Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

KallyVasco - Page 7

  • Vin jaune et pata negra

    Capture d’écran 2016-12-03 à 21.27.33.pngL’initiative revient à Septième Goût, le site gourmand que Jean Dusaussoy copilote avec Sébastien Ripari. L’idée d’associer des jambons ibériques de cochons de grande qualité, car nourris aux glands (bellotas), comme la palombe en migration s'abattant sur les chênaies du Sud-Ouest, avec des vins du Jura pourvu de cet accent andalou qui rappelle le fino, n’est somme toute pas si insolite. Cela se passait à la boucherie La Belle Epoque, dans le 17ème arrondissement parisien, tenue par un Patrick à la forte personnalité, et avec Vincent Grenelé (photo), un spécialiste, directeur de la maison Roble (le chêne), qui proposait à la dégustation quatre appellations d’origine qu'il importe : Extremadura, Huelva, Salamanca (Guijuelo) et Cordoba (Valle de Los Pedroches). Complice fournisseur des flacons de belle extraction et provenant du Comité interprofessionnel des Vins du Jura, puisqu’il s’agissait d’Arbois, de Château-Capture d’écran 2016-12-04 à 10.16.54.pngChalon, de Côtes du Jura et de L’Etoile : l’agence lyonnaise Rouge Granit. Une poignée d’invités aux papilles exercées, et zou ! Rappelons que seulement 10% des cochons ibériques sont nourris en plein air aux glands qui tombent des chênes de leur environnement, et d’herbe. 90% ne peuvent donc prétendre au complément sésame « de bellota », puisque ceux-là sont nourris en plein air « de cebo campo» (glands et fourrage), ou bien « de cebo » (fourrage, cochons parqués). Roble pratique un affinage long, de 18 à 40 mois et plus. L’Iberico Pata Negra jouit d’une DOP (dénomination d’origine contrôlée), mais il faut savoir que ce n’est pas forcément la couleur noire de la patte qui fait l’excellent jambon. J’en ai connu qui montraient patte blanche et qui vous envoyaient des saveurs de compétition, avec le gras idéal, l’onctuosité parfaite, le persillé de rêve, la subtilité extrême. Les vins jaunes, élevés sous voile (les levures en suspension) comme il se doit, issus exclusivement de cépage savagnin, passent du temps dans les fûts, et Capture d’écran 2016-12-04 à 10.17.16.pngoffrent ce goût particulier de fruits secs, surtout la noix, et la noisette aussi, et des flaveurs de sous-bois à l’automne, qui appellent d’ordinaire à la rescousse le comté de 30 mois, le mont-d’or a gusto, la noix fraîche et la poularde à laCapture d’écran 2016-12-03 à 21.28.06.png crème avec force morilles... Mais là, avec la bande des quatre ibericos de bellota, ce fut stupéfiant en termes d’accords idoines. La sécheresse qui flirte avec une austérité souriante, fut en partage, du côté du jamon de Salamanque et du vin des Côtes du Jura (domaine Pécheur 2008). Arbois (Henri Maire 2008) et Cordoue firent également la paire. La finesse, l’aromatique explosif, le gras distingué de l’un et de l’autre, une expression dédoublée en bouche fut révélatrice des alliances possibles entre un vin « oxydatif » et un jambon raffiné et « viandé », délicat et pourvu d’un fondant inouï. Le summum fut atteint avec le Huelva, fiancé à L’Etoile (domaine Philippe Vandelle 2007). De quoi vous propulser là-haut, afin de mieux contempler la Péninsule et la Franche-Comté. Et c’est ainsi que les jaunes sont de garde et les noirs bien gardés. L.M.

    Notez qu’une boucherie 100% bio, une première à Paris, niche au creux du marché couvert de Batignolles (17ème arrondissement). Elle se nomme Dandelion, et elle a été créé par le même Vincent Gergelé, associé à Michel Vidalie.

  • Dossier Whisky dans L'Express paru ce matin

    photo 2.JPGVoici le papier principal, avec l'un des encadrés. Le reste est à découvrir en kiosque.

    Speyside 

    LE TRIANGLE D'OR DES SINGLE MALTS

    Ou : Des géants au cœur (de chauffe) tendre

    Visiter les diverses distilleries d’une région singulière démontre que la qualité d’un single malt de dépend pas forcément de la taille de la fabrique.

    ---

    L’Ecosse aimante. Ses routes du whisky, dans le nord-est du pays, entre Aberdeen où l’on atterrit, et Inverness au nord-ouest, recèlent une concentration exceptionnelle de distilleries de renom, et d’autres modestes, donc discrètes, soit une cinquantaine environ – la moitié du nombre total des distilleries du pays. Nous sommes dans le Strathspey, à cheval entre les secteurs (Council areas) de Moray et duIMG_3438.jpg Highland. Speyside est le nom donné à l’une des grandes régions du whisky écossais*. Elle doit son nom à la rivière Spey qui la traverse, comme l’autre grande rivière du cru, la Livet, principal affluent de la Spey, avec également la Fiddich et l’Avon. Deux autres rivières, la Finshorn à l’ouest, et la Deveron à l’est, strient cette zone bénie des dieux de l’eau douce. Car, le whisky, c’est d’abord une question d’eau très pure. La région, humide, fertile, si généreusement irriguée, est propice à la production de l’orge, l’autre composante de « uisce beatha » l’eau de vie, en gaélique, qui a engendré le mot whisky. Ce triangle d’or jouit par ailleurs d’un climat tempéré, moins rude que sur les îles du nord ou du sud. Speyside est par conséquent un grand terroir entouré de montagnes, où nichent depuis des lustres de très grands noms du single malt.

    IMG_2987.jpgDouble maturation simultanée

    Grantown-on-Spey, Dufftown, Keith… Sont autant de noms de ravissantes bourgades qui résonnent dans le cœur de l’amateur de single malt du Speyside. Prenons une distillerie au hasard, parmi celles visitées, Aberlour, sise au sein du village éponyme. Elle a de quoi surprendre par le gigantisme des installations. Marque mondialement connue, la distillerie Aberlour fut fondée par James Fleming en 1879. Ici, comme chez de glorieux voisins : Glenlivet, Glenfiddich… Nous sommes au pays des géants de la distillation, là où les alambics sont énormes et nombreux, et les chais longs comme un jour sans scotch. L’obsession de l’eau pure, qui anime le whisky man, s’infiltre jusque dans l’étymologie : Obar lobhair, « la bouche du ruisseau qui murmure », en gaélique, a donné le mot Aberlour. La Lour (bavarder, en Gaélique, en référence au son d’une cascade), coule là, pas loin de la Spey. Et c’est, comme souvent, à proximité ABERLOUR 15 ANS SELECT CASK RESERVE DETOURE.pngimmédiate d’une source d’eau cristalline et d’une pureté absolue, ou du ruisseau élu qui en découle, que la distillerie a été construite. Autre caractéristique d’Aberlour, l’importance accordée au bois des fûts. Les single malt de la maison : 10, 12, 15, 16, 18IMG_3389.jpg ans, qui raflent souvent des médailles d’or ici et là, subissent une double maturation : « double cask matured », pendant au moins douze ans, à la fois en fûts de Sherry (ou de Xérès), espagnols, la plupart ayant contenu du Oloroso, et en fûts de Bourbon, soit américains et ayant contenu du bourbon. A l’inverse de beaucoup d’autres distilleries du Speyside, pratiquant un vieillissement principal, long, en fûts de Bourbon, puis une maturation plus courte en fûts de Sherry, Aberlour a très tôt opté pour la double maturation simultanée, avant de procéder à l’assemblage des distillats. La complexité des arômes des single malt du Speyside reflète ainsi, à des degrés, voire des dominantes divers, des notes de fruits confits et d’épices – signature des fûts de Sherry, et des notes de fruits frais, rouges, et des notes vanillées – signature des fûts de Bourbon. Mais, Aberlour se livre aussi, une fois n’est pas coutume, à des créations élargissant la gamme, qui font montre d’un esprit d’ouverture. Ainsi du A’bunadh (origine, en Gaélique), exclusivement vieilli en fûts de Xérès Oloroso. Il s’agit d’un « brut de fût » (Original Cask Strength) remarquable de puissance et de velouté (mangue, pomme rouge, léger fumé à l’attaque, épicé souple, notes cacaotées, pralinées, à peine tourbées, et de pain d’épices en finale). Une sorte de synthèse du Speyside. 


    IMG_3464.jpgL’obsession de l’eau pure

    L’histoire de William Grant, le fondateur de Glenfiddich en 1887, reflète bien aussi les rapports viscéraux que le distillateur entretient avec l’eau : lorsque, dans les environs de Dufftown, il découvre en 1886 Tobbie Dhu, une source d’eau très pure, William achète aussitôt le terrain qui l’entoure, au cœur de cette verdoyante et sauvage « vallée des Cerfs » (glenfiddich, en Gaélique), pour y bâtir aussitôt lui-même, pierre par pierre, sa propre distillerie, aidé de sa femme et de leurs neuf enfants –et d’un précieux maçon. Mais c’est l’œuvre de son gendre qui distingue cette marque avant-gardiste. Charles Gordon est parti voyager à travers le monde dès 1909 avec sa grande sacoche en cuir de médecin, garnie de trois bouteilles de Glenfiddich, ainsi que de nombreux carnets qu’il noircira scrupuleusement de notes variées fort intéressantes, pour faire découvrir son whisky, de Port-Saïd à Sydney, en passant par Bombay, Rangoon, Shanghai, Hong Kong, ou encore Auckland. Charles Gordon aura roulé sa bosse du commerce à travers les océans, et, ce faisant, l’homme d’un marketing embryonnaire aura fait connaître l’eau de vie écossaise dans son ensemble, en devenant aussi son premier ambassadeur. C’est d’ailleurs en hommage à ce voyage de onze mois, précurseur, de Charles, que son « doctor bag » - nous l’avons vu sur place, fatigué, tout fripé -, a été réédité l’an passé, en édition très limitée, par une jeune artisan du cuir, Edwina de Charrette (atelier « laContrie »). Glenfiddich, la marque au cerf et à la bouteille triangulaire si ergonomique, possède – c’est rare -, sa propre tonnellerie depuis bientôt 60 ans : reconditionnés et « toastés » sur place, les fûts espagnols et américains appuient la signature des single malt maison. Et, singularité totale, le single malt 15 ans est élaboré depuis 1998 selon le principe andalou de la solera, mais dans un foudre. (Après avoir vieilli en fûts américains neufs, il séjourne donc dans un foudre maison en pin de l’Oregon). Epicé, miellé, fruité (vanille, fruits rouges, pâte d’amande, cannelle, gingembre), le « Unique Solera reserve » est vite devenu l’un des best-sellers de la marque. 

    IMG_3397.jpgÉnorme mais bon

    Lorsqu’il fonde en 1824 la distillerie The Glenlivet, dans la Livet Valley, tout près de la précieuse source Josie’s Well (que l’on peut voir, dans le parc de la distillerie), George Smith est loin d’imaginer qu’il est un pionnier qui ouvre la voie des single malts, et que dans ses futurs chais, agrandis à plusieurs reprises, pas moins de 65 000 fûts font aujourd’hui maturer en permanence, les eaux de vie de la célèbre maison. Ces single malt sont les plus consommés aux USA, et ils ont beau représenter la deuxième vente de single malt au monde, « huge » (énorme) est parfois « beautiful ». La forte personnalité d’Alan Winchester, le maître distillateur maison depuis 2009, n’est pas étrangère aux récents et fulgurants succès de la marque, sur nombre de marchés exigeants. Force est de reconnaître que la complexité et la subtilité de la gamme de ces whiskys un brin oxymoriques ne peut qu’avoir rendez-vous avec le bon goût : ils allient puissance et finesse, fougue et douceur. Comme en témoigne le 18 ans, dont on peut remplir et signer soi-même une bouteille, à l’issue d’une longue visite de la distillerie, assortie d’une dégustation – le jour de notre passage en mai dernier, c’est Charles MacLean, l’un des plus grands experts en single malt du monde, et bien connu des lecteurs de L’Express **, qui y animait une master class. Cela s’appelle la proposition « hand fill » : Un must !.. (partagé avec d’autres distilleries, qui proposent le même « clou » de visite).

    Strathisla.pngSmall is beautiful

    La modeste distillerie Strathisla, à Keith, ses petits alambics coniques, c’est le charme de l’ancien. Il s’agit de la plus ancienne distillerie en activité. Bâtie en 1786 par George Taylor et Alexander Mine tout au bord la rivière Isla dont le bruit des eaux torrentueuses berce notre visite, elle est célèbre pour ses flacons millésimés, dont certains sont très vieux et hors de prix, et pour son 12 ans d’âge relativement confidentiel. Mais elle l’est avant tout pour sa production d’une gamme de blended de Chivas Regal (elle fut rachetée en 1950 par Chivas Brothers, et elle est depuis 2001 dans le grand giron du groupe Pernod-Ricard). Et comme le fameux 12 ans d’âge entre dans la composition des blends Chivas, nous retrouvons dans ce dernier ses notes de fruits secs, d’agrumes et de céréale. Cadeau ! La gamme des Strathisla Cask Strength Edition, qui titre près de 60° d’alcool, excelle quant à elle sur les desserts, avec un nez d’acajou et des notes d’abricot, de miel et d’agrumes. Nous avons pu le vérifier au cours d’un dîner spécial accords « cask strength editions » dans la « Chivas Gallery » (les chais de la distillerie), au cours du dernier Speyside Festival. 

    De taille raisonnable mais encore modeste, The Balvenie, située contre la distillerieIMG_3398.jpg de Glenfiddich, est une marque qui a le vent en poupe. La gamme maison exprime une douceur très reconnaissable, qui sculpte son succès. Le Single Barrel 25 ans d’âge, par exemple, vieilli en fûts de chêne américains de second remplissage, sélectionnés avec un infini scrupule, est un whisky très recherché, aux notes d’ananas, de vanille, de miel, d’épices poivrées et de boisé aussi, si caractéristiques de la marque synonyme de saveurs suaves et caressantes. La visite de la distillerie expose sereinement l’artisanat du travail, des greniers à orge aux aires de maltage traditionnel (unique), et il n’y a pas, jusqu’à l’échange de quelques mots avec David Stewart, le maître de chai - un vrai sage du Speyside -, pour nous conforter dans l’idée que des distilleries à taille humaine et à forte personnalité peuvent cohabiter avec des géants au cœur (de chauffe) tendre.

    Léon Mazzella

    ---

    *Avec l’immense région des Highlands, dont il fait partie intégrante (le Speyside se situe entre les Northern Highlands et les Eastern Highlands), les Lowlands, les îles (Orkney, ou Orcades au nord, Skye à l’ouest, et les fameuses Islay, et Jura, entre autres, au sud), et enfin Campbeltown.

    ** Charles MacLean a animé l’an dernier une série de master class « whisky » dans les locaux de L’Express, qui ont rencontré un vif succès.

     

    IMG_2907.jpgAberlour et les accords musicaux

    C’est au cours du dernier Spirit of Speyside Whisky Festival, le premier mai dernier (la prochaine édition de ce « mois du whisky » foisonnant d’activités en tous genres : dégustations, concerts, repas thématiques, dans et autour des distilleries, se déroulera du 21 avril au 1er mai 2017), que nous avons pu faire une expérience singulière à la distillerie Aberlour : deux experts en musiques et en single malts, Joel Harrison et Neil Ridley, les « Cask strength boys », proposaient une sorte de master class intitulée « The Sounds of Aberlour », dont le but était d’associer cinq whiskies maison avec cinq musiques distinctes. Le résultat fut confondant, car il était évident, à la dégustation précise et à l’écoute très concentrée, avec Robinphoto 1.JPG mon studieux voisin de table, que le style du 8 ans d’âge correspondait à la musique planante des Pink Floyd, autant que l’expression du 16 ans Old Bourbon Cask se mariait à merveille avec les airs tonitruants de Johnny Cash. Une expérience. L.M.

     

  • On se croit curieux...

    téléchargement.jpegOn se croit curieux, et nous passons à côté de choses, comme ça, qui sont de petits cadeaux mieux dissimulés que des oeufs de Pâques dans le jardin de notre enfance. Je viens de découvrir (à la faveur d'un message amical et bienveillant), un écho écrit à une émission de radio (cliquez ci-dessous), et je remercie au passage Philippe Vallet, fort tard certes, mais vieux motard que j'aimais, n'est-ce pas. Il s'agit de mon premier roman, écrit à l'âge de 23 ans, soit il y a (putain!..) 35 ans... Purée... Outch, la gifle. Envie donc de partager, car c'est de saison : l'arrière-automne, le givre, les parfums capiteux de sous-bois, la migration qui strie le ciel bellement, l'écharpe diaphane du brouillard de l'aube, tout ça qui fait le sel de l'existence, pour peu que nous la voulions, ou voudrions toujours là, parmi ces plaisirs simples, et surtout naturels, sans aucun artifice. Jamais...

    chasses furtives

  • Bon appétit, Messieurs!

    RUY BLAS - Victor Hugo
    Acte III - Scène 2 :

     

    Ruy Blas, survenant.


    Bon appétit, messieurs ! 

    Tous se retournent. Silence de surprise et d'inquiétude. Ruy Blas se couvre, croise les bras, et poursuit en les regardant en face.

    Ô ministres intègres !
    Conseillers vertueux ! Voilà votre façon
    De servir, serviteurs qui pillez la maison !
    Donc vous n'avez pas honte et vous choisissez l'heure,
    L'heure sombre où l'Espagne agonisante pleure !
    Donc vous n'avez ici pas d'autres intérêts
    Que remplir votre poche et vous enfuir après !
    Soyez flétris, devant votre pays qui tombe,
    Fossoyeurs qui venez le voler dans sa tombe !
    – Mais voyez, regardez, ayez quelque pudeur.
    L'Espagne et sa vertu, l'Espagne et sa grandeur,
    Tout s'en va. – nous avons, depuis Philippe Quatre,
    Perdu le Portugal, le Brésil, sans combattre ;
    En Alsace Brisach, Steinfort en Luxembourg ;
    Et toute la Comté jusqu'au dernier faubourg ;
    Le Roussillon, Ormuz, Goa, cinq mille lieues
    De côte, et Fernambouc, et les montagnes bleues !
    Mais voyez. – du ponant jusques à l'orient,
    L'Europe, qui vous hait, vous regarde en riant.
    Comme si votre roi n'était plus qu'un fantôme,
    La Hollande et l'anglais partagent ce royaume ;
    Rome vous trompe ; il faut ne risquer qu'à demi
    Une armée en Piémont, quoique pays ami ;
    La Savoie et son duc sont pleins de précipices.
    La France pour vous prendre attend des jours propices.
    L'Autriche aussi vous guette. Et l'infant bavarois
    Se meurt, vous le savez. – quant à vos vice-rois,
    Médina, fou d'amour, emplit Naples d'esclandres,
    Vaudémont vend Milan, Leganez perd les Flandres.
    Quel remède à cela ? – l'Etat est indigent,
    L'Etat est épuisé de troupes et d'argent ;
    Nous avons sur la mer, où Dieu met ses colères,
    Perdu trois cents vaisseaux, sans compter les galères.
    Et vous osez ! ... – messieurs, en vingt ans, songez-y,
    Le peuple, – j'en ai fait le compte, et c'est ainsi ! –
    Portant sa charge énorme et sous laquelle il ploie,
    Pour vous, pour vos plaisirs, pour vos filles de joie,
    Le peuple misérable, et qu'on pressure encor,
    À sué quatre cent trente millions d'or !
    Et ce n'est pas assez ! Et vous voulez, mes maîtres ! ... –
    Ah ! J'ai honte pour vous ! – au dedans, routiers, reîtres,
    Vont battant le pays et brûlant la moisson.
    L'escopette est braquée au coin de tout buisson.
    Comme si c'était peu de la guerre des princes,
    Guerre entre les couvents, guerre entre les provinces,
    Tous voulant dévorer leur voisin éperdu,
    Morsures d'affamés sur un vaisseau perdu !
    Notre église en ruine est pleine de couleuvres ;
    L'herbe y croît. Quant aux grands, des aïeux, mais pas d'œuvres.
    Tout se fait par intrigue et rien par loyauté.
    L'Espagne est un égout où vient l'impureté
    De toute nation. – tout seigneur à ses gages
    À cent coupe-jarrets qui parlent cent langages.
    Génois, sardes, flamands, Babel est dans Madrid.
    L'alguazil, dur au pauvre, au riche s'attendrit.
    La nuit on assassine, et chacun crie : à l'aide !
    – Hier on m'a volé, moi, près du pont de Tolède ! –
    La moitié de Madrid pille l'autre moitié.
    Tous les juges vendus. Pas un soldat payé.
    Anciens vainqueurs du monde, espagnols que nous sommes.
    Quelle armée avons-nous ? À peine six mille hommes,
    Qui vont pieds nus. Des gueux, des juifs, des montagnards,
    S'habillant d'une loque et s'armant de poignards.

  • "On ne peut pas connaître, on n'était pas nés!"

    Cette phrase terrifiante, je l'entends souvent dans la bouche de mes étudiants en journalisme, à l'école où j'officie. Ce matin encore, j'évoquais, au détour de mes cours de presse écrite, et d'histoire des médias, de parfaits inconnus, qui se trouvaient dans le déroulé - et absolument pas pour faire du name dropping, mais naturellement parce qu'ils étaient cités pour leur action respective : François Mauriac, Raymond Aron, Jean Daniel, Jean-Claude Guillebaud, et à d'autres occasions Burt Lancaster, Gabriel Garcia Marquez, Miguel Torga, Alain Robbe-Grillet (ok pour les deux derniers), et aussi le slogan de la campagne présidentielle de François Mitterrand, le journal Combat, Pierre Lazareff, Françoise Giroud, et tant de choses de base, soit fondamentales... Pour Albert Londres et Joseph Kessel - le père de Vincent?(Cassel), me fut-il quand même demandé -, il y a eu quelques rares doigts levés, face à ma stupéfaction devant tant d'ignorance de la culture basique de l'environnement immédiat de leur futur métier. Mais la plupart de ces gens et faits, titres cités-là, que dalle! Nul n'en avait entendu parler.

    Il y a pire : cette vague de fond, que sous-tend la remarque qui m'est désormais systématiquement opposée comme une fin de non recevoir davantage que comme une excuse - ce qui serait déjà préférable, discutable (contenue dans le titre de cette note), signifie que la génération Z, et même la Y, sont à l'aise avec leur propre inculture, avec l'inutilité décidée de savoir ce qui s'est passé, grosso modo entre Néanderthal et leur naissance. Autrement dit, le fameux terreau dont parle Julien Gracq à propos de la littérature (laquelle se construit sur les strates qui l'ont précédée), l'Histoire pour faire court, et donc toute la culture, les cultures, en tous domaines, sont jugés, de manière péremptoire et glacée, inutiles, schnock, car tout aurait commencé dans les années quatre-vingt dix. Avant, c'était donc, à les en croire, le Néant, même pas le Big Bang. Le Trou Noir. Rien. Rien d'intéressant et qui mériterait qu'on s'y penche cinq minutes.

    Là, je n'ai pas le temps (ce soir), mais je souhaite initier juste un sujet de réflexion qui exige un sacré développement, une foutue discussion. Car, que ces jeunes fassent désormais l'économie totale de toute lecture est déjà un crève-coeur pour nombre d'entre nous, dont je suis. Qu'ils soient désinhibés, fassent montre d'une nouvelle norme, affranchie de toute connaissance d'avant eux, et qu'ils soient quasiment fiers d'en savoir si peu m'afflige; et me fait même peur. Tous les pays qui n'ont plus de légendes seront condamnés à mourir de froid, nous chuchote Patrice de La Tour du Pin, dans sa Quête de joie... L.M.

     

  • sans la musique baroque, on ferait comment...

    Capture d’écran 2016-11-03 à 23.03.04.pngUne heure et demie d'émotion, de larmes de joie et de regret, soit tout l'esprit des Lachrimae concentré ici, là, un temps sans issue palpable de musique baroque épurée jusqu'à l'os, grâce au talent de Jordi Savall et de son ensemble Hesperion XXI, tout cela en hommage à Montserrat Figueras, la femme disparue de Jordi, la moitié de l'âme de l'ensemble, l'esprit, la jumelle, l'hémisphère de tant et tant d'années, la voix surtout, la voix unique, cette voix entendue "pour de vrai" une première fois un soir divin de septembre 1980 dans une église de Coimbra, au Portugal, et après l'avoir tant écoutée sur les 33 Tours de la Platine... En hommage donc, cette heure et demie de bonheur serein et doux, ça vous dit?.. Et bien allez, zou :

    https://www.youtube.com/watch?v=dJDce7wUwDs

     
     

     

     
  • Sunset Song

    Capture d’écran 2016-11-03 à 00.19.07.pngEnvie, sincère, de partager le plaisir que je viens d'éprouver en regardant ce film puissant, et injustement passé inaperçu. Rustre avec délicatesse, rude et si tendre, cru mais si percutant, vrai, car essentiel avec pudeur et tact, cette histoire d'une femme d'exception, la réalité de la couardise de la Grande Guerre, circonscrite avec justesse, l'amour ingénu et total, la nature écossaise, sauvage mais souple de la région d'Aberdeen (que j'adore, et pas que pour ses whiskies), le jeu émouvant de bout en bout de la très belle Agyness Deyn, enfin... Tout cela en fait, je crois, un film fort. L.M.

    Sunset Song

     

  • humeur du soir

    Tout cela manque un peu d'horizon, aurait murmuré Dostoïevsky. Et singulièrement de classe. D'honneur, enfin. D'amour de soi minimal, de pudeur surtout; bref, d'humanité, de savoir-vivre. Morandini nie sa turpitude de moins en moins supposée, sa direction s'entête comme l'autruche s'enterre, notre président élu, avec 4% de satisfaits, pourrait avoir l'audace, le culot même, de vouloir remettre le couvert, les mis en examen, qui sont légion, sourient Gibbs à la télé, où brillent pourtant derrière eux leur monceau de casseroles... Les exemples pullulent qui nous disent, nous assènent qu'une certaine morale meurt. La nouvelle norme est à la pornographie sociale, à l'assurance tous risques de l'inculture et du délit commis, à l'absence de honte, à l'ignorance même de l'idée de dignité, à l'oubli du devoir de retrait, voire de disparition - après avoir fait ses excuses -, en cas de faute ou de manquement à l'intérêt général ou à la morale publique... Au lieu de me mettre en colère, cela m'afflige, ce soir, lorsque j'énumère en silence le kaléidoscope des bassesses assumées avec arrogance, qui nous ensuquent, nous empèguent, éclaboussent, peinturlurent, font tâche, affiche, et bientôt tapisserie convenue par la force de la faiblesse, et d'un laxisme viral. J'ai honte à ce présent-là, dépourvu d'élégance et d'altérité, autocentré et - surtout -, de plus en plus à l'aise avec l'exposition généreuse de sa médiocrité. L.M.

