musée Edmond Rostand, propriétaire du manuscrit. À quelques jours de découvrir au cinéma (le 9 janvier) le film « Edmond » (d')après la pièce homonyme (et formidable, nous l'avons vue il y a quelques mois au théâtre du Palais-Royal, à Paris), du même Alexis Michalik, l'actualité a du pif et ne manque pas de panache. L.M.

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    Atlantica, 13€

     

  • folio j'adore

    Capture d’écran 2018-11-22 à 01.24.02.pngCapture d’écran 2018-11-22 à 01.24.34.pngCapture d’écran 2018-11-22 à 01.26.24.pngCapture d’écran 2018-11-22 à 01.22.36.pngMerveilleuse collection folio. Nous tenons tous en mains un folio dans la journée, au moins une fois, pour vérifier quelque chose, relire un passage, retrouver une phrase, s’étonner d’une nouveauté, avouez, non ? Nous attendons tous avec impatience la reparution de romans ou d’essais dans cette édition de poche qui nous est devenue fétiche depuis tant d’années, parce que nous les avons ratés à leur sortie en grand format. Nous nous réjouissons d’une nouvelle traduction (Pavese, Zweig, Hemingway, London, pour ne citer que quelques récentes bonnes surprises), ou d’une nouvelle édition chic et rafraichissante (que les esprits chagrins dénigrent en invoquant un simple coup de marketing et juste une nouvelle couverture : laissons-les à leur aigreur triste), comme ces deux Italo Calvino : La route de San Giovanni et Leçons américaines. Le premier ravive cinq souvenirs majeurs du grand écrivain italien à l’imagination tellement magique dans la plupart de ses livres phares. Le second est composé de six cours qu’il devait donner à Harvard si la mort ne l’avait pas surpris trop tôt, et ce sont six bijoux étincelants d’intelligence et de réflexion sur les chefs d’œuvre incontestables de la littérature, à travers le prisme de cinq valeurs : légèreté, rapidité, exactitude, visibilité, multiplicité. C’est justeCapture d’écran 2018-11-22 à 01.32.27.png brillant. On sort grandi de cette lecture tonique pour la cervelle, en se disant « chapeau »… Folio, c’est relire l’Argentin le plus important à nos yeux, Jorge Luis Borgès, et ses indispensables ouvrages devenus des classiques dont on parle entre nous, le soir au coin du feu : Fictions, bien sûr, et son inoubliable Jardin aux sentiers qui bifurquent,  où l’indispensable Livre de sable, qui fait partie des livres que l’on aime offrir, et ses treize nouvelles à connotation fantastique, mais comme Poe le fut, soit avec un talent fantasmagorique capable d'orienter sans la gouverner la vocation d’un Julien Gracq. Nous y relisons avec un immense plaisir Le congrès, et l’indépassable nouvelle qui donne son titre au livre. Folio, car ce n’est pas fini, c’est encore le bonheur de plonger dans la correspondance amoureuse de François Mitterrand, avec cet énormeCapture d’écran 2018-11-22 à 01.27.35.png volume (1000 pages) – et encore, il s’agit d’une version abrégée de celle qui parut en collection Blanche -, avec Anne Pingeot, sobrement intitulé Lettres à Anne, 1962-1995, Choix (établi par la destinataire elle-même). Car, c’est beau, très beau, émouvant presque à chaque page, à l'instar du Journal de Jules Renard, lequel recèle un trésor ou deux à chaque paragraphe (avouez aussi). « Tonton » était une sacrée plume et un esprit littéraire très cultivé. Anne est magnifiée, comme a pu l’être Maria Casarès sous la plume d’Albert Camus, Elsa sous celle d’Aragon, Gala, Lou, tant d’autres bénies des dieux de la littérature lorsqu'elle part du coeur et pas seulement du ventre. Cela commence donc en 1962, lorsque François Mitterrand, alors âgé de quarante-six ans, tombe instantanément amoureux fou d’une jeune femme de dix-neuf ans qu’il rencontre chez ses parents à Hossegor. Bien sûr, un sentiment de violation de domicile, d’impudeur difficile à dominer nous saisit à chaqueCapture d’écran 2018-11-22 à 01.38.59.png lettre, mais cette désagréable impression qui nous colle à la peau comme la honte figurée par le feu qui prendrait à notre vêtement et menacerait de nous étouffer, cette sensation de pénétrer l’intimité d’un couple épris, est dépassée par la langue, la poésie, la profondeur bouleversante et finalement universelle, si l'on prête une oreille attentive, des mots que Mitterrand adresse avec une fougue capable de rendre jaloux tous ceux qui claudiquent et balbutient devant l’aimé(e) avec une syntaxe maladroite ; empotée. Une leçon, à la manière d’un recueil de poèmes d’Éluard. Folio, c’est encore ces « collectors » qui jaillissent à l’approche des fêtes de fin d’année. Nous tenons là un opus de Sylvain Tesson que nous aimons particulièrement, et dont le succès fut très mérité : Dans les forêts de Sibérie, livre déjà évoqué ici même pour son côté sauvage et pur. De même que le fut un autre grand livre, un roman cette fois, de la baroque Carole Martinez : Le cœur cousu. Un livre diabolique et donc séduisant qui nous plonge dans l'Andalousie du XIXè siècle et ses croyances ésotériques, où des femmes savent recoudre les coeurs en lambeaux et possèdent le pouvoir de rafistoler les hommes brisés... Enfin, et nous ne l’avons pas encore lu, mais le premier roman de Leïla Slimani, Dans le jardin de l’ogre, bénéficie lui aussi de cette collection très chic, colorée, même sur tranche. Il évoque, lis-je, une addiction sexuelle implacable, et forcément dangereuse. À suivre, donc. Folio, c'est enfin tomber sur une perle qui avait échappé à notre attention lorsqu'elle parut chez P.O.L., comme L'homme des bois, de Capture d’écran 2018-11-22 à 01.40.28.pngPierric Bailly. Hommage d'une tendresse froide mais jamais désaffectée - bien au contraire -, au père disparu accidentellement, et à côté duquel le fils a le sentiment douloureux d'être un peu passé à côté... Et ce trop tard accroit le manque. Ce livre nous fait dire que, si le travail de deuil de la mère est un genre littéraire en soi, celui du père est encore un territoire à défricher et à bâtir avec ce type d'hommage. Car, ce bouquin court, dense, âpre, empathique avec la distance juste, modeste, est grand par sa langue droite et pure, par sa narration simple et essentielle; celle qui n'ose pas tout, qui suggère au lieu de souligner. Le tact, quoi. L.M.

  • Crush : Cigarettes after sex et Trans-Europ-Express

    La scène la plus intéressante (plus quelques collages) de Trans-Europ-Express, film prétentieux et pervers d'Alain Robbe-Grillet (1966), très Nouveau roman, très inspiré de la Nouvelle vague bien sûr, mais sans grand intérêt, hormis la mise en valeur d'un couple : la séduisante Marie-France Pisier et le magnétique Jean-Louis Trintignant. Ce montage sur un morceau du groupe Cigarettes after sex en devient captivant. Ça happe. 

    https://bit.ly/2RRVfrz

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  • The Quiet Man

    Capture d’écran 2018-11-14 à 00.58.54.png« The Quiet Man », « L’Homme Tranquille », film de John Ford (1952) est un incontestable chef d’œuvre. L’Irlande paysanne et villageoise, sa nature, ses rivières à truites, ses pubs à stout coulant à flots, tout est là qui nous donne envie de prendre des billets pour Dublin ou pour Cork illico. Maureen O’Hara et John Wayne y sont splendides.

    Bon, le scénario hollywoodien fonctionne à fond sur le thème (grosso modo) : on ne réveille pas un flic qui dort. Clint Eastwood aura beaucoup donné dans la veine. Ici, la mesure de John Ford est d'une délicatesse touchante. L'ex-boxeur qui sait sa force meurtrière n'en usera pas une fois de plus, qui plus est avec son beau-frère. C'est un quiet man...

    À la 18è minute, nous étouffons un rire en lisant ce qui suit. C’est le frère aîné de la rousse de feu Mary Kate, que convoite déjà Sean, Red Danaher qui parle, lorsqu’il apprend que Sean Thornton, de retour des USA sur sa terre irlandaise natale, vient d’acquérir la demeure de sa famille, « La maison de l’aube », que celui-ci convoitait : « Il le regrettera jusqu’à sa mort, s’il vit jusque-là ». C’est délicieux. 

    À une heure et dix-sept minutes, la voix de Sean/John se fait plus glamour, lorsqu’il prend Mary Kate/Maureen, qui devient sa femme, dans ses bras de boxeur repenti : « Il n’y aura pas de verrous entre nous, sauf ceux de ton cœur mercenaire ». On adore. L.M.

    Capture d’écran 2018-11-14 à 00.57.32.png

  • Et toi mon coeur...

    G02242.jpgQuel titre ! Tout terriblement, quel titre magnifique pour une anthologie des poèmes les plus emblématiques - aux yeux de Laurence Campa, sa biographe chez Gallimard (éditeur de tout l’œuvre de Guillaume Apollinaire) -, et à nos yeux aussi... Cela est déjà suffisamment fulgurant pour exciter notre instinctive adhésion. La formule lapidaire, le trait forcément provocateur pourrait être entendu à l’opposé exact de la douceur, à l’extrémité même de la plupart des preuves de cette tendresse faite homme, au fil des textes que nous avons en mémoire vive et automatique, dès lors qu’un mot-clé surgit, qu’il se soit échappé d’Alcools, de Calligrammes, des Poèmes à Lou, du Guetteur mélancolique, de L’enchanteur pourrissant, ou du Poète assassiné - puisque nous sommes lecteur assidu et inconditionnel : Mirabeau, Souvienne, Demeure, Jeunesse abandonnée, Vin trembleur, Flamme, Sentimental, Soleil, Cou coupé, Regrets, Raison, Peine, Adieu, Voie lactée, Brin de bruyère... Quantité de vers aussi : Mon verre s'est brisé comme un éclat de rire... Ô ma jeunesse abandonnée... Vienne la nuit sonne l'heure... J'ai cueilli ce brin de bruyère... Ah Dieu! que la guerre est jolie... Et monCapture d’écran 2018-10-26 à 10.17.18.png mal est délicieux... Quand donc finira la semaine... La fenêtre s'ouvre comme une orange... Ou encore : Le ciel étoilé par les obus des Boches... Sont autant de chocs vivifiants qui frappent la porte entr’ouverte de notre armoire émotionnelle.

    Revivre nos sensations secrètes (nées à l'adolescence lorsque Alcools tomba entre nos mains), celles produites par la lecture de l’œuvre poétique fondamentale du XXè siècle, celle qui préfigure Supervielle, Jaccottet, Frénaud, de Richaud, Cendrars, Jacob, et tant d’autres compagnons de route, amis ou voix soeurs, n’est pas rien. Cette poésie pure, et en rupture pas si fondamentale au fond avec celle de Rimbaud, en prolongement (par saute-mouton) de celles de Verlaine, Baudelaire et Nerval, trouve là notre assentiment à jamais réitéré. Cette prose poétique aussi, qui engendrera Toulet, Jammes, La Tour du Pin, Jouve, Follain, Cadou... demeure. Mais Notre histoire est noble est tragique... (et) Les souvenirs sont cors de chasse / Dont meurt le bruit parmi le vent. L’Apollinaire, comme on dit l’alexandrin, est éternel. Le poète partage avec André Hardellet une certaine idée du désir : Mon désir est la région qui est devant moi, écrit Guillaume, lorsque André déclare que La ligne d’horizon, c’est le tour de taille de mes désirs. Mais l'Apollinaire qui compte le plus se résume ce soir, à nos yeux, à ces trois vers d'une beauté à jamais radicale :

    Et toi mon cœur pourquoi bats-tu

     

    Comme un guetteur mélancolique

    J’observe la nuit et la mort. 

    Ceci se situe bien au-delà aussi de l’idée de modernité, incarnée par le début du poème Zone : À la fin tu es las de ce monde ancien... Lequel a un peu vieilli, non ?.. Apollinaire avait « la grâce dans la variété et l'étrangeté » (le mot est de Montaigne).

    Cette édition de poche nous est très précieuse, car elle est illustrée d’une quarantaine d’œuvres d'art pour la plupart surréalistes, ou bien associées au mouvement du dictateur André Breton. Certains furent proches d'Apollinaire, dont les critiques d'art furent nombreuses : Matisse, Marie Laurencin, Picasso, De Chirico, Derain, Dufy, Redon, Delaunay, Chagall, Brancusi, Duchamp, Braque, Léger, Picabia bien sûr, pour l’origine Dada... Bien qu’en format microscopique, ces reproductions redonnent le fond, renvoient l’idée de, nous font plonger, regarder de plus près, imaginer aussi. Et donnent envie de revoir les oeuvres en grand, voire en vrai.

    Capture d’écran 2018-10-26 à 10.13.00.pngC’est le parti pris de la collection Poésie/Gallimard que de « donner à voir », comme le disait Éluard, depuis quelques années déjà, à la fois texte et création picturale. Nous avons déjà eu, relu, revu Char/Giacometti, Éluard/Man Ray, Char/Braque, Reverdy/Picasso... Avec ce Tout terriblement, Apollinaire rejaillit dans notre quotidien plus cru que d’habitude, et c’est heureux. Nous sommes ce soir complètement Marizibill, Madeleine, Orphée, Crépuscule, Jolie Rousse, Pont Mirabeau, Nuit rhénane, soit conquis, épris, imprégné, fébrile, totalement à Lou, follement en rupture, ignorant volontaire de cette Grande Guerre qui frappe encore et que l'on dira totale, tandis qu’une grippe que l’on nommera espagnole tue elle aussi par millions. L.M.

