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KallyVasco - Page 3

  • Visages de Camus

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    Cliquez et regardez => Les vies d'Albert Camus

    Voilà un film magnifique, signé Georges-Marc Benamou, déjà visible sur le site de France 3, et qui sera diffusé mercredi à 21h05. Les images d'archives, colorisées pour la plupart, et issues notamment du fonds Gallimard, sont émouvantes. Nous y retrouvons la galaxie de Camus, ses amis, ses amantes, et une partie de la nébuleuse anonyme des humbles qui ont gravité autour de l'auteur du Premier homme. Parti-pris sans doute, nous entendons sa voix, nous le voyons souvent et cela ajoute à notre plaisir, mais il n'est jamais montré en train de parler... Le récit est simplement chronologique, cela ne nuit en rien le processus narratif, mais il commence fatalement par l'accident du 4 janvier 1960. Hormis un montage détestable dans ce genre de documentaire, et heureusement bref, sur les derniers instants de la vie de Camus dans la Facel Vega, route de Villeblevin, l'ensemble nous est apparu éblouissant car riche, tendre, franc, et somme toute assez complet sur le kaléidoscope Camus : Le séducteur, l'amoureux, le journaliste - historien au jour le jour -, le romancier, l'essayiste engagé, l'humaniste. Ainsi que chacun des thèmes phares de sa vie : La pauvreté originelle, le rôle de M. Germain l'instituteur et père de substitution, la mesure des tragédies du XXe siècle qui préservera Camus de toute tentation extrémiste, l'omniprésence de la Méditerranée dans son corps et dans son esprit, la blessure de l'impossible trêve civile en Algérie aux moments des événements devenus guerre, l'échec du dialogue avec le monde germanopratin et sartrien, l'importance de la mère, l'amitié forte avec une poignée de fidèles... Certains témoignages, comme celui de Mette Ivers, dernière amante de Camus, et celui de Michel Bouquet, sont bouleversants. Il y a également le récit chaleureux de Max-Pol Fouchet, les quelques mots essentiels de Jules Roy pour augmenter la valeur-ajoutée de ce film, et par conséquent l'émotion que nous éprouvons jusqu'au bout. Cliquez et regardez. Puis reprenez les livres de Camus. Tous. Et faites passer. L.M.

     

  • Les yeux du lièvre

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    ©David Cousson

    Ils ont beau être globuleux, il ne voit pas mieux qu’un lapin. Rien n’échappe à l’un comme à l’autre.  Le lièvre est constamment aux aguets, mais pas davantage qu’une autre proie potentielle pour un rapace ou un renard. C’est un leurre de penser qu’il ne voit que sur les côtés et rien devant et que ce serait la raison pour laquelle il avancerait droit, et le lapin en zigzags. Cependant, à bon vent (lorsque celui-ci lui souffle derrière et que le lièvre avance par bonds), il suffit de se tenir totalement immobile et le lièvre vous approchera jusqu’à une distance très courte. Ainsi, ce matin, le long de la mare où je relevais les traces de chevreuils venus boire au cours de la nuit, un capucin sortit du bois d’aulnes et se dirigea vers moi, insouciant. Bien que je fusse à découvert et bien visible car peu mimétique, l'oreillard avança jusqu’à environ trois mètres de mes pieds. Je n’en crus pas mes yeux puis, soudain, virage du vent je ne crois pas, éclair d’instinct non plus, je pense plutôt qu’il ne reconnut pas cet arbre botté dans son paysage familier, il fit brusquement demi-tour et s’enfuit à la vitesse de l’éclair avant de disparaître en contrebas. L.M.

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    ©Marc Solari

  • feuilleté de début d'année

    En quelques brèves, nous en sommes là, ces jours-ci, avec notre table de chevet :

     

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    Dévoré avec avidité le bref et profond second roman d'Arnaud de La Grange, Le huitième soir (Gallimard). Une histoire d'hommes, forte, crue, vraie, dans la funeste cuvette de Dien Bien Phu. L'occasion pour le narrateur, jeune lieutenant prisonnier du fameux bourbier qui sonnera le glas de la guerre d'Indochine, de retracer sa trop courte vie, ses engagements, ses amours, ses convictions. Une ode à l'honneur (à rapprocher du très beau La nostalgie de l'honneur, de Jean-René Van der Plaetsen), à la sincérité et à la fraternité, coulée dans un style sobre sans être sec. Efficace et mémorable.

     

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    Embarqué une fois de plus par la prose de Paul Morand. Ouvert la nuit, (Gallimard/L'Imaginaire), relu hier, possède l'inaltérable pouvoir de tenir son lecteur sans effort, par la grâce de la phrase, quoiqu'elle dise ou ne raconte pas, et ce, dès la première nuit de ce recueil qui a une suite, Fermé la nuit. Morand nouvelliste, c'est magique. Qu'on en juge ci-dessus.

     

     

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    Entamé un roman de Sandrine Collette qui reparait au Livre de Poche, Animal (nous avions évoqué son premier, Des noeuds d'acier dans les pages Livres de Télé 7 Jours, à sa parution => Des noeuds d'acier). Même gourmandise dès les premières pages qui plongent le lecteur dans un bain de nature sauvage et de personnages au caractère âpre. Ici, la forêt (népalaise, d'abord) envoûte, et Mara est une femme qui captive. Puis apparaît Lior, une Diane chasseresse totalement habitée par sa passion. Une chasse à l'ours commence dans les grands espaces du Kamtchatka. À suivre...

     

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    À rapprocher du puissant et volumineux, ample et riche Dans la gueule de l'ours, prodigieux premier roman de James A. McLaughlin (Rue de l'échiquier, en librairie le 20 janvier), dont la langue comme l'univers ne sont pas sans rappeler les écrivains rough de nature du Michigan, et pas seulement de Missoula, au premier rang desquels trône évidemment notre cher Big Jim (Harrison). Cerise sur le gâteau : c'est le grand traducteur de l'oeuvre de Jim H., Brice Mathieussent, qui signe également cette traduction-là.

     

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    Convaincu par la pudeur - pas la froideur apparente -, par la sensibilité extrême douloureusement masquée de Jean-Marie Laclavetine et son touchant Une amie de la famille (Gallimard), qui retrace un drame : la noyade accidentelle de sa propre soeur aînée, il y a cinquante ans à l'âge de vingt ans, au bout de la plage de la Petite Chambre d'Amour à Anglet, soit tout près du phare de Biarritz. Bouleversant.

     

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    Pas convaincu par Un été avec Paul Valéry, de Régis Debray (Equateurs), et pas davantage par ses Conseils d'un père à son fils (folio). Le premier est une sorte de guide Baedeker bâclé sur le motif. Le second, une ode à moi-même, mon immense culture, mon indéniable intelligence. Debray pratique le name dropping avec une mitrailleuse lourde aux nombreux chargeurs. Cela devient lassant, y compris, se dit-on, pour un fils, car il y a de l'intellectuel las, désabusé, dans les derniers ouvrages de cet essayiste prolifique, lesquels transpirent l'ennui d'écrire ou de redire, peut-être. 

     

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    Déçu par La douleur du chardonneret, d'Anna Maria Ortese (Gallimard/L'Imaginaire), inoubliable auteur, pourtant, de La mer ne baigne pas Naples. Le pâteux d'une prose fige progressivement la trame narrative et le lecteur s'embourbe malgré la qualité de ses bottes en caoutchouc. C'est long, fastidieux, rébarbatif à certaines pages, trop lent, et faute de style brillant, on finit par caler comme jadis avec Les Buddenbrook de Thomas Mann.

     

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    Enchanté, enfin, par Paris-Orphée, de Henri Cole (Le bruit du temps), sous-titré Carnet d'un poète américain à Paris, d'une tendresse et d'une délicatesse confondantes. Orné de quelques photos, ce journal qui cite de nombreux poètes français et anglo-saxons est un compagnon de promenade idéal, d'un jardin public parisien à l'autre. L.M.

  • Chez Gracq et à propos de Marie-Thérèse Prat

    Souvenir, souvenirs...

    Tribune parue dans Libération il y a treize ans jour pour jour, soit le 3 janvier 2008 => Mes journées chez Julien Gracq

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    ©Alain Collet

    Inédit...

    Et, à propos de Partnership (le lirons-nous un jour, à partir de 2027 ?.. Et lirons-nous également Port-Amen, roman inachevé de Michel Déon, disparu il y a tout juste trois ans), premier texte littéraire de J.G. écrit à l'âge de 21 ans (en 1931) et signé Louis Poirier, ce témoignage => Partnership paru en novembre dernier sur le site littéraire En attendant Nadeau, sous la plume de Christine Marzelière, évoquant la possible destinataire et sujet de ce roman inédit d'un amour contrarié ...  Bonus => Le manuscrit et de courts extraits

     

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    ©Raphaël Gaillarde

     

  • Gracq, douze ans déjà

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    22 décembre 2007. Je prenais avec mes enfants la route de Bayonne depuis Paris pour aller fêter Noël en famille lorsque la dépêche tomba. Julien Gracq venait de mourir... Douze ans après, j'éprouve à nouveau (lire => J.G., + 10) le besoin de marquer ce funeste anniversaire. J'ai relu Le rivage des Syrtes la semaine dernière. Mon commerce avec mon auteur fétiche augmente, ou plutôt se fortifie. Il durcit comme un pot de miel oublié dans le placard de la maison de campagne. Nous l'avions oublié, laissé liquide, nous le retrouvons charnu et granuleux ; blanchi. Il a pris en maturité, en saveurs, en teneur... Sauf que J.G. n'est jamais loin, que le placard est ouvert, la campagne omniprésente, et l'oubli impossible. Mon commerce, disais-je.

    Intriguée par les différentes éditions de l'ouvrage le plus connu de Gracq qui ornent l'étagère dédiée, ma fille m'a interrogé sur le motif il y a quelques jours. Nous avons parlé. Je lui ai offert l'édition originale de 1951 avec sa couverture jaune. La plus précieuse, avec mes deux exemplaires dédicacés par l'auteur (Corti, et Pléiade). Mon fils possède depuis Noël dernier la plus récente, massicotée, celle de 2017, ou 2018. Passage. Transmission du verbe. De la beauté.

    Aujourd'hui, je voudrais juste joindre la conférence que je donnai, en hommage, le 7 novembre 2017 à l'Institut Français de la Mode, et que France Culture diffusa aussitôt. Elle est toujours disponible sur les ondes, via le site de la radio.  =>  Conférence sur J.Gracq  L.M.

     

    P.S. : Un autre 22 décembre (1989), disparaissait Samuel Beckett, mais bon... Cet auteur n'est jamais parvenu à me toucher.

     

     

  • Ornithologie, humanisme, etc.

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    Grégoire Loïs est ornithologue et il travaille au Muséum national d'Histoire naturelle. Autant dire qu'il vit avec un greffon autour du cou en forme de lourdes jumelles autrichiennes increvables  - identiques à celles qui ne nous quittent guère, et qui nous ont permis d'observer ce jour - ô joie -, tout en achevant la lecture de son beau récit intitulé Ce que les oiseaux ont à nous dire (Fayard), une Grande Aigrette qui planait dehors et qui se posa dans les champs juste devant nos yeux, et y demeura, longue tache blanche, une bonne partie de la journée. Son livre évoque d'ailleurs cet oiseau rare et majestueux, dont le retour semble sauver enfin l'espèce. Le chapitre consacré au Merle noir, dans ce livre joliment écrit, est tellement beau, tellement vrai, que l'on a envie de le lire à ses proches, à ses enfants, et de l'envoyer à tous ceux qui possèdent une sensibilité particulière à l'égard des oiseaux en général, qu'ils soient familiers, rares, majestueux, mal-aimés, mystérieux. Le Merle... Sans doute l'oiseau qui offre le plus beau chant du monde - au moins de la gent ailée. Son chant, écrit Grégoire Loïs, est une promesse d'éternité... C'est le chant sublime de l'au-delà... Ce qui rend la musique du Merle si belle, ce sont ses pauses entre chacune de ses phrases decrescendo. (Et prions pour que le virus Usutu qui décime les merles disparaisse). Loïs écrit avec sensibilité, tendresse et bien sûr connaissance. Il partage avec son lecteur ses émotions, ses découvertes, en compagnie d'Anne, sa femme, puis de leur fils Tanguy (la relève), et l'Avocette élégante devient ainsi pleine de grâce, le Grand Tétras a une carrure mythologique, le Freux est moins affreux, le Rouge-Gorge confirme son agressivité, la Pie-grièche sa cruauté, la Chouette effraie, ou Dame blanche, demeure aussi furtive que majestueuse. Il est aussi question du silence des oiseaux. Soit de leur progressive disparition. Les signes sont forts, les statistiques inquiétantes, l'agriculture bashing justifié à cause de ses pratiques culturales tenaces et chimiquement intenables, car les Printemps s'avèrent de plus en plus calmes. Et puis, il y a des lueurs d'espoir ici et là, et des rencontres insolites, comme celle que l'auteur et son fils firent avec six Ibis falcinelle égarés dans les barthes de l'Adour, comme une déclaration d'amour aux oiseaux de tous les pays.

    Capture d’écran 2019-12-09 à 14.34.45.pngRé-ensauvageons la France est un beau cri prononcé par Gilbert Cochet et Stéphane Durand (Actes Sud, dans la remarquable collection Mondes Sauvages). Ce plaidoyer pour une nature sauvage et libre (c'est le sous-titre), est un cri d'alarme assorti d'une batterie de propositions encourageantes, optimistes. Les constats sont durs, au chapitre de la litanie des disparitions, des dangers en tout genre, et du spectre de l'annihilation biologique qui menacerait évidemment l'espèce humaine à la suite des espèces animales. La Nature résiste pourtant avec une belle énergie. La forêt prospère, le grand gibier aussi (peut-être trop, selon les agriculteurs et les sylviculteurs), les grands prédateurs (ours, loup, lynx) reviennent, accompagnés parfois par des programmes naturalistes controversés. Il y a toute la place dans notre bel hexagone pour accueillir une biodiversité large, renaissante, plus nombreuse, plus variée, et en pleine forme. Ce livre de deux spécialistes (Cochet est agrégé de Sciences de la vie et de la terre, et il est attaché au Muséum national d'histoire naturelle. Durand est biologiste et ornithologue), parie sur une nouvelle alliance basée sur le triptyque abondance/diversité/proximité. Preuves à l'appui en 176 pages toniques et bourrées d'informations fraîches et précises.

    Capture d’écran 2019-12-09 à 14.39.39.pngSur un autre registre, Marion Ernwein donne Les natures de la ville néolibérale. Sous-titré : Une écologie politique du végétal urbain (UGA éditions : Université Grenoble Alpes, collection Ecotopiques). Fruit d'une enquête de terrain menée à Genève notamment sur plusieurs années, cet ouvrage d'une richesse et d'une culture immenses, emprunte autant à la philosophie qu'à l'architecture, à la sociologie et bien sûr aux sciences naturelles, et intéressera au premier chef les paysagistes et tous ceux qui ont souci des politiques d'aménagement d'espaces verts urbains, non plus comme des natures mortes, mais de plus en plus vivants, participatifs, dynamiques, inscrits dans un bien-être collectif durable, écosystémique, et néanmoins hyper urbain. L'auteur enseigne la géographie à Oxford, et développe ici, avec brio, une nouvelle écologie politique du végétal urbain donc, à la lumière des nouveaux enjeux environnementaux. Magistral. L.M.

     

  • Reprendre Lalanne conduit à Blondin

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    C'était inévitable. Reprendre les livres (*) de Denis Lalanne (qui a quitté ce monde, à Anglet, il y a deux jours), afin de retrouver sa verve, son talent de raconteur d'histoires, c'était glisser inexorablement vers les livres d'Antoine Blondin, dont il fut l'ami. Et, cherchant une phrase célèbre, j'ouvrais L'humeur vagabonde à la dernière page. Publié en 1955, le livre n'a pas pris une ride. Et sa chute nous transporte, en faisant étrangement écho à l'atmosphère sociale de cette fin de semaine... L.M.

    (*) Mais où ai-je bien pu mettre Le Grand Combat du XV de France, et Rue du Bac?..

     

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  • Elcôt Ness

    IMG_20191207_141418_resized_20191207_025148055.jpgL'incorruptible, ou plutôt L'InCôtRuptible, 2018, est un vin 100% côt, sans sulfites, issu de vignes proches de Chinon qui naissent sur un sol argilo-sableux. Il s'agit d'un AOP Touraine doté d'un sacré caractère, qui releva le défi d'un râble de lièvre cuisiné par nos soins. La contre-étiquette (ci-dessous) ne manque pas d'humour. Les Vignerons des coteaux romanais (St-Romain-sur-Cher) mettent en bouteilles ce vin singulier à la robe noire, au nez épicé, à la bouche douce et fleurie, enrichie de notes de cerise grasse et très mûre. Un beau cadeau (9,50€). S'en priver serait sacrilège. L.M.

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  • La voix d'outre-tombe de Leonard Cohen

    Capture d’écran 2019-12-05 à 14.44.26.pngElle restera gravée dans notre mémoire d'outre-tombe, la voix du dernier disque posthume de Leonard Cohen. Plus sépulcrale encore que dans You want it darker, comme le souligne mon ami Benoît. Oui, sépulcrale est l'adjectif idoine. Ça racle, ça sillonne dans nos oreilles internes, ça remue, ça parle, ça fait écho, durablement. Savourez => Thanks for the dance

    Et, je le redis, c'est lui qui méritait un Nobel de Littérature, davantage que Bob Dylan...

    Capture d’écran 2019-12-05 à 14.47.39.pngP.S. : je ne saurais trop recommander un magnifique album de ses poèmes, dessins, chansons, que je feuillette au gré, avec beaucoup d'émotion et toujours sa musique en fond de lecture - comme on parle de fond de sauce... L.M.

     

  • Daguin

    Je suis en train de faire mariner un lièvre, les mains dans le sang, l’ail, l’échalote, l’armagnac, et dans le tannat aussi, lorsque j’apprends qu’Alexandre est passé de l’autre côté. Je ne l’appelais pas André à cause de Dumas, auquel il me faisait penser, et parce que la première fois que je lui ai tiré le portrait, c’était pour et dans Gault-Millau, et j’avais titré mon papier « Alexandre Daguin ». Ça l’avait fait bien marrer, le Cadet, le Mousquetaire. Nous nous sommes vus parfois. À Auch, à la radio pour des enregistrements des Grandes Gueules auxquels il me convia, à Paris pour des raouts de promo gastro à la con, et je regrette de n’avoir jamais partagé un seul repas avec Son Altesse André Daguin (comme client à sa table, pour une soupe de châtaignes, une brochette de chevreuil, un magret de palombe - et oui -, c'était différent  : nous étions assis, tout petit, et il était très grand, tout blanc). Une autre fois, dans quelle gazette je ne sais plus, je titrais à son sujet : « Commissaire Magret ». Fastoche, avec le recul. Chouïa décalé, dans les années 80.

    ¡ Suerte, là-haut, sacré Gascon d’altitude !

    Ci-dessous, un chapitre sur lui et son fils Arnaud, paru dans mon livre « Le Sud-Ouest vu par Léon Mazzella » (Hugo & Cie, pp.120-125) =>

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  • César et Rosalie, encore

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    Cette lettre est émouvante.

    Elle évoque à la marge La chanson d'Hélène, des Choses de la vie, du même irremplaçable Claude Sautet.

    Et elle est tellement littéraire.

    Ah, l'épistolaire, ce genre précieux qui se perd...

    Ecoutez, en regardant => Rosalie

    "...Moi je marche sur les longues plages.
    C'est une maison qu'on avait oubliée.
    Carla dit qu'elle se rappelait la couleur des volets.
    Moi, je suis sûre que ce n'est pas la même.
    Mais tu sais comment sont les choses qu'on aime, on a beau les repeindre.
    Le vent s'est levé lundi et je suis contente 
    et je t'écris ma cinquième lettre
    et je m'attends à ton cinquième silence.
    J'entends toute la famille qui vit et qui rit en bas
    et si je t'écris que je suis triste, c'est malhonnête et je le sais. 
    Je ne te reverrai pas et je le sais aussi et pourtant,
    je voudrais qu'on me dise où tu es. 
    Où tu es ? 
    Tu vis et tu ne réponds pas. 
    Evidemment, Marie-Thé a failli se tuer en sautant d'un rocher.
    Simon est amoureux. 
    J'ai acheté deux robes, une petite bleue 
    et une petite blanche au marché du matin. 
    Maman a passé son permis de conduire, 
    on se demande pourquoi tout à coup. 
    Pour les robes, ce n'est pas vrai, je n'ai rien acheté
    mais je dirais n'importe quoi pour te parler de moi.
    Ce n'est pas ton indifférence qui me tourmente, 
    c'est le nom que je lui donne : la rancune, l'oubli. 
    David, César sera toujours César 
    et toi tu seras toujours David qui m'emmène sans m'emporter,
    qui me tient sans me prendre et qui m'aime sans me vouloir. »
     
    La lettre de Rosalie, «César et Rosalie», Claude Sautet, 1972
  • Des fragments inédits du fanatique de l'éventualité

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    Que les sceptiques soient rassurés : ces deux livres inédits, traduits du roumain, rédigés entre 1944 et 1945, et qui paraissent, sont du meilleur Cioran. Ce sont deux ouvrages publiés par Gallimard dans la collection Arcades : Fenêtre sur le Rien, et Divagations, qui peuvent d'ailleurs se lire indifféremment, de l'un à l'autre, d'un aphorisme l'autre, en toute liberté, tellement leur cohérence n'a pas lieu d'être, et tant leur incohérence n'existe pas. Tout le Cioran du Précis de décomposition, du Mauvais démiurge, d'Ecartèlement, et même celui des Carnets est déjà là, pour notre plus grand bonheur. Tranchant, glaçant avec sucrosité, drôle, lucide, implacable, pénétrant, gaiement nihiliste, lumineux dans sa noirceur, tonique dans le toxique. Lui, quoi. Certains traits ont été repris par l'auteur dans ses livres postérieurs. Exemple : Ma traversée des jours ressemble à celle d'une prostituée sans trottoir. (dans Fenêtre sur le Rien). Qui deviendra : Je vadrouille à travers les jours comme une putain dans un monde sans trottoirs (dans Syllogismes de l'amertume). Ces 134 + 234 pages acquises cet après-midi, à peine entamées, figurent un grand bonheur de lecture à venir. Qu'on en juge, avec cette toute petite brassée saisie au hasard, et jetée là comme une poignée de sable, avec empressement, pour vous recommander une visite chez le libraire :

    La tombe est la seule pharmacie de la mélancolie. 

    Les pensées devraient avoir la perfection impassible des eaux mortes ou la concision fatale de la foudre.

    Rien n'est plus profond ni plus authentique en nous que notre bassesse.

    Dans les villes, j'ai rencontré la mort dans les yeux des passants; en pleine nature : dans le bruissement des feuillages. Mais je l'ai rencontrée plus souvent encore dans les silences du coeur.

    Une chose est sûre : la vie n'a aucun sens; mais une autre l'est plus encore : nous vivons comme si elle en avait un.

    L'imbécile fonde son existence sur ce qui est. Il n'a pas découvert le possible, cette fenêtre sur le Rien...

    À l'extrémité de chaque désir, un noeud coulant.

    La vie étant une insomnie, le sommeil est une divinité.

    Les coeurs trop mûrs pourrissent dans des vers.

    Les peuples gais ne connaissent pas la tristesse, mais l'amertume. C'est le cas des Français. La gaieté est l'écume de la joie; l'amertume, le poison superficiel de la tristesse. 

    Bon, j'y retourne. L.M.

    Traduction du roumain et avant-propos de Nicolas Cavaillès, auquel nous devons déjà l'édition en Pléiade des Oeuvres (écrites en français) de Cioran.

