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  • Passage

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    Splendeur de l'automne indienne, tout ce jour. Je féminise, car l'automne figure une femme dans mon imaginaire. Passage ininterrompu de passereaux le long de la côte, ce matin (je suis resté longtemps attablé à Kostaldea, soit au-dessus de la Petite Chambre d’Amour, à Anglet, ce dès 9h30, droit devant l'océan; café-tartine-beurre-confiture) : pinsons, pipits, chardonnerets, alouettes... Et moineaux devant moi que je pourvoyais en mie de pain. Un festival d'oiseaux minuscules virevoltant vers le grand Sud. Le ciel, d'un bleu intense (strié cependant de trop nombreux sillons blancs d'avions ; mais bon) vibrait je le jure. La douceur puissante de l'air. La lumière lumineuse, dirait Roland Barthes, comme la veille à Urrugne, plein centre au bar trinquet Léon Dongaitz où j'ai savouré le silence et raté les 200 000 palombes passées la veille… Le bonheur simple, en somme. La nature à portée d'oeil et de peau. Mon plaisir. Que souhaiter de plus, sinon espérer le revivre demain avec une complicité, une complice, une qui sait. Tout ça. Tout. Et, ce soir, la nuit tombée, je suis allé faire un tour rituel à la Petite Chambre d'Amour encore, avec ma moto retrouvée après un mois et demi de jachère, pour cause de claquage du mollet gauche (un accident con). Je fus ému par le faisceau du phare de Biarritz qui balaya le rivage comme s'il voulait me caresser le visage au passage. L.M.

  • Boualem S.

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    Le 16 novembre prochain aurait été le 89e anniversaire de ma mère si elle n’était pas partie trop tôt à l’âge de 61 ans et demi en 1998. Vingt-sept ans déjà. Ce sera surtout, car il est vivant, le premier anniversaire de l’abjecte incarcération de Boualem Sansal. J’ai la chance de le connaître un peu, depuis notre rencontre en 2015 dans le train qui nous conduisit depuis Paris au salon Livres en Vignes au Clos de Vougeot. Je m’étonne chaque jour davantage, je suis révolté comme beaucoup d’entre nous heureusement, par l’inaction française à faire pression sur le régime algérien perverti et dictatorial de Tebboune. Devant l’attitude pleutre de l’Élysée. Devant le silence complice de nombre de mes confrères journalistes. J’ai honte, et ce soir je relirai en diagonale « Le Village de l’Allemand, ou le Journal des frères Schiller », mon livre préféré de Boualem. Mais ma lecture silencieuse ne pourra rien. Faut-il afficher le portrait de Sansal à la façade des mairies (afin de couvrir, en passant, le drapeau palestinien qui dissimule à peine et par une espèce de palimpseste immonde celui du barbare Hamas) ? Que faut-il faire, un an après, pour obtenir sa libération, la fin de son absurde détention ? L.M.

  • Indien

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    Il est convenu de dire, c'est l'été indien. Lumière diaphane distincte de celle, préférée, de septembre, puisque octobre touche à sa fin. Douceur, ouaté dans l'air, chaleur humaine dans les rues, sur les places, corps dénudés à la plage, beach-volley comme en août, promenade de bord d'océan emplie d'un monde joyeux de "profiter", vagues onduleuses et puissantes, surfeurs beaucoup trop nombreux. J'espérais un passage de dauphins, ce fut un hélicoptère de l'armée qui traça le littoral. Soudain, plus tard, ce fut un vol de grues cendrées qui sillonna le ciel d'un bleu dense à basse altitude au-dessus de mon toit bayonnais. Bonheur automnal avec incursion estivale. Tout se bouscule, la migration entrechoque un été qui refuse de capituler. Le changement d'heure nous rappelle la tristesse du couchant, si tôt désormais. Alphonse Allais : "La nuit tombait. Je la ramassais...". L.M.

  • Quelle belle idée !

