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KallyVasco - Page 19

  • Le Politique et le Littéraire

    A la mémoire de Pierre Moinot.
     
    La tentation littéraire est une tendance récurrente chez nos hommes politiques. Rarement avec succès. Analyse du sujet
     
    N’est pas Malraux qui veut. Les hommes politiques  français ont toujours été tentés de faire une œuvre littéraire, en complément d’objet direct de leur destin politique. C’est plus fort qu’eux : laisser une si jolie trace de leur passage dans les Ministères ou dans les Chambres, semble être une habitude hexagonale, depuis Montaigne, tantôt maire de Bordeaux, tantôt auteur des « Essais ». Mais Dr Jekyll et Mr Hyde ne boxent pas toujours dans les mêmes catégories…Rarement avec talent, souvent avec peine, la plupart du temps, c’est en faisant seulement des livres que ces traces apparaissent. Et chacun sait que le livre ne fait pas la littérature, loin s’en faut. Les exemples fameux –contemporains seulement*-, se comptent sur les doigts de la main de Blaise Cendrars : André Malraux d’abord, Saint-John Perse, Paul Claudel, Léopold Sédar Senghor, Paul Morand. Et encore ! Parmi ceux-ci, les ambassadeurs sont-ils d’authentiques politiques ?Évidemment, nombreux sont ceux, parmi les ténors d’aujourd’hui, qui publient. Mais il est à noter que beaucoup s’adonnent à la biographie, d’un de leurs maîtres généralement. (Laissons de côté les ouvrages partisans, de programmes et d’entretiens).  Jack Lang, François Bayrou, Alain Juppé, Philippe  Séguin, Robert Badinter… Ils ont tous écrit « leur » Henri IV, leur François Ier, leur Montesquieu, leur Talleyrand. Des livres d’histoire. Certains excellents, d’autres hagiographiques, et d’autres encore tellement narcissiques que l’on se demande si ce ne sont pas des allégories du transfert. Des projections en forme de bio. D’où le fossé : Flaubert pouvait écrire : « Madame Bovary c’est moi ». Aucun homme politique, saisi par la tentation romanesque, n’a pu dire une chose pareille. Ils peuvent tout au plus laisser accroire que, François Ier, c’est (un peu) eux …Lorsque Valéry Giscard d’Estaing, amateur de Maupassant, s’essaye au roman, cela donne « Le Passage », et quand Alain Juppé se lance dans le Journal, façon « mes travaux et mes jours », cela produit « La Tentation de Venise » : deux ouvrages que la littérature n’a pas jugés bon de retenir.Autrement dressé, ce portrait de groupe revient à signifier que l’homme politique n’est pas littéraire, romancier, mais seulement essayiste ; si l’on excepte Malraux. Et il est rarement (grand) poète, comme Aimé Césaire.La tentation poétique fait de Dominique de Villepin un talentueux anthologiste. Pas un poète. (passer derrière l’incontestable Pompidou n’était pas aisé, sauf à moderniser le propos, ce qui fut fait), avec son « Eloge des voleurs de feu ». Citer René Char à tout bout de champ et de titre d’essai ne suffit pas pour être confondu avec un allié substantiel…L’exception vient peut-être de quelques esprits hors du commun, comme Jacques Attali, à la faveur du talent protéiforme et prodigieusement productif du sujet, lequel publie des essais remarquables et remarqués, et touche à presque tout, du traité d’économie au roman, de la biographie au théâtre… La tentation saint-simonienne a fait son succès avec les « Verbatim » élyséens. Depuis, chacun de ses livres se vend plutôt bien, y compris « La Vie éternelle, roman »...Autre cas à part et semblable au cas Attali  : celui de Régis Debray : brillant essayiste et romancier reconnu depuis « La Neige brûle », il est aussi un fin observateur critique de la sphère du pouvoir. Seulement, pouvons-nous considérer les conseillers du Prince comme des hommes politiques, au moins de l’ombre ? Si oui, nous observons alors certaines éminences grises effectuer un chemin à l’envers, qui va de la fiction à l’essai. Denis Tillinac, romancier employé à plein temps par la littérature dans tous ses états, est entré, sur le tard, dans le monde de la réflexion, en publiant des essais, parfois graves, « Elluliens »  –mais sans délaisser le roman pour autant! Cela se produisit peut-être à cause de (ou grâce à) son immersion en Chiraquie.Il y a le fantasme, aussi : le mythe Mitterrand est nourri par un amour immodéré des livres et de la littérature, qui en a fait un écrivain sans livres. Enfin : sans œuvre proprement littéraire. Un amateur. Un vrai grand homme politique à la française : cultivé et fin connaisseur de littérature classique. C’est la tentation colossale. Ainsi, chacun garde l’image de Tonton lisant « En lisant en écrivant », de Julien Gracq, dans l’avion présidentiel… Une image qui évacua l’auteur de « La Paille et le grain ». Normal ! Le patron de la politique française lisant « le patron des lettres françaises », comme l’a nommé un jour François Nourissier, ça en jette pour l’Histoire.Peut-on parler d’œuvres littéraires, enfin, à propos de certains ouvrages politiques ? Et en nous fondant sur quels critères ? Depuis Saint-Simon, que l’on peut prendre plaisir à lire en dehors du sujet qu’il traite, grâce à sa haute teneur littéraire, qui donc nous a émus ? Chacun possède sa « short list », selon sa famille politique et ses affinités.Les Mémoires valent généralement davantage pour leurs révélations, leurs secrets enfin dévoilés, que pour leur tenue littéraire. Font exception celles d’un De Gaulle (publiées dans la collection La Pléiade ! Mais l’Académie française, autre « collection » de luxe, a bien accueilli  l’un des successeurs du Général parmi les siens. Dans un cas comme dans l’autre, le soupçon de condescendance est de mise), ou celles d’un Pierre Mendès-France ou encore d’un Alain Peyrefitte. Chacun mes goûts !Et puis nous pouvons nous poser la question suivante : un homme politique s’étant retiré prématurément des affaires publiques, peut-il devenir un bon écrivain ? Il en a le droit. Mais le pouvoir ?.. Le cas de François Léotard, dont on commence à louer le talent, à l’occasion de la sortie de son troisième roman, « Le Silence », est relativement isolé. « La maîtrise du verbe s’acquiert », déclarait l’ancien ministre au « Monde des Livres », le 9 mars dernier. Huguette Bouchardeau, une fois ex-ministre, s’est essayée au roman. Elle est également devenue éditrice. Et elle nous permet ici, de parler, enfin, de femme politique, et plus seulement d’homme ! Les femmes de la trempe de Simone Veil sont rares. Encore plus rares celles qui font œuvre littéraire. Les Mémoires de Madame de Genlis sont là pour nous le rappeler, avec perfidie, tout en mettant en garde les femmes ayant des velléités d’écriture, « comme les hommes »…Le mundillo  littéraire demeure méfiant devant un produit comme le nouvel opus d’un François Léotard : l’auteur n’étant pas du sérail, il ne sera jamais « des nôtres »… L’attitude, corporatiste, exclusive et un brin hostile dans sa préciosité, est typiquement française. La méfiance du Littéraire est aussi  forte vis-à-vis de l’intrusion du Politique dans son pré carré, qu’envers celle du show-biz. Il a d’ailleurs une bonne raison de s’en méfier, le Littéraire : c’est lui, en principe, qui est sollicité pour faire office de « nègre » : le Littéraire tient la plume du Politique, comme il tient celle du chanteur ou de l’actrice. Alors, lorsque le premier tient tout seul sa plume, le Littéraire doute. Et hésite à l’accueillir  sur son terrain de jeu, où les règles d’appartenance et de maintien sont drastiques.On le voit bien, la tentation littéraire de nos hommes politiques est incontestablement plus fantasmatique dans le pays de Voltaire, que partout ailleurs, et c’est heureux. Nous vivons plutôt bien dans un pays qui parle de bouffe à table, se chamaille pour une sauce avec autant de virulence que pour un candidat à la Présidence, et adore débattre jusqu’à plus soif de la vénération de certains hommes politiques pour la chose littéraire. D’autant que cette bizarrerie, eu égard à la majorité écrasante de technocrates appelés à nous gouverner, aurait tendance à disparaître. À appartenir un jour au Musée, comme la cigarette de Pompidou, anthologiste de la poésie française, qui fut aussi Président de la République . Française elle aussi… L.M.
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    *Laissons le Cardinal de Retz de côté pour nous attacher à la modernité, ainsi que les auteurs étrangers : les Mario Vargas Llosa, les Carlos Fuentes, les Octavio Paz (pour ne citer que des écrivains Sud-Américains-, ayant fait ou continuant de faire œuvre politique en marge de leur œuvre principale). Ces derniers sont des écrivains qui « donnent » dans le politique, et pas l’inverse. 
     
    Texte publié la semaine dernière dans Le Journal du Salon du Livre. 

  • Allez au musée!

    medium_cover.jpgDans "Le Nouvel Obs" de cette semaine, édition Paris - Île de France, paraît un dossier que j'ai eu le plaisir de "piloter" (et de co-rédiger). Il est consacré à l'art contemporain en Ile de France et en province. Allez-y voir! Il y a des musées et des expos qui décoiffent, pour tout le monde, dans l'Essonne, le Val de Marne, le Limousin, à Bordeaux, Montpellier, Caen, Rennes, Rouen, Saint-Paul-de-Vence, Sérignan -dans l'Héraut... C'est pas de la pub, c'est un "post" sur mon blog? Hé! Ho!

  • Les bigoudis verts de Voltaire

    « Il faut cultiver son jardin »

    Candide n’avait pas raison : il a raison. La fameuse phrase de Voltaire résonne aujourd’hui comme une bouffée d’air frais chargé de chlorophylle. L’encre a toujours aimé la proximité de ce parfum-là. Le génie des Lumières est là. La riche idée de donner tant d’espace à l’allégorie du jardin ! De rappeler qu’il est un vrai sujet littéraire, une source d’inspiration, un lieu d’écriture, un puits de métaphores. L’art du jardin –une vraie science extrême-orientale-, enseigne, dans le Yuan Ye, qu’il faut borner les sentiers des Trois Bons Amis : le prunier, le bambou et le rocher, car il s’agit d’une œuvre qui doit durer mille automnes. Quid de la littérature aujourd’hui ? Son ambition n’est-elle pas, depuis l’invention de l’écriture, de durer, elle aussi, mille automnes ? Or, lorsqu’elle passe l’hiver, elle s’estime heureuse ; survivante… L’enseignement du jardin, celui de Voltaire, et de tout jardinier, sont bien là : planter pour durer, travailler pour laisser la trace. « La démarche créée le chemin », chuchote le poète Portugais Eugenio de Andrade. Suivre la leçon, ne pas succomber à la tentation des paillettes, rester sourd aux Sirènes de l’Ephémère. Air connu, c’est vrai. Mais qu’il faut malgré tout chantonner régulièrement. Oui, le jardin procède donc d’un authentique art de vivre. Le jardin ou le génie du lieu. Le jardin comme soupir. Comme pansement pour apaiser  l’asthme allégorique et chronique qui saisit tout amateur de littérature. Face à  l’anxiété récurrente du mundillo littéraire devant la mort encore annoncée du roman, il y aura toujours le recours salutaire au jardin. LM
    (Edito du Journal du Salon du Livre de Paris, 23 mars 2007).




  • René Char, l’indispensable


    À l’occasion du centenaire de sa naissance, le pays fête l’un de ses très grands poètes. Char devient un compagnon pour de nombreux lecteurs. Qui s’en plaindra, en ces temps de manque ?
    René Char aurait donc eu 100 ans le 14 juin prochain. Avant d’évoquer le poète, ce numéro du Journal du Salon étant consacré au « littéraire et au politique », il nous est permis d’évoquer brièvement le Capitaine Alexandre –surnom de Résistance de René Char-, autrement dit les années sombres qui donnèrent ce chef d’œuvre de poésie et d’engagement intitulé Feuillets d’Hypnos. Des notes qui « marquent la résistance d’un humanisme conscient de ses devoirs, discret sur ses vertus, désirant réserver l’inaccessible champ libre à la fantaisie de ses soleils, et décidé à payer le prix pour cela ».
    medium_char.GIF Marqué par le message d’Héraclite et par celui d’Hölderlin, Char se situe dans la filiation directe de ces grands voyants. Poète solaire, de l’éclair et du fragment, de « la radicalité de la nuance » (l’expression est de son ami Albert Camus), René Char est aujourd’hui fêté comme l’immense poète qu’il est. Aimé passionnément, plébiscité, lu par de plus en plus de jeunes, la poésie de Char a même inspiré au moins deux générations de poètes, dont une a déjà pris sa retraite. Car le plus difficile peut-être, lorsqu’on entretient un commerce avec la poésie morale de Char, avec ses aphorismes parfois abscons, ses déclarations fulgurantes –derrière lesquelles il nous semble chaque fois entendre sa voix forte à l’accent provençal-, soit avec l’essentiel des poèmes qui composent ses recueils majeurs : Fureur et mystère, Les Matinaux, La Parole en archipel, Le Nu perdu, Recherche de la base et du sommet, c’est de savoir se débarrasser progressivement de Char, dont l’influence est tentaculaire. Char envoûte. Char nous dure. Ils sont nombreux à être tentés de faire de sa poésie, non seulement un oeuvre de chevet, mais un bréviaire pour chaque matin qui se lève. Un compagnon de route. Un viatique. Un allié substantiel… Citer Char peut devenir une manie. Il en existe de pires. Mais, à la manière d’un conseil à un jeune poète, j’ai envie de chuchoter que le danger est alors de se trouver sous emprise. Il faut, à la fin, se garder de Char...
    À l’occasion de ce centenaire et du Printemps des poètes, l’indispensable collection Poésie/Gallimard, que dirige un autre poète qui a
    medium_Couv_Pays_de_Rene_Char_.2.jpg connu Char, André Velter, publie une édition exceptionnellement belle, précieuse, de Lettera amorosa (enluminée par Georges Braque et Jean Arp). Il s’agit sans doute du plus beau poème d’amour en prose française du XX ème siècle (avec Prose pour l’étrangère, de Julien Gracq). Lettera amorosa devrait être à l’authentique poésie de l’amour pur, ce que Belle du seigneur est devenue au fil des ans, pour le roman de l’amour fou : le cadeau idéal à faire à celle ou celui que l’on aime. C’est en tout cas tout le « mal » que je souhaite à ce magnifique petit livre bleu. De même que je souhaite à tous ceux que l’environnement et l’esprit de l’œuvre de Char intéressent (Char est en effet indissociable des amitiés nombreuses qu’il noua avec les peintres qui comptent le plus aujourd’hui), de plonger dans le magnifique album que Marie-Claude Char donne à Flammarion : Pays de René Char. L’épouse du poète de l’Isle-sur-la-Sorgue n’a de cesse d’œuvrer au rayonnement de cette œuvre capitale, et qui ne fait que grandir, depuis la disparition de son auteur en février 1988. Ce nouvel ouvrage de Madame Char, d’une très haute tenue, nous fait pénétrer l’intimité du monde de René Char.  Aux Busclats, à Paris, en Alsace, ailleurs, en famille, en compagnie d’amis : résistants, compagnons de son village, artisans, peintres célèbres : Gaspérine, Braque, Giacometti, Staël, écrivains et poètes : Camus, Eluard, Dupin, compagnons de route artistique comme les époux Zervos. Tant d’autres personnages admirables, inconnus ou célèbres, ayant fait du chemin avec, à Céreste notamment, ayant vécu la simplicité des jours, l’importance de l’art, le sérieux –ou l’impérieuse nécessité plutôt-, de la poésie, en commune présence avec le poète. « Partout en son Pays : la poésie », souligne Marie-Claude Char. Un ouvrage de référence paraît. Char est splendidement fêté. L.M.
    (texte paru dans Le Journal du Salon du Livre de Paris qui vient de s'achever, et que j'ai co-rédigé chaque jour). 

  • En lisant...

    Quelques notules sur mes lectures récentes
     
    Les Classiques du Rugby
    Nul ne s’étonnera de ce que Denis Tillinac, Pdg de La Table ronde, auteur lui-même d’un inoubliable Rugby blues, lance une collection intitulée « Les Classiques du rugby », qui se propose de publier 15, ou plutôt XV titres d’ici le coup d’envoi de la Coupe du Monde, contre laquelle la collection entend s’appuyer. Six titres sont déjà sortis : ce sont tous de salutaires rééditions. Des classiques, comme Le Rugby c’est un monde, de Jean Lacouture, à l’érudition joyeuse, ou Les Contes du rugby, de Henri Garcia. Des souvenirs truculents : Qui veut jouer avec moi ?, au fort accent bayonnais, d’Adolphe Jauréguy. Les Ovaliques, de Georges Pastre, mélange de récits, de pastiches et d’histoires drôles. Sacrées bourriques ! Les gladiateurs du rugby (comprenez les avants : ceux qui déménagent les pianos, mais n’en jouent pas…), ne sont pas les mules que l’on croit. Paul Katz le prouve. Enfin, Légendes d’ovalie, de Benoît Campistrous et Jean Lapoujade, aux accents « Haedensiens ». Tous ces grands petits bouquins expriment le rugby comme façon de vivre et d’être au monde. Chacun répète que le rugby est un état d’âme, un mystère, un envoûtement. Suivront, notamment, Ironies ovales d’Antoine Blondin, L’esprit du jeu. L’âme des peuples, de Daniel Herrero et Mon beau rugby, de Paul Voivenel. Au total, une équipe de livres qui sentent tous le « grrrand sud », et ne manquent donc ni de force ni de caractère. Cette collection ne doit pas nous faire oublier le plus émouvant des livres « littéraires » parus en 2006 sur le sujet (à La Table ronde aussi) : les Mémoires de l’aîné des Boni : André Boniface : Nous étions si heureux…

    Exquis d’écrivains et nourritures canailles

    Une nouvelle collection, que dirige Chantal Pelletier chez Nil, se propose de faire passer à table des écrivains gourmands ou gourmets. Claude Pujade-Renaud, avec Sous les mets les mots, Chantal Pelletier : Voyages en gourmandise, et Martin Winckler : A ma bouche, ouvrent le bal. Ces diables de petits livres sont tantôt sensuels, tantôt drôles, toujours métissés de saveurs et de souvenirs d’enfance. Algérienne pour Winckler, Lyonnaise et Bressanne pour Pelletier, Méditerranéene et Béarnaise pour Pujade-Renaud. Voyages dans le monde des mots et le monde des saveurs des cinq continents, « exquis d’écrivains » mêle avec subtilité littérature et art culinaire. Une réussite.
    Autrement plus scientifique, le copieux essai sur les Nourritures canailles de Madeleine Ferrières, à qui l’on doit déjà une passionnante Histoire des peurs alimentaires (les deux au Seuil), nous raconte et nous explique, avec une érudition qui force le respect, la généalogie des racines de la cuisine française. Cette histoire des habitudes alimentaires se double d’un essai brillant qui démontre –entre autres choses-, que la cuisine dite bourgeoise, est en réalité la cuisine de pauvres. Etude de plats emblématiques à l’appui. Passionnant.

