Hot-Coldplay

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ON VA VOIR LA MER!..
palmes belges à talons-aiguille pour l'été
Perdido en el siglo
Je reprends le Zarathoustra dans une traduction nouvelle, poétique, simplifiée, plus proche de notre réel que de celui de Nietzsche (une nouvelle traduction ne vaut que pour ça : Montaigne, le Quichotte en sont de bons exemples. Les autres : Fitzgerald, Blixen, du marketing d'éditeur. Conrad, Rulfo, d'accord...). Et Z me scotche. Comme Baruch (Spinoza) me scotche chaque matin dans les toilettes (ptin, il ne nous épargne rien!). Situation guère enviable, au demeurant, car resté scotché là, empêche. Mais bon, L'Ethique, quoi...
Sous le pont Joffre glissent les cygnes
Et les colverts nous font le coup
Du canard sous le pont Joffre
Que le cou des cygnes ignore
Et la Marne s'en fout
Qui s'imagine, s'imagine...
Recette vite fait de mon ami Mano, Guadeloupéen.
"Tu coupes 3-4 gousses d'ail, fin. Tu prends du piment Antillais, du "Bonda Mam'Jacques" (aux effets bangala sur Mam'...), de l'huile sans goût, du sel , du poivre, le jus d'un citron vert, tu remues et tu laisses macérer un peu".
LES MOTS DISENT-ILS LES CHOSES?
Jamais peut-être Big Jim n'a été si profond, si grave. Est-ce l'âge? A l'instar des grands vins qu'il adore, et si je n'évoque que ses plus récents livres, il se bonifie sacrément depuis... La route du retour. En route vers l'Ouest fléchissait à peine ce nouveau cours dense et profond. En marge (ses mémoires) reprit la bride : un Harrison sûr de sa définitive et belle maturité revenait à nous. Puis il y eut le somptueux De Marquette à Veracruz. Voici Retour en terre. Beau à pleurer. A nous donner -presque- envie de laisser de côté l'inoubliable Dalva, Chien Brun et autres personnages des premiers grands opus (Légendes d'automne, La femme aux lucioles, Julip, etc) qu'il est bon de retrouver de temps à autre et d'un livre l'autre. Oui, Jim Harrison est un sacré auteur qui risque de nous devenir indispensable.
Voici, très banalement (mais elle dit bien les choses) la 4 de couv du bouquin :
Donald, métis Chippewa-Finnois de 45 ans, souffre d’une sclérose en plaques. Prenant conscience que personne ne sera capable de transmettre à ses enfants l’histoire de leur famille après sa mort, il commence à la dicter à sa femme Cynthia. Il dévoile ainsi, entre autres, sa relation à un héritage spirituel unique et l’installation de ses aïeuls dans le Michigan voilà trois générations. Pendant ce temps, autour de lui, ses proches luttent pour l’accompagner vers la mort avec la dignité qui l’a caractérisé toute sa vie.
Jim Harrison écrit sur le cœur de ce pays comme personne, sur le pouvoir cicatrisant de la Nature, le lien profond entre la sensualité et le spirituel et les plaisirs qui élèvent la vie jusqu’au sublime.
Lisez le dernier Harrison si vous ne voulez pas mal finir votre dimanche 24 juin
Variante : Chauves! Lisez Harrison, vos cheveux repousseront...
Photos volées (clic-clac!) en visitant l'Ermitage, à St-Pétersbourg. La Danse, d'Henri Matisse (à gauche). A droite, je ne me souviens plus très bien... J'aurais voulu photographier le Bateau à voile de Caspar David Friedrich pour ma fille, mais il y avait constamment quelqu'un à proximité. Pourquoi avons-nous irrésistiblement envie de "voler" des peintures avec nos appareils photo, en visitant musées et galeries?.. Question.
J'invite à faire un tour sur ce blog recommandable : c'est brillant, claquant, iconoclaste, érudit et vertueux. Un brin grincheux et anti pas mal de choses, dont les idéologies idéalistes et verbales (qui croient à la magie de la formule et à son immédiateté, donc qui ne se gênent pas pour jeter de la poudre aux yeux du peuple, façon Sophistes), mais c'est avant tout un excellent blog littéraire. La note sur le magnifique livre de Philippe Muray, Le XIXème siècle à travers les âges, entre autres exemples, est salutaire à bien des égards.
http://nouvellelanguefrancaise.hautetfort.com/
Son auteur se dissimule derrière un pseudo voltairien (Arouet le Jeune). Après la NRF, voici la NLF...
D'ailleurs, je l'ajoute à la colonne "blog amis".
A lire dans MAISONS SUD-OUEST, un superbe magazine de toutes les saveurs du sud, que pilote mon pote Fred Doncieux, depuis (Ô) Toulouse! Voici le début de deux reportages. La suite en kiosque (pour que vive la presse de bon goût). ¡Y suerte para todos!
LE PAYS BASQUE DE JEAN BRANA
" Si vous vouliez trouver son père Etienne, il fallait chercher son béret. Comme il ne le quittait jamais, même pour distiller sa poire d’anthologie et sa prune monumentale (que sa fille Martine distille avec une égale maestria), il était forcément dessous. Le problème avec Jean, c’est qu’il ne porte pas de béret. Comme c’est un Basque bondissant, il n’est jamais là où on l’attend, pressé de faire, bien, mille trucs à la fois. Et s’il y avait des isards sur les hauteurs de Saint-Jean-Pied-de-Port, Jean Brana serait leur chef d’espadrille. Jean a le feu aux sabots et s’il souffle, c’est pour laisser libre cours à ses plaisirs : sa famille (il a deux filles de 13 et 11 ans, Marie et Amélie), la chasse sa passion et bien sûr son travail de vigneron de haut vol qui a su, au fil des années, faire des irouléguy de la maison Brana l’une des premières locomotives de l’appellation. Adrienne, Madame mère, veille aux destinées de l’entreprise, Martine sa fille s’occupe des eaux de vie en conduisant les alambics avec autant de dextérité qu’un cocher de compétition un attelage de pur-sang et son fils Jean, donc, s’occupe des vins. Avec un professionnalisme qui force le respect et un savoir-faire qui force l’admiration de la profession et de la presse spécialisée depuis un bail. C’est en 1974 qu’Etienne crée la distillerie et en 1984 que, poussé par son fils, il crée le Domaine Brana. Aujourd’hui, ce sont 24 hectares parfois très pentus (65% !) autour de l’Arradoy, le mont qui domine la vallée, des hauteurs d’Ispoure à Bussunarits. C’est aussi un chai magnifique, bâti dans la plus pure tradition locale mâtinée du talent d’architectes en vue, domine la route. Sur le fronton d’une de ses portes, on peut y lire en basque : « Le chemin de nos ancêtres est un monument aux proportions grandioses d’espérance et de labeur...». LM (La suite en kiosque, avé les photos!)
HEGIA, LE DAGUIN TOUCH
" Il fut un temps où, à l’instar des crocodiles et du marigot, il y avait un Daguin de trop à Auch. Le célébrissime André officiait encore aux fourneaux de la maison familiale et le jeune Arnaud, fils de –au choix : D’Artagnan, « Alexandre » Daguin, le Commissaire « magret », comme on voudra, commençait à prendre une carrure de 3ème ligne des cuisines : ce gaillard-là ne déménagerait pas les pianos, il en jouerait. Surtout, il affirmait vite sa personnalité, mais restait pour beaucoup le petit Daguin. Le fils de. Donc Daguin hijo partit et posa son sac pas très loin, à Biarritz, sur les hauteurs de La Négresse ; aux « Platanes », en mai 1988. Après avoir accompli le tour de France réglementaire des grandes tables. Au fil des ans, Arnaud fit oublier son père tant son talent l’affranchit de toute tutelle. Une étoile au Guide Rouge consacra le travail d’un couple insécable : Véronique à l’accueil, son sourire désarmant et sa connaissance fine des vins du grand sud-ouest. Arnaud au piano, soliste virtuose ès terroir. Spécialité : Basque dans tous ses états avec réminiscences Gasconnes au sens large, mâtiné d’inventivité et d’un bon goût, au-delà des modes, qui s’apparente au tact. À la finesse. Gentleman-farmer, la cuisine d’Arnaud Daguin est à la fois généreuse et subtile. Son credo ? Obéir à la loi du marché –celui qu’il fait chaque matin- et aux saisons. Le macaron de la récompense tombe en 1993 et brillera toujours au-dessus des Platanes...". LM (La suite en kiosque!)
