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KallyVasco - Page 7

  • Belgica

    Capture d'écran 2016-03-25 23.34.01.pngJe sors à l'instant secoué de la projection de Belgica (en salle depuis le 2 mars). Felix van Groeningen, à qui l’on doit notamment le magnifique, le poignant Alabama Monroe, signe un film d’une force, d’une brutalité aussi rêche que la douceur qui nimbe, imprime Belgica est envoutante. Frank (Tom Vermeir), et Jo (Stef Aerts), deux frères qui s’étaient perdus de vue - magnifiques acteurs -, se retrouvent autour du projet d’extension du bar de Jo. Agrandi, métamorphosé, le café Belgica devient vite the place to be des night people de tout poil, et de solides ensembles de rock y défilent. L’alcool, la cocaïne (difficile de compter les pintes bues et les lignes aspirées pendant le film), le sexe, la violence, les débordements de toute sorte, les addictions, y compris à l’amour, à la fidélité comme à l’infidélité, forment un tourbillon de plans larges et de séquences serrées - formidablement mis en musique par Soulwax. Un film à la fois bouleversant et percutant, sec et sensible, cash et tendre. L.M.

    La bande annonce : Belgica

     

  • D'une oreille

    téléchargement.jpegDepuis Corps de jeune fille, publié en 1986 (Gallimard), la ravissante Elisabeth Barillé construit une oeuvre intime, délicate, sensuelle. Elle livre, avec L'Oreille d'or (Grasset), un récit singulier sur son propre handicap : la perte de l'ouïe de l'oreille gauche, accidentellement, à l'âge de six ans. Et sur sa vie avec. Pour qui connaît cela (j'en suis, depuis l'âge de onze ans, mais de la droite), ce petit livre est précieux, car il décrit avec une subtilité infinie les sensations que l'on éprouve, que l'on réprouve parfois, qui nous désolent et peuvent nous faire sombrer dans une mélancolie fulgurante. Ou bien qui nous grandissent en nous éloignant, voire en nous coupant de tout (sauf de la Nature), à notre corps défendant. Ainsi d'une atmosphère bruyante qui nous empêche de capter les échanges humains (le calvaire des vernissages, des brasseries à haut plafond), et que, las de devoir faire répéter l'autre, sur les lèvres duquel nous avons appris à lire depuis longtemps, nous prenons le parti de reculer d'un pas, puis de la salle, et enfin du monde. Et il arrive parfois que, une fois dehors, en respirant profondément, en soupirant, ce ne soit pas le froid qui humecte soudain nos yeux. Mais cette réclusion solitaire et forcée, Elisabeth Barillé la transforme en chance unique. L'absence conduit à la rêverie, à un monde intérieur - elle peut même mener à la création : cette demi-surdité et ses conséquences ont mené l'auteur à l'écriture. Rien de moins. La confession sans concession d'Elisabeth Barillé (celles de Rousseau ont bercé son adolescence) lui donne l'occasion de passer en revue les handicapés de l'ouïe célèbres, et pas seulement Beethoven - il est par exemple question du sonotone de François Truffaut. Et de remonter à l'enfance, aux étés en famille dans le Maine-et-Loire, aux premiers émois amoureux, à la crainte que l'homme ne découvre cette surdité au cours du repas si le restaurant est bruyant, l'embarras lorsqu'elle accomplit son travail de journaliste (surtout en interview) - on connaît : un vrai supplice! Entendre pour moi, c'est m'extirper du labyrinthe, écrit-elle. Puissance du retranchement. Puissance et dépendance. Car ce handicap invisible, s'il engendre un complexe, peut devenir un trésor. Certes, il met mal à l'aise, et celui qui entend mal, et celui qui doit faire un effort afin de se faire comprendre : Merci mon oreille morte. En me poussant à fuir tout ce qui fait groupe, la surdité m'a condamnée à l'aventure de la profondeur. Entéléchargement (1).jpeg métamorphosant ainsi un manque, Elisabeth Barillé est capable de faire d'un sonotone un bijou. Elle dédouane, désinhibe. Son petit livre nous chuchote une sorte de "deaf pride". Et souligne aussi une chance paradoxale. La surdité est une fidélité définitive, une fidélité à soi-même imposée du dedans, contre les aventures dictatoriales du dehors, souligne-t-elle. Le demi-sourd, le malentendant, le mûr pour se faire appareiller est capable d'entendre un coeur amoureux cogner en face de lui. Elisabeth Barillé : Je n'entends pas la voiture qui pourrait me faucher, mais quand Glenn Gould joue Bach, j'entends qu'il jouitL.M.

  • versitébiodi

    Cet après-midi, j'ai observé à loisir des huppes fasciées surexcitées, gamines, jouant à se poursuivre (le Printemps!), des piverts espiègles et fort bruyants, des palombes (pigeons ramiers) au vol noble et au port de cou qui force le respect, et avec lesquelles j'ai d'ailleurs conversé, sachant "les" roucouler, des tourterelles turques en pleine période nuptiale assumée, eu égard à leur vol planant / plané, de séduction, des goélands argentés désinvoltes, un héron cendré solitaire et décidé, entre deux points d'eau, petit patapon, quelques corneilles noires malignes comme une armée de singes, un balbuzard pêcheur tenant un poisson (lequel?) entre ses serres : rare!, un rouge-gorge familier (il était chez lui, chez ma soeur, à Anglet-Chiberta), à l'oeil droit, deux pipits primesautiers, une rousserole égarée, quelques merles (mâles) faisant la roue - j'aurais cru voir des grands tétras au mois de mai, du côté du Val d'Azun!, plusieurs écureuils qui grimpaient lestement le long des pins comme la sensuelle Mona dans "Un Balcon en forêt" de Julien Gracq ("Mona vivait le long de lui comme un petit espalier"), et je ne néglige ni ce frelon menaçant à la recherche d'un "coin" pour y fonder un fucking nid qui nous agacerait l'été prochain, ni ce con de moustique qui a fini par m'avoir (au poignet, en plus, là où ça va gratter longtemps), ou ces moineaux "domestiques" que l'on a tendance à ne plus regarder... Je me suis dit intérieurement : biodiversité. Manquait peut-être deux ou trois mammifères : un chevreuil (il y en a!), un chat haret en maraude, voire un... Non! Le renard, de jour, n'y compte pas, sauf accident. Là, dans cet espace circonscrit, urbain, certes mi-marin, mi-forestier, mais tellement habité par l'humain, il y avait tout cela!.. Le monde animal s'adapte. Nous cohabitons. En "tenir compte" est important. Et procure de singuliers bonheurs. D'ineffables joies instinctives, je vous le jure. Mais savons-nous l'observer "comme il se doit", ce monde-là?...

     
     
     
  • A tire d'ailes

    téléchargement.jpegJe remonte ce papier  - publié ici même le 12 mai 2012 -, car il y est question d'un livre injustement passé inaperçu, selon son auteur. 

     

    C'est le livre d'une psychanalyste qui se penche sur ces blessures adolescentes qui ne passent pas parce qu'elles s'ancrent comme des plaies ouvertes dans le coeur des adultes. Abymes adolescentes est sous-titré justement : Les empreintes de l'adolescence chez l'adulte (Payot). Six cas décrits -avec un souci sensible du détail et dans une belle écriture (rare avec ce type d'ouvrages) composent l'essentiel de ce livre précieux de Catherine Audibert, qui avait déjà donné un essai remarqué sur L'incapacité d'être seul : essai sur l'amour, la solitude et les addictions (Payot poche : PBP). Dans Abymes adolescentes, il est bien sûr question d'amour, ou des frémissements des premiers émois, de sexe, ou des émois des premiers frémissements et de mort, ou d'émoi du dernier frémissement, ou du dernier frémissement du moi. Eros, Thanatos. On en sortira jamais. Et alors? -L'idée, ici, c'est de limiter la casse. D'apprendre à. Et l'auteur nous prend par la main, nous aide à décoder les cas cliniques, les cas d'espèce, les cas uniques, les cas qui blessent. Nous entrons dans l'intimité de la vie de patients profondément analysés, et dont l'auteur, en passeur, tire conséquence utile pour tout un chacun; pour nous lecteurs. Ce sont six histoires d'une grande intensité émotionnelle. Six gueules et coeurs et têtes cassées, cabossées, en quête de résilience; d'oubli radical peut-être. De reconstruction surtout. Il est question de tant de premières fois dans cet ouvrage. Premier amour, premier coït, premier deuil, première déception, premier orgasme... De nombreux sujets-phares sont abordés par la côte la plus hostile : la disparition du père, son remplacement obligé, un cancer généré par ce je-ne-sais-quoi-du-presque-rien dirait Jankélévitch, un sentiment de culpabilité aussi accro qu'un crabe ou une arapède à son rocher, des fantômes qui font de la résistance dans la psyché où ils campent, les indélicats. Des signes qui ne trompent pas, des corps qui parlent pour l'esprit, des signaux de détresse envoyés par nos organes -par faute de ne pouvoir verbaliser l'urgence. L'idée de la mort plus forte que la mort elle-même et qui du coup empêche. Interdit toute sensation, tout bonheur simple. Il y a tant de choses dans ces 220 pages. Encore? -Les passions mortifères dont on sort déplumé, l'apprentissage infiniment douloureux du renoncement, notre besoin de consolation (réputé) impossible à rassasier (Stig Dagerman), le passage à l'âge adulte chez la jeune fille qui change de statut ou en cumule deux lourds : soudain enceinte, elle n'est plus seulement fille de mais aussi mère de. Le cloisonnement dans le silence, la réclusion volontaire, l'exil intérieur. L'ambivalence classique : se sentir protégée par l'autre et ce besoin de le craindre en même temps. L'amitié fusionnelle. L'idée que le sang lave le sperme qui l'a précédé. L'amour oblatif, ou chargé d'abnégation, aveugle, peau contre peau. La douleur de la première trahison... Ce sont là, décrites simplement, avec douceur, autant de blessures symboliques qui ont la vie dure à l'intérieur de nos vies d'adultes, si nous négligeons de les traiter en profondeur; avec tact et circonspection. Ce à quoi Catherine Audibert invite chacun, sans jamais le dire -d'où sa délicatesse, aussi. Elle cite nombre d'écrivains et philosophes de l'âme comme Proust, Woolf, Rilke, Cioran. Livre le fameux mot de notre cher Socrate : ce qu'on n'a pas, ce dont on manque, voilà les objets du désir et de l'amour. On l'aura compris : Audibert ne fait pas dans le simplisme, s'agissant de décrypter les figures de la dépression, par les voies et les méandres d'une réalité qui dépasse la fiction, voire le rêve. Sa plume va, souplement, au-dedans des traumas. C'est le livre riche d'une grande écoute. Un livre qui déplie les cas et, ce faisant, donne à chacun la possibilité de méditer sur un mode d'emploi à adopter. Captivant.

    Léon Mazzella

    Nota Bene : la couverture du livre reproduit une peinture d'EkAT, A tire d'ailes (195x130. Technique mixte sur toile. 2011).

  • islam de paix contre islam de guerre

    On doit penser en homme d'action et agir en homme de pensée, disait Bergson. Cela m'évoque Ellul : penser globalement, agir localement...


    images.jpegLu le dernier Onfray, hier après-midi (je l'ai reçu avant-hier), Penser l'islam (Grasset). En son centre, un très long entretien avec une journaliste algérienne, Asma Kouar (du journal Al Jadid), dont les questions sont tournées, chantournées, insidieuses, orientées comme on dit encore parfois, bref : celle-ci tente de faire abonder Michel Onfray dans le sens de sa propre doxa, qui caresse le Prophète dans le sens du poil en en faisant un ange aux mots de miel et aux actes de bonté exclusive. Mais ça ne marche pas, même si l'on sent par endroits quelques faiblesses de la part du philosophe à la lucidité solaire, car l'auteur connaît son sujet, y compris la Sîra, le texte qui rapporte les faits et gestes du Prophète... L'introduction est répétitive, la conclusion salutaire, qui a trait aux drames du 13 novembre 2015 à Paris (l'essentiel du livre fait référence aux drames de la semaine du 5 janvier. Fucking year...). Onfray se répète, mais il n'a pas souvent tort, lorsqu'il renvoie dos à dos les islamophiles (dont une certaine gauche extrême, aveugle et antisioniste), et les islamophobes (non sans préciser le sens, détourné, galvaudé, de ce terme), qui, des deux bords, sont légion. Le philosophe prolifique a lu les textes et leur exégèse (j'adore le lire, notamment à propos de Spinoza, de Camus, de Nietzsche, de l'érotique solaire, de la gourmandise, du vin de Sauternes... et j'emmerde les onfrayphobes qui, je le constate souvent, le lynchent, hurlent avec les loups, sans même avoir lu ses livres!..). C'est un pro. : il sait de quoi il en retourne, et de quoi il parle, et il connaît ce qu'il analyse et commente. Il est plus qu'autorisé à tenter de comprendre au lieu de juger, ou bien de vociférer sans savoir, sans même avoir lu le Coran, ce que d'aucuns font sans honte (il cite nombre de personnalités politiques de premier rang). Onfray décrypte la défiguration d'un certain islam, la confusion hâtive entre un islam de paix et un islam de sang, un islam pacifique et un islam belliqueux, haineux et conquérant. Entre un islam d'écoute de l'autre, et un islam d'intolérance totale. Car les deux coexistent dans le Coran. C'est une question de prélèvement à la source (soit à la lecture - orientée, sans jeu de mots -, des sourates), une question d'usage, voire, souvent hélas, d'interprétation. Il y a ainsi deux façons - contradictoires -, d'être musulman. Onfray vilipende au passage les actes de guerre de la France, à coups de Rafale, de porte-avion, dans les pays arabes même (l'oumma, en réalité, soit la communauté musulmane planétaire, celle que nous bombardons, et qui riposte à nos terrasses, via Internet, avec des kalachnikovs), lors qu'il s'agirait d'accroître une contre-offensive au combat de rue; sur notre sol. Onfray pratique avec maestria un raisonnement dans l'esprit de Spinoza : Ni rire, ni pleurer, mais comprendre, et dans celui, voisin, des Lumières : hors passion, sans haine et sans vénération, sans mépris et sans aveuglement, sans condamnation préalable et sans amour a priori, juste pour comprendre. Son coup de gueule, à propos du désenchantement de la jeunesse française, est salutaire : Que des jeunes gens la quittent (la France) pour une vie d'aventure, d'idéal, d'action, d'engagement, je peux le comprendre puisque la République n'est plus capable de proposer l'aventure, l'idéal, l'action, l'engagement et qu'elle érige en modèles des comédiens de série B, des animateurs télé, des footballeurs décérébrés, des acteurs de cinéma, des chanteurs de radio-crochets télévisés... Il déplore qu'aujourd'hui, le grand formateur des consciences ne soit plus l'école, mais l'écran (télé, Net, tweet). Se rend à plusieurs évidences concomitantes : l'islam est une religion qui monte en puissance en Europe. Et, en France, à titre d'exemple, l'islam de France est encore financé par des pays qui n'ont aucune raison d'aimer ce pays... L'Occident est par ailleurs en bout de course. L'Europe est moribonde, elle ne survivra pas, et comme toutes les civilisations en phase d'effondrement, elle montre des signes de décadence : l'argent roi, la perte de tous les repères éthiques et moraux, l'impunité des puissants, l'impuissance des politiciens, le sexe dépourvu de sens, le marché qui fait partout la loi, l'analphabétisme de masse, l'illettrisme de ceux qui nous gouvernent, la disparition des communautés familiales ou nationales au profit des tribus égotistes et locales, la superficialité devenue règle générale, la passion pour les jeux du cirque, la déréalisation et le triomphe de la dénégation, le règne du sarcasme, le chacun pour soi... Dès lors le soufisme pacifiste (d'origine irakienne), ne peut rien contre le salafisme (et le djihadisme, sa mortifère sécrétion). Pas davantage, l'espoir (voeu pieux) d'un islam républicain ne pourrait quoi que ce soit. Ose penser par toi-même!, était la devise des Lumières, rappelle Onfray. Et d'ajouter : Cesse de penser, obéis, soumets-toi!, voilà na nouvelle devise de la gauche islamophile. L'auteur de La puissance d'exister rejoint ainsi la pensée d'un Houellebecq, d'un Finkielkraut, d'un Sansal.  D'ailleurs, Onfray déborde du cadre philosophique pour entrer de plain-pied dans l'espace politique, lorsqu'il voue aux gémonies les actes pleutres d'un gouvernement de "gauche", se limitant à des messages compassionnels (tellement narcissiques, dédouanants, égoïstes, exhibitionnistes), avouant par là même son impuissance à lutter efficacement contre un islam de guerre totale, lequel, selon l'auteur, ne voit plus tellement l'intérêt de changer de direction en allant vers un islam de paix, lorsque la conquête par la guerre lui paraît soudain si aisée. La Soumission, encore, comme un terrible refrain... La dernière charge d'Onfray est une adresse désabusée, presque contrite, qui exprime le regret de ne pas se tromper, hélas, au regard de l'Histoire, lorsqu'il pense qu'il est peut-être trop tard, car la politique étrangère de la France depuis vingt-cinq ans, écrit-il, expose les Français sans pouvoir les protéger quand ripostent ceux qu'ils agressent... Car tous les assoiffés de pouvoir préfèrent se servir de la France plutôt que de la servir. (...) La carte de la paix aurait valu la peine d'être jouée, conclut-il avec une certaine mélancolie. Certes, il y faut moins de testostérone et plus de matière grise...  L.M.

  • Où vont nos nuits perdues

    product_9782070467501_195x320.jpgSurprenant Alain Duault, dont on connaît la bonhommie lorsqu'il parle de musique classique à la télé, ou d'opéra avant le film, au cinéma. Cet homme - et c'est moins connu - , est aussi un poète délicat, qui utilise souvent le mot verso, notamment dans ses poèmes d'amour, car il se plait à retourner les mots comme un chercheur de champignons retourne la feuille du bout du bâton, ou un amoureux son corps à elle. Poésie/Gallimard publie une anthologie de ses  recueils parus depuis 2002, Où vont nos nuits perdues. J'y ai relevé celui-ci :

    2016-03-18 16.37.16.jpg

     

    Et celui-là, dans un autre registre : 

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  • Somnanbule du jour

    téléchargement.pngAnise Koltz est une poétesse forte. Son mot cingle, trace avec économie, percute. Elle pratique l'oxymore, Rien n'est plus obscur et mystérieux que la clarté, prévient-elle. Extraits de Somnanbule du jour, son anthologie personnelle qui paraît - et c'est un événement, au Luxembourg -, dans la collection Poésie/Gallimard :

     

     Abattez mes branches

    sciez moi en morceaux

    les oiseaux continueront à chanter

    dans mes racines

     

    ---

     

    Chaque aube 

    est une promesse d'éternité

     

    Chaque couchant

    sa flamboyante annulation

     

    ---

     

    Mon corps est chaud

    comme le seuil d'une église

     

    Quand tu entres en moi

    la Bible divague

     

    ---

     

    J'aime te sentir

    sur moi

    comme un pont écroulé

     

    ma rivière 

    polira tes pierres

     

    ---

     

    Marcher

    sans rien atteindre

    jusqu'à devenir chemin

     

    ---

     

    Je ne crois plus en Dieu

    désormais

    ce sera à Lui

    de croire en moi

     

    ---

     

    Seule je rôde

    repoussée

    comme un animal sauvage

    qui a été touché 

    par les humains

     

    ---

     

    JE T'AIME

     

    Je t'aime

    parce que ton amour

    inventé pour voler

    est un faucon

    qui s'est posé sur mon poing

     

     

  • Alchimie, d'Azrié

    A mes yeux, mes oreilles, mon coeur, ma peau, le plus bel extrait d'un album tout entier consacré à une lecture musicale forte des Rubaiyat d'Omar Khayyam, par la voix unique d'Abed Azrié.

    Alchimie

    crozes-hermitage-rge-z.pngAlliances : une syrah douce et forte à la fois, de belle extraction. Si vous le pouvez, issue de la côte-rôtie, sinon, d'hermitage, ou bien de crozes-hermitage, mais de par là-bas, des magiques côtes-du-rhône septentrionales.

