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KallyVasco - Page 19

  • Hot-Coldplay

    7104c5e8ff72a9c559fc558e5ba13a3e.jpegYeux bleus, cheveux mi-longs, voix grave, jeans & pieds froids sur le seuil, il sonna, menaçant sans doute, de l'index droit. J'eus la lâcheté de ne pas répondre immédiatement. Coldplay m'enivrait. Vrai. Minuit : l'heure du scream... "Ohé, on va se calmer sur la musique, sinon dans 2 minutes, j'appelle les flics". Waasssccchhh... Vérification faite de l'oeil droit, le volume hi-fique affichait 27 (genre : thermostat 8...). Chaudlesmarrons. Dakodak. Vu que la réserve de Ricard était à moins sec depuis des plombes, il aurait été impossible d'honorer convenablement la visite d'une maréchaussée réputée sans humour (dans cet arrondissement et alentour itou) et seulement solvable -ou soluble-, dans le "Jaune". Avec ou sans glace, d'ailleurs. So... Je suis passé au thermostat 3. Genre timidousse cuisine végétarienne sans sel pour endive bouillie spécialement moulée pour plateau d'hosto calibré mince. Mince alors. Et là, j'écoute quoi, à présent? Brahms? Mozart... Mieux vaut retourner à la fenêtre et mater les taxis qui ne s'arrêtent pas devant des bras levés, timides, trop timides (les bras). Trop cons (décidément) les tacots. Et finir, vautré, sous couette, A l'ombre des jeunes filles en fleur (Marcel) et Au-delà du fleuve et sous les arbres (Hem'). Genre, toujours...

  • ...

    a3d4a8243525c30214c9cfd06e43f638.jpegPerdido en el siglo

    Je reprends le Zarathoustra dans une traduction nouvelle, poétique, simplifiée, plus proche de notre réel que de celui de Nietzsche (une nouvelle traduction ne vaut que pour ça : Montaigne, le Quichotte en sont de bons exemples. Les autres : Fitzgerald, Blixen, du marketing d'éditeur. Conrad, Rulfo, d'accord...). Et Z me scotche. Comme Baruch (Spinoza) me scotche chaque matin dans les toilettes (ptin, il ne nous épargne rien!). Situation guère enviable, au demeurant, car resté scotché là, empêche. Mais bon, L'Ethique, quoi...

  • photo-vie

    d8c4a57255907f052fe855862e19e1b3.jpega1785b751a6e327405d3cca9ecfd41ef.jpeg2867b1c73cadc8915ba156860802d824.jpeg
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
    Une photo en noir & blanc à côté de l'ordi :
    moi bébé dans les bras de mon père.
    Il est mort il y a quelques mois
    et j'ai aujourd'hui le double de son âge sur la photo.
    C'est quoi la vie?..

  • Les manies du débitant de cigares

    30707b1f96985b0e0a1afeb580d94c6b.jpegLe débitant de tabac a peur que le client lui abîme sa marchandise et il a raison. Le problème est que, par ses réflexes, il lui arrive de la détériorer, ou au moins de détériorer les termes de l’échange avec son client.
    Oublions d’emblée ceux qui n’autorisent pas que l’on choisisse nous même –fut-ce des yeux et en désignant du doigt le cigare désiré-, et avec lesquels la discussion est impossible. Ils tournent en général le dos au client en choisissant pour lui le ou les cigares demandés (le client ne peut rien voir), referment prestement l’armoire humidifiée et annoncent avec détermination le prix en caisse sans laisser le temps au client de respirer. Là, moi, je dis tout de suite « adieu et merci ».
    Il en va des havanes dans les civettes comme des Pléiades en librairie et des boîtes de crabe dans les supérettes : les secondes sont hors de portée, ou bien cachées derrière le caissier ; les premiers s’appellent « pas touche ! Lequel voulez-vous?». Normal, après tout. Mais notre ami, que nous souhaitons à chaque fois complice d’un certain amour du cigare, le débitant éclairé, avec lequel il est toujours agréable d’échanger quelques mots d’aficionados, tâte trop souvent lui-même le cigare en le pressant entre le pouce et l’index, ramollissant exagérément ses modules comme des camemberts ipso facto « bien faits », comme si je ne sais quel moelleux (ou craquant), suffisait à distinguer le bon cigare du moins bon. Parce que le choix, effectué à la place du client, se limite généralement à ce geste un rien brutal, réducteur et bien souvent inutile.
    Deuxième grief : l’impatience. Il est préférable de savoir ce que l’on veut avant d’entrer dans la civette ou dans l’humidificateur géant, puis d’acheter fissa, car l’impatience du débitant –surtout si personne ne le seconde en caisse pendant le temps que dure le choix des cigares-, grève quelque peu le plaisir de balader ses yeux sur les boîtes ouvertes, tout en stressant le client que nous sommes.
    Enfin, il y a le débitant qui s’offusque immédiatement lorsque nous refusons le cigare choisi par lui seul, ou bien celui que nous reposons (lorsque nous avons obtenu licence de toucher au module), pour des raisons de convenance personnelle.
    Le client est roi ? Il commence à le devenir lorsqu’il annonce qu’il entend acheter une boîte et pas quelques cigares à l’unité. Encore que : il arrive que nous nous heurtions à l’opposition ferme de se faire ouvrir une, voire plusieurs boîtes, comme cela se fait ordinairement dans les aéroports ou bien à l’étranger.
    Dommage.  L.M.


  • Quartier "Saintes-Pierres", à Bordeaux

    ebc83bb9395b1c23b7f2af5fcec4b18c.jpegComment croire, lorsque la rue Dieu, dans ce quartier où j'ai vécu, est une impasse?..
    Souvenirs. 
    À Bordeaux comme ailleurs, la ville a les dimensions du quartier que l’on y  habite, mais chaque quartier est une île aux rivages improbables et à la géométrie variable comme le temps qu’il fait. L’imagination de l’habitant est sans limites, mais l’arbitraire en a posé cent pour délimiter l’habitat. L’un et l’autre font malgré tout bon ménage, le premier ayant choisi d’établir ses quartiers dans un seul et le second de faire fi des cadastres vagabonds.
    Périlleuses pour la plupart des distraits, les limites du quartier sont des artères où un sang automobile coule sans relâche jusqu’aux cœurs. Chacun le sien. Le mien est ici, c’est-à-dire en deçà. Dans le village, car Saint-Pierre est un village, avec ses habitants et leurs habitudes. Ni vieilles, ni mauvaises ; convenues. Pas à la portée du premier venu. Saint-Pierre est bien loti en places et en voies piétonnes. Le quartier ne manque surtout pas de voitures pour recouvrir ses saintes pierres d’étoiles d’huile noire. Le long des rues étroites, faute de chiens, on peut tenir la rubrique des sacs-poubelles écrasés par les roues lentes. D’aucuns diront sans détour que la nuit, tous les sacs sont gris, avant de  mettre leur frein à main.  Cette remarque nauséabonde, inspirée par notre balade matinale quotidienne, manque singulièrement d’horizon. C’est que celui-ci est intérieur. Et pluriel. Les horizons du  quartier sont un bouquet de faisceaux qui projettent notre imaginaire par-dessus Bordeaux. Cerné par les quais et par les cours comme les yeux d’un  insomniaque récidiviste, Saint-Pierre rayonne à l’intérieur, avec son cycle propre de jours et de nuits, ses adresses et ses réseaux, ses connaissances et ses résidences. Chaque soir, par une fenêtre, un quartier de soleil évadé de l’océan vient coucher chez moi si je décline mon identité et mes intentions pacifiques : Saint-Pierre est une place au soleil, un quartier qui se gagne. Ici on tutoie vite qui l’on côtoie et j’ai même des ardoises qui me permettent de flâner les poches vides d’un bout à l’autre du village. C’est un patelin sans fastefoude ni maire où nul n’est sujet à caution. Un vif esprit de clocher habite bien sûr une poignée de gens du coin qui ont une exigence de visa permanente au fond du regard, mais le passeport de la lune n’est jamais de saison dans un quartier où, depuis sa plus belle place, on peut contempler les cheminées des paquebots à quai. Et voyager assis, en compagnie d’un verre de vin et d’un bouquin atlantique, bercé par l’eau d’une antique fontaine ; car Saint-Pierre devient aussi un port, pourvu qu’on s’y attache, ou qu’on s’en arrache. L.M.


  • Ne rien faire à Venise


    59d2cd62952f383095c35b3ede0cc0c5.jpegVille aimant, ville amante, ville mante, ville menteuse, fardée, ville phare, Venise est un trésor caché sous le manteau qui éclaire le pas du voyageur. Une flamme fragile. Venise brille sous une pellicule de poussière d’histoires. Venise est une vieille dame qui ne masque plus son âge et dont on devine la beauté enfuie. Lauren Bacall à la terrasse des Deux Magots, certains matins encore...
    Byron l’appelait  « le masque de l’Italie ». Derrière le masque, je vois Vénus.
    Là, rien ne presse. Quand je circule sur l’eau, il me semble que je glisse avec le temps et quand je marche, à chaque croisement de rue, surgit quelque chose de nouveau à angle droit, une rupture sensorielle, trois fois rien : un enfant  accroupi près d’une rigole, une façade de marbre usée, du linge aux fenêtres, des enfants qui courent (ils sont bien les seuls à le faire dans cette ville) après les pigeons.
    Dans le silence du matin, une gondole semble ouvrir l’eau du canal comme une nappe de tissu et derrière elle, l’eau ne cicatrise jamais tout à fait. Cette impression soyeuse et couturière revient sans cesse à moi. Dans la brume, lorsque l’eau coule comme du plomb fondu, la gondole apparaît comme une maquette de vaisseau fantôme et je pense à Pandora, le film. C’est avec Ava Gardner que j’aurais préféré faire l’amour à Venise. La gondole est un long cercueil de poèmes chuchotés derrière le masque de satin des soirées louches. Moins classe, mais plus agréable, le vaporetto me transporte et plus encore. L’accelerato (le plus lent, curieusement), en hiver, permet de circuler à l’aise dans une Venise prise, en partie paralysée par le letargo, cette léthargie qui donne à la cité la silhouette d’une belle allongée sur les eaux dormantes. Une évadée d'un livre de Kawabata.
    Le nom des îles principales évoquent un animal monstrueux : dorsoduro (rond et dur comme le dos),
    Spinalunga (échine longue), cannareggio (touffes de roseaux dressés sur les eaux). L’animal fétiche de Venise, c’est le lion. Volontiers ailé place Saint-Marc, il balise la ville et certains attribuent l’origine de Pantalone à pianta leone en référence à la manie du marchand vénitien de planter des lions sur toute terre conquise, à compter des années 828.
    Les pigeons vénitiens sont paresseux. Cocteau disait qu’ici, « les pigeons marchaient et les lions volaient ».
    J’aime marcher jusqu’à me perdre dans le labyrinthe des rues et des fondamente cousu de ponts et de sottoportici (passages voûtés) qui composent les sestieri, les six quartiers principaux : Castello, San Piero, l’Arsenal, San Marco, Canal Grande et Canareggio. Certaines rues ont des noms étranges, comme la rue « du soleil qui mène à la cour des ordures ».  D’autres finissent en cul de sac, version locale : au hasard de ces rues noires où l’on n’entend que ses propres pas et où nous  ne croisons que des amoureux et des chats, il arrive de trouver un canal pour seule issue. J’aime particulièrement San Michele, l’île cimetière, parce qu’elle sent la résine, la tulipe et la terre fraîchement retournée. L’herbe caresse nonchalamment les tombes comme des anémones de mer et les cyprès, raides comme des morts debout, y figurent un orgue gigantesque et silencieux. C'est la Toscane avec le Campanile en fond.
    La meilleure raison d’aller à Venise et de ne rien y faire,  de se prélasser à la terrasse du Florian et d’y compter les pigeons et les canards de l’orchestre qui joue chaque soir des airs vieillots. De marcher le long du Lido, aux charmes comparables, en hiver, aux longues plages landaises et à celle de Biarritz sous les embruns, lorsque l’hôtel du Palais est fermé. Loin du centre très touristique, les Vénitiens vivent leur ville. Le silence habille le geste lent du fabricant de gondoles, le pas du chat et les mouvements de tête de la vieille veuve noire qui se chauffe sur une chaise au soleil.
    Venise elle-même se laisse aller. Elle s’abandonne à son destin sous-marin, mais sans précipiter le cours des choses. Elle s’enfonce de quatre millimètres par an dans la lagune, ai-je appris. L’Acqua alta projette à période fixe ce qu’elle sera. Son matelas de bois ne la soutient plus. A Venise, les arbres sont sous les pieds du voyageur : douze millions de troncs venus des Alpes et des Balkans supportent la cité à bout de bras, et sont aujourd’hui à bout de forces. J’aimerais recouvrir Venise d’une cloche de verre pour la préserver encore, ou la piquer à je ne sais quoi pour retarder sa disparition. Au moins l’adoucir. Venise s’engloutit sans se hâter, à la manière d’un transatlantique sombrant vers une cité engloutie.
    J’en aime l’idée… L.M.


  • Sauce chien

    Recette vite fait de mon ami Mano, Guadeloupéen.

    "Tu coupes 3-4 gousses d'ail, fin. Tu prends du piment Antillais, du "Bonda Mam'Jacques" (aux effets bangala sur Mam'...), de l'huile sans goût, du sel , du poivre, le jus d'un citron vert, tu remues et tu laisses macérer un peu".

    LES MOTS DISENT-ILS LES CHOSES?

     

  • Big Jim

    Jim HARRISON


    b5c970aa2f21ea4fdafdcea78afb8ac0.jpegRetour en terre

    Jamais peut-être Big Jim n'a été si profond, si grave. Est-ce l'âge? A l'instar des grands vins qu'il adore, et si je n'évoque que ses plus récents livres, il se bonifie sacrément depuis... La route du retour. En route vers l'Ouest fléchissait à peine ce nouveau cours dense et profond. En marge (ses mémoires) reprit la bride : un Harrison sûr de sa définitive et belle maturité revenait à nous. Puis il y eut le somptueux De Marquette à Veracruz. Voici Retour en terre. Beau à pleurer. A nous donner -presque- envie de laisser de côté l'inoubliable Dalva, Chien Brun et autres personnages des premiers grands opus (Légendes d'automne, La femme aux lucioles, Julip, etc) qu'il est bon de retrouver de temps à autre et d'un livre l'autre. Oui, Jim Harrison est un sacré auteur qui risque de nous devenir indispensable.

    Voici, très banalement (mais elle dit bien les choses) la 4 de couv du bouquin :

    Donald, métis Chippewa-Finnois de 45 ans, souffre d’une sclérose en plaques. Prenant conscience que personne ne sera capable de transmettre à ses enfants l’histoire de leur famille après sa mort, il commence à la dicter à sa femme Cynthia. Il dévoile ainsi, entre autres, sa relation à un héritage spirituel unique et l’installation de ses aïeuls dans le Michigan voilà trois générations. Pendant ce temps, autour de lui, ses proches luttent pour l’accompagner vers la mort avec la dignité qui l’a caractérisé toute sa vie.
    Jim Harrison écrit sur le cœur de ce pays comme personne, sur le pouvoir cicatrisant de la Nature, le lien profond entre la sensualité et le spirituel et les plaisirs qui élèvent la vie jusqu’au sublime.

    Lisez le dernier Harrison si vous ne voulez pas mal finir votre dimanche 24 juin

    Variante : Chauves! Lisez Harrison, vos cheveux repousseront... 

  • Parasite

    Il y a des coïncidences troublantes, trop confondantes pour être crédibles. Maxence Fermine par exemple. Lorsque j'ai lu Neige, son premier roman, j'ai immédiatement pensé que le garçon avait très bien lu et admirablement digéré Soie, d'Alessandro Barrico; mais peut-être de façon malicieuse. Lorsque j'ai pris Le Violon noir, son second roman, je me suis dit : là, le garçon a bien digéré Tous les matins du monde, de Pascal Quignard. Et aussi Noveccento, pianiste, de Barrico, encore... En réalité, avec le recul, je pense que Fermine est un plagiaire de génie. Après tout,  Rocambole et Rouletabille n'inspiraient ni vengeance ni geôle. Et il faudrait être bien mal luné pour en vouloir à Robin des Bois. Maxence vole les riches et redistribue aux pauvres lecteurs... Le talent est partout, y compris dans le parasitage, la pollution, l'imitation. Dans la pauvreté en somme. A l'indigence je ferai crédit, cette fois. Cette fois seulement.

  • La Danse, de Matisse

    6a4f1827d91159b17f13e34084627768.jpg94d889c9b78bedcbaba7eddbc22656ad.jpgPhotos volées (clic-clac!) en visitant l'Ermitage, à St-Pétersbourg. La Danse, d'Henri Matisse (à gauche). A droite, je ne me souviens plus très bien... J'aurais voulu photographier le Bateau à voile de Caspar David Friedrich pour ma fille, mais il y avait constamment quelqu'un à proximité. Pourquoi avons-nous irrésistiblement envie de "voler" des peintures avec nos appareils photo, en visitant musées et galeries?.. Question.

  • BlogBrillant

    J'invite à faire un tour sur ce blog recommandable : c'est brillant, claquant, iconoclaste, érudit et vertueux. Un brin grincheux et anti pas mal de choses, dont les idéologies idéalistes et verbales (qui croient à la magie de la formule et à son immédiateté, donc qui ne se gênent pas pour jeter de la poudre aux yeux du peuple, façon Sophistes), mais c'est avant tout un excellent blog littéraire. La note sur le magnifique livre de Philippe Muray, Le XIXème siècle à travers les âges, entre autres exemples, est salutaire à bien des égards.

    http://nouvellelanguefrancaise.hautetfort.com/

    Son auteur se dissimule derrière un pseudo voltairien (Arouet le Jeune). Après la NRF, voici la NLF...