    Nur
    Avec Nur (Rouergue), Arnaud Rykner signe un bref texte d’amour brut. Un homme rencontre une jeune et très belle femme au cours d’un voyage d’affaires dans un pays oriental dévasté par la guerre. Sa peau à elle est aussi mate que la sienne est pâle. Elle est mariée, aime son mari, mais elle aime aussi aimer à fond cet homme surgi de nulle part. Le sexe les unit, la sensualité les avale. Il l’appelle Nur : « seulement », en Allemand. « Lumière », en Arabe. Et dit qu’ils vivent, l’espace que quelques jours à peine, un amour de roman, comme il n’en existe que dans les livres… L’absolu de cet impossible amour est chuchoté dans une langue simple et redoutablement efficace. Percutante. Roman écrit à la deuxième personne, roman miroir de l’immédiateté, par conséquent, Nur résonne comme toutes ces histoires qui, parce qu’elles ne mènent à rien, nous disent tant sur nous-même.


    La maison du retour
    Avec La Maison du retour (Nil), journal du retour de l’enfer de sa captivité au Liban, dans la paix d’une maison de la Haute-Lande dont il fit l’acquisition, Jean-Paul Kauffmann signe un livre grave et profond. En compagnie des oiseaux de nuit qui chahutent dans le grenier, de deux maçons qu’il surnomme Castor et Pollux, d’un vieil exemplaire trouvé aux « Tilleuls », cette maison qu’il fit retaper,  d’extraits des Bucoliques et des Géorgiques de Virgile, Kauffmann va réapprivoiser le monde en laissant la nature s’emparer doucement de ses cinq sens. Subtil, pudique et intime à la fois, ce livre dit aussi l’étonnement d’un homme qui semble « revenu de tout » et qui revient peu à peu à tout. Comme un chevreuil avance à découvert entre pins et fougères. En s’émerveillant d’un crapaud à la peau bleue sur la margelle, du discours de faux rustres sur le terreau de son airial. En écoutant Haydn en boucle, et en s’accommodant du silence minéral de ses nuits solitaires. Un grand Kauffmann, comme on le dit d’un grand margaux.

    Retour sur le Camus de Musso
    La vérité camusienne est culturelle : Camus n’échappera pas à cette « castillanerie » que désignait son maître Jean Grenier, un brin railleur. L’orgueil de Camus est peut-être d’avoir su qu’il inventait une littérature  des confins : entre la littérature de rupture et la littérature traditionnelle. Camus ? Un écrivain border-line. Un philosophe pour classe tous risques, qui se plaisait à dire, au faîte de sa fulgurante ascension : « J’ai toujours eu l’impression d’être en haute mer : menacé au cœur d’un bonheur royal »… (Camus ou la fatalité des natures, de Frédéric Musso, Gallimard/Essais, déjà évoqué dans une note d’octobre ou novembre dernier…).

  • J'irai cracher sur...

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    J'ai piqué sur un blog littéraire recommandable (oui! il faut lire et relire Olivier Larronde!),

    le blog de Boulon

    (http://profdefrancais.hautetfort.com/),

    cette singulière illustration.

    Il n'y a pas de seau métier, dirait ma grand-mère...

  • Donner, recevoir

    "La pensée dominante assure que ce qui circule entre les hommes se définit essentiellement par l'échange marchand. Or le lien social n'est pas seulement fait de calculs et d'intérêts réciproques. Le don fait appel à une multitude de passions variables selon le contexte : honneur, prestige, image de soi... Fondamentalement, le don est ce qui fait que le lien est véritablement social ou humain". Le Seuil publie en avril "Ce qui circule entre nous", un essai de Jacques T. Godbout sur "donner, recevoir, rendre"... Il me tarde de voir ce que ce livre a dans le ventre.

  • Mort d'un écrivain rare

    J'ai connu Pierre Moinot. L'Académicien français, auteur de l'inoubliable, du magnifique "Guetteur d'ombre" (folio, Prix Fémina 1979), entre autres bijoux, était un homme exceptionnel. J'ai eu la chance de travailler avec lui, à son domicile parisien de la rue du Cherche-Midi, à mon recueil de nouvelles "Les Bonheurs de l'aube", avant de le faire avec  mon éditeur Olivier Frébourg. Pierre était l'un de mes souteneurs en littérature, avec Jean-Jacques Brochier (disparu l'année dernière). Il avait beaucoup oeuvré pour que j'obtienne le Prix Jacques-Lacroix de l'Académie française en 1993, pour mon premier roman "Chasses furtives", et lorsque Michel Déon en fit la préface pour sa réédition en 1995, Moinot me chuchota qu'il aurait été heureux de la rédiger, lui aussi... Je m'étais juré de lui demander une postface pour sa nouvelle édition prochaine (chez Privat en septembre) : trop tard. Pierre est mort le 6 mars dernier. Il était devenu aveugle et mes dernières lettres, adressées il y a deux ans -il voyait encore-, je les avais composées en corps 18, à l'ordinateur... Nous avons écrit un livre ensemble, et j'en suis encore plus fier aujourd'hui : "Chasses à coeur ouvert", avec Xavier Patier et Philippe Verro aussi (éd. du Gerfaut). Quatre textes de réflexion, pour dire que le chasseur a le pouvoir de donner la mort, mais aussi celui de ne pas la donner... Gallimard, l'éditeur de Pierre Moinot, annonce pour le mois d'avril, la parution de "La Saint-Jean d'été. Il y est question d'un gamin du marais poitevin "qui découvre le pouvoir de l'imaginaire, croit aux merveilles, espère des découvertes et ressent intensément son appartenance à la nature et à son histoire. Avec le grand âge, rien n'a changé". Pierre Moinot avait 86 ans.

  • Moi, chochote?..

    Comme souvent, je clique sur "Nouveaux blogs mis à jour" pour voir ce que les autres expriment sur leur blog. Là, il y a 2 minutes, j'ai cliqué sur http://lesitedemamere.hautetfort.com/ et je me suis posé la question : es-tu devenu ringard, léon, au point d'être un chouia choqué par un tel propos? Ou bien n'as-tu pas compris qu'il s'agissait du second degré, d'un qui joue avec Oedipe sans aucun complexe? Bref, il y a parfois, dans la blogosphère, d'étranges expressions. Mais passons...

  • Les Femmes en noir du Hadramaout

    Voyageur, dans non n° 1, publie donc ceci. Il manque les dessins de Catherine Delavallade!.. Pour les voir, rendez vous au kiosque à journaux le plus proche.

    Voici un bouquet de fragments extraits du long « Journal du Yémen », écrit sur place par Léon Mazzella au fil des rencontres avec des paysages et des êtres ; au fil des jours. Impressionniste, cette éphéméride sans date procède par touches pointillistes. La forme choisie lui a semblé la plus appropriée à un récit de voyage dans un pays imprégné de délicatesse et de subtilité.

    Toutes les poches en plastique qui volent au vent comme des mesquites dans le désert d’Arizona, sont noires par ici. Encore les femmes ! La couleur !

    Hadramaout (je ne me lasse pas de prononcer ce nom à voix haute : hhadrramoutt’ ), région de Wâdî Do’an, entrée dans le Daw’an vers midi.

    Cet âne bâté d’herbe très verte, avec une femme en noir derrière, assise sur l’extrémité de la croupe pointue de l’animal.

    A Al-Hajarayn: les deux falaises (al-hajjara : le rocher). Déception, à la dégustation. La réputation de meilleur miel du monde (celui du Yémen en général) semble usurpée.Zénith : même à l’ombre, le feu du chalumeau de chems, le soleil, plombe les neurones.

    Un dromadaire dans un pick-up 4x4 : la synthèse du désert.

    Les hommes attendent . Les femmes travaillent ou bien demeurent derrière leur voile et leurs murs, lesquels sont un voile moins sûr.

    Deux jeunes bergères en noir avec le chapeau en osier pointu, le makhl, et le visage caché par de superbes masques noirs et brodés, percés de deux fentes en amande pour leurs beaux yeux noirs. Elles avaient le bras replié, la main en arrière près du visage et un caillou dans la paume. Etait-ce pour nos appareils-photos ? Ou bien pour guider leur troupeau…C’était deux panthères noires à l’œil de lionne ; prêtes à bondir, masquées, dentelées.Je n’ai lu qu’une chose dans leur regard, en un éclair : leur fierté.

    Ces encadrements de fenêtre, en bois, figurent les silhouettes des femmes en noir qui marchent par deux (comme les hirondelles de la maréchaussée, chez nous, dans les dessins désuets de Bellus que publiait « Jours de France » dans les années 70…).

    Il y a, par ici, un paysage qui évoque autant l’Amirauté du « Rivage des Syrtes » de Julien Gracq, que le Fort Bastiano, du « Désert des Tartares », de Dino Buzzati. Les plateaux désertiques sont ponctués de forteresses en ruines. On imagine vite des soldats plongés dans une attente centenaire, professionnelle, une attente héritée, une attente lourde comme le silence, un silence écrasé par un soleil implacable. Un silence lourd comme l’attente lourde comme le silence…

    Les hommes accroupis, assis ou allongés, attendent. Ils sont à l’ombre et leur vie semble rythmée par les rites de la prière, du narguilé, des dominos et des discussions interminables.
    Ils boivent du thé. Mais qu’attendent-ils vraiment ? Attendent-ils seulement ?…

    Certains petits villages sont serrés en bouquet comme des boutons de rose (des sables).

    Mais l’image de la rose des sables est davantage présente dans leur manière de disposer les tuiles en argile (en quinconce) pour les faire sécher.

    Cet après-midi, après un somme dans le funduk du village de Badha où nous passerons la nuit, nous avons traversé une palmeraie sèche comme un coup de trique, mais pourvue d’un antique système d’irrigation qui n’attend que l’eau pour vivre. En sortant de la palmeraie, nous avons visité un village bâti à flanc de montagne (que je baptisais Chabadabada : face à Bâda, en yéménite gascon). Les hommes, lascifs sur le parapet-rue, semblaient peu habitués à voir des étrangers. Impossible de boire du thé : il n’y a aucun bar. Les villageois utilisent le rouge vif pour peindre le pourtour de leurs fenêtres, comme des bouches grandes ouvertes sur une photo de choristes (la bouche) en chœur. D’autres (cadres de fenêtres) sont vert cru. Deux maisons sont blanches et zébrées d’ocre. Les zébrures figurent des palmes. Il paraît que ce sont des maisons de  gens riches ou d’hommes politiques (s’enrichit-on en politique sans devenir zébré ?).

    L’appel à la prière jaillit régulièrement des haut-parleurs disposés aux quatre-vingt-dix coins des villages.

    Nous buvons un thé aux clous de girofle et à la cardamome préparé par nos guides. Une graine de cardamome est pressée entre deux doigts avant d’être mêlée au thé qui s’agite déjà dans l’eau bouillante. Quelques clous de girofle se trouvent dans le sachet qui contient la cardamome : ils la parfument ainsi, à peine. Sinon, nous nous croirions tous chez le dentiste…Le galop d’un dromadaire possède une grâce qu’aucun cheval ne peut dispenser, en raison du port de son cou (plus que de sa tête) et aussi pour la longueur et la finesse de ses pattes. Au galop dans un mirage de chaleur, ils ressemblent aux éléphants de Dali dont les pattes s’allongent comme des échasses étirées par un confiseur spécialiste du berlingot de foire.

    Départ de Bâda pour la côte Sud, dans le Golfe d’Aden. Destination : Bîr’Alî.Pause-thé dans un village, Haoreiba, sur une route montagneuse.Le regard d’une petite fille à côté de son père qui joue aux dominos avec trois autres hommes. La beauté de cet homme maigre, au cheveu lisse et brillant, indien, aux yeux maquillés de khôl, placide et silencieux. Il observe ses amis jouer, accroupi comme jamais je ne pourrais m’accroupir, à une distance respectable de la table sommaire de jeu.

    Le poissonnier qui débite du thon frais. Un autre qui vend de petits squales séchés et noirs de mouches.
    Beaucoup de femmes en noir, très jeunes, au regard toujours aussi fascinant. Et toujours ce mystère de leur corps dissimulé qui excite l’imagination, et qui possède une charge érotique bien supérieure à celle du corps d’une femme entièrement nue.

    Cette partie du Hadramaout est selon Modjahed, peuplée en majorité d’homosexuels. Nous n’en voyons aucun : soit ils sont tous morts (ils auront été lynchés ou sabrés en place publique), soit ils se cachent bien ; et on les comprend.

    Et tout à coup, en haut de cette route de montagne, surgit le désert. Nous sommes arrivés au faîte de ces énigmatiques falaises d’argile qui nous entouraient depuis deux jours et dont nous devinions le relief plat comme la main. Aussitôt, la sensation du désert nous a envahis. A la première courbe, la vue est vertigineuse, sur les palmeraies et les villages des vallées que nous venons de traverser.

    Ces canyons évoquent irrésistiblement les attaques d’Apaches de notre mémoire cinéphile.

    L’étrange vie de ces Arabes du désert, qui ne sont pas nomades, mais dont on se demande de quoi ils vivent, dans ces hameaux construits au milieu du néant (à première vue). Enigmatique. Lunaire, même.

    La robe noire des femmes du Hadramaout, c’est leur prison portative.

    Retour sur l’image des ongles. L’angle. L’ongle.Un bloc de maisons étroites et hautes (impossible –normal- d’écrire immeuble) sur un rocher, dessine une main aux doigts joints dont les terrasses, parfois blanchies, seraient les ongles.

    Le Yémen est composé de maisons-doigts dressés, de villages-mains

    LM

  • Voyageur...

    C'est un nouveau magazine de voyages, top luxe, raffiné, qui est paru samedi en kiosque. "Voyageur". Dans ce n°1, j'ai publié un carnet de voyage au Yémen, illustré de dessins de mon amie Catherine Delavallade, ainsi qu'un reportage sur la fleur de jasmin en Tunisie. Feuilletez, c'est classieux, d'un beau format et la maquette est élégante.


  • Dolce

    Bayonne, bleue ce matin comme l'aile d'un geai. Strié de traces d'avions, le ciel est doux à caresser. White, le chat, dont la fourrure noir (jais) luit, ronronne près de moi. Café brûlant dans le jardin. Un rouge-gorge tente d'éjecter un merle de sa querencia. "Sud-Ouest" n'est pas dans la boîte aux lettres et cela ne me manque pas. Les parfums capiteux de la Nive proche enivrent l'atmosphère. Les arbres sont nus et ma mémoire pleine, dans cette maison des souvenirs de quarante ans. Aucune glace n'a pourtant de tain, et la patine ne s'est pas encore faite à l'angle des meubles et des murs. Quarante ans, ce n'est rien. C'est la fuite qui est lourde. Et l'absence qui prend parfois le poids d'un supplice. Aucune ne s'évalue en chiffres. Pas même en matière : plume, plomb... Elles sont. Là. Cohabitent. Portent un sourire beau et désarmant, qui rend la mort acceptable. La disparition soyeuse. J'appelle cela la classe, ce matin.

  • Le fantôme de Red Colombo est revenu!

    Il re-pleut sur Paris (original, nan?..). Le fantôme de la clope (lire "Voile de carotte", ante) est revenu... Donc, s'il re-re-pleut, il reviendra-re(re). Alors je l'ai re-shooté, mais bon...

    medium_DSCF1756.JPGmedium_DSCF1758.JPGmedium_DSCF1759.JPGEn plus, il a failli se faire écraser, le con!

    Sinon, le dernier livre de Kauffmann (la maison du retour, Nil) sur l'acquisition de sa maison de la Haute-lande, au retour de 3 ans de captivité, est une merveille : plus ça va, plus il écrit dense et concis, serré et fort, Jean-Paul. ¡Aplausos!

     

  • Café Baruch

    Moi, j'aime bien prendre mon petit-déjeuner en compagnie de Spinoza. Baruch de Spinoza. Cela n'a rien de snob, et puis d'abord je préfère cela à feuilleter Public en écoutant France Info. C'est ainsi... C'est un type qui m'en apprend chaque fois de belles, des simples, des évidences, des choses de la vie de tous les jours qu'il sait dire mieux que quiconque. Ouaip... Avec le café du matin, Baruch me tutoie, et je ne le rudoie jamais. Je l'ouvre au hasard et je tombe sur une perle, comme chaque fois que j'ouvre le Journal de Jules Renard.
    Sta mattino? : Nous ne désirons pas une chose parce que nous la jugeons bonne, mais nous la jugeons bonne parce que nous la désirons.
    Autre version : (...) Il est donc établi par tout ce qui précède que nous ne faisons effort vers aucune chose, que nous ne la voulons pas et ne tendons pas vers elle par appétit ou désir, parce que nous jugeons qu'une chose est bonne parce que nous faisons effort vers elle, que nous la voulons et tendons vers elle par appétit ou désir. (Ethique, III, 9, Scolie).
    Et que ceux qui font la grimace parce que cela leur semble entendu, (re)lisent ce guide de vie quotidienne qu'est L'Ethique!

