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KallyVasco - Page 21

  • Lettre ouverte à mon proprio

    Voici une nouvelle chronique donnée à Metro

    Bonne lecture

    (and a very special good luck to Chouch' for her searching)...


    Lettre ouverte à mon proprio
    Par Léon Mazzella, journaliste et écrivain. (03/05/2006)



    Il faut se rendre à l’évidence : Paris est devenue trop petit : Paris débordé, Paris embouteillé, Paris saturé, mais Paris désiré !.. La preuve ? –Cherchez un appartement à louer et vous comprendrez l’angoisse du gardien de but au moment du pénalty. Vous reverrez à la baisse votre jugement sur la nature humaine. Vous n’aurez plus d’illusion sur la survivance du sauvage au fond de l’âme de vos congénères en quête d’abri.

    Les visites, en général collectives, illustrent à merveille la crise parisienne, au-delà de celle du logement. Les prix sont stratosphériques, les prestations en chute libre, la concurrence sauvage, l’offre arrogante, la demande humiliée. Le regard de l’agent ou du propriétaire (selon la recherche), sont ceux d’un surveillant général : pète-sec, maître de la situation, sans concession ni espérance visible dans les regards, devenus vides comme la rubrique "offres de location" certains matins. La horde de locataires potentiels se bouscule à heure fixe dans des appartements qui ont peine à les contenir tous. Chacun serre son dossier sous le bras, qui comprend la base : salaires, impôts, identité, RIB, caution, certificat d’employeur... Les plus prévoyants se sont munis de la copie du test HIV2 de leur arrière grande tante. On ne sait jamais !

    Méfiance et exigence n’ont plus de limites. Les visiteurs s’ignorent en se toisant : tout à trac, ce sont des chiens au poil hérissé sur l’échine, grognant sourdement, prêts à mordre : "c’est moi qui l’aurai, cet appart’, tu fais pas le poids, j’ai l’air le plus riche, le plus fiable. D’ailleurs, regarde comme tu es sapé, minus !..". Tout cela se lit sur les visages. Chacun y va de sa parole mielleuse à l’égard de la chef’taine ou du caporal-chef présent, impassible, exaspéré. La question technique est rare : même pourrave, il faut prendre ! Les cravatés sont téméraires : d’une voix très conseil d’administration, ils proposent un chèque tout de suite.

    Le pouvoir grise surtout ceux qui en ont peu. La bonne gueule, les revenus, le dossier bardé, "tout doit faire sens". Souverain, l’agent, ou le propriétaire, se réserve un délai de réflexion avant de désigner l’élu. Chacun repart. Dans l’escalier, la rivalité demeure. Là, je pense aux paysages de l’Aubrac, à la Creuse, aux Landes aussi. Au silence, à la solitude, aux fermes spacieuses et pas chères. Et je baille.

    Léon Mazzella, journaliste et écrivain. Dernier livre paru : "Flamenca", roman (La Table ronde). Blog : http://leonmazzella.hautetfort.com

  • Palimpseste

    Il lit en soupirant un livre faible, puis un autre : Le temps des séparations, de Roger Grenier, et Août, de Sophie Lasserre : de l’ennui bien épais récemment paru. Des livres inutiles. Il laisse les livres sur la banquette du train, attrape L’été où il faillit mourir, de Jim Harrison, et ça part aussitôt, ça cingle, ça respire ! (Règle de base : pour n'être jamais pris de court, avoir toujours des munitions sur soi : plusieurs livres pour viatique).
    Le voyage se poursuit. Il rentre de reportage.
    Tout à l’heure, il a un peu écrit dans le carnet Moleskine chiffré Salon du livre, qu’elle lui a offert.
    Par la fenêtre, un paysage de marais surgit.
    Les seuls paysages qui l’émeuvent vraiment sont ceux des marais à la lumière reflétée de la lune.
    Non, rien ne peut davantage l’émouvoir, excepté le regard de C., ou bien son corps nu lorsqu’elle sort du lit pour disparaître dans sa salle de bains.
    Cette lame de scie en morceaux brisés de joncs, que forme l’eau d’un étang marécageux, cette brillance métallique, le mystère du monde des marais, tout cela le fait chavirer.
    Il aime l’émotion sauvage procurée par ce cadeau de la nature : la beauté s’offre à son regard, à ses cinq sens tendus, comme une nymphe endormie dans l’herbe grasse d’un pré…
    Le lendemain, il est chez lui. Tandis qu’il écrit ce qui précède, un mot est glissé sous sa porte. Il reconnaît sa signature. Derrière les hiéroglyphes de son écriture piquante, il déchiffre, en palimpseste, l’affiche d’un amour grand comme ça.
    Il sort aussitôt, guette alentour, s’interdit l’usage du téléphone portable. Il va marcher au jardin du Luxembourg. Le temps est très beau. Il se sent beau aussi. Il chante.

  • Le soleil de Camus

    "Nous sommes partisans après l'incendie d'effacer les traces et de murer le labyrinthe. On ne prolonge pas un climat exceptionnel". René Char

    Je feuillette le dernier "Magazine littéraire" , consacré à Albert Camus, et je me souviens de l'obsession du soleil, dans "L'Etranger" bien sûr (si Meursault tue, c'est à cause du soleil). Je repense à "Noces", à "L'Eté" -et en particulier au "Minotaure ou la halte d'Oran" et à "La mer au plus près"-, au "Malentendu", enfin... A cette omniprésence d'un soleil planté comme un personnage de roman.
    A ce soleil dont Camus écrivain est toujours flanqué.
    Le soleil ne coulait pas de sa plume, non, mais comme il signifie à la fois le bonheur et le risque, dans son oeuvre, le "Magazine" a raison de préciser que dans chacun de ses livres, le bonheur n'est si précieux que parce qu'il côtoie toujours la tragédie.

    Je reprends les deux Pléiades, cherche "L'Eté", tombe sur cette dernière phrase de "L'Enigme", dont je ne me souviens absolument pas : "Oui, tout ce bruit !.. quand la paix serait d'aimer, et de créer en silence. Mais il faut savoir patienter. Encore un moment, le soleil scelle les bouches".

    Je poursuis le feuilletage : "A midi, sous un soleil assourdissant, la mer se soulève à peine, exténuée. Quand elle retombe sur elle-même, elle fait siffler le silence. Une heure de cuisson et l'eau pâle, grande plaque de tôle portée au blanc, grésille. Elle grésille, elle fume, brûle enfin. Dans un moment elle va se retourner pour offrir au soleil sa face humide, maintenant dans les vagues et les ténèbres" ("La mer au plus près").

    "La Méditerranée a son tragique solaire qui n'est pas celui des brumes. Certains soirs, sur la mer, au pied des montagnes, la nuit tombe sur la courbe parfaite d'une petite baie et, des eaux silencieuses, monte alors une plénitude angoissée" ("L'exil d'Hélène").

    "Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l'odeur des absinthes, la mer cuirassée d'argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de pierres. A certaines heures, la campagne est noire de soleil" ("Noces à Tipasa").

    Relire Camus... Au lieu de l'abandonner, de le ranger. Au lieu de le bouder de façon idiote, voire snob, en pensant superficiellement qu'il est ce "philosophe pour classes terminales" (dixit feu mon ami Jean-Jacques Brochier, dont c'est le titre d'un de ses essais les plus marquants), qui ne mérite aucun égard, d'autant qu'il est par ailleurs un auteur classique. Donc devenu sujet (de bac et) à caution. Comme St-Ex. et Hemingway, avec "Le Petit Prince" et "Le Vieil homme et la mer" : les chefs d'oeuvre finissent par nous faire l'économie de la lecture de l'oeuvre dont ils sont issus; extraits. Aussi efficacement que l'adaptation cinématographique d'un roman nous empêche d'aller -ou de retourner-, au texte.

    Vivre à l'ombre de "L'étranger" quand on s'appelle "Noces", suivi de "L'été", est difficile. (C'est pourtant le meilleur de Camus).

    Relire Camus pour le soleil, l'humanisme, la belle prose de l'essayiste ("L'Envers et l'endroit", "L'homme révolté"), l'efficacité du novelliste au vocabulaire simple ("La Chute", "L'Exil et le royaume"), l'épaisseur du romancier ("La Peste")...

    Et se souvenir de son ami Char : "La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil".

    (Photos : Tipasa, le théâtre. Albert Camus. Plage en Méditerranée).

     

     

  • NougaYork

    TU VERRAS MON STYLO EMPLUMÉ DE SOLEIL

    LÉGER SUR LE PAPIER (!) L'ARCHANGE DU RÉVEIL

    JE ME RÉVEILLERAI TU VERRAS TU VERRAS

    TOUT RAYÉ DE SOLEIL, AH LE JOLI FORCAT

    ET J'IRAI RÉVEILLER LE BONHEUR DANS SES DRAPS...

    ********************************************************************

    je ferai plus le con

    j'apprendrai ma leçon

    sur le bout de tes doigts...

    ********************************************************************

  • Francine Van Hove

    Elle a le regard noir mais doux et lumineux comme le charbon prêt à rougir. Son jeans aussi est noir. Comme son chemisier. Et ses cheveux, noir jais. L’escalier en colimaçon qui transperce son appartement conduit à un atelier de peintre. C’est le temple du paisible. De la clarté des jeunes filles en fleur, calmes, sereines. Lascives comme on le dirait des Vahinées de Gauguin. Francine Van Hove peint des jeunes filles et a une vie rêvée : le matin, ses modèles posent pour elle dans l’atelier, et l’après-midi, Francine peaufine, met de la couleur, rehausse les traits, cisèle les regards, et remet sur la toile des objets fétiches (ses madeleines) qui apparaissent sur la plupart de ses œuvres : la vieille robe rouge, le petit sac rond en cuir, la théière, le bol ébréché, la chaise à moustaches de sa belle-mère, les chaises et les bancs du Jardin du Luxembourg (à Paris) –sa nature-, le vieux jeans 501 complètement délavé et qui a habillé, à l’instar de la robe rouge, presque tous ses modèles. Francine a un professorat de dessin, mais enseigner l’a vite ennuyée : c’était dans un lycée (de jeunes filles de Strasbourg, dans les années 1963-64). Alors elle peint pour le plaisir, sous contrat exclusif avec la galerie Alain et Michèle Blondel à Paris, depuis vingt-six ans. Sa production est restreinte : une douzaine de toiles par an. Cela suffit...
    J’ai découvert son œuvre par les nombreuses cartes postales qui reproduisent ses dessins. L’une d’elles m'a servi à illustrer la couverture de mon livre Femmes de soie (Séguier). C'est la troisième du petit triptyque ci-dessus. Le modèle de cette couverture s’appelle Anne, toujours représentée de dos. L’œuvre s’intitule : « Ôte-toi de mon soleil ! ». Cela me fait penser à l’insolence magnifique de Diogène (voir la note intitulée « CrateSo, Yo ! »). Le style Van Hove ? Classique et résolument figuratif. Lorsque tous ses condisciples donnaient dans l’abstrait, elle peignait déjà ces jeunes filles d’une sensualité extrême, à demi nues, au corps de rêve et au regard tendre. Jamais nues, mais toujours infiniment désirables. Ne pas tout montrer mais suggérer pourrait être son credo. Son mari, artiste lui aussi, en supporter amoureux, l’a très tôt encouragée à peindre ce qu’elle voulait, sans se soucier de quoi que ce soit, fut-ce les tendances de l’art, et à n’écouter que son inspiration. Puis, l’expérience de la peinture sur tissu fut un détonateur. Un boulot de commande pour une styliste : Francine s’aperçut qu’elle pouvait peindre et en vivre. Son style propre, loin de l’école qui privilégie l’empâtement, l’épaisseur, est fait de légèreté, de fluidité, de silence et de douceur. Elle n’a jamais peint d’homme nu ou à peine dévêtu. Elle tourne avec cinq modèles, un par jour. Son premier, Marie-Odile, a posé en 1972. Elles se voient toujours, Marie-Odile, danseuse professionnelle, a 56 ans aujourd’hui. La doyenne peut avoir 40 ans, la plus jeune 18 ou 19 ans. Côté casting, la couleur de la peau est déterminante : « Je suis anti-bronzage. J’aime les peaux pâles ». Elle aime les corps architecturés, les filles pas trop minces, avec des formes pleines. Mais elles ont toutes un air de famille, à y regarder de près. Un modèle l’a marquée, il y a six ans : Alexandra, « une Tunisienne qui possède la beauté d’un Delacroix avec les couleurs de Rubens ! », me confia-t-elle. Ses peintures ne disent presque rien, et c’est ce qui les rend si attachantes. Ses personnages prennent le petit-déjeuner, lisent un livre, ou Le Monde, elles rêvent, dorment. Elles ne sont que relâchement. Elles sont imprégnées de cette lascivité qui ne ressemble à rien de pervers. Aucune invitation à la luxure. Aucune parenté avec Balthus, ni Bellmer bien sûr, ou tant d’autres. Les jeunes filles de Van Hove sont dans l’abandon progressif, le glissement, dans ce que Barthes nomme joliment le fading dans ses Fragments d’un discours amoureux (voir la note éponyme). C’est davantage du côté des photographes comme J.F. Jonvelle ou J.L. Sieff que Francine pourrait jeter des passerelles. La représentation pudique et sensible des jeunes filles se retrouve dans ses toiles, où le plaisir simple de l’après-midi, d’une sieste en été, sont là comme l'évidence du soleil…
    Il y a comme une sensualité prude, silencieuse, qui se dégage de ses peintures. Un je-ne-sais-quoi de possible et d’interdit à la fois. Un charme fort. Et je pense que c’est un sentiment de paix qui domine chacune d’entre elles. Je me sens en affection forte avec l’apaisement immédiat, tonique et durable, que les peintures de Francine Van Hove me procurent.
    Et vous ?..
    .


  • Ahiii... ¡Otra ves!

    On dit du tango que c’est un sentiment qui se danse. Le flamenco est au-delà : c’est un sentiment dansé. Le flamenco est un tesson de tragédie en travers d’une gorge éraillée qui chante la douleur du monde, et en particulier celle de l’amour. C’est un éclat noir sous lequel on devine le sang et l’eau, le cœur et la sueur, le sein et le suaire. Le cri. Le flamenco est un sentiment qui se creuse pour cambrer la parole. Et le regard. Cette concentration, ce ramassé comme on le dit d’un félin prêt à bondir sur sa proie qu’il tient déjà entre ses yeux, cette chispa (étincelle), est une façon d’être. D’habiter le monde. Etre flamenco… Comme on naît torero. Les coplas flamencas, ces haïkus andalous issus de l’âme gitane noire, incandescente, indomptable, fière, sont les paraboles de l’amour dansé : Ton visage, c’est la Sierra Morena, et tes yeux, les bandits qu’on y rencontre. Le flamenco, c’est cette Lointaine solitude sonore dont parle l’immense poète Rafael Alberti, Source sans fin d’insomnie d’où jaillit, du toreo la musique tue. Le flamenco, c’est à peine une ombre portée, un poignet cassé, un regard plus noir que la nuit, une cuisse dénudée. Le flamenco traduit avec douleur, mais les dents serrées (en parlant bouche fermée), la langue noueuse du corps à cœur : Va et que l’on te tire dessus avec la poudre de mes yeux et les balles de mes soupirs.
    Va, va, va !.. 
     
    (Ah, le regard de Picasso!..)