    D'ailleurs, je l'ajoute à la colonne "blog amis".

  • Maisons Sud-Ouest

    A lire dans MAISONS SUD-OUEST, un superbe magazine de toutes les saveurs du sud, que pilote mon pote Fred Doncieux, depuis (Ô) Toulouse! Voici le début de deux reportages. La suite en kiosque (pour que vive la presse de bon goût). ¡Y suerte para todos!

     

    LE PAYS BASQUE DE JEAN BRANA

    " Si vous vouliez trouver son père Etienne, il fallait chercher son béret. Comme il ne le quittait jamais, même pour distiller sa poire d’anthologie et sa prune monumentale (que sa fille Martine distille avec une égale maestria), il était forcément dessous. Le problème avec Jean, c’est qu’il ne porte pas de béret. Comme c’est un Basque bondissant, il n’est jamais là où on l’attend, pressé de faire, bien, mille trucs à la fois. Et s’il y avait des isards sur les hauteurs de Saint-Jean-Pied-de-Port, Jean Brana serait leur chef d’espadrille. Jean a le feu aux sabots et s’il souffle, c’est pour laisser libre cours à ses plaisirs : sa famille (il a deux filles de 13 et 11 ans, Marie et Amélie), la chasse sa passion et bien sûr son travail de vigneron de haut vol qui a su, au fil des années, faire des irouléguy de la maison Brana l’une des premières locomotives de l’appellation. Adrienne, Madame mère, veille aux destinées de l’entreprise, Martine sa fille s’occupe des eaux de vie en conduisant les alambics avec autant de dextérité qu’un cocher de compétition un attelage de pur-sang et son fils Jean, donc, s’occupe des vins. Avec un professionnalisme qui force le respect et un savoir-faire qui force l’admiration de la profession et de la presse spécialisée depuis un bail. C’est en 1974 qu’Etienne crée la distillerie et en 1984 que, poussé par son fils, il crée le Domaine Brana. Aujourd’hui, ce sont 24 hectares parfois très pentus (65% !) autour de l’Arradoy, le mont qui domine la vallée, des hauteurs d’Ispoure à Bussunarits. C’est aussi un chai magnifique, bâti dans la plus pure tradition locale mâtinée du talent d’architectes en vue, domine la route. Sur le fronton d’une de ses portes, on peut y lire en basque : « Le chemin de nos ancêtres est un monument aux proportions grandioses d’espérance et de labeur...». LM (La suite en kiosque, avé les photos!)

    HEGIA, LE DAGUIN TOUCH

    " Il fut un temps où, à l’instar des crocodiles et du marigot, il y avait un Daguin de trop à Auch. Le célébrissime André officiait encore aux fourneaux de la maison familiale et le jeune Arnaud, fils de –au choix : D’Artagnan, « Alexandre » Daguin, le Commissaire « magret », comme on voudra, commençait à prendre une carrure de 3ème ligne des cuisines : ce gaillard-là ne déménagerait pas les pianos, il en jouerait. Surtout, il affirmait vite sa personnalité, mais restait pour beaucoup le petit Daguin. Le fils de. Donc Daguin hijo partit et posa son sac pas très loin, à Biarritz, sur les hauteurs de La Négresse ; aux « Platanes », en mai 1988. Après avoir accompli le tour de France réglementaire des grandes tables. Au fil des ans, Arnaud fit oublier son père tant son talent l’affranchit de toute tutelle. Une étoile au Guide Rouge consacra le travail d’un couple insécable : Véronique à l’accueil, son sourire désarmant et sa connaissance fine des vins du grand sud-ouest. Arnaud au piano, soliste virtuose ès terroir. Spécialité : Basque dans tous ses états avec réminiscences Gasconnes au sens large, mâtiné d’inventivité et d’un bon goût, au-delà des modes, qui s’apparente au tact. À la finesse. Gentleman-farmer, la cuisine d’Arnaud Daguin est à la fois généreuse et subtile. Son credo ? Obéir à la loi du marché –celui qu’il fait chaque matin- et aux saisons. Le macaron de la récompense tombe en 1993 et brillera toujours au-dessus des Platanes...". LM (La suite en kiosque!)

  • Histoire d'un titre (Houellebecq)

    Il est, aussi, bon poète.

     

    (…) « IL N’Y A PAS D’AMOUR
    (Pas vraiment, pas assez)
    Nous vivons sans secours,
    Nous mourons délaissés.

    L’appel à la pitié
    Résonne dans le vide,
    Nos corps sont estropiés
    Mais nos chairs sont avides.

    Disparues les promesses
    D’un corps adolescent,
    Nous entrons en vieillesse
    Où rien ne nous attend

    Que la mémoire vaine
    De nos jours disparus,
    Des soubresauts de haine
    Et le désespoir nu.

    Ma vie, ma vie, ma très ancienne
    Mon premier vœu mal refermé
    Mon premier amour infirmé
    Il a fallu que tu reviennes.

    Il a fallu que je connaisse.
    Ce que la vie a de meilleur,
    Quand deux corps jouent de leur bonheur
    Et sans cesse s’unissent et renaissent.

    Entré en dépendance entière,
    Je sais le tremblement de l’être
    L’hésitation à disparaître,
    Le soleil qui frappe en lisière :

    Et l’amour, où tout est facile,
    Où tout est donné dans l’instant
    Il existe au milieu du temps
    La possibilité d’une île. »

     

    ©Michel Houellebecq, Le Temps. Le Cherche-Midi.

  • Men In Black

    a3c1eba114e401c98d7865b8aa9b9b7d.jpgLa peur du noir... La peur des All Blacks. Cette saisissante photo de ©Michel Birot, que je publie dans un hors-série rugby pour VSD (à paraître vers le 10 juillet), en dit long sur la prochaine Coupe du monde. Bonjour les bleus (avé un petit "b", té!)...

  • Weyergraf

    5df38d6c875b77a1c9adba67d466e0cf.jpgJe viens de remonter le courrier. S'y trouvait un folio : Trois jours chez ma mère, de François Weyergans, avec un bref communiqué de presse de l'éditeur, plié à une page. La 21 :

    " Pendant la veillée funèbre, mon père reposait sur un lit que ma mère et moi avions fait le matin même avec des draps de lin blancs brodés. Je ne sais plus comment nous avions placé le drap du dessous, c'est encore moins facile avec un mort qu'avec un malade. Au moment de la mise en bière, je crus que ma mère allait s'effondrer quand les deux employés des pompes funèbres introduisirent sans ménagement le corps de son mari dans un grand sac-poubelle gris avant de déposer ce paquet dans le cercueil. "

    Si le hasard existait, cela se saurait, me dis-je pour la énième fois...

  • Gardel l'Etranger

    7e19f3abefd25a64e50db097d6729645.gifMon ami Louis Gardel (Fort Saganne etc) m'envoie son dernier roman, La baie d'Alger (Seuil). Ses accents camusiens y sont torrides, fréquents, justes. C'est du très bon Gardel. P.167, il emmène une fille à la plage, un Arabe passe devant eux exactement comme dans la scène du célèbre roman de Camus. Le garçon le désigne et dit à la fille : "C'est comme dans L'Etranger!". Mais l'effet tombe à plat car elle n'a pas lu le livre. C'est avec ce genre de déconvenues que l'on se retrouve seul, les pieds douloureux sur le sable brûlant. Je veux dire seul avec soi-même en dépit de la présence de l'autre et que (personnellement) je rêverais de sauter sur un étalon noir à la crinière vaporeuse et de fuir, oui tant pis : fuir!, au triple galop le long de la plage jusqu'à disparaître, baigné dans l'océan de mes cris. Plutôt que de rester faire la causette et dragouiller une fille à la peau de toute façon trop pâle...

  • La musica callada


    eb87602d6087757160130c0861e70483.jpegCeci est une note spécial-auto-promo. J'assume.

    Les robes à volants préférées d’Orabuena étaient la noire à pois rouges, la noire doublée de soie rose et la blanche à broderies ocres. Trois robes d’un mimétisme taurin qui évoquaient une tornade lorsque Orabuena lançait un zapateo avec ses semelles qui s’achevait lentement avec les talons seuls, jusqu’à ce silence sonore, cette musique tue qu’évoque Rafael Alberti à propos du toreo :

    Lointaine solitude sonore
    source sans fin d’insomnie d’où jaillit
    du toreo la musique tue.

    ©Léon Mazzella, Flamenca, roman, La Table ronde 2005. Pages 29-30.

  • Peau de laine

    « Au fond des retombées

    de pollen, de poussière

    odorante, marcher,

    tout l'homme persévère

    dans ce très vieil effort.

     

    Ni relâche ni terme,

    à l'endroit où la mort

    sur l'homme se referme. »

     

    Jean-Noël Chrisment, Pollen, Gallimard.

     

     

     

     

  • Guêpe

    Dimanche. Non : dimanche après-midi. Il n'y a pas de dimanche sans après-midi. Je veux dire : il n'y a aucun dimanche dépourvu –à un moment donné-, d'un ennui aussi épais que la crème de marrons Clément Faugier en boîte de 500g. Genre… Sauf exception bien sûr. D’où cette note en bas de jour comme il y en a en bas de page. Un renvoi, en quelque sorte... Ce dimanche-là était pourtant gris. Mais l'après-midi devint claire, tiède, tamisée et rayonnée d'une pluie qui battait la bâche du bar où j'avais un improbable rendez-vous professionnel avec une artiste dont j'avais remarqué le talent dans un magazine Italien. Du coup, j’avais apporté des munitions contre les lapins : Proust en Pléiade plutôt qu’un Folio à 2€, aussi mince qu'un After Eight. Cet après-midi dans son entier semblait sorti d'une scène remixée à Cinecitta par Godard, avec Antonioni comme assistant-réalisateur. Il y eut jusqu'à une sorte de Poulbot/Gavroche qui passa et repassa devant la terrasse, sans même essayer d'écarter le rideau de pluie qui semblait capable de le hacher, de le mixer, avec sa grande valise en cuir naturel et son imper ample (à la Bogart évidemment), pour me convaincre qu'il ne s'agissait pas d'un rêve. Mais d'une bande-annonce.
    Son arrivée en Vespa fut soudaine. Je me dis, alors qu'elle était casquée jusqu'aux yeux : c'est elle. C'est forcément elle. Puis tout s'enchaîna naturellement, sans le moindre effort et sans la moindre touche d'appréhension. Je crois que j'ai tout de suite aimé son tact, sa délicatesse, une certaine finesse, une retenue dans le regard (je n'oublie pas le sens inné de l'observation de la dessinatrice qui croque tout ce qui est bon à crayonner en faisant virevolter ses yeux capteurs, de table en table et d’arrière-plan en plan rapproché). Ses mots, aussi : la substance du bref échange que nous avons eu m'en dit long. Question de feeling. C'est toujours une question de pressenti(ment). Avec un regard droit et la franchise intérieure pour fidèles carburants (comme on est fidèle à un parfum pour sa trace sur notre peau et l'effet qu'il produit chaque jour sur l'autre), je sais avancer, armé d'une certitude intérieure. Nous conclûmes le contrat rapidement. Deux signatures à gauche et à droite. Elle illustrerait mon prochain livre. Je lui adresserais vite la dernière version du texte. Elle m'enverrait au fur et à mesure ses esquisses, culs de lampe et autres encres et sanguines. Elle est très sanguine. Une éclaircie supplémentaire vint s'ajouter à la luminosité ténue de cette fin de journée. Une lumière rasante, par en dessous, prît la ville en sandwich avec l'aide du ciel. La pluie pouvait aller se faire sécher ailleurs. Et la bande de pigeons posés là, applaudir en s'envolant lorsque la Vespa redémarra. Je pris mon carnet Moleskine, mon stylo, Proust et achevai mon havane en bravant un vent à décorner les ânes cocus, jusqu'au fond du Jardin des Plantes, par bonheur ouvert encore. Et désert.


    Pourquoi avoir titré Guêpe? Parce qu'en Anglais, ça se dit Wasp. Les Wasps sont le club (anglais) de rugby à nouveau Champion d'Europe dans lequel joue Raphael Ibañez, le capitaine du XV de France. Ibañez avec un tilde sur le n, j'y tiens. On dit pas Ibanez comme naze ou niaise, mais "ibagnaise", comme Bolognaise. Et c'est de l'Espagnol. Justement! Guêpe se dit Vespa en Italien. Voilà pourquoi ce titre.

  • C'est n'importe quoi, Daumal, parfois

    "Je suis mort parce que je n'ai pas le désir;

    je n'ai pas le désir parce que je crois posséder;

    je crois posséder parce que je n'essaie pas de donner;

    essayant de donner, je vois que je n'ai rien;

    voyant que je n'ai rien, j'essaie de me donner;

    essayant de me donner, je vois que je ne suis rien;

    voyant que je ne suis rien, j'essaie de devenir;

    essayant de devenir, je vis."

    René Daumal. 

  • Surprenant Guillevic

    Voilà un poète que je redécouvre, ou plutôt dont je découvre l'âme sensible, amoureuse. Je ne l'imaginais pas, en lisant jadis Terraqué, Exécutoire, Spère, Paroi... -Autant de livres qui ne m'ont jamais renversé, capable d'avoir écrit (il est mort il y a dix ans) des poèmes d'amour prodigieux. Je viens de les trouver dans Possibles futurs, un recueil qui paraît ces jours-ci en Poésie/Gallimard et qui rassemble notamment Elle et Le matin... Le premier est un bouquet de poèmes d'amour très courts et bouleversants comme les derniers d'Eluard. L'envie d'en citer une poignée me chatouille. On n'imagine pas ce Breton fonctionnaire toute sa vie (il fut un spécialiste du contentieux fiscal), avec sa bouille de moine ou de nain de jardin, écrivant :

    Elle peut aussi

    Etre colère 

    Comme le ruisseau

    Devient cascade.

    ---

    Elle est un besoin

    Qu'a le mystère

    De se manifester. 

    ---

    Quand elle est là

    L'ombre se fait pénombre.

    ---

    N'importe où elle marche

    C'est son sentier.

    ---

    C'est en elle

    Que les courbes

    Trouvent leur perfection.

    ---

    Quand elle coule sur elle

    L'eau retrouve son origine.

    ---

    Ses cils

    Sont le souvenir 

    Des forêts originelles

    ---

    Ses seins gardent le secret,

    En appellent

    Au silence.

    Ils ont ce qu'elle a

    De plus planétaire.

    ---

    Fréquemment

    Son regard

    plaide ton innocence.

    ---

    Etc...

    Ce ne sont pas des haïkus amoureux, mais des impressions. Des eaux-fortes. Quelque chose apparente ces poèmes fulgurants à l'esquisse, à la calligraphie, à l'estampe. A l'aube. Au silence. Au regard. Au matin des amants et à leur premier regard...

    Bouleversant, oui. 

  • Apesant'heure

    Char dit que vivre, c'est s'obstiner à achever un souvenir. Et encore qu'il aime qui l'éblouit puis accentue l'obscur à l'intérieur de lui. Et aussi qu'il faut aller vers son risque. Air connu : Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s'habitueront. N'est-ce pas?.. Cela va de soie. Avec un petit "e" au bout, pour mieux leurrer la truite de l'existence. L'essentiel demeure dans la lucidité, cette éprouvante blessure la plus rapprochée du soleil, qu'un Napolitain éclairé (Erri de Luca) sait appréhender (L'Isle sur la Sorgue est plus au Nord, ou moins au Sud du méridien de Greenwich de l'âme poétique) : "Montedidio". L'été, la lumière avance toute fraîche à ras de terre et s'élève ensuite pour allumer un four au-dessus de la ville... On dirait L'Eté de Camus, quelque chose comme ça, du grillé. A la manière des insectes qui grésillent dans Giono ou dans Carrière son disciple. Les heures chaudes. Impossibles. Une visite à l'improviste dans leurs pages incandescentes. Rafraîchissantes, aussi. Bref, le Sud me gagne et cette fucking pioggia sur Paris me gave, cette nuit, car elle n'a rien à voir avec une gargoulette...

  • Merci Benoît!

    Benoît Jeantet, hédoniste dingo de rugby, de poésie et de gastro, me rend cet hommage, surpris sur la Toile ce matin tôt, et son blog s'appelle rugbymane :  http://rugbymane.blogspot.com Son auteur (que je remercie -au passage- très chaleureusement pour sa note) le définit ainsi : "Ceci est le journal d'un malade de la chose ovale, devant apporter la preuve de l'apparition d'une nouvelle addiction "contractable" sur tous les prés du monde. C'est la vengeance de la pelouse. Entre nous on l'appellera "rugbymanie"...

    D'ailleurs, le dernier numéro de l'élégante revue ATTITUDE Rugby (arrivé pile hier matin tandis que je matais des photos splendides avec son auteur Michel Birot, par ailleurs Rédacteur en chef de ce magazine) publie un extrait du blog de cet esthète de l'Ovale qui a plus d'une passion dans son sac.

    Benoît Jeantet est un blogueur fou : il en anime deux autres : http://foodingpoesiesdujour.blogspot.com/ (poésie) et :  http://papadebloguetotal.blogspot.com/ (allez-y voir!..).

  • Gracq, again...

    f4efe2d6bd823b91b64b05474ee9d9a1.gifLe Magazine Littéraire de juin offre un long entretien avec le plus grand écrivain français vivant. Avec "le dernier classique vivant". Cet homme que j'ai l'immense chance de voir de temps à autre chez lui à St-Florent-le-Vieil, en bord de Loire. L'entretien (avec Dominique Rabourdin) est lumineux. J'y ai retrouvé certaines confidences faites dans le salon de sa maison où il reçoit.