  • France Réveille son terroir

    domaine-reveille-franc-tireurv2.jpgdomaine-reveille-ultra-violetv2.jpgReveille-white-spiritv2.jpgRoussillon Reveille.JPGFrance Crispeels

    Le domaine Réveille, en appellations Côtes du Roussillon et Côtes catalanes.*

    France Crispeels est une vigneronne singulière. Son physique sec, son regard clair, sa voix franche, la font ressembler au terroir sauvage et pur sur lequel la Tramontane assainit la vigne. Sur près de 9 ha, France élabore des vins à forte personnalité, qui expriment le caractère de la garrigue de la Haute Vallée de l’Agly (Pyrénées-Orientales). L’aventure du vignoble Réveille a commencé il y a dix ans. Sur des sols pauvres, nous trouvons des cépages nobles travaillés en bio, et récemment en biodynamie, pied par pied, jamais de façon systématique. Les rendements sont bas (25 hl/ha) et les vins concentrés mais pas trop. Ils expriment avec élégance la combinaison des éléments : ils sont méditerranéens avec une belle fraîcheur. « Gourmands, vifs et souples », précise la vigneronne. « Il faut pouvoir toucher la terre et la respecter », poursuit-elle, « laisser parler les sols, préserver leur vie en surface, apprendre à les connaître, écouter le silence de la vigne. C’est un engagement, une vigilance permanente. En retour, nous avons les vins que nous aimons produire. Mûrs, avec une belle acidité naturelle, un degré d’alcool faible et toujours cette grande fraîcheur » (le terroir se situe entre 350 et 550 m d’altitude). Des vins droits et purs, comme nos trois coups de cœur : White spirit, un blanc sec 100% macabeu étonnant (2014, 12€), et deux rouges exceptionnels : Franc Tireur, 100% carignan (2014, 11€) et Ultra Violet, issu de jeunes syrah (2014, 15€), au design des étiquettes très contemporain. L.M.

    couv Pelerin Vins.png * Papier extrait de mon dossier Ces vins qui racontent le terroir, paru dans Pèlerin du 15 septembre dernier.

     

  • Un sommelier dans mon canap', 4ème

    2016-10-20 22.08.58.jpg

    2016-10-20 22.09.51-2.jpg

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Un sommelier dans mon canap', quatrième. C'était hier soir, chez Jérôme et Auriane, dans le 13ème, à Paris, avec leur sept amis, tous joyeux drilles, hédonistes ne s'en laissant pas compter, fous de course automobile - et surtout de vins de la vallée du Rhône, et excellents cuisiniers de surcroît : formidables caillettes ardéchoises, canapés à la truffe, cardons à la moelle, fromages coulants, sablés ganache/mousse... La soirée déborda dans l'alegria, d'autres flacons "de réserve" de crozes-hermitage furent débouchés (après le séduisant Premier Regard de Melody, ou le sérieux Cour de récré de François Villard) avec, paire de cerises sur le gâteau : un condrieu et un côte-rôtie. Parce que nous le valons bien...  Léon M.

     

  • Bob

    Capture d’écran 2016-10-15 à 13.00.33.pngJ'aime écouter Bob Dylan depuis toujours, et je suis contre tous les amalgames. Aussi...

    L’académie Nobel a beau être la mesure étalon - supposée - de l’excellence planétaire, je n’ai jamais accordé trop de crédit à ses choix pour la littérature, car d'abord qui sont ces jurés? Et pourquoi leur vote dans le plus grand huis-clos, leur sanction, seraient-ils le reflet du goût mondial, au même titre qu'un Traité devrait toujours avoir, de facto, une autorité supranationale (soit sur toute Loi), ou qu'un 99/100 attribué il y a peu encore par Robert Parker (surnommé Bob, d'ailleurs), le gourou effrayant de la planète vins, devrait de façon dictatoriale élire le meilleur... La première question est : je me fie ou je me méfie. La seconde : chacun mes goûts n'est-il qu'un indigent jeu de mots?

    Les académiciens scandinaves ont, de surcroît, toujours oscillé entre une valeur sûre et convenue, archi reconnue et traduite partout, et une sombre poétesse inconnue, sauf de ses voisins, à peine publiée et timidement traduite. Là, il semblerait qu’ils souhaitent s’offrir une cure de jouvence, se la jouer djeun’s, au point d'en oublier l'objet livre : et allez, tiens, on explose les cadres… Sauf que ça redéfinit, eu égard à leur incontestable aura, de façon indirecte, induite, inexorable, les définitions de l’écrivain, de l’œuvre, de l’exigence, du travail considérable - et même de la littérature. Gide, Kipling, Camus, Kawabata, Beckett, Garcia Marquez, Simon, Naipaul, Mann, Mauriac, Grass, Faulkner, Hemingway, Bergson... n’ont rien à voir avec un chanteur, poète certes, mais dont les vers (je les ai relus avant-hier), n’ont pas - me dis-je -, la teneur de ceux d’un Saint John Perse, ni la profondeur de ceux d’un Milosz, ou la portée des poèmes d’un Pasternak, la sensibilité inouïe des textes d’un Paz, la puissance de l'oeuvre d’un Séféris, l’émotion amoureuse des chants d’un Neruda, la tendresse forte des élégies d’un Elytis, la rigueur et la rugosité des poèmes essentiels d’un Heaney, la fragilité infinie des paquets de peau crue d’un Yeats, ni même la légèreté écorchée vive d’un Maeterlinck…

    Ou bien alors, signe des temps, le nivellement par le bas enfante une médiocratisation généralisée qui fait norme ; nouvelle norme. Pour rire, je me disais alors que Francis Lalanne pourrait figurer sur la liste des Goncourt (un autre Francis - Cabrel, en ferait une jaunisse), que Keith Richards pourrait prétendre au Nobel de médecine (la blague circule sur la Toile depuis un jour), que Nadine Morano pouvait être propulsée ministre de la culture, puisque les Américains risquent d’avoir Trump pour président, et que nous avons la France de Cyril Hanouna en guise de punition à nos laxismes cathodiques.

    Alors, je ne crains pas de paraître ringard, « old school », antimoderne, ce que l’on voudra, car je me sens juste viscéralement attaché à une qualité d’écriture, à la « distinction », à l’exigence, à la magie du mot, du verbe, de la phrase, à ce qui fait sens, œuvre, voire intemporalité. A une certaine idée de la littérature. Que tout cela a un... prix, mais pas forcément étalonné, et aux contours de récompense. Que ça doit vraiment avoir de la gueule, de l'épaisseur, de la teneur, du fond et de la forme réunis. Et parce que j'aime démesurément la littérature, le plaisir du texte, l'objet livre, l'oeuvre en cours, l'obsession du work in progress, je m'interroge sur une certaine dissolution qui m'apparaît périlleuse. A force de mélanger les genres (ni art majeur, ni art mineur, entends-je), de dissoudre et donc de prêter à confusion, on ne reconnaît plus grand chose, et le magma sans cadre ni repères ne me dit rien qui vaille, durablement, car si je ne peux plus nommer, singulariser, désuniformiser... j'amalgame tout et mon jugement se brouille.

    Je ne pense donc pas que Bob Dylan soit dans cette zone d'exigence-là. J'aime l'écouter depuis toujours, avec son timbre, sa verve, sa hargne des débuts, depuis Blowin'... le recours à l'harmonica, le Vietnam, Joan Baez, tout, mais je n'aime donc guère confondre les choses, je le répète volontairement, considérant que cela n'est jamais salutaire. En tous cas, Dylan m'apparaît moins essentiel qu'un Leonard Cohen; par exemple. Et si les Suédois du Nobel entendaient envoyer un signal (politique) fort – car ils savent faire, à l’occasion -, à l’Amérique des « trumpistes », ils se sont trompé de champion… Le donner à titre posthume - tant qu'à innover! -, à Jim Harrison, eut été un vrai geste. Ou bien l'attribuer, logiquement et sans surprise, au grand Philip Roth bien sûr. Mais il en a été décidé autrement.

    Dès lors, les prochains Nobel de littérature pèseront moins qu'une plume sur mon sentiment. La dévalorisation de ce nom m'est vertigineuse, depuis jeudi. Et  je pense tout à trac, tendrement à Bob Lobo Antunes, à Bob Adonis, et aussi à Bob Kundera...

    Léon Mazzella

    P.S. : une ambiance délétère, opérant par capillarité, est résolument culturophobe. Et oublieuse. Volontairement partisane de l'amnésie. Dans le déni de ce terreau, comme le nommait Julien Gracq, sans lequel toute littérature du présent ne saurait pousser. Autrement dit, privé de quoi, l'éphémère n'est qu'inconsistance; condamné à faner.

  • Un sommelier dans mon canap'

    http://www.unsommelierdansmoncanap.com/

    crozesmarine.jpgcrozesmarine1.jpg

     

     

     

     

     

     

    Second atelier pour moi, et super soirée Un sommelier dans mon canap', hier, chez Marine, dans le 5ème arrondissement (Paris). Merci à mon hôtesse, son frère et ses trois amis aficionados aux vins de Crozes-Hermitage, et de l'ensemble de la vallée du Rhône, curieux de tout : flaveurs, sols, cépages, bio et biodynamie... Et dont les aptitudes à la dégustation spontanée mais raisonnée, ne sont pas une vue de l'esprit...

    Léon Mazzella

     
     
     
  • Relire régulièrement René Guy Cadou

    Capture d’écran 2016-10-12 à 19.37.08.png... Poésie la vie entière (Seghers), comme on descend chercher une bouteille dans la pénombre, pour se faire du bien avec un ami de passage, soupirer d'aise tandis que le jour s'efface; et le concours d'une épaule qui ne fuit pas...

     

    CELUI QUI ENTRE PAR HASARD

     

    Celui qui entre par hasard dans la demeure d'un poète

    Ne sait pas que les meubles ont pouvoir sur lui

    Que chaque nœud du bois renferme davantage

    De cris d'oiseaux que tout le cœur de la forêt

    II suffit qu'une lampe pose son cou de femme

    A la tombée du soir contre un angle verni

    Pour délivrer soudain mille peuples d'abeilles

    Et l'odeur de pain frais des cerisiers fleuris

    Car tel est le bonheur de cette solitude

    Qu'une caresse toute plate de la main

    Redonne à ces grands meubles noirs et taciturnes

    La légèreté d'un arbre dans le matin.

     

     

    REFUGE POUR LES OISEAUX

     

    Entrez n'hésitez pas c'est ici ma poitrine
    Beaux oiseaux vous êtes la verroterie fine
    De mon sang je vous veux sur mes mains
    Logés dans mes poumons parmi l'odeur du thym
    Dressés sur le perchoir délicat de mes lèvres
    Ou bien encor pris dans la glu d'un rêve
    Ainsi qu'une araignée dans les fils du matin
    La douleur et la chaux ont blanchi mon épaule
    Vous dormirez contre ma joue les têtes folles
    Pourront bien s'enivrer des raisins de mon coeur
    Maintenant que vous êtes là je n'ai plus peur
    De manquer au devoir sacré de la parole
    C'est à travers vos chants que je parle de moi
    Vous me glissez des bouts de ciel entre les doigts
    Le soleil le grand vent la neige me pénétrent
    Je suis debout dans l'air ainsi qu'une fenêtre
    Ouverte et je vois loin
    Le Christ est devenu mon plus proche voisin
    Vous savez qu'il y a du bleu dans mes prunelles
    Et vous le gaspillez un peu dans tous les yeux
    Refermez les forêts sur moi c'est merveilleux
    Cet astre qui ressemble tant à mon visage
    Un jour vous écrirez mon nom en pleine page
    D'un vol très simple et doux
    Et vous direz alors c'est René Guy Cadou
    Il monte au ciel avec pour unique équipage
    La caille la perdrix et le canard sauvage

     

     

  • Martin Eden

    2016-10-09 20.18.27.jpg2016-10-09 20.18.43.jpg

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Les anniversaires et les commémorations sont une aubaine pour les traducteurs, car de nouvelles versions fleurissent alors, qui sont présentées comme révolutionnaires par leurs éditeurs - ces nouveaux artistes du marketing qui en oublient parfois que la littérature est d'abord affaire de sensibilité. Ainsi, au hasard, de Jack London, dont on fête le centenaire de la mort (22 novembre 1916). Je tiens là, la nouvelle traduction de son chef d'oeuvre, à mes yeux : Martin Eden, l'autobiographie qui permet de comprendre tout son oeuvre. Elle est signée (et préfacée) de et par Philippe Jaworski, et elle est disponible en folio. J'ai comparé, comme chaque fois que ce genre d'occasion se présente, avec la traduction de Claude Cendrée (10/18, qui a plus de quarante ans, et qui est ornée d'une superbe préface de Francis Lacassin). Les deux premières photos jointes sont celles de l'incipit et des phrases suivantes. Celle qui commence par Arthur est de Cendrée. Je2016-10-09 20.20.32.jpg vous laisse juger. Personnellement, je trouve l'ancienne plus littéraire, elle m'emporte davantage et m'engage illico dans le livre du grand London. L'autre me semble opportuniste, comme si elle voulait faire djeuns. Vous avez le choix. L'essentiel est de relire J.L. Construire un feu, et - pour les gamins, de les faire rêver à bloc en leur lisant le soir, et du mieux que l'on peut, L'Appel de la forêt, Croc-Blanc et autres bijoux empreints de nature sauvage...

    Alors, est-il bien nécessaire de re-traduire? Parfois, c'est indispensable, parfois on pourrait s'en passer. C'est selon. Pour Dostoïevsky (reloaded par Actes Sud), on pouvait s'en passer. Pour Conrad (décapé par Autrement), c'était salutaire. Pour Le vieil homme et la mer, on brûle d'impatience de voir cette foutue traduction de Jean Dutourd, la seule autorisée en Français, naze à pleurer, passer à la trappe lorsque Papa Hem' entrera dans le Domaine public!.. Oui, c'est selon, et même au cas par cas. L.M.

    Alliances : 

    2016-10-09 20.35.52.jpgQue boire avec ça? Chemin de Moscou, du domaine Gayda, (Pays d'Oc, 2013, en magnum), d'une grande finesse, sous ses allures bourrues. Ca va bien avec le bourguignon de joue que je viens d'éteindre et qui mijotait depuis trois ou quatre heures... ¡Me alegro!

  • La Gascogne reloaded

    Capture d’écran 2016-10-04 à 18.12.23.pngIls sont jeunes, ils sont minces, ils sont beaux, ils sentent bon les sables fauves, leurs vins sont subtils, équilibrés, francs, purs et droits, leurs armagnacs sont à la fois profonds et aériens, sincères et sans ambages, le packaging des flacons est design et chic… Ils peuvent, oui, incarner une nouvelle génération de vignerons gascons, éloignée des clichés bedonnants et chargés de cholestérol, de terroir à béret et à toiles d’araignée dans le chai. Cyril et Julie Laudet sont à la tête d’une bien jolie propriété landaise, sise aux confins des Landes et du Gers, en Bas-Armagnac, à Parleboscq pour être précis, et Cyril représente la huitième génération de vignerons sur le domaine Laballe, dans l’ex « Grand-Bas ». Propriété d’abord dédiée à l’eau de vie gasconne, c’est sous l’impulsion de Noël Laudet qu’elle amorce un virage capital dans les années soixante-dix. Cet ancien régisseur du château Beychevelle, à Pauillac, se lance à domicile dans le vin blanc. Et le succès

    SABLES-FAUVES-BL-paint.jpgrencontré par sa gamme d’armagnacs, est aussitôt entériné par celui de ses blancs secs, puis moelleux, et des rouges landais. Cyril reprend les rênes du domaine en 2007, des mains de son grand-père Noël. Son épouse Julie, femme issue du marketing dans l’artisanat du cuir haut de gamme du côté de Carcassonne, le rejoint en 2009. Elle est le complément d’objet direct de son vigneron de mari. Le terroir, de sables fauves, caractéristique de la région (le sable landais, les dépôts argilo-limoneux chargés en oxyde de fer venus du Gers) donne une belle minéralité et une grande fraîcheur aux vins. Laballe joue avec l'IGP Landes pour sa gamme Terroirs Landais – à laquelle Cyril tient, car il pourrait classer ces vins-là en Côtes de Gascogne, mais non… Avec, par exemple, un blanc sec 2015 formidable (gros manseng, ugni blanc, colombard et sauvignon), minéral, frais, au nez d’agrumes et pourvu de franches notes exotiques et d’abricot en bouche. Il existe en rosé et en rouge, mais nous ne les avons pas encore goûtés. Laballe propose aussi un audacieux chardonnay des Landes (a probar aussi). En appellation Côtes de Gascogne, nous avons goûté Les Terres Basses en rouge (2015) équilibré, corpulent, sans doute grâce au merlot qui partage le gâteau avec le cabernet sauvignon et le tannat. C’est rond, élégant, épicé, puissant mais doucement. Davantage que Raisin Volé, rouge goûté dans le millésime 2014, en AOC Tursan, et dans lequel tannat, cabernet franc et cabernet sauvignon s’assemblent raisin-vole-clos-cazalet.jpgavec une délicatesse remarquable. Le cabernet franc parvient à dompter le tannat, sous ces latitudes  - c’est connu. Et le cabernet sauvignon est alors un suiveur galant. La Demoiselle de Laballe est un blanc doux classé en Côtes de Gascogne vif, nerveux, sans graisse, svelte et néanmoins doté d’un joli moelleux, comme on le dirait d’un édredon frais : léger et caressant. A noter que le mordant et souple Raisin Volé est élaboré par Cyril Laudet, en collaboration avec un confrère indépendant, le domaine Cazalet. Car Laballe possède une vingtaine d’hectares autour de Parleboscq pour ses armagnacs et ses vins, mais travaille aussi en collaboration - sur autant d'hectares en culture -, avec des vignobles voisins. Mention spéciale à L’Oustig 2015 (envie d’écrire loustic), un blanc sec atypique, classé en Vin de France, confidentiel (4 barriques) étonnant de franchise, de flaveurs d’abricot, de fruit de la passion, rond à souhait, avec un soupçon d’acidité posé comme des parenthèses davantage que comme des guillemets. Gros et petit manseng, et baroque (rare !) composent par tiers l’encépagement de ce « vin nature » qui n’est pas levuré, et qui est d’une pureté et d’une droiture confondantes.

    Côté armagnacs, la gamme est somptueuse, qui fait la part belle aux millésimes, aux assemblages bien sûr, et à des flacons issus de monocépage : baco, ugni blanc, comme ce splendide 1991, 100% Baco, à la robe caramel luisant, miracle d’équilibre et de force contenue, avec son neztrio02.jpg agréable -oui- de térébenthine furtive, et une bouche opulente où les fruits confits et les épices douces dominent avec une ténacité souple. Finesse, rondeur, charnu, longueur respectable, sont les termes qui définissent ordinairement les armagnacs racés de Laballe dans leur ensemble. Et, la tendance étant devenue structurelle, la volonté de développer la consommation de l’armagnac dilué en cocktail, est une carte que Laballe joue à fond. Pour ce faire, la gamme « 3 (Ice) -12 (Rich) -21 (Gold) », au look très moderne, est étalonnée, et elle fait un carton dans les bars dédiés.

    Une dégustation d'un large éventail de la maison (vins et eaux de vie), se tenait d’ailleurs ce 4 octobre dans un bar (restaurant) à cocktails parisien de haut-vol : Gravity Bar. Ouvert il y a un an et des poussières par Marc Longa (ancien journaliste), avec un associé, et un chef de talent, Frédérick Boucher, ce lieu freestyle à mort, au look très sports de glisse donc, mais classieux : épuré, boisé façon surf scandinave, connaît un succès mérité. La recette ? -Un mélange de mixologie (l’art de faire des cocktails) de grande qualité, et de restauration franchement gastro, et au petit point. Témoin, ce déjeuner, donc, en parfaite harmonie mets-vins de Laballe, qui proposa des huîtres bretonnes, bouillon d’anguille, mini concombre et pomelo avec le Sables Fauves blanc 2015 précité : un mariage presque trop raccord! Un délicieux foie gras au torchon audacieusement escorté d’une betterave au goût parfait, ni terreux, ni sucré, riz sauvage soufflé bien croustillant (en écho salutaire au moelleux total du reste) et pourvu d'une pointe de grillé idoine : idéal avec L’Oustig. Un cube de poitrine de cochon laquée à se damner, avec une purée d’aubergines fumée formidable, champignons de Paris marinés, oignon croquant et sésame – sur le Raisin Volé et le Terres Basses, afin d’éprouver le crescendo des deux rouges. Enfin, la poire pochée au vin blanc, faisselle de chèvre (un peu trop épais, pouf-pouf, pas assez chantilly, le chèvre), miel et noisettes correctement torréfiées – avec la Demoiselle de Laballe, à la vivacité de jeune fille espiègle s’échappant à la fraîche dans la pinède… L.M.

    ----

    Domaine Laballe, à Parleboscq 40310.  

    Gravity Bar, 44, rue des Vinaigriers, Paris 10ème 

    Photos de Julie et Cyril Laudet, et des bouteilles : D.R. 

    ALLIANCES :

    téléchargement.jpegQue lire avec tout ça? Le Vieux Saltimbanque, ultime roman de Jim Harrison (disparu en mars dernier), sorte d'autobiographie à la troisième personne d'un immense gourmand de la vie, amateur invétéré de grands vins de Bordeaux, de chasse, de pêche à la mouche, de poésie, et de (sa) femme(s). Flammarion - qui donne9782221192795.jpg envie de reprendre illico son inoubliable Dalva et ses Légendes d'automne (10/18). Et Les lois de l'apogée, de Jean Le Gall (Robert Laffont), roman élégant et fulgurant, incisif et mordant, subtil et délicat, qui dépeint ces trente dernières années, en France, à travers les déambulations littéraro-politico-sensuelles d'un trio infernal. 

    L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.

  • troptoirs

    Ah, ces marchés récurrents et improvisés sur les trottoirs de Paris, avec des monceaux de charcuterie et de fromages corses, basques, auvergnats dégueulant jusque là, et tenus par des types ayant vissé un béret sur leur tête dès potron-minet, mais ne parvenant pas à dissimuler leur accent de Ménilmontant, et qui vous affirment être du cru, lors qu’ils ne savent pas situer avec leur index ledit cru sur la carte. Et qui confondent sans ambages les AOC entre elles, dès que vous leur posez une petite question sur l’affinage, le village, le machin, sans même aller trop loin, car cela deviendrait embarrassant. Ce n’est pas que je sois d’humeur grincheuse ou chafouine, mais j’en ai assez de l’arnaque à ciel ouvert, du rapt sans masque, et de la brutalité que cela produit, en somme. C’est comme ces graffiti au pochoir, sur les mêmes trottoirs, déposés non sans violence, devant les boucheries : « Go Vegan ». Mais merde, à la fin. J’aime la bidoche sans limite, les fromages qui puent, j’aime relever les matoles à ortolans, j’aime la bécasse faisandée de huit jours au moins, j’aime voir une demi-véronique signée José Tomas sur le sable, j’aime ferrer une fario d’altitude à la mouche, j'aime relire Hemingway dans la brousse, j'aime écouter les cerfs bramer, j’aime faire l’amour à l’arrière des berlines, après, mais je ne vais pas faire des pochoirs avec tout ça, au nom d’un instinct pongiste dont je suis de toute façon dépourvu. L.M. 

  • Allez, zou!

    Certaines attitudes assument leur insolence. Ce soir, je dînais, accompagné, dans un italien branchouille de Paris, à la cuisine d'assez bonne facture (focaccia correcte, bonne cuisson de linguine all'Amatriciana, relevée avec justesse). Lors de la réservation, il fut impossible de venir à l'heure désirée : 20h30. C'était 19h30 ou 21h30. Bon, va pour la première option. Nous avons certes pris notre temps, à l'étage d'une sorte de hall de gare (c'est l'emplacement de l'ancienne boutique de Jean-Paul Gaultier), en plus assourdissant, car toute conversation devint vite impossible. A 21h15, une jeune fille déposa l'addition en disant fermement : j'ai une réservation dans dix minutes. En d'autres termes : payez-dégagez. Et je déteste, mais je déteste, mais alors si vous saviez combien je déteste que l'on s'adresse ainsi aux clients d'un restaurant. Force est hélas de constater que cette jurisprudence fait florès : à midi, c'est une heure top chrono, et le soir, c'est deux. Capito? - Non, Addio!

    (Daroco, 6, rue Vivienne, Paris 75002).

  • Long Cours revient

    2016-09-30 16.45.39.jpgC’est l’excellente nouvelle de la saison : Tristan Savin a transporté Long Cours de L’Express au Point. Sa belle revue, un mook (magazine-book) consacré aux grands reportages « au long cours » d’une belle exigence littéraire, met le cap sur les pôles Nord et Sud, pour ce numéro d’une nouvelle série que nous souhaitons longue. Au sommaire, des plumes de talent, et pas que des travel-writers : Sylvain Tesson, Michel Onfray, Douglas Kennedy, Cédric Gras, Gilles Lapouge, entre autres.

    Prise de conscience et prise de position, la revue d'aventures s’est penchée sur la fonte des glaciers et les bouleversements en chaîne que cela commence d’entraîner. « La Terre ne sera bientôt plus la même », souligne Savin dans son édito. Onfray évoque Jean Malaurie, « le dernier des spartiates », explorateur, ethno-historien, fondateur de la collection Terre Humaine (Plon). Cedric Gras et Sylvain Tesson, géographes écrivains partis au Groenland, disent « adieu aux glaces », et s’interrogent avec poésie et mélancolie sur l’inexorable fonte. Julien Blanc-Gras donne des extraits de son livre « Briser la glace » (Paulsen). Cédric Gras est parti en Antarctide, à bord d’un brise-glace russe. Il est aussi question des « îles de la désolation » - l’archipel des Kerguelen, du grand froid yakoute, en Sibérie orientale, des derniers chamans de Laponie et, cerise sur le glacier, d’un extrait du journal d’Arthur Conan Doyle, « Au pôle Nord » (Paulsen), évoquant une chasse au phoque et à la baleine. Nous écoutons aussi Luc Jacquet, le réalisateur de « La Marche de l’empereur », exposant son militantisme en faveur de la défense de l’environnement, et Jean-Claude Perrier, qui a mis ses pas « En Patagonie » dans ceux de Bruce Chatwin. Enfin, Doug Kennedy réchauffe ce numéro en traversant un désert australien semé d’embushes. Un Long Cours de longue garde. L.M.

    ---

    15,50€

     

  • c'est baloo

    ... un de ces vrais cèpes dits de Bordeaux, vous savez, avec un long pied blanc, oblong et épaulé façon bouteille Perrier lorsqu'il est cueilli jeune, ventru et comme dessiné par Starck, surmonté d'un béret marron riquiqui mais incroyablement ferme et riche en saveurs. Soit un cèpe taillé comme Baloo, dans Le Livre de la jungle selon Walt Disney. Et bé, l'autre midi, tranché très fin dans le sens de la hauteur et snacké vite fait bien fait, il escortait un joli dos de cabillaud épais, juteux, augmenté de gingembre, de citronnelle, de cébette... Et c'était juste bon, avec un verre de saint-joseph blanc (2011) légèrement oxydatif - roussanne et marsanne, des fois, ça vous la joue raccord, quand ça chante en canon -, signé Jean Delobre (La Ferme des Sept Lunes). Où ça? -A La Cave de l'Insolite, l'une de mes cantines du onzième arrondissement de Paris. Simple, sympa, audacieux : l'accueil, le service, la déco, la carte fraîche du marché, la cave de vins bios, l'esprit, tout (sauf cette phrase à la noix, collée sur le tiroir d’une commode : « les sulfites c’est pour les cons », parce qu’elle fleure franchement vilain l’intolérance, l’idiotie terrorisante du khmer vert en germe). D’ailleurs, le saint-jo blanc bu, précise « contains sulfites » sur sa contre-étiquette. Alors camembert. Car sans soufre (il faut encore le rappeler), le vin tourne piquette. L.M.
     
     

  • Les Colonies

    Capture d’écran 2016-09-22 à 15.17.26.pngLa surprise du jour : un "mook" de L'Express paraît en kiosque, consacré aux colonies, et dans lequel je signe 24 pages en une douzaine d'articles, à propos de l'Algérie, du Vietnam... (des colons, de l'OAS, des pieds-noirs, de l'Indochine, des juifs d'Algérie, d'Abd-el-Kader, de Dien Bien Phu, de Bao Dai, de la "guerre" d'Algérie, des rapatriés, de la résistance vietnamienne...).

