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Livre - Page 8

  • Landes, les sentiers du ciel

    C'est un nouveau livre, qui paraît en librairie jeudi prochain (après-demain). J'ai signé les textes et Frédérick Vézia les photos, toutes prises depuis son ULM. Ce sont des textes courts, poétiques, des émotions, pour exprimer la force et la douceur des paysages photographiés

    Privat, 144 pages, 30€. (Ce livre est une sorte de prolongement de Lacs et barrages des Pyrénées, textes de ma pomme et aquarelles de Philippe Lhez, paru il y a un an environ chez le même éditeur).

     

    CouvertureLandes2-1_2.jpg

     

    Texte de 4 de couverture : 

    D’aucuns s’imaginent un océan tantôt vert, tantôt beige : des pins et du sable, en marge du vrai, le bleu, qui borde un département singulier en traçant une ligne droite comme une échasse. Or, les Landes sont protéiformes, variées, chatoyantes, vallonnées, sensuelles, mamelonnées, onctueuses, sinueuses, veinées, traversées. Le velours côtelé des vignes ici, des champs de maïs ronds comme des planètes, là. Des villages rassemblés, un habitat épars avec de temps à autre un airial qui troue une forêt forte, bien que malmenée par les tempêtes. Les Landes vues du ciel offrent une lecture collinaire du paysage de Chalosse étonnante, celle de la polyculture en Marensin, un air basque dans le Sud-Adour, lorsque les Pyrénées sont en ligne de mire… Les Landes, ce sont aussi des arènes, des champs de kiwis, l’embouchure d’un port de pêche, des plages désertes, des lacs géants, des étangs mystérieux, des marais et marécages appelés barthes. Une géographie d’esthète se dessine sous nous yeux, grâce au talent du photographe landais Frédéric Vezia, qui saisit la calligraphie naturelle et humaine à hauteur respectable et nous donne à voir les Landes comme on ne les a encore jamais vues. Léon Mazzella, journaliste et écrivain, auteur de plusieurs ouvrages sur cette région chère à son cœur et à ses bottes, a signé pour l’occasion des textes empreints d’une poésie nécessaire –celle qui s’impose naturellement à lui devant une terre de tant de promesses.

    Lancement, signature, cocktail vendredi 19 à partir de 17h à la librairie Lacoste, à Mont-de-Marsan.

  • Interallié

    Restent en lice Claude Arnaud, Qu'as-tu fait de tes frères?  (éditions Intergrasset...) et Simonetta
    Greggio, Dolce Vita 1959-1979 (Stock). Et aussi Jean-Michel Olivier, L'amour nègre (de Fallois), dont je ne donne pas cher, Mohammed Aïssaoui ayant reçu le Renaudot essai sur un sujet voisin, avec L'affaire de l'esclave Furcy (Gallimard). Arnaud et Greggio ayant déjà été recalés à d'autres grands prix attribués ces derniers jours, j'ai tendance à penser qu'il s'agira d'un duel. Et j'ai envie que ce soit Greggio et son histoire de l'Italie qui l'emporte. Et vous? Les deux sont (ou ont été : Simonetta) journalistes. L'Interallié récompense normalement un "encarté". A suivre.


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     Addendum du 16 novembre : c'est l'écrivain suisse J.-M. Olivier qui l'emporte.

    Nos pronostics étaient
    mauvais.

    Je lirai malgré tout, des trois en lice, seulement le livre de Simonetta Greggio. 

  • Je le verrais bien en Prix Médicis

    41X6Wq0VPEL._SL500_AA300_.jpgParmi les curiosités des sélections de ces grands prix littéraires d'automne, il y a le bouquin de Nabe, auto-édité, disponible sur le Net seulement... Mais bon, l'auteur a une réputation nauséabonde et le défendre, comme le fait FOG, me semble étrange... Non, moi je préfère voir figurer le magnifique petit livre de Jean Rodier, en remontant les ruisseaux, publié à L'Escampette, admirable éditeur poitevin animé par Claude Rouquet (livre déjà évoqué sur ce blog, le 16 février dernier), car il y est question de pêche à la mouche et de nature aride de l'Aubrac et du Haut-Gévaudan, d'observations subtiles sur la faune et la flore, les nuages et surtout l'eau, la rivière, que l'auteur sait lire, mais également de silence et d'alouette, de Gracq et de Buffon, de Lucrèce et de Whitman, de cincle plongeur et de circaète Jean-le-Blanc, de solitude heureuse et de truites sauvages comme à l'aube de l'humanité. Et surtout d'une prose somptueuse, précise et jamais emphatique. L'auteur aime pratiquer "la pêche à rôder". Nous aimons, nous, les pêches de Rodier. C'est un non-guide pour se perdre dans le vertige de la littérature, un guide pour ne pas y aller. Un livre littéraire en diable. Donc un bon Médicis, non?.. Nous verrons bien si les jurés sont ou non d'indécrottabes parisiens et s'ils sont capables d'audaces...  Réponse à la mi-journée.

  • Joël D. dans Les petits mouchoirs

    19501153.jpg-r_760_x-f_jpg-q_x-20100901_035023.jpgC'est un pote que je vois peu mais on s'appelle de temps à autre et on se voit à l'occasion, comme aux arènes de Dax, le 12 septembre dernier, jour d'une corrida historique -lire par ailleurs, ici même, sur le sujet. Joël D. (c'est l'enseigne de ses bars à huîtres où il faut découvrir la Quiberon n°3, ma référence absolue) n'est pas Agnès B. Il crève l'écran dans Les petits mouchoirs de Guillaume Canet en jouant son propre rôle (c'est Jean-Louis, l'ostréiculteur du Cap-Ferret, dans le film) alors qu'il débute devant la caméra ! Car il est comme ça, Joël : brut de décoff', vrai à 100%, bon, généreux, sans ambages, zéro frime, la tête au frais, jamais de prise de chou, adepte des éclaircissements immédiats, bref : c'est un gars qu'on aime parce que c'est un vrai mec bien, qui regarde au fond des yeux en te disant tes quatre vérités, les bonnes, les mauvaises (ça fait déjà au moins dix-huit, dont trois bonnes, garçon!) parce qu'il t'a en estime. Et ça c'est beau. Rares sont les hommes de sa trempe. Lorsque j'ai fait sa connaissance, dans son bistrot de la rue des Piliers-de-Tutelle à Bordeaux -surnommée la rue des milliers de pucelles-, en 1984 (j'habitais à deux faux-pas de là, rue des Faussets), son regard droit et donc horizontal s'est imposé à moi verticalement. J'ai découvert par la suite son humour, sa faconde. Joël, en étant simplement lui-même dans le film de Canet, vole la vedette, à son corps défendant, à des acteurs professionnels. Nulle intention de sa part! Il n'est pas comme ça, le gonze, loin s'en faut ! Alors pourquoi?  Je crois qu'il est -juste- rattrapé par un retour des vraies valeurs dans ce monde de brutes (et c'est un peu le sujet du film), lesquelles nous font aimer son personnage davantage que les autres. Il détient la vérité de la vraie vie. Ce n'est pas rien, ça... Et de cela nous manquons chaque jour davantage. Dans l'un de mes bouquins, récents, je décris Joël comme le Gascon magnifique. En voici un extrait, à la page 161 de ce dico amoureux (Le Sud-Ouest vu par Léon Mazzella, éditions Hugo & Cie, nov. 2009) :

     

     

    19501151.jpg-r_760_x-f_jpg-q_x-20100901_034947.jpg« Comment peut-on être Persan ? » demandait Montesquieu. Comment peut-on être Gascon ?… On ne  le devient pas, on l’est de naissance. C’est un caractère, une manière d’être au monde, de penser, de marcher, de parler, de rire et de chanter, d’aimer et de préférer, de manger et de boire, de donner et de partager, de faire la fête et de cultiver l’amitié avec autant de soin que la vigne, une façon de vivre le paysage, de caresser la plaine, de rentrer dans l’Océan, d’écouter la forêt, de voir la montagne, de songer la ville, de vivre le village, de dompter un étranger un peu trop conquistador. C’est une attitude de tous les instants, un accent, un regard, une fierté, une franchise, un laisser-aller contrôlé, une morale, un savoir-vivre à nul autre pareil. Parmi les Gascons auxquels je pense aussitôt, je compte Jean-Jacques Lesgourgues, vigneron en Armagnac, à Bordeaux et en Madiran. Mécène, collectionneur d’art contemporain, Jean-Jacques est l’archétype du Gascon total. Je pense aussi à Jean Lafforgue, érudit, ancien libraire emblématique du temple des livres bordelais : Mollat. Je pense à Jean-Pierre Xiradakis, autre Bordelais aux origines grecques, restaurateur à l’enseigne de « La Tupiña ». Je pense enfin à Joël Dupuch, ostréiculteur sur le Bassin, amateur au sens noble du terme, ex rugbyman et cultivateur d’amitié. Le Gascon est un égoïste qui ne pense qu’aux autres. Un aventurier qui néglige l’objet pour la cause, un homme qui n’adhère à rien sauf au plaisir qu’il souhaite « faire passer ». Le Gascon est le contraire du militant. C’est un rugbyman au quotidien qui donne le ballon comme une offrande, parce que « ça » doit jouer, jamais stagner. Et pas que le dimanche après-midi. C’est un joueur qui fête la défaite, un homme qui engage sa vie pour son salut, à l’instar de « l’Aventurier » comme l’écrivain Roger Stéphane en dressa le « Portrait » dans un livre éponyme fameux.

     

  • Deux poids, deux mesures : Vargas Llosa et Marilyn Monroe

    Mario Vargas Llosa Prix Nobel, cela m'évoque l'expression si poétique du médecin pour désigner un excès de poids : surcharge pondérale... L'écrivain péruvien devenu espagnol, notoirement de droite, récompensé pour sa cartographie des structures du pouvoir et ses images aiguisées de la résistance de l'individu, de sa révolte et de son échec, laisse à penser que, déjà tellement plombé de prix et récompenses en tous genres, il devra s'acquitter d'une taxe lorsqu'il prendra l'avion pour Stockholm. (Je pense aussi à l'image sinistre de ces généraux argentins et autres russes à la poitrine cuirassée de médailles). Reste que MVL est un excellent romancier. Et que l'Académie suédoise aurait été mieux inspirée en récompensant une découverte, ainsi qu'elle l'a fait, avec des bonheurs inégaux certes, ces dernières années.

    IMG_1529.jpgJe préfère penser, en feuilletant les Fragments inédits de Marilyn Monroe, que les histoires oiseuses sur les blondes vont pouvoir prendre leur revanche. (Etait-il nécessaire de déguiser la publication de ces textes intimes qui disent un amour pour la littérature et des qualités littéraires évidentes, en réhabilitation?..). Antonio Tabucchi, dans sa préface, souligne un signe dans l'existence d'une femme trop belle et réduite au statut encombrant de bombe sexuelle absolue. A l'intérieur de ce corps qu'à certains moments de sa vie Marilyn porta comme on porte une valise, vivait l'âme d'une intellectuelle et d'une poétesse dont personne n'avait le soupçon. Est-ce exagéré? En tout cas, cela explique sans doute pour partie la mélancolie de Marilyn, voire sa dépression. MM rêvait de se réincarner en papillon. Cette légèreté ne manque pas de grâce. Et m'émeut.

    (Et j'adore cette photo, infiniment sensuelle, dont la charge érotique dépasse en puissance tous les nus de M.M.).

     

  • L'enterrament a Sabres

    Pour moi c'est un événement : la reprise dans la si précieuse collection Poésie/Gallimard de la chanson de geste hugolienne, de l'ode à la lande, de ce poème homérique et tsunamique, de cette élégie gasconne d'une belle force tellurique et d'une douceur d'aile de papillon, de cet Office des Ténèbres à la houle majestueuse, de ce chant de grâce et de beauté, de ce poème d'amour à la mort, donc à la renaissance, à la Nature, aux femmes, aux humbles, à la puissance du regard, à l'humus, à l'énergie sourde du silence, à l'oiseau migrateur, à la sagesse des vieux, à l'alios et à la grande forêt de pins, de cette Légende ensorcelante, ensorcelée et  mystique -est, oui, à mes yeux, un événement. Annoncé il y a plus de six mois, je le guettais -un peu inutilement, puisque j'ai l'original paru d'abord chez Ultreia en 1989, puis sa réédition parue chez Mollat en 1996. Et puis sa parution fut repoussée plusieurs fois au cours de l'été et à index.jpgla rentrée. Le voilà enfin! (et d'ailleurs, je ne l'ai finalement pas racheté dans sa troisième version...). Il s'agit du livre le plus essentiel, peut-être, de Bernard Manciet (1923-2005), auteur un-peu-beaucoup-ours que j'eus le plaisir de rencontrer à Trensacq, dans sa retraite de la Haute Lande, et avec qui j'ai partagé le bonheur de publier -chacun son petit bouquin- dans la même collection : lui Les draps de l'été -poème en prose sur la sieste sensuelle des après-midi de l'été landais... et moi Je l'aime encore, long poème en prose, ou journal sans date d'une passion amoureuse torride, sexuelle, donc imprégnée d'érotisme et qui finit mal, forcément, (et dont Manciet me dît, dans une lettre : c'est tellement beau que je ne sais pas ce que vous allez pouvoir écrire après! Purée, ça marque un homme, ce genre de paroles!). Cela vit le jour aux éditions Abacus en 1995, dans l'éphémère collection "Quatre auteurs pour quatre saisons" (les deux autres étaient Michel Suffran et Marie-Louise Haumont. Et les quatre ouvrages étaient emboîtés dans un joli coffret -et j'ignore s'il est encore disponible). L'enterrement à Sabres (titre originel gascon : L'enterrament a Sabres), donc, est paru en format de poche et en bilingue (Occitan-Français) comme la plupart de ses nombreux livres. J'aime profondément l'idée de cette édition à vocation populaire. C'est l'oeuvre poétique majeure de Manciet, qui a beaucoup écrit, d'autres poèmes d'une émotion forte (Un hiver, Accidents, entre autres), des essais brillants (précieux Triangle des Landes, et Golfe de Gascogne), des romans bouleversants et d'une splendide concision (Le Jeune Homme de novembre, La Pluie, Le Chemin de terre). Je sais, je suis certain qu'un jour, dans des années, Manciet sera reconnu comme un immense poète, comme un René Char gascon. Je prends les paris.

  • Vins, nouveautés en rouge et noir

    genere-miniature.aspx.gifJe signale juste la réimpression, avec une nouvelle maquette très chic, de genere-miniature.aspx.gifMon livre de cave (Le Chêne) dont je suis l'auteur (je n'ai pas encore vu/reçu le livre mais une alerte par mail m'a renvoyé sur cette photo), et la parution de Comment faire sa cave, de Philippe Faure-Brac, car j'en suis le nègre (EPA). 

  • Procida amore mio

    IMG_3332.jpgUne semaine sur l'île de Procida regonfle, donne envie de continuer d'écrire, d'écrire là-bas aussi, à défaut d'y vivre; entre deux balades en scooter d'une plage l'autre, et deux terrasses de restaurants de poissons et de fruits de mer. L'île n'est-elle pas devenue un jardin d'écriture, où Elsa Morante écrivit plusieurs de ses livres, dans la propriété Mazzella di Bosco ou hôtel Eldorado (rebaptisée ll giardino di Elsa), avec ses allées de citronniers qui poussent leur feuillage jusqu'à ce balcon merveilleux, en bord de falaise, au-dessus de la plage de Chiaia et du petit port de la IMG_3346.JPGCorricella,  avec la côte amalfitaine et Capri à l'horizon ? J'en reviens et comme à chacun de mes retours de cette île-querencia, je suis la proie d'une mélancolie tonique, que la lecture de L'isola nomade (adm editoriale, sept. 2010), recueil copertina-194x300.jpgde récits sur Procida rassemblés par Tjuna Notarbartolo, écrivain et présidente du Prix Elsa-Morante, augmente cette fois d'une joie singulière, celle qui rassérène car elle est fleurie de promesses et de bonheurs à venir, encore, bientôt ; là-bas.

    (Peinture de Luigi Nappa, photo LM, couverture du livre et peinture de Roger Chapelet, représentant le s/s Procida...).

     

     

    www.isoladiprocida.it

     

     

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  • Où est-il?

    IMG_1396.jpg<== : Voici ce qu'il reste d'un torero d'une classe rarissime, aujourd'hui chaque fois plus décevant. Sebastian ne torée plus vraiment depuis deux saisons. Souhaitons qu'il réfléchisse à son retour...

    IMG_1427.JPGIMG_1389.JPGIMG_1363.jpg(Photos prises avec mon iPhone : Sebastian Castella, Mateo Julian, novillero prometteur, Dax, samedi 11. Arènes de Bayonne, samedi 4)

    José Bergamin (La solitude sonore du toreo, Verdier/poche) :  Parce qu’elle est émotion et parce qu’elle est torera, l’émotion torera est magique.

    Tout ce qui est art, jeu, fête, dans le toreo, appartient au monde magique de l’émotion. Le cercle magique des arènes l’inscrit dans l’ensemble de ses éléments. Les barrières de bois le dessinent sur le sable, la toiture le découpe dans le ciel. Et tout ce qui demeure à l’intérieur de ce rond, dans son espace déterminé, appartient au monde magique de l’émotion, horrible ou merveilleux, selon l’objet qui le motive. De telle sorte que le véritablement horrible ou merveilleux disparaît quand se rompt le cercle magique, soit, comme dirait Sartre : « Quand nous construisons sur ce monde magique des superstructures rationnelles, car ce sont elles alors qui sont éphémères et sans équilibre, elles qui laborieusement construites par la raison se défont et s’écroulent, laissant l’homme brusquement replongé dans la magie originelle.» Pour celui qui contemple le monde magique du toreo existent ces deux formes d’émotion signalées par Sartre : celle que nous construisons et celle qui nous est brusquement révélée. C’est ainsi qu’il arrive, dans le toreo comme dans la danse  – surtout la danse sacrée et cette part de sacré qu’il y a dans le flamenco –, que l’émotion magique surpasse prodigieusement ou sublime leur réalité vivante. Exemple souvent cité par moi que celui de la danse, et Sartre aussi l’évoque, je crois me souvenir, dans sa Théorie des émotions : quand le symbolisme du sexe pour la danseuse, de la mort pour le torero, transcendant son instinctive motivation, transforme ou transfigure le désir ou la peur. Dans le spectacle magique de la course, la présence de la mort est exclusivement liée au taureau tandis que les lumières de la raison irrationnelle, s’allumant et s’éteignant sur son habit, masquent d’immortalité le torero. Dès qu’un torero nous exprime volontairement ou involontairement sa vaillance ou sa peur, l’émotion magique de son art s’évanouit. Car l’émotion du toreo relève exclusivement de l’art. Le spectateur qui s’émeut d’autre chose le détruit, en lui substituant une sorte de pornographie mortelle qui le transforme lui-même en masochiste suicidaire et en assassin sadique : tendances évidemment imaginaires, ignorées de lui, qui ne sent que plaisir et douleur frustrés, comme dans un inconscient fantasme d’onanisme...