  • Hors-champ

    Car je l’aime de toutes mes cellules et j’aime chacune des siennes. Je l’aime toute. Entièrement. J’aime son corps, j’aime son esprit, j’aime sa morale, j’aime sa liberté, j’aime sa force de caractère, j’aime lorsqu’elle jouit, j’aime lorsqu’elle éclate de rire, j’aime lorsqu’elle mange du nutella, j’aime quand elle lit avec ses lunettes sur le nez, j'aime sa clairvoyance, j’aime sa voix, j’aime ses yeux et je suis fou de ses regards, j’aime sa sagacité et sa franchise, j’aime son indéfectible rectitude car elle ne s’apparente jamais à la rigidité, j’aime ses seins, j'aime ses reins, j'aime ses mains, j’aime son ventre, j'aime mon manque d'elle, j’aime son sexe, j’aime sa bouche, j'aime lorsqu'elle s'énerve, j'aime sa sauvage beauté, j'aime ses cheveux, j'aime ses ongles, j’aime ses baisers, j’aime ses attentions, j'aime sa nuque, j'aime son indépendance, j'aime son instinct d'ourse, j’aime son inquiétude, j’aime son oubli d’elle-même, j'aime ses bains, j'aime son cou des deux côtés, j’aime son amour, je n'aime pas ce qui l'exaspère, j’aime ses jambes, j’aime sa radicalité et j’aime aussi ses nuances, j'aime ses fesses, j’aime ses grains de beauté et ses abandons dans le sommeil, j’aime lorsqu’elle rote et j’aime ses cadeaux subtils, j’aime son goût pour le thé vert à la menthe et j’aime sa tanière où elle se sent mieux qu'ailleurs, j'aime lorsqu'elle parle après une longue réflexion, j'aime sa sagesse de vieil Indien, j'aime ses froncements de sourcils, j'aime sa fragilité, j’aime ses mots et j’aime son écriture -car elle écrit bien, j'aime son côté chaman, j’aime lorsqu’elle lit près du feu, en silence, et que sa main caresse doucement la mienne, j’aime l’idée de partir avec elle et partir avec elle, j’aime revenir avec elle car nous pensons à repartir ensemble, j’aime caresser ses pieds, les masser sous la table, j'aime qu'elle n'aime pas faire de sport, j'aime qu'elle refuse que j'oriente ses lectures, j’aime ses sourires au téléphone et sa respiration lorsque je lui dis des mots d’amour, j'aime ses désirs, j'aime son gôut pour le sommeil, j’aime mon envie d’elle et j’aime ses silences, j’aime leur langueur et ce qu’ils me disent, j'aime sa détermination, j'aime sa droiture je l'ai déjà écrit, j’aime les synonymes qu’elle n’emploie pas avec le langage pour me dire qu’elle m’aime.
    J'aime qu'elle m’envoûte, armée d'une sérénité horizontale; sa doublure. Cette sérénité est un renard dans la nuit, qui rôde et qui revient au creux de nos corps endormis, insouciants, vulnérables et beaux.
    (peinture de Françine Van Hove en haut à gauche, trois toiles de Pierre Bonnard, et photo de cygnes sauvages)

  • Les ados sont formidables

    "Ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas. C'est parce que nous n'osons pas qu'elles semblent difficiles."

    (Sénèque)

    M., une amie, n'osait pas annoncer son chomage brutal à sa fille A, 16 ans. Lorsqu'elle le lui annonca finalement, avec prudence, A. lanca à sa mère une salve d'espoir, d'énergie positive et d'avenir. Loin d'être affectée, elle regonfla sa mère, qui fut stupéfaite.
    Lorsque L. a chuchoté à sa fille M., hier soir, que si ses deux belles pistes de boulot échouaient, il serait mal, M., 17 ans, lui rappela une troisième piste, mince, mais... Dans laquelle il ne lui resterait plus qu'à s'engouffrer en se défoncant. L. fut également stupéfait.

    Les ados sont formidables.

     

    Lorsque des politiques envisagent de briser leur énergie, je sors mon Sénèque.

  • Le livre peut sauter à la gueule

    Walt Whitman (Feuilles d'herbe) :

    "Camerado, Ceci n'est pas un livre

    Qui le touche touche un homme

    Fait-il nuit? sommes-nous seuls tous les deux?

    C'est moi que tu tiens, et moi qui te tiens

    Je saute de mes pages dans tes bras".

    Michael Cunningham (Les heures, Le Livre des jours), l'écrivain habité par Virginia Woolf, a pris ces vers en pleine poire lorsqu'il était étudiant. Et ne s'en est jamais remis. C'est ce que relate Sabine Audrerie dans le FigMag de samedi dernier.

    (©Peinture d'André François, Romanian)

  • Deux mains

    Le souvenir frais de la peau la plus douce de la création

    n'interdit pas à nos paumes de saisir volant, mug et stylo.

    Conduire, boire du thé, écrire.

    Aller vers, ressentir le mentholé, dire l'épiderme des mots.

    Le désir de reconquête est une force invincible.

    Partir. Devenir. Etre vrai. Soi.

    Revenir (rien n'est irrémédiable; jamais).

     

  • La radicalité de la nuance

    c'est de camus (le titre), et cela m'évoque cette ambiance consommatrice, du tout jetable, du rien réparable.

    l'esprit vient à dérailler, une fois, fort : il est condamné.

    pas le temps.

    l'écoute et le pardon ne sont plus de ce monde.

    comme notre corps s'enveloppe de protections, par couches,

    la pensée est sous emballage.

    viande sous cellophane, paroles lisses, absence d'aspérités.
    absence.

    pensée monolithique.

    la migration des gnous...

    ---

    j'écoute "cécile" de nouganougayork.

    en boucle.

    ---

    l'ami saber, qui ne dort pas la nuit parce qu'il pense à socrate, m'a dit ce soir : "lorsque je n'ai pas d'idées, j'ai des boutons".

    et c'est vrai (pour les boutons)...

    ---

    je feuillette le "dictionnaire des mots de la cuisine", de guy martin (seuil).

    un dico salutaire : on y trouve la panade et la balance, le parfait et la caroline, la julienne et la nonpareille, le tant-pour-tant et le sot-l'y-laisse.

    rien que ça, déjà, et l'humanité refait surface.

    la gastronomie, alliée à la littérature, est encore capable de nous sauver.

    --- 

    (photo : "Les Poulains", par © P.Plisson) 

  • Dans "Le Nouvel Obs" paru hier

    Cotentin : as-tu été à Tatihou?


    retrouvez ce papier dans Le Nouvel Observateur de ce jeudi 20 avril


    C’est un coin de verdure situé dans le nord-est de la presqu’île du Cotentin, où il fait bon passer un week-end. Tranquille, loin de la torpeur. Balade en Val de Saire.
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    « Prenez mes hermaphrodites, elles ont plus de goût ! » . Chrsitine Langlois, au « Cabestan », un bar-brasserie de marins ouvert de 6h à 23h en fonction des marées, sur le port de Saint-Vaast-la-Hougue, aime que ses clients mangent les poissons et les coquillages du jour avec plaisir. « Les huîtres hermaphrodites, ou triploïdes, ne sont jamais laiteuses. Elles se reconnaissent au bout relevé et pointu de leur coquille ». Saint-Vaast produit environ 5000 tonnes d’huîtres au goût de noisette. L’écume de la bière mousse les barbes frisées des marins pêcheurs à quai. Echoués, silencieux, ils attendent l’heure de reprendre la mer. Les goélands et les cormorans, aussi, qui roupillent au-delà des haubans et vers l’île de Tatihou.
    Ce dimanche 26 mars, les coefficients sont favorables (c’est l’équinoxe de printemps) : au lieu d’emprunter l’étrange bateau à roues du port (à marée basse, il passe comme un étrange camion à coque. A marée haute, c’est un bateau à moteur), nous passerons en bottes et « à pied sec ». Parmi les parcs à huîtres, avec un vent fouettant, en levant des oies bernaches cravant (nombreuses sur l’île), et des limicoles de toutes sortes : tournepierres, courlis, bécasseaux ; et puis des aigrettes et quelques canards tadornes de Belon déjà appariées.
    Avant de traverser, halte casse-croûte à la cale, d’où l’on traverse : un éleveur rôtisseur, Pascal Basley, y installe sa rôtisserie le dimanche, et propose poulets, gigots d’agneau et un lard grillé à tomber !
    L’île minuscule de Tatihou a une histoire singulière. Outre sa réserve ornithologique qui conduit à sa Tour et à son fort Vauban, superbes, son jardin botanique impressionnant, son musée maritime, d’histoire naturelle locale (la Normandie depuis l’âge de bronze), son laboratoire océanographique qui accueille des classes bleues, sa maison d’hôte et ses vestiges exposés en plein air –comme cette quille de frégate du XVII me s., ne sont presque rien, comparés aux mystères de l’histoire de l’île, qui ne fut rouverte qu’en 1992 ; après trois siècles d’isolement. Jusqu’à une date récente, on y embastillait les enfants à problèmes de la région (si tu manges pas ta soupe, t’iras à Tatihou !). En effet, après avoir été une île de quarantaine –dans les années 1720 ravagées par la peste-, pour les bateaux venant du nord, l’île semble dédiée à l’enfance « difficile ». Elle est de 1926 à 1948, une « Ecole de plein air » de « l’hygiène par l’exemple »… Puis un centre de rééducation accueillera les enfants de la DDASS et des tribunaux de 1948 à 1984. Aujourd’hui, les colo et les visiteurs viennent admirer le paysage et les oiseaux. On s’y sent bien, mais il y plane les traces de cette histoire sordide et récente, en gravissant le colimaçon humide de la tour, qui nous éloigne des poudrières et conduit à des pièces rondes d’une beauté confondante.
    Retour en bateau, mais sur roues, et cap sur Barfleur pour une balade côtière à pied, après une nuit douce dans une chambre d’hôte immense, dans le Manoir de Cabourg, bâtisse du XV ème siècle, tenue par Marie Marie. Le petit-déjeuner est somptueux, le calme olympien et c’est le bruit des sabots de chevaux qui vous réveille. Cette bâtisse se trouve à Réville (le village du peintre Guillaume Fouace et du Moyne de Saire, défroqué, ivrogne et parjure, une star au XV ème !), au-delà du pont de Saire. La rivière se jette ici dans la mer. Le mot vient de « sarnes », pointe de terre en scandinave.
    Si vous avez le temps, il faut profiter des marées pour se livrer en famille à la pêche à pied. Les « manchots » (couteaux) sont nombreux, ainsi que les bouquets, les palourdes et bien sûr les coques.
    Le petit port de Barfleur est magnifique.
    Les bateaux de pêches sont fatigués, rouillés mais fiers. Les filets s’amoncellent sur le quai. À la terrasse d’un restaurant, des gens vous hèlent en vous invitant à partager l’apéro. Au Café de France, il y a une atmosphère Amsterdam (la chanson de Brel), les marins jouent de leurs larges paluches, au 421 ou aux dominos, et les pintes de bière défilent au pas de gymnastique.
    Jusqu’à Barfleur, la route de Saint-Vaast, Réville, Montfarville, est bocagère : champs de choux, prairies grasses, troupeaux, petits bois et ressauts buissonneux qui donnent un air irlandais au paysage. La côte est déchiquetée aux ciseaux à bouts ronds : rochers doux et algues molles, mer lisse dans les criquettes où barbotent les bernaches. À l’horizon, un cargo au mouillage nous rappelle la proximité de Cherbourg et des côtes anglaises. Les plages du débarquement, aussi (hors Val de Saire).
    Passée l’église de Barfleur, son cimetière marin avec une vue magnifique sur la baie de la Masse, à l’extrémité du port, il convient de s’engager sur le sentier littoral comme un pèlerin en route vers Compostelle. Ici, les coquilles Saint-Jacques se trouvent à droite, dans l’eau. Un circuit balisé de 3 km en 1h30, est proposé qui fait le tour de Barfleur, son port, ses environs (le patrimoine architectural de la ville vaut la halte). Nous lui préférons le fil de la côte jusqu’au phare impressionnant de Gatteville.
    Le « fleur » de Barfleur vient du scandinave « floth » : rivière. Le village possède le label « l’un des plus beaux villages de France ». Passez devant les rails du local de la SNSM (société nationale du sauvetage en mer) et poursuivez donc jusqu’au phare : 75 mètres, 365 marches, 52 fenêtres, il date de 1861 et se visite. C’est le deuxième plus grand phare de France, après celui de l’île Vierge (Finistère). Derrière lui, il y a encore le sémaphore (25 m, de 1774), occupé en permanence par des guetteurs de la Marine nationale qui s’y relaient pour assurer la surveillance des côtes. Arrivé là, le sentier littoral se poursuit, mais le village de Gatteville est à visiter avant : une magnifique chapelle du XI ème siècle (Notre-Dame du Bon Secours), une place immense bordée de maisons de granit, d’une grand église (St-Pierre), d’une minuscule ancienne mairie –véritable maison de Oui-Oui-, et un silence d’avant le débarquement ; imposent leur charme. Une promenade vers l’étang de Gatteville est une variante à l’intérieur des terres. De là, retrouver son véhicule pour changer de zone, direction Saint-Pierre Eglise et le Cap Lévi, permet de découvrir une route aussitôt collinaire, voire montagneuse ! On se croirait propulsé dans les Alpes en cinq minutes : forêts épaisses, virages sinueux qui forcent à rétrogader … Quittehou, Le Vast, Valcanville (et ses vestiges des Templiers), une rivière où les pêcheurs de truites fouettent leur soies, l’imposante église de Saint Pierre, Fermanville : des villages chargés d’histoire se succèdent. La route de l’Anse de Brick passe devant un havre qui est peut-être l’endroit le plus beau du Val de Saire : le Cap Lévi et son phare, la plage de la Mondrée et ce sentier littoral « des douaniers » si sauvage. Il serpente devant les vagues qui giflent les rochers. Un minuscule et paisible port de pêche, à l’aplomb de prairies quadrillées de haies touffues, propose de poursuivre à pied, vers l’Anse de Brick (à Fermanville); soit à la porte de sortie du Val, du côté de Maupertus sur Mer.
    Demi-tour ! Laissons Cherbourg au loin, qui nous apparaît soudain de dimension inhumaine, et traversons le Val de Saire par l’intérieur : vers Valognes via Gonneville et Le Theil, ou bien La Pernelle et sa fameuse colline (petit crochet à Tocqueville, village d’Alexis !), Videcosville et Crasville. Les propositions de sentiers découvertes, de balades à cheval, en kayak, en VTT, sont nombreuses. Autre solution : retour à Saint-Vaast, pour des moules-frites au Débarcadère, ouvert tard. Dans le dos, le Feu de Barfleur (une maison-phare) illumine le rétroviseur en balayant les champs alentour. Le Val dort.
    Léon Mazzella
    Pratique : un click sur Le Nouvel Obs Paris (oxygène) (j'ai la flemme de saisir le gros encadré)


  • Salutaires reprises

    ce printemps, une vague magnifique, en (format de) poche, propose quelques petits bijoux :

    - le livre de poche d'abord :

     

     

     

     

     

     

     

    le troublant "un secret", de philippe grimbert, qui invente un frère et découvre le mensonge historique...

    "la consolation des voyages", de jean-luc coatalem -notre travel-writer le plus talentueux-, ou la bourlingue littéraire aux quatre bouts du monde.

    le grave, (trop?) grave "les âmes grises" de philippe claudel, si juste et si puissant dans ses portraits.

    et l'autobiographie épaisse de gabo (gabriel garcia marquez) : "vivre pour la raconter", foisonnante et truculente, bourrée d'anecdotes en marge de son oeuvre, qui nous fait oublier ses affligeantes et faiblardes "mémoires de mes putains tristes"

    - folio :

    du critique d'art daniel arasse, disparu il y a peu, un coffret rassemble le célèbre "on n'y voit rien", et "histories de peintures" : l'art de regarder les peintures universelles avec la jubilation du gai savoir. lumineux.

    au rayon succès posthumes mérités, "suite française" d'irène némirovsky, ou la peinture intraitable des petites lâchetés d'un france dans la débâcle...

    d'alain jaubert, "val paradis" ou le roman d'un port mythique (comme l'écrirait olivier frébourg) : valparaiso. rouille, bordels, crasse, marins échoués... un univers envoûtant à la cendrars.

    de jacqueline delange enfin, "arts et peuples de l'afrique noire" (introduction à une analyse des créations plastiques), avec une préface que michel leiris donna en 1967. ethno-lumineux.

    - pocket :

    "en douce" de karine reysset, ou la fuite d'une jeune femme avec son bébé sous le bras. par besoin de respirer. un air du gavalda de "je l'aimais"...

    - 10/18 :

    de la célèbre lucia etxebarria (elle fait un carton avec son nouvel opus), la reprise de "aime-moi, por favor!" : quinze tableaux d'une justesse incroyable sur l'état amoureux, côté femme, dans l'espagne contemporaine. drôle et émouvant à la fois.

    c'est sans doute l'un des plus graves romans de big jim (harrison) : "de marquette à veracruz" renoue avec les mythiques "dalva", "la femme aux lucioles", "la route du retour"... une épaisseur et une amplitude de grand vin : jim se bonifie à l'identique. vieillis, jim! vieillis, c'est si bon ! (il publie simultanément des nouvelles chez bourgois : "l'été où il faillit mourir", dans la veine des "légendes d'automne"; c'est dire...).

    - points :

    ça y est ! ça y est ! (lemondelemonde) : points/seuil s'est lancé dans la poésie : un choix énorme de l'oeuvre de senghor, un précieux aimé césaire (avec "cadastre" et "moi, laminaire"), et une très précieuse anthologie du haïku, ouvrent le bal sous une couv. élégante. à suivre de près.

