Belle perdue dans Causeur
Thomas Morales compare mon dernier roman à Villa triste, de Patrick Modiano. Il y a pire comparaison... Merci cher Thomas.
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Thomas Morales compare mon dernier roman à Villa triste, de Patrick Modiano. Il y a pire comparaison... Merci cher Thomas.
Ce bel article dans le grand quotidien italien sur L'Été de la Corricella / L'Estate della Corricella (récit bilingue) paru en septembre dernier chez Giannini editore.
... au moment où reparaissent en format "poche" (chez Cairn) mes Bonheurs de l'aube.
Merci à son auteur(e), Rita des Roziers.
Avec Manu Dubarry, la boucle de l'art et celle du couple passent par le poisson. Gyotaku mode d'emploi.
Elle a le sens de la boucle et elle ne la boucle jamais car elle a, a minima, une idée par minute. Manu Dubarry – fille de Pierre, qui fonda Les Ducs de Gascogne, ou le foie gras dans tous ses états, a lâché Gimont pour Hossegor, son port d’attache, et les longues plages voisines de Seignosse, soit la généreuse terre gersoise pour l’océan infini de la côte landaise ; ce depuis belle lurette. Les vagues, l’horizon, le sable - et ce qui y échoue surtout, le Gouf et ses insondables mystères à tenter de deviner devant Capbreton, n’ont fait qu’attiser son imaginaire prolixe comme les vagues. Manu créé par séries continuelles. Elle figure le rythme des marées, réputé infini. Artiste autodidacte, après avoir travaillé comme peintre de décors pour le cinéma, elle transforme tout ce qu’elle touche, de ses dix doigts armés par un esprit fertile, en œuvre délicate à tirage unique et à haute valeur ajoutée sensible ; puissamment mais tendrement poétique.
Là, elle expose plus d’une soixantaine de ses créations singulières à Olatu (100, avenue de l’Adour à Anglet, juste avant le Brise-Lames, le port de plaisance, et notre querencia gourmande, le restaurant Le Poisson à Voile). Depuis le 15 janvier et jusqu’au 28 mars (le vernissage aura lieu le 15 février à 18h. Venez tous). L’espace s’y prête « qui autorise une vue d’ensemble, de loin, et aussi de pouvoir s’approcher très près de chaque cadre afin d’en lire les détails », dit-elle, « d’observer les traits, le regard, les tâches, les écailles de chaque poisson mis en scène en noir de seiche... & blanc ». C’est en réalité à une visite d’un « aquarium à sec » qu'il s'agit, qui n’est ni le musée de la Mer de Biarritz ni l’aquarium de La Rochelle ou celui de San Diego, mais la projection scénographiée d’une femme audacieuse et créative jusqu’au bout des ongles, ayant à cœur de faire œuvre de la pêche de son homme avant de la lui cuisiner. L’intention est donc, philosophiquement et sans le vouloir, puissante. Et admirable. Et cela passe par l’encre de seiche dont
elle enduit chaque poisson pris dans le Gouf, au lancer, au leurre souple, au madaï, à la turlutte, à l’ascenseur, les techniques variant chaque jour, à chaque marée, selon d’ésotériques critères, parfois...
Les poissons-filets
« Il y a sept ou huit, ans, j’ai commencé de faire ce que j’appelle mes poissons-filets ou mes poissons démaillés, des poissons reconstitués à partir les fils multicolores de filets de pêche échoués sur les plages de Seignosse, que j’ai remaillés, reconstruits », dit Manu. « Je démaille et je couds, rien de plus, je n’ajoute rien, tout a été ramassé sur le sable ».
Ainsi, tout a... maille à partir avec la pêche, puisque « je fabrique des poissons, des crustacés, des mollusques avec ce qui a permis de les capturer : les fils du filet ou d’une ligne. Chaque poisson ou crustacé reprend sa forme avec l’outil de sa prise et donc de sa mise à mort ». La boucle. L’omniprésence de l’esprit de la boucle... « J’étais devant mon premier aquarium de poissons-filets, lorsque, au cours du premier confinement, au printemps 2019, une amie m’a parlé de la technique japonaise inventée en 1862, du Gyotaku (titre de l’exposition en cours). Il s’agit de « l’art d’immortaliser des poissons en prenant leur empreinte sur du papier afin de réaliser une estampe ». Cette technique est née du désir d’un seigneur d’offrir à l’empereur l’image d’une magnifique daurade, symbole de bonheur.
« Les pêcheurs », enchérit Manu, « auraient utilisé la technique Gyotaku pour immortaliser leurs plus belles prises en indiquant scrupuleusement les mensurations de chaque poisson. » Et c’est d’ailleurs ce que nous lisons en parcourant cette exposition d’une richesse confondante, qui n’est pas avare en émotions. Le voyage est infiniment poétique – nous nous répétons -, et nous cheminons comme Wang-Fô se sauva dans le conte éponyme extrait des Nouvelles orientales de Marguerite Yourcenar. Le parcours de droite à gauche avec des poissons qui se croisent sans se rentrer dedans car ils vont et viennent mûs par une fluidité instinctive, et l’encre de seiche qui les définit en les dessinant, les fossilisent – ils ressemblent en effet à des fossiles multi millénaires inscrits dans le minéral. Or, nous sommes devant du papier de qualité acheté chez Sennelier à Paris, ou devant de vieux draps récupérés, parfois brodés, blanc cassé ou uniformément immaculés, et tout cela tracé de noir animal, organique ; pur. Très pur (*). Il y a là non seulement des silhouettes, mais des détails effarants de vérité, y compris lorsque certains poissons sont reproduits, retranscrits les yeux « vides », vidés, liquéfiés, soit morts depuis un certain temps après leur prise, « les yeux cavés » comme les pendus de la Ballade de Villon. Manu ne cache rien. Elle est d’une franchise intérieure totale. C’est brut enduit de douceur, animal fourré de satin, sauvage doublé de soie.
Chaque poisson est ainsi à plat, sauf ce couple de lieus noirs qui jaillit à l’unisson, verticalement, et semble initier une danse nuptiale. Ou ce banc de marbrés fuyant et dont on éprouve la vitesse grande. Une technique voisine dédiée au végétal se nomme le Tataki-zomé, et Manu s’y frotte déjà avec gourmandise (à suivre)...
La révélation Gyotaku
« La découverte du Gyotaku correspondait tellement à mon histoire, lorsque cette amie m’en parla, que ce fut un choc, en écho à mon for intérieur, à ma force intérieure également, habitée que je suis par le monde des poissons depuis trente ans. C’est ma culture, c’est mon patrimoine. Mon mari (qui n’a pas encore d’écailles sur le dos, mais peu s’en faut), après avoir travaillé un quart de siècle pour Quiksilver, et surtout après avoir été sacré champion d’Europe de surf – il était alors surnommé Le Prince des Landes », ce qui génère un sourire amoureux et ravi à Manu lorsqu’elle prononce lentement ces quatre mots... « s’est mis à pêcher chaque jour que Dieu fait « de manière obsessionnelle », précise-t-elle. Poupi, les jours de gros temps qui l’interdisent, sombre dans la mélancolie des gens de mer saisis du mal de terre. Il ne fait qu’attendre le lendemain. » Il est happé par la bile noire (qui a peut-être partie liée avec l’encre de seiche, chi lo sa) comme un bar distrait par l’hameçon dissimulé.
Et puis le père de Manu est présent aussi, il est « dans la boucle », car il a appris à sa fille à cuisiner le poisson (et pas que), ce qu’elle fait quotidiennement avec amour et application. « Lorsque Poupi – alias Jean-Louis Poupinel – apporte le fruit de sa pêche quotidienne, « je prends donc l’empreinte de chaque poisson en le badigeonnant d’encre de seiche, puis je pose le poisson sur du papier ou sur du drap. Le corps s’imprime, y compris les tâches, l’œil, les blessures, des rayures par exemple, et je les travaille grâce à ma mémoire visuelle, je retouche en quelque sorte. Je fais ça à l’instinct aussi, je restitue du mieux que je peux l’âme du poisson à travers son œil ». C’est le lieu de toutes les concentrations, comme pour le regard humain, en somme. Ainsi les poissons morts retrouvent-ils une vivacité. Un vrai regard de vivant. « Certains sont romantiques, d’autres semblent apeurés, d’autres encore expriment leur colère ». Nous parcourons lentement l’expo. Manu Dubarry s’arrête devant un chinchard encadré. « Il était très bon en ceviche, lui ». Et avoue adorer manger les « parpaillettes », les bas-joues des poissons, situées sur les côtés de la tête (à ne pas confondre avec les kokotxas de merlu, par exemple, qui se situent sous la mâchoire inférieure de cette espèce-là).
Boucler la boucle, une obsession
Toutes les œuvres de Manu Dubarry sont issues de poissons pêchés dans le Gouf, aux noirs mystères réputés abyssaux, bis repetita à dessein. Et Manu de préciser qu’elles sont bien sûr toutes à l’échelle 1 :1. Forcément. Et que tous les tableaux qui sont exposés, comme les précédents qui ont été vendus, représentent des pièces ayant été cuisinées par Manu. « Je les sers soit crues, en tartare, en ceviche, soit fumées avec mon petit fumoir de table, soit cuites bien sûr mais sans les cuisiner « de trop », très simplement afin de respecter l’authenticité des saveurs originelles, comme un indispensable hommage. » Cette exposition, ce travail, sont une histoire d’amour, et de poésie forte. On boucle véritablement la boucle avec Manu, et Poupi, lequel a toujours vécu sur l’eau, une planche de surf sous ses pieds ou une ligne en mains sur son bateau.
« Il tue ses poissons selon la technique japonaise ancestrale et douce qui évite la souffrance, et augmente le goût de la chair, appelée Ikejimé (en perçant instantanément le cerveau et la moelle épinière). Sa démarche globale est très nature, respectueuse jusqu’au bout... », souhaite préciser son épouse. En résumé, Poupi pêche, Manu fait œuvre d’art du produit de la quête de son homme, puis elle cuisine cela pour lui et toute la famille. « Je fais aussi bouillir chaque tête, et je garde les crânes (exposés également à Olatu) car ils sont tous différents, et fascinants par leur force évocatrice : un dragon ici comme issu de Games of Thrones, un profil de rapace là... De même, elle recueille les « plumes » de calamar qui sont d’une beauté transparente stupéfiante. « Avec Poupi, on ne se voit pas de la journée, il part pêcher très tôt et rentre tard, et nous avons peut-être inconsciemment cherché à nous rapprocher, à nous lier de cette façon. Il y a, oui, cette boucle, ce prolongement que je crée, et le retour en cuisine. Je le nourris de sa propre pêche, ainsi peut-il repartir pêcher le lendemain... » Un regard circulaire sur cette exposition en tous points unique relève ce banc de marbrés sur de la toile de drapeau tendue comme les deux battants d’un paravent japonais. Plus loin, une table de bistro offre des poissons imprimés sur son rond. L’empreinte, la trace, le patrimoine océanique... « Mon rêve serait de faire une expo à Capbreton de tous les poissons présents dans le Gouf, y compris dans ses profondeurs noires. » Cette exposition qui se tient à Olatu, c’est l’aquarium sec et kaléidoscopique, fantasmatique et poétique de Manu Dubarry. Il nous invite à nager pas à pas devant le palimpseste à l’envers de poissons imprimés à l’encre de seiche. Et c’est d’un parcours unique qu’il s’agit. D’un long poème qui réclame un livre hommage composé de haïkus et de dessins. Affaire en cours...
Léon Mazzella
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(*) « Il est fort probable qu'avec le temps, le noir organique de ces dessins vire au sépia », confie Manu. Ce n'est que justice : sépia signifie seiche, c'est son nom latin, son étymologie. C'est ancré... L'esprit de la boucle aura le dernier mot.
Parmi mes lectures marquantes au cours de cette année qui s’achève ce soir, je retiendrai une petite poignée de livres émouvants, à commencer par « Frère unique », d’Olivier Frébourg (Mercure de France), récit poignant, à la limite de l’insoutenable parfois, sur la disparition tragique, accidentelle, et injuste de son frère Thierry, « ponte » de la médecine, chercheur généticien de renommée mondiale et victime d’une minable erreur médicale sur le lieu même où il officia tant d’années : l’hôpital de Rouen – rendu coupable de n’avoir de surcroît jamais vraiment reconnu sa faute, ce qui donne lieu à des pages enragées de la part du frère meurtri et inconsolable ; révolté. Double peine. Mais ce livre intime (Olivier Frébourg avait déjà donné « Gaston et Gustave » sur la disparition d’un de ses fils grand prématuré, et – ai-je envie d’ajouter, « La grande nageuse », sur la douloureuse séparation d’avec la mère de tous ses fils) brille avant tout par les souvenirs d’enfance heureuse de deux frères sous le soleil des Antilles où la famille vécut un temps, de 1969 à 1972, puis en Normandie, berceau familial, car le père est un brillant commandant de Marine (officier de la Transat, il fut pressenti pour prendre le commandement du France). Nous savons Olivier Frébourg, écrivain de Marine, habité par la mer. Nous le découvrons ici « frère et fier » de son frère, son « pilier lumineux », qu’il admire sans ambages. « Nous étions des brotherships », écrit-il joliment. « J’étais enfant de la mélancolie. Il était le soleil. J’étais la lune ». L’écrivain Frébourg appelle alors à la rescousse ses vieux compagnons, Hemingway, Ovide, Dante, Virgile, Hugo, Reverzy, Buzzati, Chatwin, Brauquier et autres trafiquants d’exotisme, les poètes, les oiseaux aussi, tout fait baume, ou devrait pouvoir panser... L’ouvrage est bouleversant de bout en bout qui vous traverse de part en part. Je me souviens que, le livre achevé, mes mains tremblaient et j’avais le cœur serré comme une gorge.