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  • Poésie/Gallimard fête ses cinquante ans

    2016-03-15 11.04.41.jpgNous vivons avec cette collection depuis que nous avons appris à lire la beauté dans le mot, la fragilité sur le givre, l'amour dans le silence des regards. Nous avions commencé par la base : Apollinaire, Baudelaire, Rimbaud, Nerval, Eluard, Valéry, Hölderlin, Rilke, Jouve, Perse, Neruda, Toulet, et puis vinrent vite Char, Ponge, Jaccottet, Mallarmé, Lorca, Paz, Dupin, Reverdy, Ungaretti, les Haïkus, Desbordes-Valmore, Ritsos, Jabès, et des dizaines d'autres. Cette collection fétiche est devenue le talisman de notre bibliothèque. Ses poche les plus précieux. Nous ne l'avons jamais perdue de vue, nous avons guetté chaque parution, fait l'acquisition de presque tous, oui, c'est vrai. Cheminer avec prenait tout son sens. Offrir un joli volume blanc barré de petits portraits de son auteur, possède un poids particulier. C'était, et c'est toujours un cadeau chargé. Mais comme l'aile du papillon que porte une fourmi, dirait Ungaretti. Ou bien, comme on tend un oiseau vivant dans le berceau de ses mains à celle qui craint encore de le toucher. La collection fête donc aujourd'hui ses cinquante années d'existence. Un demi-siècle, déjà, que la poésie est popularisée, que du bonheur ineffable peut être savouré, partagé, transmis. Combien de fois ai-je offert Fureur et mystère, Les Matinaux, Le Parti pris des choses, Vie d’un homme, La Centaine d’amour, Lettera amorosa, Capture d'écran 2016-03-06 08.12.19.pngCapitale de la douleur, Vergers, L’Embrasure, Hypérion, Les Contrerimes, Plupart du temps, La Quête de joie, Ma Vie sans moi, Liberté sur parole, Le Seuil, le sable… Combien ! Ces compagnons dans le jardin de nos lectures quotidiennes nous sont devenus indispensables comme l’air et l’eau, le feu de ses yeux et le vin d’après (photo ci-contre). Agée de cinquante2016-03-15 11.01.32.jpg ans, riche de plus de cinq cents titres, la collection que dirige aujourd’hui André Velter, poète lui-même (Poésie/Gallimard fut lancée en 1966 par Alain Jouffroy et Robert Carlier, puis elle fut pilotée par André Fermigier, et, successivement par Jean-Loup Champion, Marc Delaunay, et enfin par André Velter depuis 1998), saisit l'occasion du Printemps de poètes pour offrir un immense bouquet de livres contemporains. Ils sont presque tous, là, sous ma main, sur la table (voir photos ci-dessus) : et tout d’abord le précieux Infiniment proche. Le désespoir n’existe pas, de Zeno Bianu - qui fait son entrée dans la collection – et je suis certain que cela est vécu, par un poète français vivant, comme une espèce d’intronisation dans un singulier panthéon : on doit se sentir un peu  pléiadisé, comme on dit… Il y a le délicat Richard Rognet, avec Elégies pour un temps de vivre. Dans les méandres des saisons. Il y a le solaire Abdellatif Laâbi, avec L’arbre à poèmes. Le déroutant James Sacré, et ses Figures qui bougent un peu. Nous trouvons aussi la grande poétesse luxembourgeoise Anise Koltz, à l'oeuvre abondante, méconnue, forte, avec Somnanbule du jour, Jacques Darras et L’indiscipline de l’eau, Alain Duault pou Où vont nos nuits perdues. Avant ce feu d’artifice anniversaire, ce furent, récemment, les indispensables Lusiades de Luis de Camoes, qui paraissaient. Constamment sur le qui-vive poétique, la collection emblématique alterne le classique et le moderne, l'étranger et l'hexagonal, publie anthologies et éditions bilingues, ainsi que des coffrets splendides (trois sont déjà parus), d’extraits de certains volumes devenus des indispensables, et qui constituent des cadeaux en formes 2016-03-15 11.02.52.jpgde pavés que l’on se plait à lancer sur le lit d’une amie. Le dernier « compilait » le meilleur, de Frénaud à Robin, de Guillevic à Bonnefoy (soulignez, sur la photo ci-dessus, comme on peut monter un poème avec les titres, mis ligne à ligne, et l'un sur l'autre, de ces petits volumes). Pour l’occasion, outre les  recueils de poètes contemporains précités, la collection publie une édition limitée sur fond coloré de dix titres phares (photo ci-dessous). Ne vous en privez pas : lisez et offrez des poèmes. Et longue vie à Poésie/Gallimard. L.M.

     

    Char, Apollinaire, Michaux, Perse, Ponge, Eluard, Aragon, Lorca, haïkus japonais, NerudaCapture d'écran 2016-03-15 10.57.42.png

     

  • Nora

    Est-ce indécent? C'est ma question. En musardant sur le site formidablement artistique et littéraire La Petite Mélancolie, je suis tombé sur un dessin de Hans Bellmer qui montre Nora Mitrani, nue, de dos. Et cela devient aussitôt délicat. Bien qu'elle fut quelque temps la compagne, la muse, le modèle de Bellmer, et ce, jusqu'en 1953, j'ai le sentiment de trahir, de violer quelque chose, d'exposer un secret - qui n'en est images.jpgpourtant pas un. Le cul de Nora, les fesses de l'auteur de Rose au coeur violet, qui devint la compagne de Julien Gracq en 1953, après avoir quitté Bellmer. C'est elle. La compagne du grand écrivain... Nue. De dos... Lorsque je rendais visite à Julien Gracq, chez lui à Saint-Florent-le-Vieil, je me tenais en général, un peu en décalé, sous un portrait de lui signé Hans Bellmer, encadré et accroché là. L'extrême pudeur, la réserve monacale vis à vis de tout ce qui relève du privé, de l'auteur de Prose pour l'étrangère, m'ont toujours empêché d'évoquer sa vie amoureuse, même si cette relation était connue, mais à peine. Pensez! Je crois même que l'idée ne m'a même jamais caressé l'esprit. Et là, découvrir tout à trac le cul de Nora, m'interloque un peu. C'est comme si j'entrais dans l'intimité de mon auteur fétiche, et comme si un peu de sacré se trouvait soudain désagrégé. A la vérité, je ne saisis pas très bien ce que je ressens. 

    N.B. : Je réalise que nous connaissons tous ces dessins, qui illustrèrent notamment les oeuvres de Bataille, comme Histoire de l'oeil, et que Bellmer, les surréalistes, tout cela est devenu familier à qui s'intéresse, même de loin, à l'histoire littéraire, lorsqu'elle chemine avec, ou bien à côté, de ses alliés substantiels (selon la belle expression de René Char), que sont les peintres et les dessinateurs. Ma curiosité m'a fait défaut, puisque j'ignorais l'identité du modèle fameux de nombre de dessins érotiques de Bellmer.

    Nora Mitrani, née en novembre 1921 de parents judéo-espagnols et italiens à Sofia (Bulgarie), écrivain, philosophe, attachée au mouvement surréaliste, meurt d'un cancer à l'âge de 39 ans. Un très beau texte, signé Stéphanie Caron : Nora Mitrani, surréaliste au si secret visage, lui a été consacré, que l'on peut lire sur Internet : Nora Mitrani par Stéphanie Caron

    (Voir par ailleurs l'adaptation cinématographique du Balcon en forêt qu'en fit Michel Mitrani, le frère de Nora, en 1979, avec notamment Jacques Villeret dans la distribution. Un délice).

    Ci-dessous, le document, ainsi qu'une photo datant de 1959, où l'on reconnait Julien Gracq, Nora Mitrani et André-Pieyre de Mandiargues à Venise.

    Capture d'écran 2016-02-23 21.02.49.pngCapture d'écran 2016-02-29 00.30.19.png

  • Circonflexe

    Si l’accent circonflexe tombait, ^ deviendrait v. Nous en serions tout retournés... Les voyelles devenues longues, qui justifient son emploi, seraient de facto raccourcies. Il ne permettrait plus de distinguer les mots homophones (du et dû, sur et sûr, par exemple). Une catastrophe pour la lecture. Mais qui lit encore avec circonspection, et ne manque pas d’être perplexe devant ceci, aujourd’hui ?.. En grammaire, on dit de l’accent circonflexe que c’est un signe diacritique. C’est joli, cela (m’)évoque aussitôt le mot critique avec une interjection à l’accent basco-landais : « Dia! »… Etymologiquement, circumflecterer (autour, et courber) signifie « décrire un tour dans l’arène » ; cela ne manque pas de panache. Cet accent est la réunion, au faîte, d’un accent aigu et d’un accent grave. Une sorte de crête, un pic, pas un cap ! Que dis-je : pas davantage une péninsule !.. Sa nécessité permet par ailleurs d’éviter drames et condamnations (se faire un petit jeûne, n’est pas se faire un petit jeune, rappelle-t-on sur la Toile, ce matin). En somme, le nivellement par le bas que sous-tend toute réforme simplificatrice de ce mauvais goût-là, en dit long sur le souci déliquescent des institutions pour ce qui fonde une culture, soit sa langue. Et la langue française est l’une des plus riches et des plus subtiles de l’univers linguistique. L’une des plus complexes aussi, et alors ? Face à la langue basque, par exemple, il y a de la marge. Vouloir écrêter l’orthographe du Français est affligeant. Cet aveu, pleutre, d’abandon, sent (mauvais) une autre forme de soumission. Je résisterai. L.M.

  • Tu manges en une heure et tu te casses!

    C'est au demeurant une adresse de quartier plutôt sympathique, et son exigüité ajoute à un charme intim(ist)e (un étroit couloir et une micro salle contre la cuisine) a priori non calculé. Ca sent bon, une jeune femme ignorant l'usage des zygomatiques, y fabrique les pâtes sur une table, la cuisine est familiale, genre mamma du sud de la Botte. Les plats du jour ne sont pas chers, la carte attirante, naturellement plus coûteuse, quoiqu'abordable. Mais je n'ai pas envie d'en dire davantage, ici, car ce n'est pas le sujet. Je n'y retournerai plus, et j'écris ces quelques lignes uniquement pour signaler un désagrément majeur, situé hors champ culinaire, qui ne manque ni de culot ni d'aplomb et qui, surtout, se distingue par sa couardise. C'est une raison, à mes yeux suffisante, voire rédhibitoire.

    J'y ai déjeuné avant-hier. Nous nous étions attablés (à deux) vers midi trente, ou quarante, et tandis que nous commandions les cafés, la note fut déposée et il me fut dit : il va falloir partir, maintenant, car la réservation suivante est arrivée. Il était treize heures trente. Pile. Nul ne nous avait prévenu de quoi que ce soit. Indigné (mais l'indignation a le chic de me laisser coi), je payais, et laissais néanmoins - en guise de pourboire -, mon sentiment sur cette manière de faire : j'ai contesté uniquement le fait de ne pas prévenir le client, ce qui lui laisserait le choix de s'asseoir ou de passer son chemin. Il me fut vertement rétorqué, le verbe haut, qu'ici c'était toujours comme ça. C'est un peu court... Mais, soit : on ne te prévient pas, tu vas avoir une heure top chrono pour bouloter, donc, et puis cassos fissa pronto. Et bien je dis non. Ce n'est évidemment pas ainsi que l'on traite les clients d'un restaurant, quel que soit son standing. Ne pas les prévenir, c'est en outre les prendre en otages, et en traitre. Je déteste. Pour information, ce restaurant italien s'appelle L'Osteria dell'anima, et il a pignon sur la rue Oberkampf, au n° 37 précisément. C'est dans le onzième arrondissement de Paris, à un jet de polenta du Bataclan. Je vais le regretter, mais je tiendrai bon, eu égard au grand nombre de concurrents alentour...

    P.S. : j'ajoute que je suis rangé des fourchettes depuis longtemps, et ce, après des années et des années de critique gastronomique quasi quotidienne (midi et soir, au cours de mes années GaultMillau notamment), et que je n'ai plus tellement envie de redonner dans ce registre-là. Mais, lorsque, d'aventure, quelque chose d'insolite se produit, je dégaine, m'estimant en devoir d'en informer le chaland; mon prochain. Appelons cela le syndrome des fourmis dans mon épée, cher à Cyrano (qui est  l'un de mes maîtres).

  • Aurore, suite (fragment 575)

    Nietzsche, l'ultime fragment d'Aurore porte à la réflexion...

    Nous autres aéronautes de l’esprit. — Tous ces oiseaux hardis qui s’envolent vers des espaces lointains, toujours plus lointains, — il viendra certainement un moment où ils ne pourront aller plus loin, où ils se percheront sur un mât ou sur quelque aride récif — bien heureux encore de trouver ce misérable asile ! Mais qui aurait le droit de conclure qu’il n’y a plus devant eux une voie libre et sans fin et qu’ils ont volé si loin qu’on peut voler ? Pourtant, tous nos grands initiateurs et tous nos précurseurs ont fini par s’arrêter, et quand la fatigue s’arrête elle ne prend pas les attitudes les plus nobles et les plus gracieuses : il en sera ainsi de toi et de moi ! Mais qu’importe de toi et de moi !D’autres oiseaux voleront plus loin ! Cette pensée, cette foi qui nous anime, prend son essor, elle rivalise avec eux, elle vole toujours plus loin, plus haut, elle s’élance tout droit dans l’air, au-dessus de notre tête et de l’impuissance de notre tête, et du haut du ciel elle voit dans les lointains de l’espace, elle voit des troupes d’oiseaux bien plus puissants que nous qui s’élanceront dans la direction où nous nous élancions, où tout n’est encore que mer, mer, et encore mer ! — Où voulons-nous donc aller ? Voulons-nous franchir la mer ? Où nous entraîne cette passion puissante, qui prime pour nous toute autre passion ? Pourquoi ce vol éperdu dans cette direction, vers le point où jusqu’à présent tous les soleilsdéclinèrent et s’éteignirent ? Dira-t-on peut- être un jour de nous que, nous aussi, gouvernant toujours vers l’ouest, nous espérions atteindre une Inde inconnue, — mais que c’était notre destinée d’échouer devant l’infini ? Ou bien, mes frères, ou bien ? —

  • En (re)lisant "Aurore", de Nietzsche, cet après-midi :

    Fragment 532 :

    « L’amour rend égaux ». — L’amour veut épargner à celui à qui il se voue tout sentiment d’être étranger, il est par conséquent plein de dissimulation et d’assimilation, il trompe sans cesse et il joue une égalité qui n’existe pas en réalité. Et cela se fait si instinctivement que des femmes aimantes nient cette dissimulation et cette duperie douce et continuelle et prétendent avec audace que l’amour rend égaux (ce qui veut dire qu’il fait un miracle !) — Ce phénomène est très simple lorsqu’une personne se laisse aimer, et ne juge pas nécessaire de feindre, laissant cela à l’autre personne aimante : mais il n’y a pas comédie plus embrouillée et plus inextricable que lorsque tous deux sont en pleine passion l’un pour l’autre, et que, par conséquent, chacun renonce à soi-même et se met sur le pied de l’autre, voulant partout faire comme lui : alors aucun des deux ne sait plus ce qu’il doit imiter, ce qu’il doit feindre, pour quoi il doit se donner. La belle folie de ce spectacle est trop belle pour ce monde et trop subtile pour l’œil humain.

  • Finki sous la Coupole

    Lisez le discours de réception d'Alain Finkielkraut, prononcé hier à l'Académie française, pour ses éclats d'intelligence purs, sa déclaration d'amour de la France à la France, pour son éloge subtil de Félicien Marceau, et lisez aussi la réponse de Pierre Nora, qui figure une sorte de bref et brillant essai. Y sont circonscrites, toutes les facettes fascinantes de la personnalité de "Finki". Voici deux purs joyaux. A lire un peu partout sur le Net, notamment ci-dessous en cliquant sur les liens dédiés :

    Discours de réception

     

  • Agathe the jazz

    téléchargement (2).jpegEcrire sur la mort de sa mère est devenu un genre littéraire, me disait mon ami et éditeur Olivier Frébourg, tandis que je lui donnais à lire un manuscrit sur le motif. Mais nul ne semble armé pour pouvoir écrire sur la mort de son propre enfant. Pas même mon autre ami Didier Pourquery. Et pourtant Didier did it. Agathe, sa fille, était née en 1984 avec une vilaine mucoviscidose. Elle subit une, puis deux greffes de poumon, elle toussa les vingt-trois années de sa vie durant, souffrit. Elle était plus gaie que gaie, elle était intelligente, aimante, aimée, et un jour elle adressa un sms aux siens, après avoir appris de son médecin, devenu un confident, que ses jours étaient comptés, qui disait je vous aime. Et c'est là qu'en lisant L'été d'Agathe (Grasset), petit chef d'oeuvre de pudeur et d'amour viscéral, nos larmes éclatent et notre ventre se noue. Pour se détendre aussitôt, car Didier Pourquery écrit juste, avec le ton exact, la mesure du mot, le sens de l'émotion contenue, du tact idoine, la vérité crue au bout du stylo (nous l'entendons écrire), même si parfois cela déborde, et c'est normal. Le père ne cache pas combien il est souvent désemparé, maladroit, impuissant, lorsqu'il doit improviser devant tant d'inédit et de douleur à dompter du mieux qu'il peut. L'auteur achève cette adresse à sa fille d'un Je t'aime qui prend le poids, énorme, de l'aile du papillon que porte une fourmi, comme l'écrivit Ungaretti. Didier avait repris ses carnets de notes - il a tant noté tandis qu'il espérait de toutes ses forces, avec la mère et les soeurs d'Agathe, et tandis que sa fille vivait, entre un hôpital et l'île d'Oléron, où, un jour d'août 2007, elle fut dispersée par des parents pieds nus - ainsi qu'elle le désirait, et il a accompli un devoir extraordinaire de père. Celui que nul ne souhaite à aucun homme. Et cela donne un livre précieux entre tous, parce qu'il nous parle, avec les mots simples de l'amour et de la douleur que l'on s'efforce d'enfouir, avec des mots empreints d'une douceur et d'une grâce magiques, de l'existence essentielle. Un livre surhumain. L.M.

  • Le candélabre

    C'est l'un des plus beaux passages du Roi des Aulnes, de Michel Tournier, qui vient de nous quitter. Page 223 (en collection Blanche, de 1970), voici que l'ogre de Rominten, qui figure Göring, grand amateur de chasse, de venaison, de grands vins de Bourgogne et de Bordeaux, et aussi d'excès en tous genres, se trouve face à un grand cerf, le Candélabre :

    téléchargement.jpegL'un des plus nobles Reichjägermeisterhirsche était à coup sûr le Candélabre dont l'Oberforstmeister tenait la chronique presque mois par mois, et qui promettait de devenir le roi des hardes de Rominten. Un soir que Göring, emmitouflé comme un ours, piétinait lourdement dans la neige molle pour relever des traces de loups qu'on lui avait signalées, le Candélabre surgit, comme une apparition, dans un entrelacs de rameaux givrés. Sombre statue d'ébène, il portait haut sur son encolure musculeuse un buisson de vingt-quatre andouillers distribués aussi régulièrement que les nervures d'un cristal de glace. Il était grand et droit comme un arbre, un arbre vivant et respirant, aux oreilles dardées, aux yeux clairs comme des miroirs, qui faisait face aux trois hommes. Les bajoues du grand veneur se mirent à trembler.

     

     

  • Sur le site du Figaro

    Cet article signé Romy Ducoulombier, que je remercie.
    En lien simple : Le "Dictionnaire chic du vin" dans Le Figaro (.fr)

    Et en pdf : Mazzella_Dictionnaire chic du vin_LeFigaro.fr_18 décembre 2015.pdf

    L'occasion de saluer au passage le très bel album de Pierrick Bourgault, consacré aux Vins insolites (éd. Jonglez) : du vin de glace québécois au vin du désert de Gobi, en passant par les vins d'amphore, ou les crus indonésiens... Et qui vient de recevoir un prix prestigieux : le Gourmand World Cookbook Awards.

  • Georges is in the sky with virgins...

    Wolinski, depuis le sky où il continue de besogner les virgins promises à d'abjects dingues, a du se marrer en découvrant la coquille hellène à son patronyme. Une commémoration à côté de la plaque, en quelque sorte.
    J'ajoute, à propos de cet Y de discorde et de raillerie détendante, en ces temps par trop sérieux et aussi pourvoyeurs en rires qu'un oued seco en eau, que le philosophe grec Pythagore relevait ceci : les branches divergentes ("et dix verges, c'est beaucoup", se serait exclamé Pierre Desproges) d'Upsilon (la lettre Y) figurent la croisée des chemins entre vice et vertu. Nous y verrions, par surcroît, avec Wolinski, et à n'en pas douter, des jambes joyeusement écartées... Mais, bon, ne dévions pas d'un si bon chemin.
    (photo : © La Dépêche)téléchargement.jpeg

     
     
  • La banalité du mal, again...