    Guillaume Apollinaire périt de la grippe espagnole le 9 novembre 1918, soit deux jours avant l'armistice. Il avait 38 ans. 

    Tout terriblement, Anthologie des poèmes d'Apollinaire, Poésie/Gallimard, 8,30€

     

     

  • Développement instantané

    Capture d’écran 2018-10-14 à 09.19.57.pngL’avantage des nouvelles d’Éric Neuhoff sur les photographies à développement  instantané que nous prenions jadis avec nos Polaroïds blancs, c’est qu’elles ne s’effaceront pas avec le temps. Ces « shorts » désenchantées mais toniques – c’est le premier recueil de nouvelles du romancier des Hanches de Laetitia - sont un cocktail sweet and sour que l’on pourrait nommer Gin Fitz’, et dont la trace en arrière-bouche campera dans nos mémoires. On y trouve la tendre désinvolture de Nimier, la candeur de Déon et un zeste de Morand pour le citrique. Sans paille mais avec des glaçons, cela donne du Neuhoff, hussard mélancolique au ton singulier, effeuillant un bouquet de femmes (pour fil d'Ariane) qui ne saurait faner, toutes armées de prénoms à cran d'arrêt et de réparties à barillet, tour à tour agaçantes, capricieuses, feux-follets, félines, inconséquentes parfois, sensuelles toujours, qu'elles soient allongées sur une plage, un lit de chambre d’hôtel, ou affalées à la place du mort dans une voiture. Ce sont de belles enfuies chimériques, par conséquent inoubliables. Au fil des dix-sept épisodes d’une série que l’on pourrait titrer « un homme fragile façon puzzle », nous suivons l’auteur de Cadaquès à Lisbonne, de Toulouse à Cannes, de la Corse à l’Irlande, de la Grèce à Madère (pour une virée avec Denis Tillinac), de Saint-Tropez à Saint-Germain-des-Près, le port d’attache, sans jamais le lâcher d’une phrase. Il y a évidemment pas mal de cinéma et beaucoup de littérature entre ces pages où traine toujours un cheveu long, et comme parfumées au timbre évanoui d’une voix limpide. Nous y croisons Jean Seberg qui n’a pas disparue, pas plus que Patrick Dewaere évoquant son pote Depardieu suicidé de longue date, et l’ours J.D. Salinger répondant à une invitation de Jackie Kennedy à se rendre à la Maison Blanche. Neuhoff a toutes les audaces. Il peut dire, à l’instar de Jacques Laurent : « Rapportant ses souvenirs, il se laisse le droit de les inventer ». La mémoire de l’auteur de Costa Brava (avec laquelle il entretient les rapports d’une balle de Jokari : un fil invisible l’y ramène sans cesse), s’accroche aussi aux amitiés jalouses de l’enfance, à ses années dolce vita, à des événements survenus au cours de l’année charnière de 1982. Avec une épuisette de délicatesse, respectant toujours les précautions d’usage, Neuhoff s’est adonné à la chasse subtile aux papillons des réminiscences dispersées. Il les a recueillis, puis consignés sur un rocher parsemé de formules qui font mouche. En bas, on entend la mer qui frappe. Et ces Polaroïds, sous lesquels un cœur se retrouve parfois en pièces détachées, ont un mécanicien aimant le réparer nonchalamment – sans jamais le serrer. L.M.

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    Éric Neuhoff, Les Polaroïds, nouvelles (Le Rocher).

  • Helena ou la mer en été

    Capture d’écran 2018-08-28 à 10.50.40.pngCe ne peut être le hasard, puisqu’il n’existe pas. J’ai lu hier soir un bref roman, Helena ou la mer en été, de l’Espagnol Juliàn Ayesta, paru en 1952 à Madrid, et seulement en juin dernier en France, directement en format de poche (traduit et postfacé par Xavier Mauméjean). Il y a un air de famille littéraire avec la touchante Gioconda précédemment évoquée ici, du Grec Nikos Kokàntzis. Mêmes émois adolescents, même tendresse, une poésie méditerranéenne en partage avec, au menu : mer, sel, sable, soleil, sieste, rires, et onirisme aussi, mais surtout un fin moins tragique chez Ayesta que dans le récit grec. Le roman est cependant décousu : la première partie a des allures de comédie italienne : un repas dominical au jardin décrit avec talent car, en peu de mots laIMG_20180828_110213_resized_20180828_110239837.jpg joie, les hommes avant la corrida de l’après-midi, les verres de Marie-Brizard, les cigares au bord des lèvres, les enfants qui posent des questions et qui agacent les adultes, puis qui s’échappent, crient, s’amusent, les miettes sur la nappe, les bouteilles de cidre vidées, le soleil qui perce entre les branches, les tantes qui pérorent et médisent par bonté, les cousins de Madrid qui surgissent, la fiesta simple qui se poursuit... Le ton du souvenir de l’enfance est donné sans compter, avec force détails, et nous ressentons le plaisir que l'auteur a eu à écrire ces 36 premières pages. Puis, une partie austère évoque la religion catholique et ses méandres, un IMG_20180828_110139_resized_20180828_110240209.jpgpensionnat, le tabou sexuel, qui nous fait tourner les pages en soupirant. Enfin, une troisième partie tonique et un rien débridée, voit revenir Helena, aperçue dans la première, chargée d’amour retenu pour un narrateur débordant d’amour lyrique et sensuel. C’est tendre, ingénu, sans excès, limpide et ensoleillé. La lecture idoine pour rentrer en douceur. L.M.

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    Le Livre de Poche, 6,40€

     

  • Gioconda

    IMG_20180824_153539_resized_20180824_033646264.jpgTrès en marge de cette rentrée littéraire, notre regard s’est inexorablement porté vers un fulgurant et tendre récit (paru en juin) d’une désarmante vérité, limpide comme une source de montagne, fragile comme ta peau au lit à l’aube, touchant tant il est habité par une bouleversante sincérité. Oh, vous lirez en une heure à peine cette centaine de pages empreintes de délicatesse et d’une impudeur paradoxale. Son auteur n’était pas écrivain. Nikos Kokàntzis (1930-2009) a simplement vécu à Thessalonique une histoire d’amour, la première, la fondatrice, la fondamentale à l’âge de treize ans avec Gioconda, une juive de son âge qui sera déportée et gazée à Auschwitz une poignée de mois après leur rencontre. Leur idylle possède les charmes subtils et écorchés vifs, mais si délicieusement douloureux de la découverte des sentiments et des corps, que la lecture de Gioconda en devient admirablement suffocante. Et cela est dit, décrit, avec une infinie beauté, une immense ingénuité surtout, qui donnent à ce récit toute sa saveur primale. Les scènes des premiers émois, des premiers frissons, des premières pénétrations sont un long tremblement détaillé comme par souci entomologique – il fallait sans doute à l’auteur marquer profondément ce départ double dans la vie, vers un bonheur coupé net.

    Cela pour dire que, n’étant donc pas un professionnel de l'écriture, Kokàntzis ne se la joue jamais, et donne par conséquent à lire une sorte de texte d'une pureté cristalline, situé à des années-lumière de tout calcul littéraire, fourbe souvent, faux trop fréquemment. Nikos rédige avec le sang de son cœur à jamais tranché, haché. C’est seulement en 1975, âgé de 45 ans et lesté de 45 tonnes de charge d'âme a minima, qu'il se décida à écrire cette fébrile histoire inoubliable, tant la belle Gioconda aux yeux envoûtants, atrocement assassinée par la barbarie nazie à l’âge de quatorze ans, est désormais faite, construite pour nous habiter et nous poursuivre longtemps après que nous ayons refermé ce petit livre précieux entre tous. Faites passer, c’est une sorte de talisman comme le sont Laissez-moi, de Marcelle Sauvageot, Lettre d’une inconnue, deIMG_20180824_160709_resized_20180824_040828796.jpg
    Stefan Zweig, ou encore La boîte en os, d'Antoinette Peské. De sacrées références, vous ne trouvez pas? Car, ce qui est magique à l'intérieur de ces livres-là, c'est moins l'atrocité de leur issue que l'insoutenable, la douloureuse beauté du lent, langoureux déroulement de leur non-histoire... L.M.

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    Nikos Kokàntzis, « Gioconda », récit, éd. de l’aube (8,90€).

     

    Photo ci-contre : lectures estivales.

  • Les flacons d'abord

    Capture d’écran 2018-06-13 à 13.39.12.pngÇa commence avec un emprunt à deux incipits : ceux de « Aurélien » de Louis Aragon et du « Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline » dans la même première phrase, et ça finit par une allusion à l’excipit du « Singe en hiver » d’Antoine Blondin avec un épisode à la Roger Nimier ou à la Jean-René Huguenin. Des références en forme de révérences. On adore. Christian Authier aime le jeu et l’hommage. Avec « Des heures heureuses », son septième roman (Flammarion, 19€), il ne nous donne pas seulement à boire du bon vin à chaque page ou peu s’en faut – d’ailleurs, quand il est mauvais, cela déclenche la colère de Thomas (sa doublure) et celle de Robert Berthet son mentor. Il nous fait également rire avec une tripotée d’anecdotes (toutes vraies bien qu’invraisemblables) et jouer aux devinettes : quel écrivain ami, quel vigneron aimé, quel chef de talent se cachent derrière de vrais noms comme ceux de Maréchaux, Guégan, Lacoche, Maulin ? Alors on cherche à deviner, et Authier corse le jeu. Au rayon vignerons, Éric Callcut c’est Calcutt, Selosse c’est Selosse en substance, mais Jean-Christophe Besnard c’est Comor ! Comme Jean-Marc Filhol c’est Parisis au rayon écrivains, et Alain Laborde, Yves Camdeborde au compartiment cuisiniers. C’est relativement fastoche lorsqu’on est initié, soit un peu du club...

    Références à Blondin à coups de citations planquées, répliques-cultes des « Tontons flingueurs », d’autres allusions plus subtiles à des ouvrages de Sébastien Lapaque par exemple (Les vins de copains, Théorie de la carte postale)... L’auteur s’amuse en écrivant et cela nous procure un bien fou. De même qu’il est franchement jouissif de lire (enfin) une satire en règle des faussaires de tout poil. Qu'il s'agisse des bobos adeptes aveuglés du vin « nature » non soufré au nez de pisse de chat et au goût de vieille serpillère, comme de ceux qui les « font » sans rien faire justement, et qui ont donc du temps pour prêcher la parole sectaire de leur confrérie intégriste du goût mauvais.

    Il y a du Déon, du Nimier dans le style, et du Houellebecq dans le regard davantage mélancolique que désabusé que l’auteur porte au monde tel qu’il déçoit. Loin de surfer sur la vieille vague du c’était mieux avant, puisque « le passé qu’ils regrettaient ne datait que d’une vingtaine d’années », Authier instille par touches délicates, de manière pointilliste, ses avis sur la question contemporaine. Qu’il s’agisse de l’ère du tri sélectif, des parvenus que tout Guépard dans l'âme vilipende, de l’inculture assumée des jeunes – sans honte bue, de la dictature du portable ou – plus grave -, de la disparition du sourire. Il n’est pas tout à fait « antimoderne » non plus, mais loue à n’importe quel taux la douce fureur plutôt que la peur, de vivre.

    Le sujet principal est ce monde des vins que l’on dit vivants, ou bios pour faire court. C’est le cadre. Le contenant. Le contenu est infiniment humain, infiniment Français, si sensible, fragile même, car sous les sautes d’humeur, les boutades, les engueulades et les mornifles engendrées par la picole, les bons mots à se bidonner comme : « Patron, du vin ou on encule le chien ! », ce sont là des hommes en rupture de ban avec leur époque qui se cachent derrière le masque du sourire. Ce ne sont pas des « Enfants tristes » pour autant, mais de « vieux enfants » au cœur gros comme ça, habités par « la nostalgie de l’insouciance et de l’innocence ». Des « frères d’âmes » sachant mieux ouvrir les boutanches que fendre l’armure. « Des heures heureuses » est ainsi un roman Hussard en diable pour la joie de boire et de rire, pour les copains d’abord, cette bande de singes toujours en hiver, et il contient aussi une touche à la Drieu pour « ce désenchantement intime (qui) les rendait touchants », ce qui lui donne une belle longueur en bouche. Il y a aussi du football et pas mal de cinéma (deux marottes de l’auteur) dans ce livre qui foisonne de bonnes choses comme un assortiment de tapas nocturnes.

    Nous aimons partager les agapes toulousaines (au Tire-Bouchon notamment) et germanopratines (chez Yves Camdeborde au Comptoir du Relais, chez Michael au Moose) et fort arrosées des joyeux drilles, membres du « Clup ». Et surtout suivre les virées en voiture sur les routes des vignobles français de respect, d’un tandem de tendres fanfarons – Thomas l’élève de 26 ans au regard faussement candide, et Berthet l’agent en vins bons, la cinquantaine bougonne, voire soupe au lait. C’est Don Quichotte et Sancho Pança sans les moulins. Mais avec une Dulcinée nommée Zoé qui, surgissant tout à trac, fera flancher Thomas – et nous le comprenons en lisant le portrait de cette fée qui embarque l'amoureux pour Lisbonne, Berlin, Madrid, Istanbul et le Pays basque, histoire de l’extraire de la cave. Au point que le personnage songera à laisser tomber Berthet, les vins... Mais cet hymne à l’amitié – cheval de bataille de tous les romans d’Authier -, ne saurait dévier, sauf cas de force majeure. « Qu’est-ce qu’on boit après ? ». Je parie sur un Prieuré-Roch. On n’a pas de Romanée-Conti. L.M.