    - double (minuit)

    "les géorgiques", l'un des grands romans de claude simon (lequel fait son entrée dans la pléiade) en format de poche, c'est un cadeau merveilleux, une somptueuse pâtisserie (la même collection propose déjà "l'herbe", "la route des flandres" et "l'acacia". attendons "le tramway", son dernier et peut-être son plus subtil ouvrage)...

  • Feuilleter Barthes le matin


    Vouloir écrire l’amour, c’est affronter le gâchis du langage : cette région d’affolement où le langage est à la fois trop et trop peu, excessif (par l’expansion illimitée du moi, par la submersion émotive) et pauvre (par les codes sur quoi l’amour le rabat et l’aplatit).


  • Deathday

    J'écoute, fort, le dernier cd de David Gilmour, On an island, et je repense à "La Corrida du 19 avril" (1998)

    C'est la recherche du si lent silence du geste.
    C'est une danse profonde et noire, c'est une écriture, une calligraphie d'ombres.
    A chaque passe, le torero gagne un surcroît de soleil.
    La mort le frôle en signant le sable, le froid monte en lui et ligote sa parole...
    Le torero conjure cinq cents kilos de vent noir.
    Chaque passe est esquive et la mort n'est jamais feinte.
    Elle est blanche comme le lait maternel...

    (l'ouvrage est paru chez atlantica, et ses droits sont reversés à l'association vaincre le cancer)

  • Il Giardinetto di Elsa


    Si le bonheur existe sur cette terre, il réside à Procida. Outre une terrasse secrète, il y a sur cette île un balcon. Un balcon sur la mer thyrhénienne : au Giardinetto di Elsa. Elsa Morante. C'est ici qu'elle écrivit "L'Isola di Arturo", en 1957... L'histoire d'un gamin sauvage qui grandit sur l'île de Procida, entre un mère morte et un père absent ("L'Île d'Arturo", Folio). Cette photo montre ce balcon.

    Jusqu'à présent, ma référence en matière de balcon, c'était celui qui, en forêt, nous raconte la "drôle de guerre" vécue par l'aspirant Grange. L'auteur? -Julien Gracq. Son livre? -L'un des plus profonds de la littérature française du XXème siècle. Yes. ("Un balcon en forêt", José Corti, 1958).

    Ce balcon-ci, en photo, est autrement plus vertigineux, car il est le siège du bonheur simple et de l'absence de trouble : en face, Capri (et la Lune, invisible sur cette photo! -Qui m'expliquera comment augmenter la taille de ces fucking pictures !). A sa gauche, le petit port de pêche de Corricella, un bijou serti serré. Précieux. A droite, la plage de Chiaia et au-delà, l'île d'Ischia -géante voisine-. Derrière : le continent. Naples, sa Baie, le Vésuve et sa courbe sensuelle et molle et si lente à tutoyer l'horizontalité et la douceur diaphane de la peau des belles endormies. Le Vésuve et sa langueur, la poésie de sa chute vers Pompéi. Le Vésuve qui déplie lentement son bras comme à un cours de danse, lento, piano, pour dire la lave de son histoire, l'épaisseur aérienne de son geste, la transparence de son désir de jouissance obscure par la noyade. Le Vésuve qui sombre avec la lenteur d'un Liner, la poésie d'une sirène, l'abandon d'un sexe d'homme dans un sexe de femme : sous-marin en plongée, baleine, disparu volontaire. Le Vésuve.

    Autour de la photographe (ma fille Marine : un regard en devenir), il y a un verger de citronniers. La maison s'appelle "Il palazzo Mazzella di Bosco". Il fut laissé à Elsa Morante pour le temps que lui prit l'écriture de son grand roman.

    Cette photo m'émeut au plus haut point, pour des raisons extrêmes. Ce lieu a du génie, il est chargé d'ondes positives. Il a déjà engendré un grand livre. En septembre, il devient le siège du jury du Prix Elsa Morante, depuis une poignée d'années. L'immense palazzo comprend une bibliothèque, et l'été, des lectures y sont données en plein air, ainsi que des concerts et des conférences...

    La paix y a jeté son sac. La beauté aussi, qui y établit intensément ses quartiers à heures souples : à l'aube, au crépuscule. Lorsque le monde se relâche et que l'amour fait le quart. Armé de cette vigilance forte capable de vaincre toutes les batailles de la vie. Et du renoncement, aussi.

     

     

  • En relisant Pessoa au bistro

    "Sur toute chose la neige a posé une nappe de silence.
    On n'entend que ce qui se passe à l'intérieur de la maison.
    Je m'enveloppe dans une couverture et je ne pense même pas à penser.
    J'éprouve une jouissance animale et vaguement je pense,
    et je m'endors sans moins d'utilité que toutes les actions du monde."

    ***

    "je suis un gardeur de troupeaux.
    Le troupeau ce sont mes pensées
    et mes pensées sont toutes des sensations."

  • Respire à fond, ça roucoule tout autour

    Les jours rallongent et les jupes raccourcissent. Les mimosas fleurissent. En ville comme à la campagne, les palombes paradent vertigineusement : les mâles montent, planent et se laissent tomber. Les femelles ne regardent même pas.
    Ca vibre, le merle chante plus tôt, ça pousse. Les primeurs débarquent des cageots verts, rouges, blancs. Envie d’un œuf brouillé au beurre marin, avec le thé, ce matin. Et de respirer à fond en ouvrant les fenêtres sur le monde et en écoutant « In my secret life », de Léonard Cohen. Dans la rue, l’air est imprégné de parfums de viennoiserie. Bonheur de sortir. Je croise des odeurs de croissant comme je frôle une bourgeoise tracée au Samsara. Aspergée, plutôt. Les pas sont pressants. Le pays s’éveille. La vita e bella…


    Il en va du canif comme de la flasque. J’aime sentir, calée dans la poche intérieure gauche de ma veste, ma flasque d’alcool blanc ou ambré (poire ou prune, de Brana exclusivement). Il en va aussi de la flasque comme du canif : si, par mégarde, tu réalises que tu as oublié l’un ou l’autre, il ou elle te manque terriblement, alors même que tu n’en auras aucune utilité. Si tu n’as rien à couper au couteau –ennui, saucisson, brouillard-, le canif manque malgré tout au toucher, dans la poche. La main tâtonne désespérément l’absence. Tu te sens nu. Encore plus seul. C’est paradoxal, mais les affaires intimes ne sont pas à une incongruité près. Tout alcool plongé dans une flasque subit une pression subjective de base, qui te propulse aussitôt près des Dieux, loin d’un fauteuil profond, d’une cheminée pleine et d’une musique nocturne. Ferme les yeux, chhht, tu triches pas : respire à fond ta flasque…
    Pouf ! Tu peux ouvrir yeux, là : embrasse l’espace, et la montagne imaginaire. Pas celle de tes dossiers : au moins Sainte-Geneviève à Paris, la Rhune au Pays basque, le Mont-Blanc, le K2 au Népal. Imagines le plaisir de déboucher et de respirer les parfums complexes d’une poire sans accent, au moment délicieux où –dès demain matin-, le monde part bosser, et à faire une pause au-dessus de la mêlée qui fait la queue ou qui ahane, calé sur une motte d’illusions, un bouquet de paresses dans le dos, accoudé au comptoir du temps libre qui passe…
    Afin d’escorter asperges ou petits pois, il m’arrive d’aller chercher un poisson d’avril chez le poissonnier, et jadis, au bout de ma soie et d’une mouche artificielle, au bord d’un lac d’altitude connu de quelques isards complices. Et là, la flasque que je cherchais dans la poche intérieure gauche de ma seconde peau –j’ai nommé ma veste-, venait récompenser une belle prise.

    Le salaire de l’approche, c’était ma flasque qui me le remettait en mains propres et en liquide. Mais d’abord, par le nez, je m’octroyais licence de flairer le goulot comme on respire une fleur, un cou adoré. L’éducation du coût des choses vraies passe par là. (L’augmentation du goût de la vie aussi). Le bonheur est dans le près. Le très près. Comprenne qui sniffera.

  • Ischia


    "Finalement ils s'aimèrent. Ils ne s'aimèrent pas sexuellement. Mais ils s'aimèrent vraiment. Ils s'aimèrent comme deux enfants de six ans se seraient aimés.

    Aimer aux yeux des enfants c'est veiller. Veiller le sommeil, apaiser les craintes, consoler les pleurs, soigner les maladies, caresser la peau, la laver, l'essuyer, l'habiller.

    Aimer comme on aime les enfants c'est sauver de la mort.

    Ne pas mourir c'est nourrir.

    Sur ce dernier point il l'aima plus encore qu'elle ne l'aima jamais."

    Pascal Quignard, Villa Amalia (Gallimard)

    Photo (prise à travers la vitre du bus) d'un balcon, sur les hauteurs d'Ischia, qui surplombe San Angelo. 

     

  • Attendre

    « J’aimerais que ma vie ne laissât pas après elle d’autre murmure que celui d’une chanson de guetteur,
    d’une chanson pour tromper l’attente.
    Indépendamment de ce qui arrive, n’arrive pas, c’est l’attente qui est magnifique ».

    André Breton, L’Amour fou.

  • Le chien

    J'aime cette photo, prise sur le bateau qui assure la liaison entre Naples et Procida : le chien, imprimé sur le tee-shirt de la jeune fille debout, semble regarder l'objectif. Et tous les humains ont le regard ailleurs.

  • Villa l'autre

    Picoré dans" Villa Amalia", le dernier Quignard (Gallimard), qui se passe à Ischia, où Anne Hidden fuit et se reconstruit...
    Allez, un petit peu de réclame :

    CHAUVES! LISEZ "VILLA AMALIA", VOS CHEVEUX REPOUSSERONT!

    (Photo : Ischia en janvier).

    "Ceux qui ne sont pas dignes de nous ne nous sont pas fidèles. (...) Leur engagement à nos côtés n'entraînait pas leur peur ou leur fainéantise, leur incurie, leur désoeuvrement, leur régression, leur bêtise. Nous observons assis dans nos fauteuils, étendus dans nos baignoires, couchés dans nos lits, des êtres engourdis pour lesquels nous n'avons plus d'existence. Ce n'est pas eux que nous trahissons en les abandonnant".
    --
    "Le docteur Leonhardt Radnitzky hélas était aussi généreux dans ses inquiétudes somatiques, dans l'obsession de ses difficultés familiales, à l'égard de ses problèmes professionnels, qu'il était prodigue de ses joies, de ses envies subites, de ses gourmandises impromptues, de ses randonnées improvistes, de ses plongées soudaines" (à Procida).
    --
    "Confier à l'autre son sommeil est peut-être la seule impudeur.
    Laisser se regarder en train de dormir, d'avoir faim, de se tendre, de s'évaser, est une étrange offrande".
    --

  • Le livre à peine paru

    Je me précipite dans un bar wifi pour l’écrire. Dans une urgence déplacée ; voire inutile.
    (Preuve que ce blog devient un journal, au sens premier du terme).
    « Le jour à peine écrit » à peine arrivé sur les tables des librairies, Gallimard
    Claude Esteban (évoqué dans une note précédente : « Fulgur »), meurt. Subitement. 70 ans, il y a trois jours. C’est dans « Le Monde » de cet après-midi (daté 14).
    Il a évoqué ses amis peintres dans « Veilleurs aux confins ».
    Je pense au dernier livre de Kenneth White, qui emprunte à je ne sais plus qui la belle expression, voisine, de « Rôdeur des confins ». Esteban était les deux à la fois. Un poète de la frontière animale et de la sensualité féline. Lire Esteban comme on reprend Char, Jaccottet ou Dupin. Avec ferveur et appétit.

    (encre d'evelyne berdugo)

  • Dans "metro" d'aujourd'hui

    L’HOMME DESCEND DU METRO


    Et parfois du songe. Pas toujours rêveur, le songe. Plutôt simiesque justement : lorsque la pub et le marketing se mettent à singer la réalité masculine en la caricaturant, cela donne des créations qui ressemblent davantage à des vues de l’esprit qu’à des reflets du réel.
    Exemples : de l’homme, « Y » donc, on a décidé qu’en ville, il était devenu « métrosexuel », il y a environ trois ans : soit un hétéro affirmé, mais assumant clairement sa part de féminité, à la faveur de l’acceptation générale du phénomène gay. Rien à voir avec les obsédés de ce beau journal qui m’accueille ! Son icône était David Beckham, pour faire court. Il pouvait donc se maquiller, faire du shopping, et rester un vrai mec.
    Puis, l’ « ubersexuel » a surgi. Icône : George Clooney. Très mâle. Cela a rassuré les hemingwayens. La virilité de chacun s’en trouva réconfortée.
    Entre temps, j’ai personnellement créé le néologisme de « métrosensuel» (pour titrer l’essai éponyme d’une auteure), histoire de rappeler que l’homme pense d’abord avec sa tête.
    Un nouveau concept, préfabriqué –à l ‘intention de l’industrie, ne nous leurrons pas (des produits de beauté et du prêt-à-porter notamment), détrônera vite Clooney.
    Notre époque en perte de foi, néanmoins explosée par des guerres de religions planétaires, a besoin de démiurges, d’icônes générationnelles palpables.
    Savez-vous par exemple que, lorsque le mythe vivant Beckham dort avec sa femme dans un hôtel au Japon, l’hôtel vend ensuite aux enchères et par petits bouts, les draps –non lavés, bien sûr !..
    Et l’homme dans tout çà ? Muséifié, en plein déclin, comme le souligne un essai sur le sujet. La presse qui lui est dédié, après une embellie, commence à battre de l’aile. L’homme traverse une crise d’identité certaine. Objet, convoité, vampirisé, dévirilisé, il devient « une femme comme les autres ».
    Mais il demeure, qu’il soit homosexuel, hot célibataire, jeune père, papy, quadra en rupture de ban, un mec qui n’aime pas être étiquetté. Alors contre tout cela, une seule valeur-refuge. Aragon. Louis Aragon. Lequel disait : « La femme est l’avenir de l’homme ». Yeah ! L.M.

    Retrouvez ce "point de vue" dans la page "Paroles" de Metro de ce 13 avril.

  • Rob l'a vu

    Café stretto dans un bar de L., tandis que C. prend son long bain rituel et sacré. Je repense à l’Ivoirienne qui a jeté par la fenêtre de son appartement en feu de la rue du Roi Doré, au 4ème étage, son enfant de six ans. Pour le sauver des flammes. Il est mort dans l’ambulance qui le conduisait à l'hôpital Necker. Je pense au geste désespéré, à l’enfant jeté, à sa conscience avant de mourir -des mains de sa mère et du vent de la chute. Je pense au feu, à la nuit. Je pense au geste maternel. À cette brève existence dans un squatt honteux. En plein Marais (à Paris). La mère est morte aussi. C’est mieux ainsi. Je me risque à le penser.

  • Chez le libraire, six

    6
    Le hasard existe-t-il ? Je pose le stylo, prends l’air glacé, reviens avec une brouette de bûches, saisis un livre que je ne connais pas.
    Et je tombe sur cette parole de Salomon, placée en exergue du second chapitre du « Salon du Wurtemberg », de Pascal Quignard : « Il y a quatre choses que je ne sais pas : le chemin de l’aigle dans le ciel , le sentier du serpent sur le rocher, le chemin du navire en haute mer, le sentier du nom d’un homme dans le cœur d’une femme ».
    Je m’assois. Comme je me trouve dans une maison que mes amis J.P. et G. m’ont prêtée, sur l’île de Ré, je sors, enfourche un vélo et file à la librairie du port (l’homme est un vrai amoureux des livres, un délice, et il m’est toujours agréable de discuter avec lui), l’espoir chevillé aux pédales et aux poignets, qu’il aura ce livre en Folio dans ses flancs. C’est plus fort que moi : il me faut l’acquérir immédiatement, thésauriser (ah! le thésor des pirates!), l'ajouter au trésor que constitue ma bibliothèque (c’est elle qui m’a toujours empêché d’acheter une maison –mais j’habite en elle, et je finirai peut-être enseveli sous eux).
    Je dispose pourtant du livre –en collection blanche de surcroît-, et j’ai le temps de le lire ici : une semaine va se dérouler lentement comme un tapis volant, devant moi!
    Mais non : il me faut interrompre immédiatement cette lecture naissante, et lire mon exemplaire.
    Pouvoir l’annoter au crayon. Le tatouer de mes émotions...
    Avec les livres, je suis possessif comme on peut l’être avec ceux que l’on aime.
    Et c’est aussi pourquoi, chez le libraire, j’acquiers.

