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Politique

  • Le Politique et le Littéraire

    A la mémoire de Pierre Moinot.
     
    La tentation littéraire est une tendance récurrente chez nos hommes politiques. Rarement avec succès. Analyse du sujet
     
    N’est pas Malraux qui veut. Les hommes politiques  français ont toujours été tentés de faire une œuvre littéraire, en complément d’objet direct de leur destin politique. C’est plus fort qu’eux : laisser une si jolie trace de leur passage dans les Ministères ou dans les Chambres, semble être une habitude hexagonale, depuis Montaigne, tantôt maire de Bordeaux, tantôt auteur des « Essais ». Mais Dr Jekyll et Mr Hyde ne boxent pas toujours dans les mêmes catégories…Rarement avec talent, souvent avec peine, la plupart du temps, c’est en faisant seulement des livres que ces traces apparaissent. Et chacun sait que le livre ne fait pas la littérature, loin s’en faut. Les exemples fameux –contemporains seulement*-, se comptent sur les doigts de la main de Blaise Cendrars : André Malraux d’abord, Saint-John Perse, Paul Claudel, Léopold Sédar Senghor, Paul Morand. Et encore ! Parmi ceux-ci, les ambassadeurs sont-ils d’authentiques politiques ?Évidemment, nombreux sont ceux, parmi les ténors d’aujourd’hui, qui publient. Mais il est à noter que beaucoup s’adonnent à la biographie, d’un de leurs maîtres généralement. (Laissons de côté les ouvrages partisans, de programmes et d’entretiens).  Jack Lang, François Bayrou, Alain Juppé, Philippe  Séguin, Robert Badinter… Ils ont tous écrit « leur » Henri IV, leur François Ier, leur Montesquieu, leur Talleyrand. Des livres d’histoire. Certains excellents, d’autres hagiographiques, et d’autres encore tellement narcissiques que l’on se demande si ce ne sont pas des allégories du transfert. Des projections en forme de bio. D’où le fossé : Flaubert pouvait écrire : « Madame Bovary c’est moi ». Aucun homme politique, saisi par la tentation romanesque, n’a pu dire une chose pareille. Ils peuvent tout au plus laisser accroire que, François Ier, c’est (un peu) eux …Lorsque Valéry Giscard d’Estaing, amateur de Maupassant, s’essaye au roman, cela donne « Le Passage », et quand Alain Juppé se lance dans le Journal, façon « mes travaux et mes jours », cela produit « La Tentation de Venise » : deux ouvrages que la littérature n’a pas jugés bon de retenir.Autrement dressé, ce portrait de groupe revient à signifier que l’homme politique n’est pas littéraire, romancier, mais seulement essayiste ; si l’on excepte Malraux. Et il est rarement (grand) poète, comme Aimé Césaire.La tentation poétique fait de Dominique de Villepin un talentueux anthologiste. Pas un poète. (passer derrière l’incontestable Pompidou n’était pas aisé, sauf à moderniser le propos, ce qui fut fait), avec son « Eloge des voleurs de feu ». Citer René Char à tout bout de champ et de titre d’essai ne suffit pas pour être confondu avec un allié substantiel…L’exception vient peut-être de quelques esprits hors du commun, comme Jacques Attali, à la faveur du talent protéiforme et prodigieusement productif du sujet, lequel publie des essais remarquables et remarqués, et touche à presque tout, du traité d’économie au roman, de la biographie au théâtre… La tentation saint-simonienne a fait son succès avec les « Verbatim » élyséens. Depuis, chacun de ses livres se vend plutôt bien, y compris « La Vie éternelle, roman »...Autre cas à part et semblable au cas Attali  : celui de Régis Debray : brillant essayiste et romancier reconnu depuis « La Neige brûle », il est aussi un fin observateur critique de la sphère du pouvoir. Seulement, pouvons-nous considérer les conseillers du Prince comme des hommes politiques, au moins de l’ombre ? Si oui, nous observons alors certaines éminences grises effectuer un chemin à l’envers, qui va de la fiction à l’essai. Denis Tillinac, romancier employé à plein temps par la littérature dans tous ses états, est entré, sur le tard, dans le monde de la réflexion, en publiant des essais, parfois graves, « Elluliens »  –mais sans délaisser le roman pour autant! Cela se produisit peut-être à cause de (ou grâce à) son immersion en Chiraquie.Il y a le fantasme, aussi : le mythe Mitterrand est nourri par un amour immodéré des livres et de la littérature, qui en a fait un écrivain sans livres. Enfin : sans œuvre proprement