  • Grands Caractères

    IMG_20180303_130639_resized_20180303_075620807.jpgMe voici donc, avec quatre consoeurs des merveilleuses éditions Passiflore - pilotées par les talentueuses Florence Defos du Rau et Patricia Martinez -, décliné en édition grand format, saisie en corps 18 à l'attention de ceux qui aiment lire mais qui ont la vue basse, comme on dit : il s'agit, pour mes consoeurs, de Fabienne Thomas, Marie-Laure Hubert Nasser, Pascale Dewambrechies, et Chantal Detcherry.

    Cette édition a la taille d'un cahier, avec des pages lisibles de loin, confortables à bout de bras, que l'on feuillette comme un tapuscrit ou presque. J'ai personnellement la joie d'y donner à lire (en bonus) une préface dont me gratifia Michel Déon en 1995, ainsi qu'une lettre de Pierre Moinot - autre académicien, auteur d'un inoubliable Guetteur d'ombre (Prix Femina 1979), datant de la parution de ce petit bouquin en 1992. C'est la quatrième version de Chasses furtives. Après ses éditions chez J&D, puis Gerfaut, chez Passiflore en version normale, voici - et chez le même éditeur donc -, celle en Grands Caractères, laquelle prolonge d'ailleurs la version numérique (e-book). Pour que continue de vivre la littérature, faites passer! L.M.

    Ci-dessous, la lettre de Pierre Moinot, et pour extrait, le début du livre : 

    IMG_20180303_202022_resized_20180303_082114625.jpgIMG_20180303_202332_resized_20180303_082420642.jpg

  • apapachar

    Capture d’écran 2016-12-07 à 15.18.25.png

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Les mots, parfois, sont encore plus merveilleux qu'à l'habitude. Prenons celui-ci : apapachar, mot espagnol signifiant ordinairement cajoler, câliner.

    soit apapachar...

     

    a papa char

    (rené) char père (de la poésie contemporaine)

     

    a

    papa

           sans accent grave sur le a

     

    achar : "condiment à base de légumes macérés dans du vinaigre"

     

    apapachar : caresser l’âme, me souffle une amie un brin2rien poète

                                           un papa caresse l’âme avec un condiment épicé d’origine indienne, mouais...

     

    l’origine latine d'achar signifie en outre trouver, rencontrer, penser; constater aussi.

    ce que nous faisons.

    soit : apapachar, c'est bien de cela qu'île s'agite, hein...

  • On se croit curieux...

    téléchargement.jpegOn se croit curieux, et nous passons à côté de choses, comme ça, qui sont de petits cadeaux mieux dissimulés que des oeufs de Pâques dans le jardin de notre enfance. Je viens de découvrir (à la faveur d'un message amical et bienveillant), un écho écrit à une émission de radio (cliquez ci-dessous), et je remercie au passage Philippe Vallet, fort tard certes, mais vieux motard que j'aimais, n'est-ce pas. Il s'agit de mon premier roman, écrit à l'âge de 23 ans, soit il y a (putain!..) 35 ans... Purée... Outch, la gifle. Envie donc de partager, car c'est de saison : l'arrière-automne, le givre, les parfums capiteux de sous-bois, la migration qui strie le ciel bellement, l'écharpe diaphane du brouillard de l'aube, tout ça qui fait le sel de l'existence, pour peu que nous la voulions, ou voudrions toujours là, parmi ces plaisirs simples, et surtout naturels, sans aucun artifice. Jamais...

    chasses furtives

  • sans la musique baroque, on ferait comment...

    Capture d’écran 2016-11-03 à 23.03.04.pngUne heure et demie d'émotion, de larmes de joie et de regret, soit tout l'esprit des Lachrimae concentré ici, là, un temps sans issue palpable de musique baroque épurée jusqu'à l'os, grâce au talent de Jordi Savall et de son ensemble Hesperion XXI, tout cela en hommage à Montserrat Figueras, la femme disparue de Jordi, la moitié de l'âme de l'ensemble, l'esprit, la jumelle, l'hémisphère de tant et tant d'années, la voix surtout, la voix unique, cette voix entendue "pour de vrai" une première fois un soir divin de septembre 1980 dans une église de Coimbra, au Portugal, et après l'avoir tant écoutée sur les 33 Tours de la Platine... En hommage donc, cette heure et demie de bonheur serein et doux, ça vous dit?.. Et bien allez, zou :

    https://www.youtube.com/watch?v=dJDce7wUwDs

     
     

     

     
  • Sunset Song

    Capture d’écran 2016-11-03 à 00.19.07.pngEnvie, sincère, de partager le plaisir que je viens d'éprouver en regardant ce film puissant, et injustement passé inaperçu. Rustre avec délicatesse, rude et si tendre, cru mais si percutant, vrai, car essentiel avec pudeur et tact, cette histoire d'une femme d'exception, la réalité de la couardise de la Grande Guerre, circonscrite avec justesse, l'amour ingénu et total, la nature écossaise, sauvage mais souple de la région d'Aberdeen (que j'adore, et pas que pour ses whiskies), le jeu émouvant de bout en bout de la très belle Agyness Deyn, enfin... Tout cela en fait, je crois, un film fort. L.M.

    Sunset Song

     

  • impudeur, peut-être

     

    Capture d’écran 2016-08-18 à 13.53.06.png

    Je sais, c'est impudique, mais comme cette photo évoque une scène de cinéma, de l'avis, fiable, de ceux qui l'ont vue, je la propose ici, m'autorisant un coup de canif dans toute déontologie minimale. Ma mère est dans la DS. C'est un dimanche après-midi (entre 1970 et 1976), dans le port de Bayonne. Le m/s Léon Mazzella est à quai, de retour d'Afrique avec rien dans ses flancs, puisqu'il chargera ici. Ce sera selon : soufre, phosphate, traverses de chemin de fer... Derrière lui, en reflet sur les vitres du dernier hommage rendu à la carrosserie automobile (la Citroën précitée), se devine le m/s Cap Falcon, autre navire de la flotte de mon père, armateur. Papa est forcément à bord. Maman a l'air de s'ennuyer grave. Il lui tarde de rentrer et de préparer les pâtes pour la famille. Après le bain des enfants. Et zou, au lit fissa pronto!.. C'est dimanche. Après ce sera plateau-non! pas télé, autre chose avec son homme.
    L.M.
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    P.S. : Le levier de vitesses est au volant, le modèle date bien. Le rétroviseur central produit un clic-clac mat lorsqu'on l'actionne (jour/nuit), afin de lutter contre l'éblouissement des phares - jaunes -, du con qui suit et qui ne pense pas à passer en code. La montre, rectangulaire, se règle à la main avec un gros bouton. Le poste, qui a déjà connu plusieurs ID et DS, est un Radiola toujours branché sur RMC, que mon père appelait "Radio Andorra"!.. Pourquoi maman ne baisse-t-elle pas la vitre, afin de respirer un peu d'air fluvial chargé de marée montante (c'est mieux que descendante) ? Le bruit des grues, peut-être. L'envie de rentrer, sans doute...

     
     
     

     

  • Drôle d'oiseau

    Capture d’écran 2016-06-13 à 09.11.27.pngUne cage allait à la recherche d'un oiseau. Kafka (Journal).

    Cette phrase me hante depuis sa découverte il y a quarante ans.

    De même, la métaphore du fruit appelé physalis (d'un mot grec signifiant vessie), surnommé amour en cage (photo), laisse rêveur.

    De là à prendre ce qui fait battre mon coeur pour une lanterne...

    Kafka, ce drôle d'oiseau, craignait peut-être la liberté. L.M.

  • matinalement

    L'aube. Au Moyen-Âge, cela désigne aussi un genre, ou plutôt une forme littéraire assez singulière : c'est une poésie lyrique qui a pour thème la séparation de deux êtres qui s'aiment au point du jour . Accompagnée d'une mélodie savante, elle comporte trois grands thèmes : séparation des amants à l'aube; chant des oiseaux et lever du soleil, intervention du guetteur qui interdit à tout importun de s'approcher et prévient les amants qu'avec l'aube vient la séparation.

    Karl Gottlob Schelle : La bienveillance, la cordialité, la franchise, s'installent dans le coeur qui s'ouvre à la nature; le genre humain, qui cesse de s'agiter dans l'arène des grandes passions telles que l'envie, l'avidité, l'égoïsme, apparaît, dans le miroir de la nature, dans une lumière plus pure. Un homme qui n'est pas dégénéré se sentira oppressé dès qu'il sera resté quelque temps sans voir la nature. (L'Art de se promener).

    Proust : Quand on aime, l'amour est trop grand pour pouvoir être contenu tout entier en nous; il irradie vers la personne aimée, rencontre en elle une surface qui l'arrête, le force à revenir vers son point de départ, et c'est ce choc en retour de notre propre tendresse que nous appelons les sentiments de l'autre et qui nous charme plus qu'à l'aller, parce que nous ne reconnaissons pas qu'elle vient de nous. (A l'ombre des jeunes filles en fleur).

    Gracq : Tant de mains pour transformer le monde et si peu de regards pour le contempler. 

    Capture d’écran 2016-06-03 à 07.05.16.png

    Photo : Maurice Ronet, dans Le Feu follet, de Louis Malle, d'après l'oeuvre de Drieu La Rochelle.

     

  • Je suis Claude Sautet

    Capture d’écran 2016-05-24 à 11.15.52.pngJ'ai revu, une fois de plus, César et Rosalie, à la télé, avec ce plaisir étrange de l'identification totale, aussi forte qu'entre les pages d'un roman d'amour pourvu d'une épaisseur certaine (Zweig, Marai, Eliade). L'empathie est terriblement sensible, avec les films de Claude Sautet. Alors, j'ai repensé aux Choses de la vie, encore la sublime Romy, et l'immense Piccoli. Et la petite musique Sautet. Années soixante-dix. Mes parents. Leur amour fou. Un spectacle permanent et lumineux, incandescent, idéal, pour leur fils -et filles. Un côté En attendant Bojangles, le roman de Bourdeaut (lire ici, plus bas, au 18 avril), soit une mélancolie gaie, les larmes avec les rires. Les années bonheur, l'insouciance, la mer, le soleil, la terrasse toujours remplie d'amis... Une atmosphère que j'ai - très modestement - décrite dans mon roman Flamenca. Et donc Sautet, sa façon de dire avec tant de tact et de justesse les sentiments, une époque... Comme Aznavour sait chanter l'amour mûr, devenu adulte. Alors je pense à Capture d’écran 2016-05-24 à 11.14.15.pngla chanson d'Hélène, comme on pense au thème de Camille, de Georges Delerue, dans Le Mépris, de Godard, (évoqué sur ce blog de façon récurrente)... La chanson d'Hélène est la plus bouleversante qui soit, la plus douce. Aussi douce et forte que les regards de Sami Frey et d'Yves Montand, à la fin de César et Rosalie, par la fenêtre, lorsque Rosalie/Romy revient... Aussi douce et irrémédiable que l'eau (ou parfois le sable), qui coule, s'échappe d'entre nos doigts. La vie qui fuit, l'amour qui ne se retournera pas, une plage soudain déserte, une page à nouveau blanche, une saison sèche qui tremble à l'horizon comme un mirage. Un côté comme ça... Alors, oui, il y a des jours comme ça. Et, aujourd'hui, comme si souvent, comme ce soir nous sommes septembre (davantage que Charlie), Je suis Sautet. L.M.

    Cliquez là => La chanson d'Hélène 

    Capture d’écran 2016-05-24 à 10.53.04.pngCapture d’écran 2016-05-24 à 11.17.24.png

     

     

  • L'amour loufoque

    Capture d'écran 2016-04-18 11.22.09.pngEn attendant Bojangles, premier roman successfull d'Olivier Bourdeaut, publié par l'excellent (ex-)petit éditeur bordelais Finitude, mérite l'engouement qu'il suscite. Gai, tendre, foutraque, sans queue ni tête, cet ode à l'amour conjugal raconté par le fils unique (au fil des jours dont il prélève l'écume), la présence séduisante d'une grue de Numidie apprivoisée nommée Mademoiselle Superfétatoire, quelques personnages satellitaires figurant une équipe de cirque, possèdent la légèreté d'une bise matinale sur la côte normande, avec ce rien de perfide qui chatouille l'oreille. Bien sûr il y a une histoire, et même de tragiques événements, mais la langue de Bourdeaut a ceci de magique, qu'à l'instar de certains joggers plus marcheurs que coureurs, il semble pouvoir aller sans jamais faire de mouvement vertical : ça roule. Et donc ça marche. Cela prend les contours d'une certaine forme de réalisme magique. Oh, très éloigné de l'imaginaire baroque d'unCapture d'écran 2016-04-18 11.43.57.png Garcia Marquez, bien sûr, mais pourvu de ce petit côté plus loufoque que surréaliste, qui rend la folie amusante, la mort supportable, la peine gaie, et les larmes indistinctes. C'est un court roman fantasque, et de lin, oui, un livre comme le costume blanc que porte Marcello Mastroianni dans Les Yeux noirs (le film magnifique de Nikita Mikhalkof). Elégant, aérien, délicat. Un livre cousu de grâce. L.M.