    (fin)

  • A palo seco

    Le cante jondo (hondo), le chant profond, exprime le génie dramatique, l’essence même du flamenco. Il peut jaillir n’importe où, souligne Michel del Castillo, qui écrit notamment : « Le flamenco est un style, une manière de se tenir debout, les reins cambrés, le menton relevé (…). C’est une posture de défi ironique, une attitude d’indifférence et de mépris. On feint d’ignorer le danger, on s’amuse avec lui »…
    Lorsqu’on a l’esprit du flamenco dans la tête, même parler, réfléchir, marcher dans la rue, boire ou manger, et à plus forte raison écouter de la musique, monter à cheval et séduire ou tenter de le faire, procède de ce mimétisme avec une certaine philosophie de la vie. Etre flamenco. Comme on naît torero. Que devient-on alors? (rien, sinon "celui que l'on est", chuchote Nietzsche). « L’être flamenco », éprouve des sensations rares, comme la correspondance (au sens baudelairien du terme) entre deux êtres. La grâce. C’est un être fondamentalement libre.  C’est un bandit.

    ¡Vaya!



    Photo © nicolson


  • Duende

    Au cours d’une conférence que Federico Garcia Lorca donna sur le sujet : « Jeu et théorie du duende », il cita un ami qui lui dit ceci en écoutant la musique de Manuel de Falla : « Tout ce qui a des sons noirs a du duende ».
    C’est un beau résumé.
    Lorca ajoute : « Ces sons noirs sont le mystère, les racines (…) le duende aime le bord de la blessure et s’approche des lieux où les formes se fondent dans un désir qui brûle…».
    Le duende a quelque chose à voir avec l’orgasme.

  • Chez le libraire, cinq

    5

    Chez le libraire, je suis berger. Je compte les moutons qui appartiennent à mes patrons. Je visite. Passe. Fait passer.
    Et puis je m’en vais. Jamais sans avoir pris au moins une brebis ou un agneau. Question de principe. Absurde, donc. Et de respect du métier de libraire, de la chose écrite, de solidarité avec mes sœurs et frères d’armes. Je ne puis me résoudre à sortir d’une librairie sans avoir au moins acheté un poche. C’est plus fort que moi. Je me sentirais coupable, sans cela. Voleur de mots à la sauvette. J’ai prélevé des choses, pris du plaisir : cela se paye. Alors j’achète. Souvent pour offrir : je rachète. Afin de partager mes émotions textuelles, anciennes ou récentes.
    Chez le libraire, je n’existe pas. Je vis. A fond. Un ami pourrait arriver et feuilleter à côté de moi, je ne le verrais pas. Mon regard, mon être, sont concentrés sur les livres. J’ai alors l’esprit en entonnoir vers eux. Je ne vois absolument rien d’autre. Un vrai photographe au moment délicat de la mise au point.
    C’est parmi les livres et dans la nature, lorsque bat la migration d’octobre, que je me sens le mieux habiter cette terre. J’écris cette phrase en pensant à Albert Camus, qui a écrit que les deux seuls endroits où il se sentait réellement bien, étaient un stade de foot et les planches d’un théâtre. Deux scènes où l’existence se joue. Ma vie se situe résolument entre livres et oiseaux.
    (Les femmes? -une pomme de discorde). Et la librairie, ma trousse d’urgence.

  • Chez le libraire, quatre

    4

    Dans ma querencia (Bayonne), c’est différent : je fais la tournée des libraires (la plupart sont des potes), les samedi matin que je peux , et comme c’est jour de marché, après les poules, les fromages et les foies gras sur les quais de la Nive, j’achète la presse et je fais ma tournée. J’ai le sentiment étrange que les livres y ont l’accent. C’est un peu comme le pigeon ramier : c’est un grand migrateur qui ne fait que passer au-dessus du Sud-Ouest, or ici, nous l’avons baptisé palombe et nous la tutoyons parce que nous nous sommes un peu approprié l’oiseau : il est sédentarisé dans notre affection. Pareil pour les bouquins (un terme qui désigne les lièvres mâles en période nuptiale : le lièvre bouquine au printemps. Le bouquinage désigne cette période de reproduction. J’aime assez l’idée sémantique qui confond faire l’amour et lire. Et lièvre n’a qu’un « e » à l'accent grave, de plus que livre).
    À l’étranger, je commence par m’enquérir des auteurs français nouvellement traduits. C’est du sport. C’est comme de lire les résultats des matches du week-end dans « L’Equipe » du lundi. La littérature n’échappe pas aux changements de Poules. Ni aux transferts. C’est assez peu intéressant. J'ai perdu la manie d'acheter les éditions étrangères des livres de Gracq. Moins groupie, moins systématique. Je ramollis...

    (à suivre)

  • L'animal-totem

    Un jour, un lion, un regard, une éternité, une minute, un échange plus fort que la parole, un jour un lion, dans la brousse, entre les pailles, un lion dont j'ai croisé le regard, m'a dit.

    Il m'a dit ma vacuité, ma fatuité, mon insignifiance d'homme.

    J'ai été forcé de le croire, il disait vrai. Puis il s'est retourné et m'a planté là. Comme un con. Comme un homme. Le regard de ce lion me dure. Je suis hanté par lui.

    Je sais que ce lion est devenu mon animal-totem : je peux compter sur sa force en moi, en cas de danger. Je sais aussi que je dois me méfier de lui. Il reste un fauve imprévisible.

    As-tu cherché ton animal-totem? Le chamanisme apprend cela. C'est l'animal qui te choisit. Pas l'inverse. Le trouver est une démarche.

    L'animal-totem est un allié. Selon les chamans du Mexique ancien, rapporte Carlos Castaneda, il t'aide dans la voie du guerrier : "Un guerrier est un chasseur impeccable qui chasse le pouvoir; il est sobre et calme, et n'a ni le temps ni le désir de bluffer, de se mentir à lui-même ou de commettre une erreur. L'enjeu est trop important. L'enjeu c'est sa vie, qu'il a mis si longtemps à renforcer et à parfaire. Il n'a pas l'intention de gâcher tout ce soin et cette discipline à cause d'un mauvais calcul stupide, ou par manque de discernement".(Voyage à Ixtlan).

    "Le guerrier cherche l'impeccabilité à ses propres yeux et appelle cela humilité".(Histoires de pouvoir).

    "Le chamanisme est un voyage de retour. Le guerrier remonte victorieux vers l'esprit, après être descendu en enfer. Et de l'enfer il rapporte des trophées. La compréhension est l'un de ses trophées


  • Chez le libraire, trois

    3
    Chaque livre est attendu de moi et le moindre retard m’agace. L’attente se situe ailleurs. Dans l’arrivée du dernier untel;
    la couverture de la reprise en format de poche d’un autre. Après, tout devient personnel et relève de la manie. Chez le libraire, je me contente de retourner les romans comme des cèpes (il y a de la chasse aux champignons dans la visite aux livres), pour parcourir le texte de quatrième de couverture. Je feuillette seulement la poésie, pour la lire à peine, la prélever comme on pince un peu de peau croustillante au poulet rôti qui grésille à la sortie du four. Je n’ai qu’un regard vague pour l’histoire, une attention distraite pour les essais et autres documents empilés sur table. Je marque le pas au rayon philosophie. Et puis il y a les réflexes : aller toujours à C et à G pour relever les Char et les Gracq présents, à P pour les Platon, à B pour aimer soudain le libraire qui compte un Blondin parmi ses pensionnaires à l’année. Et qui ne lui présente jamais aucune note. Avant de prendre un livre avec lequel je sortirai, je le goûte : j’en lis un extrait ici, un autre là, et lorsque le plaisir littéralement pâtissier arrive, que je salive, je referme l’ouvrage : à la maison ! Je te mangerai chez moi, nous serons bien, tu verras…

    (à suivre)

  • Chez le libraire, deux

    2

    Feuilleter les nouveaux-nés de la littérature dans leur pouponnière est un plaisir insatiable. Où tout est prévu. Sexe, poids, nom sont connus longtemps à l’avance. Livres Hebdo ne cache rien, m’avertit du mauvais comme du bon, du su comme du vérifiable, sans oublier ce qu’il faudra découvrir sur place, à la faveur du hasard. Il n’y a donc pas de « livre à venir » comme il existe une femme à venir dans la vie d’un homme qui les aime. Ou comme il existe un taureau à venir dans la tête de chaque aficionado torista –le toro qui tutoiera la perfection en la frôlant.

    (à suivre)

  • Fading

    Retrouver avec une avidité animale l'odeur de l'autre : aisselles, sexe, cou, souffle. Garder un vêtement -qui enferme son odeur-, en cas d'absence. Nous le faisons depuis notre premier amour. C'est chien. Mon chien avait aussi besoin d'un de mes vêtements lorsque je partais en voyage. Il m'aimait.

    L'imagination tient une si grande place dans l'amour que quelquefois nous sommes pressés de voir partir l'aimée : elle nous gêne pour penser à elle...

    Sa voix au téléphone. La voix, c'est ce que nous avons de moins charnel. C'est presque l'âme.

    Le "ping" (un pet de couteau sur du cristal) qui m'annonce un nouveau mail. Et toujours l'espoir de lire son nom sur l'écran.

    Cela s'appelle le fading, l'étrange et irrésistible chute, lourde, lente, au sein de la mélancolie amoureuse, cette vénéneuse...

  • Chez le libraire (extrait)



    1
    Dès que j’y suis, je soupire d’aise, gonfle le torse et me frotte mentalement les mains. Je me sens soudain d’humeur militaire : j’inspecte mes troupes. Je m’affaire immédiatement, replace, reconnais, inspecte, range, découvre, interroge, mets enfin au rapport un élu. Je les connais, je les aime, je leur rends souvent visite. À certaines périodes, c’est quotidien. Maladif. La librairie est ma pharmacie. Mon souffre-douleur, mon passe-temps, mon chasse-spleen, mon remède à l’ennui, à la ville, à l’errance urbaine, mon élixir de longue-vue sur moi-même et sur l’écriture, les pannes de sens, la page blanche, le silence oppressant de la table de plaisir (écrire n’est pas travailler)...

    (à suivre)

  • Sondage

     

    Pendant des années, la seule vue d’une trace blanche d’avion dans le ciel bleu de l’aube en montagne, au marais, suffisait à lui déchirer le cœur. Loin des hommes, près de la vie sauvage, il apprenait les saisons et le végétal. Chaque jour augmentait sa connaissance du monde animal. La psychologie des femmes lui était étrangère. Il savait ramper, grimper. Pas encore embrasser ni caresser. Il savait le mimétisme et l’approche. Mais il ignorait tout du tact et des préséances…

    Ceci fut vite griffonné dans mon carnet, posé sur le volant, un matin en rentrant de Lagny. Je me demande si ce n’est pas le début de mon prochain roman.

    Photo de DJ Simon

     

     

  • Cabane

    Il y a quelque chose d’amniotique, de régressif, d’obscur à être dans une cabane. Surtout une cabane de chasse aux canards. Ce sont des adultes qui les construisent, sur l’eau, et qui s’y rendent, seuls ou à plusieurs, les nuits d’hiver. Espace clos, chaud, entouré d’eau et de froid, poste d’observation d’où l’on voit sans être vu (et d’où l’on glisse les canons des fusils hors des meurtrières...). J’en connais qui en ont fait leur résidence secondaire, leur refuge absolu. Ils y vont aussi pour se retrouver, seuls, pour observer seulement la nature.
    J’aime passer une nuit (avec des jumelles et un bon casse-croûte), seul ou à deux, dans un tel endroit, encerclé de magie; pourvoyeur de sensations fortes : bruits étranges : un ragondin qui plonge, un héron qui s’envole, un cygne qui passe (j’adore entendre leur vol), des grenouilles qui tchatchent. Lueurs : phares lointains d’une voiture qui balaient les marécages, clignotement d’avion dans le ciel, étoiles filantes. Visions : on y devient nyctalope, comme un chat, en moins d’une heure. On voit clair dans le noir, et cela produit des hallucinations : un arbre sec devient un danseur dégingandé, telle motte de terre devient un loup. Parfums : la tisane froide des odeurs fortes d’un marais vaut celle des cèpes en sous-bois.
    Y veiller jusqu’à l’aube, c'est composer un bouquet de bonheurs qui ne fânent pas.

  • Des toreros qui sentent le lait

    Ce doit être le printemps. Je sens monter en moi une faim taurine. C'est aussi la saison des fiestas qui s'annonce...


    J’ai toujours eu un faible pour ces chiots fous qui rêvent de se faire un nom tandis que leurs copains d’école –celle qu’ils ont abandonnée pour l’autre, qui enseigne le toreo- les hèlent encore de leur prénom, et à côté desquels James Dean est un risque-tout pour papier glacé, comme Malraux fut paraît-il un Nicolas Hulot de l’aventure.
    Je n’aime rien comme ces corridas du matin « qui sentent le café », comme le dit le chroniqueur Jacques Durand et j’en arrive à les préférer aux corridas de l’après-midi, « qui sentent le cigare » . C’est le matin que les choses importantes de la vie se passent, si l’on excepte les siestes insolentes et le « baisser » de lumières, l’été, qui annonce l’apéro et les tertulias infinies.
    J’aime voir ces adolescents minces comme des stock-fishs, habillés de lumières et habités de peurs primitives. Ils récitent parfois les passes apprises la veille, comme leurs mères un chapelet de prières : les yeux fermés. Ils peuvent être gauches. Si c’est en tirant une naturelle, nous les applaudissons.
    Les regards aigus des aficionados les jaugent, les soupèsent comme ils sélectionneraient des vachettes pour les tientas ; cela n’a donc rien de déshonorant. La voix des novilleros est frêle, pas finie. C’est que ces machos prématurés sentent encore le lait et c’est pour ça que la mère rôde. Comme l’animal.

    Le novillero est un aventurier des temps modernes, qui engage sa vie plus pour son propre salut que pour la victoire, comme l’aventurier dont Roger Stéphane brossa le Portrait. Le jeune torero est un irréductible solitaire qui ne pense qu’à Dieu et à la vache qui a mis au monde ce novillo noir et dur contre lequel il se bat à présent, en suant, et en tâchant de ne pas perdre ses outils et ses moyens. C’est un être anachronique de pied en cape et jusqu’au bout de ses doigts qui ont encore caressé si peu de femmes, faute de temps et à cause de tout le tremblement. Ce sera pour plus tard, après les toros.
    ¡Si Dios quiere ! Dieu et ta mère…

    Tout se joue le matin, aux alentours de onze heures et dans le rond, même les passes de cape plus que parfaites : celles que la cuadrilla d’occasion effectue juste après le paseo, avec des toros imaginaires pourtant tenus derrière la porte, et qui jailliront un par un, là, maintenant (ça sonne).
    Le drame qui se joue sur le sable est peut-être plus sérieux que celui qui sera donné a las cinco de la tarde, car il possède l’ingénuité des premiers textes et la perfection de l’inachevé qui joue son propre rôle. La mère ne va en général pas voir ça. Elle s’y refuse, mais se résout à accepter la folie des hommes, même si elle a cessé de vivre depuis que la chair de sa chair, le fils de son homme, a décidé d’aller à l’inconnu comme d’autres vont au bureau, chaque jour qu’il peut. En face de bestias sur la tête desquelles il ne pourrait même pas manger la soupe qu’elle lui fait.

    Pour tous ces fils, le combat est un pain quotidien, et c’est un mysticisme naissant qui leur tient lieu de guide et de compagnon d’infortune ou de fortune ; c’est selon.

    J’aime encore ces rapports ambigus de la planète des toros, qui font d’Œdipe un torero de légende, un comédien pour tragédies exclusives.

    Le novillero est le spectacle des matins d’été, quand les martinets sifflent leur poursuite effrénée dans les ruelles et que les filles boivent, seules, une orange pressée aux terrasses ombragées des cafés.