    NE PERDONS JAMAIS DE VUE LE CONCEPT DE "BANALITÉ DU MAL", CHER À HANNAH ARENDT
    Choqué, interloqué, dégoûté, les mots me manquent. Moi, journaliste, je suis proprement indigné par Libération, quotidien devenu une sorte de suppôt voilé, et pleutre, d'une certaine forme d'antiracisme bon teint qui flirte sans le savoir (?), à coup de complaisance (mais la mode est à cette complaisance-là, lâche, hypocrite, intéressée : voir nos dirigeants et l'Arabie Saoudite, le Qatar...), avec un islamisme certain. Ce, avec des Unes bobos et choquantes à vomir, comme celle qui fut consacrée, le 19 novembre dernier, souvenez-vous, à Abdelhamid Abaaoud, "le visage de la terreur", souriant, narquois, starisé comme un Che, d'une provocation, et donc d'une violence inouïes, tandis qu'un massacre venait de faire 130 victimes : de quoi susciter des vocations de martyrs auto-proclamés par dizaines. Et là, ce 4 janvier, c’est le comble de l'abjection gluante, et tellement révoltante qu'on se demande comment une telle Collaboration est possible, sans réaction massive : le portrait hagiographique et très anti professionnel, aussi journalistique que Galabru est vivant, de l'immonde Tariq Ramadan, présenté comme « le Georges Clooney des musulmans », comme un mec soft et cool, séducteur et lettré, genre lecteur de Libé quoi, tu vois, coco... Me révolte. Libé, ou ce qu’il en reste, est devenu un organe vivotant d’une gauche extrême à la Clémentine Autin, veule et anticitoyenne, autoritaire et aveugle. A trois jours d’un funeste anniversaire - celui de la tuerie de Charlie Hebdo (sans parler de celle de l’Hyper Cacher, via l’assassinat d’une agent de police), voilà ce qu’un quotidien à prétention nationale, mais d’envergure infra-locale, car limitée à quelques quartiers de la capitale depuis ses origines, et ce, malgré son ambition originelle, propose à ses derniers lecteurs. Un papier creux, style mode, tendance, fashion, sur un idéologue nuisible. Libé ou l’art de transformer le réel, lorsqu’il est grave, en collection d'icônes futiles. Libé ou le travestissement du Malin, Libé ou la banalisation du mal... C’est à pleurer, eu égard - et par surcroît -, au manque de force, accru, de la presse quotidienne nationale française aujourd’hui. L’acte citoyen, demain, c'est de ne plus acheter ce journal-là, que nous avons pourtant aimé lire, des années durant.

     
     
     
  • A propos de Michel Delpech

    Je confesse : j'étais ado, à Bayonne, et nous nous moquions des Michel Delpech, Michel Fugain, Julien Clerc, Johnny Halliday, Clo-Clo, Mike Brandt, Stone & Charden et tout le toutim (Hervé Vilard, Adamo...). On les trouvait "ploucs". On écoutait en revanche Maxime le Forestier (baba, "jeunes et nature", Mességué, La Vie claire, Roger images.jpegDumont... Obligeaient alors), un peu Véronique Sanson, Graeme Allwright, Paco Ibañez, Ferrat sur Aragon, Ferré, Brel et Brassens bien sûr, Reggiani et Aznavour piqués aux parents, avec les 45 ritals à bloc et ricains (de Bobby Solo à Trini Lopez en passant par Sinatra). Sans parler, ici, des rosbifs de tout poil (Beatles contre Stones, Genesis, Incredible String Band, King Crimson, Yes, Jethro Tull, et Led Zeppelin bientôt, entre cent autres etc, etc). Non, là, je cause remords français, et frime franchouillarde à la con : on les qualifiait donc de ploucs, les Delpech et consorts, car on était cons. Jeunes (moins de 18) et cons. On se croyait supérieurs, intello à 2 balles, avec les chants révolutionnaires murmurés par Joan Baez, avec la voix chaude et profonde de Leonard Cohen... Aujourd'hui que Lorette, le chasseur, Wight is Wight... La liste est longue, disparaissent en renaissant aussitôt (l'avez-vous remarqué, aujourd'hui?), je m'aperçois d'une chose : en vieillissant (j'accuse 57 automnes au compteur bleu), j'apprécie désormais -presque autant- les tubes de Delpech que ceux que j'adulais alors. Va comprendre, des fois...

     
     
     
  • Wozu

    téléchargement.jpegWozu dichter in dürftiger zeit? La fameuse question posée par Hölderlin frappe à notre esprit de manière récurrente. Elle signifie, et selon les traductions, Pourquoi (ou, à quoi bon) des poètes en un temps de manque (ou de détresse, voire de crise)? Réflexion en cours.

     
     
     
  • Gracq, ou l'attente

    Capture d’écran 2015-12-30 à 16.16.28.pngDeux CD de l'INA contenant des entretiens avec Julien Gracq, conduits par Jean Paget, et par Jean Daive, ainsi qu'un témoignage d'André Pieyre de Mandiargues, intitulés Préférences de Julien Gracq, et donnés à France Culture, sont éclairants à bien des égards. Là, je vous donne juste une remarque de Gracq, citant le grand critique littéraire Gaetan Picon, à propos des visages de l'attente dans Un Balcon en forêt, d'une part, et dans Le Rivage des Syrtes, d'autre part : Avec Un Balcon en forêt, l'attente est passive, et il s'agit d'un bonheur menacé, proche de la catastrophe. Tandis qu'avec Le Rivage des Syrtes, il s'agit plutôt d'un bonheur à trouver dans la mencace...  Lumineux!

  • Le livre de cette rentrée de janvier :

    CommuniquéToutes nos vies 2.pdf

    Stéphane Guibourgé, l'un des meilleurs écrivains français vivants, en est l'auteur. Alors précipitez-vous vers un inexorable bonheur de lecture, un plaisir du texte avoué. Ici, tout n'est que sensibilité, poésie, écorche vive, peaux à nu, vérité fondamentale, mots dits essentiels, par l'homme lige et la femme fatale, sentiments extrêmes, regards tus, sexes purs, amour dur, et intransigeant.

    ¡Vaya!

  • Signatures à venir

    Ce weel-end (5/6 décembre):

    Salon du livre de Boulogne-Billancourt (Espace Landowsky) : présentation - signature du "Dictionnaire chic du vin" (éd. Ecriture), samedi et dimanche après-midi.

    http://salonlivrebb.blogspot.fr/p/auteurs-2015.html

    Puis, signatures-lectures-dégustations la semaine prochaine au Pays basque :

    Jeudi 10 déc., dès 19h, à La Galupe, restaurant-librairie à Urt (au bord de l'Adour, près de Bayonne, "chez Barthes"!..).

    Samedi 12 déc. à partir de 19h à l'Hôtel-spa Regina (Biarritz), et dès le matin, chez Christian Bedat, caviste indépendant à Biarritz-La Négresse : aux Celliers des Docks, donc. Venez nombreux, ça sent Noël, et les cadeaux... Héhé...

    soirée galupe 10-12.pdf

    soirée regina 12-12.pdf

    Et encore, le 22 déc., à la librairie L'Alinéa (Bayonne). 

    Capture d’écran 2015-08-10 à 17.22.18.png

  • Dans Gourmets & Co

    http://www.gourmetsandco.com/culture/15320-dictionnaire-chic-du-vin-leon-mazella

     

    Rectif amical, mon cher Patrick Faus : Je n’ai jamais "pris plaisir à ôter la vie" d’un seul animal, évidemment, et n’ai jamais été "fasciné par le sang". Ô grand jamais! D'où peuvent bien sortir ces mots, cette interprétation d'aucun fait? (j’ai plutôt écrit des centaines de pages sur le sujet en disant le contraire : j’approchais, en amoureux de l’approche du Sauvage, et ne tirais que très rarement, et me suis fait toujours traiter d’écolo subliminal par mes pairs…).
    Et aussi, loin de vouloir « détruire ce que nous avions perdu en nous », comme tu l’écris, c’est précisément exactement l’inverse que je me suis employé à faire avec passion durant ces années-là : rechercher la part animale en moi, enfouie dans ma nature humaine "désensauvagée". LMzz
     

     

  • Whiskies des îles du Nord

    Dans L'Express qui paraît ce lundi, un papier (ci-dessous) à propos des  single malt des îles Skye et Orcades (reportage effectué en juillet dernier). Dossier Flacons de fêtes, piloté par Philippe Bidalon.

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    L’Express / 16 novembre 2015

    SCOTCHS DE L’EXTRÊME

    Dans les îles du grand nord de l’Ecosse, Skye à l’ouest et les Orcades à l’Est, les single malt sont salins, tourbés, fumés, et au caractère plus ou moins puissant. Découverte.

    Par Léon Mazzella

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    C’est selon. Sur ces îles d’une beauté sauvage et pure, propre à aimanter durablement le voyageur le plus rétif, les whiskys sont forts en gueule comme la voix de granite d’un pêcheur de harengs de haute mer, aguerri aux éléments les plus hostiles. Un reliquat d’esprit viking souffle l’île l’île de Skye, « l’île des brumes », en Gaélique, la plus grande de l’archipel des Hébrides (intérieures), longtemps placé sous domination norvégienne. Une seule distillerie y règne encore sans partage* : Talisker. Sur une terre de Clans qui se sont longtemps affrontés depuis l’aube de l’humanité, les McLeod étant ici les plus puissants, une situation monopolistique a de quoi décontenancer les va-t’en-bagarre, « just for sport ». Talisker, sise à Carbost, fut fondée en 1830. Propriété du groupe anglais Diageo, qui possède notamment la mythique bière irlandaise Guinness, les bourbons Bulleit, et des monstres comme Johnnie Walker, J&B, ou encore les superbes Cardhu, et Dalwhinnie, met l’accent, avec ses single malt tourbés, au caractère iodé, voire « algué », salé volontairement - et assumé, sur des produits épicés, puissants, qui ne laissent aucun consommateur indifférent. Talisker fait réfléchir et stoppe, un instant, toute conversation. C’est un signe. Sa gamme (lire encadré), est « rough » : elle vivifie l’esprit. Elle est l’expression de la sauvagerie indomptée, sauf dans votre palais. Un voyage, en somme…

    Dans un gant de velours

    Avec Scapa, sur Orkney, l’île principale des Orcades, nous sommes déjà loin de Skye. C’est la plus septentrionale de l’Ecosse, sise en terre Viking assurément. Nous touchons ici à la grâce, à la douceur, à l’apprivoisement souverain, lequel semble se moquer des éléments pourtant tout aussi hostiles qu’à Skye, sur ces Orcades insolentes de beauté féline et fatale, mais qui possèdent un surcroît de délicatesse paysagère, mamelonnée, suave, sensuelle – ceci à la seule lecture d’un paysage qui invite à pêcher la truite à la mouche sèche en lac, et à chasser les limicoles, si nombreux sur l’île principale de cet archipel éclaté en une multitude d’îlots au relief déchiqueté, avant de boire le scotch du soir. Kirkwall est l’épicentre de l’archipel. C’est là que le voyageur atterrit. La distillerie, propriété du groupe Pernod-Ricard, porte un nom qui invite à l’évasion, à « s’échapper ». Un verre suffit. Surtout de l’emblématique 16 ans d’âge, à la douceur confondante, voire « rassemblante », œcuménique, propre à réconcilier tous les amateurs de whisky suave, qui – pour un jeu de mots, vous écharpe davantage qu’il ne vous échappe. Fondée en 1885, la distillerie (depuis laquelle nous pouvons voir voler les huîtriers-pie, et autres courlis cendrés, tout en dégustant), propose depuis quelques semaines à peine, un nouveau whisky phare, empreint d’une douceur régressive, et qui semble vouloir assagir les éléments ambiants, comme on coupe le son d’un geste. Ce nouveau frère du célèbre 16 ans, nommé Skiren, aux accents de Bourbon, est un scotch réconciliateur entre tous.

    Un mot, pour finir, sur la seconde distillerie d’Orkney, car elle est d’une infinie discrétion. Elle se nomme Highland Park, et propose en particulier un 25 ans d’âge remarquable. Comme quoi, sur ces îles du grand nord écossais, des palettes s’expriment en toute liberté, et signent le caractère protéiforme d’une zone qui vous attache. Et c’est ainsi que les îles sont à l’ancre… L.M.

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    *Une seconde distillerie pourrait cependant y voir prochainement le jour, qui répondrait au nom de Torabhaig. A suivre.

     

    Notes de dégustation :

    Talisker Skye. Ce single malt délicatement tourbé, excelle sur le saumon cru. Notes d’orange à la fois amère et confite, de poivre noir, de gros sel, de fumée franche et de bois neuf mêlées – en plus de cette touche finale de caramel mou, qui semble vouloir excuser la rudesse des éléments.

    Port Ruighe, de Talisker, subit une double maturation en fûts de Porto, qui produit des notes de fruits rouges, en plus du fumé et du iodé caractéristiques de la marque.

    Talisker Storm porte bien son nom. Tempétueux, en plus d’être fumé et iodé comme ses frères, il est miellé et surtout épicé (poivre) et d’une belle puissance.

    Scapa 16. Comme une main de fer dans un gant de velours. Un single malt « under control ». A peine tourbé, et avec ses accents de tarte Tatin, de gingembre, de clémentine, de miel de bruyère, la fameuse bouteille « 16 » est une référence insulaire.

    Scapa Skiren. Notes miellées, fruitées, voire cacaotées en fin de bouche. Un accent d’Irish whiskey, une douceur briochée, fruitée (poire), et saline aussi. Un futur whisky de synthèse qui devrait connaître un grand succès auprès d’une clientèle jeune, attentive, exigeante.

    Highland Park 25 ans : Scotch singulièrement tourbé sans être envahissant. Les arômes subtils, floraux, fruités, surnagent ici comme par enchantement.

    L.M.

  • Le Manifeste d'Antonin

    téléchargement.pngLe vin sans additif rend addictif et c'est heureux. Antonin Iommi-Amunategui part en guerre contre les intrants, ces ajouts peu amènes qui dopent la vigne en la dévoyant, la chimie aidant. Avec son Manifeste pour le vin naturel (éd. de l'épure), mince (24 pages, 7€) comme une tranche de serrano, mais précieux comme un flacon de The Picrate, ce blogueur (allez surfer sur no wine is innocent), engagé mais calme, fixe correctement les points sur les "i", afin de (tenter de) clouer le bec aux apôtres aveugles du vin chimiquement trafiqué, cela en vissant quelques vérités neuves, ou en cours de développement. Autrement dit, sa plaquette sent le soufre, mais elle n'en contient pas, et son discours est à peine filtré. Camus aurait appelé cela la radicalité de la nuance. Le vin dit naturel, ou vivant, résumé "bio" par commodité, car nous nous perdons encore souvent dans le maquis des dénominations, entre certificat Ecocert, TerraVitis, conversion en trois ans, label AB, et j'en passe, sans oublier l'étage supérieur de la biodynamie, qui n'a rien à boire... Mais ce n'est pas le sujet de ce papier. Le vin naturel, donc, n'est plus un vin à la mode bobo, élaboré à la va comme je te pousse, consommé uniquement dans les bistros parisiens branchés par des gosiers qui ne connaissent que l'épate et capables d'avaler du vinaigre en disant c'est super!, un vin qui, il faut l'avouer, a réservé et réserve encore son lot de mauvaises surprises organoleptiques (l'intervention humaine, au moins a minima, ne remplacera jamais complètement le laisser-faire total de la nature). L'effet prend racine, s'étend, se propage façon puzzle sur l'ensemble du territoire, car les vignerons (pas) réunis se posent question, échangent timidement et agissent ici et là. Le consommateur suit, porté par le souci élémentaire de cesser d'engloutir des saloperies. Aujourd'hui, la consommation de vins plus ou moins purs ne cesse de croître. Le marché du vin bio hexagonal, lisais-je cette semaine, c'est plus de 64 000 ha de vignes (et ça continue d'augmenter, surtout en Espagne et en Italie). Cela représente, en France, en 2015, 11% du marché des produits issus de l'agriculture biologique. Et ce vin-là commence à bien s'exporter vers des marchés dits traditionnels (Allemagne, Royaume-Uni). Un signe. Le phénomène est par conséquent désormais pris au sérieux. Et nous espérons qu'il gardera encore longtemps tout ce qui bâtit sa bienheureuse singularité, à savoir ses côtés artisanal (small is always beautiful), sain, traçable, durable, et non plus seulement rousseauiste, version simpliste, baba, bobo : Ca, c'était avant, soit hier à peine. Antonin l'exprime d'emblée : J'ai pris trop mon pied avec des vins naturels pour ne pas les défendre en tant que catégorie : celle, bancale, polémique, du vin idéal. Un brin utopiste, l'auteur pourrait convaincre son lecteur qu'un vin idéal peut cohabiter dans un monde meilleur, ou bien qu'un monde idéal pourrait voir le jour, où l'on ne boirait que des vins naturels, donc meilleurs (car il est surtout question de goût, avec les vins naturels). Le paradoxe de ce type d'entreprise - que nous partageons à 100% -, est qu'il pourrait à terme noyer (je n'ai pas dit broyer) le vin naturel dans les rouages de la grande distribution actuelle, au lieu de quoi, vécu encore comme une rareté (sa quête procure des plaisirs de copains en vadrouille sur le chemin des zincs), il se recherche et se trouve chez les passeurs que sont les cavistes avisés, et dans les bistrots malins, au coeur desquels le taulier comme le client aiment donner du temps au temps, et de rire et d'aimer le simple, le beau, le bon. Puis, vient le plaisir du partage, en faisant passer. La dissémination agit bien ainsi, façon missi dominici soft. Car, méfions-nous : lorsque la parole est, ne serait-ce qu'un rien imposée, elle sent le diktat et cela n'est historiquement jamais bon, voire contreproductif, à l'instar de certaines révolutions. Brandir des dieux comme Jules Chauvet sent parfois la secte, donc l'exclusion. Condamner sans appel celui qui soufre (son vin) est stupide (et pis, en plus, ne pas soufrer a minima et à la "mise", c'est la garantie de produire de la piquette! CQFD). Ces manières de faire, non seulement divisent, mais font fuir le curieux volontaire. En revanche, militer, répandre la parole, faire goûter, informer en somme, tout bonnement, creuse le sillon, certes à la vitesse de l'escargot (slowly), ou de la tortue de la fable, mais sûrement. Je réfuterai, pour qualifier ce petit livre salutaire, l'emploi du mot combat, trop guerrier, ou bien pas assez pacifique, et donc oxymorique. Le vin nu, selon la belle expression donnée par Alice Feiring, citée par l'auteur, a toujours été là, précise Antonin. Ce n'est donc pas une mode, enchérit-il. Et d'affirmer aussitôt que son avénement est un retour qui est aussi une avancée. Lumineux! Le livre passe également en revue l'oeuvre de personnages emblématiques, de Jacques Néauport (théoricien fondamental à la parole pleine de bon sens : le vin naturel, c'est tout bête, c'est un vin sans intrants, c'est tout) à Eric Callcut (et son vin Graal), en passant par Thierry Puzelat, Pierre Overnoy ou encore Olivier Cousin (vignerons de respect). Enfin, la question qui se pose à tout produit qui prend ainsi de l'envergure, est sa nécessaire réglementation. Certains rebelles la refusent au nom d'une indépendance anti normative. Discours vain, statique, obtus, voire réactionnaire, à nos yeux. Force est d'admettre qu'une reconnaissance légale claire hisserait, distinguerait, identifierait le produit. Et le protègerait des sournoiseries industrielles. Débat en cours. Chacun semble au moins s'accorder sur la nécessité de nommer tous les ingrédients contenus dans une bouteille de vin, puisque le jus de la treille fermenté demeure l'un des derniers produits alimentaires emballés à pouvoir se passer de ces informations capitales, et réputées obligatoires depuis belle lurette. Par bonheur, les gardiens du temple comme Antonin Iommi-Amunategui veilleront toujours au raisin. Prenons-en de la graine. L.M.

  • Livres en Vignes

    Au Clos de Vougeot (Bourgogne), le week-end dernier (salon Livres en Vignes) :

     

    IMG_0446.jpgSur le chemin clos qui mène à Vougeot.

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    Une élégante cherche l'auteur... qui la photographie.

     

    Du beau monde venu signer.

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    Le dîner du chapitre (samedi) roboratif à souhait (Livres en Vignes ou l'autre salon du cholestérol)... 

     

  • la meilleure façon...

     Capture d’écran 2015-09-16 à 14.25.39.png... de pénétrer une oeuvre est souvent d'en lire la première page. L'incipit, et au-delà de lui. Voici celle des Nouveaux monstres, de Simonetta Greggio, qui reparaît en format de poche et qui fait suite à son magnifique Dolce Vita (Stock, et Poche). Ce livre, qui resserre, relate, compresse, analyse, crie, les années 1978-2014 en Italie, son pays, cette Botte tissée de relations troubles, impures, incestueuses, grotesques, picaresques, baroques, insolentes et risibles comme certaines amours - entre l'Etat, le Vatican (l'autre Etat) et la Mafia (l'Etat suprême?). Un grand livre. 

  • Fausse bonne nouvelle?..