  • Les écrivains dans leur jardin, florilège

    Des Mille et une nuits à Proust, du Cantique des cantiques à Kafka et Flaubert, en passant par Yourcenar ou Ji Cheng et Claude Simon, les grands textes, et de nombreux écrivains, ont célébré le jardin. Florilège et promenade dans les allées, avec larges extraits prélevés parmi les livres de ma bibliothèque verte...

     

    Voltaire, d’abord. Avant La Genèse. Candide, chapitre XXX : « Il faut cultiver son jardin ». Dont acte. Le précepte est indestructible. Ecrit à l’anti-rides. Et l’avantage, c’est que chacun l’interprète à sa guise ou selon son humeur. Telle est la non-leçon voltairienne. Sa lumineuse liberté.

    La Genèse, donc : « Iahvé Elohim planta un jardin en Eden, à l’Orient, et il y plaça l’homme qu’il avait formé. Iahvé Elohim fit germer du sol tout arbre agréable à voir et bon à manger, ainsi que l’arbre de vie au milieu du jardin et l’arbre de la science du bien et du mal. Un fleuve sortait d’Eden pour arroser le jardin… » (C’était commode).

    Depuis, le jardin n’a cessé d’inspirer. L’existence même du jardin est source d’inspiration : avant d’être sujet d’écriture, le jardin comme espace et environnement de l’écrivain, est propice à l’écriture. Il n’est qu’ à lire ce petit bijou qu’est Ecrit dans un jardin, de Marguerite Yourcenar, pour s’en convaincre. L’art du jardin, spécialité extrême-orientale classique, est éminemment littéraire : en effet, comment ne pas oser la métaphore des plantes et des fleurs que l’on plante avec les mots et les phrases que l’on pose ?

    Yuan Ye (Le Traité du jardin, publié en 1635), du maître jardinier chinois Ji Cheng, inscrit l’action dans la durée. Comme l’écrivain l’écriture : « Au bord du ruisseau, on plantera des orchidées et des iris. Les sentiers seront bornés des Trois  Bons Amis (le prunier, le bambou et le rocher). Il s’agit d’une œuvre qui doit durer mille automnes. (…) Quoique fait par l’homme, le jardin semblera l’œuvre de la nature ». Et le livre, légende. Un « livre de sable », une notion chère à Jorge Luis Borges. Sensuelle, pensée avec méticulosité, l’art du jardin est un bouquet de vertus pour l’âme et les sens. C’est un art  qui veille au bien-être et prédispose à la création, en somme : « Dans la nuit, la pluie tombera sur les bananiers, comme les larmes de sirènes en pleurs. Quant à la brise matinale, elle soufflera à travers les saules qui se balanceront comme des selves danseuses. (…) Il faut planter les bambous devant les fenêtres et les poiriers dans les cours. Le vent, murmurant à travers les arbres, viendra effleurer doucement le luth et les livres posés sur le chevet ». Avec une poésie subtile, le maître jardinier qui conçut de nombreux jardins sous la dynastie Ming, disait encore : « Bien que tout ceci ne soit qu'une création humaine, elle peut paraître œuvre du Ciel »…

    Remonter au Poème de la Bible, Le Cantique des cantiques permet d’y cueillir d’admirables pétales sur le motif. « C’est un jardin fermé que ma sœur fiancée, une source fermée, une fontaine scellée ; un bosquet où le grenadier se mêle aux plus beaux fruits, le troène au nard, le nard, le safran, la cannelle, le cinname à toutes sortes d’arbres odorants, la myrrhe et l’aloès à toutes les plantes embaumées ; une fontaine dans un jardin, une source d’eau vive, un ruisseau qui coule du Liban. Levez-vous, aquilons ; venez, autans ; soufflez sur mon jardin pour que ses parfums se répandent. Que mon bien-aimé entre dans son jardin et qu’il mange de ses beaux fruits ! ».

    Les Mille et Une Nuits ne sont pas non plus en reste d’évocations merveilleuses. Une parmi cent : « J’ouvris la première porte, et j’entrai dans un jardin fruitier, auquel je crois que dans l’univers il n’y en a point de comparable. Je ne pense pas même que celui que notre religion nous promet après la mort puisse le surpasser. (…) J’en sortis l’esprit rempli de ces merveilles ; je fermais la porte et ouvris celle qui suivait. Au lieu d’un jardin de fruits, j’en trouvai un de fleurs, qui n’était pas moins singulier dans son genre… ».

    Verlaine, dans ses Poèmes saturniens, pousse lui aussi la porte qui ouvre sur le jardin merveilleux : « Ayant poussé la porte étroite qui chancelle,/Je me suis promené dans le petit jardin/Qu’éclairait doucement le soleil du matin,/Pailletant chaque fleur d’une humide étincelle… ».

    La beauté des jardins a toujours captivé les poètes. Les fruits, les fleurs –depuis Ronsard (« Mignonne, allons voir si la rose… »)-, produisent par ailleurs des métaphores tantôt libidineuses, tantôt amoureuses. Question de sève.

    Venant de Victor Hugo, cela peut étonner : « Nous allions au verger cueillir des bigarreaux. / Avec ses beaux bras blancs en marbre de Paros. (…)/Ses petits doigts allaient chercher le fuit vermeil,/Semblable au feu qu’on voit dans le buisson qui flambe./Je montais derrière elle ; elle montrait sa jambe/Et disait : « Taisez-vous ! » à mes regards ardents ; (…) Penchée, elle m’offrait la cerise à sa bouche ;/Et ma bouche riait, et venait s’y poser,/Et laissait la cerise et prenait le baiser ».

    Alexandre Vialatte, lui, aime les jardins municipaux : « L’homme ne vit réellement sa vie que dans la paix végétale des squares municipaux, devant le canard de Barbarie. (…) Si bien qu’on se croit au paradis et qu’il ne faut toucher à rien, ni aux fleurs, ni au séquoia, ni au canard, ni au silence, ni au jet d’eau, ni aux instruments de précision, de peur de fausser le mécanisme ; qui est certainement celui du bonheur ». Et c’est ainsi qu’Alexandre est grand !

    Dans un registre différent, l’immense Claude Simon, dans Le Jardin des Plantes (il vécut Place Monge, dans le 5ème à Paris, à deux pas du Jardin de Buffon, Lacépède, Cuvier, et Jussieu), évoque avec une minutie saisissante, et dans une prose somptueuse, l’atmosphère du Jardin : les gens qui cassent la croûte, les clochards qui roupillent sur les bancs, le jardin zoologique, le Museum, les joggeurs, sur lesquels « les pastilles de soleil criblées par les feuillages glissent… (…) De nouveau, jaillissant des épaisses et vertes frondaisons des acacias, des peupliers, des frênes, des platanes et des hêtres l’oiseau lance son ricanement strident, moqueur et catastrophique qui monte par degrés, se déploie et retombe en cascade ».

    Autre géant trop souvent réduit à certains aspects de sa vie privée, André Gide, qui vécut rue de Médicis, en face des Jardins du Luxembourg, à Paris, décrit fréquemment le « Luco », notamment dans Les Faux-Monnayeurs.

    Comme Louis Aragon le fit, dans Le Paysan de Paris, au parc des Buttes-Chaumont, en y observant sa faune nocturne en compagnie d’André Breton. Il a notamment cette remarque sibylline : « Tout le bizarre de l’homme, et ce qu’il y a en lui de vagabond, et d’égaré, sans doute pourrait-il tenir dans ces deux syllables : jardin. Jamais, qu’il se pare de diamants ou souffle dans le cuivre, une proposition plus étrange, une plus déroutante idée ne lui était venue que lorsqu’il inventa les jardins »…

    Flaubert nous montre quant à lui un Pécuchet complètement absorbé par son jardin, habité par l’obsession de la bonne conduite des tailles et autres semis, sous l’œil critique de Bouvard. Car Pécuchet n’a pas la main verte… Le passage suivant vaut par son humour  : « Les boutures ne reprirent pas, les greffes se décollèrent, la sève des marcottes s’arrêta, les arbres avaient le blanc dans leurs racines ; les semis furent une désolation. Le vent s’amusait à jeter bas les rames des haricots. L’abondance de la gadoue nuisit aux fraisiers, le défaut de pinçage aux tomates. Il manqua les brocolis, les aubergines, les navets, et du cresson de fontaine, qu’il avait voulu élever dans un baquet. Après le dégel, tous les artichauts étaient perdus. Les choux le consolèrent. Un, surtout, lui donna des espérances. Il s’épanouissait, montait, finit par être prodigieux et absolument incomestible. N’importe, Pécuchet fut content de posséder un monstre. Alors il tenta ce qui lui semblait être le summum de l’art : l’élève du melon ». Ce sera, on s’en doute, un échec cuisant.

    Nous pourrions ainsi citer, à l’envi, Les Géorgiques de Virgile, L’Odyssée d’Homère, Esope (plagié plus tard par La Fontaine), Boileau, Huysmans, Balzac, pour ne citer que quelques grands classiques. Tous ont magnifié le jardin comme  espace, tantôt foisonnant, tantôt raidi par l’ordre. Le génie du lieu, ouvert et façonné, a donné des pages éblouissantes chez Horace Walpole, auteur d’un Essai sur l’art des jardins modernes, et pour qui « créer un jardin, c’est peindre un paysage ». Le père fondateur du roman gothique louait le jardin à l’anglaise et vilipendait le jardin français façonné « à la Le Nôtre »… Vieille querelle, que les jardins japonais, subtils, font taire en étant seulement.

    Colette, avec la fluidité de sa prose enchanteresse, aimait passionnément les jardins, même si la nature sauvage mais douce de sa Puisaye natale, avait sa préférence : « Demain je surprendrai à l’aube rouge sur les tamaris mouillés de rosée saline, sur les faux bambous qui retiennent, à la pointe de chaque lance bleue, une perle… ».

    À l’opposé, Marguerite Duras décrit, superbement, et comme un pied de nez aux jardins bien ordonnés, un jardin de banlieue triste, du côté de Vitry, dans La Pluie d’été. L’auteur des Journées entières dans les arbres, adorait décrire tous les jardins, même luxuriants et indochinois (voir Le Square).

    Il y a encore le jardin intérieur, « les roses fleurissent à l’intérieur », disait Jean Jaurès. À distinguer du nénuphar qui pousse à l’intérieur du poumon de Chloé (dans L’écume des jours, de Boris Vian), et du Roman de la rose, d’un Moyen-Âge qui aimait enclore l’amour courtois : la rose symbolisait la femme et le jardin, le lieu clos où elle se cachait.

    Il y a enfin le jardin secret, là où poussent nos rêves et nos désirs. Et je laisserai, par paresse et par admiration, le mot de la fin à Antoine Blondin : « Un peu plus aventureux, je me serais fait jardinier ».

    L. M.

    Lire absolument : Le goût des jardins, et Les jardins secrets (Mercure de France), et chercher obstinément Eloge du jardin, offert il y a deux ans par Arléa pour l’achat de quelques livres. Car ce sont trois anthologies très précieuses.

     

  • Capharnaüm

    capha-1.jpgVoilà un beau cadeau de derrière les fagots, ou les tiroirs, c'est comme on voudra. Les éditions Finitude (magnifique catalogue comme on les aime, façon Le temps qu'il fait ou le dilettante des débuts, http://www.finitude.fr), ont râtissé quelques belles feuilles éparses, pas mortes non, mais veinées et vives comme la chaux de la prose de Robert-Louis Stevenson, dont la réflexion sur la description littéraire du génie d'un lieu est splendide, la poésie pavesienne, aux échos camusiens, ensoleillés, de Raymond Guérin, la mélancolie -et l'humour aussi, de Marc Bernard, le désespoir de Jean-Pierre Martinet, l'habituelle folie verbale de Michel Ohl... Sont autant de pâtisseries que l'on déguste à la fraîche. Le sommaire du numéro 1 de cette précieuse revue, Capharnaüm, me rappelle la longue série d'articles que j'ai co-écrit avec Pierre Veilletet dans les colonnes de Sud-Ouest Dimanche, de 1984 à 1987, et que nous avions intitulée Les inconnus célèbres. Nous redonnions ainsi un peu de vie à ces auteurs, ainsi qu'à une pelletée d'autres : Calet, Gadenne, Perros, Augiéras, Blanchard, de Richaud, Luccin, Delteil, Forton, Cailleux... Je me souviens de mon bonheur de replonger dans ces oeuvres subtiles, oubliées, négligées surtout, et d'en faire écho. Comme on revient de mission. Voir les éditions Finitude (*) exhumer, non pas des fonds de malles propres à faire la Une du Monde des Livres, comme le texte liminaire prévient avec humour, mais des fonds de tiroirs, est un ravissement. Simplement.

    Alors bravo !

    (*) J'avais quand même été alerté par un papier de Jérôme Garcin (L'Obs) et par un autre de l'ami Didier Pourquery (Le Monde Magazine) : deux secousses, quand même!

  • Le dernier roi d'Angkor

    images.jpgJean-Luc Coatalem apparaît comme l'un des écrivains français dont la prose chaloupée, dense, précieuse sans être emphatique, est l'une des plus somptueuses d'aujourd'hui. Son dernier roman, Le dernier roi d'Angkor (Grasset) est un bonheur d'écriture. Coatalem écrit avec tact et avec coeur. Sa phrase, racée, musclée, est féline dans sa retenue et dans sa précision. Ses images fortes comme du rhum le matin, cinglent l'idée de leur caresse. Comme certains vins, son style est droit et bouleversant à la fois. L'histoire, ample et profonde, est celle de la quête de soi à travers celle d'un presque frère, surnommé Bouk, Cambodgien énigmatique, orphelin peut-être, prince? Un être de mystères en tout cas, qui partagea la vie d'une famille française (flanquée d'un chien nommé Mozart) avant de s'évanouir dans l'espace et puis dans le temps. Le narrateur, hanté par la présence-absence de cet ami d'enfance si taiseux, partira sur ses traces, comme un Tintin reporter, de Viroflay aux ruines khmers. Afin de tenter d'en finir avec une évidente fascination mêlée de crainte. Coatalem nous conte au passage quelques aventures amoureuses avec la dextérité d'un Roger Nimier ourlé de la prose poétique d'un Paul Théroux. Il a le talent pour ça. Voir Il faut se quitter déjà (lire ici, à la date du 22 décembre 2007). La rencontre avec Bouk aura lieu, mais nous tairons bien sûr de quelle manière. Et nous voulons croire que ce fut peut-être une rencontre du narrateur avec son jumeau astral...  Coatalem n'abat-il pas une carte maîtresse en citant Victor Segalen, en exergue de ce beau roman : On fit comme toujours un voyage au loin de ce qui n'était qu'un voyage au fond de soi.

  • Pourquoi je chassais (Ethnologie française)

    Attrapée sur le Web, cette analyse de mon livre Pourquoi tu chasses? Réponses à mes enfants (Bayard, 2000) à travers une étude d'ethnologie réalisée par un chercheur de Sciences Po Aix-en-Provence. Toutes les citations sont mentionnées avec l'abréviation "Ptc". L'article est paru dans la revue Ethnologie française en janvier 2004.

    http://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2004-1-page-41.htm

  • au rayon copinage

    mansouriathenescouvwebdef.jpgSaber Mansouri : Remettre l’Athénien et l’autre – esclave, affranchi, étranger, métèque, femme – au travail et au cœur du jeu politique de la démocratie athénienne classique est sans doute une idée scandaleuse aux yeux de Platon, et des historiens modernes fascinés par la voix philosophique atemporelle du Maître, celui qui rédigea La République, Les Lois et Le Banquet. Et pourquoi ?

    Longtemps considérés comme des sujets exclusivement non politiques (histoire économique, histoire du travail, représentations figurées), les artisans et les commerçants apparaissent dans cet ouvrage comme des sujets et des acteurs politiques. Athènes n’est certes pas une république d’artisans. Elle n’est pas non plus une république de commerçants, mais cette nuance ne doit pas négliger le fait que ces catégories sont concernées, voire impliquées dans la vie politique athénienne du IVe siècle. La notion d’homo politicus, chère à Max Weber, apparaît fragile pour qualifier le citoyen athénien.

    Tel est, en substance, le propos du livre de mon ami Saber Mansouri : La démocratie athénienne, une affaire d’oisifs ? Travail et participation politique  au IV ème siècle av. J.C., (André Versaille). Disciple de Pierre Vidal-Naquet, hélléniste, arabisant, Saber enseigne à l’Ecole pratique des hautes études. Le mois prochain, Actes Sud publiera également de lui L’Islam confisqué. À suivre.

    9782758802099.pngUn autre ami, Benoît Jeantet, publie Ne donnez pas à manger aux animaux au risque de modifier leur équilibre alimentaire (Atlantica). L’écriture de Jeantet crépite comme du feu de pin mêlé à du chêne. On dirait du Nougaro en ligne. Ca swingue à chaque page, car l’auteur jongle avec les mots. Ce saltimbanque de l’alphabet est un musicien et le stylo est son instrument. Sa phrase chante, rime et fait sens, et sous couvert de calembours à pleines fourches, Benoît nous dit cependant et surtout des choses fortes, des choses essentielles, intimes et indéfectibles. Le personnage du père, par exemple, de retour de la guerre d’Algérie, est flaulknérien, si je puis me permettre. (Et nous avons envie de goûter à son gâteau, lorsqu’il le sort du four…). Les descriptions sans concession pour la terre sans ânes de son enfance sont tendres comme le blé en herbe, et celles des personnages attachants comme le bûcheron Jocondo  Cantoni, dit Fernando tréss caféss, ou Arezki, sont touchantes et sèches comme un démarrage de Motobécane dans la brume du matin paysan. En plus, Jeantet a son style propre : ses phrases sont  les plus courtes du monde. Et même privées de verbe, elles contribuent à ce feu crépitant qui fait sa signature, en nous servant un coup à boire. Tchin, té!