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    Comme j'ai commandé récemment via l'Internet des timbres à l'effigie de Françoise Sagan (je n'achète plus d'ordinaires Marianne depuis longtemps), La Poste m'adresse désormais ses nouveautés philatéliques par e-mail. Parmi les dernières, celle-ci me ravit : un timbre olfactif qui sent le croissant chaud... Rien de plus séduisant - me semble-t-il - pour affranchir mes prochaines missives à destination de ma Promise. Un timbre comme une promesse de petit-déjeuner au lit avant et après l'Amour, une lettre timbrée d'un parfum de viennoiserie au beurre... L.M.

  • Une vague à la Goffman

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    Ce temps de gueux, de tempête avec vent violent et pluie horizontale fouettant visages et pare-brises, rappelle à mon souvenir une scène dont je fus témoin en 1976, et que je n'ai décrite qu'en 2006. Je viens de retrouver le texte, car je reviens de la plage de la Petite Chambre d'Amour, à Anglet, où cela se passa :

    Cela pourrait rester goffmanien - pour parler comme les étudiants en ethno -, en référence aux travaux célèbres d'Erving Goffman * sur les comportements sociaux. La littérature peut mieux faire et c'est l'une de ses vertus. 

    La scène se passe à la plage de la Petite Chambre d'Amour. Plus exactement sur le parapet qui la surplombe. L'océan est agité, la marée haute et rebelle. Les vagues frappent les blocs de pierre extraits de la montagne proche, empilés là pour amoindrir l'ardeur de la mer qui érode la côte.

    Un homme de petite taille, vêtu pauvrement mais avec soin : veste bleue élimée, pantalon assorti, chemise blanche à col "pelle à tarte" ouvert généreusement sur un poitrail plat, imberbe et maigre. Physique sec. Comme le sont sans doute ses gestes, et comme sa diction doit être : sèche. Rêche et abrupte. Par rafales, cet homme doit parler.

    Il tire sur une Gitane maïs plus qu'il ne la fume. Il est debout sur le parapet que les vagues menacent d'éclabousser d'un instant, l'autre.

    Les séries de vagues frappent, toujours plus menacantes.

    Le petit homme regarde l'horizon; impassible.

    Avec, en plus, cet air d'écouter les éléments comme on entend sans l'écouter, un bavard anonyme et aviné au comptoir d'un bar. Sans prendre la peine de répondre à ses questions enchaînées et qui n'attendent d'ailleurs aucune réponse, mais seulement une approbation automatique.

    Sans affect apparent, quoi.
    Soudain, une vague plus forte que les autres  explose, gicle et inonde le petit homme debout sur le parapet.

    Le douche.

    Au lieu de s'exclamer et de reculer, l'homme "sec" ne bouge pas. Trempé, stoïque, il continue de tirer sur ce qui reste de sa Gitane imbibée. L'eau dégouline de ses cheveux jusqu'à ses pieds. Le regard des passants alentour, témoins de ce qui lui arrive, le paralyse plus sûrement qu'une injection d'anésthésiant. 

    Cet homme foudroyé est en train de vivre l'un des moments les plus douloureux de sa vie.

    Il regarde l'horizon. Imperturbable perturbé jusqu'aux os de l'âme.

    Je partage sa douleur profonde du mieux que je peux. A distance. Impuissant. Juste témoin.

    A l'heure où j'écris cette scène (30 octobre 2006, 23h45), l'homme ne se trouve plus sur ce parapet de La Chambre d'Amour.

    Et pour cause. Cette scène s'est passée il y a trente ans environ. Mais il m'a semblé capable de rester là l'éternité, tant je devinais son désir double de devenir invisible, ou bien d'être changé en statue.

    Ce récit (envie de l'écrire enfin, ce soir), est une espèce de stèle en souvenir d'une scène quotidienne, ordinaire, excepté dans la Creuse, le Quercy, et autres lieux où l'Océan, de notoriété publique et donc largement admise, ne vient jamais frapper les parapets. Mais alors, jamais... L.M.

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    * Sociologue canadien (1922-1982) que nous étudions à Sciences-Po, surtout son livre intitulé La mise en scène de la vie quotidienne (Minuit).