  • Mon dossier vins dans Pèlerin

    Capture d’écran 2016-09-15 à 12.26.54.pngIl paraît ce matin. Je l'ai conçu comme un dossier anti Foires aux vins, il est composé de portraits de vigneronnes et de vignerons de talent, tous soucieux du respect de la nature et de la réalisation de vins purs, droits, francs, sans intrants, reflétant au plus près le terroir dont ils sont issus.

    Fier de faire la "couv" du magazine, en plus. Et c'est le sourire de la ravissante Cécile Dusserre, domaine de Montvac, à Vacqueyras, qui l'illustre. Tous au kiosque!

    Et pour les accros, on y (re)trouve les vigneron(ne)s suivant(e)s :
    Laura Semeria (Montcy, Cheverny), les frères Perraud (Cognettes, Muscadet), JM Landureau (Escurac, Médoc), France Crispeels (Reveille, côtes-du-roussillon), Antoine Kreydenweiss (Alsace), Christophe Reynouard (Grangeon, Ardèche), Clotilde Davenne (Les Temps Perdus, Irancy, Saint-Bris), Philippe Fezas (Chiroulet, côtes-de-gascogne), Cécile Dusserre en Vacqueyras... Plus une belle vingtaine d'autres traités en bref, mais bien. Comm'y faut... L.M.

  • impudeur, peut-être

     

    Capture d’écran 2016-08-18 à 13.53.06.png

    Je sais, c'est impudique, mais comme cette photo évoque une scène de cinéma, de l'avis, fiable, de ceux qui l'ont vue, je la propose ici, m'autorisant un coup de canif dans toute déontologie minimale. Ma mère est dans la DS. C'est un dimanche après-midi (entre 1970 et 1976), dans le port de Bayonne. Le m/s Léon Mazzella est à quai, de retour d'Afrique avec rien dans ses flancs, puisqu'il chargera ici. Ce sera selon : soufre, phosphate, traverses de chemin de fer... Derrière lui, en reflet sur les vitres du dernier hommage rendu à la carrosserie automobile (la Citroën précitée), se devine le m/s Cap Falcon, autre navire de la flotte de mon père, armateur. Papa est forcément à bord. Maman a l'air de s'ennuyer grave. Il lui tarde de rentrer et de préparer les pâtes pour la famille. Après le bain des enfants. Et zou, au lit fissa pronto!.. C'est dimanche. Après ce sera plateau-non! pas télé, autre chose avec son homme.
    L.M.
    -------

    P.S. : Le levier de vitesses est au volant, le modèle date bien. Le rétroviseur central produit un clic-clac mat lorsqu'on l'actionne (jour/nuit), afin de lutter contre l'éblouissement des phares - jaunes -, du con qui suit et qui ne pense pas à passer en code. La montre, rectangulaire, se règle à la main avec un gros bouton. Le poste, qui a déjà connu plusieurs ID et DS, est un Radiola toujours branché sur RMC, que mon père appelait "Radio Andorra"!.. Pourquoi maman ne baisse-t-elle pas la vitre, afin de respirer un peu d'air fluvial chargé de marée montante (c'est mieux que descendante) ? Le bruit des grues, peut-être. L'envie de rentrer, sans doute...

     
     
     

     

  • DUKOU

    Avez-vous remarqué que le virus le plus dévastateur de l’été – il avait fait son apparition timidement il y a quelques mois, puis il s’est propagé à grande vitesse, et il est désormais sur toutes les lèvres (l’invasion risque d’être totale et de toucher bientôt les perroquets et les mainates). Car c’est le réflexe le plus usité, la pollution du langage la mieux partagée, le recours systématique et la plupart du temps superflu numero uno, le gimmick que nous entendons le plus – pour peu qu’on y prête attention -, et cela devient alors insupportable, et j’en connais certains que j’ai alertés et qui le guettent désormais comme un gibier, en étant assez vite stupéfaits par sa prolifération. C’est donc un nuisible. Un virus, écrivais-je. Un vrai. Son nom ? – Du coup. Oui ! Écoutez donc, autour de vous, dans la rue, dans les transports, écoutez vos amis, écoutez vos frères et sœurs, vos cousins, écoutez les commerçants, écoutez vos parents, écoutez les animateurs à la télé, écoutez les interviewés à la radio, écoutez les hommes et les femmes politiques. Personne n’y échappe, tout le monde est atteint du virus dukou. Ecoutez-vous donc aussi... Vous allez vous surprendre à l'employer, vous en aurez même un peu honte, vous mettrez votre main sur la bouche, ooops, zut, moi aussi, je... Dukou se rencontre à tout bout de champ lexical.

    Faites donc, oui, l’expérience de guetter le virus dukou. Quelques heures suffisent pour y devenir allergique. Allergique à son emploi intempestif, incessant, ad nauseam, à sa répétition à l’envi, à son inutilité si parfaite, parfois, à sa manière inélégante de meubler une phrase, à sa façon peu accorte de ne pas dire, voire de ne rien dire, mais sans gêne pour autant.

    Mais alors, vous vous demandez déjà par quoi le remplacer, si tant est qu’il faille remplacer un virus. Par un autre ? - Certainement pas, de grâce ! Par quelques antidotes, synonymes et autres variantes plus heureuses, plus audibles, moins usitées peut-être. Pourquoi pas. Alors… Par quoi remplacer « du coup » ? – Cherchez, adaptez ! Par rien, d’abord. Oui, par rien. Par le silence, le soupir dans la diction, les points de suspension... Ou bien par de classiques « donc », « de fait », « de ce fait », « et alors », « à la suite de quoi », « à ce moment-là », « lors », « par conséquent », « en conséquence de quoi (ou pas de quoi, d'ailleurs) », « à la suite de quoi », « et soudain »… Vous voyez, il y a le choix.

    Mais, franchement, vous je ne sais pas, mais moi, vu que je le guette, ce virus en pleine expansion ces mois-ci, et qu’il finit par m’obséder comme une chanson dans la tête que l’on n'avait pas envie d’avoir dans la tête parce qu’on ne l’aime pas, en plus, cette chanson ringarde-là, je frôle l’overdose. Du coup, j’arrête d’écrire, là. L.M.

  • Quand Michel Onfray évoque le temps du vin...

    téléchargement (1).jpeg... Cela devient jouissif. Je rentrais du marché de Bayonne, cet après-midi, il était 15h environ, et j'avais déjeuné d'un pied de cochon anthologique avec des frites a gusto au bord de la Nive, malgré le soleil qui, en terrasse, me cramait le crâne, et tout en lisant Faites les Fêtes, de Francis Marmande (éd. Lignes). Je me dirigeais vers la plage de La Chambre d'Amour, afin d'aller me fracasser le corps tout entier comme j'aime le faire, les pieds plantés dans le gravier, jambes écartées, ou bien (mieux) en plongeant à la dernière seconde à ras le ras du ras, dans les vagues de la marée presque haute (ici, on appelle ça le shore-break, et ça se prononce d'un seul coup comme ça : chorbrek. Rien à voir avec la chorba), lorsque France Culture, dans la voiture, m'interpella. C'était Michel Onfray qui parlait du vin de champagne - et autres vins de saint-émilion, sauternes, pomerol, ou de modestes languedocs... Avec un savoir bachelardien, une sensibilité cosmique, une tendresse filiale, une connaissance réelle et fine, le philosophe spinozien, nietzschéen, camusien (tout ce que nous détestons, en somme, n'est-ce pas), égrenait des expériences de dégustations, et de rencontres avec des vignerons, qui me subjugua. Aussi, l'émission m'obligea-t-elle plaisamment à me garer au bord de l'Adour, juste avant La Barre, afin de la savourer yeux mi-clos, oreilles grand large. Elle dure 1h30, cette émission, et j'en ai rattrapé pour vous le podcast. Mais c'est passionnant à partir de la 18ème minute (pour les pressés), et jusqu'à la fin. Car, même l'épilogue est délicieux comme une mignardise, ou bien comme un tout petit verre de liquoreux sorti de nulle part, façon botte secrète. Je vous en livre par conséquent le lien, afin qu'il vous lie, à votre tour, à cette parole souple et solaire, assemblée et rassemblante, enivrante et juste, je crois. C'est du grand art verbal, soutenu par une culture immense et sans faille apparente (*). Soit, pour qui aime les vins, un pur moment de dégustation philosophique précieux comme un millésime de grande garde à boire ce soir même. Cliquez, amis hédonistes : Onfray et le vin  Première ligne : Les formes liquides du temps

    ---

    (*) Juste un truc, oh, un détail, il confond l'Etna et le Vésuve à propos du Lachrima Christi, c'est vraiment pas grave!..

  • L'Eté

    téléchargement.jpegChaque été, je relis L'Eté, d'Albert Camus (folio 2€). C'est mécanique. C'est un besoin, mental autant que physique. Comme celui d'Afrique, de brousse, à chaque mois de mars, durant nombre d'années... Le Minotaure ou la halte d'Oran, Les amandiers, Prométhée aux Enfers, Petit guide pour des villes sans passé, L'exil d'Hélène, L'énigme, Retour à Tipasa, La mer au plus près (Journal de bord)... Chacun de ces petits bijoux, des récits solaires au lyrisme sec, brefs, essentiels, et hors du temps, sensuels et poétiques, me font aimer Camus encore davantage. Chaque été je relis L'Eté, et je l'offre, aussi. Il est arrivé que l'on me dise : Mais, Léon... Tu me l'as déjà offert! Tu ne t'en souviens pas?.. C'est une partie du magnifique recueil intitulé Noces (suivi de L'Eté). J'y retourne comme on ouvre les volets d'une maison de vacances avec un pincement de honte pour l'avoir négligée plusieurs mois. J'y reconnais chaque texte, que j'ai l'impression de saluer en arrivant, vêtu de ce plaisir singulier de taper l'oreiller avant d'y caler la tête pour la première partie de la nuit... Relire Camus, c'est - aussi - physique. Allez... Les deux premières phrases, et puis la dernière : 

    Il n'y a plus de déserts. Il n'y a plus d'îles.

    J'ai toujours eu l'impression de vivre en haute mer, menacé, au coeur d'un bonheur royal.

     

  • "La" Morante


    Je ne suis pas peu fier de savoir (depuis longtemps déjà), que Elsa Morante a écrit L'Isola di Arturo, le roman de Procida (Prix Strega 1957), à Eldorado, la maison familiale de mes ancêtres armateurs. Ce lieu splendide, sur mon île chérie, fait naturellement partie du parcours littéraire qui chemine le long des lieux phares évoqués dans le livre, et que chacun peut effectuer sans attendre la période de l'attribution du Premio Procida Isola di Arturo Elsa Morante, dont c'est le trentième anniversaire cette année.

    Traductions :

    1) L'Eldorado, la villa Mazzella di Bosco dove Elsa scrivera

    1) L'Eldorado, la villa Mazzella di Bosco où Elsa écrira


    Capture d’écran 2016-07-01 à 10.24.56.pngCapture d’écran 2016-07-01 à 10.50.16.png

    La passeggiata inizia dall'Eldorado, la villa dell'antica famiglia degli armatori Mazzella di Bosco dove Elsa Morante visse et si ispiro per scrivere il suo grande romanzo ambientato della nostra isola...

    La promenade commence par Eldorado, la villa de l'ancienne famille d'armateurs Mazzella di Bosco où Elsa Morante vécut et où elle trouva son inspiration pour écrire son grand roman... 

     

    Capture d’écran 2016-07-01 à 10.02.59.png

    Vu de Il Giardino di Elsa, un verger de citronniers qui s'achève sur une splendide terrasse en balcon au-dessus de la plage de Chiaia, avec la Corricella à gauche, la Punta Pizzaco à droite, et Capri au loin... 

     

  • Les années Vadim

    téléchargement.jpegUne autre époque. L'insouciance, les fiestas chaque soir, les épaules bronzées et salées - ce liseré blanc qu'on aime baiser, une main empaumant un sein, l'autre tenant un verre. Les - très - jolies filles, le cinéma perpétuel, un cinoche à trente-six dimensions, king size comme les lits de bonne fortune où tombaient les nombreuses maîtresses, toutes plus sexy les unes que les autres, et qu'occupait un playboy nommé Vadim. Roger Vadim. Arnaud Le Guern, qui signa un Paul Gégauff mémorable, a l'âme damnée par ces années de plume et d'alcools, qui précédèrent d'autres, de plomb et de vinaigre. On le comprend. Et nous partageons son amour hussard des plages, des films, des chemises de lin blanc, de la délicieuse superficialité de certaines poupées en bikini. Nous suivons l'auteur page à page - il n'a pas besoin de nous prendre par la manche, et nous plongeons dans une sacrée époque, imbibée de plaisir comme un baba de rhum. Une époque où la désinvolture le disputait à la nonchalance, mais au sein de laquelle des talents légers et délicats comme des papillons, et doués pour le culte de la beauté et rien qu'elle, surnageaient, à l'instar d'un glaçon pris par le Spritz. Vadim en fut. Un tombeur, ce doué-là. Un mec à rendre jaloux la moitié de la planète. Ce qu'il parvint à faire sans lever le petit doigt. Et un sacré oeil qui savait déceler l'actrice sous la peau de la femme, ou bien la fabriquait le temps d'un film. Qu'est-ce alors que le temps, le succès, sinon des sorbets au soleil. L'évanescence est une danse, la vie de la soie, l'émotion une fumée. La biographie buissonnière d'Arnaud Le Guern zigzague, pétille. Plop! le champagne glougloute ici et là, elle bifurque aussi, car elle s'est nourrie d'anecdotes et de citations. Un vrai bonheur est celui de tourner les pages de Vadim, untéléchargement (1).jpeg payboy français (Séguier), de suivre cet ange affamé (titre de son autobiographie), de film en film, et de femme en femme (B.B., Jane Fonda, Catherine Deneuve, Maria et Catherine Schneider, Sylvia Kristel, Marie-Christine Barrault in fine, parmi tant d'autres créatures de Dieu. Mille e tre!). Les seventies furent placées sous le signe de la séduction comme les quatre-vingt dix le furent sous celui de la réussite aux dents longues. Elles avaient une autre classe. La bande à Vadim comptait de sacrés fêtards au génie singulier : Maurice Ronet, Paul Gégauff, les frères Marquand, Daniel Gélin, entre autres artistes. Et qu'importe si Vadim a signé des films que le 7ème art ne retiendra sans doute pas, même si Tarantino et d'autres s'en sont inspirés. L'homme couvert de femmes aura vécu comme un prince de la légèreté dense. Cela s'appelle le style. Ce n'est pas rien, par les temps mornes qui courent. L.M.

  • La littérature sans idéal

    Unknown.jpgPhilippe Vilain, romancier (ses livres sont évoqués sur ce blog), et essayiste qui réfléchit à la littérature contemporaine, publie une étude appelée à faire date : La littérature sans idéal (Grasset). L'auteur dresse un constat pessimiste sur la littérature - qu'il a à l'estomac -, la vraie, celle qui a le souci du style (et Vilain est un vrai styliste), qui se moque des désirs mercantiles des éditeurs, lesquels se fondent sur les supposés désirs des lecteurs, ces nouveaux tyrans dénués de réelle culture (littéraire). L’auteur est désenchanté, mais son désenchantement n’est pas le reflet de l’esprit chagrin, ni celui du pessimisme antimoderne, c’est celui qui constate avec amertume une indéniable paupérisation de la production littéraire, la marée montante d’une inculture à l’aise avec son ignorance, l’incapacité à admirer des modèles comme à concevoir un idéal poétique, sinon un idéal d’écriture. Vilain déplore la déliquescence du style, et celle du culte de la beauté de la phrase. Ainsi la littérature déchante-t-elle aussi, et laisse-t-elle place à une production « oralisante », bavarde, sans nécessité, pas écrite du tout, voire « désécrite », précise l’auteur, castrée à force de se conformer à une production commerciale convenue et assimilable par le plus grand nombre, par-delà les continents, mais sans réelle saveur, sans teneur, inconsistante, sans avenir historique. Vilain parle de « soumission » (un terme très utilisé, depuis la parution du roman éponyme de Houellebecq), de cet écrivain-là à la marchandisation de son travail. Nous sommes loin d’une exigence à la Julien Gracq et de la nécessité viscérale d’écrire. Loin, également, de la peinture sociale, de l’étude magistrale des comportements humains par un Balzac, via son œuvre immense. Cette littérature décomplexée, mais somme toute sans qualités, souhaite de surcroît se débarrasser des pères fondateurs : « brûler » Voltaire, « en finir avec » Proust. Pourquoi ? –On se le demande. Seul Céline trouve encore grâce, avec sa novlangue (il n’écrit pas, il « déparle », précise Vilain), aux yeux de ceux qui savent à peine lire. En effet, pourquoi vouloir dissoudre l’exemplarité, l’excellence?.. Serait-ce pour mieux cacher l’indigence ? Ou bien l’excellence fait-elle peur au point que son ombre de mancenillier encombre constamment. « Il n’est pas impossible que la récusation des modèles classiques trahisse une inhibition certaine de l’écrivain contemporain envers son monumental héritage, un sentiment d’écrasement face à ses figures tutélaires, un complexe d’infériorité… », souligne Philippe Vilain (*). Le capital littéraire, la connaissance ne semblent plus indispensables à la fabrique des produits de ce temps maigre, en rupture par ignorance : c'est là le côté révolutionnaire, tendance anarchique, mais teinté d'un nihilisme asthmatique et par défaut, d'une forme de « présentisme ». Le tout assorti du syndrome du « pourquoi pas moi », qui oublie qu’écrire est un métier, comme hôtelier, taxi, ou journaliste (l'uberisation de la société gagne de nouveaux terrains). Spécialiste de l’autofiction, l’auteur décrit en outre, et par le menu, cet investissement subjectif du réel qui réécrit sa mythologie personnelle (l’autofiction) et ses cousines : la biofiction, le docufiction – et leurs travers : l’épuisement sémantique, la défaite du langage, l’éprouvante simplification qui confine au simplisme, le triomphe de l’image, de la scénarisation du roman (la cinécriture), la « selfication des esprits », lance l’auteur, « les dérives d’une époque narcissique, egocentrée, et soucieuse de reconnaissance », ajoute-t-il, avec juste une « ambition récréative », et non plus littéraire, à haute valeur ajoutée. Sans idéal, donc. Ce nivellement par le bas d’un art pris dans le tourbillon d’un marketing planétarisé, a engendré une espèce de « fast writing » sans rigueur, sans substrat, et - pire -, sans fondations. Consolation (restons optimiste et continuons de parier sur la qualité, à l'instar d'une réflexion que nous pouvons mener en parallèle sur la presse écrite imprimée, face à sa jeune dauphine, la presse Web) : il s'agit bien là d'une sous littérature condamnée à la noyade. L.M.

    (*) Et l'on pense alors au fameux vers de Patrice de La Tour du Pin : Tous les pays qui n'ont plus de légendes sont condamnés à mourir de froid. 

                                                                                                         

     

  • Un chemin de tables

    téléchargement.jpegVoici un petit livre dont nous suggérons la lecture à tous ceux qui aiment la gastronomie au-delà de l’assiette, qui aiment faire la cuisine, qui font profession de cuisinier, qui affectionnent le discours littéraire sur cette grande passion française, et à tous ceux qui auraient envie de suivre, en tournant les pages, l’itinéraire d’un jeune gourmand passionné. Ca commence à faire du monde... C’est un peu « L’enfance d’un chef cuisinier », ce court texte (une centaine de pages), signé Maylis de Kerangal, à qui nous devons le très émouvant, très beau, très fort « Réparer les vivants » (folio). Un chemin de tables (Seuil, collection « raconter sa vie », ou le roman vrai de la société française), nous conte l’histoire du jeune Mauro, qui n’aimait rien comme cuisiner pour ses potes de collège, puis chez lui. Il se lance très vite dans le métier, connaît mille misères, ne renâcle jamais. Animé d'une réelle passion, tendrement convaincu de posséder un brin de talent, il poursuit son apprentissage dans des brasseries parisiennes, et à Montreuil, puis chez des chefs, et des plus grands, passant des pizzas au fooding, via le classicisme façon tournedos Rossini. Il devient l’icône d’une cuisine fondée sur les deux piliers de l’inventivité et du partage. Ce que nous aimons, c’est d’abord l’écriture juste, précise, imagée et forte de l’auteur. Nous sentons tellement bien le personnage de Mauro, que son portrait, (page 59 et suivantes), devrait être lu, et cité en exemple dans les écoles de journalisme – c’est d’ailleurs ce que je ferai à la rentrée… Il y a aussi un personnage attachant qui grandit au fil des pages : il y a du reportage en immersion dans ce texte, et à travers ce récit, la photographie de notre gastronomie contemporaine se révèle avec, en prime, la description pointue des arcanes d’un milieu. L.M.

  • Les comics retournés de Gabriela Manzoni

    2016-06-21 16.04.07.jpg
    2016-06-21 16.04.23.jpg
    2016-06-21 16.07.52.jpg
    2016-06-21 16.08.16.jpg2016-06-21 16.09.11.jpg2016-06-21 16.09.30.jpgGabriela Manzoni
    est habillée d’espièglerie aux tons pastels, ce qui warholise quelque peu les pensées caustiques d’un Cioran, comme : « Le réel me donne de l’asthme », ou celles d’un moraliste à la La Rochefoucauld, qu’elle adjoint à des dessins d’un humour redoutable. Ses Comics retournés, 200 pages de mauvais esprit, et du bon !, qui paraissent chez Séguier, sont un régal d’ironie, de subtilité et de cet esprit français parfois dévastateur. La bien-pensance bobo, le couple et ses méandres marécageux, le mâle et ses certitudes, la femme et son claquant ou ses fadaises, l’air du temps et les lieux communs… Tout est prétexte à l’auteur pour ciseler une formule lapidaire qui donne dans « la radicalité de la nuance », comme on prend de la crème de marrons : à deux doigts sans se retenir. Certaines icônes d’une culture sûre d’elle sont lapidées gentiment, d’autres sont griffées à ongle droit.2016-06-21 16.10.19.jpg

    2016-06-21 16.10.40.jpg Désinvolte, nonchalante, mutine, libertine, « la » Manzoni y va franco sous le velours – façon panthère noire du trait bien tempéré. Sa lecture du monde contemporain ne manque ni de classe, ni de mélancolie. Au détour d’une page, nous laissons l’idée d’un philosophe désenchanté pour chevaucher en pensée l’esprit d’une sorte de 
    2016-06-21 16.12.56.jpg2016-06-21 16.10.51.jpg

    2016-06-21 16.12.45.jpg2016-06-21 16.13.04.jpgMontherlant ou celui d’un Drieu. Et ce petit livre de bon goût, à offrir sans modération, est de surcroît très drôle. Gabriela, s’il vous plaît ... Remettez-nous ça... L.M.

  • Drôle d'oiseau

    Capture d’écran 2016-06-13 à 09.11.27.pngUne cage allait à la recherche d'un oiseau. Kafka (Journal).

    Cette phrase me hante depuis sa découverte il y a quarante ans.

    De même, la métaphore du fruit appelé physalis (d'un mot grec signifiant vessie), surnommé amour en cage (photo), laisse rêveur.

    De là à prendre ce qui fait battre mon coeur pour une lanterne...

    Kafka, ce drôle d'oiseau, craignait peut-être la liberté. L.M.

  • Zouave d'aujourd'hui

    On parle beaucoup de la statue du zouave (le zwawi) du pont de l'Alma, à Paris, parce que l'eau la "gagne"... Et il est étrange que ce représentant des unités françaises d'infanterie légère appartenant à l'armée d'Afrique - souvent d'origine kabyle, d'ailleurs (le corps des zouaves a été créé lors de la conquête de l'Algérie, en 1830, et c'est à la guerre de Crimée, leur première campagne hors du sol algérien, que les zouaves s'illustrèrent en prenant les Russes par surprise, au cours de la bataille de l'Alma), devienne une espèce de symbole du (mauvais) temps qu'il fait, sa jauge...

    Je me souviens de mon père me répétant souvent, lorsque j'étais môme : "Arrête de faire le zouave!", pour : arrête de faire n'importe quoi, ou des bêtises, voire rien : arrête de ne rien faire... Cela pouvait également signifier : cesse de faire "l'intéressant", le "matto" (en napolitain), le fanfaron... Il y a encore la chanson de Ray Ventura, "ça vaut mieux que d'attraper la scarlatine", dans laquelle le chanteur dit : "ça vaut mieux que d'faire le zouave au pont d'l'Alma!"

    Au Lycée, à Bayonne, l'année du bac (qui fut aussi celle de l'impôt sécheresse), une blague inspirée d'une pub qui circulait alors, une sorte de clip d'avant l'inondation des ondes par les clips, disait ceci : "Tu sais pas?.. Ils ont remplacé la statue du zouave du pont de l'Alma, dis-donc!.. - Ah, bon! Et par quoi a-t-elle été remplacée?.. Par une énorme bouteille de Coca-Cola!.. - Ah, bon, et pourquoi?!.. Eh bé... Parce que "Zouave d'aujourd'hui!..." "coooca-colaaaa"...(mouais). L.M.

    :https://www.youtube.com/watch?v=N0rZfJDgQTo

     http://www.culturepub.fr/…/coca-cola-soif-d-aujourd-hui-a-…/

  • Poésie de la douleur

    Définitions de la douleur : "La douleur lancinante est une douleur proche de la douleur exquise, c'est-à-dire comportant des épisodes de lancement survenant par paroxysmes. La douleur fulgurante est une douleur dont l'intensité est particulièrement vive et qui survient de manière spontanée. Les patients la comparent d'ailleurs à des coups de poignard ou à des éclairs. Ce genre de douleur survient au cours de la dégénérescence nerveuse (neuropathie) comme celle apparaissant pendant les complications neurologiques du diabète entre autres. La douleur exquise est une douleur localisée dans des zones bien limitées et qui survient par acmé c'est-à-dire par épisodes pendant lesquelles elle est plus intense. Cette douleur est caractéristique entre autres de l'appendicite ou encore de l'hyperuricémie (goutte). La douleur térébrante est une douleur profonde semblant correspondre à la pénétration d'un corps susceptible de causer une infraction dans l'organisme (vulnérant). La douleur pulsative se caractérise par des élancements sous forme de battements douloureux qui sont perçus dans les zones présentant une inflammation entre autres. La douleur pongitive est une douleur comparable à celle obtenue après pénétration profonde d'un objet contondant . Ce type de douleur est celle de la pleurésie entre autres. La douleur tensive est une douleur s'accompagnant d'une sensation de distension. Cette douleur est celle de l'abcès, de l'inflammation d'une muqueuse digestive ou respiratoire entre autres. La douleur erratique est une douleur labile, qui n'est pas fixe, changeant souvent de place. Cette douleur est caractéristique des rhumatismes. La douleur tormineuse correspond à une atteinte du gros intestin, ou plus généralement d'un viscère abdominal quel qu'il soit (voie digestive, voies urinaires, ...) et correspondant à la colique. Ce type de douleur survient sous forme d'accès. La douleur ostéocope appelée également ostéodynie est une douleur profonde de type aiguë. La caractéristique majeure de ce type de douleur est l'absence de coïncidence avec un symptôme extérieur. La douleur gravative est une douleur qui s'accompagne d'une impression de pesanteur."