    L’heure d’après, le novillero donne à voir le drame et la tendresse, la candeur et le courage fou, l’ivresse et le sens de la beauté, la suavité du regard et du geste, la folie sage de ce bonheur voisin de la douleur que ce futur matador de toros éprouve. Avec une économie de mots hiératiques, il murmure du bout de ses phalanges frêles, et avec la délicatesse d’une dentellière qui aurait suivi des cours de flamenco toute sa vie, la douleur voisine de la beauté noire.
    En retrait, parfois, l’esprit de la mère qui sait mais qui se tait ; veille. Et hurle au ciel et à toutes les Vierges –bouche fermée comme un toro bravo-, que la chair de sa chair se joue la vie par mysticisme davantage que par défi. Alors qu’elles lui pardonnent, si d’aventure il rencontrait la corne avant le grand amour. Pour que le fils ne soit jamais un ange et que les toros deviennent grands.
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    Une version abrégée de ce texte a servi d’introduction à l’ouvrage « Mon fils est torero ».
  • Flamme & co

    Le flamenco se découvre vers l’âge de trois ans, en disant, regard froncé, à ses géniteurs : "je serai torero, plus tard" ("ou chirurgien pour sauver des vies humaines"). Le gamin n'a alors de cesse de toréer les voitures du bout du chandail, du bout d’une voix frêle et du bout des rêves. Il n’a jamais cessé de le faire, depuis. C’est plus fort que lui, il faut qu'il fasse des passes aux voitures avec un journal, n’importe quoi. Il "flamenquise" sa vie avec une suite de "desplante" qui frisent le ridicule.

    Aujourd’hui, pour être cohérent avec ses désirs, il apprend à danser le flamenco. Avec une grande professionnelle : Eva Luna. C’est son professeur de flamme. Son bonheur du lundi matin : il approche alors la danse absolue, l’art total, l’épreuve de vérité.

    Avec elle, il apprendra aussi la « honra », le sens de la dignité et de l’honneur –intérieur- de soi.

    Et il tentera d’atteindre le fameux « nada », soit le détachement, la mélancolie heureuse ; la volupté de toucher le sentiment profond du renoncement. A tout…

    Le dépouillement extrême, le cri tu. La solitude sonore, le silence sonore aussi. Le hiératisme du mot seul, à côté duquel un haïku fait figure d'élégie grasse.

    Y parvenir. 

  • Seducere

    3h45 du matin. Le thé vert à la menthe est brûlant. Je reprends « Vie secrète », de Pascal Quignard dans la bibliothèque, comme on casse une barre de chocolat aux noisettes –en appuyant fermement sur la tablette, puis en ôtant le papier aluminium déchiré.
    Le pouce droit feuillette, l’index gauche commande de s’arrêter au hasard. Alors je lis. Impressionné, je note :

    « Ce fut sa main que je saisis.
    Je cherchais à tirer son corps vers moi. Je la serrais très fort contre moi. Je sentis brusquement ses seins, qu’elle avait très volumineux et beaux, qui s’appuyaient sur moi. Les seins de Némie me touchaient, entraient en contact avec mon torse, je me souviens que je trouvais cette sensation complètement invraisemblable. Mon corps croyait à cette sensation. C’est moi qui ne parvenais pas à croire à ce que j’avais désiré »

    Je referme le livre. Commence à boire le thé. Réfléchis. Enumère. Il y a l’amour et il y a l’étreinte. Il y a le désir et il y a sa désertion. Il y a l’ivresse, l’apnée et le vertige. Il y a l’incomplétude et la vulnérabilité. Il y a la fascination et il y a la patience. Il y a le plaisir –pulvérisateur du désir, et il y a la fulgurance : le coup de feu ; de foudre. Il y a l’anagramme troublante : sidérée, désirée. Il y a le fond de ton ventre et la périphérie, où rôdent les fauves. Il y a l’espace et il y a la tanière. Il y a la connivencia et il y a l’ineffable. Il y a les nuages et il y a deux amoureux –forcément coupés du monde. Il y a le silence sonore et il y a la solitude sonore, aussi. Il y a une haie tout au bout du pré, et des grives dedans qui jailliront à ton approche. Mais il en restera toujours une ou deux pour fuir du buis et du roncier, dans un fracas de plumes et de peur, lorsque tu seras à les toucher. Ce sont tes frères d’émotion. Tes compagnons de l’aube. Toujours recommencée. Veille sur eux.


    Photo du haut : la grotte de la Chambre d'amour, à Anglet (64)
     

  • Philosophie magazine...

    Le sommaire est ambitieux, les signatures prestigieuses (ph claudel, j semprun, n grimaldi, f marmande), mais la "promesse au lecteur" (la couv) affligeante.

    et je ne parlerai que d'elle.

    le visuel d'abord : un mec, genre top model dans la haute finance, en costume smalto, impeccablement bien sûr lui, un tiroir façon magritte en plein dans la gueule, les mains posées bien à plat (j'assure!), sur la pierre (philosophale).

    conceptuel, coco... il soutient le titre du dossier : "un autre monde est-il possible?" (là, je dis bravo! un tel titre, c'est sûr, personne ne la fait ce mois-ci, même pas "jésuite hebdo", qui n'existe pas).

    le cadeau, ensuite : à l'instar de fiches horoscope ou des recettes minceur, on a un morceau de l'ethique de spinoza, avec un dessin le montrant, en colette glamour,regard ingénu un chouia lolita, revue par un infographiste de la presse féminine djeune...

    Puis, la titraille : "rencontre : nicole garcia et michel onfray, dialogue inattendu" -c'est , oui, le titre!...
    (moi, là, je lis : même les femmes peuvent piger quelque chose à la philo, en tout cas celle d'un mec brillant/branché comme onfray, et en plus elle est actrice! c'est-à-dire limite miss france... allez-y, gueulez les filles!).

    et puis, au fond, pourquoi pas, "rencontre : loana-michel serres, à botox rompu". ou bien "bhl-darty, le contrat de confiance est-il un mythe américain?" au moins, ça poserait question, con!..

    puis, pêle-mêle : "débat, sylviane agacinski-marcela iacub, la fin de la domination masculine" (ça sent le scoop, moi je vous dit que ça sent le scoop).

    puis : "entretien : la leçon de sagesse de marcel conche" (sans véronique et davina, non! on y a échappé quand même. et c'est même pô du bodybuilding).

    enfin, "cinéma" (ah bon, ça philosophe au 7ème?) ":être sans destin", vu par jorge semprun. dak...

    (rideau)

  • Alliances : une question de doigté

    La nuit dernière, j'ai écouté en boucle Tryo, Miossec, Bénabar, Tracy Chapman...
    J'ai tiré sur un grand havane en écoutant les goélands qui jacassaient sous un ongle de lune (je me serais cru à Douarnenez).
    Je n'avais pas d'armagnac.
    Alors je suis allé chercher ce papier dans la cave du mac, et je l'ai rouvert.

    ARMAGNAC & CIGARES
    Cela pourrait commencer comme une petite annonce, genre : princes de sang cherchent temps libre pour union voluptueuse de courte mais d’intense durée. Les mariages de goût ne sont pas ceux qui durent le plus longtemps.
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    A l’heure où un parfum de prohibition plane sur notre quotidien, que d’aucuns lorgnent sur les salles de restaurants comme sur feu les wagons fumeurs, à l ‘heure où l’alcootest devient une épée de Damoclès au-dessus de chacune de nos soirées dehors, à l’heure où notre société réputée permissive donne des petits coups de psschhitt liberticides par-ci, par-là, et je t’en remets un petit coup –tiens ! , oser le mariage si voluptueux de l’armagnac avec le cigare en fin de repas relève de l’audace la plus inconsciente, de la décadence totale et d’une inconséquence pour tous, à commencer pour ses propres artères, qui frise la déviance sociale. Enfermez-nous alors.
    Car c’est ainsi, le cigare avec l’armagnac, c’est bon. Très bon. C’est même excellent.
    En l’occurrence, il faut confesser d’emblée un droit de préférence : en matière d’eau-de-vie comme de politique, de musique ou de littérature, chacun sa religion. Vous êtes de gauche ou de droite, davantage Vivaldi que Bach, plutôt Beatles que Stones, Flaubert bien sûr, Beigbeder pas du tout ; armagnac ou cognac.
    Ce papier choisit donc de parler de l’armagnac (le cognac sait, ô combien, attendre). Et de cigares, en deçà et au-delà des havanes.
    Mais évoquons en préambule ce plaisir « cubanolandais » qui consiste à déguster un « Grand-Bas » (armagnac) en compagnie de Pierre Laberdolive ; chez lui, à Labastide d’Armagnac, 40.
    Au domaine de Jaurrey. De préférence dans le chai plutôt que dans la salle de dégustation, par trop empruntée et dédiée aux débouchages convenus et aux visites collectives. Et de l’écouter disserter à l’infini sur l’épreuve du verre sec. Le verre sec, c’est celui que l’on a bu et que l’on respire les yeux fermés. Plutôt le lendemain matin, après avoir vidé les cendriers pleins de pieds de havanes. Ces parfums de noyaux de pruneau confit, de réglisse, de bitume même, sont l’âme de l’Armagnac. Laberdolive est fabriquant des Rolls de cet alcool, que les gens du Cognac jalousent en secret et en rongeant leur freins à disques rayés. Parmi les belles carrosseries dégustées récemment, le 1979, à la belle robe ambrée, au nez abricoté et grillé, à la finale délicatement boisée et chargée légèrement d’épices douces, genre poivre blanc, est une insolente provocation. Seuls un double corona et une conversation amicale peuvent l’escorter correctement. Au-delà, lorsque la nuit étoilée est avancée, la rêverie du promeneur solitaire s’occupe du reste…
    Laberdolive fait donc de l’armagnac comme Hélène Darroze ou Alain Dutournier, ses compères landais de Villeneuve-de-Marsan (rue d’Assas à Paris) et de Cagnotte (rue de Castiglione à Paris), font la cuisine : avec l’immense talent que l’on sait.
    A une heure et demie de route de là en remontant des terres d’Armagnac vers Paris, à Bordeaux, une autre célébrité des fourneaux et des bons petits bordeaux dénichés comme des cèpes sous la feuille morte, Jean-Pierre Xiradakis, dit Xira, règne sur La Tupina (lire à ce propos son livre « La cuisine de la Tupina », éditions Milan, car c’est un vrai bonheur, gourmand en diable, de lecture et de savoir-vivre). Xira est le chantre de la cuisine authentiquement sud-ouest, généreuse, simple et gouailleuse, avé l’accent des bonnes choses qui ont tous les bons goûts, celui de l’enfance compris. Xira aime les cigares. Et l’armagnac. Chez lui, que des havanes « parce que c’est comme çà », mais plus de quatre-vingt armagnacs différents. Il a un peu de mal à définir le mariage idéal, car il n’est pas partisan des alliances qui se superposent ni des mariages de raison mais plutôt des alliances qui se juxtaposent et s’entrelacent, se nouent et se défont mais se refont l’instant d’après, à la sauvage ou à la hussarde. Bref, plutôt un mariage qui bouge ! donc un armagnac un peu alcoolisé, « de l’armagnac qui te change la bouche à chaque gorgée plutôt qu’un armagnac élégant, fragile, pour escorter un cigare ». Là, Xira avoue être un inconditionnel du D4 de Partagas, le fameux robusto à bague rouge. « Parce que je préfère un cigare qui tire bien –et le D4 a un tirage merveilleux et toujours égal-, à tout autre cigare plus difficile à fumer ». Le D4 possède la puissance et la complexité aromatique pour affronter un grand armagnac en un moment très fort. Car pas de mariage de ce type sans moment rare. « Le contexte, c’est le plaisir, la rareté, le début et plus souvent la fin d’un repas, généralement un dîner d’ailleurs (sinon l’après-midi les clients sont out), donc un moment précieux ; subtil. Pour moi, le moment idéal pour l’alliance d’un armagnac et d’un havane, c’est chez Dutournier à Cagnotte après une belle corrida à Dax ». Oui, bon mais là, Jean-Pierre, c’est pas possible : la saison n’a pas encore commencé.
    « Mes clients, je les sonde d’abord à l’œil nu après leur repas : si je sens qu’ils sont mûrs pour s’asseoir et qu’ils me demandent de leur choisir un armagnac, j’y vais franco et avec joie ! Un armagnac vif et nerveux plutôt qu’un vieux précieux, style Dupuis 1981 ou 1982, sur un D4 donc, et c’est parti : aucun déçu à ce jour ». Parce qu’il y a ce truc qui fonctionne, le réveil-matin dans la bouche à chaque bouffée, chaque gorgée. Evidemment, si le client exige un vieux Laberdolive, ça le regarde, mais c’est souvent dommage car il vaut mieux répugner à ouvrir un premier grand cru en fin de repas lorsque les papilles sont saturées et les neurones chargés : c’est du gâchis. C’est pourquoi Xira est partisan des plaisirs d’amont et d’à jeun : le cigare de dix heures du matin, ou de celui de dix-sept heures, avec de l’armagnac celui-là, soit lorsque les papilles sont affamées, érectiles et donc très réceptives. Mais il est difficile de proposer ce mariage avant le dîner, sauf à la jouer salon de lecture anglais, fumoir et fauteuils clubs –on est prié de laisser sa montre à l’entrée, avec les soucis-, et roule ! « Les vrais amateurs fument à ce moment-là, quitte à ne pas fumer d’autres cigares après le dîner », ajoute Xira. « Je suis pour les alliances avec mesure, pas pour la démesure. J’aime proposer aussi un Obus n°2 de Montecristo, au tirage exceptionnel lui aussi, mais plus long à fumer, avec un armagnac classique : Laubade 1971 ou 1972. C’est rond, ça ronronne, et la nuit peut continuer ». Si l’amitié est au salon, que les femmes sont belles, il n’y a plus qu’à changer le monde. Avant de vider les cendriers.
    Reste que Jean-Pierre Xiradakis avoue en chuchotant, la main ouverte contre la bouche, que son mariage préféré demeure le havane allumé le cul sur une souche, qu’importe l’heure, après une marche d’une trentaine de kilomètres en pleine nature, avec une gorgée d’armagnac à même la flasque qui niche dans la poche intérieure. Pas deux ! Une suffit. Et le plaisir s’installe et prend toute la place. Olé !
    Arrivé à Paris, cap est mis sur l’Aiguière, une bonne table du onzième, au 37 bis ru de Montreuil. C’est Patrick Masbatin qui dirige l’établissement. Il en est également le chef sommelier. Et comme il a suivi une formation à la dégustation de cigares, il lui arrive d’animer des ateliers-découverte : vins, eaux-de-cie et cigares. Il est en plein dans le sujet, Masbatin. Et son complice Pascal Viallet officie en cuisine. C’est le champion de la queue de bœuf croustillante aux noix de Saint-Jacques (et purée de céleri), ou du foie gras et cuisses de grenouilles aux asperges vertes. Entre autres merveilles. Patrick a comme un don d’ubiquité doublé d’un strabisme divergent et imperceptible, façon caméléon : il a l’œil à tout et rien ne lui échappe : il discute alliances en servant un coteaux de l’Aubance, se lève prestement pour engueuler gentiment un stagiaire de deux jours, remet deux cartes à un couple de jeunes amoureux, sourire large, s’asseoit, lance un ordre et attrape un bouteille bien froide de chardonnay du Clocher de Roquetaillade (Limoux). Hop ! Bonhomme, le regard suraigü, le mot tentateur au bous tes lèvres : « les bons desserts se commandent en début de repas », la voix gourmande, il déclare : « plus de 400 références à mon livre de cave et nous proposons notamment un menu accord mets-vins». Avis aux buveurs d’eau. Déjà, dans l’entrée, l’ambiance est dressée et la bonne humeur, mise : le meuble à cigares trône à droite et celui des fromages lui fait face. Avis aux allergiques de la belle vie. Il y a un vrai compartiment fumeurs dans ce train-ci.
    Masbatin amène le client au mariage armagnac-cigare en douceur ; avec psychologie. « Cela dépend du moment et de la clientèle. La mienne est essentiellement composée d’hommes d’affaires, un rien inhibés par la fumée et l’alcool fort en fin de repas. Je propose des cigares de Saint-Domingue s’ils ne veulent pas de havanes. Ce sont pour la plupart des fumeurs de robustos ». Pressés. Les clients de l’Aiguière sont des avertis : « ils exigent leur armagnac et leur cigare habituels. J’ai beau proposer des vieux rhums, des calvados de haut-vol, rien n’y fait, c’est l’armagnac qu’ils veulent ». Patrick Masbatin propose alors toute la gamme des armagnacs de Laubade, à Nogaro, 32, dont il est un inconditionnel. Et Dieu sait si elle est vaste ! Des bas-armagnacs de 1961, 1954, 1955, « un 1947 –l’idéal sur un grand cigare, ajoute-t-il-, ou mieux : un 1939, le top ».
    Son mariage préféré ? L’Intemporel n°5 de Laubade (clin d’œil à Chanel. Il existe aussi des intemporels n°3, 7…), d’un âge qui se situe entre trente-cinq et cinquante ans, qui est composé de baco 22A, d’ugni blanc, de colombard et de folle blanche de Bas-Armagnac. Avec un double coronas plutôt qu’avec un robusto, pour que le plaisir dure jusqu’à la fin du verre. Mais cet armagnac suave et pas rustique du tout, il l’apprécie et le fait découvrir chaque fois que possible, accompagné aussi d’un demi-tasse de Dunhill ou d’un Pluton de Pléiades, « parce qu’il n’y a pas que les havanes ! », ou alors, d’accord, avec un Hoyo du Prince (Hoyo de Monterrey) ou un Panatela de Rafael Gonzales.
    « Si je peux initier une femme au cigare, je le fais volontiers. Je pense alors à lui faire découvrir l’armagnac à l ‘œil, au nez puis en bouche, si elle ne connaît encore rien de la magie de cet alcool, et je lui propose un demi-tasse de Davidoff avec un armagnac vieux ou « intermédiaire » (entre vingt et trente ans), un De Castelfort par exemple. Ou bien alors un Laubade 1929,42,49, 51 (mon année de naissance ! , précise Patrick), 55, 62,65. Il y a l’embarras du choix et tout le temps nécessaire pour partir à leur découverte, en compagnie d’un Epicure n°2. Un cigare d’élégance, avec un millésime d’élégance (le 1947 surtout), fondu, floral, sans agressivité ; c’est merveilleux ».
    Sur un D4 de Partagas, Masbatin propose volontiers un Laubade des années soixante-dix, plus puissant car plus jeune.
    Sur un Cohiba comme le Siglo I, il proposera un Laubade 1939 pour sa capacité a générer une rétro-olfaction de pruneau, son côté miel fondu, sa finesse, sa force aromatique. Racé, le Siglo I se déguste lentement et dure longtemps. Et à l’Aiguière, Patrick Masbatin semble vouloir barrer la porte de sortie aux clients, tant il aime constater de visu que le plaisir passe, lorsqu’il se pose à une table, qu’il prend en eux, et qu’il parvient à partager parfois en leur compagnie, un moment d’exception, comme ces mariages classiques mais tellement forts d’un armagnac avec un cigare judicieusement choisis par quelqu’un qui en connaît un rayon et qui aime donner du temps au temps.
    A une encâblure et des poussières de la rue de Montreuil, nous avons poussé la lourde porte à tourniquet du Lutetia, boulevard Raspail, pour nous asseoir au bar ; directement. Inutile en effet de questionner Philippe, chef sommelier du restaurant, lequel règne sur un meuble de grands bas-armagnacs rangés comme des peupliers et sur un large humidificateur en bois précieux bourré de nombreuses références. Il sait en parler avec intelligence, mais cela n’a rien d’étonnant. Ici comme chez Trama à Puymirol, 47, au Georges V près des Champs-Elysées ou bien à Cala Rossa, à Porto-Vecchio (Corse du Sud), il y a un spécialiste pour discourir savamment du mariage qui nous préoccupe. Donc, le bar !
    Sébastien est humble, il se dit pauvre en références mais il sait allier l’une avec l’autre. Lorsqu’on possède peu (à offrir), on fait au mieux avec ce que l’on a, non ? « D’abord, les gens viennent généralement avec leurs cigares. Sinon, nous leur ouvrons l’humedor ». Nous y trouvons (la liste des modules est courte comme un menu-carte qui repose des épais cahiers plastifiés des restaurants asiatiques). On y trouve donc le robusto de Cohiba, le D4 de Partagas, le petit coronas de Bolivar et un double coronas de Quai d’Orsay. Côté armagnacs, que des Bas d’abord. Ah, mais ! Laberdolive 1954 trône. Se pose comme une Aston Martin devant la porte à tourniquet précitée, à côté du voiturier et du chasseur. Loin derrière, trois armagnacs de la maison Castarède « on est tellement content d’elle qu’on ne veut surtout pas en changer » : le vsop, le hors-d’âge et un cabriolet au ventre plein de chevaux-vapeur : le 1976.
    Évidemment, Sébastien se plaint de la baisse vertigineuse de consommation d’eaux-de-vie et autres alcools forts par les temps qui courent, depuis longtemps maintenant. Ces mariages n’attirent que les derniers des Mohicans du bon goût, disions-nous différemment en attaque.
    Mais Sébastien aime proposer un armagnac, « car c’est un produit noble, pas un produit issu d’assemblages comme le cognac, d’ailleurs on fait des cocktails avec du cognac et on ne mélange pas l’armagnac, ou si rarement… ». A la carte du Lutetia bar, trois armagnacs figurent seulement. « Le Laberdolive c’est pour les connaisseurs, on le propose à la voix ». Si un client désire célébrer un mariage, Sébastien demande d’abord de combien de temps il dispose, car le cigare (et l’armagnac), c’est surtout une question de temps suspendu, presque arrêté. Puis il demande : corsé ou pas. Avec le Laberdolive 1954, le D4 est suggéré avec appui. « Cet armagnac est puissant mais doux, enrobé donc pourvu d’une robe et sans agressivité. Le D4 est rond en bouche et pas agressif non plus : l’alliance va de soi entre deux produits qui se ressemblent et s’assemblent par conséquent avec aisance ». Un débutant avouant l’être se verra proposer un vsop avec le petit bolivar. Celui qui choisira le cohiba parce que voilà, sera orienté vers le 1976 de Castarède. Comme quoi, avec peu, il est possible de proposer des alliances agréables sans malice, en un endroit rêvé pour s’enfoncer dans un fauteuil en cuir, regarder passer les gens, écouter un pianiste pianoter, en compagnie d’un module propre à effacer les soucis et d’une eau-de-vie gasconne capable de vous métamorphoser en mousquetaire avant l’indispensable épreuve du verre sec.