« Éloge des oiseaux de passage », de Jean-Noël Rieffel (Équateurs, vénérable maison dirigée par Olivier Frébourg) est un de mes chouchous car je suis un peu à l’origine de cette publication, puisque mon ami Jean-Noël m’avait envoyé son texte (devenant son premier lecteur, ce qui m’honora), que j’ai aussitôt aimé et transmis à mon autre ami Olivier Frébourg, qui s’enthousiasma à son tour. Ce premier livre est une ode à la migration, au pouvoir des oiseaux sur l’esprit de l’homme et donc sur son bonheur. Je partage avec son auteur trois passions : les oiseaux, la poésie et les vins purs. Il en est question dans ses pages, notamment de l’œuvre sensible et précieuse de Philippe Jaccottet. Quant aux oiseaux, ils imprègnent tant l’ouvrage qu’il me semble être composé de plumes et de chants. Je sais que le livre a connu un joli succès, et c’est justice qui me réjouit.
Fervent lecteur de Pascal Quignard, dont je lis absolument tout, j’ai été une fois encore enthousiasmé par « Les heures heureuses » (Albin Michel) qui poursuit la quête spirituelle de la sensation, des émotions pures, de la source de l’amour, de l'émoi originel, l’ensemble dans une langue tendue et on ne peut plus baroque (depuis « Tous les matins du monde »), minérale, d’une précision d’horloger genevois, à la limite du jansénisme littéraire, en tous cas d’une rigueur admirable qui n’exclut jamais – et c’est l’un des talents de Quignard, la dimension extrêmement poétique de sa prose. L’auteur aborde une foule de petits sujets universels par le biais de l’anecdote historique, de la description de l’événement au demeurant insignifiant. Chacun de ses livres, notamment cette « suite » intitulée « Dernier royaume » et dont c’est le XIIe opus, renvoie - à mes yeux en tous cas - à la phrase célèbre de Miguel Torga, « l’universel, c’est le local moins les murs ». Et n’est-ce pas la première vertu de la littérature, sa mission que de rendre universel le village de Macondo dans « Cent ans de solitude » – par exemple. Aussi, et c’est un sacré atout, « un » Quignard se dévore en picorant, le lecteur peut l’aborder comme des pintxos au comptoir d’un bar de San Sebastian. Et, par surcroît, il instruit considérablement, car il n’est jamais avare de détails étymologiques, philologiques, historiques, littéraires et philosophiques, qu’il évoque La Rochefoucauld ou un inconnu, la regrettée Emmanuèle Bernheim ou Spinoza. Et nous sortons de ces « heures heureuses » galvanisé et comme abasourdi lorsque, dans une salle obscure, d’un film exceptionnel nous lisons le générique de fin avec une scrupuleuse gourmandise...
« La grande ourse », de Maylis Adhémar (Stock) est un roman brillant sur un thème devenu « à la mode » : la difficile cohabitation de l’homme en milieu pastoral avec (le retour) des grands prédateurs comme le loup et l’ours – le lynx croquant surtout les chevreuils des forêts vosgiennes. En l’occurrence, il s’agit des bergers ariégeois du Couserans – cette si belle région que l’auteur(e), toulousaine, connait dans les recoins, et de l’ours. L’écriture est sensible, précise, ciselée, les personnages parfois caricaturés (les rugbymen des bars de l’arrière-pays, le chasseur bourru, le berger bucolico-gionesque, la bergère dure à la tâche...), les paysages ne sont à mon goût pas assez magnifiés, la narration d’un conflit qui enfle l'est bien davantage, et la jalousie de l’héroïne pour l’ex de son amoureux un peu too much. Une économie d’une cinquantaine de pages sur le sujet eut été bénéfique. Mais bon, cela n’exclut pas que ce livre soit pétri de qualités, et je le rapproche d’un autre grand texte franchement admirable, sur le même sujet, de Clara Arnaud, « Et vous passerez comme des vents fous » (Actes Sud).
Sous-titré « Petite rhétorique itinérante », « En marchant », de Patrick Tudoret (Tallandier) est un précieux livre total car il entremêle érudition (sans frime aucune) et petite philosophie de la marche avec brio. Le tout piqué de souvenirs très personnels comme un gigot d’agneau l’est de gousses d’ail. Souvenons-nous que Montaigne, marcheur (et cavalier) impénitent, prétendait « penser par les pieds », et songeons avec Eugenio de Andrade, que « la démarche crée le chemin ». Tudoret est dans cette mouvance-là. Contemplatif et jamais sportif acharné, il prend le lecteur par la main, lequel prend son bâton de pèlerin, et c’est parti. Véritable anthologie littéraire à dominante poétique, le livre devient vite un compagnon que l’on est tenté de glisser dans le sac à dos pour nos prochaines haltes dans la montagne basque – où l’auteur randonne également. « Il y a une ivresse de la marche comme il y a une ivresse d’écrire », note-t-il. Tudoret aime à sentir « la pulpe d’un lieu », à en saisir « le pouls intime », et aussi marcher dans les pas des écrivains qu’il aime. Il en appelle à Saint-Augustin : « Qui n’avance pas piétine », souligne : « La marche comme école de détachement, d’affranchissement. On largue les amarres. La marche art du délestage, de l’allègement. Délestage physique, matériel, mais aussi moral : se déprendre de soi ». Et précise salutairement : « Les assis m’ennuient, ceux qui courent me fatiguent, j’aime ceux qui marchent ». Nous tous aussi, non ?..
« Monsieur Nostalgie », de Thomas Morales (Heliopoles), déclaration d’amour aux Trente Glorieuses, hymne au « c’était - tellement - mieux avant », est un livre délicieux d’un grand styliste dans la lignée hussarde de Blondin, qui assume avec talent son attachement aux choses surannées et passées de mode. Mais qui pourrait prétendre que Claude Sautet, Bébel, le culte de la langue française, le panache hexagonal, les livres paillards de Boudard, la voix de Michel Delpech, le plat Berry qui est le sien puissent passer un jour de mode ? Morales possède ce passé brillant, truculent, hédoniste, cultivé, amical, gascon et rastignacien, épris de clochers et de ballons de rouge partagés au zinc, du mythe B.B. et des fromages bien faits, chevillé à l’âme comme au corps. Et nous le suivons, page à page, avec une gourmandise qui augmente à mesure, en lisant en ronronnant. « Arrière les esquimaux ! » Olé...
« La Vie derrière soi. Fins de la littérature », d’Antoine Compagnon (folio essais) est un essai aussi important que sombre. « La littérature a un lien essentiel avec la mort, le deuil et la mélancolie », prévient d’emblée l’ex-universitaire et essayiste des « Antimodernes » et le biographe inspiré (et à succès) de Montaigne, Proust et quelques autres. Est-ce l’âge, le décès de son épouse, la retraite prise... Compagnon se penche sur les œuvres tardives, évidemment pas comme Narcisse sur son reflet dans l’eau, mais en intellectuel constamment en question, à l’écoute, notamment sur ce qui pourrait constituer ce fléchissement de l’âme, sur ce qui préfigure chaque chant du cygne, sur les faiblesses physiques aussi – qu’il ne faut pas négliger, car elles gouvernent le mouvement de la main sur la feuille... L’érudition de l’ancien professeur au Collège de France (dont je suivais les cours, parfois dehors devant un écran géant, pour cause de succès, lorsque je vivais dans le Ve arrondissement, à un jet de galet du Collège...) brille par mille feux en voie d’extinction, et cette plongée dans les eaux profondes de l’ultima verba donne à voir et à réfléchir sur la teneur des dernières pages de « La Recherche », sur la théâtralisation du « Journal » de Gide, sur tant de récits de la vieillesse qui se révèlent parfois, souvent, plus toniques que ceux de la jeunesse, aussi. Stimulant.
Bien sûr il y eut la divine surprise – oh, vingt-neuf pages à peine -, mais de l’indépassable Julien Gracq, avec « La Maison » (Corti), nouvel inédit, cadeau du ciel et des étoiles, condensé du talent immense du « patron » comme disait Nourissier. L’histoire, mais en est-ce une, est mince come un papier Rizla+, et en faut-il d’ailleurs une pour faire œuvre (à vocation) universelle ? cf. supra. L’apparition énigmatique d’une maison enfouie dans une friche sur le trajet du bus, « comme l’affût précautionneux et tendu d’une bête lourde au milieu de ces solitudes », « de ces fourrés sans oiseaux ». Nous sommes aussitôt chez Poe que Gracq vénérait autant que Verne. Son approche furtive un jour, à pied, « le besoin de me sentir le cœur net de l’envoûtement bizarre de ces bois sans joie », « une extraordinaire suggestion d’abandon et de tristesse », et tout à trac le chant à peine perçu d’une femme, « une voix nue », la vue, l’espace d’un court instant, de « quelque chose d’elle », « la pointe de deux pieds nus », et il n’en faut pas davantage pour générer une montagne d’un désir retenu serré par l’écriture comme jamais maîtrisée de l’auteur du « Balcon en forêt ». La charge érotique de ce très court texte est d’une intensité sublime puisque tout est suggéré, entrevu, et enfin la chute, que je délivre ici car elle n’empêche aucunement le plaisir du texte, sa montée en puissance comme le mercure dans le thermomètre, « ... plus nue encore, et plus secrète que les pieds nus, la masse ondée, prodiguée, déployée, comme une draperie, d’une longue chevelure blonde, la chevelure défaite d’une femme ». Qui écrit mieux ?
Grâce soit rendue à Brice Matthieussent, traducteur magnifique de tout l’œuvre – volumineuse (trente ouvrages) de « Big Jim » et à Flammarion d’avoir rassemblé tout ce que ce corpus compte de récits et d’extraits de romans, de « novelas » aussi, placés sous la personne emblématique de Chien Brun, double de Jim Harrison, « Chien Brun. L’intégrale » (Flammarion), donc. Il s’agit d’un livre en surnuméraire lorsqu’on possède une étagère pleine à ras-bord des bouquins de Jim, et qui – pour l’anecdote, faillit un jour me priver de vieillir, en tombant brusquement sur ma tête. Je m’en tirai avec un éclat de rire étrange et une bosse énorme. Ah, Chien Brun, mélancolique bâtard supposé d’Indien mais n’ayant que du sang chaud qui circule ardemment dans les veines, Chien Brun l’anar broussard du Michigan dépourvu de numéro de sécurité sociale – notez la poésie insolite de ces mots, Chien Brun pêcheur de truites et devant l’éternel, Chien Brun chasseur et trousseur, sauvage comme on aime les personnages de cette Amérique des grands espaces, court ici sur près de six cents pages, et plus on les feuillette, s’y arrête, plus Jim nous manque. Mais ce n’est pas si grave, Chien Brun se retourne, décèle votre peine, et vous embarque, et c’est bon de le suivre à nouveau, de le lire...
Voici un ouvrage singulier que Jim Harrison aurait sans doute aimé. « Chanteurs d’oiseaux », de Jean Boucault et Johnny Rasse (Les Arènes/PUG), ou l’histoire de deux surdoués de l’imitation des chants d’oiseaux – l’un est spécialiste du goéland argenté, l’autre du merle noir, qui raflent tous les concours (ce qui semble très étrange, pour un citadin) ayant cours notamment en baie de Somme, d’où ils sont issus. Terre d’oiseaux de passage, ils ont grandi parmi eux, du côté d’Arrest, leur parcours est narré en alternance, et ils se donnent aujourd’hui en spectacle, et c’est paraît-il bluffant (mais j’ai la chance immense de pouvoir les écouter bientôt, vers la mi-janvier, à Paris, à la faveur du Salon du Livre de Nature, où se tiendra leur prestation). Leur récit alterné est touchant, simple, qui décrit leur quotidien, l’école – surtout buissonnière, l’amour infini des oiseaux, l’apprentissage de leur parole, de l’infinie subtilité des « modulations de fréquence » de chacune d’elles, la naissance d’une passion dévorante, tout cela est décrit dans une langue directe et sensible, naturellement sauvage et saumâtre, avec des adjectifs beaux comme des marécages à l’aube, des joncs éclairés par un soleil timide. « Je t’apprendrai à faire le courlis cendré ». Juste cette phrase et je frissonne. Comprenne qui sait déjà...
« L’ABéCédaire de Michel de Montaigne », choisi par Michel Magnien (L’Observatoire) est issu d’une collection particulièrement attachante (celui de Romain Gary nous avait ravi, il y a quelques mois). Il agit comme un « memo », un rappel, un vaccin, on le feuillette en cherchant des entrées moins convenues, laissant tomber amitié, cannibales, apprendre à mourir, éducation... en musardant du côté de bordel, branloire, chasse, constance, cul, délectation morose, désir, difformité, écrivaillerie, garde-robe, ivrognerie, etc. Inépuisable Montaigne. Ce livre est à rapprocher du (déjà ancien) « Le meilleur de Montaigne », concocté par Claude Pinganaud pour arléa. Revenir, toujours, à Montaigne.
J’en attendais plus. Je fus déçu. Comme souvent, avec le choix de l’Académie Nobel. Louise Glück ne profita pas longtemps du sien, obtenu en 2020, car elle vient de nous quitter. La « grande » poétesse américaine se voit compilée par Poésie/Gallimard, avec « L’Iris sauvage, Meadowlands, et Averno » lesquels m’ont laissé sur ma faim de poésie profonde, dense, parce que, page 193, je ne me contente pas du début du poème intitulé
« Anniversaire :
J’ai dit que tu pouvais faire un câlin.
Ça ne veut pas dire tes pieds froids sur ma bite.