    Ces lignes sont extraites de : vulgaris-medical.com , où je me suis rendu par hasard, en googlelisant pour voir, savoir, lorsque j'appris que je souffrais d'une douleur exquise qui me conduisit aux urgences hospitalières... L'expression m'apparut si splendide, sur le compte-rendu rédigé par l'interne, qu'elle eut presque un effet soulageant -enfin, dans l'idée que je m'en fis seulement. Tout à coup la médecine me sembla plus douce, plus sensible. En un mot, poétique oui. Ecoutez : Palpation des épineuses cervicales indolore... Pas de signe de la sonnette... Pas de systématisation radiculaire de la douleur... Douleur exquise à la palpation de l'insertion des tendons de la coiffe au niveau de l'humérus. C'est simplement beau (pour désigner une jolie tendinite calcifiée du sus-épineux). J'entends Laurent Terzieff prononcer ces mots, voire Jean Vilar les déclamer. Je ne sais pas si je soumettrais le diagnostic à la lecture par un Fabrice Luchini… N'était l’emploi, toujours malvenu, de ce au niveau de, l'extrait de cet « examen clinique initial » pourrait s'être échappé d'une page de Ponge. Magie des mots qui surgissent, comme enluminés, là où on ne les attend jamais. L.M.

  • Magnanimité

    téléchargement.jpegMichel Onfray : « On devient vraiment majeur en donnant à ceux qui ont lâché les chiens contre nous sans savoir ce qu'ils faisaient le geste de paix nécessaire à une vie par-delà le ressentiment - trop coûteux en énergie gaspillée. La magnanimité est une vertu d'adulte. (...) Serein, sans haine, ignorant le mépris, loin de tout désir de vengeance, indemne de toute rancune, informé sur la formidable puissance des passions tristes, je ne veux que la culture et l'expansion de cette puissance d'exister -selon l'heureuse formule de Spinoza enchâssée comme un diamant dans son Ethique. Seul l'art codifié de cette puissance d'exister guérit des douleurs passées, présentes et à venir. » (La puissance d'exister, Grasset et Livre de Poche).

     

  • matinalement

    L'aube. Au Moyen-Âge, cela désigne aussi un genre, ou plutôt une forme littéraire assez singulière : c'est une poésie lyrique qui a pour thème la séparation de deux êtres qui s'aiment au point du jour . Accompagnée d'une mélodie savante, elle comporte trois grands thèmes : séparation des amants à l'aube; chant des oiseaux et lever du soleil, intervention du guetteur qui interdit à tout importun de s'approcher et prévient les amants qu'avec l'aube vient la séparation.

    Karl Gottlob Schelle : La bienveillance, la cordialité, la franchise, s'installent dans le coeur qui s'ouvre à la nature; le genre humain, qui cesse de s'agiter dans l'arène des grandes passions telles que l'envie, l'avidité, l'égoïsme, apparaît, dans le miroir de la nature, dans une lumière plus pure. Un homme qui n'est pas dégénéré se sentira oppressé dès qu'il sera resté quelque temps sans voir la nature. (L'Art de se promener).

    Proust : Quand on aime, l'amour est trop grand pour pouvoir être contenu tout entier en nous; il irradie vers la personne aimée, rencontre en elle une surface qui l'arrête, le force à revenir vers son point de départ, et c'est ce choc en retour de notre propre tendresse que nous appelons les sentiments de l'autre et qui nous charme plus qu'à l'aller, parce que nous ne reconnaissons pas qu'elle vient de nous. (A l'ombre des jeunes filles en fleur).

    Gracq : Tant de mains pour transformer le monde et si peu de regards pour le contempler. 

    Capture d’écran 2016-06-03 à 07.05.16.png

    Photo : Maurice Ronet, dans Le Feu follet, de Louis Malle, d'après l'oeuvre de Drieu La Rochelle.

     

  • La révolution sera poétique ou ne sera pas

    Capture d’écran 2016-05-28 à 11.32.10.pngJe fais souvent ce rêve étrange et pénétrant... D'un monde gouverné par la poésie, d'un système dans lequel le mot politique serait toujours remplacé par le mot poétique, où la poésie serait la règle douce et désirée. Je me répète souvent (ici encore, il y a quelques semaines, et ce depuis qu'un jour de juillet 1977, je découvris sa parole), le mot de Hölderlin (photo) : A quoi bon des poètes en un temps de manque? (Wozu dichter in dürftiger zeit?), persuadé qu'ils ne sont jamais aussi nécessaires qu'en temps de crise, de guerre, de marasme social, de doute sociétal. Quand les mythologies s'effondrent, c'est dans la poésie que trouve refuge le divin, écrivait Saint-John Perse. Baudelaire : Il n'y a de grand parmi les hommes que le poète. Hölderlin, encore, répétait que c'est poétiquement que l'homme habite - ou doit habiter -, le monde. Voilà la parole vraie. S'efforcer naturellement (osons l'oxymore) de voir la beauté sous la peau des choses, de même que nous dev(ri)ons toujours frotter et limer notre cervelle à celle d'autrui, disait Montaigne à propos des voyages (en précurseur de l'ethnologie débarrassée de tout ethnocentrisme). Faire de la poésie un mode de vie, un état d'être au monde de chaque instant. Regarder, ressentir, penser, respirer, aimer, rire, parler poésie. Perse, à nouveau (*) : La poésie est action, elle est passion, elle est puissance (...) L'amour est son foyer, l'insoumission sa loi, et son lieu est partout, dans l'anticipation. A chacun sa foi. Croire en cela ne procure aucune espérance en un quelconque au-delà, mais forge et renforce notre pas sur la terre ferme, pensant, avec Eugenio de Andrade, que la démarche crée le chemin. L.M.

    (*) cité dans Habiter poétiquement le monde, anthologie manifeste présentée par Frédéric Brun, éd. Poesis - un livre pas encore vu/lu, évoqué par Le Figaro littéraire d'hier, et d'où je tire ces deux citations de Perse.

    ALLIANCES : 

    Capture d’écran 2016-05-28 à 15.16.34.pngEcouter :  Cigarettes after sex / Affection (cliquez).

     


    Capture d’écran 2016-05-28 à 15.15.42.pngBoire
    :
    le champagne de Barfontarc, un brut blanc de noirs de la Côte des Bar 100% pinot noir, donc. C'est miellé, abricoté, framboisé, crémeux, pulpeux, délicatement vivifié par une acidité gentiment surprenante en bouche. Finale exotique (15€ le prix du plaisir, à fiancer -manger!- avec un dos de cabillaud très épais, juteux, à peine pris au four par le haut).

     

  • Je suis Claude Sautet

    Capture d’écran 2016-05-24 à 11.15.52.pngJ'ai revu, une fois de plus, César et Rosalie, à la télé, avec ce plaisir étrange de l'identification totale, aussi forte qu'entre les pages d'un roman d'amour pourvu d'une épaisseur certaine (Zweig, Marai, Eliade). L'empathie est terriblement sensible, avec les films de Claude Sautet. Alors, j'ai repensé aux Choses de la vie, encore la sublime Romy, et l'immense Piccoli. Et la petite musique Sautet. Années soixante-dix. Mes parents. Leur amour fou. Un spectacle permanent et lumineux, incandescent, idéal, pour leur fils -et filles. Un côté En attendant Bojangles, le roman de Bourdeaut (lire ici, plus bas, au 18 avril), soit une mélancolie gaie, les larmes avec les rires. Les années bonheur, l'insouciance, la mer, le soleil, la terrasse toujours remplie d'amis... Une atmosphère que j'ai - très modestement - décrite dans mon roman Flamenca. Et donc Sautet, sa façon de dire avec tant de tact et de justesse les sentiments, une époque... Comme Aznavour sait chanter l'amour mûr, devenu adulte. Alors je pense à Capture d’écran 2016-05-24 à 11.14.15.pngla chanson d'Hélène, comme on pense au thème de Camille, de Georges Delerue, dans Le Mépris, de Godard, (évoqué sur ce blog de façon récurrente)... La chanson d'Hélène est la plus bouleversante qui soit, la plus douce. Aussi douce et forte que les regards de Sami Frey et d'Yves Montand, à la fin de César et Rosalie, par la fenêtre, lorsque Rosalie/Romy revient... Aussi douce et irrémédiable que l'eau (ou parfois le sable), qui coule, s'échappe d'entre nos doigts. La vie qui fuit, l'amour qui ne se retournera pas, une plage soudain déserte, une page à nouveau blanche, une saison sèche qui tremble à l'horizon comme un mirage. Un côté comme ça... Alors, oui, il y a des jours comme ça. Et, aujourd'hui, comme si souvent, comme ce soir nous sommes septembre (davantage que Charlie), Je suis Sautet. L.M.

    Cliquez là => La chanson d'Hélène 

    Capture d’écran 2016-05-24 à 10.53.04.pngCapture d’écran 2016-05-24 à 11.17.24.png

     

     

  • Spleen parisien

    téléchargement.jpegAlors les copains te disent, te répètent depuis des lustres « trop la chance », « arrête, je vais pleurer », « et moi tu sais où j’ai bouffé », et « plains toi », et j’en passe. Trente ans que ça dure. Que j’accepte de me faire rincer dans les plus beaux endroits, en vertu d’un système huilé, admis, et qui ne se pose plus de question (s’en est-il jamais posé ?), selon lequel il faut engraisser le journaliste comme une oie pour qu’il chie un papier, même pas son foie. Dans le domaine du journalisme gastro/oeno/art de vivre/chose, comme ailleurs (j’en ai connu d’autres, très différents, et c’était la même chose : le voyage en first, le petit cadeau à l’arrivée dans la chambre, le gros juste avant de repartir, qui te fait tellement rougir que tu es obligé de le refuser -question d'éthique, mec, et tout le toutim qui ne frise plus le ridicule). Alors, oui, la semaine dernière, j’ai déjeuné chez Pierre Gagnaire, invité par les grands vins bourguignons de Bouchard, et le lendemain aux Crayères, à Reims, pour une jolie histoire champenoise – et je rendrai compte bientôt des deux, l’ingratitude étant, dans mon top-ten des déconvenues rédhibitoires, un spectre voisin de la déception : si tu acceptes, tu joues le jeu, mais tu n'entres pas dans Troie!.. Deux gargotes de très haute volée ! (meilleur déj’ à la seconde, d’ailleurs). Et j’ai séché plusieurs choses : Dutournier, Apicius… Mais je sais aussi que je me suis régalé d’un jambon-beurre avec un demi, au comptoir d’un rade improbable du 18ème arrondissement de Paris, en filant à l’Anglaise d’un énième machin. Et qu’un jour, au moment de passer à table, au George V, invité par Bernard Magrez et son château Pape-Clément à partager un somptueux repas, en compagnie de « people » éparpillés ici et là, comme Depardieu, Weber, et je ne sais plus qui encore (mazette !), saisi d’un stress des grands jours –celui qui mouille la chemise plus rapidement qu’une douche, j’ai fissa fui (prétextant un bouclage anticipé plutôt hard), puis j’ai respiré un très grand coup une fois dehors, et je me suis alors précipité dans une pizzeria de rien du tout pour manger une Margherita avec les doigts, en repliant sa pâte hélas trop molle (et en pensant fort à celle –formidable-, de Vesi, à Naples)…
    Alors, heureusement que je sais des gens intelligents parmi mes lecteurs, qui ne diront pas, hâtivement, ce mec est blasé, c’est un con, c’est un enfant gavé, un gâté pourri, et gnagnagna... Car, cela n’a rien à voir avec le fait de devenir blasé. Ce que je ne suis pas encore, au bout de tant d’années passées à « tester » les étoilés, les spas, les choses, moi qui n’aime rien comme dormir sous la yourte et partager un steak de cheval cru (épargné par les ours, la nuit dernière), avec des aigliers Kazakhs, ou un filet de buffle à la braise, en compagnie d’un pisteur Burkinabé, adossé à une roue du Land-Rover, tout en écoutant rugir les lions dans le lointain... Non, fuir les mondanités, les convenances, les précautions d’usage, les sourires forcés qui finissent par te refiler une crampe singulière aux zygomatiques, ce blazer encore neuf depuis dix ans qui te serre le dos et les épaules, les moc’ qui étranglent ton cou de pied, lors que tu portes jean-t-shirt-sneakers chaque jour, et n’aime rien comme enfiler tes bottes en caoutchouc – tes vraies pantoufles -, pour aller patauger dans les marais, non, cela n’a rien à voir avec la suffisance de certains qui s’indignent de ce que le red carpet soit plissé – soit pas assez tendu -, devant leurs augustes pas. Cela pour dire que là, au lieu d’un proutproutpincefessedemesdeux, j’ai, one more time, réellement joui (avec fierté, oui), de quatre raviolis vietnamiens « à emporter », dégustés dans leur barquette en plastoc (en me cramant les doigts : j'ai jeté trop vite la poche avec les instruments), au cœur de la ménagerie du Jardin des Plantes, au soleil, entre une chouette harfang des neiges, des oryx d’Arabie et un caracal du désert, qui partageaient une profonde mélancolie proche de la dépression animale, celle que nous ne voulons pas analyser, ni amoindrir, nous les inhumains. Empathie. L.M.

  • Les vins d'Ardèche au Pinxo

    Capture d’écran 2016-05-20 à 19.01.53.png

     

    Splendide dégustation orchestrée par Michèle Piron-Soulat et son équipe féminine, au restaurant Pinxo, spécialiste de la « tapa » de très haut-vol : extraordinaires bouchées de pieds de cochon, délicieuses saint-jacques bardées sur une purée de petit pois, formidable boudin noir landais, et jambon chipsé (de chez Aimé à Dax, ou de chez Montauzer à Guiche, c'est selon), entre autres merveilleuses tapas savoureuses comme à San Seba, ou à Bilbao (bravo, par conséquent, à Fabrice Dubos et à l’équipe très pro de ce restaurant de l'armada de l'ami Alain Dutournier, d’une qualité extrême, sis rue d’Alger). Cela escortait les nombreuses cuvées de vignerons indépendants, et de caves coop’ de respect. L’Abbé Dubois de Cécile et Claude Dumarcher, à St Remèze, propose un viognier 2015 en IGP Ardèche au nez de pêche et d’agrumes délicat, bouche friande et vive, au sein de laquelle acidité et douceur font bon ménage (6€ à peine). La cuvée Originel, nouvelle, vaut franchement le détour, car il s’agit d’un IGP Ardèche rouge issu de Plant de Brunel à 100% Kezaco ? Un cépage quasi inédit, reconnu par l’INRA depuis 2010, planté au domaine des Dumarcher, en 2011 : les vignes ont donc à peine 4 ans, et donnent leur premier vin : c’est très original : robe sombre, nez de fruits rouges vifs (cerise croquante, légère acidité), c’est franchement tannique en bouche, puissant et sans détour possible, cojonudo. 3000 bouteilles à peine pour cette curiosité totale (15€). Le domaine des Accoles, de Florence et Olivier Leriche, à Coux, en certif' Demeter depuis 2015, propose un blanc très grenaché (additionné de clairette blanche et rose), Recto Capture d’écran 2016-05-20 à 19.06.33.pngVerso 2015 (9€) aux notes d’agrumes affirmées. Rendez-vous des Accolytes 2014 bio, rouge, issu de grenache à 100%, très mûres (7€), une cuvée Miocène 2013 bio (13€), où grenache (70%) et carignan expriment une vivacité sans ambages, derrière un mentholé du meilleur effet. Le château Les Amoureuses, de Jean-Pierre Bedel, à Bourg St Andéol (07), donne un rouge assez rond, Black Sublim 2012, avec une jolie acidité délicate en bouche, et doté d’une belle présence en bouche, dans le millésime 2011 (25€, ça rigole pas). Et un Absolu Black 2012 Capture d’écran 2016-05-20 à 19.07.25.png(grenache, syrah, mourvèdre, carignan) 41€, et oui. Très grenaché, sur le Capture d’écran 2016-05-20 à 19.08.53.pngmillésime 2011. Le domaine Arsac, de Sébastien Arsac (photo), en culture bio certifiée, est un domaine solide au discours construit, et aux cuvées ad hoc. Argence 2014, un chardonnay bichonné de la vigne au chai, est floral, beurré en bouche, et pourvu d’une impeccable fraîcheur (13,25€). La Chaumette 2015, un rosé de grenache à 95%, résolument gastronomique du début à la fin d’un repas, se fiche de sa couleur peu « modeuse », plutôt soutenue (comme on aime), et affirme sa clarté, sa délicatesse, et sa force en bouche (10,75€) : Respect, Sébastien!.. Mais Terra Occidens 2014, à fond merlot (85%), ne convainc pas, malgré son étonnante vivacité de cerise croquante (13,25€). Le domaine de Cassagnole, d’Audrey et Alex Biscarat, à Casteljau, propose un blanc (viognier 100%), Esprit de Cassagnole, vif, épicé et rond en bouche : réconciliateur, en somme (8€). Esprit de Cassagnole rosé 2015, issu de syrah corpulentes, de grenache et d’un chouia de viognier, possède une délicatesse et une suavité d’une jolie franchise (8€). Esprit de Capture d’écran 2016-05-20 à 19.11.29.pngCassagnole rouge 2014, ose le marselan, cépage réputé difficile à réussir. Et c’est bien travaillé, bravo. Accompagné de syrah et de carignan, ce rouge élégant, cru, fruité, sauvage, est néanmoins souple et fin en bouche (8,50€). Le domaine du Chapître, de Frédéric Dorthe, à St Marcel d’Ardèche, propose une syrah 100% avec la cuvée Aria 2012, puissante, avec de la matière (8€). Et un blanc, Exsultate 2015, issu de roussanne et de muscat à petits grains, peut-être trop muscaté, vif certes, épicé aussi (10€). Le domaine Coulange, de Christelle Coulange, à Bourg St Andéol, offre un côtes du Rhône blanc (grenache blanc, viognier, roussanne, marsanne) d’une grande rondeur, avec du gras et une belle acidité en bouche qui réveille l’ensemble (6,50€). Mistral 2015 est un côtes du Rhône rouge très grenache (80%, et syrah), mis en bouteille il y a moins d’un mois (nous sommes le 20 mai), et déjà prometteur, sans défaut majeur apparent. Fruits rouges, épicé délicat, réglissé fugitif (6€). Rochelette 2014, du même domaine, est très marqué par la syrah, c’est complexe et élégant, ça appelle l’entrecôte ou le carré d’agneau (7€). Le domaine du Grangeon, Capture d’écran 2016-05-20 à 19.13.07.pngde Christophe Reynouard, à Rosières, est une référence absolue, selon nous : son viognier 2015, travaillé à l’ancienne, soit comme dans les années 1990 (à peine!), possède une sucrosité (3,8g/l) donc une douceur avenante, qui n’apparaît qu’après une fraîcheur superbe au nez (poire, pêche), et une vivacité en première bouche (pêche blanche, chèvrefeuille), et le tout explosa littéralement sur la coquille St-Jacques lardée du Pinxo ! (10,50€ : avec tant de soins apportés, c’est cadeau). Le Chatus 2013, un cépage adoré et minutieusement travaillé par Reynouard : nous avons là l’expression délicate du fruit, avec cette acidité nécessaire, ses tanins discrets, fondus, et qui nous font juste un clin d’œil amical; c’est joliment épicé, doucement alcooleux, fruité profondément (et sur certains millésimes, la nèfle s’invite pour adoucir la fin de bouche, mais pas là). 13€, re-cadeau. Et bravo. Bravo aussi à Benoît Chazallon, vigneron absolu, adepte instinctif de la bio culture biologique et biodynamique (label Ecocert AB) de son déjà célébrissime domaine de La Selve. Madame de 2014, que l’on ne présente plus à aucun aficionado, est un blanc en IGP Ardèche, « mention coteaux de l’Ardèche blanc », viognier 100%, d’une pureté droite, très floral, avec des notes Capture d’écran 2016-05-20 à 19.13.57.pngaffirmées de pêche et d’abricot du meilleur effet (24,50€ le prix du voyage dans un verger rarissime). Serre de Berty 2013 est le vin étonnant de cette grande dégustation. Ce rouge issu de syrah (50%), grenache et cinsault à part égale, en culture bio et biodynamique sans aucun insecticide, intrant chimique et tout le bazar bordelais (oops !), jouit d’une cuvaison très longue (6-8 semaines). Levures indigènes, of course, ce n’est ni collé, ni filtré, ça donne un nez incroyable où domine la poire (!), il n’y a aucune extraction, ni aucun pigeage, c’est à peine-à peine soufré à la mise, et cela donne… « le toucher du vin ». Un concept aussi poétique qu’essentiel, retenez-le, c'est un peu comme le toucher de la hanche pour un danseur de tango, et pour un vin aussi puissant que délicat, cela figure une sorte de synthèse, une bouqet ramassé. Très longue fin de bouche... Et c'est armé d’une délicatesse infinie, d’un soyeux presque irréel : le coup de cœur absolu (15,40€). Solera tirage 2015, viognier 100% de Chazallon aussi, muté à mi fermentation, ouillé (pas comme à Jerez : pas de « flor »), est très liquoreux mais nerveux, et capable de se battre en duel avec un fromage bleu, un foie gras poêlé, et un chocolat amer (20€ le flacon de 50 cl). Le Mas de Libian, d’Hélène Thibon, à St Marcel d’Ardèche, en biodynamie certifié Demeter, c’est la classe et la pureté mêmeCave Vinum 2015, un blanc issu de roussanne, viognier et clairette, exprime la fluidité, laCapture d’écran 2016-05-20 à 19.15.34.png suavité, oui... Cette limpidité que l’on est désormais forcé de « retrouver » devant un vin en biodynamie – c’est comme ça, cela commence à se reconnaître, et nous le savons, lorsque nous dégustons entre nosotros... Et cette nouvelle « distinction » passera désormais par là. Un blanc exotique, après les fleurs et les fruits à chair blanche, d’une élégance et d’une noblesse qui évoque la démarche droite et inflexible des Africaines traversant la brousse avec un énorme bac rempli d'eau, en plastique de couleur vive, posé sur leur tête (13€). Bout’zan 2015, très grenaché, est un rouge envoyant une jolie mâche virile (10€). Le domaine Notre Dame de Cousignac, de Raphaël Pommier, à Bourg St Andéol, propose un blanc marqué par la clairette, floral en diable, avec un léger gras (8€). Le domaine de Vigier, de Marjorie Dupré, à Lagorce, offre un viognier 100%, Inès 2014, au nez exotique (ananas) et « viennois » (beurre frais) bienvenu, le rapport qualité prix nous apparaît probant : 7,65€. Les méritants Vignerons Ardéchois, présidés par André Mercier, sis à Ruoms,Capture d’écran 2016-05-20 à 19.16.26.png proposent une grande gamme séduisante : le viognier Tradition (6,40€), possède une douceur de bon aloi. Son frère (100% viognier, aussi), élevé en barriques, Terre d’Eglantier, est naturellement charnu, boisé donc, mais avec raison (8,50€). Terre d’Amandier 2015, chardonnay 100%, rond, équilibré, sur la pêche et l’aubépine, l’épicé doux aussi, voire le fruit sec torréfié, est une réussite recommandable (7€ à peine). Grotte Chauvet, une toute nouvelle gamme, existe déjà en rosé 2015, AOP Côtes du Vivarais : c’est friand à souhait, gourmand, et ça appelle les copains et le barbecue (6,30€). En rouge 2014, avec 70% de syrah et un complément de grenache, Grotte Chauvet est marqué, affirmé, c’est cohérent avec le visuel préhistorique : voici un vin offrant une belle matière (6,30€). Enfin, la cave La Cévenole, à Rosières, donne un Chatus Monnaie d’Or 2013 (100% chatus) d’une puissance contenue, avec une bouche généreusement épicée (7,65€).

    Léon Mazzella

    L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.

  • Le Blanc de Noirs de Dauby

    Capture d’écran 2016-05-17 à 20.48.54.pngC'est une petite merveille, ce Brut Premier Cru-là...

    Champagne Dauby (« Mère & Fille »), Blanc de noirs (issu des plus beaux pinot noirs du terroir magnifique de Mutigny, classé Premier Cru) :

    Bulle fine, cordon régulier et enjoué, sous une robe jaune, vive, sans reflets clinquants : franche.

    Joli nez d’une grande fraîcheur, et « viennois », de pain brioché, quasi « cremoso », avec une touche de pêche blanche, une pointe de myrtille, et puis de mûre, et enfin un zeste caressant de pomelo rose.

    Bouche ronde et ample, pleine, avec un léger crayeux (le sol parle !), et juste ce qu’il faut d’agrumes mûrs, soit un citronné presque confit. On y retrouve la viennoiserie délicate, et une finale de framboise encore croquante.

    Un champagne gourmand, d’apéritif attentif, et surtout pour accompagner dignement un poisson de rivière en sauce (beurre blanc, crème), ou une volaille justement cuite, encore juteuse.

    La famille Dauby, sise à Aÿ, jouit de terroirs exceptionnels et élabore une gamme de champagnes de respect depuis soixante ans. La marque au coquelicot – emblème qui souligne le respect absolu de la nature et de la biodiversité, possède le sens de la recherche d’une certaine authenticité qui laisse parler la terre. C’est « juste » bien fait... (18€!). L.M.

    Alliances :

    téléchargement.jpegLa table de Montaigne, de Christian Coulon (Arléa), car l'auteur (prof émérite à Sciences-Po Bordeaux - nos universités!), révèle un auteur des Essais qui se fiche de la gastronomie comme d'une guigne ou de sa première culotte pour aller chevaucher bride abattue, et plutôt un philosophe gourmand, voire bafreur. Et ce bouquin passionnant se double d'une vraie histoire des moeurs gastronomiques du Sud-Ouest de l'époque... Un régal, pour qui aime la région, Montaigne, et manger généreusement. 

    Ecouter, avec ce duo :

    Une compil de bons vieux standards des Pink Floyd.

    Comfortably numb

    Et aussi des succès de Peter Gabriel (post Genesis)

    http://bit.ly/1cGBpHz.

    L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.

  • Le Moulin de La Roque, à Bandol, et ses 5 terroirs à rouges

    Capture d’écran 2016-05-16 à 18.49.38.pngLe vignoble du Moulin de la Roque, au Castellet (Var), en appellation Bandol, jouit de cinq terroirs distincts qui donnent cinq vins rouges aux propriétés singulières : les Sables Rouges, les Marnes Noires, les Marnes Sableuses, les Calcaires à Rudistes et les Galets du Trias (18,50€ chaque bouteille, ou bien – mieux ! : en coffret de 5 bouteilles de 50 cl : 55€). Nous les avons dégustés pour vous ce 16 mai (un jury de 3 pros), dans le millésime 2011.

    Les Sables Rouges (présence d’oxyde de fer Capture d’écran 2016-05-16 à 18.44.38.pngdans le sol, la mourvèdre adore ça), offrent un vin à la robe si foncée qu’elle paraît noire. Un nez vif de cerise et de fruits noirs mûrs, presque confiturés saute aux narines. La bouche est ample, puissante, et riche, avec une pointe réglissée surfant sur une longueur respectable – on sent le vin sérieux de bonne garde.

    Les Marnes Noires – un terroirCapture d’écran 2016-05-16 à 18.47.07.png magnifique et envié -, présente une robe profonde, grenat dense. Nez épicé, avec des notes affirmées de petits fruits rouges croquants. Bouche très présente, soit structurée, avec de beaux tanins, et une longueur acidulée très fruitée, du meilleur effet.

    Capture d’écran 2016-05-16 à 18.53.51.pngLes Marnes Sableuses, assez empierrées, obligent les racines de mourvèdre à se frayer un chemin tortueux. Œil élégant, grenat à reflets mauves. Un nez de cassis et de mûre, ex-aequo, s’impose. La bouche est souple, riche, comme crémeuse, les tanins, d’une souplesse de gymnaste olympique, marchent sur la pointe des ballerines. Longueur généreusement fruitée.