     

  • et en lisant

    Capture d’écran 2019-11-16 à 13.11.30.pngLa force de Franck Bouysse est comparable à celle du Jean Carrière de L'épervier de Maheux. Avec Grossir le ciel (Le Livre de Poche), l'auteur, très remarqué cette année avec un nouveau roman qu'il nous faudra lire bientôt (Né d'aucune femme), livre un roman âpre, avec de rares personnages sauvages et durs, qui vivent reclus au fin fond des Cévennes, marqués par des secrets de famille bien ou mal gardés, et qui s'occupent de vaches, de champs, du tracteur, du fusil pour chasser des grives, du chien appelé Mars pour unique réconfort. Ils s'appellent Gus, Abel, et ils ont la poésie des gosses qui voient dans un merle faisant la roue un grand tétras amoureux. Gus a la certitude absolue d'être un fruit pourri conçu dans la violence et la haine, toujours accroché sur l'arbre d'une généalogie sans nom. Il y a des meurtres, du sordide, des mystères, des traces de pas qui inquiètent, des êtres furtifs, la nuit, les petites annonces du Chasseur français que l'on feuillette sur la toile cirée devant l'âtre, en se disant je devrais peut-être essayer. La vie dure de ces solitaires par défaut ou par destinée est leur quotidien comme s'il neigeait chaque jour de l'année, et Bouysse a le talent de savoir décrire dans une langue forte, des arbres déplumés comme des arêtes de gros poissons décharnés, le sang qui frappe régulièrement contre les tempes, le vent qui s'engouffre sous les bardeaux d'une grange en glissant sur le silence comme une araignée d'eau sur une mare étale. Oui, le Jean Carrière que nous aimons, filsCapture d’écran 2019-11-16 à 19.31.52.png spirituel de Giono, se retrouve dans Bouysse. Pas dans sa pâle copie, à la lecture fort décevante de Une bête au paradis, de Cécile Coulon (L'Iconoclaste), dont on a fait grand cas au début de l'automne, et puis flop... Avec même de drôles de coïncidences : le nom d'Abel pour désigner un personnage principal, chez Coulon, mais authentique chez Bouysse, et Paradis - nom de personnage chez Bouysse, de lieu chez Coulon. Étrange... (Le livre de Bouysse est paru en 2014, et celui de Coulon à la fin de l'été 2019). Mais, passons.


    Capture d’écran 2019-11-16 à 13.14.07.pngBien sûr, nous aimons La panthère des neiges, de Sylvain Tesson (Gallimard), car nous lisons avec plaisir et fidélité cet auteur, et le succès mérité de son dernier récit n'avait pas besoin d'un Renaudot surprise, mais c'est tant mieux.

    Les jurés de l'Interallié auraient en revanche été plus inspirés, en ceignant d'un bandeau rouge réconfortant le poignant Où vont les fils?, d'Olivier Frébourg (Mercure de France), lequel narre avec une grande franchise intérieure la vie d'un homme (l'auteur lui-même) dévastée par un divorce, la disparition du nous puisque tout est soudain dénoué, un quotidien nouveau avec lequel l'homme esseulé doit improviser, composer. Les trois fils à élever, les courses au supermarché, les sorties d'école et la honte de s'y montrer amputé, les draps froids du grand lit, le bruit du vide, la maison morte quand les enfants n'y sont pas, lors que la vie jusque là était faite de voyages au long cours, de littérature, d'amour; d'insouciance. Je ne parvenais plus à lire tant mon crâne était fendu comme un billot de bois, à la hache. Une femme m'avait aimé, désaimé, quitté. La banalité avait de quoi faire rire. Par ricochet, Olivier Frébourg peste avec raison contre la soft power de notre modernité faite de nouvelles dictatures : les réseaux sociaux, le smartphone, cette hache de guerre, ou encore "la connerie de la résilience"... Le présent défait est une des sources du malheur. Mais la destruction du passé est le plus sûr voyage vers la folie. L'homme est alors écervelé. Il s'accroche à ses souvenirs comme un naufragé à son morceau de bois. Frébourg ne croit plus qu'à la vérité des paysages, et conserve le recours aux poètes : Cadou, Vigny, Valéry, Depestre... chevillé au coeur. Il y a du Claude Sautet dans ce beau livre, et Olivier Frébourg dépeint les choses de la vie en père vrai : L'enfance est un paquebot. Il faut prendre la mer malgré les tempêtes. Où vont les fils? se demandent les pères inquiets de les perdre de vue sur la ligne d'horizon.

     

    Capture d’écran 2019-11-16 à 13.12.32.pngLa découverte par Sylvain Tesson le globe-trotter, de la magie, des mystères de l'affût et des énormes plaisirs qu'il peut procurer, y compris celui de la bredouille, car elle est alors toujours chargée d'émotions intenses, donne un récit captivant. Guetter la rarissime et menacée panthère des neiges au Tibet, à 5 000 mètres d'altitude et par -30°C, hisse l'animal majestueux, princier, au rang de mythe, de Saint Graal, d'improbable inaccessible, de reine des confins. Se savoir vu sans voir qui nous a repéré depuis longtemps, le "ce qui est là et que l'on ne voit pas", figure un autre plaisir profond de chasseur photographe comme Vincent Munier, que Sylvain Tesson accompagne, ou de chasseur tout court (et nous en connaissons un rayon). Pour ces choses si précieuses de nos jours tant encombrés de futilité et de fatuité, pour la belle langue de l'auteur, pour ses références poétiques aussi, cette panthère-là devient inoubliable.

    Capture d’écran 2019-11-16 à 13.15.03.pngLe Classique des Poèmes, Shijing (folio bilingue), est un épatant recueil de poésie chinois anonyme (et c'est encore plus beau lorsque c'est anonyme, aurait déclaré Cyrano). Les Classiques désignent dans ce vaste pays continent les indispensables de la littérature que tout lettré se doit de connaître. Ils sont au nombre de cinq : Yijing (Le Classique des Changements), Shujing (Le Classique des Documents), Lijing (Le Classique des Rites), Yuejing (Le Classique des Musiques), et Shijing, qui est le plus ancien recueil de poésie chinoise, puisqu'il date de l'Antiquité. Confucius aurait paraît-il compilé ces chants amoureux d'origine populaire, de facture simple comme une chanson d'Agnès Obel, qu'ils décrivent une barque de cyprès qui ballotte au gré du courant et devient par métaphore un coeur accablé, Une belle femme décrite à la manière des contes des Mille et une nuits, Le vent d'aurore (où) pique un faucon/sur la forêt touffue du nord. Ou encore les ailes de l'éphémère, cet insecte d'une infinie délicatesse comme l'est chacun de ces poèmes. L.M.

  • Dans mes jumelles

    IMG_20191111_151041_resized_20191111_034348943.jpgIMG_20191111_151110_resized_20191111_034225637.jpgIMG_20191111_151127_resized_20191111_034349666.jpgIMG_20191111_151204_resized_20191111_034349301.jpgIMG_20191111_151230_resized_20191111_034224946.jpgIMG_20191111_151422_resized_20191111_034113425.jpgIMG_20191111_151503_resized_20191111_034113012.jpgCette fin d'après-midi du 11 novembre, trois chevreuils sur les cinq ayant passé la journée, ou peu s'en faut, couchés dans l'herbe comme chez Manet, parfois les deux yeux fermés, ce qui est rare (mes jumelles en témoignent), sont venus musarder et brouter quelques roses tardives sous les fenêtres de ma cuisine.

    En particulier ce jeune brocard en sa seconde année de vie, avec des bois tendres lui poussant, et déjà en velours.

    Autre bonheur, hier, que celui d'entendre cancaner à qui mieux mieux, bruyamment au-dessus de ma tête, à une trentaine de mètres d'altitude à peine, quarante-deux oies grises sans doute épuisées par un long vol de migration, en quête de repos des muscles de leurs ailes, et de quelque nourriture capable de reconstituer autant que faire se peut leurs réserves de graisse, car la route est longue qui les conduira jusqu'en Afrique.

    Elles eurent l'élégance de se poser sur le champ devant chez moi, et d'y picorer à l'aise, en son centre afin de voir le danger venir de loin, des heures durant, le maïs oublié par les machines.

    Voisinaient plus d'une centaine de palombes, en migration elles aussi, qu'agaçaient de nombreux corbeaux freux, sédentaires et guère accueillants. Parlez-moi d'éthologie !..

    Un surcroît de bonheur surgit d'une grive draine venue grappiller ce qui reste de ma vigne que l'on dit vierge, et d'un couple de mésanges bleues occupé à se poursuivre comme des gosses autour d'un érable devenu malingre. Jouissif. L.M.

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    Photos prises à l'aide d'un vulgaire smartphone, derrière une vitre afin de ne pas effaroucher les animaux, d'où les reflets inconvenants. Je m'en excuse. Le 24x36 étant sans batterie, et le téléphone alors inopérant, je n'ai pu capturer le vol d'oies sauvages. Je le regrette... à peine.

  • Rotterdam

    J’ai quinze ans. Mon père tient à ce que je l’accompagne à Rotterdam pour l’acquisition d’un nouveau cargo de l’armement familial, le Niels Frelsen, qui deviendra le Cap Falcon. Nous prenons la route depuis Bayonne dans la DS blanche immatriculée 813 LY 64 (j’ai toujours eu la mémoire inutile des plaques d’immatriculation – je peux en réciter une douzaine -, de véhicules ayant appartenu à des proches : 426 HW 64, la 404 rouge étrange, mi bordeaux, mi grenache de Naphtali, 714 GG 64, la Ford Anglia jaune pâle de mon grand-père maternel, 278 LZ 64, la Simca 1100 bleu métallisé de Maman - et nous prononcions alors l'adjectif avec le sentiment d'être à la mode -, et sa Floride décapotable blanche : 837 GQ 64, tant d'autres - mes propres véhicules à deux et quatre roues. Je retenais aussi les numéros de téléphone, c'était plus utile). J’ai en stock des détails gravés. Au Park Hôtel, où nous séjournons quatre nuits, nous mangeons rituellement des T-bone steacks et nous buvons (moi, à peine) de la bière Amstel. Sur le port, je suis captivé par le ballet incessant de centaines d’étourneaux, dont beaucoup sont immatures, en plumage beige, et par les goélands qui agacent les colverts nageant le long des canaux. Au fond de la cale sèche, l’énorme bateau gris à coque rouge mat est posé sur de simples traverses en bois. Cela m’impressionne. Je prends des photos avec mon Phokina 35 aux allures de boîtier 24/36 soviétique. Je sens dans le regard de mon père un plaisir immense de me voir là, avec lui. Je ne pense qu’aux oiseaux. De longues années après, je m’intéresserai à la mer, aux bateaux, au métier d'armateur qu’il pratiqua. Devenu père, j’ai ressenti ce grand bonheur de partager quelque chose d’essentiel dans la vie avec l’un de mes enfants. Hier soir, quarante-cinq ans après ce voyage à Rotterdam qui marqua tant mon père, j’ai eu la chance de montrer à mes deux enfants des traces de sangliers venus boire à la mare la nuit dernière, une crotte de renard audacieusement laissée presque devant notre porte, les plumes d’une palombe qui fut empiétée par une buse, à la pointe de l’aube sans doute, et d’autres de la chouette effraie qui niche dans l’une des granges. Dans les jumelles, nous avons observé tour à tour deux, trois, puis cinq chevreuils et quelques lièvres. Enfin, nous avons trinqué avec du cidre élaboré par un presque voisin, et dîné devant la cheminée d'une quasi rituelle côte de boeuf généreusement maturée, sur la longue table de ferme en chêne qui ne me quitte pas depuis mes seize ans. L.M.

  • Les ailes pourpres d'un désir de cabernet vraiment franc

    Capture d’écran 2019-10-14 à 20.43.23.pngVoici un flacon enchanteur : rouge, issu à 100% de cabernet-franc planté sur des argiles à silex, en appellation Touraine (Amboise), du Domaine des grandes Espérances (maison Saget La Perrière). Millésime : 2014 (16,50€). Vendanges manuelles, pour moitié en grappes entières. 18 mois en fûts de un à trois ans (1/4 de fûts neufs). Certifié Terra Vitis, c'est du bon bio (viticulture durable). L'étiquette est belle, la bouteille avenante, la robe rubis, le nez droit et gorgé de saveurs de fruits noirs, d'épices douces (poivre blanc, vanille), avec, en bouche, une finale légèrement réglissée. C'est élégant, frais, fin, architecturé, cela s'accorde à merveille avec la volaille simplement snackée et poivrée. C'est sans détours, et nous aimons tellement cela, l'absence de détour. L.M.

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  • Proust, toujours. L'acuité du regard, la précision des images

    Extraits du passage sur la mort de la grand-mère (Le Côté de Guermantes, II, 1) :

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    « Mais dans son visage pâle et pacifié, entièrement immobile, je vis grands ouverts, lumineux et calmes, ses beaux yeux d’autrefois (peut-être encore plus surchargés d’intelligence qu’ils n’étaient avant sa maladie, parce que, comme elle ne pouvait pas parler, ne devait pas bouger, c’est à ses yeux seuls qu’elle confiait sa pensée, la pensée qui tantôt tient en nous une place immense, nous offrant des trésors insoupçonnés, tantôt semble réduite à rien, puis peut renaître comme par génération spontanée par quelques gouttes de sang qu’on tire), ses yeux, doux et liquides comme de l’huile, sur lesquels le feu rallumé qui brûlait éclairait devant la malade l’univers reconquis. Son calme n’était plus la sagesse du désespoir mais de l’espérance. Elle comprenait qu’elle allait mieux, voulait être prudente, ne pas remuer, et me fit seulement le don d’un beau sourire pour que je susse qu’elle se sentait mieux, et me pressa légèrement la main. »

    « Un beau-frère de ma grand’mère, qui était religieux, et que je ne connaissais pas, télégraphia en Autriche où était le chef de son ordre, et ayant par faveur exceptionnelle obtenu l’autorisation, vint ce jour-là. Accablé de tristesse, il lisait à côté du lit des textes de prières et de méditations sans cependant détacher ses yeux en vrille de la malade. A un moment où ma grand’mère était sans connaissance, la vue de la tristesse de ce prêtre me fit mal, et je le regardai. Il parut surpris de ma pitié et il se produisit alors quelque chose de singulier. Il joignit ses mains sur sa figure comme un homme absorbé dans une méditation douloureuse, mais, comprenant que j’allais détourner de lui les yeux, je vis qu’il avait laissé un petit écart entre ses doigts. Et, au moment où mes regards le quittaient, j’aperçus son œil aigu qui avait profité de cet abri de ses mains pour observer si ma douleur était sincère. Il était embusqué là comme dans l’ombre d’un confessionnal. Il s’aperçut que je le voyais et aussitôt clôtura hermétiquement le grillage qu’il avait laissé entr’ouvert. Je l’ai revu plus tard, et jamais entre nous il ne fut question de cette minute. Il fut tacitement convenu que je n’avais pas remarqué qu’il m’épiait. Chez le prêtre comme chez l’aliéniste, il y a toujours quelque chose du juge d’instruction. D’ailleurs quel est l’ami, si cher soit-il, dans le passé, commun avec le nôtre, de qui il n’y ait pas de ces minutes dont nous ne trouvions plus commode de nous persuader qu’il a dû les oublier ?

    Le médecin fit une piqûre de morphine et pour rendre la respiration moins pénible demanda des ballons d’oxygène. Ma mère, le docteur, la sœur les tenaient dans leurs mains ; dès que l’un était fini, on leur en passait un autre. J’étais sorti un moment de la chambre. Quand je rentrai je me trouvai comme devant un miracle. Accompagnée en sourdine par un murmure incessant, ma grand’mère semblait nous adresser un long chant heureux qui remplissait la chambre, rapide et musical. Je compris bientôt qu’il n’était guère moins inconscient, qu’il était aussi purement mécanique, que le râle de tout à l’heure. Peut-être reflétait-il dans une faible mesure quelque bien-être apporté par la morphine. Il résultait surtout, l’air ne passant plus tout à fait de la même façon dans les bronches, d’un changement de registre de la respiration. Dégagé par la double action de l’oxygène et de la morphine, le souffle de ma grand’mère ne peinait plus, ne geignait plus, mais vif, léger, glissait, patineur, vers le fluide délicieux. Peut-être à l’haleine, insensible comme celle du vent dans la flûte d’un roseau, se mêlait-il, dans ce chant, quelques-uns de ces soupirs plus humains qui, libérés à l’approche de la mort, font croire à des impressions de souffrance ou de bonheur chez ceux qui déjà ne sentent plus, et venaient ajouter un accent plus mélodieux, mais sans changer son rythme, à cette longue phrase qui s’élevait, montait encore, puis retombait pour s’élancer de nouveau de la poitrine allégée, à la poursuite de l’oxygène. Puis, parvenu si haut, prolongé avec tant de force, le chant, mêlé d’un murmure de supplication dans la volupté, semblait à certains moments s’arrêter tout à fait comme une source s’épuise. »

    « Au pied du lit, convulsée par tous les souffles de cette agonie, ne pleurant pas mais par moments trempée de larmes, ma mère avait la désolation sans pensée d’un feuillage que cingle la pluie et retourne le vent. On me fit m’essuyer les yeux avant que j’allasse embrasser ma grand’mère. »

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  • D'une île sans soufre

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    Bon, alors, soufré ou pas soufré, ton vin, garçon biobo? Magma Rock, un gamay (a priori) relativement insipide, légèrement "carbo", avec quand même des notes de cerise pas encore mûre, est un vin "nature" qui hésite. Il est élaboré à Volvic (pied de nez), en Auvergne, là où les AOC de respect et de mémoire ne sont pas encore Légion (et il figure au paragraphe Loire, à la carte des vins de cette table - Hum...). No Control est sa marque de fabrique. Cela induit une posture. Le devoir d'être un -vrai- rebelle, celui qui traverse en dehors des clous quand c'est piétons-rouge, tu vois?.. Genre... C'est par conséquent l'obligation de paraître, de plaire à des cons qui n'y pigent keuts, mais qui se gaussent, se haussent du col en sifflant des quilles de vin naturels qui puent parfois la pisse de chat, la serpillère oubliée et j'en passe. Là, c'est l'étiquette qui fait tiquer. Se ficher du monde devrait obéir à certains cadres néo-shakespeariens (sulfites or not sulfites?).

    Bu, néanmoins, en excellente compagnie, dans une gargote très, très Capture d’écran 2019-10-13 à 23.12.01.pngrecommandable, nommée D'une île, sertie au coeur du Perche, en pleine brousse donc, encensée par le Fooding entre autres gazettes branchouilles, sise du côté de Rémalard, et où la cuisine du jour obéit aux contraintes du marché, à l'éthique locavore (alentour pas trop loin e basta), et d'une façon d'être qui peut exaspérer, malgré la beauté époustouflante du lieu : soit le service Erasmus (comme au Septime, difficile de se faire comprendre, parfois), l'approximation des connaissances, l'accueil minimaliste : ce laisser-faire très baba, très contrôlé en réalité (ça va avec les tics bobo), mais, mais, mais, en cuisine, ça envoie !

    Betteraves en aigre doux, chèvre frais, mûres (forcément) sauvages remarquables, Poireaux crayons (bien pochés), vinaigrette crémeuse au savagnin (impossible d'en retrouver la trace : pas bien), noix (délicatement torréfiées à sec, donc croquantes : top), Tatin d'oignons (grande!) aux graines de moutarde, crème aigrelette, et ces ris de veau croustillants (façon canelé bordelais), sauce Ranch (un peu compliquée à décrire) à se damner (les ris, pas le ranch). Boudin noir généreux et aux saveurs profondes, mousseline (suave, collante comme il faut) de pommes de terre ("pdt" sur la carte : faiblesse notée), de jolis fromages locaux (dont un livarot pas mal), une meringue mémorable sur une crème montée qui noyait quelques fruits rouges (pas tous de saison : elles viennent d'où, ces fraises, ouh-ouh !), et, et, et...

    IMG_20191011_145945_resized_20191013_111314365.jpgIMG_20191011_150104_resized_20191013_111313845.jpgIMG_20191011_150106_resized_20191013_111313379.jpgUne for-mi-da-ble carte de vins nature, bios, biodynamiques, tout ça, avec des noms de domaines à se tordre de rire comme d'hab', et donnant envie de revenir rien que pour tâter du Poil de Lièvre de Bobinet, d'un nuits-saint-georges de Philippe Pacalet (s'il y en a), d'un vin de France nommé Sorgasme (en magnum, s'il vous plait - s'il en reste), de ces blancs du Jura (et retrouver le savagnin), des vins orange d'Italie et d'ailleurs, oxydatifs comme il faut, voire d'une eau-de-vie de Cazottes pour la jouer Glougueule, soit académiquement vôtre.

    Déco attendue : poutres, cheminée, roots à mort, le masque sur la tête de chevreuil naturalisée, le renard naturalisé lui aussi et posant, les paniers à salade métalliques chinés au vide-grenier un dimanche dernier, les tables dépareillées, les bancs, tout le toutim, et une autre salle extraordinaire (à privatiser sans doute) avec immense table en bois brut, cheminée du meilleur effet, bibliothèque à l'étage, en mezzanine, l'ensemble étudié au petit point, mais chaleureux, derrière cette grande baie vitrée métallique du meilleur goût parigot-tête-de-veau-ravigote, perché.  L.M.

    Photos du bas : D'une île fait partie du hameau L'Aunay, datant du XVIIe siècle. Cinq bâtiments : restaurant, hôtel  (huit chambres, vingt-deux lits), potager, huit hectares de prairies et de forêt. Un havre.

  • En relisant Tristes tropiques

    Capture d’écran 2019-10-13 à 20.20.09.pngJe relisais Tristes tropiques, de Claude Lévi-Strauss, ce week-end, afin de peaufiner un cours de huit heures que je donnerai mercredi prochain sur le thème du journalisme de voyage à mes élèves d'un Mastère de Journalisme en Art de vivre. Mon vieil exemplaire, lu en novembre 1975 (ma prof de philo de Terminale avait eu le bon goût de nous faire étudier l'ethnologie, le structuralisme, tout ça à travers l'étude magistrale, par le père de l'anthropologie structurale, des Bororo, des Caduveo, des Nambikwara et autres Tupi-Kawahib), m'est fidèle. Considérant que ce livre figure  aussi un manuel de savoir partir en (grand) reportage, je l'ai souvent repris, comme ça, pour vérifier des détails comme récemment encore, au sujet du baitemannageo, la maison des hommes où dorment les célibataires, chez les Bororo. Des trucs, quoi. Je ne m'étais encore jamais re-penché sur mes annotations en marge et au crayon vers la fin du volume, à la partie intitulée Le retour, précisément aux chapitres XXXIX, Taxila, et XL, Visite au Kyong. Quelle ne fut pas ma surprise ce matin, de lire l'étonnante clairvoyance (et intemporalité) de l'éminent anthropologue, au sujet des monothéismes, en particulier de l'Islam. Qu'on en juge (cela se retrouve page 464 et suivantes, dans l'édition originale publiée en 1955 chez Plon, dans la mythique collection Terre humaine) :

    Tout l'Islam semble être, en effet, une méthode pour développer dans l'esprit des croyants des conflits insurmontables, quitte à les sauver par la suite en leur proposant des solutions d'une très grande (mais trop grande) simplicité. D'une main on les précipite, de l'autre on les retient au bord de l'abîme. (...)

    Une franche conversation avec de jeunes musulmans enseigne deux choses : d'abord qu'ils sont obsédés par le problème de la virginité prénuptiale et de la fidélité ultérieure ; ensuite, que le purdah, c'est-à-dire la ségrégation des femmes, fait en un sens obstacle aux intrigues amoureuses, mais les favorise sur un autre plan : par l'attribution aux femmes d'un monde propre, dont elles sont seules à connaître les détours.  (...)

    Grande religion (l'Islam) qui se fonde moins sur l'évidence d'une révélation que sur l'impuissance à nouer des liens au dehors. En face de la bienveillance universelle du bouddhisme, du désir chrétien de dialogue, l'intolérance musulmane adopte une forme inconsciente chez ceux qui s'en rendent coupables ; car s'ils ne cherchent pas toujours, de façon brutale, à amener autrui à partager leur vérité, ils sont pourtant (et c'est plus grave) incapables de supporter l'existence d'autrui comme autrui. Le seul moyen pour eux de se mettre à l'abri du doute et de l'humiliation consiste dans une "néantisation" d'autrui, considéré comme témoin d'une autre foi et d'une autre conduite. (...)