Quelqu’un devrait t’apprendre les bonnes manières au lit. »
Un poème, un seul (sur 450 pages, c’est léger) a trouvé grâce à mes propres critères, « Rotonde bleue :
J’en ai assez d’avoir des mains
dit-elle
Je veux des ailes –
Mais que feras-tu sans tes mains
Pour être humain ?
J’en ai assez de l’humain
dit-elle
Je veux vivre sur le soleil »...
Approcherions-nous, via cette dernière image, de l’éternité décrite (« Quoi? »..) par Rimbaud, dont on célèbre le 150eanniversaire de l’impression à compte d’auteur à Bruxelles, des cinquante-quatre pages d’« Une saison en enfer » (Poésie/Gallimard), soit une mince plaquette de textes en prose sertie de sept poèmes en vers, avec des pages blanches, des fautes typographiques demeurées (il s’agit d’un fac-similé, comme celui qu’arléa offrit à ses fidèles clients il y a quelques années). La mention PRIX : UN FRANC qui barre la page de titre (intérieure) comme une ceinture de bourreau, possède finalement l’élégance surréaliste d’un aquoibonisme de belle facture. Rimbaud détruisit le faible tirage, non sans avoir offert un exemplaire à Verlaine. C’est grâce à celui-ci que le texte fut sauvé, nous est parvenu, et nous touche encore de plein fouet :
« Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s’ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient.
Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. – Et je l’ai trouvée amère. – Et je l’ai injuriée. »
Ainsi débute cet ouvrage iconique, comme on dit, que nous ne nous lasserons jamais de rouvrir.
« Je suis un volcan criblé de météores », de Etel Adnan (Poésie/Gallimard), m’est une découverte majeure. Cette somme de poésies qui couvre les années 1947 à 1997 provient d’une poétesse prolixe (1925-2021) tardivement reconnue, peintre aussi, issue du carrefour de plusieurs cultures (turque, grecque, libanaise, française, américaine). Il y a des poèmes militants à connotation politique, je les ai écartés d’instinct, considérant avec Stendhal que « la politique dans un roman, c’est un coup de pistolet dans un concert », et avec Proust que des idées dans une fiction « sont comme l’étiquette du prix laissée sur un cadeau ». En revanche, de très nombreux textes sont infiniment sensibles, touchants. Extraits :
« Le soleil dit la mer est la vie originelle,
je suis les vignes futures et la vigueur des panthères.
La mer est femme sur les genoux de l’aube. »
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« La nuit coulait plus lentement
qu’un étang. L’ange comptait
les étoiles. Tu disais : L’amour
est une eau qui revient à son
aube. »
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« J’ai épousé la lumière
j’ai enfanté la folie
je suis un fleuve mon amour
tu ne peux que pleurer
sur mes bords. »
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« et la chaleur de ta
passion
prend
la couleur du givre
blanc comme un perpétuel printemps. »
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« Elle avait des yeux qui faisaient
briller le soleil au-dessus de mon lit
et tomber la pluie
c’est de ma mère que je parle... »
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« La solitude du monde animal
est entrée dans mon cerveau :
Une femme m’a aimée au-delà de toute raison »
À la faveur de retards homériques des trains de la SNCF la veille de Noël et son surlendemain, et ayant pris soin, au cas où si probable, de me munir d’une Pléiade, j’ai relu les Oeuvres romanesques de Marguerite Yourcenar, la grande Marguerite Yourcenar. « Alexis ou le traité du vain combat », Le coup de grâce », « Feux », « « Nouvelles orientales », un peu de « l’Œuvre au Noir », des « Mémoires d’Hadrien »... Un bonheur réitéré une journée durant entre Bayonne et Nîmes, via Bordeaux et Toulouse. Je suis soudain tenté de reproduire ici tout ce que j’ai pu annoter au crayon sur le papier bible, tant de fulgurances, de traits, de percussion, de vérité, de subtilité extrême... Allez, juste deux ou trois comme ça, pour frissonner :
« On dit : fou de joie. On devrait dire : sage de douleur. »
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« Posséder, c’est la même chose que connaître : l’Écriture a toujours raison. L’amour est sorcier : il sait les secrets ; il est sourcier : il sait les sources. L’indifférence est borgne ; la haine est aveugle ; elles trébuchent côte à côte dans le fossé du mépris. L’indifférence ignore ; l’amour sait, il épelle la chair. Il faut jouir d’un être pour avoir l’occasion de le contempler nu. Il m’a fallu t’aimer pour comprendre que la plus médiocre ou la pire des personnes humaines est digne d’inspirer là-haut l’éternel sacrifice de Dieu. »
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« Où me sauver ? Tu emplis le monde. Je ne puis te fuir qu’en toi ? »
J’achèverai cette brève liste (j’en oublie, c’est certain, car une année c’est long, mais je la rectifierai, le cas échéant)... Avec une relecture faite à la faveur d’un cadeau d'anniversaire précieux comme le givre à l'aube, le premier regard de connivencia, l'amour et le vin pur en partage, le silence qui épargne le geste, les yeux fermés paupières coupées : « L’Amour fou », d’André Breton dans une belle édition rare, illustrée et numérotée du Club français du livre. J’ai éprouvé le besoin parallèle de reprendre le « André Breton. Quelques aspects de l’écrivain », de Julien Gracq (José Corti) pour ce qui y est souligné par celui qui fut fasciné par le père du surréalisme : ce pouvoir prodigieux d’associer sans contrainte pour le lecteur la poésie et l’essai, la beauté de la phrase et la réflexion sur le motif. Avec Breton, comment dire... l’émulsion, pour une fois, semble pouvoir prendre : l’eau à l’huile s’allie et la fusion procède d’un alliage unique. « L’Amour fou », donc, offert par une main experte en surréalisme, « parce que la neige demeure sous la cendre », et ses inoxydables fulgurances, pour le plaisir du texte, soit pour ne jamais changer...
« La beauté convulsive sera érotique-voilée, explosante-fixe, magique-circonstancielle ou ne sera pas. »
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Et cette célèbre citation que l’on voudrait faire inscrire sur notre pierre tombale ou bien sur notre urne, au choix :
« J’aimerais que ma vie ne laissât après elle d’autre murmure que celui d’une chanson de guetteur, d’une chanson pour tromper l’attente. Indépendamment de ce qui arrive, n’arrive pas, c’est l’attente qui est magnifique. »
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Bonne Saint-Sylvestre. « Je vous souhaite d’être follement aimé(es) ». A.B.
Léon Mazzella
Mon nouveau livre (un bref récit tragique) paraît la semaine prochaine en Italie chez Giannini editore. En édition bilingue (à l'attention des français qui séjournent à Naples et sur les îles du golfe). Pour l'occasion, je l'ai signé de mon nom entier, procidien.
À nouveau à l'honneur (indirectement) dans la chronique de Jean-Claude Raspiengeas publiée par La Croix L'hebdo, via le mook (déjà évoqué ici) Latitude Mer... Vive les Équateurs, Latitude Mer et Olivier Frébourg, capitaine littéraire au long cours !
Sortie ce matin en librairie, dans les maisons de la presse et les bons kiosques à bons journaux (buongiorno!), du numéro trois de Latitude Mer (piloté, commandé par Olivier Frébourg, des éditions des Equateurs). Avec des textes, entre autres, de Sylvain Tesson sur la Grèce, "des miettes dans la mer", Jean-Paul Kauffmann depuis son balcon de Saint-Malo, Patrice Franceschi, capitaine littéraire de La Boudeuse, Jean Rolin, amateur de poissons exotiques et érotiques, des poèmes de l'immense Nikos Kavvadias, un récit touchant des pérégrinations de Bernard Lavilliers, de Cuba à Saigon en croisant par Zanzibar, tant d'autres belles choses écrites, dessinées, photographiées, et ma modeste contribution avec un long texte (un extrait de roman) qui court sur une dizaine de pages, consacré à l'île napolitaine de Procida, ma querencia ritale et vitale... Foncez et lisez. "La mer, une question de fond", prévient Olivier Frébourg, d'une souriante lapalissade pas si légère que cela... L.M.
La flemme. Elle m'étreint. Je veux seulement parler de ma nouvelle flemme à évoquer, critiquer les livres que je lis ainsi que je le fais depuis plus de quarante ans (mes débuts furent aux pages livres de Sud Ouest Dimanche). J'ai juste la force, là, de citer mes derniers bonheurs de lecture, en exposant la couverture des ouvrages (il y en a vingt-sept, ci-dessous). J'en parlerai plus tard. Peut-être. Je dirai combien le nouvel inédit de Gracq, mince comme un After Eight, est dense comme une truffe melanosporum, je dirai que la seconde Beune de Michon est torride, sexuelle, mais toute en retenue, en frôlement d'une forme de tantrisme littéraire (à rapprocher de la tentative gracquienne d'exploration d'une maison découverte fortuitement, en voyeur têtu et, à la faveur d'une apparition, d'une voix, d'un pied féminin, sujet romantique à l'imaginaire hölderlinien le plus débridé). Et qu'il faut reprendre la Grande Beune, puis lire la Petite aussitôt après. Je dirai que Patricia Perello possède une prose happante, captivante, et un sacré don de récitante (au coin du feu, du côté d'Iraty - genre). Je dirai que prendre et reprendre Colette par son meilleur (Sido, Les vrilles de la vigne) comme aussi La naissance du jour, ou bien par le prisme de l'excellent Antoine Compagnon, procure un bonheur bucolique intense qui transforme chacun de nos soupirs en détente absolue, augmentée de chants de passereaux comme une guirlande de fleurs des champs dans les cheveux. Je dirai que l'ouvrage précieux de l'ami Jean-Noël Rieffel (je puis dire que je suis à l'origine de la publication de ce touchant récit d'un ornithologue chevronné amateur de poésie - notamment celle de l'immense Jaccottet, et de vins purs) fait un éloge vibrant de la migration et de ce qu'elle génère en nous, observateurs amoureux invétérés. Je dirai que l'excellent essai de Patrick Tudoret sur une philosophie certaine de la marche conçue comme une démarche littéraire autant que poétique, est un bréviaire que j'offrirai souvent; c'est sûr. Dire que mon ami Christian Authier brille une fois encore, sur un sujet qu'il possède, La Poste, avec humour, fantaisie, connaissance fine, dérision, sarcasme et nostalgie sera une mission fortement possible. Je dirai que mon ami (décidément) Emmanuel Planes m'a étonné en m'apprenant plein de choses sur une ville, la mienne (Bayonne), que je pensais connaître comme le fond de ma poche trouée. Justement... Je dirai que s'il est un seul livre (inclassable) à retenir de cette liste, et donc à lire en priorité, ce sont ces Impardonnables de l'érudite subtile Cristina Campo. Il n'est qu'à citer ses pages sur la sprezzatura, concept italien que je vous laisse le soin de découvrir, car il est si rare dans son impossible définition que je n'ose l'évoquer. Je dirai que François Cérésa nous offre un livre salutaire, puisque notre époque marquée du sceau du nivellement par le bas, manque cruellement de panache. Et que sa galerie de portraits habilement choisis renfloue notre humeur à marée basse lorsque nous observons le monde tel qu'il va médiocrement. Je dirai que Robert Desnos continue de me bouleverser chaque fois que j'ouvre n'importe lequel de ses recueils de poèmes, je dirai qu'il m'est nécessaire de frissonner au contact de ses mots tendres et dotés d'une force douce, amoureuse et candide. Je dirai que la poésie chinoise classique - davantage que l'exégèse de Le Clézio, est un viatique pour le voyageur ne sachant pas quoi caler dans la poche extérieure de son sac à dos, fut-ce pour faire un aller-retour en basse montagne dans la journée, ou bien pour partir aux antipodes. (Pour ces derniers, je conseillerai plutôt Bouvier et Thoreau, Chatwin et Hamsun, Charles Wright et André Suarès, et puis Tesson bien entendu). Je dirai que tout amateur de littérature aime l'objet livre, le tenir en mains, le humer, l'entendre flapper ses pages du bout des doigts, et affectionne donc charnellement la police des caractères - laquelle ne nous demande jamais nos papiers... Ainsi, les Miscellanées d'un bouquineur figurent-ils une déclaration d'amour au physique du livre. Je dirai que le traducteur historique de Jim Harrison, Brice Matthieussent, a eu l'idée géniale de rassembler tous les textes évoquant Chien Brun, double de Big Jim, éparpillés dans son oeuvre accomplie, en un seul et épais, et par conséquent très précieux volume. Gloire à Brice ! Je dirai que quelques académiciens ont mille fois raison de s'insurger contre la dévalorisation de la langue française, surtout à l'heure où d'aucuns écrivent franglais, ou langage sms, à une époque inquiétante où l'invective au Palais-Bourbon touche à la sémantique poissonnière, et ce fabuleux livre rouge intitulé légèrement Flânerie au pays des mots est une invite à revoir le sujet avec beaucoup de sérieux, car il y a péril en la demeure. Je dirai que Christiane Rancé, dont nous avions loué ici même le Dictionnaire amoureux des saints, est une amoureuse totale de la Botte, et qu'elle a, ancré en elle, le talent pour la dire, avec l'élégance du semeur lorsqu'il déploie son bras : Italie je t'aime. Je dirai que Colliat est un gars malin qui a eu l'idée formidable de collectionner un millier traits d'esprit sarcastiques, cyniques, claquants, tous brillants, des réparties donc, et son anthologie figure un bréviaire du tac au tac de génie. Sur la table de chevet, svp ! Je dirai que mon philosophe chouchou Michel Onfray (je suis l'un de ces rares Mohicans qui le lisent, l'aiment et le défendent) procure comme toujours une jubilation intellectuelle en nous augmentant avec son savoir et son invitation permanente à l'interrogation en forme de bousculade qui n'est jamais bourrue, mais plutôt une douce douche froide sur le cerveau. Je dirai que Bérénice Levet nous offre un essai indispensable pour monter à l'assaut du wokisme et son insondable bêtise, et que j'ai failli surligner chaque ligne de ce livre à brandir dans toute contre-manif - et à offrir à chaque dîner en ville (comme on dit). Je dirai, s'agissant de ma passion pour les oiseaux, que Légendes... apprend quantité d'histoires, comme celle du rouge-gorge, lequel doit la couleur (orangée, cependant) de sa poitrine au frôlement avec celle, ensanglantée, du Christ sur la Croix... Mais ça, Jean-Noël Rieffel l'évoque aussi. Les deux ouvrages se font écho à certaines pages, et c'est heureux. Le mince texte du grand Pierre Bergougnioux sur les oiseaux est une sorte de tendre thriller de l'enfance circonscrit en vingt pages, et je n'en dirai pas davantage sur cette nouvelle parfaite comme un oeuf. Je dirai que l'alouette mérite encore et toujours tout notre respect, notre déférence, notre admiration face à un vol stationnaire et un chant entre tous envoûtants. Un éloge lui rend joliment grâce (la mode éditoriale serait donc à l'éloge. D'ailleurs, moi-même, avec le Pays basque...). Je dirai que Pascal Quignard, avec L'amour, la mer, semble être à son paroxysme littéraire, mais comme nous nous sommes déjà fait cette réflexion avec quelques uns de ses livres précédents, nous ne savons, je ne sais plus quoi dire, écrire. Attendons les suivants, car il y en aura bientôt. Je dirai que Ramón Gómez de la Serna est définitivement un auteur majeur de chez majeur. Et que, passé le choc produit par la lecture de son monumental Automoribundia (narré ici), il n'y aurait plus qu'à savourer le plaisir de la relecture - et bien non, voici l'Aube, mini chef-d'oeuvre de plus. Je dirai que Le nageur est un bon Assouline, qui raconte avec talent le destin singulièrement tragique d'Alfred Nakache, champion olympique de natation, juif, dénoncé à la Gestapo par une crevure immonde nommée Cartonnet, son rival dans les piscines. Je dirai que À tire d'ailes est une jolie anthologie de l'oiseau dans l'art pictural, augmentée d'illustrations fidèlement imprimées, connues ou peu connues, propices à la rêverie. Je dirai... Passée la flemme, je dirai. Ou peut-être pas. Peut-être même que je bartlebyriserai mon intention première, et que j'écrirai je préfèrerais ne pas. Chi lo sa... L.M.