    Un entretien éclairant, oui, sur sa foudroyante lucidité sur la Littérature, le monde tel qu'il (ne) va (pas) et demain, qui ne le verra pas. Son retour sur son parcours d'écrivain est également phosphorescent (Gracq est une luciole sur le chemin nocturne du marcheur égaré car trop rêveur) quant à son absence d'illusion sur l'oeuvre avec un grand O, le fameux work in progress... Gracq ? Le plus grand dilettante de génie que la terre de France ait porté depuis... Allez! Stendhal et Flaubert à match nul.

    Extraits en forme de tapas (mise en bouche littéraire) : 

    fe9861a5952922a87c53301624617314.jpeg... " Et qui font que les dates de parution de mes livres me donnent moins le sentiment d'une "carrière" que celle d'une maigre série échelonnée d'affaires de coeur, à laquelle l'écriture fragmentaire vient prêter à la fin par son tissu une relative consistance". 

    "La mort survient, un jour ou l'autre; quoique très proche pour moi (Julien Gracq aura 97 ans le 27 juillet prochain), sa pensée ne m'obsède pas : c'est la vie qui vaut qu'on s'en occupe."

    (Photos : Gracq marchant en bord de Loire devant chez lui. Et "chez lui", rue du Grenier-à-Sel...)

  • René Char est de plus en plus vivant

    2717cf9d46aa47bd0d759c818895cab6.jpegL'expo qui lui est consacrée (car il aurait 100 ans le 14 juin prochain) à la BNF à Paris, est Extra-Ordinaire. Il est infiniment émouvant de lire le manuscrit de fragments qui nous portent depuis des kilos d'années, qui sont comme des bouées en cas d'avarie, des papillons contre les scaphandres (allez voir le film tiré du très beau texte de Jean-Do. Bauby, au passage : Le Scaphandre et le Papillon) des visas contre le désenchantement du monde...

    Aujourd'hui me voit vêtu de Char, irrigué même. Avec ses poèmes dans les veines.
    La journée a commencé parmi les magnifiques photos de Michel Birot, en noir & blanc, sur le rugby (pour un hors-série "boulot").

    Elle se poursuit dans l'éclair durable de la poésie magnétique de Char.

    Et s'achèvera dans la relecture au hasard de Proust. Parce qu'il faut retourner à Proust au hasard, comme on retourne au Journal de Jules Renard et à un bistro élu de notre coeur dans le quartier où l'on vit. Au hasard, Balthazar?..

  • D'évidence, l'évidence

    8de2f4988f6e6da74f0e220b9d53e6a2.jpgLu, ventre noué, cœur dévasté, peau traversée par le vent d’une interminable chair de poule, dents serrées, 59 préludes à l’évidence, d’Arnaud Oseredczuk (Gallimard) cité dans une note récente.

    En voici quelques extraits marquants.

    Ils disent la difficulté de l’amour, comme la plupart des livres depuis Sénèque et Ovide, n’est-ce pas ? Mais il est des lectures qui nous marquent davantage, en certaines circonstances de notre vie. La nuit dernière, un rêve m’a réveillé : j’avais de longues, grandes échardes comme ces épingles à cheveux en bois sombre ou en corne, plantées dans la main à la manière d’un clou dans la paume d’un crucifié, une autre dans la plante du pied gauche, une autre encore dans la cuisse. Je les ôtais facilement, sans douleur. Elles charriaient des extraits de végétaux, de bois et je craignais seulement une infection. Ma peau meurtrie se refermait pourtant comme l’eau après le saut d’un poisson. Rond. L ‘évidence de ce rêve ? Les échardes –étaient - ce livre, lu hier soir.

    Voici donc quelques extraits transperçants. 

    « Enfin elle m’est donnée, l’évidence…

    …Comme je me penche sur elle pour lui répondre, mon visage s’abat comme une aile dans le creux de son cou, et ma bouche où glissent ses cheveux emmêlés, divague de son oreille nue à ses lèvres pas tout à fait closes…

    … À l’étage d’un restaurant où se propage Cosi fan tutte, c’est à peine si nous pouvons manger, tellement nous ravage une autre faim…

    …Chez elle il fait une chaleur de forge sous notre peau, quand nos caresses s’entêtent et se précisent. Et voici que se tresse, dans l’osier de nos doigts, un petit panier plein de miracles. D’elle penchée sur moi, qu’oserais-je dire qui ne trahisse pas ses cheveux libres, ni l’offrande de ses seins, ni la tendresse que m’ont versée ses yeux intarissables.

    Son grain de beauté noir, elle sait bien. Et ma main droite pour sceller son sommeil, bien calée sous son sein gauche. Et le matin, cette très grande paix sans conquête ni victoire, ineffaçable comme tout ce bleu carillonnant contre le ciel de Vaugirard, comme dans ses cheveux ruisselants le parfum de l’évidence.

     *****************

    … Puis elle me dit, prends-moi dans tes bras. Plus facilement que nous nos corps se retrouvent et s’épousent. Mais elle insiste entre nos baisers, elle ne sait pas, elle a besoin de temps…

    Chez elle elle veut bien que je reste dormir, mais en tout bien tout honneur Au lit elle se blottit contre moi, et de nouveau ma main droite pour sceller son sommeil. Moi comment saurais-je dormir ? Plusieurs fois mon insomnie la réveille, alors elle serre doucement ma main entre ses doigts, avec un sourire las… 

     ***************** 

    …le fagot de nos membres ligotés par l’amour... 

    …Une autre (femme) me fait face qui serre dans la corbeille de ses bras la récolte de ses seins…

    **** 

    …Enterré vivant dans mon amour je murmurais pour moi-même, absurdement : au bas de ma vie, tu recueilles mes eaux. Ou mon regard glissait sur ses jambes, sur ses seins moulés dans son pull à côtes, et je songeais, incrédule, que j’avais eu brève licence sur tout cela…

    ...Je connnaissais des rémissions. Echangeant trois mots avec elle, ça va et toi, je m'étonnais tout à coup de ne rien sentir...

    …D’autres fois il faisait beau, le souffle de la jeunesse gonflait ma poitrine, et j’allais par les rues solaires et les jardins, ivre du ciel bleu et de voir les filles si belles, et parfois l’une d’elles à mon passage rectifiait dans l’éclair d’un regard l’ordre impeccable de ses cheveux…

    Et ces lignes à leur tour auraient renoncé à capturer l’insaisissable, comme à béatifier le souvenir de son frôlement. Elles parviendraient tout juste au seuil de cette voie encore hésitante : s’évaser, se vider, s’évider. Afin que sans obstacle traverse l’évidence, comme le souffle irrigue la flûte, et fait jaillir au passage la joie imperfectible du chant. »

    ©Gallimard 1998 

  • les 4 de couv., décidément

    Je tombe par hasard (s'il existe, mais je ne l'ai jamais pensé) sur celle-ci et je reste en arrêt comme un setter devant une bécasse.

    Le livre? "59 préludes à l'évidence", d'Arnaud Oseredczuk (Gallimard). Connais pas. 

    La voici :

    "Son grain de beauté noir, elle sait bien. Et ma main droite pour sceller son sommeil, bien calée sous son sein gauche. Et le matin, cette très grande paix sans conquête ni victoire, ineffaçable comme tout ce bleu carillonnant contre le ciel de Vaugirard, comme dans ses cheveux ruisselants le parfum de l'évidence." 

    J'en reste là, incapable de bouger, les yeux fixés sur ce court extrait, qui me renvoie au bonheur enfui, à la mort, au goût si amer de ce que nous n'avons pas su retenir dans notre trop courte vie jalonnée de si peu de bonheurs, au fond. Trop secoué, les larmes montent en moi du fond du néant. Je lirai ce livre demain. Pas avant. Peux pas...

    Si je fais part, ici, de cette émotion (qui m'a littéralement étreint ce matin) c'est parce qu'elle est capable de toucher chacun de nous.

    Que peut la littérature? Ca, justement. Et c'est bien assez. Je l'en remercie chaque jour, pour cela qu'elle (me) donne... 

    La littérature, c'est l'Universel moins les murs (je renverse l'une de mes phrases fétiches, que nous devons à Miguel Torga : "L'Universel, c'est le local moins les murs" et que je me plais à citer souvent). L'émotion c'est la littérature moins les murmures, l'Universel c'est la littérature sans les larmes; etc.

  • Carmen

    c431e9ce7b11d9e131119b9326e5f482.jpegCarmen est de plus en plus belle. Picasso l'a magnifiée puissamment. Il disait : La peinture est plus forte que moi, elle fait ce qu'elle veut de moi, ou quelque chose approchant. La peinture gagne ainsi sur la musique (l'Opéra funèbre de Bizet) et sur la littérature (la nouvelle de Mérimée). Le mythe à la peau fine et mate, dure. Carmen signifie charme, en Espagnol. Ce portrait (repris pour l'affiche de l'émouvante expo qui se tient au Musée Picasso, rue de Thorigny, Paris1668bc23151294f66f2bb9ebe3f5733c.jpeg 3ème) le confirme. Précision : il ne s'agit pas d'un Picasso, mais d'une carte postale brodée dans le plus pur kitsch Madrilène des grandes années, signée Esperon et intitulée Femme à la mantille. A chacun sa Carmen. Et celle de Picasso, c'est plutôt dans le registre accouplement de Dora et du Minotaure (à droite) qu'il faut aller la chercher, je crois...


     

  • Cette étrange et envahissante liberté

    "D'abord, l'impudeur. L'obligation de bafouer toutes les règles de la discrétion : fouiller dans les papiers personnels, ouvrir les sacs à main, décacheter et lire du courrier qui ne m'était pas adressé. Transgresser les règles élémentaires de la politesse à l'encontre de ceux qui me les avaient enseignées me blessait. L'indiscrétion m'était étrangère..."

    Lydia Flem, Comment j'ai vidé la maison de mes parents, Seuil.

    Un livre qui me taraude, surtout les week-ends où je descends à Bayonne pour continuer de vider la mienne, impregné que je suis alors de ces étranges sensations-là...

  • De la main

    1c99ecc696b01065e68cb873fb2456ec.jpegIl y eut d'abord son geste faible du bras droit -l'autre était depuis plusieurs semaines saisi par la paralysie- pour retenir la vie, pour dire des mots, les derniers, avec les doigts. En avancant ce bras. La parole ne montait plus. Les lèvres restaient closes. Le regard était droit. Dur. Mais comme la volonté, l'expression, la franchise intérieure peuvent l'être. Tout son être, le concentré de son existence se trouvaient là. Au bout de ce bras, de ces cinq doigts qui tremblaient vers moi. Au bout de ces deux yeux, que quelque chose de funeste commencait de voiler légèrement. Soie.

    Je saisis sa main. Il soupira lentement. Très lentement. Je sus qu'il était en train de me dire les choses essentielles. Tout ce que la vie qui s'échappe fait monter du coeur, du ventre, de la gorge, de nulle part. De partout. Comprenne qui le vivra.

  • Philosophie de la corrida

    medium_castella.jpegIl y a des textes de 4ème de couverture qui donnent immédiatement envie d'entrer dans le livre qu'elles résument. Celui-ci par exemple Philosophie de la corrida, qui paraît chez Fayard :

    (...) "Parce qu'elle touche aux valeurs éthiques et qu'elle redéfinit l'essence même de l'art, la corrida est un magnifique objet de pensée.

    La corrida est une lutte à mort entre un homme et un taureau, mais sa morale n'est pas celle que l'on croit. Car aucune espèce animale liée à l'homme n'a de sort plus enviable que celui du taureau qui vit en toute liberté et meurt en combattant. La corrida est également une école de sagesse : être torero, c'est une certaine manière de styliser sa vie, d'afficher son détachement par rapport aux aléas de l'existence, de promettre une victoire sur l'imprévisible. La corrida est aussi un art. Elle donne forme à une matière brute, la charge du taureau; elle crée du beau avec son contraire, la peur de mourir; elle exhibe un réel dont les autres arts ne font que rêver.

    Sous la plume jubilatoire de Francis Wolff, on découvre ce que Socrate pensait de la tauromachie, que Belmonte peut être comparé à Stravinsky, comment Paco Ojeda et José Tomas fondent une éthique de la liberté et pourquoi Sébastien Castella* est un virtuose de l'impassible..."

    *(photo).

     

  • Revoir un bon vieux Godard

    medium_a_bout.jpegA BOUT DE SOUFFLE, par exemple. Soudain (forcément soudain) Belmondo cite Lénine : "Nous sommes des morts en permission". Paf! Plus loin, il feuillette Abracadabra, de Maurice Sachs (Gallimard 1952). J'aime prélever ces signes de piste à la pince à épiler lorsque je revois un film. Va comprendre!..

     Les jolies jambes de Jean Seberg 

  • Lisez LE JOURNAL DES LOINTAINS

    medium_DSCF2719.2.JPGMon pote Marc Trillard, écrivain, bourlingueur (si on ne parle pas de ses potes ici, hein!), dirige la revue-livre littéraire JOURNAL DES LOINTAINS (éd. Buchet-Chastel, 17€). Le n°5 vient de paraître. J'y publie AU CUL DES COQS DANS LA BRUYERE KAZAKH, fragments d'un journal tenu là-bas. Cela s'appelle de la promo. De l'auto promo même. So what?!...
    Tout est bon à déguster ou à dévorer dans cette livraison : de Bernard Chambaz qui nous emporte d'Arkhangelsk à Astrakhan à Olivier Soufflet qui nous cornaque à La Réunion, en passant par la Birmanie d'Henri Marcel.
    Voici le début de mon long texte sur le Kazakhstan. La suite se trouve en librairie...
    29 août. Vol Paris-Istanbul. Escale dans la capitale turque. Eternelle magie du voyage. Jusque dans les façons de faire pour reconnaître individuellement ses bagages sur la piste, avant de remonter dans l’avion... Ce qui me ravit délicieusement énerve toujours quelques grincheux qui ont vite recours à l’adjectif sauvage pour désigner les us d’une civilisation étrangère. C’est affligeant. Les veneurs qui sont du voyage et qui tenteront de prendre un cerf maral –le plus gros du monde- avec leur meute de quarante-deux chiens solognots et les petits chevaux kazakhs, sont moins cul pincé que je ne le craignais. Ils sont même assez chauds : chaque femme qui passe est déshabillée du regard et abordée sans ambages. Ils aiment aussi l’alcool et les cigares et semblent peu habitués à voyager. C’est de bon augure. Touffeur. Attente. Retard (prévisible) de l’avion pour Alma-Ata (j’ai du mal à dire ou à écrire Almaty car Alma-Ata, c’est comme Samarkand et Zanzibar, comme la route de la soie ou celle des épices : du rêve brut). Vendeurs de loukoums. La photo de Carole Bouquet au duty-free. Bu une bière tiède. 21 heures (locales). L’avion est plein. Beaucoup de chinois et de mongols, j’avoue ne pas les distinguer avec certitude... 
     

  • Relire Blondin

    medium_blond29642.jpgA la faveur d'un hors-série "Rugby" que je conconcte entièrement en ce moment (Coupe du Monde oblige) pour VSD, je relis Antoine Blondin avec un bonheur intact. Les enfants du bon Dieu, par exemple. C'est son second roman et il reparaît cette semaine dans La Petite Vermillon, la collection de poche de La Table ronde. Alain Cresciucci, biographe de Blondin, rappelle ceci dans sa préface, à propos de la petite musique d'Antoine : Roger Nimier parlait de "blondinisme" dont il avait tiré le verbe "blondiner" : "Façon d'entrer dans le monde en utilisant son coeur comme ouvre-boîte". Voici de quoi faire chavirer les plus rétifs et tous ceux qui ne sont encore jamais entrés chez Monsieur Jadis, qui n'ont jamais aperçu Un Singe en hiver, mais qui possèdent une Humeur vagabonde... J'en profite pour signaler (également dans la Petite Vermillon) la reprise du premier livre de mon ami Olivier Frébourg : Roger Nimier, trafiquant d'insolence. C'est brillant, nerveux, ça claque. C'est de la vitamine effervescente.

  • Le Nouvel Obs en parle

    Dans l'édition Paris Ile-de-France du Nouvel Observateur daté du 10 au 16 mai, à la page "Expo" de Bernard Géniès, je lis ceci :

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    Marine Mazzella

    Tandem 10, rue de la Butte-aux-Cailles (13è); 01-45-80-48-04. Jusqu'au 31/5.


    Une quinzaine d'images de cette jeune photographe, qui ne se sépare jamais de son appareil numérique, prennent place dans ce bar à vins du haut de la rue. En noir et blanc ou en couleur, ses instantanés parisiens frappent par leur humanité ("la Vieille Dame qui toréait les pigeons") et un réel talent pour les cadrages impeccables. 

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    Si vous êtes de passage sur la Butte (aux Cailles, Paris 13ème), allez-y de ma part. Nico et Philou vous accueilleront avec un verre de blanc sec ou de rouge judicieusement choisis.  

  • Etonnante littérature

    Plusieurs d'entre vous ne parviennent pas à naviguer sur le site des Etonnants voyageurs et ne trouvent donc pas ma tribune "La littérature a de l'asthme". Il suffit pourtant de copier le lien (en vert) de la note précédente, ou bien, une fois sur le site : www.etonnants-voyageurs.net , d'aller sur l'onglet "Saint-Malo", puis de cliquer sur "Manifeste". Et enfin de cliquer sur mon nom. Bonne lecture. J'attends vos réactions ici. L.