    Si le bouddhisme cherche, comme l'Islam, à dominer la démesure des cultes primitifs, c'est grâce à l'apaisement unifiant que porte en elle la promesse du retour au sein maternel ; par ce biais, il réintègre l'érotisme après l'avoir libéré de la frénésie et de l'angoisse. Au contraire, l'Islam se développe selon une orientation masculine. En enfermant les femmes, il verrouille l'accès au sein maternel : du monde des femmes, l'homme a fait un monde clos. Par ce moyen, sans doute, il espère aussi gagner la quiétude ; mais il la gage sur des exclusions : celles des femmes hors de la vie sociale et celle des infidèles hors de la communauté spirituelle : tandis que le bouddhisme conçoit plutôt cette quiétude comme une fusion : avec la femme, avec l'humanité, et dans une représentation asexuée de la divinité. On  ne saurait imaginer de contraste plus marqué que celui du Sage et du Prophète. Ni l'un ni l'autre ne sont des dieux, voilà leur unique point commun. À tous autres égards ils s'opposent : l'un chaste, l'autre puissant avec ses quatre épouses ; l'un androgyne, l'autre barbu ; l'un pacifique, l'autre belliqueux ; l'un exemplaire et l'autre messianique.

    Etc. Méditons... L.M.

  • Marie Blanque

    Capture d’écran 2019-10-06 à 22.07.32.pngPeyros, c’est pierreux, en Gascon. Cela évoque l’aride, le sec, l’absence de douceur mais la présence d’un caractère. Du côté de Madiran, Peyros désigne un domaine acquis par la famille Lesgourgues en 1999.

    Château Peyros représente la typicité absolue d'une appellation à la réputation rustique, cependant adoucie, taillée au fil du temps par un savoir-faire comme une caresse sensuelle et intelligente. Il y a à la fois le respect de la matière de base, l'ADN de l'AOC, et le souci de progresser, sans exclure la fantaisie d'une tangente, comme avec cette nouvelle cuvée quasi confidentielle.

    Cette recherche constante fait aujourd’hui du madiran de Peyros une empreinte digitale, un mot de passe, un sésame pour tout amateur d’authenticité préservée et néanmoins revisitée avec tact et talent, donc.

    Chez les Lesgourgues, on aime passionnément les arts et on est aussi artiste, comme Emmanuel, l’un des enfants de Jean-Jacques et Anne-Marie. Ce dernier souhaitait retrouver les flaveurs de son enfance béarnaise, précisément celle de ses randonnées en vallée d’Ossau, vers le col de Marie-Blanque, (du nom béarnais donné au Percnoptère d'Égypte, ce petit vautour blanc à tête jaune et au bout des ailes noir que l'on observe dans le ciel pyrénéen aux côtés des vautours fauves), et puis l’atmosphère précieuse de la pause casse-croûte avé la saucisse sèche de chez Abadie et fille, l’ardi gasna, soit le fromage de brebis de Joseph Casette, et un madiran de fortune.

    Corinne Lanyou, est responsable d’exploitation depuis 2009 de Peyros (certifié Terra Vitis en 2018). Elle connaît le domaine cep par cep sur le bout des doigts et des narines. Avec Emmanuel, elle a travaillé à la re-définition d’une saveur enfouie dans la mémoire la plus précieuse, celle des sensations fondamentales de la jeunesse. En dégustant toute l’appellation, ou peu s’en faut. En cheminant, caminando, afin de sculpter pas à pas le profil recherché. Une sélection parcellaire, largement ensoleillée, de Tannat exclusivement, s’imposa comme une évidence. La suite appartient au savoir techno-sensible d’une vinification aussi précise que l’emploi du temps d’un horloger genevois, à des extractions et à des remontages d’une grande finesse, à des cuvaisons longues comme un jour sans vin (c’est interminable), à une filtration en dentelle, tout cela pour produire 6 000 bouteilles à peine de l’édition 1 de Marie-Blanque (millésime 2016), ou le rêve d’Emmanuel devenu réalité.

    L’artiste signera un dessin original à chaque « édition », terme emprunté à l’univers du livre, qui libère la parole oenophile, réunit deux mondes, plante une passerelle nécessaire. Marie Blanque n°1, qu’on se rassure, est un vin d'accès simple comme une boutanche sérieuse de copains de bon goût. Décalé en regard de la gamme Peyros à laquelle l'amateur est habitué, car c’est concentré, mais friand comme d’habitude, quoique davantage « oxymorique » : doté d’une simplicité complexe, d'une force tendre et comme contenue, d'une puissance douce, d'une désarmante longueur, d'une énergie persistante. Sa sapidité, sa « buvabilité » (terme bobo usité à Paris XI), en font un vin complice, un vin au fruité soutenu, que j'imagine assez bien pour escorter une côte de boeuf.

    Et, vous savez quoi ? Marie Blanque a été élu Vin Ambassadeur de l’appellation Madiran pour 2020 (à l’issue d’une dégustation à l’aveugle par les œnologues de l’appellation, les vignerons et un panel de consommateurs). Sa robe est profonde et sans concession chromatique. Pour mémoire, le nez, gourmand, évoque aussitôt les baies rouges et noires du sous-bois de l’automne qui s’annonce tout seul, comme un grand. La bouche est ample, gourmande, concentrée, à la fois griottée et profonde, dotée de notes de mûres cueillies tout à l’heure, avec une touche épicée. Et d'un retour en grâce des bonheurs simples : c'est gorgé, juteux, généreux en diable. Enfin, la longueur serait celle d’une soie capable de choper une truite fario tout là-haut, du côté du col de Marie-Blanque. Là où Emmanuel sait. L.M.

    12,50€ le flacon, c'est cadeau !

  • Un grand Crémant de Bourgogne

    Capture d’écran 2019-10-06 à 21.44.01.pngEt soudain, le charme jaillit. La bouteille est lourde, avec un gros cul qui en impose, une étiquette sombre et discrète, et un verre opaque suggérant la discrétion. Un côté vitres fumées, ou lunettes noires, mais avec le bon usage de celles-ci. À l'oeil, une fois versé lentement, la robe du breuvage effervescent est pâle et luisante, la bulle extrêmement fine, le cordon danse avec joie, le mot homogénéité saute à l'esprit. Le nez est friand, brioché, pâtissier, avec des notes de pêche blanche, de mirabelle mûre comme en août dernier, et de tilleul lorsque, sous l'arbre, le vent nous porte ses parfums. La bouche est vigoureuse mais sans tapage, à peine acidulée, d'une grande fraîcheur, ample, gourmande. Des notes d'ananas frais, de coing à point pour une compote, de citron jaune mais à peine zesté, avec cette pointe de fruit sec saisi à la poêle sèche en la tournant sans cesse - noisette ou amande? Ce chardonnay d'une grande pureté est épatant. Il s'agit d'un Crémant de Bourgogne nommé Sainchargny. Mais pas n'importe lequel : Cuvée Immémorial Brut 36 mois sur lattes. Un Brut Grand Éminent (dosage 7g/l) souligne la marque. Et c'est splendide, complexe, séduisant, confondant, car cela rappelle certains champagnes de grande extraction, et puis cela vaut 20€, et nous fait oublier un moment Reims, Épernay, Aÿ et tout le toutim. La marque a pour signature racoleuse et un brin ridicule : Libre, fier et insoumis. Oublions cette faiblesse. Sainchargny, ce sont trois coopératives unies : Saint-Gengoux-de-Scissé, Chardonnay et Lugny. D'où le nom Sain-Char-Gny, qui produisent ce Crémant en AOC depuis 1975 fier de son label VDD (Vignerons en développement durable). 180 ha de vignes dans le Macônnais, aux confins du Massif Central, 100 vignerons à cheval sur 25 communes, des terroirs distincts, mais la griffe d'une unité, à laquelle Marc Sangoy, vigneron et président de Sainchargny, comme Grégoire Pissot, chef de caves, veillent au jour le jour. Un seul mot d'ordre, ce soir : ne vous privez pas de ce Crémant exceptionnel. L.M.

    D'autres cuvées aux noms attirants sont proposées par Sainchargny : Extatic (Brut), Catharsis (Brut rosé), Emerite (Brut millésimé). 

  • Un film sur le 5 juillet 62

    Capital, ce documentaire de G.-M. Benamou, pour tous ceux qui sont touchés par cette part de l'Histoire

    (je me trouvais à Oran, ce jour-là, j'avais trois ans et demi) => 5 Juillet 62 à Oran

    Faites passer.

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    Entendre l'effroyable Thierry Godechot, bras droit de l'ignoble Général Katz, lire ce qu'il consigna dans son Journal ce jour-là a manqué me faire vomir (et m'a rappelé les propos semblables qu'osèrent me tenir deux petits cons que j'avais en cours, à l'école de journalisme où j'enseigne la presse écrite et la culture générale, entre autres disciplines, au lendemain du massacre perpétré dans les locaux de Charlie Hebdo) : "Les pieds-noirs, pour avoir caché sciemment les hommes de l'OAS, n'ont eu que ce qu'ils méritaient.

  • Mon cher voleur,

    Tu m’as dérobé un peu de ma vie, ce jeudi 5 septembre aux alentours de 21h00 sur le quai 21 de la gare de Paris-Montparnasse, mais au-dessus de ma place assise, dans le train, à l’heure où démarra ce TER (sans aucun personnel de la SNCF à bord, d'ailleurs, excepté l'inatteignable conducteur...), qui devait me conduire, comme nu, à Nogent-le-Rotrou. Tu as pris mon beau sac à dos en cuir marron qui contenait deux ordinateurs Apple (Macintosh) : un MacBook Pro 12’ bourré de mes livres et des mes articles, de mes cours et de tant d’autres documents infiniment précieux, et un MacBook Air 13'. Je passe sur les passeport, permis de conduire, carte d'identité, chéquier, cartes de crédit, de presse, de santé, de transport, de tout et rien – ah si, la carte Bricomarché, je l’aimais bien celle-là, et autres stylos à plume de marque. Il y avait également un grand agenda professionnel bleu de la plus haute importance, une liasse de dossiers médicaux (IRM), ainsi que trois clés USB me servant (et je confesse ma négligence) de sauvegarde depuis plusieurs mois. Les faire voyager en même temps que l’ordinateur était risqué, voire inconscient. Mais c’est tellement barbant de sauvegarder sur son disque dur externe, hein ! Aussi, voilà : ce Mac 12', et deux de ces clés, la noire avec bandelette et la marron métallique, contiennent – entre autres – un roman que j’avais presque achevé et un autre livre de fragments sur lequel je travaille plusieurs heures par jour depuis quatre mois, et qui est bientôt fini lui aussi. Je n’en ai plus aucune trace et ma douleur est profonde. Inutile de faire un dessin. Aussi, sache que je souhaiterais juste récupérer ces petites clés USB (je me fiche des trousseaux de clés de maison, de voiture… et des autres objets, lunettes, vêtements), et vider mon ordinateur de son contenu, dont tu te fiches bien ! Je m’engage par conséquent, si tu consens à me le laisser le temps de traire le petit Mac, à te le rendre. Il n’a pas deux ans, c’est un magnifique MacBook Retina 12’ gris anthracite, chic comme l'Aston Martin de James Bond, et qui a la puissance d’une bombe. De toute manière, il va bien falloir que j’en achète un autre fissa-pronto. Voici mon « deal » : nous convenons d’un lieu de remise, nous ne nous voyons même pas, sois tranquille, puis je procède à la vidange, et t’offre en retour mon outil de travail. Je n’ai qu’une parole. Cela me paraît assez sympa. Alors, sois gentleman. Tu possèdes toutes mes coordonnées et bien plus encore pour entrer en contact avec moi. J’y compte. Comme on tient à ses tripes.

    Léon Mazzella

    N.B. à mes lecteurs : Merci de faire passer ce message.

  • Vo solcando un mar crudele...

    Je peux écouter cet extrait dix fois de suite, à la dixième écoute, j'ai autant de frissons qu'à la première... => Artaserse/Vinci/Fagioli

    Capture d’écran 2019-08-25 à 13.41.48.pngArtaserse, ultime opéra baroque de Leonardo Vinci (1690-1730, rien à voir avec le peintre), fut donné en 1730 à Rome pour la première fois. Le rôle d'Arbace (contre-ténor) est interprété l'année suivante à Milan par Carlo Broschi, le fameux castrat Farinelli. Cette vidéo (Nancy, 11 octobre 2012) montre le contre-ténor argentin Franco Fagioli dans le rôle d'Arbace, ami d'Artaserse (prince, futur roi de Perse, interprété par Philippe Jaroussky), amant de sa soeur Mandane, et accusé à tort du meurtre de Xerxès, le père d'Artaserse. Le Concerto Köln, dirigé par un génial Diego Fasolis, est dans la fosse. Nous ne sommes guère éloignés de Haendel (Xerxès/Serse, et l'indépassable Largo intitulé Ombra mai fu...). La mise en scène est subtilement contemporaine (tant de femmes des coulisses pour un opéra interprété par des hommes exclusivement : quatre contre-ténors sur scène, notamment, puisque les femmes étaient interdites de scène à l'époque de la création de cet opéra, en vertu d'une ordonnance papale qui sera démentie en 1798. Aussi, les personnages féminins comme Semira et Mandane sont-ils interprétés par des hommes) . L'extrait, Vo solcando un mar crudele, clôt avec splendeur le premier acte, dont voici l'argument : "Le Préfet Artaban vient d’assassiner le roi de Perse Xerxès Ier ; il projette de tuer également son fils et successeur Artaserse, afin d’installer sur le trône son propre fils, Arbace. Celui-ci avait été banni par Xerxès à cause de son amour pour Mandane, sœur d’Artaserse. Mais Arbace, ami d’enfance d’Artaserse, refuse de se joindre au complot. Artaban persuade Artaserse d’ordonner la mort de son frère Darius, au motif qu’il serait coupable de la mort de leur père. Mais l’erreur est bientôt révélée, et Arbace est accusé d’être l’assassin. Ne pouvant se défendre sans dénoncer son père, il se tait et est condamné à mort." Mais la fin sera heureuse, malgré une tension à son comble au troisième acte... Soulignez le jeu d'acteur de Fagioli, sa performance totale, eu égard aux changements de ton de sa voix, de l'aigu au grave. Bonheur. L.M.

  • Le goût des cochons

    Capture d’écran 2019-08-19 à 16.41.16.pngBlandine Vié est une sacrée auteure gourmande, passionnée de cochon au point de lui consacrer un ouvrage il y a peu et des articles à la ribambelle sur le site Greta Garbure qu’elle co-anime avec son complice Patrick de Mari. D’ailleurs, l’un de ses « posts » mis en ligne a été retenu dans une mini-anthologie de la fameuse collection « le goût de » au Mercure de France. Dans « Le goût des cochons » (8,20€) figure, aux côtés de classiques comme Renard (avec un extrait célèbre des « Histoires Naturelles »), Claudel (et un délicieux poème en prose décrivant la bête), Maupassant (avec un texte de jeunesse), Huysmans (un extrait de « En route »), Hugo (et un émouvant poème, « Le porc et le sultan »), Verlaine (avec un détonnant pastiche des « Amants » de Baudelaire, intitulé « La Mort des cochons », pornographique à souhait, tiré de « L’Album zutique » qu’il coécrivit avec Léon Valade) et, plus près de nous, Jérôme Ferrari (et un extrait brut de son « Sermon sur la chute de Rome », décrivant un paysan Corse occupé à châtrer les verrats), ou Philippe Sollers (en amoureux délicat de la chair du cochon, dont il fait l’éloge)... Figure donc un texte délicieux de Blandine Vié au sujet de l’étymologie des mots du cochon, de la truie et de ses attributs, intitulé « Une vulve de truie peut en cacher une autre ! » À l’arrière-train où vont les choses, et sans évoquer la peste porcine africaine qui fait des ravages en Chine, donc le bonheur des éleveurs bretons, et qui est provisoirement circonscrite dans les Ardennes belges, mieux vaut en rire en s’instruisant - grâce à ce texte bref et dense, érudit et drôle à la fois. Blandine y enchaîne comme dans un rébus le sens caché des mots, dont les évocations rebondissent et jouent à ... saute-cochon. Remarque : ceCapture d’écran 2019-08-19 à 16.42.10.png florilège fait la part belle au côté immonde du cochon davantage qu’à ses qualités. C’est toujours comme ça ! La relation de l’homme avec cette « bête singulière » (titre d’un ouvrage capital, de référence, sur le sujet et dont un extrait aurait pu figurer dans ce petit bouquin : « La Bête singulière. Les juifs, les chrétiens et le cochon », de Claudine Fabre-Vassas (Gallimard, Bibliothèque des Sciences humaines), est ambiguë depuis les origines. Nous lui ressemblons tant ! Je laisse le dernier mot à Churchill : « Donnez-moi un cochon ! Il vous regarde dans les yeux et vous considère comme son égal. » L.M.

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    Capture d’écran 2019-08-19 à 16.41.42.pngRappel : N’oubliez pas le superbe album, richement illustré, de Éric Ospital (le charcutier star d'Hasparren) et ses amis, intitulé « Copains comme cochons » (Tana, 24,95€), car il offre, outre 75 recettes du groin à la queue, signées de chefs très gourmands, un énorme hommage à la convivialité et à l’art de vivre... dans l’esprit du Sud-Ouest, ainsi qu'une ode à l'amitié qui fait plaisir à lire et à voir. Nous croisons, au fil des pages, pêle-mêle, Joël Dupuch, Julien Duboué, Sébastien Lapaque, Jean-Luc Poujauran, Yves Camdeborde, et aussi Sébastien Gravé, Vivien Durand, Christian Constant, Stéphane Carrade, Antoine Arena, Stéphane Jégo, tant d'autres. Ils sont tous là! Afaria!..

  • Ardèche Sud toute !

    Cela se passait le 19 juin dernier et il faisait une chaleur inhumaine dans ce restaurant nommé Elmer, planté dans le Marais à Paris, rue Notre-Dame de Nazareth pour être précis. Pour preuve, je sifflai une bouteille d’eau glacée avec des bulles qui piquaient fort mais tant pis et en quelques libations, à peine arrivé, non sans avoir salué ma charmante hôtesse Anne-Sophie, visiblement zen et comme thermo-régulée de la tête aux pieds.

    Mes confrères transpiraient et ça ne semblait pas les gêner d’avoir la chemise collée aux poils visibles sur leur peau, à travers un tissu comme passé sous la douche. Moi si. Cette vue me gênait, et j’enrageais qu’un choc thermique puisse faire apparaître un pareil spectacle sur moi, sitôt débarqué, jeté au hammam comme un homard dans le bouillon. Pour un peu, je repartais, ce que j’ai déjà fait maintes fois pour moins que cela. Or, je restai, car le sujet était friand, sinon affriolant : déguster des vins d’Ardèche dans les trois couleurs, et nous aimons beaucoup, vraiment, les vins de cette région-là. La thématique était d’ailleurs plus choisie : « Les Exceptions du Sud Ardèche ». Vingt-cinq vins à (re)découvrir.

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    Mes pensées, assorties d’un regard et de quelques mots amicaux, allèrent immédiatement à la petite brigade qui souffrait à plus de 50° Celsius afin d’achever avec peine et plaisir de préparer ce qui devait nous régaler (ah, ces filets de canette avec des petits pois à la crème de sarriette et leur surprenant jus à la cerise, qui suivirent un inoubliable vinaigre de bonite juste déposé comme ça, goutte à goutte, sur un tartare de bœuf au couteau de belle extraction). Anne-Sophie et Manon avaient les yeux qui virevoltaient, elles contrôlaient tout, y compris la température de la salle. Elles veillaient aux groins...

    Je faillis défaillir, ne pouvant me résoudre à « attaquer » quelque flacon avec mon verre à pied, eu égard aussi au rang de soldats – j’ai nommé les bouteilles, nombreuses, alignées, pleurant leurs larmes car le journaliste en dégustation est un goujat qui ne respecte rien, plus rien, à commencer par ses congénères qu’il bouscule, toise, salue de loin ou ne salue pas (tiens, je repense à l’opuscule nécessaire de Stéphane Méjanès : lire plus bas la lecture que j’en fis tout récemment), car que ça coule ne les gène guère, tu penses, ils se font rincer, alors le liquide, c’est naturel qu’il dégouline, lors qu’ils ne découlent, eux, d’aucune source buvable... J’ai reconnu dans le tas de chairs amassées un pique-assiette notoire, qui est de tous les râteliers du midi et du soir, et qui déguste aussi bien que je récite la messe en Latin...

    Capture d’écran 2019-08-15 à 08.06.15.pngEt que c’est donc à hue et à dia, à la va comme je te pousse carrément qu'il faut alors tendre un bras que l’on voudrait télescopique afin d’attraper une première bouteille de hasard, le rosé 2018 friand en diable du Domaine du Père Léon (cela ne s’invente pas, et je ne fis pas exprès, croyez-moi). Grenache, syrah, cinsault d’une rondeur, d’un fruité charmant, flatteur mais convaincant car conquérant, et ça vaut la bagatelle de 6€ - prenez la clé de la malle du 4x4, Nathalie, et garnissez  avec vos caisses, car l’été sera long et les amis nombreux, à la campagne !.. Bon, je commence ?.. Je sais, Laurent, que tu ne m’en voudras pas pour ce « compte-rendu » atipico.

    So, : le viognier (blanc, 2017) succulent de la Gamme Réserve du Domaine duCapture d’écran 2019-08-15 à 08.09.26.png Colombier, qui naît sur des coteaux argilo-silicieux et volontiers caillouteux, et qui jouit le veinard d’une fermentation lente sur lies en fûts de chêne avec batonnage durant trois à quatre mois (on croirait lire du Ponge mâtiné d’un compte-rendu de stage chez Sade), est renversant de pureté. Rien à dire de plus. Le mot pureté ¡ Basta ya ! Un autre viognier (quel cépage magnifique, en Ardèche, oublions un instant Condrieu ! Nous repensons à celui, adoré, de notre pote Christophe Reynouard, du Domaine du Grangeon – notre querencia ardéchoise, car le bonhomme te fait aussi un chatus et une syrah à tomber raide par terre).

    Capture d’écran 2019-08-15 à 08.11.14.pngViognier, disais-je : Terroir « Grès du Trias » des méritoires et salutaires Vignerons Ardéchois, « cave coop » d’exception, est à féliciter pour sa belle présence en bouche, un rien grasse, sa générosité, son élégance, sa belle tenue d’apéro, pas de soirée (2018, 8,10€).

    La Cuvée 1799 du Château des Lebres (rouge, 2017), souligne la bienvenue de 20% de cabernet-franc qui offre vigueur et fraîcheur comme nous tendons, genou fléchi et tête baissée, un bouquet d’hortensias parce que nous accusons un retard d’une minute, voire davantage, à une promise de passage...

    Arrêt sur écran : un couple de faucons crécerelle nichant dans la grangeCapture d’écran 2019-08-15 à 08.14.20.png en face vient de se poser sur le faîte du splendide toit de tuiles qui, lorsque je pose mon regard sur lui, m'évoque aussitôt « Tous les matins du monde », de Pascal Quignard, et le film sublime qu'il engendra : le son du clavier pourrait les déranger. Oui, j'écris dehors. Magie concomitante : un chevreuil que je reconnais, passe. Ce chevreuil, je l'aime, c'est désormais un compagnon de l'aube surtout, un complice qui m'évite...

    Or, Les Lebres! Le reste est composé de syrah à 50% et de merlot à 30%. Cela vous coûtera 11,5€ mon bon, et c’est cadeau, pour la puissance que ce feu vous envoie d’emblée, mais avec tact et galanterie. Car la garrigue sait y faire, avec ses subtilités chaleureuses, au nez comme en arrière-bouche.

    Capture d’écran 2019-08-15 à 08.16.24.pngDésolé Orélie (Vignerons ardéchois), ce coup-ci tu m’as déçu, toi qui tant de fois m’enchanta. Je suis en conséquence au regret d’écrire que tu m’apparus fade, buvardée, en rouge 2018, surCapture d’écran 2019-08-15 à 08.25.25.png ce tartare privé de désert à cause de toi...

    Le 2017 du Domaine Coulange (Côtes du Rhône Village Saint Andeol) fut plus accort, et accordé comme un luth théorbe sur une cantate de Bach, friand immédiatement. Ses 60% de grenache (et 40% de syrah pour suivre) y sont pour beaucoup je pense, moi qui ne pense jamais lorsque je déguste. À 10€, je passe commande illico.