Bon, ça y est, il m'est parvenu, ainsi qu'à la presse. Il sera en librairie le 27 de ce mois (première signature officielle le 29 à Cultura/Anglet).
Réservez-le auprès de votre libraire. On en reparle bientôt.
(Je l'ai aussitôt relu pour me livrer à une chasse à la coquille. Je n'en ai trouvé aucune parmi ses 190 pages. À la bonne heure).
Voici ce que mon éditeur publie ce matin sur son compte Instagram :
Il est certes trop tôt pour évoquer cela, mais puisque les sites marchands proposent de le pré-commander, je vous montre les "prière d'insérer" de l'éditeur de mon prochain livre, trouvés ce matin sur les sites divers comme la fnac, amazon, Babelio (ce dernier donne un texte plus touchant, mais les deux sont signés de mon éditeur chez Privat, Christian Authier). Patience jusqu'au 27 avril, jour de sortie de mon (très subjectif) Petit éloge amoureux du Pays basque.
Retour récurrent, nécessaire, viscéralement ancré au désir incontrôlable, à Procida, isola mia. Pour y écrire. Me laver en écrivant. Bisogno. Avec méfiance, cette fois, car c'est la capitale italienne de la culture depuis le 1er janvier et jusqu'au 31 décembre, et que le monde afflue sur cet isoletto qui n'en peut mais. Certo, la culture c'est mieux que la politique ou le sport pour être distinguée une année durant.
Mais, bon. J'y suis arrivé cet après-midi, et j'ai retrouvé mes marques, mes amis Cesare, Giuseppe, Vincenzo, Aniello, Emanuele... Mes repères et mes repaires aussi, tout ce qui me rend poisson un instant échoué retrouvant la mer à la faveur d'une vague aimante comme un bras par dessus l'épaule à l'instant où on ne l'attend pas, marchant en silence le soir, côte à côte, d'un pas rythmé; entendu. L.M.
Je ressors la tribune que Le Monde avait publié en 2012, puis L'Express en 2015, car cela fait 60 ans aujourd'hui que ce "massacre oublié" a eu lieu. Lire aussi l'article que Le Figaro publie ce matin en page 15, et qui évoque lui aussi mon cousin Gérard et son père Naphtali. L.M.
À l’heure où j’envisage très sérieusement de me remettre au surf, malgré le risque, grand, de crampes et de séries de vagues sur la gueule, humilié par des minous qui pourraient tous être mes grands fils (mais peu me chaut), je me dis : tentons de conjurer ! Allez, j'ose... J'ose exposer - quelle impudence, quelle imprudence, quelle impudeur, ces deux vieux clichés. J'ai quinze ans (en couleur) et seize ans (en N&B), et toutes mes dents - quoique, non, peut-être pas car une planche prise en pleine poire m'en ôta un jour quelques unes et au même endroit, soit à ma sacrosainte Petite Chambre d'Amour (Anglet). Ces deux photos me montrent en train de concourir pour mes toutes premières "compètes" de surf internes, celles du O Surf Club, mon unique, mon club de cœur à tout jamais, et elles datent de 1973 et 1974, et se sont déroulées sur des vaguelettes. Sur la première, je me prends pour Gerry Lopez, mon idole d'alors, que, fébrilement, je voyais prendre d'énormes tubes, nonchalant, debout, à peine voûté, les épaules comme rentrées afin de ne pas les mouiller, dandy maillotté, lyrique muet, au spot mythique de Pipeline (Hawaï), sur les films de surf que projetait le cinéma Pax de Biarritz La Négresse. Il ne manquait à Gerry qu'une cigarette forcément allumée au bout de sa main droite... Rêve éveillé, en lévitation dans la salle de cinoche, le soir, où nous nous rendions en Mob' pour des instants de bonheur, augmentés par l'attente fébrile de Surfer magazine dans la boîte aux lettres de la maison familiale...
Je disputai les championnats de France de surf en 1974, 1975, et renonçai à ceux - bien que sélectionné - qui se déroulèrent à Tahiti. Le coût du voyage de deux semaines, formidablement négocié par Jacques Fagalde, alors président de la Fédération Française de Surf et du O Surf Club, dérisoire, ne remua pas un cil de mes parents. Mais j'y renonçai pour les beaux yeux d'une jeune biarrote, que je devais retrouver à la fin de ses vacances en Corse avec ses parents. Je collectionnai alors les t'es con Léon viens fais pas chier pour une gonzesse t'en trouveras une autre... Je demeurai imbécilement sourd à ces prêches amicaux, bienveillants. La camaraderie rugbystique faisait une passe jusqu'à l'océan et je n’en saluai pas la geste. J'en conçus plus tard une honte épaisse... Je le regrettai amèrement. Car, lorsque Florence revint de vacances, elle m'annonça qu'elle avait rencontré un certain Thierry (que j’imaginais boutonneux et inculte) sur son lieu de villégiature, le dernier jour... J'en adore le souvenir, puisqu'il signe une certaine définition de l'ingénuité mâtinée de romantisme post-adolescent. Et c'est plutôt savoureux, non?.. L.M.
Sur la première photo, je suis juché sur ma toute première planche, vert pomme, motif psychédélique façon t-shirt Fruit of the Loom des années Woodstock dessous, et avec un coquillage rouge incrusté sur le devant (devant mes yeux lorsque je ramais) offerte par maman pour mon BEPC. Achetée à un surfer de Long Beach (Californie) pour 300 F. Lequel fabriqua de ses mains ma première combi, une Long John qui me revêtit plusieurs hivers, augmenté à la demande climatique d'un boléro O'Neill de la meilleure facture. La seconde planche, je l'ai achetée à Jean Hazard, un Angloy du club, frère de Jackie, "amie" ici, pour 400 ou 600 F, je ne me souviens plus, mais elle m'était trop lourde, peu maniable sous le pied droit, tandis que la première, généreusement galbée en dessous et avec sa longue bulle d'air oblongue et permanente, m'était légère, légère...
Cliquez là => LE BRUISSEMENT DU MONDE
Le choix de la première chronique littéraire de l’année s’apparente à la cueillette des champignons, dans un sous-bois, à l’automne, quand la feuille morte rythme le pas, quand l’incertitude guide la main du critique. La pluie grise les sentiments, la nature protège et isole; le critique hésite, il tâtonne, il se rétracte parfois, puis il se lance, il a enfin trouvé le livre qui correspond à son souffle intérieur, à son émotion du moment, à sa volonté de ne pas ensorceler le monde. En 2021, l’esprit ne sera ni à la querelle incestueuse, ni à la légèreté béate, plutôt à la beauté qui s’efface peu à peu, elle s’échappe, nous le sentons charnellement, et pourtant, il faut la retenir, s’incliner une dernière fois devant elle, la remercier encore et toujours. Se rappeler que sans elle, nous sommes des êtres désarticulés, surnuméraires fantômes. Cette beauté fugace n’est pas grandiloquente, elle ne bombe pas le torse, elle ne nous fait pas du gringue au coin d’une rue ou à la lecture d’un paragraphe trop étincelant; discrète, elle sait tenir ses distances.
Elle s’apprivoise difficilement. L’écrivain Léon Mazzella, styliste des terres basques, grand spécialiste du vin, part à sa recherche dans Le Bruissement du monde aux éditions Passiflore. Il est de ces explorateurs esthètes qui ne surjouent pas la surprise ou l’émerveillement. Ce gracquien sème la chronique au vent, sans charger sa phrase d’un affect débordant, elle garde sa pureté originelle tout en susurrant son pouvoir d’abstraction. Là, réside le charme vivifiant de ce recueil buissonnier qui promène son bonheur de vivre entre fragments, souvenirs d’enfance, nostalgie du cœur, sens de la transmission et plaisir du palais. Mazzella nous touche car, avouons-le, il caresse notre vieux monde, il cajole notre désenchantement, il ouvre la volière de notre mémoire. Ne vous méprenez pas sur son dessein, il ne panthéonise pas le passé, ce n’est pas un embaumeur, plutôt un exhausteur de goût. Son toucher de plume lifte l’existence, lui donne du rebond. Nous avons les mêmes codes d’entrée, les mêmes marottes, les Renault Floride et les chevauchées landaises de Christine de Rivoyre
Avec ce compagnon hussard, on se rappelle d’un texte lu à l’adolescence qui a fait chavirer notre suffisance, on se met alors à dessiner des volutes de Havane dans le ciel laiteux de la province française, à rêver aux seins obuesques de Silvana Mangano dans « Riz amer » ou à la bouche désirable de l’impénétrable Monica Vitti. À nous extraire simplement de notre quotidien par le talent des autres, voilà un résumé de ce que fut notre jeunesse. Pour nous, garçons ahuris, bouffis de caractères d’imprimerie et de cinéphilie, la réalité passe souvent par le tamis de la fiction. Mazzella est un merveilleux brouilleur de météo, il détraque toutes les horloges. Avec lui, la chronologie s’émancipe des dates. On le suit avec gourmandise dans cette belle littérature, giboyeuse et sauvage des Trente Glorieuses puis, le texte suivant, il nous ramène au présent, dans le spectacle chantant d’une bergeronnette grise ou la pesanteur ensoleillée d’un champ de maïs. Tantôt mélodiste d’antan, tantôt aquarelliste du paysage en mouvement, sa mélancolie sous-jacente n’est ancrée dans aucun port d’attache. Elle est libre, elle se moque des convenances, elle cabote sur des côtes intimes. C’est pourquoi nous prenons autant de plaisir à le lire, surtout quand il écrit: « Je suis Claude Sautet » ou qu’il fait l’éloge du stylo à plume: « Bonheur de retrouver le glissement de l’encre, sa fluidité, et le crissement sur le papier vergé ivoire, cette teinte bleu nuit qui forme les lettres, les mots qui naissent, le mouvement du poignet, le sang qui afflue sur la dernière phalange de l’index comme si nous labourions ». Mazzella sait, par instinct, qu’un bon livre ne ressemble pas à une autoroute rectiligne, il doit cahoter, ne jamais utiliser le même instrument de musique, de la variété naît l’harmonie. Mazzella ose passer de Gracq au Bricomarché, sublime impertinence et poésie de l’infiniment petit, de Calet à Anouk Aimée, de Larbaud à une libellule indisciplinée, de Gómez de la Serna au croquant du chipiron. Vive 2021 !
Le Bruissement du monde de Léon Mazzella – éditions Passiflore.
J'ajoute que Karine Beddouk lira des extraits du "Bruissement du monde" à la Mairie de Guéthary à 18h30 (Bonjour les urnes !)...
Je tombe à l'instant sur l'annonce de la parution de mon prochain livre en surfant sur la Toile, à la recherche d'une référence bibliographique. J'ignorais qu'il était déjà signalé, notamment sur les plateformes de vente comme FNAC, Decitre, Amazon, etc. Il en va des livres comme des maillots de bain ou des manteaux : on achète les premiers en hiver et les seconds en été, lorsqu'ils apparaissent aux vitrines. Il en va ainsi de tout, au fond, sauf des fraises des quatre saisons qui naissent sous serre. Anticiper, cela me connait. Le métier de journaliste consiste aussi à avoir un temps d'avance, ne serait-ce que pour des questions de dates de bouclage. Sauf que là, il faut attendre. On peut juste réserver, pré-acheter (directement sur le site de l'éditeur, d'ailleurs). Bien, puisque ce n'est plus un secret, voici ce qu'en dit, justement, mon éditeur => Le Bruissement du monde À présent, il me tarde de distribuer le faire-part de naissance du petit dernier... L.M.