  • Etonnants voyageurs

    Le site de l'écrivain et éditeur Michel le Bris et de son magnifique Festival des "travel-writers" "Etonnants voyageurs", lequel se tient chaque année (fin mai) à Saint-Malo, publie cette semaine mon texte "La littérature a de l'asthme", en réaction au désormais fameux "Manifeste pour une littérature-monde" (paru il y a peu en Une du "Monde des Livres")...

    Voir le site www.etonnants-voyageurs.net/spip.php?article1668

     

  • Les écrivains dans leur jardin, florilège.

    Des Mille et une nuits à Proust, du Cantique des cantiques à Kafka et Flaubert, en passant par Yourcenar ou Ji Cheng et Claude Simon, les grands textes, et de nombreux écrivains, ont célébré le jardin. Florilège et promenade dans les allées, avec larges extraits.
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    Voltaire, d’abord. Avant La Genèse. Candide, chapitre XXX : « Il faut cultiver son jardin ». Dont acte. Le précepte est indestructible. Ecrit à l’anti-rides. Et l’avantage, c’est que chacun l’interprète à sa guise ou selon son humeur. Telle est la non-leçon voltairienne. Sa lumineuse liberté.
    La Genèse, donc : « Iahvé Elohim planta un jardin en Eden, à l’Orient, et il y plaça l’homme qu’il avait formé. Iahvé Elohim fit germer du sol tout arbre agréable à voir et bon à manger, ainsi que l’arbre de vie au milieu du jardin et l’arbre de la science du bien et du mal. Un fleuve sortait d’Eden pour arroser le jardin… » (C’était commode).
    Depuis, le jardin n’a cessé d’inspirer. L’existence même du jardin est source d’inspiration : avant d’être sujet d’écriture, le jardin comme espace et environnement de l’écrivain, est propice à l’écriture. Il n’est qu’ à lire ce petit bijou qu’est Ecrit dans un jardin, de Marguerite Yourcenar, pour s’en convaincre. L’art du jardin, spécialité extrême-orientale classique, est éminemment littéraire : en effet, comment ne pas oser la métaphore des plantes et des fleurs que l’on plante avec les mots et les phrases que l’on pose ?
    Yuan Ye (Le Traité du jardin, publié en 1635), du maître jardinier chinois Ji Cheng, inscrit l’action dans la durée. Comme l’écrivain l’écriture : « Au bord du ruisseau, on plantera des orchidées et des iris. Les sentiers seront bornés des Trois  Bons Amis (le prunier, le bambou et le rocher). Il s’agit d’une œuvre qui doit durer mille automnes. (…) Quoique fait par l’homme, le jardin semblera l’œuvre de la nature ». Et le livre, légende. Un « livre de sable », une notion chère à Jorge Luis Borges. Sensuelle, pensée avec méticulosité, l’art du jardin est un bouquet de vertus pour l’âme et les sens. C’est un art  qui veille au bien-être et prédispose à la création, en somme : « Dans la nuit, la pluie tombera sur les bananiers, comme les larmes de sirènes en pleurs. Quant à la brise matinale, elle soufflera à travers les saules qui se balanceront comme des selves danseuses. (…) Il faut planter les bambous devant les fenêtres et les poiriers dans les cours. Le vent, murmurant à travers les arbres, viendra effleurer doucement le luth et les livres posés sur le chevet ». Avec une poésie subtile, le maître jardinier qui conçut de nombreux jardins sous la dynastie Ming, disait encore : « Bien que tout ceci ne soit qu'une création humaine, elle peut paraître œuvre du Ciel »…
    Remonter au Poème de la Bible, Le Cantique des cantiques permet d’y cueillir d’admirables pétales sur le motif. « C’est un jardin fermé que ma sœur fiancée, une source fermée, une fontaine scellée ; un bosquet où le grenadier se mêle aux plus beaux fruits, le troène au nard, le nard, le safran, la cannelle, le cinname à toutes sortes d’arbres odorants, la myrrhe et l’aloès à toutes les plantes embaumées ; une fontaine dans un jardin, une source d’eau vive, un ruisseau qui coule du Liban. Levez-vous, aquilons ; venez, autans ; soufflez sur mon jardin pour que ses parfums se répandent. Que mon bien-aimé entre dans son jardin et qu’il mange de ses beaux fruits ! ».
    Les Mille et Une Nuits ne sont pas non plus en reste d’évocations merveilleuses. Une parmi cent : « J’ouvris la première porte, et j’entrai dans un jardin fruitier, auquel je crois que dans l’univers il n’y en a point de comparable. Je ne pense pas même que celui que notre religion nous promet après la mort puisse le surpasser. (…) J’en sortis l’esprit rempli de ces merveilles ; je fermais la porte et ouvris celle qui suivait. Au lieu d’un jardin de fruits, j’en trouvai un de fleurs, qui n’était pas moins singulier dans son genre… ».
    Verlaine, dans ses Poèmes saturniens, pousse lui aussi la porte qui ouvre sur le jardin merveilleux : « Ayant poussé la porte étroite qui chancelle,/Je me suis promené dans le petit jardin/Qu’éclairait doucement le soleil du matin,/Pailletant chaque fleur d’une humide étincelle… ».
    La beauté des jardins a toujours captivé les poètes. Les fruits, les fleurs –depuis Ronsard (« Mignonne, allons voir si la rose… »)-, produisent par ailleurs des métaphores tantôt libidineuses, tantôt amoureuses. Question de sève.
    Venant de Victor Hugo, cela peut étonner : « Nous allions au verger cueillir des bigarreaux. / Avec ses beaux bras blancs en marbre de Paros. (…)/Ses petits doigts allaient chercher le fuit vermeil,/Semblable au feu qu’on voit dans le buisson qui flambe./Je montais derrière elle ; elle montrait sa jambe/Et disait : « Taisez-vous ! » à mes regards ardents ; (…) Penchée, elle m’offrait la cerise à sa bouche ;/Et ma bouche riait, et venait s’y poser,/Et laissait la cerise et prenait le baiser ».
    Alexandre Vialatte, lui, aime les jardins municipaux : « L’homme ne vit réellement sa vie que dans la paix végétale des squares municipaux, devant le canard de Barbarie. (…) Si bien qu’on se croit au paradis et qu’il ne faut toucher à rien, ni aux fleurs, ni au séquoia, ni au canard, ni au silence, ni au jet d’eau, ni aux instruments de précision, de peur de fausser le mécanisme ; qui est certainement celui du bonheur ». Et c’est ainsi qu’Alexandre est grand !
    Dans un registre différent, l’immense Claude Simon, dans Le Jardin des Plantes (il vécut Place Monge, dans le 5ème à Paris, à deux pas du Jardin de Buffon, Lacépède, Cuvier, et Jussieu), évoque avec une minutie saisissante, et dans une prose somptueuse, l’atmosphère du Jardin : les gens qui cassent la croûte, les clochards qui roupillent sur les bancs, le jardin zoologique, le Museum, les joggeurs, sur lesquels « les pastilles de soleil criblées par les feuillages glissent…  (…) De nouveau, jaillissant des épaisses et vertes frondaisons des acacias, des peupliers, des frênes, des platanes et des hêtres l’oiseau lance son ricanement strident, moqueur et catastrophique qui monte par degrés, se déploie et retombe en cascade ».
    Autre géant trop souvent réduit à certains aspects de sa vie privée, André Gide, qui vécut rue de Médicis, en face des Jardins du Luxembourg, à Paris, décrit fréquemment le « Luco », notamment dans Les Faux-Monnayeurs.
    Comme Louis Aragon le fit, dans Le Paysan de Paris, au parc des Buttes-Chaumont, en y observant sa faune nocturne en compagnie d’André Breton. Il a notamment cette remarque sibylline : « Tout le bizarre de l’homme, et ce qu’il y a en lui de vagabond, et d’égaré, sans doute pourrait-il tenir dans ces deux syllables : jardin. Jamais, qu’il se pare de diamants ou souffle dans le cuivre, une proposition plus étrange, une plus déroutante idée ne lui était venue que lorsqu’il inventa les jardins »…
    Flaubert nous montre quant à lui un Pécuchet complètement absorbé par son jardin, habité par l’obsession de la bonne conduite des tailles et autres semis, sous l’œil critique de Bouvard. Car Pécuchet n’a pas la main verte… Le passage suivant vaut par son humour  : « Les boutures ne reprirent pas, les greffes se décollèrent, la sève des marcottes s’arrêta, les arbres avaient le blanc dans leurs racines ; les semis furent une désolation. Le vent s’amusait à jeter bas les rames des haricots. L’abondance de la gadoue nuisit aux fraisiers, le défaut de pinçage aux tomates. Il manqua les brocolis, les aubergines, les navets, et du cresson de fontaine, qu’il avait voulu élever dans un baquet. Après le dégel, tous les artichauts étaient perdus. Les choux le consolèrent. Un, surtout, lui donna des espérances. Il s’épanouissait, montait, finit par être prodigieux et absolument incomestible. N’importe, Pécuchet fut content de posséder un monstre. Alors il tenta ce qui lui semblait être le summum de l’art : l’élève du melon ». Ce sera, on s’en doute, un échec cuisant.
    Nous pourrions ainsi citer, à l’envi, Les Géorgiques de Virgile, L’Odyssée d’Homère, Esope (plagié plus tard par La Fontaine), Boileau, Huysmans, Balzac, pour ne citer que quelques grands classiques. Tous ont magnifié le jardin comme  espace, tantôt foisonnant, tantôt raidi par l’ordre. Le génie du lieu, ouvert et façonné, a donné des pages éblouissantes chez Horace Walpole, auteur d’un Essai sur l’art des jardins modernes, et pour qui « créer un jardin, c’est peindre un paysage ». Le père fondateur du roman gothique louait le jardin à l’anglaise et vilipendait le jardin français façonné « à la Le Nôtre »… Vieille querelle, que les jardins japonais, subtils, font taire en étant seulement.
    Colette, avec la fluidité de sa prose enchanteresse, aimait passionnément les jardins, même si la nature sauvage mais douce de sa Puisaye natale, avait sa préférence : « Demain je surprendrai à l’aube rouge sur les tamaris mouillés de rosée saline, sur les faux bambous qui retiennent, à la pointe de chaque lance bleue, une perle… ».
    À l’opposé, Marguerite Duras décrit, superbement, et comme un pied de nez aux jardins bien ordonnés, un jardin de banlieue triste, du côté de Vitry, dans La Pluie d’été. L’auteur des Journées entières dans les arbres, adorait décrire tous les jardins, même luxuriants et indochinois (voir Le Square).
    Il y a encore le jardin intérieur, « les roses fleurissent à l’intérieur », disait Jean Jaurès. À distinguer du nénuphar qui pousse à l’intérieur du poumon de Chloé (dans L’écume des jours, de Boris Vian), et du Roman de la rose, d’un Moyen-Âge qui aimait enclore l’amour courtois : la rose symbolisait la femme et le jardin, le lieu clos où elle se cachait.
    Il y a enfin le jardin secret, là où poussent nos rêves et nos désirs. Et je laisserai, par paresse et par admiration, le mot de la fin à Antoine Blondin : « Un peu plus aventureux, je me serais fait jardinier ». L.M.
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    Lire absolument : Le goût des jardins, et Les jardins secrets (Mercure de France), et chercher obstinément Eloge du jardin, offert il y a deux ans par Arléa pour l’achat de quelques livres. Car ce sont trois anthologies très précieuses.
     
    J'ai publié ce papier dans Le Journal du Salon du Livre de Paris, il y a quelques jours, fin mars. 

  • Le Politique et le Littéraire

    A la mémoire de Pierre Moinot.
     
    La tentation littéraire est une tendance récurrente chez nos hommes politiques. Rarement avec succès. Analyse du sujet
     
    N’est pas Malraux qui veut. Les hommes politiques  français ont toujours été tentés de faire une œuvre littéraire, en complément d’objet direct de leur destin politique. C’est plus fort qu’eux : laisser une si jolie trace de leur passage dans les Ministères ou dans les Chambres, semble être une habitude hexagonale, depuis Montaigne, tantôt maire de Bordeaux, tantôt auteur des « Essais ». Mais Dr Jekyll et Mr Hyde ne boxent pas toujours dans les mêmes catégories…Rarement avec talent, souvent avec peine, la plupart du temps, c’est en faisant seulement des livres que ces traces apparaissent. Et chacun sait que le livre ne fait pas la littérature, loin s’en faut. Les exemples fameux –contemporains seulement*-, se comptent sur les doigts de la main de Blaise Cendrars : André Malraux d’abord, Saint-John Perse, Paul Claudel, Léopold Sédar Senghor, Paul Morand. Et encore ! Parmi ceux-ci, les ambassadeurs sont-ils d’authentiques politiques ?Évidemment, nombreux sont ceux, parmi les ténors d’aujourd’hui, qui publient. Mais il est à noter que beaucoup s’adonnent à la biographie, d’un de leurs maîtres généralement. (Laissons de côté les ouvrages partisans, de programmes et d’entretiens).  Jack Lang, François Bayrou, Alain Juppé, Philippe  Séguin, Robert Badinter… Ils ont tous écrit « leur » Henri IV, leur François Ier, leur Montesquieu, leur Talleyrand. Des livres d’histoire. Certains excellents, d’autres hagiographiques, et d’autres encore tellement narcissiques que l’on se demande si ce ne sont pas des allégories du transfert. Des projections en forme de bio. D’où le fossé : Flaubert pouvait écrire : « Madame Bovary c’est moi ». Aucun homme politique, saisi par la tentation romanesque, n’a pu dire une chose pareille. Ils peuvent tout au plus laisser accroire que, François Ier, c’est (un peu) eux …Lorsque Valéry Giscard d’Estaing, amateur de Maupassant, s’essaye au roman, cela donne « Le Passage », et quand Alain Juppé se lance dans le Journal, façon « mes travaux et mes jours », cela produit « La Tentation de Venise » : deux ouvrages que la littérature n’a pas jugés bon de retenir.Autrement dressé, ce portrait de groupe revient à signifier que l’homme politique n’est pas littéraire, romancier, mais seulement essayiste ; si l’on excepte Malraux. Et il est rarement (grand) poète, comme Aimé Césaire.La tentation poétique fait de Dominique de Villepin un talentueux anthologiste. Pas un poète. (passer derrière l’incontestable Pompidou n’était pas aisé, sauf à moderniser le propos, ce qui fut fait), avec son « Eloge des voleurs de feu ». Citer René Char à tout bout de champ et de titre d’essai ne suffit pas pour être confondu avec un allié substantiel…L’exception vient peut-être de quelques esprits hors du commun, comme Jacques Attali, à la faveur du talent protéiforme et prodigieusement productif du sujet, lequel publie des essais remarquables et remarqués, et touche à presque tout, du traité d’économie au roman, de la biographie au théâtre… La tentation saint-simonienne a fait son succès avec les « Verbatim » élyséens. Depuis, chacun de ses livres se vend plutôt bien, y compris « La Vie éternelle, roman »...Autre cas à part et semblable au cas Attali  : celui de Régis Debray : brillant essayiste et romancier reconnu depuis « La Neige brûle », il est aussi un fin observateur critique de la sphère du pouvoir. Seulement, pouvons-nous considérer les conseillers du Prince comme des hommes politiques, au moins de l’ombre ? Si oui, nous observons alors certaines éminences grises effectuer un chemin à l’envers, qui va de la fiction à l’essai. Denis Tillinac, romancier employé à plein temps par la littérature dans tous ses états, est entré, sur le tard, dans le monde de la réflexion, en publiant des essais, parfois graves, « Elluliens »  –mais sans délaisser le roman pour autant! Cela se produisit peut-être à cause de (ou grâce à) son immersion en Chiraquie.Il y a le fantasme, aussi : le mythe Mitterrand est nourri par un amour immodéré des livres et de la littérature, qui en a fait un écrivain sans livres. Enfin : sans œuvre proprement littéraire. Un amateur. Un vrai grand homme politique à la française : cultivé et fin connaisseur de littérature classique. C’est la tentation colossale. Ainsi, chacun garde l’image de Tonton lisant « En lisant en écrivant », de Julien Gracq, dans l’avion présidentiel… Une image qui évacua l’auteur de « La Paille et le grain ». Normal ! Le patron de la politique française lisant « le patron des lettres françaises », comme l’a nommé un jour François Nourissier, ça en jette pour l’Histoire.Peut-on parler d’œuvres littéraires, enfin, à propos de certains ouvrages politiques ? Et en nous fondant sur quels critères ? Depuis Saint-Simon, que l’on peut prendre plaisir à lire en dehors du sujet qu’il traite, grâce à sa haute teneur littéraire, qui donc nous a émus ? Chacun possède sa « short list », selon sa famille politique et ses affinités.Les Mémoires valent généralement davantage pour leurs révélations, leurs secrets enfin dévoilés, que pour leur tenue littéraire. Font exception celles d’un De Gaulle (publiées dans la collection La Pléiade ! Mais l’Académie française, autre « collection » de luxe, a bien accueilli  l’un des successeurs du Général parmi les siens. Dans un cas comme dans l’autre, le soupçon de condescendance est de mise), ou celles d’un Pierre Mendès-France ou encore d’un Alain Peyrefitte. Chacun mes goûts !Et puis nous pouvons nous poser la question suivante : un homme politique s’étant retiré prématurément des affaires publiques, peut-il devenir un bon écrivain ? Il en a le droit. Mais le pouvoir ?.. Le cas de François Léotard, dont on commence à louer le talent, à l’occasion de la sortie de son troisième roman, « Le Silence », est relativement isolé. « La maîtrise du verbe s’acquiert », déclarait l’ancien ministre au « Monde des Livres », le 9 mars dernier. Huguette Bouchardeau, une fois ex-ministre, s’est essayée au roman. Elle est également devenue éditrice. Et elle nous permet ici, de parler, enfin, de femme politique, et plus seulement d’homme ! Les femmes de la trempe de Simone Veil sont rares. Encore plus rares celles qui font œuvre littéraire. Les Mémoires de Madame de Genlis sont là pour nous le rappeler, avec perfidie, tout en mettant en garde les femmes ayant des velléités d’écriture, « comme les hommes »…Le mundillo  littéraire demeure méfiant devant un produit comme le nouvel opus d’un François Léotard : l’auteur n’étant pas du sérail, il ne sera jamais « des nôtres »… L’attitude, corporatiste, exclusive et un brin hostile dans sa préciosité, est typiquement française. La méfiance du Littéraire est aussi  forte vis-à-vis de l’intrusion du Politique dans son pré carré, qu’envers celle du show-biz. Il a d’ailleurs une bonne raison de s’en méfier, le Littéraire : c’est lui, en principe, qui est sollicité pour faire office de « nègre » : le Littéraire tient la plume du Politique, comme il tient celle du chanteur ou de l’actrice. Alors, lorsque le premier tient tout seul sa plume, le Littéraire doute. Et hésite à l’accueillir  sur son terrain de jeu, où les règles d’appartenance et de maintien sont drastiques.On le voit bien, la tentation littéraire de nos hommes politiques est incontestablement plus fantasmatique dans le pays de Voltaire, que partout ailleurs, et c’est heureux. Nous vivons plutôt bien dans un pays qui parle de bouffe à table, se chamaille pour une sauce avec autant de virulence que pour un candidat à la Présidence, et adore débattre jusqu’à plus soif de la vénération de certains hommes politiques pour la chose littéraire. D’autant que cette bizarrerie, eu égard à la majorité écrasante de technocrates appelés à nous gouverner, aurait tendance à disparaître. À appartenir un jour au Musée, comme la cigarette de Pompidou, anthologiste de la poésie française, qui fut aussi Président de la République . Française elle aussi… L.M.
    ---- 
    *Laissons le Cardinal de Retz de côté pour nous attacher à la modernité, ainsi que les auteurs étrangers : les Mario Vargas Llosa, les Carlos Fuentes, les Octavio Paz (pour ne citer que des écrivains Sud-Américains-, ayant fait ou continuant de faire œuvre politique en marge de leur œuvre principale). Ces derniers sont des écrivains qui « donnent » dans le politique, et pas l’inverse. 
     