    Léon MAZZELLA

    La Tupina , 6, rue Porte-de-la-Monnaie, 33000 Bordeaux, 0556915637
    L’Aiguière , 37 bis, rue de Montreuil, 75011 Paris, 0143724232
    Le Lutetia Bar, 45 boulevard Raspail, 75006 Paris, 0149544646
    Ce papier est paru dans Tendances, le hors-série de la Revue des Comptoirs.
  • Sharonanar

    décorez-moi : j'ai vu basic instinct, deux (comme d'autres lisent deception point, ou d'autres encore vont à lourdes -pfff! les deux, à côté du grand cloué, ils sont même pas sur la photo!). sharon est toujours la plus belle blonde du monde, celle qui, par surcroît, préfère relire tout garcia marquez que se rebronzer le coeur ("car à la fin il faut que le coeur se brise ou se bronze", n'est-ce pas?), celle qui a oublié d'être tarte (et rien dans ma cuisine, hélas... mais "la chair est triste et j'ai lu tous les livres"). elle a du botox plein les nibards, une garde-robe de tarée, une coupe de cheveux qui va faire jurisprudence, un regard dévastateur ayayaye, elle fume comme un gainsbarre, conduit comme un fangio, séduit comme un don juan, mectonne les hommes, et elle possède une nonchalance attractive (genre : bon, c'est fini, ce tournage, je n'ai vraiment pas que ça à faire, moi), des plus délicieuses, au fond = elle se fout carrément du film, sharon, j'en suis convaincu. et ça, c'est vraiment fort! non, pas de décoration, finalement...

  • CrateSo (yo!)

    SO CRATE (ARE YOU?)

    suite de la note précédente, visible sous celle-ci, si si!

    T’en penses quoi, de ça, So Crate ? : Pour se compléter, pour devenir sage et fort, c’est simple, il suffit de s’ouvrir, de laisser venir ce qui manque, l’autre moitié essentielle de soi-même. Cette recherche de la complétude (comme dit Gitta Mattaz quelque part –mais où ?-, que je ne connais pas), demande de l’attention et de la persévérance. Apprendre à céder est un problème d’attention, et d’amour. (C’est un peu le fameux : être vaincu parfois, soumis jamais).
    Si elle savait qu’on peut toujours plus que ce que l’on croit pouvoir !.. Et toi, Socrate, qui me redit : « Ceux qui désirent le moins de choses sont le plus près des Dieux ». Yes, but…
    Et Diogène, ton pote par-delà les siècles, qui me tire par la manche en me rappelant que là, on lui dit qu’il était interdit de cracher par terre, et par conséquent il cracha au visage de celui qui venait de le lui interdire. Diogène ajouta : c’est le seul endroit sale que j’ai trouvé.».
    J’aime, j’aime. Comme l’anecdote célèbre : L’empereur, du haut de son cheval, flanqué d’une armée de gardes du corps, se penche sur Diogène, à moitié avachi dans son tonneau, et lui dit : « J’ai beaucoup entendu parlé de toi. En bien. Demande-moi ce que tu voudras et tu l’obtiendras : Palais, or, terres, femmes, ce que tu veux ! ».
    Et Diogène de répondre, après un long silence observateur : « Oui. Ôte-toi de mon soleil ! » (Ce que je veux, c’est que tu t’en ailles, car tu me caches du soleil… YEAH !).
    Le cynisme à l’état pur est une vitamine de bonheur. Et Diogène, un Socrate devenu fou (selon Platon). Mais comme dit Liebniz le coincé, « les lendemains de fête sont rarement des parties de plaisir ». Dommage pour lui : il n’a connu ni les Rolling Stones ; ni les boîtes de nuit. C’est con.

    Look at Socrate : c’est celui qui réagit. Donc le philosophe à l’état pur, du tungstène métaphysique trempé.

    Car il réagit sans se soucier du reste. De tout le reste. Il réagit. A corps et âme perdus. Son arrogance philosophique nous dure, comme l’éclair d’Héraclite, répercuté par Char, via (ce gravos d’Heidegger), et Hölderlin. C’est bon. Ca fait un bien fou, le matin, d’y penser. Socrate ne s’inclinera jamais devant aucun pouvoir, fut-ce celui de la douleur ou encore celui de la mort (seule la ciguë aura raison de lui, mais parce qu’il aura consenti a l’absorber lui-même, en portant –seul- le poison à sa bouche). Ce mec préférait mendier que demander la faveur de vivre. Une telle fierté n’est que flamenca, de nos jours. Nietzsche l’avait perçu, qui parlait du bout des moustaches, de philosophes fiers comme des toreros (là, tu déçois, Frédo ! Non, sans déc.’!).

    Moi j’y vois la fierté de la parole donnée, la fierté de l’absence de mensonge : tu ne te respectes pas si tu ne dis pas la vérité –ta vérité, d’abord-, et si tu acceptes d’agir autrement que tu ne penses. Si tu feins de respecter le pouvoir que ta compétence n’a pas légitimé, t’es qu’un gros naze et oublie la glace, brise le miroir, ça t’évitera la honte (encore que… bref…).

    Socrate ce héros, dit (tant de belles choses pour agir sur notre quotidien, qu’il devrait être mis en flacon avec vaporisateur et distribué gratuitement à la sortie des bus, des trams, des métros, des trains, des avions, des vélos et des pigeons voyageurs !) : il dit = ne manque jamais à ta parole, un homme vrai ne se dément pas, il ne renie jamais ce qu’il a affirmé. Il n’a peur de rien, pas même de la mort (Brel : « un homme qui n’a pas peur n’est pas un homme »). Il est affranchi de toute lâcheté, rien ne l’effraie comme l’injustice, mais il consentira même à s’y plier, pour prouver que la mort n’est rien. Son sacrifice me dure davantage que l’autre sur sa croix (et les deux autres qui sont même pas sur la photo, pffft !), lequel ne m’émeut pas, parce que le Gore me fait gerber et que … « Il se venge sur nous depuis deux mille ans de n’être pas mort sur un canapé » (Cioran). C’est clair !

    La seule chose que je reproche à la pilule quotidienne nommée Socrate, c’est de ne pas contenir dans sa formule (j ‘ai vérifié sur le papier), un anti douleur fondamental, réputé apaiser les frustrations d'enfants gâtés que nous ommetous un jour ou l'autre : Nicolas Grimaldi, (dont je buvais les paroles lorsqu’il enseignait « Le désir et le temps » à la Fac de Lettres de Bordeaux, il y a quelque temps déjà), le résume ainsi, dans « Socrate, le sorcier » PUF : « Cette mélancolie qui vient de ce que tout nous est échec. Comme par une sorte de malédiction, notre désir n’est jamais satisfait. Jamais nous n’obtenons ce que nous attendions. Il nous suffit même de parvenir à ce que nous désirions pour qu’il ne soit plus désirable. La déception est notre lot. Cela est sans exception. Puissance, amour, plaisirs, tout tourne à dérision ». (Plus on possède plus on désire ; de sorte qu’on se trouve comme dépossédé de tout ce qu’on a par le désir de ce qu’on n’a pas). Traînons-nous comme une casserole la mélancolie de l’inaccompli ?

    Personnellement, j’aimerais en finir avec l’aporétique, l’aporie, soit ce qui est sans issue. Les sans issue me gavent ! Je ne me sens pas l’âme du poseur qui s’interroge (avec un plaisir douteux) sur « le sans-issue, l’absence de conclusion positive », mais plutôt celle d'un (modeste) passeur -d'émotions, pas d'idées … Merde ! Socrate, c’est gai ! Socrate, c’est de la vitamine S ! C’est de l’agrume concentré. Croque ! Bon, d’accord, il est chiant parce qu’il dit toujours : « Non ! » avant de commencer. (J’en connais un autre, IMMENSE, Julien Gracq –j’y reviendrai souvent-, qui commence chacune de ses phrases, ou chacune des réponses à mes questions, lorsque je lui rends visite à Saint-Florent, par : « NON… ». C’est d’un chiant ! Mais je m’y suis fait, à force et par admiration : « vous êtes un lecteur militant », m’a-t-il dit une fois).

    Socrate : le réfutateur te pousse à t’interroger d’emblée, sur ce que tu viens de dire. Prends ça ! Tiens, réfléchis, no repos ! Moi j’aime ça, la mouche du coche, l’empêcheur de tourner en rond, en carré, en bourrique. Enfin, bon…

    Je reviendrai sur Socrate (parce qu’on revient toujours à lui, t’y peux rien, man…). Saluti, je va me faire un café et mettre therollingstonesbiggerbang. Zicmu !

    (je pense tout à coup à michel onfray... vite, voir ce qu'il pense de socrate : je crois qu'il le déteste)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     




  • Socrate toujours

    Socrate toujours. Comment se passer d'air? De sang? D'électricité dans les veines du cerveau et de l'âme/corps? Sans Socrate, tu meurs! Laisse Platon, son exégète, son scribe. Prends Socrate, et re-sache que tu ne sais rien. Sache que tu sais NADA. Et va nu. Sois. Deviens (si tu veux) celui que tu es, ou pense être. Deviens sage : sois ouverture, rigueur, courage, endurance, engagement, humilité. Ne déçois plus jamais. Apprends à comprendre ton être de tout ton être. Moi, un jour, je me suis dit "ptain, ces hogan elles sont trop!", et j'ai croisé un mec sans pompes, avec du journal ficelé autour des pieds. Je me suis satisfait de mes pompes. (Être riche, c'est n'avoir rien à perdre). Même si ce que j'ai dit est mon maître, et ce que je n'ai pas encore dit est mon esclave, je me sens avant tout tissé de l'étoffe dont sont faits les rêves dont je ne me souviens pas.
    C'est pourquoi je regarde la lune la nuit, et pas son reflet dans l'étang ou la flaque. Je crois au réel, de moins en moins au moisi des mots consignés dans les livres.
    Même les plus beaux, les plus séduisants d'entre eux, je m'en méfie à présent. Je regarde la lune, donc. Et je rigole en voyant ce con, à côté de moi, qui ne regarde que mon doigt pointé vers elle. La vie c'est ça un peu, non?
    Socrate, again & again : "La seule chose que j'ai comprise est que je ne sais rien". Ptain! Arme-toi pour dépasser ça!

  • "ce plaisir aristocratique de déplaire" (d.de roux)

    Un mail ensoleillé tombe à l'instant : Metro publie demain matin ma tribune sur ETA. je vais encore me faire des amis...

    Je pense à un truc : plutôt que de publier par fragments (filtrés) les pages de mes carnets moleskine sur ce blog, en évoquant un improbable "journal", je publierai plutôt mon "noctal", ou mon "nuital", soit le journal de mes nuits.

    La chronique de mes insomnies fécondes.