Frédéric,
Je m’apprêtais à t’écrire qu’en dépit de nos masques de papier bleu, je franchirais « incessamment sous peu » le Rubicon des précautions d’usage afin de te rendre visite à Générargues pour parler poésie, Algérie, Camus, mais poésie avant tout. Mot, pas phrase. Les phrases, ce serait pour après. Après la kémia et le rosé glacé. Et voilà que tu casses ta pipe là, le 5 septembre. Sans prévenir, ou si pudiquement. Avec la discrétion de fumée, de lin, de soie, qui te définissait. « Je paye des années de picole et de clopes », m’écrivais-tu il y a quelques semaines, pour t’excuser auprès de la vie qui commençait à te déborder, et tandis que tu continuais de publier des photos de ta chère Marilyn sur Facebook, et que nous nous adressions des citations de poètes chaque matin ou peu s’en faut, comme on croise le fer chez les Cadets de Gascogne, histoire de se mettre en appétit de petit-déjeuner. Ping-Pong. Frédéric est aux Afriques. La Déesse n’a qu’à bien se tenir, puisqu’il arrive, fringant, séducteur et « classe ». Ton Algérie des souvenirs, ton Point sur l’île, ton Exil et sa demeure - si camusien -, tous tes poèmes taillés à la main, chacun ciselé dans le plus pur souci de l’éclat procuré par l’étincelle du mot, de la syllabe, je les ai là devant moi, tous rangés de dos, avec tes romans. Il n’en manque aucun. Je possède ton oeuvre complète et j'en suis fier, Frédéric. Je les ai lus et relus tant de fois, tes mots mon ami, et j’en aurai écrit ici et là (notamment dans L’Express) tout le bon que j’en vivais, tout le bien que d’aucuns en pensaient. Frédéric, ce soir je remplis le vase de ma tristesse avec le souvenir de nos échanges via Facebook. Comme quoi, nous étions donc devenus modernes, et irrémédiablement nostalgériques. Tu me manques. Tu commences à me manquer, là. Ça ne va pas, ça. Ça va pas du tout. Il faut faire quelque chose, Alice... L.M.
L'essentiel de l'oeuvre de Frédéric Musso est disponible aux éditions de => La Table ronde Si vous écrivez son nom dans la case "archives" de ce blog, vous pourrez lire au moins six articles que j'ai rédigés sur lui. Lisez Musso. FRÉDÉRIC Musso...
Note ci-contre : Babelio. Et puis ce lien => Midi-Libre - qui présente succinctement Frédéric.
Afin de reprendre goût à la vie et de faire taire ses voix grises qui résonnent en nous certains matins, il suffit de bien peu, d’une image qui vous retient soudain par le col. Je marchais. Lorsque mon attention que rien ne semblait pouvoir distraire à cet instant, fut considérablement ralentie par un épi phénomène (et je m’en veux déjà de commettre un si pitoyable jeu de mots - mon ami Benoît me pardonnera). Jouissant d’une vue haute sur la campagne et les forêts environnantes, étant bellement bâtie sur une butte, ma demeure embrasse un panorama que ses visiteurs qualifient d’imprenable, comme s’ils officiaient tous pour quelque agence immobilière. Des champs de blé encore en herbe mais dont le grain monte chaque jour davantage s’offrent à mon regard. Celui-ci fut ainsi alerté, il y a deux ou trois minutes à peine, par les doigts d’un vent caressant, ne s’enfonçant guère dans son parcours que je qualifierais de langoureux. Cette caresse ondulait tout le champ, qui est vaste, et revenait par douces rafales, comme au ralenti. Une impression de suavité me saisit, je restai figé et ne pensais plus à la direction que je prenais, ni à son but, tant ces vagues d’une géante main invisible m’étaient douces à l’esprit, au cœur et même au ventre. Je me souviens tout à trac : je me dirigeais vers les lieux d’aisance. Ainsi le blé vert, le champ me semblaient – mais il s’agit d’une vue de l’esprit, bien entendu – prendre du plaisir comme une chevelure abondante sous les doigts d’un amant, ou ceux d’une coiffeuse sachant shampouiner comme on vous masse dans certains salons discrets. Le champ avait les yeux fermés et je l’entendais murmurer je le jure, et ce n’est pas bien de jurer. Le blé, donc. Je restai là, debout, à regarder l’effet du vent - je ne risquerai pas le mot bise - formant houle, et ne pouvais me détacher de cette sensuelle combinaison naturelle. Les assauts, lents, se répétaient à l’envi, la charge de cette cavalerie délicate donnait envie de guerroyer à l’ancienne en ajoutant ce piment de savoir être, mélange d’honneur et de respect, de langueur et de droiture, et d'enrober de coton les fers de nos montures. Le vent, donc. Quelle magie que ce mouvement d’Ouest en Est, car j’écris à l’instant sur – ou plutôt devant – le motif, puisqu'il continue de venter doucement devant ma porte (et mes amis, Dieu merci, observent un déconfinement scrupuleux qui les empêchera d'être emportés comme dans une complainte fameuse de Rutebeuf), et que je me suis juste emparé prestement d’un cahier et d’une plume afin de saisir, de traduire, de vouloir par la suite partager en somme, mes sens fort heureusement point accaparés, détournés, dévitalisés, absorbés comme l'eau à la bonde de l'évier, par un smartphone capturant photographies et petits films, outil que d’aucuns dégainent plus vite qu’un mouchoir avant d’éternuer, ou qu’un Smith & Wesson dans certains films chers à notre panthéon du septième art. Le vent pousse à peine sur les blés, il n’en finit pas de repasser, de revenir, de ses premières phalanges sur la fourrure, la peau du champ devant mes yeux captifs. Et c’est ainsi que je reprends goût à la vie qui, ces derniers temps, pêche, dirai-je, par un comportement négligeant. Mais c’est de ma faute. Vive toi, le vent, qui continue, là, à onduler, à caresser, à flatter les blés mais j’en ai assez dit, je vais continuer de jouir de l’océan vert traversé, zébré, velours côtelé, et mettre un point à cette sensation happée et épinglée comme un papillon rare. L.M. Ce samedi entre 13h20 et 13h27.
Ce conteur professionnel,, Nicolas Bourdon, que je ne connais que par cette fantastique vidéo et par un bref échange de mails, a acheté mon "Parler pied-noir" (Payot) et m'a adressé cette vidéo. J'estime qu'elle mérite une grande audience, à l'image de son talent. Faites passer, les concernés ! LM => Pataouète et l'armateur
L'embouchure de l'Adour est un bouche-à-bouche d'amour. Le port du Boucau tremble dans un vacarme de ferraille. Une grue charge la coque d’un cargo. Au médian du fleuve, un bateau de pêche teufe-teufe. Des goélands rasent ma tête, toisent le merlu que je déguste. Juché sur une bouée, un cormoran sèche ses ailes en croix. Des remous lui offrent une danse du ventre. Calé, j’ai l'océan devant, Bayonne dans le dos, la forêt de Chiberta et les Landes sur les flancs. Paré à appareiller pour l’horizon vertical. J'aime. L.M.
En quelques brèves, nous en sommes là, ces jours-ci, avec notre table de chevet :
Dévoré avec avidité le bref et profond second roman d'Arnaud de La Grange, Le huitième soir (Gallimard). Une histoire d'hommes, forte, crue, vraie, dans la funeste cuvette de Dien Bien Phu. L'occasion pour le narrateur, jeune lieutenant prisonnier du fameux bourbier qui sonnera le glas de la guerre d'Indochine, de retracer sa trop courte vie, ses engagements, ses amours, ses convictions. Une ode à l'honneur (à rapprocher du très beau La nostalgie de l'honneur, de Jean-René Van der Plaetsen), à la sincérité et à la fraternité, coulée dans un style sobre sans être sec. Efficace et mémorable.
Embarqué une fois de plus par la prose de Paul Morand. Ouvert la nuit, (Gallimard/L'Imaginaire), relu hier, possède l'inaltérable pouvoir de tenir son lecteur sans effort, par la grâce de la phrase, quoiqu'elle dise ou ne raconte pas, et ce, dès la première nuit de ce recueil qui a une suite, Fermé la nuit. Morand nouvelliste, c'est magique. Qu'on en juge ci-dessus.
Entamé un roman de Sandrine Collette qui reparait au Livre de Poche, Animal (nous avions évoqué son premier, Des noeuds d'acier dans les pages Livres de Télé 7 Jours, à sa parution => Des noeuds d'acier). Même gourmandise dès les premières pages qui plongent le lecteur dans un bain de nature sauvage et de personnages au caractère âpre. Ici, la forêt (népalaise, d'abord) envoûte, et Mara est une femme qui captive. Puis apparaît Lior, une Diane chasseresse totalement habitée par sa passion. Une chasse à l'ours commence dans les grands espaces du Kamtchatka. À suivre...
À rapprocher du puissant et volumineux, ample et riche Dans la gueule de l'ours, prodigieux premier roman de James A. McLaughlin (Rue de l'échiquier, en librairie le 20 janvier), dont la langue comme l'univers ne sont pas sans rappeler les écrivains rough de nature du Michigan, et pas seulement de Missoula, au premier rang desquels trône évidemment notre cher Big Jim (Harrison). Cerise sur le gâteau : c'est le grand traducteur de l'oeuvre de Jim H., Brice Mathieussent, qui signe également cette traduction-là.
Convaincu par la pudeur - pas la froideur apparente -, par la sensibilité extrême douloureusement masquée de Jean-Marie Laclavetine et son touchant Une amie de la famille (Gallimard), qui retrace un drame : la noyade accidentelle de sa propre soeur aînée, il y a cinquante ans à l'âge de vingt ans, au bout de la plage de la Petite Chambre d'Amour à Anglet, soit tout près du phare de Biarritz. Bouleversant.
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Pas convaincu par Un été avec Paul Valéry, de Régis Debray (Equateurs), et pas davantage par ses Conseils d'un père à son fils (folio). Le premier est une sorte de guide Baedeker bâclé sur le motif. Le second, une ode à moi-même, mon immense culture, mon indéniable intelligence. Debray pratique le name dropping avec une mitrailleuse lourde aux nombreux chargeurs. Cela devient lassant, y compris, se dit-on, pour un fils, car il y a de l'intellectuel las, désabusé, dans les derniers ouvrages de cet essayiste prolifique, lesquels transpirent l'ennui d'écrire ou de redire, peut-être.
Déçu par La douleur du chardonneret, d'Anna Maria Ortese (Gallimard/L'Imaginaire), inoubliable auteur, pourtant, de La mer ne baigne pas Naples. Le pâteux d'une prose fige progressivement la trame narrative et le lecteur s'embourbe malgré la qualité de ses bottes en caoutchouc. C'est long, fastidieux, rébarbatif à certaines pages, trop lent, et faute de style brillant, on finit par caler comme jadis avec Les Buddenbrook de Thomas Mann.
Enchanté, enfin, par Paris-Orphée, de Henri Cole (Le bruit du temps), sous-titré Carnet d'un poète américain à Paris, d'une tendresse et d'une délicatesse confondantes. Orné de quelques photos, ce journal qui cite de nombreux poètes français et anglo-saxons est un compagnon de promenade idéal, d'un jardin public parisien à l'autre. L.M.
J’ai quinze ans. Mon père tient à ce que je l’accompagne à Rotterdam pour l’acquisition d’un nouveau cargo de l’armement familial, le Niels Frelsen, qui deviendra le Cap Falcon. Nous prenons la route depuis Bayonne dans la DS blanche immatriculée 813 LY 64 (j’ai toujours eu la mémoire inutile des plaques d’immatriculation – je peux en réciter une douzaine -, de véhicules ayant appartenu à des proches : 426 HW 64, la 404 rouge étrange, mi bordeaux, mi grenache de Naphtali, 714 GG 64, la Ford Anglia jaune pâle de mon grand-père maternel, 278 LZ 64, la Simca 1100 bleu métallisé de Maman - et nous prononcions alors l'adjectif avec le sentiment d'être à la mode -, et sa Floride décapotable blanche : 837 GQ 64, tant d'autres - mes propres véhicules à deux et quatre roues. Je retenais aussi les numéros de téléphone, c'était plus utile). J’ai en stock des détails gravés. Au Park Hôtel, où nous séjournons quatre nuits, nous mangeons rituellement des T-bone steacks et nous buvons (moi, à peine) de la bière Amstel. Sur le port, je suis captivé par le ballet incessant de centaines d’étourneaux, dont beaucoup sont immatures, en plumage beige, et par les goélands qui agacent les colverts nageant le long des canaux. Au fond de la cale sèche, l’énorme bateau gris à coque rouge mat est posé sur de simples traverses en bois. Cela m’impressionne. Je prends des photos avec mon Phokina 35 aux allures de boîtier 24/36 soviétique. Je sens dans le regard de mon père un plaisir immense de me voir là, avec lui. Je ne pense qu’aux oiseaux. De longues années après, je m’intéresserai à la mer, aux bateaux, au métier d'armateur qu’il pratiqua. Devenu père, j’ai ressenti ce grand bonheur de partager quelque chose d’essentiel dans la vie avec l’un de mes enfants. Hier soir, quarante-cinq ans après ce voyage à Rotterdam qui marqua tant mon père, j’ai eu la chance de montrer à mes deux enfants des traces de sangliers venus boire à la mare la nuit dernière, une crotte de renard audacieusement laissée presque devant notre porte, les plumes d’une palombe qui fut empiétée par une buse, à la pointe de l’aube sans doute, et d’autres de la chouette effraie qui niche dans l’une des granges. Dans les jumelles, nous avons observé tour à tour deux, trois, puis cinq chevreuils et quelques lièvres. Enfin, nous avons trinqué avec du cidre élaboré par un presque voisin, et dîné devant la cheminée d'une quasi rituelle côte de boeuf généreusement maturée, sur la longue table de ferme en chêne qui ne me quitte pas depuis mes seize ans. L.M.