Il est, aussi, bon poète.
(…) « IL N’Y A PAS D’AMOUR
(Pas vraiment, pas assez)
Nous vivons sans secours,
Nous mourons délaissés.
L’appel à la pitié
Résonne dans le vide,
Nos corps sont estropiés
Mais nos chairs sont avides.
Disparues les promesses
D’un corps adolescent,
Nous entrons en vieillesse
Où rien ne nous attend
Que la mémoire vaine
De nos jours disparus,
Des soubresauts de haine
Et le désespoir nu.
Ma vie, ma vie, ma très ancienne
Mon premier vœu mal refermé
Mon premier amour infirmé
Il a fallu que tu reviennes.
Il a fallu que je connaisse.
Ce que la vie a de meilleur,
Quand deux corps jouent de leur bonheur
Et sans cesse s’unissent et renaissent.
Entré en dépendance entière,
Je sais le tremblement de l’être
L’hésitation à disparaître,
Le soleil qui frappe en lisière :
Et l’amour, où tout est facile,
Où tout est donné dans l’instant
Il existe au milieu du temps
La possibilité d’une île. »
©Michel Houellebecq, Le Temps. Le Cherche-Midi.
La peur du noir... La peur des All Blacks. Cette saisissante photo de ©Michel Birot, que je publie dans un hors-série rugby pour VSD (à paraître vers le 10 juillet), en dit long sur la prochaine Coupe du monde. Bonjour les bleus (avé un petit "b", té!)...
Je viens de remonter le courrier. S'y trouvait un folio : Trois jours chez ma mère, de François Weyergans, avec un bref communiqué de presse de l'éditeur, plié à une page. La 21 :
" Pendant la veillée funèbre, mon père reposait sur un lit que ma mère et moi avions fait le matin même avec des draps de lin blancs brodés. Je ne sais plus comment nous avions placé le drap du dessous, c'est encore moins facile avec un mort qu'avec un malade. Au moment de la mise en bière, je crus que ma mère allait s'effondrer quand les deux employés des pompes funèbres introduisirent sans ménagement le corps de son mari dans un grand sac-poubelle gris avant de déposer ce paquet dans le cercueil. "
Si le hasard existait, cela se saurait, me dis-je pour la énième fois...
Mon ami Louis Gardel (Fort Saganne etc) m'envoie son dernier roman, La baie d'Alger (Seuil). Ses accents camusiens y sont torrides, fréquents, justes. C'est du très bon Gardel. P.167, il emmène une fille à la plage, un Arabe passe devant eux exactement comme dans la scène du célèbre roman de Camus. Le garçon le désigne et dit à la fille : "C'est comme dans L'Etranger!". Mais l'effet tombe à plat car elle n'a pas lu le livre. C'est avec ce genre de déconvenues que l'on se retrouve seul, les pieds douloureux sur le sable brûlant. Je veux dire seul avec soi-même en dépit de la présence de l'autre et que (personnellement) je rêverais de sauter sur un étalon noir à la crinière vaporeuse et de fuir, oui tant pis : fuir!, au triple galop le long de la plage jusqu'à disparaître, baigné dans l'océan de mes cris. Plutôt que de rester faire la causette et dragouiller une fille à la peau de toute façon trop pâle...
Ceci est une note spécial-auto-promo. J'assume.
Les robes à volants préférées d’Orabuena étaient la noire à pois rouges, la noire doublée de soie rose et la blanche à broderies ocres. Trois robes d’un mimétisme taurin qui évoquaient une tornade lorsque Orabuena lançait un zapateo avec ses semelles qui s’achevait lentement avec les talons seuls, jusqu’à ce silence sonore, cette musique tue qu’évoque Rafael Alberti à propos du toreo :
Lointaine solitude sonore
source sans fin d’insomnie d’où jaillit
du toreo la musique tue.
©Léon Mazzella, Flamenca, roman, La Table ronde 2005. Pages 29-30.
« Au fond des retombées
de pollen, de poussière
odorante, marcher,
tout l'homme persévère
dans ce très vieil effort.
Ni relâche ni terme,
à l'endroit où la mort
sur l'homme se referme. »
Jean-Noël Chrisment, Pollen, Gallimard.
http://arpel.aquitaine.fr/spip.php?article100000559
"Je suis mort parce que je n'ai pas le désir;
je n'ai pas le désir parce que je crois posséder;
je crois posséder parce que je n'essaie pas de donner;
essayant de donner, je vois que je n'ai rien;
voyant que je n'ai rien, j'essaie de me donner;
essayant de me donner, je vois que je ne suis rien;
voyant que je ne suis rien, j'essaie de devenir;
essayant de devenir, je vis."
René Daumal.
il faut savoir nager dans ses propres larmes comme dans une rivière (dostoïevsky)
Voilà un poète que je redécouvre, ou plutôt dont je découvre l'âme sensible, amoureuse. Je ne l'imaginais pas, en lisant jadis Terraqué, Exécutoire, Spère, Paroi... -Autant de livres qui ne m'ont jamais renversé, capable d'avoir écrit (il est mort il y a dix ans) des poèmes d'amour prodigieux. Je viens de les trouver dans Possibles futurs, un recueil qui paraît ces jours-ci en Poésie/Gallimard et qui rassemble notamment Elle et Le matin... Le premier est un bouquet de poèmes d'amour très courts et bouleversants comme les derniers d'Eluard. L'envie d'en citer une poignée me chatouille. On n'imagine pas ce Breton fonctionnaire toute sa vie (il fut un spécialiste du contentieux fiscal), avec sa bouille de moine ou de nain de jardin, écrivant :
Elle peut aussi
Etre colère
Comme le ruisseau
Devient cascade.
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Elle est un besoin
Qu'a le mystère
De se manifester.
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Quand elle est là
L'ombre se fait pénombre.
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N'importe où elle marche
C'est son sentier.
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C'est en elle
Que les courbes
Trouvent leur perfection.
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Quand elle coule sur elle
L'eau retrouve son origine.
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Ses cils
Sont le souvenir
Des forêts originelles
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Ses seins gardent le secret,
En appellent
Au silence.
Ils ont ce qu'elle a
De plus planétaire.
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Fréquemment
Son regard
plaide ton innocence.
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Etc...
Ce ne sont pas des haïkus amoureux, mais des impressions. Des eaux-fortes. Quelque chose apparente ces poèmes fulgurants à l'esquisse, à la calligraphie, à l'estampe. A l'aube. Au silence. Au regard. Au matin des amants et à leur premier regard...
Bouleversant, oui.
Char dit que vivre, c'est s'obstiner à achever un souvenir. Et encore qu'il aime qui l'éblouit puis accentue l'obscur à l'intérieur de lui. Et aussi qu'il faut aller vers son risque. Air connu : Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s'habitueront. N'est-ce pas?.. Cela va de soie. Avec un petit "e" au bout, pour mieux leurrer la truite de l'existence. L'essentiel demeure dans la lucidité, cette éprouvante blessure la plus rapprochée du soleil, qu'un Napolitain éclairé (Erri de Luca) sait appréhender (L'Isle sur la Sorgue est plus au Nord, ou moins au Sud du méridien de Greenwich de l'âme poétique) : "Montedidio". L'été, la lumière avance toute fraîche à ras de terre et s'élève ensuite pour allumer un four au-dessus de la ville... On dirait L'Eté de Camus, quelque chose comme ça, du grillé. A la manière des insectes qui grésillent dans Giono ou dans Carrière son disciple. Les heures chaudes. Impossibles. Une visite à l'improviste dans leurs pages incandescentes. Rafraîchissantes, aussi. Bref, le Sud me gagne et cette fucking pioggia sur Paris me gave, cette nuit, car elle n'a rien à voir avec une gargoulette...
Benoît Jeantet, hédoniste dingo de rugby, de poésie et de gastro, me rend cet hommage, surpris sur la Toile ce matin tôt, et son blog s'appelle rugbymane : http://rugbymane.blogspot.com Son auteur (que je remercie -au passage- très chaleureusement pour sa note) le définit ainsi : "Ceci est le journal d'un malade de la chose ovale, devant apporter la preuve de l'apparition d'une nouvelle addiction "contractable" sur tous les prés du monde. C'est la vengeance de la pelouse. Entre nous on l'appellera "rugbymanie"...
D'ailleurs, le dernier numéro de l'élégante revue ATTITUDE Rugby (arrivé pile hier matin tandis que je matais des photos splendides avec son auteur Michel Birot, par ailleurs Rédacteur en chef de ce magazine) publie un extrait du blog de cet esthète de l'Ovale qui a plus d'une passion dans son sac.