  • Voile de carotte

    medium_DSCF1644.JPGmedium_DSCF1643.JPGIl pleut sur Paris. Par la fenêtre du salon, j'aperçois la carotte habituelle du bar-tabac d'en bas. Puis c'est son reflet, projeté sur la chaussée mouillée, qui m'apparaît étrangement. Il figure un extra terrestre vêtu de rouge, qui traverserait le carrefour... A quelques jours d'une interdiction supplémentaire de fumer ici et là, je me dis : photographie le fantôme de la clope! Clic-clac une fois, zoom, clic-clac deux fois. Voici le fantôme rouge, reflet de "carotte", poil de, voici le renard de la rue mouillée, le fugitif en gabardine de sang, bref : photos ci-dessus...

  • En repassant devant Pessoa

    medium_pessoa.jpeg"Sur toute chose la neige a posé une nappe de silence.
    On n'entend que ce qui se passe à l'intérieur de la maison.
    Je m'enveloppe dans une couverture et je ne pense même pas à penser.
    J'éprouve une jouissance animale et vaguement je pense,
    et je m'endors sans moins d'utilité que toutes les actions du monde."

    "je suis un gardeur de troupeaux.

    Le troupeau ce sont mes pensées

    et mes pensées sont toutes des sensations."

  • Association de malfaiteurs

    medium_char.2.jpegmedium_gracq.jpegmedium_rimbaud.jpegmedium_hem.jpegmedium_proust.jpegVous reconnaissez ces types?

    Ce sont des bandits!

    Des bandits de parchemin!

    Des dandys de grand chemin.

    Mais sans eux, je ne peux pas vivre.  

    Ou si peu, si mal, si creux.

    Bon, j'en ai collé une dizaine, j'aurais pu en ajouter douze ou vingt-quatre de plus, qui m'accompagnent aussi sûrement qu'un ami, des chaussures de randonnée, une carte routière, une autre du Tendre, une femme, même, parfois... Oui, la littérature est puissante! Ces dix là, sont, de gauche à droite : René Char, Julien Gracq, Arthur Rimbaud, Ernest Hemingway, Marcel Proust, Gustave Flaubert, Guillaume Apollinaire, William Shakespeare, Jules Renard, Stendhal. Soit le minimum vital. Ajoutez, sans la photo : Cioran, Cervantès, Ponge, Perse, Henein, Conrad, des Forêts, Simon, Blondin, Cendrars, Quignard, Harrison, Neruda, Blanchot, Derrida, Leiris, Torga, Hamsun... Stop it!

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  • Choses vues à Shanghai

    La mémoire du voyageur est peuplée de lieux communs qu’il n’a de cesse de vérifier in situ, sinon il ne serait que touriste.
    Son talent réside dans sa perception, qui fait de chaque lieu quelque chose de peu commun, car il cherche avec obstination ce qui distingue le oui-dire de la réalité vue en coulisses. Cela s’appelle le regard. Cela donne le génie du lieu ; des lieux.
    Les résumés à l’emporte-pièce s’éloignent alors et ne réduisent plus Venise à son masque de « Mecque des romantiques » (dixit les guides lisses et convenus), Marseille à un port africain ou Hong Kong à une forêt de gratte-ciel pour foule solitaire en débâcle. Alors comme ça, Bordeaux et Lyon seraient froides comme leur bourgeoisie confite dans sa suffisance, Le Caire, Naples et Bangkok des fourmilières sur lesquelles Gulliver aurait posé un pied, et Shanghai la cité du gigantisme à la Chinoise, la mégapole du XXIème siècle, une ville futuriste à faire pâlir les aficionados de Manhattan –réduite au rang de vieille ville nouvelle à peine capable de chatouiller le brouillard? Une naine...
    Shanghai est pascalienne : sa circonférence ne se trouve nulle part et son centre, partout. Prenez son port –le plus grand d’Asie et l’un des plus grands du monde. Partir à sa recherche, c’est marcher dans le désert : plus on avance, en taxi, dans un entrelacs de toboggans, d’autoroutes tantôt droites comme la justice, tantôt sinueuses comme un naja devant son charmeur, et plus il recule. Les distances, jaugées à l’aune de la démesure de la cité chinoise, et le mur de conteneurs qui signifie que l’on approche de l’eau, empêche de toute façon de le voir. La persévérance permet (au bout d'une heure trente de taxi), d’en saisir la couleur de plomb fondu, et de tomber sur une circulation ahurissante de dizaines de  tankers, porte-conteneurs battant tous les pavillons du monde. Vraquiers, cargos rouillés, péniches égarées à l’embouchure de la rivière Jaune, parmi lesquels de nombreux chalutiers bleu délavé, se frayent une route avec peine, comme sur le Bassin d'Arcachon de modestes pinasses glissent parmi les longs voiliers et autres yachts blancs des plaisanciers... A chacun son échelle des valeurs.
    Là, le grand contraste, le choc des siècles, des âges de la civilisation chinoise, que l’on voit à chaque coin de rue, dans n’importe quel quartier de la ville tentaculaire de 800 km -excusez du peu-, se retrouve à l’identique. Devant les énormes bâtiments amarrés, des paysans vendent des monceaux de poissons séchés de toutes espèces, des légumes frais, et du chien écorché.
    Au-delà, c’est-à-dire à proximité, il y a encore et toujours cette architecture en hauteur qui semble vouloir se hisser sur la pointe des pieds pour faire encore plus grand. Retour en ville : la coexistence pacifique et néanmoins tonitruante des époques qui s’entrechoquent, frappe le regard du voyageur à chaque instant. Parmi les fameuses tours chromées, vitrées, ni froides ni chaleureuses, de l’autre côté du Bund ou bien côté Bund (la rivière Jaune, qui charrie autant de bateaux, et dans un vacarme de teuf-teuf et de sirènes, qu’un lendemain de tempête charrie des troncs d’arbres dans les bouillons et les tourbillons d’une modeste rivière grossie par les éléments, sépare les quartiers emblématiques de la ville), il y a des hameaux entiers, vétustes, partiellement démolis, squattés, ou dans l’attente anxieuse des bulldozers, et aux allures de bidonville, de vieille ville pré-coloniale, avec ses nombreux habitants affairés en permanence, qui vendent de tout sur quelques centimètres carrés. Que le voyageur lève les yeux de n’importe quel point de Shanghai et ceux-ci s’accrochent à un mur d’architecture originale, version Wall Street, d’où il s’attend à voir sortir des golden boys cravatés comme des présentateurs de CNN, bretelles comprises. Or, dès que le regard redescend sur le plancher des poulets, et des canards pas encore laqués, les yeux ne voient que des commerçants en mouvement.
    C’est la Chine ancienne, pas l’Impériale, l’ancienne, celle de l’histoire, des photos sépia, de la littérature pré maoiste. Le choc est d’ampleur. Le mot contraste paraît faible. Celui de résistance s’impose. La cohabitation des siècles est bien ce qui frappe davantage que le goût subtil des raviolis à la vapeur que l’on déguste dans ces rues infinies, infiniment nombreuses et pour quelques yuans.
    Ici, c’est un vieillard assis sur le trottoir devant un pèse-personne ; son unique richesse. L’outil de travail prend le poids de ses semblables. La silhouette des golden boys s’éloigne à grands pas. Il ne manque que les pousse-pousse au paysage, au lieu de quoi il y a un flot incessant de bicyclettes et d’automobiles qui se fichent du piéton comme d’une guigne (traverser la rue devient un sport de combat). Là, c’est un cordonnier improvisé qui a étalé quelques pièces de caoutchouc qu’il taille à la demande et qui vous répare les semelles illico. Là-bas, c’est l’un des nombreux masseurs de pieds (souvent aveugles), qui vous déchausse et vous détend sans rendez-vous. Partout, dès qu’une goutte de pluie tombe, ce sont des vendeurs de parapluies pliables et de cirés qui surgissent plus vite que l’arc-en-ciel après l’averse. Omniprésente, la nourriture –incontestablement la plus complexe, la plus variée, la plus riche, la plus subtile, la plus inventive, la plus recherchée comme on dit, la plus audacieuse aussi; la plus délicieuse du monde-, est proposée au passant qui grignote à toute heure. Pas une dizaine de mètres dans chaque rue sans trois ou quatre invitations à la dégustation. Une vieille agite son wok devant vous, de jeunes et nombreux cuistots vêtus de blanc, dûment toqués, font de la retape en criant les mérites de leurs brochettes, de leurs soupes et de leurs boulettes. On plonge, alors, dans un film chinois gastronomique (il y en a des dizaines qui n'ont que l'art de faire la soupe aux nouilles pour scenario), des années quatre-vingt-dix; et l'on jauge, et l'on goûte, ravi. Aux anges...
    Et toujours cet encerclement, large, de métal, de béton, de post modernisme, d’imaginaire architectural et d’avant-garde effrénée, si folle dingue qu’elle semble finalement n'avoir pour fonction principale et secrète, que la volonté d’oublier les années Rouges. Ou noires. Les années Mao dont il ne reste que des vestiges en forme de statuettes et autres affiches de propagande, bradées avec panache, et pour deux yuans, dans le quartier des brocanteurs. Cette époque-là, c’est certain, appartient au passé. Et par contraste, elle semble n’avoir été qu’une longue parenthèse que le pékin de Shanghai a l’urgent souci de gommer. En silence.
    Enfin, à l’instar de New York, Shanghai a des allures de ville de province où l’homme ne se sent jamais oppressé, à la faveur de l’espace, grand, bien plus vivable que dans une métropole minuscule et débordée par l'homme -comme... Paris, par exemple.
    Ca grouille partout de l’aube à l’aube, mais sereinement. Le Chinois ne s’arrête jamais.
    La nuit à Shanghai est une ruche en activité ralentie. Shanghai ou la rupture historique à chaque coin de rue, Shanghai ou le temps incertain, Shanghai ou la résistance impassible. Shanghai ou le Grand Bond en Hauteur. Shanghai ou l’excès d’accès. Shanghai ou la profusion. Shanghai ou la folie douce. L.M.

  • Flem

    Lydia Flem ("Comment j'ai vidé la maison de mes parents"), poursuit avec un talent et une émotion égales, son travail -universel- de deuil de ses parents, avec "Lettres d'amour en héritage" (Seuil, comme le précédent). Voir mes notes des 9 et 11 décembre, intitulées Orage émotionnel et Les extraits. C'est d'une pudeur extrême et d'un amour infiniment grand. Le livre retrace la vie de ses parents disparus, à travers trois cartons de leur correspondance amoureuse, depuis les débuts, que leur fille (l'auteure) découvrit, en vidant la maison, une fois orpheline... La tendresse résume ce livre précieux. Il n'est pas innocent que l'écriture soit devenue, très tôt, le terrain de jeu de l'auteure, puis que celle-ci ait fait profession de psychanalyste. Par bonheur, ces deux livres sont exempts de théorie, mais emplis, au contraire, de sensibilité à vif -mais douce, comme ces napperons brodés que nous avons tous vus dans les mains de notre mère, tandis qu'elle les rangeait avec un soin particulier, alors qu'ils sentaient encore le "chaud" du fer à repasser, sur une étagère d'une armoire, quelque part dans une pièce de la maison familiale... 

    une perle parmi cent : "le corps de la mère, c'est la première géographie, le pays d'où l'on vient". 

  • Snapshots from Marine

    Quelques vues volées, par ma fille, avec son petit Nikon numérique, au hasard des rues, des plages, des jardins, des planchers et des vitres. Partage...

    Photos : © Marine Mazzella di Bosco. 

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    1- Les Bancs des Jardins du Luxembourg.

    2- La Vieille dame qui voulait toréer les pigeons avec un sac plastique et de la poussière de pain.

    3- Les Marches de Lacanau-Océan valent bien celles de Cannes.

    4- Autoportrait au chignon.

    5- Le Scaphandrier allumé sur le trottoir.

    6- L'Apéro allongé-boisé.

     

  • l'épistolaire

    medium_portrait.2.jpgLe dernier roman de Philippe Besson, Se résoudre aux adieux (Julliard), est un bijou de tact, de retenue, de clairvoyance psychologique, et d'analyse d'une rupture. Besson a choisi le roman épistolaire à une voix (elle lui adresse des lettres auxquelles il ne répond pas), pour dire une douleur et un silence, une fuite et une remontée à la surface de la vie, et cela permet au texte d'être plus bouleversant encore. Une réussite, en somme, sur un sujet affreusement banal, donc délicat à traiter.

     J'ai piqué cette superbe photo sur le blog de  [chooseaname]. Merci à son auteur.

  • Courir dans les bois sans désemparer

    C'est le titre d'un premier roman, signé Sylvie Aymard. Publié sous la casaque Maurice Nadeau, c'est un gage de qualité et donc de confiance en la littérature, vraie, celle que ce découvreur a toujours su flairer avant les autres, à la manière des petits clubs de rugby des Landes qui révèlent de futurs internationaux et qui se les font piquer rapidement par de plus gros clubs... (Houellebecq en est le dernier exemple). Maurice Nadeau est un éditeur-pépinière. Ce roman n'échappe pas à la règle, à bisto dé naze. Je l'ai lu d'une traite, hier matin devant la cheminée, en Corse. Et ce fut le bonheur de découvrir une musique, un ton, un humour, une force à dire le terrible, une dérision "uppercutante", un regard sans concession d'enfant sur les adultes, un regard d'adulte vitrioleur sur "le goût des autres" adultes infatués, une mélancolie amoureuse sans faute de goût, ni de style, une pudeur juste pour dire l'état amoureux et la sexualité vaine, parfois. La mort, enfin. Et la nature aussi. Enfin,...  J'aimerais avoir là, tout de suite, son second livre. Mais l'a-t-elle seulement écrit?.. 

  • Bouffées

    Se promener en Champagne (ce matin), et chercher les vignobles dans la plaine morne. Finir par trouver, pouf! un océan de vignes. Déguster un rosé à la bulle infiniment fine, un peu plus tard. Se promener en forêt de Compiègne, à l'aube de cette année, et chercher des cerfs. Ne voir que des milliers de palombes, des nuées grises qui virevoltent à la cime des hêtres. Et tout à coup, l'esprit résigné, sur le chemin du retour qui fend la fûtaie comme le ciseau du couturier, ou la proue la rivière calme, apercevoir trois cerfs majestueux, princiers, qui passent lentement, au pas, avec la douceur d'un mouchoir de soie qui s'échappe de la pochette d'un élégant. Marcher dans les marais et penser bécassine. Y être surpris par un chevreuil qui aboie de frayeur (et de colère?), le feu aux pieds, en voyant l'homme que je suis. Instants volés entre deux aller-retour à Paris. La nature, par petites bouffées bronchodilatatrices, a la saveur d'un rocher Suchards ouvert lorsque l'envie de l'ouvrir est forte. Son effet-ventoline opère immédiatement. Demain, c'est l'extrême  sud de la Corse qui m'attend. Le domaine de Murtoli, ou de la vallée de l'Ortolo, de mon ami Paul, à deux pas de Sartène et Porto-Vecchio. Quatre jours de bonheur en perspective un peu cavalière; j'avoue. Pour un reportage de lujo. Et alors!..

  • Croire

    Il n'y a que ce scotchant de Saint-Augustin pour me détourner, quelques instants, quelques instants seulement, lorsque je feuillette (presque clandestinement, je veux dire à l'insu de moi-même, comme dirait Virenque -et de mon plein gré) ses Confessions, de l'Athéologie dont je commence à faire profession de Foi. Eclairé en cela par Michel Onfray, c'est vrai, je "confesse", et par une relecture scrupuleuse de Nietzsche. Y compris (depuis hier soir, du Nietzsche d'Onfray -un écrit de jeunesse non renié, et c'est tant mieux). Mais St-Augustin a du punch, bon sang! Sa Création du monde et le Temps, par exemple, et son Ciel et la Terre me stupéfient. C'est fort, et en plus c'est beau... Shit, quoi!

  • Ca fait du bien, pour commencer l'année

    Lu sur le blog de twiggy, que je remercie au passage!

    J'ai de la chance ! je relis du Léon Mazzella.... Je ne lis pas beaucoup, je n'y parviens pas, le silence de la lecture refait vivre mes vieux démons... Cet écrivain c'est un vrai personnage. Il a ses forces et ses faiblesses. Comment a-t-il fait pour écrire de si belles mélodies ? il doit s'échapper souvent, sortir pour vivre avec ses "voisins", s'attabler avec eux, manger, boire... simplement sans négocier ! juste écouter... pour ensuite s'isoler, s'enfermer en étant fermé, appliqué, obstiné, rivé à son petit bureau, face au mur, couper de la vie, et remplir comme un élève acharné des pages de cahier avec l'assiduité d'un Antoine Blondin. Les fou des mots, c'est toujours sans récréation, pas de distraction avant d'avoir écrit la dernière phrase du livre commencé ! Et il a la douceur d'un vrai conteur à la manière d'un Marcel Aymé... Pour pouvoir raconter, pour avoir à raconter, il doit "piller", en toutes circonstances et en tous lieux, observer, scruter, écouter, un renard dans le poulailler du quotidien. Ses razzias ont nourri sa langue d'écrivain. Un voleur de gestes et de mots, un collectionneur de caractères, un receleur de comportements et de phrases, un gobeur des dialogues et de répliques. Rien de ce qui passe à sa portée ne lui échappe. Ses mots sont gorgés de cette vie qu'il engrangeait jour après jour qu'il doit "recracher" sur ses cahiers à carreaux. Rigolards ou nostalgique ? Discussions de maquignon ou propos spontanés. L'alternance de cette grandeur et de ces subtilités fait de lui un spécimen à part : un écrivain-personnage.

  • La lutte continue, camarade

    Annonce publique entendue dans le TGV, à l'approche de son terminus : les passagers de seconde sont priés de ne pas circuler dans les wagons de première avant l'arrivée du train, afin de ne pas encombrer ces wagons, et de permettre aux passagers de première classe de descendre tranquillement (entre eux)... En clair, c'est ce que l'annonce signifie. Ecoutez-là. Au vu des regards éberlués de mes voisins de seconde, je ne me suis pas senti le seul choqué. Et 2007, en France aussi, c'est dans quelques heures. Je ne rêve pas.