Capital, ce documentaire de G.-M. Benamou, pour tous ceux qui sont touchés par cette part de l'Histoire
(je me trouvais à Oran, ce jour-là, j'avais trois ans et demi) => 5 Juillet 62 à Oran
Faites passer.
Entendre l'effroyable Thierry Godechot, bras droit de l'ignoble Général Katz, lire ce qu'il consigna dans son Journal ce jour-là a manqué me faire vomir (et m'a rappelé les propos semblables qu'osèrent me tenir deux petits cons que j'avais en cours, à l'école de journalisme où j'enseigne la presse écrite et la culture générale, entre autres disciplines, au lendemain du massacre perpétré dans les locaux de Charlie Hebdo) : "Les pieds-noirs, pour avoir caché sciemment les hommes de l'OAS, n'ont eu que ce qu'ils méritaient."
Ainsi désignais-je mon père. « Tu es un rétroviveur ! », lui répétais-je souvent afin de calmer sa nostalgérie et son c’était-mieux-avantisme chronique. Thomas Morales, fan de nobles carrosseries, appréciera le parallèle paternel. Cet écrivain n’est pas de son époque et c’est ce qui fait le charme de chacune de ses chroniques, que Pierre-Guillaume de Roux (fils du grand Dominique) publie en bouquet à un rythme agréable (*). Les dernières de cet irréconciliable avec ce siècle vingt-et-unième et sa morosité, sa cruelle absence d’humour, sa police des mœurs omniprésente jusque dans nos chiottes, le quotidien rogue de ses congénères qui en exaspèrent ou en désespèrent plus d’un, ont pour titre « Un été chez Max Pécas ». Vous savez – non, vous ne voulez pas vous souvenir, Pécas c’est ce réalisateur de films gras et beaufs, si l’on veut forcer un trait définitif, ou bien kitsch si on la joue gentiment bobo déambulant dans un bled un dimanche de vide-grenier. « Le Pagnol du nanar sous cagnard », résume Morales. Ça sent la Miss camping, le Ricard généreux à l’apéro avec la carafe beige chiffrée et servant peu, le bob qui va avec, ça pue la fumée épaisse dégagée par des rangs de chipos et des merguez au garde-à-vous sur le barbecue qui n’est pas le Weber dernier cri, non, juste le vieux qu’on ressort et qu’on décape avec la brosse métallique, joie, appétit, charbon de bois et journal local froissé, dès la fin du Printemps. Les chroniques de Morales sont décontractées, dégrafées de la ceinture lorsque les crêpes au Nutella ont été trop nombreuses, mais il est des overdoses fondantes et plus délicieuses que d’autres, avouables celles-là. Avec ce bouquin, Jean-Pierre Marielle ressuscite. Ses textes nous rappellent Auriac, hameau paumé, perché loin au-dessus de Tulle, tranquille, où nous nous sommes si souvent rendus pour passer des jours, voire des semaines peinardes mais sacrément vives chez l’ami Tillinac, à l’époque des spleens corréziens et des bonheurs assouvis avant d’atteindre la borne Michelin désignant Souillac sous son chapeau rouge déteint. Soit l’été au vert, avec taons et guêpes, panne de pain et emmerdeurs qui se trompent de route. Mais rosé frais toujours (les pages consacrées aux amateurs de vin qui se la pètent sont tordantes et si vraies). Ces chroniques débraillées disent, chuchotent - non : écrivent. Car le garçon a une sacrée plume que Blondin et Haedens auraient sans aucun doute louée à bas taux. Ses images frappent, touchent, ont le ton. Et l’image juste. Un talent, dis-je... Écrivent, donc, combien le bonheur peut être simple et jamais vulgaire, si l’on a encore le courage de mater une fille en bikini, et en monokini tiens !, sans craindre la guillotine d’un hashtag. Et si elle se prend pour une starlette devant le Carlton tandis qu’elle remonte la plage de Palavas, c’est encore meilleur. Si l’on a encore l’audace de regretter Stone et Charden (mais pourquoi avoir jeté leurs 45 tours !), d’adorer Umberto Tozzi ou Eros Ramazzotti tant qu’on y est, et de vouer un culte au forçats de la route du Tour (de France), ainsi qu’à l’accordéon, au sourire fixe et aux performances d’Yvette Horner, à la prose érotique, limite salace d’André Hardellet, à la gourmandise grivoise des livres de René Fallet, aux promesses démesurées d’un slow-braguette un soir de bal au village d’à côté avec une Marilyn de chef-lieu de canton ayant eu le bon goût de ne rien donner à rafistoler de sa plastique originelle... Thomas Morales réconcilie avec la vie, la vraie, celle que des bataillons de tristes sires et à la grise mine veulent nous interdire, et parmi eux une jeunesse, oui, de précoces empêcheurs de rire en rond ou en losange, des mal dans leur peau dès l’adolescence qui s’acharnent (un vrai job) à vouloir nous faire culpabiliser d’avoir eu une enfance à la Sagan, à la Sautet, à la Huguenin. Contre l’esprit de sérieux qui nous les brise menu (il ne faudrait jamais quitter Montauban), lisez Morales. Moi, j’aimerais voir « Un été chez Max Pécas », et entendre déclamer ses « traits » claquants, désinvoltes, brillants, partout entre les mains et sur les lèvres de chacun, sur le sable, dans les rues de Bayonne et de Paimpol, sur les aires d’autoroute, brandi entre les rangs de maïs de Peyrehorade, repris en chœur dans tous les Café des Amis et les Bar de la Marine. Le mien, lu, me servira jusqu’à l’automne à attiser les braises du barbecue. Et, ça aussi, je sens que ça pourrait plaire à l'auteur de ces précieuses, longues cartes postales. Léon Mazzella
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(*) Thomas Morales, Un été chez Max Pécas (PGDR, 15€)
La Petite Vermillon (LTR) et ses nouvelles couvertures splendides, a la bonne idée de reprendre "Je connais des îles lointaines", de l'immense poète Louis Brauquier, chantre du port de Marseille comme La Ville de Mirmont le fut de celui de Bordeaux. J'espère que la préface de mon pote Olivier Frébourg (éditeur originel de cette somme poétique) figure dans cette nouvelle présentation - il n'y a pas de raison. Outre ces deux lascars, je reprendrai cet après-midi quelques pintxos de Toulet, Larbaud, Levet, de Richaud et Delteil, au hasard. Ajouter Cendrars et Morand sera justice : après-midi (et soirée, sans doute) tapas poétiques. Extrait =>
Je pensais l'avoir signalé ici, mais non. J'eus la surprise au coeur de l'été dernier de découvrir un papier élogieux et délicieusement tardif sur l'un de mes livres paru fin 2001 et qui, finaliste du Prix Goncourt de la Nouvelle, manqua cette distinction d'un cheveu. Le voici - il est signé Rita, blogueuse littéraire - et si cela vous incite, hâtez-vous, car le bouquin est en voie d'épuisement chez l'éditeur, lequel n'envisage pas de le réimprimer ou de le reprendre en format de poche dans La Petite Vermillon => Les Bonheurs de l'aube
Je saisis Mardi, de Herman Melville parce qu'il se trouve devant mes yeux, et lis à haute voix l'incipit. C'est un piège. Après cela, je défie quiconque de ne pas se sentir embarqué. C'est parti (bonheur du soir) :
Nous voilà partis! Les basses voiles et les huniers sont établis, l'ancre tapissée de coraux se balance au bossoir et les trois cacatois se gonflent à la brise qui nous suit au large, comme les abois d'une meute. La toile se déploie, en bas, en haut, renforcée de part et d'autre de nombreuses bonnettes; si bien qu'à la fin, comme un faucon qui plane, nous ombrageons l'océan de nos voiles et, dans un ballottement, nous fendons l'onde amère.
Il est des noms de lieux, comme ça... Samarkand, Tombouctou et Zanzibar font tant rêver qu’ils exigent d’aller vérifier sur place une magie projetée. Plozévet est d’une autre nature. Ce village du Pays Bigouden, situé sur la côte bretonne, non loin de la baie d’Audierne et sur la route de Quimper, a été immortalisé par un livre formidable qui connut un immense succès dès sa parution en 1975 : « Le Cheval d’Orgueil », de Pierre Jakez-Hélias (1914-1995), accueilli dans la prestigieuse collection Terre Humaine de Plon, au sein de laquelle Jean Malaurie – son initiateur – publia notamment « Tristes Tropiques », de Claude Lévi-Strauss, entre cent autres bijoux de l’ethnologie contemporaine. Cet été là, nous dévorions depuis la plage de la Chambre d’Amour, à Anglet et à marée haute (aux heures sans vagues et donc sans surf possible), ce grand livre (voir la photo qui reproduit l'exergue du livre : cette citation du grand-père de l'auteur nous éclaire sur le titre), sans rien connaître de ce village de la Bretagne profonde exploré par un enfant du pays (*). L'été suivant (celui du baccalauréat en juin et de l'examen d'entrée à Sciences-Po en septembre), fut également riche (et appauvrissant en termes d'impôt sècheresse), qui nous pria sans peine de nous plonger en pays Cathare au temps de l’Inquisition, grâce au talent de conteur de l’historien Emmanuel Le Roy Ladurie (1929-) et de son inoubliable « Montaillou, village occitan, de 1294 à 1324 » (Gallimard, Bibliothèque des Histoires). L’époque était à ces livres de connaissance à la fois historique et ethnologique. À la faveur d’une virée il y a bien des années en Haute Ariège, nous découvrîmes Montaillou – ou ce qu’il en reste. Et la déception fut au rendez-vous, car à l’instar de l’adaptation au cinéma d’un roman qui nous a plu, vouloir voir réserve des déconvenues (**). Ainsi donc de Plozévet, hier même. Lointainement habité par la lecture (il y a 43 ans) du livre de Jakez-Hélias, je confesse une petite appréhension en dépassant vers 17 h le panneau d’entrée du village. Celui-ci se révèle être (avouons-le d’emblée) d’une banalité commune à nos yeux, sans relief particulier, hormis son église et une place attenante... Un Intermarché relativement dissimulé ferme le village. Il me fallait quand même y aller, voir, vérifier. Pouldreuzic (village, proche, de Jakez-Hélias – sa maison natale se visite, et siège de l’entreprise Jean Hénaff, le très célèbre pâté breton à la robe métallique bleue et jaune), le port de Penhors à proximité enfin, sont plus authentiques, car de facture plus sauvage. On y retrouve l’atmosphère celtique, quasi irlandaise de la presqu’île de Crozon, en y mettant un peu du notre. Plozévet cristallisa l’attention d’observateurs de grand renom à une certaine époque. Outre « Le Cheval d’Orgueil », il faut citer l’étude sociologique « de terrain » magistrale d’Edgar Morin, « La métamorphose de Plozévet, commune de France » (Fayard, 1967). À travers la radiographie minutieuse d’un village emblématique de tous les bouleversements d’après-guerre : disparition inexorable du monde paysan, libération des femmes, révolte de la jeunesse, entrée dans le monde contemporain et ses sirènes urbaines, la société de consommation, la civilisation des loisirs, le tourisme « kodak » bientôt de masse... Sans oublier l’hygiène domestique (l’apparition des toilettes, par exemple), le développement des routes qui désenclavent, la première « folle du logis » : la télévision qui prend place à côté de la cheminée... Morin circonscrit avec pusillanimité l’entrée dans l’univers moderne. L’étude fit grand bruit et fait encore autorité (d’un point de vue historiographique). Elle constitue le pendant du livre merveilleux de Jakez-Hélias qui narre la vie quotidienne de sa propre famille d’humbles paysans en pays Bigouden, à l’immédiate après Première Guerre mondiale. Le poids de la religion, l’importance de la langue (l’époque était à l’« interdiction de parler breton et de cracher par terre »), l’extrême précision des traditions qui ordonnent et rythment la vie à la campagne, les légendes et les us, les costumes et coiffes, typiques comme le mobilier, le développement de « l’instruction », et celui de la mécanisation du travail aux champs, le récit de l’existence simple de ces gens-là éloignent le livre d’une étude ethnographique à la facture froide pour l’apparenter davantage aux « Tristes Tropiques » de Lévi-Strauss, au moins par le ton employé, la démarche à la marge, la dimension littéraire aussi (même si Lévi-Strauss plane à plusieurs crans très au-dessus de Jakez-Hélias. Rappelons juste que les jurés Goncourt hésitèrent à le couronner, puisqu'il ne faisait pas oeuvre de fiction, comme ils durent d'ailleurs réfléchir cette année au sujet du somptueux « Lambeau » de Philippe Lançon...). Autant de raisons qui justifiaient une virée, hier, du côté de Plozévet, et qui se devait de s’achever – non sans appréhension - en poussant la porte de la Maison de la presse-Café des Sports-Loto-Librairie du village, avec l’espoir d’y apercevoir ces deux livres. Un soupir de satisfaction et de soulagement libéra immédiatement mon espérance (j’eus été peiné de ne pas tomber sur leur couverture).