Benoît Jeantet est un blogueur fou : il en anime deux autres : http://foodingpoesiesdujour.blogspot.com/ (poésie) et : http://papadebloguetotal.blogspot.com/ (allez-y voir!..).
Le Magazine Littéraire de juin offre un long entretien avec le plus grand écrivain français vivant. Avec "le dernier classique vivant". Cet homme que j'ai l'immense chance de voir de temps à autre chez lui à St-Florent-le-Vieil, en bord de Loire. L'entretien (avec Dominique Rabourdin) est lumineux. J'y ai retrouvé certaines confidences faites dans le salon de sa maison où il reçoit.
Un entretien éclairant, oui, sur sa foudroyante lucidité sur la Littérature, le monde tel qu'il (ne) va (pas) et demain, qui ne le verra pas. Son retour sur son parcours d'écrivain est également phosphorescent (Gracq est une luciole sur le chemin nocturne du marcheur égaré car trop rêveur) quant à son absence d'illusion sur l'oeuvre avec un grand O, le fameux work in progress... Gracq ? Le plus grand dilettante de génie que la terre de France ait porté depuis... Allez! Stendhal et Flaubert à match nul.
Extraits en forme de tapas (mise en bouche littéraire) :
... " Et qui font que les dates de parution de mes livres me donnent moins le sentiment d'une "carrière" que celle d'une maigre série échelonnée d'affaires de coeur, à laquelle l'écriture fragmentaire vient prêter à la fin par son tissu une relative consistance".
"La mort survient, un jour ou l'autre; quoique très proche pour moi (Julien Gracq aura 97 ans le 27 juillet prochain), sa pensée ne m'obsède pas : c'est la vie qui vaut qu'on s'en occupe."
(Photos : Gracq marchant en bord de Loire devant chez lui. Et "chez lui", rue du Grenier-à-Sel...)
L'expo qui lui est consacrée (car il aurait 100 ans le 14 juin prochain) à la BNF à Paris, est Extra-Ordinaire. Il est infiniment émouvant de lire le manuscrit de fragments qui nous portent depuis des kilos d'années, qui sont comme des bouées en cas d'avarie, des papillons contre les scaphandres (allez voir le film tiré du très beau texte de Jean-Do. Bauby, au passage : Le Scaphandre et le Papillon) des visas contre le désenchantement du monde...
Aujourd'hui me voit vêtu de Char, irrigué même. Avec ses poèmes dans les veines.
La journée a commencé parmi les magnifiques photos de Michel Birot, en noir & blanc, sur le rugby (pour un hors-série "boulot").
Elle se poursuit dans l'éclair durable de la poésie magnétique de Char.
Et s'achèvera dans la relecture au hasard de Proust. Parce qu'il faut retourner à Proust au hasard, comme on retourne au Journal de Jules Renard et à un bistro élu de notre coeur dans le quartier où l'on vit. Au hasard, Balthazar?..
Lu, ventre noué, cœur dévasté, peau traversée par le vent d’une interminable chair de poule, dents serrées, 59 préludes à l’évidence, d’Arnaud Oseredczuk (Gallimard) cité dans une note récente.
En voici quelques extraits marquants.
Ils disent la difficulté de l’amour, comme la plupart des livres depuis Sénèque et Ovide, n’est-ce pas ? Mais il est des lectures qui nous marquent davantage, en certaines circonstances de notre vie. La nuit dernière, un rêve m’a réveillé : j’avais de longues, grandes échardes comme ces épingles à cheveux en bois sombre ou en corne, plantées dans la main à la manière d’un clou dans la paume d’un crucifié, une autre dans la plante du pied gauche, une autre encore dans la cuisse. Je les ôtais facilement, sans douleur. Elles charriaient des extraits de végétaux, de bois et je craignais seulement une infection. Ma peau meurtrie se refermait pourtant comme l’eau après le saut d’un poisson. Rond. L ‘évidence de ce rêve ? Les échardes –étaient - ce livre, lu hier soir.
Voici donc quelques extraits transperçants.
« Enfin elle m’est donnée, l’évidence…
…Comme je me penche sur elle pour lui répondre, mon visage s’abat comme une aile dans le creux de son cou, et ma bouche où glissent ses cheveux emmêlés, divague de son oreille nue à ses lèvres pas tout à fait closes…
… À l’étage d’un restaurant où se propage Cosi fan tutte, c’est à peine si nous pouvons manger, tellement nous ravage une autre faim…
…Chez elle il fait une chaleur de forge sous notre peau, quand nos caresses s’entêtent et se précisent. Et voici que se tresse, dans l’osier de nos doigts, un petit panier plein de miracles. D’elle penchée sur moi, qu’oserais-je dire qui ne trahisse pas ses cheveux libres, ni l’offrande de ses seins, ni la tendresse que m’ont versée ses yeux intarissables.
Son grain de beauté noir, elle sait bien. Et ma main droite pour sceller son sommeil, bien calée sous son sein gauche. Et le matin, cette très grande paix sans conquête ni victoire, ineffaçable comme tout ce bleu carillonnant contre le ciel de Vaugirard, comme dans ses cheveux ruisselants le parfum de l’évidence.
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… Puis elle me dit, prends-moi dans tes bras. Plus facilement que nous nos corps se retrouvent et s’épousent. Mais elle insiste entre nos baisers, elle ne sait pas, elle a besoin de temps…
Chez elle elle veut bien que je reste dormir, mais en tout bien tout honneur Au lit elle se blottit contre moi, et de nouveau ma main droite pour sceller son sommeil. Moi comment saurais-je dormir ? Plusieurs fois mon insomnie la réveille, alors elle serre doucement ma main entre ses doigts, avec un sourire las…
…le fagot de nos membres ligotés par l’amour...
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…Enterré vivant dans mon amour je murmurais pour moi-même, absurdement : au bas de ma vie, tu recueilles mes eaux. Ou mon regard glissait sur ses jambes, sur ses seins moulés dans son pull à côtes, et je songeais, incrédule, que j’avais eu brève licence sur tout cela…
...Je connnaissais des rémissions. Echangeant trois mots avec elle, ça va et toi, je m'étonnais tout à coup de ne rien sentir...
…D’autres fois il faisait beau, le souffle de la jeunesse gonflait ma poitrine, et j’allais par les rues solaires et les jardins, ivre du ciel bleu et de voir les filles si belles, et parfois l’une d’elles à mon passage rectifiait dans l’éclair d’un regard l’ordre impeccable de ses cheveux…
Et ces lignes à leur tour auraient renoncé à capturer l’insaisissable, comme à béatifier le souvenir de son frôlement. Elles parviendraient tout juste au seuil de cette voie encore hésitante : s’évaser, se vider, s’évider. Afin que sans obstacle traverse l’évidence, comme le souffle irrigue la flûte, et fait jaillir au passage la joie imperfectible du chant. »
©Gallimard 1998
Je tombe par hasard (s'il existe, mais je ne l'ai jamais pensé) sur celle-ci et je reste en arrêt comme un setter devant une bécasse.
Le livre? "59 préludes à l'évidence", d'Arnaud Oseredczuk (Gallimard). Connais pas.
La voici :
"Son grain de beauté noir, elle sait bien. Et ma main droite pour sceller son sommeil, bien calée sous son sein gauche. Et le matin, cette très grande paix sans conquête ni victoire, ineffaçable comme tout ce bleu carillonnant contre le ciel de Vaugirard, comme dans ses cheveux ruisselants le parfum de l'évidence."
J'en reste là, incapable de bouger, les yeux fixés sur ce court extrait, qui me renvoie au bonheur enfui, à la mort, au goût si amer de ce que nous n'avons pas su retenir dans notre trop courte vie jalonnée de si peu de bonheurs, au fond. Trop secoué, les larmes montent en moi du fond du néant. Je lirai ce livre demain. Pas avant. Peux pas...
Si je fais part, ici, de cette émotion (qui m'a littéralement étreint ce matin) c'est parce qu'elle est capable de toucher chacun de nous.
Que peut la littérature? Ca, justement. Et c'est bien assez. Je l'en remercie chaque jour, pour cela qu'elle (me) donne...
La littérature, c'est l'Universel moins les murs (je renverse l'une de mes phrases fétiches, que nous devons à Miguel Torga : "L'Universel, c'est le local moins les murs" et que je me plais à citer souvent). L'émotion c'est la littérature moins les murmures, l'Universel c'est la littérature sans les larmes; etc.