     

  • Somnanbule du jour

    téléchargement.pngAnise Koltz est une poétesse forte. Son mot cingle, trace avec économie, percute. Elle pratique l'oxymore, Rien n'est plus obscur et mystérieux que la clarté, prévient-elle. Extraits de Somnanbule du jour, son anthologie personnelle qui paraît - et c'est un événement, au Luxembourg -, dans la collection Poésie/Gallimard :

     

     Abattez mes branches

    sciez moi en morceaux

    les oiseaux continueront à chanter

    dans mes racines

     

    ---

     

    Chaque aube 

    est une promesse d'éternité

     

    Chaque couchant

    sa flamboyante annulation

     

    ---

     

    Mon corps est chaud

    comme le seuil d'une église

     

    Quand tu entres en moi

    la Bible divague

     

    ---

     

    J'aime te sentir

    sur moi

    comme un pont écroulé

     

    ma rivière 

    polira tes pierres

     

    ---

     

    Marcher

    sans rien atteindre

    jusqu'à devenir chemin

     

    ---

     

    Je ne crois plus en Dieu

    désormais

    ce sera à Lui

    de croire en moi

     

    ---

     

    Seule je rôde

    repoussée

    comme un animal sauvage

    qui a été touché 

    par les humains

     

    ---

     

    JE T'AIME

     

    Je t'aime

    parce que ton amour

    inventé pour voler

    est un faucon

    qui s'est posé sur mon poing

     

     

  • Alchimie, d'Azrié

    A mes yeux, mes oreilles, mon coeur, ma peau, le plus bel extrait d'un album tout entier consacré à une lecture musicale forte des Rubaiyat d'Omar Khayyam, par la voix unique d'Abed Azrié.

    Alchimie

    crozes-hermitage-rge-z.pngAlliances : une syrah douce et forte à la fois, de belle extraction. Si vous le pouvez, issue de la côte-rôtie, sinon, d'hermitage, ou bien de crozes-hermitage, mais de par là-bas, des magiques côtes-du-rhône septentrionales.

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  • Ovide, L'Art d'aimer

    téléchargement.jpegPurée! C'est dans Ovide et ça n'a pas pris une ride. C'est splendide, mais ressenti comme audacieux, 2000 ans après. Inquiétant, non...

    Extrait : 

    Si tu veux m’en croire, lecteur, ne hâte pas le plaisir de Vénus ; sache le retarder, le faire venir peu à peu, doucement.  Quand tu auras trouvé l’endroit sensible, l’organe féminin de la jouissance, pas de sotte pudeur : caresse-le, tu verras dans ses yeux brillants une tremblante lueur, flaque de soleil à la surface des eaux… Viendront alors les plaintes et un tendre murmure, de doux gémissements –et ces mots excitants qui fouaillent le désir…

    Ne va pas, voguant à pleines voiles, la laisser en arrière ! Evite, aussi, qu’elle ne te précède : qu’un même élan pousse vos navires vers le port. Quand, vaincus tous deux en même temps, l‘homme et la femme retombent ensemble, c’est là le comble du plaisir !

    Alliance : 

    images.jpegLe Gewurztraminer Grand Cru Eichberg 2011 de Martin Schaetzel, vigneron alsacien de respect, sis à Ammerschwihr. Pour le nez généreusement fruité, aux touches exotiques (lychee) de ce grand vin de garde

    BTLE-SCZ0004.jpg(élevé en biodynamie, 15-20€). Pour sa bouche aux accents miellés. Et surtout pour cet équilibre prodigieux entre minéralité, fraîcheur, acidité et douceur extrême. La puissance et l'onctuosité mêlées, en somme. Une sorte de fading oenologique, car la longueur en bouche signe aussi sa prestance. Une invitation indirecte aux plaisirs divers du coeur de l'été. L.M.

  • Mes lèvres ne peuvent plus s’ouvrir que pour dire ton nom

     

    Mes lèvres ne peuvent plus s’ouvrir

    que pour dire ton nom

    baiser ta bouche

    te devenir en te cherchant.

    Tu es au bout de chacun de mes mots

    tu les emplis, les brûles, les vides.

    Te voici en eux

    tu es ma salive et ma bouche

    et mon silence même est crispé de toi.

    Je me couche dans la poussière, les yeux fermés

    La nuit sera totale, tant que l’aube

    Et le grand jour de ta chair

    Ne passeront pas au-dessus de moi

    Comme un vol de soleils.

     

    Alain Borne (1915-1962).

  • Ré-aimer la France

    téléchargement.jpegUne balle de kalachnikov a stoppé net le talent protéiforme de Bernard Maris, le 7 janvier dernier, au cours d’une réunion de rédaction dans les locaux de Charlie-Hebdo, à Paris. Je ne ferai donc pas de dessin. L’auteur avait déposé cinq jours plus tôt chez Grasset le manuscrit de Et si on aimait la France. Cette déclaration d’amour à un bouquet de valeurs en danger, va passer pour passéiste et réactionnaire, aux yeux plissés des esprits chagrins. C’est pourtant, entre le Dictionnaire amoureux de la France, de Denis Tillinac (Plon), et De chez nous, de Christian Authier (Stock) – mais beaucoup plus proche du second que du premier -, d’une ode vivifiante, et propre à déculpabiliser tous ceux qui s’arrangent tant bien que mal avec leur mauvaise conscience en entretenant leur bonne (conscience) à coups de repentance, qu’il s’agit. C’est aussi un élégant coup de poing sur la table, à l’adresse du « French bashing », ce nouveau sport pratiqué surtout par les Français eux-mêmes. Ces citoyens de plus en plus portés sur l’auto-flagellation, passionnés qu’ils sont devenus par l’expiation de fautes qu’ils finissent par s’inventer ou à amplifier, tous les accrocs au prolongement de la peine, soucieux de faire durer le purgatoire ad nauseam. L'après décolonisation a encore de beaux jours devant elle. Les idées du Alain Finkielkraut de L’identité malheureuse ne sont pas éloignées de celles de l’économiste sensible, cultivé, en un mot charmant, que fut Bernard Maris.  Le dessein de son ultime livre est de tenter de redonner le sourire aux habitants de ce pays multiculturel, cette terre des Lumières et des Droits de l’homme, et dont la langue se délite, ce « pays ou Dieu est heureux », mais où l’antiracisme fait les ravages que l’on sait. Maris a écrit ce bouquin pour les désespérés drôles : les Houellebecq, Cabu, et tous les fils de Cioran et de Reiser. Le temps de cet essai libre et enchanté, il est parti tendrement en guerre contre ceux qui parlent de la France comme d’un rhumatisme, d’un mal au dos qui ne passe pas - et qui ne passera de toute façon jamais. Contre les pessimistes, les grincheux, les « aquoibonistes » et autres apôtres passifs du c'était mieux avant. Afin de redonner confiance à ceux qui n’osent même plus murmurer qu’ils aiment leur pays, il cite – c’est de saison -, les Jean Zay, Guy Môquet, Germaine Tillion, Daniel Cordier, Honoré d’Estienne d’Orves, Henry Frenay, de Lattre de Tassigny, Pierre Mendès-France, et autres membres de l’armée des ombres. Pas de Sartre, ici, « le faux résistant, le planqué de l’Occupation », mais le Camus de Combat, oui. Bernard Maris remet à l’heure ces pendules qui ont tendance à se dérégler de façon… chronique. Amoureux de la langue française comme pas deux, « Oncle Bernard » (son surnom, et son pseudo, à Charlie-Hebdo) approuve le mot de Cioran : « Mourir pour une virgule », et déplore un pays où l’on capitule facilement, et où l’on ne résiste pas longtemps. Les pages les plus sensibles du livre, sont celles rappelant que la France a inventé l’amour courtois et la galanterie. Les troubadours ont, en effet, poétiquement exacerbé le désir, en respectant toujours de façon absolue le bon vouloir de la femme et l’autorité de son corps – ce n’est pas rien, lorsque l’on songe au contrôle de soi, tel qu’il est (mal) vécu dans la religion musulmane. « La civilisation commence lorsque l’homme domine ses pulsions », écrit Maris, et « quand les mâles voient autre chose dans un femme qu’un objet sexuel ». A l’opposé de la galanterie, se situe « le respect, mot employé à tort et à travers par la racaille et les crétins », souligne l’auteur, non sans redonner ses lettres de noblesse au respect, le vrai, montrant du doigt la marée montante de l’irrespect, qui envahit notre quotidien. « La civilisation commence avec la politesse, la politesse avec la discrétion, la retenue, le silence et le sourire sur le visage. » La France n’est-elle pas le pays du culte du respect de la population féminine, et celui qui a inventé celui de l’enfant ? Avec Maris, nous flirtons alors avec la délicatesse de Proust, nous nous moquons des bobos qui sont finalement des caricatures de bourgeois assez peu bohème (lire à ce sujet Tombeau pour une touriste innocente, du regretté Philippe Murray, recommande Maris), nous réapprenons (sans aucun accent bucolique oiseux), la simplicité des paysans, cette classe sociale – le « secteur primaire » en voie de disparition, nous n’oublions pas que la lutte des classes se transforme (démographie et crise obligent) en lutte des places (le mot est de Michel Lussault, auteur de De la lutte des classes à la lutte des places, Grasset), nous savons – et  il nous est personnellement cruel de devoir nous en convaincre – que la gauche que nous aimons n’existe plus, que l’actuelle, insipide et pleutre (c’est moi qui souligne), a préféré fuir les problèmes cruciaux comme celui des banlieues et autres zones dangereuses, au lieu de les affronter avec courage. Maris agite alors le spectre terrifiant d’une forme aiguë de séparatisme, ce que Finkielkraut nomme l’échec du « vivre-ensemble », corollaire de la déliquescence du savoir-vivre (évoqué plus haut à propos de galanterie et de respect vrai), et en compagnie de l’auteur, nous nous souvenons, avec le philosophe Alain, que « le plus visible de l’homme juste et de ne point vouloir gouverner les autres ». Dans un monde de brutes, de requins, d’arrivistes (en économie comme en politique), prêts à piétiner jusqu’à leur mère pour conquérir une parcelle de pouvoir, dans ce monde ou le warrior, comme disent les adolescents, est icônisé, il est par conséquent salutaire, et apaisant, de lire Bernard Maris. Essai buissonnier, Et si on aimait la France redonne par ailleurs envie de parcourir la ville à pied, et la province en vélo, ou bien en voiture, mais slowly et vitres baissées. Julien Gracq : « Habiter une ville, c’est y tisser par ses allées et venues journalières un lacis de parcours ». Car il s’agit en quelque sorte de réapprendre la France, de se la réapproprier, de la « désinquiéter ». Le message en forme de testament de Bernard Maris sonne juste. Il exprime, en toute simplicité, la sincérité d’un homme de bien, à l’intelligence suraiguë (perchée à des années lumière, et des Bisounours, et des défaitistes), la vérité d’un homme optimiste mais pas candide, lucide et ennemi du give up, un homme qui souhaitait juste retrouver le sourire sur les lèvres des autres. Juste ça. Au lieu de quoi, le 7 janvier dernier… L.M.

  • « Adieu, vive clarté de nos étés trop courts »

     

    téléchargement (1).jpegVoilà un vers de Baudelaire qui aurait pu faire le bandeau de couverture de cette longue lettre d’amour fou, si le mot adieu n’était pas déjà contenu dans un titre à rendre jaloux nombre de romanciers. Adieu aux espadrilles (*), du délicat Arnaud Le Guern, est un roman à peine fictif (même les noms des chats, Pablo et Malcolm, sont vrais), très Nouvelle Vague, très morandien – mais sans la vitesse, et avec une touche du Henry Jean-Marie Levet des Cartes Postales. Entre les pages de ce livre, nous (res) sentons ce parfum sentimental, précieux et  léger comme la rosée du matin, l’été, au bord de la piscine, lorsqu’on s’est levé avant elle en prenant soin de ne pas la réveiller, pour aller fumer la première cigarette, tout en respirant les parfums tiédis du figuier à l’ombre bienfaisante; sous le soleil exactement. Arnaud Le Guern aime une femme, les actrices aussi, sa fille Louise surtout, l’insouciance, et les mots avec une gourmandise hussarde. Cette longue adresse est un joli pied-de-nez à la génération sms, qui dit avec tact et tendresse ce qu’aimer avec pureté veut dire. Le couple fait l’amour, se taquine sans jamais se griffer, les draps froissent, les jours passent, l’oisiveté chante sur la terrasse, les peaux se suffisent à elles-mêmes, les souvenirs affluent et repartent d’un revers de sa main à elle, afin d’empêcher toute nostalgie de surgir, et continuer de manger le présent à pleine bouche, comme on plante ses dents dans la peau duveteuse et craquante d’une pêche. Nous sommes dans Slogan, avec Birkin et Gainsbourg, nous feuilletons la sensualité pudique du Claire de Chardonne. Le couple est à des années lumière de Paris et son spectre de « rentrée » automnale. Les amoureux sacrifient avec délice au rite de l’apérotique : ils « apérotisent », dégustent un anjou de Mosse ou un rosé de Bandol, avant de s’entre-goûter. Ils ont le talent de savoir prendre le temps, mais avec Le Guern, le temps compte, se cueille, il frappe aux tempes du narrateur, et celui-ci a la délicatesse de ne jamais faire sentir le vertige de sa fuite. L’été est encore là, mais les saisons sont comme les coquelicots qui fanent dès qu’on les dépose sur le skai brûlant de la plage arrière du cabriolet. C’est « la vie comme à Lausanne » en plus souple, car « les espadrilles sont mes semelles de vent », écrit l’auteur. Jamais l’urgence n’ouvre ses yeux noirs, sauf peut-être sous le gouvernement du désir, et pourtant il plane comme une épée de Damoclès au-dessus de cette chambre d’hôtel. Qu’importe ! Les amants sont des aveugles. « Enlacés, nous laissons infuser une unique certitude : l’été, c’est l’amour une fin d’après-midi, au retour de la plage, nos corps fatigués de n’avoir rien fait, sinon nager, lire et bronzer ». Et c’est ainsi qu’Arnaud est grand. Léon Mazzella

    ---

    (*) Le Rocher, en librairie fin août (c'est raccord!).