Je prenais une photo des livres (ci-contre) et regagnai Primelin le cœur léger. J’avais enfin vu Plozévet. Je remis des bûches dans la cheminée en regardant l’Océan. Une bande de goélands longeait la falaise avec nonchalance, deux merles se poursuivaient en rasant l’herbe drue. Il était temps de se remettre en cuisine. Un souvenir me revint alors curieusement en touillant les légumes dans la grande poêle : celui de la cuillère en bois sculpté, et son importance le dimanche et lors des noces (***). Les paysans du Pays Bigouden s’y rendaient avec leur propre cuillère taillée dans le buis ou le pommier. Et si un jeune homme offrait la sienne à une jeune femme, cela signifiait qu’il devenait son « prétendant » (au Pays de Galles, une coutume voisine a généré l’expression de Love spoon). Je crois me souvenir aussi que certaines tables étaient creusées et que chaque cavité ronde tenait lieu d’assiette. À vérifier lorsque je retrouverai mon exemplaire racorni. L.M.
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(*) Nous tairons ici la polémique initiée par le grand écrivain, poète Xavier Grall (1930-1981), auteur notamment d'un livre précieux entre tous, « L'inconnu me dévore » (Equateurs, rééd. 2017 aux bons soins de Pierre Adrian, et sous la houlette d'Olivier Frébourg), avec son coup de gueule « Le Cheval couché » (Hachette, 1977), qui accusait Jakez-Hélias de donner une image passéiste, voire dégradante du paysan breton que d'aucuns jugèrent hâtivement arriéré (un qualificatif aujourd'hui désuet, et jadis péjoratif, comme le mot plouc), dès la parution du « Cheval d'Orgueil ». Grall évoquait dans son pamphlet un folklorisme fossilisant. C'est dire le degré polémique qui sévît dans (le) Landerneau...
(**) Je n’ai pas vu l’adaptation du « Cheval d’Orgueil » qu’en donna Claude Chabrol en 1980 (avec Jacques Dufilho dans la distribution).
(***) Vérification à venir : le rapport (improbable) entre la cuillère bigouden et la signification de l'échec total de la cuillère de bois attribuée au grand perdant, lors du Tournoi des Six Nations... Si ce que je pressens se vérifie - soit que (naître avec) une cuillère d'argent oppose les classes sociales : argent contre bois (attribut des paysans bigouden, fort pauvres pour la plupart), la philosophie du rugby serait un brin écornée à mes yeux... Mais j'en doute.
L’avantage des nouvelles d’Éric Neuhoff sur les photographies à développement instantané que nous prenions jadis avec nos Polaroïds blancs, c’est qu’elles ne s’effaceront pas avec le temps. Ces « shorts » désenchantées mais toniques – c’est le premier recueil de nouvelles du romancier des Hanches de Laetitia - sont un cocktail sweet and sour que l’on pourrait nommer Gin Fitz’, et dont la trace en arrière-bouche campera dans nos mémoires. On y trouve la tendre désinvolture de Nimier, la candeur de Déon et un zeste de Morand pour le citrique. Sans paille mais avec des glaçons, cela donne du Neuhoff, hussard mélancolique au ton singulier, effeuillant un bouquet de femmes (pour fil d'Ariane) qui ne saurait faner, toutes armées de prénoms à cran d'arrêt et de réparties à barillet, tour à tour agaçantes, capricieuses, feux-follets, félines, inconséquentes parfois, sensuelles toujours, qu'elles soient allongées sur une plage, un lit de chambre d’hôtel, ou affalées à la place du mort dans une voiture. Ce sont de belles enfuies chimériques, par conséquent inoubliables. Au fil des dix-sept épisodes d’une série que l’on pourrait titrer « un homme fragile façon puzzle », nous suivons l’auteur de Cadaquès à Lisbonne, de Toulouse à Cannes, de la Corse à l’Irlande, de la Grèce à Madère (pour une virée avec Denis Tillinac), de Saint-Tropez à Saint-Germain-des-Près, le port d’attache, sans jamais le lâcher d’une phrase. Il y a évidemment pas mal de cinéma et beaucoup de littérature entre ces pages où traine toujours un cheveu long, et comme parfumées au timbre évanoui d’une voix limpide. Nous y croisons Jean Seberg qui n’a pas disparue, pas plus que Patrick Dewaere évoquant son pote Depardieu suicidé de longue date, et l’ours J.D. Salinger répondant à une invitation de Jackie Kennedy à se rendre à la Maison Blanche. Neuhoff a toutes les audaces. Il peut dire, à l’instar de Jacques Laurent : « Rapportant ses souvenirs, il se laisse le droit de les inventer ». La mémoire de l’auteur de Costa Brava (avec laquelle il entretient les rapports d’une balle de Jokari : un fil invisible l’y ramène sans cesse), s’accroche aussi aux amitiés jalouses de l’enfance, à ses années dolce vita, à des événements survenus au cours de l’année charnière de 1982. Avec une épuisette de délicatesse, respectant toujours les précautions d’usage, Neuhoff s’est adonné à la chasse subtile aux papillons des réminiscences dispersées. Il les a recueillis, puis consignés sur un rocher parsemé de formules qui font mouche. En bas, on entend la mer qui frappe. Et ces Polaroïds, sous lesquels un cœur se retrouve parfois en pièces détachées, ont un mécanicien aimant le réparer nonchalamment – sans jamais le serrer. L.M.
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Éric Neuhoff, Les Polaroïds, nouvelles (Le Rocher).
Note postée sur ma page Facebook il y a un instant (d'où certains détails), assortie d'une indispensable illustration à ne regarder qu'après avoir lu - On ne triche pas!..
DEMAIN J'ENLÈVE LE BAS
Vous souvenez-vous de cette brève campagne d’affichage (elle dura une dizaine de jours et fut visible sur 900 « 4x3 ») signée CLM/BBDO qui débuta il y a 37 ans, le 31 août 1981 ? Elle faisait la promotion de l’afficheur Avenir en montrant une jeune mannequin au corps svelte et sportif, aux cheveux courts et au regard malicieux nommée Myriam Szabo (une amie du grand photographe Jean-François Jonvelle dépêchée d’urgence pour la séance de shooting sur une plage des Bahamas après la défection du top-model pressenti). L’époque était au bien-être dans son corps de femme, et d’homme. Ma mère, mes sœurs, ma petite copine étaient seins nus à la plage de La Chambre d’Amour (seule maman remettait le haut de son maillot pour aller se baigner). Les slogans - comme on disait alors - de cette courte mais marquante campagne, étaient simples et reposaient sur le teasing avec trois affiches distinctes rendues publiques en moins d’une semaine : (En maillot deux pièces, devant un océan bleu turquoise) : « Le 2 septembre j’enlève le haut ». (Puis, seins nus) : « Le 4 septembre j’enlève le bas ». (Enfin, fesses nues, donc de dos, le 5 septembre) : « Avenir, l’afficheur qui tient ses promesses ». Cela fit grand bruit, et d’aucuns crièrent au scandale, mais il n'y eut aucun « lynchage » comme il y en aurait un en règle aujourd'hui, et assorti de violence (*). Myriam devint même une sorte d’icône. Depuis, le concept singulier de cette pub est enseigné dans les écoles de communication, car c'est un modèle du genre « pub pour la pub ». Pourquoi est-ce que j’en parle en décrivant rapidement les trois visuels au lieu de les montrer ? Et bien parce que Facebook me les a censurés illico, il y a quelques minutes. Mais le réseau social le plus partagé au monde n’est que l’illustration d’une époque qui a considérablement changé en devenant puritaine, susceptible, liberticide, tordue, triste en somme ; voire mortifère. Et très faux-cul surtout, car il suffira à chacun(e) d'écrire quelques mots-clés dans la barre, là-haut puis de cliquer pour qu'apparaissent en un instant ces trois charmantes photos. Ce que vous vous apprêtez à faire... L.M.
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(*) Voir le récent déchaînement de haine à l'encontre de l'humoriste Constance (papier dans L'Obs), et la Vidéo de l'émission
Ce ne peut être le hasard, puisqu’il n’existe pas. J’ai lu hier soir un bref roman, Helena ou la mer en été, de l’Espagnol Juliàn Ayesta, paru en 1952 à Madrid, et seulement en juin dernier en France, directement en format de poche (traduit et postfacé par Xavier Mauméjean). Il y a un air de famille littéraire avec la touchante Gioconda précédemment évoquée ici, du Grec Nikos Kokàntzis. Mêmes émois adolescents, même tendresse, une poésie méditerranéenne en partage avec, au menu : mer, sel, sable, soleil, sieste, rires, et onirisme aussi, mais surtout un fin moins tragique chez Ayesta que dans le récit grec. Le roman est cependant décousu : la première partie a des allures de comédie italienne : un repas dominical au jardin décrit avec talent car, en peu de mots la joie, les hommes avant la corrida de l’après-midi, les verres de Marie-Brizard, les cigares au bord des lèvres, les enfants qui posent des questions et qui agacent les adultes, puis qui s’échappent, crient, s’amusent, les miettes sur la nappe, les bouteilles de cidre vidées, le soleil qui perce entre les branches, les tantes qui pérorent et médisent par bonté, les cousins de Madrid qui surgissent, la fiesta simple qui se poursuit... Le ton du souvenir de l’enfance est donné sans compter, avec force détails, et nous ressentons le plaisir que l'auteur a eu à écrire ces 36 premières pages. Puis, une partie austère évoque la religion catholique et ses méandres, un pensionnat, le tabou sexuel, qui nous fait tourner les pages en soupirant. Enfin, une troisième partie tonique et un rien débridée, voit revenir Helena, aperçue dans la première, chargée d’amour retenu pour un narrateur débordant d’amour lyrique et sensuel. C’est tendre, ingénu, sans excès, limpide et ensoleillé. La lecture idoine pour rentrer en douceur. L.M.
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Le Livre de Poche, 6,40€
Comme les temps changent, où plutôt combien nos esprits évoluent. Je quitte la Côte basque le 24 au soir. Et les Fêtes de Bayonne débutent le 25. Jadis, j'y étais pour elles, et en rouge & blanc dès avant l'heure. Francis Marmande (Bayonnais, collaborateur du "Monde" pour le jazz et les toros) me confiait hier soir à voix ourdie (je l'ai retrouvé par hasard au restaurant Chez Martin, rue d'Espagne*) qu'il partageait ma désaficiòn. Il regagnait d'ailleurs Paris ce matin, lors qu'une corrida à cheval s'annonce à Lachepaillet...
Que penser, sinon que nous devenons schnock, ce qui est tendance, me suis-je laissé dire. Jamais blasé -oh non, ni désabusé. Nostalgique assumé, certes. Cultivant nos souvenirs qui sont notre jardin voltairien, oui. Mais, quand même, hein. Se dire à soi-même, virant de bord en scooter devant la plage de La Petite Chambre d'Amour il y a une demi-heure : Trop de monde, je passe aux halles des Cinq-Cantons faire provision de bouche complémentaire vite fait, sans case apéro rosé ni jambon truffé chez Balme, et je file griller un paleron de chez Guillo avec les Raisins gaulois, si frais en bouche, de Lapierre. J'ai appelé Machin, il est libre, on refera le monde en général, et celui des femmes en particulier devant le barbecue. Autant dire que cela prendra du temps, même avec une cuisson lente obligée... Est-ce là un signe de réclusion, de repli, de... Non : Se préserver, pratiquer la stratégie de l'évitement contre tout ce qui agresse m'appert vital, désormais. Les bons moments sont comptés. Chacun d'entre eux doit, devra être bichonné. C'est comme ça. L.M.
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*Extraordinaire déjeuner chez Sébastien Gravé, la veille (La Table de Pottoka), sans conteste la meilleure adresse bayonnaise du moment - et pourvu que ça dure!.. Surtout en compagnie (par hasard, encore, à l'apéro, puis au dijo - mais, par ici, les rencontres fortuites sont souvent ensoleillées), du débonnaire Éric Ospital (jambons Louis Ospital, dont j'ai abondamment parlé dans L'Express paru il y a deux semaines - en kiosque tout l'été dans la région), et de Stéphane Davet (réservé, pudique chroniqueur gastronomie et musique au "Monde").