Carmen est de plus en plus belle. Picasso l'a magnifiée puissamment. Il disait : La peinture est plus forte que moi, elle fait ce qu'elle veut de moi, ou quelque chose approchant. La peinture gagne ainsi sur la musique (l'Opéra funèbre de Bizet) et sur la littérature (la nouvelle de Mérimée). Le mythe à la peau fine et mate, dure. Carmen signifie charme, en Espagnol. Ce portrait (repris pour l'affiche de l'émouvante expo qui se tient au Musée Picasso, rue de Thorigny, Paris
3ème) le confirme. Précision : il ne s'agit pas d'un Picasso, mais d'une carte postale brodée dans le plus pur kitsch Madrilène des grandes années, signée Esperon et intitulée Femme à la mantille. A chacun sa Carmen. Et celle de Picasso, c'est plutôt dans le registre accouplement de Dora et du Minotaure (à droite) qu'il faut aller la chercher, je crois...
...Pour faire un "lien" sur son blog! Pfff. Bon, allez sur celui-ci, qui vient d'ouvrir, sauf si vous n'êtes pas amateur de cigares, bien sûr...
http://cigart.hautetfort.com
"D'abord, l'impudeur. L'obligation de bafouer toutes les règles de la discrétion : fouiller dans les papiers personnels, ouvrir les sacs à main, décacheter et lire du courrier qui ne m'était pas adressé. Transgresser les règles élémentaires de la politesse à l'encontre de ceux qui me les avaient enseignées me blessait. L'indiscrétion m'était étrangère..."
Lydia Flem, Comment j'ai vidé la maison de mes parents, Seuil.
Un livre qui me taraude, surtout les week-ends où je descends à Bayonne pour continuer de vider la mienne, impregné que je suis alors de ces étranges sensations-là...
Il y eut d'abord son geste faible du bras droit -l'autre était depuis plusieurs semaines saisi par la paralysie- pour retenir la vie, pour dire des mots, les derniers, avec les doigts. En avancant ce bras. La parole ne montait plus. Les lèvres restaient closes. Le regard était droit. Dur. Mais comme la volonté, l'expression, la franchise intérieure peuvent l'être. Tout son être, le concentré de son existence se trouvaient là. Au bout de ce bras, de ces cinq doigts qui tremblaient vers moi. Au bout de ces deux yeux, que quelque chose de funeste commencait de voiler légèrement. Soie.
Je saisis sa main. Il soupira lentement. Très lentement. Je sus qu'il était en train de me dire les choses essentielles. Tout ce que la vie qui s'échappe fait monter du coeur, du ventre, de la gorge, de nulle part. De partout. Comprenne qui le vivra.
Il y a des textes de 4ème de couverture qui donnent immédiatement envie d'entrer dans le livre qu'elles résument. Celui-ci par exemple Philosophie de la corrida, qui paraît chez Fayard :
(...) "Parce qu'elle touche aux valeurs éthiques et qu'elle redéfinit l'essence même de l'art, la corrida est un magnifique objet de pensée.
La corrida est une lutte à mort entre un homme et un taureau, mais sa morale n'est pas celle que l'on croit. Car aucune espèce animale liée à l'homme n'a de sort plus enviable que celui du taureau qui vit en toute liberté et meurt en combattant. La corrida est également une école de sagesse : être torero, c'est une certaine manière de styliser sa vie, d'afficher son détachement par rapport aux aléas de l'existence, de promettre une victoire sur l'imprévisible. La corrida est aussi un art. Elle donne forme à une matière brute, la charge du taureau; elle crée du beau avec son contraire, la peur de mourir; elle exhibe un réel dont les autres arts ne font que rêver.
Sous la plume jubilatoire de Francis Wolff, on découvre ce que Socrate pensait de la tauromachie, que Belmonte peut être comparé à Stravinsky, comment Paco Ojeda et José Tomas fondent une éthique de la liberté et pourquoi Sébastien Castella* est un virtuose de l'impassible..."
*(photo).
A BOUT DE SOUFFLE, par exemple. Soudain (forcément soudain) Belmondo cite Lénine : "Nous sommes des morts en permission". Paf! Plus loin, il feuillette Abracadabra, de Maurice Sachs (Gallimard 1952). J'aime prélever ces signes de piste à la pince à épiler lorsque je revois un film. Va comprendre!..
Les jolies jambes de Jean Seberg
Dans l'édition Paris Ile-de-France du Nouvel Observateur daté du 10 au 16 mai, à la page "Expo" de Bernard Géniès, je lis ceci :
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Marine Mazzella
Tandem 10, rue de la Butte-aux-Cailles (13è); 01-45-80-48-04. Jusqu'au 31/5.
Une quinzaine d'images de cette jeune photographe, qui ne se sépare jamais de son appareil numérique, prennent place dans ce bar à vins du haut de la rue. En noir et blanc ou en couleur, ses instantanés parisiens frappent par leur humanité ("la Vieille Dame qui toréait les pigeons") et un réel talent pour les cadrages impeccables.
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Si vous êtes de passage sur la Butte (aux Cailles, Paris 13ème), allez-y de ma part. Nico et Philou vous accueilleront avec un verre de blanc sec ou de rouge judicieusement choisis.
Peinture de Roger Chapelet,
peintre de la Marine.
Première expo des photos de ma fille Marine.
Certaines sont parues sur ce blog.
Le lieu : TANDEM (excellent bistro tenu par les frangins Nico et Philou)
10, rue de la Butte-aux-Cailles, 75013 Paris. M° Place d'Italie.
Vernissage lundi 30 avril à 19heures
Expo du 1er au 31 mai.
Plusieurs d'entre vous ne parviennent pas à naviguer sur le site des Etonnants voyageurs et ne trouvent donc pas ma tribune "La littérature a de l'asthme". Il suffit pourtant de copier le lien (en vert) de la note précédente, ou bien, une fois sur le site : www.etonnants-voyageurs.net , d'aller sur l'onglet "Saint-Malo", puis de cliquer sur "Manifeste". Et enfin de cliquer sur mon nom. Bonne lecture. J'attends vos réactions ici. L.
Le site de l'écrivain et éditeur Michel le Bris et de son magnifique Festival des "travel-writers" "Etonnants voyageurs", lequel se tient chaque année (fin mai) à Saint-Malo, publie cette semaine mon texte "La littérature a de l'asthme", en réaction au désormais fameux "Manifeste pour une littérature-monde" (paru il y a peu en Une du "Monde des Livres")...
Voir le site www.etonnants-voyageurs.net/spip.php?article1668
Soulages au Musée Fabre de Montpellier
http://parisobs.nouvelobs.com/p319_2212/articles/a337881.html
Le Musée d'art contemporain de Sérignan, près de Béziers
http://parisobs.nouvelobs.com/p319_2212/articles/a337883.html
« Il faut cultiver son jardin »
J'ai piqué sur un blog littéraire recommandable (oui! il faut lire et relire Olivier Larronde!),
le blog de Boulon
(http://profdefrancais.hautetfort.com/),
cette singulière illustration.
Il n'y a pas de seau métier, dirait ma grand-mère...
Comme souvent, je clique sur "Nouveaux blogs mis à jour" pour voir ce que les autres expriment sur leur blog. Là, il y a 2 minutes, j'ai cliqué sur http://lesitedemamere.hautetfort.com/ et je me suis posé la question : es-tu devenu ringard, léon, au point d'être un chouia choqué par un tel propos? Ou bien n'as-tu pas compris qu'il s'agissait du second degré, d'un qui joue avec Oedipe sans aucun complexe? Bref, il y a parfois, dans la blogosphère, d'étranges expressions. Mais passons...
Voyageur, dans non n° 1, publie donc ceci. Il manque les dessins de Catherine Delavallade!.. Pour les voir, rendez vous au kiosque à journaux le plus proche.
Voici un bouquet de fragments extraits du long « Journal du Yémen », écrit sur place par Léon Mazzella au fil des rencontres avec des paysages et des êtres ; au fil des jours. Impressionniste, cette éphéméride sans date procède par touches pointillistes. La forme choisie lui a semblé la plus appropriée à un récit de voyage dans un pays imprégné de délicatesse et de subtilité.
*
Toutes les poches en plastique qui volent au vent comme des mesquites dans le désert d’Arizona, sont noires par ici. Encore les femmes ! La couleur !
Hadramaout (je ne me lasse pas de prononcer ce nom à voix haute : hhadrramoutt’ ), région de Wâdî Do’an, entrée dans le Daw’an vers midi.