    Et plutôt que de parler de journal/nuital intime, puisque de facto il ne le sera plus, cela s'appelera Noctal Extime. Voila. NOCTAL EXTIME

  • Deux avril(s)

    "La révolution se lèvera avec le soleil, camarade!", m'a soufflé (dans les bronches, un peu), mon ami Olivier.
    L'amitié se mesure à l'aune de ces coups d'aiguillon-là.
    Lève-toi, garçon! Regarde le soleil (derrière la pluie, sta mattino) en face, souris au jour que tu as la chance de voir se lever, imite en sifflant le chant des oiseaux qui commencent à s'apparier -les parades nuptiales vont commencer-, fais-toi un café pas trop fort, repasse-toi (fort) ce cd de reggae de folie que ta fille t'a gravé hier soir, et saute dans un jeans.
    Le hammam t'attend, Mano aussi. Transpirer va t'exonérer un chouia. Ne néglige pas cela.
    Bois de l'eau en pensant au désert. Aux vingt mille lieues sous la mer. Au ventre de C.
    Va! Elle est, forcément, au bout de ton chemin. Dans ta voiture, toute à l'heure, chante à tue-tête, et crie : Buongiorno Bella!..

     

  • Le génie du lieu (le plus obscur)

    Le lieu, c’est ce blog. Le génie, c’est l’imprévu. La rencontre. Le piège, parfois. Le beau piège : le piège amoureux, celui qui tend le ressort avec le risque de se le prendre dans la gueule (tel est pris qui…). « Va vers ton risque »… Le génie du lieu, c’est le génie de l’inattendu, de l’improviste retrouvée, d’un certain naturel perdu et revenu au galop. Le génie, c’est l’échange entre Ottawa et là, entre une Roumanie imaginaire et soi. Entre toi et moi. Le génie, c’est l’art du synonyme. Sans masque. Un art nouveau.

    Le génie du lieu, ce peut être aussi les arènes de Ronda, vides, et soi au centre du ruedo, des taureaux dans la tête, un dépliant d'office du tourisme déplié comme une muleta au bout des doigts, et ... Vaya! Bonito, toro, toro, bonito, anda, toro, hhooouuuiiii !..

    Le lieu...

    L'obscur. Ce lieu le plus obscur à l'intérieur des cornes, des yeux noirs du toro noir, du mufle, de la bave de ses lèvres, naseaux, histoires, siècles, blanche et visqueuse la bave, elle file comme l'araignée au bout d'elle-même, qui va au gré du vent. L'obscur du lieu le plus taurin. Le plus tragique, le plus extrême : celui qui pousse à bout pour rechercher le duende de verdad, le duende de nada. Ce rien qui n'est pas tout, nan! Ce rien métaphysique : le nada. Le nada. Soit le silence, le hiératisme du regard de Kristin Scott Thomas déguisée en Andalouse à mantille et abanico, pour les besoins impérieux d'un tournage à Sanlucar de Barrameda. Quelque chose comme ça.

    Le nada du silence. Le nada de tes yeux, le nada insondable de cette zone noire où les poissons (en sont-ce vraiment encore?) ont des lampes charnelles et luminescentes devant les yeux... Le nada du centre de la terre se trouve -je le sais- au centre de ton ventre, au creux de tes reins, au fond de -certaines- de nos étreintes.
    Sinon ce serait trop fastoche.

    ¡Vaya!

  • Flamenca (extrait)

    Voici les premières pages de Flamenca, roman, ©La Table ronde, janvier 2005.

    Île de Procida, 21 septembre.
    Esther étendit ses longues jambes bronzées sur la chaise, les caressa, se retourna vers la cuisine et lâcha un petit pet discret. La femme pète aussi. Il faut en accepter l’idée.
    La mer cachait son jeu. Un bateau croisait au large. Ciracciello. À cette heure-là, les goélands voletaient contre le vent endormi, marchaient sur la plage en quête de miettes. Un chien famélique allait, reniflait le sable en trottant à la lisière de l’eau, se foutant des goélands.
    -J’ai soif, Naphtali.
    - Que veux-tu, thé ou café ?
    Jamais de café, tu as oublié !
    Esther sortait d’un cadran de sommeil. Douze heures de paix. Sur les traits à nouveau lisses de son visage, Naphtali pouvait lire en creux des larmes anciennes, la trace d’une crispation sèche. Elle secoua ses cheveux noirs, y noya une main pour en chasser des chauve-souris et des merles bleus. Deux braises décidées le fixèrent.
    - J’y vais, j’y vais. Tu ne m’as pas dit… Ah oui, thé !
    Pendant longtemps, Naphtali n’avait pu admettre que les femmes pussent mourir. Pis : qu’elles puissent souffrir avant de passer. Il aimait tellement la femme qu’il lui avait été difficile de se résoudre à cette idée jusqu’à l’âge de trente ans.
    -Ne le fais pas trop fort. Tu me réveilleras ce soir pour aller dîner chez Vincenzo, dit Esther.
    - Je réserverai une table contre l’eau, commanderai une dorade.
    Que vas-tu faire?
    - M’occuper des restes de maman. Des pêcheurs les ont remontés dans leurs filets. Ils ne savaient pas comment me le dire, alors ils sont allés les porter à la police.
    Esther se tut, pleura, puis vomit et alla se coucher. Un quart d’heure plus tard, elle dormait comme un bébé et Naphtali eut à boire son thé. Il monta un drap jusqu’au cou de la belle endormie. Le soleil apparut sur l’île de Procida et l’inonda de cette lumière de l’aube dont on retrouvait la suavité à Cadaquès au crépuscule et la douceur à la plage de la Chambre d’Amour, l’hiver.

    Leur mère s’appelait, s’appelle Orabuena. Orabuena Gargiulo-Bereshit. Née à Oran en novembre 1938. Son nom de jeune fille ? « Au commencement » en Hébreu. Les premiers mots de la Torah. De la Bible. Au commencement Dieu créa le ciel et la Terre. Son prénom veut dire « Heure bonne ». Bonheur.
    Au commencement était le bonheur.

    LM

  • Il y a des nuits

    ...Comme "il y a des jours, où l'on se sent comme un couteau sans lame auquel manque le manche" (Lichtenberg).
    Cette nuit du premier avril est silencieuse comme un tombeau. "Villa Amalia", de Pascal Quignard, dort, repliée sur sa musique et les paysages sensuels de l'âme. 3h45. Je pense à l'anniversaire proche de mon fils. Je pense au flamenco à écrire et d'abord à danser, à perfectionner sans relâche : planta - tacon - tacon-planta-tacon... A mon cours de flamenco de lundi prochain. Avec Eva Luna . Ma prof de flamme (photo). Je pense au hammam, dimanche, avec M. Je pense au vieux rhum et aux filets de capitaine avec des piments-oiseaux. Je pense à la manière de préparer mon "arroz de no se que" demain : avec ou sans calmars, crevettes et chorizo?.. Je pense à l'Olympique Lyonnais. Et aux mini-poivrons. Je pense au parfum de l'amour dans les draps. Je pense aux grains de beauté de C. Je pense à la beauté horizontale. Je pense à ce verre de Pic Saint-Loup explosif, découvert à la Boucherie Roulière. Je pense à la peau du soleil lorsqu'elle enveloppe d'orange diaphane les tours de Saint-Sulpice, vers 20 heures désormais. Je pense aux huîtres hermaphrodites de Saint-Vaast-La-Hougue, des huîtres "triploïdes", sans laitance et douces douces -Saint-Vaast, où "Le Nouvel Obs" m'a envoyé samedi dernier. Et à l'île de Tatihou rejointe "à pied sec", dimanche sous la pluie, au milieu des parcs à huîtres, à l'heure où les oies bernaches cravant boivent l'apéro avec les goélands argentés; au-delà du fort et sous les vagues... Je pense à la voiture qui est très mal garée. Je pense à la maison de Freud, à Vienne, où ma fille se trouvera la semaine prochaine. Je pense à l'aube quelque part. Parce que je pense toujours à l'aube quelque part. Je suis hanté par les aubes. Et que je ne verrai pas la prochaine.

  • Fulgur

    Je découvre à l'instant "Le jour à peine écrit", poèmes, 1967-1992, du grand Claude Esteban, éditions Gallimard , qui paraît le 6 avril : c'est d'une beauté fulgurante. Trois exemples, vite, sur quarantedouze (j'y reviendrai) :

    (page 155) :

    LIX

    Je veux mourir dans tes cheveux. L'âme est trop lente ici. La chair ne connaît rien que sa blessure. Tant de nuits sans désir. Ne tarde plus. N'attends pas que ma sève se partage. Nous avions conjuré la peur. Epouse-moi. Je suis seul. Je suis nu. J'ai mangé tout le mal sur d'autres lèvres. Je veux mourir dans tes sillons.

    (page 75) :

    Le ciel

    ouvert en deux.

    Elle

    sur la margelle du matin.

    Danseuse blanche".

    (page 15) :

    "Armure du matin.

    Je ne sors plus

    de moi. Je traverse

    mes lèvres

    sans voir que le soleil

    déchire l'air

    les murs.

    J'invente des couloirs

    où le froid s'accumule

    courbe

    jusqu'à ce cri."





  • Partir en train

    C’est un extrait de mon prochain livre, composé de miscellanées (des mélanges) :

    Depuis le jour de mes vingt ans, je prends le train en conscience à travers le prisme d’un livre : la lecture des premières pages d’ « Un Balcon en forêt », de Julien Gracq, lues ce jour-là, a laissé en moi une trace profonde. Gracq y décrit un train qui serpente dans la forêt des Ardennes et qui conduit l’aspirant Grange vers une maison forestière ; siège social d’un récit qui se déroule pendant la « drôle de guerre ». Ces pages ont bouleversé ma façon de voyager et ma manière d’appréhender le déplacement en train. Je ne suis jamais plus monté dans un wagon sans penser au « Balcon », au train qui s’ébranle, au sens du mot départ –que seul celui d’un cargo peut égaler en sensations-, au paysage forestier qui défile, et au serpent de wagons que le voyageur découvre à la faveur d’une courbe longue et douce.


    Les trains modernes à grande vitesse interdisent la moindre ouverture. Impossible dès lors de se pencher au-dehors pour prendre une gifle de vent qui bloque la respiration et baigne de liberté nos cheveux. Cette griserie, qui procédait du voyage, en dépit de l’alerte vissée aux parois (e pericoloso sporgersi), n’est plus. La vue est désormais plate. À angle presque droit. Sauf à être assis contre la fenêtre (mais qu’est-ce qu’une fenêtre qui ne s’ouvre pas, sinon une bouche d’autiste, une mer de verre !), le voyageur des trains modernes n’a qu’une vision faciale du paysage.
    Son territoire imaginaire s’en trouve réduit, son ouverture sur la rêverie rétrécie.
    Et par là, grande ouverte aussi.
    Paradoxalement.
    Les voyages ferroviaires incitent aujourd’hui davantage à la rêverie intérieure à travers les paysages de l’âme. Il pourra s’agir d’une lecture qui transporte, du visage d’un voyageur. L’attention se porte en dedans.

    J’écris beaucoup dans les trains. Après un somme très court, mais infiniment réparateur, à la sortie duquel une fringale d’écrire l’emporte sur celle de parcourir la presse, tandis qu’une avalanche de faits précisément coloriés afflue à mon esprit soudain frappeur.



    Il y a toujours, dans le brinquebalement d’un train qui démarre et s’arrache d’une gare, quelque chose qui l’apparente à la fois au végétal et à l’animal. La longue carcasse d’un vieux reptile craque soudain en rafales vertébrales lentes, en s’extrayant d’une brousse froissée de lianes et de mille feuilles sèches.
    Dès que ce pâté en croûte s’extirpe des flancs du quai, l’air déplacé par la fusée qui prend de la vitesse en fendant l’idée d’une destination qui déjà est annoncée à la voix, ajoute à l’arrachement –comme on le ressent d’un chêne qu’on abat et qui tombe dans un fracas de fibres déchirées-, et à la séparation du corps de la gare et de ces passagers sédentaires restés à quai, en apparence satisfaits de n’être pas du voyage.
    Leurre ! Nous partons tous.
    Celui qui regarde le train s’éloigner, est pris d’un vertige immobile assimilable à une chute horizontale. À un plongeon.
    À sa manière, il part.

    Celui qui part quitte. Il est par conséquent saisi d’une nostalgie immédiate. D’un haut-le-cœur.
    Il est immédiatement captif de l’alchimie du ronronnement et des vibrations qui commencent à agir sur son corps et sur son esprit, et contre lesquels, bientôt, il ne pourra opposer aucune résistance.


    L’effet soporifique du départ en train est fulgurant. Chaque départ m’anesthésie. Totalement. La chute est délicieuse. Bercé comme un bébé dont le landau aurait été suspendu au cœur de la salle des machines d’un cargo, je sombre. Les vibrations me sont un massage crânien, un bain de kaolin pris au son du chant des baleines dans un magasin Nature et découvertes.
    Je suis généralement la proie d’une érection décontractée, à ce moment-là. Je bande long et très dur. Je le sens. J’en profite pour m’arranger sans ambages, car ça pique en tirant sur quelques poils.
    Après vient le rêve. Le rêve pénètre à l’aise le sommeil ferroviaire. Il possède le pass. S’installe chez lui, envahit l’espace, plante son décor, campe ses personnages. Envoie la musique. Lance la machine : ça tourne !
    Ce sont des rêves dont je me souviens au réveil. Les réveils les plus redoutables sont ceux du contrôleur qui vous tâte énergiquement le bras, et celui du voisin qui s’excuse de devoir vous déranger pour passer.
    L’envie d’écrire, implacable, surgit comme le regard d’une sphynge à la sortie du rêve. Après avoir feuilleté rapidement le viatique, écrire m’étreint. Livres et journaux peuvent attendre. Les idées qui cognent, non. Et c’est ainsi que se tricotent des textes et que naissent certains livres. Entre Tours et Poitiers, Dax et Bordeaux, Cork et Dublin, Séville et Malaga. L.M.

     

  • Eloge de la bourlingue engendrée par l'amour

    Ce poème de Cendrars m'habite depuis plusieurs jours.

    Il a surgi dans ma nuit comme un phare en pleine mer.

    Alors "je prends mon bain et je regarde"...

    ********************************************* 

     

     

    TU ES PLUS BELLE QUE LE CIEL ET LA MER
    Quand tu aimes il faut partir
    Quitte ta femme quitte ton enfant
    Quitte ton ami quitte ton amie
    Quitte ton amante quitte ton amant
    Quand tu aimes il faut partir

    Le monde est plein de nègres et de négresses
    Des femmes des hommes des hommes des femmes
    Regarde les beaux magasins
    Ce fiacre cet homme cette femme ce fiacre
    Et toutes les belles marchandises

    Il y a l’air il y a le vent
    Les montagnes l’eau le ciel la terre
    Les enfants les animaux
    Les plantes et le charbon de terre

    Apprends à vendre à acheter à revendre
    Donne prends donne prends
    Quand tu aimes il faut savoir
    Chanter courir manger boire
    Siffler
    Et apprendre à travailler

    Quand tu aimes il faut partir
    Ne larmoie pas en souriant
    Ne te niche pas entre deux seins
    Respire marche pars va-t’en

    Je prends mon bain et je regarde
    Je vois la bouche que je connais
    La main la jambe Le l’œil
    Je prends mon bain et je regarde

    Le monde entier est toujours là
    La vie pleine de choses surprenantes
    Je sors de la pharmacie
    Je descends juste de la balance
    Je pèse mes 80 kilos
    Je t’aime.

    Blaise Cendrars


    Extrait de "Feuilles de route", in « Du monde entier au coeur du monde », Poésies complètes, Poésie/Gallimard © Gallimard Mars 2006.
    Merci à Frédérique Romain de continuer de m’adresser de si précieux ouvrages. Et coup de chapeau, au passage, à la collection Poésie qui fête ses 40 ans !

    Rappel : pas de saison pour la poésie. Le printemps des poètes, c'est quatre saisons par an. Peut-être cinq, d'ailleurs...

  • J T'M

    Le lui dire
    Ne pas tout dire, mais suggérer. La littérature, dont c’est l’obsession originelle, n’a jamais fait autre chose pour exprimer l’amour. Dire et redire je t’aime de façon toujours différente est l’une de ses marottes. La déclaration d’amour en devient un genre. La poésie en témoigne, qui ne se trouve pas que dans le poème, mais occupe aussi le terrain de la prose. Il y a dans chaque déclaration d’amour un souci de fulgurance, de foudre, d’impact. « L’annonce faite à », doit frapper, car elle a l’ambition de ferrer, et de durer.
    Ambiguïté de l’amour : le mot latin « amor » décrit à la fois le désir charnel et l’aspiration spirituelle ; et révèle ainsi la source même de ce qui nous bouleverse.


