Les Enfants du Paradis
C'est une des plus fameuses répliques d'Arletty (On m'appelle Garance) dont la candeur et le talent participent du film mythique de Marcel Carné, aujourd'hui restauré, vivifié par une superbe exposition à la Cinémathèque (Paris) que l'on doit notamment à l'agence Scène (mention spéciale à la subtilité de la mise en lumière de tant d'affiches, accessoires, documents, costumes...). L'occasion de revoir le film, ses décors, ses dialogues fins, ses plans au millimètre, ses cadrages renversants, sa théâtralité souple, la scène de pantomime de Baptiste Deburau -alias Jean-Louis Barrault (le vol de la montre en or), les répliques inoubliables : Pierre Brasseur (en Frédérick Lemaître) : vraiment, une merveille ce p'tit vin chaud, c'est l'bon dieu qui descend dans la gorge en culotte de v'lours rouge... Baptiste à Nathalie : Si tous les gens qui vivent ensemble s'aimaient, la terre brillerait comme un soleil... Eprouver la fragilité de cristal des acteurs * (Maria Casares sublime en Nathalie), boire les dialogues de Prévert, se laisser prendre par la musique de Kosma, accepter d'être envahi par la gouaille parigote des accents, l'aigu des voix, le chaloupé de la gestuelle générale, l'extrême langueur des baisers d'Arletty à Barrault, la lenteur au petit point de chaque mouvement, regard, la mélancolie charnelle, évanescente, ethérée de Baptiste ; la fierté un rien fourbe du bandit-dandy Lacenaire... Et bien sûr l'intrigue -Nathalie aime Baptiste qui aime Garance qui est aimée de Frédérick mais Garance ira avec le Comte de Montray sans cesser d'aimer Baptiste... Un singulier chef-d'oeuvre tout simplement, contre lequel Truffaut aurait échangé tous ses films. La vie dans le théâtre, le théâtre dans le cinéma et le cinéma dans nos veines tout au long d'un film rigoureux mais qui jamais ne souligne l'énorme travail d'amont. Délicat, complet, total ; artiste quoi. Un film tact. Inenvisageable, aujourd'hui?
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* Notons quelques petits rôles distribués à de futurs grands : Simone Signoret, Jean Carmet, Gérard Blain...
Photo prise sur un mur de l'expo (Cinémathèque).
Commentaires
Inenvisageable mais représentatif d'une époque qui privilégie la forme au fond, une époque qui encense le médiocre, le grotesque et méprise l'exigence (mais n'en est-il pas de même pour la littérature ?)
Oh, la forme a une importance énorme dans "Les enfants du Paradis", Sylvain (le théâtre -la pièce même qu'est ce film-, les costumes, les décors sont très précisément calibrés), mais bon... Gardons-nous aussi de dire que c'était mieux avant. Le cinéma a effectué plusieurs révolutions (notamment technologiques) depuis 1945. Ce qui me semble difficilement envisageable en 2012, c'est de réaliser un film aussi rigoureux, aussi exigeant, aussi qualitatif sur tous les plans sans exception (des dialogues aux décors, de la mise en scène au jeu des acteurs : autant de perfection recherchée dans la forme comme dans le fond me semble rarissime, excepté une fois ou deux par an -et encore! dans une salle obscure, devant nos yeux et notre esprits ébahis). La technique (prenons les effets spéciaux par exemple) soulage le travail certes, mais ramollit l'imaginaire, rend si laxiste... L'absence d'exigence, c'est effectivement produire de la grosse daube et des nanards à la chaîne afin de contenter un certain public, de répondre à une demande certaine. Mais cela laisse la place à un cinéma -comme à une littérature- d'un autre calibre. (Chacun mes goûts!). 'Les Enfants du Paradis" demeure un modèle, un chef-d'oeuvre, une référence... datés.
Vaste sujet que le cinéma et ses "révolutions" (pour certains, dont je suis, on pourrait parler de régression mais bon...) Où est la magie dans un film réalisé devant un écran vert, sans âme, quasi immédiatement lâché en pâture à une horde de bouffeurs de pop-corn possesseurs de carte estampillée multiplexe ? Nulle part. Et je vous rejoint avec force sur beaucoup de pensées liées à cet état de fait. Bien à vous, et à tous les pourfendeurs de mauvais goût, littéraire ou cinématographiques. Milesker, cher ami.