  • Aux Dames de France

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    Aux Dames de France à Bayonne, Biarritz Bonheur à Biarritz. Galeries Lafayette aujourd'hui... À Bayonne, il s’agit d’un splendide bâtiment de style Art Déco dû aux frères architectes Louis et Benjamin Gomez. Je ne me lasse pas d'y entrer et d'admirer sa monumentale verrière signée Mauméjan et sa cage d'escalier en fer forgé d’un noir luisant, en prenant l'escalator, avant de musarder entre jeans et chemises... Cette photo m'émeut, car j'ai l'impression de tenir la main de maman en m'y rendant avec elle le jeudi. J'ajoute que ce matin encore, je suis passé et repassé devant les Dames de France (je ne me résoudrai jamais à les désigner autrement), me dépêchant d'aller faire provision de bouche au Monoprix calé à l'angle des rues Orbe et Port-Neuf, m'étant attardé devant les puissants embruns de La Petite Chambre d'Amour, et j'ai ressenti, je le jure, la chaleur de la paume de ma mère au bout de mon petit bras tendu haut... L.M.

  • Sidérant Sirât

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    Vu enfin Sirât, hier, avec un Sergi Lopez impérial. Ce film envoie du lourd, du très lourd, et je n’en raconterai presque rien. Une rave-party clandestine et l’armée qui surgit. Une échappée plus ou moins belle. Un périple dans le désert marocain où rode une atmosphère de guerre en gestation, figure une épopée qui ne fait pas du tout penser à Mad Max. Le fil directeur? La recherche de Mar, la fille perdue depuis cinq mois et adepte des raves, la prochaine prévue aux confins du désert mauritanien pour but. Tenter tout pour la retrouver. Des relations humaines entre paumés, l'espoir chevillé, puis le désarroi d'un autre perdu et son jeune fils, les accidents tragiques qui émaillent le récit, la musique entêtante, la pellicule humble, touchante - les cadrages sont d’une confondante réalité à l’instar des regards, des silences, des cris, de l'hostilité du paysage, de l’extrême violence osée par le réalisateur, Oliver Laxe, qui est d’une audace sans limites, font de ce film marquant, qui prend peut-être davantage au corps qu’à l’esprit, une carre dans le manche de notre Opinel cinéphile. On ne peut ni ne veut rien en dire afin de préserver sa substance, sa subtilité, ses fulgurances, ses coups de théâtre. Un sidérant coup de maître qui sonne le spectateur comme s'il venait de doubler Robert De Niro dans Raging Bull ou Hilary Swank dans Million dollar baby. L.M.

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    En salles. Prix du Jury à Cannes l'an dernier.

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  • Montaigne

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    Hier dans l'après-midi, j'ai lu le brillant opus, Adieu Montaigne, de Jean-Michel Delacomptée, admirable biographe libre (j'ai lu son Saint-Simon, La Grandeur, il y a peu : jubilatoire), dans le tégévé qui me ramenait chez moi depuis Paris où je me trouvais - à la sauvette - pour les premières délibérations du prix François Sommer au merveilleux Musée de la Chasse et de la Nature, puisque je fais partie du jury. Avant cela, je suis allé saluer le vieux Montaigne rue des Ecoles, face au Collège de France, place Paul Painlevé avec le splendide musée médiéval de Cluny en fond, où se trouve désormais un square Samuel Paty, victime d'un abject crime terroriste et auquel on rendait hommage dans les parages je suppose (je n'ai pas pris soin de vérifier où cela avait lieu) ; aussi le quartier était-il bouclé, il fallait montrer patte blanche aux CRS et la rue du Vieux Campeur était déserte, infiniment silencieuse. Je ne manque jamais d’aller rendre visite à la statue de l'auteur des Essais lorsque je reviens à Paris, sans flatter son pied droit doré par des milliers de mains touristiques, à l’instar des seins de Dalida sur le buste sculpté par Aslan, dans le XVIIIe. Ainsi ai-je sacrifié à un rite. Lorsque je vivais dans le quartier (treize ans rue Monge), le Ve, j'accomplissais cette forme de clin d'oeil avant d'aller musarder à la librairie voisine Compagnie, puis de pousser jusqu'à celle de Gibert. Une page du livre de Delacomptée figure un écart éblouissant de vérité que j'ai envie de reproduire en prime, ci-dessous. L.M.