    Les Calcaires à Rudistes désignent un sol compact qui refuse l’eau à l’entrée comme un videur obtus devant une boîte de nuit refoule le frimeur suffisant. Compliqué, pourCapture d’écran 2016-05-16 à 19.03.18.png abreuver les racines. Braconnières, celles-ci parviennent à s’insinuer, à s’inviter, en bonne Résistantes… Œil foncé, grenat dense. Nez explosif de cerise, de framboise mûre, et de pruneau sec mais charnu, encore chouia juteux. La bouche est d’une grande douceur bordée de puissance. Là aussi, ça sent la garde, la bonne garde !

    Capture d’écran 2016-05-16 à 19.03.45.pngLes Galets du Trias, vieux sol (une poignée de millions d’années et des poussières) très calcaire, qui accueille l’eau comme l’Allemagne le réfugié syrien au début. Au début seulement… Mais qui sait garder la chaleur, avec une minéralité très réceptive. La robe est noire comme la petite robe noire que les filles aiment tant porter. Le nez est résolument braqué sur les petits fruits (noirs) de sous-bois. La bouche est souple, sans agressivité, et franchement longue (il faudrait compter les caudalies, pour s’amuser).

     

    Cerise sur le plateau :


    Capture d’écran 2016-05-16 à 18.48.25.pngLe rosé Tarente, bandol 2015, du même Moulin de La Roque, est quant à lui un rosé sérieux, vineux, riche, corpulent même, qui ne s’en laisse pas compter. La mourvèdre dans toute sa splendeur. Nez volontiers exotique, bouche délicatement persistante. C’est aromatique en diable, structuré et tout en finesse. Tarente peut soutenir un repas entier. Ou bien un apéro de trois rugbymen ayant envie de rigoler, voire de chanter avant de passer à table (14€).

    L.M.

    L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.

  • flacons divers pour temps incertain

    Ma Simonetta me le disait, tôt ce matin, en terrasse, au café voisin : ce temps, c'est vraiment n'importe quoi! Donc, ne voici pas des rosés tranquilles pour les canicules à venir, mais trois flacons inégaux pour des temps incertains, comme nous tous. Qui réclament un feu ardent de cheminée assoupie, et à réveiller, à enflammer -pas d'urgence, surtout-, petaloso, à mesure, en se déshabillant doucement de ses pétales, (comme Peter Pan de son vêtement végétal - d'autres l'ont de lumière). A la manière de l'empereur Auguste, qui se hâtait lentement. Ah, les nuages, les merveilleux nuages, striés de martinets au chant strident qui pince les coeurs en morceaux, tout en zébrant l'indigente portion rectangulaire de ciel qui nous est allouée, ici, soit loin de l'essentiel, à des années lumineuses d'une certaine vérité naturelle (mais forcément apprivoisée par d'autres que nous mêmes), pétrie de silence sauvage, et solidement bâtie, en revanche, sur des regards entendus...

    Capture d’écran 2016-05-15 à 14.38.45.pngLa Tour du Bief, Moulin-à-Vent 2011

    Belle corpulence pour ce domaine sis à Chenas. Un rouge fruité, profond, à la robe grenat soutenu, avec une touche de violette, au nez, ainsi que des fruits rouges (cerise) et noirs (mûre) que l’on retrouve à l’identique en bouche. Un vin gourmand, charnu et velouté, très équilibré et d’une belle fraîcheur, qui convient à un poulet à la broche accompagné de papardelle fraîches avec un pesto rosso légèrement pimenté. Un beaujolais qui n’a rien à envier à certains voisins bourguignons (13,50€).

     

    Montus Pacherenc du Vic Bilh blanc 2011Capture d’écran 2016-05-15 à 14.47.05.png

    L’excellence de la patte Alain Brumont (vigneron – inspiré depuis belle lurette -, à Maumusson, dans le Gers) s’exprime aussi en blanc, avec ce pacherenc sec (petit courbu (80%), petit manseng), élevé en demi-muids (600 litres) sur lies fines, 15 mois durant. La robe est dorée, brillante et dense. Le nez, de fleurs et de pêche blanches, et légèrement truffé, est d’une grande fraîcheur - limite saline - , du meilleur effet. La bouche est soyeuse, chouia grasse comme il faut, ample et longue, très longue. La minéralité, droite, le dispute à une certaine douceur convaincante (et à peine boisée), voire immédiatement séduisante. Un beau flacon pour escorter un bar grillé, des joues de lotte poêlées, et pourquoi pas un foie gras au torchon (30€).

     

    Capture d’écran 2016-05-15 à 15.06.51.pngGrémillet, champagne « rosé vrai »

    Il ne convainc pas, malgré sa robe à la tonalité intense (100% pinot noir), avec sa bulle grossière façon Perrier, ce champagne rosé « vrai » (de saignée, ou de macération : soit pas un rosé d’assemblage) extra-brut (de 0 à 6 g de sucre par litre maximum). C’est le genre de produit qui semble fait pour la Fête des mères, e basta. Or, la vinosité, d’une faiblesse indigente, le nez fuyard, de fraise surtout, puis de groseille, la touche bonbon anglais en bouche, laissent coi. Ou sur notre soif de découverte, et de goût. En montant en température, le vin s’assouplit cependant, et un fruité plus complexe s’affirme à mesure. Attendez-le, donc, et sifflez le à l’apéro, même si votre mère n’est pas encore arrivée. Et puis, bon, faites sauter un autre bouchon pour la fêter… (24€).

     

     

  • Dictionnaire chic du vin, deuxième

    Capture d'écran 2016-04-06 16.25.34.pngLe Dictionnaire chic du vin (éd. Ecriture), paru vers la fin du mois de septembre dernier, est en rupture de stock depuis une belle poignée de semaines (ce qui ne m'a pas empêché de signer un reliquat d'exemplaires glanés ici et là, aux salons du livre de Saumur, du Mans, et de Rue89). Sa réimpression prend du temps, mais elle devient imminente. J'en profite pour remercier ses 3 000 premiers acquéreurs, ainsi que les auteurs des nombreux articles et autres émissions de radio qui en ont fait écho dans leurs colonnes et sur les ondes. Le livre sera donc à nouveau disponible sous peu en librairie, sur simple demande/commande.  

  • Rosés, la suite

    Capture d’écran 2016-05-06 à 14.46.53.pngPrestige du Président est un rosé corse de coopérative (l'Union des vignerons de l’île de Beauté, à Aléria), issu de sciaccarellu et d’un peu de syrah. Sa robe est claire, mais dense et brillante. Son nez exprime les fruits rouges vifs et croquants : framboise, fraise des bois, et un léger citronné dépourvu de cette agressivité qui semble être à la mode (et la mode semble être, tous secteurs confondus, à l'agressivité, à l'arrogance, à l'irrespect de... Je m'égare, là). Jolie bouche ample, pleine, fruitée et tendrement épicée, en finale. Très agréable sur un poulpe a la Gallega, servi tiède, avec du pimenton (ou du paprika), et des légumes verts croquants cuits brièvement à la vapeur (pois gourmands, petits pois, brocolis), finis à froid d’un filet d’huile d’olive vierge généreux. C’est, de surcroît, une bouteille belle, lourde, dont la teinte du verre cache la couleur du vin (7,50€). Très Corse, cette façon de dissimuler, d'ourdir, de comploter jusqu'à la couleur du... contenant. J'aime.

    Lire, avec : Le vin & le sacré, d'Evelyne MalnicCapture d’écran 2016-05-06 à 15.47.41.png (Féret), un superbe album richement illustré, à l'usage des hédonistes, croyants et libres-penseurs : c'est le sous-titre. Une ferveur commune a toujours associé vin et divin, depuis plus de six mille ans. Le vin est en effet au coeur de la civilisation méditerranéenne. Il est dans la Bible, il imprègne, voire imbibe les textes fondateurs en Mésopotamie, en Egypte, en Grèce bien sûr. La Pâque juive, le paradis d'Allah... Nul n'est épargné, du moins du côté des monothéismes. La trop fameuse métaphore du sang versé (le Graal), l'image classique du sang de la vigne du poète persan (païen et jouisseur, pour le coup, donc hors-sujet!) Omar Khayyâm, le vin est aussi et surtout redevable du cep de vigne que Noé garda serré dans sa main, en montant dans l'Arche. C'est là le cep fondateur! Celui dont les Légions romaines ont semé les fils, partout où elles passaient. Mon Dictionnaire chic du vin (éd. Ecriture) évoque abondamment ces sources fondamentales, ainsi que les figures de Dionysos et de Bacchus, ainsi que le passage du divin au païen. Alors, lisez ce très bel album, dans lequel Evelyne Malnic a tout donné, et sur lequel nous reviendrons ici, prochainement. Rappel : religion signifie ce qui relie (les hommes entre eux). Et quoi de plus reliant que le vin?

     

    Capture d’écran 2016-05-06 à 15.25.24.pngEt si Bacchus était une femme. Parenthèse dans ce feuilleton des vins frais de l’été, amorcé ici le 18 avril (lire en faisant défiler les notes), une fois n'est pas coutume, car le vin que j'évoque ci-dessous s'adresse à ceux qui passent à Paris ou bien y vivent, en raison de l'unique adresse où nous pouvons le trouver. Collector, mes amis, collector! Et vintage, tant qu'on y est! Ce vin rare est incontestablement le rosé de l’été parisien. Gourmand, fruité, délicat, ce Provençal étiqueté spécialement par le célèbre domaine Gavoty, dans le Var, pour la cave parisienne « Et si Bacchus était une femme », est un rosé qui ne manque ni de claquant, ni de classe. Issu de cinsault et de grenache, il est idéal pour un déjeuner sur l’herbe dans un jardin parisien, qu’il soit des Plantes, de Vincennes, ou d’Acclimatation, avec des fromages de chèvre, du jambon de Parme, des grissini et une tapenade maison.

    Robe pâle et élégante. Nez fruité deCapture d’écran 2016-05-06 à 16.04.40.png groseille, de fraise mûre et de framboise croquante. Bouche ample, généreuse, avec des hanches, et pourvue d’une jolie longueur, à la fois tendre et fraîche. Le vin idoine pour un apéro sur les bords de Seine ou de Marne, depuis les quais se trouvant à l’aplomb de la Très grande bibliothèque, jusqu’à Joinville-le-Pont et au-delà. Ou bien pour un dîner amoureux sur le petit balcon, collés-serrés par la force des choses foncières... Et encore pour une soirée entre copains et copines, à l’appart’, en écoutant le dernier album collectif Autour de Chet (Baker). Le rosé « Et si Bacchus était une femme », c’est la griffe discrète d’un grand de Provence dans un gant de velours. L’alliance de la fête et de la finesse (10€). Et vendu, donc, uniquement à la boutique (coordonnées ci-dessus). Cette cave cosy est à la gloire du vin de vigneronne, et volontiers bio. A noter que la gamme Et si Bacchus était une femme se décline en blanc, en rouge, ainsi qu'en champagne (de vigneronnes, évidemment). L.M.

    L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.

  • Folio entre guillemets

    Capture d’écran 2016-05-06 à 10.08.41.pngJubilatoire, cette petite collection folio : "entre guillemets", dont chaque volume est enrichi de dessins d'illustrateurs, et qui reprend par exemple le formidable Les mots de l'époque, de notre ami Didier Pourquery (Autrement, 2014, évoqué ici même à sa parution), sous le titre Les mots passants de tous les jours (une sélection de ses meilleures chroniques Juste un mot, parues dans M/Le Monde). Pourquery analyse avec un talent d'observateur tendre et subtil, tant de mots attrapés au vol, dans la rue, le métro, n'importe où, entre citoyens jeunes et moins jeunes : ce sont les termes de l'époque, de genre, à deadline, en passant par clivant, dans la boucle, impacter, ou encore j'allais dire, et tongs... Désopilant, le livre de Lionel Besnier, L'argot du polar, qui est une anthologie des meilleures citations et répliques piquées dans les polars (500 en tout), soit les perles d'une langue verte qui, lorsqu'elle vire au noir, ne manque pas de claquant. Drôle,Capture d’écran 2016-05-06 à 10.08.13.png évidemment, et tellement auto-dérisoire, L'humour juif, de Judith Stora-Sandor, truffé d'histoires de rabbins que l'on est tenté de lire à voix haute, afin de faire rire les copains. Une quinzaine de titres sont déjà parus, de Comment dit-on humour en Arabe, de Mohammed Aïssaoui, aux Meilleurs zeugmas du Masque et la plume (collectif). Notons par ailleurs le soin apporté au graphisme, à la qualité du papier, au thermoformage de la couverture, soit à l'originalité supplémentaire de cette collection qui hisse le livre en  format de poche au rang d'objet en tous points agréable. A suivre. L.M.

  • "Alliances décoiffantes" (Yul Brynner dixit)

    téléchargement.jpegLà, avec deux potes, on s'est dit on y va, on verra. D'ailleurs, on se le dit souvent, ça. C'est (un peu) vivre, d'une certaine façon. Château Minuty 281, avec sa longue larme bleue intense, est une cuvée tropézienne très particulière (grenache et tibouren, vignes de 25 ans minimum, sélection parcellaire). François Matton, son co-propriétaire (avec son frère Jean-Etienne), souligne avec justesse sa belle longueur en bouche, et ajoute que ce 2015 est moins marqué par l'acidité que le 2014. Oh, combien! Nous n'avions franchement pas aimé le 2014, vraiment trop marqué agrumes verts. Celui-ci est davantage en rondeur,Phared'Eckmühl_SardinesPimentEspelette.jpg très floral, délicat, avec une bouche légère de pomelo, et de pêche blanche résolument gourmande et, néanmoins (ou plutôt nez en plus), une force en retrait, comme un coup de reins salutaire. Un truc capable de soutenir des sardines du Phare d'Eckmühl au piment d'Espelette bio, lequel ne fait pas semblant d'être dans la boîte. Et oui, l'accord se fit. Minuty (45€ env. quand même), surnagea, et ces splendides petits poissons, d'une fermeté ad hoc, mon capitaine, expriment l'excellence de la conserve, avec un paquadjingue sobre et du meilleur effet, comme très souvent avec les sardines à l'huile (davantage qu'avec les Pataugas). A noter que Minuty, fondé par Ganriel Farnet, fête ses 80 ans, cette année (à suivre).

    Capture d’écran 2016-05-04 à 13.27.55.pngQui l'eut cru? Le porto blanc extra sec, Extra Dry White Reserve, de la Quinta das Lamelas, soit un pur joyau (19€ le flacon de 50cl), qui naît dans Le Cima Corgo, un terroir exceptionnel du Douro, exprimant certes aussitôt la noix, l'amande torréfiée, l'abricot sec mais moelleux, avec une tension idéale qui l'empêche de flirter avec la douceur encombrante, le gras lourdingue, va à merveille -tenez vous bien-, avec des filets de hareng fumés, doux toutefois, augmentés (maison) d'oignon blanc, de poivre noir et d'huile neutre avec un chouia d'huile d'olive toscane, dûment marinés deux bonnes heures. L'accord est étonnamment symbiotique. L'iode, le gras, le salin, le fruité sec, la raideur douce, le croquant du vin et la douceur molle du poisson, tout cela dansait un tango sauvage dans la bouche. Et mes potes murmuraient, les yeux mi-clos. Nota : Si vous passez par la capitale (Paris), sachez qu'a ouvert une boutique unique en son genre : Portologia, rue Chapon, dans le 3ème arrondissement. C'est le temple du Porto, des portos, vins tranquilles blancs et rouges compris, et des produits dérivés : charcuterie, fromages, huiles... Plus de 200 références, une majorité de petits producteurs, même si nous trouvons un négociant comme Dalva (lequel nous évoque davantage le regretté Jim Harrison que les vins de la vallée du Douro...), des vins tranquilles, bien sûr, et qui sont si bons (Esencia, essayez donc ça!) et puis la gamme de Bulas, ou bien celle de la Quinta do Murao), et la grande palette, des tawnys au Late Bottled Vintage, en passant par les Colheitas... Julien Dos Santos, maître des lieux, est un specialista disert. Il vous en dira tant... Rappel : la France est le premier pays consommateur de Porto (et de whisky aussi. Nous cumulons!). Dernier détail, de taille : on peut déguster sur place, entre amis, en grignotant des choses superbes tout en débouchant des flacons. Convivial, cette cave, bar à vins, maison de dégustation (comme on parle de maison de thé), est un lieu qui devrait logiquement devenir fissa pronto une adresse sympa pour les apéros que l'on aime tant prolonger...

    Château Larroque, un bordeaux blanc - propriété de la familleCapture d’écran 2016-05-04 à 13.25.08.png Ducourt (dans le millésime 2015 bien sûr), est très équilibré, tonique, fruité (exotique) à souhait, avec une acidité de bon aloi, un nez complexe que l'on retrouve en bouche. Ce vin-là fait d'ailleurs partie, avec 17 autres domaines, des Oscars des Bordeaux de l'été 2016. Et il est capable de soutenir une salade de cogollos (coeurs de laitue), avec force vinaigre balsamique et fleur de sel, ce qui n'est jamais évident, ainsi que des boulettes de ventre de veau (celui que l'on hache pour préparer l'axoa basque, avec du piment d'Espelette - encore lui!), roulées au plat de la main maison, puis poêlées (6,30€).

     

     

    L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. Consommez avec modération.

  • Rosés, ça suit, ça suit...

    Suite du feuilleton des vins de l'été prochain, commencé le 18 avril (lire en déroulant sous cette note).

    Capture d’écran 2016-05-01 à 10.35.43.pngLa famille Bougrier, négociant implanté dans la Loire depuis 1885, innove « carrément » en mettant sur le marché une gamme de trois bouteilles aux bords carrés et à capsules à vis, appelée Pure Loire. Nous sentons le vent de la jeunesse, voire de la relève, avec l’arrivée de Nicolas Bougrier aux côtés de Noël, son père. Il s’agit d’un Rosé de Loire (gamay et cabernet franc), d’un Rosé d’Anjou (gamay, grolleau, cabernet franc), et d’un Touraine blanc (sauvignon). Distribuée aux USA et chez Auchan, cette toute nouvelle gamme de la Famille Bougrier joue la carte de la modernité, du packaging innovant et du bon rapport qualité/prix (env. 6€). Le Rosé de Loire a notre préférence. Belle robe lumineuse et coraillée. Joli nez de fraise mûre et de petite cerise croquante, délicat citronné au second nez. Bouche fruitée, léger épicé (poivre), en finale. Il fit ses preuves sur un tartare de saumon au soja, puis –plus surprenant -, sur un plat maison classé fétiche : dos de cabillaud, chorizo chipsé, tomates cerise aillées.

    Capture d’écran 2016-05-01 à 10.31.13.pngLe Tavel de Vidal-Fleury (grenache, syrah, cinsault), à la robe dense, rouge profond, au nez intense où se bousculent la cerise, le cassis, le poivre, offre de surcroît une bouche complexe et longue, où les petits fruits rouges se mêlent puissamment. Un vrai rosé « gastronomique » pour tout un repas volontiers épicé, exotique. Une réussite qui nous ferait oublier tous les rosés frêles, modeux, light, voire insipides (ils sont nombreux, mais vous ne lirez pas leur nom, ici, par pudeur). C'est d'un vin qu'il s'agit. Un vrai, bon, vin rosé avec du caractère (14,80€).

    Yves Leccia, une star en Patrimonio (Corse) propose « E Croce », unCapture d’écran 2016-05-02 à 19.43.15.png rosé (80% niellucciu et 20% grenache), qui croît sur un sol argilo-calcaire, sur socle schisteux, à Poggio d’Oletta, soit là où se trouvent les plus belles parcelles des vignes de son père, doucement ventées, salinisées, par le golfe de Saint-Florent, si proche. C’est séveux, puissant, corpulent même, c’est un vin qui possède un regard – comprenne qui pourra. A l’œil, c’est relativement pâle, et donc ça cache quelque chose. Le nez, floral, exprime une vinosité assumée. La bouche est d’une grande fraîcheur, et d’une douce minéralité, avec une pointe épicée comme le coup de talon d’une danseuse de flamenco : ni trop, ni pas assez. C’est, de surcroît, le rosé désaltérant par excellence, pour les retours du boulot, lorsqu’on a envie que d’une chose : un verre d’un truc comme ça… (14€ env.). Et voilà, maintenant, il va quand même falloir lancer le barbecue…

    L.M.

    L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. Consommez avec modération.

  • Vins de l'été... Qui vient - ou non?..

    Capture d’écran 2016-04-29 à 11.18.08.pngRoque Star, côtes de Provence du Moulin de la Roque, au Castellet (Var), est un rosé de caractère. Finesse, élégance, ce vin est pulpeux, authentique, sans aspérité. Grenache, cinsault, mourvèdre sont le trio gagnant : zéro risque. Robe « saumon de l’Adour » soutenue, donc. Nez de fraise mûre, mais encore croquante en son coeur, bouche d’une élégance rare, façon pub parfumée jouée par Charlize Theron – vous saisissez ?.. 5,50€ le flacon, c’est donné. Et ça ira bien sur une pizza della casa à la pancetta, augmentée de pecorino au poivre sicilien, histoire de mettre à l’épreuve le roc de cette star-là.

     

    Petit Bourgeois est un sauvignon blanc de Henri Bourgeois, àCapture d’écran 2016-04-29 à 19.57.18.png Chavignol, maison célèbre notamment pour sa gamme de vins de Sancerre. Ce blanc, classé en vin de pays du val de Loire (IGP), possède une grande fraîcheur et une vraie franchise. Le floral et le fruité, typiques du sauvignon, sont bien présents au nez comme en bouche – on sent notamment la fleur de vigne, et une jolie minéralité s’exprime avec tact, en finale. Idéal à l’apéritif pour lui même, puis sur des crustacés (10€ env.).

     

    Gris d’Ardèche. Ce premier « jus de goutte » de Capture d’écran 2016-04-29 à 20.11.21.pnggrenache noir du sud du département, classé en Ardèche IGP, et produit par les talentueux Vignerons Ardéchois – une cave de respect -, naît sur des sols rocailleux. Sa robe « melon », détonne tant elle est sombre, pour un gris. Joli nez équilibré d’agrumes et de pêche. C’est vif, et même tonique, en fin de bouche, et cela escorte élégamment une grillade d’agneau au thym, ou des boulettes de boeuf mêlées de coriandre. Chapeau pour l'habillage, très classe -Vous ne trouvez pas? (5,50€).

     

     

    Le château Tour de Mirambeau (famille Despagne), bordeauxCapture d’écran 2016-04-29 à 20.31.54.png rosé réserve, est aussi vif que floral, et son fruité léger en fait un vin idéal pour l’apéritif sous la tonnelle, en grignotant des olives huilées et aux herbes, et des grissini entourés d’une chiffonnade de jambon de Parme. « Vin produit dans le respect de l’environnement pour une viticulture durable », lit-on sur l'étiquette. C’est de bon augure, à Bordeaux… (9€).

     

    Capture d’écran 2016-04-29 à 21.04.31.pngAlliances : les livres de Simonetta Greggio, et prenez donc les derniers parus : Femmes de rêve, bananes et framboises (Flammarion), un recueil de nouvelles qui disent l'amour avec l'acuité redoutable du regard de Simo, doublée comme d'hab' d'un sens incroyablement profond pour dire les sentiments, soit avec une précision chirurgicale, toujours mâtinée de poésie - l'écriture féminine vous a un tact pour écraser d'un coup de talon ce qu'elle veut!.. Car, avec Simonetta, c'est toujours faussement léger, et finalement vertigineux.

    Et aussiCapture d’écran 2016-04-29 à 21.07.28.png  Black Messie, son dernier roman (Stock), qui paraît la semaine prochaine, car c'est une sorte de polar (elle ne nous avait pas encore habitué à cela), ou plutôt un vrai roman noir, qui nous invite à suivre un serial-killer, le Monstre de Florence, qui dézingua nombre de couples lorsqu'ils faisaient l'amour, entre 1968 et 1985, et ça n'est pas piqué des hannetons... Un flic de légende, façon Adamsberg (pour les lecteurs de Vargas), Jacopo d'Orto, mène l'enquête, et le lecteur est embarqué illico presto pour six (pieds sous) terre! J'en parlerai plus tard -ici- davantage, lorsque je l'aurai achevé (je n'en suis qu'au début).

    Et en écoutant quoi? Du light, histoire de faire contrepoint à cette trame romanesque, glaçante par endroits : Izzy Bizy, Elodie Frege, les Brigitte, Ariana Grande Feat & Lil Wayne (dans Let me love you, notamment)... Des voix fluettes de femmes dotées d'un sacré caractère. Et d'un sourire dévastateur. Et allez!

    Cliquez : 

    let me love you

  • Rosés 2015 de l'été prochain : le feuilleton continue

    Capture d’écran 2016-04-29 à 08.31.59.pngNOUS POURSUIVONS NOTRE SÉLECTION DE ROSÉS (ET DE BLANCS) PAS TROP CHERS, A DÉGUSTER ENTRE AMIS CES PROCHAINS MOIS (épisodes précédents : lire plus bas). L.M.

    La Grande Cuvée de Dourthe, Bordeaux rosé très mode, à dominante de cabernet franc (70%), exprime surtout le pamplemousse à peine mûr, puis la groseille. Trop formaté, trop éloigné de l'idée simple que l'on se fait d'un vin estival, ce rosé de pressée, une nouveauté dans la maison Dourthe, n'est pas obligé de plaire à chacun, avec sa finale plus acide que ronde (6,90€). 

    Capture d’écran 2016-04-29 à 08.33.21.pngLe château Lauduc Classic, Bordeaux Clairet des vignobles Grandeau,Capture d’écran 2016-04-29 à 08.28.19.png possède une belle vinosité. Avec sa robe groseille foncée, son nez de fraise mûre, une bouche ample et ronde, ce flacon, où le merlot domine agréablement, et qui titre tout de même 14°, peut s'inviter à table - il y aura sa place de l'entrée au dessert (5,80€).

    Montagne Blanche, un coteaux du Vendômois Gris (Touraine nord), choisit de mettre en valeur le pineau d'Aunis, cépage quelque peu oublié, qui s'exprime sur un sol caractéristique de tuffeau. Robe très pâle (forcément, c'est un gris), nez d'agrumes, où la fraise tente de se frayer une place, avec une pointe épicée (poivre blanc) délicate. Il tiendra correctement son rang aux côtés d'une grillade marine ou terrienne (5,20€).

    L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.

  • Vins de l'été qui vient, suite de notre sélection

    Capture d’écran 2016-04-28 à 19.59.12.pngExcellent rosé des coteaux du Languedoc : La Bergerie de l'Hortus, des fameux vignobles Orliac (syrah, grenache, mourvèdre par tiers). C'est rond, salivant, fruité, gourmand, vineux, pas d'agrumes cassants, un acidulé bien dosé au contraire, et une jolie longueur chouia citronnée. Robe saumonée, soutenue sans être sombre, nez fruité et franchement friand. Ananas, fraise, framboise en bouche, après un léger poivré à l'attaque. Une beauté à boire à l'apéro, et  - même -, une bouteille que l'on reprend pour la finir à table, au moins avec l'entrée. (11€).

    Le château Recougne, des vignobles Xavier Milhade,Capture d’écran 2016-04-28 à 20.14.53.png un bordeaux mixed sauvignon/sémillon, est un blanc qui exprime ce côté agrumes (trop courant, désormais, comme pour les rosés), éclatant, mais qui peut gêner, et qu'une acidité cousine - celle de la pomme verte - vient refroidir tendrement, comme par compassion. Mais, nous y cherchons en vain le plaisir simple de boire un blanc humble de Bordeaux. Qui serait gourmand et sans complexe. Certes, une touche de groseille, curieusement, pointe sa pulpe en arrière-bouche. Et convoque quelques huîtres du Bassin (7€)

    RS, Rosé Séduction, est une création Plaimont. Et Capture d’écran 2016-04-28 à 20.27.59.pngj'adore cette cave gersoise. Voici un rosé (en appellation Saint-Mont), issu de pinenc, de tannat et de cabernet-sauvignon. Robe pâle et élégante, nez vif et parlant : groseille et framboise palabrent, tchatchent, tandis que nous passons déjà à l'étage supérieur de la fusée : bouche ample, avec une vivacité qui insiste, la bougresse, en envoyant ses fruits rouges frais et bavards, tout en appelant les bulots et la mayo à la rescousse. Soit un rosé bien réglé (5€)

     

    L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.

