L'Oublié!

Je me savais hanté par cette peinture que j’avais gommée de ma mémoire, avec le temps, et voilà qu’elle resurgit à la faveur d’une première visite au nouveau musée Bonnat-Helleu bayonnais – somptueux à tous égards. Elle s’intitule « L’Oublié ! », son auteur est un peintre bayonnais, Émile Betsellère (1846-1880). Il évoque la guerre franco-allemande de 1870-1871, et le souvenir d’un soldat bayonnais, Théodore Larran. Le peintre a lui-même vécu ce meurtrier conflit. Son œuvre figure un hommage à toutes les victimes – oubliées ou pas – de toutes les guerres qui saignent nos âmes et l’Histoire. Betsellère romantise en figurant la scène en hiver tandis qu’elle se passa en été. La neige ajoute au drame et renvoie immédiatement à la terrible campagne napoléonienne de Russie de 1812. Nous ne lui en voulons aucunement d’avoir ainsi accentué le tragique abandon – sans doute involontaire – d’une ambulance que l’on aperçoit sur la gauche, en partance, hors champ de vision du mourant qui se cambre pourtant de toutes ses ultimes forces afin d’attirer l’attention ; mais en vain. Il y a – il le fallait depuis Villon – les corneilles noires pour oiseaux de mauvais augure charognard, et le rouge du sang versé sur la neige pour rappeler l’horreur de tout conflit entre êtres humains. Le visage du soldat a lui aussi été « embelli » afin de lui donner une apparence universelle – et résolument esthétique, car mourir au champ d’honneur pour la France lorsqu’on est beau, ajoute au drame national. L’issue sera cependant heureuse : Marie-Thérèse Jacquet, infirmière de son état, surgira à temps par miracle et sauvera Théodore. Puis, ils convolèrent en justes noces et enfantèrent à quatre reprises. Mais la dimension tragique de cette peinture perdure, qui m’évoque la Grande Guerre d’abord, puis la Seconde guerre mondiale, celle du Vietnam, les rues de Kiev, et tous les conflits qui gangrènent notre morale humaine. Je retournerai souvent, ou plutôt parfois au musée Bonnat-Helleu afin de rendre visite à « L’Oublié ! ». L.M.