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  • furtif coup de vieux

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    Impossible de coller ici (trop lourde, me dit-on) la vidéo de 52 minutes d'Histoires Naturelles (TF1, Juillet 1993) intitulée "Furtifs", en référence à mon premier roman, au fil de laquelle je converse avec l'immense Igor Barrère sur l'approche, le Sauvage, le pouvoir de ne pas donner la mort lorsque l'on est chasseur (ce que je fus trente années durant, jusqu'en l'an 2000 - depuis, je "chasse" avec jumelles Zeiss et appareil photo Leica). En voici trois vues. Tentez, si vous le désirez, de la voir sur ma page Facebook, où elle est curieusement passée sans peine, parce que les images valent vraiment le détour. L.M.

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    Oui, bon, j'avais à peine trente-cinq ans lors du tournage...

  • Prendre et reprendre Christine de Pizan

    J'exhume un texte du ventre de KallyVasco parce que je suis retourné parmi les sensibles Ballades de Pizan, et que cela fait un bien fou que j'ai, comme d'habitude, envie de partager.

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    Savez-vous - mais qui peut prétendre savoir ce qui suit, aujourd'hui? - savez-vous donc que dans la théorie courtoise, le baiser représente le quatrième degré de l'amour dans une hiérarchie qui en compte cinq, selon le modèle des cinq sens? Le baiser correspond à celui du goût. Et cela nous est déjà si délicieux de l'apprendre. C'est Jacqueline Cerquiglini-Toulet (un lien de parenté avec Paul-Jean? - J'ai demandé, elle l'ignore), fervente préfacière et éditrice de ces ballades de Christine de Pizan, qui l'écrit. L'ouvrage, Cent ballades d'amant et de dame, est d'importance (Poésie/Gallimard, 10€). D'une part nous lisons un homme d'une loyauté sans faille, quoique, et d'autre part, les réponses d'une femme aimante mais infiniment prudente. Les amants dialoguent au fil de cent poèmes, ce qui n'est pas rien lorsque le désir attise. Ce sont des lettres, des messages, des hommages, des envois, des plaintes parfois, de fougueuses adresses, des reproches aussi, des invites, un faux dialogue peut-être, la distance entretient l'absence en tentant de la dissoudre, le choix du mot fait le reste, maintient, magnifie, tient droit tout cet édifice d'une intense fragilité. À l'époque de Christine de Pizan (1364, Venise - 1430, Poissy), la ballade est une forme à trois strophes avec un refrain d'un ou deux vers. Dans ces Cent ballades d'amant et de dame, si pressantes, la longueur des strophes est délicieusement écourtée parfois, et la taille des vers varie au gré de la disposition des rimes... Les 336 pages du recueil nous offrent ainsi un bouquet de retenue, l'expression parfaite de l'amour courtois cher aux troubadours : Que votre doux amour soit vers moi tourné / Car mon coeur est déjà plus noir qu'une mûre, lit-on dès le premier envoi. Ce qui fait délice, c'est la nomination de l'alternance : L'Amant, La Dame, L'Amant, La Dame se répondent et nous suivons un ping-pong amoureux d'une fine délicatesse, un échange d'une stupéfiante modernité : Le dard d'amour qui, comme il se doit, / T'enverra des pensers / Pleins de désir, par divers sentiers, / Tantôt joyeux, tantôt douloureux... La ballade 20 exprime une affirmation féministe de bon aloi. À laquelle la Dame ajoute, quelques pages plus loin, des vers à nos yeux définitifs :  À rien ne sert de résister, / Amour est mon adversaire, / Je ne peux m'y soustraire. Car, il s'agit là, au détour de quelque strophe, d'une joute jouant sur le désir de l'autre : Car je ne veux que votre doux vouloir. / Votre volonté seule est la mienne... dit-il, tandis qu'elle semble, semble seulement, lâcher prise : Je suis vôtre, vous m'avez justement conquise, / Il n'est plus besoin que j'en sois requise, / Amour le veut; vous avez trouvé le chemin /Pour prendre mon coeur / Sans mauvaise ruse, par une très loyale quête. / Je le sais en vérité, je m'en suis bien enquise, / Et puisqu'il me plaît ainsi, en toute guise, / Du bien en résultera pour moi. Ce à quoi répond tardivement, et c'est agaçant, l'amant balourd mais lucide et d'une belle patience - à sa décharge, ainsi que d'une capacité à accepter les coups portés : Vrais amants courtois, sachez qu'il n'est dureté / Que de se séparer de sa dame et maîtresse. L'Amant se déclare, sans forfaiture aucune, comme étant un serviteur lige, et cela est d'une admirable rareté. Il entre en merencolie, terme désuet, d'époque, pour désigner la mélancolie. La Dame, infiniment romantique avant l'heure, confesse une fièvre (Ballade 100), qu'une réalité va corroborer : Je m'y fiai : mon coeur se fend en deux / Car sa parole séduisante, trompeuse, / Et son maintien courtois et aimable / M'affirmaient qu'il disait vérité, / Et tel n'était le cas, c'est bien prouvé : / Il a déshérité mon coeur de la joie. Tout est déjà dit, là, sur la légendaire lâcheté masculine. Le cuir me part (Mon coeur se brise), déclare la Dame. Le lecteur est subjugué par tant de droiture sans ambages, de franchise intérieure sans détour. L.M.

