Vous ne trouvez pas qu’il y en a marre de ces rosés chargés de flaveurs d’agrumes, au nez comme en bouche ? Certains sont si rebutants qu’ils ne donnent pas envie d’aller au-delà d’un paresseux et dépité reniflage car, loin d’exposer au moins un nez de pomelo rose et mûr, plus sucré qu’acide, ils envoient une charge de pamplemousse jaune pas mûr et à la peau épaisse. C’est tout simplement désagréable, lorsque nous savons que nous tenons un verre de vin en main, et qu’il est issu de raisin. Même au petit-déjeuner, on n’en voudrait pas en jus pressé. Nous évoquons pourtant ici les rosés de l’été (millésime 2017, sauf exception précisée).
Mais, cette tendance qui obéit à une mode (je m’interroge sur l’obscur objet du désir de retrouver de tels arômes lorsqu’on déguste un vin frais, mais bon…), s’impose et semble avoir l’oreille dure et le regard obtus.
À LA RECHERCHE DU RAISIN PERDU
Récemment, et grâce à la complicité hautement professionnelle de l'agence Clair de Lune, nous avons pu découvrir (au restaurant Baltard au Louvre, à Paris 1er, le 7 mars dernier), et donc déguster quantité de rosés (soixante-treize, pour être précis) de Provence 2017, dans les AOC suivantes : Côtes de Provence, Côtes de Provence Sainte-Victoire, Côtes de Provence La Londe, Côtes de Provence Pierrefeu, Coteaux d’Aix-en-Provence, Coteaux Varois en Provence. Beaucoup possédaient cette caractéristique qui, à mes papilles, constitue une aberration rédhibitoire. Nous ne les citerons évidemment pas. Ce sont ceux qui, sur mon carnet de dégustation, portent juste les trois lettres « agr. » pour agrumes, et qui me signifient non sans coup férir. Voire aaarrrghhh, soit aigre. D’autres comportent les initiales « b.a. » pour bonbon acidulé – une autre caractéristique au long cours, une résistante à oeillères, bien qu’aussi ringarde que la crème catalane au dessert et le couple de pompons sur les mocassins.
En revanche, d’aucuns, les happy few, se révélèrent fidèles à une certaine vinosité, à une acidité juste, un fruité équilibré, un abord friand qui appelle les copains et la charcuterie ou les poissons de roche grillés à la rescousse. Bref, la plupart sentaient quand même l’apéro des beaux jours et le far niente d’un printemps et d’un été à conquérir au limonadier. Leurs flacons sont photographiées ci-dessus.
SÉLECTION PARSÉVÈRE
- Ainsi de la puissante cuvée Virginie du château Angueiroun (Côtes de Provence), une Réserve dotée d’un nouvel habillage, et dominée par la, ou le grenache (j’hésite toujours, et avec d’autres cépages aussi, que j’aime féminiser ou pas, c’est selon) : 13€.
- La cuvée Tendance (?) du domaine Clos Cibonne (Cru classé, Côtes de Provence) possède une belle matière tant au nez qu’en bouche - assez longue cette dernière -, et son fruité ne fait pas semblant de l’être (15€).
- La cuvée Le rosé secret, du domaine des Sarrins (Côtes de Provence), 23€ quand même – il faudra que j’écrive bientôt un papier sur le prix devenu dingo de certains rosés…-, est plaisant, herbacé, vert mais gras : allez comprendre des fois la magie des contraires, l’équilibre de la carpe qui tend sa nageoire au lapin !
- La cuvée Terres du Loou, du domaine éponyme (Coteaux varois en Provence) exprime une vinosité idoine et salutaire par les bibines qui courent. C’est complexe, riche, opulent même en fin de bouche. Et ça ne coûte que 8€ : avis aux buveurs d’étiquettes !..
- La cuvée Marie-Christine, du château de l’Aumérade (Cru classé, Côtes de Provence) est un vin doté d’un équilibre remarquable, aromatique à souhait, les fruits à chair blanche et jaune s’y fleurent à plein nez et s'y croquent à belle bouche (13€).
- Parmi les « classiques », la cuvée Clarendon du domaine Gavoty (Côtes de Provence) séduit par sa légèreté florale, sa délicatesse de dentelle qu’un coup d’étrier corsé contredit en arrière-bouche : il y a de l’esprit Carmen dans le verre, et nous aimons cela (15€).
- Le château Coussin de la famille Sumeire, 13€ (Côtes de Provence), ou une autre cuvée familiale, César à Sumeire Coussin, 22€ (Côtes de Provence Sainte-Victoire), comme la cuvée Rose et Or du célébrissime château Minuty, 22€ (Côtes de Provence), ont déçu. Mollesse ici, excès d’agrumes là. Et pas d'avantage à donner non plus à la cuvée Confidentielle de Figuière, 25,60€ (Côtes de Provence La Londe). Pour ne citer que quelques stars.
- Le Château, cuvée du château Beaupré (Coteaux d’Aix-en-Provence) est d’une suavité rare (10,50€).
- La cuvée Syagria du domaine La Gayolle (Coteaux Varois en Provence) est assez intéressant, car il retient avec l’amplitude de sa bouche, fraîche et généreuse en diable. Un point spécial pour l’originalité de la forme du flacon, laquelle se discute (9,50€).
- La cuvée Pierres Précieuses, du domaine Croix-Rousse, - en biodynamie - (Côtes de Provence 2016, 17€), expose une jolie douceur lascive à la Gauguin, à peine troublée par des saveurs susurrées façon « La pie qui chante », vous voyez ?..
- Le sérieux surgit tout à trac de la cuvée La Londe, du domaine Les Fouques (Côtes de Provence La Londe, 11,50€), en biodynamie lui aussi, vineux et léger à la fois : c’est un militaire en permission…
- La cuvée Réal Rosé du Clos Réal (Côtes de Provence) possède une discrète complexité aromatique qui appelle la charcuterie au secours comme Roland à Roncevaux afin que cesse une certaine boucherie. C’est délicat, ça coûte à peine 8,70€ et c’est en biodynamie. Que demande le peuple ?
- Et bien que le domaine des Hauts du Clos, biodynamique Côtes de Provence à 8€ soit à la hauteur. Mais non. Ceci est juste acidulé convenablement, doux et agréable : voici – néanmoins - le vin de l’apéro de l’été : sans chichis et amical à mort.
- Quant au meilleur (selon notre jugement), gardé pour la fin, il se nomme Silice, cuvée du château Gasqui, à la robe profonde, presque « clairet », au nez très soutenu, à la bouche charnue gourmande, à ce vin vrai qui se mâche, et pourvu d’une excellente nervosité jusqu'au bout de l'arrière luette. À ce stade de France, nous convoquons illico presto des rougets grillés comme s’il en pleuvait, ainsi que du canard laqué à hue et à dia – et pourquoi pas ? C’est là encore en biodynamie (Ecocert, Demeter), c’est en Côtes de Provence (2016), cela coûte 12,50€ et ça les vaut. Vraiment. L.M.