    Capture d’écran 2019-08-15 à 08.27.57.pngIdem pour le Château de Rochecolombe (Côtes du Rhône Village Saint Andeol), nez intense, épicé à souhait, avec des notes de fruits noirs à s’en balancer sur le cou et la nuque, une bouche ample. Un vin enchanteur (genache et syrah, 10,60€).

    Le Domaine du Chapitre, (Côtes du Rhône Village Saint Andeol) piloté par un ténor qui se produit à l’opéra, FrédéricCapture d’écran 2019-08-15 à 08.30.43.png Dorthe (mon vis-à-vis, à table. En face, j’avais un soliste quelque peu aviné qui louchait et vacillait tout en balbutiant des propos incongrus – bref, le mec était bourré, car il effectuait son trip à Paris en forme d’échappée belle, façon Salon de l’agriculture, le Crazy Horse en moins (quoique). Ce Chapitre, donc, vante la grenache (60%) avec maestria et dominio  comme on dit dans l’arène. C’est riche de fruits rouges et noirs mûrs à souhait, c’est large, ample, grand, il y a là matière à discussion avec le sanglier que je tuerai à la fin de l’été. 12€ le flacon.

    Capture d’écran 2019-08-15 à 08.32.31.pngJe ne suis pas dessert, mais je me dois d'être complet. Aussi, dirai-je le bien que je pense de la Cuvée des Patriarches du domaine Les Hauts de Vigier, 100% syrah (bravo la cuisine pour les abricots rôtis, faisselle, oseille et citron vert !), aux notes de fruits secs, de pain grillé, car selon moi, ce flacon aurait sa place pour escorter une viande rouge maturée, une côte épaisse, un onglet long et large. À 6,55€, prenez-en d’avance pour inonder la grosse cocotte Staub des premièresCapture d’écran 2019-08-15 à 08.33.24.png daubes de l’automne. C’est un ordre.

    Finissons-en avec Ninon, car il faut finir avec elle, vous ne pensez pas ? Ce muscat à petit grain 100%, passerillé, son nez d’acacia, de pêche blanche, ses notes d’abricot mûr en bouche, ce vin « parcellaire », donc suivant une mode certaine, « je fais du parcellaire... » entend-on souvent (mais un bon point pour une cave-coop : le Caveau des Vignerons Alba-la-Romaine, 13,40€ le col), nous a charmé, même si, dessus ou avec, nous eussions préféré un roquefort des familles. L.M.

  • Connaissez-vous Albert Caraco?

    Capture d’écran 2019-08-13 à 13.54.31.pngTrop méconnu, cet homme (1919-1971), ce philosophe à la pensée noire et sans ambages, ce pessimiste glacial qui considérait que « les ombres de la mort sont les épices de l'amour », ayant eu le dégoût absolu de la vie, des religions, du sexe, de lui-même (pas gai, vous dis-je, le mec), et à côté duquel Kraus et Lichtenberg sont des amuseurs, Schopenhauer un professionnel donc trop loin du sujet, Cioran un styliste, Guardini un faiseur, Judrin un cousin éloigné, et Stifter et Pavese des frères ès suicide métaphysique (en plus d'être oedipien, avec Madame Mère, chez Caraco). Je ne vous dis rien sur sa vie, tout ça. Fouillez. Juste quelques phrases qui vous donneront le ton, et l'envie - ou pas - d'entrer dans cette  oeuvre singulière entre toutes. L.M. :

    « Les êtres nobles aiment rarement la vie ; ils lui préfèrent les raisons de vivre et ceux qui se contentent de la vie sont souvent des ignobles. »

    « Je n’aime point la vie et le mépris qu’elle m’inspire s’étend aux créatures, je ne plains jamais ceux qui meurent et je conseille à ceux qui souffrent de mourir au lieu de chercher ma compassion, la mort est à mes yeux le remède omnibus et la solution de la plupart de nos problèmes. »

    « L’histoire est une passion et ses victimes sont légion, le monde que nous habitons est l’Enfer tempéré par le néant, où l’homme refusant de se connaître, préfère s’immoler, s’immoler comme les espèces animales trop nombreuses, s’immoler comme les essaims de sauterelles et comme les armées de rats, en s’imaginant qu’il est plus sublime de périr, de périr innombrable que de le repenser enfin, le monde qu’il habite. »

    « Nous deviendrons atroces, nous manquerons de sol et d’eau, peut-êtreCapture d’écran 2019-08-13 à 13.54.58.png manquerons-nous d’air et nous nous exterminerons pour subsister, nous finirons par nous manger les uns les autres et nos spirituels nous accompagneront dans cette barbarie, nous fûmes théophages et nous serons anthropophages, ce ne sera qu’un accomplissement de plus. Alors on verra, mais à découvert, ce que nos religions renfermaient de barbarie, ce sera l’incarnation de nos impératifs catégoriques et la présence devenue réelle de nos dogmes, la révélation de nos mystères effroyables et l’application de nos légendes plus inhumaines sept fois que nos lois pénales. »

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    N.B. : Nous devons beaucoup au regretté « Dimitri », Vladimir Dimitrijevic, fondateur des éditions l'Âge d'homme, ami d'Albert Caraco, et éditeur de la meilleure partie de l'oeuvre de ce dernier.

  • Dumas l'après-midi

    Capture d’écran 2019-08-11 à 18.09.45.pngLa formule est relativement simple pour qui souhaite agrémenter un dimanche après-midi d’août avec des lectures qui emportent plus sûrement qu’une bourrasque. Prenez quelques contes et nouvelles de Maupassant pour vous faire l’esprit comme on se fait la bouche ou les jambes : Amour, Les Bécasses, Les Tombales,Capture d’écran 2019-08-11 à 18.12.27.png Miss Harriet, cela suffit, puis emparez-vous du Sphynx rouge, la suite des Trois Mousquetaires, d’Alexandre Dumas (initialement connu sous le titre du Comte de Moret). L’histoire survient juste après le siège de La Rochelle, soit bien avant Vingt ans après. Il n’y a plus de Mousquetaires, mais un portrait vibrant du duc de Richelieu tient lieu ici de colonne vertébrale, et sur plus de sept cents pages. C’en est fait. Voici le retour tonitruant, au grand galop, de votre âme d’enfant ayant tant aimé lire tard sous les draps les romans d’aventure, de cape et d’épée, Jules Verne, Rudyard Kipling, Fennimore Cooper... Vous vous calez, bien allongé sur le canapé, les pieds sur l’accoudoir d’en face, un coussin supplémentaire sous la nuque. L’immense talent de Dumas est là, dès la troisième page, qui décrit un certain Étienne Latil, attablé dans une auberge à l’enseigne de La Barbe peinte, rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie dans le quartier du Marais, à Paris. Il vous prend par le col et n’entend pas vous lâcher de sitôt. Il fera sans doute nuit lorsque vous lèverez une première fois les yeux du livre pourtant lourd à vos bras tendus, ou posé en angle sur votre ventre : « Sa rapière, dont la poignée était à la portée de sa main, s’allongeait de sa hanche sur sa cuisse et glissait comme une couleuvre entre ses deux jambes croisées l’une sur l’autre. C’était un homme de trente-six à trente-huit ans, dont on pouvait d’autant mieux voir le visage, au dernier rayon de lumière qui filtrait par les étroits vitraux losangés de plomb donnant sur la rue, qu’il avait suspendu son feutre à l’espagnolette de la fenêtre. (...) Son nez droit et son menton en saillie indiquaient la volonté poussée jusqu’à l’entêtement, tandis que la courbe inférieure de sa mâchoire, accentuée à la manière de celle des animaux féroces, indiquait ce courage irréfléchi dont il ne faut pas savoir gré à celui qui le possède, puisqu’il n’est point chez lui le résultat du libre arbitre, mais le simple produit d’instincts carnassiers ; enfin, tout le visage, assez beau, offrait le caractère d’une franchise brutale, qui pouvait faire craindre, de la part du porteur de cette physionomie, des accès de colère et de violence, mais qui ne laissait pas même soupçonner des actes de duplicité, de ruse ou de trahison. » Élégance et désinvolture. Fougue et franchise. Force et panache. Le pouvoir de Dumas est inaltérable. Cela fonctionne, s'enchaîne comme la saison 3 de La Casa de Papel : que vous le vouliez ou non, vous êtes embarqués dans le torrent d'une calle Estafeta du ciné, de la littérature, du bonheur de se laisser aller au simple. Nous aimons régresser, ronronner en le lisant, entrer dans le récit, avoir derechef treize ou quatorze ans, chausser des bottes de buffle abaissées au-dessous du genou, porter une chemise bouffant à la ceinture, revêtir un justaucorps de drap aux manches longues et serré à la taille, et veiller à ce que son épée ne court le risque de se rouiller au fourreau. L.M.

  • Que c'est bon de reprendre Ramón!

    IMG_20190810_135004_resized_20190810_015102457.jpgGrâce soit à nouveau rendue à Valery Larbaud d’avoir découvert Ramón Gomez de la Serna en 1917 pour le lecteur français. Nous tenons Le Torero Caracho pour le meilleur roman ayant la corrida pour thème, La Femme d’ambre comme celui qui évoque Naples la vénéneuse avec le plus de subtilité, Seins pour le livre le plus sensuel, le plus drôle, le plus abouti – 300 pages - sur le sujet (nous espérons lire un jour Automoribundia, l'autobiographie de l'auteur encore non traduite), et enfin Greguerías (le terme : humour+métaphore, « l'une de mes cendres quotidiennes », « oeillet sur le mur », disait lui-même l'inventeur de ce trait poétique), comme le recueil de micro-fragments le plus agréable à lire, autant que le Journal de Jules Renard et les Carnets de Cioran, en plus humoristique. Je tape dedans au hasard afin que celle ou celui qui ne connaît pas encore le plaisir de lire Ramón ressente son ça : « Le poète se nourrit de croissants de lune. » « Les épis de blé chatouillent le vent. » « Il devrait exister des jumelles olfactives pour percevoir le parfum des jardins lointains. » « Le glaçon tinte dans le verre comme un grelot de cristal au cou du whisky. » « Le brouillard finit en haillons. » « L’âme quitte le corps comme s’il s’agissait d’une chemise intérieure dont le jour de lessive est venu. » « Le bon écrivain ne sait jamais s’il sait écrire. » « Lorsque le cygne plonge son cou dans l’eau, on dirait un bras de femme cherchant une bague au fond de la baignoire. » « Accroupies à l’ombre de l’arbre qui se trouve au milieu de la plaine, les idées du paysage tiennent salon. » « L’épouvantail a une allure d’espion fusillé. » « Les jours de vent, les joncs ont cours d’escrime. » « La migraine est cette femme pénible qu’on ne veut pas recevoir, mais qui se glisse chez vous en disant :Je sais que vous êtes là. » L.M.

  • L’effraie, c’est la patronne

    Capture d’écran 2019-08-08 à 00.25.31.pngElle niche dans l’une des granges et sort tard, la nuit. Mais je veille encore, tire sur un cigare ou pas, contemple les étoiles, écoute les froissements, les chuintements, les cris, le silence ; le temps. Alors, depuis le faîte, elle ouvre ses ailes vers minuit, et se lance, décrit une courbe, tombe bas, rase le sol, évite joliment le mirabellier, puis remonte très vite et me frôle la tête, ou peu s’en faut. Cela fait déjà deux fois. Deux soirs de suite. Signe. Par son vol d’intimidation caractéristique, cette chouette effraie me signifie que je suis moins chez moi qu’elle n’est chez elle. Qu’elle entend bien rester ici, en posant ses conditions. C’est elle la patronne. J’obtempère mais elle ne le sait pas. J’aime. L.M.

  • Oreste en rut, ou l'instinct racinien

    Capture d’écran 2019-08-03 à 09.18.23.png

    Le héros racinien est un chevreuil en rut. Prenez d’un côté Oreste. Vous observez un personnage en proie à un transport (amoureux) qui l’entraîne hors de lui-même, voire à un destin, si l’on veut faire plus tragique. C’est la même chose. Il est devenu le sujet des Dieux qui tirent les ficelles de sa vie comme ils l’entendent. Il sent, sait (?) souhaite sa passion fatale. Il se fiche de tuer, voire de mourir pour posséder cequ’il convoite. La passion est invincible, et elle nécessite du malheur, qui l’alimente, tout en fondant le rebondissement indispensable à toute mécanique tragique. Oreste ne peut rien sur soi, mais peut encore pour soi, comme se plait à le préciser l’immense connaisseur de l’œuvre de Racine que fut Raymond Picard, et dont je m’inspire ici. Il aime d’un amour « fou » Hermione (qui aime Pyrrhus, qui aime Andromaque, qui n’aime qu’Hector, son époux défunt). C’est la chaîne tragique. La faiblesse d’Oreste, sa faute, ou plutôt son aveuglement est de penser que la puissance de son amour aura raison du refus d’Hermione. Il ne s’interroge pas sur la force de l’amour. La testostérone semble pousser le cœur du coude pour figurer au premier rang. Sûr de son destin, il croit que celle qu’il aime et qui ne l’aime pas finira forcément par l’aimer. Ben voyons. On se croirait dans une émission de téléréalité, sauf que Racine en a fait une grande tragédie. Prenez à présent l’un des chevreuils en rut que j’observais à l’aide de mes jumelles hier soir, à la tombée du jour. Les mâles aboient – c’est comme ça que l’on dit, et il s’agit vraiment d’un aboiement. Ils défient, ne pensent pas un instant qu’une seule chevrette songerait à leur résister, une fois les concurrents écartés, combattus, éliminés. Trop sûrs d’eux... L’instinct les gouverne, à l’instar des Dieux. Cette force les meut mais ne les émeut pas. Certes, le sens inné du devoir de reproduction de l’espèce préexiste à toute parade nuptiale dans le monde animal. Cependant, s’agissant d’aveuglement, le héros racinien comme le chevreuil en rut au cœur de l’été sont mêmement emportés par une puissance qui semble leur échapper, et qui n’est guère belle à voir pour un esprit délicat épris de tendresse et de tact. Vanité...  C’est pourquoi les chevrettes, et les héros raciniens féminins – Hermione, Andromaque-, sortent ontologiquement vainqueurs d’un combat qu’elles n’ont pas à mener. Et leur silence est pur. J’aime.

  • « Réarbrons »!

    Capture d’écran 2019-08-01 à 11.17.54.pngC’est un livre magnifique composé essentiellement (de plus de 120) dessins de David Dellas, artiste de grand talent, conseiller technique au sein d’Arbre & Paysage 32, rugbyman, ainsi que de textes de Bruno Sirven, géographe, et d’une préface du botaniste Francis Hallé. « Arbres et arbustes en campagne » (Actes Sud, 30€, 2è éd. Juillet 2019), fait écho à l’exposition « Nous les Arbres », qui se tient à la Fondation Cartier pour l’art contemporain (Paris) jusqu’au 10 novembre. Ces dessins d’un réalisme puissant, méticuleux, délicat, d’arbres et arbustes champêtres : frêne, aulne, érable, buis, charme, bouleau, peuplier, chêne, marronnier, figuier, sureau, pommier, mûrier, haies... sont formidables de précision et de poésie. Ils nous permettent de renouer avec une tradition des sciences naturelles, en particulier la botanique, qui est de représenter le vivant, le végétal par le dessin ou la gravure. Ainsi, la pédagogie s’associe-t-elle à l’art. Les arbres sont représentés nus, ce qui permet le détail, et avec leurs racines. Les feuilles et les fruits font l’objet de planches distinctes. Ce sont des arbres familiers, que l’on a coutume de voir dans le paysage des campagnes, mais que nous négligeons d’observer, qui sont ici l’objet d’une véritable performance esthétique obéissant à un sens de l’observation hors du commun, allié à une grande sobriété. Les textes s’attardent avec justesse aux bienfaits de chaque « arbre hors forêt », inscrit dans un biotope qu’il épouse – comme l’aulne et la rivière, à la quantité de ressources qu’il produit, à ses rôles bienfaiteurs pour l’écologie, la biodiversité, les agrosystèmes, et pour l’homme – qu’il soit agriculteur ou promeneur. L’arbre purifie l’eau, retient les sols et les protège, accueille quantité d’êtres vivants (insectes, oiseaux, petits mammifères), stocke l’excès de carbone, oxygène l’air, produit de la biomasse, de l’énergie, des écomatériaux, protège du vent, rend les sols vivants, il paysage et aménage l’espace qu’il occupe, redistribue l’énergie solaire, réconcilie l’agriculture avec l’environnement, longtemps opposés, car le modèle agro-sylvo-pastoral souffre souvent d’un manque de complémentarité. L’arbre n’est-il pas tout à la fois paravent, parapluie, parasol, garde-boue, garde-manger, et bien plus encore ? Il doit cesser d’être perçu et utilisé comme « une astuce cosmétique pour camoufler des sites disgracieux », et d'être combattu, abattu par l'agriculture intensive. Plaidoyer pour le « réarbrement », militant d’une politique de l’arbre – non forestier - au sein du territoire, l’ouvrage n’est pas qu’artistique, élégant, sensible, bouleversant par son dénuement chromatique, sa texture, même s’il se contemple bien davantage qu’il ne se lit. Les textes qui l’ornent sont brefs mais denses, ligneux... Ils nous apprennent enfin un glossaire singulier où il est question de taille (émondage et étêtage), de têtards, de trognes, de ragosses, de cépée, de sessille, de drageon, de marcotte, de mycorhize, de nodosité, de phrygane, et autres suber et tire-sève. Un petit bijou, ce bouquin. L.M.

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    L'ouvrage de David Dellas n’est pas sans rappeler un autre, devenu un classique, de Jacques Prévert, « Arbres », enrichi de splendides gravures signées Georges Ribemont-Dessaignes (Gallimard).

  • La critique gastro croquée

    Capture d’écran 2019-07-30 à 18.37.13.pngVoici un petit livre à l’insolence tranquille, au ton nonchalant qui fait penser à la voix de François Simon – c’est, comment dire... slow. Voilà. Diablement efficace. Et remarquablement écrit, précis, scrupuleux, ironique souvent, caustique aussi, acide parfois, vrai et semblable toujours. Lorsqu’on peut être soi-même l’objet, voire la cible d’un tel opuscule (nous pratiquons le métier d’explorer et noter tables, chambres, bouteilles, assiettes depuis 1987, même si l’on est un peu rangé des fourchettes, mais pas encore des verres), on se cale bien pour lire ce mini traité d’observation d’un microcosme, d’une petite tribu où chacun lorgne l’autre, le méprise ou le jalouse, le toise ou le peinturlure d’un onguent faux-cul. Tailler une plume, titre sibyllin pour qui connait l’argot, sous-titré croquons la critique gastronomique, signé par l’un de nos pairs, Stéphane Méjanès, est publié aux délicieuses éditions de l’épure de la gourmande libre, de l’hédoniste dans les grandes largeurs Sabine Bucquet-Grenet.  90 pages sans vitriol, composées comme une galerie de portraits, à la manière des Caractères de La Bruyère. Je vous récite le sommaire : la diva, le stakhanoviste, le pique-assiette, l’incognito, l’influenceur, le glouton, le blasé, le tyran, l’antique, l’ingénu. Il ne manque personne à l’appel. Ces portraits fictifs, car sans aucun doute échafaudés à partir d’une galerie de personnages-types, façon puzzle agrégé, sont tellement réels. Et avant tout savoureux, drôles, pertinents davantage qu'impertinents, car subtils, et pointus – ils piquent là où il faut. Côté style, nous avons annoté en marge pas mal d’images justes, de traits, de formules qui font mouche. Un petit régal, à l’instar du goût d’un blanc sur une fine appellation. Mesdames... L.M.

  • Une histoire de hamburger-frites

    Capture d’écran 2019-07-29 à 18.16.08.pngIl n’y a pas de mauvais sujet. C’est ce que l’on répète au journaliste stagiaire faisant la fine bouche parce qu’on l’envoie couvrir un marronnier. C’est comme ça que le métier rentre, assène-t-on. A priori, mener une enquête très approfondie sur l’univers du fast-food, si l’on n’est pas un McDolescent attardé, en focalisant forcément celle-ci sur la gigantesque entreprise aux arches jaunes, peut sembler sinon suspect, au moins audacieux. Didier Pourquery, sans doute aficionado léger du petit pain rond et mou, régressif et transgressif, nocif parce qu’addictif, l’a menée car il souhaitait le faire depuis longtemps, lui qui dévora avec plaisir son premier hamburger-frites à l’âge de 17 ans, en 1971, et pas n’importe où : dans un Dairy Queen Brazier de Chicago. Ça marque. Et nous lisons, grâce à son talent narratif, un essai comme on lit une (belle) histoire avec des personnages, tout ça. Découpée en tranches, l’étude : historique, sociologique (les rites), géographique, économique bien sûr, et aussi sur le plan capital de la nutrition (ça nuit grave !), celui de la mode (comment ça mute ?), et enfin sous l’angle du mauvais esprit, confesse d’emblée l’auteur. Mais l’analyse est totalement sérieuse, d’une précision d’horloger genevois, gavée de références, c’est bien sourcé comme on dit, c’est drôle souvent, et l’on sent le journaliste scrupuleux glissant tantôt vers l’aveu culpabilisant (j’aime ça), tantôt vers l’affirmation dédouanante (c’est vraiment dégueu, tant le système précis mis en place pour « piéger » le consommateur, quelle que soit sa culture, que la charge en lipides et en glucides de tout hamburger-frites). Grâce à plusieurs brassées de chiffres, de statistiques, nous apprenons énormément de choses sur l’univers, la grosse machine dissimulée sous ce « simulacre de repas ». Pourquery se réfère immédiatement au chapitre des « Mythologies » de Roland Barthes (1961) consacré au bifteck-frites (*). L’emblématique plat français, en terre de gastronomie, qui résonnait « sang », a depuis longtemps été détrôné par le hamburger, lequel résonne « sans » : bientôt sans viande, sans bœuf, sans personnel humain... 1961 voit aussi l’apparition des restaurants de fast-food Wimpy, en écho à Popeye, dont le personnage goinfre nommé Gontran dans l’adaptation française, ami de Popeye, se nomme J. Wellington Wimpy. C’est le premier addict aux hamburgers. Jacques Borel, célèbre pour les restauroutes, ouvrit cette année-là le premier Wimpy français. En 1972, le premier McDonald’s de France ouvre à Créteil. Depuis, on en compte 1 300 au pays du foie gras et des grands crus classés, et la filiale française est la plus rentable au monde derrière le réseau US. Déroutante France. C’est le French paradox... Le bouquin de Didier Pourquery devient captivant au fil des pages, car outre l’histoire des KFC, Burger King, Freetime (souvenez-vous de Christophe Salengro disant : my teinturier is rich), et autres concurrents du géant McDo et ses 37 000 « restaurants », la préhistoire du hamburger (Hambourg), l’histoire du steack haché, l’idée de le placer entre deux tranches de pain, jusqu’à la Hamburger University, « le Princeton du fast-food » qui a déjà form(at)é 80 000 managers de McDo, dans les veines desquels on est en droit de se demander si ce n’est pas du ketchup qui circule, il y a le décodage sociologique et psychologique de l’acte de se rendre dans un fast-food et d’y consommer, auquel se livre l’auteur avec un savoir et un tact qui emporte le lecteur. Il est question d’« expérience » pour désigner ces actes, de la « production d’une histoire comestible plus que d’une nourriture concrète ». Chacun sait que c’est de la junk-food, soit de la malbouffe, mais nous savons que les horribles photos qui ornent les paquets de cigarettes n’empêchent pas davantage le fumeur de tirer sur sa clope (12 millions de décès dans le monde dus à la malbouffe, contre 7 millions au tabac en 2015. Quand même...). Cela m’évoque les épouvantails dans les champs sur lesquels se posent les oiseaux... L'efficacité des firmes de fast-food est vraiment redoutable. Pourquery s’attarde à juste titre sur des petites choses, comme ça, qui relèvent du rite : manger – forcément - avec ses mains, piquer une frite sur le plateau avant de s’asseoir, puis dans le plateau de l'autre, cette lenteur que nous craignons, et notre impatience qui monte comme du lait dans la casserole lorsque la commande n’arrive pas dans la seconde, les néo-burgers revisitant aujourd’hui le mythe et le simulacre en même temps, en tentant de « purifier » tout ça. L’archétype étant la petite chaîne tellement friendly Big Fernand. Le moment le plus tragique peut-être est cet article de Lorraine de Foucher paru dans Le Monde du 2 novembre 2018, intitulé « Le McDo a remplacé le café du village », cité par Didier Pourquery. Ce papier m'avait alerté. Le mot village y est un peu exagéré, car la chaîne ne s’installe pas encore dans de petits bleds désormais dépourvus d’école, d’épicerie fourre-tout, où un office mensuel est célébré à l’église, et où le dernier bar, en fermant définitivement sa porte, sonne le glas de la dernière possibilité de se retrouver, d’être encore socialisés, ensemble – au moins entre hommes, comme dans le baitemannageo, ou « maison des hommes » bâti au centre de chaque village Bororo, et décrit par Claude Lévi-Strauss dans « Tristes Tropiques » (Plon/Terre Humaine, page 248). Mais force est d’admettre que dans des bourgs et des villes de petite taille, lorsqu’un McDo ouvre, c’est un peu de vie qui revient... dans un cadre particulier. Reste que cette « Histoire de hamburger-frites » sous-titrée « comment un simulacre de repas a-t-il séduit le monde entier ? » se lit comme on boit un demi un jour de canicule, ou comme on dévore un Big Mac. L.M.