En effet, vaste (infini?) sujet... Mais il faut de tout pour faire un monde d'aficionados du septième art, au sein de l'auberge espagnole duquel il y a des productions décervelantes pour bouffeurs de pop-corn déjà décervelés et le meilleur -selon "mes" goûts, oeuf corse! Et puis il y a aussi les superproductions d'une qualité énorme (James Bond en est le dernier exemple), à côté des petits chefs-d'oeuvre intimistes et universels à la fois (Amour) ou fantasmagoriques en diable (Melancholia) ou encore secouants et donc salutaires (Les enfants de Belleville). Entre cent autres exemples.
Je n'ai pas encore vu cette version nettoyée, et je ne me souviens pas assez du film pour parler du fond, ni de la forme. En revanche, je focalise sur un aspect dont les uns ou les autres sauront peut-être quelque chose : le film s'est fait pendant la guerre, en utilisant bien plus de pellicule que ce qui était autorisé alors. Par quel tour de passe-passe (non douteux ; arletty , rumeurs?) le film a-t'il pu se faire dans des conditions. Cela entache - a priori- l'idée que je me fais de l'oeuvre. Cette question m'est née d'un reportage vu, et qui ne s'apesantissait pas, précisément, sur les coulisses, au sens large, du film. so, quid ? Si quelqu'un a des infos historiques.
Et pour rester dans un domaine cinématographique où les mangeurs de pop-corn ne se précipitent pas, je suggère "le sommeil d'or"
(mon enthousiasme ici : http://loeildukrop.eklablog.com/avec-le-temps-a58369253 )
Bonne après-midi à vous.
À propos des accents (je pense en particulier à Arletty), ce sont je crois des faux accents, des accents joués, mais tellement bien joués qu'on les croit naturels. On entend Arletty et on pense "Ah voilà un accent bien parigot", mais je crois qu'on ne parlait pas vraiment dans la rue avec l'accent d'Arletty.
=> Nikole. Chacun sait que Arletty ayant "couché avec l'ennemi", elle eut quelques ennuis.
Extrait de sa note sur Wikipédia : Après la Libération, Arletty est arrêtée, non pour faits de collaboration, mais en raison d'une liaison avec Hans Jürgen Soehring (1908-1960), un officier allemand. Ils s'étaient connus à Paris, le 25 mars 1941. Soehring lui avait été présenté ce jour-là par Josée de Chambrun, épouse de René de Chambrun et fille de Pierre Laval. Soehring était à l'époque assesseur au conseil de guerre de la Luftwaffe à Paris. Elle aurait dit à Michèle Alfa et Mireille Balin, qui avaient aussi comme amants des officiers allemands : « On devrait former un syndicat. » Elle est internée quelques jours à Drancy, puis à Fresnes. Lorsqu'elle est libérée, on lui conseille de quitter la capitale. Elle trouve refuge pour 18 mois au château de La Houssaye-en-Brie, chez des amis résistants. Prise à partie par l'un des FFI à son arrestation, elle a cette réponse : « Si mon cœur est français, mon cul, lui, est international ! », phrase qui lui avait été suggérée par Henri Jeanson. Elle répond à une détenue qui lui demandait des nouvelles de sa santé : « Pas très résistante. »
De là à penser que le film a bénéficié de certains avantages... Je l'ignore totalement et n'ai encore effectué aucune recherche, ce soir, après la lecture de votre commentaire. A suivre, car votre perspicace remarque est salutaire.
=>Cristophe : c'est évidemment "surjoué", les traits sont forcés car le cinéma de l'époque est encore trop théâtral et pas encore sigulièrement cinéma... Mais je pense que la société évoluant, y compris dans ses façons de dire (et pas seulement de faire), l'accent (parisien) était me semble-t-il plus appuyé qu'aujourd'hui, car moins en cohabitation avec, moins en concurrence car moins métissé, distancé, voire préféré à d'autres accents qui sont apparus depuis, comme celui du neuf-trois (entre autres). A débattre...
Bonjour Léon,
Pour répondre à Christophe, si, on parlait comme ça, surtout dans la banlieue proche de Paris ( Courbevoie...). Certains ont encore l'accent, mais il faut dire que beaucoup de vieux parisiens sont partis de Paris pour la campagne !
Bonne journée ;-)