     

  • Prof Nabokov

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    Nota : j'ai eu deux, non, trois profs exceptionnels, marquants : Jacques Ellul à Sciences-Po, Michèle Breton, ma prof de philo en Terminale à Bayonne - décédée d'ailleurs cette semaine (lu dans le Carnet de Sud Ouest Pays basque, ce matin) et Yves Louis, prof de Français en Première au même lycée, décédé en novembre dernier et à qui je dois certainement mon éveil décisif à la littérature via quelques poèmes d'Apollinaire, de Saint-John Perse et de Michaux. Mais que j'aurais aimé avoir Nabokov pour prof ! Et suivre ses cours en candidat libre, comme je suivais en catimini, affamé, ceux de philosophie, sur le désir et le temps, donnés par Nicolas Grimaldi à la fac de Lettres de Bordeaux (je séchais ceux de Droit pour ce faire). Nabokov... J'ai retrouvé les lignes qui suivent dans les archives de Kallyvasco, millésime 2010. Je les ressers comme on sort un gigot du congélateur. Afaria ! / A tavola !

    *

    J'en rêvais, Bouquins/Laffont l'a fait (en février 2010). Les fameux cours de littérature donnés par l'auteur de Lolita dans plusieurs universités américaines, notamment celle de Cornell, entre 1941 et 1958, reparaissent en un seul et épais volume au papier bible délicat (1212 pages, 31€). Dedans ? Des trésors, la caverne d'un Ali forcément baba :  lo mejor de Austen, Dickens, Flaubert, Stevenson, Proust, Kafka, Joyce, Gogol, Tourgueniev, Dostoïevski, Tolstoï, Tchekhov, Gorki, Cervantes... Du pur jus d'intelligence libre et claquante, du talent d'un écrivain dont on devine le grain de la voix, de la verve d'un qui vilipendait vertement les Philistins (la préface lumineuse de Cécile Guilbert est sur ce point salutaire, ainsi que les pages 98 à 114 du Nikolaï Gogol, essai virulent du même Nabokov, reparcouru pour l'occasion dans sa belle édition de 1953 à La Table Ronde) comme Socrate jetait avec l'eau du bain les Sophistes. Introduction de John Updike, quand même (mais bof...). Ulysse, Swann, Anna Karénine, La métamorphose, le Quichotte, La Dame au petit chien... Passés au tamis nabokovien deviennent des astres lustrés par un vieux flacon de Mirror que l'on n'espérait plus. Le BONHEUR.