  • L'ourse Mellba


    Un attentif m'indique ce site , "La Buvette des Alpages", http://www.loup-ours-berger.org/, à l'instant : j'en reviens.

    medium_ours.jpegIl y est question (c'est en première page, dite "d'accueil", en descendant un chouia), d'un article que j'ai publié dans Le Monde, en octobre 97!.. qui s'intitulait : "Un homme n'est pas un ours", et qui suscite encore des réactions. (A l'époque, j'avais même reçu une soixantaine de lettres, certaines de félicitations, mais beaucoup d'insultes, et de menaces, dont trois de mort, toutes anonymes bien entendu, émanant de ceux que je nomme les "khmers verts"...). Celle-ci date d'avant-hier. Elle est gentiment fielleuse, et avant tout caricaturale jusqu'au sourire (merci à l'auteur de ces "commentaires" sur mon papier, haché façon steak tartare, de me l'avoir procuré -ce sourire). 

  • La saint Gaspard

    "J'adore les huîtres : on a l'impression d'embrasser la mer sur la bouche."     Léon-Paul Fargue.

     

    C'est çà même (tout est dit).

     

    Sinon, les Lumières n'en finissent pas de briller. Voltaire n'est pas franchement mort. Ah, ça non! Regardez autour de vous! On ne parle que de çà. Et tant mieux. Les remparts contre la Barbarie tiendront encore bon longtemps, longtemps...


    Et (par ailleurs), je vous recommande, d'urgence, la lecture des "Antimodernes", d'Antoine Compagnon (Gallimard/La Bibliothèque des idées). Plus vivifiant, plus tonique, plus intelligent aussi, tu meurs!

    Sauf les matins, tôt, de ces derniers jours, dans les Landes et à Bayonne. Jusqu'à ce matin, plus doux. Plus banalement moderne... (et moins intelligent, du coup).

     

    Entre temps, il y a eu une après-midi (celle d'hier), braconnière en diable, dans les barthes. Une après-midi unique. Empreinte de classe davantage que de chasse, de silence grand, de regards détachés, de sagesse déjà là. Une grande après-midi sauvage comme je les aime (qu'est-ce que je fous à Paris!), bottes aux pieds, avec un ciel bleu, un froid de bon aloi, et des oiseaux nobles, comme on dit. L'auteur de cet après-midi fut mon fils Robin. Il a fait oeuvre. D'une sorte d'art. Une nouvelle s'écrit à ce sujet. Patience...

     

  • La soupe de Kafka

    Lisez ce livre subtil, drôle et extrêmement savoureux de Mark Crick (La soupe de Kafka, Flammarion), que La Bienveillante m'a livré par coursier (j'aime ces urgences que l'on accueille comme le verre d'eau tiède dans le désert)... La presse en parle beaucoup et bien, il s'agit d'une histoire complète de la littérature mondiale en 16 recettes "à la manière de" 16 écrivains. En prime, les textes ont été traduits par une pléiade d'écrivains français. Miam!

  • La repentance

    "Faut-il se soumettre aux exigences scélérates du repentir?"

    Je ne sais pas où j'ai prélevé cette phrase, hier... Journal, radio, livre...

    (La réponse va de soi -enfin, pour moi-).

    La question donne l'occasion de réfléchir, en fin d'année -période propice!-, à ce désir de repentance qui resurgit comme la grippe aux premiers frimas, ainsi qu'au pardon bidon, à l'hypocrisie des religions; à l'hypocrisie tout court.  

  • Chocolat

    Déguster du 70% en compagnie de Pierre Hermé (nous faisions partie tous les deux d'un petit jury, avant-hier, pour un banc d'essai à paraître dans un magazine gastro), est un pur bonheur! Ce garçon est aussi simple que passionnant. Sa starisation ne l'a pas changé d'un iota. Et il parle du chocolat comme personne. Mieux que les sept tablettes à découvrir à l'aveugle, ses commentaires, touchants d'humilité, et qui dissimulent avec délicatesse une immense connaissance du sujet, furent -à mes yeux-, le réel intérêt de cette rencontre.

    Allez! Je file à sa pâtisserie de la rue Bonaparte m'offrir un Ispahan. Ca me dé-downera (peut-être) le moral.

  • Char

    medium_char.jpeg2007 sera l'année René Char (il est né en 1907) : grande expo en mai à la BNF (et jusqu'en septembre), publications diverses, notamment par Poésie/Gallimard, le Printemps des poètes aura pour thème : "Lettera amorosa" -sans doute le plus beau poème d'amour en prose jamais écrit au XXè siècle (avec "Prose pour l'étrangère", de Gracq), et qui sera réédité pour l'occasion, etc.

    Il fait bon le relire tranquille, en ce moment, avant le grand chambardement. 

    Au hasard, et plutôt que d'inscrire des citations (c'est si tentant de citer une des nombreuses phrases-éclairs de Char!), voici un poème :

    Allégeance

    Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima?

    Il cherche son pareil dans le voeu des regards. L'espace qu'il parcourt est ma fidélité. Il dessine l'espoir et léger l'éconduit. Il est prépondérant sans qu'il y prenne part.

    Je vis au fond de lui comme une épave heureuse. A son insu, ma solitude est son trésor. Dans le grand méridien où s'inscrit son essor, ma liberté le creuse.

    Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima et l'éclaire de loin pour qu'il ne tombe pas?

  • Lorca

    medium_lorca.jpegMon père m'aurait fait ce cadeau à Noël. Je suis allé me l'offrir à sa place, cet après-midi. Les poésies complètes de Federico Garcia Lorca en Pléiade. Sans attendre. Noël n'existe pas. Ou plus de la même manière.

    Dès la première page (passée l'admirable introduction d'André Belamich, son meilleur traducteur, disparu il y a trois ou quatre mois), le premier poème de jeunesse, écrit en 1920 -Federico a 22 ans-, tout Lorca est là, comme dirait un critique littéraire qui se la pète (et ils sont légion). Extrait, en prenant du début : 

     

     

    Vent du Sud,

    Brun, ardent,

    Ton souffle sur ma chair,

    Apporte un semis

    De brillants

    Regards et le parfum

    Des orangers.

     

    Tu fais rougir la lune

    Et sangloter

    Les peupliers captifs, mais tu arrives

    Trop tard.

    J'ai déjà enroulé la nuit de mon roman

    Sur l'étagère!

     

    (...)

  • Le goût de la baie

    Lorsque nous faisons l’amour, nous ne pensons pas gynécologie. Lorsque nous lisons des poèmes, nous ne supportons ni les notes en bas de page ni les annexes universitaires moins décortiqueuses qu’urticantes. Lorsque nous assistons à une corrida, nous avons envie de silence, pas de commentaires. La politique dans un roman, c’est comme un coup de feu dans un concert, disait Stendhal. C’est pareil pour le vin. Œuvre de l’homme dédiée au plaisir, le vin ne supporte pas le discours analytique que d’aucuns tiennent pour paraître savants. Le vin doit d’abord nous toucher, nous plaire ou nous déplaire, et sa dégustation ne devrait pas sacrifier à la recherche obstinée de tout, sauf du raisin ! Le sujet excite les papilles autant que les neurones, mais le discours, loin de se lover dans le sensible, se vautre ailleurs : il fait l’intéressant pour montrer qu’il en sait plus que toi, nananère ! C’est d’un ennuyeux. Au cours de dégustations chics, certains évoquent des vins « couillus » ou « qui ont du poil aux pattes ». Curieusement, les adjectifs féminins disparaissent, sauf à propos des « vins putes ». Avec de tels attributs, nous nous éloignons un peu de l’exposé abscons des chirurgiens du vin qui nous les cassent (les oreilles), et qui sont à des années lumières du principe de plaisir. Dans d’austères salons, on entend (avant de fuir) untel prétendre avec certitude, of course, que c’est la marque du verre qui assèche tel vin. Et l’autoproclamé connaisseur d’exiger tel autre verre dont nous tairons la marque… Laissons les prétentieux à leurs jeux tristes, et buvons un coup.  Je préfère le discours sensuel d’un vigneron un peu fêlé, charnellement épris de sa vigne, le parler fleuri d’un poète du vin, à un laïus de poseur en stage de compta. analytique. Beauté, mon beau souci, titrait Valery Larbaud sur un de ses livres. Plaisir, mon beau souci, mon unique souci, devrait être le credo de l’amateur. Et : j’aime ou j’aime pas, l’expression de la liberté la plus nue. Buvez si vous aimez, puisque la vie est courte. Tour le reste est mauvaise littérature.

  • Les extraits

    " En disparaissant, nos parents emportent avec eux une part de nous-mêmes. Les premiers chapitres de notre vie sont désormais écrits."

     "En les couchant dans la tombe, c'est aussi notre enfance que nous enterrons."

     "Est-ce bien normal d'éprouver successivement ou simultanément une impression effroyable d'abandon, de vide, de déchirure, et une volonté de vivre plus puissante que la tristesse, la joie sourde et triomphante d'avoir survécu, l'étrange coexistence de la vie et de la mort?"

     "C'est dans la solitude que chacun se retrouve (...) Chacun fait ce qu'il peut pour surmonter l'épreuve, bricole à sa manière, toujours bancale, malheureuse, conflictuelle, et se tait."

     "Même après leur mort, ne cessons-nous jamais de vivre pour eux, à travers eux, en fonction d'eux ou contre eux? Est-ce une dette qui nous poursuit toujours?"

     "Se séparer de nos propres souvenirs, ce  n'est pas jeter, c'est s'amputer."

    "Donner est un grand bonheur. Ce que j'offrais, ce n'était pas un objet." 

     "L'écriture naissait du deuil et lui offrait un refuge. Un lieu où se mettre à l'abri avant d'affronter de nouvelles vagues malaisées à contenir."

     "Devenir orphelin, même tard dans la vie, exige une nouvelle manière de penser. On parle du travail du deuil, on pourrait dire aussi rite de passage, métamorphose."

    "Les arêtes vives des premières douleurs s'émoussent, hébétude et protestations font place à une lente acceptation de la réalité. Le chagrin se creuse. Avec des moments de vide, d'absence, de tumulte. Plus tard se répand une tristesse empreinte de douceur? Une tendre peine enveloppe l'image de l'absent en soi. Le mort s'est lové en nous. Ce cheminement ne connaît pas de raccourcis. On n'y échappe pas. La mort appartient à la vie, la vie englobe la mort."

    "Mail il est un temps pour le chagrin, et un temps pour la joie." 

    © Lydia Flem, Comment j'ai vidé la maison de mes parents, Seuil. 

     

     

     

  • Orage émotionnel

    "A tout âge, on se découvre orphelin de père et de mère. Passée l'enfance, cette double perte ne nous est pas moins épargnée. Si elle ne s'est déjà produite, elle se tient devant nous. Nous la savions inévitable mais, comme notre propre mort, elle paraissait lointaine et, en réalité, inimaginable. Longtemps occultée de notre conscience par le flot de la vie, le refus de savoir, le désir de les croire immortels, pour toujours à nos côtés, la mort de nos parents, même annoncée par la maladie ou la sénilité, surgit toujours à l'improviste, nous laisse cois. Cet événement qu'il nous faut affronter et surmonter deux fois ne se répète pas à l'identique. Le premier parent perdu, demeure le survivant. Le coeur se serre. La douleur est là, aiguë peut-être, inconsolable, mais la disparition du second fait de nous un être sans famille. Le couple des parents s'est retrouvé dans la tombe. Nous en sommes définitivement écartés. Oedipe s'est crevé les yeux, Narcisse pleure".

    Ainsi commence Comment j'ai vidé la maison de mes parents, de Lydia Flem (Seuil), un livre très émouvant et recommandable entre tous. En de telles circonstances ou pas, d'ailleurs. Que philosopher c'est apprendre à mourir, nan?!!... 

  • Je suis mort?

    Comme je porte le même prénom que mon père, décédé samedi dernier, certains de mes proches ayant lu un faire-part dans la presse, m'ont cru -ou me pensent- mort. C'est lourd. Cela m'est rapporté, au fur et à mesure. Comme si j'avais besoin de cela, en plus! La vie ne nous épargne pas, ni son au-delà-de-lui-même...

    Et je résisterai à l'envie de réfléchir à ce phénomène. 

  • 303

    Voici "l'argu", soit le texte de présentation du dernier numéro (hors-série) de l'excellente revue nantaise 303, laquelle avait déjà consacré un numéro à julien gracq, début 1986.

    Que sait-on de Julien Gracq ?

    Ce qui est le plus couramment dit de lui : c'est un grand écrivain, entré de son vivant dans la collection de la Pléiade, et un maître de la langue, ce dont on se persuade aisément à le lire. Ecrivain « à part », il a toujours eu horreur des feux de la rampe, à contre-courant d'une époque radicalement médiatique. Beaucoup n'ont vu qu'orgueil dans son refus du prix Goncourt en 1951, se méprenant sur le sens de son geste : l'invitation pressante faite aux lecteurs à revenir au texte et à juger d'abord par eux-mêmes de la valeur d'un livre.

    Cet écrivain si délibérément en retrait n'est pourtant en rien l'homme distant trop souvent décrit. Il a fait le choix -assez inhabituel - d'une vie saine et rangée, mettant à profit une tranquillité jalousement préservée pour lire et pour écrire, se promener et converser. Car Julien Gracq n'a jamais fermé sa porte à quiconque venu échanger avec lui, à la seule condition qu'il soit question d'écriture et de littérature.

    C'est ce personnage à deux facettes - l'homme : Louis Poirier / l'écrivain : Julien Gracq - que 303 s'attache à présenter dans cet ouvrage grâce aux regards croisés d'une soixantaine de témoins privilégiés, célèbres ou inconnus (écrivains, traducteurs, visiteurs, lecteurs...) qui ont eu le privilège de converser ou de correspondre avec lui, d'être reçu dans sa retraite angevine des bords de Loire.

     

  • La bonté

    Funambule au bout de nos sexes
    Lorsque nos âmes font l’amour

    Elle déjoue les accents circonflexes du quotidien
    Qui parfois nous éloigne

    Lionne patiente comme la pierre
    Elle est du bond et de l’éclair


    Toi
    Tu incendies ma vie

    J'accueille ton feu
    Comme un vin de jouvence
    Un alcool de reconnaissance

    Le bain vivifiant de l'aube est notre océan
    Un lac de plénitude où nous lui apprendrons à nager


  • Enfui

    medium_Leon_Mazzella_Naphtali_Bengio_100567_BaySt_Bernard_par_GB_1.2.jpgLa sérénité rétablira peu à peu ses quartiers
    Dans les territoires de l'amour en friche

    Son visage pâle de planète
    Se bronze les entrailles
    Aux forces gigantesques
    De nos sangs mêlés

    C’est notre bonne étoile

    Elle réside, pulvérisée, au fond de nos regards
    Irradie le coeur de nos ventres

  • L'aventurier

    J'aime particulièrement cette définition que Roger Stéphane donne dans son Portrait de l'aventurier (Grasset/Cahiers rouges).

    Elle revient de façon récurrente frapper à mon esprit.

    La voici, ramassée (débarassée de ses digressions historiques sur Ernest Von Salomon, T.E.Lawrence et André Malraux) :

     

    "J'appelle aventurier celui qui s'engage au service d'une cause sans y adhérer : qui engage sa vie plus pour son propre salut que pour la victoire. (...) 

    L'aventurier : le contraire du militant; étranger par essence au fanatisme et même au manichéisme. L'aventurier : un irréductible solitaire".
  • 2.12, 22h

    (de mémoire) : la vie, c'est une barque posée dans l'herbe du matin (françois bott),

    et : la mort est une prairie émue par le silence (tahar ben jelloun).

    jamais le cd comprenant le choeur des prisonniers (nabucco, de verdi) n'aura résonné aussi fort à ses oreilles et aux miennes, dans cette chambre aux fenêtres grandes ouvertes sur la montagne.

    hier soir j'ai vu sombrer un long et beau navire, avec à son bord l'homme qui lui faisait corps.

    pour la première fois, le navire et son capitaine n'étaient qu'un.

    le sister-ship se nommait Douceur.

    s'il faut le rebaptiser un jour, son nom sera Sérénité.

     

  • La bienveillante

    Une main bienveillante (rien à voir avec le Goncourt 2006) m’a adressé par la poste une copie en couleur d’un entretien que Julien Gracq donna au Magazine littéraire daté de décembre 1981 (et qui reparaît ces jours-ci dans un numéro anniversaire). Un entretien publié donc il y a pile 25 ans ce matin. Car je viens juste d’ouvrir le courrier –mon premier depuis deux mois, là où je me trouve provisoirement, et j’y ai trouvé ce bonheur grand…
    Un quart de siècle après, la parole de Gracq, au sujet de l’écriture et de ses lectures adolescentes et fondatrices (il s’agissait pour Jean Roudaut d’évoquer avec lui le capital En lisant en écrivant, qui était paru en 80 chez José Corti), n’a pas davantage pris une ride, que son œuvre dans sa totalité –elle débuta en 1934 avec Au château d’Argol-, n’en possèdera jamais une seule. Julien Gracq, l’homme –que j’ai l’immense chance de connaître, avec lequel j’ai entretenu une correspondance de 1985 à 1999, et auquel je rends visite de temps à autre, depuis, à Saint-Florent-le-Vieil, est un jeune homme vert de 96 ans et demi. Mieux ! C’est un classique vivant (c’est plus fort qu’une légende). D’ailleurs, lorsque je me rends à St-Florent, j’ai l’impression de rendre visite à Flaubert et à Stendhal réunis, ressuscités, tant l’envergure de J.G. est immense, à mes yeux de « lecteur partisan » (c’est ainsi qu’il m’a défini un jour, à propos de ma connaissance de son œuvre). Je l’affirme sans risque : Julien Gracq est le plus grand écrivain français, depuis ces deux géants (+Proust), aux côtés desquels je le place…
    medium_en_lisant.jpegLe problème est que cet envoi postal, qui m’a touché au plus profond de moi, a aussi réveillé une fringale de replonger dans  En lisant… Seulement, je me trouve à plus de 800 km de ma bibliothèque ! Et, manque (partiel) de bol, ici je n'ai "que" Un beau ténébreux et La Presqu'île. Il va donc me falloir faire dare-dare les pharmacies, cet après-midi (c’est ainsi que je désigne les librairies) avec l'espoir chevillé au corps que l'une d'elles possèdera l'opus.