  • Parle plus bas si c'est d'amour

    Capture d’écran 2016-04-28 à 09.42.44.pngIl y a des parfums shakespeariens dans l'atmosphère. Qui s'en plaindrait! Hier soir, Arte redonnait Beaucoup de bruit pour rien, du fougueux (et egocentrique) Kenneth Branagh - avec la superbe Emma Thompson, entre autres (le casting est de rêve) : la joie, la jeunesse, la beauté, l'audace, l'honneur, la frivolité et la turbulence des sentiments, la jalousie, la vengeance, l'amour, la délicatesse, la force... C'est d'ailleurs de cette pièce que la phrase reprise en titre de cette note est extraite. Et c'est le titre que Grasset (Les Cahiers Rouges) propose pour une petite anthologie délicieuse, en forme de dictionnaire d'à peine 130 pages, des citations du grand Will, dispersées dans ses quarante pièces et ses cent quarante-quatre sonnets. D'Ambition à Vieillesse, nous musardons et retrouvons avec un air satisfait Nous sommes de l'étoffe dont sont faits les rêves (Prospero, dans La Tempête), Un cheval! Un cheval! Mon royaume pour un cheval! (Richard III), et sans aller jusqu'à chercher To be..., nous tombons sur des perles, comme L'oiseau de l'aube chante toute la nuit (Hamlet), ou Les paroles qui les accompagnaient étaient faites d'un souffle si embaumé qu'ils en étaient plus riches. Puisqu'ils ont perdu leur parfum, reprenez-les; car, pour un noble coeur, le plus riche don devient pauvre, quand celui qui donne n'aime plus (Ophélie, dans Hamlet). Le même éditeur propose également un "vrai" Hamlet, présenté par Gérard Mordillat, qui en connaît un rayon. Il s'agirait là de la version antérieure à celle que le monde entier joue à l'envi sur toutes les scènes. Et qui aurait été écrite à quatre mains, avec le concours de Thomas Kyd donné à Shakespeare. C'est ce qu'affirmait un universitaire britannique, Gerald Mortimer-Smith, shakespearien éruditCapture d’écran 2016-04-28 à 09.43.16.png jusqu'au bout des ongles et des cheveux (disparu il y a tout juste sept ans), et avec lequel Mordillat a travaillé. Nous tenons donc là, en traduction, le fameux proto-Hamlet. Soit un petit événement dans le mundillo. Quoiqu'il en soit, c'est une belle occasion de relire une pièce qui nous offre d'emblée des bouquets de fleurs printanières. En voici deux. L.M.

    Horatio :

    Mais moi je veux mourir sur tes lèvres, maîtresse

    C'est ma gloire, mon heur, mon trésor, ma richesse

    Car j'ai logé ma vie en ta bouche, mon coeur.

    Hamlet :

    Doute que les astres soient des flammes

    Soute que le soleil tourne

    Doute de la vérité même

    Mais ne doute pas que je t'aime.

    Capture d’écran 2016-04-28 à 10.07.51.pngAlliances :

    Le Beaujolais rosé de Dominique Piron, parce qu'il est à la fois délicat et profond. Nous tenons là un gamay (2015, bien sûr), floral et rafraîchissant comme on l'aime en cette saison.

    Pour 7€, c'est une affaire.

    Avec une pièce de luth de John Dowland, of corse! Le compositeur qui illustra les pièces de Shakespeare de son vivant.Capture d’écran 2016-04-28 à 10.26.38.png

    podcast

    Il s'agit en l'occurrence d'une Lachrimae, interprétée par mon ami talentueux Raymond Cousté.

    L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.

    Mais l'abus de poésie, de verbe, de musique élizabethaine et de beauté, eux, ne le sont pas... 

  • Les réparties de Nina, Rimbaud

    Capture d’écran 2016-04-28 à 08.34.16.pngUn poème long comme une ivresse, une espèce de Sensation étiré : ouvrez vos narines, pensez au Printemps, laissez aller vos désirs, roulez dans l'herbe, faites l'amour, et la poésie...

    Les réparties de Nina

    LUI – Ta poitrine sur ma poitrine,
    Hein ? nous irions,
    Ayant de l’air plein la narine,
    Aux frais rayons

    Du bon matin bleu, qui vous baigne
    Du vin de jour ?…
    Quand tout le bois frissonnant saigne
    Muet d’amour

    De chaque branche, gouttes vertes,
    Des bourgeons clairs,
    On sent dans les choses ouvertes
    Frémir des chairs :

    Tu plongerais dans la luzerne
    Ton blanc peignoir,
    Rosant à l’air ce bleu qui cerne
    Ton grand oeil noir,

    Amoureuse de la campagne,
    Semant partout,
    Comme une mousse de champagne,
    Ton rire fou :

    Riant à moi, brutal d’ivresse,
    Qui te prendrais
    Comme cela, – la belle tresse,
    Oh ! – qui boirais

    Ton goût de framboise et de fraise,
    O chair de fleur !
    Riant au vent vif qui te baise
    Comme un voleur ;

    Au rose, églantier qui t’embête
    Aimablement :
    Riant surtout, ô folle tête,
    À ton amant !….

    ………………………………………………..

    – Ta poitrine sur ma poitrine,
    Mêlant nos voix,
    Lents, nous gagnerions la ravine,
    Puis les grands bois !…

    Puis, comme une petite morte,
    Le coeur pâmé,
    Tu me dirais que je te porte,
    L’oeil mi-fermé…

    Je te porterais, palpitante,
    Dans le sentier :
    L’oiseau filerait son andante
    Au Noisetier…

    Je te parlerais dans ta bouche..
    J’irais, pressant
    Ton corps, comme une enfant qu’on couche,
    Ivre du sang

    Qui coule, bleu, sous ta peau blanche
    Aux tons rosés :
    Et te parlant la langue franche – …..
    Tiens !… – que tu sais…

    Nos grands bois sentiraient la sève,
    Et le soleil
    Sablerait d’or fin leur grand rêve
    Vert et vermeil

    ………………………………………………..

    Le soir ?… Nous reprendrons la route
    Blanche qui court
    Flânant, comme un troupeau qui broute,
    Tout à l’entour

    Les bons vergers à l’herbe bleue,
    Aux pommiers tors !
    Comme on les sent tout une lieue
    Leurs parfums forts !

    Nous regagnerons le village
    Au ciel mi-noir ;
    Et ça sentira le laitage
    Dans l’air du soir ;

    Ca sentira l’étable, pleine
    De fumiers chauds,
    Pleine d’un lent rythme d’haleine,
    Et de grands dos

    Blanchissant sous quelque lumière ;
    Et, tout là-bas,
    Une vache fientera, fière,
    À chaque pas…

    – Les lunettes de la grand-mère
    Et son nez long
    Dans son missel ; le pot de bière
    Cerclé de plomb,

    Moussant entre les larges pipes
    Qui, crânement,
    Fument : les effroyables lippes
    Qui, tout fumant,

    Happent le jambon aux fourchettes
    Tant, tant et plus :
    Le feu qui claire les couchettes
    Et les bahuts :

    Les fesses luisantes et grasses
    Du gros enfant
    Qui fourre, à genoux, dans les tasses,
    Son museau blanc

    Frôlé par un mufle qui gronde
    D’un ton gentil,
    Et pourlèche la face ronde
    Du cher petit…..

    Que de choses verrons-nous, chère,
    Dans ces taudis,
    Quand la flamme illumine, claire,
    Les carreaux gris !…

    – Puis, petite et toute nichée,
    Dans les lilas
    Noirs et frais : la vitre cachée,
    Qui rit là-bas….

    Tu viendras, tu viendras, je t’aime !
    Ce sera beau.
    Tu viendras, n’est-ce pas, et même…

    Elle – Et mon bureau ?

    Arthur Rimbaud, Poésies

  • Un air de week-end sur le Bassin

    Pièce 1jointe.jpegLorsque une cave coop bosse bien, qu'elle garde une dimensionPièce jointe2.jpeg pas encore déraisonnable (4000 ha et 70 châteaux quand même, 500 vignerons adhérents et 30 millions de cols), qu'implantée dans l'immense vignoble du bordelais, elle s'entête à produire des flacons simples, sans chichis (que l'on trouve forcément en grande distrib', et alors?), de ces rosés et blancs frais de l'été qui pointe son nez, des vins qui semblent faits pour l'apéro avec les copains, que l'on dévisse et que l'on ne débouche pas d'ailleurs (et j'adore ce geste-là, de dévisser une bouteille de vin. Oui), un blanc aromatique en diable, un rosé léger et fruité comme il faut, qui appellent l'Opinel pour le chorizo, et le charbon pour le barbeuque, tout à l'heure, quand Pierrot commencera à nous raconter des histoires drôles, basques surtout - je l'écris. Tutiac est le nom de cette cave... Ils sont élégants, ces deux flacons de régalade-là, de surcroît, et leur nom, bien qu'il désigne le fleuve, le nord de la Gironde, du côté de Blaye et de Bourg (*), évoque des week-ends sur le Bassin ou bien au Ferret (en tout cas pour moi qui ai vécu quatorze ans à Bordeaux) : Carrelet d'Estuaire. Cela vous donne donc aussi envie de pique-niquer sur l'herbe, en bord de fleuve, entre deux de ces fameux carrelets typiques du paysage... Et vous m'en direz tant. Tant? - Et bé ça vaut 3,90€ en rosé comme en blanc. La ruine, mon drolle, la ruine... L.M.

    (*)Les Vignerons de Tutiac se trouvent à Marcillac, soit au niveau de Pauillac et de Saint-Estèphe, grosso-modo, bien au-delà de Blaye et Bourg. En plein coeur des terres. Rien à voir avec l'océan, le Bassin d'Arcachon, et le Cap-Ferret. Mais, c'est une évocation, l'idée des huîtres, du sable, d'une pinasse... Un désir transposable un peu partout.

    L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.

  • Narassa

    Capture d'écran 2016-04-18 13.19.11.pngIl s'agit d'une sélection parcellaire d'1,6 hectare sur laquelle de vieux cépages du Roussillon s'épanouissent : grenache noir surtout, et gris, carignan, et enfin mourvèdre. Cette parcelle est tournée vers le Pic de Narassa, d'où le nom de la cuvée. Un terroir complexe, lit-on sur l'étiquette, où roches anciennes et roches neuves se combinent : calcoschiste pur sur argile bleue, pour les férus de géologie. Un lieu frais, en somme. Et un rosé soigné, signé Mas Amiel (à Maury), très légèrement perlant à l'ouverture, avec une robe saumonée, un nez pourvu d'un joli acidulé, où percent les fruits du verger à chair blanche et les petits fruits rouges du sous-bois. Bouche citronnée couvrant l'acidulé. Un vin pour la table, qui appelle la caponate et les côtelettes d'agneau à la rescousse (17,60€) Alliances : Un chemin de tables, de Maylis de Kerangal (Seuil), en écoutant Porgy & Bess (Ella & Louis).

     

    L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.

  • réso (2015)

    Capture d'écran 2016-04-18 13.19.28.pngLaurent B. est un formidable rosé du domaine Brusset, à Cairanne (grenache, mourvèdre, syrah) : la force tranquille, la suavité et la délicatesse se sont donné rendez-vous. Rose (nez), cerise, fraise, coing (en bouche), épicé (fin de bouche) : une puissance qui augmente à mesure, comme le moteur d'une Triumph Bonneville. C'est progressif, et empli d'une franche fraîcheur (7€) Alliances : En attendant Bojangles, d'Olivier Bourdeaut (lire plus bas), avec la chanson éponyme de Nina Simone : cliquez => Bojangles

    Belle buvabilité pour ce chinon rosé de Couly-Dutheil, baptisé René Couly,Capture d'écran 2016-04-18 13.19.43.png à la robe sombre, vineuse, hors-mode. Charnu, friand, gourmand, le cabernet-franc exprime ici sa capacité à se tenir bien à table, pour un repas de charcuterie et de grillades (6,90€). Alliances : Bonnes nouvelles de Chassignet, de Gérard Oberlé (Grasset), en écoutant Patti Smith (Uncle Ho).

    Tarente, réserve, rosé de Bandol du Moulin de la Roque Capture d'écran 2016-04-18 13.11.19.png(mourvèdre et un peu de cinsault) a un côté agrume (pamplemousse encore vert) trop agressif. On y cherche le raisin et les sortilèges qu'un rosé est capable d'exhaler, sous, également, un peu de fruits rouges et un soupçon de litchi (14€) Alliances : Lao-tseu : Tao-tö-king (folio), et n'importe quoi au violon, mais interprété par Sarasate. 

    Honnête syrah de la cave de Tain, à la production fiable, régulière. Un rosé vineux et ample, avec de jolies notes de fraise mûre et de cerise croquante. Idéal pour l'apéritifCapture d'écran 2016-04-18 13.23.14.png avec des tapas entre copains : un rosé sans chichis mais avec du corps (4,15€). Alliances : Le silence, du regretté Jean-Claude Pirotte (Stock), avec le bruit du vent à la cime des arbres (débrouillez-vous, allez en forêt!).

    (à suivre).

    L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.

  • L'amour loufoque

    Capture d'écran 2016-04-18 11.22.09.pngEn attendant Bojangles, premier roman successfull d'Olivier Bourdeaut, publié par l'excellent (ex-)petit éditeur bordelais Finitude, mérite l'engouement qu'il suscite. Gai, tendre, foutraque, sans queue ni tête, cet ode à l'amour conjugal raconté par le fils unique (au fil des jours dont il prélève l'écume), la présence séduisante d'une grue de Numidie apprivoisée nommée Mademoiselle Superfétatoire, quelques personnages satellitaires figurant une équipe de cirque, possèdent la légèreté d'une bise matinale sur la côte normande, avec ce rien de perfide qui chatouille l'oreille. Bien sûr il y a une histoire, et même de tragiques événements, mais la langue de Bourdeaut a ceci de magique, qu'à l'instar de certains joggers plus marcheurs que coureurs, il semble pouvoir aller sans jamais faire de mouvement vertical : ça roule. Et donc ça marche. Cela prend les contours d'une certaine forme de réalisme magique. Oh, très éloigné de l'imaginaire baroque d'unCapture d'écran 2016-04-18 11.43.57.png Garcia Marquez, bien sûr, mais pourvu de ce petit côté plus loufoque que surréaliste, qui rend la folie amusante, la mort supportable, la peine gaie, et les larmes indistinctes. C'est un court roman fantasque, et de lin, oui, un livre comme le costume blanc que porte Marcello Mastroianni dans Les Yeux noirs (le film magnifique de Nikita Mikhalkof). Elégant, aérien, délicat. Un livre cousu de grâce. L.M.

     

  • C'est cochon, donc c'est bon!

    téléchargement.jpegIls aiment les cochonneries. En faire, en manger, en dire. Et en écrire. Pour notre bonheur, Blandine Vié & Patrick de Mari adorent raconter des histoires cochonnes et gourmandes. Ils en ont commis un paquet en prenant sans doute leur pied (et sans bêler pour autant), rassemblé sous le titre Cochonneries en tous genres (Les Itinéraires). Et on y fait son marché : au total, vingt-huit nouvelles charcutières, tantôt tendres, drôles, voire désopilantes, douce-amères, souvent cocasses, émouvantes, burlesques, ou coquines. Toujours littéraires, c'est-à-dire écrites dans le souci primordial de la langue : ce n'est jamais du mauvais gras qui est servi. Il y a du boudin ici, du jambon là, de l'andouillette ou encore des rillettes là-bas, un air de polar ici, un faux-air de bluette là, une idylle romantico-grassouillette par là-bas, des histoires de rugby, des anecdotes de mecs, des trucs deCapture d'écran 2016-04-11 14.29.29.png filles (prénommées Rosette ou Mariette), des fantasmes (ah, le boucher!..), des histoires d'ogres ne pouvant plus avaler le moindre gosse, à cause de la malbouffe dont il sont gavés! Ca devient dangereux, ces choses-là... Il y a de la poésie aussi, au détour d'un bouquet de paragraphes. Nous tombons même sur des rimes (voir la nouvelle intitulée Goret est un cochon!). Nous y croisons par ailleurs deux teckels baptisés Francfort et Strasbourg, et une baronne de Chambon-Parme. Et l'ensemble, loin de couper l'appétit, aiguise celui-ci. Assez peu Vegan, le livre des créateurs du site gourmand Greta Garbure résonne, de surcroît, comme une jolie provocation, en ces temps light et comme ourdis par une peur panique de s'avouer amateur de cochon... Alors, vive ces cochonneries en tous genres! Et leurs deux jolies plumes gourmandes à la commande. L.M.

  • L'usage d'un classique

    téléchargement.jpegRelu attentivement L'Usage du monde (La Découverte), de Nicolas Bouvier, dans sa nouvelle et splendide édition. C'est le bréviaire, que dis-je : le mot de passe des écrivains voyageurs, des voyageurs, des écrivains aimant davantage décrire que crier, mais doucement, en observant d'un oeil faussement distrait les petits faits, les grands horizons, les regards larges, les senteurs, les saveurs, les odeurs, les rires francs, les sentiments ourdis, les petites choses que peu savent prélever, capter, et puis noter à la fraîche, ou bien tard dans la nuit, à la lueur d'une lune accorte ou d'une lampe vacillante, sur un cahier ami. Nicolas Bouvier (déjà évoqué ici, notamment pour son superbe texte posthume, Il faudra repartir, Payot - cherchez l'archive dans le blog), est un maître. Disparu en 1998, il nous a laissé un chef-d'oeuvre, avec L'Usage du monde. Peu importe où il va, vagabonde, avec son acolyte peintre Thierry Vernet, entre juin 1953 et décembre 1954 (de Genève à là-bas, d'Anatolie et partout en zig-zag, jusqu'en Afghanistan), car il aiguise chaque jour son talent d'écrivain du réel, de l'humain, et c'est cela qui compte : il est celui qui dit, qui décrit, par touches d'une subtilité cristlalline, et la langue, le choix des mots, le goût de l'adjectif idoine, de la métaphore juste, semblent lui être un impératif vital, une quête obsessionnelle et charmante, une source de plaisir qu'il n'a de cesse de partager avec son lecteur. Son voyage devient ainsi celui de chacun d'entre nous. Bouvier passe la main à chaque page, et nous tutoyons aussitôt ceux qu'il côtoie, ainsi que les paysages, les sensations, les déboires, la douleur, la soif, la chaleur, la rage de se faire voler, comme le petit bonheur chipé au quotidien (voyager n'est pas toujours de tout repos), les rencontres minuscules, le don du nada, une esquisse de potlatch parfois, le repos réparateur du corps meurtri par la route, la jouissance du presque-rien : un thé, un sourire, une voix d'enfant, un chant d'oiseau. C'est la magie de l'écriture de Bouvier... Si je commencais à reproduire ici des extraits de ce livre exceptionnel, cette note deviendrait un fleuve anthologique. J'avais lu L'Usage du monde, distraitement, car trop jeune sans doute, il y a des lustres. Je l'ai repris, et d'un trait ou presque, j'ai bu ses 375 pages. C'est un long drink pimenté, aigu et très doux, percutant et lascif, intraitable, poétique toujours. Avec, en bandoulière, cette permanente leçon de vie : nous ne sommes que des passagers, des errants, des observateurs éphémères, des hôtes; tout ça... Le respect nous anime et doit gouverner chacun de nos gestes, chacun de nos mots, et puis nous devons l'enseigner, ce respect de toute chose; il le faut. Une leçon de vie. LM

  • Cyrano l'inoxydable

    téléchargement (1).jpegVu, hier soir au théâtre de la Porte Saint-Martin (*), à Paris, un Cyrano brillantissime interprété par un Philippe Torreton aussi émouvant que magistral, avec une mise en scène décapante et truffée d’excellentes trouvailles contemporaines (en particulier la scène du Balcon de Roxane, jouée avec Skype!.. Et la finale : Mon panache... Sur une chanson d'Alain Bashung : émotion maximale), signée Dominique Pitoiset. J’y ai amené mon fils, et j’en étais fier, car Cyrano est définitivement le personnage que je préfère, pour ses inflexibles vertus morales – c’est un modèle pour un jeune, à l’instar du rugby, qui peut en être un autre, et vous voyez ce que je veux dire. Je considère par ailleurs le texte d’Edmond Rostand (que j’apprends peu à peu par cœur, avec les années), comme l’un des plus beaux de la littérature française. Il y a quelques semaines, je voyais le Cyrano, réalisé par Denis Podalydès àtéléchargement.jpeg la Comédie-française, avec Michel Vuillermoz dans le rôle-nez. Magnifique, dans le registre classique, en costumes d’époque. Je pense que chacun a en mémoire l’interprétation époustouflante que Gérard Depardieu offrit au cinéma, parce qu’elle est propre à graver durablement les esprits. Aussi, celle-ci est-elle devenue, inconsciemment, notre référent. L’interprétation-étalon. Force est malgré tout de reconnaître que, tant Vuillermoz que Torreton renouvellent le genre avec leur talent respectif. Et surtout que téléchargement (2).jpegle texte, inaltérable, d’une facture splendide, avec ses rimes, ses traits, son humour, sa candeur, sa délicatesse, son infinie mélancolie, sa pudeur et sa grandeur, traverse chaque mise en scène, quelle qu’elle soit, comme une flèche. Et que cela durera encore longtemps, pour notre bonheur d’amateur et de lecteur. L.M.

    ---

    (*) Emotion! C'est dans ce théâtre que Rostand donna la Première deCapture d'écran 2016-04-11 13.55.43.png son Cyrano, le 27 décembre 1897, craignant un bide : vingt minutes d'applaudissements, quarante rappels... La pièce fut jouée quatre cents fois de décembre 1897 à mars 1899. Elle fêtera sa millième représentation en 1913. Excusez du peu... Hier soir, ce furent cinq rappels et une standingue ovacheune, comme on dit en Gascon, qui firent faire un peu de gymnastique assouplissante à onze comédiens ravis.

  • Ciao Chien-Brun, Dalva... Ciao, Big Jim!

    Capture d'écran 2016-03-27 19.32.46.png

    Je reproduis ci-dessous les deux pages que je consacre à Jim Harrison (lequel a quitté ce monde hier), dans mon Dictionnaire chic du vin (Ecriture, sept. 2015, pp.177-178), à la lettre H. So long, Jim. Notre rencontre sur tes terres n'aura donc pas lieu... 

    HARRISON, Jim

    Capture d'écran 2016-03-27 19.35.30.pngAutant faire une note sur Gargantua, tant « Big Jim », son surnom, aime bouffer, picoler (du bon – toujours lucide, le garçon !), lâcher prise, vivre en somme, dans son jardin des délices partagées en amitié. Je le sais amateur de Cos d’Estournel, saint-estèphe de très haut vol, et de tant de flacons français, de Loire, de Bourgogne et de Bordeaux. Avec Gérard Oberlé, son double du Morvan, son « jumeau astral », dirait Pierre Veilletet, Oberlé l’écrivain rabelaisien et subtil, Big Jim aime à en découdre avec les flacons purs, droits, riches, profonds, capiteux, débordant d’énergie substantielle des Côtes-du-Rhône.

    Un soir que je dînais chez Manuel Carcassonne (patron des éditions Stock, et de Grasset alors), avec Laure Gasparotto et Emmanuelle Jary, et que Pascal Quignard (l’un de mes écrivains français vivants favoris, avec Pierre Michon, Jean Échenoz, Pierre Bergounioux, Sylvie Germain et peu d’autres : Olivier Frébourg, Christian Authier, Stéphane Guibourgé...), devait être de la partie, ce fut Oberlé qui surgît, Gérard Oberlé de toute sa masse, de toute sa voix, de tout son crâne, de toute l’amplitude de sa verve et de tous ses gestes larges, nous parlâmes donc forcément de Big Jim. Je racontais que rendez-vous avait été pris, quelques années auparavant, avec lui afin de l’interviewer dans sa retraite du Montana, lorsque j’étais rédacteur en chef d’un magazine de chasse, et que je dus renoncer à ce voyage parce qu’un cancer méchant et dévastateur venait de se déclarer dans le corps de ma mère. Nous avons bu les flacons sélectionnés par la délicate Laure, ce soir-là. Et Emmanuelle, fine connaisseuse (elle débutait dans le métier de journaliste gastronomique et nous avions déjà asséché son meuble Eurocave, qui contenait de très grands crus), commentait les bouteilles tandis que Jim revenait sur la nappe de nos paroles. Manuel arbitrait, l’œil avisé – il connaissait l’animal borgne et auteur de Légendes d’automne, et il avait même déjà donné, je crois me souvenir, un vibrant entretien avec l’inoubliable auteur de Dalva au Magazine littéraire, mais il observait un demi silence de sage Sioux campé sur sa réserve. Comme quoi. Oberlé, lui, la voie si libre, en rajoutait, pantagruélique, ogre – oui ogre ! Et la soirée se plaçait naturellement sous le double signe des vins de France et de Jim Harrison, écrivain adulé par les Français. Je me jurais d’offrir un Cos d’Estournel à Jim H. lors de sa prochaine tournée « promotionnelle » en France. Las. Je ratai les suivantes. Aujourd’hui que son dos est vermoulu, et qu’il ne se sépare pas d’une canne pour aller jusqu’à un tire-bouchon, je me demande si je ne vais pas reprendre un billet d’avion pour le Montana et rouler un Cos d’Estournel dans les chemises. Vu que le vin est tiré et que ma mère est morte. L.M.

    Capture d'écran 2016-03-27 19.35.17.png

     

  • Il neigeait.