     

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  • J'avais fini par oublier ça, Hiroshima mon amour

    téléchargement.jpegCliquez, puis lisez : 

    https://www.youtube.com/watch?v=-aqFjWz41c0

    Je te rencontre.
    Je me souviens de toi.
    Qui est tu ?
    Tu me tues.
    Tu me fais du bien.
    Comment me serais je doutée que cette ville était faite à la taille de l´amour ?
    Comment me serais je doutée que tu étais fait à la taille de mon corps même?
    Tu me plais. Quel événement. Tu me plais.
    Quelle lenteur tout à coup.
    Quelle douceur.
    Tu ne peux pas savoir.
    Tu me tues.
    Tu me fais du bien.
    Tu me fais du bien.
    J'ai le temps.
    Je t'en prie.
    Dévore-moi.
    Déforme-moi jusqu'à la laideur.
    Pourquoi pas toi ?
    Pourquoi pas toi dans cette ville et dans cette nuit pareille aux autres au point de s'y méprendre ?
    Je t'en prie…

     

    images.jpegCliquez à nouveau, puis lisez : 

    https://www.youtube.com/watch?v=oPONf1fu2II

    Je te rencontre.

    Je me souviens de toi.

    Cette ville était faite à la taille de l´amour.
    Tu étais fait à la taille de mon corps même.
    Qui est tu ?
    Tu me tues.
    J´avais faim. Faim d'infidélités, d´adultères, de mensonges et de mourir.
    Depuis toujours.
    Je me doutais bien qu'un jour tu me tomberais dessus.
    Je t'attendais dans une impatience sans borne, calme.
    Dévore-moi. Déforme-moi à ton image afin qu'aucun autre, après toi, ne comprenne plus du tout le pourquoi de tant de désir.
    Nous allons rester seuls, mon amour.
    La nuit ne va pas finir.
    Le jour ne se lèvera plus sur personne.
    Jamais. Jamais plus. Enfin.
    Tu me tues.
    Tu me fais du bien.
    Nous pleurerons le jour défunt avec conscience et bonne volonté.
    Nous aurons plus rien d'autre à faire que, plus rien que pleurer le jour défunt.
    Du temps passera. Du temps seulement.
    Et du temps va venir.
    Du temps viendra. Où nous ne saurons plus nommer ce qui nous unira. Le nom ne s'en effacera peu à peu de notre mémoire.
    Puis, il disparaîtra tout à fait.

    © Marguerite Duras, Alain Resnais.

  • Eros-ion

    Voici ce que le regretté Jacques Lacarrière écrivait, dans le magazine Senso, à propos d'une colline familière, située derrière chez lui, en Bourgogne :

    Les collines sont l'oeuvre du ciel et non celle de la terre, filles naturelles de l'érosion. Ce mot a mauvaise réputation, je sais, car il est synonyme d'effritement, délitement, délabrement, vieillissement, voire sénescence. Bien à tort. L'érosion n'est pas seulement un phénomène naturel mais un acte d'amour. Oui, un acte d'amour. N'a-t-on donc jamais remarqué que ce mot débute justement par la syllabe Eros qui signifie l'Amour? L'érosion est lotion d'amour que le ciel répand sur les hauteurs et les cimes excessives, un massage, une attention des eaux, une caresse répétée des vents, tout un savant, méticuleux, minutieux polissage des saillies inutiles, des élancements dévoyés, des entassements sauvages qu'il s'agit de domestiquer. L'érosion aplanit les aspérités, adoucit les oppositions, égalise les affrontements, en un mot apaise et abaisse en les polissant l'ardeur et l'âpreté des élans primitifs. Chaque colline eut ainsi son histoire et son aventure érosives, son long concubinage avec l'air et les eaux.

  • Lire Dupin, le matin

    Capture d’écran 2015-04-27 à 11.34.39.png"Te gravir et, t'ayant gravie - quand la lumière ne prend plus appui sur les mots, et croule et dévale, - te gravir encore. Autre cime, autre gisement."(...)

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    (...) "La nuit écrit. Élargissant l’espace, extravagant la page, pulvérisant le cercle de pierres. Et enrôlant la mort. On lui doit un surcroît de force, et l’aggravation du silence. On lui doit de toucher l’extrême fond de la faiblesse, et la cime de nos plissements."

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    "Nous n’appartenons qu’au sentier de montagne
    Qui serpente au soleil entre la sauge et le lichen
    Et s’élance à la nuit, chemin de crête,
    À la rencontre des constellations."(...)

    Jacques Dupin (1927-2012).

  • Avant-première

    Les sites de vente en ligne annoncent déjà mon prochain livre, qui paraîtra fin août : Dictionnaire chic du vin (Ecriture), c'est 350 pages serrées d'hédonisme, de sérieux et de déconne, d'éloge du bien-vivre et du sang de la vigne - et ses inséparables connotations littéraires, musicales, sensuelles. Voici un aperçu capturé sur le site de la fnac : 

    Capture d’écran 2015-04-14 à 08.42.30.png(avec une belle faute d'orthographe -ZZ- sur la couv. provisoire)
    Capture d’écran 2015-04-14 à 08.48.16.png

  • En hommage à Pierre Moinot, de l'Académie française, auteur du Guetteur d'ombre

    LA GUETTEUSE D’OMBRE

    Papier paru dans Billebaude n°3  (éd. Glénat) il y a deux mois environ.

    Capture d’écran 2013-08-25 à 16.12.14.png

    Il y a celles qui chassent, il y a celles qui plument et il y a celles qui savent. La chasse étant une affaire d’hommes, la majorité d’entre elles subissent plus qu’elles n’agissent. Ne parlons pas des Dianes puisqu’elles égalent les chasseurs. Elles sont animées du même feu sacré et elles utilisent une arme : fusil, arc, oiseau de proie ;  chiens et cheval. Discrètes sous leur chapeau fin, tenant de leurs doigts minces un calibre vingt, et qui vous décrochent une palombe à limite de portée, qui font mouche avec l’air de ne pas y toucher et cela sans commentaire. Avec juste un léger sourire de satisfaction et un regard qui cherche –quand même- l’approbation sous la frange.

    Le gros bataillon féminin est formé de celles qui en ont marre. 

    Marre, de septembre à janvier, quand ça ne leur prend pas avant et que ça ne dure pas jusqu’à la fin du printemps, de ne jamais passer un dimanche tranquille avec leur homme, à faire la grasse matinée et à paresser toute l’après-midi. Le petit-déjeuner au lit ne sera jamais la tasse de thé de l’homme de chasse. Il faut s’y résoudre.

    Marre de plumer et d’écorcher le jeudi, de cuisiner le vendredi et d’écouter, au cours des redoutés repas de chasse, pour la mille et unième fois, les mêmes histoires, le dernier lièvre de montagne, le premier doublé de bécasses du côté d’Ahetze, et le gros sanglier que l’on a laissé passer du côté de Lapitxuri, à Dancharia. Elles se contentent alors de corriger les menteurs. Elles rectifient le tir. Et finissent par être dégoûtées de la chasse et des chasseurs, de leurs armes et de leurs chiens, des dimanches de solitude et de leur ennui de plomb, des nuages de plumes et du sang dans l’évier ; et il n’y a pas jusqu’au parfum du thym dont elles bourrent le cul du garenne pour parvenir à leur faire oublier qu’elles sont à nouveau les marquises aux repas des quatre-vingts chasseurs. Pour le banquet du samedi soir. Rares sont celles qui ont accompagné leur dingue de mari ou d’amant au moins une fois. Et j’en connais deux ou trois qui ont fini par adhérer au rassemblement des opposants à la chasse. Une manière de divorcer en réduisant la communauté aux aguets. Dans l’air conjugal, tendu comme le ressort d’une gâchette, flottent alors le soupçon et la trahison. Le doigt sur la détente à pétition, elles vous pointent de l’autre dès que vous vous sentez droit dans vos bottes vertes. Dès lors, gare au jour où ce ne sera plus du thym qui parfumera le lapin.

    *

    Il y a enfin les renardes. Celles qui ne porteront jamais une arme mais qui chassent autant que celui qu’elles accompagnent plus qu’elles ne suivent. Parce qu’elles savent. Elles ont compris. Compris que la chasse valait mieux que la prise.

    J’en sais une qui ne dort plus dès la fin du mois de juin parce qu’elle passe ses nuits en forêt à écouter les chevreuils. C’est le temps du rut. Elle vit les yeux plantés dans les jumelles, les nuits de pleine lune, à chaque aube, et elle exulte au moindre bruissement de fougères pour l’aboiement d’un brocard ivre d’amour, pour la fuite suave d’une chevrette assouvie. C’est une guetteuse d’ombre, dans l’esprit où l’entendait Pierre Moinot.

    Elle accompagne son homme de chasse dans ses marches de sauvage. Elle se lève avant le jour pour le plaisir de l’aube. Souvent avant lui. À son contact, elle a appris  à reconnaître les oiseaux selon leur vol, leur plumage, leur taille, leur envergure et leur silhouette ; elle sait aussi reconnaître une trace de daguet de celle  d’un vieux cerf. Elle a appris surtout à aimer les oiseaux comme lui. Elle a acquis les réflexes du regard et de la dissimulation. Elle est devenue renarde. Elle chasse de tout son être. Il a réussi à lui inoculer cette passion que son grand-père lui avait lui-même transmise. Lorsqu’ils chassent ensemble, avec pour arme un regard de rapace, leurs sens bandés comme des arcs, cette intimité dans la nature procède de leur amour. Elle en est l’ombre.  Le soir venu, lorsqu’elle s’assoupit sur son épaule, elle exhale une tisane de parfums sauvages, un mélange de cèpe, de lichen et de paille brûlée, capable de le transporter –en rêve-, dans un sous-bois trempé d’automne et de faire apparaître une bécasse qui jaillit en chandelle entre deux troncs. En la respirant, il plonge dans ses forêts imaginaires. Elle l’a précédé dans ses rêves. Les yeux fermés, ils fuient le monde.

    Léon Mazzella

     

     

  • A.B., hommage

    http://bit.ly/1iNMiYP

     

    Angora

    Il m'aura fallu faucher les blés

    apprendre à manier la fourche

    pour retrouver le vrai

    faire table rase du passé

     

    la discorde qu'on a semée

    à la surface des regrets

    n'a pas pris

     

    le souffle coupé

    la gorge irritée

    je m'époumonais

    sans broncher

     

    Angora

    montre-moi

    d'où vient la vie 

    où vont les vaisseaux maudits

     

    Angora

    sois la soie

    sois encore à moi

     

    les pluies acides

    décharnent les sapins

    j'y peux rien, j'y peux rien

    coule la résine

    s'agglutine le venin 

     

    j'crains plus la mandragore

    j'crains plus mon destin

    j'crains plus rien

     

    le souffle coupé 

    la gorge irritée

    je m'époumonais

    sans broncher

     

    Angora

    montre-moi

    d'où vient la vie

    où vont les vaisseaux maudits

    Angora

    sois la soie

     

    sois encore à moi

    Alain Bashung, 1.XII.47 - 14.III.09

  • "Une foudre délicate tressaille en moi"

    téléchargement.jpegUne foudre délicate tressaille en moi. C'est ainsi que Belinda Cannone décrit ce... je ne sais-quoi-du-presque-tout, dans son précieux Petit éloge du désir (folio 2€). Nous avions déjà évoqué cet auteur http://bit.ly/1aOsPWA Là, en 249 fragments, elle raconte une histoire érotique, une rencontre, l'alchimie du désir et c'est délicat, et ça tressaille, et c'est bon. 

    Amour toujours? Sous la direction de Jean Birnbaum (actueltéléchargement (1).jpeg rédacteur en chef du Monde des Livres, l'indispensable supplément du quotidien du soir daté de vendredi), folio publie les actes du Forum Philo Le Monde / Le Mans organisé en novembre 2012. Christine Angot, Alain Badiou, Pascal Bruckner, Belinda Cannone, Alain Finkielkraut, Claude Hagège, Julia Kristeva, Camille Laurens, Michel Schneider, entre autres signatures, livrent leurs réflexions sur l'aventure obstinée des amants dans leur différence vraie, sur le singulier langage des amoureux, sur les thèmes proustiens les plus récurrents, et aussi sur la sacralisation de l'amour, la tragédie du couple contemporain, l'obsession sécuritaire qui touche aussi l'amour, le désir comme possible nouveau nom de l'amour, et encore l'amour maternel et l'érotisme de la reliance... Quelques thèmes parmi d'autres, abordés dans ce petit bouquin captivant.