  • Miguel Delibes

    Son oeuvre est âpre, puissante, sans concessions, verticale*. Les personnages de ses romans sont Espagnols jusqu'à l'os. De Castille particulièrement. Miguel Delibes vient de casser sa pipe (89 ans). Chez lui tout est bon et se trouve à l'enseigne de l'épicerie fine Verdier. Si vous ne l'avez pas encore lu, vous avez la chance de vous trouver sur le seuil d'un grand bonheur, comme on dit dans ce cas. Franchissez-le, ouvrez la porte et prenez Les Rats, Le Chemin, L'Hérétique, Les Saints innocents, Dame en rouge sur fond gris, Vieilles histoires de Castille, Le linceul, Cinq heures avec Mario... (je balaye l'étagère des yeux et les souvenirs de lecture affluent. Tout à l'heure je relirai juste mes annotations en marge, comme souvent, histoire de replonger dans le bain vivifiant et fort comme l'aube givrée dans le campo qui parcourt les livres de Delibes. Ce campo où j'ai un jour chassé, en compagnie de l'un de ses fils. Celui-ci m'offrit un livre de son père, dédicacé -un livre moins connu que ses romans- , puisqu'il est consacré à la chasse en Espagne : El libro de la caza menor)...

    ¡Vaya!

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    *Je la rapproche de l'oeuvre d'un autre Grand d'Espagne, publié également à l'enseigne jaune (rouge pour les premiers livres de ces deux auteurs) des éditions Verdier : Julio Llamazares.

    MD3.jpgCette photo d'un Miguel Delibes jeune, a été retrouvée par sa famille, parmi les papiers de l'écrivain, peu après sa mort. Elle m'a été amicalement transmise par son fils Adolfo, que je remercie ici à nouveau.

     

    DÉTAILS sur certains livres de Delibes :

    L'important, c'est La Triologia del campo, composé des Rats, du Chemin et des Saints innocents. Mario Camus adapta au cinéma Los Santos inocentes, avec Francisco Rabal dans le rôle de l'Azarias, le débile d'un village de Castille encore médiévalisé, où règne un señorito. Azarias sait parler aux oiseaux et il a apprivoisé une corneille, à laquelle il murmure sans cesse milana bonita, milana bonita... Innocent touchant, il sourit au ciel, obéit au maître; jusqu'à un certain point...

    Dans Le chemin, les personnages : Daniel le Hibou, Roque le Bouseux, German le Teigneux, possèdent une force peu commune, un savoir d'hommes de Nature impressionnant. Ce sont des poètes, des sages qui tutoient les oiseaux. Extrait : Sûrement qu’on perd beaucoup de temps en ville, pensait le Hibou, et au bout du compte, il doit y en avoir qui, après quatorze ans d’études, n’arrivent pas à distinguer un geai d’un chardonneret ou une bouse de vache d’un crottin.

    Le linceul, recueil mince de nouvelles paysannes, où  l’apprentissage de la mort à travers les yeux d’un enfant qui la découvre devient inoubliable, est à rapprocher de cette trilogie de l'éternelle Castille aux champs noirs, où des êtres rustiques vivent dans des villages hors du temps et du progrès. Car c'est peut-être le livre le plus épuré, le plus dépouillé, où l'écriture est la plus essentielle du Delibes auteur d'une certaine ruralité, dont les valeurs cardinales sont placées sous le signe tutélaire d'une communion viscérale, voire instinctive, avec la nature.

    Miguel Delibes se définissait lui-même ainsi : Quand je me regarde de l’extérieur, je vois que je ne suis pas un écrivain génial. Je suis un chasseur qui écrit...

    Son goût pour le journalisme était par ailleurs démesuré. Il a dirigé le plus important quotidien de Castille et déclina l'offre de diriger la direction d'El Pais! Je crois que quand on vous a inoculé le poison du journalisme, c’est pour toujours, déclara-t-il un jour au Monde. Hemingway a dit qu’il fallait s’en retirer à temps parce que c’est une profession stérilisante pour un écrivain. Je crois que le journalisme est en quelque sorte le prologue de la littérature. En ce qui me concerne, il m’a aidé beaucoup par l’exercice de synthèse qu’il m’a imposé. (Il disait également, avec une exquise politesse, qu’il détestait parler aux journalistes... à moins que ceux-là se passionnent comme lui pour la chasse et la pêche, la truite et la perdrix).

    Et puis il y a le Delibes émouvant, moins rural, celui de Cinq heures avec Mario, et surtout de Dame en rouge sur fond gris, portrait extrêmement émouvant d'une femme presque parfaite, irréelle, qui ressemble à celle qui partaga trente ans de la vie de l'écrivain et dont la disparition, en 1974, l'empêcha d'écrire une seule ligne durant trois années.

     

    Outre les premiers romans comme Lune de loups et La pluie jaune, de Julio Llamazares, jeune écrivain visiblement habité par l'oeuvre de Miguel Delibes, je rapproche l'écriture et l'univers de Delibes de ceux du Jean Giono de Que ma joie demeure et du Grand troupeau, et du Jean Carrière, qui fut son fils spirituel, de L'épervieur de Maheux et de La caverne des pestiférés. Et, plus près de nous, c'est l'univers et l'âpreté des personnages des romans de Sylvie Germain, surtout les deux premiers : Le Livre des nuits et Nuit-d'Ambre, qui m'y font immédiatement penser. Pour aimer lire Delibes, mieux ressentir l'expression du sous-sol de son talent dans le vin de sa prose, il faut avoir aimé aussi, par exemple, Le Llano en flammes et Pedro Paramo, de Juan Rulfo... Cet ensemble forme une sorte de famille littéraire, à laquelle chacun peut ajouter une ou deux lectures, un auteur ou deux...

    A vous de jouer, ici même!..

     

     

  • Coatalem via Segalen

    Reçu ce matin le nouveau roman d'un auteur que j'aime vraiment : Jean-Luc Coatalem (Le dernier roi d'Angkor, Grasset).

    Avant d'y entrer, je trouve ceci en exergue, qui m'évoque un mot fameux de Montaigne : Je réponds ordinairement à ceux qui me demandent raison de mes voyages, que je sais bien ce que je fuis et non pas ce que je cherche.

    Tout semble concentré, et dit, ou presque, dans cette phrase de Segalen :

    On fit comme toujours un voyage au loin de ce qui n'était qu'un voyage au fond de soi. Victor Segalen

    Je reviendrai parler du Dernier roi d'Angkor.

  • Suivre le cours

    J'en ai rêvé, Bouquins/Laffont l'a fait. Les fameux cours de littérature donnés par l'auteur de Lolita dans plusieurs universités américaines, notamment celle de Cornell, entre 41 et 58, reparaissent en un seul et épais volume au papier bible délicat. Dedans? Des trésors, la caverne d'un Ali forcément baba :  lo mejor de Austen, Dickens, Flaubert, Stevenson, Proust, Kafka, Joyce, Gogol, Tourgueniev, Dostoïevski, Tolstoï, Tchekhov, Gorki, Cervantes... Du pur jus d'intelligence libre et claquante, du talent d'un écrivain dont on devine le grain de la voix, de la verve d'un qui vilipendait vertement les Philistins (la préface lumineuse de Cécile Guilbert est sur ce point salutaire, ainsi que les pages 98 à 114 du Nikolaï Gogol, essai virulent du même Nabokov, reparcouru pour l'occasion dans sa belle édition de 1953 à La Table Ronde) comme Socrate jetait avec l'eau du bain les Sophistes. Introduction de John Updike, quand même (mais bof...). Ulysse, Swann, Anna Karénine, La métamorphose, le Quichotte, La Dame au petit chien... Passés au tamis nabokovien deviennent des astres lustrés par un vieux flacon de Mirror que l'on n'espérait plus. Le BONHEUR.

  • en musardant entre les pages

    De la guerre, de Clausewitz, classique d'entre les classiques du genre, avec L'art de la guerre, de Sun Tzu et les anonymes 36 stratagèmes, nous font voir d'un oeil neuf l'offensive concertée, si techno, si starwarisée, menée actuellement en Afghanistan par l'Alliance, contre les Talibans. Certains militaires de l'état-major français sur place ont Clausewitz pour livre de chevet. La continuation de la politique par d'autres moyens n'a peut-être jamais autant porté son sens en elle.

    En remontant les ruisseaux, de l'Aubrac et de la Margeride (mais qu'importe le lieu lorsque la littérature le déracine et le rend universel?), du subtil pêcheur à la mouche, érudit et délicat prosateur Jean Rodier (L'Escampette), nous entraîne en amont. Car une rivière se remonte, tandis qu'elle va, d'ordinaire et pour le sens commun, vers la mer, l'océan, un néant où elle se dilue, se noie. Parce qu'une rivière se lit. Comme un livre dont il faut massicoter les pages avant d'y entrer. Et qu'en convoquant Bachelard, Lucrèce, Whitman ou Gracq à ces jouissances naturelles, sauvages, dans une nature âpre et généreuse à la fois, Rodier enchante. Il faut dire que sa prose somptueuse est limpide comme un torrent apprivoisé.

    Capri, de Pamela Fiori (Assouline) bel album haut en photos quadri, me convainc une fois encore que la Jet Set a bien fait d'établir ses quartiers sur cette île du Golfe de Naples, à jamais immortalisée par Malaparte et Godard, mais devenue la proie des pipeule du monde entier, comme sa voisine Ischia est devenue celle de la beaufitude du tourisme de masse vendu à l'incrédulité par des T.O. sans vergogne.
    Donc, Procida. Mon île. Préservée de tout cela. La 3ème du Golfe, la plus petite, la plus insignifiante, oui! La plus pauvre, la plus intérieure, la plus oubliée, sera toujours -et pas seulement parce que mon berceau familial s'y trouve-, la isola di Arturo (Morante), et aussi celle de mes saisons les plus fécondes.

    Ooh! : Massimiliano Tappari signe (aux éditions du Panama, en dépôt de bilan, mais bon) un livre de photos insolites et drôles : des lavabos en forme de visages (photo de couv ci-contre), des valises, des architectures, des plantes, des nuages, des fenêtres, des panneaux d'orientation, des animaux, à la lecture desquels tout fait sens. Humour. Et surtout poésie.images.jpg Comme un bol d'air pur en pleine grisaille, ses photos ont la grâce du dénuement ingénu d'un regard d'enfant surpris en train de jouer dans sa chambre.

  • Quignard, encore

    Pascal Quignard, auteur prolifique, opportun rééditeur, surgit dans la collection Poésie/Gallimard, que dirige André Velter, avec un volume bifrons : une traduction emblématique, fondatrice, d'Alexandra, de Lycophron (ultime tragédie des anciens grecs) et une somme de fragments parfois intimes, en tous cas qui en apprennent sur l'auteur discret des Petits traités, intitulée Zétès (celui qui cherche, en Grec). Car Quignard cherche constamment. Le sens purement originel -à croire que l'étymologie ne le satisfait guère, est son obsession. Ainsi ce recueil est précieux en ce sens qu'il nous renvoie à la définition, au charnel du mot, à  son essence, à la source du sens.  Au vrai sens de chaque mot prononcé, écrit, crié. A cet essentiel que nous perdons tous en chemin, pressés, téléphoneportablisés, tandis que nous nous plaignons de l'absence de vérité à nos jours; et à nos nuits.

    Il est intéressant de noter le voisinage, "les alliés substantiels" (Char) de Quignard : Celan, Des Forêts, Levinas, Du Bouchet,  Hocquard, Auster, Klossowski, Lambrichs, Veinstein, Vuarnet, Rothko, Caillois, Suied, Deguy, Queneau... Du beau monde, monacal et infiniment créatif, fondateur, même, d'une espèce de XXIème siècle, non?

    L'essentiel, dans Quignard, étant l'observation du silence, à la manière du chasseur à l'affût, nous pensons avec lui à ce silence aussi contagieux que le renouvellement de la voix violente des oiseaux peut l'être, d'espèce à espèce, dans les cris qui visiblement jouissent de la lumière qui revient, du fonds de la nuit et du temps, dans l'aube. J'aime également le Quignard exalté qui remet les choses de l'ordre urbain quotidien dans l'ordre, en rappelant que : L'humanité n'a jamais été aussi inhumaine. Son désensauvagement est plus féroce que la vie primitive. Il faut parler de surensauvagement...

    C'est ce Quignard, qui rappelle aussi que masque se dit persona en latin. Par conséquent, que penser du mot personnage, qui viendrait de  per-sonare, sonner à travers?

    Plus loin, il est souligné que le mot style renvoie directement, en latin, au stylus, à l'épieu, à la pointe, au stylet... Au stylo de la mise à mort.

    Et s'agissant encore de ce silence essentiel, il nous est rappelé que le Juif traduit la voix de Yahvé en loi (torah), que le Chrétien traduit la voix de Dieu en foi (fides), et que le Musulman traduit celle d'Allah en soumission (islam).

    Nous n'en avons jamais fini avec Pascal Quignard, cet éternel chasseur de sens mimétique. Je le soupçonne même, lorsqu'il se rend avec affection au Baratin, fameux restaurant du 20 ème arrondissement de Paris, à la carte des vins (qui comptent) exemplaire, à la cuisine de femme, homérique (de Raquel Carena), de penser à son premier livre, intitulé La catégorie du baratin, mais finalement titré La parole de la Délie par Louis-René des Forêts, car ce dernier trouvait trop lacanien le titre proposé, pour cet essai sur Maurice Scève, que signait un jeune inconnu répondant au nom de  Pascal Quignard...

  • lectures en passant

    Véronique Olmi, dans Le Premier amour (Grasset) prend frontalement un sujet rebattu et nous sert une pochette-surprise pour filles et garçons assez judicieuse : au lieu de retrouver le beau rital qu'elle a perdu de vue depuis un quart de siècle et qui fut sa première love affair, en fondant dans ses bras comme un marshmallow passé au gril, parce que ce fou la rappelle après tout ce temps et qu'elle, folle, part à sa rencontre séance tenante, elle trouve -au lieu des bras du souvenir, fantasmé en route-, la femme d'un bel ado devenu vieil amnésique muet, cloîtré dans un brûlant secret. Bien mené, même si 150 pages, au lieu du double, auraient suffi (en élaguant la vie de la narratrice qui défile en même temps que les kilomètres, dans un road-book ennuyeux), il manque cependant à ce roman l'émotion. On n'y sent jamais un gramme de sincérité.


    Ce qui n'est pas le cas avec La route, de Cormac McCarthy (L'Olivier, et Points/roman), relu attentivement après avoir vu le film, dont l'écriture est sèche, voire coupante (cependant, l'abondance de phrases très courtes mais sans verbe -astuce de traducteur?-, de troublante, devient vite lassante). La force de ce roman est tellurique. Son âpreté vous enveloppe, vous colle, vous poursuit. C'est tout simplement un grand livre de vraie littérature, sur un sujet périlleux. Et pour une fois que McCarthy est tendre! Car ce caddie-movie, dans lequel un père protège obsessionnellement son jeune fils des dangers qui surgissent fréquemment, dans un paysage post apocalyptique où les derniers humains sont devenus de dangereux anthropophages, est à la fois glaçant et chaleureux.

    On parle beaucoup de ru, de Kim Thuy (Liana Levi). J'ai été sensible à la leçon de courage de cette vietnamienne ayant vécu la fuite de Saïgon dans un boat-people, les camps de réfugiés malais, puis la neige québecoise, mille boulots après mille misères, pour atteindre une sérénité de haute lutte, et ce malgré la mise au monde d'un enfant autiste. Premier livre, court, extrêmement sensible car emplumé d'une écriture dépouillée, essentielle, mais jamais froide, ru frappe par sa grande lucidité. Et son éclair dure. Extraits : Elle était très vieille, tellement vieille que la sueur coulait dans ses rides comme un ru qui trace un sillon dans la terre. (...) Les esclaves des Amériques savaient chanter leur peine dans les champs de coton. Ces femmes, elles, (à trimer dans les rizières) laissaient leur tristesse grandir dans les chambres de leur coeur.

    La Correspondance d'Albert Camus et René Char (Gallimard) est un recueil de pépites. Mieux : un mouchoir dont on dénoue les quatre oreilles avant de plonger une main avide et gourmande dans un grouillement de binagates : billes d'agathe, en pataouète piednoir... Où l'on découvre que Char ne cessa jamais d'être poète, où l'amitié, leur rivière souterraine, se construit lettre après lettre et mûrit comme le miel durcit, où Camus s'expose comme il fut : d'une désarmante sincérité et d'une émouvante générosité d'âme. Un livre essentiel, en marge de nos relectures de ces deux grands bonshommes qui vécurent aussi en voisins dans le Lubéron.

    Découvrir tardivement une pièce célèbre de Bernard-Marie Koltès, Le retour au désert (Minuit), et prendre en pleine face une écriture violente qui crépite comme une mitraillette, et où les répliques sont des grenades (à propos de l'impossibilité d'un bonheur calme au sein de la fratrie, sur fond de guerre d'Algérie et de racisme ordinaire -le pire), cloue.

    Relire John Keats et apprendre qu'à la faveur du film de Jane Campion (Bright star, pas encore vu), les ventes du poète enfiévré, mort en 1821, décollent, procure un de ces petits plaisirs d'amateur, qui réchauffent autant qu'une flambée de cheminée. Et cela même si nous n'aimons guère le style ampoulé de l'époque romantique. Extrait du poème Astre brillant :

    ...-mais, puissé-je, toujours immobile, toujours immuable,

    Posséder comme oreiller le sein mûrissant de ma bien-aimée,

    Pour le sentir à jamais doucement se soulever puis s'abaisser,

    Eveillé à jamais en une délicieuse insomnie,

    Pour entendre encore, et encore, sa tendre respiration,

    Et vivre ainsi toujours - ou sinon m'évanouir dans la mort!

    Enfin, petite pensée en apprenant par Ouest-France, la disparition d'un écrivain que j'ai eu le bonheur de connaître. Robert de Goulaine fut un amateur au sens fort. Connaisseur des vins rares et disparus, vigneron lui-même, collectionneur original, chasseur subtil et romancier délicat (je n'eus pas de mal à convaincre tous les membres du jury du Prix François-Sommer, dont je faisais partie, de la nécessité de couronner ses Angles de chasse, en 1998 je crois), Robert de Goulaine était tout cela à la fois. Il vivait au château de Goulaine, à Haute-Goulaine, parmi les papillons,  les livres, les vins et les souvenirs.