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    (*) « Une histoire de hamburger-frites », par Didier Pourquery, Robert Laffont, collection Nouvelles Mytholgies, 12€

     

    Si je puis me permettre l'encadré qui suit...

    Anecdote perso, pour finir (mais ici, je m'autorise à peu près tout) : je confesse, moi le critique gastro qui ai notamment dirigé la rédaction de GaultMillau, moi qui suis entré pour la dernière fois dans un fast-food (il faut dire que c’est le plus beau du monde. Je désigne le McDo de la plage de La Barre, à Anglet – il a les pieds dans le sable -, avec mes deux enfants il y a au moins une quinzaine d’années. Puis, rien depuis, sinon des ortolans et du champagne), prévoyant de lire ce livre à la faveur d’un bon trajet en train (le lieu idéal), j’ai poussé la porte d’un McDo comme on entre par effraction dans une banque la nuit, cagoulé et à la vitesse du chat (pourvu que personne ne m'ait vu!), et j’ai d’abord été confronté à des écrans tactiles géants (bonjour l’échange de bactéries avec nos index !), ayant remplacé un personnel humain à casquette en carton débitant un questionnaire derrière une caisse, je me souviens, et d’ailleurs ça stressait car il fallait commander fissa pronto, le dos à une file d'attente, que j’ai emporté non pas un, mais deux hamburgers : un big bacon et un autre dont j'ai oublié le nom, animé soudain d’une faim viscérale, physique oui (et irrationnelle) de hamburgers de chez McDonald’s, que je n’ai pas attendu une seconde (en plus ça refroidit volontairement vite), que j’en ai entamé un dans ma voiture avant de démarrer celle-ci, et que j’ai englouti les deux en un quart d’heure, une fois passée la cinquième vitesse sur une route de campagne (en m'en foutant un peu partout). Et bé... Je n’ai pas trouvé ça bon. Était-ce dû au savoir-faire relatif de cette franchise-là ? Je n’ai retrouvé aucune saveur, aucune sensation positive, rien. Puis, j’ai lu le bouquin de Pourquery entre les deux gares, et ce fut bien meilleur. Parvenu à destination, je racontai cette anecdote et commençai d’embêter mes amis en tentant de les intéresser au sujet de ma lecture toute chaude. Il me fut répondu : « Assieds-toi, la côte de bœuf maturée un mois est bleue comme tu l’aimes, c’est une Blonde d’Aquitaine, elle n’attend pas. Tu veux aussi son prénom ?.. »

     

  • Vins d'un repas d'été

     

    APÉRO

    ChateauDuMoulinAVentDomaine de la Tour du Bief 2018.jpgSplendide Moulin-à-Vent AOC, le Domaine de la Tour de Bief 2018, un 100% gamay d’une pureté inouïe, due peut-être à son élevage exclusif en cuves. C’est mûr, puissant sans être agressif, suave même. Il fut dégusté seul, pour lui-même. Signe d’une autosuffisance rare et permettant la concentration.

    ENTRÉES

    Afin d’honorer une terrine du Perche à la pomme etCapture d’écran 2019-07-27 à 13.40.50.pngCapture d’écran 2019-07-27 à 13.41.57.png une chiffonnade de jambon de Parme, L’Absolu 2018, en AOC Bordeaux rosé, issu de merlot et de cabernet-sauvignon, avec son nez discret de fraise, sa bouche d’un bel équilibre, sans acidité, le disputait - en qualité -, avec C’est la vie! 2018, AOC Bordeaux blanc, de la même famille Rochet. Cette cuvée quasi confidentielle (2 000 cols), est issue de sémillon à 100%. Son habillage moderne est rigolo (une 2CV sur papier craft, et un stop-gouttes détachable offert en guise de collerette, des plus élégants). Le vin s’affirme par un nez agréable de pêche blanche, de raisin croquant, et avec une bouche qui ne manque pas de vivacité. Le tartare de thon à l’huile d’olive vierge, à peine citronné, lui alla comme un gant.

    PLAT

    Capture d’écran 2019-07-27 à 13.17.39.pngÀ Sancerre, la Famille Bourgeois propose son fleuron, La Bourgeoise, dans le millésime 2016. Ce 100% pinot noir est d’une finesse et d’une douceur remarquables. Robe profonde, nez de fruits noirs, rouges et légèrement épicé, frais et ample en bouche, avec une note minérale qui rappelle le terroir de silex où naissent ses vignes, ainsi qu’une touche vanillée due à l’élevage en fûts d’environ une année. Idéal sur une belle entrecôte de bœuf saisie à la plancha.

    FROMAGES

    En Touraine Chenonceaux AOP, la famille BougrierBougrier Confidences Touraine Chenonceaux 2018.png propose, au sein de sa Grande Réserve, une production limitée, parcellaire, du Domaine Guenault, propriété historique sise à Saint-Georges-sur-Cher. Baptisée Confidences, cette cuvée 2018 est un 100% sauvignon blanc aux arômes délicats d’agrumes, de foin fraîchement coupé et des notes légères de cassis. Formidable sur les fromages des 48 chèvres, frais et moelleux, du Bois Buisson, de Véronique Quinet, à Courgeout (61), qui travaille seule et à qui nous tirons notre béret.

    DESSERT

    Afin d’escorter une tarte aux fruits rouges, un Anjou Villages Brissac 2017, la cuvéeCapture d’écran 2019-07-27 à 13.50.49.png  La Grande Chevalerie du château La Varière, issu à 100% de cabernet-sauvignon d’une belle maturité, et offrant ainsi une complexité aromatique que l’on peut attribuer aussi au passage d’un an « sous bois ». Un flacon sérieux signé Jacques Beaujeau, à la robe profonde, au nez de mûre et de cassis, légèrement vanillé, et une bouche intense avec des notes torréfiées et cacaotées. Puissant et souple à la fois. Un vrai vin de garde, à tester en saison avec du gibier à poil. L.M.

  • Rimbaud à cheval

    Capture d’écran 2019-07-23 à 18.22.29.pngNous avions beaucoup aimé Montaigne à cheval (Points/Seuil), du regretté Jean Lacouture, car le livre caracolait et nous montrait un Montaigne toujours en selle, avide d’en découdre avec la découverte du monde qui l’entourait, du Périgord à l’Italie. Voici Les Chevaux de Rimbaud, d’Alexandre Blaineau, un spécialiste de la littérature équestre (Actes Sud, en librairie le 4 septembre), bouquin captivant qui dévoile un Voyant méconnu, et qui n’aima rien comme chevaucher, lui aussi. Nous l’imaginions exclusivement marcheur, picoté par les blés, foulant l’herbe ardennaise menue... Il monta pourtant abondamment, dans la seconde partie de sa vie. À Chypre, et surtout dans l’Afrique orientale qu’il aima et qui l’aimât tant. Le désert Somali qu’il traverse durant vingt jours le cul sur une selle, Harar bien sûr, et durablement, où il fit commerce (et se laissa photographier une fois), l’immense plateau de Boubassa, les rives de la mer Rouge, Barr-Adjam, Aden, le Yémen entier le virent aller l’amble, trottant, galopant, (se) fuyant peut-être ; sans doute... Rimbaud l’Abyssin fut ainsi, et aussi, un homme aux chevaux de vent. Semelles dans les étriers. Par bonheur sans plomb dans la cervelle. Nous l’imaginons alors comme un second Lawrence d’Arabie, la tête enveloppée d’un chech blanc crème, les paupières poussiéreuses, la peau cuivrée, tannée, la gorge sèche comme un oued en août, le regard bleu peut-être. Qui peut me dire quelle fut la couleur des yeux d’Arthur, car j’ai égaré le 06 de Verlaine ? Le « marchand cavalier » qui désespère les mauvaises récoltes de café et menace cent fois d’acheter un cheval et de (re)foutre le camp, celui qui cherche un beau jour à faire l’acquisition de quatre baudets étalons, qui écrit à sa famille de taiseux (son frère Frédéric, alcoolo, l’était plus que les autres), le 25 février 1890, « Il faut se taire », est infiniment touchant dans sa vie orientale narrée ici avec talent et précision, comme à chaque page, vers, mot d’Une Saison en Enfer. En refermant ce livre érudit, captivant, nourri d’histoires et de recherches pointues sur un Rimbaud « exilé fictif », ayant dans le regard l’expression du « défi résigné », ses longues jambes, ses bras ballants (rien de commun avec Jack Kerouac, quoique d’aucuns soient tentés de...), ce livre citant avec plaisir Thomas Mayne Reid, le père du roman d’aventures façon western, méconnu hélas, ce livre qui nous rappelle ceux du rimbaldien absolu, shooté aux Illuminations Alain Borer (en particulier son Rimbaud en Abyssinie), il devient impossible de ne pas trouver en chaque cheval aperçu un rien, un brin rimbaldien, de ressentir autrement les mouvements de sa crinière comme ceux de son « épaule qui frissonne sans cause » dit Julien Gracq dans Liberté grande, et de voir en chaque cavalier croisé désormais un nomade, impatient comme un orage désiré, allant en avant, calme et... en zigzag vers la mer, ou n’importe quoi, voire l’éternité, té!.. L.M.

     

  • Dans le rétroviveur

    Capture d’écran 2019-07-21 à 15.36.29.pngAinsi désignais-je mon père. « Tu es un rétroviveur ! », lui répétais-je souvent afin de calmer sa nostalgérie et son c’était-mieux-avantisme chronique. Thomas Morales, fan de nobles carrosseries, appréciera le parallèle paternel.  Cet écrivain n’est pas de son époque et c’est ce qui fait le charme de chacune de ses chroniques, que Pierre-Guillaume de Roux (fils du grand Dominique) publie en bouquet à un rythme agréable (*). Les dernières de cet irréconciliable avec ce siècle vingt-et-unième et sa morosité, sa cruelle absence d’humour, sa police des mœurs omniprésente jusque dans nos chiottes, le quotidien rogue de ses congénères qui en exaspèrent ou en désespèrent plus d’un, ont pour titre « Un été chez Max Pécas ». Vous savez – non, vous ne voulez pas vous souvenir, Pécas c’est ce réalisateur de films gras et beaufs, si l’on veut forcer un trait définitif, ou bien kitsch si on la joue gentiment bobo déambulant dans un bled un dimanche de vide-grenier. « Le Pagnol du nanar sous cagnard », résume Morales. Ça sent la Miss camping, le Ricard généreux à l’apéro avec la carafe beige chiffrée et servant peu, le bob qui va avec, ça pue la fumée épaisse dégagée par des rangs de chipos et des merguez au garde-à-vous sur le barbecue qui n’est pas le Weber dernier cri, non, juste le vieux qu’on ressort et qu’on décape avec la brosse métallique, joie, appétit, charbon de bois et journal local froissé, dès la fin du Printemps. Les chroniques de Morales sont décontractées, dégrafées de la ceinture lorsque les crêpes au Nutella ont été trop nombreuses, mais il est des overdoses fondantes et plus délicieuses que d’autres, avouables celles-là. Avec ce bouquin, Jean-Pierre Marielle ressuscite. Ses textes nous rappellent Auriac, hameau paumé, perché loin au-dessus de Tulle, tranquille, où nous nous sommes si souvent rendus pour passer des jours, voire des semaines peinardes mais sacrément vives chez l’ami Tillinac, à l’époque des spleens corréziens et des bonheurs assouvis avant d’atteindre la borne Michelin désignant Souillac sous son chapeau rouge déteint. Soit l’été au vert, avec taons et guêpes, panne de pain et emmerdeurs qui se trompent de route. Mais rosé frais toujours (les pages consacrées aux amateurs de vin qui se la pètent sont tordantes et si vraies). Ces chroniques débraillées disent, chuchotent - non : écrivent. Car le garçon a une sacrée plume que Blondin et Haedens auraient sans aucun doute louée à bas taux. Ses images frappent, touchent, ont le ton. Et l’image juste. Un talent, dis-je... Écrivent, donc, combien le bonheur peut être simple et jamais vulgaire, si l’on a encore le courage de mater une fille en bikini, et en monokini tiens !, sans craindre la guillotine d’un hashtag. Et si elle se prend pour une starlette devant le Carlton tandis qu’elle remonte la plage de Palavas, c’est encore meilleur. Si l’on a encore l’audace de regretter Stone et Charden (mais pourquoi avoir jeté leurs 45 tours !), d’adorer Umberto Tozzi ou Eros Ramazzotti tant qu’on y est, et de vouer un culte au forçats de la route du Tour (de France), ainsi qu’à l’accordéon, au sourire fixe et aux performances d’Yvette Horner, à la prose érotique, limite salace d’André Hardellet, à la gourmandise grivoise des livres de René Fallet, aux promesses démesurées d’un slow-braguette un soir de bal au village d’à côté avec une Marilyn de chef-lieu de canton ayant eu le bon goût de ne rien donner à rafistoler de sa plastique originelle... Thomas Morales réconcilie avec la vie, la vraie, celle que des bataillons de tristes sires et à la grise mine veulent nous interdire, et parmi eux une jeunesse, oui, de précoces empêcheurs de rire en rond ou en losange, des mal dans leur peau dès l’adolescence qui s’acharnent (un vrai job) à vouloir nous faire culpabiliser d’avoir eu une enfance à la Sagan, à la Sautet, à la Huguenin. Contre l’esprit de sérieux qui nous les brise menu (il ne faudrait jamais quitter Montauban), lisez Morales. Moi, j’aimerais voir « Un été chez Max Pécas », et entendre déclamer ses « traits » claquants, désinvoltes, brillants, partout entre les mains et sur les lèvres de chacun, sur le sable, dans les rues de Bayonne et de Paimpol, sur les aires d’autoroute, brandi entre les rangs de maïs de Peyrehorade, repris en chœur dans tous les Café des Amis et les Bar de la Marine. Le mien, lu, me servira jusqu’à l’automne à attiser les braises du barbecue. Et, ça aussi, je sens que ça pourrait plaire à l'auteur de ces précieuses, longues cartes postales. Léon Mazzella

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    (*) Thomas Morales, Un été chez Max Pécas (PGDR, 15€)

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Vins de saison

    Capture d’écran 2019-07-18 à 15.14.50.pngCapture d’écran 2019-07-18 à 15.15.24.pngROSÉS

    Parmi les grands rosés de Provence, le château Romanin occupe une place de choix, un fief, une place-forte organoleptique. En AOP Les Baux-de-Provence, le Grand Vin Rosé 2018 (grenache, mourvèdre, syrah. 17,50€), sa robe saumonée éclatante, son nez franc de petits fruits rouges et noirs (groseille, fraise des bois, cassis) et d’ananas, sa bouche minérale avec une finale saline en font le fiancé idéal d’un soir au jardin avec les langoustines, puis l’agneau grillés. Vin puissant et résolument « gastronomique », il se distingue de Romanin, IGP Alpilles (grenache, mourvèdre, cabernet-sauvignon, et 15% de rare counoise. 12,60€). Robe davantage saumonée, nez plus fleuri avec des notes d’abricot et de pêche jaune. Sa bouche est d’une grande fraîcheur avec une finale minérale (signature maison). Ce flacon, plus 4x4, aime à se frotter au thon rouge cru, aux épices, à l’anchoïade, et même à l’aïoli. Des Romanin complémentaires.

    Du côté de Chinon, le château de La Grille, rosé 2018 (cabernet-franc. 11€), dont leCapture d’écran 2019-07-18 à 15.15.49.png
    vignoble est certifié HVE (Haute valeur environnementale), brille par sa délicatesse. Robe saumon clair, nez de fruits rouges, bouche « croquante », jolie finale. Parfait pour conduire un poisson blanc de rivière, voire une friture d’éperlans relevée/révélée au citron.

    BLANCS

    La Vigne du Cloître, remarquable Mâcon-Péronne « en Chassigny » de la Cave de Lugny (2017, entre 7,50€ et 10€. À retrouver en septembre à la Foire aux Vins de Monoprix. Désolé pour ma photo prise avec le smartphone...), est vinifié sans sulfites. D’où une pureté aromatique IMG_20190718_152238_resized_20190718_032303443.jpgincomparable, mais hélas éphémère : dépêchez-vous donc de le déboucher. Robe claire et brillante, nez de mirabelle et de pêche blanche. Bouche souple puis intense, tendue même en finale, comme souvent avec les chardonnays de cette zone d’élection originelle. Flacon formidable en compagnie d’une bourriche d’huîtres de chez l'ami Joël Dupuch, et de quelques tourteaux (sans mayo !).

    Chez Plaimont, dans le Gers, en AOC Saint-MontCapture d’écran 2019-07-18 à 15.16.18.png, une nouveauté attire le nez : L’Absolu des 3 terroirs (gros manseng, petit manseng, petit courbu. 12,90€) assemble le meilleur des grands terroirs de l’appellation : argiles calcaires, argiles bigarrées et sables fauves. Robe pâle. Nez d’acacia et d’agrumes, mais pas trop, fort heureusement. Bouche ample, longue, plaisante jusqu’au bout. Parfait avec un poisson noble des rivières locales comme la truite fario (prise à la mouche, si possible), ou bien le bar de ligne si l’on revient d’une virée « surf-casting » sur la côte basque... Notons que L’Absolu des 3 terroirs se décline en rouge (tannat, cabernet-sauvignon, pinenc. Même prix). Ce dernier est à déguster pour ses notes de fruits noirs tout en faisant la cuisine (le salaire de base du cuistot amateur), et à achever à l’apéro quand les premiers copains déboulent. Et comme ça, « blanc sur rouge, rien ne bouge ! »

    À Chablis (en appellation Chablis-Village), découverte auCapture d’écran 2019-07-18 à 15.51.01.png domaine Laroche, de la superbe cuvée Saint-Martin 2018 (certifié HVE niveau 3 : le must! env. 20€), et son beau flacon, d'une grande fraîcheur, d'une très belle minéralité (typique avec les beaunnois, ou chardonnays, de ce terroir), et d'une force contenue en finale des plus agréables. Robe pâle à reflets bleutés. Nez crayeux, puis subtil de fleurs blanches, de beurre frais, avec une note de pomme. Bouche légèrement boisée (cèdre, sous-bois), voire toastée en finale. Superbe à avec de l'iode à pleines mains : vite, un plateau de fruits de mer!

    IMG_20190718_152323_resized_20190718_032404502.jpgEn Béarn, chez Henri Ramonteu et son fameux domaine Cauhapé (évoqué ici même il y a quelques jours encore), un jurançon sec, Les Vignes de Manon (2018. 100% gros manseng. 10-11€), exprime son talent avec de délicates notes de fruits exotiques et d'agrumes (avec mesure, ces dernières). C'est très frais, expressif à souhait, et parfait à l'apéritif pour lui-même. Cependant, si d'épaisses soles-filets débarquent entre les bras d'un pote, et bé y'aura plus qu'à faire fondre le beurre dans la poêle ! L.M.

  • Roselyne Sibille

    J'ignore encore qui est cette voix, mais je m'empresse de partager le peu que je sais d'elle, car je l'ai découverte il y a une vingtaine de minutes. Cela me parle tant. Et à vous? J'apprends néanmoins (merci l'Internet) que cette poéte(sse) publie. Des choses denses. Sauvages. Illustrées d'encres. C'est âpre comme l'aube d'hiver lorsque le froid est merveilleusement coupant et les oiseaux furtifs. Ces textes ont la grâce. En tout cas j'y sens comme une foudroyante commune présence. LM

     

    Je pose ma main sur la lumière de l’aurore
    pour caresser le jour

    Les couleurs sont encore assoupies
    mais les arbres bavardent dans les souffles du vent

    Sur le chemin de terre-ciel
    un enfant danse et rit

     

    Silence entre les appels des oiseaux

    L’air.….….entre les branches.….….est suspendu au bleu

    Au bord du rien
    l’instant écoute

     

    Déplace les brumes

    ouvre le chant de l’eau

    Accepte le non des fleurs
    leur mélancolie de mandoline

    Rien ne demeure

    Et si ta porte tremble
    laisse passer le vent

     

    Je marche au milieu des secrets de novembre

    Il n’y a plus de fruits sauvages
    Les corbeaux croassent dans le ciel vide

    Que devient la lumière quand elle disparaît ?

     

    L’HIVER

    sur la page de l’aube
    les branches
    respectueusement
    délivrent
    les étranges secrets
    que conservait la nuit

    Capture d’écran 2019-07-12 à 13.40.29.png

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    Capture d’écran 2019-07-12 à 13.40.01.png

  • Reprendre Brauquier

    La Petite Vermillon (LTR) et ses nouvelles couvertures splendides, a la bonne idée de reprendre "Je connais des îles lointaines", de l'immense poète Louis Brauquier, chantre du port de Marseille comme La Ville de Mirmont le fut de celui de Bordeaux. J'espère que la préface de mon pote Olivier Frébourg (éditeur originel de cette somme poétique) figure dans cette nouvelle présentation - il n'y a pas de raison. Outre ces deux lascars, je reprendrai cet après-midi quelques pintxos de Toulet, Larbaud, Levet, de Richaud et Delteil, au hasard. Ajouter Cendrars et Morand sera justice : après-midi (et soirée, sans doute) tapas poétiques. Extrait =>

    Capture d’écran 2019-07-12 à 12.15.22.png

  • Jusqu'au point d'orgue

    Capture d’écran 2019-07-05 à 20.42.40.pngCe sont des flacons aux noms qui résonnent jusqu’au point d’orgue car ils sont longs en bouche, et évoquent une musique, ou la musique.

    Il y a Boléro (blanc liquoreux, 2017, 15,90€), jurançon du domaine Cauhapé, sérieuse maison dirigée sans baguette mais de main de maître par Henri Ramonteu. Frais, ample, il ne manque pas d’élégance car sa sucrosité n’est pas écrasante, au contraire. Parfait à l’heure de l’apéritif avec rien d’autre, puis à la fin du repas avec des fruits rafraîchis. Gloire au petit manseng lorsqu’il est ainsi travaillé, après avoir été ramassé à la main à la mi-octobre, puis à la mi-novembre.

    Il y a L’Accord Parfait (rouge, 2016, 10,50€) des Vignerons deCapture d’écran 2019-07-05 à 20.44.19.png Carcastel, en appellation Fitou (où les progrès techniques hissent les vins depuis quelques années). C’est gourmand, racé, présent en bouche (carignan, grenache) et d’une généreuse fraîcheur. À partager « à la tiède », escorté de charcuterie, pieds nus dans l’herbe.

    Il y a Harmonie, du domaine Jean Vullien & fils (blanc, 2018,Capture d’écran 2019-07-05 à 20.44.03.png 13€), envoûtant Chignin-bergeron (Savoie). 100% roussanne d'une teneur, d'une présence, et d'une complexité aromatique confondante. C'est généreux, la robe d'or à reflets cuivrés en impose, acacia, abricot mûr, léger réglissé au nez, amplitude et suavité en bouche. Persistant. Musical. Magnifique!

    Capture d’écran 2019-07-05 à 20.43.14.pngIl y a C’est pas du pipeau (blanc, 2018, 21€), superbe Collioure du domaine Coume del Mas (Banyuls), à l'étiquette chatoyante. Vermentino et roussanne s’y donnent à cœur joie, en bouche, et c’est fort agréable avec un poulet yassa.