  • Le sommeil d'une femme

    Une phrase de Julien Gracq (je crois que c'est dans Le roi Cophetua, une des trois nouvelles de La Presqu'île, mais sans garantie), m'habite depuis de nombreuses années et, comme une chanson entêtante dont on sait qu'on ne parviendra pas à s'en défaire vite, car c'est elle qui décidera de s'évanouir sans prévenir, comme un banc de thons lorsqu'on les pêche, vite, très vite, à la ligne au large de Saint-Jean-de-Luz, cette phrase habille ma pensée, chacun des soirs, chacun des matins -ou presque- que le monde fait. La voici : Le sommeil d'une femme qu'on regarde intensément conjure autour d'elle une innocence, une sécurité presque démente : il m'a toujours paru inconcevable de s'abandonner ainsi les yeux fermés à des yeux ouverts.

  • Inlassablement

    images.jpeghttp://bit.ly/ La musique sensuelle et lancinante de Georges Delerue, ce générique qui signe l'amour du cinéma, le timbre de la voix de Michel Piccoli (Paul Javal), l'ingénuité légendaire de la diction de Brigitte Bardot (Camille), la mâchoire prédatrice et le regard mongol de Jack Palance, son Alfa Romeo rouge, l'escalier de la villa de Curzio Malaparte, le bleu de la Méditerranée à Capri, le texte désabusé d'Alberto Moravia, Il disprezzoFritz Lang himself, l'Odyssée, les fesses de B.B. bien sûr, les jeux de lumière de la scène culte, la tragique histoire d'un amour qui sombre et puis l'époque, mes parents, mon enfance... Inlassablement Le Mépris de Jean-Luc Godard (: un bien fou). Je t'... t..., t..., t...

     

    Le cinéma, disait André Bazin, substitue à notre regard un monde qui s'accorde à nos désirs. Le Mépris est l'histoire de ce monde. JLG

    Le manuscrit autographe du film, 59 pages écrites de la main de Godard (tous les autres sont des tapuscrits), vient d'être vendu aux enchères pour la somme record de 144.300€ chez Artcurial le 9 juin dernier. C'est un collectionneur français qui en a fait l'acquisition.

  • Lire Lydia Flem...

    ...En cas de besoin
    Voici les notes (composées essentiellement d'extraits) que j'ai publiées ici même les 9 et 11 décembre 2006, le 18 janvier et le 24 mai 2007 et enfin le 1er mars 2009 à propos de deux livres merveilleux de Lydia Flem qui reparaissent en format de poche (Points/Seuil); et d'un troisième aussi.

    C'est donc à la faveur de ces rééditions que je me permets de les rajeunir.

    Orage émotionnel

    images (1).jpeg"A tout âge, on se découvre orphelin de père et de mère. Passée l'enfance, cette double perte ne nous est pas moins épargnée. Si elle ne s'est déjà produite, elle se tient devant nous. Nous la savions inévitable mais, comme notre propre mort, elle paraissait lointaine et, en réalité, inimaginable. Longtemps occultée de notre conscience par le flot de la vie, le refus de savoir, le désir de les croire immortels, pour toujours à nos côtés, la mort de nos parents, même annoncée par la maladie ou la sénilité, surgit toujours à l'improviste, nous laisse cois. Cet événement qu'il nous faut affronter et surmonter deux fois ne se répète pas à l'identique. Le premier parent perdu, demeure le survivant. Le coeur se serre. La douleur est là, aiguë peut-être, inconsolable, mais la disparition du second fait de nous un être sans famille. Le couple des parents s'est retrouvé dans la tombe. Nous en sommes définitivement écartés. Oedipe s'est crevé les yeux, Narcisse pleure".

    Ainsi commence Comment j'ai vidé la maison de mes parents, de Lydia Flem (Points/Seuil), un livre très émouvant et recommandable entre tous. En de telles circonstances ou pas, d'ailleurs. Que philosopher c'est apprendre à mourir…

    Extraits : Cette étrange et envahissante liberté... 

    "D'abord, l'impudeur. L'obligation de bafouer toutes les règles de la discrétion : fouiller dans les papiers personnels, ouvrir les sacs à main, décacheter et lire du courrier qui ne m'était pas adressé. Transgresser les règles élémentaires de la politesse à l'encontre de ceux qui me les avaient enseignées me blessait. L'indiscrétion m'était étrangère..."

    " En disparaissant, nos parents emportent avec eux une part de nous-mêmes. Les premiers chapitres de notre vie sont désormais écrits."

     "En les couchant dans la tombe, c'est aussi notre enfance que nous enterrons."

     "Est-ce bien normal d'éprouver successivement ou simultanément une impression effroyable d'abandon, de vide, de déchirure, et une volonté de vivre plus puissante que la tristesse, la joie sourde et triomphante d'avoir survécu, l'étrange coexistence de la vie et de la mort?"

     "C'est dans la solitude que chacun se retrouve (...) Chacun fait ce qu'il peut pour surmonter l'épreuve, bricole à sa manière, toujours bancale, malheureuse, conflictuelle, et se tait."

     "Même après leur mort, ne cessons-nous jamais de vivre pour eux, à travers eux, en fonction d'eux ou contre eux? Est-ce une dette qui nous poursuit toujours?"

     "Se séparer de nos propres souvenirs, ce n'est pas jeter, c'est s'amputer."

    "Donner est un grand bonheur. Ce que j'offrais, ce n'était pas un objet."

     "L'écriture naissait du deuil et lui offrait un refuge. Un lieu où se mettre à l'abri avant d'affronter de nouvelles vagues malaisées à contenir."

     "Devenir orphelin, même tard dans la vie, exige une nouvelle manière de penser. On parle du travail du deuil, on pourrait dire aussi rite de passage, métamorphose."

    "Les arêtes vives des premières douleurs s'émoussent, hébétude et protestations font place à une lente acceptation de la réalité. Le chagrin se creuse. Avec des moments de vide, d'absence, de tumulte. Plus tard se répand une tristesse empreinte de douceur? Une tendre peine enveloppe l'image de l'absent en soi. Le mort s'est lové en nous. Ce cheminement ne connaît pas de raccourcis. On n'y échappe pas. La mort appartient à la vie, la vie englobe la mort."

    "Mail il est un temps pour le chagrin, et un temps pour la joie."

    © Lydia Flem, Comment j'ai vidé la maison de mes parents, Seuil. 


    images.jpegLydia Flem a poursuivi avec un talent et une émotion égales, son travail -universel- de deuil de ses parents, avec Lettres d'amour en héritage (Points/Seuil). C'est d'une pudeur extrême et d'un amour infiniment grand. Le livre retrace la vie de ses parents disparus, à travers trois cartons de leur correspondance amoureuse, depuis les débuts, que leur fille (l'auteure) découvrit, en vidant la maison, une fois orpheline... La tendresse résume ce livre précieux. Il n'est pas innocent que l'écriture soit devenue, très tôt, le terrain de jeu de l'auteure, puis que celle-ci ait fait profession de psychanalyste. Par bonheur, ces deux livres sont exempts de théorie, mais emplis, au contraire, de sensibilité à vif -mais douce, comme ces napperons brodés que nous avons tous vus dans les mains de notre mère, tandis qu'elle les rangeait avec un soin particulier, alors qu'ils sentaient encore le "chaud" du fer à repasser, sur une étagère d'une armoire, quelque part dans une pièce de la maison familiale...

    Une perle parmi cent : le corps de la mère, c'est la première géographie, le pays d'où l'on vient.

     

    images (2).jpegAutres extraits

    "Largués par nos parents qui disparaissent et par nos enfants qui quittent la maison, c'est le plus souvent au même moment de la vie que nous sommes confrontés à ces séparations : nos parents meurent, nos enfants grandissent. Coincés entre deux générations, ceux à qui nous devons l'existence, ceux à qui nous l'avons donnée, qui sommes-nous désormais? Les repères vacillent, les rôles changent. Comment faire de cette double perte une métamorphose intérieure?

    Longtemps j'ai été la "fille" de mes parents, puis je suis devenue une "maman". Cette double expérience, je l'ai vécue avec ses tensions, ses lassitudes, ses émerveillements. Mais qui suis-je désormais? Quel est mon nom?

    Fille, j'ai fini de l'être. Mais cesse-t-on jamais d'être l'enfant de ses parents? Notre enfance s'inscrit dans nos souvenirs, nos rêves, nos choix, nos silences; elle survit en coulisses. Ne devenons-nous des adultes que lorsqu'il n'y a plus d'ancêtres pour nous précéder, nous protéger? Suis-je encore maman alors que mes enfants ne sont plus des enfants? La langue manque de mots pour désigner toutes les nuances de notre identité.

    Comment me situer aujourd'hui dans ma généalogie? Ne faudrait-il pas un mot particulier pour nommer les parents dont les enfants ont quitté la maison? Suis-je une "maman de loin"? Une maman à qui l'on pense, à qui l'on téléphone pour un conseil, une recette, de l'argent, un encouragement, dont on a parfois la nostalgie, mais une maman avec qui on ne sera plus jamais dans le corps à corps premier." ©Lydia Flem et Le Seuil, pour "Comment je me suis séparée de ma fille et de mon quasi-fils".

    Pour finir, ce mot de Primo Lévi, prélevé sur le blog de l'auteur : http://lyflol.blog.lemonde.fr

    “J’écris ce que je ne pourrais dire à personne.”

  • Les séparés, de Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)

    Les Séparés

    N'écris pas. Je suis triste, et je voudrais m'éteindre.
    Les beaux étés sans toi, c'est la nuit sans flambeau.
    J'ai refermé mes bras qui ne peuvent t'atteindre, 
    Et frapper à mon coeur, c'est frapper au tombeau.
    N'écris pas!

    N'écris pas. N'apprenons qu'à mourir à nous-mêmes.
    Ne demande qu'à Dieu...qu'à toi, si je t'aimais!
    Au fond de ton absence écouter que tu m'aimes,
    C'est entendre le ciel sans y monter jamais.
    N'écris pas!

    N'écris pas. Je te crains ; j'ai peur de ma mémoire ; 
    Elle a gardé ta voix qui m'appelle souvent.
    Ne montre pas l'eau vive à qui ne peut la boire.
    Une chère écriture est un portrait vivant.
    N'écris pas!

    N'écris pas ces doux mots que je n'ose plus lire : 
    Il semble que ta voix les répand sur mon coeur ; 
    Que je les vois brûler à travers ton sourire ; 
    Il semble qu'un baiser les empreint sur mon coeur.
    N'écris pas!

    images.jpegExtrait d'une superbe anthologie que publie Poésie/Gallimard, intitulée Je voudrais tant que tu te souviennes, Poèmes mis en chansons de Rutebeuf à Boris Vian (éd. de Sophie Nauleau). On relit Rimbaud, Villon, Michaux, Queneau, Apollinaire, Eluard, Labé, Cadou... Et en même temps on chantonne Ferré, Brassens, Gréco, Gainsbourg, Jean-Louis Murat, Julien Clerc (écouter ci-dessous), Cora Vaucaire... Le bonheur.

    Mieux, l'intention de ce petit livre est de rendre aux poètes ce que l'on a fini par attribuer à leurs interpètes chanteurs. Ainsi Barbara doit-elle à Brassens, Gréco à Queneau et Ferrat à Aragon. D'abord! Salutaire et beau.

    Il y a des après-midi où l'on se sent ainsi serti dans ce poème sublime de M.D.-V., et résonne alors qu'Au fond de ton absence écouter que tu m'aimes, / C'est entendre le ciel sans y monter jamais. Soit un sentiment étrange, car éloigné du sujet, mais dont l'empathie littéraire nous fait monter les larmes aux yeux, quand bien même nous ne nous sentons pas ou plus touchés au coeur par ces mots, mais plus bellement atteints durablement dans notre peau, par la force du souvenir d'une écorchure vive, par la beauté de la douleur, la sainteté du malheur; la poésie en somme.

     

    http://www.dailymotion.com/video/xdtefg_julien-clerc-les-separes_music#.UXKXESskZQo


    Alliances roses : 

    images (1).jpegimages (2).jpegChâteau de Jau, avec ce poème et cette mise en musique, car ce Côtes du Roussillon rosé (60% syrah, 40% grenache noir) possède une énergie rare par les temps qui courent et qui nous donnent à boire  de ces rosés pétale de rose et un rien évanescents; creux en somme. Celui-ci est frais, vivace comme une plante qui se réveille aux premiers rayons du soleil et sa vinosité est présente autant que ses arômes de fruits rouges croquants (7,95€). Le Jaja de Jau, sa petite soeur -rosée elle aussi, plus simple (4,95€), n'en est pas moins affriolante et agréable : c'est une syrah de la famille Dauré (qui vinifie les deux), elle exprime la Méditerranée avec brio; dans sa simplicité chaleureuse. Pour le bonheur de nos fin d'après-midi d'arrière-printemps (pourri -soit, mais bon). Drappier, images (3).jpegimages (4).jpegchampagne rosé brut nature, 100% pinot noir, est une valeur sûre. Vivacité,  fin cordon, bulle fine, un nez de fruits rouges et ce très léger épicé en bouche en font un champagne printanier idéal. Pour lui-même ou avec une soupe de fraises (33,56€). Perles grises est une jolie surprise qui vient des coteaux du Vendômois. Signé Patrice Colin, cet effervescent 100% pineau d’Aunis à la robe saumonée et à la belle minéralité possède un nez d’agrumes et légèrement herbé du meilleur effet (7,60€). R'osez, côtes du rhône d'Ortas (Cave de Rasteau) innove avec un look résolument r_osez_3_bouteilles_ortas_cave_de_rasteau copie.jpg
    contemporain et qui vise de nouveaux consommateurs, jeunes et sans prise de tête; avec ce serpent qui ondule sur l'étiquette. Le vin est simple et efficace, car sur le fruit, les rouges comme les agrumes. Sa fraîcheur persistante avec ce rien de bonbon anglais et de poivré en font un rosé de soirée séduisant (5,55€). Plus austère est le rosé d'Epineuil, un bourgogne de Moutardtéléchargement.jpeg Diligent, 2010, méticuleusement vendangé nuitamment, vinifié avec méticulosité, car c'est un rosé racé bien que sauvage, persistant et rebelle jusqu'en fin de bouche : on adore, sur un onglet poêlé ou bien avec un pigeonneau acheté au marché d'Evry-le-Châtel, non loin d'Epineuil (8,30€), dans l'Aube encore, et que l'on grille dehors en regardant passer et en écoutant craquer les grues cendrées qui remontent le ciel tout en visant une halte salutaire sur le Lac de Der quasi voisin. Enfin, hommage à images (5).jpegce rosé formidable de Bandol, gourmand et de repas, gastronomique comme on dit ici ou là : le Domaine de la Nartette (2012, 12,80€, Moulin de la Roque, vin biologique), est un ravissement printanier sur une dorade à la plancha, une poignée d'amis choisis et un rayon vif de soleil attendu patiemment. 60% mourvèdre, 25% grenache, 15% cinsault, fruits rouges, ananas, miel, tilleul. Charnu, épicé, à peine poivré : un délice. Ample, très aromatique, puissant sans être envahissant, c'est un rosé de caractère. Voire de respect.