    Texte publié la semaine dernière dans Le Journal du Salon du Livre. 

  • Allez au musée!

    medium_cover.jpgDans "Le Nouvel Obs" de cette semaine, édition Paris - Île de France, paraît un dossier que j'ai eu le plaisir de "piloter" (et de co-rédiger). Il est consacré à l'art contemporain en Ile de France et en province. Allez-y voir! Il y a des musées et des expos qui décoiffent, pour tout le monde, dans l'Essonne, le Val de Marne, le Limousin, à Bordeaux, Montpellier, Caen, Rennes, Rouen, Saint-Paul-de-Vence, Sérignan -dans l'Héraut... C'est pas de la pub, c'est un "post" sur mon blog? Hé! Ho!

  • Les bigoudis verts de Voltaire

    « Il faut cultiver son jardin »

    Candide n’avait pas raison : il a raison. La fameuse phrase de Voltaire résonne aujourd’hui comme une bouffée d’air frais chargé de chlorophylle. L’encre a toujours aimé la proximité de ce parfum-là. Le génie des Lumières est là. La riche idée de donner tant d’espace à l’allégorie du jardin ! De rappeler qu’il est un vrai sujet littéraire, une source d’inspiration, un lieu d’écriture, un puits de métaphores. L’art du jardin –une vraie science extrême-orientale-, enseigne, dans le Yuan Ye, qu’il faut borner les sentiers des Trois Bons Amis : le prunier, le bambou et le rocher, car il s’agit d’une œuvre qui doit durer mille automnes. Quid de la littérature aujourd’hui ? Son ambition n’est-elle pas, depuis l’invention de l’écriture, de durer, elle aussi, mille automnes ? Or, lorsqu’elle passe l’hiver, elle s’estime heureuse ; survivante… L’enseignement du jardin, celui de Voltaire, et de tout jardinier, sont bien là : planter pour durer, travailler pour laisser la trace. « La démarche créée le chemin », chuchote le poète Portugais Eugenio de Andrade. Suivre la leçon, ne pas succomber à la tentation des paillettes, rester sourd aux Sirènes de l’Ephémère. Air connu, c’est vrai. Mais qu’il faut malgré tout chantonner régulièrement. Oui, le jardin procède donc d’un authentique art de vivre. Le jardin ou le génie du lieu. Le jardin comme soupir. Comme pansement pour apaiser  l’asthme allégorique et chronique qui saisit tout amateur de littérature. Face à  l’anxiété récurrente du mundillo littéraire devant la mort encore annoncée du roman, il y aura toujours le recours salutaire au jardin. LM
    (Edito du Journal du Salon du Livre de Paris, 23 mars 2007).




  • René Char, l’indispensable


    À l’occasion du centenaire de sa naissance, le pays fête l’un de ses très grands poètes. Char devient un compagnon pour de nombreux lecteurs. Qui s’en plaindra, en ces temps de manque ?
    René Char aurait donc eu 100 ans le 14 juin prochain. Avant d’évoquer le poète, ce numéro du Journal du Salon étant consacré au « littéraire et au politique », il nous est permis d’évoquer brièvement le Capitaine Alexandre –surnom de Résistance de René Char-, autrement dit les années sombres qui donnèrent ce chef d’œuvre de poésie et d’engagement intitulé Feuillets d’Hypnos. Des notes qui « marquent la résistance d’un humanisme conscient de ses devoirs, discret sur ses vertus, désirant réserver l’inaccessible champ libre à la fantaisie de ses soleils, et décidé à payer le prix pour cela ».
    medium_char.GIF Marqué par le message d’Héraclite et par celui d’Hölderlin, Char se situe dans la filiation directe de ces grands voyants. Poète solaire, de l’éclair et du fragment, de « la radicalité de la nuance » (l’expression est de son ami Albert Camus), René Char est aujourd’hui fêté comme l’immense poète qu’il est. Aimé passionnément, plébiscité, lu par de plus en plus de jeunes, la poésie de Char a même inspiré au moins deux générations de poètes, dont une a déjà pris sa retraite. Car le plus difficile peut-être, lorsqu’on entretient un commerce avec la poésie morale de Char, avec ses aphorismes parfois abscons, ses déclarations fulgurantes –derrière lesquelles il nous semble chaque fois entendre sa voix forte à l’accent provençal-, soit avec l’essentiel des poèmes qui composent ses recueils majeurs : Fureur et mystère, Les Matinaux, La Parole en archipel, Le Nu perdu, Recherche de la base et du sommet, c’est de savoir se débarrasser progressivement de Char, dont l’influence est tentaculaire. Char envoûte. Char nous dure. Ils sont nombreux à être tentés de faire de sa poésie, non seulement un oeuvre de chevet, mais un bréviaire pour chaque matin qui se lève. Un compagnon de route. Un viatique. Un allié substantiel… Citer Char peut devenir une manie. Il en existe de pires. Mais, à la manière d’un conseil à un jeune poète, j’ai envie de chuchoter que le danger est alors de se trouver sous emprise. Il faut, à la fin, se garder de Char...
    À l’occasion de ce centenaire et du Printemps des poètes, l’indispensable collection Poésie/Gallimard, que dirige un autre poète qui a
    medium_Couv_Pays_de_Rene_Char_.2.jpg connu Char, André Velter, publie une édition exceptionnellement belle, précieuse, de Lettera amorosa (enluminée par Georges Braque et Jean Arp). Il s’agit sans doute du plus beau poème d’amour en prose française du XX ème siècle (avec Prose pour l’étrangère, de Julien Gracq). Lettera amorosa devrait être à l’authentique poésie de l’amour pur, ce que Belle du seigneur est devenue au fil des ans, pour le roman de l’amour fou : le cadeau idéal à faire à celle ou celui que l’on aime. C’est en tout cas tout le « mal » que je souhaite à ce magnifique petit livre bleu. De même que je souhaite à tous ceux que l’environnement et l’esprit de l’œuvre de Char intéressent (Char est en effet indissociable des amitiés nombreuses qu’il noua avec les peintres qui comptent le plus aujourd’hui), de plonger dans le magnifique album que Marie-Claude Char donne à Flammarion : Pays de René Char. L’épouse du poète de l’Isle-sur-la-Sorgue n’a de cesse d’œuvrer au rayonnement de cette œuvre capitale, et qui ne fait que grandir, depuis la disparition de son auteur en février 1988. Ce nouvel ouvrage de Madame Char, d’une très haute tenue, nous fait pénétrer l’intimité du monde de René Char.  Aux Busclats, à Paris, en Alsace, ailleurs, en famille, en compagnie d’amis : résistants, compagnons de son village, artisans, peintres célèbres : Gaspérine, Braque, Giacometti, Staël, écrivains et poètes : Camus, Eluard, Dupin, compagnons de route artistique comme les époux Zervos. Tant d’autres personnages admirables, inconnus ou célèbres, ayant fait du chemin avec, à Céreste notamment, ayant vécu la simplicité des jours, l’importance de l’art, le sérieux –ou l’impérieuse nécessité plutôt-, de la poésie, en commune présence avec le poète. « Partout en son Pays : la poésie », souligne Marie-Claude Char. Un ouvrage de référence paraît. Char est splendidement fêté. L.M.
    (texte paru dans Le Journal du Salon du Livre de Paris qui vient de s'achever, et que j'ai co-rédigé chaque jour). 

  • En lisant...

    Quelques notules sur mes lectures récentes
     
    Les Classiques du Rugby
    Nul ne s’étonnera de ce que Denis Tillinac, Pdg de La Table ronde, auteur lui-même d’un inoubliable Rugby blues, lance une collection intitulée « Les Classiques du rugby », qui se propose de publier 15, ou plutôt XV titres d’ici le coup d’envoi de la Coupe du Monde, contre laquelle la collection entend s’appuyer. Six titres sont déjà sortis : ce sont tous de salutaires rééditions. Des classiques, comme Le Rugby c’est un monde, de Jean Lacouture, à l’érudition joyeuse, ou Les Contes du rugby, de Henri Garcia. Des souvenirs truculents : Qui veut jouer avec moi ?, au fort accent bayonnais, d’Adolphe Jauréguy. Les Ovaliques, de Georges Pastre, mélange de récits, de pastiches et d’histoires drôles. Sacrées bourriques ! Les gladiateurs du rugby (comprenez les avants : ceux qui déménagent les pianos, mais n’en jouent pas…), ne sont pas les mules que l’on croit. Paul Katz le prouve. Enfin, Légendes d’ovalie, de Benoît Campistrous et Jean Lapoujade, aux accents « Haedensiens ». Tous ces grands petits bouquins expriment le rugby comme façon de vivre et d’être au monde. Chacun répète que le rugby est un état d’âme, un mystère, un envoûtement. Suivront, notamment, Ironies ovales d’Antoine Blondin, L’esprit du jeu. L’âme des peuples, de Daniel Herrero et Mon beau rugby, de Paul Voivenel. Au total, une équipe de livres qui sentent tous le « grrrand sud », et ne manquent donc ni de force ni de caractère. Cette collection ne doit pas nous faire oublier le plus émouvant des livres « littéraires » parus en 2006 sur le sujet (à La Table ronde aussi) : les Mémoires de l’aîné des Boni : André Boniface : Nous étions si heureux…

    Exquis d’écrivains et nourritures canailles

    Une nouvelle collection, que dirige Chantal Pelletier chez Nil, se propose de faire passer à table des écrivains gourmands ou gourmets. Claude Pujade-Renaud, avec Sous les mets les mots, Chantal Pelletier : Voyages en gourmandise, et Martin Winckler : A ma bouche, ouvrent le bal. Ces diables de petits livres sont tantôt sensuels, tantôt drôles, toujours métissés de saveurs et de souvenirs d’enfance. Algérienne pour Winckler, Lyonnaise et Bressanne pour Pelletier, Méditerranéene et Béarnaise pour Pujade-Renaud. Voyages dans le monde des mots et le monde des saveurs des cinq continents, « exquis d’écrivains » mêle avec subtilité littérature et art culinaire. Une réussite.
    Autrement plus scientifique, le copieux essai sur les Nourritures canailles de Madeleine Ferrières, à qui l’on doit déjà une passionnante Histoire des peurs alimentaires (les deux au Seuil), nous raconte et nous explique, avec une érudition qui force le respect, la généalogie des racines de la cuisine française. Cette histoire des habitudes alimentaires se double d’un essai brillant qui démontre –entre autres choses-, que la cuisine dite bourgeoise, est en réalité la cuisine de pauvres. Etude de plats emblématiques à l’appui. Passionnant.

    Nur
    Avec Nur (Rouergue), Arnaud Rykner signe un bref texte d’amour brut. Un homme rencontre une jeune et très belle femme au cours d’un voyage d’affaires dans un pays oriental dévasté par la guerre. Sa peau à elle est aussi mate que la sienne est pâle. Elle est mariée, aime son mari, mais elle aime aussi aimer à fond cet homme surgi de nulle part. Le sexe les unit, la sensualité les avale. Il l’appelle Nur : « seulement », en Allemand. « Lumière », en Arabe. Et dit qu’ils vivent, l’espace que quelques jours à peine, un amour de roman, comme il n’en existe que dans les livres… L’absolu de cet impossible amour est chuchoté dans une langue simple et redoutablement efficace. Percutante. Roman écrit à la deuxième personne, roman miroir de l’immédiateté, par conséquent, Nur résonne comme toutes ces histoires qui, parce qu’elles ne mènent à rien, nous disent tant sur nous-même.


    La maison du retour
    Avec La Maison du retour (Nil), journal du retour de l’enfer de sa captivité au Liban, dans la paix d’une maison de la Haute-Lande dont il fit l’acquisition, Jean-Paul Kauffmann signe un livre grave et profond. En compagnie des oiseaux de nuit qui chahutent dans le grenier, de deux maçons qu’il surnomme Castor et Pollux, d’un vieil exemplaire trouvé aux « Tilleuls », cette maison qu’il fit retaper,  d’extraits des Bucoliques et des Géorgiques de Virgile, Kauffmann va réapprivoiser le monde en laissant la nature s’emparer doucement de ses cinq sens. Subtil, pudique et intime à la fois, ce livre dit aussi l’étonnement d’un homme qui semble « revenu de tout » et qui revient peu à peu à tout. Comme un chevreuil avance à découvert entre pins et fougères. En s’émerveillant d’un crapaud à la peau bleue sur la margelle, du discours de faux rustres sur le terreau de son airial. En écoutant Haydn en boucle, et en s’accommodant du silence minéral de ses nuits solitaires. Un grand Kauffmann, comme on le dit d’un grand margaux.

    Retour sur le Camus de Musso
    La vérité camusienne est culturelle : Camus n’échappera pas à cette « castillanerie » que désignait son maître Jean Grenier, un brin railleur. L’orgueil de Camus est peut-être d’avoir su qu’il inventait une littérature  des confins : entre la littérature de rupture et la littérature traditionnelle. Camus ? Un écrivain border-line. Un philosophe pour classe tous risques, qui se plaisait à dire, au faîte de sa fulgurante ascension : « J’ai toujours eu l’impression d’être en haute mer : menacé au cœur d’un bonheur royal »… (Camus ou la fatalité des natures, de Frédéric Musso, Gallimard/Essais, déjà évoqué dans une note d’octobre ou novembre dernier…).

  • J'irai cracher sur...

    medium_crachoir.2.jpg


    J'ai piqué sur un blog littéraire recommandable (oui! il faut lire et relire Olivier Larronde!),

    le blog de Boulon

    (http://profdefrancais.hautetfort.com/),

    cette singulière illustration.

    Il n'y a pas de seau métier, dirait ma grand-mère...

  • Donner, recevoir

    "La pensée dominante assure que ce qui circule entre les hommes se définit essentiellement par l'échange marchand. Or le lien social n'est pas seulement fait de calculs et d'intérêts réciproques. Le don fait appel à une multitude de passions variables selon le contexte : honneur, prestige, image de soi... Fondamentalement, le don est ce qui fait que le lien est véritablement social ou humain". Le Seuil publie en avril "Ce qui circule entre nous", un essai de Jacques T. Godbout sur "donner, recevoir, rendre"... Il me tarde de voir ce que ce livre a dans le ventre.