    Inutile d’attendre la prochaine fête officielle de la musique. D’ailleurs, c’est la saison des festivals, la musique est partout chaque soir, y compris à la maison. Passe-moi le tire-bouchon, Pierrot... L.M.

  • Rosés varois

    Capture d’écran 2019-07-05 à 18.39.50.pngVous pensez encore que les rosés sont de faux vins ? Certains sont splendides, surtout en Provence du côté des Baux, des coteaux d’Aix, dans le grand maquis des Côtes-de-Provence en allant à La Londe, ou en se dirigeant vers Sainte-Victoire, du côté de Cassis, de Tavel, de Bandol bien sûr, de la presqu’île de Saint-Tropez, en appellation Palette, en Corse, mais aussi en Loire, dans le Sud-Ouest, sans oublier quelques clairets bordelais. Cela ne fait plus de doute car les progrès ont été considérables en quelques années et l'augmentation de la qualité est bien réelle.

    Là, je suis tombé en arrêt devant trois flacons (millésime 2018) mettant en valeur cinsault, grenache et syrah, sans robe tapageuse ou modeuse ni notes désagréables d’agrumes, produits à Hyères-les-Palmiers, dans le Var, par Domaine & Châteaux Fabre, les propriétés de la famille Fabre-Grimaldi  : le château de La Clapière et le château de l’Aumérade. Du premier, Cru Classé Côtes-de-Provence AOP, laCapture d’écran 2019-07-05 à 18.40.12.png cuvée Classique (10€), reconnaissable à la forme de sa bouteille, est somptueuse de délicatesse et de suavité, avec de jolis arômes de reine-claude. C’est un rosé aérien et gastronomique (de tout un repas).

    La cuvée La Violette (13€) porte bien son nom Capture d’écran 2019-07-05 à 18.30.10.pngcar il s'agit d'un rosé plus floral que fruité, enchanteur, d’une force soutenue face à une grillade saignante, et doté d'une séduisante minéralité en fin de bouche.

    Du second, l’Aumérade, Cru Classé également, la cuvée Marie-Christine (13€), outre son look féminin (inspiré d’une pâte de verre d’Émile Gallé et augmenté de cette fine silhouette : voir ci-contre), est un rosé aux notes charmantes de pêche blanche et de fruits exotiques, c’est souple et d’une belle profondeur. Trois flacons pour supporter agréablement la chaleur. L.M.

  • Revoir L'Avventura

    L'extrême sensibilité de Michelangelo Antonioni, peintre de la douleur des sentiments. La sauvage beauté de Lea Massari, l'incarnation de la féminité totale en Monica Vitti. Les îles siciliennes arides, l'entêtant bruit de la mer comme celui des trains chez Melville ou celui de la rue chez Godard - qui tiennent lieu de musique. La teneur de Gabriele Ferzetti acteur, l'amour, le dégoût, cet exact noir & blanc, l'épaisseur du silence, la longueur des regards, la langueur des plans rapprochés, l'attente, le lascif, le furtif, l'imprévisible, et Monica Vitti encore et encore. Revoir L'Avventura, en somme, comme on reprend un Morante ou un Pavese pour une relecture heureuse car familière. Puis, revoir La Nuit, l'Éclipse et Le Désert rouge. L.M.

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  • La couche de Montaigne

    La couche de Montaigne, dans sa tour en Périgord : lit à baldaquin en noyer tourné sur carreaux de terre cuite posés à joints vifs ; plafond à solives sur sommiers ; cheminée à jambages en pierre de taille.
    Envie d'essayer...

    Capture d’écran 2019-05-14 à 19.56.46.pngGabriela Manzoni, auteur de Comics retournés m'a soufflé ceci. Je l'en remercie : « Chez moi, je me détourne un peu plus souvent à ma librairie... Là je feuillette à cette heure un livre, à cette heure un autre, sans ordre et sans dessein, à pièces décousues. Tantôt je rêve, tantôt j'y enregistre et dicte, en me promenant, mes songes que voici. Elle est au 3e étage d'une tour. Le 1er, c'est ma chapelle.

    Le second, une chambre et sa suite, où je me couche souvent, pour être seul ; au-dessus, elle a une grande garde-robe ; c'était au temps passé le lieu le plus inutile de ma maison. Je passe là la plupart de mes jours de ma vie, et la plupart des heures du jour. A sa suite est un cabinet assez poli, capable à recevoir le feu pour l'hiver, très plaisamment percé. » Michel de Montaigne

  • Hugo, quand même, hein...

    À Ol.

    O poëte! je vais dans ton âme blessée
    Remuer jusqu’au fond ta profonde pensée.

    Tu ne l’avais pas vue encor, ce fut un soir,
    A l’heure où dans le ciel les astres se font voir,
    Qu’elle apparut soudain à tes yeux, fraîche et belle,
    Dans un lieu radieux qui rayonnait moins qu’elle.
    Ses cheveux pétillaient de mille diamants.
    Un orchestre tremblait à tous ses mouvements
    Tandis qu’elle enivrait la foule haletante,
    Blanche avec des yeux noirs, jeune, grande, éclatante.
    Tout en elle était feu qui brille, ardeur qui rit.
    La parole parfois tombait de son esprit
    Comme un épi doré du sac de la glaneuse,
    Ou sortait de sa bouche en vapeur lumineuse.
    Chacun se récriait, admirant tour à tour
    Son front plein de pensée éclose avant l’amour,
    Son sourire entr’ouvert comme une vive aurore,
    Et son ardente épaule, et, plus ardents encore,
    Comme les soupiraux d’un centre étincelant,
    Ses yeux où l’on voyait luire son cœur brûlant.
    Elle allait et passait comme un oiseau de flamme,
    Mettant sans le savoir le feu dans plus d’une âme,
    Et dans les yeux fixés sur tous ses pas charmants
    Jetant de toutes parts des éblouissements !

    Toi, tu la contemplais n’osant approcher d’elle,
    Car le baril de poudre a peur de l’étincelle.

    Capture d’écran 2019-05-10 à 08.31.13.pngVictor Hugo (Les Voix intérieures, 1837).

  • Barbey d'Aurevilly

    Capture d’écran 2019-05-07 à 22.13.06.pngIl y a toujours des Chevaliers errants dans le monde. Ils ne redressent plus les torts avec la lance, mais les ridicules avec la raillerie, et Mesnilgrand était de ces Chevaliers-là. Il avait le don du sarcasme. Mais ce n'était pas le seul don que le Dieu de la force lui eût fait. Quoique, dans son économie animale, le caractère fût sur le premier plan, comme chez presque tous les hommes d'action, l'esprit, resté en seconde ligne, n'en était pas moins, pour lui et contre les autres, une puissance. Nul doute que si le chevalier de Mesnilgrand avait été un homme heureux, ilCapture d’écran 2019-05-07 à 22.28.36.png n'eût été très spirituel; mais, malheureux, il avait des opinions de désespéré et, quand il était gai, chose rare, une gaité de désespéré; (...)

    À un dîner d'athées, pages 977-978 (coll. Bouquins/Laffont).

  • Le panache, selon Edmond Rostand

    Capture d’écran 2019-04-30 à 20.13.14.pngExtrait de son discours de réception à l'Académie française, prononcé le 4 juin 1903, et qui fit l'éloge du vicomte Henri de Bornier, dont il allait occuper le fauteuil.

    Ses personnages sont réellement grands, assez grands pour pouvoir se passer même de panache… Ah ! le panache ! Voilà un mot dont on a un peu abusé, et sur le sens duquel il faudrait bien qu’on s’entendit. Qu’est-ce que le panache ? Il ne suffit pas, pour en avoir, d’être un héros. Le panache n’est pas la grandeur, mais quelque chose qui s’ajoute à la grandeur, et qui bouge au-dessus d’elle. C’est quelque chose de voltigeant, d’excessif, – et d’un peu frisé. Si je ne craignais d’avoir l’air bien pressé de travailler au Dictionnaire, je proposerais cette définition : le panache, c’est l’esprit de la bravoure. Oui, c’est le courage dominant à ce point la situation qu’il en trouve le mot. Toutes les répliques du Cid ont du panache, beaucoup de traits du grand Corneille sont d’énormes mots d’esprit. Le vent d’Espagne nous apporta cette plume ; mais elle a pris dans l’air de France une légèreté de meilleur goût. Plaisanter en face du danger, c’est la suprême politesse, un délicat refus de se prendre au tragique ; le panache est alors la pudeur de l’héroïsme, comme un sourire par lequel on s’excuse d’être sublime. Certes, les héros sans panache sont plus désintéressés que les autres, car le panache, c’est souvent, dans un sacrifice qu’on fait, une consolation d’attitude qu’on se donne. Un peu frivole peut-être, un peu théâtral sans doute, le panache n’est qu’une grâce ; mais cette grâce est si difficile à conserver jusque devant la mort, cette grâce suppose tant de force (l’esprit qui voltige n’est-il pas la plus belle victoire sur la carcasse qui tremble ?) que, tout de même, c’est une grâce… que je nous souhaite. – M. de Bornier n’en manqua pas dans la vie ; mais, dans son œuvre, il semble avoir recherché de plus austères noblesses. Ce qui capricieusement palpite l’accommode moins que ce qui flotte avec majesté : il n’a pas le panache, il a la crinière.

  • J'exhume - À vos souhaits

    Mon vieil ami et complice Benoît Lasserre, grand reporter à Sud-Ouest, m'envoie ce papier retrouvé dans les archives de Sud-Ouest Dimanche, daté du 1er avril 1984, consacré à Dominique de Roux (purée! 35 ans, j'en avais 25 et encore 32 dents -certaines, dures -, et je donnais chaque semaine un ou deux papiers comme celui-ci à Pierre Veilletet). Il préfigure le long texte que je donnerai plus tard à L'Âge d'homme pour le gros livre collectif (un Dossier H dédié) intitulé sobrement Dominique de Roux. Content de retrouver celui-ci. Merci, Old Sport !

    Capture d’écran 2019-04-29 à 13.34.35.png

  • De l’Esprit français et des Saints

    Capture d’écran 2019-04-26 à 13.39.48.pngNous attendions beaucoup mais sans raison – sinon l’excitation suscitée par son titre – de ce Dictionnaire amoureux consacré à l’Esprit français (Plon/Grasset, 670 p., 25€). Metin Arditi y livre de belles pages, mais son abécédaire semble davantage tenir du fourre-tout intelligent, de l’auberge espagnole brillante tant il apparait davantage comme un collage façon puzzle, que d’un vrai projet cohérent, autant sur le fond que pour son style. Certaines entrées consacrées à des personnages célèbres figurent de sensibles mini portraits souffrant cependant d’être surchargés d’interminables citations. D’autres semblent bâclées (Gastronomie : une succession de recettes et de généralités, Cinéma : un florilège de résumés de films). D’autres encore campent là comme par erreur, ou bien leur propos n’apporte pas grand-chose (Exécutions capitales, Mauvais films, Solder la facture). Les entrées consacrées au panache, à Cyrano (via l’entrée Rostand) peuvent laisser sur notre faim, car on se prépare à lire un feu d’artifice. Le lecteur regrette au fond que les principes d’élégance, de séduction, de beauté, d’humour, de courtoisie, le goût de la conversation et du trait ne soient qu’évoqués comme ça, ne soient jamais claquants, convaincants. Sans doute voulions-nous à tout prix lire un bréviaire qui aurait assemblé les plumes de Jules Renard, Sacha Guitry, Pierre Desproges et Voltaire dans un Bic à 4 couleurs. Au lieu de quoi nous tombons sur d'étranges entrées comme celle qui est intitulée Victime exemplaire de l’obsession du panache, et dont le texte se résume à ces deux mots : Françoise Nyssen. Las... L’avantage de ce kaléidoscope est que l’on trouve en rayon à la fois Boulez, Fauré et Gainsbourg, Char, Grandes Écoles, de Gaulle et Montesquieu, les Guignols de l’info, Yves Montand et Saint-Simon, Jambon-beurre et Michelin (le guide), TGV et Jansénisme. Il y a aussi une entrée nommée Lourdeur.

    Capture d’écran 2019-04-26 à 13.40.20.pngCompagnons de l'invisible

    Plus jouissif, admirablement bien écrit, d’une rigoureuse cohérence en dépit de certaines entrées qui (d)étonnent – mais elles sont justement contextualisées et replacées dans l’esprit du sujet, le Dictionnaire amoureux des Saints que signe Christiane Rancé (Plon, 730 p., 27€), est un ravissement d’érudition et de sensibilité. Tenu bride serrée, le texte toujours dense et scrupuleux, riche et racé ambitionne de nous donner un avant-goût du paradis, et je crois qu’il y parvient. Les « incontournables » sont tous convoqués, de (saint) Jean-Baptiste à Thérèse de Lisieux (et d’Avila aussi), de François d’Assise à Saint-Louis, Padre Pio, Don Bosco, Saint-Augustin, Bernadette Soubirous, Jean-Paul II, Antoine de Padoue, Marie-Madeleine et Mère Teresa. D’autres saint(e)s moins connu(e)s comblent nos abyssales lacunes. Il y a aussi les anachorètes, les Innocents et les cénobites, les Rois Mages, Dante, Satan (qui « s’est réservé la haine des saints », Georges Bernanos), et l’Enfer. L’auteur ouvre son abécédaire à Mauriac, Claudel, Chateaubriand, J.-S. Bach, Léon Bloy, Jean Guitton, Saint-Exupéry, ce qui ne surprend guère, et – plus original, également à Cioran (des pages splendides), Baudelaire (fils de prêtre), Oscar Wilde, Pasolini, Nimier (et son Grand d’Espagne, essai sur Bernanos), Rimbaud et aux peu connus mais précieux Roger Judrin, Armel Guerne et Raymond Lulle. Figurent, non sans humour, saint Glinglin, saint Frusquin et autres saints imaginaires : Goulard, Lippard, Lambin, Lundi, Rechignoux, Couillebault... Et les méconnues saintes travesties (déguisées en hommes) : Thècle, Pélagie (reprendre La Légende dorée, de Jacques de Voragine), Marguerite, Gala, Paula, Eugénie, Marine et Jeanne d’Arc !

    Car, qu’est-ce qu’un saint au fond, sinon « un héros de la vie désintéressée », selon la formule d’Ernest Renan. Nous cheminons au flanc de l’auteur avec ces compagnons de l’invisible guidés par leur définition propre de l’amour, et qu’il ne faut pas réduire à la dévotion aveugle, l’abstinence et l’anorexie. Pas davantage qu’il ne faut confondre béatement une certaine littérature avec le mysticisme. Cependant, Christiane Rancé est capable de voir de la passion et du sacré entre les lignes, les vers, les êtres en portant son regard suraigu. Certaines pages sont exceptionnelles, comme celles qui sont consacrées à Saint Jean de la Croix, l’auteur du fameux Cantique spirituel. « De tous les saints que je suis impatiente de rencontrer, d’âme à âme, si je suis autorisée à monter au Ciel, il y a Jean de la Croix », écrit l’auteur, dont un aïeul fut le frère de l’abbé de Rancé (confie-t-elle avec une infinie pudeur), lequel initia la réforme de l’abbaye de la Trappe en 1660, et auquel Chateaubriand consacra l’un des plus beaux livres de prose française, Vie de Rancé. L.M.

     

  • et glou

    Capture d’écran 2019-04-18 à 17.57.57.pngÀ propos du syndicat des Bordeaux et Bordeaux Supérieur, les Oscars de Bordeaux de l’été qui vient ont sélectionné quelques perles en blanc, rosé, clairet et crémant. Nous avons retenu le charnu, l’expression, la teneur, la présence forte du clairet du château des Tourtes, un rosé vineux à souhait qui se mange, se croque, se mâche, se fiance à la hussarde avec une volaille landaise rôtie ou  - pourquoi pas - une sole-filets bien épaisse juste poêlée avec du beurre (2018, 5,30€ : cadeau).

    Les vignerons de Tutiac nous étonnent encore avec leur Carrelet d’Estuaire, un blanc de respect (2018, 4,50€Capture d’écran 2019-04-18 à 18.02.18.png). C’est rond, friand, sec et vif, nerveux et gras en fin de bouche : idéal à l’heure où le soleil se couche et que l’on picore une friture d’éperlans avec les doigts.

    À la cave béarnaise de Crouseilles, un modeste Pacherenc du Vic-Bilh sec (2017, 6€) nous a fait tenir l’arrêt devant le flacon comme un setter anglais devant une bécasse irlandaise : Lou Blanc (le blanc) est son nom. Bien trouvé, car le loup blanc est une rareté proverbiale, à l’instar du merle mêmement immaculé. Pour 6€, nous avons dans le bouteille LOU BLANC 2 2017 Détouré.jpgverre un concentré de ce que la région de Madiran sait faire lorsqu’elle tourne le dos aux rouges et aux légendaires blancs moelleux (de Pacherenc) issus de raisins passerillés (gros manseng et petit courbu). Voilà du claquant, du fouet en arrière-bouche, de la persistance gasconne : je gueule encore alors que tu n’es plus dans mon champ de vision. L’énergie cinétique de ce flacon se compte, ailleurs, en caudalies. Et, par chance, l’intensité aromatique ne nous déverse pas de l’agrume à pleins cageots. Le citronné sait demeurer discret - merci.

    Nous avons tous nos chouchous. Pellehaut en est un. Côté rouge,Chardonnay 2018.jpg je craque pour l’entrée de gamme avec une fréquence sans modulation. Côté blanc, et pour 6,90€, je fonds pour ce chardonnay bien acclimaté en terre gasconne. Le 2018 possède une profondeur aromatique Sans titre 1.jpgétonnante. Dégusté sur mon tartare de saumon au couteau, soja et wasabi, il releva le gant : chapeau! Le rosé 2018, en bouteille « givrée », Réserve Famille Béraut (c’est le nom de la cuvée, 8,50€), issu de pinot noir et de tannat, libère son opacité formelle au premier nez, et plus encore à la première gorgée. C’est gourmand et généreux, ample et équilibré. Un rosé qui a du tact.

    En AOC Bergerac, il existe un vin cyranien qui n’a pas retenu queCapture d’écran 2019-04-18 à 18.12.39.png notre appendice nasal, mais aussi nos papilles. Si j’avais un tel nez est son nom. Déjà ! C’est du merlot pur qui pousse sur de l’argilo-calcaire, passe en cuve inox, c’est en bio depuis 1999, et c’est livré sans soufre. Du fiable (2016, 12€). Puissant, charpenté, fruité (cassis, raisin) et frais comme une chocolatine à la sortie du four.

    Du côté du Marmandais, où la « cave coop » est exemplaire, voici Terra Vallona, un trio en trois couleurs, classé en IGP Comté Tolosan. J’affectionne, c’est acquis, les flacons modestes à prix ridicule mais qui en ont dans le ventre. KallyVasco s’en fait souvent l’écho. Voici Capture d’écran 2019-04-18 à 18.21.32.pngdonc trois vins à 3,40€ le flacon qui valent le déplacement. Le rouge (merlot, cabernet-sauvignon et cabernet-franc) est croquant, franc, il distribue fraise, cassis et épices douces sans chichis. Le blanc sec (colombard, sauvignon) est d’une fraîcheur avenante, mais je lui reproche son côté modeux, car trop axé sur l’éloquence de l’agrume (on s’éloigne du raisin). Le rosé est en revanche plus souple (merlot à 95%, un chouia de malbec et une pincée d’abouriou pour l’accent local). D’une franche fraîcheur à l’heure de l’apéro avec ou sans tapas, mais des amis pour rigoler franchement à la fraiche.

    Respect : Le Pinot Noir Sauvage (2017, 14€) duPINOT NOIR SAUVAGE.png château de la Terrière (face au Mont Brouilly, au cœur du Beaujolais, AOP coteaux bourguignons), est de ces vins nature qui, après Sauvage à Poil (évoqué ici même) magnifient le cépage dédié (gamay, ou pinot noir, le cas échéant) avec circonspection et méticulosité. L’élégance, l’expression précise, la structure sans le bodybuilding – bien au contraire, s’imposent avec naturel, et c’est le mot idoine. Pas de collage, une légère filtration, une délicatesse de A à Y donnent ces touches de fruits rouges et noirs, ce réglissé, ce soyeux tannique, cette puissance domptée qui ravissent lorsque nous investissons un magret de canard bichonné à basse température.

    Côté effervescence, les champagnes de vignerons m’ont obligé à une pause savoureuse avec celui de Claude Michez, qui crèche à Capture d’écran 2019-04-18 à 12.56.04.pngBoursault, dans la Vallée de la Marne. Il est certifié HVE (Haute valeur environnementale), ce qui alerte d’emblée. Les trois cépages y sont, comment... magnifiés avec modestie (45% de pinot meunier quand même). La cuvée Flore, joliment imprimée d’images de coquelicots et d’arums (BSA, Brut sans année, à peine 2000 bouteilles), découverte sur des langoustines pochées que je disposais délicatement sur des papardelle fraiches, résume l’expression de quatre hectares conduits à pas d’homme sachant marcher lentement entre les rangs. Coing, ananas, amande, mirabelle, poire, noisette fraîche, et puis du crémeux, de la pulpe suivie d’un citronné discret, de la mâche légère en arrière-bouche, une touche saline pour achever le voyage : superbe (22€).

    À Celles-sur-Ource, dans la Côte des Bar, le champagne DeCapture d’écran 2019-04-18 à 18.38.31.png Lozey blancs de blancs vinifié sous bois (32,40€) nous a surpris par belle charpente, sa rondeur, son côté vanillé, une pointe toastée aussi, ainsi qu’une touche miellée, voire confite de bon aloi. Il est minéral en finale, et soutenu par une acidité ayant le bon goût de ne pas flirter avec l’agrume gueulard. C’est assez vineux et pourvu d’une sapidité apte à escorter des ris de veau croustillants et crémeux.

    Capture d’écran 2019-04-18 à 18.39.46.pngEnfin, coup de chapeau à cette Réserve Exclusive Rosé de Nicolas Feuillatte (35€), dont la bouteille est d’une rare beauté, qui évoque à la fois les fleurs peintes par Van Gogh et ces estampes japonaises qui rehaussent les haïkus des maîtres du genre comme Bashô. Petits fruits rouges frais : groseille, framboise, myrtille, gariguette... explosent en bouche. C’est plein, très présent, immédiatement éclatant (pinot noir pour la rondeur, pinot meunier pour la souplesse), et résolument séduisant. L.M.