    Mon Dictionnaire chic du vin figure dans la première sélection du Prix Renaudot essai, selon le site de L'Obs : bibliobs (cliquer ci-dessous), mais pas sur les listes publiées par les sites du Figaro (lefigaro.fr) et du Monde (lemonde.fr). On se calme : Sherlock-Bacchus mène l'enquête!..

    http://bibliobs.nouvelobs.com/sur-le-sentier-des-prix/20150908.OBS5471/prix-renaudot-2015-la-premiere-selection.html

     

    Capture d’écran 2015-09-09 à 18.02.42.png

  • Louis-René des Forêts

    téléchargement.jpegLe meilleur livre de la rentrée de septembre est paru en juin. Les Œuvres complètes de l’immense Louis-René des Forêts (1918-2000), sont le très beau cadeau de l’été, que la collection Quarto de Gallimard (une collection qui se bonifie considérablement avec le temps *, en laissant sur le carreau ses concurrentes : Bouquins/Laffont, Omnibus), a fait aux aficionados de l’auteur inoubliable du Bavard et d’Ostinato, pour ne citer que deux ouvrages majeurs que l’on se plait à relire régulièrement, pour le plaisir de la langue, celui de l’émotion forte, très forte, que des Forêts instille (« faire passer dans les mots la sève fertilisante sans laquelle ils ne sont que du bois mort »). L’édition, assurée par le talentueux Dominique Rabaté, universitaire sans les défauts inhérents à la profession, est un spécialiste de l’auteur. Le volumineux pavé (1342 pages) s’ouvre sur un précieux album de famille, où  de nombreuses photos, des lettres (pas seulement à des écrivains célèbres, mais aussi à des amis très chers – comme l’entendait Montaigne, et pas facebook -, tels Jean de Frotté), une biographie précise et chaleureuse, sont agréablement dispersées, afin d’entrer dans l’œuvre – par une nouvelle inédite, de surcroît, intitulée Les Coupables -, de la manière la plus douce qui soit, la plus musicale, pourrait-on dire, puisque Louis-René des Forêts fut habité toute sa vie par la musique, au point de faire de son premier roman, Les Mendiants, une sorte de suite polyphonique, et de chacun de ses livres, l’écho au « fil conducteur » de son existence. Le volume que nous tenons en mains est par ailleurs riche de témoignages nombreux et prestigieux, qui vont de Maurice Blanchot (et son célèbre texte sur Le Bavard, intitulé La Parole vaine, qui figura dans une édition rare en 10/18), à Jean-Louis Ezine (un entretien clé à propos d’Ostinato), en passant par Philippe Jaccottet (superbe texte d’analyse droite et rigoureuse d’un écrivain que le grand poète de Grignan admire), Michel Leiris, Raymond Queneau (des Forêts participa avec Monsieur Zazie, à la création de l’Encyclopédie de La Pléiade, avant de devenir membre du comité de lecture de « la Banque de France de l’édition », laquelle publia, avec sa filiale le Mercure de France, la majeure partie de son œuvre), et encore André Frénaud, Pascal Quignard, Marcel Arland, Jean Roudaut, Pierre Klossowski, Charles du Bos, André du Bouchet… Du beau linge, et des textes enrichissants, tant sur ce que l’on apprend de l’auteur de Pas à pas jusqu’au dernier, que sur le travail, l’écriture ou tout simplement l’amitié de ces compagnons de route, de ces « alliés substantiels ». Il fut beaucoup reproché à des Forêts de cesser d’écrire, après avoir conquis un lectorat fidèle et ayant pris goût. Il se mit alors à peindre dix années durant et se tût – littérairement -, environ dix de plus (et le volume « donne à voir » ses peintures, tourmentées, imprégnées à la fois d’un surréalisme figuratif, et d’une fantasmagorie à la Jérôme Bosch). Il faut savoir que l’année 1965 fut la cassure majeure de la vie de l’écrivain. Sa fille Elisabeth mourut accidentellement à l’âge de quatorze ans, et d’une telle déchirure, nul ne se remet. Cependant, le père terrassé, désagrégé, commence alors à bâtir en silence, pierre à pierre, un travail de deuil qui ressemble à la tâche de Sisyphe, ou bien à une entreprise vaine et condamnée d’avance. Cela s’appellera, après plusieurs tentatives de renoncement, quelques publications fragmentaires en revue, Ostinato, en 1997. (Au Mercure de France d’abord, dans L’Imaginaire/Gallimard aujourd’hui, en plus de l’édition monumentale dont nous rendons compte). Un chef d’œuvre, même si cette expression est par trop usitée et par conséquent galvaudée. Un livre inclassable et incassable, bien qu’il semble fait de cristal. Et de cendre, ou plutôt de pluie d’étoiles. Ostinato, ou obstinément, le devoir d’achèvement, est l'un des plus somptueux hommages faits à la langue française de ces dernières décennies. Ce livre semble avoir été écrit comme  Beethoven composa ses plus beaux quatuors, soit une fois devenu totalement sourd. Des Forêts l’entendait un peu, et sans forfanterie, de cette oreille (et il les avait grandes). Ostinato, avec Le Bavard, Les Mégères de la mer, les Poèmes de Samuel Wood aussi, sont de ces textes que l’on a plaisir à lire à voix haute à un être cher, tout en marchant, livre en main, dans la campagne ou dans un sous-bois. Livre de recueillement, long poème en prose, livre d’une vie, livre-vie, livre de la déchirure et de l’impossible reconstruction, il est l’offrande musicale d’un auteur précieux et trop méconnu, à la fois à la littérature, au questionnement sur la langue – son pouvoir, sa raison d’être pour l’auteur, et pour un hypothétique lecteur aussi -, à cette « vieille arme ébréchée du langage », et enfin à l’essence de la vie même. Nous imaginons sans peine Le Bavard et son célèbre incipit : « Je me regarde souvent dans la glace. », lu au théâtre par un Sami Frey, un Claude Rich, un Jean-François Balmer (à la manière des Braises, de Sandor Marai, ou de Novecento, d’Alessandro Baricco, ou encore de Pour un oui ou pour un non, de Nathalie Sarraute : vous voyez ?..). Car il y a dans chacun des livres de Louis-René des Forêts, à la fois la suggestion musicale et le plaisir du texte qui ne demande qu’à être partagé… musicalement, fut-ce à la voix, notre principal, primitif instrument. Des Forêts est encore de ces noms d’auteurs qui se chuchotent. Le seul fait d’apercevoir quelqu’un lire l’un de ses livres, dans un transport en commun par exemple (mais cela est rarissime), suffit à nous persuader que nous appartenons à une même confrérie, et que nous souhaitons, l’inconnu(e) comme soi-même, qu’elle ne demeure pas une société secrète. La littérature a le don subtil de générer ce type de menu plaisir; et c’est heureux. Ecoutons Dominique Rabaté, qui ouvre son texte de présentation avec ces mots : « L’éclat du rire, le sel des larmes et la toute-puissante sauvagerie : voilà en une formule ternaire magnifique ce à quoi fait encore appel Louis-René des Forêts dans le dernier de ses grands livres, Ostinato. La vivacité d’une ironie frondeuse, l’amertume vivifiante qui déchire le cœur mais le baigne de sève marine, le sursaut de révolte puisé à même la force du monde extérieur auquel il faut s’accorder, ce sont là les qualités de cette ‘’voix de l’enfant’’ dont son œuvre fait résonner toutes les harmoniques. » Des Forêts fut toute sa vie également habité par la poésie. Ses amis et compagnons de la revue L’Ephémère se nomment Paul Celan, Jacques Dupin, Yves Bonnefoy, en plus des du Bouchet et Leiris précités. Les « voies et détours de sa fiction » emprunteront ainsi les voies royales du poème (de facture volontiers classique, voire hugolienne), en plus de la peinture. Sans jamais oublier une portée musicale pour toile de fond. Ce trio d’expressions, cette recherche pugnace de la clé qui ouvrira(it) tout, empêcheront ce « vœu de silence » majuscule qui manqua priver le lecteur de certains livres importants de Louis-René des Forêts, sommes-nous tentés d’ajouter égoïstement. L’auteur vécut si douloureusement cette « interminable expiation qui se vit dans la déchéance de survivre »... Habité par une « souffrance qui frappe si haut que la voix se retire », des Forêts lâcha : « S’imposer silence par dévotion au langage, c’est aussi comme sous-entendre que les mots sont facteurs de dévoiement. » Louis-René des Forêts fut encore l’écrivain braconnier qui pratiquait le détournement. Mais la littérature ne peut-elle pas être définie par le seul mot de détour ? C’est en tout cas ce que nous croyons fermement. A cet instant, il convient de prévenir de deux choses : des Forêts a été perçu comme « un écrivain pour écrivains ». Vous savez, cette expression commode qui permet de mettre dans un tiroir les très grands comme Julien Gracq, les maîtres, les « patrons », aurait dit Nourissier, en interdisant de facto leur accès « gratuit ». Un aveu d'élitisme corportatiste, en somme… Cela est considérablement réducteur, même si c'est extrêmement flatteur pour l’auteur qui se voit ainsi « classé ». Or, des Forêts est bien plus qu’un auteur que ses pairs respectent et  dont ils se défendent de s’inspirer (tout au plus s’en imprègnent-ils, et c’est déjà un baume, un onguent suffisants). Il ne fut pas non plus, un précurseur ou un apôtre, à son corps défendant, de l’autofiction, et encore moins un adepte de la confession narcissique. Ni La Chambre des enfants, encore moins Face à l’immémorable – belle réflexion sur l’acte grave d’écrire -, ou même Le Malheur au Lido, ne constituent des textes dont une impudeur à peine déguisée aurait guidé la plume de leur auteur. Dominique Rabaté évoque plutôt une « autobiographie extérieure » (à propos d’Ostinato), comme on peut parler, avec humour, de journal extime, dès lors que l’on décide de rendre public ses carnets… Suivant en cela la belle formule du critique Robert Kanters (nous citons de mémoire) : « Le roman et le journal intime sont comme le vêtement et sa doublure, et cette dernière est d’une étoffe si fine et si précieuse que l’on peut être tenté de porter un jour le vêtement retourné. » En lisant des Forêts, auteur fragile, nous relevons des « manières de traces », nous découvrons « le corps obscurci de la mémoire », « tout ce qui respire à ciel ouvert » (couleurs, odeurs, humeurs), là où « le temps reste à la neige, le cœur brûlant toujours d’anciennes fièvres ». Nous éprouvons physiquement l’épaisseur des silences en picorant ses livres, et nous écoutons « les sourdes vibrations de sa fièvre prise comme un fleuve dans le gel qui craque au premier souffle printanier. » Une phrase, magnifique entre toutes, suffit à circonscrire l’âme et la rigueur de la prose poétique de son auteur : « Que jamais la voix de l’enfant en lui ne se taise, qu’elle tombe comme un don du ciel offrant aux mots desséchés l’éclat de son rire, le sel de ses larmes, sa toute-puissante sauvagerie. » Qu’on ne se méprenne donc pas : des Forêts a toujours tenu son je à distance, en respectant cette pudeur essentielle qui distinguera toujours le vécu mis en prose du livre authentique. C’est ainsi que, depuis Lucrèce, une voix intérieure, « venue d’ailleurs », parfois, peut toucher à l’universel. Cela s’appelle encore la littérature. Faites passer. Léon Mazzella

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    * Avec les récents volumes consacrés à Modiano, Maupassant, Montaigne, J.-B. Pontalis et très récemment Boualem Sansal, Quarto s’affirme en effet comme une collection de « semi-poche » (« de sac », plutôt) de premier plan.

    Louis-René des Forêts, Œuvres complètes, Quarto/Gallimard, 28€.

     

  • Spécial Vins de L'EXPRESS

    images.jpegIl est paru ce matin et il est placé, comme toujours, sous la houlette de Philippe Bidalon. J'y invite à découvrir les crus communaux du muscadet (Gorges, Clisson, etc) : de grands vins blancs de garde issus de melon de Bourgogne, un cépage étonnant. Je fais part de très jolies découvertes en IGP Bouches-du-Rhône : des vins modestes, pas chers et excellents. Enfin, une troisième virée, à Gaillac cette fois, m'a permis de vérifier combien les cépages du cru brillaient, tant en blanc qu'en rouge, sur leur terroir originel. Bonne lecture.

    http://bit.ly/1JNBrcY 

    Beth Hart & Joe Bonamassa - I'll Take Care Of You (ça ira bien avec).

     

    IMG_0235.jpgIMG_0234.jpgIMG_0233.jpg

  • granTcrivain

    Capture d’écran 2015-08-15 à 13.59.11.pngChaque fois (ces temps-ci, c'est quasiment chaque jour),  cela me fait bizarre de le voir à la salle de gym (nous fréquentons la même et je ne vous donnerai pas son adresse, même sous la torture*). Un si grand écrivain** dans un corps si chétif a de quoi surprendre. Sa démarche lente, son air dubitatif devant les instruments de musculation, son short trop grand, son silence, ses regards sombres... Accepterait-il la soumission aux machines d'entretien du corps... Saisit-il ici matière à un prochain livre... Je me demande. Pour une fois, il n'enchaîne pas les cigarettes. Michel Houellebecq prend soin de lui. N'allez pas croire. 

    J'en ai rencontré pas mal, des écrivains, et je continue d'en fréquenter. Ma plus belle rencontre fut Julien Gracq. Indépassable. Là, en baskets et tee-shirt trempé de sueur salutaire (pour ce qui me concerne), je ne me sens pas prêt pour une rencontre. Lui non plus, cela semble certain. Continuons par conséquent de brûler nos calories, à force de pédaler, de ramer, de courir surplace, de rêver en dedans, tandis que notre corps exsude, exulte d'une certaine façon, et que nous observons le granTécrivain en coin. Pour la soumission, nous verrons. Plus tard. Mais je ne suis plus très loin de penser, avec Alain Finkielkraut (ce qui suit est une phrase qu'il m'a dite lorsque je l'ai longuement interviewé pour L'Express, le 11 janvier dernier), que le premier parti de France est devenu celui de la soumission... Avec ou sans Houellebecq, c'est bien vu, non?

    P.S. : je me fiche pour le moment de la (récente) polémique Le Monde ettéléchargement.jpeg Ariane Chemin / Michel Houellebecq. Lisons la série de papiers que la très talentueuse journaliste consacre à l'auteur des Particules élémentaires, à paraître dès lundi dans notre quotidien préféré, et parlons-en (éventuellement) après.

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    * Ceux qui veulent mon RIB n'ont qu'à m'écrire. Ah, mais!

    ** J'adore le lire, y compris sa poésie. Ses romans visionnaires, même s'ils prennent une gîte légère depuis peu sur le plan purement littéraire, ses essais déguisés en romans, donc, demeurent une lecture nécessaire, comme on parle de décryptage, pas à pas, de notre société mise à nu. Et c'est ainsi que Houellebecq est (plus) grand (qu'Allah).

  • Flamencoscopie

     

    flamencopulsion.jpgMarc Dubos, architecte de formation, vit dans les Landes et il est habité par l'Arte Flamenco (allusion au fameux festival éponyme qui se tient en juillet à Mont-de-Marsan). A l'instar de Jack Kerouac et de son célèbre rouleau, sur lequel il écrivit des mètres de Sur la route, Dubos possède son propre outil, la festigraph, qui lui permet de saisir sur le vif la danse (et la musique) flamenca au fur et à mesure qu'elle se déroulent devant lui, lors des spectacles dédiés. Il appelle cela la flamenscopie (nous préférons ajouter un co, ça sonne mieux). Comme les surréalistes pratiquaient l'écriture automatique, Dubos dessine, saisit sur le vif, croque à l'infini, et à une vitesse vertgineuse, quantité de dessins - jusqu'à cent par soirée -, et c'est une sélection de ceux-ci (noir sur blanc) que les éditions Passiflore proposent dans un recueil intitulé Flamenco pulsion (18€). Je me souviens du peintre taurin landais Jean Ducasse, qui vivait à Saubion (il a disparu en mai 2011), lorsqu'il dessinait à cent à l'heure, dans la tribune presse des arènes de Saint-Vincent de Tyrosse : un oeil et demi dans le ruedo, et un demi sur le papier, il enchaînait les dessins au trait sur des feuilles blanches de format A4, qu'il faisait tomber une à une à une cadence suffocante, et à la fin de la corrida, le sol était jonché de ces croquis saisis sur le vif. Dubos fait à peu près pareil, avec son festigraph, et sa patte est différente. Lui, choisit de saisir des instants, des gestes, des mouvements de danseurs flamenco, pas ceux des toreros. Une même chorégraphie déclinée sur des terrains distincts, pour exprimer à cru l'âme flamenca. ¡Olé! L.M.

     

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  • Ovide, L'Art d'aimer

    téléchargement.jpegPurée! C'est dans Ovide et ça n'a pas pris une ride. C'est splendide, mais ressenti comme audacieux, 2000 ans après. Inquiétant, non...

    Extrait : 

    Si tu veux m’en croire, lecteur, ne hâte pas le plaisir de Vénus ; sache le retarder, le faire venir peu à peu, doucement.  Quand tu auras trouvé l’endroit sensible, l’organe féminin de la jouissance, pas de sotte pudeur : caresse-le, tu verras dans ses yeux brillants une tremblante lueur, flaque de soleil à la surface des eaux… Viendront alors les plaintes et un tendre murmure, de doux gémissements –et ces mots excitants qui fouaillent le désir…

    Ne va pas, voguant à pleines voiles, la laisser en arrière ! Evite, aussi, qu’elle ne te précède : qu’un même élan pousse vos navires vers le port. Quand, vaincus tous deux en même temps, l‘homme et la femme retombent ensemble, c’est là le comble du plaisir !

    Alliance : 

    images.jpegLe Gewurztraminer Grand Cru Eichberg 2011 de Martin Schaetzel, vigneron alsacien de respect, sis à Ammerschwihr. Pour le nez généreusement fruité, aux touches exotiques (lychee) de ce grand vin de garde

    BTLE-SCZ0004.jpg(élevé en biodynamie, 15-20€). Pour sa bouche aux accents miellés. Et surtout pour cet équilibre prodigieux entre minéralité, fraîcheur, acidité et douceur extrême. La puissance et l'onctuosité mêlées, en somme. Une sorte de fading oenologique, car la longueur en bouche signe aussi sa prestance. Une invitation indirecte aux plaisirs divers du coeur de l'été. L.M.

  • Le beaujo de Piron, c'est si beau, si bon

     

    Piron_BasseDef_Les_Cadoles_de_la_Chanaise.pngIMG_3532.jpgDétente, c'est l'heure de l'apéro. Et là, tout est dit sur la contre-étiquette (lire ci-dessous), laquelle est, pour une fois, ni niaise ni superflue ou passe-partout. Dominique Piron est un orfèvre. Un champion à Morgon (avec les Foillard et autre Lapierre).

    Il propose nombre de cuvées, dont ce beaujolais simple. Un gamay
    d'une modestie confondante, qui n'exclut pas la complexité aromatique. C'est gourmand à souhait, frais, ça se croque comme des fruits rouges à pleines mains, lorsqu'on laisse le jus couler sur notre menton. Vous voyez?..

    Les Cadoles de la Chanaise, ou l'expression conviviale d'un cépage - parfois - magicien. Nous tenons là un vin de bons copains par excellence. Un vrai vin de partage. Ce beaujolais de Piron est la red star gouleyante de l'été (6,50€).

     

    ALLIANCE LITTÉRAIRE :

    Petit éloge du temps comme il va, de Denis Grozdanovitch (folio 2€), téléchargement (1).jpegcar l'auteur se moque des influences sur nos humeurs du temps qu'il fait : il s'accommode joyeusement. Il sait en effet se réjouir de la grisaille - sa description de la pluie qui tombe (la friture divine  du grand ruissellement des pluies torrentielles) est un morceau d'anthologie -, il a le mauvais temps enthousiaste, parvient à générer du bonheur au coeur de l'ennui, et du désir sans la satiété... Grozdanovitch est un philosophe au sourire large, qui cite Ellul de surcroît. Il sait faire valoir le droit poétique à ce que d'aucuns perçoivent comme négatif. C'est un poète des nuages qu'il se plait à contempler (à l'instar de L'inconnu sur la terre de Le Clézio). Avec lui, le soleil brille dans les grandes largeurs, et la pluie chantonne, fredonne, flagelle. L'auteur a appris à saisir, comme Charles-Albert Cingria, les instants de furtive éternité. C'est un ralentisseur du temps. Et son petit livre ensoleillé, une ode à tous ceux qui prêtent une attention vétilleuse aux petits riens superflus qui sont le sel de la vieFaites passer! L.M.

     

     

  • Blanchot, ou le déni

    product_9782070147083_195x320.jpgLa statue était depuis longtemps fissurée, notre admiration mise à mal, avec ce goût aigre de la déception historique, identique à celui que nous eûmes en apprenant pour Tonton (et Bousquet) d'une part, et pour, pêle-mêle : Cioran, Jünger, Heidegger, Hamsun et quelques autres comme Déon ou Chardonne. Là, tout s'effondre dans un Espace littéraire qui fut notre livre de chevet, avec La part du feu, Le livre à venir, L'amitié, Thomas l'obscur, Une voix venue d'ailleurs et tant d'autres essais brillantissimes. Maurice Blanchot fut un salaud. Il faut s'y résoudre. L'étude que lui consacre Michel Surya est implacable. Il ne s'agit cependant pas d'un procès à charge post-mortem comme le milieu sait en faire et comme la France en a le secret. Non. L'autre Blanchot, sous-titré L'écriture de jour, l'écriture de nuit (Tel/Gallimard) entreprend de dénoncer le plus froidement possible la contribution active de l'auteur de Faux-pas et de L'Arrêt de mort, à la presse d'extrême droite des années 1930 (*), en se gardant de dresser un réquisitoire, car on ne tire pas sur une ambulance et qu'à vaincre sans péril... Ce que Surya souligne, reproche et regrette surtout, ce sont les silences, les omissions, les non-dits, voire les mensonges de celui qui passe pour le représentant de la plus haute exigence littéraire, une profonde réflexion sur "la conséquence de la pensée", précise SuryaC'est ce même Blanchot qui dénonçait l'engagement nazi de Heidegger, que l'auteur de cet essai salutaire pointe du doigt - sans pour cela vouloir l'accabler. C'est la tâche de la pensée de s'emparer de ce qui la désempare. La première phrase de ce livre, douloureux au fond, résonne en nous. Cela ne doit cependant pas nous interdire de revenir aux essais et études littéraires de Maurice Blanchot, dont l'intelligence est d'un éternel vif-argent. Nous pouvons néanmoins réfléchir à la désinvolture de la jeunesse, aux ressorts troubles de l'engagement dans un sens ou dans un autre (la Collaboration contre la Résistance, par exemple - et à ce propos, relire le formidable livre de Pierre Bayard, Aurais-je été résistant ou bourreau? Minuit). Il y aurait eu le premier Blanchot, chien fou (il a 23 ans en 1930), journaliste pétainiste, puis le second Blanchot, après la Libération, qui commença à donner les essais que l'on sait. Surya condamne chez Blanchot tout d'abord le détournement du langage, puis le détournement de l'attention en la faisant porter sur l'affaire Heidegger (1984), ainsi que l'absence d'autocritique de la part du maître ès critique littéraire, quand bien même tout le monde savait depuis longtemps. S'être empêché jusqu'à L'Instant de ma mort (livre bouleversant), d'avouer l'inavouable, passe dès lors pour une faute capitale, et difficile à pardonner. L'essentiel n'est cependant pas qu'il ait berné l'intelligentsia (de gauche) française, mais qu'il ait collaboré. Toutefois, Blanchot demeure (à nos yeux), le philosophe qui sera passé de Maurras à Lévinas; et pas l'inverse. C'est déjà ça. L.M.