    Capture d'écran 2016-03-26 12.27.01.png

    Il y a des matins, comme ça, où la voix de mon père déclamant du Hugo, ou du Corneille - toute occasion lui était bonne -, avec une voix empruntée au théâtre antique, frappe à la porte de ma mémoire. Je pense à Hugo à cause de Jean-Paul Kauffmann et de son Outre-terre qui paraît aux Equateurs. Il y est question de la bataille d'Eylau (donc j'ai relu Le Cimetière d'Eylau, poème apocalyptique de La Légende des siècles), du Colonel Chabert (Balzac a été tiré des étagères, lui aussi), mais surtout de son auteur... Et, en attendant d'ouvrir très prochainement Outre-terre, je lève ces vers de Victor Hugo à votre belle santé pascale : 

    L'EXPIATION

    Il neigeait. On était vaincu par sa conquête.
    Pour la première fois l'aigle baissait la tête.
    Sombres jours ! l'empereur revenait lentement,
    Laissant derrière lui brûler Moscou fumant.
    Il neigeait. L'âpre hiver fondait en avalanche.
    Après la plaine blanche une autre plaine blanche.
    On ne connaissait plus les chefs ni le drapeau.
    Hier la grande armée, et maintenant troupeau.
    On ne distinguait plus les ailes ni le centre.
    Il neigeait. Les blessés s'abritaient dans le ventre
    Des chevaux morts ; au seuil des bivouacs désolés
    On voyait des clairons à leur poste gelés,
    Restés debout, en selle et muets, blancs de givre,
    Collant leur bouche en pierre aux trompettes de cuivre.
    Boulets, mitraille, obus, mêlés aux flocons blancs,
    Pleuvaient ; les grenadiers, surpris d'être tremblants,
    Marchaient pensifs, la glace à leur moustache grise.
    Il neigeait, il neigeait toujours ! La froide bise
    Sifflait ; sur le verglas, dans des lieux inconnus,
    On n'avait pas de pain et l'on allait pieds nus.
    Ce n'étaient plus des cœurs vivants, des gens de guerre :
    C'était un rêve errant dans la brume, un mystère,
    Une procession d'ombres sous le ciel noir.
    La solitude vaste, épouvantable à voir,
    Partout apparaissait, muette vengeresse.
    Le ciel faisait sans bruit avec la neige épaisse
    Pour cette immense armée un immense linceul.
    Et chacun se sentant mourir, on était seul.
    - Sortira-t-on jamais de ce funeste empire ?
    Deux ennemis! le czar, le nord. Le nord est pire.
    On jetait les canons pour brûler les affûts.
    Qui se couchait, mourait. Groupe morne et confus,
    Ils fuyaient ; le désert dévorait le cortège.
    On pouvait, à des plis qui soulevaient la neige,
    Voir que des régiments s'étaient endormis là.
    Ô chutes d'Annibal ! lendemains d'Attila !
    Fuyards, blessés, mourants, caissons, brancards, civières,
    On s'écrasait aux ponts pour passer les rivières,
    On s'endormait dix mille, on se réveillait cent.
    Ney, que suivait naguère une armée, à présent
    S'évadait, disputant sa montre à trois cosaques.
    Toutes les nuits, qui vive ! alerte, assauts ! attaques !
    Ces fantômes prenaient leur fusil, et sur eux
    Ils voyaient se ruer, effrayants, ténébreux,
    Avec des cris pareils aux voix des vautours chauves,
    D'horribles escadrons, tourbillons d'hommes fauves.
    Toute une armée ainsi dans la nuit se perdait.
    L'empereur était là, debout, qui regardait.
    Il était comme un arbre en proie à la cognée.
    Sur ce géant, grandeur jusqu'alors épargnée,
    Le malheur, bûcheron sinistre, était monté ;
    Et lui, chêne vivant, par la hache insulté,
    Tressaillant sous le spectre aux lugubres revanches,
    Il regardait tomber autour de lui ses branches.
    Chefs, soldats, tous mouraient. Chacun avait son tour.
    Tandis qu'environnant sa tente avec amour,
    Voyant son ombre aller et venir sur la toile,
    Ceux qui restaient, croyant toujours à son étoile,
    Accusaient le destin de lèse-majesté,
    Lui se sentit soudain dans l'âme épouvanté.
    Stupéfait du désastre et ne sachant que croire,
    L'empereur se tourna vers Dieu ; l'homme de gloire
    Trembla ; Napoléon comprit qu'il expiait
    Quelque chose peut-être, et, livide, inquiet,
    Devant ses légions sur la neige semées :
    « Est-ce le châtiment, dit-il. Dieu des armées ? »
    Alors il s'entendit appeler par son nom
    Et quelqu'un qui parlait dans l'ombre lui dit : Non.

    Waterloo ! Waterloo ! Waterloo ! morne plaine !
    Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine,
    Dans ton cirque de bois, de coteaux, de vallons,
    La pâle mort mêlait les sombres bataillons.
    D'un côté c'est l'Europe et de l'autre la France.
    Choc sanglant ! des héros Dieu trompait l'espérance ;
    Tu désertais, victoire, et le sort était las.
    O Waterloo ! je pleure et je m'arrête, hélas !
    Car ces derniers soldats de la dernière guerre
    Furent grands ; ils avaient vaincu toute la terre,
    Chassé vingt rois, passé les Alpes et le Rhin,
    Et leur âme chantait dans les clairons d'airain !

    Le soir tombait ; la lutte était ardente et noire.
    Il avait l'offensive et presque la victoire ;
    Il tenait Wellington acculé sur un bois.
    Sa lunette à la main, il observait parfois
    Le centre du combat, point obscur où tressaille
    La mêlée, effroyable et vivante broussaille,
    Et parfois l'horizon, sombre comme la mer.
    Soudain, joyeux, il dit : Grouchy ! - C'était Blücher.
    L'espoir changea de camp, le combat changea d'âme,
    La mêlée en hurlant grandit comme une flamme.
    La batterie anglaise écrasa nos carrés.
    La plaine, où frissonnaient les drapeaux déchirés,
    Ne fut plus, dans les cris des mourants qu'on égorge,
    Qu'un gouffre flamboyant, rouge comme une forge ;
    Gouffre où les régiments comme des pans de murs
    Tombaient, où se couchaient comme des épis mûrs
    Les hauts tambours-majors aux panaches énormes,
    Où l'on entrevoyait des blessures difformes !
    Carnage affreux! moment fatal ! L'homme inquiet
    Sentit que la bataille entre ses mains pliait.
    Derrière un mamelon la garde était massée.
    La garde, espoir suprême et suprême pensée !
    « Allons ! faites donner la garde ! » cria-t-il.
    Et, lanciers, grenadiers aux guêtres de coutil,
    Dragons que Rome eût pris pour des légionnaires,
    Cuirassiers, canonniers qui traînaient des tonnerres,
    Portant le noir colback ou le casque poli,
    Tous, ceux de Friedland et ceux de Rivoli,
    Comprenant qu'ils allaient mourir dans cette fête,
    Saluèrent leur dieu, debout dans la tempête.
    Leur bouche, d'un seul cri, dit : vive l'empereur !
    Puis, à pas lents, musique en tête, sans fureur,
    Tranquille, souriant à la mitraille anglaise,
    La garde impériale entra dans la fournaise.
    Hélas ! Napoléon, sur sa garde penché,
    Regardait, et, sitôt qu'ils avaient débouché
    Sous les sombres canons crachant des jets de soufre,
    Voyait, l'un après l'autre, en cet horrible gouffre,
    Fondre ces régiments de granit et d'acier
    Comme fond une cire au souffle d'un brasier.
    Ils allaient, l'arme au bras, front haut, graves, stoïques.
    Pas un ne recula. Dormez, morts héroïques !
    Le reste de l'armée hésitait sur leurs corps
    Et regardait mourir la garde. - C'est alors
    Qu'élevant tout à coup sa voix désespérée,
    La Déroute, géante à la face effarée
    Qui, pâle, épouvantant les plus fiers bataillons,
    Changeant subitement les drapeaux en haillons,
    A de certains moments, spectre fait de fumées,
    Se lève grandissante au milieu des armées,
    La Déroute apparut au soldat qui s'émeut,
    Et, se tordant les bras, cria : Sauve qui peut !
    Sauve qui peut ! - affront ! horreur ! - toutes les bouches
    Criaient ; à travers champs, fous, éperdus, farouches,
    Comme si quelque souffle avait passé sur eux.
    Parmi les lourds caissons et les fourgons poudreux,
    Roulant dans les fossés, se cachant dans les seigles,
    Jetant shakos, manteaux, fusils, jetant les aigles,
    Sous les sabres prussiens, ces vétérans, ô deuil !
    Tremblaient, hurlaient, pleuraient, couraient ! - En un clin d'œil,
    Comme s'envole au vent une paille enflammée,
    S'évanouit ce bruit qui fut la grande armée,
    Et cette plaine, hélas, où l'on rêve aujourd'hui,
    Vit fuir ceux devant qui l'univers avait fui !
    Quarante ans sont passés, et ce coin de la terre,
    Waterloo, ce plateau funèbre et solitaire,
    Ce champ sinistre où Dieu mêla tant de néants,
    Tremble encor d'avoir vu la fuite des géants !

    Napoléon les vit s'écouler comme un fleuve ;
    Hommes, chevaux, tambours, drapeaux ; - et dans l'épreuve
    Sentant confusément revenir son remords,
    Levant les mains au ciel, il dit: « Mes soldats morts,
    Moi vaincu ! mon empire est brisé comme verre.
    Est-ce le châtiment cette fois, Dieu sévère ? »
    Alors parmi les cris, les rumeurs, le canon,
    Il entendit la voix qui lui répondait : Non !

     

    En voici un qui fit monter les larmes à mes yeux d'enfant, lorsque mon père me le lut la première fois : 

     

    APRÈS LA BATAILLE

    Mon père, ce héros au sourire si doux,
    Suivi d’un seul housard qu’il aimait entre tous
    Pour sa grande bravoure et pour sa haute taille,
    Parcourait à cheval, le soir d’une bataille,
    Le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit.
    Il lui sembla dans l’ombre entendre un faible bruit.
    C’était un Espagnol de l’armée en déroute
    Qui se traînait sanglant sur le bord de la route,
    Râlant, brisé, livide, et mort plus qu’à moitié.
    Et qui disait:  » A boire! à boire par pitié !  »
    Mon père, ému, tendit à son housard fidèle
    Une gourde de rhum qui pendait à sa selle,
    Et dit: « Tiens, donne à boire à ce pauvre blessé.  »
    Tout à coup, au moment où le housard baissé
    Se penchait vers lui, l’homme, une espèce de maure,
    Saisit un pistolet qu’il étreignait encore,
    Et vise au front mon père en criant: « Caramba!  »
    Le coup passa si près que le chapeau tomba
    Et que le cheval fit un écart en arrière.
    « Donne-lui tout de même à boire », dit mon père.
     
    La peinture, d'Antoine-Jean Gros, ci-dessus, s'intitule Le champ de bataille d'Eylau. Elle représente Napoléon in situ, le 9 février 1807.
  • KallyVasco, ce blog, que je surnomme "mon chien", a dix ans aujourd'hui même

    mur machine à écrire.JPG

    Bon, et bien, je continuerai de le nourrir. Merci de votre fidélité. Vous êtes des centaines chaque jour à feuilleter des milliers de pages parmi ces dix années d'archives. Et, même si vous avez fait migrer la plupart de vos commentaires sur ma page facebook, et parfois sur mon compte Twitter (il fut un temps où c'était la foire, ici : les commentaires pleuvaient et croisaient le fer), je sais cette source-ci assidument visitée. L.M.

     

  • Belgica

    Capture d'écran 2016-03-25 23.34.01.pngJe sors à l'instant secoué de la projection de Belgica (en salle depuis le 2 mars). Felix van Groeningen, à qui l’on doit notamment le magnifique, le poignant Alabama Monroe, signe un film d’une force, d’une brutalité aussi rêche que la douceur qui nimbe, imprime Belgica est envoutante. Frank (Tom Vermeir), et Jo (Stef Aerts), deux frères qui s’étaient perdus de vue - magnifiques acteurs -, se retrouvent autour du projet d’extension du bar de Jo. Agrandi, métamorphosé, le café Belgica devient vite the place to be des night people de tout poil, et de solides ensembles de rock y défilent. L’alcool, la cocaïne (difficile de compter les pintes bues et les lignes aspirées pendant le film), le sexe, la violence, les débordements de toute sorte, les addictions, y compris à l’amour, à la fidélité comme à l’infidélité, forment un tourbillon de plans larges et de séquences serrées - formidablement mis en musique par Soulwax. Un film à la fois bouleversant et percutant, sec et sensible, cash et tendre. L.M.

    La bande annonce : Belgica

     

  • D'une oreille

    téléchargement.jpegDepuis Corps de jeune fille, publié en 1986 (Gallimard), la ravissante Elisabeth Barillé construit une oeuvre intime, délicate, sensuelle. Elle livre, avec L'Oreille d'or (Grasset), un récit singulier sur son propre handicap : la perte de l'ouïe de l'oreille gauche, accidentellement, à l'âge de six ans. Et sur sa vie avec. Pour qui connaît cela (j'en suis, depuis l'âge de onze ans, mais de la droite), ce petit livre est précieux, car il décrit avec une subtilité infinie les sensations que l'on éprouve, que l'on réprouve parfois, qui nous désolent et peuvent nous faire sombrer dans une mélancolie fulgurante. Ou bien qui nous grandissent en nous éloignant, voire en nous coupant de tout (sauf de la Nature), à notre corps défendant. Ainsi d'une atmosphère bruyante qui nous empêche de capter les échanges humains (le calvaire des vernissages, des brasseries à haut plafond), et que, las de devoir faire répéter l'autre, sur les lèvres duquel nous avons appris à lire depuis longtemps, nous prenons le parti de reculer d'un pas, puis de la salle, et enfin du monde. Et il arrive parfois que, une fois dehors, en respirant profondément, en soupirant, ce ne soit pas le froid qui humecte soudain nos yeux. Mais cette réclusion solitaire et forcée, Elisabeth Barillé la transforme en chance unique. L'absence conduit à la rêverie, à un monde intérieur - elle peut même mener à la création : cette demi-surdité et ses conséquences ont mené l'auteur à l'écriture. Rien de moins. La confession sans concession d'Elisabeth Barillé (celles de Rousseau ont bercé son adolescence) lui donne l'occasion de passer en revue les handicapés de l'ouïe célèbres, et pas seulement Beethoven - il est par exemple question du sonotone de François Truffaut. Et de remonter à l'enfance, aux étés en famille dans le Maine-et-Loire, aux premiers émois amoureux, à la crainte que l'homme ne découvre cette surdité au cours du repas si le restaurant est bruyant, l'embarras lorsqu'elle accomplit son travail de journaliste (surtout en interview) - on connaît : un vrai supplice! Entendre pour moi, c'est m'extirper du labyrinthe, écrit-elle. Puissance du retranchement. Puissance et dépendance. Car ce handicap invisible, s'il engendre un complexe, peut devenir un trésor. Certes, il met mal à l'aise, et celui qui entend mal, et celui qui doit faire un effort afin de se faire comprendre : Merci mon oreille morte. En me poussant à fuir tout ce qui fait groupe, la surdité m'a condamnée à l'aventure de la profondeur. Entéléchargement (1).jpeg métamorphosant ainsi un manque, Elisabeth Barillé est capable de faire d'un sonotone un bijou. Elle dédouane, désinhibe. Son petit livre nous chuchote une sorte de "deaf pride". Et souligne aussi une chance paradoxale. La surdité est une fidélité définitive, une fidélité à soi-même imposée du dedans, contre les aventures dictatoriales du dehors, souligne-t-elle. Le demi-sourd, le malentendant, le mûr pour se faire appareiller est capable d'entendre un coeur amoureux cogner en face de lui. Elisabeth Barillé : Je n'entends pas la voiture qui pourrait me faucher, mais quand Glenn Gould joue Bach, j'entends qu'il jouitL.M.

  • versitébiodi

    Cet après-midi, j'ai observé à loisir des huppes fasciées surexcitées, gamines, jouant à se poursuivre (le Printemps!), des piverts espiègles et fort bruyants, des palombes (pigeons ramiers) au vol noble et au port de cou qui force le respect, et avec lesquelles j'ai d'ailleurs conversé, sachant "les" roucouler, des tourterelles turques en pleine période nuptiale assumée, eu égard à leur vol planant / plané, de séduction, des goélands argentés désinvoltes, un héron cendré solitaire et décidé, entre deux points d'eau, petit patapon, quelques corneilles noires malignes comme une armée de singes, un balbuzard pêcheur tenant un poisson (lequel?) entre ses serres : rare!, un rouge-gorge familier (il était chez lui, chez ma soeur, à Anglet-Chiberta), à l'oeil droit, deux pipits primesautiers, une rousserole égarée, quelques merles (mâles) faisant la roue - j'aurais cru voir des grands tétras au mois de mai, du côté du Val d'Azun!, plusieurs écureuils qui grimpaient lestement le long des pins comme la sensuelle Mona dans "Un Balcon en forêt" de Julien Gracq ("Mona vivait le long de lui comme un petit espalier"), et je ne néglige ni ce frelon menaçant à la recherche d'un "coin" pour y fonder un fucking nid qui nous agacerait l'été prochain, ni ce con de moustique qui a fini par m'avoir (au poignet, en plus, là où ça va gratter longtemps), ou ces moineaux "domestiques" que l'on a tendance à ne plus regarder... Je me suis dit intérieurement : biodiversité. Manquait peut-être deux ou trois mammifères : un chevreuil (il y en a!), un chat haret en maraude, voire un... Non! Le renard, de jour, n'y compte pas, sauf accident. Là, dans cet espace circonscrit, urbain, certes mi-marin, mi-forestier, mais tellement habité par l'humain, il y avait tout cela!.. Le monde animal s'adapte. Nous cohabitons. En "tenir compte" est important. Et procure de singuliers bonheurs. D'ineffables joies instinctives, je vous le jure. Mais savons-nous l'observer "comme il se doit", ce monde-là?...

     
     
     
  • A tire d'ailes

    téléchargement.jpegJe remonte ce papier  - publié ici même le 12 mai 2012 -, car il y est question d'un livre injustement passé inaperçu, selon son auteur. 

     

    C'est le livre d'une psychanalyste qui se penche sur ces blessures adolescentes qui ne passent pas parce qu'elles s'ancrent comme des plaies ouvertes dans le coeur des adultes. Abymes adolescentes est sous-titré justement : Les empreintes de l'adolescence chez l'adulte (Payot). Six cas décrits -avec un souci sensible du détail et dans une belle écriture (rare avec ce type d'ouvrages) composent l'essentiel de ce livre précieux de Catherine Audibert, qui avait déjà donné un essai remarqué sur L'incapacité d'être seul : essai sur l'amour, la solitude et les addictions (Payot poche : PBP). Dans Abymes adolescentes, il est bien sûr question d'amour, ou des frémissements des premiers émois, de sexe, ou des émois des premiers frémissements et de mort, ou d'émoi du dernier frémissement, ou du dernier frémissement du moi. Eros, Thanatos. On en sortira jamais. Et alors? -L'idée, ici, c'est de limiter la casse. D'apprendre à. Et l'auteur nous prend par la main, nous aide à décoder les cas cliniques, les cas d'espèce, les cas uniques, les cas qui blessent. Nous entrons dans l'intimité de la vie de patients profondément analysés, et dont l'auteur, en passeur, tire conséquence utile pour tout un chacun; pour nous lecteurs. Ce sont six histoires d'une grande intensité émotionnelle. Six gueules et coeurs et têtes cassées, cabossées, en quête de résilience; d'oubli radical peut-être. De reconstruction surtout. Il est question de tant de premières fois dans cet ouvrage. Premier amour, premier coït, premier deuil, première déception, premier orgasme... De nombreux sujets-phares sont abordés par la côte la plus hostile : la disparition du père, son remplacement obligé, un cancer généré par ce je-ne-sais-quoi-du-presque-rien dirait Jankélévitch, un sentiment de culpabilité aussi accro qu'un crabe ou une arapède à son rocher, des fantômes qui font de la résistance dans la psyché où ils campent, les indélicats. Des signes qui ne trompent pas, des corps qui parlent pour l'esprit, des signaux de détresse envoyés par nos organes -par faute de ne pouvoir verbaliser l'urgence. L'idée de la mort plus forte que la mort elle-même et qui du coup empêche. Interdit toute sensation, tout bonheur simple. Il y a tant de choses dans ces 220 pages. Encore? -Les passions mortifères dont on sort déplumé, l'apprentissage infiniment douloureux du renoncement, notre besoin de consolation (réputé) impossible à rassasier (Stig Dagerman), le passage à l'âge adulte chez la jeune fille qui change de statut ou en cumule deux lourds : soudain enceinte, elle n'est plus seulement fille de mais aussi mère de. Le cloisonnement dans le silence, la réclusion volontaire, l'exil intérieur. L'ambivalence classique : se sentir protégée par l'autre et ce besoin de le craindre en même temps. L'amitié fusionnelle. L'idée que le sang lave le sperme qui l'a précédé. L'amour oblatif, ou chargé d'abnégation, aveugle, peau contre peau. La douleur de la première trahison... Ce sont là, décrites simplement, avec douceur, autant de blessures symboliques qui ont la vie dure à l'intérieur de nos vies d'adultes, si nous négligeons de les traiter en profondeur; avec tact et circonspection. Ce à quoi Catherine Audibert invite chacun, sans jamais le dire -d'où sa délicatesse, aussi. Elle cite nombre d'écrivains et philosophes de l'âme comme Proust, Woolf, Rilke, Cioran. Livre le fameux mot de notre cher Socrate : ce qu'on n'a pas, ce dont on manque, voilà les objets du désir et de l'amour. On l'aura compris : Audibert ne fait pas dans le simplisme, s'agissant de décrypter les figures de la dépression, par les voies et les méandres d'une réalité qui dépasse la fiction, voire le rêve. Sa plume va, souplement, au-dedans des traumas. C'est le livre riche d'une grande écoute. Un livre qui déplie les cas et, ce faisant, donne à chacun la possibilité de méditer sur un mode d'emploi à adopter. Captivant.

    Léon Mazzella

    Nota Bene : la couverture du livre reproduit une peinture d'EkAT, A tire d'ailes (195x130. Technique mixte sur toile. 2011).

  • islam de paix contre islam de guerre

    On doit penser en homme d'action et agir en homme de pensée, disait Bergson. Cela m'évoque Ellul : penser globalement, agir localement...


    images.jpegLu le dernier Onfray, hier après-midi (je l'ai reçu avant-hier), Penser l'islam (Grasset). En son centre, un très long entretien avec une journaliste algérienne, Asma Kouar (du journal Al Jadid), dont les questions sont tournées, chantournées, insidieuses, orientées comme on dit encore parfois, bref : celle-ci tente de faire abonder Michel Onfray dans le sens de sa propre doxa, qui caresse le Prophète dans le sens du poil en en faisant un ange aux mots de miel et aux actes de bonté exclusive. Mais ça ne marche pas, même si l'on sent par endroits quelques faiblesses de la part du philosophe à la lucidité solaire, car l'auteur connaît son sujet, y compris la Sîra, le texte qui rapporte les faits et gestes du Prophète... L'introduction est répétitive, la conclusion salutaire, qui a trait aux drames du 13 novembre 2015 à Paris (l'essentiel du livre fait référence aux drames de la semaine du 5 janvier. Fucking year...). Onfray se répète, mais il n'a pas souvent tort, lorsqu'il renvoie dos à dos les islamophiles (dont une certaine gauche extrême, aveugle et antisioniste), et les islamophobes (non sans préciser le sens, détourné, galvaudé, de ce terme), qui, des deux bords, sont légion. Le philosophe prolifique a lu les textes et leur exégèse (j'adore le lire, notamment à propos de Spinoza, de Camus, de Nietzsche, de l'érotique solaire, de la gourmandise, du vin de Sauternes... et j'emmerde les onfrayphobes qui, je le constate souvent, le lynchent, hurlent avec les loups, sans même avoir lu ses livres!..). C'est un pro. : il sait de quoi il en retourne, et de quoi il parle, et il connaît ce qu'il analyse et commente. Il est plus qu'autorisé à tenter de comprendre au lieu de juger, ou bien de vociférer sans savoir, sans même avoir lu le Coran, ce que d'aucuns font sans honte (il cite nombre de personnalités politiques de premier rang). Onfray décrypte la défiguration d'un certain islam, la confusion hâtive entre un islam de paix et un islam de sang, un islam pacifique et un islam belliqueux, haineux et conquérant. Entre un islam d'écoute de l'autre, et un islam d'intolérance totale. Car les deux coexistent dans le Coran. C'est une question de prélèvement à la source (soit à la lecture - orientée, sans jeu de mots -, des sourates), une question d'usage, voire, souvent hélas, d'interprétation. Il y a ainsi deux façons - contradictoires -, d'être musulman. Onfray vilipende au passage les actes de guerre de la France, à coups de Rafale, de porte-avion, dans les pays arabes même (l'oumma, en réalité, soit la communauté musulmane planétaire, celle que nous bombardons, et qui riposte à nos terrasses, via Internet, avec des kalachnikovs), lors qu'il s'agirait d'accroître une contre-offensive au combat de rue; sur notre sol. Onfray pratique avec maestria un raisonnement dans l'esprit de Spinoza : Ni rire, ni pleurer, mais comprendre, et dans celui, voisin, des Lumières : hors passion, sans haine et sans vénération, sans mépris et sans aveuglement, sans condamnation préalable et sans amour a priori, juste pour comprendre. Son coup de gueule, à propos du désenchantement de la jeunesse française, est salutaire : Que des jeunes gens la quittent (la France) pour une vie d'aventure, d'idéal, d'action, d'engagement, je peux le comprendre puisque la République n'est plus capable de proposer l'aventure, l'idéal, l'action, l'engagement et qu'elle érige en modèles des comédiens de série B, des animateurs télé, des footballeurs décérébrés, des acteurs de cinéma, des chanteurs de radio-crochets télévisés... Il déplore qu'aujourd'hui, le grand formateur des consciences ne soit plus l'école, mais l'écran (télé, Net, tweet). Se rend à plusieurs évidences concomitantes : l'islam est une religion qui monte en puissance en Europe. Et, en France, à titre d'exemple, l'islam de France est encore financé par des pays qui n'ont aucune raison d'aimer ce pays... L'Occident est par ailleurs en bout de course. L'Europe est moribonde, elle ne survivra pas, et comme toutes les civilisations en phase d'effondrement, elle montre des signes de décadence : l'argent roi, la perte de tous les repères éthiques et moraux, l'impunité des puissants, l'impuissance des politiciens, le sexe dépourvu de sens, le marché qui fait partout la loi, l'analphabétisme de masse, l'illettrisme de ceux qui nous gouvernent, la disparition des communautés familiales ou nationales au profit des tribus égotistes et locales, la superficialité devenue règle générale, la passion pour les jeux du cirque, la déréalisation et le triomphe de la dénégation, le règne du sarcasme, le chacun pour soi... Dès lors le soufisme pacifiste (d'origine irakienne), ne peut rien contre le salafisme (et le djihadisme, sa mortifère sécrétion). Pas davantage, l'espoir (voeu pieux) d'un islam républicain ne pourrait quoi que ce soit. Ose penser par toi-même!, était la devise des Lumières, rappelle Onfray. Et d'ajouter : Cesse de penser, obéis, soumets-toi!, voilà na nouvelle devise de la gauche islamophile. L'auteur de La puissance d'exister rejoint ainsi la pensée d'un Houellebecq, d'un Finkielkraut, d'un Sansal.  D'ailleurs, Onfray déborde du cadre philosophique pour entrer de plain-pied dans l'espace politique, lorsqu'il voue aux gémonies les actes pleutres d'un gouvernement de "gauche", se limitant à des messages compassionnels (tellement narcissiques, dédouanants, égoïstes, exhibitionnistes), avouant par là même son impuissance à lutter efficacement contre un islam de guerre totale, lequel, selon l'auteur, ne voit plus tellement l'intérêt de changer de direction en allant vers un islam de paix, lorsque la conquête par la guerre lui paraît soudain si aisée. La Soumission, encore, comme un terrible refrain... La dernière charge d'Onfray est une adresse désabusée, presque contrite, qui exprime le regret de ne pas se tromper, hélas, au regard de l'Histoire, lorsqu'il pense qu'il est peut-être trop tard, car la politique étrangère de la France depuis vingt-cinq ans, écrit-il, expose les Français sans pouvoir les protéger quand ripostent ceux qu'ils agressent... Car tous les assoiffés de pouvoir préfèrent se servir de la France plutôt que de la servir. (...) La carte de la paix aurait valu la peine d'être jouée, conclut-il avec une certaine mélancolie. Certes, il y faut moins de testostérone et plus de matière grise...  L.M.