  • Ellroy, James Ellroy

    XtMrF7ZxRqgjzth5IUHSKiqxo1_500e.jpgJ'ai toujours eu un peu -non : j'ai toujours autant de mal avec le roman noir, la littérature policière, le polar, tout ça (idem pour la SF, voire le théâtre).

    Je n'en lis jamais -enfin si : un, m'a fait lire Fred Vargas un jour : Dans les bois éternels, qui venait de paraître, et j'ai adoré, j'en ai avalé plusieurs. Pareil pour les premiers Arturo Perez-Reverte qui sont à la frontière de l'enquête policière et du roman de facture classique :  je tiens Le maître d'escrime pour un chef d'oeuvre de ce genre hybride.

    Mais depuis que je sais tenir un bouquin en mains, je dois avoir au compteur un demi San-Antonio (Sucette boulevard -oui bon : je sais, mais c'était un cadeau d'ex), le tiers d'un Dashiell Hammett (Le Faucon maltais, à cause du film), un chapitre de Chester Himes (La Reine des pommes), un ou deux Agatha Christie presque entiers mais pas finis (Dix Petits nègres et Le Meurtre de Roger Ackroyd), et basta. Aucun Chandler, aucun Mankell, aucun rien. Je n'y arrive pas. Sans doute à cause de l'environnement urbain (j'aime Vargas parce qu'elle nous fout des Pyrénées et même des animaux sauvages : bouquetins, loups, plein la tronche, ainsi que des personnages très nature, et son Adamsberg marche souvent dans l'herbe, la boue... Bon, c'est pas Giono ni Genevoix, mais ça aide, en tout cas ça m'aide). Et puis le glauque, le crime, l'hémoglobine me révulsent (je manque m'évanouir lorsqu'il s'agit de tendre un bras pour une prise de sang). Alors bon, j'ai conscience de passer à côté d'un genre littéraire capital -mais pour l'instant : rien à faire. Je vis sans ça, et avec déjà beaucoup trop de livres à lire, que j'ai envie de lire donc. Banal. Mais j'envie ceux qui lisent aussi du roman noir.
    Cependant je sens que je vais lire Ellroy. L'enthousiasme, autour de moi, étant unanime -oui je sais : Ellroy, c'est beaucoup plus que du roman noir, c'est de la vraie littérature un poil noire... Je commencerai par le livre sur sa mère, Ma part d'ombre, non? Bon choix?..

  • Vu par...

    Revue de presse sélective :

    Un papier chaleureux de Joël Aubert, Aqui! :

    http://www.aqui.fr/tempsforts/voyage-en-sud-ouest-entre-adour-et-vautour-bassin-d-arcachon-et-zugarramurdi-l-alphabet-illustre-de-leon-mazella,2688.html

    Cliquez !

    Rappel :

    voir sur ce blog, à la date du 27 novembre, la note intitulée : Une certaine idée du Sud-Ouest, copieuse interview donnée à Christian Authier, L'Opinion indépendante.

    Et la note publiée le 14 décembre : Sud-Ouest de vendredi, un article amical de Benoît Lasserre, Sud-Ouest.



  • Spinoza... -"Encore!" (oui)

    Ce qui est revigorant avec Spinoza, c'est qu'il ne badine pas, mais préfère se servir de sa badine pour (r)éveiller son lecteur, notamment avec sa conception de l'utile et du nuisible. Tout ce qui est mauvais, souligne Deleuze (pour le génial philosophe du désir et du bonheur comme vertus cardinales, qui doivent gouverner inexorablement le monde et chacun de nos actes), se mesure à la diminution de la puissance d'agir (tristesse-haine), tout ce qui est bon, à l'augmentation de cette même puissance (joie-amour). D'où la lutte totale de Spinoza, poursuit l'exégète parfois totalement abscons (et chiant car incompréhensible, verbeux, jargonaute, branlatoire -un défaut de son époque : 1970 : Vincennes, post-68, Foucault, Reich, baba-cools, Lyotard, Libé1, Sartre icônisé, etc), la dénonciation radicale de toutes les passions à base de tristesse, qui inscrit Spinoza dans une grande lignée qui va d'Epicure à Nietzsche (il ajoute, plus loin dans son livre Spinoza Philosophie pratique, déjà évoqué plus bas ici même, et curieusement à mon sens : Hölderlin et Kleist. Mais bon... Pourquoi pas des poètes en un temps de manque? : Hölderlin : Wozu dichter in dürftiger zeit? -Et de scission, par conséquent. La poésie schismatique, ça change un peu!). Tout ce qui enveloppe la tristesse doit être dénoncé comme mauvais, et nous séparant de notre puissance d'agir : non seulement le remords et la culpabilité, non seulement la pensée de la mort, mais même l'espoir, même la sécurité, qui signifient l'impuissance (Éthique, IV, 47).

    Je trouve cela lu-mi-neux. Spinoza est un anarchiste autogéré qui ne compte que sur ses propres forces et marche sur ses deux jambes (autonome comme dans l'esprit du maoïsme originel, pur).

    ET VOUS?

  • Je ne pourrai pas passer te voir, Léon

    marilyn_monroe_7.jpgUn message de Marilyn, ce matin, au dos de cette photo, m'annonce qu'elle ne pourra pas passer me voir à la librairie bordelaise Mollat, cet après-midi, afin que je lui dédicace mon dernier bouquin.images.jpg

    Megan Fox, tombée en panne sur l'A10 (photo prise avec son téléphone, car je ne voulais pas la croire), sera absente elle aussi  -je le regrette sincèrement, a-t-elle ajouté sur son message...

    Comme il s'agit des deux seuls mots d'excuse qui me soient parvenus, je m'attends à une affluence record...


  • La postérité du soleil

    01067531011.GIFUn quasi inédit de Camus, ça ne court plus les rues. La plaquette, un grand et beau format paru confidentiellement à 120 exemplaires, en 1965, reparaît ces jours-ci chez Gallimard. Il s'agit de splendides photos en noir & blanc de Henriette Grindat, d'aphorismes cinglants comme des haïkus, d'Albert Camus, et d'une postface ainsi que d'un poème, De moment en moment, de René Char, son ami. L'ensemble est magnifique et s'intitule La postérité du soleil. Je me le suis offert ce matin, et l'ai aussitôt dégusté, avec un armagnac de Laubade 1966 et un cigare Navarre. L'équation du bonheur, un dimanche après-midi maussade de fin novembre. Les photos montrent la région natale de Char et choisie de Camus : l'Isle-sur-Sorgue, la Sorgue, les Névons, le Thor, Lagnes, Calavon, Fontaine-de-Vaucluse... Des paysages si souvent présents dans l'oeuvre de René Char, ainsi que dans les Carnets d'Albert Camus. Il y a aussi trois portraits, dont celui d'Henri Curel. La vérité a un visage d'homme... C'est avant tout un livre qui respire l'amitié des deux écrivains. Le paysage comme l'amitié, est notre rivière souterraine. Paysage sans pays, écrivit Char à Camus.

    Voici deux extraits, où apparait une poésie forte. Je garderai longtemps en mémoire la métaphore du platane :

    Face à la photographie intitulée Saule mort et remparts, le Thor :

    Un dieu sourcilleux veille sur les jeunes eaux. Il vient du fond des âges, porte une robe de limon. Mais sous la lave de l'écorce, un doux aubier... Rien ne dure et rien ne meurt! Nous, qui croyons cela, bâtirons désormais nos temples sur de l'eau.

    Face à la photographie intitulée sobrement Platane en hiver :

    De tous ses muscles lisses le platane s'efforce vers le soleil lointain. Panthère de l'hiver, une sueur de givre sèche aux plis de sa toison.

     

  • Signatures

    Couv barrage.jpgCOVER_SUDOUEST02.jpgJe signais hier matin Lacs et barrages des Pyrénées à Bagnères-de-Bigorre, en compagnie de mon co-auteur, Philippe Lhez, aquarelliste de grand talent. Nous étions à la librairie Au pied de Pyrène, chez Marc Besson. Un grand bonheur, simple et amical.

    Jeudi prochain, c'est chez Mollat à Bordeaux que ça se passe, pour Le Sud-Ouest vu par Léon Mazzella (et les Lacs... aussi). Voici le lien : http://www.mollat.com/rendez-vous/leon_mazzella-25811.html

    Le 11, ce sera comme à la maison : à Bayonne, à la librairie La rue en pente. Pour Le Sud-Ouest vu par...

     

    FAITES PASSER!..

  • Tout faux!

    Bon, j'ai eu tout faux (lire note précédente : A quel Prix?), sur les derniers Prix littéraires d'Etonne (pardon : d'Automne) : Gwen. Aubry prend le Fémina (le Mercure, c'est Gallimard, juste pour info). Guenassia (Albin Michel, qui attendait aussi Besson ailleurs), le Goncourt des Lycéens. Et Liberati le Flore. Reste l'Intergrasset...

    Sinon, j'ai lu le Nobel (Herta Müller) L'homme est un grand faisan sur terre (folio) : de la daube avec paleron seulement et donc sans joue ni queue. Aucune onctuosité. Du sec pour le sec, de l'émotion sèche elle aussi, donc frigide. Un titre finalement explicite, si l'homme lit. Brrrr... Un froid norvégien parcourût ma lecture. Comme quoi, des fois, les Nobel nous sortent de derrière aucun fagot un truc comme çà, attrapé par les oreilles, façon Majax. Et poufpouf! la Planète devrait se le gaver. Moi, je dis non. Ce coup-ci.

  • Perplexe 2

    Suite de la note précédente : Sur le site de l’éditeur, se trouvent 56 pages de larges extraits du livre, de l’intéressante  préface d’Arnaud Blin, aux différentes « leçons », allant de l’attitude à avoir au moment de l’achat d’une arme, aux secrets de l’utilisation de l’encre sympathique (la seule chose qui semble l’être dans ce livre, d’ailleurs), en passant par le self-control nécessaire de l’assassin au moment de son exaction, ou bien s’il est lui-même capturé et qu’il subit un interrogatoire « musclé »…

    Extraits de l’avant-propos et de la préface : « Il ne s’agit pas d’un texte philosophique qui poserait les fondements idéologiques du combat mené par les dirigeants d’Al-Qaida. De tels textes existent et ils sont bien connus. Il s’agit au contraire d’un manuel pratique écrit par les dirigeants et les cadres d’Al-Qaida et destiné aux hommes chargés de la mise en œuvre des exactions. »

    « Il s’agit d’un manuel de tactique plutôt que d’un traité de stratégie ou un texte de propagande. »

    « Le Manuel pratique du terroriste est un texte redoutable dont le but n’est ni plus ni moins que d’inciter et de pousser des jeunes hommes –même de très jeunes hommes- à aller perpétrer des attentats et commettre des assassinats contre des innocents un peu partout dans le monde. Ceci avec la caution morale d’une organisation se réclamant d’Allah… »

    « Nous avons pris le soin de supprimer les passages qui expliquent dans le détail comment frapper mortellement un individu, produire des poisons ou fabriquer des explosifs. »

    Je demeure perplexe...

  • Perplexe


    alqaidamanuelweb.jpgJe ne sais que penser de ce livre (je ne l'ai pas encore eu en mains) qui paraît chez André Versaille

    Al-Qaida : Manuel pratique du terroriste

    Présentation de l'éditeur :

    Voici Al-Qaida elle-même, dans sa parole la plus secrète : voilà comment les jihadistes de la Base parlent et se parlent. Dans leur violence la plus crue. Ce manuel rédigé par Al-Qaida explique comment doit se comporter le parfait terroriste. Il détaille, en 18 leçons, comment échapper aux poursuites, recruter, recueillir de l’information, fabriquer de faux papiers, détruire, commettre des attentats, fabriquer des poisons, assassiner, résister aux interrogatoires, s’évader, le tout au nom du Jihad “contre les régimes athées et apostats” peuplés “d’infidèles”…

    Nous avons décidé de le mettre à la disposition du public au nom du principe qui veut qu’on ne se défende efficacement contre un péril que si l’on en comprend la nature.

    Votre avis sur l'idée de publier un tel manuel m'intéresse (hors considérations économiques sur un possible coup éditorial).

    Car cela me rappelle les dégâts réels que fit la publication, au début des années 80, d'un livre intitulé Suicide mode d'emploi, et à côté desquels la vague de suicides romantiques qui suivit la publication, en Allemagne, des Souffrances du jeune Werther, de Goethe, relève de la dérive poétique...

    Car enfin, comment croire au principe douteux (souligné par moi ci-dessus) de l'éditeur, lequel semble vouloir se dédouaner par avance?

    Que m'apporte de connaître, de manière technique, la façon d'agir aveuglément (comme aucun animal n'agit jamais car l'instinct est davantage "guidé" que dans ce cas humain) d'un terroriste animé par l'acte de tuer aveuglément un maxium d'innocents (André Breton et son acte surréaliste pur : descendre dans la rue et tirer dans la foule au hasard, sont -heureusement- restés au stade du fantasme, de la geste esthétique douteuse, bref, de la provocation. Les terroristes, eux, passent à l'acte), pour mieux comprendre les ressorts de sa démarche? Rien, a priori. Tout au plus une satisfaction voyeuriste désintéressée et acquise par effraction. Mais c'est trop mortifère pour me procurer du plaisir comme je l'entends et l'apprécie depuis toujours. Et pour vous?..

    Je pense tout à trac à ces ados de Columbine, et de tant d'autres collèges américains où pénétrer armé n'est même pas une formalité, je pense aux effets d'identification funestes du film Scream, je pense à la dérive profondément abyssale des milliers d'ados qui s'emmerdent à longueur de journée en France. Je frissonne de me voir si frileux, si réac. Mais il m'apparaît que l'idée (éditoriale) n'est pas bonne, parce que je fais de moins en moins confiance en la nature humaine, surtout par temps de crise, favorable, nous le savons, à l'émergence, à l'éclosion, à la renaissance instantanée de la Barbarie la plus horrible. Mais bon...

    A une époque, il y eut le manuel du savoir-vivre. Voici celui du savoir mourir. En tuant. Signe des temps.

  • Si peu de bruit

    Tandis que les jurys livrent leur listes ressérées de candidats aux grands prix littéraires d'automne, et bien que je ne puisse m'empêcher de faire mes propres pronos, comme chacun, j'ai plaisir à lire des livres dont on parle peu, qui ne font de bruit que celui des pages que l'on tourne et qui possèdent pourtant des qualités immenses et insoupçonnées du grand public; ce que je regrette. Et la fureur ne s'est pas encore tue, d'Aharon Appelfeld, par exemple (à l'Olivier), nouveau livre du grand humaniste hanté par les camps, n'est pas un larmoiement à la Elie Wiesel, mais plutôt un hymne à la fraternité, un éloge de la dignité humaine, qui rapproche Appelfeld de Primo Lévi. L'horreur innommable nous est ici décrite calmement, sans haine, car toujours percent le courage et l'espoir à la surface de l'Enfer. C'est d'un grand message d'humanité et d'humilité qu'il s'agit, avec, au bout d'une interminable errance dans la neige et la forêt -avec la peur du nazi, la faim, le froid, les loups, après une évasion d'un camp, le cadre d'un chateau dans la ville de Naples pour havre, ouvert aux survivants, avant le chemin du Retour, si existent encore pour chacun, et ce chemin et des Lieux. Le bonheur de lecture ne vient pas à l'improviste, avec les livres d'Appelfeld, mais il surgit doucement à la faveur d'une sorte de petit miracle : je pense à l'allégorie de la musique de Bach ou Brahms jouée par un trio, et à la lecture du Livre, qui parviennent à transfigurer les visages des réfugiés. Ainsi reviennent-ils à la vie, s'échappent-ils un instant de l'horreur qui les hante et les hantera tout leur vie... Le narrateur au moignon ajoute alors : Tout ce qui n'est pas compréhensible n'est pas forcément étrange.

  • Rempart

    Cette France moisie (l'expression est de Sollers) me dégoûte d'un cran chaque jour. Au lieu de m'affliger seulement, ou me mettre en colère, ou encore me faire rire nerveusement, le népotisme de la famille Sarkozy m'éloigne davantage du passage des oiseaux migrateurs et des principes de Jules Ferry. C'est pire. L'arrogance brutale pour carburant d'un cynisme de bulldozer ayant désormais force de loi, j'envie Marie Ndiaye et Jean-Yves Cendrey, son homme, d'avoir eu la force de quitter ce pays vérolé lorsqu'il bascula dans ce que l'on voit, avec le dernier  scrutin présidentiel. Comme paravent, cet après-midi, j'ai trouvé le court et dense roman de Jean-Marc Parisis, Les aimants (Stock). Je le brandis, à présent. La sincérité y sautant à chaque page, je me crus un instant projeté dans un autre monde que celui-ci, vu de ma fenêtre, avec ses sirènes de flics tout-puissants, poussées à leur guise. Là, chez Jean-Marc, et pour écrire -dire à peine, si cela est possible, un tel amour-, tout n'est que regard franc, sentiment cru, pudeur naturelle et rectitude élégante. Le livre refermé, des nouvelles du monde m'ont resauté à la gorge. J'ai alors envié les gnous en migration : la prédation des lions et des hyènes en embuscade ne ralentit pas leur trot.

  • Méfiez-vous de votre Ponto

    images.jpgPonto est un chien tyrannique, despotique, qui absorbe John Limpley, son maître, lequel est monomaniaque : il ne peut aimer qu’un être à la fois. Il voue un amour immodéré, presque indécent, au chien. Puis Betsy, sa jeune femme, attend un enfant. Limpley délaisse donc brutalement Ponto, lequel déprime, puis couve une vengeance terrible. L’enfant naît, c’est une fille, aussitôt adulée, idolâtrée. Ponto cherche la faille : une porte entr’ouverte, un jour, et il bondit sur l’enfant, qui lui échappe de justesse, au prix d’une lutte âpre avec le maître. Sa rage une fois contenue, Limpley se sépare du chien, le confie au boucher voisin. Ponto rôde, mais nul n’y prête vraiment attention. Puis, un jour, plus tard, à la faveur d’un moment d’inattention, le temps d’un thé pris à l’étage, le landau de la petite est laissé un instant. Il dévale inexplicablement le jardin, s’abîme dans le canal proche, l’enfant se noie. Le malheur majuscule s’abat comme une chape de plomb irrémédiable. L’enquête policière ne donne rien. Le mystère a force de loi, et c’est le plus terrible. « Un soupçon légitime », titre de la nouvelle (Grasset), restera à l'état d'énigme, laissera chacun sans voix. Terrible texte très court, où le talent narratif de Stefan Zweig (photo) s’exprime une fois de plus. L’on pensait l’œuvre de l’auteur de tant de petits chefs d’œuvre, pressée comme un citron. Je confesse avoir subodoré -à tort-, le mauvais fond de tiroir en ouvrant ce tout petit livre qui, s’il n’était pas donné -inutilement- en version bilingue, comme le précédent, aurait l’épaisseur d’un chocolat After Eight. Et non. La surprise revient, cette année encore, après le si émouvant « Voyage dans le passé » (lire ici à la date du 3 novembre 2008, « Un inédit de Zweig »). Incroyable Stefan…

    En librairie le 15 octobre.