    (*) Maurice Blanchot ne publia cependant jamais dans les torchons antisémites que furent Je suis partout (de Drieu), ou L'ami du peuple, mais dans des périodiques comme le Journal des débats, notoirement maurrassien et xénophobe. 

    Notons enfin que Michel Surya, qui dirige la revue Lignes, a également consacré une numéro spécial à ce délicat sujet en mars 2014.

  • Lire Montaigne chaque jour, ou presque...

    téléchargement.jpeg... Procure un bien fou. Surtout avec les traductions en Français moderne dont nous disposons, et qui jamais plus ne heurtent notre lecture. Il y avait celle de Claude Pinganaud chez Arléa, il y a aussi celle d'André Lanly chez Gallimard (coll° Quarto). Grâce à ces adaptateurs de génie, Montaigne nous devient familier dès la première ligne, il est notre contemporain, il devient tutoyant, proche; c'est un ami (de la famille) de notre bibliothèque. Prenez par exemple le petit folio sagesses (à la couverture superbe, et au papier agréable parce que pas glacé), et qui rassemble quelques extraits, dont (sur) le pédantisme, la cruauté, la fainéantise et la colère, sous le titre sobre de : Sur l'oisiveté. Ce sont 120 et quelques pages de gourmandise, d'intelligence pure, de perception suraiguë, d'analyse fine et simple, de réflexion saine, bienveillante et positive. On a envie de tout souligner, de crayonner des accolades à chaque page, de relire à voix haute certaines phrases (d'ailleurs nous ne nous en privons pas), de brandir le livre et de dire au premier être cher qui passe : écoute ça! Montaigne galvanise, et ce n'est pas nouveau. Cette magie, seuls quelques écrivains la possèdent, la partagent et la transmettent avec l'auteur des Essais, grâce à leur inaltérable talent. Montaigne est sans doute le chef de cette bande de sacrés passeurs de bonheurs : ceux des mots, de la langue, de l'intelligence brillante qui possède le claquant incomparable, l'acuité qui frappe, toute cette alchimie qui donne matière à cabrer notre esprit. Les anecdotes qui illustrent le propos de Montaigne n'ont pas pris une ride, ni sur le plan psychologique, ni sur le plan politique ou géopolitique. Les vertus, les vices, la ruse, le pouvoir, la couardise, la sagesse intérieure, la violence nécessaire, le chagrin, tout est bon pour nous aider à désapprendre le mal. Alors, oui, lire Montaigne à petites doses, chaque jour de ce mois d'août, est une gymnastique qui vaut bien le dos crawlé, ou la brasse coulée. A vos marques ! L.M.

    Paraissent simultanément dans la même collection folio sagesses, Aller au bout de son coeur, de Meng zi, lequel nous instruit sur l'art et la manière de ne pas perdre son coeur, ou bien de le retrouver si nous pensons l'avoir perdu. Le passionnant Instructions au cuisinier zen, de Dôgen - qui nous apprend (avec Bouddha) à regarder un simple légume comme un être de respect. Et le grand classique Tao-tö-king, de Lao-tseu, livre sacré des deux grands V : la Voie et la Vertu.

  • Marceline Desbordes-Valmore

    images.jpegChacun connaît au moins le si poignant poème Les Séparés, grâce à l'adaptation (chantée), assez réussie, qu'en a donné Julien Clerc : 

    N’écris pas. Je suis triste, et je voudrais m’éteindre.
    Les beaux étés sans toi, c’est la nuit sans flambeau.
    J’ai refermé mes bras qui ne peuvent t’atteindre,
    Et frapper à mon cœur, c’est frapper au tombeau.
    N’écris pas !

    N’écris pas. N’apprenons qu’à mourir à nous-mêmes.
    Ne demande qu’à Dieu... qu’à toi, si je t’aimais !
    Au fond de ton absence écouter que tu m’aimes,
    C’est entendre le ciel sans y monter jamais.
    N’écris pas !

    N’écris pas. Je te crains ; j’ai peur de ma mémoire ;
    Elle a gardé ta voix qui m’appelle souvent.
    Ne montre pas l’eau vive à qui ne peut la boire.
    Une chère écriture est un portrait vivant.
    N’écris pas !

    N’écris pas ces doux mots que je n’ose plus lire :
    Il semble que ta voix les répand sur mon cœur ;
    Que je les vois brûler à travers ton sourire ;
    Il semble qu’un baiser les empreint sur mon cœur.
    N’écris pas !

    Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859), est une poétesse romantique à laquelle nombre de ses pairs ont voué un véritable culte... ambigu. Et qui perdure, car si Lamartine lui consacre un poème en 1831, la romancière Anne Plantagenet en fait un personnage de roman, avec Seule au rendez-vous en 2005. D'abord, c'est une femme qui écrit, qui défie en quelque sorte, à l'époque encore, et qui enfonce le clou en affirmant sa conscience de femme de lettres qui dérange. L'admiration est franche, mais elle souligne chaque fois la noirceur de l'oeuvre comme un fer, une indélébile marque de fabrique. Lucien Descaves la surnomme Notre-Dame des Pleurs, Stefan Zweig l'appelle Mater Dolorosa, Franz Liszt dit d'elle : elle est la femme de ses oeuvres, un pleur vivant, causant et marchant. La vie de Marceline n'est pas un conte de fées, et ceci explique en partie cela (Lucien Descaves la surnommera aussi la prolétaire des lettres). Alors, pour mieux comprendre une oeuvre poétique dense et d'une sensibilité d'écorchée que traduit toujours le vers qui fait mouche, et qui nous touche ne serait-ce que par le bout d'un seul poème, rien ne vaut un petit folioplus classiques (Gallimard). Celui-ci (concocté par Virginie Belgazou et Valérie Lagier), est intensément lumineux, tant il est éclairant. Autant sur l'auteur (la femme), que sur l'oeuvre, ou bien sur l'époque et le mouvement romantique. Nous comprenons ainsi la méfiance teintée de misogynie des poètes mâles, puis l'admiration valmorienne générale... Posthume, comme souvent. L'anthologie des poèmes est enfin judicieuse, si nous la comparons à l'oeuvre publiée en Poésie/Gallimard. Chaque volume de cette collection propose une lecture d'image, écho pictural de l'oeuvre analysée, en l'occurrence il s'agit de L'Âme de la rose, peinture de John William Waterhouse. L'éditeur précise que l'ouvrage est recommandé pour les classes de lycée : ça fait du bien de rajeunir!.. L.M.

  • Jaccottet lecteur

     

     

    téléchargement (1).jpegtéléchargement.jpegDu grand Philippe Jaccottet, désormais pléiadisé, la collection Poésie/Gallimard reprend deux volumes de critiques : L'entretien des muses, chroniques de poésie (1955-1966), et Une transaction secrète, Lectures de poésie (1954-1986). C'est le bonheur de retrouver tant de poètes classiques et contemporains, à travers le prisme d'un grand lecteur à l'acuité frappante, et à l'analyse acérée. Ce sont des lectures toniques (souvent parues ne revue, notamment la nrf), d'un poète sachant garder ses distances avec chacun de ses alliés substantiels, aurait dit René Char. Friedrich Hölderlin, Rainer Maria Rilke, Giuseppe Ungaretti, lui sont des compagnons fidèles, autant que les Francis Ponge, Yves Bonnefoy et autres André du Bouchet et Jacques Dupin, car Jaccottet a traduit les premiers, et connu les seconds. L'auteur ouvre des horizons, ne pratique pas la critique pour elle-même, mais plutôt la lecture enthousiaste et néanmoins méticuleuse, pour "donner à découvrir", pour présenter, tirer la manche du lecteur. C'est un passeur de poètes. Et ses deux recueils donnent par ailleurs envie de reprendre l'oeuvre méconnue, ou en voie d'oubli, des Alain Borne, Armen Lubin, ou Gustave Roud. Et de replonger avec délice et gourmandise dans Pierre-Jean Jouve, Novalis, Saint-John Perse, Jules Supervielle, et pourquoi pas Gongora et Maurice Scève!  L.M.

  • Mes lèvres ne peuvent plus s’ouvrir que pour dire ton nom

     

    Mes lèvres ne peuvent plus s’ouvrir

    que pour dire ton nom

    baiser ta bouche

    te devenir en te cherchant.

    Tu es au bout de chacun de mes mots

    tu les emplis, les brûles, les vides.

    Te voici en eux

    tu es ma salive et ma bouche

    et mon silence même est crispé de toi.

    Je me couche dans la poussière, les yeux fermés

    La nuit sera totale, tant que l’aube

    Et le grand jour de ta chair

    Ne passeront pas au-dessus de moi

    Comme un vol de soleils.

     

    Alain Borne (1915-1962).

  • L'affaire Pastor

     

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    Papier paru cette semaine dans le hors-série de L'Express consacré aux faits divers qui ont marqué le monde.

     

    Monaco /Affaire PASTOR 

    UN GENDRE CUPIDE

    Polar sur le Rocher : la richissime héritière de l’empire immobilier monégasque aurait été assassinée sur ordre du compagnon de sa fille.

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    Le 28 avril dernier, le dossier du double assassinat de la femme d’affaires monégasque Hélène Pastor, 77 ans, et de son chauffeur et fidèle majordome égyptien Mohamed Darwich, 54 ans, devant l’hôpital niçois L’Archet, connaît un nouveau rebondissement avec l’interpellation et le placement en garde à vue à Marseille, de cinq personnes visées par l’enquête, ce qui porte à sept le nombre de personnes mises en examen dans le cadre de l’affaire qui a secoué le Rocher en mai 2014. C’est le juge d’instruction Christophe Perruaux qui a fait procéder à ces arrestations, dans le cadre d’une commission rogatoire. Ce nouveau « coup de filet » intervient quelques jours après la reconstitution de l’assassinat, le 22 avril dernier. Les personnes interpellées seraient susceptibles d’avoir fourni des moyens, notamment en armes, aux auteurs des faits. Mais les principaux protagonistes sont déjà épinglés par les autorités depuis longtemps.

    Le 6 mai 2014, la richissime Hélène (lire encadré) et son chauffeur sont abattus, à coups de fusil de chasse de calibre 12 à canon scié et chargé de chevrotines, dans leur véhicule, une Lancia Voyager noire, en quittant l’hôpital L’Archet vers 19h, après une visite quotidienne rendue par Mme Pastor à son fils cadet Gildo, 48 ans, hospitalisé depuis quatre mois pour un grave accident vasculaire cérébral. Hélène succombera à ses blessures quinze jours plus tard, le 21 mai, en ayant déclaré ne pas savoir qui pouvait lui en vouloir à mort (son chauffeur rend l’âme le 10 mai, sans avoir pu être interrogé).

    Quelques jours après le drame, le 23 juin, une vaste opération de police conduit à l’arrestation de vingt-trois personnes supposées liées à l’affaire, à Marseille, Nice et Rennes, en particulier le tueur et le guetteur présumés, confondus par des caméras de vidéosurveillance, et des tests ADN. Ces deux auteurs potentiels de l’assassinat – au demeurant des tueurs à gage, payés 60 000 euros en tout pour accomplir leur crime -, sont Samine Saïd Ahmed, le tireur, un délinquant et trafiquant de stupéfiants marseillais d’origine comorienne de 24 ans, et le guetteur, Alhair Hamadi, voyou marseillais de 31 ans d’origine comorienne lui aussi.

    Trois autres prévenus sont particulièrement visés, qui auraient servi d’intermédiaires : un gendarme, Salim Yousouf, recruté pour être le tireur, et qui s’est désisté, non sans avoir fourni les munitions ayant été utilisées. Omer Lehoré, pour avoir recruté le tireur authentifié, et Abdelkader Belkhatir, intermédiaire entre ces deux derniers hommes.

    Au-dessus de tout soupçon

    Le dossier, aux allures de sinistre affaire familiale assortie de gros sous, se corse très vite en montrant ses atours crapuleux, lorsque l’enquête soupçonne Wojciech Janowski, le compagnon depuis vingt-huit ans de Sylvia Pastor, 54 ans, la fille de la richissime victime, d’avoir commandité l’assassinat, afin de mettre la main sur l’immense fortune de sa « belle-mère ». Le « gendre idéal » et en apparence au-dessus de tout soupçon, reconnaît bien vite son implication dans le double meurtre. Placée elle-même en garde à vue trois jours durant « pour les nécessités de l’enquête », Sylvia Pastor ne peut que déplorer d’avoir été trahie par son compagnon. Aucune charge n’est retenue à son encontre par la Police judiciaire de Nice. Le coach sportif du couple Sylvia Pastor et Wojciech Janowski, Pascal Dauriac, 46 ans, est en revanche suspecté d’avoir fomenté le piège. Le procureur de Marseille, Brice Robin le qualifie de « chef de la logistique, et de véritable organisateur du crime ». Il aurait perçu près de 200 000 euros en espèces de la part de Janowski pour ce faire, ainsi que divers cadeaux (voyages, voiture), d’une valeur estimée à 50 000 euros.

    Wojciech, 65 ans, consul honoraire de Pologne à Monaco depuis 2007, puis consul général honoraire depuis 2012, membre de la Chambre de commerce polonaise, président d’une société monégasque de nanotechnologie, Firmus SAM, spécialisée dans le traitement de l’eau, a su s’attirer la confiance du monde politique pour de prétendues activités caritatives en faveur d’associations luttant contre l’autisme -, au point d’être promu Officier de l’Ordre national du Mérite par Nicolas Sarkozy en 2010. Ce qui n’explique pas totalement que le prévenu ait observé un silence de tombe (et avant que le masque...), lors des premiers interrogatoires. La carrière du gendre de facto de la milliardaire, s’est auparavant déroulée dans le milieu de l’hôtellerie de luxe et les casinos britanniques et monégasques, comme le Grand Metropolitan, et la Société des bains de mer. Depuis, le diplomate partageait les 500 000 euros d’argent de poche mensuels que sa compagne percevait de sa maman.

    Au fil de l’instruction, il appert que le redoutable Wojciech est également soupçonné, selon des déclarations qu’aurait faites Pascal Dauriac, son ex-coach sportif, d’avoir envisagé de faire assassiner Gildo, son « beau-frère ». On le dit en effet ruiné par des affaires de rachat de sociétés en difficulté pour le compte de la Hudson Oil, une société canadienne dont il était le président exécutif, et notamment pour le non-paiement d’une raffinerie polonaise dont le prix était fixé à de 30 millions d’euros. Serait-ce un cruel besoin de tant d’argent qui aurait poussé le gendre à fomenter le funeste guet-apens ? Tandis que l’enquête se poursuit, le cupide polonais croupit, en « isolement total », à la prison des Baumettes. Léon Mazzella

     

    LA FORTUNE FACILITÉE DU CLAN PASTOR

    Ultime survivante d’une famille d’architectes italiens ayant fortement marqué le paysage urbain monégasque, en particulier Gildo Pastor (1910-1990), Hélène était la fille de Gildo et la petite-fille de Jean-Baptiste Pastor, tailleur de pierre et maçon venu de Ligurie en 1880, auquel le Rocher doit notamment d’avoir modestement participé à la construction de la cathédrale de Monaco. Propriétaire d’un patrimoine immobilier gigantesque sur la Principauté – environ 500 000 m2 d’hôtels, et de rangées d’immeubles sur les avenues les plus huppées du front de mer, là où les loyers de leurs 4 000 appartements atteignent des sommes records -, celle que l’on surnommait la « vice-princesse » en tailleur Chanel (notons que sa fille est quant à elle surnommée « Sissi »), appartenait à l’autre famille toute-puissante de Monaco, avec celle des Grimaldi. Ce fabuleux patrimoine, elle le partageait avec ses frères Victor et Michel, décédés avant elle : Victor en 2002, et Michel, qui présida aux destinées de l’A.S. Monaco, et qui est le père d’Alexandra, épouse de David Halliday, trois mois à peine avant sa sœur, en février 2014. C’est la famille princière, et surtout Rainier III, qui a  permis aux Pastor de « bâtir » leur fortune, en les autorisant à construire, à partir de 1966, quantité d’immeubles ayant vue sur la grande bleue, sur le rocher le plus cher du monde. Parfois au mépris d’un plan d’occupation de sols, et en vertu de quelque ordonnance souveraine, arme suprême monégasque. Arrangements… La fortune familiale – que l’on dit supérieure à celle des Grimaldi -, pèse entre 20 et 30 milliards d’euros. Difficile de connaître avec précision les secrets que le Rocher princier sait bien garder. L.M.

     

     