  • Mort d'un écrivain rare

    J'ai connu Pierre Moinot. L'Académicien français, auteur de l'inoubliable, du magnifique "Guetteur d'ombre" (folio, Prix Fémina 1979), entre autres bijoux, était un homme exceptionnel. J'ai eu la chance de travailler avec lui, à son domicile parisien de la rue du Cherche-Midi, à mon recueil de nouvelles "Les Bonheurs de l'aube", avant de le faire avec  mon éditeur Olivier Frébourg. Pierre était l'un de mes souteneurs en littérature, avec Jean-Jacques Brochier (disparu l'année dernière). Il avait beaucoup oeuvré pour que j'obtienne le Prix Jacques-Lacroix de l'Académie française en 1993, pour mon premier roman "Chasses furtives", et lorsque Michel Déon en fit la préface pour sa réédition en 1995, Moinot me chuchota qu'il aurait été heureux de la rédiger, lui aussi... Je m'étais juré de lui demander une postface pour sa nouvelle édition prochaine (chez Privat en septembre) : trop tard. Pierre est mort le 6 mars dernier. Il était devenu aveugle et mes dernières lettres, adressées il y a deux ans -il voyait encore-, je les avais composées en corps 18, à l'ordinateur... Nous avons écrit un livre ensemble, et j'en suis encore plus fier aujourd'hui : "Chasses à coeur ouvert", avec Xavier Patier et Philippe Verro aussi (éd. du Gerfaut). Quatre textes de réflexion, pour dire que le chasseur a le pouvoir de donner la mort, mais aussi celui de ne pas la donner... Gallimard, l'éditeur de Pierre Moinot, annonce pour le mois d'avril, la parution de "La Saint-Jean d'été. Il y est question d'un gamin du marais poitevin "qui découvre le pouvoir de l'imaginaire, croit aux merveilles, espère des découvertes et ressent intensément son appartenance à la nature et à son histoire. Avec le grand âge, rien n'a changé". Pierre Moinot avait 86 ans.

  • Moi, chochote?..

    Comme souvent, je clique sur "Nouveaux blogs mis à jour" pour voir ce que les autres expriment sur leur blog. Là, il y a 2 minutes, j'ai cliqué sur http://lesitedemamere.hautetfort.com/ et je me suis posé la question : es-tu devenu ringard, léon, au point d'être un chouia choqué par un tel propos? Ou bien n'as-tu pas compris qu'il s'agissait du second degré, d'un qui joue avec Oedipe sans aucun complexe? Bref, il y a parfois, dans la blogosphère, d'étranges expressions. Mais passons...

  • Les Femmes en noir du Hadramaout

    Voyageur, dans non n° 1, publie donc ceci. Il manque les dessins de Catherine Delavallade!.. Pour les voir, rendez vous au kiosque à journaux le plus proche.

    Voici un bouquet de fragments extraits du long « Journal du Yémen », écrit sur place par Léon Mazzella au fil des rencontres avec des paysages et des êtres ; au fil des jours. Impressionniste, cette éphéméride sans date procède par touches pointillistes. La forme choisie lui a semblé la plus appropriée à un récit de voyage dans un pays imprégné de délicatesse et de subtilité.

    Toutes les poches en plastique qui volent au vent comme des mesquites dans le désert d’Arizona, sont noires par ici. Encore les femmes ! La couleur !

    Hadramaout (je ne me lasse pas de prononcer ce nom à voix haute : hhadrramoutt’ ), région de Wâdî Do’an, entrée dans le Daw’an vers midi.

    Cet âne bâté d’herbe très verte, avec une femme en noir derrière, assise sur l’extrémité de la croupe pointue de l’animal.

    A Al-Hajarayn: les deux falaises (al-hajjara : le rocher). Déception, à la dégustation. La réputation de meilleur miel du monde (celui du Yémen en général) semble usurpée.Zénith : même à l’ombre, le feu du chalumeau de chems, le soleil, plombe les neurones.

    Un dromadaire dans un pick-up 4x4 : la synthèse du désert.

    Les hommes attendent . Les femmes travaillent ou bien demeurent derrière leur voile et leurs murs, lesquels sont un voile moins sûr.

    Deux jeunes bergères en noir avec le chapeau en osier pointu, le makhl, et le visage caché par de superbes masques noirs et brodés, percés de deux fentes en amande pour leurs beaux yeux noirs. Elles avaient le bras replié, la main en arrière près du visage et un caillou dans la paume. Etait-ce pour nos appareils-photos ? Ou bien pour guider leur troupeau…C’était deux panthères noires à l’œil de lionne ; prêtes à bondir, masquées, dentelées.Je n’ai lu qu’une chose dans leur regard, en un éclair : leur fierté.

    Ces encadrements de fenêtre, en bois, figurent les silhouettes des femmes en noir qui marchent par deux (comme les hirondelles de la maréchaussée, chez nous, dans les dessins désuets de Bellus que publiait « Jours de France » dans les années 70…).

    Il y a, par ici, un paysage qui évoque autant l’Amirauté du « Rivage des Syrtes » de Julien Gracq, que le Fort Bastiano, du « Désert des Tartares », de Dino Buzzati. Les plateaux désertiques sont ponctués de forteresses en ruines. On imagine vite des soldats plongés dans une attente centenaire, professionnelle, une attente héritée, une attente lourde comme le silence, un silence écrasé par un soleil implacable. Un silence lourd comme l’attente lourde comme le silence…

    Les hommes accroupis, assis ou allongés, attendent. Ils sont à l’ombre et leur vie semble rythmée par les rites de la prière, du narguilé, des dominos et des discussions interminables.
    Ils boivent du thé. Mais qu’attendent-ils vraiment ? Attendent-ils seulement ?…

    Certains petits villages sont serrés en bouquet comme des boutons de rose (des sables).

    Mais l’image de la rose des sables est davantage présente dans leur manière de disposer les tuiles en argile (en quinconce) pour les faire sécher.

    Cet après-midi, après un somme dans le funduk du village de Badha où nous passerons la nuit, nous avons traversé une palmeraie sèche comme un coup de trique, mais pourvue d’un antique système d’irrigation qui n’attend que l’eau pour vivre. En sortant de la palmeraie, nous avons visité un village bâti à flanc de montagne (que je baptisais Chabadabada : face à Bâda, en yéménite gascon). Les hommes, lascifs sur le parapet-rue, semblaient peu habitués à voir des étrangers. Impossible de boire du thé : il n’y a aucun bar. Les villageois utilisent le rouge vif pour peindre le pourtour de leurs fenêtres, comme des bouches grandes ouvertes sur une photo de choristes (la bouche) en chœur. D’autres (cadres de fenêtres) sont vert cru. Deux maisons sont blanches et zébrées d’ocre. Les zébrures figurent des palmes. Il paraît que ce sont des maisons de  gens riches ou d’hommes politiques (s’enrichit-on en politique sans devenir zébré ?).

    L’appel à la prière jaillit régulièrement des haut-parleurs disposés aux quatre-vingt-dix coins des villages.

    Nous buvons un thé aux clous de girofle et à la cardamome préparé par nos guides. Une graine de cardamome est pressée entre deux doigts avant d’être mêlée au thé qui s’agite déjà dans l’eau bouillante. Quelques clous de girofle se trouvent dans le sachet qui contient la cardamome : ils la parfument ainsi, à peine. Sinon, nous nous croirions tous chez le dentiste…Le galop d’un dromadaire possède une grâce qu’aucun cheval ne peut dispenser, en raison du port de son cou (plus que de sa tête) et aussi pour la longueur et la finesse de ses pattes. Au galop dans un mirage de chaleur, ils ressemblent aux éléphants de Dali dont les pattes s’allongent comme des échasses étirées par un confiseur spécialiste du berlingot de foire.

    Départ de Bâda pour la côte Sud, dans le Golfe d’Aden. Destination : Bîr’Alî.Pause-thé dans un village, Haoreiba, sur une route montagneuse.Le regard d’une petite fille à côté de son père qui joue aux dominos avec trois autres hommes. La beauté de cet homme maigre, au cheveu lisse et brillant, indien, aux yeux maquillés de khôl, placide et silencieux. Il observe ses amis jouer, accroupi comme jamais je ne pourrais m’accroupir, à une distance respectable de la table sommaire de jeu.

    Le poissonnier qui débite du thon frais. Un autre qui vend de petits squales séchés et noirs de mouches.
    Beaucoup de femmes en noir, très jeunes, au regard toujours aussi fascinant. Et toujours ce mystère de leur corps dissimulé qui excite l’imagination, et qui possède une charge érotique bien supérieure à celle du corps d’une femme entièrement nue.

    Cette partie du Hadramaout est selon Modjahed, peuplée en majorité d’homosexuels. Nous n’en voyons aucun : soit ils sont tous morts (ils auront été lynchés ou sabrés en place publique), soit ils se cachent bien ; et on les comprend.

    Et tout à coup, en haut de cette route de montagne, surgit le désert. Nous sommes arrivés au faîte de ces énigmatiques falaises d’argile qui nous entouraient depuis deux jours et dont nous devinions le relief plat comme la main. Aussitôt, la sensation du désert nous a envahis. A la première courbe, la vue est vertigineuse, sur les palmeraies et les villages des vallées que nous venons de traverser.

    Ces canyons évoquent irrésistiblement les attaques d’Apaches de notre mémoire cinéphile.

    L’étrange vie de ces Arabes du désert, qui ne sont pas nomades, mais dont on se demande de quoi ils vivent, dans ces hameaux construits au milieu du néant (à première vue). Enigmatique. Lunaire, même.

    La robe noire des femmes du Hadramaout, c’est leur prison portative.

    Retour sur l’image des ongles. L’angle. L’ongle.Un bloc de maisons étroites et hautes (impossible –normal- d’écrire immeuble) sur un rocher, dessine une main aux doigts joints dont les terrasses, parfois blanchies, seraient les ongles.

    Le Yémen est composé de maisons-doigts dressés, de villages-mains

    LM

  • Voyageur...

    C'est un nouveau magazine de voyages, top luxe, raffiné, qui est paru samedi en kiosque. "Voyageur". Dans ce n°1, j'ai publié un carnet de voyage au Yémen, illustré de dessins de mon amie Catherine Delavallade, ainsi qu'un reportage sur la fleur de jasmin en Tunisie. Feuilletez, c'est classieux, d'un beau format et la maquette est élégante.


  • Dolce

    Bayonne, bleue ce matin comme l'aile d'un geai. Strié de traces d'avions, le ciel est doux à caresser. White, le chat, dont la fourrure noir (jais) luit, ronronne près de moi. Café brûlant dans le jardin. Un rouge-gorge tente d'éjecter un merle de sa querencia. "Sud-Ouest" n'est pas dans la boîte aux lettres et cela ne me manque pas. Les parfums capiteux de la Nive proche enivrent l'atmosphère. Les arbres sont nus et ma mémoire pleine, dans cette maison des souvenirs de quarante ans. Aucune glace n'a pourtant de tain, et la patine ne s'est pas encore faite à l'angle des meubles et des murs. Quarante ans, ce n'est rien. C'est la fuite qui est lourde. Et l'absence qui prend parfois le poids d'un supplice. Aucune ne s'évalue en chiffres. Pas même en matière : plume, plomb... Elles sont. Là. Cohabitent. Portent un sourire beau et désarmant, qui rend la mort acceptable. La disparition soyeuse. J'appelle cela la classe, ce matin.

  • Le fantôme de Red Colombo est revenu!

    Il re-pleut sur Paris (original, nan?..). Le fantôme de la clope (lire "Voile de carotte", ante) est revenu... Donc, s'il re-re-pleut, il reviendra-re(re). Alors je l'ai re-shooté, mais bon...

    medium_DSCF1756.JPGmedium_DSCF1758.JPGmedium_DSCF1759.JPGEn plus, il a failli se faire écraser, le con!

    Sinon, le dernier livre de Kauffmann (la maison du retour, Nil) sur l'acquisition de sa maison de la Haute-lande, au retour de 3 ans de captivité, est une merveille : plus ça va, plus il écrit dense et concis, serré et fort, Jean-Paul. ¡Aplausos!

     

  • Café Baruch

    Moi, j'aime bien prendre mon petit-déjeuner en compagnie de Spinoza. Baruch de Spinoza. Cela n'a rien de snob, et puis d'abord je préfère cela à feuilleter Public en écoutant France Info. C'est ainsi... C'est un type qui m'en apprend chaque fois de belles, des simples, des évidences, des choses de la vie de tous les jours qu'il sait dire mieux que quiconque. Ouaip... Avec le café du matin, Baruch me tutoie, et je ne le rudoie jamais. Je l'ouvre au hasard et je tombe sur une perle, comme chaque fois que j'ouvre le Journal de Jules Renard.
    Sta mattino? : Nous ne désirons pas une chose parce que nous la jugeons bonne, mais nous la jugeons bonne parce que nous la désirons.
    Autre version : (...) Il est donc établi par tout ce qui précède que nous ne faisons effort vers aucune chose, que nous ne la voulons pas et ne tendons pas vers elle par appétit ou désir, parce que nous jugeons qu'une chose est bonne parce que nous faisons effort vers elle, que nous la voulons et tendons vers elle par appétit ou désir. (Ethique, III, 9, Scolie).
    Et que ceux qui font la grimace parce que cela leur semble entendu, (re)lisent ce guide de vie quotidienne qu'est L'Ethique!

  • Voile de carotte

    medium_DSCF1644.JPGmedium_DSCF1643.JPGIl pleut sur Paris. Par la fenêtre du salon, j'aperçois la carotte habituelle du bar-tabac d'en bas. Puis c'est son reflet, projeté sur la chaussée mouillée, qui m'apparaît étrangement. Il figure un extra terrestre vêtu de rouge, qui traverserait le carrefour... A quelques jours d'une interdiction supplémentaire de fumer ici et là, je me dis : photographie le fantôme de la clope! Clic-clac une fois, zoom, clic-clac deux fois. Voici le fantôme rouge, reflet de "carotte", poil de, voici le renard de la rue mouillée, le fugitif en gabardine de sang, bref : photos ci-dessus...

  • En repassant devant Pessoa

    medium_pessoa.jpeg"Sur toute chose la neige a posé une nappe de silence.
    On n'entend que ce qui se passe à l'intérieur de la maison.
    Je m'enveloppe dans une couverture et je ne pense même pas à penser.
    J'éprouve une jouissance animale et vaguement je pense,
    et je m'endors sans moins d'utilité que toutes les actions du monde."

    "je suis un gardeur de troupeaux.

    Le troupeau ce sont mes pensées

    et mes pensées sont toutes des sensations."

  • Association de malfaiteurs

    medium_char.2.jpegmedium_gracq.jpegmedium_rimbaud.jpegmedium_hem.jpegmedium_proust.jpegVous reconnaissez ces types?

    Ce sont des bandits!

    Des bandits de parchemin!

    Des dandys de grand chemin.

    Mais sans eux, je ne peux pas vivre.  

    Ou si peu, si mal, si creux.

    Bon, j'en ai collé une dizaine, j'aurais pu en ajouter douze ou vingt-quatre de plus, qui m'accompagnent aussi sûrement qu'un ami, des chaussures de randonnée, une carte routière, une autre du Tendre, une femme, même, parfois... Oui, la littérature est puissante! Ces dix là, sont, de gauche à droite : René Char, Julien Gracq, Arthur Rimbaud, Ernest Hemingway, Marcel Proust, Gustave Flaubert, Guillaume Apollinaire, William Shakespeare, Jules Renard, Stendhal. Soit le minimum vital. Ajoutez, sans la photo : Cioran, Cervantès, Ponge, Perse, Henein, Conrad, des Forêts, Simon, Blondin, Cendrars, Quignard, Harrison, Neruda, Blanchot, Derrida, Leiris, Torga, Hamsun... Stop it!