    Dessert :

    http://www.youtube.com/watch?v=GFJnJsPgss8&list=RD025ppiWEdors4

    Kapsberger, Piccinini Chiaconna, par Jan Grüter au luth théorbe.

  • Par amour

    images.jpgAmour (Haneke) est un film important pour tous ceux qui ont vécu un accompagnement, une fin de vie, un désastre par l'amoindrissement lent et irréversible. Son réalisme est non seulement touchant mais impressionnant -je veux dire qu'il nous renvoie à nous même comme un bain révélateur impressionne (encore parfois) un papier photosensible. J'y ai relevé quelques phrases qui figurent des sortes de pétales :

    Jean-Louis Trintignant à Emmanuelle Riva, en rentrant d'un concert qui donnait Schubert : T’ai-je dit que je t’ai trouvée belle, ce soir ?..

    Emmanuelle Riva à Jean-Louis Trintignant, revenant seul de l'enterrement d'un ami mais elle ne peut désormais plus se déplacer, car elle est devenue hémiplégique : Qu’est-ce que tu dirais si personne ne venait à ton enterrement ? Lui : -Rien, probablement…

    JLT à ER, puis la réponse de  JLT, au chevet de sa femme : Mais tu ne m’infliges rien !.. -Tu n’es pas obligé de mentir.

    Le film aurait pu s'appeler "Par amour". Il nous concerne tous, un jour ou l'autre. L'épure de Haneke le rend essentiel. Et beau comme la peau.



  • Car j'ai de grands départs inassouvis en moi

    50 manières de dire je t'aime.jpgC'est plus original que l'indigeste Belle du seigneur d'Albert Cohen. Les éditions Marabout proposent cette boîte de 50 petits messages amoureux roulés qui disent l'amour de ce grain de beauté là rien qu'à moi, ou bien l'amour de ta part de mystère à toi... 50 manières de dire je t'aime, 6,99€ Pour ceux qui sacrifient au rituel marketté et forcément mièvre de la Saint-Valentin en y injectant de l'humour.

    Villa Chambre d'Amour est un blanc de VillaChambredAmour.jpegGascogne légèrement moelleux (75% gros manseng, 25% sauvignon blanc) au nez d'agrumes, d'ananas et de vanille. Il escorte bien le foie gras, la tarte tatin et la fourme d'Ambert. (Vignobles Lionel Osmin. 7,50€ le flacon).

    images.jpegL'idéal est de le déguster à la plage de La Chambre d'Amour (Anglet), assis sur le parapet et face à un océan qui était légèrement déchaîné dimanche dernier... En reprenant au hasard les poèmes de L'Horizon chimérique (extrait ci-dessous), de Jean de La Ville de Mirmont, dans la nouvelle édition de ses oeuvres complètes que propose La Petite Vermillon (La Table ronde, 8,70€) sous le titre (de l'unique roman de l'auteur), Les dimanches de Jean Dézert. Le recueil contient donc également le splendide City of Benares, qui ouvre les Contes.

    Je suis de ceux dont les désirs sont sur la terre.

    Le souffle qui vous grise emplit mon coeur d'effroi,

    Mais votre appel, au fond des soirs, me désespère,

    Car j'ai de grands départs inassouvis en moi.

  • La voix de Char

    index.jpgC'est un petit événement mais un événement quand même pour ceux qui aiment la poésie de René Char comme je l'aime : Gallimard publie Poèmes de René Char choisis et lus par René Char himself (15,90€). Un véritable document. L'immense poète avait enregistré ce bouquet de 30 poèmes (plus deux de Charles Cros) parmi les plus emblématiques de son abondante "production" (A***, Allégeance, La chambre dans l'espace, Joue et dors, Réception d'Orion, A une ferveur belliqueuse, Chanson du velours à côtes, Redonnez-leur, L'Alouette, Faim rouge, Le bois de l'Epte, Les seigneurs de Maussane...) le 15 février 1987 aux Busclats (chez lui, à l'Île-sur-la-Sorgue), soit environ un an avant sa mort. Entendre la voix rocailleuse, sourde, forte, puissante, minérale, sentir la gravité derrière cet accent provençal qui rappelle le physique de colosse de Char est une émotion précieuse et vraie. Cet enregistrement (qui s'achève par la lecture de deux poèmes de Charles Cros, prononcé crosse par Char), est en effet rare... Je possède un disque 33 tours du même acabit, acheté il y a une trentaine d'années, d'enregistrements identiques, avec d'autres poèmes, certains présents dans ce CD y figurent aussi, mais avec une autre diction (l'enregistrement date des années 70, si mes souvenirs sont bons, car le vinyle n'est pas à portée de main et d'oeil). Ecouter Char, avec le présent (aux deux sens du terme) CD, fermer les yeux, savourer en frissonnant la saveur de ses mots, la raideur digeste de sa morale, l'évidence de ses images, la profondeur générale de chacun de ses vers, m'est un bonheur constant et quasi quotidien -singulièrement augmenté par cet enregistrement inédit et inattendu (quel bonheur), car j'entretiens un commerce (au sens où Montaigne emploie ce mot) assidu avec ma Pléiade archi-usée de Char, mon poète de chevet définitif. Puisse cet enregistrement vous donner une chair de poule unique; celle de la commune présence. Ecoutez et lisez.

    Extraits : Allégeance, et A*** :
    podcast
    podcast


    index.jpgAlliances : Avec une telle teneur, laissons les gentils rosés de Provence d'ordinaire si agréables et risquons-nous  sur le Calvados exceptionnel de Roger Groult. Nous sommes en Pays d'Auge, on secoue les pommiers, on gaule les pommes, une ramasseuse achève la geste. Les pommes sont selon : amères, douces, douces-amères. Puis le fruit se décompose, le cidre fermente un an avant sa distillation. Après, il croise le flair avec le cuivre de l'alambic et ça chauffe lentement, très lentement. La récolte 2012 (moindre volume, donc forte concentration aromatique escomptée), sera distillée en février 2014. Aussi, le 3 ans d'âge, qui subit pour notre bonheur une double distillation au feu de bois, servi en flacon de 500 ml, est un concentré de saveur-faire, de Normandie subtile, flaubertienne d'ordinaire mais charienne aujourd'hui -et c'est ainsi.

  • Un site d'une beauté troublante

    C'est ma fille Marine qui l'a porté à ma connaissance et je souhaite aussitôt le partager avec vous : 

    http://lapetitemelancoly.tumblr.com/

    Les extraits, les auteurs choisis sont remarquables (ils figurent de surcroît dans le petit panthéon personnel de la partie peut-être la plus précieuse de ma bibliothèque). Quant aux illustrations, elles sont simplement splendides, et toutes, sans exception je crois, pourvues d'une beauté rare. La mélancolie -en tant que phéomène artistique, que concept philosophique, littéraire, pictural, est ici portée à son plus haut point de pureté troublante. C'est une rencontre. Un voyage. (Merci ma puce).

  • feuilles de décembre

    images.jpegPas mal de poches, surtout des folio et des Poésie/Gallimard, dégustés ces jours-ci. A commencer par l'anthologie personnelle de Philippe Jaccottet, immense poète que j'adore et que je lis et relis depuis 34 ans déjà. Cela s'appelle L'encre serait de l'ombre, notes, proses et poèmes (1946-2008) choisis par l'auteur, et si vous n'avez qu'un livre à acheter du poète de Grignan, grand traducteur par ailleurs, prenez celui-ci. 560 pages de bonheur poétique absolu. Dans la même collection Poésie de Gallimard, citons Mon beau navire, ô ma01070659821.gif mémoire, sous-titré Un siècle de poésie française. C'est une anthologie plutôt bien ficelée, de belle facture : honnête et pas scolaire, avec son content de grands classiques et sa dose de modernité, mais où l'on trouve, à l'instar d'une arête dans le poisson (je chipote, je sais) un poème de Rilke, qui était né à Praque et de langue allemande (mais il est vrai qu'il écrivit en français ses dernières oeuvres, notamment
    images (3).jpegVergers
    , dont est extrait le poème choisi dans la présente anthologie -et traduit d'ailleurs par Jaccottet). Mention spéciale (en Poésie/Gallimard, toujours) à l'oeuvre complète magnifique (1954-2004) du Nobel 2011, le grand poète suédois Tomas TranströmerBaltiques, car il s'agit vraiment d'une formidable découverte.  


    De Jean Clottes, préhistorien passionné, lisez le passionnant Pourquoi l'art préhistorique?, un inédit en folio/essais sur les grottes ornées de France et d'Espagne surtout, notamment la grotte Chauvet qui intéresse de plus en plus le public, même si elle ne se visite pas, et dont une réplique 

    01070816312.gif

    (façon Lascaux II) est en cours d'élaboration. Cet engouement est sans doute dû au coup de projo que le docu admirable de Werner Herzog (le réalisateur d'Aguirre... entre autres chefs d'oeuvre, et l'auteur de Sur le chemin des glaces, éd. POL, journal de voyage déjanté, sauvage et donc hölderlinien en diable) lui a donné sur grand écran. En folio essais encore, l'étude (inédite elle aussi : bien, l'initiative de faire entrer directement en format de poche des essais qui... compteront) : L'animal que je ne suis 01069227312.gifplus, titre très derridien que Etienne Bimbenet donne à ce copieux et souvent ardu (mais passionnant de bout en bout) essai sur l'origine animale de l'homme -pour faire très court. En clair, l'homme est un animal humain. Et le rapport de l'homme à l'animal, dans cette étude philosophique, va bien au-delà de l'éthologie. 


    images (2).jpegPhilippe Sollers
    continue de compiler pour notre bonheur ses articles littéraires donnés ici et là (l'Obs, Le Monde...) et cela produit à chaque fois un folio de 1000 pages et plus. Le dernier opus se nomme Discours parfait (il était paru il y a moins de deux ans en Blanche) : de l'intelligence à l'état pur, mâtinée d'une mégalomanie que l'on a fini par pardonner, ou sur laquelle nous glissons car le personnage est aussi attachant qu'irritant... tant il est brillant. Admirables pages sur Shakespeare, Montaigne, Saint-Simon, Van Gogh, Venise, Stendhal à Bordeaux... Entre autres analyses subtilement circonscrites, avec tact, érudition et talent, bien sûr.

    01067779851.gifDe Modiano, voyez L'horizon, qui n'est pas son plus mauvais roman sur le seul et (désespérément) unique sujet de son oeuvre : l'Occupation. 