    Omniprésence de l’amour : même les textes sacrés en sont empreints. Le Coran infuse sa sensualité dans la poésie amoureuse, la Bible célèbre le désir érotique dans le Cantique des cantiques.
    Absolu de l’amour : le chant courtois des troubadours, le chant profond de la « copla » andalouse, cherchent obstinément l’amour pur.
    Plus généralement, la littérature internationale, intemporelle, ne recréée qu’une seule et même chose : l’aveu qui cloue, qu’il exige une ou 800 pages d’approche !
    Parce qu’il y a mille et mille façons de le lui dire, l’imaginaire de l’écrivain trouve, depuis l’invention de l’écriture, un inépuisable sujet dont la beauté parfaite est toujours à venir.
    Toute déclaration, tout « dit d’amour », suggère l’éternité, sinon ce n’est pas un serment d’amour.

    Introduction à « Les plus belles déclarations d’amour », choisies par Florence Pustienne (fitway)

  • Lettre ouverte au canard sauvage

    Mon canard,
    Voilà des années que je n’aime rien comme aller t’observer, toi et tes nombreux congénères, sur les étangs et dans les marais du monde. Aujourd’hui, le regard que l’on te porte change. Tu n’es plus un enfant du Bon Dieu, ni un oiseau de bon augure. Ta liberté de traverser les ciels d’Europe a du plomb dans l’aile. Toi le migrateur, l’oiseau qui court après le soleil et devance le froid, traverse les pays sages et les pays en guerre, à la recherche de zones humides accueillantes, te voilà pestiféré. Si nous le pouvions, nous t’assignerions à résidence. Et nous déciderions de ton éradication. Tes migrations nocturnes colportent le mal. Pire : avec toi, c’est le sauvage qui contamine le domestique, et le nomade qui frappe le sédentaire. Au-delà du virus de la grippe aviaire que tu transportes à ton corps défendant, c’est le tort suprême qui est dans tes plumes : le virus de la liberté. Celle de ne te fixer nulle part et d’aller où bon te semble, en te méfiant constamment des prédateurs. On te regarde d’un œil torve et jaloux. Mon canard, tu es un paria, un déviant. Ta liberté dérange. L’errant a toujours mis mal à l’aise le claquemuré. Aujourd’hui, au lieu de continuer d’être représenté par les peintres animaliers et d’être préparé à l’orange, on se méfie de toi comme du Malin. Une nouvelle chasse a commencé dans l’esprit des humains, qui s’enfoncent plus profondément dans l’ère du soupçon. Ton faciès, d’admirable, est désormais redoutable. Alors réjouis-toi, mon canard ! Saisis cette chance d’inspirer la crainte, de faire renaître des peurs anciennes. T’approcher effraie ! Avant qu’il ne t’emporte un jour, ce virus te protège, puisqu’il te maintient à distance des grands prédateurs qui vivent debout. Et je vais te donner un conseil, mon canard : passe plus haut. Vole au-dessus des nuages. Evite les mares domestiques, même si tu as envie de fricoter avec le canard gras. Ne pense plus aux marécages périurbains. Préfère leur les marais immenses et inhospitaliers, où le danger s’annonce de loin. Ainsi chacun retrouvera la paix. Tu as été conçu pour rester libre. Sauvage et libre. Je respecterai toujours en toi le modèle de nomadisme qui te définit. Et quand ce satané virus t’emportera, j’irai raconter aux oies et aux cygnes des jardins publics, ainsi qu’aux canards à foie gras d’ici et là, le poète du ciel et des marais que tu fus. A présent échappe-toi, mon canard, le jour va se lever. Va, va !

    Léon Mazzella.
    Journaliste et écrivain (dernier livre paru : « Flamenca », roman, La table ronde).
    Tribune parue dans Metro du 17 mars dernier.

  • Pourquoi ce blog?

    C'est ma copine Alina Reyes , avec qui je déjeunais la semaine dernière, qui m'a donné envie de monter mon propre blog. Histoire de "parler" littérature avec d'autres bloggeurs lttéraires.

    J'y mettrai mes propres livres (des extraits appétants, bien sûr), parlerai de ceux des autres, car j'ai toujours chroniqué les livres ici et là, d'abord à quasi plein temps, puis dans des magazines sérieux, à la radio, dans les magazines dont j'ai été rédacteur en chef aussi, et parce que je continue d'avaler un livre par jour en moyenne.

    Je publierai des extraits de mon journal, des extraits de "works in progress" : poèmes, récits, nouvelles, roman(s). Humeurs, billets, tribunes et reportages ou récits de voyages, publiés ici ou là, s'y trouveront in extenso...

    Et puis d'autres choses, l'innatendu, la fantaisie du voyage en blogosphère, au gré du temps et des lectures, des échanges et des rencontres, enrichiront et fleuriront naturellement ce blog.

    Je l'ai ouvert là, ce soir, avec un texte sur les premières phrases de romans, qui figure partiellement dans une mini anthologie que j'ai concoctée sur le sujet, publiée par fitway , il y a un mois environ.

    Convaincu (avec Hölderlin) que c'est poétiquement que l'homme doit habiter cette terre, la part du lion sera réservée à l'émotion, qu'elle provienne d'un ciel nuageux ou de la hanche d'une belle endormie. Les sensations feront le reste. Aucune procuration ne pourra être donnée, et aucun différé admis. L'écriture veillera toujours au grain ("beauté, mon beau souci..."), et le hasard s'emploiera, comme d'habitude, à faire bien les choses -dans le désordre...

    @bientôt

  • "Ca a débuté comme ça"

    Ce texte inédit est la version longue de l'introduction que j'ai donnée à "Premières phrases de romans célèbres", paru en février/mars chez fitway (ça vaut 2,90€ et vous pouvez y aller, je ne touche par un centime de droits d'auteur sur le bouquin).Just for pleasure and for fun. Il faut se souvenir du don du rien (potlatch) et "s'efforcer de passer par la porte étroite"... LM

    C’est parce que la première phrase d’un roman est courte qu’elle en dit long. Les phrases longues sont nombreuses aussi, mais elles ne possèdent ni le lapidaire, ni le dense. Le « fulgur ».
    Faire court devrait être la règle…
    Prenez « Le Voyage au bout de la nuit » : « Ca a débuté comme ça ». Tout Céline est déjà là, ramassé en cinq mots.
    Avec Radiguet, la première phrase du « Diable au corps » résume à merveille la lecture à venir et jette le trouble en passant ; un rien perverse : « Je vais encourir bien des reproches ».
    Les premières phrases sont parfois du littéraire pur : Tolstoï « Le silence s’est fait dans Moscou ».
    Conrad « Il mesurait six pieds, à un pouce près, peut-être deux, était bâti avec force, et venait droit sur vous, les épaules légèrement voûtées, la tête en avant, avec un regard fixe jeté par en dessous qui vous faisait penser à un taureau prêt à charger ».
    Stendhal « Le 15 mai 1796, le général Bonaparte fit son entrée dans Milan à la tête de cette jeune armée qui venait de passer le pont de Lodi, et d’apprendre au monde qu’après tant de siècles César et Alexandre avaient un successeur ».
    Trois tons propres.
    Il y a aussi l’essence de la littérature, peut-être : « Je me regarde souvent dans la glace » (L.R. des Forêts).
    Et l’on regrette alors que la quatrième phrase du « Paludes » de Gide (une sotie certes, davantage qu’un roman au sens strict), ne soit pas la première : « Je répondis : J’écris Paludes ». Tout, absolument tout, est, ou serait, dit.
    Et puis « ce-quelque-chose-d’essentiel », c’est le trait d’esprit : Erri de Luca « Le poisson n’est poisson qu’une fois dans la barque ». L’humour : Henry Roth « Debout devant l’évier de la cuisine, les yeux fixés sur les robinets de cuivre qui brillaient si loin de lui et sur la goutte d’eau pendue au bout de leur nez, qui grossissait lentement, puis tombait, David prit conscience une fois de plus que ce monde avait été créé sans tenir compte de lui ».
    Blondin « Un matin sur deux, Quentin Albert descendait le Yang-tsé-kiang dans son lit-bateau : trois mille kilomètres jusqu’à l’estuaire, vingt-six jours de rivière quand on ne rencontrait pas les pirates, double ration d’alcool de riz si l’équipage indigène négligeait de se mutiner ».
    La surprise mâtinée d’une touche de grossièreté : Vargas Llosa « Bordel de merde de vérole du cul ! balbutia Lituma en sentant qu’il allait vomir ».
    Boyd « Mon premier acte en entrant dans ce monde fut de tuer ma mère ».
    La force de l’envoi : Camus « Aujourd’hui, maman est morte ».
    La sagacité de la formule : Fuentes « Il n’est pire servitude que l’espoir d’être heureux ».
    L’aphorisme –de soie-, déguisé sous l’habit –d’une étoffe plus épaisse-, de la prose romanesque : Mishima « Pendant de nombreuses années, j’ai soutenu que je pouvais me rappeler des choses vues à l’époque de ma naissance ».
    La beauté ample et l’affirmation –avec si peu pourtant-, d’une marque, d’un style propre : Gracq « Depuis que son train avait passé les faubourgs et les fumées de Charleville, il semblait à l’aspirant Grange que la laideur du monde se dissipait : il s’aperçut qu’il n’y avait plus en vue une seule maison ».
    Garcia Marquez « L’année de mes quatre-vingt dix ans, j’ai voulu m’offrir une folle nuit d’amour avec une adolescente vierge ».
    Il y a aussi la phrase étendard, celle que l’on chuchote entre soi et entre membres de la tribu : Mclean ! « Dans notre famille, nous ne faisons pas clairement le partage entre la religion et la pêche à la mouche ».
    O’Brien, dans une moindre mesure « Dès mon plus jeune âge, j’ai été fasciné par la migration des animaux sauvages ».
    L’intention romanesque ambitieuse aussi (charnelle, volubile, romantique, gourmande, généreuse, ampoulée par endroits), est contenue dans l’espace d’une première phrase de roman et, miracle, il arrive qu’elle parvienne à y tenir sans déborder : Cohen « Descendu de cheval, il allait le long des noisetiers et des églantiers, suivi des deux chevaux que le valet d’écurie tenait par les rênes, allait dans les craquements du silence, torse nu sous le soleil de midi, allait et souriait, étrange et princier, sûr d’une victoire ».
    L’air connu, qu’il est si plaisant de reconnaître, n’est pas en reste avec Proust bien sûr (« Longtemps … »), ou Hemingway « Il était une fois un vieil homme, tout seul dans son bateau, qui pêchait au milieu du Gulf-Stream ».
    Mais aussi avec Kafka « Un matin, au sortir d’un rêve agité, Grégoire Samra s’éveilla transformé dans son lit en une véritable vermine ».
    Nizan « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie ». A condition d’admettre cette exception : il y a là deux phrases. Mais elles sont insécables.
    Cervantes « En un village de la Manche, du nom duquel je ne me veux souvenir, demeurait, il n’y a pas longtemps, un gentilhomme de ceux qui ont lance au ratelier, targe antique, roussin maigre et lévrier bon coureur ».
    Flaubert « C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Halmicar ».
    Nabokov « Lolita, lumière de ma vie, feu de mes reins ».
    Eco « Au commencement était le Verbe et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu ».
    Ces phrases font quatre-vingt fois le tour du monde chaque jour. Elles sont, dans toutes les langues, sur les lèvres de tous les aficionados. Magie du passage littéraire !
    La première phrase d’un roman possède la puissance fugitive du passeur.
    Elle esquisse, incite, prend, lie, gifle ou plonge dans un fading ouaté. Elle n’est jamais désintéressée : elle entend bien dire.
    De Zweig (« Sur le grand paquebot qui à minuit devait quitter New York à destination de Buenos-Aires, régnait le va-et-vient habituel du dernier moment »), à Grass (« Pour Noël, j’avais envie d’un rat, car j’espérais des mots déclencheurs pour un poème traitant de l’éducation du genre humain »), ou Aragon (« La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide »), nous naviguons de la beauté narrative à l’idée sèche incrustée dans le style. Deux mondes. Trois phrases, trois auteurs parmi des milliers, trois romans, trois œuvres majeures.
    Ainsi les premières phrases de romans (célèbres), deviennent un kaléidoscope, un florilège protéiforme, une bombe à rêves, un feu d’artifice parce que la littérature est ce qu’il y a de plus multicolore au monde.
    L’immédiateté de la première phrase d’un roman confond. C’est d‘elle que l’on attend le plus.
    Elle est le visage, le premier regard de la première rencontre.
    Il est facile d’en tomber amoureux.
    Elle peut être déterminante et agir aussi comme un repoussoir. Ce sont encore des invitations au voyage, qu’il soit réel ou métaphorique : Delibes « Le trois-mâts le Hamburg, une galacée à rame et à voile destinée au cabotage, à la ligne fine et d’une longueur de cinq aunes, dépassa lentement l’embouchure et s’élança vers la haute mer ».
    Gary « Depuis l’aube, le chemin suivait la colline à travers un fouillis de bambous et d’herbe où le cheval et le cavalier disparaissaient parfois complètement ; puis la tête du jésuite réapparaissait sous son casque blanc, avec son grand nez osseux au-dessus des lèvres viriles et ironiques et les yeux perçants qui évoquaient bien plus des horizons illimités que les pages d’un bréviaire ».
    Les premières phrases de romans sont des tickets d’entrée dans les œuvres. L’ouvreuse ne porte pas de guillemets car l’accès est libre.
    Ici, j’ai seulement voulu vous livrer au jeu des devinettes : quels sont les romans qui commencent comme çà ? Ne trichez pas. Relisez et jouez. La littérature, c’est ludique, aussi.

  • Ma fille et le cpe

    Lettre ouverte à ma fille
    Ma chérie,
    Nul ne souhaite la précarité de la jeunesse que le CPE induit. Ni l’épée de Damoclès que tient l’armée des employeurs. On ne peut pardonner le mépris de l’absence de consultation, en démocratie. Ni transiger avec les instigateurs du licenciement sans motif. Cependant, sur un point crucial, tu m’as éclairé, la veille de la grande manif. Comme je m’étonnais que tu n’y participes pas, tu m’exposas ton avis, que tu partages avec d’autres, dans ta classe de Première : tu ne veux pas du CPE, mais tu me dis qu’il propose peut-être aux jeunes de se donner à fond pour réussir. Qu’il est tout l’inverse d’une planque, d’une entrée directe dans un système confortable, façon fonction publique. Nombre de jeunes comme toi, armés d’une sensibilité de gauche, ont un fragment libéral courageux, qui vilipende le tout, tout de suite, le toujours plus d’avantages ; l’assistanat général. Ce goût, non pas du risque, mais de son acceptation raisonnée, te fait regarder l’avenir avec lucidité, cette « blessure la plus rapprochée du soleil » (René Char). Tu es déjà sans illusion sur le monde impitoyable qui t’attend. Il va s’agir de n’avoir pas froid aux yeux et de regarder le soleil en face. C’est pourquoi ton opinion sur le CPE s’appuie sur un sentiment sourd, sujet à caution, qui vient de la jungle : ceux qui auront le plus de « gnac » gagneront leur liberté. Je me donnerai à fond et « risquerai » de voir mes qualités et ma persévérance l’emporter. Sans porter atteinte aux autres : la jungle, oui, mais sans sa loi brutale. Les têtes brûlées, les mercenaires, mais aussi les poètes, les nomades, les philosophes comme Diogène et Socrate, ceux qui font de leur précarité une occasion de réfléchir sur soi-même, au-delà de la souffrance et de l’exclusion qu’elle génèrent, pensent ainsi. Alors oui, ma fille : apprends à compter d’abord sur toi-même, au lieu d’exiger de la société qu’elle te gave comme une oie. Contente-toi de peu et donne. Ton bonheur n’en sera que plus grand. Tu sais, je me souviens d’un sujet lumineux de culture générale à Sciences-Po : « La difficulté est créatrice ». L’imagination est fille de la crise, ma chérie. Elle n’aura jamais besoin d’antirides. Un peu comme Sharon Stone…

    Léon MAZZELLA
    Journaliste et écrivain (dernier livre paru : « Flamenca », roman, La Table ronde).

    Cette tribune est parue dans Metro , le fameux gratuit, lundi dernier 27 mars.

    Vous y trouverez aussi deux autres tribunes, consacrées à la grippe aviaire et au prochain lâcher d'ours, publiées la semaine précédente par Metro.