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Grozdanovitch photographe

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Nous connaissions le penseur, auteur d'un inoubliable Petit traité de désinvolture, et le champion de tennis. Voici le photographe sensible, qui voyage avec son amour, sa femme (à la beauté égyptienne classique) et un appareil photo depuis plus de trente ans. Il a opéré une sélection drastique dans ses malles de clichés et nous en sert une soixantaine avec des textes courts, denses, fulgurants; essentiels. Cela s'appelle L'Exactitude des songes (Rouergue) et c'est splendide de retenue, de petites touches. Denis Grozdanovitch semble dire, avec Philippe Jaccottet, qu'il ne faut jamais tout dire, mais suggérer. La Nièvre, l'Aveyron, Paris, la Tasmanie, Judith sa compagne, la Grèce, la Sicile, le Maroc, un inconnu, peu importe le lieu et les sujets, car seul compte le regard que pose l'auteur, à travers l'objectif, sur une ruine, une sculpture, une tombe, la pluie sur une vitre, un quai de gare, ou un autre de métro déserts, une enfant de dos, un escalier métallique, un paysage boueux de Normandie, une devanture d'échoppe... Les clichés possèdent la faculté magique de ressusciter des émotions, dit l'auteur. Celles, personnelles, de celui qui les a pris, bien sûr. Mais la portée de la photo, lorsqu'elle touche à l'universel, est bien là lorsqu'elle nous frappe et résonne en chacun de nous, par sa puissance d'évocation, par ce qu'elle renvoie à notre propre mémoire. Grozdanovitch a raison de citer la parole éclairante de Proust (in Le Temps retrouvé) : "... cette réalité que nous risquerions fort de mourir sans l'avoir connue, et qui est tout simplement notre vie, la vraie vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, cette vie qui, en un sens, habite chez tous les hommes aussi bien que chez l'artiste. Mais ils ne la voient pas, parce qu'ils ne cherchent pas à l'éclaircir. Et ainsi leur passé est encombré d'innombrables clichés qui restent inutiles parce que l'intelligence ne les a pas développés." Il est question dans cet ouvrage de l'état d'esprit au moment de la prise d'un instantané, et puis il y a l'examen rétrospectif, plus ou moins longtemps après. Il faut écouter les écrivains (Roland Barthes, Susan Sontag, Denis Roche) qui ont réfléchi à la photo, pour ne pas « feuilleter idiot » un album, ressentir ces  invites  aux fantaisies de l'imaginaire (Sontag) que sont les photos -en l'occurrence celles de Grozdanovitch. Lesquelles nous plongent dans une nostalgie, voire une mélancolie, en ces temps de « folle course en avant », qui ne s'apparente jamais à une intrusion, puisque nous nous approprions la photo en n'y voyant pas ce que l'auteur y retrouve. Grozdanovitch évoque la poésie latente des photos retrouvées, car ce sont des choses, des traces au cœur desquelles réside l’oxymore délicieux, souligne-t-il, de l’exactitude des songes… Chacune des photos « données à voir » dans ce joli ouvrage sont de surcroît commentées à la manière dont René Char établît l’arrière-histoire  de ses Poèmes pulvérisés, soit avec une subtilité chaleureuse faite de partage et d'éclairage. Grozdanovitch repense le moment de la capture, l'instant fugace ou réfléchi, le temps de pose ou celui du vol à l'arraché, de chaque prise de vue, puis il réexamine donc chaque photo à la lumière, tamisée par le temps, qui a déposé (ou qui révèle) dans la mémoire, une mise à distance faite de sagesse, de bienveillance, d’étonnement souvent, de grâce parfois. Le hasard produit des « bougés » heureux, des regards furtifs, des détails qui n’en sont forcément pas, de menues cicatrices, des souvenirs de bonheur total, de tristesse aussi. Ainsi ce livre devient-il une collection intime qui nous « parle », car c’est d’un « rempart contre l’oubli » qu’il s’agit, et nous en construisons tous, afin de tirer au clair notre vie avant d'en jeter le bain révélateur.


Commentaires

  • Merci pour ce commentaire magique de ce livre: cela donne envie de le voir et de le lire.
    Bonne soirée, amicalement,

  • oui, toutes ces notes donnent envie de lire et découvrir.
    "L'Exactitude des songes" : quel beau titre !

  • Oui. Un titre-oxymore, en quelque sorte. Une provocation. Un délice, en tous cas, ce bouquin.

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