    Albert Camus à 20 ans est le nouveau volume d'une collection 84626100986580S.giforiginale publiée Au Diable Vauvert, signé Macha Séry. Revivre l'aventure de la jeunesse algérienne de l'auteur du Premier homme, à Alger en 1930 donc, entre matches de foot, bistrots, copains, filles, soleil et... une tuberculose qui entre sans frapper, est vivifiant. Cela remet nos idées en place sur le Camus journaliste débutant, le jeune essayiste, le séducteur, l'homme lucide surtout. Captivant (en attendant la bio de Camus que Michel Onfray publie ce mois-ci chez Flammarion...).


    images (1).jpegRetour à Killybegs
    , qui a valu le Grand Prix du roman de l'Académie française à Sorj Chalandon (Grasset) est un bon et solide roman sur la trahison, qui fera sans doute date. Sur fond de combats de l'IRA, c'est fort comme un hot whiskey au retour d'une chasse à la bécasse dans les bushes, c'est franc comme un coup de poing bien assené et sec comme le regard d'un ami frappé de déception : cela ne cille ni ne ploie. Je ne citerai que la phrase placée en exergue du roman, relevée sur un mur de Belfast : Savez-vous ce que disent les arbres lorsque la hache entre dans la forêt? Regardez! Le manche est l'un des nôtres!

    photo.JPGDire que je n'ai pas du tout aimé La Guerre sans l'aimer, de Bernard-Henri Lévy (Grasset, 648 p.), est un euphémisme. Je voulais quand même feuilleter abondamment, m'arrêter ici ou là, tenter de comprendre la pathologie de ce Journal d'un écrivain au coeur du printemps libyen. Mais les bras m'en sont tombés. J'ai repensé à une formule de Cornelius Castoriadis à propos de "l'imposture BHL" : De la camelote à obsolescence incorporée (dans L'Obs, en 1979, déjà). Puis j'ai pensé à la posture du même. Les mots qui me sont venus à l'esprit, en feuilletant, sont, pêle-mêle : fatuité, mégalomanie, narcissisme, folie peut-être, mythomanie, délire identitaire (Malraux), culte aveugle du Moi, mépris du sujet : peuple,  guerre, victimes, morts, pathétique illustration d’une époque, achat d’une entrée dans l’histoire (Jet privé, cameraman perso...). Cela ne saurait inspirer que le dégoût, sauf à la cour de l'auteur. Le plus surprenant n’est pas que cette mise en scène incrédible soit ahurissante, mais qu’elle ne puisse pas tuer de ridicule son instigateur : comme quoi la pathologie narcissique rend si aveugle son sujet que celui-ci pense peut-être avoir vraiment agi humblement et de manière désintéressée pour son propre pays et pour le peuple libyen. BHL est juste l’illustration pornographique des limites que l’on peut oser tenter de dépasser pour satisfaire un égocentrisme gigantesque. Cet homme se rêve en Malraux depuis qu’il est tout petit et il n’a pu, à l’instar d’un Russe parvenu, que s’acheter à coups d’euros l’affligeante mise en scène de ses désirs de gloire, à défaut d’avoir attendu de se voir décerner un bon point par le public et par ses pairs, voire par la reconnaissance de l’Histoire, qui parvient encore à garder la tête froide. BHL invente l'édifiant à compte d'auteur (je sens qu'on va me la piquer, celle-là). Car le drame réside ici : les riches s’emmerdent. Il font joujou avec leur fric en se rendant en petit zinc privé à proximité raisonnable des champs de bataille, et posent en costard-chemise blanche propres (voir à ce sujet la page d'une ironie formidable, dans Technikart de la semaine passée  -photo ci-dessus, qui m'a été transmise par l'une de mes élèves en journalisme). Est-il d’ailleurs nécessaire de pointer du doigt cette risible mascarade ? Ne faut-il pas la passer sous silence plutôt qu’à tabac ? S'agirait-il d'une ambulance dorée sur laquelle nous tirons tous peu ou prou? (D’aucuns seraient tentés d’être avare de leur mépris, vu le grand nombre de nécessiteux, pour paraphraser Lichtenberg…). Ce qui est frappant, c’est de voir combien les cintrés sont capables de faire montre d'un inébranlable aplomb. Berlusconi lynché symboliquement par une Italie en liesse et unie, le soir de sa démission, déclare qu’il est fier du bilan de son (trop long) passage au gouvernement de la Botte. BHL est traîné dans la boue, conspué verbalement, ridiculisé par les Guignols de Canal+ et par tant d’articles de presse, mais non, il continue de se montrer, d’exposer  son personnage impeccablement contrôlé pour le paraître, comme si de rien n’était, voire comme si un consensus se faisait en sa faveur. Ces apparitions sans vergogne, sans aucune dignité humaine minimale, sans une once d’amour propre authentique, me font penser à ces accusés que l'on aperçoit à la télé, accablés par d’irréfutables preuves, qui réapparaissent menottés en affichant un sourire large comme l’innocence, tandis que celle-ci est devenue une chimère qu’il sera vraiment compliqué de ravoir, à l'instar d'un méchant accroc à la poche d'une veste (dûment retournée). Pour achever cette notule sur une insignifiente somme, je dirais qu'en plus, bé-ach-elle, son auteur, s'écoute écrire à chaque phrase. Mais passons.

    images.jpegimages (1).jpegLumineuse, l'idée d'Olivier Frébourg, patron des éditions des Equateurs, de reprendre dans sa petite collection Parallèles, deux textes splendides de Jean-Paul Kauffmann, l'un sur Bordeaux : Voyage à Bordeaux 1989 (que je suis fier de posséder dans son introuvable édition originale, celle de la Caisse des Dépôts et Consignations publiée à l'intention du notariat français, illustrée par Michel Guillard, mise en pages par le talentueux Marc Walter et préfacée par Jacques Chaban-Delmas!), l'autre sur le champagne : Voyage en Champagne 1990. Il s'agit de textes très littéraires sur les vins, les paysages, les hommes de la vigne. C'est précis et pêchu comme toujours avec Kauffmann, voire précieux dans l'écriture (comme du Veilletet, du Gracq) et surtout profond : le bordeaux est une initiation, prévient-il. Et le champagne est fils de l'air.

    Chez le même éditeur, voici la nouvelle édition d'un guide original : Le Guide des images (2).jpegVoyages en Cargo et autres navires, de Hugo Verlomme et Marc-Antoine Bombail. Slow is beautiful lancent avec justesse les auteurs. Un livre unique pour tout savoir sur les possibilités de voyages à bord de paquebots, cargos, car-ferries, navires mixtes, brise-glace, grands voiliers, caboteurs et autres vieux grééments, baliseurs ou navires scientifiques... Sur les océans et les mers du monde entier.

    images (4).jpegMon amour est le titre donné à une épatante anthologie de textes amoureux (folio, sous un coffret rouge ravissant bardé d'un ruban imprimé aux mots de je t'aime) que l'on a envie d'offrir -et c'est le premier but d'une telle démarche éditoriale! (Saint-Valentin oblige). Stendhal, Ovide, Proust, Cohen, Aragon, Duras, Shakespeare, Verlaine, Labé, Neruda, Eluard... Ils sont tous là et, curieusement, parmi ces classiques magnifiques, on trouve un seul contemporain peu connu pour ses textes amoureux : Jean-Christophe Rufin! Allez comprendre, des fois...

    Ravages-Slow-Tome-7_slider.jpgLa revue (mauvais esprit) Ravages publie son nouveau numéro sur le thème : Slow! Comme toujours, c'est décapant, irrévérencieux, rentre-dedans, franc du collier et salutaire, et la maquette est redoutablement chic-efficace. Slow citta, slow food, slow life, slow money, slow travel, slow drive, slow industry, slow management... Tout est passé en revue, et des signatures prestigieuses comme celle d'Edgar Morin donnent dans Ravages. Bravo!

    Dans un tout autre domaine, félicitations aux éditions Ulmer pour1318513197.jpg l'originalité et la beauté de leurs publications (déjà remarquées ici même) : Les Miscellanées du jardin, de Guillaume Pellerin et Cléophée de Turckheim, sont par exemple un chef d'euvre d'édition audacieuse, tant pour l'illustration que pour le propos. Ce petit bijou nous apprend des tas de choses sur les mots du jardin, des anecdotes, des petits trucs, et c'est captivant, élégant, subtil et surtout bourré d'infos originales et sincèrement enrichissantes.

    1317212357.jpgToujours chez Ulmer, Les Jardins à vivre de Pierre-Alexandre Risser (20 ans de jardin à Paris et ailleurs) est un ouvrage splendide sur l'oeuvre d'un paysagiste de grand talent, un créateur de jardins et de terrasses en ville beaux toute l'année, en somme. Photos remarquables.

    Signalons enfin Vice et Versailles, roman noir et parfoisimages.jpeg désopilant signé Alain Baraton (Grasset), jardinier en chef du parc de Versailles et du Trianon : cela regorge et dégorge d'intrigues, de meurtres, de coups fourrés sanglants. On se croirait chez les Borgia. Et c'est, de surcroît, écrit dans un style enlevé!

    Et comme je n'écrirai plus avant l'année prochaine sur ce chien (c'est ainsi que je nomme toujours mon blog, car il faut bien que je le nourrisse avec fidélité), je dis juste à tous : VOEUX A VOLONTE!

     

  • Les nuits d'une demoiselle

    Je viens de tomber par hasard sur les paroles de cette chanson en musardant parmi les commentaires laissés sur le blog : http://passouline.blog.lemonde.fr/ 

    Google a vite fait (pour moi) le rapprochement entre le texte et l'existence de sa mise en musique. Voici : http://www.youtube.com/watch?v=UcW4RfhbM88.

    Ne trouvez-vous pas qu'il est touchant, ce mélange de désuétude, de retenue et de presque pudeur dans la voix et dans la diction, pour énumérer de telles choses? Celle qui chante, Colette Renard, morte à l'âge de 86 ans il y a juste un an, est la surprenante interprète, avec ces Nuits d'une demoiselle, d'un éventail de synonymes du Mont de Vénus qui laisse délicieusement coi.

    Paroles : C. Renard, Musique : G. Breton et R. Legrand © Disques Vogue 1963.

  • Métamorphoses de l'amour

    images.jpegNicolas Grimaldi, dont j'allais écouter les cours sur Le désir et le temps à la Fac de Lettres de Bordeaux au tout début des années 80, donne à présent dans la jalousie (l'enfer proustien), Socrate (le sorcier) et parle admirablement, en philosophe sage, de l'amour. Bien que son dernier livre, Métamorphoses de l'amour (Grasset) contienne de nombreux lieux communs et vérités plates, il pose en réalité les questions simples (en illustrant son propos de manière oroginale : non pas avec des textes philosophiques, mais avec des extraits de romans de Simenon!). Qu'aime-t-on quand on aime? L'attente et ses ambivalences. L'intolérable solitude. L'existence transfigurée, sont quelques thèmes majeurs parmi d'autres que l'auteur aborde dans ce petit livre précieux.

    Etre sexué, écrit Grimaldi, c'est porter en soi l'attente d'un autre. En nous faisant éprouver jusqu'à la douleur notre substantielle incomplétude, la sexualité nous fait sentir que nous avons notre identité dans l'altérité. Sentir qu'on a son centre hors de soi : en même temps que cela suffirait à définir l'attente, cela pourrait aussi définir la disposition amoureuse (p.88).

    L'amour requiert une (...) mutuelle résiliation par laquelle chacun se rend plus attentif à l'autre qu'à lui-même. C'est le moment où chacun s'émerveille de l'autre et cherche à faire retentir en lui ce qu'il éveille en nous (p.121).

    Car le propre de l'amour est de s'éprouver comme une nouvelle naissance. S'être trouvés, c'est comme avoir ressuscité de soi-même. Une nouvelle existence commence, en laquelle ne subsistera plus rien des lourdeurs et des trivialités de l'ancienne (p.147).

    A la manière dont certaines oeuvres communiquent à notre vie un surcroît d'énergie et d'intensité, la personne que nous aimons transfigure l'existence par la lumière, la couleur, le tempo que son style y apporte (p.169).

    L'amour serait donc le contraire du complexe de Pygmalion. Bien loin d'admirer dans la personne aimée ce double de nous-mêmes que nous en aurions fait, on s'émerveillerait qu'elle nous eût associé à la manière si poétique d'exister que nous appelons son style. Le merveilleux de ce que nous aurions été serait alors de l'avoir été pour elle (p.171). 

  • Septembre à Bayonne

    200909052000_zoom.jpg

    Corridas : El Juli -seul contre six toros de trois élevages différents-, magistral, mûr, un brin esbrouffeur, samedi, mais porteur d'un toreo de verdad. Le lendemain, des figuras (Castella, Ponce) mais pas de toros pour donner le change : ennui. Oublions le fer Valdefresno, s'il vous plaît. Heureusement, il y avait la douceur de septembre sur la Côte basque, les chipirons devant l'Océan au Port-Vieux, le superbe repas d'après match, de Gorka à Xakuta (l'Aviron avait atomisé Bourgoin à Jean-Dauger, entre 15h et 17h. Du Derby : ça compte pas, ou peu. IMG_1825.JPGOn recausera samedi à Anoeta contre le BO). Les chipirons, encore, de Txotx, une certaine movida souple, entre nosotros, dans l'air, dans les rues, dans les regards, qui n'a cours qu'ici, juste après la rentrée. Un truc à part, que Nîmes et même Séville envient. Enfin, je veux le croire.IMG_1818.jpg

     

    El Juli, Bayonne, samedi. Photo © La Dépêche.

    L'Adour, dimanche matin.

    Et cette étrange affiche, sur les quais en bord de Nive...

  • Puisque Proust déclenche...

    ...En voici une, cueillie dans A l'ombre des jeunes filles en fleurs :

    Quand on aime, l'amour est trop grand pour pouvoir être contenu tout entier en nous; il irradie vers la personne aimée, rencontre en elle une surface qui l'arrête, le force à revenir vers son point de départ, et c'est ce choc en retour de notre propre tendresse que nous appelons les sentiments de l'autre et qui nous charme plus qu'à l'aller, parce que nous ne reconnaissons pas qu'elle vient de nous.

    ...Alors qu'en réalité -ou plutôt dans une scène décrite avec humour par Roger Nimier, dans son roman Les Epées : "je" dîne en tête-à-tête avec elle (et l'amour que je lui porte), lorsque soudain, je sens quelque chose... je me crois aimé, je vérifie... et ce n'est que le pied de la table qui touche ma chaussure.

    Mais bon. (Tant de mains pour transformer le monde et si peu de regards pour le contempler. Julien Gracq).

  • André et Dorine

    André Gorz écrivit également cette dédicace à Dorine, son amour, sur un de ses livres (Le traître) :

    A Toi dite Kay

    Parce qu'en étant

    Toi tu m'as donné

    Tout, y compris

                           Je.

     

    Une si forte déclaration rend jaloux.

    De ne l'avoir pas trouvée soi-même.

    D'en n'avoir pas fait don...