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  • Ré-aimer la France

    téléchargement.jpegUne balle de kalachnikov a stoppé net le talent protéiforme de Bernard Maris, le 7 janvier dernier, au cours d’une réunion de rédaction dans les locaux de Charlie-Hebdo, à Paris. Je ne ferai donc pas de dessin. L’auteur avait déposé cinq jours plus tôt chez Grasset le manuscrit de Et si on aimait la France. Cette déclaration d’amour à un bouquet de valeurs en danger, va passer pour passéiste et réactionnaire, aux yeux plissés des esprits chagrins. C’est pourtant, entre le Dictionnaire amoureux de la France, de Denis Tillinac (Plon), et De chez nous, de Christian Authier (Stock) – mais beaucoup plus proche du second que du premier -, d’une ode vivifiante, et propre à déculpabiliser tous ceux qui s’arrangent tant bien que mal avec leur mauvaise conscience en entretenant leur bonne (conscience) à coups de repentance, qu’il s’agit. C’est aussi un élégant coup de poing sur la table, à l’adresse du « French bashing », ce nouveau sport pratiqué surtout par les Français eux-mêmes. Ces citoyens de plus en plus portés sur l’auto-flagellation, passionnés qu’ils sont devenus par l’expiation de fautes qu’ils finissent par s’inventer ou à amplifier, tous les accrocs au prolongement de la peine, soucieux de faire durer le purgatoire ad nauseam. L'après décolonisation a encore de beaux jours devant elle. Les idées du Alain Finkielkraut de L’identité malheureuse ne sont pas éloignées de celles de l’économiste sensible, cultivé, en un mot charmant, que fut Bernard Maris.  Le dessein de son ultime livre est de tenter de redonner le sourire aux habitants de ce pays multiculturel, cette terre des Lumières et des Droits de l’homme, et dont la langue se délite, ce « pays ou Dieu est heureux », mais où l’antiracisme fait les ravages que l’on sait. Maris a écrit ce bouquin pour les désespérés drôles : les Houellebecq, Cabu, et tous les fils de Cioran et de Reiser. Le temps de cet essai libre et enchanté, il est parti tendrement en guerre contre ceux qui parlent de la France comme d’un rhumatisme, d’un mal au dos qui ne passe pas - et qui ne passera de toute façon jamais. Contre les pessimistes, les grincheux, les « aquoibonistes » et autres apôtres passifs du c'était mieux avant. Afin de redonner confiance à ceux qui n’osent même plus murmurer qu’ils aiment leur pays, il cite – c’est de saison -, les Jean Zay, Guy Môquet, Germaine Tillion, Daniel Cordier, Honoré d’Estienne d’Orves, Henry Frenay, de Lattre de Tassigny, Pierre Mendès-France, et autres membres de l’armée des ombres. Pas de Sartre, ici, « le faux résistant, le planqué de l’Occupation », mais le Camus de Combat, oui. Bernard Maris remet à l’heure ces pendules qui ont tendance à se dérégler de façon… chronique. Amoureux de la langue française comme pas deux, « Oncle Bernard » (son surnom, et son pseudo, à Charlie-Hebdo) approuve le mot de Cioran : « Mourir pour une virgule », et déplore un pays où l’on capitule facilement, et où l’on ne résiste pas longtemps. Les pages les plus sensibles du livre, sont celles rappelant que la France a inventé l’amour courtois et la galanterie. Les troubadours ont, en effet, poétiquement exacerbé le désir, en respectant toujours de façon absolue le bon vouloir de la femme et l’autorité de son corps – ce n’est pas rien, lorsque l’on songe au contrôle de soi, tel qu’il est (mal) vécu dans la religion musulmane. « La civilisation commence lorsque l’homme domine ses pulsions », écrit Maris, et « quand les mâles voient autre chose dans un femme qu’un objet sexuel ». A l’opposé de la galanterie, se situe « le respect, mot employé à tort et à travers par la racaille et les crétins », souligne l’auteur, non sans redonner ses lettres de noblesse au respect, le vrai, montrant du doigt la marée montante de l’irrespect, qui envahit notre quotidien. « La civilisation commence avec la politesse, la politesse avec la discrétion, la retenue, le silence et le sourire sur le visage. » La France n’est-elle pas le pays du culte du respect de la population féminine, et celui qui a inventé celui de l’enfant ? Avec Maris, nous flirtons alors avec la délicatesse de Proust, nous nous moquons des bobos qui sont finalement des caricatures de bourgeois assez peu bohème (lire à ce sujet Tombeau pour une touriste innocente, du regretté Philippe Murray, recommande Maris), nous réapprenons (sans aucun accent bucolique oiseux), la simplicité des paysans, cette classe sociale – le « secteur primaire » en voie de disparition, nous n’oublions pas que la lutte des classes se transforme (démographie et crise obligent) en lutte des places (le mot est de Michel Lussault, auteur de De la lutte des classes à la lutte des places, Grasset), nous savons – et  il nous est personnellement cruel de devoir nous en convaincre – que la gauche que nous aimons n’existe plus, que l’actuelle, insipide et pleutre (c’est moi qui souligne), a préféré fuir les problèmes cruciaux comme celui des banlieues et autres zones dangereuses, au lieu de les affronter avec courage. Maris agite alors le spectre terrifiant d’une forme aiguë de séparatisme, ce que Finkielkraut nomme l’échec du « vivre-ensemble », corollaire de la déliquescence du savoir-vivre (évoqué plus haut à propos de galanterie et de respect vrai), et en compagnie de l’auteur, nous nous souvenons, avec le philosophe Alain, que « le plus visible de l’homme juste et de ne point vouloir gouverner les autres ». Dans un monde de brutes, de requins, d’arrivistes (en économie comme en politique), prêts à piétiner jusqu’à leur mère pour conquérir une parcelle de pouvoir, dans ce monde ou le warrior, comme disent les adolescents, est icônisé, il est par conséquent salutaire, et apaisant, de lire Bernard Maris. Essai buissonnier, Et si on aimait la France redonne par ailleurs envie de parcourir la ville à pied, et la province en vélo, ou bien en voiture, mais slowly et vitres baissées. Julien Gracq : « Habiter une ville, c’est y tisser par ses allées et venues journalières un lacis de parcours ». Car il s’agit en quelque sorte de réapprendre la France, de se la réapproprier, de la « désinquiéter ». Le message en forme de testament de Bernard Maris sonne juste. Il exprime, en toute simplicité, la sincérité d’un homme de bien, à l’intelligence suraiguë (perchée à des années lumière, et des Bisounours, et des défaitistes), la vérité d’un homme optimiste mais pas candide, lucide et ennemi du give up, un homme qui souhaitait juste retrouver le sourire sur les lèvres des autres. Juste ça. Au lieu de quoi, le 7 janvier dernier… L.M.

  • « Adieu, vive clarté de nos étés trop courts »

     

    téléchargement (1).jpegVoilà un vers de Baudelaire qui aurait pu faire le bandeau de couverture de cette longue lettre d’amour fou, si le mot adieu n’était pas déjà contenu dans un titre à rendre jaloux nombre de romanciers. Adieu aux espadrilles (*), du délicat Arnaud Le Guern, est un roman à peine fictif (même les noms des chats, Pablo et Malcolm, sont vrais), très Nouvelle Vague, très morandien – mais sans la vitesse, et avec une touche du Henry Jean-Marie Levet des Cartes Postales. Entre les pages de ce livre, nous (res) sentons ce parfum sentimental, précieux et  léger comme la rosée du matin, l’été, au bord de la piscine, lorsqu’on s’est levé avant elle en prenant soin de ne pas la réveiller, pour aller fumer la première cigarette, tout en respirant les parfums tiédis du figuier à l’ombre bienfaisante; sous le soleil exactement. Arnaud Le Guern aime une femme, les actrices aussi, sa fille Louise surtout, l’insouciance, et les mots avec une gourmandise hussarde. Cette longue adresse est un joli pied-de-nez à la génération sms, qui dit avec tact et tendresse ce qu’aimer avec pureté veut dire. Le couple fait l’amour, se taquine sans jamais se griffer, les draps froissent, les jours passent, l’oisiveté chante sur la terrasse, les peaux se suffisent à elles-mêmes, les souvenirs affluent et repartent d’un revers de sa main à elle, afin d’empêcher toute nostalgie de surgir, et continuer de manger le présent à pleine bouche, comme on plante ses dents dans la peau duveteuse et craquante d’une pêche. Nous sommes dans Slogan, avec Birkin et Gainsbourg, nous feuilletons la sensualité pudique du Claire de Chardonne. Le couple est à des années lumière de Paris et son spectre de « rentrée » automnale. Les amoureux sacrifient avec délice au rite de l’apérotique : ils « apérotisent », dégustent un anjou de Mosse ou un rosé de Bandol, avant de s’entre-goûter. Ils ont le talent de savoir prendre le temps, mais avec Le Guern, le temps compte, se cueille, il frappe aux tempes du narrateur, et celui-ci a la délicatesse de ne jamais faire sentir le vertige de sa fuite. L’été est encore là, mais les saisons sont comme les coquelicots qui fanent dès qu’on les dépose sur le skai brûlant de la plage arrière du cabriolet. C’est « la vie comme à Lausanne » en plus souple, car « les espadrilles sont mes semelles de vent », écrit l’auteur. Jamais l’urgence n’ouvre ses yeux noirs, sauf peut-être sous le gouvernement du désir, et pourtant il plane comme une épée de Damoclès au-dessus de cette chambre d’hôtel. Qu’importe ! Les amants sont des aveugles. « Enlacés, nous laissons infuser une unique certitude : l’été, c’est l’amour une fin d’après-midi, au retour de la plage, nos corps fatigués de n’avoir rien fait, sinon nager, lire et bronzer ». Et c’est ainsi qu’Arnaud est grand. Léon Mazzella

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    (*) Le Rocher, en librairie fin août (c'est raccord!).

     

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  • Camorra sur Garonne

    Au cœur de la « mafia » bordelaise 

    téléchargement.jpegLoin d’être un brûlot à charge, comme celui qui irrita nombre de propriétaires bordelais, et qu'écrivit Isabelle Saporta (Vino business), l’enquête de Benoist Simmat, journaliste économique est un réel travail d’investigation au cœur de la Bordeaux Connection (*), soit au cœur de la « mafia » des grands crus girondins. L’auteur ouvre la boîte de Pandore en démontant pièce par pièce, après l’avoir pénétré et analysé dans les moindres recoins, un système fonctionnant en vase clos, véritable microcosme de propriétaires de châteaux, négociants, courtiers et autres acteurs-clés, devenus richissimes en sachant imposer avec maestria, et au monde entier, leurs règles en matière de goût, de prix, de marché, comme autant de lois émanant de leurs Ordres à caractère maçonnique, que sont les grandes confréries du « milieu », comme la Commanderie du Bontemps (Médoc, Graves, etc.), et l’Union (des grands crus). Car celles-ci fonctionnent, selon l’auteur, comme les plus belles machines à écouler les grands crus à l’exportation. Ainsi décrit-il comment les acteurs de cette caste ont par exemple vampirisé le marché chinois, aveuglé à coups d’intronisations et de fastueux dîners de gala à l’adresse de nombreux nouveaux multimillionnaires déjà hypnotisés par la culture française, et ont orchestré, de façon artificielle, l’extraordinaire valorisation des grands bordeaux en une poignée d’années. Les pages consacrées au « hold-up des primeurs » par les dégustations « avant-primeurs », et réservées aux membres – très influents sur les marchés -, de « l’Union », sont particulièrement savoureuses. Désignant ces « barons » de la Bordeaux Connection, que sont les Cruse, Castéja, Lurton, Mähler-Besse, Miailhe, de Boüard, Bernard, Pontallier, et une poignée d’autres seigneurs en leurs fiefs, sans oublier le clan des winemakers, Simmat note que, « tous, à leur corps défendant ou non, ont constitué depuis quelques décennies une nouvelle aristocratie des affaires aux codes centrés sur le commerce d’un ancien produit plaisir, les bouteilles de vin de bons Bordeaux, devenus des marques de luxe catapultées dans la compétition économique globale. » Qui l’eut (grand) cru, il y a vingt ans ? Cependant, devant le pschitt de la bulle chinoise auquel nous assistons, l’auteur s’interroge sur l’avenir de ces fantastiques débouchés pour l’élite de l’étiquette (notamment le club très fermé des « Premiers »), devenue spécialiste des magouilles complexes et opaques, sans s’inquiéter outre-mesure : les « têtes chercheuses » du lobby lorgnent déjà vers d’autres horizons, où se trouvent les puissances de demain, du Mexique au Nigeria. L’enquête, avant tout passionnante, est solide, émaillée de très nombreux faits et dires, chiffres et anecdotes révélatrices, mais son titre est racoleur. Il n’y a pas eu mort d’homme. Alors, de là parler de mafia, et donc de méthodes mafieuses… Certes, il y a des parrains. Mais Bordeaux n’est pas Naples, ni Chicago. L.M.

    Capture d’écran 2015-06-07 à 11.47.05.png

     

    (*) Bordeaux connection, par Benoist Simmat (First).

    Texte paru (dans une version raccourcie) dans le n° Spécial Vins de L'EXPRESS du 3 juin dernier.

  • Aurore Casanova

    db-photo-IMG_0593_GF.jpgPapier paru mercredi dans le Spécial Vins et Champagnes (juin) 2015 de L'EXPRESS. (Le sujet fait d'ailleurs la couv.)

    Aux kiosques, citoyens!

     

    LE ROSÉ DE LA BELLE AURORE

    Aurore Casanova est une toute jeune vigneronne qui produit un champagne rosé de caractère sur la montagne de Reims.

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    Au sein de la bannière fédératrice des “Champagnes de Vignerons” (du Syndicat général des vignerons de la Champagne), qui désigne une immense famille de plusieurs milliers de vignerons, offre tout et son contraire, le meilleur comme le pire. Cette diversité extraordinaire est à la fois une chance et un inconvénient. Saisissons-là comme l’opportunité de jouer à la loterie, ce risque douillet qui réserve de jolies surprises. Ainsi, du champagne Aurore Casanova. Le nom, déjà, invite à gober une huître dans le corsage d’une Vénitienne, à l’heure où blanchit la place Saint-Marc... Puisque c’est uniquement ainsi que le célèbre libertin lettré mangeait ses bivalves. Aurore Casanova est le patronyme d’une jeune vigneronne – elle est née en 1987 -,  l’âge des chardonnays de l’hectare cinquante-deux de sa propriété. Les pinot noirs, qui représentent deux tiers de la surface, sont à peine moins jeunes, puisqu’ils ont été plantés en 1968. Après qu’elle ait suivi des études d’oenologie, ce précieux terroir lui a été confié par sa mère – son père n’étant pas intéressé par le sujet. Les premiers résultats sont enchanteurs, surtout sur la cuvée de champagne rosé (le domaine propose aussi un blanc). La robe délicatement saumonée (50% chardonnay, 35% pinot noir et 15% pinot meunier), le cordon mince de ses très fines bulles, son nez vif de fruits rouges comme la fraise fraîche et juteuse, cette touche vanillée au second nez, et puis cette bouche intense, qui possède ampleur et amplitude, et où nous devinons le travail serein du chêne, en font un rosé à boire seul, pour lui-même, d’abord. 400 bouteilles (26€) à peine sortent du domaine – autant dire que l’adjectif confidentiel n’a jamais aussi bien apposé au mot cuvée. La propriété, qui s’inscrit dans une démarche environnementale et durable – Aurore Casanova s’inspire même de certains principes de la culture en biodynamie-, est située sur le vaste et beau terroir de la Montagne de Reims. Cependant, ce flacon à l’étiquette chic, où l’on devine un masque vénitien en forme de coeur percé d’yeux, goûté sur la cuisine très (trop) élaborée du chef Akrame Benallal un soir de février dernier, sait escorter avec maestria certains mets, et il excelle sur les saveurs qui ne s’en laissent pas compter, d’ordinaire. Si le rosé d’Aurore Casanova n’aime en revanche pas se fiancer avec les champignons (on le comprend), il ne déteste pas se frotter à un poisson blanc et ferme comme la lotte, Capture d’écran 2015-06-07 à 11.47.05.pngvoire sur une viande rouge très saignante ) capable de révéler sa puissance. Le rosé d’Aurore Casanova possède autant de caractère que sa jeune propriétaire, ex-danseuse classique et néovigneronne qui sait ce qu’elle veut. Léon Mazzella

    Photo : © Dominique Bruneau

  • J'avais fini par oublier ça, Hiroshima mon amour

    téléchargement.jpegCliquez, puis lisez : 

    https://www.youtube.com/watch?v=-aqFjWz41c0

    Je te rencontre.
    Je me souviens de toi.
    Qui est tu ?
    Tu me tues.
    Tu me fais du bien.
    Comment me serais je doutée que cette ville était faite à la taille de l´amour ?
    Comment me serais je doutée que tu étais fait à la taille de mon corps même?
    Tu me plais. Quel événement. Tu me plais.
    Quelle lenteur tout à coup.
    Quelle douceur.
    Tu ne peux pas savoir.
    Tu me tues.
    Tu me fais du bien.
    Tu me fais du bien.
    J'ai le temps.
    Je t'en prie.
    Dévore-moi.
    Déforme-moi jusqu'à la laideur.
    Pourquoi pas toi ?
    Pourquoi pas toi dans cette ville et dans cette nuit pareille aux autres au point de s'y méprendre ?
    Je t'en prie…

     

    images.jpegCliquez à nouveau, puis lisez : 

    https://www.youtube.com/watch?v=oPONf1fu2II

    Je te rencontre.

    Je me souviens de toi.

    Cette ville était faite à la taille de l´amour.
    Tu étais fait à la taille de mon corps même.
    Qui est tu ?
    Tu me tues.
    J´avais faim. Faim d'infidélités, d´adultères, de mensonges et de mourir.
    Depuis toujours.
    Je me doutais bien qu'un jour tu me tomberais dessus.
    Je t'attendais dans une impatience sans borne, calme.
    Dévore-moi. Déforme-moi à ton image afin qu'aucun autre, après toi, ne comprenne plus du tout le pourquoi de tant de désir.
    Nous allons rester seuls, mon amour.
    La nuit ne va pas finir.
    Le jour ne se lèvera plus sur personne.
    Jamais. Jamais plus. Enfin.
    Tu me tues.
    Tu me fais du bien.
    Nous pleurerons le jour défunt avec conscience et bonne volonté.
    Nous aurons plus rien d'autre à faire que, plus rien que pleurer le jour défunt.
    Du temps passera. Du temps seulement.
    Et du temps va venir.
    Du temps viendra. Où nous ne saurons plus nommer ce qui nous unira. Le nom ne s'en effacera peu à peu de notre mémoire.
    Puis, il disparaîtra tout à fait.

    © Marguerite Duras, Alain Resnais.

  • Résister

    Texte paru dans le hors-série La Résistance, de L'EXPRESS, actuellement en kiosque. Cours chez ton marchand de journaux, citoyen papivore, et avide de la belle Histoire de France, afin que vive la presse écrite!

    Capture d’écran 2015-05-07 à 20.32.41.png

    QUELQUES RÉSISTANTS ILLUSTRES,

    par Léon Mazzella

    Quatre d’entre eux sont entrés au Panthéon le 27 mai dernier : Germaine Tillion, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Pierre Brossolette et Jean Zay. Beaucoup furent de « grand(e)s » résistant(e)s. Voici, dressés, les portraits d’une poignée de respect.

     

     

    Geneviève de Gaulle-Anthonioz, « Gallia » (1920-2002)

    Nièce du général (elle est la fille de Xavier, le frère aîné), Geneviève de Gaulle, entre immédiatement en Résistance en 1940, choquée par le discours de Pétain du 17 juin. Elle n’a pas vingt ans. Elle ne résiste pas longtemps de façon isolée, à Rennes où elle poursuit ses études, et rejoint rapidement le futur Réseau du musée de l’Homme. Elle entre dans la clandestinité dès août 1942. Ses nombreux actes de bravoure la conduisent à acheminer du courrier en Espagne, et surtout à agir au sein du groupe Défense de la France (elle participera au journal éponyme, en signant des articles de son pseudonyme « Gallia »), aux côtés de Philippe Viannay, son fondateur, après avoir rencontré son frère Hubert dans le maquis savoyard. Mais Geneviève de Gaulle est confondue par la Gestapo en juillet 1943, est alors emprisonnée six mois durant à Fresnes, puis déportée à Ravensbrück en février 1944, en même temps que Germaine Tillion et un millier d’autres femmes résistantes ou seulement suspectes. Elle écrira La Traversée de la nuit (Seuil, 1998), pour apporter son témoignage sur l’horreur du camp - où les femmes la surnomment « le petit de Gaulle » -. Himmler lui-même veille particulièrement, de façon tactique, à cette prisonnière qui pourrait bien constituer une monnaie d’échange… Elle parvient néanmoins à quitter Ravensbrück une année après son arrivée, lorsque l’Armée rouge le libère. A la Libération, elle épouse l’éditeur d’art Bernard Anthonioz, préside l’Association nationale des anciennes déportées et internées de la Résistance (ADIR), et prend, en 1964, la présidence de Aide à toute détresse (ATD-Quart Monde).

     

    Germaine Tillion (1907-2008)

    La grande ethnologue, célèbre pour ses travaux de terrain dans les Aurès (Algérie), et qui entre au Panthéon en ce mois de mai 2015, cherche un moyen de s’engager dans la Résistance dès son retour de mission chez les Chaouia, en juin 1940. C’est naturellement le groupe du musée de l’Homme qu’elle rejoint, et où elle tissera des liens et facilitera des contacts entre résistants. Le futur « Réseau » du musée de l’Homme, animé par Boris Vildé, Paul Hauet, Paul Rivet, Anatole Lewitsky, Charles Dutheil, et Yvonne Odon, connaît rapidement les bienfaits de l’action de l’ethnologue. Lorsque le Réseau est « décapité », suite à une délation, Germaine Tillion reprend les rênes du groupe du musée en y développant ce qu’elle sait faire le mieux : l’assistance aux prisonniers de guerre, le renseignement militaire, l’information et la multiplication des contacts entre Londres et « l’intérieur », via notamment le journal Résistance. Dénoncée à son tour, elle est arrêtée par l’Abwehr, connaît la prison de Fresnes quatorze mois durant, avant d’être déportée en octobre 1943 au camp de concentration réservé aux femmes de Ravensbrück, revêtue du sinistre statut de « NN », pour Nacht und Nebel (Nuit et Brouillard), qui désigne des personnalités gênantes pour le Reich, et que celui-ci se charge de faire disparaître. C’est à Ravensbrück qu’elle rencontre Geneviève de Gaulle, ainsi que d’autres femmes rendues célèbres par leur action durant la Résistance, comme Anise Postel-Vinay, Marie-Jo Chombart de Lauwe, Denise Jacob (Denise Jacob-Vernay, sœur de Simone Veil), ou bien pour leur activisme communiste, ainsi de l’écrivaine allemande Margarete Buber-Neumann. Elle parvient le 23 avril 1945, à échapper à l’extermination programmée du camp et l’acheminement à Mauthausen. A la Libération, Germaine Tillion laisse provisoirement de côté l’ethnologie afin de se consacrer à l’étude des crimes de guerre nazis, au sein du CNRS.

     

    Jean Zay (1904-1944)         

    Avocat inscrit au barreau d’Orléans, et homme politique – il fut ministre du Front populaire, et député du Loiret -, assassiné par la Milice le 20 juin 1944, Jean Zay démissionne de ses fonctions publiques à la déclaration de guerre, en 1939, afin de servir son pays les armes à la main. Ce « rad-soc » (radical-socialiste) franc-maçon tombé très tôt dans la marmite politique, est un « Jeune Turc » actif faisant cependant figure de cavalier seul de la Résistance, au point d’avoir été seulement réhabilité en cette qualité, quatre ans après la Libération. Son nom est associé à l’affaire du Massilia. La débâcle le pousse à rejoindre ses pairs députés à Bordeaux, où gouvernement et Parlement sont provisoirement installés. Paris a été livrée aux forces d’Occupation. Proche de Pierre Mendès France, il embarque le 24 juin 1940 à bord du paquebot Massilia depuis le port médocain du Verdon, avec vingt-cinq autres parlementaires, dont Edouard Daladier et Georges Mandel, pour Casablanca, avec la ferme intention d’y installer un gouvernement français « hors-sol », et de continuer ainsi le combat. Retenus par un grève, les dissidents n’assistent pas à la prise des pleins pouvoirs de Pétain et à la fin de la IIIe République. Cet acte de « désertion en présence de  l’ennemi » vaut à Jean Zay d’être aussitôt fiché comme un « juif anti-munichois » à réduire coûte que coûte au silence… Des relents d’affaire Dreyfus bis flottent dans l’air vichyssois. Tandis que Mendès et les autres écopent de peines de prison, Zay constitue la cible antisémite idéale. Le sinistre Darnand dépêchera bientôt trois miliciens déguisés en résistants, pour l’assassiner dans un bois, en simulant un transfert de la prison de Riom (où il côtoie Léon Blum), vers le maquis. Le « déserteur », réhabilité en 1945, entrera au Panthéon le 27 mai prochain comme un grand Homme.

