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Les Femmes en noir du Hadramaout

Voyageur, dans non n° 1, publie donc ceci. Il manque les dessins de Catherine Delavallade!.. Pour les voir, rendez vous au kiosque à journaux le plus proche.

Voici un bouquet de fragments extraits du long « Journal du Yémen », écrit sur place par Léon Mazzella au fil des rencontres avec des paysages et des êtres ; au fil des jours. Impressionniste, cette éphéméride sans date procède par touches pointillistes. La forme choisie lui a semblé la plus appropriée à un récit de voyage dans un pays imprégné de délicatesse et de subtilité.

Toutes les poches en plastique qui volent au vent comme des mesquites dans le désert d’Arizona, sont noires par ici. Encore les femmes ! La couleur !

Hadramaout (je ne me lasse pas de prononcer ce nom à voix haute : hhadrramoutt’ ), région de Wâdî Do’an, entrée dans le Daw’an vers midi.

Cet âne bâté d’herbe très verte, avec une femme en noir derrière, assise sur l’extrémité de la croupe pointue de l’animal.

A Al-Hajarayn: les deux falaises (al-hajjara : le rocher). Déception, à la dégustation. La réputation de meilleur miel du monde (celui du Yémen en général) semble usurpée.Zénith : même à l’ombre, le feu du chalumeau de chems, le soleil, plombe les neurones.

Un dromadaire dans un pick-up 4x4 : la synthèse du désert.

Les hommes attendent . Les femmes travaillent ou bien demeurent derrière leur voile et leurs murs, lesquels sont un voile moins sûr.

Deux jeunes bergères en noir avec le chapeau en osier pointu, le makhl, et le visage caché par de superbes masques noirs et brodés, percés de deux fentes en amande pour leurs beaux yeux noirs. Elles avaient le bras replié, la main en arrière près du visage et un caillou dans la paume. Etait-ce pour nos appareils-photos ? Ou bien pour guider leur troupeau…C’était deux panthères noires à l’œil de lionne ; prêtes à bondir, masquées, dentelées.Je n’ai lu qu’une chose dans leur regard, en un éclair : leur fierté.

Ces encadrements de fenêtre, en bois, figurent les silhouettes des femmes en noir qui marchent par deux (comme les hirondelles de la maréchaussée, chez nous, dans les dessins désuets de Bellus que publiait « Jours de France » dans les années 70…).

Il y a, par ici, un paysage qui évoque autant l’Amirauté du « Rivage des Syrtes » de Julien Gracq, que le Fort Bastiano, du « Désert des Tartares », de Dino Buzzati. Les plateaux désertiques sont ponctués de forteresses en ruines. On imagine vite des soldats plongés dans une attente centenaire, professionnelle, une attente héritée, une attente lourde comme le silence, un silence écrasé par un soleil implacable. Un silence lourd comme l’attente lourde comme le silence…

Les hommes accroupis, assis ou allongés, attendent. Ils sont à l’ombre et leur vie semble rythmée par les rites de la prière, du narguilé, des dominos et des discussions interminables.
Ils boivent du thé. Mais qu’attendent-ils vraiment ? Attendent-ils seulement ?…

Certains petits villages sont serrés en bouquet comme des boutons de rose (des sables).

Mais l’image de la rose des sables est davantage présente dans leur manière de disposer les tuiles en argile (en quinconce) pour les faire sécher.

Cet après-midi, après un somme dans le funduk du village de Badha où nous passerons la nuit, nous avons traversé une palmeraie sèche comme un coup de trique, mais pourvue d’un antique système d’irrigation qui n’attend que l’eau pour vivre. En sortant de la palmeraie, nous avons visité un village bâti à flanc de montagne (que je baptisais Chabadabada : face à Bâda, en yéménite gascon). Les hommes, lascifs sur le parapet-rue, semblaient peu habitués à voir des étrangers. Impossible de boire du thé : il n’y a aucun bar. Les villageois utilisent le rouge vif pour peindre le pourtour de leurs fenêtres, comme des bouches grandes ouvertes sur une photo de choristes (la bouche) en chœur. D’autres (cadres de fenêtres) sont vert cru. Deux maisons sont blanches et zébrées d’ocre. Les zébrures figurent des palmes. Il paraît que ce sont des maisons de  gens riches ou d’hommes politiques (s’enrichit-on en politique sans devenir zébré ?).

L’appel à la prière jaillit régulièrement des haut-parleurs disposés aux quatre-vingt-dix coins des villages.

Nous buvons un thé aux clous de girofle et à la cardamome préparé par nos guides. Une graine de cardamome est pressée entre deux doigts avant d’être mêlée au thé qui s’agite déjà dans l’eau bouillante. Quelques clous de girofle se trouvent dans le sachet qui contient la cardamome : ils la parfument ainsi, à peine. Sinon, nous nous croirions tous chez le dentiste…Le galop d’un dromadaire possède une grâce qu’aucun cheval ne peut dispenser, en raison du port de son cou (plus que de sa tête) et aussi pour la longueur et la finesse de ses pattes. Au galop dans un mirage de chaleur, ils ressemblent aux éléphants de Dali dont les pattes s’allongent comme des échasses étirées par un confiseur spécialiste du berlingot de foire.

Départ de Bâda pour la côte Sud, dans le Golfe d’Aden. Destination : Bîr’Alî.Pause-thé dans un village, Haoreiba, sur une route montagneuse.Le regard d’une petite fille à côté de son père qui joue aux dominos avec trois autres hommes. La beauté de cet homme maigre, au cheveu lisse et brillant, indien, aux yeux maquillés de khôl, placide et silencieux. Il observe ses amis jouer, accroupi comme jamais je ne pourrais m’accroupir, à une distance respectable de la table sommaire de jeu.

Le poissonnier qui débite du thon frais. Un autre qui vend de petits squales séchés et noirs de mouches.
Beaucoup de femmes en noir, très jeunes, au regard toujours aussi fascinant. Et toujours ce mystère de leur corps dissimulé qui excite l’imagination, et qui possède une charge érotique bien supérieure à celle du corps d’une femme entièrement nue.

Cette partie du Hadramaout est selon Modjahed, peuplée en majorité d’homosexuels. Nous n’en voyons aucun : soit ils sont tous morts (ils auront été lynchés ou sabrés en place publique), soit ils se cachent bien ; et on les comprend.

Et tout à coup, en haut de cette route de montagne, surgit le désert. Nous sommes arrivés au faîte de ces énigmatiques falaises d’argile qui nous entouraient depuis deux jours et dont nous devinions le relief plat comme la main. Aussitôt, la sensation du désert nous a envahis. A la première courbe, la vue est vertigineuse, sur les palmeraies et les villages des vallées que nous venons de traverser.

Ces canyons évoquent irrésistiblement les attaques d’Apaches de notre mémoire cinéphile.

L’étrange vie de ces Arabes du désert, qui ne sont pas nomades, mais dont on se demande de quoi ils vivent, dans ces hameaux construits au milieu du néant (à première vue). Enigmatique. Lunaire, même.

La robe noire des femmes du Hadramaout, c’est leur prison portative.

Retour sur l’image des ongles. L’angle. L’ongle.Un bloc de maisons étroites et hautes (impossible –normal- d’écrire immeuble) sur un rocher, dessine une main aux doigts joints dont les terrasses, parfois blanchies, seraient les ongles.

Le Yémen est composé de maisons-doigts dressés, de villages-mains

LM

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