     

     

     

  • Êtres sensibles, lisez Christine de Pizan

    G01932.jpgSavez-vous - mais qui peut prétendre savoir ce qui suit, aujourd'hui? - savez-vous donc que dans la théorie courtoise, le baiser représente le quatrième degré de l'amour dans une hiérarchie qui en compte cinq, selon le modèle des cinq sens? Le baiser correspond à celui du goût. Et cela nous est déjà si délicieux de l'apprendre. C'est Jacqueline Cerquiglini-Toulet (un lien de parenté avec Paul-Jean? - J'ai demandé, elle l'ignore), fervente préfacière et éditrice de ces ballades de Christine de Pizan, qui l'écrit. L'ouvrage, Cent ballades d'amant et de dame, est d'importance (Poésie/Gallimard, 10€). D'une part nous lisons un homme d'une loyauté sans faille, quoique, et d'autre part, les réponses d'une femme aimante mais infiniment prudente. Les amants dialoguent au fil de cent poèmes, ce qui n'est pas rien lorsque le désir attise. Ce sont des lettres, des messages, des hommages, des envois, des plaintes parfois, de fougueuses adresses, des reproches aussi, des invites, un faux dialogue peut-être, la distance entretient l'absence en tentant de la dissoudre, le choix du mot fait le reste, maintient, magnifie, tient tout cet édifice d'une intense fragilité droit. À l'époque de Christine de Pizan (1364, Venise - 1430, Poissy), la ballade est une forme à trois strophes avec un refrain d'un ou deux vers. Dans ces Cent ballades d'amant et de dame, si pressantes, la longueur des strophes est délicieusement écourtée parfois, et la taille des vers varie au gré de la disposition des rimes... Les 336 pages du recueil nous offrent ainsi un bouquet de retenue, 20.jpgl'expression parfaite de l'amour courtois cher aux troubadours : Que votre doux amour soit vers moi tourné / Car mon coeur est déjà plus noir qu'une mûre, lit-on dès le premier envoi. Ce qui fait délice, c'est la nomination de l'alternance : L'Amant, La Dame, L'Amant, La Dame, se répondent et nous suivons un ping-pong amoureux d'une fine délicatesse, un échange d'une stupéfiante modernité : Le dard d'amour qui, comme il se doit, / T'enverra des pensers / Pleins de désir, par divers sentiers, / Tantôt joyeux, tantôt douloureux... La ballade 20 (photo jointe) exprime une affirmation féministe de bon aloi. À laquelle la Dame ajoute, quelques pages plus loin, des vers à nos yeux définitifs :  À rien ne sert de résister, / Amour est mon adversaire, / Je ne peux m'y soustraire. Car, il s'agit là, au détour de quelque strophe, d'une joute jouant sur le désir de l'autre : Car je ne veux que votre doux vouloir. / Votre volonté seule est la mienne... dit-il, tandis qu'elle semble, semble seulement, lâcher prise : Je suis vôtre, vous m'avez justement conquise, / Il n'est plus besoin que j'en sois requise, / Amour le veut; vous avez trouvé le chemin /Pour prendre mon coeur / Sans mauvaise ruse, par73.jpg une très loyale quête. / Je le sais en vérité, je m'en suis bien enquise, / Et puisqu'il me plaît ainsi, en toute guise, / Du bien en résultera pour moi. Ce à quoi répond tardivement, et c'est agaçant, l'amant balourd mais lucide et d'une belle patience - à sa décharge, ainsi que d'une capacité à accepter les coups portés : Vrais amants courtois, sachez qu'il n'est dureté / Que de se séparer de sa dame et maîtresse. L'Amant se déclare, sans forfaiture aucune, comme étant un serviteur lige, et cela est d'une admirable rareté. Il entre en merencolie, terme désuet, d'époque, pour désigner la mélancolie. La Dame, infiniment romantique avant l'heure, confesse une fièvre (Ballade 100.jpgLai.jpg100, jointe), qu'une réalité va corroborer : Je m'y fiai : mon coeur se fend en deux / Car sa parole séduisante, trompeuse, / Et son maintien courtois et aimable / M'affirmaient qu'il disait vérité, / Et tel n'était le cas, c'est bien prouvé : / Il a déshérité mon coeur de la joie. Tout est déjà dit, là, sur la légendaire lâcheté masculine. Le cuir me part (Mon coeur se brise), déclare la Dame. Le lecteur est subjugué par tant de droiture sans ambages, de franchise intérieure sans détour. L.M.

  • Plaidoyer pour le sourire

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    Quel éditeur oserait apposer un tel bandeau aujourd'hui? L'époque est au bandeau qui baillonne. Voire, et même davantage, à l'autocensure induite par le (horrible expression) politiquement-correct. La doxa aura-t-elle raison de l'humour, de l'ironie, du second degré? Le sourire, le rire gras même (avant un Irlande-France, c'est de mise), sont-ils plus menacés que la fauvette à ailes roses et le cochenille à pois verts?.. Je pense que si. En passant, comme ça, cet auteur est précieux, son style claquant comme celui de Nimier, ses métaphores toniques, et même galvanisantes. Et cet essai, drôle. Et je continue bien entendu de mépriser, tant qu'à faire, les esprits chagrins. LM

  • Philippe Jaccottet, encore, ce soir

    Capture d’écran 2019-03-07 à 19.36.42.pngMais la femme, les amis,

    le vin brillant aux bougies,

    le doux soleil de l'hiver,

    cette pierre en souvenir

    des falaises de la Manche?

     

    Ainsi les oiseaux fulgurent

    autour des cloches, puis l'ombre

    enterre jusqu'à leurs cris. 

    (de mon cher) Philippe Jaccottet.

    Et puis ceci, aussi :

    Comme le feu, l'amour n'établit sa clarté

    que sur la faute et la beauté des bois en cendres...

  • Les mots de Jaccottet du jour...

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    IMG_20190307_185041_resized_20190307_065222298.jpg... se trouvent dans L'Ignorant, recueil de poèmes datant de 1952 à 1956, paru en 1957 chez Gallimard, lu la première fois à l'âge de vingt ans, et toujours aussi galvanisant lorsque je le reprends. Extrait choisi parce que le chant du merle ivre d'amour berce mes jours depuis une paire de semaines, et que ces notes annoncent les futurs carnets de La Semaison. L.M.

     

     

  • Images

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    Cet après-midi, j'ai repris Haute solitude, de Léon-Paul Fargue, lu à dix-neuf ans. Et j'ai retrouvé le sens de l'image subtile du piéton de Paris. Qu'on en juge : 

    ... je me laisserai glisser sur la pierre décolorée et meurtrie, l'âme au fond des poches, les poches béantes, la vie pesante comme un journal mouillé... (p.97)

    Ce journal que j'achète fond dans mes mains comme un beignet de neige. (p.130)

    Et le soir aussi, quand le café se résorbe comme un mégot... (p.138)

    J'aime ma solitude comme une maison de campagne, comme une retraite vigilante. Les larmes que je verse sont closes. (p.138)

    ... quand je cheminerai enfin les os vaillants, éveillé comme un fantôme, au hasard des quartiers couleur de pintade et d'arrosoir... (p.207)

     

    Je suis tombé par ailleurs sur ce titre d'un sous-recueil de poèmes de Marie-Claire Bancquart (dans Terre énergumène qui parait en Poésie/Gallimard), et je suis resté coi :

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  • Velter et Pignon-Ernest

    IMG_20190221_192910_resized_20190221_074123089.jpgCes deux-là n'en finissent pas -pour notre bonheur- de produire ensemble. On se souvient de Zingaro, suite équestre, plus récemment de Ceux de la poésie vécue évoqué ici même, et voici Annoncer la couleurIMG_20190221_194025_resized_20190221_074122543.jpg (Actes Sud, 29€) le nouvel album à deux mains ou plutôt à deux peaux car, lorsque nous évoquons la poésie, qu'elle soit écrite ou dessinée, il s'agit de sensibilité pure, donc de ce qui fait agir, soit du premier livre de l'homme (la peau, selon Valéry). André Velter, poète, et Ernest Pignon-Ernest, artiste, unissent leur talent respectif pour nous donner régulièrement des albums précieux parcourus d'hybridations évolutives. Car, comme l'écrit d'emblée Velter, la main pense,IMG_20190221_193304_resized_20190221_074121175.jpg
    l'oeil écoute, les lèvres divaguent, les tempes s'évadent, l'imaginaire passe à l'acte
    . Et cela produit un dialogue complice en noir & blanc nourri de résonances, d'enchantements, d'incertitudes tracées, marquées, sûres de leur tâtonnement. Lignes. Signes de piste. Qui ne manquent ni de profondeur ni de légèreté, ni d'exactitude approchée ni d'humour largement déployé. Car, pour annoncer la couleur, rien ne vaut le noir et blanc, est-il précisé page 55. Puis, au détour d'une grande page surgissent des fulgurances (photos ci-dessous),

    IMG_20190221_193954_resized_20190221_074121896.jpg

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    qui se passent de tout commentaire...

    IMG_20190221_194947_resized_20190221_075817125.jpgJe signale également René Char allié substantiel, d'André Velter - qui connut bien l'immense poète universel de l'Isle-sur-la-Sorgue (éd. Le Passeur, 16,90€) -, car il s'agit d'un échange épistolaire précieux pour l'auteur avec le maître, assorti de poèmes épars mais crus et denses, moelleux et corsés, et de photos certes redondantes, mais donnant à voir les regards, l'émotion peut-être, des mots que l'on devine, et que nous retrouvons dans les messages qu'André Velter retranscrit avec pudeur, en se gardant bien de voler la vedette dans cet échange jamais impudique. L.M.

    AlliancesJacob Obrecht, Missa fortuna desperata (oreilles, âme), et le Cairanne de Marcel Richaud (oeil, nez, bouche, esprit). 

     

  • Série

    Lorsqu'on est (naît) surfeur dans l'âme et le corps, ou pêcheur à la mouche, ou bien les deux, et à la fois guetteur d'ombre, observateur obstiné du silence et du regard qui touche davantage que les mots quand bien même on est habité par eux - et pour cause? -, nous n'aimons rien comme lire l'océan (et la rivière). Dès lors, nous ne pouvons nous empêcher de voir sur cette image une série de montagnes comme on le dit des vagues. Et l'immobile devient liquide, fluide comme le roc si l'on ferme les yeux comme il faut... L.M.

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    En prime, ce cliché d'un Hossegor que nous aurions aimé connaître, issu d'une époque où La Chambre d'Amour à Anglet n'avait pas cela, mais ne s'en portait que sauvagement mieux...

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  • Quatrains

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    Juste un aperçu en photos de la poésie simple et pure de François Cheng (évoqué régulièrement ici). Ce recueil (Poésie/Gallimard, 7,30€, en librairie aujourd'hui même), reprend Enfin le royaume paru en 2017 dans la collection Blanche de Gallimard, et qui fut un succès (inattendu pour un recueil de poèmes, en France) augmenté de soixante quatrains inédits. 224 pages de sérénité et de beauté. Cela tombe bien : le thème du 21ème Printemps de Poètes qui aura lieu du 9 au 25 mars prochains a La Beauté pour thème.

    Lisez Cheng, ça fait du bien, dirait une réclame pour aspirateurs ou pour une crème à raser. L.M.

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  • Mon coup de gueule dominical...

    ...à l'encontre des antisémites et autres racistes haineux, c'est à lire ici => 

    Finkielkraut agressé : https://bit.ly/2S8ow0P

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    Nous pouvons douter que la plupart des gilets jaunes (GJ) aient lu le salutaire entretien qu’Alain Finkielkraut venait de donner au Figaro daté de ce funeste samedi 16 février, et dans lequel le philosophe soulignait que l’arrogance avait changé de camp lorsque l’omniprésence des porte-paroles du mouvement sur les plateaux de télévision leur était montée à la tête, et que sa sympathie initiale pour les GJ avait pris une décharge de plomb dans l’aile. Hier après-midi, « Finki » dut résister aux cris de « sioniste de merde », « la France elle est à nous », « dégage », « tu vas mourir », « Dieu te reconnaîtra », de « Palestine » et de « nique ta mère », vociférés par certains GJ au profil a priori davantage soralien, dieudonniste, indigéniste, islamo-gauchiste, voire décolonialiste (la nouvelle mode) que de laissés pour compte à la périphérie profonde d’une France coupée en deux (*). Ce que l’académicien a subi confortera l’idée selon laquelle « le mot vivre-ensemble aurait été inventé pour masquer la disparition de la chose », déclarait-il au Figaro. En avril 2015, Alain Finkielkraut m’avait accordé une interview (**) pour L’Express (hors-série Juifs de France). Interrogé déjà sur ce vieux rêve, il répondit : « Il n’y a pas de vivre-ensemble en France. (...) J’aimerais y croire, mais le métissage est un mensonge. La réalité est celle de la séparation ». De glaçantes statistiques viennent corroborer l’impossibilité d’une équation. Hausse fulgurante (74% en 2018) des actes antisémites sur le sol français (souvenons-nous du proverbe yiddish « heureux comme Dieu en France »). La « banalité du mal », concept cher à Hannah Arendt, trouve ses nouveaux ressorts dans la crise profonde de l’autorité qui étreint un pays devenu pleutre après avoir lâché prise. Le professeur, le policier, le député ne sont plus craints ou respectés, mais lynchés verbalement sur les réseaux (des cas) sociaux, en classe, et si possible physiquement dans la rue le samedi. Ne pas sanctionner de façon exemplaire les quenelles devant le Sacré-Cœur, le portrait de Simone Veil souillé d’une croix gammée... laisse toute latitude à des caricatures de barbares ignares pour vomir leur haine en apercevant l’auteur de « La défaite de la pensée » rue Campagne-Première. Que faire, lorsque la peur est au ventre ? – « Fuir ! là-bas fuir ! » (Mallarmé). Rester, puisque « exister c’est résister » (Ellul), accomplir son « alya intérieure » (Édouard Philippe), la montée vers Israël se soldant souvent par un « alya-retour » ? La communauté juive a de tangibles raisons d’éprouver l’accablement de l’impasse, ce matin. Cette haine « bien de chez nous », lors que la droite maurrassienne semble moribonde, que le Rassemblement national tente de contenir les débordements de sa rancœur historique, et que l’antisémitisme ambiant semblait être devenu l’apanage exclusif des islamistes ainsi que des antiracistes idéologiques de tout poil, voici que le spectre resurgit dans la bouche de certains GJ face auxquels nous avons du mal à nous dire, cette fois : pardonnons-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils disent. Pas plus que nous ne pouvons avoir d’égard pour certains de leurs acolytes pratiquant le degré zéro de la politique pour les nuls sur les chaînes d’info en continu, proférant que la France est une dictature (si c’en était une, ils ne pourraient même pas le murmurer). Face à cela, « le parti du déni » dont les rangs enflent semble associé à celui du silence dont l’écho terrifie : quel GJ représentatif s’est-il empressé de condamner les insoutenables propos essuyés avec dignité par Alain Finkielkraut hier ? Un tsunami de tweets outrés sortis des smartphones immédiatement dégainés de l’Élysée, d’anciens ministres, de penseurs, de stars du show-biz, de vous et moi ne doit plus suffire à contenter notre fausse bonne conscience. L’onguent numérique, cette bougie Ikéa de la compassion low cost, ne signifie aucun passage à l’acte, n’indique aucun signal ferme et fort. Léon Mazzella

     (*) Ajoutons de mouvance salafiste, à regarder de près certain personnage principal parmi les insultants sur la vidéo des faits. Enquête policière en cours. 

    (**) Entretien avec Alain Finkielkraut paru dans L'Express

  • Un havane n'est pas coutume

    Capture d’écran 2019-02-16 à 09.09.08.pngLe décapiter et retrouver aussitôt le fruité fort, le Sauvage, ce sous-bois des sensations comme on le dit d’un scent de bécasse sous le flair d’un setter bien créancé et statufié tout à trac. Un côté fumier aussi, mais point entêtant ni désagréable : on ne hâte pas le pas, on le ralentirait plutôt afin d’en savourer les flaveurs mâles et primitives, et de fourrure aussi mais qui possède un certain vécu, un usé rassis pelé patiné soyeux. Montecristo Open Master. Robusto robuste. Sa dégustation à cru. La meilleure. Les narines absorbantes collées contre sa tête qui exhale, enfin libérée, tant de cèpe d'octobre, de mûre de septembre écrasée par inadvertance, de primevère de décembre foulée sous la botte et dont la semelle se souviendra tout le jour, de blouson de cuir pour la moto, de cheval en sueur, de chien dans la voiture, de sauvagine, de draps dans la cabane au bout d’une semaine de bivouac. Que voulez-vous, les habanos sont ainsi lorsqu’ils sont bien... nez. Minute, je l’allume. La suite appartient aux murmures, aux yeux fermés, aux pensées, au baroque - Jordi Savall et ses fougueuses Follias de España, à une aube ici - dans les barthes de l'Adour sans doute, un crépuscule là - à La Barbade peut-être, aux sensations furtives un peu partout, un éclair dû à un subtil trait d'esprit lancé par un ami comme une ligne pour le bar, disséminées par notre oublieuse mémoire tout à coup rassemblée, au rapport comme pour prendre son quart. Passerelle. L.M.

    Capture d’écran 2019-02-16 à 19.05.28.pngAlliances : Rhum Mount Gay XO pour boire, Le fusil de chasse, de Yasushi Inoué pour lire (à voix haute, façon gueuloir de Flaubert). Le reste pour voir. Plus clair, à n'en pas douter, sur la carte brouillée de nos sentiments dans la salle dédiée. Compas. Sextant. Étoile Polaire. E la nave va.

  • La page de Rita

    Capture d’écran 2019-02-15 à 12.42.31.pngJe pensais l'avoir signalé ici, mais non. J'eus la surprise au coeur de l'été dernier de découvrir un papier élogieux et délicieusement tardif sur l'un de mes livres paru fin 2001 et qui, finaliste du Prix Goncourt de la Nouvelle, manqua cette distinction d'un cheveu. Le voici - il est signé Rita, blogueuse littéraire - et si cela vous incite, hâtez-vous, car le bouquin est en voie d'épuisement chez l'éditeur, lequel n'envisage pas de le réimprimer ou de le reprendre en format de poche dans La Petite Vermillon =>  Les Bonheurs de l'aube

     

     

  • Des âmes simples

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    L'occasion est trop belle : le superbe livre de Pierre Adrian, paru en 2014 aux Équateurs, reparaît en folio. Je m'autorise la re-publication du bien que j'en disais brièvement ici même le 19 octobre 2017 :

    https://bit.ly/2x7Lk7k

    Que ceux qui n'ont pas encore lu Des âmes simples, de Pierre Adrian, publié aux Equateurs par l'ami Olivier Frébourg, saisissent l'occasion de le faire, avec l'attribution - hier -, du (très enviable) Prix Roger-Nimier à ce jeune auteur de 26 ans, pour son splendide récit (davantage que roman), d'une austérité et d'une vérité stupéfiantes. L'univers de frère Pierre, curé dévoué en vallée d'Aspe, conscience de tant d'âmes qu'il aide à être, l'atmosphère de l'abbaye de Sarrance, le quotidien des habitants désoeuvrés, aux "vies minuscules" (écrirait Pierre Michon), vivotant dans des villages oubliés, la beauté de la nature, la force du silence, la foi, l'écoute... L'humanité enfin, qui se dégage  de ce texte écrit dans un style épuré et d'une hiératique sobriété, force le respect. Un grand livre, que j'ai déjà pas mal offert, d'ailleurs. Faites passer! L.M.

     
  • Christine de Rivoyre

    Je repense aux Sultans et au claquant de ses personnages féminins : Solange, Kim, la Blonde... Je pense à Belle Alliance, la rassurante ferme de Margot, sertie au coeur de l'austère fourrure de la forêt landaise,  à Boy, étrange personnage devant les plages d'Hendaye avant la Seconde guerre, je pense au Petit matin, à Querelle, la jument de Nina. Je pense à Christine de Rivoyre disparue il y a peu (lire plus bas). Je l'avais rencontrée à la faveur du premier Salon du Livre de Dax. Je ne me souviens plus du millésime : 2000, 2001? Nous avions blagué agréablement, et partagé un ou deux verres. Aucune trace de cette rencontre dans mes carnets noirs  (j'ai du perdre celui qui...). Reste cet article paru dans "Sud-Ouest". Et je dois être d'humeur landaise ces temps-ci, car j'ai repris il y a quelques jours avec beaucoup de tendresse Vie et mort de Jean Chalosse, moutonnier des Landes, le superbe roman de Roger Boussinot (mort en 2001) qui envoûta mon été 1976. Je ne retrouve pas non plus les livres sur la bécasse que Jean-Claude Mouchès m'adressa au fil du temps. Le médecin écrivain de Mugron est parti lui aussi l'été dernier. Ces pins qu'on abat... L.M.

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  • Holder

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    Éric Holder n'écrira plus et c'est une peine. Tristesse d'apprendre sa mort, hier. Il aura suivi de peu sa compagne, l'éditrice Delphine Montalant, partie fin novembre (*). J'ai cherché ce que j'avais écrit sur les débuts de Holder. Mon papier (ci-dessous) sur son premier roman, Manfred ou l'hésitation (Seuil) est paru le premier septembre 1985 dans Sud-Ouest Dimanche (je réalisais alors le dossier de la rentrée littéraire, et il s'inscrivait dans la page consacrée aux premiers romans). C'était il y a plus de 33 ans, Holder avait 25 ans... J'ai repris Embrasez-moi hier soir (le dilettante) : tout le charme, toute la tendresse (et la sensualité) d'Eric Holder y sont rassemblés. L.M. 

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    (*) Je m'aperçois qu'Éric Holder a publié chez Delphine Montalant L'Alphabet des oiseaux, à commander tout à l'heure.

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  • Courtois

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    Lire Christine de Pizan (1364-1430). Grâce à Poésie/Gallimard, c'est possible. Ces Cent ballades d'amant et de dame sont un bijou de "correspondance" amoureuse croisée, en vers, qui loue l'amour courtois, souffle le tact et la délicatesse, vante le respect absolu du désir de l'autre. C'est juste beau. J'en reparlerai. Ceci est une mise en bouche. L.M.

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  • Hölderlin : "C'est poétiquement que l'homme doit habiter le monde"

    Il en va de l'essentiel Charles Juliet (cité ci-dessous avec deux extraits de ses Affûts parus chez P.O.L. en 1979), comme de Jacques Dupin, de Francis Ponge, de Philippe Jaccottet évoqué récemment ici même, de Pierre Reverdy, de Saint-John Perse, de Marceline Desbordes-Valmore, d'André Frénaud et de tous les autres passeurs de lumières et de frissons. Le mot de Hölderlin placé en titre est un étendard, une douce injonction faite à chacun. Chaque jour lire quelques poèmes de hasard et de bonne fortune nourrit plus sûrement que mes linguine alle vongole que je suis en train de concocter (quoique)... Enfin, les deux se fiancent agréablement, et si vous augmentez le sentiment avec le son, soit avec de la musique baroque (au hasard, encore), vous êtes armés pour combattre les mesquineries du quotidien, l'humeur rogue des gens dans la rue, et vous riez de cette neige qui tombe ce matin, car elle vous refile une envie forte de feu de cheminée après une marche sauvage, les pieds enfoncés profondément, les poumons glacés par un air vivifiant, et des oiseaux migrateurs plein les yeux et l'horizon... L.M.

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  • Le fascisme végan

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    L’hebdomadaire Marianne résume bien le phénomène Végan : « Autant la cause végétarienne, qui prône une éthique alimentaire, est non seulement respectable, mais utile à la prise de conscience que le monde développé consomme trop de viande, autant la doctrine végane est un intégrisme qui remplace le dialogue par l’anathème. Comme tout monothéisme révélé, le véganisme ne reconnaît que la conversion ou l’exclusion. D’où le refus du débat. Quelle que soit la pertinence des arguments écologiques, sanitaires, moraux et sociaux, pour un arrêt total et définitif de la consommation de protéines carnées, nul n’est en droit de réécrire l’histoire de l’humanité. Jusqu’à nouvel ordre, l’être humain est omnivore. Aussi sûr qu’il est un mammifère vertébré. (...) Et, pour légitime que soit le droit de repenser cette réalité et de renoncer à toute chair animale, on ne peut interdire à un humain de manger de la viande ou du poisson. Encore moins de le condamner ou le damner pour cela. (...) La dérive fascisante qui caractérise, hélas, une partie de la mouvance végane, discrédite toute démarche prenant une tournure idéologique en faveur du végétalisme intégral. »

    Photo du train de côtes de boeuf : © Eurodis/Rungis.

  • Prendre feu

    « Et alors, j'ai pris feu dans ma solitude car écrire c'est se consumer...
    L'écriture est un incendie qui embrase un grand remue-ménage d'idées et qui fait flamboyer des associations d'images avant de les réduire en braises crépitantes et en cendres retombantes. Mais si la flamme déclenche l'alerte, la spontanéité du feu reste mystérieuse. Car écrire c'est brûler vif, mais c'est aussi renaître de ses cendres. »

    Blaise Cendrars

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  • Mardi

    Capture d’écran 2019-01-08 à 23.09.48.pngJe saisis Mardi, de Herman Melville parce qu'il se trouve devant mes yeux, et lis à haute voix l'incipit. C'est un piège. Après cela, je défie quiconque de ne pas se sentir embarqué. C'est parti (bonheur du soir) :

    Nous voilà partis! Les basses voiles et les huniers sont établis, l'ancre tapissée de coraux se balance au bossoir et les trois cacatois se gonflent à la brise qui nous suit au large, comme les abois d'une meute. La toile se déploie, en bas, en haut, renforcée de part et d'autre de nombreuses bonnettes; si bien qu'à la fin, comme un faucon qui plane, nous ombrageons l'océan de nos voiles et, dans un ballottement, nous fendons l'onde amère.

  • Prendre un peu de Jaccottet chaque matin

    Capture d’écran 2019-01-04 à 13.21.41.pngTel pourrait être mon souhait le plus fiable, le plus salutaire et le plus vivifiant : saisir chaque matin l'un des nombreux recueils de poésie de Philippe Jaccottet entre deux tasses de café, et lire un poème de hasard. Cette idée m'est venue tout à l'heure, lorsqu'un ami m'a adressé le début d'un extrait de Pensées sous les nuages, à l'ouverture intitulée Le mot joie. Il s'agit en l'occurrence d'une « note », d'une sorte de poème en prose dont Jaccottet a le secret - mais il a écrit davantage de poèmes de facture plus classique.