Cet âne bâté d’herbe très verte, avec une femme en noir derrière, assise sur l’extrémité de la croupe pointue de l’animal.
A Al-Hajarayn: les deux falaises (al-hajjara : le rocher). Déception, à la dégustation. La réputation de meilleur miel du monde (celui du Yémen en général) semble usurpée.Zénith : même à l’ombre, le feu du chalumeau de chems, le soleil, plombe les neurones.
Un dromadaire dans un pick-up 4x4 : la synthèse du désert.
Les hommes attendent . Les femmes travaillent ou bien demeurent derrière leur voile et leurs murs, lesquels sont un voile moins sûr.
Deux jeunes bergères en noir avec le chapeau en osier pointu, le makhl, et le visage caché par de superbes masques noirs et brodés, percés de deux fentes en amande pour leurs beaux yeux noirs. Elles avaient le bras replié, la main en arrière près du visage et un caillou dans la paume. Etait-ce pour nos appareils-photos ? Ou bien pour guider leur troupeau…C’était deux panthères noires à l’œil de lionne ; prêtes à bondir, masquées, dentelées.Je n’ai lu qu’une chose dans leur regard, en un éclair : leur fierté.
Ces encadrements de fenêtre, en bois, figurent les silhouettes des femmes en noir qui marchent par deux (comme les hirondelles de la maréchaussée, chez nous, dans les dessins désuets de Bellus que publiait « Jours de France » dans les années 70…).
Il y a, par ici, un paysage qui évoque autant l’Amirauté du « Rivage des Syrtes » de Julien Gracq, que le Fort Bastiano, du « Désert des Tartares », de Dino Buzzati. Les plateaux désertiques sont ponctués de forteresses en ruines. On imagine vite des soldats plongés dans une attente centenaire, professionnelle, une attente héritée, une attente lourde comme le silence, un silence écrasé par un soleil implacable. Un silence lourd comme l’attente lourde comme le silence…
Les hommes accroupis, assis ou allongés, attendent. Ils sont à l’ombre et leur vie semble rythmée par les rites de la prière, du narguilé, des dominos et des discussions interminables.
Ils boivent du thé. Mais qu’attendent-ils vraiment ? Attendent-ils seulement ?…
Certains petits villages sont serrés en bouquet comme des boutons de rose (des sables).
Mais l’image de la rose des sables est davantage présente dans leur manière de disposer les tuiles en argile (en quinconce) pour les faire sécher.
Cet après-midi, après un somme dans le funduk du village de Badha où nous passerons la nuit, nous avons traversé une palmeraie sèche comme un coup de trique, mais pourvue d’un antique système d’irrigation qui n’attend que l’eau pour vivre. En sortant de la palmeraie, nous avons visité un village bâti à flanc de montagne (que je baptisais Chabadabada : face à Bâda, en yéménite gascon). Les hommes, lascifs sur le parapet-rue, semblaient peu habitués à voir des étrangers. Impossible de boire du thé : il n’y a aucun bar. Les villageois utilisent le rouge vif pour peindre le pourtour de leurs fenêtres, comme des bouches grandes ouvertes sur une photo de choristes (la bouche) en chœur. D’autres (cadres de fenêtres) sont vert cru. Deux maisons sont blanches et zébrées d’ocre. Les zébrures figurent des palmes. Il paraît que ce sont des maisons de gens riches ou d’hommes politiques (s’enrichit-on en politique sans devenir zébré ?).
L’appel à la prière jaillit régulièrement des haut-parleurs disposés aux quatre-vingt-dix coins des villages.
Nous buvons un thé aux clous de girofle et à la cardamome préparé par nos guides. Une graine de cardamome est pressée entre deux doigts avant d’être mêlée au thé qui s’agite déjà dans l’eau bouillante. Quelques clous de girofle se trouvent dans le sachet qui contient la cardamome : ils la parfument ainsi, à peine. Sinon, nous nous croirions tous chez le dentiste…Le galop d’un dromadaire possède une grâce qu’aucun cheval ne peut dispenser, en raison du port de son cou (plus que de sa tête) et aussi pour la longueur et la finesse de ses pattes. Au galop dans un mirage de chaleur, ils ressemblent aux éléphants de Dali dont les pattes s’allongent comme des échasses étirées par un confiseur spécialiste du berlingot de foire.
Départ de Bâda pour la côte Sud, dans le Golfe d’Aden. Destination : Bîr’Alî.Pause-thé dans un village, Haoreiba, sur une route montagneuse.Le regard d’une petite fille à côté de son père qui joue aux dominos avec trois autres hommes. La beauté de cet homme maigre, au cheveu lisse et brillant, indien, aux yeux maquillés de khôl, placide et silencieux. Il observe ses amis jouer, accroupi comme jamais je ne pourrais m’accroupir, à une distance respectable de la table sommaire de jeu.
Le poissonnier qui débite du thon frais. Un autre qui vend de petits squales séchés et noirs de mouches.
Beaucoup de femmes en noir, très jeunes, au regard toujours aussi fascinant. Et toujours ce mystère de leur corps dissimulé qui excite l’imagination, et qui possède une charge érotique bien supérieure à celle du corps d’une femme entièrement nue.
Cette partie du Hadramaout est selon Modjahed, peuplée en majorité d’homosexuels. Nous n’en voyons aucun : soit ils sont tous morts (ils auront été lynchés ou sabrés en place publique), soit ils se cachent bien ; et on les comprend.
Et tout à coup, en haut de cette route de montagne, surgit le désert. Nous sommes arrivés au faîte de ces énigmatiques falaises d’argile qui nous entouraient depuis deux jours et dont nous devinions le relief plat comme la main. Aussitôt, la sensation du désert nous a envahis. A la première courbe, la vue est vertigineuse, sur les palmeraies et les villages des vallées que nous venons de traverser.
Ces canyons évoquent irrésistiblement les attaques d’Apaches de notre mémoire cinéphile.
L’étrange vie de ces Arabes du désert, qui ne sont pas nomades, mais dont on se demande de quoi ils vivent, dans ces hameaux construits au milieu du néant (à première vue). Enigmatique. Lunaire, même.
La robe noire des femmes du Hadramaout, c’est leur prison portative.
Retour sur l’image des ongles. L’angle. L’ongle.Un bloc de maisons étroites et hautes (impossible –normal- d’écrire immeuble) sur un rocher, dessine une main aux doigts joints dont les terrasses, parfois blanchies, seraient les ongles.
Le Yémen est composé de maisons-doigts dressés, de villages-mains
LM
C'est un nouveau magazine de voyages, top luxe, raffiné, qui est paru samedi en kiosque. "Voyageur". Dans ce n°1, j'ai publié un carnet de voyage au Yémen, illustré de dessins de mon amie Catherine Delavallade, ainsi qu'un reportage sur la fleur de jasmin en Tunisie. Feuilletez, c'est classieux, d'un beau format et la maquette est élégante.
Bayonne, bleue ce matin comme l'aile d'un geai. Strié de traces d'avions, le ciel est doux à caresser. White, le chat, dont la fourrure noir (jais) luit, ronronne près de moi. Café brûlant dans le jardin. Un rouge-gorge tente d'éjecter un merle de sa querencia. "Sud-Ouest" n'est pas dans la boîte aux lettres et cela ne me manque pas. Les parfums capiteux de la Nive proche enivrent l'atmosphère. Les arbres sont nus et ma mémoire pleine, dans cette maison des souvenirs de quarante ans. Aucune glace n'a pourtant de tain, et la patine ne s'est pas encore faite à l'angle des meubles et des murs. Quarante ans, ce n'est rien. C'est la fuite qui est lourde. Et l'absence qui prend parfois le poids d'un supplice. Aucune ne s'évalue en chiffres. Pas même en matière : plume, plomb... Elles sont. Là. Cohabitent. Portent un sourire beau et désarmant, qui rend la mort acceptable. La disparition soyeuse. J'appelle cela la classe, ce matin.
Il re-pleut sur Paris (original, nan?..). Le fantôme de la clope (lire "Voile de carotte", ante) est revenu... Donc, s'il re-re-pleut, il reviendra-re(re). Alors je l'ai re-shooté, mais bon...
En plus, il a failli se faire écraser, le con!
Sinon, le dernier livre de Kauffmann (la maison du retour, Nil) sur l'acquisition de sa maison de la Haute-lande, au retour de 3 ans de captivité, est une merveille : plus ça va, plus il écrit dense et concis, serré et fort, Jean-Paul. ¡Aplausos!
