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journal extime

  • Guêpe

    Dimanche. Non : dimanche après-midi. Il n'y a pas de dimanche sans après-midi. Je veux dire : il n'y a aucun dimanche dépourvu –à un moment donné-, d'un ennui aussi épais que la crème de marrons Clément Faugier en boîte de 500g. Genre… Sauf exception bien sûr. D’où cette note en bas de jour comme il y en a en bas de page. Un renvoi, en quelque sorte... Ce dimanche-là était pourtant gris. Mais l'après-midi devint claire, tiède, tamisée et rayonnée d'une pluie qui battait la bâche du bar où j'avais un improbable rendez-vous professionnel avec une artiste dont j'avais remarqué le talent dans un magazine Italien. Du coup, j’avais apporté des munitions contre les lapins : Proust en Pléiade plutôt qu’un Folio à 2€, aussi mince qu'un After Eight. Cet après-midi dans son entier semblait sorti d'une scène remixée à Cinecitta par Godard, avec Antonioni comme assistant-réalisateur. Il y eut jusqu'à une sorte de Poulbot/Gavroche qui passa et repassa devant la terrasse, sans même essayer d'écarter le rideau de pluie qui semblait capable de le hacher, de le mixer, avec sa grande valise en cuir naturel et son imper ample (à la Bogart évidemment), pour me convaincre qu'il ne s'agissait pas d'un rêve. Mais d'une bande-annonce.
    Son arrivée en Vespa fut soudaine. Je me dis, alors qu'elle était casquée jusqu'aux yeux : c'est elle. C'est forcément elle. Puis tout s'enchaîna naturellement, sans le moindre effort et sans la moindre touche d'appréhension. Je crois que j'ai tout de suite aimé son tact, sa délicatesse, une certaine finesse, une retenue dans le regard (je n'oublie pas le sens inné de l'observation de la dessinatrice qui croque tout ce qui est bon à crayonner en faisant virevolter ses yeux capteurs, de table en table et d’arrière-plan en plan rapproché). Ses mots, aussi : la substance du bref échange que nous avons eu m'en dit long. Question de feeling. C'est toujours une question de pressenti(ment). Avec un regard droit et la franchise intérieure pour fidèles carburants (comme on est fidèle à un parfum pour sa trace sur notre peau et l'effet qu'il produit chaque jour sur l'autre), je sais avancer, armé d'une certitude intérieure. Nous conclûmes le contrat rapidement. Deux signatures à gauche et à droite. Elle illustrerait mon prochain livre. Je lui adresserais vite la dernière version du texte. Elle m'enverrait au fur et à mesure ses esquisses, culs de lampe et autres encres et sanguines. Elle est très sanguine. Une éclaircie supplémentaire vint s'ajouter à la luminosité ténue de cette fin de journée. Une lumière rasante, par en dessous, prît la ville en sandwich avec l'aide du ciel. La pluie pouvait aller se faire sécher ailleurs. Et la bande de pigeons posés là, applaudir en s'envolant lorsque la Vespa redémarra. Je pris mon carnet Moleskine, mon stylo, Proust et achevai mon havane en bravant un vent à décorner les ânes cocus, jusqu'au fond du Jardin des Plantes, par bonheur ouvert encore. Et désert.


    Pourquoi avoir titré Guêpe? Parce qu'en Anglais, ça se dit Wasp. Les Wasps sont le club (anglais) de rugby à nouveau Champion d'Europe dans lequel joue Raphael Ibañez, le capitaine du XV de France. Ibañez avec un tilde sur le n, j'y tiens. On dit pas Ibanez comme naze ou niaise, mais "ibagnaise", comme Bolognaise. Et c'est de l'Espagnol. Justement! Guêpe se dit Vespa en Italien. Voilà pourquoi ce titre.

  • Les Femmes en noir du Hadramaout

    Voyageur, dans non n° 1, publie donc ceci. Il manque les dessins de Catherine Delavallade!.. Pour les voir, rendez vous au kiosque à journaux le plus proche.

    Voici un bouquet de fragments extraits du long « Journal du Yémen », écrit sur place par Léon Mazzella au fil des rencontres avec des paysages et des êtres ; au fil des jours. Impressionniste, cette éphéméride sans date procède par touches pointillistes. La forme choisie lui a semblé la plus appropriée à un récit de voyage dans un pays imprégné de délicatesse et de subtilité.

    Toutes les poches en plastique qui volent au vent comme des mesquites dans le désert d’Arizona, sont noires par ici. Encore les femmes ! La couleur !

    Hadramaout (je ne me lasse pas de prononcer ce nom à voix haute : hhadrramoutt’ ), région de Wâdî Do’an, entrée dans le Daw’an vers midi.

    Cet âne bâté d’herbe très verte, avec une femme en noir derrière, assise sur l’extrémité de la croupe pointue de l’animal.

    A Al-Hajarayn: les deux falaises (al-hajjara : le rocher). Déception, à la dégustation. La réputation de meilleur miel du monde (celui du Yémen en général) semble usurpée.Zénith : même à l’ombre, le feu du chalumeau de chems, le soleil, plombe les neurones.

    Un dromadaire dans un pick-up 4x4 : la synthèse du désert.

    Les hommes attendent . Les femmes travaillent ou bien demeurent derrière leur voile et leurs murs, lesquels sont un voile moins sûr.

    Deux jeunes bergères en noir avec le chapeau en osier pointu, le makhl, et le visage caché par de superbes masques noirs et brodés, percés de deux fentes en amande pour leurs beaux yeux noirs. Elles avaient le bras replié, la main en arrière près du visage et un caillou dans la paume. Etait-ce pour nos appareils-photos ? Ou bien pour guider leur troupeau…C’était deux panthères noires à l’œil de lionne ; prêtes à bondir, masquées, dentelées.Je n’ai lu qu’une chose dans leur regard, en un éclair : leur fierté.