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  • Choses vues à Shanghai

    La mémoire du voyageur est peuplée de lieux communs qu’il n’a de cesse de vérifier in situ, sinon il ne serait que touriste.
    Son talent réside dans sa perception, qui fait de chaque lieu quelque chose de peu commun, car il cherche avec obstination ce qui distingue le oui-dire de la réalité vue en coulisses. Cela s’appelle le regard. Cela donne le génie du lieu ; des lieux.
    Les résumés à l’emporte-pièce s’éloignent alors et ne réduisent plus Venise à son masque de « Mecque des romantiques » (dixit les guides lisses et convenus), Marseille à un port africain ou Hong Kong à une forêt de gratte-ciel pour foule solitaire en débâcle. Alors comme ça, Bordeaux et Lyon seraient froides comme leur bourgeoisie confite dans sa suffisance, Le Caire, Naples et Bangkok des fourmilières sur lesquelles Gulliver aurait posé un pied, et Shanghai la cité du gigantisme à la Chinoise, la mégapole du XXIème siècle, une ville futuriste à faire pâlir les aficionados de Manhattan –réduite au rang de vieille ville nouvelle à peine capable de chatouiller le brouillard? Une naine...
    Shanghai est pascalienne : sa circonférence ne se trouve nulle part et son centre, partout. Prenez son port –le plus grand d’Asie et l’un des plus grands du monde. Partir à sa recherche, c’est marcher dans le désert : plus on avance, en taxi, dans un entrelacs de toboggans, d’autoroutes tantôt droites comme la justice, tantôt sinueuses comme un naja devant son charmeur, et plus il recule. Les distances, jaugées à l’aune de la démesure de la cité chinoise, et le mur de conteneurs qui signifie que l’on approche de l’eau, empêche de toute façon de le voir. La persévérance permet (au bout d'une heure trente de taxi), d’en saisir la couleur de plomb fondu, et de tomber sur une circulation ahurissante de dizaines de  tankers, porte-conteneurs battant tous les pavillons du monde. Vraquiers, cargos rouillés, péniches égarées à l’embouchure de la rivière Jaune, parmi lesquels de nombreux chalutiers bleu délavé, se frayent une route avec peine, comme sur le Bassin d'Arcachon de modestes pinasses glissent parmi les longs voiliers et autres yachts blancs des plaisanciers... A chacun son échelle des valeurs.
    Là, le grand contraste, le choc des siècles, des âges de la civilisation chinoise, que l’on voit à chaque coin de rue, dans n’importe quel quartier de la ville tentaculaire de 800 km -excusez du peu-, se retrouve à l’identique. Devant les énormes bâtiments amarrés, des paysans vendent des monceaux de poissons séchés de toutes espèces, des légumes frais, et du chien écorché.
    Au-delà, c’est-à-dire à proximité, il y a encore et toujours cette architecture en hauteur qui semble vouloir se hisser sur la pointe des pieds pour faire encore plus grand. Retour en ville : la coexistence pacifique et néanmoins tonitruante des époques qui s’entrechoquent, frappe le regard du voyageur à chaque instant. Parmi les fameuses tours chromées, vitrées, ni froides ni chaleureuses, de l’autre côté du Bund ou bien côté Bund (la rivière Jaune, qui charrie autant de bateaux, et dans un vacarme de teuf-teuf et de sirènes, qu’un lendemain de tempête charrie des troncs d’arbres dans les bouillons et les tourbillons d’une modeste rivière grossie par les éléments, sépare les quartiers emblématiques de la ville), il y a des hameaux entiers, vétustes, partiellement démolis, squattés, ou dans l’attente anxieuse des bulldozers, et aux allures de bidonville, de vieille ville pré-coloniale, avec ses nombreux habitants affairés en permanence, qui vendent de tout sur quelques centimètres carrés. Que le voyageur lève les yeux de n’importe quel point de Shanghai et ceux-ci s’accrochent à un mur d’architecture originale, version Wall Street, d’où il s’attend à voir sortir des golden boys cravatés comme des présentateurs de CNN, bretelles comprises. Or, dès que le regard redescend sur le plancher des poulets, et des canards pas encore laqués, les yeux ne voient que des commerçants en mouvement.
    C’est la Chine ancienne, pas l’Impériale, l’ancienne, celle de l’histoire, des photos sépia, de la littérature pré maoiste. Le choc est d’ampleur. Le mot contraste paraît faible. Celui de résistance s’impose. La cohabitation des siècles est bien ce qui frappe davantage que le goût subtil des raviolis à la vapeur que l’on déguste dans ces rues infinies, infiniment nombreuses et pour quelques yuans.
    Ici, c’est un vieillard assis sur le trottoir devant un pèse-personne ; son unique richesse. L’outil de travail prend le poids de ses semblables. La silhouette des golden boys s’éloigne à grands pas. Il ne manque que les pousse-pousse au paysage, au lieu de quoi il y a un flot incessant de bicyclettes et d’automobiles qui se fichent du piéton comme d’une guigne (traverser la rue devient un sport de combat). Là, c’est un cordonnier improvisé qui a étalé quelques pièces de caoutchouc qu’il taille à la demande et qui vous répare les semelles illico. Là-bas, c’est l’un des nombreux masseurs de pieds (souvent aveugles), qui vous déchausse et vous détend sans rendez-vous. Partout, dès qu’une goutte de pluie tombe, ce sont des vendeurs de parapluies pliables et de cirés qui surgissent plus vite que l’arc-en-ciel après l’averse. Omniprésente, la nourriture –incontestablement la plus complexe, la plus variée, la plus riche, la plus subtile, la plus inventive, la plus recherchée comme on dit, la plus audacieuse aussi; la plus délicieuse du monde-, est proposée au passant qui grignote à toute heure. Pas une dizaine de mètres dans chaque rue sans trois ou quatre invitations à la dégustation. Une vieille agite son wok devant vous, de jeunes et nombreux cuistots vêtus de blanc, dûment toqués, font de la retape en criant les mérites de leurs brochettes, de leurs soupes et de leurs boulettes. On plonge, alors, dans un film chinois gastronomique (il y en a des dizaines qui n'ont que l'art de faire la soupe aux nouilles pour scenario), des années quatre-vingt-dix; et l'on jauge, et l'on goûte, ravi. Aux anges...
    Et toujours cet encerclement, large, de métal, de béton, de post modernisme, d’imaginaire architectural et d’avant-garde effrénée, si folle dingue qu’elle semble finalement n'avoir pour fonction principale et secrète, que la volonté d’oublier les années Rouges. Ou noires. Les années Mao dont il ne reste que des vestiges en forme de statuettes et autres affiches de propagande, bradées avec panache, et pour deux yuans, dans le quartier des brocanteurs. Cette époque-là, c’est certain, appartient au passé. Et par contraste, elle semble n’avoir été qu’une longue parenthèse que le pékin de Shanghai a l’urgent souci de gommer. En silence.
    Enfin, à l’instar de New York, Shanghai a des allures de ville de province où l’homme ne se sent jamais oppressé, à la faveur de l’espace, grand, bien plus vivable que dans une métropole minuscule et débordée par l'homme -comme... Paris, par exemple.
    Ca grouille partout de l’aube à l’aube, mais sereinement. Le Chinois ne s’arrête jamais.
    La nuit à Shanghai est une ruche en activité ralentie. Shanghai ou la rupture historique à chaque coin de rue, Shanghai ou le temps incertain, Shanghai ou la résistance impassible. Shanghai ou le Grand Bond en Hauteur. Shanghai ou l’excès d’accès. Shanghai ou la profusion. Shanghai ou la folie douce. L.M.

  • Flem

    Lydia Flem ("Comment j'ai vidé la maison de mes parents"), poursuit avec un talent et une émotion égales, son travail -universel- de deuil de ses parents, avec "Lettres d'amour en héritage" (Seuil, comme le précédent). Voir mes notes des 9 et 11 décembre, intitulées Orage émotionnel et Les extraits. C'est d'une pudeur extrême et d'un amour infiniment grand. Le livre retrace la vie de ses parents disparus, à travers trois cartons de leur correspondance amoureuse, depuis les débuts, que leur fille (l'auteure) découvrit, en vidant la maison, une fois orpheline... La tendresse résume ce livre précieux. Il n'est pas innocent que l'écriture soit devenue, très tôt, le terrain de jeu de l'auteure, puis que celle-ci ait fait profession de psychanalyste. Par bonheur, ces deux livres sont exempts de théorie, mais emplis, au contraire, de sensibilité à vif -mais douce, comme ces napperons brodés que nous avons tous vus dans les mains de notre mère, tandis qu'elle les rangeait avec un soin particulier, alors qu'ils sentaient encore le "chaud" du fer à repasser, sur une étagère d'une armoire, quelque part dans une pièce de la maison familiale... 

    une perle parmi cent : "le corps de la mère, c'est la première géographie, le pays d'où l'on vient". 

  • Snapshots from Marine

    Quelques vues volées, par ma fille, avec son petit Nikon numérique, au hasard des rues, des plages, des jardins, des planchers et des vitres. Partage...

    Photos : © Marine Mazzella di Bosco. 

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    1- Les Bancs des Jardins du Luxembourg.

    2- La Vieille dame qui voulait toréer les pigeons avec un sac plastique et de la poussière de pain.

    3- Les Marches de Lacanau-Océan valent bien celles de Cannes.

    4- Autoportrait au chignon.

    5- Le Scaphandrier allumé sur le trottoir.

    6- L'Apéro allongé-boisé.

     

  • l'épistolaire

    medium_portrait.2.jpgLe dernier roman de Philippe Besson, Se résoudre aux adieux (Julliard), est un bijou de tact, de retenue, de clairvoyance psychologique, et d'analyse d'une rupture. Besson a choisi le roman épistolaire à une voix (elle lui adresse des lettres auxquelles il ne répond pas), pour dire une douleur et un silence, une fuite et une remontée à la surface de la vie, et cela permet au texte d'être plus bouleversant encore. Une réussite, en somme, sur un sujet affreusement banal, donc délicat à traiter.

     J'ai piqué cette superbe photo sur le blog de  [chooseaname]. Merci à son auteur.

  • Courir dans les bois sans désemparer

    C'est le titre d'un premier roman, signé Sylvie Aymard. Publié sous la casaque Maurice Nadeau, c'est un gage de qualité et donc de confiance en la littérature, vraie, celle que ce découvreur a toujours su flairer avant les autres, à la manière des petits clubs de rugby des Landes qui révèlent de futurs internationaux et qui se les font piquer rapidement par de plus gros clubs... (Houellebecq en est le dernier exemple). Maurice Nadeau est un éditeur-pépinière. Ce roman n'échappe pas à la règle, à bisto dé naze. Je l'ai lu d'une traite, hier matin devant la cheminée, en Corse. Et ce fut le bonheur de découvrir une musique, un ton, un humour, une force à dire le terrible, une dérision "uppercutante", un regard sans concession d'enfant sur les adultes, un regard d'adulte vitrioleur sur "le goût des autres" adultes infatués, une mélancolie amoureuse sans faute de goût, ni de style, une pudeur juste pour dire l'état amoureux et la sexualité vaine, parfois. La mort, enfin. Et la nature aussi. Enfin,...  J'aimerais avoir là, tout de suite, son second livre. Mais l'a-t-elle seulement écrit?.. 

  • Bouffées

    Se promener en Champagne (ce matin), et chercher les vignobles dans la plaine morne. Finir par trouver, pouf! un océan de vignes. Déguster un rosé à la bulle infiniment fine, un peu plus tard. Se promener en forêt de Compiègne, à l'aube de cette année, et chercher des cerfs. Ne voir que des milliers de palombes, des nuées grises qui virevoltent à la cime des hêtres. Et tout à coup, l'esprit résigné, sur le chemin du retour qui fend la fûtaie comme le ciseau du couturier, ou la proue la rivière calme, apercevoir trois cerfs majestueux, princiers, qui passent lentement, au pas, avec la douceur d'un mouchoir de soie qui s'échappe de la pochette d'un élégant. Marcher dans les marais et penser bécassine. Y être surpris par un chevreuil qui aboie de frayeur (et de colère?), le feu aux pieds, en voyant l'homme que je suis. Instants volés entre deux aller-retour à Paris. La nature, par petites bouffées bronchodilatatrices, a la saveur d'un rocher Suchards ouvert lorsque l'envie de l'ouvrir est forte. Son effet-ventoline opère immédiatement. Demain, c'est l'extrême  sud de la Corse qui m'attend. Le domaine de Murtoli, ou de la vallée de l'Ortolo, de mon ami Paul, à deux pas de Sartène et Porto-Vecchio. Quatre jours de bonheur en perspective un peu cavalière; j'avoue. Pour un reportage de lujo. Et alors!..

  • Croire

    Il n'y a que ce scotchant de Saint-Augustin pour me détourner, quelques instants, quelques instants seulement, lorsque je feuillette (presque clandestinement, je veux dire à l'insu de moi-même, comme dirait Virenque -et de mon plein gré) ses Confessions, de l'Athéologie dont je commence à faire profession de Foi. Eclairé en cela par Michel Onfray, c'est vrai, je "confesse", et par une relecture scrupuleuse de Nietzsche. Y compris (depuis hier soir, du Nietzsche d'Onfray -un écrit de jeunesse non renié, et c'est tant mieux). Mais St-Augustin a du punch, bon sang! Sa Création du monde et le Temps, par exemple, et son Ciel et la Terre me stupéfient. C'est fort, et en plus c'est beau... Shit, quoi!

  • Ca fait du bien, pour commencer l'année

    Lu sur le blog de twiggy, que je remercie au passage!

    J'ai de la chance ! je relis du Léon Mazzella.... Je ne lis pas beaucoup, je n'y parviens pas, le silence de la lecture refait vivre mes vieux démons... Cet écrivain c'est un vrai personnage. Il a ses forces et ses faiblesses. Comment a-t-il fait pour écrire de si belles mélodies ? il doit s'échapper souvent, sortir pour vivre avec ses "voisins", s'attabler avec eux, manger, boire... simplement sans négocier ! juste écouter... pour ensuite s'isoler, s'enfermer en étant fermé, appliqué, obstiné, rivé à son petit bureau, face au mur, couper de la vie, et remplir comme un élève acharné des pages de cahier avec l'assiduité d'un Antoine Blondin. Les fou des mots, c'est toujours sans récréation, pas de distraction avant d'avoir écrit la dernière phrase du livre commencé ! Et il a la douceur d'un vrai conteur à la manière d'un Marcel Aymé... Pour pouvoir raconter, pour avoir à raconter, il doit "piller", en toutes circonstances et en tous lieux, observer, scruter, écouter, un renard dans le poulailler du quotidien. Ses razzias ont nourri sa langue d'écrivain. Un voleur de gestes et de mots, un collectionneur de caractères, un receleur de comportements et de phrases, un gobeur des dialogues et de répliques. Rien de ce qui passe à sa portée ne lui échappe. Ses mots sont gorgés de cette vie qu'il engrangeait jour après jour qu'il doit "recracher" sur ses cahiers à carreaux. Rigolards ou nostalgique ? Discussions de maquignon ou propos spontanés. L'alternance de cette grandeur et de ces subtilités fait de lui un spécimen à part : un écrivain-personnage.

  • La lutte continue, camarade

    Annonce publique entendue dans le TGV, à l'approche de son terminus : les passagers de seconde sont priés de ne pas circuler dans les wagons de première avant l'arrivée du train, afin de ne pas encombrer ces wagons, et de permettre aux passagers de première classe de descendre tranquillement (entre eux)... En clair, c'est ce que l'annonce signifie. Ecoutez-là. Au vu des regards éberlués de mes voisins de seconde, je ne me suis pas senti le seul choqué. Et 2007, en France aussi, c'est dans quelques heures. Je ne rêve pas.

  • L'ourse Mellba


    Un attentif m'indique ce site , "La Buvette des Alpages", http://www.loup-ours-berger.org/, à l'instant : j'en reviens.

    medium_ours.jpegIl y est question (c'est en première page, dite "d'accueil", en descendant un chouia), d'un article que j'ai publié dans Le Monde, en octobre 97!.. qui s'intitulait : "Un homme n'est pas un ours", et qui suscite encore des réactions. (A l'époque, j'avais même reçu une soixantaine de lettres, certaines de félicitations, mais beaucoup d'insultes, et de menaces, dont trois de mort, toutes anonymes bien entendu, émanant de ceux que je nomme les "khmers verts"...). Celle-ci date d'avant-hier. Elle est gentiment fielleuse, et avant tout caricaturale jusqu'au sourire (merci à l'auteur de ces "commentaires" sur mon papier, haché façon steak tartare, de me l'avoir procuré -ce sourire). 

  • La saint Gaspard

    "J'adore les huîtres : on a l'impression d'embrasser la mer sur la bouche."     Léon-Paul Fargue.

     

    C'est çà même (tout est dit).

     

    Sinon, les Lumières n'en finissent pas de briller. Voltaire n'est pas franchement mort. Ah, ça non! Regardez autour de vous! On ne parle que de çà. Et tant mieux. Les remparts contre la Barbarie tiendront encore bon longtemps, longtemps...


    Et (par ailleurs), je vous recommande, d'urgence, la lecture des "Antimodernes", d'Antoine Compagnon (Gallimard/La Bibliothèque des idées). Plus vivifiant, plus tonique, plus intelligent aussi, tu meurs!

    Sauf les matins, tôt, de ces derniers jours, dans les Landes et à Bayonne. Jusqu'à ce matin, plus doux. Plus banalement moderne... (et moins intelligent, du coup).

     

    Entre temps, il y a eu une après-midi (celle d'hier), braconnière en diable, dans les barthes. Une après-midi unique. Empreinte de classe davantage que de chasse, de silence grand, de regards détachés, de sagesse déjà là. Une grande après-midi sauvage comme je les aime (qu'est-ce que je fous à Paris!), bottes aux pieds, avec un ciel bleu, un froid de bon aloi, et des oiseaux nobles, comme on dit. L'auteur de cet après-midi fut mon fils Robin. Il a fait oeuvre. D'une sorte d'art. Une nouvelle s'écrit à ce sujet. Patience...

     

  • La soupe de Kafka

    Lisez ce livre subtil, drôle et extrêmement savoureux de Mark Crick (La soupe de Kafka, Flammarion), que La Bienveillante m'a livré par coursier (j'aime ces urgences que l'on accueille comme le verre d'eau tiède dans le désert)... La presse en parle beaucoup et bien, il s'agit d'une histoire complète de la littérature mondiale en 16 recettes "à la manière de" 16 écrivains. En prime, les textes ont été traduits par une pléiade d'écrivains français. Miam!

  • La repentance

    "Faut-il se soumettre aux exigences scélérates du repentir?"

    Je ne sais pas où j'ai prélevé cette phrase, hier... Journal, radio, livre...

    (La réponse va de soi -enfin, pour moi-).

    La question donne l'occasion de réfléchir, en fin d'année -période propice!-, à ce désir de repentance qui resurgit comme la grippe aux premiers frimas, ainsi qu'au pardon bidon, à l'hypocrisie des religions; à l'hypocrisie tout court.  

  • Chocolat

    Déguster du 70% en compagnie de Pierre Hermé (nous faisions partie tous les deux d'un petit jury, avant-hier, pour un banc d'essai à paraître dans un magazine gastro), est un pur bonheur! Ce garçon est aussi simple que passionnant. Sa starisation ne l'a pas changé d'un iota. Et il parle du chocolat comme personne. Mieux que les sept tablettes à découvrir à l'aveugle, ses commentaires, touchants d'humilité, et qui dissimulent avec délicatesse une immense connaissance du sujet, furent -à mes yeux-, le réel intérêt de cette rencontre.

    Allez! Je file à sa pâtisserie de la rue Bonaparte m'offrir un Ispahan. Ca me dé-downera (peut-être) le moral.

  • Char

    medium_char.jpeg2007 sera l'année René Char (il est né en 1907) : grande expo en mai à la BNF (et jusqu'en septembre), publications diverses, notamment par Poésie/Gallimard, le Printemps des poètes aura pour thème : "Lettera amorosa" -sans doute le plus beau poème d'amour en prose jamais écrit au XXè siècle (avec "Prose pour l'étrangère", de Gracq), et qui sera réédité pour l'occasion, etc.

    Il fait bon le relire tranquille, en ce moment, avant le grand chambardement. 