"Sur toute chose la neige a posé une nappe de silence.
On n'entend que ce qui se passe à l'intérieur de la maison.
Je m'enveloppe dans une couverture et je ne pense même pas à penser.
J'éprouve une jouissance animale et vaguement je pense,
et je m'endors sans moins d'utilité que toutes les actions du monde."
"je suis un gardeur de troupeaux.
Le troupeau ce sont mes pensées
et mes pensées sont toutes des sensations."
Vous reconnaissez ces types?
Ce sont des bandits!
Des bandits de parchemin!
Des dandys de grand chemin.
Mais sans eux, je ne peux pas vivre.
Ou si peu, si mal, si creux.
Bon, j'en ai collé une dizaine, j'aurais pu en ajouter douze ou vingt-quatre de plus, qui m'accompagnent aussi sûrement qu'un ami, des chaussures de randonnée, une carte routière, une autre du Tendre, une femme, même, parfois... Oui, la littérature est puissante! Ces dix là, sont, de gauche à droite : René Char, Julien Gracq, Arthur Rimbaud, Ernest Hemingway, Marcel Proust, Gustave Flaubert, Guillaume Apollinaire, William Shakespeare, Jules Renard, Stendhal. Soit le minimum vital. Ajoutez, sans la photo : Cioran, Cervantès, Ponge, Perse, Henein, Conrad, des Forêts, Simon, Blondin, Cendrars, Quignard, Harrison, Neruda, Blanchot, Derrida, Leiris, Torga, Hamsun... Stop it!
www.rsf.org
Reporters sans frontières
Pour la liberté de la presse, des stars, avec le studio Harcourt, s'engagent.
Alors achetez le dernier album photos de RSF et donnez ainsi un peu de vous, avec quelques euros, pour la liberté de la presse dans le monde.
Casta, Bouquet, Bardot.Trio de choc.
Lydia Flem ("Comment j'ai vidé la maison de mes parents"), poursuit avec un talent et une émotion égales, son travail -universel- de deuil de ses parents, avec "Lettres d'amour en héritage" (Seuil, comme le précédent). Voir mes notes des 9 et 11 décembre, intitulées Orage émotionnel et Les extraits. C'est d'une pudeur extrême et d'un amour infiniment grand. Le livre retrace la vie de ses parents disparus, à travers trois cartons de leur correspondance amoureuse, depuis les débuts, que leur fille (l'auteure) découvrit, en vidant la maison, une fois orpheline... La tendresse résume ce livre précieux. Il n'est pas innocent que l'écriture soit devenue, très tôt, le terrain de jeu de l'auteure, puis que celle-ci ait fait profession de psychanalyste. Par bonheur, ces deux livres sont exempts de théorie, mais emplis, au contraire, de sensibilité à vif -mais douce, comme ces napperons brodés que nous avons tous vus dans les mains de notre mère, tandis qu'elle les rangeait avec un soin particulier, alors qu'ils sentaient encore le "chaud" du fer à repasser, sur une étagère d'une armoire, quelque part dans une pièce de la maison familiale...
une perle parmi cent : "le corps de la mère, c'est la première géographie, le pays d'où l'on vient".
Quelques vues volées, par ma fille, avec son petit Nikon numérique, au hasard des rues, des plages, des jardins, des planchers et des vitres. Partage...
Photos : © Marine Mazzella di Bosco.
1- Les Bancs des Jardins du Luxembourg.
2- La Vieille dame qui voulait toréer les pigeons avec un sac plastique et de la poussière de pain.
3- Les Marches de Lacanau-Océan valent bien celles de Cannes.
4- Autoportrait au chignon.
5- Le Scaphandrier allumé sur le trottoir.
6- L'Apéro allongé-boisé.
Le dernier roman de Philippe Besson, Se résoudre aux adieux (Julliard), est un bijou de tact, de retenue, de clairvoyance psychologique, et d'analyse d'une rupture. Besson a choisi le roman épistolaire à une voix (elle lui adresse des lettres auxquelles il ne répond pas), pour dire une douleur et un silence, une fuite et une remontée à la surface de la vie, et cela permet au texte d'être plus bouleversant encore. Une réussite, en somme, sur un sujet affreusement banal, donc délicat à traiter.
J'ai piqué cette superbe photo sur le blog de [chooseaname]. Merci à son auteur.
C'est le titre d'un premier roman, signé Sylvie Aymard. Publié sous la casaque Maurice Nadeau, c'est un gage de qualité et donc de confiance en la littérature, vraie, celle que ce découvreur a toujours su flairer avant les autres, à la manière des petits clubs de rugby des Landes qui révèlent de futurs internationaux et qui se les font piquer rapidement par de plus gros clubs... (Houellebecq en est le dernier exemple). Maurice Nadeau est un éditeur-pépinière. Ce roman n'échappe pas à la règle, à bisto dé naze. Je l'ai lu d'une traite, hier matin devant la cheminée, en Corse. Et ce fut le bonheur de découvrir une musique, un ton, un humour, une force à dire le terrible, une dérision "uppercutante", un regard sans concession d'enfant sur les adultes, un regard d'adulte vitrioleur sur "le goût des autres" adultes infatués, une mélancolie amoureuse sans faute de goût, ni de style, une pudeur juste pour dire l'état amoureux et la sexualité vaine, parfois. La mort, enfin. Et la nature aussi. Enfin,... J'aimerais avoir là, tout de suite, son second livre. Mais l'a-t-elle seulement écrit?..
...En janvier, c'est pas mal non plus.
Reportage autour du maquis à paraître bientôt.
Se promener en Champagne (ce matin), et chercher les vignobles dans la plaine morne. Finir par trouver, pouf! un océan de vignes. Déguster un rosé à la bulle infiniment fine, un peu plus tard. Se promener en forêt de Compiègne, à l'aube de cette année, et chercher des cerfs. Ne voir que des milliers de palombes, des nuées grises qui virevoltent à la cime des hêtres. Et tout à coup, l'esprit résigné, sur le chemin du retour qui fend la fûtaie comme le ciseau du couturier, ou la proue la rivière calme, apercevoir trois cerfs majestueux, princiers, qui passent lentement, au pas, avec la douceur d'un mouchoir de soie qui s'échappe de la pochette d'un élégant. Marcher dans les marais et penser bécassine. Y être surpris par un chevreuil qui aboie de frayeur (et de colère?), le feu aux pieds, en voyant l'homme que je suis. Instants volés entre deux aller-retour à Paris. La nature, par petites bouffées bronchodilatatrices, a la saveur d'un rocher Suchards ouvert lorsque l'envie de l'ouvrir est forte. Son effet-ventoline opère immédiatement. Demain, c'est l'extrême sud de la Corse qui m'attend. Le domaine de Murtoli, ou de la vallée de l'Ortolo, de mon ami Paul, à deux pas de Sartène et Porto-Vecchio. Quatre jours de bonheur en perspective un peu cavalière; j'avoue. Pour un reportage de lujo. Et alors!..
Le journal (daté du 5) publie une lettre que je lui ai adressé il y a trois jours, et qui figure partiellement sur ce blog (voir : la lutte continue, camarade), sous le titre Privilèges de classe (page 15). Je m'étais dit : à la réflexion, un truc aussi scandaleux mérite une audience autre que ce blog. Et hop!
Il n'y a que ce scotchant de Saint-Augustin pour me détourner, quelques instants, quelques instants seulement, lorsque je feuillette (presque clandestinement, je veux dire à l'insu de moi-même, comme dirait Virenque -et de mon plein gré) ses Confessions, de l'Athéologie dont je commence à faire profession de Foi. Eclairé en cela par Michel Onfray, c'est vrai, je "confesse", et par une relecture scrupuleuse de Nietzsche. Y compris (depuis hier soir, du Nietzsche d'Onfray -un écrit de jeunesse non renié, et c'est tant mieux). Mais St-Augustin a du punch, bon sang! Sa Création du monde et le Temps, par exemple, et son Ciel et la Terre me stupéfient. C'est fort, et en plus c'est beau... Shit, quoi!