  • Les suffisants

    J’en ai assez de croiser des gens satisfaits d’eux-mêmes, qui s’autoproclament exceptionnels, se félicitent tous seuls, s’envoient constamment des fleurs, s’écoutent parler, et ne sont jamais à l’écoute de l’Autre. Ils passent le plus clair de leur temps à cirer leur ego et à gérer leur misérable carrière personnelle. Ceux-là sont tellement sûrs de leur (maigre) savoir, de leur opinion (hâtive) sur tout et de leurs certitudes, qu’ils ne s’aperçoivent jamais combien ils sont pitoyables et agaçants. Ils effectuent un voyage immobile dans le paraître, qui va du miroir de leur salle de bains au déballage de leur absence de doute, à qui veut bien les entendre. Les écouter est au-dessus de mes forces. Ce ne sont même pas des sophistes, car pour l’être, il faut un certain talent –condamnable certes-, mais un talent quand même. Untel me sert une psychologie à deux anciens francs, en poseur, avec le ton emprunté d’un consultant, déclarant ce qui est bon pour moi. Un autre affirme à longueur de phrases, ignore la confrontation et la remise en cause, et s’imagine toucher au sublime en reproduisant du ringard. Celle-ci veut m’attirer dans le champ de ses convictions, au mépris de ma liberté de jugement. Celui-là prétend connaître tout de moi et s’invente une mission réparatrice à mes côtés, quand je ne souhaite que solitude et recueillement au bord de la mer. Ce manque de tact m’effare. L’autosuffisance et son cortège de négligence, d’irrévérence, m’afflige. J’ai le sentiment de ne croiser que des êtres boursouflés de narcissisme, des bouffeurs de ma liberté. Au secours Socrate, qui savait seulement qu’il ne savait rien ! Devenu avare du temps que je souhaite consacrer aux autres, je décide de ne plus prêter attention à ceux qui m’enquiquinent avec leur jargon, leurs leçons, leur être bouffi d’égoïsme et leur vide ; en somme. Je préfère la compagnie d’un mauvais livre à une rencontre qui sonne creux, et préfère aux deux, un paysage que j'observe tranquillement. Fuir, esquiver, me cacher des raseurs, ces parasites qui ne vivent qu’aux dépens de ceux qui leur servent de chambre de résonance. Je n’ai pas cette vocation, ni celle de perdre mon temps. La vie enseigne chaque matin qui se lève, qu’elle sera de toute façon trop courte pour pouvoir croiser tous ceux qui valent la peine parce qu’ils nous correspondent. Alors la paix ! Que ces gens, vilipendés ici, passent à côté de ce qui me paraît être une vie plus vraie –ou moins futile-, ne me gêne guère. Mais quand ils se transforment en pompes aspirantes posées en travers de mon chemin, ils constituent un délit d’entrave à ma liberté. Et je vois rouge, n’étant pas toujours à l’aise pour contourner l’obstacle quand il m’impose son indélicatesse, ni suffisamment leste pour sauter d’un seul bond par-dessus...
    Ces rencontres involontaires me font penser à Henri Calet, le délicat auteur des Grandes Largeurs et de Peau d’ours, ce journal intime qui s’achève, la veille de la mort de son auteur, par ces mots : « Ne me secouez pas, je suis plein de larmes ». Calet écrivit, en observant des célébrités à son corps défendant : «  En quelle école enseigne-t-on ces manières de dédain ? Comment acquiert-on cet inimitable regard vide ? »…
    Voilà. Ce trente novembre bleu et (enfin) froid, comme j’aime les journées de novembre sur la Côte basque, m’a fait buter sur deux raseurs, en ville. Par bonheur, je suis parvenu à m’en défaire et à rejoindre la plage de la Chambre d’amour, ma querencia entre toutes les querencias, où je parviens toujours à me laver du gris de la vie, sans le recours à un crawl dans les vagues, mais en contemplant ces filles de l’horizon qui meurent si bellement, le ventre creusé par un modeste vent d’Est.

  • Limoncello

    medium_citr.jpegAchat d'un beau citronnier, hier soir, qui porte seize citrons dodus.

     

    Il trône dans une belle jarre en terre cuite, à l'entrée de la maison.

     

    Commande de deux clémentiniers, ce matin, pour encadrer, plus tard. Autre chose.

     

    Un jour, je ferai du limoncello avec ce citronnier (j'ai appris, hier, c'est très simple).medium_citro.jpeg


    Ce sera la liqueur des Concernés.

     

    Mais je mettrai un verre de côté pour La douceur

  • Les concernés

    Je repense à un court poème de Giuseppe Ungaretti*, qui compare le poids de la peine à l'aile de papillon que porte la fourmi.

    De même, Mille ans pèsent moins qu'un jour... (Baudelaire? Nerval? Je ne sais plus et je n'ai pas le courage de fouiller ma mémoire).

    L'ultime brille autant que la pleine lune.

    Nous devenons nyctalopes, et allons, légers comme le plomb.

    Lestés d'amour, devant qui nous regarde avec ses yeux voilés.

    Nous tutoyons la magnanimité -une concernée.

    (N'avoir d'égard que pour les concernés).

     ---

    * Dans Vie d'un homme. J'adore ce livre. 

     medium_unga.jpeg

  • dans L'Expansion/Tendances de décembre...

    ...je publie ce papier sur le patron des "guides rouges" (en tant qu'ancien directeur des rédactions du magazine et des guides GaultMillau, ce fut amusant de réaliser cette interview).

    Jean-Luc Naret
    JE SUIS UN REVELATEUR DE TALENTS
    Le patron des fameux Guides Michelin était marchand de rêves dans une première vie. Il s’emploie aujourd’hui à développer la marque du « bib » à l’international. Analyse d’un succès.
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    medium_bib.jpeg Il est élégant, souriant, fringant, mince, sa voix a le juste timbre –clair et assez grave-, il a le sens de l’accueil et il porte ses 45 ans comme on soulève une plume. Jean-Luc Naret est un homme de tact. Passé par la direction de quelques-uns des plus beaux palaces du monde, il est depuis trois ans à la tête des guides Michelin : le fameux « Rouge » hexagonal et quinze autres éditions, c’est lui. Une première dans le système de l’institution séculaire, car le sixième directeur du guide est le premier à avoir été recruté à l’extérieur et à ne pas faire partie du sérail interne. Il rejoint le groupe du « Bib » en septembre 2003, et après avoir travaillé, six mois durant, en étroite collaboration avec son prédécesseur Derek Brown, il prend ses fonctions le premier juin 2004. Diplômé de l’Ecole hôtelière de Paris, Jean-Luc Naret a commencé fort, à 21 ans : En 1982, lui est proposée –comme premier job-, la direction du Venice-Simplon-Orient-Express, le fameux train de luxe. La suite est un enchaînement de rêves, et un enchantement : il fera son armée comme steward en Polynésie, et prendra la direction adjointe de l’hôtel Bora-Bora, composé de bungalows sur pilotis, en descendant de l’avion militaire. « C’est à partir de ce moment-là que je suis devenu marchand de rêves », dit-il. Retour à Paris, où il est sous-directeur du Bristol. « Mon directeur ma tout appris des subtilités du métier, en particulier le sens du détail, et l’art et la manière de parer à cet imprévu permanent qui rend le métier fascinant ». Il y restera quatre ans. Il a 29 ans, et se dit : « Dans la vie, on fait son éducation de 20 à 30 ans, sa réputation de 30 à 40, et ensuite on transmet de 40 à 50 ». Ambitieux, il se donne une mission : décrocher un poste de direction générale avant son trentième anniversaire. La timbale s’appellera One & Only Saint-Géran, à l’île Maurice. Là, l’expérience s’enrichit : « Au Bristol, je recevais des stars, la jet-set, à Maurice, il m’arrivait de recevoir les mêmes personnes, mais en vacances. À Paris, je leur créais du rêve. Sur les îles, je m’employais à ancrer ce rêve dans leur mémoire ». Pour le même groupe, il ouvrira le Palace de Lost City en Afrique du Sud, et l’Ocean Club aux Bahamas. La suite est édifiante : il ouvre Atlantis hôtel aux Bahamas, il rejoint une année Versailles et son Trianon Palace, repart à Maurice où il crée The Residence. Il refuse d’ouvrir le Burj Al Arab à Dubaï  -il est chassé régulièrement par des cabinets de recrutement. A 40 ans, il ré ouvre le Sandy Lane, à La Barbade, qui sera sacré « Meilleur Resort » du monde. La consécration ! Autant dire que pour Jean-Luc Naret, les Tropiques ne sont pas Tristes… C’est alors que Son Altesse l’Aga Khan lui propose de diriger les opérations de son groupe hôtelier, en Afrique et au Pakistan.
    Il serait aujourd’hui à un haut poste de direction pour le compte de l’Aga Khan, si un chasseur de tête, encore, ne l’avait dérouté vers Michelin. « Ma rencontre avec Edouard Michelin fut certes décisive, mais je pense que mon discours sur la nécessité d’une ouverture sur le monde, d’une marque majeure et leader en Europe, mon parcours dans l’hôtellerie de luxe bien sûr, et ma personnalité, ont plu ». Jean-Luc Naret n’a alors de cesse de faire évoluer la marque tout en consolidant son assise extraordinaire en France (375 000 exemplaires vendus de l’édition 2006 classent « le Rouge » très loin au-dessus de ses concurrents), et en Europe, où se situe 80% du chiffre d’affaires d’une marque déjà présente dans 11 pays. La volonté du nouveau boss : partir à la conquête des USA. Puis de l’Asie, en faisant des guides d’un nouveau genre. Ce sera le guide de New York : véritable succès de librairie (110.000 ex vendus en moins d’un an), c’est une sélection des meilleures adresses d’hôtels et restaurants selon Michelin, soit l’équipe locale de dix inspecteurs « full time » comme le sont tous les inspecteurs des guides rouges. Illustré, assorti de commentaires parfois longs (une à deux pages pour les étoilés), ce qui est nouveau dans la maison, où l’espéranto du pictogramme (permettant depuis toujours aux étrangers de « lire » le guide français), et la réputation de sécheresse, a effectué sa révolution culturelle en introduisant, en 2000, les fameuses deux phrases de commentaires ! Là, les guides de New York et de San Francisco (ce dernier, sorti ces jours-ci, est déjà en tête des ventes sur amazon.com), sont plutôt littéraires, vivants, hauts en couleurs. La notoriété de la marque, la rigueur de la sélection, la compréhension par l’Américain qu’il s’agit de guides pour les lecteurs et pas pour les chefs, ont conquis d’emblée le marché, pourtant occupé par « Zagat », et les pages du « New York Times » ou du « San Francisco Chronicle ». Le miracle est là : le capital confiance, l’image de Michelin, le fait qu’un étoilé de San Francisco ou de France, soit choisi sur des critères identiques, rend les « rouges »  universels, même si, grâce à leur équipe locale, ils sont suisses en Suisse, et espagnols en Espagne. (En Europe, chacun des 70 inspecteurs « full time », dont 10 pour la France, visite plus de 250 établissements par an). « Flattés, les chefs américains en redemandent, et d’autres vont s’installer à New York ou à San Francsico parce que le guide s’y trouve désormais », ajoute Jean-Luc Naret. La récompense est là. Du coup, le boss du rouge va partir à la conquête d’autres métropoles américaines, tout en préparant un ou deux lancements en Asie. Le sens du secret faisant partie de l’esprit maison, le nom de la ville est inconnu pour le moment : Hong Kong, Shanghai, Tokyo ?..
    Le directeur n’oublie pas pour autant la France, loin s’en faut : un guide de Paris (en deux versions : Française et Anglaise), et un autre de Londres vont bientôt paraître, à l’image des guides américains, soit plus modernes, avec des photos, et plus textuels. Le guide de Paris ne sera plus un simple extrait du « guide mère », lequel paraîtra pour la première fois en deux éditions : Française et Anglaise. Mais la philosophie restera la même pour les inspecteurs, bras armés des Rouges : révéler davantage que juger les chefs, à partir de rapports de plus en plus élaborés, précis, et d’une rigueur légendaire. Ce qui permet à Jean-Luc Naret de déclarer : « J’étais marchand de rêves. Aujourd’hui, je suis révélateur de talents. Et notre métier, chez Michelin, ce n’est pas de faire des guides, mais de publier des sélections de restaurants, d’hôtels –et de maisons d’hôte ».
    Face à la concurrence symbolique des autres guides (Michelin est leader dans chaque pays où il est présent), à la fausse concurrence de la presse quotidienne et magazine qui a une vocation croissante à « guider » son lecteur (« Michelin est annuel, la presse éphémère », répond M.Naret, « la presse annonce une nouveauté, quand nous prenons le temps de la jauger avant de l’inscrire si elle le mérite »), les guides choisissent de développer le multimedia. ViaMichelin.com, le site de la marque, traduit en cinq langues, avec ses liens sur les tables et les hôtels, est un succès colossal : 30 000 connections par jour, soit 10 millions par an, pour les seules demandes d’adresses de restaurants et d’hôtels ! Depuis 1996, viamichelin est présent sur la « navigation embarquée » (le GPS de votre voiture), sur les PDA (assistants personnels), et aussi, via Bouygues Telecom seulement  (pour l’instant), sur les téléphones portables : un clic, vous êtes localisé et un choix d’adresses vous est envoyé illico. Michelin a donc compris le nomadisme, et aussi les préoccupations de certaines clientèles : « Je suis fier de mon dernier bébé », déclare le directeur, « Main Cities of Europe ». Il s’agit d’une sélection de 3000 adresses dans 37 villes. Un guide (en langue anglaise), à l’adresse des businessmen qui sautent d’un avion à un autre, et de tous les gourmands et gourmets qui ne laissent rien au hasard, fut-ce pour une nuitée. Un guide transversal, thématique, le premier du genre. Mondialisation oblige ! S’agissant de la mondialisation de la cuisine (nul n’étant épargné), Jean-Luc Naret considère que la particularité de chaque cuisine demeurera. « Cependant, à ce propos, il faut mettre en garde les jeunes chefs qui vont faire leur tour chez Ferran Adria, puis chez Ducasse, et puis qui rentrent chez eux aux quatre coins du monde, et s’imaginent qu’ils sont devenus des Adria ou des Ducasse bis. L’humilité doit les guider. Et la mondialisation, ce n’est pas cela… Non, le positif dans cet univers, c’est la qualité des produits, qui ne cesse de croître depuis dix ans, ainsi que la technicité en cuisine, qui les sert mieux que par le passé. L’effervescence du milieu, aussi : ça bouge sans cesse ! C’est pourquoi, à la fin du guide de New York, il y a par exemple une page, « coming soon », sur les futures bonnes adresses annoncées, repérées, et qui ont ouvert après parution… ». Aujourd’hui à la tête d’une armée de 500 personnes, dont 350 au siège parisien, d’inspecteurs, traducteurs, rédacteurs, cartographes, éditeurs… Jean-Luc Naret ne regrette pas les palaces de sa première vie. Son lagon se trouve désormais avenue de Breteuil, dans le 7ème à Paris, et des canards barbotent parfois sur le plan d’eau, au milieu du jardin, à l’entrée. L.M.  

  • cristallisation

    Ca sédimente, s'épluche naturellement. Ce qui ne compte pas, n'a jamais compté mais ne se voyait même pas, tombe. Sans bruit. Trop léger pour éveiller. L'essentiel reste. Sans effort. Reste et tient. La vraie relation humaine indéfinissable (celle qui ne ressemble ni à l'amour ni à la relation amicale), la complicité qui transcende les liens de sang, les liens de ce que tu voudras, sont un concentré de vérité et de solidité. Là-dessus, tu peux compter. Et tu t'appuies. Cela devient une définition de la vie, au fond. Vivre l'extrêmement rare forge. Le vivre épaulé fortifie. Et ouvre, grand pour une vraie fois, les yeux sur la médiocrité de l'espèce humaine. Ca calme. Ca rassérène. Ca aide. Cela fait, discrètement, rire, aussi...

     

  • Ambigue...

    medium_images_1-1.jpg...La phrase de Margaret Atwood citée par Jonathan Littell (auteur des Bienveillantes), dans l'entretien qu'il a accordé au Monde :
    S'intéresser à un écrivain parce qu'on a aimé son livre, c'est comme s'intéresser aux canards parce qu'on aime le foie gras.
    Et voici mon autoportrait en vache perplexe, lorsque je ne pige pas une phrase comme celle-là... 
    Mé!.. 

  • Théophile de Viau

    Le sonnet ci-dessous date de 1621. Cherchez, au fond, la ride...

     

    Je songeais que Phyllis des enfers revenue,

    Belle comme elle était à la clarté du jour,

    Voulait que son fantôme encore fit l'amour 

    Et comme Ixion j'embrassasse une nue.

     

    Son ombre dans mon lit se glissa toute nue

    Et me dit : cher Tircis, me voici de retour, 

    Je n'ai fait qu'embellir en ce triste séjour

    Où depuis ton départ le sort m'a retenue.

     

    Je viens pour rebaiser le plus beau des Amants, 

    Je viens pour remourir dans tes embrassements.

    Alors quand cette idole eut abusé ma flamme,

     

    Elle me dit : Adieu, je m'en vais chez les morts,

    Comme tu t'es vanté d'avoir foutu* mon corps,

    Tu te pourras vanter d'avoir foutu mon âme. 

