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Nuit d'insomnie

La nuit dernière fut d’insomnie comme d’autres nuits peuvent être de volupté ininterrompue, de sensualité joyeuse. Non, d’insomnie. Moins gai, quoique susceptible de générer une étrange poésie. Je regardais le ciel par la fenêtre grande ouverte. Une touffeur légère ouatait l’atmosphère plongée dans un silence d’abbaye. La constellation d’Orion, entre toutes ma préférée pour plusieurs raisons, scintillait comme la lune sur la mer, mais ni la mer ni l’océan ne se trouvaient dans mon champ de vision. Orion ne cessait de me faire des clins d’œil blancs argentés. Je repensais à sa légende, ce chasseur transformé en constellation, aux poèmes de René Char à elle consacrés, lorsque soudain un vol de grives musiciennes traversa la nappe noire comme autant de fusées, comme des fées. Je reconnus leur cri, ce sifflement impossible à confondre avec celui, possiblement en novembre, de la grive mauvis. J’en eus les larmes aux yeux, car tant d’émotion est capable de procurer, d’engendrer cela en moi. J’eus envie de chausser mes bottes, d’enfiler mon vieux Barbour, et de filer jusqu’aux barthes de l’Adour, du côté de Pey et d’Orist, de marcher dans la nuit à la faveur de la lumière procurée par la lune dans l’herbe gorgée d’eau, avec l’espoir de voir s’envoler devant mes pas lents et silencieux, qui auraient soulevé la peau de l’eau pour éviter tout dérangement sonore, quelques sarcelles, bécassines, colverts et autres pilets peut-être. Et puis je me suis ravisé, pensant qu’il ne fallait pas secouer le sommeil de ceux qui ne sont pas frappés d’insomnie, surtout les oiseaux, mes chéris. Alors, j’ai attrapé la Correspondance André Breton – Julien Gracq fraîchement parue, et je me suis souvenu que, dans les Souvenirs désordonnés de José Corti, l’éditeur historique, premier, de mon auteur fétiche, Gracq, avait demandé sept mille cinq cents francs à Louis Poirier qui changeait alors d’identité, afin de pouvoir publier Au château d’Argol, dont la fabrication nécessitait entre onze et douze mille francs. Le jeune professeur, qui venait de se faire retoquer par Gallimard – éditeur qui ne s’en remît pas -, accepta. André Breton reçut un exemplaire. Il aima démesurément l’ouvrage, le « lança » si je puis dire. Ç’en était fait. Julien Gracq prenait soudain corps à la littérature. Il en est aujourd’hui le pilier central, sans lequel tout pourrait bien s’effondrer. L.M.

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