J'ai de la chance ! je relis du Léon Mazzella.... Je ne lis pas beaucoup, je n'y parviens pas, le silence de la lecture refait vivre mes vieux démons... Cet écrivain c'est un vrai personnage. Il a ses forces et ses faiblesses. Comment a-t-il fait pour écrire de si belles mélodies ? il doit s'échapper souvent, sortir pour vivre avec ses "voisins", s'attabler avec eux, manger, boire... simplement sans négocier ! juste écouter... pour ensuite s'isoler, s'enfermer en étant fermé, appliqué, obstiné, rivé à son petit bureau, face au mur, couper de la vie, et remplir comme un élève acharné des pages de cahier avec l'assiduité d'un Antoine Blondin. Les fou des mots, c'est toujours sans récréation, pas de distraction avant d'avoir écrit la dernière phrase du livre commencé ! Et il a la douceur d'un vrai conteur à la manière d'un Marcel Aymé... Pour pouvoir raconter, pour avoir à raconter, il doit "piller", en toutes circonstances et en tous lieux, observer, scruter, écouter, un renard dans le poulailler du quotidien. Ses razzias ont nourri sa langue d'écrivain. Un voleur de gestes et de mots, un collectionneur de caractères, un receleur de comportements et de phrases, un gobeur des dialogues et de répliques. Rien de ce qui passe à sa portée ne lui échappe. Ses mots sont gorgés de cette vie qu'il engrangeait jour après jour qu'il doit "recracher" sur ses cahiers à carreaux. Rigolards ou nostalgique ? Discussions de maquignon ou propos spontanés. L'alternance de cette grandeur et de ces subtilités fait de lui un spécimen à part : un écrivain-personnage.
que
2007
vous soit
sauvage
et belle
Un attentif m'indique ce site , "La Buvette des Alpages", http://www.loup-ours-berger.org/, à l'instant : j'en reviens.
Il y est question (c'est en première page, dite "d'accueil", en descendant un chouia), d'un article que j'ai publié dans Le Monde, en octobre 97!.. qui s'intitulait : "Un homme n'est pas un ours", et qui suscite encore des réactions. (A l'époque, j'avais même reçu une soixantaine de lettres, certaines de félicitations, mais beaucoup d'insultes, et de menaces, dont trois de mort, toutes anonymes bien entendu, émanant de ceux que je nomme les "khmers verts"...). Celle-ci date d'avant-hier. Elle est gentiment fielleuse, et avant tout caricaturale jusqu'au sourire (merci à l'auteur de ces "commentaires" sur mon papier, haché façon steak tartare, de me l'avoir procuré -ce sourire).
"J'adore les huîtres : on a l'impression d'embrasser la mer sur la bouche." Léon-Paul Fargue.
C'est çà même (tout est dit).
Sinon, les Lumières n'en finissent pas de briller. Voltaire n'est pas franchement mort. Ah, ça non! Regardez autour de vous! On ne parle que de çà. Et tant mieux. Les remparts contre la Barbarie tiendront encore bon longtemps, longtemps...
Et (par ailleurs), je vous recommande, d'urgence, la lecture des "Antimodernes", d'Antoine Compagnon (Gallimard/La Bibliothèque des idées). Plus vivifiant, plus tonique, plus intelligent aussi, tu meurs!
Sauf les matins, tôt, de ces derniers jours, dans les Landes et à Bayonne. Jusqu'à ce matin, plus doux. Plus banalement moderne... (et moins intelligent, du coup).
Entre temps, il y a eu une après-midi (celle d'hier), braconnière en diable, dans les barthes. Une après-midi unique. Empreinte de classe davantage que de chasse, de silence grand, de regards détachés, de sagesse déjà là. Une grande après-midi sauvage comme je les aime (qu'est-ce que je fous à Paris!), bottes aux pieds, avec un ciel bleu, un froid de bon aloi, et des oiseaux nobles, comme on dit. L'auteur de cet après-midi fut mon fils Robin. Il a fait oeuvre. D'une sorte d'art. Une nouvelle s'écrit à ce sujet. Patience...
Lisez ce livre subtil, drôle et extrêmement savoureux de Mark Crick (La soupe de Kafka, Flammarion), que La Bienveillante m'a livré par coursier (j'aime ces urgences que l'on accueille comme le verre d'eau tiède dans le désert)... La presse en parle beaucoup et bien, il s'agit d'une histoire complète de la littérature mondiale en 16 recettes "à la manière de" 16 écrivains. En prime, les textes ont été traduits par une pléiade d'écrivains français. Miam!
"Faut-il se soumettre aux exigences scélérates du repentir?"
Je ne sais pas où j'ai prélevé cette phrase, hier... Journal, radio, livre...
(La réponse va de soi -enfin, pour moi-).
La question donne l'occasion de réfléchir, en fin d'année -période propice!-, à ce désir de repentance qui resurgit comme la grippe aux premiers frimas, ainsi qu'au pardon bidon, à l'hypocrisie des religions; à l'hypocrisie tout court.
Déguster du 70% en compagnie de Pierre Hermé (nous faisions partie tous les deux d'un petit jury, avant-hier, pour un banc d'essai à paraître dans un magazine gastro), est un pur bonheur! Ce garçon est aussi simple que passionnant. Sa starisation ne l'a pas changé d'un iota. Et il parle du chocolat comme personne. Mieux que les sept tablettes à découvrir à l'aveugle, ses commentaires, touchants d'humilité, et qui dissimulent avec délicatesse une immense connaissance du sujet, furent -à mes yeux-, le réel intérêt de cette rencontre.
Allez! Je file à sa pâtisserie de la rue Bonaparte m'offrir un Ispahan. Ca me dé-downera (peut-être) le moral.
2007 sera l'année René Char (il est né en 1907) : grande expo en mai à la BNF (et jusqu'en septembre), publications diverses, notamment par Poésie/Gallimard, le Printemps des poètes aura pour thème : "Lettera amorosa" -sans doute le plus beau poème d'amour en prose jamais écrit au XXè siècle (avec "Prose pour l'étrangère", de Gracq), et qui sera réédité pour l'occasion, etc.
Il fait bon le relire tranquille, en ce moment, avant le grand chambardement.
Au hasard, et plutôt que d'inscrire des citations (c'est si tentant de citer une des nombreuses phrases-éclairs de Char!), voici un poème :
Allégeance
Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima?
Il cherche son pareil dans le voeu des regards. L'espace qu'il parcourt est ma fidélité. Il dessine l'espoir et léger l'éconduit. Il est prépondérant sans qu'il y prenne part.
Je vis au fond de lui comme une épave heureuse. A son insu, ma solitude est son trésor. Dans le grand méridien où s'inscrit son essor, ma liberté le creuse.
Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima et l'éclaire de loin pour qu'il ne tombe pas?
Mon père m'aurait fait ce cadeau à Noël. Je suis allé me l'offrir à sa place, cet après-midi. Les poésies complètes de Federico Garcia Lorca en Pléiade. Sans attendre. Noël n'existe pas. Ou plus de la même manière.
Dès la première page (passée l'admirable introduction d'André Belamich, son meilleur traducteur, disparu il y a trois ou quatre mois), le premier poème de jeunesse, écrit en 1920 -Federico a 22 ans-, tout Lorca est là, comme dirait un critique littéraire qui se la pète (et ils sont légion). Extrait, en prenant du début :
Vent du Sud,
Brun, ardent,
Ton souffle sur ma chair,
Apporte un semis
De brillants
Regards et le parfum
Des orangers.
Tu fais rougir la lune
Et sangloter
Les peupliers captifs, mais tu arrives
Trop tard.
J'ai déjà enroulé la nuit de mon roman
Sur l'étagère!
(...)
Lorsque nous faisons l’amour, nous ne pensons pas gynécologie. Lorsque nous lisons des poèmes, nous ne supportons ni les notes en bas de page ni les annexes universitaires moins décortiqueuses qu’urticantes. Lorsque nous assistons à une corrida, nous avons envie de silence, pas de commentaires. La politique dans un roman, c’est comme un coup de feu dans un concert, disait Stendhal. C’est pareil pour le vin. Œuvre de l’homme dédiée au plaisir, le vin ne supporte pas le discours analytique que d’aucuns tiennent pour paraître savants. Le vin doit d’abord nous toucher, nous plaire ou nous déplaire, et sa dégustation ne devrait pas sacrifier à la recherche obstinée de tout, sauf du raisin ! Le sujet excite les papilles autant que les neurones, mais le discours, loin de se lover dans le sensible, se vautre ailleurs : il fait l’intéressant pour montrer qu’il en sait plus que toi, nananère ! C’est d’un ennuyeux. Au cours de dégustations chics, certains évoquent des vins « couillus » ou « qui ont du poil aux pattes ». Curieusement, les adjectifs féminins disparaissent, sauf à propos des « vins putes ». Avec de tels attributs, nous nous éloignons un peu de l’exposé abscons des chirurgiens du vin qui nous les cassent (les oreilles), et qui sont à des années lumières du principe de plaisir. Dans d’austères salons, on entend (avant de fuir) untel prétendre avec certitude, of course, que c’est la marque du verre qui assèche tel vin. Et l’autoproclamé connaisseur d’exiger tel autre verre dont nous tairons la marque… Laissons les prétentieux à leurs jeux tristes, et buvons un coup. Je préfère le discours sensuel d’un vigneron un peu fêlé, charnellement épris de sa vigne, le parler fleuri d’un poète du vin, à un laïus de poseur en stage de compta. analytique. Beauté, mon beau souci, titrait Valery Larbaud sur un de ses livres. Plaisir, mon beau souci, mon unique souci, devrait être le credo de l’amateur. Et : j’aime ou j’aime pas, l’expression de la liberté la plus nue. Buvez si vous aimez, puisque la vie est courte. Tour le reste est mauvaise littérature.