     

    ----

    *baisé, dans une autre traduction

  • A la fin, l'homme se resserre comme un bouton de rose

    medium_DSCN6051.JPGC'est l'après-midi. Un soleil magnifique et d'une douceur incroyable pour novembre inonde la chambre. Par la fenêtre grande ouverte, j'aperçois la montagne Basque. Ses yeux ne peuvent plus la voir. Nous sommes seuls tous les deux. Je caresse doucement sa main et son bras droits velus depuis de longues minutes de grand calme, tout en parcourant les titres du journal ouvert sur la couette. Soudain, il me demande si je pense qu'il en a encore pour trois ou quatre jours à vivre, ou bien un peu plus. Je luismedium_DSCN5989.JPG fais promettre un peu bêtement, avec une voix que je me reproche d'avoir à cet instant (façon infirmière : dans la dénégation punchy -pris au dépourvu, je ne trouve rien d'autre), de fêter Noël en famille, ici même, dans sa chambre! Son regard de vérité fait écho à un terrible silence. Pour faire diversion, je lui demande s’il veut écouter de la musique, car depuis que ma fille a eu la bonne idée d’installer une chaîne hi-fi près de son lit, Verdi, Puccini et Tino Rossi l’apaisent et le font même chantonner faiblement. Tu préfères écouter quoi ? Verdi ou Tino ? Il répond : la meilleure des musiques, en faisant le geste de porter un verre à sa bouche, pouce dressé comme un autostoppeur… Je suis stupéfait. Je vérifie : Tu veux quoi ? Il me dit : Du tariquet glacé. Cela fait quelque temps qu’il accompagne  sa douzaine d’huîtres quotidienne d’un verre de ce vin blanc sec du Gers. Décidé à ne rien lui refuser, je monte la bouteille et un verre. Il me demande de trinquer avec lui... Tchin-tchin. Il siffle medium_DSCN6050.3.JPGdeux verres, lui qui n'a jamais bu ni fumé. La meilleure des musiques… Désir de femme enceinte, d’aquoiboniste en partance, d’hédoniste encore et toujours du côté de la vie, jusqu’à la lie. L'hallali. La la lère...
    Grand corps malade retourne lentement vers l’enfance. Avec la mémoire comme un gruyère, les petits pots donnés à la cuiller. Mais une dernière énergie d'Enfer.
     
     
    Photos : Sans Litre, composition de verres © Marine Mazzella.

  • L'aube est (aussi) un genre littéraire

    "L'aube : genre et forme littéraire du moyen âge, est une poésie lyrique qui a pour thème la séparation de deux êtres qui s'aiment au point du jour . Accompagnée d'une mélodie savante, elle comporte 3 grands thèmes : séparation des amants à l'aube; chant des oiseaux et lever du soleil, intervention du guetteur qui interdit à tout importun de s'approcher et prévient les amants qu'avec l'aube vient la séparation." (wikipedia.org, portail Littérature / Poésie).

  • Led Zeppelin

    Et tout va bien!.. A condition de se passer, à fond2chezàfond, Stairway to heaven. Et après? Deep Purple (Child in time, Smoke on the water, Black night -bien sûr...). Après?.. Un shoot Doors (The End, en version longue, live, énorme!), et puis Walk on the wild side, de Lou Reed, avant d'allumer un Juan Lopez Obus (un havane de haut-vol). Là.

  • Figlio mio

    La barrière en métal chromé du lit est un peu haute pour l'adolescent. Le bras maigre du grand-père se déploie, large, la main attrape la nuque de l'adolescent, la ramène contre lui, contre sa bouche, qui maintenant embrasse silencieusement, longuement, sans bouger, la joue gauche de l'adolescent. Le vieil homme (enfin, 72 piges c'est peu!), lui chuchote quelques mots en Italien et en Anglais. En retrait, j'entends capo... flag-ship... famiglia... Le corps de l'adolescent est un peu raidi -et par la barrière qui heurte son ventre, et par une étrange crainte; une gêne inconnue. Le vieil homme et l'enfant mêlent leurs larmes. Je me rapproche, saisis la main de mon fils. Trois générations sont soudées. La vie est précieuse parce qu'elle est parsemée de moments comme celui-là.

  • être

    Etre, c'est peut-être regarder la mort en face.

    La tutoyer, lui proposer un verre d'anisette avec le sourire, et une sérénité désarmante, capable de faire renoncer à l'Iran l'usage funeste de l'atome et à Le Pen de récolter la signature de 500 merdeux.

    Ce soir j'admire la leçon de philosophie de mon père : il regarde son grand départ en face avec la lucidité calme des personnages de Camus regardant le soleil droit dans les yeux. Sans ciller. Sans geindre, surtout.

    René Char, encore et toujours : La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil. 

    Et bien sûr Montaigne : Que philosopher c'est apprendre à mourir...

    Tout cela aide à continuer de vivre mieux. 

  • B.F.

    medium_bf.jpegJérôme Garcin dans L'Obs, après Emilie Grangeray dans Le Monde, citent la même définition -splendide- du style, que donna Bernard Frank (photo), dans La Panoplie littéraire, à la faveur de leur nécro sur ce dilettante de génie, ce papillon intellectuel qu'était Frank. La voici :

    Il (le style) arrache une idée au ciel où elle se mourait d'ennui pour l'enduire du suc absolu de l'instant.

     

      

  • Je me sens grue

    Il est toujours très émouvant (ceux qui savent vont frissonner), de tenter d'apercevoir, de toutes nos forces, en scrutant comme un malade, le ciel pourtant bleuté de cette nuit de novembre d'une douceur incroyable (20°), les grues qui passent en faisant un boucan d'Enfer. J'adore, je crois, plus que tout, la migration. Le phénomène si grisant de la migration des oiseaux à l'automne. Je ne sais rien de plus sensationnel (au sens fort), de plus excitant, que de guetter des oiseaux migrateurs dans le ciel de l'aube, les yeux baignés de ces larmes sans chagrin ni joie que le vent froid fait monter. Ce soir, c'est pareil. Le vent matinal en moins et la tiédeur en plus. Encore, les grues sont passées, nombreuses, bavardes comme des pies. Crevées, elles devaient hésiter entre les bords de la Nive et ceux de l'Adour. Ou bien avec les barthes proches, ou les marais d'Orx, pour reposer leurs ailes.

    Aujourd'hui, se baigner dans les vagues était aussi facile qu'en plein coeur du mois de juillet.

    Et le jamon serrano, coupé fin comme du papier Rizla+, fondait sous la langue plus gentiment qu'une pastille.

    Il y a des jours où je suis heureux de savoir Paris loin.

     

  • dans l'Obs de ce 9.XI...

    ...édition paris ile de france, je publie ce reportage

    parisobs.nouvelobs.com/p299_2192/articles/a322783.html - 52k - 13 nov 2006 -


    Ski sur terril
    Noeux les Mines, dans le Pas-de-Calais, possède la seule station de ski de France sans neige artificielle. Bluffant.
    ----------------------
    Gery Leroux est fier  de diriger Loisinord, la seule piste de ski de France sans neige artificielle. L’idée est en effet lumineuse. Transformer  un terril en mini station de ski afin de valoriser des collines de charbon appartenant désormais au Patrimoine, tout en valorisant le tourisme de façon originale, dans une région un peu délaissée, c’est Dysneyland en plein désert. Certains terrils de cette région ont été aménagés en parcours botanique, en pistes de VTT (à Wingles notamment), ou bien sont recouverts d’une végétation arbustive naturelle, et de plantes qui affectionnent la chaleur et qui s’accommodent d’un sol maigre, comme l’aubépine et la ronce. Car les terrils continuent de brûler tout doucement et continueront ainsi leur combustion pendant des années. Composés de charbon, de coke, d’oxygène de l’air et de grisou, il faut en arroser régulièrement certains, afin de les refroidir.
    La ville de Noeux-les-Mines, au paysage de corons et de morne plaine, et Gery Leroux, qui y travaille, ont eu le nez creux, en sachant initier un tourisme inédit, avec une grande base de loisirs aquatiques, équipée d’un téléski nautique ouvert d’avril à fin septembre, comme il en existe une douzaine d’autres en France, notamment à Cergy, et surtout cette piste de ski, Loisinord, située à 10 minutes à pied de la gare, au milieu d’un quartier désormais animé, où se sont greffés un fast-food, deux discothèques, une école de cirque et un supermarché. Une centaine d’emplois ont été générés par ce petit pôle touristique.  C’est loin d’être négligeable dans une région qui a un taux de chômage supérieur à la moyenne nationale : 14%.  « Il existait une seule autre station similaire, à Carmaux, dans le Tarn, mais qui elle n’a tenu qu’un an, en 2000/2001, faute d’avoir choisi un revêtement artificiel qui manquait de confort. C’était une idée de Paul Quilès, lequel était venu trois fois à Noeux, pour voir l’installation, ouverte depuis 1996 », précise Géry Leroux. Le nouveau système repose sur un revêtement en plastique  aux allures de tapis-brosse blanc, totalement moderne et performant. Ce système, baptisé snowflex, équipe déjà la plupart des stations analogues (il y en a plus d’une centaine), de Grande-Bretagne. L’idée vient de là-bas ! Mais curieusement, elle n’a pas encore fait de petits en France, à part à Noeux. Le revêtement est constamment vaporisé d’une eau filtrée et purifiée, puisée à  –78 mètres, par de nombreuses buses éparses, ce qui permet de glisser facilement et de ne pas abîmer les cares des skis et autres snowboards. Le seul inconvénient, c’est que l’on se mouille un peu en tombant (sans jamais se faire mal tant c’est moelleux), mais pas plus que sur la neige. Il suffit donc d’utiliser l’équipement idoine, et de se vêtir un peu en été. Tout autour des deux remontées mécaniques (tire-fesses), une moquette synthétique verte décore les côtés du terril.  Sur les flancs, et afin de bien maintenir l’ensemble, la végétation est tenue par un grillage horizontal, à l’instar de l’oyat sur les dunes du littoral atlantique. Le revêtement repose sur une mousse épaisse qui permet  de bonnes prises de cares dans les virages et surtout d’amortir  les chutes les plus brutales. Au départ de la piste, les skieurs chevronnés peuvent suivre un parcours de bosses, et plusieurs tremplins (dont un de 2,50 m), permettent  d’exécuter des figures acrobatiques, qui en font  l’équivalent d’une piste rouge en haut, et d’une bleue en bas, que l’on achève généralement tout shuss. L’équipe olympique de ski acrobatique espagnole est venue s’y entraîner, et réfléchit à la création d’une station analogue à Madrid (il n’y en a aucune en Espagne), afin de pouvoir  s’entraîner  l’été.
    Fermée d’avril 2004 au 7 octobre dernier, pour cause de changement total de son revêtement, jugé inadapté et inconfortable, la station de Noeux a été (ré)inaugurée les 4 et 5 novembre derniers.  L’altitude au sommet est de 129 mètres, la longueur de la piste est de 320 mètres et le dénivelé  de 74 mètres. 600 skieurs en moyenne fréquentent chaque jour cette station singulière qui est une régie municipale. « Ca fait toujours drôle aux skieurs qui payent par chèque de les libeller à l’ordre du trésor Public.. », dit Gery en riant. Le pic de fréquentation se situe en janvier, février. Attentif aux projets touristiques innovants, le Feder (fonds européen de développement régional) a largement financé la rénovation totale de la station. Skier entre amis ou en famille, en ayant quitté Paris une heure et demie plus tôt, procure un plaisir assez inédit ; surtout en haut des pistes. Entre deux descentes, il faut admirer l’étonnant panorama sur « le plat pays » chanté par Brel, qui s’étend jusqu’à la Belgique, proche. Lille, au loin, n’est qu’à  25 minutes en voiture.  Juste en bas, les corons, la ville de Noeux (12000 hb), son Musée de la mine, quelques terrils éparpillés, vestiges des dernières mines qui ont fermé en 1958. Derrière la piste, le paysage est riche et chargé d’histoire : les collines de l’Artois, le Bassin minier, les deux gros terrils de Liévin, Lens au-delà, Mazingarbe à quelques encablures du terril où nous nous trouvons, (avec son usine CDF Chimie, classée Seveso 2 –la même que la sinistre  usine AZF de Toulouse, puisqu’elle fabrique aussi du nitrate d’ammonium).  A droite de Liévin, on aperçoit le monument de Vimy (où se trouve le célèbre Mémorial canadien de la guerre de 14-18), et au-delà, Notre-Dame de Lorette, siège de la fameuse Bataille de l’Artois, durant la Grande guerre. La ligne de front de 14 se trouve là. Devant. Skis aux pieds, à 130 mètres au-dessus de la mer, c’est émouvant. Un vent d’ouest, « Ecoutez-le vouloir » (Brel),  souffle en permanence en haut des pistes. Il vient de la mer, qui n’est qu’à 90 km, à vol d’oiseau. Des goélands planent d’ailleurs au-dessus des skieurs. Skier à Noeux devient vraiment étrange. Les skieurs viennent chaque jour, surtout des alentours, et aussi de la région de Lille, Calais et Dunkerque. La nocturne du vendredi donne une dimension féérique à la piste éclairée jusqu’à 22heures, surtout lorsque les snowboarders exécutent des sauts depuis les tremplins. Les non-skieurs disposent d’une salle de 800 m2 (avec bar et snack), bondée chaque dimanche, avec un immense mur de verre face aux pistes, pour le spectacle. Au rez-de-chaussée, 400 paires de skis et 150 snowboards  sont à louer.  Certains skieurs louent même leur matériel ici et vont dans les Alpes, car il leur coûte bien moins cher (64€ le matériel complet pour 8 jours pour un adulte, et 37€  pour une enfant !). Un partenariat avec la station alpine de La Clusaz, près d’Annecy (qui est quand même à 850 km de là), permettait il y a quatre ans, aux titulaires de la carte Loisinord (13€ à peine) de skier gratis une journée… sur de la vraie neige ! « L’expérience va sans doute être renouvelée cette année », dit Géry Leroux, confiant. Le succès de ce nouveau revêtement ne se fera pas attendre. Testé depuis le 7 octobre, les skieurs locaux n’en reviennent pas et certains, qui débutent tout juste, avouent progresser rapidement.  Terrible !

     

  • revisiter le mythe

    José Bergamin, in La Solitude sonore du toreo (Seuil) : "Le torero désabuse le taureau comme le torerissime don Juan la femme : en l'abusant. En lui jouant un tour de vérité. Le torero ne joue pas plus avec la mort que don Juan avec l'amour puisqu'ils jouent leur vérité. Aucun d'eux ne la simule. L'un et l'autre la masquent d'une transparence lumineuse".

  • la nolonté

    Frédéric Musso, dans son bel essai sur Camus (Albert Camus ou la fatalité des natures, qui paraît chez Gallimard/essais -et avalé cette nuit), prend le Meursault de L'Etranger pour le comparer au Bartleby de Melville et à son fameux : "I would prefer not to". Je préfèrerais ne pas. Et nous éclaire avec le dictionnaire Lalande (?) de 1926, lequel définit la nolonté comme le "vouloir ne pas". "Bartleby ou la nolonté de puissance", ajoute Musso avec humour...

     

  • ça chuinte

    medium_images.jpgEn bord de mer, un vent doux, une bise, dans l'oreille, devient un chant

    L'archet qui s'attarde sur les cordes d'une viole de gambe fait monter les larmes

    Le cri plaintif du vanneau huppé dans le brouillard de l'aube provoque l'émoi majuscule, animal 

    Mais la voix d'une femme (Victoria de los Angeles, Maria Callas, Montserrat Figueras, Patti Smith, Dolores O'Riordan...), demeure mon instrument de musique préféré

    Aujourd'hui, 8 novembre, c'est le silence des rues de Bayonne qui bourdonne avec subtilité. Le soleil est présent comme en septembre,  tout le monde est en tee-shirt. On n'entend que les pas, rue d'Espagne. Cette sérénité m'appelle, me rappelle, finira par me happer et par me fixer ici. 

    Photo : Le parapet de la plage de La Chambre d'Amour, querencia entre toutes les querencias... 

  • résilience

    division

    réunion

    fusion

    symbiose

    accompagnement

    effort sans effort, naturel

    rires

    dérision

    humour noir

    veille

    centaines de coups de fil

    prévention

    précautions

    purée

    moulinette

    serviette

    décompression

    apéro

    écoute

    écoute...

    regards forts

    mots rares mais puissants

    chargés

    échanges ultimes et beaux

    ah, oui... et aussi :

    café

    fruits (raisin, poires)

    huîtres!

    et puis quoi que j'oublie...

    ça y est! les trucs pour le lave-vaisselle, y'en a presque plus

    pfff... 

  • corps mourant

    medium_cor.jpegbalayer l'horizon marin, la nuit, pour y trouver un bateau, tomber -à défaut-, sur un cormoran, là tout près, écouter le fracas de son plumage dans l'eau, songer aux profondeurs abyssales et à la nuit la plus obscure; remet les idées en place.

    car il règne un beau désordre dans nos têtes, lorsque le passage montre le bout de son sale pif, et que de fausse alerte en fausse alerte, nous nous prenons à détester La Fontaine, qui fabulait à l'envi. Ce grand cynique nous a appris à surseoir et à avoir peur; pas à vivre habillé de sérénité simple. 

    Cyrano :"Car à la fin de l'envoi, je touche!".

    Spadassin de la forêt noire, le temps se brouille soudain, le ouaté de l'atmosphère estompe les sons, ternit la lumière et donc nos esquisses de sourires.