     

    Henri Tanguy, « Colonel Rol-Tanguy » (1908-2002)

    Militant communiste depuis l’âge de 17 ans, Rol-Tanguy est surtout célèbre pour avoir ardemment participé à la libération de Paris jusqu’à l’arrivée triomphante du Général Leclerc. Il se choisit le surnom de « Rol » en mémoire de Théo Rol, combattant des Brigades internationales qui trouva la mort sur le front de l’Ebre, en Espagne. Car, jeune ouvrier chez Bréguet à Montrouge, en région parisienne, Tanguy s’engage dans les Brigades internationales au cours de la guerre civile d’Espagne. Puis, il combat en Lorraine de septembre 1939 à août 1940. Aussitôt après sa démobilisation, il embrasse la Résistance communiste armée au sein des Francs-tireurs partisans (FTP), en qualité de responsable militaire. Il agit tour à tour en Anjou, puis en région parisienne. C’est là qu’il sabotera notamment les départs au STO par son action avec ses camarades du Comité d’action contre la déportation. Il devient par la suite chef des Forces françaises de l’intérieur (FFI) de la région Île-de-France, où il est chargé de préparer la libération de la capitale. C’est à ce moment-là qu’il rencontre Jacques Chaban-Delmas, le délégué militaire national de De Gaulle, et qui représente le Comité français de libération nationale (CFLN). Une action concertée de grande envergure commence à s’organiser conjointement avec le Comité d’action militaire (COMAC) du Conseil national de la résistance. Rol-Tanguy jouera un rôle décisif dans les journées de la fin du mois d’août 1944, en particulier auprès des policiers résistants. Il est reconnu comme ayant été le « chef de l’insurrection ». Sa signature sur l’acte de reddition des Allemands, en présence du général Von Choltitz, contestée par Leclerc, ne figure pas sur l’acte officiel. Il poursuivra une carrière militaire de 1945 à 1962, mais ses convictions communistes freineront quelque peu son avancement.

     

    Henri Frenay, « Morin », « Molin », « Charvet », « Nef » (1905-1988)

    C’est l’un des hommes-clés de la Résistance, côté droite, voire extrême-droite. Il fonde fin 1941, avec Berty Albrecht rencontrée sept ans plus tôt, le mouvement Combat, qui entend confondre toutes les sensibilités politiques afin d’être uni face à l’occupant. Combat, « organe du mouvement de la Résistance française », succède à diverses tentatives, comme celles du Mouvement de libération nationale (MLN), puis du Mouvement de libération française (MLF).  Démobilisé après la drôle de guerre, il entre tôt dans la clandestinité et change souvent de pseudo afin d’échapper à l’étau de la Gestapo. Il est l’un des artisans de la réunification des mouvements de la Résistance, comme Franc-Tireur, animé par Jean-Pierre Lévy, et Libération, d’Emmanuel d’Astier de La Vigerie. Il rencontre Jean Moulin dès 1941, reconnaît de Gaulle comme leur guide, depuis Londres. La réunification de ces entités porte un nom, le MUR, pour Mouvements unis de la Résistance. Lequel se fissure vite, Frenay souhaitant sans l’avouer l’indépendance de « son » Combat. Les relations se tendent avec Moulin, qu’il admire pourtant pour son courage et sa dévotion. En 1942, Frenay s’embarque depuis Gibraltar pour Londres, afin de rencontrer de Gaulle, qui l’apaise, mais se méfie de lui et lui préfère Moulin. Berty Albrecht – qui fut la première à ouvrir les yeux de Frenay sur lel danger nazi -, est retrouvée pendue dans sa cellule, à Fresnes, en mai 1943, le jour même de son emprisonnement. Frenay a de l’ambition, mais, en 1944, il échoue à se voir gratifié d’un poste à responsabilité au sein du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF). L’homme, marqué à la droite extrême, effectue alors un virage – qui tournera court - en se rapprochant de la jeune Union démocratique et socialiste de la Résistance, et donc de François Mitterrand. Il reproche amèrement à Jean Moulin d’avoir fait main basse sur la Résistance, avec l’éphémère CNR. Ces querelles intestines et ses rancoeurs d’hommes avides de pouvoir, ternissent quelque peu son image de « grand résistant » au-dessus de la mêlée.

     

    Gilbert Renault, « Colonel Rémy » (1904-1984)

    Son nom de résistant est associé à un important réseau de la zone occupée, la Confrérie Notre-Dame, rebaptisé plus tard CND-Castille (Confrérie Notre-Dame-Castille). Très tôt en rupture lucide avec l’armistice, il est l’un des premiers à effectuer le voyage à Londres. Chargé par le colonel Passy d’animer un réseau de renseignements en France, il créé ainsi, avec Louis de La Bardonnie, dès août 1940, l’un des premiers réseaux importants du Bureau central de renseignements et d’action (BCRA), la Confrérie Notre-Dame (non sans penser placer son action sous protection divine). Le réseau clandestin qui fournira de nombreux renseignements militaires d’importance capitale, voit le jour chez La Bardonnie, alors viticulteur à Saint-Antoine-du-Breuilh (Dordogne). Pierre Brossolette aidera considérablement le colonel Rémy à rallier syndicats et partis politiques (communiste, notamment) à la cause. Claude Chabrol réalisa en 1966 un film à partir des mémoires de Gilbert Renault, signées Rémy, dans lesquelles le grand agent secret n’hésite pas à « pardonner » Pétain, ce qui lui vaut, dès la Libération, d’être lâché par de Gaulle, qui l’a néanmoins fait Compagnon de la Libération en 1942. Renault, alias Rémy, écrira par la suite de nombreux livres sur les années noires de l’Occupation.

     

    Jacques « Chaban » -Delmas (1915-2000)

    C’est à Saint-Léon-sur-Vezère, village du Périgord noir, que se trouve le château de Chaban. Il n’a jamais appartenu à l’illustre député-maire de Bordeaux durant 48 ans (surnommé « le duc d’Aquitaine »), cinq fois ministre et même Premier ministre (sous Pompidou), et enfin trois fois Président de l’Assemblé nationale. Cependant, Jacques Delmas, se promenant en 1943 dans la région, lut le nom sur un panneau et le choisit comme nom définitif de résistant, après avoir eu celui de Lakanal (du nom du lycée de Sceaux où il étudia). Il le garda par la suite, tant et si bien que l’homme politique est surtout connu par ce raccourci de son patronyme : Chaban. En juin 1940, Jacques Delmas, sorti major de Saint-Cyr, et en poste dans la région de Nice en qualité de sous-lieutenant, supporte si peu l’idée de la défaite qu’il entre en contact avec la Résistance dès le mois de décembre. Bien qu’il souhaite ardemment rejoindre la France libre, il est affecté à la Résistance intérieure, en intégrant les rangs du Comité financier de la Résistance (COFI). C’est en tant que haut-fonctionnaire (il a fait droit et Sciences po avant Saint-Cyr), qu’il travaille auprès du Ministre de la Production industrielle (du second gouvernement de Pierre Laval), et n’a de cesse d’alimenter la France libre en informations précieuses d’ordre économique, via le réseau de renseignements « Hector ». Le futur compagnon de la Libération qui jouera un rôle central au moment de la libération de Paris, devient vite, et sur recommandation appuyée auprès du général de Gaulle – dont il deviendra un fidèle et proche collaborateur -, le plus jeune général (de brigade) de l’armée française depuis le Premier empire, ce en 1944 et à l’âge de 29 ans, après avoir été nommé délégué militaire national.


    Jean-Louis Crémieux « Brilhac » (1917-2015)

    Mort le 8 avril dernier à l’âge de 98 ans, il fut responsable de la communication de la France libre : tour à tour secrétaire du Comité exécutif de propagande, et chef du service de diffusion clandestine de la France libre, il prendra fréquemment la parole au micro de Radio Londres, de 1941 à 1944. Mobilisé en 1939, il part combattre sur la ligne Maginot,  est prisonnier durant un an et demi en Allemagne, s’évade d’un stalag de Poméranie, fuit en URSS, où il connaît encore la prison, puis il est libéré en juin 1941 lorsque la France libre et l’Union soviétique deviennent alliés. Il rallie Londres en septembre de la même année, et Jean-Louis Crémieux (neveu du critique littéraire Benjamin Crémieux), prend alors le pseudonyme de Brilhac, qu’il conservera, en s’engageant dans les Forces françaises libres, les FFL. Historien de référence de la seconde guerre mondiale, auteur (une fois prise sa retraite) de nombreux ouvrages, notamment Ici Londres. Les Voix de la liberté (La Documentation française), Les Français de l’an 40, ou encore La France libre. De l’appel du 18 juin à la Libération (Gallimard). Crémieux-Brilhac a également cofondé la Documentation française, qu’il dirigea. Grand-croix de la Légion d’honneur, fut enfin conseiller d’Etat.

     

    Joseph Kessel, « Joseph Pascal » (1898-1979)

     Son neveu se nomme Maurice Druon, et à eux deux, à la demande de Germaine Sablon, amante de Kessel et chanteuse de son état, ils composent dans un pub londonien « Le Chant des partisans » le 23 mai 1943, sur une musique composée par Anna Marly. On connaît la suite : cette mélodie chante dans nos oreilles en générant toujours autant d’émotion ; aujourd’hui. L’auteur de « L’armée des ombres » (dont Jean-Pierre Melville fera une poignante adaptation cinématographique), est Résistant dans l’âme. Allergique au fascisme comme au communisme, il devient au fil du temps le grand reporter et le romancier de talent que nous savons.  Après avoir refusé de rejoindre le mouvement Libération, malgré l’insistance d’Emmanuel d’Astier de La Vigerie, il choisit de rejoindre le réseau Carte, ce peu après l’armistice, car Maurice Druon s’y trouve aussi. Ensemble, ils iront à Londres et s’engageront dans les Forces aériennes françaises libres (FAFL), l’armée de l’air de la France libre, affiliée à la Royal Air Force (RAF), et où l’on trouve Romain Gary, Pierre Clostermann, ou encore Pierre Mendès France. Juif, il se voit interdire d’exercer sa profession de journaliste, notamment à Paris-Soir. Il publiera néanmoins ses reportages à chaud, dans France, journal anglais de la communauté française. Une autre façon de résister.

     

    Missak Manouchian (1906-1944)

    Il est le plus célèbre des dix résistants communistes d’origine étrangère qui figurent sur la fameuse « Affiche rouge », que les Allemands avaient collée un peu partout sur les murs des grandes villes françaises. Le poète arménien Manouchian (rescapé du génocide organisé par l’Empire ottoman), doit apparaître avec ses camarades comme de dangereux terroristes bolcheviques, afin de jeter l’anathème sur la Résistance. Du moins, c’est ce que la propagande nazie espère. L’effet escompté est l’inverse. Militant et directeur, avant la seconde guerre, d’organisations liées au communisme, comme le Comité de secours pour l’Arménie (HOC), puis l’Union populaire franco-arménienne, ainsi que la Main d’œuvre immigrée (MOI). C’est au sein des Francs-tireurs et partisans français (FTPF), liés au PCF, que nous le retrouvons, puis aux FTP-MOI, branche étrangère (armée) des FTP. Il pilote de nombreuses opérations de sabotage et des attentats, notamment celui qui coûta la vie, en 1943, au général Julius Ritter, responsable du recrutement pour le STO. Les Brigades spéciales de la police française arrêtent Manouchian en novembre de la même année. Il est torturé. Son procès, expéditif, le condamne à mort. Avec vingt et un autres militants, Manouchian, est fusillé le 21 février 1944 au Mont-Valérien.

     

    IMG_3511.jpgRené Char, « Capitaine Alexandre » (1907-1988)

    Nombreux sont les écrivains et artistes qui rejoignent la Résistance. S’il ne faut retenir qu’un seul poète parmi eux, emblématique, c’est l’immense poète René Char que nous consignons dans ces pages. Responsable du maquis de la Durance, basé à Céreste (Alpes-de-Hautes-Provence), il y écrira, « dans la tension, la colère, la peur, l’émulation, le dégoût, la ruse, le recueillement furtif, l’illusion de l’avenir, l’amitié, l’amour », les Feuillets d’Hypnos, 1943-1944 (Gallimard), ses notes de maquis dédiées à son ami Albert Camus, qui est alors l’âme du journal Combat, et qui constituent un recueil de fragments en prose poétique, rédigés entre « fureur et mystère ». Un classique des temps modernes. « Ces notes marquent la résistance d’un humanisme conscient de ses devoirs, discret sur ses vertus (…) et décidé à payer le prix pour cela », déclare-t-il. En magicien de l’insécurité, Char se livrera à de multiples sabotages d’envergure, au sein des Forces françaises combattantes (FFC), ainsi qu’à la protection de tous ceux qui fuient le STO dans sa région d’influence. Rebelle et intégralement engagé dans l’action, le poète à la sérénité crispée rejoint Alger, où l’état-major interallié l’envoie en 1944. Et combat sans relâche l’occupant, dès son retour ; jusqu’à la Libération. (Photo : peinture d'EkAT, d'après photo. © Coll. part. /L.M.).

     

    Honoré d’Estienne d’Orves, « Châteauvieux » (1901-1941) 

     

    Marin de la Royale – capitaine de corvette à vingt ans -, après avoir fait l’X, Honoré d’Estienne d’Orves possède un tempérament d’aristocrate, très « drapeau blanc », qui force le respect. Ne supportant pas le discours du 17 juin de Pétain, il s’empresse de rejoindre Londres deux mois plus tard, et rencontre de Gaulle en septembre. Affecté naturellement au sein des Forces navales françaises libres (FNFL, 2e bureau, chargé des renseignements), il regagne le sol français et participe à la création du réseau de renseignement et de liaison radio « Nemrod », avec notamment Maurice Barlier et Jan Doornick. Trahis en janvier 1941 par un jeune radio de leur propre équipe, Alfred Gressler, d’Orves est arrêté par la Gestapo le 21 à Nantes, avec vingt-cinq autres résistants. « Nemrod » est démantelé. Emprisonné à Fresnes, il est exécuté le 29 août au Mont-Valérien, après le rejet d’une demande de grâce, avec ses principaux « complices ». Au cours de son procès en Cour martiale, Honoré d’Estienne d’Orves endossa toute responsabilité, afin de tenter de sauver ses compagnons, mais en vain.

  • Eros-ion

    Voici ce que le regretté Jacques Lacarrière écrivait, dans le magazine Senso, à propos d'une colline familière, située derrière chez lui, en Bourgogne :

    Les collines sont l'oeuvre du ciel et non celle de la terre, filles naturelles de l'érosion. Ce mot a mauvaise réputation, je sais, car il est synonyme d'effritement, délitement, délabrement, vieillissement, voire sénescence. Bien à tort. L'érosion n'est pas seulement un phénomène naturel mais un acte d'amour. Oui, un acte d'amour. N'a-t-on donc jamais remarqué que ce mot débute justement par la syllabe Eros qui signifie l'Amour? L'érosion est lotion d'amour que le ciel répand sur les hauteurs et les cimes excessives, un massage, une attention des eaux, une caresse répétée des vents, tout un savant, méticuleux, minutieux polissage des saillies inutiles, des élancements dévoyés, des entassements sauvages qu'il s'agit de domestiquer. L'érosion aplanit les aspérités, adoucit les oppositions, égalise les affrontements, en un mot apaise et abaisse en les polissant l'ardeur et l'âpreté des élans primitifs. Chaque colline eut ainsi son histoire et son aventure érosives, son long concubinage avec l'air et les eaux.

  • Spécial Vins de L'Express

    Il est paru ce matin, avec l’hebdo. 100 pages de plaisir, placées sous la houlette de Philippe Bidalon, auxquelles nous avons ardemment collaboré. Cours vite au kiosque le plus proche, citoyen papivore et amateur de bonnes bouteilles, afin que VIVE LA PRESSE ECRITE!

    IMG_3490.jpgA lire, notamment, des papiers sur le crowdfunding et le vin, les Bordeaux primeurs, un tour de France des vignobles (nous avons abondamment traité la Loire, l'Alsace, le Sud-Ouest, la Champagne, et pas que), les livres, l'Armagnac, les rosés de l'été (tant de flacons dégustés pour une sélection drastique et à haute valeur ajoutée garantie par nos papilles réunies), et encore bien d'autres réjouissances, dans ce numéro très spécial, très goûteux, très gouleyant, salivant, soiffard parfois, profond aussi, sincère toujours.

  • Vivement Nîmes

     

     

    Capture d’écran 2015-05-22 à 11.29.43.pngQuelles affiches, por dios!.. Un mano a mano Morante de la Puebla - El Juli cet après-midi (avec des Garcigrande), une mixte (!) dimanche matin, avec Pablo Hermoso de Mendoza à cheval (2 toros de Fermin Bohorquez) et Enrique Ponce à pied face à 4 autres toros (notamment un Victoriano del Rio), et l'après-midi, c'est le retour à Nîmes des Victorino Martin! Avec deux spécialistes des toros compliqués, voire durs : Rafaelillo, et Manuel Escribano (ce dernier a triomphé à Séville, il y a deux ans), et enfin Paco Urena, qui confirmera son alternative... Et qui a gracié un Victorino l'année dernière. Cela promet - et nous serons dans les gradins (pour les Victorino seulement). "Vivement dimanche!", dirait Miguel El Drouquér II.

    Et vive les vins des Costières de Nîmes, qui organisent ce week-end de fiesta et de feria, aux bons soins de l'agence lyonnaise Clair de Lune. A suivre, pour le compte rendu de la corrida, et surtout des dégustations.

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  • Zanzibar

    Papier paru ce matin dans L'Express, sur Zanzibar, où je me trouvais à la fin de l'été dernier :

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    Il y a des noms qui propulsent dès qu’on les prononce : Samarkand, Tombouctou, Zanzibar possèdent le génie du lieu entre leurs lettres. Ces mots font rêver, et refilent illico une envie d’y aller voir. Alors nous y sommes allés – voir.

    Zanzibar:Mazzella2.JPGZanzibar:Mazzella8.JPGZanzibar:Mazzella11.jpg

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    Si l’archipel tanzanien de Zanzibar (de l’arabe Zinj el Barr : « le pays des Noirs »), désigne trois îles : Unguja, Pemba et Mafia, c’est la première, appelée simplement Zanzibar, qui se visite en priorité, en partant de Dar es Salaam à bord d’un petit avion, ou mieux, par bateau depuis Bagamoyo – « là où meurt mon cœur », en Swahili, petite ville côtière qui fut jusqu’au XIXe siècle la base arrière de Zanzibar, alors plaque tournante du commerce des épices – et notamment du clou de girofle -, de l’ivoire et des esclaves. Stone Town, la capitale zanzibarite, est plus connue sous le nom de Zanzibar City. Cette splendide petite cité, dont l’architecture a subi tour à tour les influences portugaise, allemande, arabe et anglaise, est un lacis de ruelles très étroites, un éparpillement de palais délicieusement décatis, et de marchés aux épices et aux poissons qui enrichissent durablement notre mémoire olfactive. Quelques monuments comme The house of Wonders (la maison des Merveilles), ou le Fort arabe, et les jardins Forodhani, envahis chaque soir d’échoppes proposant des grillades de poissons, justifient une à deux journées de visite, avant de filer vers l’extrême nord de l’île, à une soixantaine de km de là (une heure en voiture, le double en « daladala », le bus local), aux seules fins d’avoir l’Océan indien pour horizon turquoise, en un lieu inouï et loin de tout tumulte, où chacun est prié de laisser ses tracas sur le perron d’un Lodge accorte.