  • Lacs et barrages

    COUVbarrage.jpgRéservez-le chez votre libraire. Lacs et barrages des Pyrénées paraît dans moins d'un mois chez Privat. Aquarelles splendides de Philippe Lhez (et mes textes). 144 pages.

    Première page :

    "Le courant passe. Au bout de trois heures de marche, au-delà du dernier « ressaut herbeux » indiqué par le topoguide, tandis qu’un couple de milans royaux plane au-dessus d’une clairière plate comme la main ouverte de Gulliver, nous ne nous sentons plus empêtrés par la sinuosité du sentier, les hésitations de la météo et cette semelle Vibram qui menace de se décoller à gauche en nous obligeant à traîner le pied depuis deux mauvais kilomètres de sentier de chèvre. Surgit le barrage. Gigantesque carlingue, longue coque, armure cuirassée de béton, il figure une muraille ne pouvant s’accoupler qu’avec le silence, dans une solitude heureuse, contemplative. Celle qui aide à poétiser la vie en ne faisant rien. Rien d’autre que s’asseoir, le cul sur une pierre à peu près plate. Oublier tout. Sauf ça. Admirer, débarrassé de toute culture, en immersion dans une nature qui tolère ce qui l’épouse avec  beauté. Car un barrage, c’est beau, en altitude. Les pieds cimentés dans l’eau, gagné à ses bordures par une végétation sauvage qui est parvenue à apprivoiser ce monstre dressé au ventre plat, ce chevalier sans tête brise l’horizon pour mieux le faire rebondir dans le regard du randonneur, au-delà du lac et sous les pins à crochets."

  • Le Sud-Ouest vu par

    COVER_SUDOUEST02.jpgRéservez-le chez votre libraire. Il paraît dans moins d'un mois chez Hugo & Cie.

    320 pages pleines de photos et de textes classés en abécédaire.

    4è de couverture :

    "De la Charente à l’Espagne, de l’Atlantique aux pics les plus hauts des Pyrénées, le Sud-Ouest est une planète aux contours souples, une carte du Tendre que chacun dessine à sa guise. Pays de cocagne –c’est entendu, espace où il fait si bon vivre que l’évoquer seulement exprime le bonheur insolent, le Sud-Ouest nous est ici raconté par un amoureux fou de son pays, n’aimant rien comme le décrire pour le faire goûter. Léon Mazzella, viscéralement ancré en Gascogne, est le chantre d’une région dont il connaît chaque couleur, parfum, musique, regard, sourire, pavé, brin d’herbe, vague, rayon de soleil, oiseau, mets. De A comme Adour, fleuve d’amour, à Z comme Zugarramurdi, village de sorcières, en passant par Armagnac, Bordeaux, Chocolatine, Jambon, Palombe, Rugby, Saint-Jean-de-Luz et Surf, voici le dictionnaire secret d’un guide-écrivain qui ouvre grand les portes de la maison Générosité. Le Sud-Ouest vu par Léon Mazzella est le bréviaire du quart le plus épicurien de l’hexagone. C’est un lexique de charme qui nous apprend, dans la joie, à parler le Sud-Ouest comme on tutoie l’art de vivre. Avec chaleur et en partage. Faites passer !"

    www.fnac.com

  • Avis de recherche

    Les Procidiens d'Oran

     

    par Jean-Pierre Badia. L'histoire de l'immigration des habitants de Procida vers Oran et Mers-el-Kébir, au travers d'anecdotes et de faits historiques (ouvrage paru en 1956).

    Si vous l'avez, je vous l'achète volontiers.

     

  • À bord du père fantôme

    wp31352a47_02.jpgLe second roman de Sophie Poirier règle les comptes avec ces pères, jeunes "adultes en chantier" en 68, devenus matznéviens, comme on a pu être hussard ou mao. De ces pères libertins et désinvoltes, amateurs de chair fraîche, cyniques et finalement pathétiques, que le destin –appelé justice par les médisants au regard torve-, rattrape un jour ou l’autre. Ils ont négligé les enfants qu’ils ont faits avant de mûrir, et à côté desquels ils sont passés, préférant courir, égoïstes au cœur d’artichaut sec, après des chimères pour pub Lolita de Lempicka. C’est la fille de l’un d’eux qui parle. Sans concessions. Avec la douleur en elle et au bout du stylo, comme des hameçons plantés au cœur et à la lèvre. Sophie Poirier nous avait déjà donné La libraire a aimé (lire ici à la date du 30 novembre 2008 : En lisant, en bloguant). Là, elle se lâche avec un bref roman admirablement construit, aux accents que je persiste à trouver durassiens, enrichi d’une écriture plus serrée encore, plus sûre, plus dense et sachant rebondir d’une idée l’autre ; à la manière d’un chat. Sujet : le père, encore jeune, n’en finit pas de mourir, sur sa chaise roulante. Sa fille Marianne va avoir quarante ans. En visite chez lui, elle « tombe » sur un carnet contenant une liasse de coupures de presse faisant état d’étranges disparitions de jeunes femmes. Le doute l’étreint. Elle engage un détective pour savoir, davantage que pour faire la lumière, sur une possible et innommable horreur. Stop…

    Comment se construire à l’ombre d’une telle image du père, de l’homme, lorsqu’on est une fille qui porte le prénom du premier amour de papa, et que l’on est devenue femme, puis mère? Sophie Poirier a le tact de ne pas tirer sur l’ambulance. C’est un cri d’amour qu’elle pousse, mais avec une infinie pudeur, le cri d’une qui veut comprendre. C’est un long cri poignant. Car elle en est là : « Avec la peur des hommes. Un manque de confiance impossible à combattre. » Alors Marianne fout le camp à Venise. Pas pour provoquer en duel, et Byron et Casanova. Pour ne plus voir dans la glace, au creux de son visage, « ces minuscules stries, la vie d’avant (...) les rêves, les promesses, les illusions. » Elle y fera le point. Sur elle –pour s’en sortir. Et sur ces pères inachevés. Au lieu d’attendre fébrilement un seul mot d’amour, le mot gentil, la fierté qui viendra, ou pas, de la part du père, ce modèle, elle accuse une génération perdue, victime d’une certaine insouciance de vivre. « Autrefois les hommes, et la solidité des métiers, organisaient la vie de tous. Puis ils sont devenus les premiers chômeurs, les premiers divorcés, et maintenant les premiers à mourir, nos pères se désagrégeaient, incapables de montrer la route. » Il est terrible, ce roman. Et Sophie Poirier, terriblement juste.

    Mon père n’est pas mort à Venise, éditions Ana, 12€

    www.anaeditions.fr  Blog de l'auteur : http://lexperiencedudesordre.hautetfort.com/

  • Y rentrer, dedans

    Vous-je-sais-pas-mais-moi, le dernier roman de Laurent Mauvignier, dont j'attendais beaucoup (Des hommes, Minuit), me désole. Je n'arrive pas à y entrer-dedans, comme on entend dire souvent, à propos des romans. De rentrée ou non, d'ailleurs. Je préfère me jeter dans la bio de Flaubert que Pierre-Marc de Biasi (qui doit en être à son septième ou huitième livre sur l'auteur) publie chez Grasset (Une manière spéciale de vivre). Ca foisonne dès les premières pages, ça trucule, ça (se) bouscule, ça me parle. Davantage que le Duras, toujours, compil. d'articles de Dominique Noguez mini-15-11.jpgconcoctée par Laure Adler pour Actes Sud, qui me coud les lèvres. Me cause bien plus Etre heureux avec Spinoza, de Balthasar Thomass (Eyrolles), car c'est un paquet d'érudition jouissive qui ne se la joue jamais : j'adore! Il y a un côté vin naturel, façon Anticonstitutionnellement, cuvée de grenache blanc des Sabots d'Hélène, un vin de pays signé Alban Michel (ça ne s'invente pas), avec du gras, du trouble, voire de l'opaque à l'oeil (il ne manque que les poissons rouges, dirait l'ami Christian Authier) et une belle longueur fruitée en bouche (le nez est pauvre, nothombien : un parfum de fruit surmûri)... Cette manière humble et sûre, de décortiquer L'Ethique, de Spinoza, est infiniment séduisante. Je souligne presque à chaque paragraphe! Comme je me régale du grenache blanc précité à chaque gorgée. CQFB (ce qu'il faut boire) -Et Lire (des fois)...

  • moutons

    pascal-quignard.jpgC'est incroyable le nombre de personnes qui n'ont acheté que deux livres, cette rentrée : le Ndiaye et le Mauvignier, plus, éventuellement, un ou deux autres, comme le Quignard  (photo) ou le Zafon (d'ailleurs j'en fais partie). Plus fou est le nombre de ceux qui lisent le Beigbeder : j'en vois partout dans les transports en commun, et ça me rend jaloux !

  • Un roman français

    Dans la dernière livraison du magazine Maisons Sud-Ouest, ce portrait que j'ai réalisé de Frédéric Beigbeder. J'ai lu son nouveau livre hier (Un roman français, qui paraîtra fin août chez Grasset) et j'avoue avoir été touché par l'humilité, qui semble à peine feinte*, d'un personnage sensible, a priori à l'opposé de l'image qu'il donne, en tout cas qu'il véhicule ou qui est colportée de lui (l'oiseau de nuit, le pipeule, le publicitaire qui écrit des romans à succès...). Il y est surtout question de son enfance, de sa famille, sur fond (c'est le fil conducteur du livre) de garde à vue dans une "geôle" parisienne. J'ai personnellement vécu la même expérience, deux semaines à peine avant lui, dans une cellule parisienne aussi; je connais ce traumatisme-là. Revivre enfin, à travers le livre de Beigbeder, ma propre enfance à la plage de Cénitz, à Guethary, m'a copieusement ému, hier...  Voici, par ricochet, un extrait du portrait qui paraît en kiosque :


    " Dans le capharnaüm très rangé de son appartement germanopratin, il plonge ses deux bras dans les livres empilés, trouve immédiatement « Lettres à moi-même » de Paul-Jean Toulet, les ouvre sans hésitation à la page datée du 27 octobre 1901, et nous lit les lignes qui évoquent la Villa Navarre, avenue de Trespoey à Pau. La demeure familiale des Beigbeder est aujourd’hui un hôtel Mercure… Frédéric a beau être né à Neuilly et être devenu une proie pour les magazines people, il pense souvent à Pau et au Guéthary de son enfance, à la route de Cénitz, « le sentier Damour », qui conduit à la plage où il pêchait la crevette, avant de découvrir l’ivresse douce des nuits biarrotes : « Ado, j’ai passé mon temps dans les boîtes de l’époque, comme l’Exocet, très hard-rock, très heavy metal. Oh ! Je ne suis pas du tout surfeur, mais plutôt night-clubber, là-bas ». Les origines du romancier sont Limousines et Pérgourdines, côté mère. Et Béarnaises côté père. Chaque été, il prend ses quartiers à Bidart, car sa fille Chloé, neuf ans, adore la Côte basque de son papa.
    Contrairement aux idées reçues sur le personnage, volontiers déjanté, « Beig » est un homme calme qui affiche sa triple fierté d’être citoyen d’honneur de la ville d’Oloron-Sainte-Marie, parrain de la FNAC de Pau et membre de l’Académie des Lettres Pyrénéennes (*). « J’y suis en bonne compagnie, avec Roger Grenier, Jean-Marie Rouart, Paule Constant… Edmond Rostand la fonda en 1917. Cela vaut bien l’Académie française ! ». L’écrivain souhaite désormais mentionner son appartenance à « l’autre » Académie, sur la couverture de ses prochains ouvrages. Il est souvent « descendu » sur la Côte, ces derniers mois, pour retrouver son enfance basco-béarnaise –sujet de son prochain roman, à paraître en septembre chez Grasset. « Un livre pour connaître mes origines. Car jusqu’à quarante ans, un homme veut se couper de ses racines. Après, il veut savoir qui il est et donc d’où il vient. Et le Sud-Ouest est l’endroit où je me sens le mieux sur Terre. Tout m’y plaît : la cuisine –moi qui ne suis pas du tout gastronome, les gens, les paysages. Guéthary est l’un des plus beaux endroits de la Côte basque, donc de France ! ». Aujourd’hui, rien ne l’émeut comme le souvenir des parfums de vent salé et d’hortensias, ou celui, délicat, du temps où il suffisait au petit Parisien qu’il était, d’allonger la main pour cueillir des mûres. Nous sommes loin des nuits chez Castel, rue Princesse, à Paris. L’auteur de « L’amour dure trois ans » a beau déménager chaque fois qu’il change de compagne, le siège social de son cœur est assigné à résidence à cheval entre Pau et Guéthary. Et c’est ainsi que Toulet est grand.  ©L.M.

    *L'auteur est passé maître dans l'art d'écrire : je déteste parler de moi -tout en le faisant sur 280 pages, malgré Mauriac, appelé à la rescousse... Et dans celui de se plaindre de sa condition d'enfant gâté découvrant la copie de La Geôle de Reading... Il reste, à mes yeux, l'écrivant, subtil par endroits, de choses que l'on peut ressentir sur la Côte basque. Envers et contre tout, en dépit du fameux Familles, je vous hais! et du devoir de maturité.

    (*) L’Académie édite La Revue Régionaliste des Pyrénées. Son dernier hors-série est consacré à Paul-Jean Toulet  (7, rue Henri-Faisan, 64000 Pau).

     

  • Ecrire, c'est exister contre

    Elisabeth Barillé, dans son Petit éloge du sensible (folio) : "Savourer ses sensations suppose d'en rester un tant soit peu détaché. C'est l'art des oenologues : ils posent dans leur bouche un passage de vin à déguster, en tournant attentivement les pages, en brassent les saveurs. Quand ils le recrachent, leur coup de langue est aussi un coup du cerveau se détachant de ce qu'il vient de savourer en le jugeant. En gros, tout est affaire de diététique (de dieu, d'été, d'éthique). La finesse du sensible dépend d'une diététique de la conscience. D'elle, Roland Barthes disait qu'elle était, au sens banal du terme, un plaisir."

    Plus loin : "S'il suffisait de se lâcher pour écrire, tout le monde écrirait. Se lâcher, c'est à la portée de tous, alors qu'écrire, c'est faire preuve de contrôle, juger ses pensées, peser ses mots. Inventer un langage, son langage. Poser sa voix. Ce n'est pas si simple..."

    Enfin : "Ecrire, c'est résister sans cesse. Ecrire, c'est exister contre."


     

  • Dieu EST gascon, con.

    Lisez "Dieu est-il gascon?" de mon ex boss (oh, de 87 à 91, juste) Christian Millau, car ça trucule et ça grésille, ça bouillonne et ça regarde franc. Bon, c'est publié au Rocher, un éditeur au soufre (et qui souffre), mais c'est bon comme un Grand-Bas sur place, a las cinco de la tarde.

  • flem, deuxième

    Ma fille aura vingt ans demain, 2 mars. Emotion. Loin des deux chansons de Reggiani, plus près de la vérité. De la mise en lumière, de l'exposition à la lumière, de l'existence; l'unique. De l'expérience, prodigieuse, de la mise au monde par paternité.


    podcast
    ombra mai fu, haendel (difficile à dépasser...)

    Extrait, encore : "Largués par nos parents qui disparaissent et par nos enfants qui quittent la maison,c'est le plus souvent au même moment de la vie que nous sommes confrontés à ces séparations : nos parents meurent, nos enfants grandissent. Coincés entre deux générations, ceux à qui nous devons l'existence, ceux à qui nous l'avons donnée, qui sommes-nous désormais? Les repères vacillent, les rôles changent. Comment faire de cette double perte une métamorphose intérieure?
    Longtemps j'ai été la "fille" de mes parents, puis je suis devenue une "maman". Cette double expérience, je l'ai vécue avec ses tensions, ses lassitudes, ses émerveillements. Mais qui suis-je désormais? Quel est mon nom?
    Fille, j'ai fini de l'être. Mais cesse-t-on jamais d'être l'enfant de ses parents? Notre enfance s'inscrit dans nos souvenirs, nos rêves, nos choix, nos silences; elle survit en coulisses. Ne devenons-nous des adultes que lorsqu'il n'y a plus d'ancêtres pour nous précéder, nous protéger? Suis-je encore maman alors que mes enfants ne sont plus des enfants? La langue manque de mots pour désigner toutes les nuances de notre identité.
    Comment me situer aujourd'hui dans ma généalogie? Ne faudrait-il pas un mot particulier pour nommer les parents dont les enfants ont quitté la maison? Suis-je une "maman de loin"? Une maman à qui l'on pense, à qui l'on téléphone pour un conseil, une recette, de l'argent, un encouragement, dont on a parfois la nostalgie, mais une maman avec qui on ne sera plus jamais dans le corps à corps premier." ©Lydia Flem et Le Seuil, pour "Comment je me suis séparée de ma fille et de mon quasi-fils".

    Ce mot de Primo Lévi, prélevé sur le blog de l'auteur : http://lyflol.blog.lemonde.fr

    “J’écris ce que je ne pourrais dire à personne.”

  • merveilleuse lydia flem

    elle nous a donné "comment j'ai vidé la maison de mes parents", puis "lettres d'amour en héritage", dont ce blog parla abondamment.

    voici "comment je me suis séparée de ma fille et de mon quasi-fils" (seuil).

    un nouveau bijou de sensibilité qui parle à chacun, de "la danse fragile de l'existence".

    "la littérature permet d'échapper à la vie -celle qu'on croit, à tort, la vraie- pour en inventer une autre, bien plus exaltante...

    "de la littérature on ne sort jamais indemne. on y parcourt la planète dans son ombre...

    "l'art nous transforme. on se surprend à n'être plus tout à fait pareil en lisant, page après page, ces histoires qui deviennent notre intimité extrême, épousant les plis de nos pensées...