    Ces encadrements de fenêtre, en bois, figurent les silhouettes des femmes en noir qui marchent par deux (comme les hirondelles de la maréchaussée, chez nous, dans les dessins désuets de Bellus que publiait « Jours de France » dans les années 70…).

    Il y a, par ici, un paysage qui évoque autant l’Amirauté du « Rivage des Syrtes » de Julien Gracq, que le Fort Bastiano, du « Désert des Tartares », de Dino Buzzati. Les plateaux désertiques sont ponctués de forteresses en ruines. On imagine vite des soldats plongés dans une attente centenaire, professionnelle, une attente héritée, une attente lourde comme le silence, un silence écrasé par un soleil implacable. Un silence lourd comme l’attente lourde comme le silence…

    Les hommes accroupis, assis ou allongés, attendent. Ils sont à l’ombre et leur vie semble rythmée par les rites de la prière, du narguilé, des dominos et des discussions interminables.
    Ils boivent du thé. Mais qu’attendent-ils vraiment ? Attendent-ils seulement ?…

    Certains petits villages sont serrés en bouquet comme des boutons de rose (des sables).

    Mais l’image de la rose des sables est davantage présente dans leur manière de disposer les tuiles en argile (en quinconce) pour les faire sécher.

    Cet après-midi, après un somme dans le funduk du village de Badha où nous passerons la nuit, nous avons traversé une palmeraie sèche comme un coup de trique, mais pourvue d’un antique système d’irrigation qui n’attend que l’eau pour vivre. En sortant de la palmeraie, nous avons visité un village bâti à flanc de montagne (que je baptisais Chabadabada : face à Bâda, en yéménite gascon). Les hommes, lascifs sur le parapet-rue, semblaient peu habitués à voir des étrangers. Impossible de boire du thé : il n’y a aucun bar. Les villageois utilisent le rouge vif pour peindre le pourtour de leurs fenêtres, comme des bouches grandes ouvertes sur une photo de choristes (la bouche) en chœur. D’autres (cadres de fenêtres) sont vert cru. Deux maisons sont blanches et zébrées d’ocre. Les zébrures figurent des palmes. Il paraît que ce sont des maisons de  gens riches ou d’hommes politiques (s’enrichit-on en politique sans devenir zébré ?).

    L’appel à la prière jaillit régulièrement des haut-parleurs disposés aux quatre-vingt-dix coins des villages.

    Nous buvons un thé aux clous de girofle et à la cardamome préparé par nos guides. Une graine de cardamome est pressée entre deux doigts avant d’être mêlée au thé qui s’agite déjà dans l’eau bouillante. Quelques clous de girofle se trouvent dans le sachet qui contient la cardamome : ils la parfument ainsi, à peine. Sinon, nous nous croirions tous chez le dentiste…Le galop d’un dromadaire possède une grâce qu’aucun cheval ne peut dispenser, en raison du port de son cou (plus que de sa tête) et aussi pour la longueur et la finesse de ses pattes. Au galop dans un mirage de chaleur, ils ressemblent aux éléphants de Dali dont les pattes s’allongent comme des échasses étirées par un confiseur spécialiste du berlingot de foire.

    Départ de Bâda pour la côte Sud, dans le Golfe d’Aden. Destination : Bîr’Alî.Pause-thé dans un village, Haoreiba, sur une route montagneuse.Le regard d’une petite fille à côté de son père qui joue aux dominos avec trois autres hommes. La beauté de cet homme maigre, au cheveu lisse et brillant, indien, aux yeux maquillés de khôl, placide et silencieux. Il observe ses amis jouer, accroupi comme jamais je ne pourrais m’accroupir, à une distance respectable de la table sommaire de jeu.

    Le poissonnier qui débite du thon frais. Un autre qui vend de petits squales séchés et noirs de mouches.
    Beaucoup de femmes en noir, très jeunes, au regard toujours aussi fascinant. Et toujours ce mystère de leur corps dissimulé qui excite l’imagination, et qui possède une charge érotique bien supérieure à celle du corps d’une femme entièrement nue.

    Cette partie du Hadramaout est selon Modjahed, peuplée en majorité d’homosexuels. Nous n’en voyons aucun : soit ils sont tous morts (ils auront été lynchés ou sabrés en place publique), soit ils se cachent bien ; et on les comprend.

    Et tout à coup, en haut de cette route de montagne, surgit le désert. Nous sommes arrivés au faîte de ces énigmatiques falaises d’argile qui nous entouraient depuis deux jours et dont nous devinions le relief plat comme la main. Aussitôt, la sensation du désert nous a envahis. A la première courbe, la vue est vertigineuse, sur les palmeraies et les villages des vallées que nous venons de traverser.

    Ces canyons évoquent irrésistiblement les attaques d’Apaches de notre mémoire cinéphile.

    L’étrange vie de ces Arabes du désert, qui ne sont pas nomades, mais dont on se demande de quoi ils vivent, dans ces hameaux construits au milieu du néant (à première vue). Enigmatique. Lunaire, même.

    La robe noire des femmes du Hadramaout, c’est leur prison portative.

    Retour sur l’image des ongles. L’angle. L’ongle.Un bloc de maisons étroites et hautes (impossible –normal- d’écrire immeuble) sur un rocher, dessine une main aux doigts joints dont les terrasses, parfois blanchies, seraient les ongles.

    Le Yémen est composé de maisons-doigts dressés, de villages-mains

    LM