  • Où vont nos nuits perdues

    product_9782070467501_195x320.jpgSurprenant Alain Duault, dont on connaît la bonhommie lorsqu'il parle de musique classique à la télé, ou d'opéra avant le film, au cinéma. Cet homme - et c'est moins connu - , est aussi un poète délicat, qui utilise souvent le mot verso, notamment dans ses poèmes d'amour, car il se plait à retourner les mots comme un chercheur de champignons retourne la feuille du bout du bâton, ou un amoureux son corps à elle. Poésie/Gallimard publie une anthologie de ses  recueils parus depuis 2002, Où vont nos nuits perdues. J'y ai relevé celui-ci :

    2016-03-18 16.37.16.jpg

     

    Et celui-là, dans un autre registre : 

    2016-03-18 16.49.41.jpg2016-03-18 16.48.16.jpg

  • Somnanbule du jour

    téléchargement.pngAnise Koltz est une poétesse forte. Son mot cingle, trace avec économie, percute. Elle pratique l'oxymore, Rien n'est plus obscur et mystérieux que la clarté, prévient-elle. Extraits de Somnanbule du jour, son anthologie personnelle qui paraît - et c'est un événement, au Luxembourg -, dans la collection Poésie/Gallimard :

     

     Abattez mes branches

    sciez moi en morceaux

    les oiseaux continueront à chanter

    dans mes racines

     

    ---

     

    Chaque aube 

    est une promesse d'éternité

     

    Chaque couchant

    sa flamboyante annulation

     

    ---

     

    Mon corps est chaud

    comme le seuil d'une église

     

    Quand tu entres en moi

    la Bible divague

     

    ---

     

    J'aime te sentir

    sur moi

    comme un pont écroulé

     

    ma rivière 

    polira tes pierres

     

    ---

     

    Marcher

    sans rien atteindre

    jusqu'à devenir chemin

     

    ---

     

    Je ne crois plus en Dieu

    désormais

    ce sera à Lui

    de croire en moi

     

    ---

     

    Seule je rôde

    repoussée

    comme un animal sauvage

    qui a été touché 

    par les humains

     

    ---

     

    JE T'AIME

     

    Je t'aime

    parce que ton amour

    inventé pour voler

    est un faucon

    qui s'est posé sur mon poing

     

     

  • Alchimie, d'Azrié

    A mes yeux, mes oreilles, mon coeur, ma peau, le plus bel extrait d'un album tout entier consacré à une lecture musicale forte des Rubaiyat d'Omar Khayyam, par la voix unique d'Abed Azrié.

    Alchimie

    crozes-hermitage-rge-z.pngAlliances : une syrah douce et forte à la fois, de belle extraction. Si vous le pouvez, issue de la côte-rôtie, sinon, d'hermitage, ou bien de crozes-hermitage, mais de par là-bas, des magiques côtes-du-rhône septentrionales.

    Lire la suite

  • Poésie/Gallimard fête ses cinquante ans

    2016-03-15 11.04.41.jpgNous vivons avec cette collection depuis que nous avons appris à lire la beauté dans le mot, la fragilité sur le givre, l'amour dans le silence des regards. Nous avions commencé par la base : Apollinaire, Baudelaire, Rimbaud, Nerval, Eluard, Valéry, Hölderlin, Rilke, Jouve, Perse, Neruda, Toulet, et puis vinrent vite Char, Ponge, Jaccottet, Mallarmé, Lorca, Paz, Dupin, Reverdy, Ungaretti, les Haïkus, Desbordes-Valmore, Ritsos, Jabès, et des dizaines d'autres. Cette collection fétiche est devenue le talisman de notre bibliothèque. Ses poche les plus précieux. Nous ne l'avons jamais perdue de vue, nous avons guetté chaque parution, fait l'acquisition de presque tous, oui, c'est vrai. Cheminer avec prenait tout son sens. Offrir un joli volume blanc barré de petits portraits de son auteur, possède un poids particulier. C'était, et c'est toujours un cadeau chargé. Mais comme l'aile du papillon que porte une fourmi, dirait Ungaretti. Ou bien, comme on tend un oiseau vivant dans le berceau de ses mains à celle qui craint encore de le toucher. La collection fête donc aujourd'hui ses cinquante années d'existence. Un demi-siècle, déjà, que la poésie est popularisée, que du bonheur ineffable peut être savouré, partagé, transmis. Combien de fois ai-je offert Fureur et mystère, Les Matinaux, Le Parti pris des choses, Vie d’un homme, La Centaine d’amour, Lettera amorosa, Capture d'écran 2016-03-06 08.12.19.pngCapitale de la douleur, Vergers, L’Embrasure, Hypérion, Les Contrerimes, Plupart du temps, La Quête de joie, Ma Vie sans moi, Liberté sur parole, Le Seuil, le sable… Combien ! Ces compagnons dans le jardin de nos lectures quotidiennes nous sont devenus indispensables comme l’air et l’eau, le feu de ses yeux et le vin d’après (photo ci-contre). Agée de cinquante2016-03-15 11.01.32.jpg ans, riche de plus de cinq cents titres, la collection que dirige aujourd’hui André Velter, poète lui-même (Poésie/Gallimard fut lancée en 1966 par Alain Jouffroy et Robert Carlier, puis elle fut pilotée par André Fermigier, et, successivement par Jean-Loup Champion, Marc Delaunay, et enfin par André Velter depuis 1998), saisit l'occasion du Printemps de poètes pour offrir un immense bouquet de livres contemporains. Ils sont presque tous, là, sous ma main, sur la table (voir photos ci-dessus) : et tout d’abord le précieux Infiniment proche. Le désespoir n’existe pas, de Zeno Bianu - qui fait son entrée dans la collection – et je suis certain que cela est vécu, par un poète français vivant, comme une espèce d’intronisation dans un singulier panthéon : on doit se sentir un peu  pléiadisé, comme on dit… Il y a le délicat Richard Rognet, avec Elégies pour un temps de vivre. Dans les méandres des saisons. Il y a le solaire Abdellatif Laâbi, avec L’arbre à poèmes. Le déroutant James Sacré, et ses Figures qui bougent un peu. Nous trouvons aussi la grande poétesse luxembourgeoise Anise Koltz, à l'oeuvre abondante, méconnue, forte, avec Somnanbule du jour, Jacques Darras et L’indiscipline de l’eau, Alain Duault pou Où vont nos nuits perdues. Avant ce feu d’artifice anniversaire, ce furent, récemment, les indispensables Lusiades de Luis de Camoes, qui paraissaient. Constamment sur le qui-vive poétique, la collection emblématique alterne le classique et le moderne, l'étranger et l'hexagonal, publie anthologies et éditions bilingues, ainsi que des coffrets splendides (trois sont déjà parus), d’extraits de certains volumes devenus des indispensables, et qui constituent des cadeaux en formes 2016-03-15 11.02.52.jpgde pavés que l’on se plait à lancer sur le lit d’une amie. Le dernier « compilait » le meilleur, de Frénaud à Robin, de Guillevic à Bonnefoy (soulignez, sur la photo ci-dessus, comme on peut monter un poème avec les titres, mis ligne à ligne, et l'un sur l'autre, de ces petits volumes). Pour l’occasion, outre les  recueils de poètes contemporains précités, la collection publie une édition limitée sur fond coloré de dix titres phares (photo ci-dessous). Ne vous en privez pas : lisez et offrez des poèmes. Et longue vie à Poésie/Gallimard. L.M.

     

    Char, Apollinaire, Michaux, Perse, Ponge, Eluard, Aragon, Lorca, haïkus japonais, NerudaCapture d'écran 2016-03-15 10.57.42.png

     

  • Nora

    Est-ce indécent? C'est ma question. En musardant sur le site formidablement artistique et littéraire La Petite Mélancolie, je suis tombé sur un dessin de Hans Bellmer qui montre Nora Mitrani, nue, de dos. Et cela devient aussitôt délicat. Bien qu'elle fut quelque temps la compagne, la muse, le modèle de Bellmer, et ce, jusqu'en 1953, j'ai le sentiment de trahir, de violer quelque chose, d'exposer un secret - qui n'en est images.jpgpourtant pas un. Le cul de Nora, les fesses de l'auteur de Rose au coeur violet, qui devint la compagne de Julien Gracq en 1953, après avoir quitté Bellmer. C'est elle. La compagne du grand écrivain... Nue. De dos... Lorsque je rendais visite à Julien Gracq, chez lui à Saint-Florent-le-Vieil, je me tenais en général, un peu en décalé, sous un portrait de lui signé Hans Bellmer, encadré et accroché là. L'extrême pudeur, la réserve monacale vis à vis de tout ce qui relève du privé, de l'auteur de Prose pour l'étrangère, m'ont toujours empêché d'évoquer sa vie amoureuse, même si cette relation était connue, mais à peine. Pensez! Je crois même que l'idée ne m'a même jamais caressé l'esprit. Et là, découvrir tout à trac le cul de Nora, m'interloque un peu. C'est comme si j'entrais dans l'intimité de mon auteur fétiche, et comme si un peu de sacré se trouvait soudain désagrégé. A la vérité, je ne saisis pas très bien ce que je ressens. 

    N.B. : Je réalise que nous connaissons tous ces dessins, qui illustrèrent notamment les oeuvres de Bataille, comme Histoire de l'oeil, et que Bellmer, les surréalistes, tout cela est devenu familier à qui s'intéresse, même de loin, à l'histoire littéraire, lorsqu'elle chemine avec, ou bien à côté, de ses alliés substantiels (selon la belle expression de René Char), que sont les peintres et les dessinateurs. Ma curiosité m'a fait défaut, puisque j'ignorais l'identité du modèle fameux de nombre de dessins érotiques de Bellmer.

    Nora Mitrani, née en novembre 1921 de parents judéo-espagnols et italiens à Sofia (Bulgarie), écrivain, philosophe, attachée au mouvement surréaliste, meurt d'un cancer à l'âge de 39 ans. Un très beau texte, signé Stéphanie Caron : Nora Mitrani, surréaliste au si secret visage, lui a été consacré, que l'on peut lire sur Internet : Nora Mitrani par Stéphanie Caron

    (Voir par ailleurs l'adaptation cinématographique du Balcon en forêt qu'en fit Michel Mitrani, le frère de Nora, en 1979, avec notamment Jacques Villeret dans la distribution. Un délice).

    Ci-dessous, le document, ainsi qu'une photo datant de 1959, où l'on reconnait Julien Gracq, Nora Mitrani et André-Pieyre de Mandiargues à Venise.

    Capture d'écran 2016-02-23 21.02.49.pngCapture d'écran 2016-02-29 00.30.19.png

  • Circonflexe

    Si l’accent circonflexe tombait, ^ deviendrait v. Nous en serions tout retournés... Les voyelles devenues longues, qui justifient son emploi, seraient de facto raccourcies. Il ne permettrait plus de distinguer les mots homophones (du et dû, sur et sûr, par exemple). Une catastrophe pour la lecture. Mais qui lit encore avec circonspection, et ne manque pas d’être perplexe devant ceci, aujourd’hui ?.. En grammaire, on dit de l’accent circonflexe que c’est un signe diacritique. C’est joli, cela (m’)évoque aussitôt le mot critique avec une interjection à l’accent basco-landais : « Dia! »… Etymologiquement, circumflecterer (autour, et courber) signifie « décrire un tour dans l’arène » ; cela ne manque pas de panache. Cet accent est la réunion, au faîte, d’un accent aigu et d’un accent grave. Une sorte de crête, un pic, pas un cap ! Que dis-je : pas davantage une péninsule !.. Sa nécessité permet par ailleurs d’éviter drames et condamnations (se faire un petit jeûne, n’est pas se faire un petit jeune, rappelle-t-on sur la Toile, ce matin). En somme, le nivellement par le bas que sous-tend toute réforme simplificatrice de ce mauvais goût-là, en dit long sur le souci déliquescent des institutions pour ce qui fonde une culture, soit sa langue. Et la langue française est l’une des plus riches et des plus subtiles de l’univers linguistique. L’une des plus complexes aussi, et alors ? Face à la langue basque, par exemple, il y a de la marge. Vouloir écrêter l’orthographe du Français est affligeant. Cet aveu, pleutre, d’abandon, sent (mauvais) une autre forme de soumission. Je résisterai. L.M.

  • Tu manges en une heure et tu te casses!

    C'est au demeurant une adresse de quartier plutôt sympathique, et son exigüité ajoute à un charme intim(ist)e (un étroit couloir et une micro salle contre la cuisine) a priori non calculé. Ca sent bon, une jeune femme ignorant l'usage des zygomatiques, y fabrique les pâtes sur une table, la cuisine est familiale, genre mamma du sud de la Botte. Les plats du jour ne sont pas chers, la carte attirante, naturellement plus coûteuse, quoiqu'abordable. Mais je n'ai pas envie d'en dire davantage, ici, car ce n'est pas le sujet. Je n'y retournerai plus, et j'écris ces quelques lignes uniquement pour signaler un désagrément majeur, situé hors champ culinaire, qui ne manque ni de culot ni d'aplomb et qui, surtout, se distingue par sa couardise. C'est une raison, à mes yeux suffisante, voire rédhibitoire.

    J'y ai déjeuné avant-hier. Nous nous étions attablés (à deux) vers midi trente, ou quarante, et tandis que nous commandions les cafés, la note fut déposée et il me fut dit : il va falloir partir, maintenant, car la réservation suivante est arrivée. Il était treize heures trente. Pile. Nul ne nous avait prévenu de quoi que ce soit. Indigné (mais l'indignation a le chic de me laisser coi), je payais, et laissais néanmoins - en guise de pourboire -, mon sentiment sur cette manière de faire : j'ai contesté uniquement le fait de ne pas prévenir le client, ce qui lui laisserait le choix de s'asseoir ou de passer son chemin. Il me fut vertement rétorqué, le verbe haut, qu'ici c'était toujours comme ça. C'est un peu court... Mais, soit : on ne te prévient pas, tu vas avoir une heure top chrono pour bouloter, donc, et puis cassos fissa pronto. Et bien je dis non. Ce n'est évidemment pas ainsi que l'on traite les clients d'un restaurant, quel que soit son standing. Ne pas les prévenir, c'est en outre les prendre en otages, et en traitre. Je déteste. Pour information, ce restaurant italien s'appelle L'Osteria dell'anima, et il a pignon sur la rue Oberkampf, au n° 37 précisément. C'est dans le onzième arrondissement de Paris, à un jet de polenta du Bataclan. Je vais le regretter, mais je tiendrai bon, eu égard au grand nombre de concurrents alentour...

    P.S. : j'ajoute que je suis rangé des fourchettes depuis longtemps, et ce, après des années et des années de critique gastronomique quasi quotidienne (midi et soir, au cours de mes années GaultMillau notamment), et que je n'ai plus tellement envie de redonner dans ce registre-là. Mais, lorsque, d'aventure, quelque chose d'insolite se produit, je dégaine, m'estimant en devoir d'en informer le chaland; mon prochain. Appelons cela le syndrome des fourmis dans mon épée, cher à Cyrano (qui est  l'un de mes maîtres).

  • Aurore, suite (fragment 575)

    Nietzsche, l'ultime fragment d'Aurore porte à la réflexion...

    Nous autres aéronautes de l’esprit. — Tous ces oiseaux hardis qui s’envolent vers des espaces lointains, toujours plus lointains, — il viendra certainement un moment où ils ne pourront aller plus loin, où ils se percheront sur un mât ou sur quelque aride récif — bien heureux encore de trouver ce misérable asile ! Mais qui aurait le droit de conclure qu’il n’y a plus devant eux une voie libre et sans fin et qu’ils ont volé si loin qu’on peut voler ? Pourtant, tous nos grands initiateurs et tous nos précurseurs ont fini par s’arrêter, et quand la fatigue s’arrête elle ne prend pas les attitudes les plus nobles et les plus gracieuses : il en sera ainsi de toi et de moi ! Mais qu’importe de toi et de moi !D’autres oiseaux voleront plus loin ! Cette pensée, cette foi qui nous anime, prend son essor, elle rivalise avec eux, elle vole toujours plus loin, plus haut, elle s’élance tout droit dans l’air, au-dessus de notre tête et de l’impuissance de notre tête, et du haut du ciel elle voit dans les lointains de l’espace, elle voit des troupes d’oiseaux bien plus puissants que nous qui s’élanceront dans la direction où nous nous élancions, où tout n’est encore que mer, mer, et encore mer ! — Où voulons-nous donc aller ? Voulons-nous franchir la mer ? Où nous entraîne cette passion puissante, qui prime pour nous toute autre passion ? Pourquoi ce vol éperdu dans cette direction, vers le point où jusqu’à présent tous les soleilsdéclinèrent et s’éteignirent ? Dira-t-on peut- être un jour de nous que, nous aussi, gouvernant toujours vers l’ouest, nous espérions atteindre une Inde inconnue, — mais que c’était notre destinée d’échouer devant l’infini ? Ou bien, mes frères, ou bien ? —

  • En (re)lisant "Aurore", de Nietzsche, cet après-midi :

    Fragment 532 :

    « L’amour rend égaux ». — L’amour veut épargner à celui à qui il se voue tout sentiment d’être étranger, il est par conséquent plein de dissimulation et d’assimilation, il trompe sans cesse et il joue une égalité qui n’existe pas en réalité. Et cela se fait si instinctivement que des femmes aimantes nient cette dissimulation et cette duperie douce et continuelle et prétendent avec audace que l’amour rend égaux (ce qui veut dire qu’il fait un miracle !) — Ce phénomène est très simple lorsqu’une personne se laisse aimer, et ne juge pas nécessaire de feindre, laissant cela à l’autre personne aimante : mais il n’y a pas comédie plus embrouillée et plus inextricable que lorsque tous deux sont en pleine passion l’un pour l’autre, et que, par conséquent, chacun renonce à soi-même et se met sur le pied de l’autre, voulant partout faire comme lui : alors aucun des deux ne sait plus ce qu’il doit imiter, ce qu’il doit feindre, pour quoi il doit se donner. La belle folie de ce spectacle est trop belle pour ce monde et trop subtile pour l’œil humain.

  • Finki sous la Coupole

    Lisez le discours de réception d'Alain Finkielkraut, prononcé hier à l'Académie française, pour ses éclats d'intelligence purs, sa déclaration d'amour de la France à la France, pour son éloge subtil de Félicien Marceau, et lisez aussi la réponse de Pierre Nora, qui figure une sorte de bref et brillant essai. Y sont circonscrites, toutes les facettes fascinantes de la personnalité de "Finki". Voici deux purs joyaux. A lire un peu partout sur le Net, notamment ci-dessous en cliquant sur les liens dédiés :

    Discours de réception

     

  • Agathe the jazz

    téléchargement (2).jpegEcrire sur la mort de sa mère est devenu un genre littéraire, me disait mon ami et éditeur Olivier Frébourg, tandis que je lui donnais à lire un manuscrit sur le motif. Mais nul ne semble armé pour pouvoir écrire sur la mort de son propre enfant. Pas même mon autre ami Didier Pourquery. Et pourtant Didier did it. Agathe, sa fille, était née en 1984 avec une vilaine mucoviscidose. Elle subit une, puis deux greffes de poumon, elle toussa les vingt-trois années de sa vie durant, souffrit. Elle était plus gaie que gaie, elle était intelligente, aimante, aimée, et un jour elle adressa un sms aux siens, après avoir appris de son médecin, devenu un confident, que ses jours étaient comptés, qui disait je vous aime. Et c'est là qu'en lisant L'été d'Agathe (Grasset), petit chef d'oeuvre de pudeur et d'amour viscéral, nos larmes éclatent et notre ventre se noue. Pour se détendre aussitôt, car Didier Pourquery écrit juste, avec le ton exact, la mesure du mot, le sens de l'émotion contenue, du tact idoine, la vérité crue au bout du stylo (nous l'entendons écrire), même si parfois cela déborde, et c'est normal. Le père ne cache pas combien il est souvent désemparé, maladroit, impuissant, lorsqu'il doit improviser devant tant d'inédit et de douleur à dompter du mieux qu'il peut. L'auteur achève cette adresse à sa fille d'un Je t'aime qui prend le poids, énorme, de l'aile du papillon que porte une fourmi, comme l'écrivit Ungaretti. Didier avait repris ses carnets de notes - il a tant noté tandis qu'il espérait de toutes ses forces, avec la mère et les soeurs d'Agathe, et tandis que sa fille vivait, entre un hôpital et l'île d'Oléron, où, un jour d'août 2007, elle fut dispersée par des parents pieds nus - ainsi qu'elle le désirait, et il a accompli un devoir extraordinaire de père. Celui que nul ne souhaite à aucun homme. Et cela donne un livre précieux entre tous, parce qu'il nous parle, avec les mots simples de l'amour et de la douleur que l'on s'efforce d'enfouir, avec des mots empreints d'une douceur et d'une grâce magiques, de l'existence essentielle. Un livre surhumain. L.M.

  • Le candélabre

    C'est l'un des plus beaux passages du Roi des Aulnes, de Michel Tournier, qui vient de nous quitter. Page 223 (en collection Blanche, de 1970), voici que l'ogre de Rominten, qui figure Göring, grand amateur de chasse, de venaison, de grands vins de Bourgogne et de Bordeaux, et aussi d'excès en tous genres, se trouve face à un grand cerf, le Candélabre :

    téléchargement.jpegL'un des plus nobles Reichjägermeisterhirsche était à coup sûr le Candélabre dont l'Oberforstmeister tenait la chronique presque mois par mois, et qui promettait de devenir le roi des hardes de Rominten. Un soir que Göring, emmitouflé comme un ours, piétinait lourdement dans la neige molle pour relever des traces de loups qu'on lui avait signalées, le Candélabre surgit, comme une apparition, dans un entrelacs de rameaux givrés. Sombre statue d'ébène, il portait haut sur son encolure musculeuse un buisson de vingt-quatre andouillers distribués aussi régulièrement que les nervures d'un cristal de glace. Il était grand et droit comme un arbre, un arbre vivant et respirant, aux oreilles dardées, aux yeux clairs comme des miroirs, qui faisait face aux trois hommes. Les bajoues du grand veneur se mirent à trembler.

     

     

  • Sur le site du Figaro

    Cet article signé Romy Ducoulombier, que je remercie.
    En lien simple : Le "Dictionnaire chic du vin" dans Le Figaro (.fr)

    Et en pdf : Mazzella_Dictionnaire chic du vin_LeFigaro.fr_18 décembre 2015.pdf

    L'occasion de saluer au passage le très bel album de Pierrick Bourgault, consacré aux Vins insolites (éd. Jonglez) : du vin de glace québécois au vin du désert de Gobi, en passant par les vins d'amphore, ou les crus indonésiens... Et qui vient de recevoir un prix prestigieux : le Gourmand World Cookbook Awards.

  • Georges is in the sky with virgins...

    Wolinski, depuis le sky où il continue de besogner les virgins promises à d'abjects dingues, a du se marrer en découvrant la coquille hellène à son patronyme. Une commémoration à côté de la plaque, en quelque sorte.
    J'ajoute, à propos de cet Y de discorde et de raillerie détendante, en ces temps par trop sérieux et aussi pourvoyeurs en rires qu'un oued seco en eau, que le philosophe grec Pythagore relevait ceci : les branches divergentes ("et dix verges, c'est beaucoup", se serait exclamé Pierre Desproges) d'Upsilon (la lettre Y) figurent la croisée des chemins entre vice et vertu. Nous y verrions, par surcroît, avec Wolinski, et à n'en pas douter, des jambes joyeusement écartées... Mais, bon, ne dévions pas d'un si bon chemin.
    (photo : © La Dépêche)téléchargement.jpeg

     
     
  • La banalité du mal, again...

    NE PERDONS JAMAIS DE VUE LE CONCEPT DE "BANALITÉ DU MAL", CHER À HANNAH ARENDT
    Choqué, interloqué, dégoûté, les mots me manquent. Moi, journaliste, je suis proprement indigné par Libération, quotidien devenu une sorte de suppôt voilé, et pleutre, d'une certaine forme d'antiracisme bon teint qui flirte sans le savoir (?), à coup de complaisance (mais la mode est à cette complaisance-là, lâche, hypocrite, intéressée : voir nos dirigeants et l'Arabie Saoudite, le Qatar...), avec un islamisme certain. Ce, avec des Unes bobos et choquantes à vomir, comme celle qui fut consacrée, le 19 novembre dernier, souvenez-vous, à Abdelhamid Abaaoud, "le visage de la terreur", souriant, narquois, starisé comme un Che, d'une provocation, et donc d'une violence inouïes, tandis qu'un massacre venait de faire 130 victimes : de quoi susciter des vocations de martyrs auto-proclamés par dizaines. Et là, ce 4 janvier, c’est le comble de l'abjection gluante, et tellement révoltante qu'on se demande comment une telle Collaboration est possible, sans réaction massive : le portrait hagiographique et très anti professionnel, aussi journalistique que Galabru est vivant, de l'immonde Tariq Ramadan, présenté comme « le Georges Clooney des musulmans », comme un mec soft et cool, séducteur et lettré, genre lecteur de Libé quoi, tu vois, coco... Me révolte. Libé, ou ce qu’il en reste, est devenu un organe vivotant d’une gauche extrême à la Clémentine Autin, veule et anticitoyenne, autoritaire et aveugle. A trois jours d’un funeste anniversaire - celui de la tuerie de Charlie Hebdo (sans parler de celle de l’Hyper Cacher, via l’assassinat d’une agent de police), voilà ce qu’un quotidien à prétention nationale, mais d’envergure infra-locale, car limitée à quelques quartiers de la capitale depuis ses origines, et ce, malgré son ambition originelle, propose à ses derniers lecteurs. Un papier creux, style mode, tendance, fashion, sur un idéologue nuisible. Libé ou l’art de transformer le réel, lorsqu’il est grave, en collection d'icônes futiles. Libé ou le travestissement du Malin, Libé ou la banalisation du mal... C’est à pleurer, eu égard - et par surcroît -, au manque de force, accru, de la presse quotidienne nationale française aujourd’hui. L’acte citoyen, demain, c'est de ne plus acheter ce journal-là, que nous avons pourtant aimé lire, des années durant.

     
     
     
  • A propos de Michel Delpech

    Je confesse : j'étais ado, à Bayonne, et nous nous moquions des Michel Delpech, Michel Fugain, Julien Clerc, Johnny Halliday, Clo-Clo, Mike Brandt, Stone & Charden et tout le toutim (Hervé Vilard, Adamo...). On les trouvait "ploucs". On écoutait en revanche Maxime le Forestier (baba, "jeunes et nature", Mességué, La Vie claire, Roger images.jpegDumont... Obligeaient alors), un peu Véronique Sanson, Graeme Allwright, Paco Ibañez, Ferrat sur Aragon, Ferré, Brel et Brassens bien sûr, Reggiani et Aznavour piqués aux parents, avec les 45 ritals à bloc et ricains (de Bobby Solo à Trini Lopez en passant par Sinatra). Sans parler, ici, des rosbifs de tout poil (Beatles contre Stones, Genesis, Incredible String Band, King Crimson, Yes, Jethro Tull, et Led Zeppelin bientôt, entre cent autres etc, etc). Non, là, je cause remords français, et frime franchouillarde à la con : on les qualifiait donc de ploucs, les Delpech et consorts, car on était cons. Jeunes (moins de 18) et cons. On se croyait supérieurs, intello à 2 balles, avec les chants révolutionnaires murmurés par Joan Baez, avec la voix chaude et profonde de Leonard Cohen... Aujourd'hui que Lorette, le chasseur, Wight is Wight... La liste est longue, disparaissent en renaissant aussitôt (l'avez-vous remarqué, aujourd'hui?), je m'aperçois d'une chose : en vieillissant (j'accuse 57 automnes au compteur bleu), j'apprécie désormais -presque autant- les tubes de Delpech que ceux que j'adulais alors. Va comprendre, des fois...

     
     
     
  • Wozu

    téléchargement.jpegWozu dichter in dürftiger zeit? La fameuse question posée par Hölderlin frappe à notre esprit de manière récurrente. Elle signifie, et selon les traductions, Pourquoi (ou, à quoi bon) des poètes en un temps de manque (ou de détresse, voire de crise)? Réflexion en cours.