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    par ailleurs, voici un chouia d'éluard, qui soutient man ray (les mains libres, poésie/gallimard), pour aérer un peu la fenêtre de ce gentil dimanche premier mars qui nous chuchote le printemps, avec une délicatesse comparable aux adieux lents, monstrueusement émouvants, d'Alain Bashung et au vol des oies des moissons qui strient le ciel de leurs "V" renversants en revenant d'Afrique, là-haut, très haut, si près si l'on sait voir ou mieux : les regarder -sans les entendre-, fendre l'air.

    le don

    elle est noyau figue pensée

    elle est le plein soleil sous mes paupières closes

    et la chaleur brillante dans mes mains tendues


    elle est la fille noire et son sang fait la roue

    dans la nuit d'un feu mûr.

     

  • Les années Table Ronde

    Le nouveau livre de Tillinac, "Rue Corneille", évoque entre autres ses années passées à La Table Ronde, que j'ai un peu connues au tout début*, puisque Denis m'avait appelé à la rescousse dès qu'il prit la barre du bateau alors ancré rue du Bac : "En 1990, au moment où l'on m'a proposé de diriger les Editions de La Table Ronde", écrit Tillinac, "j'allais suivre en Somalie un ami abouché avec les ennemis de Siyad Barré. Dégommer un tyran, c'est toujours une bonne chose. Du moins j'avais envie de m'en persuader. J'ai hésité et finalement j'ai choisi la littérature, contre l'aventure. (...) Voici en substance mon anti-destin." Puis la frégate a accosté rue Huysmans -personne n'aimât : "triste, sombre, grand mais gris", disait José (l'un des piliers de la maison, avec Françoise) cet après-midi, puis rue Corneille, avant d'amarrer rue Séguier, où Denis est venu signer avec stylo bille et nonchalance, son service de presse, aujourd'hui. Alice :  "Alors, tu as vu ton livre? Ca te fait quoi?" Lui : "C'est le 30ème, qu'est-ce que ça pourrait me faire!". Dans ces mémoires, le venin de la mélancolie se mêle à celui de la nostalgie. Les années pédégèsques du Hussard chiraquien qui s'est souvent trouvé en Afrique davantage qu'à Auriac, Corrèze, sont placées sous le signe de la profonde complicité avec Marie-Thérèse Caloni, qui fut son bras droit à La Table, et que la maladie emporta au cours de l'été 2006. Le livre lui est naturellement dédié. Tilli y raconte par le menu "le ressac de ses sentiments, les éclats d'une conscience tantôt en vadrouille, tantôt lovée dans le giron de son village ou à l'ombre des arcades du théâtre de l'Odéon. Deux capitaineries aussi peu modernes l'une que l'autre." Il ajoute ailleurs : "Je ne suis pas branché. Je préfère les idées qui émeuvent à celles qui mobilisent, le sourire de l'humour à la hargne de l'engagisme, les sentiments qui rafraîchissent à ceux qui culpabilisent." Tout DT. Suivent la Chiraquie, le rugby, la Corrèze, l'équipe de LTR (Olivier Frébourg, Alice Déon qui sa succédé à Denis Tillinac...), les affinités  et les inimitiés politiques et littéraires, les indéracinables amitiés : Debray, Kauffmann, Dauzier... Et, toujours, comme un chant de merle au crépuscule de son Petit Liré, le retour au bercail, et un avion qui trace le ciel et file -qui sait-, vers Bamako ou Brazzaville. Marie-Thérèse Caloni plane au-dessus du livre, de la page 7 à la page 206, laquelle s'achève par une remarque, tendre, de lucidité méritoire : "Le coeur, grâce au Ciel, n'a pas le don de la chronologie. Le mien en tout cas. Mes années Table Ronde, je les revois comme si c'était hier, je les revis quand ça me chante et ainsi suis-je fait que mes souvenirs ont la manie de seriner sans relâche des airs d'autrefois. C'est peut-être pour ça que je suis devenu un écrivain, et rien d'autre." Yep, Denis, et tu as eu raison de faire diversion (passe croisée) tout à l'heure, en disant que çà faisait vraiment mal au coeur, cette forêt Landaise que nous aimons tous les deux, couchée en une nuit...

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    "Rue Corneille", La Table ronde, 18€. Un précédent livre de Tillinac, "Dernier verre au Danton" (Pocket) évoquait déjà les premières années Table Ronde.

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    * J'y bouffais du manuscrit deux jours par semaine. Je vivais alors à Bordeaux et le TGV était mon salon de lecture préféré. Cela dura deux années. Après, je migrais à Toulouse où un boulot chez Milan mit fin à ces zig-zags. En 2001, je me retrouvais par hasard "auteur maison". La suite appartient à ceux qui lisent tôt.

  • En cas d'amour...

    ... Brisez la glace à l'aide du petit marteau qui frappe à l'intérieur de votre tête.

    Anne Dufourmantelle, dans son précieux -bien que parfois complexe, jargonaute, livre : En cas d'amour. Psychopathologie de la vie amoureuse, Payot, cite Pascal (Discours sur les passions de l'amour, in Ecrits sur la grâce).

    "Les âmes propres à l'amour demandent une vie d'action qui éclate en événements nouveaux. Comme le dedans est mouvement, il faut aussi que le dehors le soit, et cette manière de vivre est un merveilleux acheminement à la passion. (...) Dans l'amour, on n'ose hasarder, parce que l'on craint de tout perdre : il faut pourtant avancer; mais qui peut dire jusqu'où? L'on tremble toujours jusqu'à ce que l'on ait trouvé ce point. La prudence ne fait rien pour s'y maintenir quand on l'a trouvé."

    C'est la réflexion du jour. A vos remarques, prêts? -Ecrivez!

  • Musarder

    558 romans, dont 347 Français, c’est le thermostat de l’avalanche annoncée en librairie. Pour une « rentrée », ça ressemble davantage à une sortie, façon buse (le tuyau) de bord de mer.

    On parle de « poids lourds » de la littérature comme des « éléphants » au PS, en citant, pêle-mêle : Vautrin, Queffelec, Combescot, Auster, Chessex, Rouaud, Decoin, Coe, Labro, Sollers, Rambaud, Djian, Makine, Fernandez, Dugain…

    Et j'ai la vision de rouleaux compresseurs jaunes craignant pour le maintien de leur position enviée, sur les sentiers de la gloire*, comme le cerf devant son harpail au moment du renouvellement du bail : le brame.


    Cela donne envie d’aller voir les « chevau-légers », pas encore « camionnisés », mais pas à la remorque non plus : Adam, Viel, Delaume, J. Rolin, Millet, Ph. Besson, Lindon, de Prada, Pancrazi, Rohe, Du Boucheron…


    Vite parcourus :

    Le nouveau Audeguy, « Nous autres », très Kenyan, déroute par sa densité et son tissage. À lire, puis reprendre « La Théorie des nuages ».

    Le Bolaño, « Le Secret du mal », est le résultat d’un coup de balayette avec la pelle dans l'autre main sur ses inédits, articles et autres trucs inachevés. Reprendre « Les Détectives sauvages ».

    Le nouveau Sepulveda me semble en appeler aux vieux trucs qui ont fait le succès du « Vieux qui lisait des romans d'amour » (le chasseur de jaguars, etc) mais j'espère me tromper. Quoique, c'est si bon... Lire celui-ci et reprendre le classique.

    Le Rolin à propos des chiens errants du monde entier (métaphore de l'écrivain?) est hiératique et sculptural : « Un chien mort après lui ». Se jeter dessus.

    Le nouveau Adam semble reprendre ses déjà vieux démons, qui font le troublant de ses précédents romans. Là, il campe son histoire à St-Malo. Reprendre « Falaises ». Mais lire « Des Vents contraires ».

    Le nouveau Viel, « Paris-Brest », attire. Comme les précédents. À cause de la langue, de la désinvolture, du « ton » Minuit. À lire. Et reprendre « Insoupçonnable », qui reparaît.

    Aller renifler le nouveau Goux : « Les Hautes falaises » pour découvrir un auteur exigeant, le Djian, « Impardonnables » car il se passe au Pays basque, et le Rouaud, « La Femme promise » pour retrouver sa musique.

    L’inclassable de Dantzig, « Encyclopédie capricieuse du tout et du rien », m'est tombé des mains. Tandis que son « Dictionnaire égoïste de la littérature française » m’avait enchanté. Le reprendre.

    Attendre un petit inédit annoncé, de Claude Simon, « Archipel, et Nord).

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    * "L'ambition est le fumier de la gloire". L'Arétin.

     

  • Connaissez-vous Robert Alexis?

    Non... C'est un auteur discret, Lyonnais, publié par José Corti (rien de commun est la devise de l'éditeur de Gracq et de Bachelard). "La robe " (son premier roman), reparaît en format de poche (Points), et c'est un bijou cette robe, un bijou de moins de quatre-vingt dix pages. Austérité, rigueur militaire, libertinage, beauté italienne voluptueuse (façon Bellucci), un air de "Senso", le livre, un air de Visconti aussi -lorsqu'il adapte le texte de Camilo Boito, mais avec une économie janséniste des mots en cadeau sec. Une sorte de roman d'amour constat, mais pas froid. Et c'est la magie de ce petit bouquin : en apparence rebutant comme un réveil de chambrée de caserne, il se révèle, au fil des pages, aussi doux et érotique qu'une grasse matinée très très amoureuse. Fascinant!

  • pampatagonie

    Il est des livres, brefs et coupants, dont on ne se sépare jamais, même si notre oublieuse mémoire les néglige. Ainsi de Chaves, d'Eduardo Mallea, dont mon regard, ce matin, a surpris le dos. J'ai tiré l'ouvrage du rayon et relu certains passages annotés en première lecture. La Patagonie, le silence, l'âpreté, l'aridité des regards, des sentiments, des paysages, des traits taciturnes, des yeux brûlés à force de rester ouverts, une bouche rigide, des cheveux charbon, Chaves (pas de prénom) est un léopard nocturne sans voracité ni proies en tête, qui regarde les choses. Personne ne voit en lui un poète écorché. Il entre dans son univers de silences, s'écarte, mais sait tant écouter les autres. Surgit une femme providentielle nommée Pure. L'amour. Sauvage et beau. Naît une fille. Donc, rien que du banal... Mais dans la langue sèche de Mallea, les petits riens deviennent de l'or en pépites brutes. "Ainsi, la ferveur succédant à la crainte, s'écoulèrent sept années pendant lesquelles la vie les effleura sans s'appesantir, comme un avion frôlant le sol au décollage." Impassibilité, gravité, mutisme, autisme? Chaves, c'est la forteresse du vide. Et ça remplit; fort.

    (éd. autrement).

     

  • encore

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    podcast

    The man who sold the world, in Unplugged in New York, Nirvana.

     

    "Résonances. Cette chambre d'hôtel a ta voix, tes reins, tes pas et ton agacement matinal. Résidence provisoire de notre amour. Le silence qui a suivi ton départ referme sur moi son étourdissement serein. Ses traces sont des sillons d'évidence.

    La nuit souveraine déplie l'étrange jusqu'au coeur des corps, dénoue la douleur fil à fil, renoue nos regards nus, emboîte notre chance unique jusqu'au matin magicien.

    L'amour dépose ses auréoles sur les draps pour sanctifier nos nuits. En eux, je me sens chaud de toi.
    Fondre, se refondre dans ce lit défait où tes beautés dardantes laissent des traces profondes en s'élevant vers le soleil."

    ©L.M. Première page de : "Je l'aime encore", éd. Abacus, 1995.

    Peinture : © EKAT

  • Chasse-spleen


    podcast

    Gimme Shelter, by Patti Smith

    Il y a des chasse-spleen, comme çà, qui se lisent et ne se boivent pas, quoique la lecture... J'ai eu Cioran, longtemps, pour vitamine C. Il vivifiait la noirceur (- + - = + !). L'homéopathie agissait comme un onguent. Les Pensées de Flaubert et le Journal de Jules Renard ont ce pouvoir voisin de la douleur, de diffuser du bonheur comme du parfum à l'intérieur de soi. Ce sont des piqûres sur nos fesses d'enfant : l'appréhension, la frousse, puis l'étonnement du même-pas-mal. Enfin, le soupir de soulagement, parfois un hoquet d'émotion et des yeux enlarmés qui sourient large. Une sorte de fading...

    Great Gustave :

    "Sans cesse l'antithèse se dresse devant mes yeux. Je n'ai jamais vu un enfant sans penser qu'il deviendrait vieillard, un berceau sans songer à une tombe. La contemplation d'une femme nue me fait rêver à son squelette. C'est ce qui fait que les spectacles joyeux me rendent triste et que les spectacles tristes m'affectent peu. Je pleure trop en dedans pour verser des larmes au dehors; une lecture m'émeut plus qu'un malheur réel."

    "Quand une fois on a baisé un cadavre au front, il vous en reste toujours sur les lèvres quelque chose, une amertume infinie, un arrière-goût de néant que rien n'efface."

    "Le seul moyen de supporter l'existence, c'est de s'étourdir dans la littérature comme dans une orgie perpétuelle. Le vin de l'art cause une longue ivresse, et il est inépuisable. C'est de penser à soi qui rend malheureux."

     

  • Un regard chargé d'envie...

    ...est plus dangereux qu'un fusil chargé de plomb. Proverbe napolitain.


    podcast

    Antonio Vivaldi, Dixit Dominus (final) : Sicut erat in principio (Jean-Claude Malgoire, dir. et l'English Bach Festival Orchestra). Pour Alina...

     

    Et l'extrait qui suit est chargé d'érotisme comme un canon de 75 mm : jusqu'à la gueule. Comme quoi, suggérer sera toujours la cime.

    (Deux phrases-phares, avant : Ne pas tout dire mais suggérer. Philippe Jaccottet. L'imperfection est la cime. Yves Bonnefoy.)

    "A Megara on met encore des oeillets aux balcons, et les femmes portent des robes longues; c'est pour cette raison que la simple vision d'une cheville fait littéralement trembler les jeunes gens. Mais ceci arrive rarement, car elles sont prudentes et surveillées; et elles se surveillent elles-mêmes; et s'il pleut, elles préfèrent rentrer à la maison avec l'ourlet de leur robe maculé de boue que d'avoir les bas mordus par des regards chauds comme des baisers." Giuseppe Antonio Borgese, Les Belles (Gallimard).

     

  • Merci Sagesse

    "Elle aspira de l'éther, sourit au doux froid qui entrait. O le petit salon du premier soir, son petit salon qu'elle avait voulu lui montrer tout de suite, après le Ritz. Debout devant la fenêtre ouverte, ils avaient respiré la nuit d'étoiles, avaient écouté le remuement des feuilles dans les arbres, murmures de leur amour. Toujours, elle lui avait dit. Ensuite, le choral qu'elle avait joué pour lui. Ensuite, le sofa, les baisers, premiers vrais baisers de sa vie. Ta femme, elle lui disait à chaque arrêt et reprise de souffle. Infatigables, ls s'annoncaient qu'ils s'aimaient, puis riaient de bonheur, puis unissaient leurs bouches, puis se détachaient pour infiniment s'annoncer la merveilleuse nouvelle. Et maintenant, maintenant." (Belle du Seigneur, d'Albert Cohen, of course)

  • un inédit de Zweig

    C'est le cadeau de Grasset, en ce début de novembre : un inédit de Stefan Zweig, Le Voyage dans le passé.

    Page 28, cet apéritif : Dès leur première rencontre, il l'avait aimée, mais ce sentiment, qui le submergeait jusque dans ses rêves, avait beau être une passion absolue, il lui manquait néanmoins l'événement décisif qui viendrait l'ébranler, c'est-à-dire la claire prise de conscience que ce qu'il recouvrait, se dupant lui-même, du nom d'admiration, de respect et d'attachement,  était pleinement de l'amour, un amour fanatique, une passion effrenée, absolue...

    Page 29 : Cependant l'amour ne devient vraiment lui-même qu'à partir du moment où il cesse de flotter, douloureux et sombre, comme un embryon, à l'intérieur du corps, et qu'il ose se nommer, s'avouer du souffle et des lèvres.

  • Exil (Hugo)

    Les Equateurs ont la belle idée de reprendre, dans l'élégante collection Parallèles, "Ce que c'est que l'exil", de Victor Hugo. Un texte bref, magnifique, concis et sans concession.
    Extraits en guise de tapas : Chapitre I : "Quand ils dépouillent et découronnent le droit, les hommes de violence et les traîtres d'Etat ne savent ce qu'ils font." (...) Chapitre II :  " L'exil, c'est la nudité du droit. Rien de plus terrible. Pour qui? Pour celui qui subit l'exil? Non, pour celui qui l'inflige. Le supplice se retourne et mord le bourreau." (...) Vous exilez un homme. Soit. Et après? Vous pouvez arracher un arbre de ses racines, vous n'arracherez pas le jour du ciel. Demain, l'aurore." (...) "Un homme tellement ruiné qu'il n'a plus que son honneur, tellement dépouillé qu'il n'a plus que sa conscience, tellement isolé qu'il n'a plus près de lui que l'équité, tellement renié qu'il n'a plus avec lui que la vérité, tellement jeté aux ténèbres qu'il ne lui reste plus que le soleil, voilà ce que c'est qu'un proscrit." (...) Chapitre III : "Guernesey est faite pour ne laisser au proscrit que de bons souvenirs; mais l'exil existe en dehors du lieu d'exil. Au point de vue intérieur, on peut dire : il n'y a pas de bel exil. L'exil est le pays sévère; là tout est renversé, inhabitable, démoli et gisant, hors le devoir, seul debout, qui, comme un clocher d'église dans une ville écroulée, paraît plus haut de toute cette chute autour de lui. L'exil est un lieu de châtiment. De qui? Du tyran. Mais le tyran se défend..."

  • Dire tant qu'il est temps

    Mais l'enveloppe était vide et, comme les feuilles elles-mêmes, elle ne portait ni adresse d'expéditeur, ni signature. "C'est étrange", pensa-t-il, et il reprit les feuilles. Comme épigraphe ou comme titre, le haut de la première page portait ces mots : A toi qui ne m'a jamais connue. Il s'arrêta étonné. S'agissait-il de lui? S'agissait-il d'un être imaginaire? Sa curiosité s'éveilla et il se mit à lire.