    Proust / Nabokov

    Lire le cours de littérature de Nabokov, sur Proust notamment, est un bain de lumière. Il y a bien sûr les biographes solides, à l'anglo-saxonne, façon Lottmann sur Camus et Painter sur Proust. Il y a aussi les brillants exégètes comme Tadié sur Proust (ou de Biasi sur Flaubert).  Mais il y a enfin les livres d'écrivains sur les écrivains, il y a l'empathie et la finesse de l'analyse du dedans d'un Nabokov, admiratif mais pas trop, qui nous éclaire avec une intelligence incandescente. Ses pages sur Du côté de chez Swann (284 à 331, à peine 50 dans le très précieux opus : Littératures, paru chez Laffont/Bouquins), sont aussi éveillantes que celles consacrées au sujet par Gracq dans En lisant en écrivant (Proust considéré comme terminus). « L'ensemble est une sorte de chasse au trésor, où le trésor est le temps, et le passé la cachette, (nous souffle le génial chasseur de papillons trop occulté par Lolita). C'est là le sens profond du titre, A la recherche du temps perdu. La transmutation de la sensation en sentiment, le flux et le reflux de la mémoire, les vagues d'émotion telles que le désir, la jalousie et l'euphorie artistique, voilà le matériau de cette oeuvre énorme et cependant singulièrement légère et translucide. » Nabokov plante le décor, synthétique, et prévient : « Il y a une chose dont vos esprits doivent bien se pénétrer (il s'adresse à ses étudiants) : l'oeuvre n'est pas autobiographique, le narrateur n'est pas Proust en tant qu'individu, et les personnages n'ont jamais existé ailleurs que dans l'esprit de l'auteur. » (...) « Proust est un prisme. Son seul objet est de réfracter, et, par réfraction, de recréer rétrospectivement un monde. « (...) « Les créatures prismatiques de Proust n'ont pas d'emploi, leur emploi est d'amuser l'auteur. » Nous entrons ainsi dans une oeuvre d'art dont l'ampleur est considérable. Nous sommes au sein d'une évocation gigantesque et aux ramifications qui semblent infinies, pas d'une description. Ni d'une autofiction, suis-je tenté d'ajouter. Ce serait trop facile! Et les Serge Doubrovsky (paix à son oeuvre) et autres Philippe Vilain se réjouiraient en hâte. Non. Proust est autrement plus complexe tout en restant limpide, par la force surhumaine de son style, par la grâce dont la Recherche est empreinte de la première ligne à la dernière (pour peu que l'on sache tourner les pages lorsqu'il le faut ; à bon escient). « En matière de générosité verbale, dit Nabokov à propos de l'usage de la métaphore par Proust, c'est un véritable Père Noël. » Chez Proust, poursuit-il, « conversations et descriptions s'entremêlent, créant une nouvelle unité où fleur et insecte appartiennent à un seul et même arbre en fleurs. » Nabokov souligne avec tact une façon de déplier l'image comme un éventail, procédé caractéristiquement proustien. Prenons « le » personnage. Proust, selon Nabokov, l'appréhende comme une personnalité connue de façon comparative seulement, jamais de façon absolue. Aussi, « au lieu de le hacher menu (façon Joyce avec Ulysse), il nous montre tel personnage à travers l'idée que d'autres personnages se font de ce personnage. Et il espère, après avoir donné une série de ces prismes et de ces reflets, les combiner pour en faire une réalité artistique. » Bien sûr, Nabokov évoque – avec une infinie douceur, pas comme un chirurgien de l’Université ou un critique littéraire armé de sourds couteaux revanchards –, la madeleine, le baiser de maman, Combray, la flèche pourpre, la crème au chocolat, Méséglise, Vinteuil, Léonie, la mort de la grand-mère, la jalousie – qui éclatera beaucoup plus loin avec Albertine, Guermantes, les cattleyas… Mais il ne brille jamais aussi intensément que lorsqu’il parle de cette notion du temps incorporé, de ce quelque chose de plus que la mémoire. « Un bouquet de sensations dans le présent et la vision d’un événement ou d’une sensation dans le passé, voilà où la sensation et la mémoire se rejoignent, où le temps perdu se retrouve. » Un chef d’œuvre de chevet ce cours, vous dis-je ! L.M.