    Zanzibar:Mazzella10.JPGIl n’en manque pas, de part et d’autre du  « mnarani » (phare, en Swahili), sur ce long cordon de plages de sable blanc, où une mer d’une extrême transparence se retire loin, et où, dès l’aube, les femmes pêchent à pied, poulpes, crustacés et divers poissons aux tons chatoyants, échoués dans des vasques rocheuses. A quelques centaines de mètres, une barrière de corail arrête les vagues et offre un contraste de bleus empruntés à une toile de Nicolas de Staël. A pied (plus ou moins) sec, il faut zgzaguer sur un sol hérissé d’oursins aux longs piquants – nul ne les ramasse – et parsemé d’énormes étoiles de mer rouge sang et noir qui semblent issues d’une pluie céleste. L’expression un brin ridicule : « plonger dans la carte postale », vient inévitablement à l’esprit, quoiqu’on s’en défende, en ce « Finisterre » d’une île au nom mythique. Le village de Nungwi, dont la pauvreté contraste avec le luxe des Lodge, comme dans tant d’endroits du monde, possède une curiosité, à même la plage : il s’agit d’un très artisanal chantier naval, où sont fabriqués des « dhows », ces boutres en bois et à une seule voile qui cabotent paisiblement sur ces côtes depuis des siècles. On embarque facilement à bord de l’un d’eux pour quelques dollars, afin de faire une grande balade au-delà de la barrière de corail, escorté par des dauphins, ou de pousser jusqu’à l’île de Mnemba voisine (et privée : elle appartient à Bill Gates, ainsi qu’à la chaîne sud-africaine de Lodge luxueux &Beyond), pour plonger avec masque et palmes dans ce Parc National marin, voire de lancer une ligne à la traîne, au retour, si le vent gonfle fort la voile, tout en observant les pêcheurs, de l’eau à la taille, tendre un grand filet circulaire et meurtrier. Léon Mazzella

     

    ON THE ROCK

    Zanzibar:Mazzella15.JPG« Tout homme se doit d’avoir un jour une bouteille à son nom dans un bar de Zanzibar », déclare Mezz Mezzrow, personnage de Tous les bars de Zanzibar, roman de David McNeil (Gallimard). Si l’on souhaite pousser le bouchon de la sorte, autant le faire dans le bar-restaurant le plus insolite de l’île, The Rock, situé devant la plage de Michamvi Pingwe, sur la péninsule de la côte sud-est (à moins d’une heure de route de Nungwi, et autant de Stone Town). Cette  cabane cernée d’arbustes, occupe la totalité d’un rocher que l’on atteint à pied, ou bien en barque à marée haute. Le coucher de soleil y est anthologique, l’espadon mariné, comme le barracuda braisé, généreusement épicés. Il ne reste alors plus qu’à signer un flacon pour que la vie soit un roman. L.M. 

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    Photos : © L.M.

    Lire : Tanzanie & Zanzibar (Bibliothèque du voyageur, Gallimard)

     

  • Bestiaire parisien

    Humeur matinale

    Je pensais un peu naïvement que l’espèce la plus répandue, à Paris, était le pigeon, ce biset malade et dégénéré, lesté de plomb gazeux et nourri aux déchets et autres excrétas. Puis, je me suis vite aperçu que c’était le blaireau. Ca court les rues, et les trottoirs. Talonné, en nombre, par le requin. Lequel est suivi de près, dans mes statistiques, par le vautour. Lorsque je note la présence de vautours, j’observe une colonie de faisans dans un périmètre proche – c’est la logique de la prédation. Il faut que ça vampirise pour exister, ces bêtes-là. Dans certaines zones où  le maquereau abonde, la morue n’est jamais loin, en nombre conséquent elle aussi. Il s’agit là de logique de dépendance, un peu comme la chienne alimentaire (jamais loin de son maître). La bécasse gazouille bruyamment dans les magasins de prêt-à-porter, où passent des musiques insultantes pour les tympans moyens. J’ai noté, encore, la présence de plus en plus arrogante de corneilles noires toujours plus nombreuses et adaptées comme c’est pas permis (mais ça, c’est une vraie observation ornithologique, pas une blague). Et puis non ! L’espèce la plus répandue, dans cette ville de petit Noé, c’est vraiment le mouton. Je ne vous dis pas… Je ne vous dis pas ce que je ramasse chaque jour, et aux mêmes endroits, de surcroît ! A croire que le mouton se reproduit mieux que le lapin (encore un mythe, ça, comme la bécasse – qui est en réalité un oiseau intelligent). Ici, là, puis là aussi, derrière une porte – que dis-je : derrière chaque porte. Sur les étagères, sous le machin, dans l’encoignure, et là aussi, partout, partout les moutons prospèrent. En tas, en boule, en agneaux filamenteux, en trainées, en gros tas (ah, là, c’est ma faute : je n’avais pas soulevé le lit depuis des lustres), et ça sort, et ça se pose, et ça se tient chaud, ça créée des groupes, et allez ! Groupir, groupir, on dirait qu’ils veulent à tout prix être au cœur du selfie. Et ça vient de nulle part – mais oui, d’ailleurs, ça sort d’où, tout ça, vous le savez, vous ? Y’en a, mais y’en a…. Un courant d’air et ils se carapatent, en plus. Ils détalent. Le balai, l’aspi (pratique pour les selfies spéciaux), l’huile de coude, n’en peuvent mais. Ca revient le lendemain. C’est le rythme. Quotidien. Certes, l’homme n’est que poussière. « D’où l’importance du plumeau », me souffle Alexandre Vialatte. Quand même. J’aimerais me sentir moins berger lorsque je rentre chez moi. Pas vous ? L.M.

     

  • Lire Dupin, le matin

    Capture d’écran 2015-04-27 à 11.34.39.png"Te gravir et, t'ayant gravie - quand la lumière ne prend plus appui sur les mots, et croule et dévale, - te gravir encore. Autre cime, autre gisement."(...)

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    (...) "La nuit écrit. Élargissant l’espace, extravagant la page, pulvérisant le cercle de pierres. Et enrôlant la mort. On lui doit un surcroît de force, et l’aggravation du silence. On lui doit de toucher l’extrême fond de la faiblesse, et la cime de nos plissements."

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    "Nous n’appartenons qu’au sentier de montagne
    Qui serpente au soleil entre la sauge et le lichen
    Et s’élance à la nuit, chemin de crête,
    À la rencontre des constellations."(...)

    Jacques Dupin (1927-2012).

  • Avant-première

    Les sites de vente en ligne annoncent déjà mon prochain livre, qui paraîtra fin août : Dictionnaire chic du vin (Ecriture), c'est 350 pages serrées d'hédonisme, de sérieux et de déconne, d'éloge du bien-vivre et du sang de la vigne - et ses inséparables connotations littéraires, musicales, sensuelles. Voici un aperçu capturé sur le site de la fnac : 

    Capture d’écran 2015-04-14 à 08.42.30.png(avec une belle faute d'orthographe -ZZ- sur la couv. provisoire)
    Capture d’écran 2015-04-14 à 08.48.16.png

  • Vietnam / Baie d'Along

     

     

    Capture d’écran 2015-03-25 à 09.15.30.pngPapier paru dans le hors-série de L'ExpressC'était l'Indochine... Toujours en kiosque. Pour que Vive la presse écrite! 

    NAVIGUER SUR LA SOIE VERTE

    Bercée de légendes et sillonnée bar des bateaux de croisière à longueur d'année, la baie d'Along est d'abord l'une des merveilles naturelles du monde. Sa découverte frappe durablement chaque voyageur.

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    La huitième merveille du monde, disent les Vietnamiens, qui voient défiler trois millions de touristes, chaque année, dans cette partie du golfe du Tonkin où, sur une superficie d’environ 1 500 km2, 1969 pitons rocheux escarpés et karstiques, inhabités pour la plupart, et au total 3 000 îlots de toutes tailles, ont valu à ce site internationalement connu,  lieu de pèlerinage obligé et d’une beauté époustouflante, d’être classé une première fois au patrimoine mondial par l’Unesco en 1994, puis en 2000, pour la richesse de sa biodiversité. L'écrivain Olivier Frébourg définit la baie comme « le lieu commun du Vietnam, son slogan publicitaire » (*).

    Ha Long, « le dragon qui descend », rappelle une légende. Celle de cet animal mythologique, bienfaisant au Vietnam, qui, tiré brutalement de son sommeil, aurait plongé dans la mer et avec les battements de sa queue gigantesque, aurait taillé la montagne en pièces et en îlots, creusé des vallées profondes et des crevasses que la mer de Chine aurait ensuite comblées et sculptées. Puis, le dragon aurait trouvé l’endroit si beau qu’il choisit d’y demeurer. Les jours de brume – fréquents dans la baie, ils augmentent singulièrement son mystère et sont peut-être préférables aux jours de grand bleu -, les  guides vietnamiens veulent encore voir les écailles dorsales de la créature légendaire dans la silhouette sibylline de certains pitons. A chacun son monstre du Loch Ness. La mythique tarasque d’Along est ainsi l’occasion de conduire des touristes sur des sampans dans une zone de l’immense baie, réputée propice à l’apparition du dragon.

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    Poésie et géologie

    Des quatre villages de pêcheurs que compte la baie, Van Gia et ses habitations flottantes est le plus ancien. Aujourd’hui encore, y flottent de véritables maisons bâties sur de vastes coques plates, qui font office d’épiceries, notamment. Certains sampaniers, ou pêcheurs de ces villages racontent leurs mésaventures imaginaires, décrivant avec force détails qu’ils furent témoins du jaillissement de la queue du dragon, longue d’une trentaine de mètres, qui retomba si violemment sur l’eau que toutes les embarcations alentour faillirent chavirer. L’aura de poésie dont le site est nimbé semble infinie, en particulier lorsque une jonque glisse en silence, la nuit, ou bien à l’aube, entre ces îlots élancés comme des pains de sucre, et dont certains portent des noms d’animaux : le Chien, la Tortue, le Crapaud, la Guêpe, le Lièvre, la Libellule... D’autres ont des noms plus féériques, donnés pour la plupart par les Annamites et, à leur suite, par les officiers de Marine et les cartographes français : l’Île brûlée, le Salacco, les Pleurs, les Deux-Frères, le Colosse, le Sabot, la Vis, le Nègre… D’ailleurs, le nom même d’Along (ou Ha Long) serait dû aux Français, et il serait apparu sur les cartes maritimes au XIXe siècle, en remplacement de celui de (mer de) An Bang. Notons aussi que « Halong » désigne l’une des trois civilisations préhistoriques vietnamiennes (du post-paléolithique au post-néolithique), avec Hoa Binh et Bac Son.

    Les géologues, bien moins poètes que les pêcheurs ou que les officiers de la Royale, se limitent à expliquer l’apparition de ces reliefs karstiques par l’érosion de fonds marins calcaires, vers la fin de l’ère primaire, soit il y a 500 millions d’années – une paille ! La haute mer englobait alors la baie, qui sédimenta considérablement. Puis, les mouvements intempestifs de la croûte terrestre associés au retrait consécutif de la mer, ont fait émerger ce « champ » karstique (le plus grand du monde), et l’ont exposé au grand air, donc à l’érosion, aux caprices du temps, aux effondrements et autres fractures des sols sous-marins.

    Une autre légende prétend que l’empereur de Jade aurait demandé à la Princesse duIMG_8588.JPG ciel, le dragon Mère, de protéger le peuple Viet en bloquant la baie, afin de stopper d’incessantes invasions. L’animal mythique auraient alors craché quantité de perles et de pierres précieuses qui se seraient transformées en pitons rocheux au contact de l’eau, créant ainsi un fragile rempart de défense en forme de muraille ajourée et éparpillée. Car les « envahisseurs du Nord » n’ont jamais cessé de pénétrer le Vietnam par la baie fantastique – la Chine est proche, et la province de Quang Ninh, à laquelle appartient la baie, est frontalière de l’empire du Milieu.

    Des grottes et des calamars

    Le fondateur de la dynastie Dinh, Ngo Quyen, crut mettre un frein définitif aux IMG_8522.JPGinvasions chinoises, au Xe siècle, en coulant une bonne partie de leur flotte dans la baie. Plus tard, c’est un héros vietnamien toujours idolâtré, Tran Hung Dao, qui battit en 1288 le petit-fils de Gengis Khan, Kubilai Khan, en poussant ses nombreuses jonques mongoles vers un astucieux champ de pieux effilés et dissimulés dans l’eau, à proximité de la fameuse grotte des Merveilles, appelée aussi justement la grotte des Bouts de bois (Dau Go), et à proximité de laquelle il n’est pas rare d’observer des singes en nombre, dissimulés mais bruyants, dans la végétation luxuriante des pitons verticaux.  D’aucuns prétendent d’ailleurs que des restes de ces jonques yuans-mongols qui se sont empalées, sont encore visibles autour des redoutables pieux. Il faudrait plonger pour le vérifier.

    Puis, Along devient un repaire de pirates fort difficile à combattre, eu égard au labyrinthe flottant constitué par ces pitons garnis de grottes et de criques secrètes. La baie retrouve un peu de paix lorsque la Royal Navy montre ses muscles, dans les années 1810, et en chasse les pirates. En 1883, l’arrivée des premiers corps expéditionnaires français chargés de pacifier le Nord de l’Indochine, apaisent pour un temps ce paysage qui semble avoir été créé pour figurer la sérénité, et cette étendue d’eau comme une « soie verte », dit encore l’écrivain amoureux du Vietnam Olivier Frébourg ; de cette soie dont on fabrique le ao dai, la robe traditionnelle qui procède de l’élégance des femmes vietnamiennes. 

    Entre autres curiosités au sein de l’immense baie que l’on traverse sur l’un des nombreux bateaux consacrés aux mini-croisières, la grotte des Surprises (Sung Sot) est la plus impressionnante de toutes. Deux immenses « salles » figurent un théâtre pour la première, avec ses innombrables concrétions : stalactites et stalagmites géantes ; et un immense jardin intérieur pour la seconde, pourvu d’un lacis de roches de toute taille et de petits plans gorgés d’une eau vert émeraude, et autres vasques naturelles. La grotte, ou caverne du Palais céleste (Thien Cung) n’est pas en reste. Une légende raconte qu’un mariage y fut célébré, entre une jeune femme, May (nuage) et le prince Dragon. Sept jours et sept nuits durant, de petits dragons dansaient parmi les stalactites, des éléphants gambadaient et deux lions jouaient à se poursuivre. May eut ensuite cent enfants, pas un de moins, qu’elle éleva dans cette grotte même. La légende s’appuierait sur des scènes qui auraient été fossilisées dans la roche, mais dont on ne trouve évidemment pas trace, les grottes d’Along n’étant pas ornées.

    IMG_8552 - Version 2.jpgAujourd’hui, si un tourisme de masse conduit chaque jour des centaines de voyageurs venus du monde entier (de plus en plus de la Chine voisine), depuis le port d’embarquement de Bai Chay, qui n’a rien de bucolique mais plutôt des allures mécaniques et industrielles, si les phoques et les dauphins se raréfient dans cette partie du golfe du Tonkin – comme partout ailleurs -, si les bateaux de croisières déguisés en jonques de bois plaqué et aux voiles factices, sont parfois à touche-touche sur la « soie verte » de ce somptueux paysage, il nous est encore permis, la nuit, lorsque la jonque est au mouillage, de pêcher avec les membres de l’équipage des calamars « à la turlutte » (à l’aide d’une ligne hérissée d’hameçons que l’on agite de bas en haut), car ils sont encore nombreux dans l’eau trouble d’Along, et délicieux, correctement saisis a la plancha. C’est l’une des joies simples et secrètes que procure la huitième merveille du monde. Léon Mazzella

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    (*) Vietnam, par Olivier Frébourg, photos de Nicolas Cornet (Chêne, 2004)

     

    LA BAIE D'ALONG TERRESTRE

    IMG_8135.JPGDans le delta du fleuve rouge, la province de Nin Binh  - avec la ville éponyme et sans attrait, en son cœur -, située à une centaine de kilomètres au sud de Hanoi, est surnommée la « baie d’Along terrestre ». Avec des joyaux naturels comme Tam Coc, Van Long, la réserve naturelle de Pu Luong,  Trang An, ou encore ses villages Hang, la baie d’Along terrestre est un délicieux contrepoint à la célébrissime voisine, car elle permet de visiter l’intérieur de terres toujours très humides du Nord-Ouest, et de glisser, à bord d’un thuyen (barque en bambou tressé et goudron), sur un bras d’eau bordé de prairies vertes piquées de hérons blancs, et d’entrer de cette manière dans des grottes saisissantes de silence.

    La baie d’Along terrestre est un havre de 1 400 km2 de zones naturelles protégées, d’une grande richesse faunistique et faunique, et riche de larges plaines irriguées de rizières et bordées de montagnes abruptes. Van Long, entrelacs paisible composé de petits villages où l’on circule encore majoritairement en char à buffles et, bien sûr, en bicyclette, de rivières, de champs plats comme la main, de grottes – notamment la célèbre Ca, couverte de stalactites et dont les eaux grouillent de tilapie (poisson-chat) -, constitue la zone la plus « bio diversifiée » du pays, avec pas moins de 3 500 hectares protégés par des digues.

    Si les montagnes avoisinantes recèlent sangliers, ours et, même, quelques panthères, àIMG_8146.jpg leur pied, prospère un paradis des zones humides, des orchidées sauvages et des échassiers comme l’aigrette, le héron bihoreau ou le jacana, dans une atmosphère dont le calme suggère l’estampe. Cette partie de la baie d’Along terrestre est talonnée, dans le cœur des vietnamiens épris de nature préservée, par les beautés – certes moins sauvages - de Tam Coc. Cette cuvette entourée de pitons calcaires tombant à pic, et aux formes parfois étranges rappelant des visages, est aussi appelée « la baie d’Along sur rizières ». Une balade en barque à godille vers l’une des fameuses grottes du site (Tam Coc signifie « trois grottes »), propulse le voyageur dans l’atmosphère du film Indochine en trois coups de perche.

    Autre curiosité : en naviguant sur la rivière Ngo Dong, il n’est pas rare de croiser des femmes pêcheurs à bord de leur thuyen individuel, qui manient les rames avec leurs pieds nus, et gardent ainsi les mains libres pour tirer leurs lignes. Confondant. L. M.

     

     

     

    LE CHARBON DE LA DISCORDE

    La Société française des charbonnages du Tonkin, entreprise très prospère pendant l’époque coloniale, exploitait à outrance les mines de houille de la baie d’Along, en concurrence – comme toujours -, avec les Chinois depuis 1865. De sinistre mémoire, elle s’enrichit aux dépens de milliers de coolies vietnamiens qu’elle traitait comme des esclaves à peine payés et soumis à rude épreuve. Créée, en 1888, sur la concession de Hongay, la SFCT – dont les principaux actionnaires sont alors l’incontournable Banque de l’Indochine et le Crédit industriel et commercial -, commence à exploiter des mines.

    Comme la richesse naturelle est à fleur de terre et la main d’œuvre locale abondante et très bon marché, le tonnage de l’exploitation augmente de façon exponentielle : de 2 000 tonnes en 1890, la production passe à 500 000 tonnes à la veille de la Grande Guerre, à 1,7 million de tonnes à la veille de la crise de 1929, pour atteindre près de trois millions de tonnes à la veille du second conflit mondial (dont 2,6 millions annuels pour la seule SFCT). De 40 000 à 85 000 travailleurs vietnamiens et chinois s’épuisent dans les mines, surnommées « l’enfer de Hongay » dans la littérature anticolonialiste des années 1930, laquelle dénonce des conditions d’exploitation (qui ne pourront aller qu’en s’améliorant) d’une pénibilité révoltante. Un coolie touchait 15 sous par jour, lorsque les bénéfices nets de la SFCT frôlaient les 30 millions de francs annuels.

    Roland Dorgelès écrit, dans son livre Sur la route mandarine (Albin Michel, 1925) : « Elles sont, je crois, uniques au monde, ces mines de Hongay où l’on extrait le charbon à ciel ouvert. Campha, Haut, Monplanet, grands pans d’amphithéâtres taillés à même les mamelons. Ce sont de gigantesques escaliers noirs qui escaladent le ciel et leurs parois sont si lisses, si droites, qu’on croirait que le charbon fut découpé en tranches, ainsi qu’un monstrueux gâteau. Rien n’est à l’échelle humaine. Tout est trop haut, trop vaste, et les indigènes qui piochent les pentes ne font qu’une poussière humaine, sur ces gradins de jais. »

    La houille devient rapidement le deuxième produit d’exportation indochinoise après le riz. Avec les Charbonnages de Dong Trieu, et ceux du Tonkin (SFCT), les Français se taillent une part non négligeable du lion, ou plutôt du dragon, et se dotent de leur propre infrastructure : port, chemin de fer, centrale électrique. Extrêmement rentable, l’extraction de la houille ne sera concurrencée par la culture de l’hévéa, notamment, qu’à partir de la fin des années 1930. La seule SFCT, qui produit bon an, mal an, 1,8 million de tonnes de charbon de 1939 à 1941, voit sa production chuter à moins de 200 000 tonnes en 1945… Neuf ans – de guerre – après, les accords de GenèveIMG_8613.JPG ne mettent toutefois pas fin à l’activité, qui représente alors quelque 900 000 tonnes. 

    Un délai de grâce bien court, qui expire le 8 avril 1955, quand la république du Vietnam nationalise l’ensemble des installations. Aujourd’hui, les « gueules noires » se font rares au Vietnam, car les filons s’épuisent et le marché du charbon s’essouffle. Pourtant, le pays continue d’exploiter la houille, dans une zone discrète de cette vaste baie d’Along si paradisiaque, et dont aucun voyageur ne soupçonne l’existence à proximité des pitons rocheux. L. M.

     

     Photos : © Léon Mazzella

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