     

     

  • grues cendrées, en V, dans le ciel bayonnais

    medium_grues.jpegCinq novembre, Bayonne. Réveil au chant de centaines de grues cendrées qui passaient, bas, en V successifs, interminablement, au-dessus de la maison. La grue craque, comme le chameau blatère et comme je déblatère ici. Mieux vaut déblatérer que craquer, cet automne. Temps splendide. Ciel bleu pur. Température tiède. Clémente, comme on dit. Balade (braconnière) à Biarritz. Les Halles pour y faire provision de bons produits, la Chambre d’Amour, puis la Côte des Basques, pour reposer le regard et respirer à fond : l’Océan est méditerranéen, aujourd’hui, et la côte espagnole visible jusqu’à Santander. Lisse est l’adjectif qui qualifie le mieux cette journée d’une douceur extra/ordinaire. Les vagues, lentes, lascives, ont l’air douces aussi : sans sel. Elles sont poivrées de surfers en combinaisons, qui figurent des insectes élégants. Quelques volées de palombes passent au loin, vers La Rhune et le Jaizkibel (les Trois Couronnes). L'ardi gasna (le fromage de brebis paysan), de Chailla, est fantastique sur le Porto, les huîtres rituelles (quatre douzaines de Quiberon n°3 de l’ami Joël D(upuch)-), fidèles au rendez-vous de treize heures. Cèpes, cœurs de canards, queues de langoustes grillées, polenta, Vacqueyras blanc de 1999 à la robe sombre comme celle d’un sauternes, d’une vivacité, d’une nervosité, explosives. Puis Listrac de haute extraction en magnum pour suivre. Le meilleur ¡y mañana sera otro dia, no ! ¡Joder !... Il aura le meilleur jusqu'au bout. Et puis il y a des mots d’une autre douceur, celle que l’on décide contre toute météo, celle, dite des soins pailliatifs. Une expression redoutée qui se pose un jour comme une volée de sarcelles sur le blanc d’un étang au cœur de la nuit de novembre. (Je crois que la lune est pleine, ce soir, d'ailleurs...). Le premier oiseau se nomme morphine, le second valium. J’ai oublié, ou je n’ai pas voulu retenir, le nom des autres, au nombre de trois ou quatre. L’ordonnance est pliée dans la poche arrière du jeans. Demain… Mañana… L'ami Jean-Louis, le pharmacien du quartier (un pote de lycée) roupille à cette heure. Il la lira demain matin, tôt. De mauvais augure, bien entendu, ces piocs paillatifs. Quand la côte du col du Tourmalet devient trop abrupte, le cycliste passe le grand braquet. Et mouline plus à son aise. La science atteint des sommets dont je lui suis tellement reconnaissant, que je me porte volontaire -avec alegria-, pour aller planter un drapeau à sa place, là-haut sur la "Montagne magique". Au moment voulu. As later as possible, please! Et voilà qu’un mot italien, aussi tendre à l’oreille que funeste dans l'interprétation de sa traduction, me revient. Cogne à mon esprit. Le mot morbidezza. Il signifie douceur. Il sonne, d’évidence, comme la morbidité. Car la mort paraît douce, et de façon récurrente, à différentes étapes de l’existence. Et c’est toujours ça de pris,non? Sauf qu’il s’agit à présent (le repos ? -jamais…), de retrouver instamment le cd avec l’Ave Maria de Gounod "pour… la sortie de la messe". Bordel, où est-ce qu’il se planque, ce con de cd ! Ni dans la voiture, ni dans les range-cd, ni où !.. ¡Vaya con Dios, Gounod !

  • toi si t'étais l'bon dieu...

    ...tu f'rais valser les vieuuuux.... aux étooooiiiiiiles!...

    toi....

    toi si t'étais l'bon dieuuuu...

    tu rallum'rais des bals.... pour les gueuuuuux...

    toââââ....

    toi si t'étais l'bon dieu....

    tu s'rais pas éconôôôme...... de ciel bleuuuu

    mais...

    tu n'es pas le bon-dieu...

    toi tu es beaauucoup miiiieuuux....

    tu es un hoooomme.............. 

    tu es un hoooommeeeeeuuuu

    tu es un homme.

    (jacques brel) 

  • novembre

    Premier jour de novembre, temps de Toussaint. Comme d'hab'. Morne, pluvieux, gris, triste à mourir. Un temps à aller aux escargots. Aucune envie d'aller aux escargots. Ni aux cèpes, devenus rares ces jours-ci, ni à la palombe (de toute manière, elles ne passent pas : la terre se réchauffe!).

    2 novembre, soleil radieux, ciel bleu intense, fraîcheur de bon aloi -de saison, enfin. Le roux des arbres brille, la mer scintille, et la mort avance, sournoise, en rampant comme une vipère ou, pis, comme une limace. Je n'ai jamais eu d'affection pour les limaces. Soit en laissant derrière elle sa bave acide, que je m'emploie à effacer sans relâche avec le chiffon de mon âme.

    L'homme est un rat : il s'adapte, à force, à tout. Au pire comme au meilleur, en n'ayant plus conscience, à la fin, ni du bonheur, ni du malheur. Une sorte d'anesthésie mentale parvient à tout dissoudre. Le plus dur, ce sont les premières fois. Et avec un certain entrainement -et une indispensable dose de force intérieure, quand même-, chacun peut tout faire. Tout. Même ce que nous jugions impossible jusque là, ou bien réservé à d'autres, devient... facile. Nous le faisons de bonne grâce. Nous nous exécutons presque de bon coeur, en respirant à fond un bon coup, avant, et allez!.. L'homme est un rat. Et la mort une pute.

    Rien de nouveau sous le soleil de novembre, par conséquent, lequel a le bon goût de briller comme jamais, aujourd'hui, au-dessus de Bayonne. Ce midi, sur la terrasse, l'énorme dorade royale, pêchée la nuit dernière, avait un goût d'iode que lui disputaient les huîtres de Quiberon n°3. Le Carbonnieux blanc 2001 avait encore cette vigueur attribuée d'ordinaire aux vins de l'année. Le gâteau basque aux cerises était moelleux comme un coussin sous la tête, l'été, à l'heure de la sieste. C'est toujours çà de pris.

    Tutto va bene, ou presque.

     

     

     

     

     

     

  • La vague goffmanienne

    Cela pourrait rester goffmanien -pour parler comme les étudiants en ethno-, en référence aux travaux célèbres d'Erving Goffman sur les comportements sociaux. La littérature peut mieux faire et c'est l'une de ses vertus. 

    La scène se passe à la plage de La Chambre d'Amour, à Anglet (64). Plus exactement sur le parapet qui la surplombe. L'Océan est agité, la marée haute et rebelle. Les vagues frappent les blocs de pierre extraits de la montagne proche, empilés là pour amoindrir l'ardeur de la mer qui érode la côte.

    Un homme de petite taille, vêtu pauvrement mais avec soin : veste bleue élimée, pantalon assorti, chemise blanche à col "pelle à tarte" ouvert généreusement sur un poitrail plat, imberbe et maigre. Physique sec. Comme le sont sans doute ses gestes, et comme sa diction doit être : sèche. Rêche et abrupte. Par rafales, cet homme doit parler.

    Il tire sur une Gitane maïs plus qu'il ne la fume. Il est debout sur le parapet que les vagues menacent d'éclabousser d'un instant, l'autre.

    Les séries de vagues frappent, toujours plus menacantes.

    Le petit homme regarde l'horizon; impassible.

    Avec, en plus, cet air d'écouter les éléments comme on entend sans l'écouter, un bavard anonyme et aviné au comptoir d'un bar. Sans prendre la peine de répondre à ses questions enchaînées et qui n'attendent d'ailleurs aucune réponse, mais seulement une approbation automatique.

    Sans affect apparent, quoi.
    Soudain, une vague plus forte que les autres  explose, gicle et inonde le petit homme debout sur le parapet.

    Le douche.

    Au lieu de s'exclamer et de reculer, l'homme "sec" ne bouge pas. Trempé, stoïque, il continue de tirer sur ce qui reste de sa Gitane imbibée. L'eau dégouline de ses cheveux jusqu'à ses pieds. Le regard des passants alentour, témoins de ce qui lui arrive, le paralyse plus sûrement qu'une injection d'anésthésiant. 

    Cet homme foudroyé est en train de vivre l'un des moments les plus douloureux de sa vie.

    Il regarde l'horizon. Imperturbable perturbé jusqu'aux os de l'âme.

    Je partage sa douleur profonde du mieux que je peux. A distance. Impuissant. Juste témoin.

    A l'heure où j'écris cette scène (30 octobre 06, minuit moins le quart), l'homme ne se trouve plus sur ce parapet de La Chambre d'Amour.

    Et pour cause. Cette scène s'est passée il y a trente ans environ. Mais il m'a semblé capable de rester là l'éternité, tant je devinais son désir double de devenir invisible, ou bien d'être changé en statue.

    Ce récit (envie de l'écrire enfin, ce soir), est une espèce de stèle en souvenir d'une scène quotidienne, ordinaire, sauf dans la Creuse, le Quercy, et autres lieux où l'Océan, de notoriété publique et donc largement admise, ne vient jamais frapper les parapets. Mais alors, jamais... 

  • Impudeur/douleur/écriture/servitude

    La plupart de mes proches réagissent par mail ou par texto à mon blog. C'est étrange. Soit "on" ne sait pas encore faire avec (il est facile d'écrire des commentaires sur les notes), soit vous continuez de préférer l'intime, le chuchotement, à l'extime et à la mise à nu.

    Car il s'agit si souvent du coeur, des tripes et des sentiments montés à cru.

    S'agissant de la maladie de mon père, tous, à une exception près, évoquent la générosité, l'amour, le courage.

    Je les en remercie.

    Puisse mon témoignage à vif servir à amoindrir la douleur d'un ou d'une si, par malheur, un jour, un tel drame le touchait de près.

    Tel est mon but, au-delà d'une catharsis personnelle. 

  • Voir (Journal impudique, 2)

    En dépit de notre imaginaire, de nos peurs et d'un certain dégoût culturellement partagé, la lente déliquescence du corps vivant m'est plus insoutenable que l'idée de la lente décomposition du corps mort. Ne pas voir et se faire une idée "de" augmente l'horreur, c'est vrai. Mais voir, de nos yeux voir, réduit l'imagination à néant et nous fout à la gueule une cécité qui commence à droite, une hémiplégie qui se manifeste à gauche, une incontinence qui exige un attirail ordinairement dédié au nourrisson. La régression, le retour, le bouclage de la boucle. Le nourrir à la cuiller, une serviette (bavette) sous le menton mal rasé... La mort, parfois, ressemble au retour au ventre maternel. Je pense que mon père ne serait pas contre une plongée finale dans le sexe de sa mère, comme dans un film d'Almodovar ("Parle avec elle", je crois, ou bien "Tout sur ma mère"). Malgré toute sa conscience, et donc toute sa douleur, je ne lui poserai pas la question. Oui, ce soir plus que jamais, je pense à la parole phare de René Char : "La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil". Car mon père est frère de soleil, homme solaire, homme marin,  Méditerranéen comme on peut être Africain (selon un Tiken Jah Fakoly : globalement, totalement : sans distinction de frontière), Napolitain né sur le sol Africain, d'Algérie, Camusien comme le soleil en face de "l'Etranger", ou celui qui grille la pierre des "Noces à Tipasa". Le Camus de "l'Eté", des "Noces" (le plus beau. Le Camus essentiel)... Corticoïdes. Tumeur récidivante. IRM. Scanner cérébral. Marre de ce vocabulaire Vivagel. Face à cela, il y a l'irrémédiable de son regard en fuite, mais encore et plus que jamais droit. Un regard qui hurle. Je sais, ce soir, que le regard peut hurler. Et qu'il peut le faire avec infiniment de pudeur, comme pour s'excuser d'être encore là, encombrant, et de nous donner tant de peine -je veux dire de travail. Shit.

    Je pense tout à coup à James Dean et à Roger Nimier, parmi des millions de mecs morts au volant. Le premier à 150 km/h : la vitesse de la légende vivante qu'il se construisait. Le second au volant de son Aston Martin, un 19 septembre 1962, aux côtés de Sunsiaré de Larcône. La mort qu'il faut. La mort qu'il nous faut. A tous. Non?..

  • La puissance d'exister

    Oui, le livre de Michel Onfray (Grasset), condensé de ses trente livres précédents, subtile "compil" de l'essence de la philosophie hédoniste qu'il construit, est un bouquet d'énergie solaire, de lucidité terrestre et d'appétit épicurien. J'aime sa façon d'être philosophe -le taon qui agace le cul de l'âne-, de démasquer, en Socrate du XXIème, et  de déstructurer 2000 ans de philosophie officielle, bâtie sur l'exclusion, l'hostilité, l'ordre, l'enfermement, et sa déclinaison ou son relais par les pouvoirs (Eglise, Etat, Ecole; à la suite du magistère platonicien). Ses réflexions sur l'historiographie -tronquée à la serpe rouillée par les historiographes autoproclamés-, la perversité de l'Eglise, et surtout la philosophie dominante (celle qui sépare le corps et l'esprit, pis! qui vilipende le corps, rejette les plaisirs comme le Malin, et la femme avec), sont plus que salutaires. L'envie, au sortir de ce livre qui compte, est immédiate, de se jeter sur tous ces philosophes parfaitement inconnus, qui parsèment les deux premiers volumes -décapants- de sa "Contre-histoire de la philosophie", et puis les fétiches : Montaigne, Epicure, Spinoza, Nietzsche (qu'il faut savoir lire, et pas jeter aux orties au prétexte qu'il fut récupéré par les Monstres du XXè siècle). D'ailleurs, j'ai eu le bonheur de retrouver, à Bayonne, mon Zarathoustra de classe terminale (au parfum moisi d'un Lucky Luke de la même époque) et je ne connais pas de meilleur viatique pour un trajet en tgv de 4h30; désormais. Oui, Onfray nous parle, car il parle du plaisir de vivre, de la vie sur cette terre, avec un athéisme vigoureux, là où tout se passe et se passera, et rejette violemment tout l'Ordre (pétri de névroses séculaires) qui vomit le bonheur, prône la souffrance au prétexte que le plaisir viendra dans l'au-delà (des cathos aux islamistes en passant par Hegel et bien d'autres serviteurs des Princes). L'hédonisme selon Onfray n'est rien moins que la jouissance (en conscience) des plaisirs de la vie, bâtie sur une morale inflexible, du souci de l'autre. Et sur une confiance donnée sans entraves, donc libre, jamais dictée par un sacrement ou une promesse sociale : seul l'individu fait confiance à un autre individu, pour un temps déterminé, sans contrat aléatoire. (Rien à voir avec un épicurisme si souvent mal interprété, perçu bêtement comme un égoïsme et une débauche). Son érotique solaire repose ainsi sur le respect et donc le don, l'amour authentique et libre (voir l'éros léger, par opposition à l'éros lourd). Onfray est dans le concret, le matériel, le corps, la parole, l'exemple pris dans le quotidien, sa philosophie se fonde sur l'existence (comme Montaigne a bâti ses Essais sur sa propre vie et rien d'autre), et jamais dans le propos nébuleux, désincarné, éthéré, excluant, élitiste, d'une philosophie (volontairement) absconse, et dégoûtante (qui dégoûte d'y aller voir).

    Patron! Remettez-nous çà... Ouais, tournée générale!

     

  • au présent

    Elie Wiesel, in Un désir fou de danser :

    « Pour que l’homme s’accomplisse, dans l’extase  ou la chute, il lui faut s’accrocher au présent.

    Bien que fugace, l’instant conserve sa propre éternité, tout comme l’amour et même le désir conçoivent leur propre absolu. »

  • journal impudique

    C'est encore bizarre, un blog. Ce que chacun en fait, ce que j'en ai fait hier (voir : Bayonne, ce soir), ce désir sourd de rendre extime l'intime extrême; cette irrépressible envie d'être impudique en conscience. D'exposer. D'en prendre le risque. Manière, peut-être, de transformer l'événement en chose littéraire, si l'on considère une note de blog comme une page de quelque chose qui s'écrit. Et ce qui s'écrit dit cela si souvent... Cet appel a généré des sms de réconfort. C'est énorme. Comme l'outre d'eau potable est énorme au naufragé entouré de mer. Comme "la nuque en sueur trouve bon le mouchoir aride" (Char). Le monde n'est pas encore désert. L'épreuve continue, mais il y a des voix, ici et là, et surtout une écoute discrète. Des traces d'amitié permanente, d'autres qui resurgissent, de nouvelles qui prennent part sans prendre parti. "Non, Jojo, tu n'es pas seul"... Si je trouve un peu de temps, dans la tranchée de la nuit prochaine, je prendrai Spinoza comme on téléphone à un pote. A ce stade, tout est bon. "Et que si c'est pas sûr, c'est quand même peut-être..." (Brel, à la rescousse, fait aussi du bien, comme un vieux film qu'on se projette, ou un Lucky Luke écorné, retrouvé, et qui sent le papier moisi d'une enfance lointaine).

  • la magnanimité...

    medium_onfr.jpegMichel Onfray, dont je vous invite à lire le magnifique dernier opus, "La puissance d'exister. Manifeste hédoniste" (Grasset), écrit ceci, à la fin de son émouvante préface en forme d'aveu tranquille, intitulée "Autoportrait à l'enfant" :

    "On devient vraiment majeur en donnant à ceux qui ont lâché les chiens contre nous sans savoir ce qu'ils faisaient le geste de paix nécessaire à une vie par-delà le ressentiment - trop coûteux en énergie gaspillée. La magnanimité est une vertu d'adulte. (...) Serein, sans haine, ignorant le mépris, loin de tout désir de vengeance, indemne de toute rancune, informé sur la formidable puissance des passions tristes, je ne veux que la culture et l'expansion de cette "puissance d'exister" -selon l'heureuse formule de Spinoza enchâssée comme un diamant dans son Ethique. Seul l'art codifié de cette "puissance d'exister" guérit des douleurs passées, présentes et à venir".

  • aimer, c'est voir l'unique en l'autre

    medium_van_h.jpegSelon Hegel, la philosophie , "c'est le courage de la Vérité et la foi en la puissance de l'esprit". Ce qui permet, peut-être, parfois, de nous aider à vaincre les "passions tristes" dont parle Luc Ferry (dans L'Express. On le voit partout en ce moment, et cette posture de philosophe officiel, obligatoire, devient agaçante), soit  : la culpabilité, les regrets, la nostalgie, l'espérance. Autant de sentiments "où se niche la peur", ajoute-t-il.