    Zweig, Lettre d'une inconnue

  • Elles

    Connaissez-vous le principe de la randonnée littéraire ? Cela consiste à marcher en montagne –Basque, en l’occurrence, avec des randonneurs  lecteurs, amateurs (une centaine, dimanche dernier), des gens de bonne compagnie qui aiment le texte et le sentier, qui vont, « caminando », deviser avec quelques auteurs invités et pilotés par deux couples de libraires lumineux : sortes de Platon en chaussures de montagne dirigeant leurs Socrate à la voix et au geste. C’était bien…

    Avec « Elles » (folio), J B Pontalis se livre, ouvre le catalogue de ses conquêtes, convoque ses rencontres au soir de sa vie, et consulte le carnet des femmes qui lui ont échappé. Il cite Valéry : « Ni vu ni connu / Le temps d’un sein nu / Entre deux chemises », Toulet. Reprend des « cas » épanchés dans son cabinet d’analyste, évoque le vide des don juan de sous-préfecture qui cachent le creux d’une avidité ; l’inconsistance intérieure. Il dit la lâcheté des libertins qui se considèrent fidèles à leur femme. Mais à eux-mêmes ?..
    Evoque les éconduits qui se sentent soudain « exportés », les jeunes filles qui attirent un JB prenant les traits –à la lecture- d’un Balthus libidineux devant ses modèles. Invoque Proust, le souffle coupé lorsque Albertine s’en va, car « une séparation subie coupe non seulement de l’autre mais de soi ». JB rêve, car rêver de ses amis disparus les rend présents. « Le rêve est notre mémoire vive », écrit-il. I

    l arrive même à Pontalis d’avoir le style de Dumas, selon Stevenson; en moins riche : « léger comme une crème fouettée, résistant comme de la soie, prolixe comme un conte villageois, concis comme la dépêche d’un général. »

    Et puis il y a l’opéra (napolitain surtout) dans le discours littéraire de Dominique Fernandez : « Où étudier le mieux les mœurs latines ? À l’opéra en Italie, à la corrida en Espagne. » À suivre, donc….

  • L'Inconnu sur la terre...

     

    "Le prix Nobel de littérature 2008 a été attribué à l'écrivain français Jean-Marie Gustave Le Clézio pour son oeuvre "de la rupture", a annoncé, jeudi 9 octobre, l'academie suédoise. L'académie a fait ce choix d'un "écrivain de la rupture, de l'aventure poétique et de l'extase sensuelle, l'explorateur d'une humanité au-delà et en-dessous de la civilisation régnante", selon les attendus de l'académie. Il recevra un chèque de 10 millions de couronnes suédoises (1,02 million d'euros), le 10 décembre à Stockholm." Dixit "Le Monde.fr"

    Je me souviens tout à trac de L'Inconnu sur la terre, de Mondo et autres histoires, de Désert, de Diego et Frida, du Chercheur d'or... Même si le gonze m'ennnuie souvent, depuis Onitsha et surtout Ourania, je reprendrai ces émotions -intactes-, au saut du livre et du lit. Histoire de.

    Merci Richard (blog : comme fou).

     

     

     

     

     

     

  • L'asthme de MP

    Proust nommait son asthme « mon péché originel ». Est-ce ce mal qui lui fit penser, très jeune, que l’amour est condamné et que le bonheur n’existe pas ?

    L'événement fondateur des premières pages de « La Recherche », l'épisode du baiser maternel demandé, refusé, puis arraché, ce baiser perdu et retrouvé est sans doute –souligne Gerge D. Painter, son biographe incontesté, « la blessure décisive de la vie enfantine de Marcel ». Première défaite de sa « petite Maman », il faut s’interroger sur la distinction possible entre le refus initial de celle-ci et sa capitulation finale. Ainsi que sur l’obsession permanente, de MP de regagner l’amour de sa mère. L’asthme de Proust apparaît donc dans ce contexte. Il ne le quittera plus. « Son manque de souffle reproduisait peut-être », suggère Painter, « l’instant de suffocation qui survient également dans les larmes et dans le plaisir sexuel. » Le rapport causal entre les émotions fortes et l’asthme est connu. Dostoïevsky et Flaubert avaient leur épilepsie, Proust avait son asthme. Painter, perfide : « cela lui permit de se retirer du monde et de produire une œuvre de si longue haleine. »

  • Chaque femme sur un quai de gare me fait peur

    "Là, se dit-elle en fixant dans ce trou noir les traverses recouvertes de sable et de poussière, là, au beau milieu; il sera puni et je serai délivrée de tous et de moi-même." (...) "Elle eut le temps d'avoir peur. "Où suis-je Que fais-je? Pourquoi?" pensa-t-elle, faisant effort pour se rejeter en arrière. Mais une masse énorme, inflexible, la frappa à la tête et l'entraîna par le dos. "Seigneur, pardonnez-moi!" murmura-t-elle, sentant l'inutilité de la lutte. Un petit homme, marmottant dans sa barbe, tapotait le fer au-dessus d'elle. Et la lumière qui pour l'infortunée avait éclairé le livre de la vie, avec ses tourments, ses trahisons et ses douleurs, brilla soudain d'un plus vif éclat, illumina les pages demeurées jusqu'alors dans l'ombre, puis crépita, vacilla, et s'éteignit pour toujours".

    Ainsi disparait Anna Karénine à la page 810 du roman éponyme de Tolstoï. Depuis cette lecture, je ne peux m'empêcher d'avoir peur, lorsque j'aperçois une femme sur un quai de gare...

  • avant-garde

    "Etre d'avant-garde, c'est savoir ce qui est mort; être d'arrière garde, c'est l'aimer encore." (R. Barthes, "Réponses", Oeuvres complètes, Paris, Seuil, 2005, t. III, p. 1038).

    Barthes dit de lui-même qu'il se situe à l'arrière-garde de l'avant-garde.

    Merci, ami Saber, pour ces rappels salutaires...

  • Faux-père

    Le nouveau livre de Philippe Vilain, Faux-père (Grasset) dresse l'autoportrait sans concession d'un salaud désinvolte, libertin, cynique, vautré avec plaisir dans son ennui, son égoïsme (il y a du Drieu antipathique dans ce roman), agrippé à son oisiveté comme la moule au rocher, brandissant la peur du néant comme on agite un drapeau blanc au bout d'une baïonnette, qui engrosse une jeune turinoise amoureuse folle de lui, qui écrit dans son journal intime qu'il ne veut pas de cet enfant et souhaite une fausse couche, qui laisse trainer ce journal, que la pure et belle Stefania découvre... C'est le roman (écrit avec précision, au scalpel, et avec une économie de mots redoutablement efficace), de la peur de l'engagement, d'un affligeant manque de courage, de la frousse du bonheur peut-être, et de la trahison qui survient par négligence -avec la découverte du carnet-, lorsque la résignation a enfin gagné l'homme lâche... Cette femme allait faire du narrateur un homme et voilà que celui-ci fuit Turin, regagne Paris, abandonne une femme profondément disgraziata. Puis il regrette (comme c'est étrange!), retourne à Turin, mais trop tard : elle a avorté dangereusement, elle est à l'hôpital, la tendre et douce Stefania. Alors, oui, il écrit que: "Tout se passait comme si, en refusant d'être père, j'avais à jamais voulu rester un fils." Mais on s'en fout. On s'en fout complètement.

  • Les accomodements raisonnables

    Le dernier roman  de Dubois ressemble aux précédents : humour, dérision, mélancolie, tendresse, histoire ricaine, fonds toulousain, sauf qu'en prime, il nous sert une femme dépressive, un père survolté devenant parvenu sur le tard, un narrateur infiniment attachant (ça c'est comme d'hab') et un passage en revue des maux de notre époque. "Les accomodements raisonnables" (L'Olivier) est un beau titre. Lui : "Souvent j'éprouvais le sentiment qu'Anna m'avait glissé entre les mains, comme du sable trop fin, que je n'avais pas été capable de l'aider ni de la retenir, de trouver une alternative acceptable au Seroplex." Il cite Pessoa : "Tout effort est un crime parce que toute action est un rêve paralysé". Lui, encore, cite son père : "Tu veux savoir la seule véritable erreur que j'ai commise avec ta mère? C'est d'avoir cru absurdement que, dans la vie, les choses un jour finissent par s'arranger." (en pensant aux liens indéfectibles qui unissent un père à son fils et au gouffre qui, malgré tout, toujours, les séparera. Ce qui vaut aussi pour les filles avec leurs pères, au passage...). C'est l'histoire d'un mec qui a besoin d'être débarrassé de lui-même. Qui quitte sa femme, tombe sur le clône d'icelle, mais avec vingt/trente ans de moins, je ne sais plus, s'envoie en l'air et reçoit des appels de la première, d'outre-atlantique ou d'outre-tombe, c'est pareil. Qui en conçoit, quand même, un certain remords. Bon, en fond, y'a une histoire de scenarii hollywoodiens upper level, donc nous sommes en plein remakes à tous les étages, mais qui m'a fait tourner les pages assez vite, et puis ce passage, là, vers la fin (je suis allé jusqu'au bout parce que le mec m'est vraiment très sympathique) : "Je lui devais sans doute la déclaration la plus étrange qu'on m'ait jamais faite : Un jour je t'aimerai. Il n'existait pas de promesse plus intangible et pourtant ces quelques mots suffirent parfois à donner le courage de se fondre dans la foule et de marcher avec elle le temps qu'il fallait." Donc, allez-y, mais ne trainez pas dessus, il n'y a pas que ça à faire, non plus, moi je vous attends déjà; ailleurs.

  • La nageuse

    "Est-il légitime que des forces intérieures jusqu’alors inconnues se déploient et réclament d’agir? Ainsi de la recherche obstinée d’un amour égaré par négligence et qui survit, tapi dans les caves du coeur. L'amour grand n'abdique jamais. Tandis qu'il oeuvre à sa reconquête, le guetteur sent une peur acide lui monter à l’âme. L’aboutissement de sa recherche produira une infinie tendresse aux liserés sensibles comme les lèvres de l’huître. Et si l'issue devient jus de citron : il est trop tard, il songe. Pense passer à côté de la vie, celle qui correspond au partage absolu. Car cet amour est le seul à surnager à la surface du lac de sa vie. C’est là le plus troublant, le plus déchirant. Le temps engloutit les bonheurs, les malheurs et nous laisse avec une forêt de souvenirs en héritage. Mais qui peut lui dire où va cette nageuse unique au crawl suave, à la surface du lac?" (Auteur anonyme, deuxième moitié du XXème siècle).

    http://www.wat.tv/video/faure-requiem-sanctus-tuxf_lup3_.html


  • Qui écrira "Les Chieuses", roman?

    Si tu aimes les chieuses, c'est parce que...

    - tu préfères les femmes qui ont beaucoup de caractère (voir trop) à celles qui passent leurs temps à se taire et à dire oui à tout

    - tu aimes être renvoyé dans les cordes de temps en temps (elle est si belle quand elle s'énerve)

    - une femme qui tient absolument à porter la culotte est souvent entreprenante

    -une chieuse ne te laissera jamais t'encroûter

    -une chieuse exige toujours l'excellence, c'est pourquoi elle te poussera toujours à te surpasser et à donner le meilleur de toi même

    - une femme peut être chieuse par amour

    - une bonne dispute, ça fait du bien de temps en temps à elle comme à moi

    -une chieuse te reprendras à chaque faute de langage, ce qui te permettra d'aborder tes entretiens professionnels avec un vocabulaire soutenu

    -il n'y a rien de plus mignon qu'un couple ou des ami(e)s qui se fait/font la gueule et qui se réconcilie(nt) après 13 minutes et 45 secondes

    -une chieuse joue la chieuse dès lors qu'elle souhaite prendre soin des autres. Si elle daigne t'adresser la parole, c'est qu'elle t’apprécie

    -parce que charmer une chieuse est un tout autre challenge que de draguer une fille sans caractère

    -être caractérielle, ça fait partie du charme féminin

    -une chieuse n'est jamais foncièrement méchante

    -lorsqu'une chieuse est fière de toi, elle ne te diras rien mais son regard sera lourd de sens

    -épater ou surprendre une chieuse flatte ton ego

    -pour certains, une chieuse peut leur rappeler leur mère, une soeur, une tante, une proche, que l'on apprécie également

    -les chieuses s'entendent rarement entre elles. Si tu en as déjà une, les autres ne viendront pas te faire chier

    -lorsque tu as une remarque désagréable à faire à un proche, ne t'inquiète pas, une chieuse la feras pour toi

    - ce sont celles qui paraissent le plus pour des chieuses qui sont finalement les plus sensibles

    -parce qu'on ne les voudrait pas autrement, tout simplement

    bouquet de lieux communs trouvé par hasard sur facebook

  • Regard triste et dents de lapin

    Signe d'époque : la critique se penche à juste titre sur la perle rare : le sixième roman (en 45 ans : 6 événements) de l'invisible Thomas Pynchon. 1200 pages, touffu, complexe, "Contre-jour" (Seuil) ne fera pas des ventes comme un Nothomb ou un Dubois. Mais le plus suprenant est que l'on s'attache moins au contenu de ce livre qu'au mystère qu'entretient -sans doute à son corps défendant- son auteur. Que l'on revienne toujours à l'homme invisible davantage qu'à l'écrivain. Une photo de lui -la seule-, prise dans les années 50, montre un jeune homme au regard triste et aux incisives de lapin (il doit zozoter). Comme il a toujours fui la presse, les plateaux télé, que sa biographie tient au gros feutre sur un ticket de métro, on en fait un phénomène. Certes, il a été lu et a inspiré nombre d'auteurs américains, il est de la trempe des plus grands écrivains secrets (Beckett, Cioran, Blanchot, Michaux, Gracq, dans leur registre propre), mais de là à s'esbaubir sur "l'écrivain que l'on ne voit pas", dont on ne sait rien, qui n'apparaît pas, n'a pas d'adresse... Lisons-le e basta! Si vous cherchez Pynchon, allez en librairie. M'est avis qu'il habite son oeuvre et nulle part ailleurs. Mais cela ne suffit pas à notre époque cathodique, où le strass et le brushing avant de "passer" chez Trucmuche, devant une noria d'attachées de presse stressées, sont devenus la règle. Triste. Comme le regard que semble déjà porter T.P. sur le monde. Ses livres l'ont d'ailleurs prouvé, un à un. Le désenchantement fait oeuvre. C'est déjà ça.

  • Une Belle époque

    genere-miniature.aspx.gifLe quatrième roman de Christian Authier, Une Belle époque, (lire la note intitulée Province, publiée le 26 août), possède l’épaisseur, le corps tranquille et l’amplitude des livres de la maturité, comme on dit dans les feuilles littéraires. Authier sait construire un roman de 300 pages qui alterne le récit des péripéties politico-humanitaires, légères, d’une bande de potes, tous anciens de Sciences-Po Toulouse, dans les années quatre-vingt-dix, jusqu’aux élections de 95 (la machine politique, véreuse, et le clan Baudis en particulier, sont ici laminés en règle), la peinture ironique d'une droite qui essaya de devenir la plus sympa après avoir été la plus bête du monde, et une histoire d’amour avec une Clémence au charme envoûtant. Sans oublier de traiter au vitriol La Dépêche du Midi (à peine déguisée en Gazette) et le passé nauséabond de la famille qui possède encore le journal toulousain. Je serais d’ailleurs curieux de connaître les provisions pour procès de Stock, son éditeur. Authier détruit avec humour les suffisants, les parvenus de l'économie locale, les emperlousées des cocktails de préfecture, comme Muriel Barbéry a su le faire dans les cent premières pages de son élégant Hérisson. Authier y ajoute une distance qui est la marque des auteurs de fond. Ceux qui savent être sans concession, y compris avec eux-mêmes. Qui n'ont pas besoin de décrire le tragique des événements pour que nous le ressentions jusqu'à la moelle, avec le recours, simple à première vue, au verbe rare, à l’adjectif pudique, à la phrase courte et néanmoins souple : il faut parfois sacrifier à la tentation littéraire authentique, qui est de dire ces choses réputées indicibles que le lecteur a déjà vécues. La mélancolie d’Authier navigue au plus près du fil de l’eau lorsqu’il décrit Clémence, dont « la fraîcheur me ramenait vers ces contrées où l’impatience se marie à la langueur et à l’assurance qu’un soleil de printemps réchauffera toujours l’eau froide des grands âges ». Page 248, la jeune femme devient une déesse. L'image de la vérité, qui ne dure jamais. Rappelle que tout le reste n'est pas littérature. Authier, qui ne lâche son lecteur qu'à la dernière ligne, l'étreint avec la ceinture de l’émotion, par touches, à pas de loup, vers ce plaisir étrange que l’on dit textuel. Une réussite.

  • Province

    Une Belle époque, de Christian Authier, paraît chez Stock. Je viens de l'acheter. Les premières pages évoquent avec subtilité les charmes désuets de la province (l'action se passe à Toulouse). Ecoutez (je reviendrai sur le livre lorsque je l'aurai terminé) : "En province, la vie est molle et le temps passe lentement. On peut parfois vieillir sur pied. (...) A Paris, personne ne se regarde. Chez moi, tout le monde s'observe. Ici, on a besoin d'être vu pour se sentir exister. D'où l'importance des terrasses de café, des grandes places, des rues piétonnes et des soirées privées de quatre cents personnes. (...) La province ne connaît pas la solitude, on s'y ennuie ensemble." C'est si juste.

  • Achetez-le, sinon votre été sera pourri

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    couv philo.jpgVoir, colonne de gauche, la revue de presse de ce livre.

    4 de couverture :

    « Je compte Bayonne comme point d’ancrage et la plage de La Chambre d’Amour pour épicentre. Autour, jusqu’à Bordeaux au nord, Saint-Sébastien et Pampelune au sud, Toulouse à l’est, j’ai ménagé des repaires.
    En partant à la rencontre d’un pays dont je me suis épris de bonne heure, j’ai sillonné avec appétit, routes, villages et sentiers envahis de ronces.
    Mes camarades de surf ont perdu leurs mèches blondes. Je les retrouve chaque été aux Fêtes de Bayonne et de Pampelune. Nous sommes saisis de crampes lorsque nous tentons de suivre nos fils sur les vagues.
    Dans mon Sud-Ouest, je cherche la tranquillité de l’âme, le repos du corps vivifié, la stimulation de la parole, le courage du regard. Le Sud-Ouest est peuplé de femmes et d’hommes jamais blasés de leur enviable quotidien. Ils s’émerveillent sans forfanterie du plaisir d’exister. Mes frères de joie vivent selon l’humeur des éléments : l’océan, les caprices du climat, le vent du sud qui monte les esprits comme du lait. Ici, on s’ouvre à l’autre sans se mentir. »

    Léon Mazzella, journaliste et écrivain, a notamment publié Les Bonheurs de l’aube et Flamenca aux éditions de La Table Ronde.