Virée de quatre jours sur mon île, histoire - entre autres - de découvrir un nouveau restaurant, Da Maria alla Corricella. Maria est une femme à part, à l'abord dur, à l'abordage rêche. Elle fut la seule pêcheur(se) professionnelle de Campanie durant de très longues années. C'est une taiseuse comme la plupart des Procidiens. Je suis ami avec ses fils rugueux et soyeux à la fois Cesare et Giuseppe, depuis plus de vingt ans. À la retraite depuis des lustres, et tandis qu'elle régalait chaque jour son mari amateur de havanes, sa famille, et une partie de La Repubblica libre della Corricella (appellation absolument pas controllata), dont nous sommes membres à vie et avides, pour des agapes à l'intérieur, chez elle, ou bien le plus souvent en plein air, sur de longues tables face au porticcio, ses barques, les goélands, les chats, les filets entassés... Maria prit la décision - à force d'entendre que ses linguine aux oursins étaient des oursins iodés (ramassés tôt le matin avec une fourchette et sans masque, juste là, devant à trois cents mètres et à quatre ou cinq mètres de profondeur - prends bien ta respiration avant, bijou) aux linguine parfaitement al dente, que son sugo di coniglio était à se damner, et que, que, que... Son restaurant ouvrit donc, après pas mal de tracasseries administratives. Même ici, où tout semble permis, sinon autorisé (l'autorisation y étant une tolérance auto-proclamée), c'est parfois compliqué. Ah, les sortilèges de l'insularité... Mais nous y voilà : Sur cette Corricella devenue un chapelet de terrasses de restaurants légèrement inégaux. Les voisins immédiats de Maria, Vincenzo à La Graziella et Aniello à La Gorgonia - nous avons nos vieilles habitudes aux deux gargotes -, ont les dents qui grincent. Au-delà, soit à moins de dix mètres de part et d'autre, c'est déjà autre chose : Caracalè d'un côté, Maestrale de l'autre sont loin. Alors Il Postino, Fuego, La Lampara sont à des années-lumière, soit à cinquante mètres (sous le cañar, ça joue). Disons-le tout de suite : une seule chose cloche chez Maria, c'est le bruit de l'aération. Afin de ne pas s'évanouir sous sa charlotte, au fond de ces habitations semi-troglodytiques de toute la Corricella, et quand la cuisine est forcément calée contre la roche murée, il convient d'aérer puissamment. D'où l'intempestif et persistant ronronnement. Tout le reste fonctionne. L'antipasto della casa bon pour deux personnes sauf si vous avez mon appétit, doit obligatoirement être commandé (photo) avec un pichet de blanc local (très fruité, très frais ici - car son goût change d'une adresse l'autre), et une bouteille d'eau frizzante avant de commander plus avant. Puis, examiner la pêche du jour sur assiette, car elle peut convaincre de lancer quelque dorade ou sar (marbré) alla brace pour une cuisson vive sur peau non écaillée et au gros sel. Rayon pasta, demandez celles du jour qui ne figurent pas sur la carte. Aux fruits de mer (langoustines, gambas, moules, palourdes, cigales, calmars...), elles sont divines grâce au jus, ah ce jus qui mêle tomates cerise confites, ail frais, friarielli encore croquants, et eau des crustacés réduite à la cuisson... Maria a pris soin de cajoler les recettes typiquement locales de la cuisine povera, comme ces Pasta e fagioli con le cozze, des pâtes différentes de fins de paquet aux haricots blancs et aux moules. Côté Secondi piatti, notons le Coniglio alla Procidana (lapin à la Procidaine), et la Frittura di paranza, bouquet de petits poissons de roche divers et frits, à manger avec les doigts après les avoir citronnés. Rayon contorni, prenez sans hésiter le Misto di verdure, une assiette d'aubergines, courgettes, tomates, en petits dés et olives dénoyautées, le tout réduit comme une caponata gorgée de saveurs distinctes. Avant de tâter des desserts (tiramisu et tarte au citron maison évidemment, fort recommandables). Voilà. Da Maria va faire mal, j'en suis certain. Et pour finir? Avant de finir finir, une assiette de fruits (pastèque, ananas, raisin, abricot, prune - sur glace) avec un dernier pichet de bianco locale issu de falanghina ou de biancolella rempli de quartiers de pêche jaune ou blanche mêlés (variante procidienne du rosé-piscine). Puis, Un limoncello della casa con il caffè!.. Après, il sera temps de faire un tour de bateau pour aller piquer une tête au large en écoutant à fond Tu vuò fà l'americano, 'mericano, 'mericano... L.M.
Je signe les 12+2 pages (et quelques photos, dont la couv. locale) consacrées au Pays basque gourmand dans L'EXPRESS qui paraît ce matin.
À lire notamment : une longue randonnée savoureuse et zigzagante, de l'océan (La Chambre d'Amour, à Anglet) à la montagne (Iraty, et Larrau, en Soule). Un portrait de Cédric Béchade, chef de l'Auberge basque à St-Pée-sur-Nivelle. Un autre d'Éric Ospital, charcutier-salaisonnier à Hasparren. Un autre encore de Dominic Lagadec, encyclopédiste du sagarno (le cidre basque). Et enfin une brassée d'adresses de tables et d'hôtels (tous testés), sur la Côte et à l'intérieur du Pays.
Aux kiosques, citoyens! Et vive la presse écrite print. L.M.
Il est toujours émouvant de tomber sur un vieux cliché jauni, écorné, maltraité par le temps et sur lequel nous peinons à distinguer des détails, mais qui nous parle. Cette photo m’a été adressée (dans le corps d’un e-mail) par mon pote Jacques Ferrandez lorsqu’il travaillait à l’adaptation en BD du « Premier homme » d’Albert Camus (paru chez Gallimard l’an passé), car il me demandait si les cargos de l’armement familial, dont le port d’attache était alors celui d’Oran, avaient pu transporter Camus depuis le port d’Alger à un moment ou à un autre. Je signale en passant le très émouvant livre autobiographique de Jacques, « Entre mes deux rives », paru au Mercure de France : l’Algérie natale, Alger, le quartier de Belcourt où vécurent Camus, Sansal, Ferrandez !, Nice, l’exil, Boualem Sansal à Tipasa, Catherine Camus à Lourmarin, l’adaptation en BD de l’œuvre de son illustre(é) père, Ferrandez le camusien habité est entièrement là, et c’est écrit avec un grande sensibilité et une humilité qui forcent le respect.
Je ne connaissais pas cette photo. Je fis par conséquent appel à mon cousin Gérard Bengio, mémoire familiale vive de ce qui touche à la Méditerranée et à tout ce qui navigue sur elle, car un détail m’intriguait : la cheminée noire. Chaque cheminée des navires familiaux étant barrée d’un beau bleu ciel serti d’un grand « M » blanc, je m’interrogeais.
Gérard leva aussitôt l’énigme : l’armement Léon Mazzella & Cie avait repris l’armement Yaffil, à cette époque (aux alentours de la Seconde guerre mondiale?) et la cheminée de leurs navires était noire. Mais pourquoi alors « un » Léon Mazzella (il y en a toujours eu un pour en chasser un autre, et ce jusque dans les années 1980), parait-il ainsi sa cheminée de la couleur du deuil, et non pas de son bleu ciel et blanc maison ?.. Il me faudra rappeller Gérard.
« La photo a été prise sur le Quai du Sénégal, au port d’Oran, puisque nous devinons la colline de Santa-Cruz en arrière-plan, ainsi que le môle de l’Amirauté, à l’arrière port », précise mon petit cousin. Et comme il s’agit d’une cargaison de billons (tronçons d'arbres), cela ne fait aucun doute : seul ce quai en avait la charge... La date ? – J’ai un indice : l’homme au costume (plein centre) est mon grand-père Léon, décédé le 9 août (le jour de la St-Amour) 1951 d’une crise de cœur que l’on dit cardiaque dans une chambre d’hôtel faisant face à la gare Saint-Lazare, Paris huitième. Il se trouvait là « pour affaires » maritimes, mais les mauvaises langues familiales disent qu’il périt à la manière de Félix Faure d’une fatale fellation peut-être, à tout le moins d’une union pénétrante et adultérine, fait qui fit dire au facétieux Clémenceau à propos du Président Faure : Il a voulu vivre César, il est mort Pompée. Puis-je ajouter que l'abbé dépêché sur les lieux s'enquit de la vigueur du premier personnage de l'État en ses termes : Le Président a-t-il encore sa connaissance? Et qu'il lui fut répondu in petto : Non, elle vient de s'enfuir en empruntant l'escalier de service... Le trait, délicieux de galanterie et de finesse espiègle, est depuis consigné dans les annales élyséennes...
Bien plus simplement, l'épouse de Léon, ma grand-mère prénommée Orabuena car elle était née Juive de Tétouan, puis rebaptisée Bonheur, sa traduction, en se mariant à l’église avec son Procidien de mari (de Procida, l’île méconnue – qu’elle le reste! - du Golfe de Naples), en fut marrie, mais point brisée. Il fallut tenir bon, en femme de caractère bien trempé. L’apparence demeura ferme, flegmatique, voire fondue dans du métal point mou et propre à empêcher toute armure de se fendre un jour, une nuit. Ni étain ni plomb dans la famille, sauf l'un pour le decorum des tables, et l'autre pour la chasse. Du fer, de l’acier, et que le cœur se bronze et jamais ne se brise. Elle sortit d’ailleurs mon père Léon du Lycée Lamoricière, où il passait ses deux bacs, afin de sculpter un armateur de dix-sept ans, flanqué contre sa mère expert-comptable et véritable patronne de la modeste entreprise, comme un daguet (il n’était plus faon tacheté, ses bois donnaient de l'avant) constamment à apprendre le métier contre sa biche de mère courage. L'époque était au privilège de masculinité, au droit d'aînesse et, in situ, au devoir de respect absolu à la culture et aux traditions méditerranéennes ancrées dans un melting-pot culturel bigarré, métissé jusqu'à plus soif et dénué de toute arrière-pensée raciste, comme on dit.
L’omerta à propos des circonstances du décès du grand-père Léon demeure, car lorsqu’il m’arrive encore de titiller ma vieille tante Thérèse, sa fille (la sœur de mon père), celle-ci glisse aussitôt sur l’affaire de ses géraniums qui fleurissent tardivement – c’est bizarre, tu ne trouves pas?.. Ou bien sur celle du mur de sa terrasse bayonnaise, côté jardin en pente, lequel menace ruine. Évoquer - fut-ce de loin - la sexualité du père ne sera jamais chose aisée, me souffle Sigmund Lacan.
C’était un « coureur » au fond, selon l’expression d’alors, un inoffensif Barbe bleue comme son frère Giacomi, et aussi l’autre, rescapé des tranchées de 14, Antoniuccio je crois... Juste bon à trousser les femmes de ménage successives de la propriété de Pont-Albin, à Misserghin, sise sur « les hauteurs de la ville » (d'Oran)... Cette page d’histoire familiale me séduit par son côté bovaryen à sa marge, doté d’un accent à la Maupassant dans ses haltes aux auberges de campagne, mâtiné d’une dose de machisme napolitain (totalement anachronique en ces temps d'une pruderie de Quaker), mais à l'effet immédiat sur les saintes nitouches déguisées en vierges effarouchées, et faisant aussitôt rire à gorge déployée tout ce qu’un quai peut compter de marins rayés et un zinc d’amis soiffards...
Gérard, fin connaisseur, précise que ce bâtiment (je reviens au cliché), est le bateau « souche » des futurs navires de la classe Victory, Empire, puis Liberty ship américains, caractérisés par la mâture en forme d’arche portée. J’affectionne ce type de détail parfaitement inutile au commun des mortels, surtout s’il est sujet au mal de mer, mais qui possède le claquant d’un poème, mâture en arche portée... Et grise l’oreille à la manière de ce qui agace actuellement ma vue, et qui se nomme joliment « les corps flottants » (des fantômes en forme de mouches qui passent devant l’œil, produisant des sous-ensembles flous, dirait Jacques Laurent, et ne laissant pas les corps tranquilles... Mon « vitré » se distend avec l’âge, mais je n’envisage pas encore de double vitrage pour le blanc de mes yeux, pas plus que mon aïeul ne pensa à porter des lunettes... à double foyer).
Or, donc, cette photo. Je la regarde et je rêve. D’une Algérie où je naquis et où je passai trois années y pico– et demie pour être précis. Je n’y suis pas encore retourné, malgré mes velléités lorsque, par exemple, je fis paraître chez Rivages « Le parler pied-noir » en 1989. Le FIS y montrant déjà le bout de sa sinistre morgue, il fut préférable d’attendre un peu. Sauf que un peu me dure.
Cette proue droite me fascine. Mon regard a toujours été attiré par ces navires façon brise-glace, l’arrondi à leur base en moins, car ce tranchant de lame, cette rectitude de col amidonné, comme celui que porte (sans la prothèse rigide) Erich Von Stroheim dans « La Grande illusion » (celui de Karl Lagerfeld ne parvient pas à m’émouvoir), lorsque le commandant Von Rauffenstein s’adresse à Pierre Fresnay : « Monsieur de Boëldieu... », sont infiniment émouvants. À quai comme en pleine guerre. L.M.
Vidéo (lien ci-dessous) d'une émission signée Lionel Andia, diffusée sur TVPI, télévision locale (Pyrénées-Atlantiques, Landes).
En images
Je n'ai jamais cru au hasard. Je viens juste de tomber sur cette photo que je ne connaissais pas en surfant sur la Toile. Et voici onze ans, ce 2 décembre, que mon père a disparu.
On y voit l'un des cargos de feu l'armement maritime familial, portant le nom de mon grand-père, de mon père et le mien (ainsi que son port d'attache : Bayonne). Le bandeau de la cheminée frappée d'un M blanc est bleu ciel. La coque est noire, les châteaux blancs, les chaloupes orange et bâchées de vert.
La photo (signée Bernardas Aleknavičius), a été prise au début des années 1970 dans le port de Klaipėda, en Lituanie, où le Léon, ainsi que mon père le désignait, se rendait régulièrement.
Le navire est visiblement chargé, vu le tirant d'eau qui est presque à calaison (son maximum), mais j'ignore ce qu'il a dans ses flancs.
Je n'ai pas pour habitude de consigner des informations personnelles d'ordre familial, sur ce blog. Cette exception confirme la règle. L.M.
Textes de Léon Mazzella, Photographies de Sébastien Carnet et Régis Guichenducq. CLIQUEZ ICI POUR COMMANDER L'OUVRAGE => éditions Passiflore
L’escorteur d’escadre « Jauréguiberry » (du nom – d’ailleurs - d’un quai de bord de Nive à Bayonne, bordé de restaurants accortes). Mr Lucifer dans le rôle du chat (noir et docile). Dufilho, Rich, Perrin, Rochefort donc, ce soir. L’apparition divine et diaphane d’Aurore Clément. Revu pour la 4ème fois, Le Crabe-Tambour, en hommage double ou triple. En hommage. A Schoendoerffer d’abord. Aux suivants après. A commencer par l’immense JR. Un très grand film, un excellent livre. Un état d’esprit inaltérable. LM