    « Je me souviens qu’un été récent, alors que je marchais une fois de plus dans la campagne, le mot joie, comme traverse parfois le ciel un oiseau que l’on n’attendait pas et que l’on n’identifie pas aussitôt, m’est passé par l’esprit et m’a donné lui aussi, de l'étonnement. »


    Je vous le livre ci-dessous in extenso. Histoire de vous donner envie de faire comme moi cette année : prendre un peu de Jaccottet chaque jour. Cela nous fera un bien fou. L.M.

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    Capture d’écran 2019-01-04 à 13.13.28.pngJe recommande par ailleurs, parmi les sept ou huit recueils déjà parus en format de poche (Poésie/Gallimard), particulièrement celui-ci, car il s'agit de l'anthologie personnelle de l'oeuvre de l'auteur : L'encre serait de l'ombre. 

     

  • Plozévet

    Il est des noms de lieux, comme ça... Samarkand, Tombouctou et Zanzibar font tant rêver qu’ils exigent d’aller vérifier sur place une magie projetée. Plozévet est d’une autre nature. Ce village du Pays Bigouden, situé sur la côte bretonne, non loin de la baie d’Audierne et sur la route de Quimper, a été immortalisé par un livre formidable qui connut un immense succès dès sa parution en 1975 : « Le Cheval d’Orgueil », de Pierre Jakez-Hélias (1914-1995), accueilli dans la prestigieuse collection Terre Humaine de Plon, au sein de laquelle Jean Malaurie – son initiateur – publia notamment « Tristes Tropiques », de Claude Lévi-Strauss, entre cent autres bijoux de l’ethnologie contemporaine. Cet été là, nous dévorions depuis la plage de la Chambre d’Amour, à Anglet et à marée haute (aux heures sans vagues et donc sans surf possible), ce grand livre (voir la photo qui reproduit l'exergue du livre : cette citation du grand-père de l'auteur nous éclaire sur le titre), sans rien connaître de ce village de la Bretagne profonde exploré par un enfant du pays (*). L'été suivant (celui du baccalauréat en juin et de l'examen d'entrée à Sciences-Po en septembre), fut également riche (et appauvrissant en termes d'impôt sècheresse), qui nous pria sans peine de nous plonger en pays Cathare au temps de l’Inquisition, grâce au talent de conteur de l’historien Emmanuel Le Roy Ladurie (1929-) et de son inoubliable « Montaillou, village occitan, de 1294 à 1324 » (Gallimard, Bibliothèque des Histoires). L’époque était à ces livres de connaissance à la fois historique et ethnologique. À la faveur d’une virée il y a bien des années en Haute Ariège, nous découvrîmes Montaillou – ou ce qu’il en reste. Et la déception fut au rendez-vous, car à l’instar de l’adaptation au cinéma d’un roman qui nous a plu, vouloir voir réserve des déconvenues (**). Ainsi donc de Plozévet, hier même. Lointainement habité par la lecture (il y a 43 ans) du livre de Jakez-Hélias, je confesse une petite appréhension en IMG_20181228_184535_resized_20181228_070242539.jpgdépassant vers 17 h le panneau d’entrée du village. Celui-ci se révèle être  (avouons-le d’emblée) d’une banalité commune à nos yeux, sans relief particulier, hormis son église et une place attenante... Un Intermarché relativement dissimulé ferme le village. Il me fallait quand même y aller, voir, vérifier. Pouldreuzic (village, proche, de Jakez-Hélias – sa maison natale se visite, et siège de l’entreprise Jean Hénaff, le très célèbre pâté breton à la robe métallique bleue et jaune), le port de Penhors à proximité enfin, sont plus authentiques, car de facture plus sauvage. On y retrouve l’atmosphère celtique, quasi irlandaise de la presqu’île de Crozon, en y mettant un peu du notre. Plozévet cristallisa l’attention d’observateurs de grand renom à une certaine époque. Outre « Le Cheval d’Orgueil », il faut citer l’étude sociologique « de terrain » magistrale d’Edgar Morin, « La métamorphose de Plozévet, commune de France » (Fayard, 1967). À travers la radiographie minutieuse d’un village emblématique de tous les bouleversements d’après-guerre : disparition inexorable du monde paysan, libération des femmes, révolte de la jeunesse, entrée dans le monde contemporain et ses sirènes urbaines, la société de consommation, la civilisation des loisirs, le tourisme « kodak » bientôt de masse... Sans oublier l’hygiène domestique (l’apparition des toilettes, par exemple), le développement des routes qui désenclavent, la première « folle du logis » : la télévision qui prend place à côté de la cheminée... Morin circonscrit avec pusillanimité l’entrée dans l’univers moderne. L’étude fit grand bruit et fait encore autorité (d’un point de vue historiographique). Elle constitue le pendant du livre merveilleux de Jakez-Hélias qui narre la vie quotidienne de sa propre famille d’humbles paysans en pays Bigouden, à l’immédiate après Première Guerre mondiale. Le poids de la religion, l’importance de la langue (l’époque était à l’« interdiction de parler breton et de cracher par terre »), l’extrême précision des traditions qui ordonnent et rythment la vie à la campagne, les légendes et les us, les costumes et coiffes, typiques comme le mobilier, le développement de « l’instruction », et celui de la mécanisation du travail aux champs, le récit de l’existence simple de ces gens-là éloignent le livre d’une étude ethnographique à la facture froide pour l’apparenter davantage aux « Tristes Tropiques » de Lévi-Strauss, au moins par le ton employé, la démarche à la marge, la dimension littéraire aussi (même si Lévi-Strauss plane à plusieurs crans très au-dessus de Jakez-Hélias. Rappelons juste que les jurés Goncourt hésitèrent à le couronner, puisqu'il ne faisait pas oeuvre de fiction, comme ils durent d'ailleurs réfléchir cette année au sujet du somptueux « Lambeau » de Philippe Lançon...). Autant de raisons qui justifiaient une virée, hier, du côté de Plozévet, et qui se devait de s’achever – non sans appréhension - en poussant la porte de la Maison de la presse-Café des Sports-Loto-Librairie du village, avec l’espoir d’y apercevoir ces deux livres. Un soupir de satisfaction et de soulagement libéra immédiatement mon espérance (j’eus été peiné de ne pas tomber sur leur couverture). 

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    Je prenais une photo des livres (ci-contre) et regagnai Primelin le cœur léger. J’avais enfin vu Plozévet. Je remis des bûches dans la cheminée en regardant l’Océan. Une bande de goélands longeait la falaise avec nonchalance, deux merles se poursuivaient en rasant l’herbe drue. Il était temps de se remettre en cuisine. Un souvenir me revint alors curieusement en touillant les légumes dans la grande poêle : celui de la cuillère en bois sculpté, et son importance le dimanche et lors des noces (***). Les paysans du Pays Bigouden s’y rendaient avec leur propre cuillère taillée dans le buis ou le pommier. Et si un jeune homme offrait la sienne à une jeune femme, cela signifiait qu’il devenait son « prétendant » (au Pays de Galles, une coutume voisine a généré l’expression de Love spoon). Je crois me souvenir aussi que certaines tables étaient creusées et que chaque cavité ronde tenait lieu d’assiette. À vérifier lorsque je retrouverai mon exemplaire racorni. L.M.

    ---

    (*) Nous tairons ici la polémique initiée par le grand écrivain, poète Xavier Grall (1930-1981), auteur notamment d'un livre précieux entre tous, « L'inconnu me dévore » (Equateurs, rééd. 2017 aux bons soins de Pierre Adrian, et sous la houlette d'Olivier Frébourg), avec son coup de gueule « Le Cheval couché » (Hachette, 1977), qui accusait Jakez-Hélias de donner une image passéiste, voire dégradante du paysan breton que d'aucuns jugèrent hâtivement arriéré (un qualificatif aujourd'hui désuet, et jadis péjoratif, comme le mot plouc), dès la parution du « Cheval d'Orgueil ». Grall évoquait dans son pamphlet un folklorisme fossilisant. C'est dire le degré polémique qui sévît dans (le) Landerneau... 

    (**) Je n’ai pas vu l’adaptation du « Cheval d’Orgueil » qu’en donna Claude Chabrol en 1980 (avec Jacques Dufilho dans la distribution).

    (***) Vérification à venir : le rapport (improbable) entre la cuillère bigouden et la signification de l'échec total de la cuillère de bois attribuée au grand perdant, lors du Tournoi des Six Nations... Si ce que je pressens se vérifie - soit que (naître avec) une cuillère d'argent oppose les classes sociales : argent contre bois (attribut des paysans bigouden, fort pauvres pour la plupart), la philosophie du rugby serait un brin écornée à mes yeux... Mais j'en doute.

  • Gros manuel de culture générale à haute valeur ajoutée

    Capture d’écran 2018-12-20 à 13.43.48.pngLa première question que l’on se pose en soupesant ce volume de 1 500 pages signé de Luc Ferry est : comment cet homme à l’agenda d’ex-ministre fait-il pour trouver le temps de... Nous pensons aussitôt après : c’est sans doute le livre d’une vie. Il en a écrit des dizaines d’autres, mais celui-là pourrait bien être sa « somme ». C’est que le « Dictionnaire amoureux de la Philosophie » (Plon, 30€) ratisse large : la liste des entrées déborde largement celle des ouvrages comparables, et davantage académiques, plus stricts quant à la définition de la philosophie, y compris, et à l'opposé, l'inclassable Monde de Sophie, de Jostein Gaarder ou bien l'iconoclaste Antimanuel (de philo) de Michel Onfray. La définition de la Philosophie selon Ferry touche non seulement aux principaux courants et concepts classiques – qui figurent tous dans cet imposant ouvrage -, mais également à l’animalité, l’argent, l’audimat, l’automobile, le big data, les bouffons, l’uberisation du monde, Frankenstein, l’héroïsme, l’holisme opposé à l’individualisme, l’islamophobie et l’islamonazisme, au jeunisme, à Lisbonne, Noël, Pâques, au racisme colonial, la robotique, et même au vin (dernière entrée - et pas des moins intéressantes - de ce foisonnant dico). C’est dire si le spectre s’élargit à notre modernité, aux nouveaux regards (portés) sur le monde actuel – lesquels sont pour la plupart une façon de revisiter la pensée à travers une réflexion relativement identique, et cependant corrigée, enrichie. Ce n’est pas la moindre des qualités de ce livre. Qui est par ailleurs bien écrit, ce qui permet une plongée dans chaque entrée des plus aisées. Luc Ferry rend son bouquin encore plus sympathique par des digressions, ici le récit de souvenirs personnels liés au texte, comme à propos d’écologie politique, lorsqu’il publia dans les années 1990 « Le Nouvel ordre écologique », là des anecdotes tirées de son quotidien. Le ton de cette conversation proposée au lecteur démystifie un ouvrage de cet ordre, sans pour autant le rendre simpliste : Chaque entrée recèle une réflexion en profondeur sur une thématique dûment, sérieusement abordée sous divers angles. Ce Dictionnaire amoureux en devient un livre de culture générale à haute valeur ajoutée, ce qui n’est pas négligeable par les temps qui courent, et qui sentent si mauvais l’absence de soif de savoir, le refus de connaître, le déni, le non souci de prendre le temps de la réflexion, fut-ce la plus humble et la plus brève... Pour cela au moins, ce pavé (rêvons qu’il soit jeté lors de manifestations au lieu des vrais, en pierre), mérite toute sa place dans la liste des cadeaux à faire à ceux que l’on aime. L.M.

  • Le Vin, c'est Particulier...

    IMG_20181218_150438_resized_20181219_112601357.jpgIl vient tout juste d'arriver au courrier par coursier : le livre Le Vin, son histoire, ses terroirs, publié par le groupe Le Figaro via sa filiale Le Particulier, paraît. 194 pages denses etIMG_20181218_150323_resized_20181219_112600472.jpg cousues main, aux petits oignons, rédigées scrupuleusement et littérairement, avec goût et circonspection, sous la houlette de notre complice depuis tant d'années Philippe Bidalon. Nous y avons, personnellement, beaucoup donné, des Origines du sang de laIMG_20181218_150921_resized_20181219_112601974.jpg vigne au vignobles du Sud-Ouest en passant par ceux de la Loire, de la bulle de Champagne à l'aristocratie (bordelaise) du bouchon, des climats bourguignons au choix des verres, et d'autres chapitres plus ou moins grands. Ce fut un plaisir. Le bouquin se tient. Il est élégant, gourmand, richement illustré, jamais pompeux, toujours sérieux mais avec ce qu'il faut de distance pour demeurer suave, hédoniste, généreux. Aucune prise de chou là dedans. Que du plaisir en partage. Faites passer ! L.M.

     

  • Un inédit de Rostand

    IMG_20181218_113337_resized_20181218_113430117.jpgÀ défaut de publier un inédit de Marcel Proust, Atlantica livre un inédit d’Edmond Rostand, « La Maison des amants ». Ce n’est pas rien. C’est même beaucoup. Certes, cette pièce est inachevée. Mais la beauté réside dans l’inachevé, quoi qu'en dise l'un de ses personnages (lire plus bas). C’est l’acte I d’une pièce prévue en trois. Le premier tiers. Le reste est à imaginer, à échafauder, construire, détruire, refaire. Jusqu’au quatrième tiers... Et, si l’on considère « Cyrano de Bergerac » comme l’un des plus beaux textes jamais écrits en langue française, nous ne regrettons pas l’hypothétique exhumation d’un Proust de derrière les tiroirs brinquebalants aux relents de naphtaline. Après tout, Marcel manqua le Goncourt et Edmond connut un succès populaire foudroyant. Ces deux-là n’ont pas fini de connaître les lois de l’apogée... Le succès de « La Recherche » fut plus lent, mais pas moins durable. Sur la ligne de départ, les paris auraient pu aller bon train. Marcel demeure un ton au-dessus, celui de l’introspection. J’ai plaisir à le nommer ornithologue de l’homme – ce drôle d’oiseau. Rostand est bien plus généreux, débonnaire sans compter, cash en somme. Et puis ils sont incomparables à la fin – pourquoi cette digression, je vous le demande ?.. Cette « Maison des amants » est d’une facture plutôt prude, elle cultive le tact et la bienséance comme d’autres le haricot tarbais ou le voussoiement. Le titre est beau et prometteur. Les aficionados d’Edmond avaient eu la joie de découvrir un premier inédit voilà quelques années : « Le Gant Rouge ». Voici, par l’entremise d’un spécialiste incontesté de l’œuvre de Rostand, l’universitaire Olivier Goetz (maître de conférences en arts du Spectacle à l’Université de Lorraine, et entre autres co-organisateur d’un colloque qui se tint à Arnaga – Cambo, demeure-musée de l’auteur de « L’Aiglon », en septembre dernier, sur le thème suivant : Poésie du spectacle et spectacle de la poésie dans l'oeuvre d'Edmond Rostand), ce début de pièce interrompu par la maladie, la guerre et enfin la mort de son auteur de la grippeIMG_20181218_113250_resized_20181218_113429716.jpg espagnole le 2 décembre 1918 – il y a tout juste un siècle -, qui devait narrer l’amour absolu entre Joconde et Hermeril (« Cyrano » fut donné en novembre 1897, mais les feuillets de cette pièce inachevée datent de 1895). C’est vif et primesautier, léger et frais, en vers, et contre toute attente cinq scènes en disent déjà long, sur une petite quarantaine de pages aérées. Les amants ne « parlent » cependant pas dans ce premier acte, et nous le regrettons. Ils sont évoqués par d’autres personnages, ce qui rend l’extrait encore plus appétant ; et frustrant. Qu’importe ! Un certain Taldo déclare, page 33 :

    « C’est le seul grand amour que j’attends, que j’espère.

    Pas d’amour à mi-cœur, pas d’amour à mi-ciel.

    J’adore le parfait. Je hais le partiel.

    L’incomplet me paraît ce qu’il y a de pire,

    Et c’est à l’absolu, seulement, que j’aspire. »

    Tout Rostand...

    L’ouvrage comprend par ailleurs le fac-similé du manuscrit enrichi, raturé, corrigé de la main de son auteur, ce qui constitue déjà un précieux document : voir le travail en cours et tenter de deviner ce qui se passait dans la tête de celui qui cheminait sur le papier IMG_20181218_113313_resized_20181218_113430503.jpgcrayon en main, est toujours émouvant. Un texte de Goetz, « Exquise esquisse », analyse la genèse de la pièce, et clôt ce petit bouquin précieux et co-édité avec la Villa Arnaga-Musée Edmond Rostand, propriétaire du manuscrit. À quelques jours de découvrir au cinéma (le 9 janvier) le film « Edmond » (d')après la pièce homonyme (et formidable, nous l'avons vue il y a quelques mois au théâtre du Palais-Royal, à Paris), du même Alexis Michalik, l'actualité a du pif et ne manque pas de panache. L.M.

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    Atlantica, 13€

     

  • Whisky Express

    IMG_20181205_145532_resized_20181205_025738181.jpgCe mercredi, dans L'EXPRESS, je donne trois pages sur le sujet malté : la revanche des Single Grain. Delphinat à The Balvenie (Speyside). Et un choix de six beaux flacons pour les Fêtes. Enjoy, avec toujours un chouia d'eau dans le verre. L.M.  =>

    IMG_20181205_145652_resized_20181205_025737304.jpgIMG_20181205_145637_resized_20181205_025736550.jpgIMG_20181205_145622_resized_20181205_025735655.jpg

  • folio j'adore

    Capture d’écran 2018-11-22 à 01.24.02.pngCapture d’écran 2018-11-22 à 01.24.34.pngCapture d’écran 2018-11-22 à 01.26.24.pngCapture d’écran 2018-11-22 à 01.22.36.pngMerveilleuse collection folio. Nous tenons tous en mains un folio dans la journée, au moins une fois, pour vérifier quelque chose, relire un passage, retrouver une phrase, s’étonner d’une nouveauté, avouez, non ? Nous attendons tous avec impatience la reparution de romans ou d’essais dans cette édition de poche qui nous est devenue fétiche depuis tant d’années, parce que nous les avons ratés à leur sortie en grand format. Nous nous réjouissons d’une nouvelle traduction (Pavese, Zweig, Hemingway, London, pour ne citer que quelques récentes bonnes surprises), ou d’une nouvelle édition chic et rafraichissante (que les esprits chagrins dénigrent en invoquant un simple coup de marketing et juste une nouvelle couverture : laissons-les à leur aigreur triste), comme ces deux Italo Calvino : La route de San Giovanni et Leçons américaines. Le premier ravive cinq souvenirs majeurs du grand écrivain italien à l’imagination tellement magique dans la plupart de ses livres phares. Le second est composé de six cours qu’il devait donner à Harvard si la mort ne l’avait pas surpris trop tôt, et ce sont six bijoux étincelants d’intelligence et de réflexion sur les chefs d’œuvre incontestables de la littérature, à travers le prisme de cinq valeurs : légèreté, rapidité, exactitude, visibilité, multiplicité. C’est justeCapture d’écran 2018-11-22 à 01.32.27.png brillant. On sort grandi de cette lecture tonique pour la cervelle, en se disant « chapeau »… Folio, c’est relire l’Argentin le plus important à nos yeux, Jorge Luis Borgès, et ses indispensables ouvrages devenus des classiques dont on parle entre nous, le soir au coin du feu : Fictions, bien sûr, et son inoubliable Jardin aux sentiers qui bifurquent,  où l’indispensable Livre de sable, qui fait partie des livres que l’on aime offrir, et ses treize nouvelles à connotation fantastique, mais comme Poe le fut, soit avec un talent fantasmagorique capable d'orienter sans la gouverner la vocation d’un Julien Gracq. Nous y relisons avec un immense plaisir Le congrès, et l’indépassable nouvelle qui donne son titre au livre. Folio, car ce n’est pas fini, c’est encore le bonheur de plonger dans la correspondance amoureuse de François Mitterrand, avec cet énormeCapture d’écran 2018-11-22 à 01.27.35.png volume (1000 pages) – et encore, il s’agit d’une version abrégée de celle qui parut en collection Blanche -, avec Anne Pingeot, sobrement intitulé Lettres à Anne, 1962-1995, Choix (établi par la destinataire elle-même). Car, c’est beau, très beau, émouvant presque à chaque page, à l'instar du Journal de Jules Renard, lequel recèle un trésor ou deux à chaque paragraphe (avouez aussi). « Tonton » était une sacrée plume et un esprit littéraire très cultivé. Anne est magnifiée, comme a pu l’être Maria Casarès sous la plume d’Albert Camus, Elsa sous celle d’Aragon, Gala, Lou, tant d’autres bénies des dieux de la littérature lorsqu'elle part du coeur et pas seulement du ventre. Cela commence donc en 1962, lorsque François Mitterrand, alors âgé de quarante-six ans, tombe instantanément amoureux fou d’une jeune femme de dix-neuf ans qu’il rencontre chez ses parents à Hossegor. Bien sûr, un sentiment de violation de domicile, d’impudeur difficile à dominer nous saisit à chaqueCapture d’écran 2018-11-22 à 01.38.59.png lettre, mais cette désagréable impression qui nous colle à la peau comme la honte figurée par le feu qui prendrait à notre vêtement et menacerait de nous étouffer, cette sensation de pénétrer l’intimité d’un couple épris, est dépassée par la langue, la poésie, la profondeur bouleversante et finalement universelle, si l'on prête une oreille attentive, des mots que Mitterrand adresse avec une fougue capable de rendre jaloux tous ceux qui claudiquent et balbutient devant l’aimé(e) avec une syntaxe maladroite ; empotée. Une leçon, à la manière d’un recueil de poèmes d’Éluard. Folio, c’est encore ces « collectors » qui jaillissent à l’approche des fêtes de fin d’année. Nous tenons là un opus de Sylvain Tesson que nous aimons particulièrement, et dont le succès fut très mérité : Dans les forêts de Sibérie, livre déjà évoqué ici même pour son côté sauvage et pur. De même que le fut un autre grand livre, un roman cette fois, de la baroque Carole Martinez : Le cœur cousu. Un livre diabolique et donc séduisant qui nous plonge dans l'Andalousie du XIXè siècle et ses croyances ésotériques, où des femmes savent recoudre les coeurs en lambeaux et possèdent le pouvoir de rafistoler les hommes brisés... Enfin, et nous ne l’avons pas encore lu, mais le premier roman de Leïla Slimani, Dans le jardin de l’ogre, bénéficie lui aussi de cette collection très chic, colorée, même sur tranche. Il évoque, lis-je, une addiction sexuelle implacable, et forcément dangereuse. À suivre, donc. Folio, c'est enfin tomber sur une perle qui avait échappé à notre attention lorsqu'elle parut chez P.O.L., comme L'homme des bois, de Capture d’écran 2018-11-22 à 01.40.28.pngPierric Bailly. Hommage d'une tendresse froide mais jamais désaffectée - bien au contraire -, au père disparu accidentellement, et à côté duquel le fils a le sentiment douloureux d'être un peu passé à côté... Et ce trop tard accroit le manque. Ce livre nous fait dire que, si le travail de deuil de la mère est un genre littéraire en soi, celui du père est encore un territoire à défricher et à bâtir avec ce type d'hommage. Car, ce bouquin court, dense, âpre, empathique avec la distance juste, modeste, est grand par sa langue droite et pure, par sa narration simple et essentielle; celle qui n'ose pas tout, qui suggère au lieu de souligner. Le tact, quoi. L.M.

  • Crush : Cigarettes after sex et Trans-Europ-Express

    La scène la plus intéressante (plus quelques collages) de Trans-Europ-Express, film prétentieux et pervers d'Alain Robbe-Grillet (1966), très Nouveau roman, très inspiré de la Nouvelle vague bien sûr, mais sans grand intérêt, hormis la mise en valeur d'un couple : la séduisante Marie-France Pisier et le magnétique Jean-Louis Trintignant. Ce montage sur un morceau du groupe Cigarettes after sex en devient captivant. Ça happe. 

    https://bit.ly/2RRVfrz

    Capture d’écran 2018-11-14 à 20.08.18.png