Du grand Authier
Alexandre Berthet - allusion (réitérée) au regretté écrivain Frédéric Berthet, vit à Toulouse où il est critique culturel. À l’abri du besoin, héritier par sa grand-mère d’un grand appartement, ce passionné de photo coule à bientôt vingt-sept ans des heures heureuses dans les bars à vins et les bons restaurants de la ville rose qu’il aime viscéralement et dont il connait chaque rue, lorsqu’il n’écrit pas ses articles au ronronnement de son chat Oscar, dans ce nid où il aime cuisiner et ouvrir de bons flacons pour les potes. On reconnait d’emblée - à peu de chose près - le double de l’auteur. La vie n’a cependant pas épargné le personnage du roman, beaucoup moins inventé que ne l'est celui de son père, cet homme ayant totalement disparu du paysage familial il y a vingt-deux ans. Quant à Emmanuelle Rives, sa mère, elle fut emportée par une leucémie foudroyante lorsqu’il n’avait que douze ans. Et voilà que Patrick Berthet, ce géniteur inconnu que son fils pensait même mort, resurgit au bout d’un message audio pour le moins stupéfiant. Est-ce un salopard, une ordure, un fou, est-ce irréel, improbable, dingue, se demande Alexandre en se rendant au rendez-vous proposé. Rien n’augure du meilleur, mais Alexandre y va sans rancœur. Il verra bien. Or, c’est un père plus que loufoque, vulgaire, qui drague ouvertement la serveuse de la brasserie Le Bibent, une sorte de mythomane évoquant des affaires qu’il a faites et du « biz » qu’il s’apprête à faire avec le Brésil, parlant une novlangue insupportable, gavée de du coup, no problemo, perfecto, de ouf, petite siesta, en mode, verre de gnac (pour armagnac), volontiers graveleux, truffant son bavardage de blagues lourdingues, qui sollicite d’être hébergé quelque temps, revient vite sonner au prétexte qu’on lui a volé sa valise, demande au fils de payer son hôtel et de lui avancer quelques centaines d’euros, lui emprunte sa carte bancaire - t’inquiète pas, je te rembourse dans deux-trois jours, puis s’installe, vide le frigo, la cave, néglige de faire la vaisselle, et tant qu’à faire, organise une fête de tous les diables avec la serveuse séduite et ses amis. Alexandre se plie de bonne grâce à ces débordements de beauf pique-assiette, ce qui irrite un peu le lecteur. Mais les deux hommes s’observent. Alexandre se dit que c’est quand même son père, cet hurluberlu, mais quel homme ce faux parasite est-il vraiment ? Patrick finira par fendre l’armure, et le tact littéraire d’Authier est de le rendre progressivement touchant, attachant même, avec ses faiblesses et les failles qui ont émaillées ces vingt dernières années au cours desquelles sa belle-famille ne fit pas toujours montre d’humanité, où il connut même la taule, mais je ne vais pas tout dévoiler. Une virée d’une semaine sur la Costa Brava permet aux deux hommes de mieux s'appréhender, de se reconnaître, et nous de découvrir Mara Maulin – autre patronyme à clin d’œil, car Alexandre tombe amoureux, et oui. Et pas qu’un peu. Nous voyageons, dans les romans d’Authier : Biarritz, Naples, San Sebastien, le Gers, nous buvons du bon : Substance de Selosse, Comor, les Terres promises, l’Anglore, morgon de Lapierre, Poignée de raisins de Gramenon, Mas Jullien à la Villa Mas, excusez du peu, nous lisons du sérieux : Déon, Vialatte, Blondin, Lawrence Osborne, Paul-Jean Toulet, La Ville de Mirmont, Fajardie, Frank, Sagan, et nous revoyons La Grande Bellezza en blue-ray. Bref, nous sommes bien chez Christian, et si je l’écris ainsi c’est parce que c’est un ami depuis plus de vingt ans ; je ne l’ai jamais caché sur KallyVasco (voir les archives à l’onglet Recherche). Reste que « Comme un père » (éd. du Rocher) est à mes yeux un Grand Cru de l’auteur, où l’on retrouve un style immédiatement reconnaissable, une mélancolie inoffensive, un humour tendre, des formules aiguisées, des personnages que l’on a envie d’inviter à la maison, une Toulouse toujours plus tutoyante, une chute de roman qui fait du bien, une atmosphère légère pour exprimer des choses lourdes. Le talent, quoi. L.M.
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Comme un père figure dans la première sélection du Prix Renaudot.