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  • Reprendre le Gorgias, de Platon

    C'est l'un des plus beaux dialogues platoniciens. Socrate y est au plus haut de sa forme, pour exprimer l'art de la réthorique, la tempérance, la bienveillance, la justice (et son mal suprême corollaire : celui de n'être pas puni pour l'injustice que l'on commet); la domination des désirs et donc le bonheur : Qui veut être heureux doit se vouer à la poursuite de la tempérance et doit la pratiquer...

    Tout Socrate y est résumé, jusqu'à la métaphore de l'épisode de la ciguë. L'art de la politique, le rôle du citoyen dans la Cité, la définition du pilote, la vile incapacité pour un homme à se défendre... Bon, évidemment, Platon sépare l'âme et le corps au moment de la mort, et semble curieusement faire l'éloge de la sophistique au détour d'une tirade à l'adresse de Calllicalès. (N'est pas Spinoza qui veut).

    Gorgias ou la lumière sur les sentiments et les comportements. Le relire, c'est prendre un bain de jouvence, plonger dans un jacuzzi électrique. C'est faire le plein de sourire.

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  • Revenir toujours à la puissance d'exister

    L'exercice d'une puissance, selon Spinoza, sa fameuse puissance d'exister, provient du conatus (l'effort pour persévérer dans son être - ni physique ni psychologique, mais plutôt expression de l'affirmation de soi. Du verbe latin conari : entreprendre une action*). C'est la structure désirante de l'homme, "l'appétit avec la conscience de lui-même", écrit-il dans L'Ethique. Lisant avec passion, sur le sable d'une plage corse, le précieux hors-série consacré à Spinoza, "Le maître de liberté", que publia Le Nouvel Obs (souvenir, donc, et document retrouvé par hasard, que je pensais disparu), je me suis arrêté longtemps sur ceci : ce n'est pas pour connaître que l'homme désire, mais c'est pour déployer son être qu'il s'efforce d'imaginer ou de connaître. Ainsi, avec Spinoza (en rupture totale avec des pans entiers de la philosophie depuis Platon), il n'est pas nécessaire de manquer pour désirer. "Nous ne faisons effort vers aucune chose, que nous ne la voulons pas et ne tendons pas vers elle par appétit (appetere) ou désir, parce que nous jugeons qu'elle est bonne; c'est l'inverse : "nous jugeons qu'une chose est bonne, parce que nous faisons effort vers elle, que nous la voulons et tendons vers elle par appétit ou désir", L'Ethique (III, prop. IX, scolie). Le désir fonde le désirable. S'attacher aux plaisirs, aux richesses, aux honneurs, détruit davantage notre puissance d'exister (notre joie), qu'elle ne l'augmente. Et notre but est de tendre vers une affectivité heureuse, avec des affects (sentiments : surtout la joie, la tristesse et le désir), épanouis, soit libres de toute culpabilité; notamment. L'un des collaborateurs de ce hors-série, Pascal Sévérac, souligne l'originalité fondamentale de l'éthique spinoziste : "rompre avec l'idée judéo-chrétienne d'un péché originel qui nous condamne à la faute et à la misère". L'Ethique "nous libère des chaînes d'une morale ascétique qui sans cesse nous culpabilise de jouir de la vie", enchérit Balthasar Thomass, lequel qualifie Spinoza "d'antidote parfait pour des époques moroses et anxiogènes comme la nôtre, un Prozac philosophique à avaler en toutes circonstances." Dès lors, pour lutter contre nos passions tristes et tenter d'atteindre l'ataraxie, cette quiétude absolue de l'esprit, il y a la joie, l'irrépressible joie (de vivre) de Spinoza : une certaine forme de liberté, "un étendard, comme la nomme Thomass, dressé contre toute forme d'aliénation", une joie donc, seule capable d'envoyer bouler les systèmes d'oppression qui manipulent notre tristesse pour nous soumettre (Deleuze) par l'entretien méthodique de nos peurs. L.M.

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    * Laurent Bove, précise, à propos du conatus : "cet effort de persévérance en acte est une puissance activement stratégique d'affirmation et de résistance de la chose à tout ce qui pourrait entraver sa persévérance indéfinie." C'est clair?..

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