    Ferry écrit aussi un truc qui me plaît bien, à propos d'un texte de Pascal sur l'amour : est-ce que je tombemedium_francine.jpeg amoureux parce qu'elle est comme ci ou comme ça, qu'elle a telle ou telle qualité? Non. Ce qu'on aime chez quelqu'un, ce ne sont ni ses qualités objectives ni ses particularités locales, mais sa singularité. Aimer quelqu'un, c'est pouvoir dire : "Ca, c'est bien toi." Savoir qu'il n'est pas remplaçable. La sagesse consiste à apprendre à vivre avec cette question : "Qu'est-ce que je fais de la singularité que j'aime en l'autre, sachant qu'elle est atrocement fragile?" Comment vaincre ma peur de le perdre? Ou plutôt, que faire de cette peur? Voilà une vraie question philosophique...

    (illustrations : Françine Van Hove)

     

     

  • zed

    medium_emilfork.jpegj'adore cette déclaration que fit Daniel Emilfork (qui a quitté ce monde avant-hier, non sans l'avoir marqué de son physique hiératique et inquiétant, de Nosferatu -de Murnau-, de dandy désinvolte, de sa voix si grave, de ses regards si perçants, de son jeu si fébrilement calme, dans une quantité impressionnante de seconds rôles au cinéma et au théâtre) = "Je suis acteur pour que les jeunes gens et les vieux écrivent des poèmes et aient des utopies. Je veux que les gens rêvent à un autre monde". J'ai prélevé ceci dans la belle "nécro" signée Fabienne Darge, qui a rencontré Emilfork en 2003, et publiée par "Le Monde" de ce jeudi soir. Et je suis ému. Rien à ajouter, donc. L'émotion opère. Elle fait son travail.

    (photo : un physique à la Henri Michaux...)

  • ô toulouse-eu!

    medium_toul.jpegj'étais hier dans la ville rose, et la douceur de l'air, le sourire des passants, la gaîté de la brique, les tons sereins des rues, la lascivité  de la garonne, une halte calme chez privat, d'autres arrêts à la terrasse des cafés sur des places douces, pour des rendez-vous pro, ne m'ont jamais donné l'impression que j'y étais pour travailler. je me suis souvenu des trois années passées là-bas, et du bonheur d'y vivre au quotidien...

    tout cela pour dire qu'au retour, je trouve paris, comme l'écrit veilletet à propos de la france, lorsqu'il revient de sanlucar de barrameda (voir note plus bas), maussade et rogue... 

    (photo john weiner) 

  • kant

    sans rire, lire kant, c'est jouissif.

    je le croyais seulement compliqué et rébarbatif, et je le (re)trouve limpide et tonique.

    révolutionnaire (sa théorie sur les Lumières, son invitation, sincère, faite à chacun à trouver -en soi-, l'énergie, la volonté de s'affranchir de toute tutelle...).

    tout cela donne la pêche.

    lisez kant, l'original, pas la glose (très récente) de luc ferry!

    pas même celle de michel onfray -quoique plus lucide, plus critique et plus moderne, plus rentre-dedans comme d'habitude (onfray est un mec nécessaire).

    lisez des passages ici et là, au hasard de ses oeuvres majeures, et vous sentirez l'effet paradoxal d'une lampée d'aphorismes de cioran : loin de vous attrister, la lecture de cioran, comme celle de kant, vous emplit le corps et l'esprit d'énergie.

    yeach! 

  • 1, 2, 3... bonheur!

    C'est un petit Folio à 2€, il s'intitule "1,2,3... bonheur! Le bonheur en littérature", c'est une petite anthologie de textes sur le sujet. On y trouve Le Clézio, Giono, Andersen, Hugo, Saint-Matthieu (les Béatitudes), Gide, Alain, Tolstoï, Maupassant, Pirandello, Voltaire... Et c'est le plein de vitamines, comme l'aurait dit Raymond Carver. 124 pages à offrir et à offrir, et surtout à lire en bus, aux feux rouges, en métro, chez soi, au bistro. Le plein d'énergie. Mieux qu'un comprimé de vitamine C à croquer le matin. Il fait grand soleil aujourd'hui. Le ciel est bleu, l'été Indien, et Paris souriant. Vive la vie et Buongiorno Bella!..

  • Grands Prix

    "Les Bienveillantes" de Littell écrasent le marché de la librairie : 900 pages, 25€, un bon kilo de papier, et les concurrents râlent : le Français, lecteur, a un budget serré, et il aime de plus en plus s'attacher à un livre unique (souvenez-vous du dernier Gavalda, du Da Vinci Code, du troisième Houellebecq...), davantage, aujourd'hui, qu'à des petits livres minces comme des tranches de jambon (autre époque : celle qui fit le bonheur des Delerm, Ernaux, Echenoz, Bobin, Gailly, Bernheim, Viel...). Le minimalisme (physique, s'entend), aurait-il vécu? Contre exemple : le petit Bataille sur Bernard Grasset, encore goncourable (par quel tour de passe-passe, puisque cela ne peut intéresser que le douzième du village germanopratin?). Mais les poids moyens se vautrent (Nothomb, Angot, Poivre's brothers...). Schneider résiste grâce à l'éternel "effet Marilyn". Tout cela ressemble à de la politique, à du sport de compète, pas à de la littérature. C'est pourquoi, cet après-midi, malgré le soleil, et tout en écoutant Léonard Cohen, je relis Proust, je découvre Pamuk (bien, les Nobel! C'est du solide, Pamuk, et il a du souffle), et puis j'ai toujours à portée de main un bon vieux Platon pour ce soir (probablement Gorgias)...  Parlez-moi de course aux prix, et je pense davantage à Schumacher -moi qui déteste l'univers de la bagnole-, qu'à l'écurie Gallimard, bien placée, en pôle position, cet automne...

    Conclusion : j'aime malgré tout ces potins, car ils permettent de redire ceci : le monde littéraire est, et sera toujours sujet à l'imprévisible absolu. Et cette fantaisie, ces coups du hasard, procèdent du charme de la périphérie de la Littérature. Reste le texte : peu m'importe, au fond, la vie privée si bien cachée de Gracq. L'essentiel est de le lire, et de revenir sans cesse à lui. Comme on retourne à Flaubert. Comme on rentre chez soi après une semaine d'absence. Le plaisir du texte réside entre les pages; entre les draps. Et nulle part ailleurs.  

    NB : lu, hier soir, d'un trait, la "short" de Jorge Semprun, intitulée "Les Sandales" (Petit Mercure) : un bijou de clairvoyance sur la relation amoureuse clandestine. Un vrai coup de talon aiguille dans le bide des mecs. J'adore. 

  • Dans Le Nouvel Obs.-Paris d'aujourd'hui

    Cette rando dans les Côtes d'Armor...

    Iode et Pataugas

    À l’automne, les Côtes d’Armor portent un manteau de douceur sur l ‘aridité de leur paysage. Le caractère sauvage de cette côte, déchiquetée par endroits et en rondeurs à d’autres, demeure, mais avec ce ouaté propre à octobre. Depuis Paimpol, atteint depuis Paris par Tgv, via Guingamp et le Ter bucolique qui longe le Jaudy –un bras d’estuaire qui serpente entre forêts, buissons épais, champs d’un vert dru et falaises-, il faut prendre la route de Tréguier. Un peu à regret, certes, tant les environs de Paimpol méritent un week-end à eux seuls : une autre fois. Cap sur la Côte des ajoncs. C’est à Tréguier que tout commence. Le circuit, bien balisé, invite à découvrir un littoral magnifique, bordé de parcs à huîtres, et ponctué de villages séduisants. Tréguier, d’abord, et ses Tours des armateurs (d’anciens greniers à blé), conduit, à pied de préférence, dans la vieille ville par la rue Ernest Renan.  La maison natale, devenue musée, de l’historien et philosophe, se visite. À proximité, la poissonnerie Moulinet propose de déguster de fabuleux plateaux de fruits de mer. Les rues sont calmes comme un dimanche de match loin du stade. Les maisons, cossues, à la pierre épaisse, sont assoupies comme de gros matous au soleil. En longeant l’estuaire du Jaudy, aux allures paisibles de fjord, nous arrivons à Plouguiel par une route collinaire et forestière. Le panorama, mi-marin, mi-terrien, procède du charme de cette Côte des ajoncs : il réside dans ce sentiment incertain ; de l’entre deux mondes. Devant le café Pesked, à la sortie de Plouguiel, le paysage devient lacustre, marécageux. Les parfums de marée et d’huître sont puissants. L’atmosphère, vivifiante et silencieuse. Sur la route de Plougrescant, en plein pays de Trégor et Goëlo, il est bon de bifurquer. Le panneau « Le Palud », par exemple, vous emmène vers un havre vaseux, d’herbes drues et de pierres. Des bateaux, quille en l’air ou à flanc comme le labrador sur le perron, invitent à la sieste. Un sentier pédestre y vaut le détour, qui longe le littoral jusqu’à La Roche jaune. Là, passé le panneau « L’Enfer », suivez le circuit jusqu’à la chapelle Saint-Gonéry, au clocher étrangement tordu, à rendre Pise jalouse, et le site du Gouffre. Sans oublier la Pointe du château qui permet d’admirer, outre le phare de la Corne, l’île d’Er, à l’embouchure du Jaudy, le fameux archipel des Sept-ïles*. A Plougrescant comme ailleurs sur le circuit de la Côte des ajoncs, de nombreux panneaux « voies sans issue » sont à prendre délibérément, car ils conduisent vers des petits « spots » charmants et dépeuplés, sauf par les oiseaux. « Er Varlenn », par exemple, est un chemin qui débouche sur un paysage ostréicole truffé d’îlots et de rochers qui donnent l’aspect d’une dentition monstrueuse à la surface de l’eau. Et il y a toujours un circuit pédestre à prendre ou à reprendre, qui caresse le littoral par ses rochers et ses ajoncs, ses falaises et ses chemins bordés de fougères. Passée la zone de Plougrescant, le paysage côtier devient somptueux, sauvage, paisible. Un parfum capiteux d’algues et de varech emplit les poumons, des goélands planent à l’appui du vent, et tout autour, côté terre, la campagne (que l’on aurait tendance à négliger), est douce, piquée de bois de conifères, de maisons en pierre habilement planquées ; à l’abri des intrusions indiscrètes. Sauf celle, de carte postale, qui se niche entre deux rochers, au bord de l’étang de Castel Meur. Il flotte partout, sur cette côte des ajoncs, un air d’Irlande, que l’on retrouve du côté de Killorglin, dans le Kerry. Pors-Scaff, est une magnifique anse hérissée de rochers, où l’on foule de gros galets roulés, qui donnent un aspect lunaire au lieu. De là, on emprunte un sentier côtier vers Roch Wen, l‘anse voisine, puis Roudour, direction Ralévy et l’anse de Gouermel ; pour une pêche à pied en famille, si la marée est basse. De multiples sentiers pédestres sont proposés par les dépliants des offices du tourisme. Il ressort un sentiment formidable de souci environnemental : l’accès y est strictement réglementé : pas de vélo, pas d’animaux, même un chat tenu en laisse y est proscrit. A Buguelès, soit nous poursuivons en boucle le Circuit des ajoncs jusqu’à Tréguier, en redescendant par Penvenan, Camlez, Lannion, Guingamp. Soit nous nous arrêtons quelque part pour dormir et l’on demeure sur le littoral, pour suivre la Côte de granit rose, qui prend le relais, avec ses célèbres rochers ronds, le lendemain dès l’aube !La route passe par Port-Blanc, les Dunes, jusqu’à Perros-Guirec, via la grande plage de sable fin de Trévor-Tréguignec. A Perros-Guirec, le GR 34, en 2h30, propose un aller-retour sur le Sentier des Douaniers, testé, accessible aux handicapés, qui invite à ne jamais quitter le chemin. En effet, la fréquentation de la Côte de granit rose a fini par perdre sa végétation et à souffrir de l’érosion (lire encadré). L’idéal est d’aller jusqu’au bout de la Côte de granit, à Trébeurden, et même à la Pointe de Bihit où une table d’orientation idéalement située, offre un panorama fantastique sur la région (anse de Lannion à l’ouest, Roscoff et l’île de Batz devant, l’île de Milliau (accessible à pied sec à marée basse), Perros à l’est), puis de revenir à Trégastel, pour l’île Grande et sa station ornithologique de Pleumeur-Bodou, et surtout la presqu’île Renote, qui offre sans doute –avec Ploumanac’h depuis la plage de Saint-Guirec-, le plus beau chaos de granit rose de cette superbe tranche de côte. À Ploumanac’h et ses Landes, coup d’œil sur l’île de Costaérès et son château. Longer la plage et emprunter le sentier des Douaniers, sur 5 km,  jusqu’à Trastréou, permet de découvrir, passé le  phare de Min Ruz, de micro-criques : Kamor, Laeron, Skevell, Rolland, et surtout les rochers célèbres aux noms évocateurs : la bouteille renversée, la tête de mort, les amoureux, le lapin, la sorcière, la tortue… Certains préfèrent la Vallée des Traouïéro, de Perros à Trégastel, par le Moulin à marées, plus bucolique, plus botanique aussi. L’une n’empêche pas l’autre. Un pique-nique et hop ! L’ensemble est réalisable dans la journée, et à un rythme contemplatif.

    L.M.

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    *Rouzic, Malban, Les Costans, Bono, l ‘île aux Moines, l’île Plate et Le Cerf. Départ en bateau depuis la plage de Trestraou (Perros-Guirec) pour le royaume incontesté des oiseaux marins –Fous de Bassan notamment-, et autres phoques gris.

     


    Erosion, mon beau souci…

    La Maison du (Conservatoire du) Littoral, associée à la commune de Perros-Guirec, idéalement située sur le Sentier des douaniers au départ de Ploumanac’h, s’emploie depuis dix ans, et avec succès, à protéger la Côte de granit rose, en particulier le Sentier des douaniers. Classé depuis 1946 au titre des Monuments naturels, il est emprunté par 800 000 visiteurs annuels : cela n’use pas que les souliers. C’est pourquoi nul ne doit s’écarter du sentier pédestre (interdit aux vélos et aux animaux de compagnie). Jadis, son absence a fait disparaître toute végétation. Elle est aujourd’hui protégée par des filets horizontaux en toile de jute, et des câbles tendus dissuadent de marcher hors sentier. Les résultats, palpables (l’herbe repousse !) ne doivent justement pas être palpés... Quatre permanents y veillent à longueur d’année, qui proposent également des expos sur la faune, la flore, l’archéologie ; et des balades commentées. Tél : 02.96.91.62.77
    ITINERAIRE
    Train depuis Paris-Montparnasse jusqu’à Paimpol, via Guingamp.
    Premier jour : prendre la Côte du circuit des ajoncs depuis Tréguier jusqu’à Buguelès en voiture, mais en la laissant le plus souvent possible pour emprunter un des nombreux sentiers pédestres qui longent le littoral. Second jour : Longer la Côte de granit rose depuis Perros-Guirec jusqu’à Trébeurden en voiture, puis la laisser à Ploumanac’h pour emprunter le Sentier des douaniers jusqu’à Perros-Guirec.

  • Presse-Papier

    medium_thumb_Sans_titre.6.JPGPolitis est aux abois et lance un appel (le polithon), pour rassembler un million d'euros avant la fin du mois.

    Preuve que la presse est vraiment malade...

    (Rendez-vous sur http://www.pour-politis.org/  Et pour les messages de soutien : pourpolitis@orange.fr).

    Libé lance son dernier (?) plan de sauvetage. Continuons de l'acheter chaque matin.

    Mais bon, Le Monde et le groupe Bolloré (Direct Soir) lancent le 6 novembre un nouveau gratuit, Info plus. Il me tarde de voir çà.

    Metro lance une nouvelle formule, fort de son assise enfin marquée.

    Axel Ganz va lancer son féminin, Jasmin.

    Mais le Français passe désormais plus de temps à lire la presse sur le net et achète par conséquent moins de journaux, surtout quotidiens.

    Qu'est-ce que je pourrais lancer, sinon des galets bien plats sur l'eau lisse pour faire le plus de ricochets possible?

    Je me le demande, ce soir.

    En revanche, si vous avez un (ou deux) million(s) d'euros à investir, je me pose comme rédac'chef, puisque c'est mon métier.

    J'ai des projets plein la tronche et de grands départs inassouvis en moi...

     
    et pour finir cette note, je vous recommande le blog DES LIVRES ET MOI http://deslivresetmoi.hautetfort.com/ 

     

  • En feuilletant Georges Henein

    Cerné, au même titre, par l'existence et par son éclipse. Cerné comme un visage qui usera désormais de sa fatigue comme d'un argument littéraire à l'égard de la vie.

     

    Bel horizon de lave refroidie, aux oiseaux stables, aux pas enchâssés dans l'immobilité suprême, dans le triomphe du manque d'avenir.

     

    Faire un de ces chemins humains qui se comblent d'eux-mêmes, qui vont, de mousse en repli, jusqu'à l'orgueilleux et ultime effacement.

     

    L'éventail du brouillard vient à peine de s'ouvrir. C'est le moment où tout peut se feindre, sans que rien puisse se nommer.

     

    Comment écouter quoi quand le qui n'est plus là, quand l'absence n'est personne?

     

    L'insistance de la vie se fait soudain légère. Un cerf-volant passe les cimes.

     

    Ce qui n'a pas été dit, ce qui a été soigneusement placé hors-circuit, ne se résorbe pas pour autant. Et ce qui ne se résorbe pas finit par constituer non pas du silence, mais un double du langage. Un langage retiré avant l'heure et qui s'alcoolise tranquillement dans sa cachette.


    ...Le délicat pourrissement des confidences refusées...

     

    Une fleur de silence cueillie sur le chemin des ténèbres intérieures.

     

    L'aube n'en finit plus de se lever dans un pays où il n'est jamais midi.

     

    La disposition amoureuse n'est pas une exigence de la vie, mais une forme de respiration, un principe d'ampleur.

     

    Il y a sur une certaine table

    un objet qui sourit à travers tous les sommeils du monde

    c'est un visage (...) jamais oublié

    un visage qui berce

    l'infinissable neige du souvenir...