Dans Sud-Ouest, ce matin
http://www.sudouest.com/121206/vil_pba_bayonne.
asp?Article=121206aP172965.xml
un papier (une "nécro", dans le jargon du métier),
sur mon père décédé, avec mon nom en gros en titre.
Forcément...
" En disparaissant, nos parents emportent avec eux une part de nous-mêmes. Les premiers chapitres de notre vie sont désormais écrits."
"En les couchant dans la tombe, c'est aussi notre enfance que nous enterrons."
"Est-ce bien normal d'éprouver successivement ou simultanément une impression effroyable d'abandon, de vide, de déchirure, et une volonté de vivre plus puissante que la tristesse, la joie sourde et triomphante d'avoir survécu, l'étrange coexistence de la vie et de la mort?"
"C'est dans la solitude que chacun se retrouve (...) Chacun fait ce qu'il peut pour surmonter l'épreuve, bricole à sa manière, toujours bancale, malheureuse, conflictuelle, et se tait."
"Même après leur mort, ne cessons-nous jamais de vivre pour eux, à travers eux, en fonction d'eux ou contre eux? Est-ce une dette qui nous poursuit toujours?"
"Se séparer de nos propres souvenirs, ce n'est pas jeter, c'est s'amputer."
"Donner est un grand bonheur. Ce que j'offrais, ce n'était pas un objet."
"L'écriture naissait du deuil et lui offrait un refuge. Un lieu où se mettre à l'abri avant d'affronter de nouvelles vagues malaisées à contenir."
"Devenir orphelin, même tard dans la vie, exige une nouvelle manière de penser. On parle du travail du deuil, on pourrait dire aussi rite de passage, métamorphose."
"Les arêtes vives des premières douleurs s'émoussent, hébétude et protestations font place à une lente acceptation de la réalité. Le chagrin se creuse. Avec des moments de vide, d'absence, de tumulte. Plus tard se répand une tristesse empreinte de douceur? Une tendre peine enveloppe l'image de l'absent en soi. Le mort s'est lové en nous. Ce cheminement ne connaît pas de raccourcis. On n'y échappe pas. La mort appartient à la vie, la vie englobe la mort."
"Mail il est un temps pour le chagrin, et un temps pour la joie."
© Lydia Flem, Comment j'ai vidé la maison de mes parents, Seuil.
"A tout âge, on se découvre orphelin de père et de mère. Passée l'enfance, cette double perte ne nous est pas moins épargnée. Si elle ne s'est déjà produite, elle se tient devant nous. Nous la savions inévitable mais, comme notre propre mort, elle paraissait lointaine et, en réalité, inimaginable. Longtemps occultée de notre conscience par le flot de la vie, le refus de savoir, le désir de les croire immortels, pour toujours à nos côtés, la mort de nos parents, même annoncée par la maladie ou la sénilité, surgit toujours à l'improviste, nous laisse cois. Cet événement qu'il nous faut affronter et surmonter deux fois ne se répète pas à l'identique. Le premier parent perdu, demeure le survivant. Le coeur se serre. La douleur est là, aiguë peut-être, inconsolable, mais la disparition du second fait de nous un être sans famille. Le couple des parents s'est retrouvé dans la tombe. Nous en sommes définitivement écartés. Oedipe s'est crevé les yeux, Narcisse pleure".
Ainsi commence Comment j'ai vidé la maison de mes parents, de Lydia Flem (Seuil), un livre très émouvant et recommandable entre tous. En de telles circonstances ou pas, d'ailleurs. Que philosopher c'est apprendre à mourir, nan?!!...
Comme je porte le même prénom que mon père, décédé samedi dernier, certains de mes proches ayant lu un faire-part dans la presse, m'ont cru -ou me pensent- mort. C'est lourd. Cela m'est rapporté, au fur et à mesure. Comme si j'avais besoin de cela, en plus! La vie ne nous épargne pas, ni son au-delà-de-lui-même...
Et je résisterai à l'envie de réfléchir à ce phénomène.
Que sait-on de Julien Gracq ?
Ce qui est le plus couramment dit de lui : c'est un grand écrivain, entré de son vivant dans la collection de la Pléiade, et un maître de la langue, ce dont on se persuade aisément à le lire. Ecrivain « à part », il a toujours eu horreur des feux de la rampe, à contre-courant d'une époque radicalement médiatique. Beaucoup n'ont vu qu'orgueil dans son refus du prix Goncourt en 1951, se méprenant sur le sens de son geste : l'invitation pressante faite aux lecteurs à revenir au texte et à juger d'abord par eux-mêmes de la valeur d'un livre.
Cet écrivain si délibérément en retrait n'est pourtant en rien l'homme distant trop souvent décrit. Il a fait le choix -assez inhabituel - d'une vie saine et rangée, mettant à profit une tranquillité jalousement préservée pour lire et pour écrire, se promener et converser. Car Julien Gracq n'a jamais fermé sa porte à quiconque venu échanger avec lui, à la seule condition qu'il soit question d'écriture et de littérature.
C'est ce personnage à deux facettes - l'homme : Louis Poirier / l'écrivain : Julien Gracq - que 303 s'attache à présenter dans cet ouvrage grâce aux regards croisés d'une soixantaine de témoins privilégiés, célèbres ou inconnus (écrivains, traducteurs, visiteurs, lecteurs...) qui ont eu le privilège de converser ou de correspondre avec lui, d'être reçu dans sa retraite angevine des bords de Loire.
Funambule au bout de nos sexes
Lorsque nos âmes font l’amour
Elle déjoue les accents circonflexes du quotidien
Qui parfois nous éloigne
Lionne patiente comme la pierre
Elle est du bond et de l’éclair
Toi
Tu incendies ma vie
J'accueille ton feu
Comme un vin de jouvence
Un alcool de reconnaissance
Le bain vivifiant de l'aube est notre océan
Un lac de plénitude où nous lui apprendrons à nager
La sérénité rétablira peu à peu ses quartiers
Dans les territoires de l'amour en friche
Son visage pâle de planète
Se bronze les entrailles
Aux forces gigantesques
De nos sangs mêlés
C’est notre bonne étoile
Elle réside, pulvérisée, au fond de nos regards
Irradie le coeur de nos ventres
J'aime particulièrement cette définition que Roger Stéphane donne dans son Portrait de l'aventurier (Grasset/Cahiers rouges).
Elle revient de façon récurrente frapper à mon esprit.
La voici, ramassée (débarassée de ses digressions historiques sur Ernest Von Salomon, T.E.Lawrence et André Malraux) :
"J'appelle aventurier celui qui s'engage au service d'une cause sans y adhérer : qui engage sa vie plus pour son propre salut que pour la victoire. (...)
(de mémoire) : la vie, c'est une barque posée dans l'herbe du matin (françois bott),
et : la mort est une prairie émue par le silence (tahar ben jelloun).
jamais le cd comprenant le choeur des prisonniers (nabucco, de verdi) n'aura résonné aussi fort à ses oreilles et aux miennes, dans cette chambre aux fenêtres grandes ouvertes sur la montagne.
hier soir j'ai vu sombrer un long et beau navire, avec à son bord l'homme qui lui faisait corps.
pour la première fois, le navire et son capitaine n'étaient qu'un.
le sister-ship se nommait Douceur.
s'il faut le rebaptiser un jour, son nom sera Sérénité.
L'attente est le titre
que je donne
à cette peinture, Madeleine à la veilleuse,
de Georges de La Tour
que René Char commenta
si poétiquement, dans Fureur et mystère.