littéraire. Un amateur. Un vrai grand homme politique à la française : cultivé et fin connaisseur de littérature classique. C’est la tentation colossale. Ainsi, chacun garde l’image de Tonton lisant « En lisant en écrivant », de Julien Gracq, dans l’avion présidentiel… Une image qui évacua l’auteur de « La Paille et le grain ». Normal ! Le patron de la politique française lisant « le patron des lettres françaises », comme l’a nommé un jour François Nourissier, ça en jette pour l’Histoire.Peut-on parler d’œuvres littéraires, enfin, à propos de certains ouvrages politiques ? Et en nous fondant sur quels critères ? Depuis Saint-Simon, que l’on peut prendre plaisir à lire en dehors du sujet qu’il traite, grâce à sa haute teneur littéraire, qui donc nous a émus ? Chacun possède sa « short list », selon sa famille politique et ses affinités.Les Mémoires valent généralement davantage pour leurs révélations, leurs secrets enfin dévoilés, que pour leur tenue littéraire. Font exception celles d’un De Gaulle (publiées dans la collection La Pléiade ! Mais l’Académie française, autre « collection » de luxe, a bien accueilli  l’un des successeurs du Général parmi les siens. Dans un cas comme dans l’autre, le soupçon de condescendance est de mise), ou celles d’un Pierre Mendès-France ou encore d’un Alain Peyrefitte. Chacun mes goûts !Et puis nous pouvons nous poser la question suivante : un homme politique s’étant retiré prématurément des affaires publiques, peut-il devenir un bon écrivain ? Il en a le droit. Mais le pouvoir ?.. Le cas de François Léotard, dont on commence à louer le talent, à l’occasion de la sortie de son troisième roman, « Le Silence », est relativement isolé. « La maîtrise du verbe s’acquiert », déclarait l’ancien ministre au « Monde des Livres », le 9 mars dernier. Huguette Bouchardeau, une fois ex-ministre, s’est essayée au roman. Elle est également devenue éditrice. Et elle nous permet ici, de parler, enfin, de femme politique, et plus seulement d’homme ! Les femmes de la trempe de Simone Veil sont rares. Encore plus rares celles qui font œuvre littéraire. Les Mémoires de Madame de Genlis sont là pour nous le rappeler, avec perfidie, tout en mettant en garde les femmes ayant des velléités d’écriture, « comme les hommes »…Le mundillo  littéraire demeure méfiant devant un produit comme le nouvel opus d’un François Léotard : l’auteur n’étant pas du sérail, il ne sera jamais « des nôtres »… L’attitude, corporatiste, exclusive et un brin hostile dans sa préciosité, est typiquement française. La méfiance du Littéraire est aussi  forte vis-à-vis de l’intrusion du Politique dans son pré carré, qu’envers celle du show-biz. Il a d’ailleurs une bonne raison de s’en méfier, le Littéraire : c’est lui, en principe, qui est sollicité pour faire office de « nègre » : le Littéraire tient la plume du Politique, comme il tient celle du chanteur ou de l’actrice. Alors, lorsque le premier tient tout seul sa plume, le Littéraire doute. Et hésite à l’accueillir  sur son terrain de jeu, où les règles d’appartenance et de maintien sont drastiques.On le voit bien, la tentation littéraire de nos hommes politiques est incontestablement plus fantasmatique dans le pays de Voltaire, que partout ailleurs, et c’est heureux. Nous vivons plutôt bien dans un pays qui parle de bouffe à table, se chamaille pour une sauce avec autant de virulence que pour un candidat à la Présidence, et adore débattre jusqu’à plus soif de la vénération de certains hommes politiques pour la chose littéraire. D’autant que cette bizarrerie, eu égard à la majorité écrasante de technocrates appelés à nous gouverner, aurait tendance à disparaître. À appartenir un jour au Musée, comme la cigarette de Pompidou, anthologiste de la poésie française, qui fut aussi Président de la République . Française elle aussi… L.M.
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    *Laissons le Cardinal de Retz de côté pour nous attacher à la modernité, ainsi que les auteurs étrangers : les Mario Vargas Llosa, les Carlos Fuentes, les Octavio Paz (pour ne citer que des écrivains Sud-Américains-, ayant fait ou continuant de faire œuvre politique en marge de leur œuvre principale). Ces derniers sont des écrivains qui « donnent » dans le politique, et pas l’inverse. 
     
    Texte publié la semaine dernière dans Le Journal du Salon du Livre.