    Au hasard, et plutôt que d'inscrire des citations (c'est si tentant de citer une des nombreuses phrases-éclairs de Char!), voici un poème :

    Allégeance

    Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima?

    Il cherche son pareil dans le voeu des regards. L'espace qu'il parcourt est ma fidélité. Il dessine l'espoir et léger l'éconduit. Il est prépondérant sans qu'il y prenne part.

    Je vis au fond de lui comme une épave heureuse. A son insu, ma solitude est son trésor. Dans le grand méridien où s'inscrit son essor, ma liberté le creuse.

    Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima et l'éclaire de loin pour qu'il ne tombe pas?

  • Lorca

    medium_lorca.jpegMon père m'aurait fait ce cadeau à Noël. Je suis allé me l'offrir à sa place, cet après-midi. Les poésies complètes de Federico Garcia Lorca en Pléiade. Sans attendre. Noël n'existe pas. Ou plus de la même manière.

    Dès la première page (passée l'admirable introduction d'André Belamich, son meilleur traducteur, disparu il y a trois ou quatre mois), le premier poème de jeunesse, écrit en 1920 -Federico a 22 ans-, tout Lorca est là, comme dirait un critique littéraire qui se la pète (et ils sont légion). Extrait, en prenant du début : 

     

     

    Vent du Sud,

    Brun, ardent,

    Ton souffle sur ma chair,

    Apporte un semis

    De brillants

    Regards et le parfum

    Des orangers.

     

    Tu fais rougir la lune

    Et sangloter

    Les peupliers captifs, mais tu arrives

    Trop tard.

    J'ai déjà enroulé la nuit de mon roman

    Sur l'étagère!

     

    (...)

  • Le goût de la baie

    Lorsque nous faisons l’amour, nous ne pensons pas gynécologie. Lorsque nous lisons des poèmes, nous ne supportons ni les notes en bas de page ni les annexes universitaires moins décortiqueuses qu’urticantes. Lorsque nous assistons à une corrida, nous avons envie de silence, pas de commentaires. La politique dans un roman, c’est comme un coup de feu dans un concert, disait Stendhal. C’est pareil pour le vin. Œuvre de l’homme dédiée au plaisir, le vin ne supporte pas le discours analytique que d’aucuns tiennent pour paraître savants. Le vin doit d’abord nous toucher, nous plaire ou nous déplaire, et sa dégustation ne devrait pas sacrifier à la recherche obstinée de tout, sauf du raisin ! Le sujet excite les papilles autant que les neurones, mais le discours, loin de se lover dans le sensible, se vautre ailleurs : il fait l’intéressant pour montrer qu’il en sait plus que toi, nananère ! C’est d’un ennuyeux. Au cours de dégustations chics, certains évoquent des vins « couillus » ou « qui ont du poil aux pattes ». Curieusement, les adjectifs féminins disparaissent, sauf à propos des « vins putes ». Avec de tels attributs, nous nous éloignons un peu de l’exposé abscons des chirurgiens du vin qui nous les cassent (les oreilles), et qui sont à des années lumières du principe de plaisir. Dans d’austères salons, on entend (avant de fuir) untel prétendre avec certitude, of course, que c’est la marque du verre qui assèche tel vin. Et l’autoproclamé connaisseur d’exiger tel autre verre dont nous tairons la marque… Laissons les prétentieux à leurs jeux tristes, et buvons un coup.  Je préfère le discours sensuel d’un vigneron un peu fêlé, charnellement épris de sa vigne, le parler fleuri d’un poète du vin, à un laïus de poseur en stage de compta. analytique. Beauté, mon beau souci, titrait Valery Larbaud sur un de ses livres. Plaisir, mon beau souci, mon unique souci, devrait être le credo de l’amateur. Et : j’aime ou j’aime pas, l’expression de la liberté la plus nue. Buvez si vous aimez, puisque la vie est courte. Tour le reste est mauvaise littérature.

  • Les extraits

    " En disparaissant, nos parents emportent avec eux une part de nous-mêmes. Les premiers chapitres de notre vie sont désormais écrits."

     "En les couchant dans la tombe, c'est aussi notre enfance que nous enterrons."

     "Est-ce bien normal d'éprouver successivement ou simultanément une impression effroyable d'abandon, de vide, de déchirure, et une volonté de vivre plus puissante que la tristesse, la joie sourde et triomphante d'avoir survécu, l'étrange coexistence de la vie et de la mort?"

     "C'est dans la solitude que chacun se retrouve (...) Chacun fait ce qu'il peut pour surmonter l'épreuve, bricole à sa manière, toujours bancale, malheureuse, conflictuelle, et se tait."

     "Même après leur mort, ne cessons-nous jamais de vivre pour eux, à travers eux, en fonction d'eux ou contre eux? Est-ce une dette qui nous poursuit toujours?"

     "Se séparer de nos propres souvenirs, ce  n'est pas jeter, c'est s'amputer."

    "Donner est un grand bonheur. Ce que j'offrais, ce n'était pas un objet." 

     "L'écriture naissait du deuil et lui offrait un refuge. Un lieu où se mettre à l'abri avant d'affronter de nouvelles vagues malaisées à contenir."

     "Devenir orphelin, même tard dans la vie, exige une nouvelle manière de penser. On parle du travail du deuil, on pourrait dire aussi rite de passage, métamorphose."

    "Les arêtes vives des premières douleurs s'émoussent, hébétude et protestations font place à une lente acceptation de la réalité. Le chagrin se creuse. Avec des moments de vide, d'absence, de tumulte. Plus tard se répand une tristesse empreinte de douceur? Une tendre peine enveloppe l'image de l'absent en soi. Le mort s'est lové en nous. Ce cheminement ne connaît pas de raccourcis. On n'y échappe pas. La mort appartient à la vie, la vie englobe la mort."

    "Mail il est un temps pour le chagrin, et un temps pour la joie." 

    © Lydia Flem, Comment j'ai vidé la maison de mes parents, Seuil. 

     

     

     

  • Orage émotionnel

    "A tout âge, on se découvre orphelin de père et de mère. Passée l'enfance, cette double perte ne nous est pas moins épargnée. Si elle ne s'est déjà produite, elle se tient devant nous. Nous la savions inévitable mais, comme notre propre mort, elle paraissait lointaine et, en réalité, inimaginable. Longtemps occultée de notre conscience par le flot de la vie, le refus de savoir, le désir de les croire immortels, pour toujours à nos côtés, la mort de nos parents, même annoncée par la maladie ou la sénilité, surgit toujours à l'improviste, nous laisse cois. Cet événement qu'il nous faut affronter et surmonter deux fois ne se répète pas à l'identique. Le premier parent perdu, demeure le survivant. Le coeur se serre. La douleur est là, aiguë peut-être, inconsolable, mais la disparition du second fait de nous un être sans famille. Le couple des parents s'est retrouvé dans la tombe. Nous en sommes définitivement écartés. Oedipe s'est crevé les yeux, Narcisse pleure".

    Ainsi commence Comment j'ai vidé la maison de mes parents, de Lydia Flem (Seuil), un livre très émouvant et recommandable entre tous. En de telles circonstances ou pas, d'ailleurs. Que philosopher c'est apprendre à mourir, nan?!!... 

  • Je suis mort?

    Comme je porte le même prénom que mon père, décédé samedi dernier, certains de mes proches ayant lu un faire-part dans la presse, m'ont cru -ou me pensent- mort. C'est lourd. Cela m'est rapporté, au fur et à mesure. Comme si j'avais besoin de cela, en plus! La vie ne nous épargne pas, ni son au-delà-de-lui-même...

    Et je résisterai à l'envie de réfléchir à ce phénomène. 

  • 303

    Voici "l'argu", soit le texte de présentation du dernier numéro (hors-série) de l'excellente revue nantaise 303, laquelle avait déjà consacré un numéro à julien gracq, début 1986.

    Que sait-on de Julien Gracq ?

    Ce qui est le plus couramment dit de lui : c'est un grand écrivain, entré de son vivant dans la collection de la Pléiade, et un maître de la langue, ce dont on se persuade aisément à le lire. Ecrivain « à part », il a toujours eu horreur des feux de la rampe, à contre-courant d'une époque radicalement médiatique. Beaucoup n'ont vu qu'orgueil dans son refus du prix Goncourt en 1951, se méprenant sur le sens de son geste : l'invitation pressante faite aux lecteurs à revenir au texte et à juger d'abord par eux-mêmes de la valeur d'un livre.

    Cet écrivain si délibérément en retrait n'est pourtant en rien l'homme distant trop souvent décrit. Il a fait le choix -assez inhabituel - d'une vie saine et rangée, mettant à profit une tranquillité jalousement préservée pour lire et pour écrire, se promener et converser. Car Julien Gracq n'a jamais fermé sa porte à quiconque venu échanger avec lui, à la seule condition qu'il soit question d'écriture et de littérature.

    C'est ce personnage à deux facettes - l'homme : Louis Poirier / l'écrivain : Julien Gracq - que 303 s'attache à présenter dans cet ouvrage grâce aux regards croisés d'une soixantaine de témoins privilégiés, célèbres ou inconnus (écrivains, traducteurs, visiteurs, lecteurs...) qui ont eu le privilège de converser ou de correspondre avec lui, d'être reçu dans sa retraite angevine des bords de Loire.

     

  • La bonté

    Funambule au bout de nos sexes
    Lorsque nos âmes font l’amour

    Elle déjoue les accents circonflexes du quotidien
    Qui parfois nous éloigne

    Lionne patiente comme la pierre
    Elle est du bond et de l’éclair


    Toi
    Tu incendies ma vie

    J'accueille ton feu
    Comme un vin de jouvence
    Un alcool de reconnaissance

    Le bain vivifiant de l'aube est notre océan
    Un lac de plénitude où nous lui apprendrons à nager


  • Enfui

    medium_Leon_Mazzella_Naphtali_Bengio_100567_BaySt_Bernard_par_GB_1.2.jpgLa sérénité rétablira peu à peu ses quartiers
    Dans les territoires de l'amour en friche

    Son visage pâle de planète
    Se bronze les entrailles
    Aux forces gigantesques
    De nos sangs mêlés

    C’est notre bonne étoile

    Elle réside, pulvérisée, au fond de nos regards
    Irradie le coeur de nos ventres

  • L'aventurier

    J'aime particulièrement cette définition que Roger Stéphane donne dans son Portrait de l'aventurier (Grasset/Cahiers rouges).

    Elle revient de façon récurrente frapper à mon esprit.

    La voici, ramassée (débarassée de ses digressions historiques sur Ernest Von Salomon, T.E.Lawrence et André Malraux) :

     

    "J'appelle aventurier celui qui s'engage au service d'une cause sans y adhérer : qui engage sa vie plus pour son propre salut que pour la victoire. (...) 

    L'aventurier : le contraire du militant; étranger par essence au fanatisme et même au manichéisme. L'aventurier : un irréductible solitaire".
  • 2.12, 22h

    (de mémoire) : la vie, c'est une barque posée dans l'herbe du matin (françois bott),

    et : la mort est une prairie émue par le silence (tahar ben jelloun).

    jamais le cd comprenant le choeur des prisonniers (nabucco, de verdi) n'aura résonné aussi fort à ses oreilles et aux miennes, dans cette chambre aux fenêtres grandes ouvertes sur la montagne.

    hier soir j'ai vu sombrer un long et beau navire, avec à son bord l'homme qui lui faisait corps.

    pour la première fois, le navire et son capitaine n'étaient qu'un.

    le sister-ship se nommait Douceur.

    s'il faut le rebaptiser un jour, son nom sera Sérénité.

     

  • La bienveillante

    Une main bienveillante (rien à voir avec le Goncourt 2006) m’a adressé par la poste une copie en couleur d’un entretien que Julien Gracq donna au Magazine littéraire daté de décembre 1981 (et qui reparaît ces jours-ci dans un numéro anniversaire). Un entretien publié donc il y a pile 25 ans ce matin. Car je viens juste d’ouvrir le courrier –mon premier depuis deux mois, là où je me trouve provisoirement, et j’y ai trouvé ce bonheur grand…
    Un quart de siècle après, la parole de Gracq, au sujet de l’écriture et de ses lectures adolescentes et fondatrices (il s’agissait pour Jean Roudaut d’évoquer avec lui le capital En lisant en écrivant, qui était paru en 80 chez José Corti), n’a pas davantage pris une ride, que son œuvre dans sa totalité –elle débuta en 1934 avec Au château d’Argol-, n’en possèdera jamais une seule. Julien Gracq, l’homme –que j’ai l’immense chance de connaître, avec lequel j’ai entretenu une correspondance de 1985 à 1999, et auquel je rends visite de temps à autre, depuis, à Saint-Florent-le-Vieil, est un jeune homme vert de 96 ans et demi. Mieux ! C’est un classique vivant (c’est plus fort qu’une légende). D’ailleurs, lorsque je me rends à St-Florent, j’ai l’impression de rendre visite à Flaubert et à Stendhal réunis, ressuscités, tant l’envergure de J.G. est immense, à mes yeux de « lecteur partisan » (c’est ainsi qu’il m’a défini un jour, à propos de ma connaissance de son œuvre). Je l’affirme sans risque : Julien Gracq est le plus grand écrivain français, depuis ces deux géants (+Proust), aux côtés desquels je le place…
    medium_en_lisant.jpegLe problème est que cet envoi postal, qui m’a touché au plus profond de moi, a aussi réveillé une fringale de replonger dans  En lisant… Seulement, je me trouve à plus de 800 km de ma bibliothèque ! Et, manque (partiel) de bol, ici je n'ai "que" Un beau ténébreux et La Presqu'île. Il va donc me falloir faire dare-dare les pharmacies, cet après-midi (c’est ainsi que je désigne les librairies) avec l'espoir chevillé au corps que l'une d'elles possèdera l'opus.

  • Les suffisants

    J’en ai assez de croiser des gens satisfaits d’eux-mêmes, qui s’autoproclament exceptionnels, se félicitent tous seuls, s’envoient constamment des fleurs, s’écoutent parler, et ne sont jamais à l’écoute de l’Autre. Ils passent le plus clair de leur temps à cirer leur ego et à gérer leur misérable carrière personnelle. Ceux-là sont tellement sûrs de leur (maigre) savoir, de leur opinion (hâtive) sur tout et de leurs certitudes, qu’ils ne s’aperçoivent jamais combien ils sont pitoyables et agaçants. Ils effectuent un voyage immobile dans le paraître, qui va du miroir de leur salle de bains au déballage de leur absence de doute, à qui veut bien les entendre. Les écouter est au-dessus de mes forces. Ce ne sont même pas des sophistes, car pour l’être, il faut un certain talent –condamnable certes-, mais un talent quand même. Untel me sert une psychologie à deux anciens francs, en poseur, avec le ton emprunté d’un consultant, déclarant ce qui est bon pour moi. Un autre affirme à longueur de phrases, ignore la confrontation et la remise en cause, et s’imagine toucher au sublime en reproduisant du ringard. Celle-ci veut m’attirer dans le champ de ses convictions, au mépris de ma liberté de jugement. Celui-là prétend connaître tout de moi et s’invente une mission réparatrice à mes côtés, quand je ne souhaite que solitude et recueillement au bord de la mer. Ce manque de tact m’effare. L’autosuffisance et son cortège de négligence, d’irrévérence, m’afflige. J’ai le sentiment de ne croiser que des êtres boursouflés de narcissisme, des bouffeurs de ma liberté. Au secours Socrate, qui savait seulement qu’il ne savait rien ! Devenu avare du temps que je souhaite consacrer aux autres, je décide de ne plus prêter attention à ceux qui m’enquiquinent avec leur jargon, leurs leçons, leur être bouffi d’égoïsme et leur vide ; en somme. Je préfère la compagnie d’un mauvais livre à une rencontre qui sonne creux, et préfère aux deux, un paysage que j'observe tranquillement. Fuir, esquiver, me cacher des raseurs, ces parasites qui ne vivent qu’aux dépens de ceux qui leur servent de chambre de résonance. Je n’ai pas cette vocation, ni celle de perdre mon temps. La vie enseigne chaque matin qui se lève, qu’elle sera de toute façon trop courte pour pouvoir croiser tous ceux qui valent la peine parce qu’ils nous correspondent. Alors la paix ! Que ces gens, vilipendés ici, passent à côté de ce qui me paraît être une vie plus vraie –ou moins futile-, ne me gêne guère. Mais quand ils se transforment en pompes aspirantes posées en travers de mon chemin, ils constituent un délit d’entrave à ma liberté. Et je vois rouge, n’étant pas toujours à l’aise pour contourner l’obstacle quand il m’impose son indélicatesse, ni suffisamment leste pour sauter d’un seul bond par-dessus...
    Ces rencontres involontaires me font penser à Henri Calet, le délicat auteur des Grandes Largeurs et de Peau d’ours, ce journal intime qui s’achève, la veille de la mort de son auteur, par ces mots : « Ne me secouez pas, je suis plein de larmes ». Calet écrivit, en observant des célébrités à son corps défendant : «  En quelle école enseigne-t-on ces manières de dédain ? Comment acquiert-on cet inimitable regard vide ? »…
    Voilà. Ce trente novembre bleu et (enfin) froid, comme j’aime les journées de novembre sur la Côte basque, m’a fait buter sur deux raseurs, en ville. Par bonheur, je suis parvenu à m’en défaire et à rejoindre la plage de la Chambre d’amour, ma querencia entre toutes les querencias, où je parviens toujours à me laver du gris de la vie, sans le recours à un crawl dans les vagues, mais en contemplant ces filles de l’horizon qui meurent si bellement, le ventre creusé par un modeste vent d’Est.