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    Philosophie intime du Sud-Ouest, Editions des Equateurs, 128 pages, 14€. En vente partout vers la fin du mois de juin.

  • La Petite Vermillon


     
    C'est une belle idée, que l'on doit à Alice Déon (elle préside La Table ronde) : thématiser les sorties de La Petite Vermillon (la collection de poche de LTR), en faisant des tirs groupés. Après la vague Anouilh (neuf volumes d’un coup !), voici, sur le thème du voyage, que reparaissent simultanément : Souviens-toi de Lisbonne, d’Olivier Frébourg, Suite indochinoise, de Jean-Luc Coatalem sur le Vietnam, Court voyage équinoxial, carnets brésiliens de Sébastien Lapaque et La Montagne morte de la vie, de Michel Bernanos (fils de Georges) sur le Brésil aussi. Françoise de Maulde, qui épaule Alice, m'a annoncé le thème du sport pour bientôt. Avec le travail du prédécesseur d'Alice, Denis Tillinac, le fond est riche et bon...
    Loués soient les grands petits livres !
     

  • Aphorismes sous la lune



     

    Nous avons évoqué ici même les deux précédents ouvrages de Sylvain Tesson, infatigable marcheur, travel-writer, loup solitaire constamment into the wild, sorte de Walden (de Thoreau), d'homme ayant recours aux forêts (selon Jünger), de Jack London de tous les horizons possibles, un écrivain du grand dehors, héritier de Chatwin, Théroux et Bouvier. Nous avions loué les qualités de son "Petit Traité sur l'immensité du monde" et de son "Eloge de l'énergie vagabonde". Paraissent ses "Aphorismes sous la lune et autres pensées sauvages" avec de délicates illustrations bleu nuit, noir et blanc de Bertrand de Miollis (les trois aux éditions des Equateurs). Ce sont des pensées ultra-courtes, entre le haïku et le mot d'humour, le calembour et le fragment à la Jules Renard (dans son Journal). Toutes ont trait à la vie sauvage, loin des hommes et de ce qu'ils (dé)font de la planète en jouant dangereusement avec elle.

    Le livre ouvre avec celle-ci : La mer : un coeur qui bat entre deux côtes. A chaque page, une trouvaille tendre, séduisante : Un paysan ignorant dans un champ cultivé... A quoi rêve un sage endormi dans un champ d'herbes folles?.. Idiot du bocage : sot de haies... Boire du thé fait pisser le temps... (c'est bien vrai!). Ce n'est pas en les coupant qu'on rendra meilleures les mauvaises herbes... Un fruit de la Passion rêvait de rencontrer un buisson ardent... La mer est la descente de lit des fleuves... Le courage n'existe pas : même le soleil se couche... Une régate de femmes voilées sur le trottoir d'une ville d'Islam... La ville : gueule de bois des hommes ivres de nature... Le Marais est un quartier chic où vivent les vanneaux huppés... On  ne rempote pas une jeune fille en fleur... Voyage organisé : oxymore... J'aimais flâner avec elle. Sans "L", je fâne...

    Et beaucoup d'autres comme celles-là, glânées au hasard. Lisez Tesson, et faites passer.

  • Michelet en 17 volumes

    L'entreprise revient aux éditions des Equateurs : publier la monumentale Histoire de France de Jules Michelet (1798-1874), parue dès les années 1833 (la présente édition est issue de l'incontestable "édition Gabriel Monod", publiée à cette époque à l'enseigne de la Librairie Ernest Flammarion). Monumentale entreprise d'édition! Courageuse, salutaire, formidable. C'est bon, c'est merveilleux, de (re)lire -de découvrir, pour ce qui me concerne, le savoir, doublé du style de Michelet, son souffle, "son" Histoire des Français. Cela débute avec La Gaule, Les Invasions, Charlemagne, et s'achèvera (en librairie, à la fin de l'année probablement), avec Louis XV et Louis XVI. Michelet, c'est une encyclopédie, un ton, un rythme, une patte, des idées ditillées aussi!.. Un écrivain, un vrai, dans la marmite à neurones d'un historien hors-norme. Cette édition, en semi-poche, de 17 volumes (15€ l'unité, c'est cadeau),  parait à un rythme soutenu. J'en ai cinq devant moi. Un ou deux autres ont du déjà les suivre. C'est un événement. Editorial, intellectuel, national. Deux universitaires, Paule Petitier et Paul Viallaneix, en ont assuré la maîtrise et l'orchestration, l'enrichissement et l'édition générale. L'idée de génie revient à l'éditeur, Olivier Frébourg, lequel dirige ses Equateurs. Il s'agit véritablement d'un chef-d'oeuvre (à l'origine, d'un travail titanesque, mais vraisemblablement jouissif pour son auteur, lequel y consacra quarante années de sa vie). Cette Histoire de nous-mêmes, donne à redécouvrir notre pays, ses habitants, ses acteurs, depuis les Celtes et les Ibères jusqu'à la décaptitation du Roi Soleil...  Cerise sur le gâteau : cela se lit comme un (bon) roman d'aventures.

  • Honey!

    Dans la grande pente vers chez Hélène, vers la Grande Beune, le soleil parut, le ciel s'ouvrit et les arbres blonds s'élancèrent : j'avais dans la gorge, dans les oreilles, quelque chose de plaintif, de puissant comme le cri interminable mais coupé net, modulé, plein de larmes et d'invincible désir, qui fait venir de gorges nocturnes, enchaînées, curieusement libres, le mot honey, dans les blues.
    Pierre Michon

  • Ne pas savoir

    J’interromps un texte, prends l’air, reviens avec une brouette de bûches, saisis un livre que je ne connais pas (je ne suis pas chez moi), tombe sur cette parole de Salomon, placée en exergue du second chapitre du Salon du Wurtemberg, de Pascal Quignard : « Il y a quatre choses que je ne sais pas : le chemin de l’aigle dans le ciel, le sentier du serpent sur le rocher, le chemin du navire en haute mer, le sentier du nom d’un homme dans le cœur d’une femme ». La vache...

  • Pensées au-delà des nuages

    Marc-Aurèle, Pensées, Livres VII et IX (folio) : "Comprends-le bien, sois sensé; tu peux revivre. Vois à nouveau les choses comme tu les voyais; car c'est cela revivre".

    "Ne pas penser aux choses absentes comme si elles étaient déjà là; mais parmi les choses présentes, tenir compte des plus favorables et songer à quel point tu les rechercherais, si elles n'étaient pas là. Prends garde aussi de ne pas t'habituer à les estimer au point d'y prendre un tel plaisir que tu sois troublé si elles disparaissaient".

    "Fais toi une parure de la simplicité, de la conscience, de l'indifférence envers tout ce qui est entre la vertu et les vices. Aime le genre humain..."

    "Le corps lui aussi doit être ferme et ne doit pas se laisser aller ni dans son mouvement ni dans son attitude. Comme la pensée donne à la physionomie et lui conserve un aspect intelligent et distingué, il faut l'exiger aussi du corps tout entier. Il faut en cela se garder de toute négligence".

    "...Ne te suffit-il pas d'avoir agi selon ta nature propre? Demandes-tu encore un salaire? C'est comme si l'oeil demandait un don en retour parce qu'il voit, ou les pieds, parce qu'ils marchent. De même que ces organes, faits pour un but déterminé, reçoivent ce qui leur est dû dès qu'ils agissent selon leur nature propre, de même l'homme, qui par nature est bienfaisant, dès qu'il accomplit un acte de bienfaisance ou qu'il apporte autrement son aide en des choses indifférentes, agit pour la fin pour laquelle il est fait, et il a son dû".

    Philippe Jaccottet, Ce peu de bruits (Gallimard) : "D'avoir marché sous ses arbres, on aurait ses manches trempées; mais nullement de ces larmes des poètes d'Extrême-Orient qui pleurent une absence ou une trahison".

    "Un peu avant huit heures, la couleur orange, enflammée juste au-dessus de l'horizon, du ciel qui s'éclaircit et où, plus haut, luit le mince éperon de la lune. Il ne fait pas très froid.
    Cela aide le corps à se démêler du sommeil, et l'esprit à se déplier".

    "La pluie froide comme du fer".

    "A cinq heures et demie du matin, sorti dans la brume d'avant le jour, j'entends le rossignol, le ruy-señor espagnol, l'oiseau dont le chant est un ruisseau". 

    Ramuz, Aline (Le livre de poche):  "Ses yeux étaient redevenus clairs comme les lacs de la montagne quand le soleil se lève".

     

     

     

     

  • L'accent proustien de Faulkner

    ... "tandis que derrière la fenêtre de la voiture-salon le paysage défilait et leur procurait cette inoubliable excitation des premiers voyages, cet amenuisement du moi, ce sentiment d'isolement et de séparation que nous éprouvons lorsque pour la première fois, nous admettons l'évidence irréfutable de la nature sphérique de la Terre alors même que mentalement nous retombons à quatre pattes pour mieux nous cramponner, décontenancés que nous sommes par la rupture de l'armistice conclu avec l'horreur de l'espace."

    William Faulkner, "Le Caïd" (in "Idylle au désert et autres nouvelles", folio) 

  • Bolaño

    Il n'est pas fréquent de relever un papier d'un confrère au point d'avoir envie de le reproduire ici. Ainsi de l'attaque vertigineuse du papier que Philippe Lançon (Libération des Livres d'hier) consacre à ce monument de la littérature chilienne contemporaine qu'est Roberto Bolaño ("2666", qui paraît chez Bourgois, comme 9 autres livres déjà. J'ai commencé le copieux "Les détectives sauvages" : quelle force!) :
    "Si le foie est l'organe de la mélancolie, c'est parce qu'il est l'encrier d'un autre destin. L'expérience s'y dépose, l'écrivain fait sa joie : c'est le pays où les vies ont une seconde chance, celle de l'imagination". Superbe, non?

  • 10+10, première salve

    Voici vos premières réponses, auxquelles j’ai ajouté deux ou trois alternatives. On continue !


    Süskind : Le Parfum,
    Zweig : La Confusion des sentiments, et Amok,
    Sartre : La Nausée,
    Fitzgerald : Gatsby le magnifique, et :Tendre est la nuit,

    Kawabata : Les Belles endormies,
    Faulkner : Sanctuaire,
    Echenoz : Les grandes blondes, et : Je m’en vais,
    Cohen : Belle du seigneur, et : Solal,
    Gary : La vie devant soi, et : Les cerfs-volants,
    Vialatte : Les fruits du Congo,
    Brautigan : Mémoires sauvées du vent,
    Barrico : Novecento,
    Duras : L’après-midi de M.Andesmas,
    Tabucchi  : Tristano meurt,
    St-Exupéry : Le Petit-Prince,
    Hesse : Siddharta,
    Fante : Mon chien Stupide, et : Rêves de Bunker Hill,
    Gide : Les faux-monnayeurs,
    Cendrars : La main coupée,
    Modiano : Villa triste,
    Giono : Un roi sans divertissement,
    Camus : L’étranger,
    McLiam Wilson : Euréka est mort,
    de Luca : Montedidio,
    Capote : Petit-déjeuner chez Tiffany,
    Kadaré : Le général de l’armée morte,
    Blondin : Un singe ne hiver,
    Rouaud : Les champs d’honneur,
    Millet : La gloire des Pythre,
    Le Clézio : Le chercheur d’or, et : Désert,
    Kessel : La règle de l’homme, et : Les cavaliers,
    Cook : Le soleil qui s’éteint,
    Caldwell : La route au tabac,
    Greene : La puissance et la gloire,
    Le Carré : La constance du jardinier…

  • 10+10

    Cher amis bloggers,

    Vous êtes entre 100 et 800 (certains jours) à passer ici. Peu écrivent, je le regrette (âge 1 du blog...). 

    Avez-vous pensé, s'agissant des romans qui auront marqué le XXème siècle (et les suivants), à :

    Gracq, Le Rivage des Syrtes
    Simon, La Route des Flandres
    Proust!, Du côté de chez Swann
    Faulkner, Tandis que j'agonise
    Hemingway, lequel?.. (la plupart)
    Céline!, Voyage au bout de la nuit
    Harrison, Dalva

    Eliade, Noces au Paradis

    Et tant d'autres...

    En plus de :

    Gabo (Cent ans de solitude), Joyce (Ulysse), Kafka (Le Procès), Kipling, Musil (L'homme sans qualités), "le" Lowry (Sous le volcan), Hesse (Le Loup des steppes), un Vargas Llosa, un Fuentes, un Delibes, un Cohen, un Conrad!, un Sepulveda, un Hamsun (Pan), un Lampedusa (Le Guépard), un Pavese...
    Après, c'est selon notre carte du Tendre, notre géographie littéraire sentimentale : un Michon bien sûr, un Himes (La Reine des pommes), un T.E.Lawrence (Les Sept piliers de la sagesse), un Durrell (Le Quatuor d'Alexandrie), un Torga (Senhor Ventura), un McGuane, un Mauriac, un Morand, un Blondin, un Nimier, pas un Drieu, un Aragon (Aurélien), un Camus (pas forcément L'Etranger), un Malraux, un Nabokov (plutôt Ada que Lolita), un Ramuz, un Yourcenar (Mémoires d'Hadrien ou Alexis, ou Le coup de grâce), un Simenon (au choix)...

    Bref, je vous relance sur cette question quizz, posée il y a quelques jours, pour que vous ne vous cantonniez pas à vos lectures ultra contemporaines récentes. (Bien sûr Echenoz, Fante, Duras...). Mais élargissons. Le siècle commence en 1900 et s'achève en 1999. A vous lire. Tous, ou presque.

    10+10, je le sais, c'est drastique, contraignant, cornélien; chiant. Choisir l'est toujours. Si c'était facile, comme tout dans la vie, ce ne serait pas drôle. Alors...

     

  • Les 10+10 romans


    Bon, à la lecture de vos premiers "post", je vois que ça se complique. Il y a trop de monde à élire, trop de bonne littérature au fond. Il faut en rajouter : je propose que vous dressiez deux listes : les 10 romans français, et les 10 romans étrangers qui, selon vous, ont le plus marqué le XX ème siècle. A vous de jouer. Merci!

  • Reading on

    Lectures du moment. (Je m’aperçois que je picore toujours autant et que j’ai réellement besoin de commencer plusieurs livres à la fois ; d’en avoir une pile près du lit et une autre sur le bureau…). Tout d’abord les bouquins hebdomadaires du « Monde de la philosophie » (Platon, déjà évoqué, Aristote, Descartes et maintenant Voltaire!). La « bibliothèque de l'honnête homme » deviendra celle de mon fils lorsqu’il fera de la philo en Terminale. En attendant, je me sers une rasade vivifiante en diable d’ « Ethique à Nicomaque » (n'est-ce pas que c'est vivifiant, TiBo?) et je musarde dans Voltaire et Descartes, que j’avoue avoir toujours négligés, au prétexte imbécile qu’ils me paraissaient plus ringards que la plupart des philosophes. Tir en cours de correction, mon Capitaine !
    Lectures à rapprocher d’un petit bijou d’anthologie, qui paraît chez Arléa : « La Sagesse des Anciens » (auteurs grecs et latins) et qu’il faut avoir dans la poche arrière du jean’s avant de sortir.
    À côté, je lis la confession émouvante de Macha Méril, sur une fausse-couche subie jeune qui la rendit stérile. Cela s’appelle « Un jour, je suis morte » (Albin Michel). Je ne serais jamais tombé sur ce livre si je n’avais pas eu à interviewer son auteur longuement il y a une semaine (à propos de sa maison dans le Gers, pour le prochain n° de « Maisons Sud-Ouest »). Déjà rencontrée (nous étions tous les deux invités à l’émission « L’Académie des Grandes Gueules » sur Sud-Radio, elle pour sa « Biographie d’un sexe ordinaire »(Albin Michel), moi pour « Les Bonheurs de l’aube » (La Table ronde). Ce jour-là, mes préjugés à la con (pléonasme) sur les-comédiens-qui-se-piquent-d’écrire sont tombés… Cette femme  tient un discours profond sur le mal qui peut ronger un être, sur l’essentiel, l’amitié vraie, les paysages du Gers, la littérature. Et son dernier livre est bien écrit, de surcroît. C’est sec, direct, nerveux, laconique et fort comme une capsule de ristretto. A noter aussi, son « Sur les pas de Colette » (Presses de la Renaissance) qui comprend de jolies aquarelles.
    « La Route » de Cormac McCarthy (L’Olivier) est bien hard. Ce caddy-movie dans un paysage d’Apocalypse, d’après la fin du monde, avec un môme placé sous la haute protection de son père, est émouvant. Il tranche avec les précédents opus qui flinguaient les mômes à tout va. Mais je ne m’explique pas le style (ou la traduction) de « La Route » : c’est truffé de phrases courtes sans verbe et je me dis qu’un manuscrit comme celui-ci aurait été accepté par tout éditeur, pour son histoire, mais aurait dû être réécrit. En tout cas, cette Route est moins violente que le film des frères Coen (« No country for old man ») adapté d’un précédent roman bien glauque du même seigneur de Rhode Island (« Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme »). À propos, je ne retrouve plus « De si jolis chevaux ». C’est toi qui l’a, Marine?..
    « Marilyn dernière séance », de Michel Schneider, reparaît en folio. C’est touchant, parce qu’elle est touchante et son analyste, qui « se la rêve » est drôle. Leur complicité  déborde largement du cadre strict, à respecter, de toute analyse, mais le lecteur d’en fiche. Et puis Schneider étant lui même psy, il sait ce qu’il a -très bien- (d)écrit.
    « Le Baron perché » du grand Italo Calvino (Points/roman), repris (quelques pages chaque matin) pour le plaisir un peu enfantin de se laisser porter par un conte fantastique : du bonheur simple.
    « Eloge de l’énergie vagabonde », de Sylvain Tesson (les Equateurs), qui est notre Bruce Chatwin.  Ou un fils de Nicolas Bouvier, comme on veut. Il nous relate sa longue marche de l’Aral à la Méditerranée, par la Caspienne et le Caucase. J’ai un faible pour son chapitre sur les steppes kazakhes, sans doute parce que j’ai donné récemment un long texte sur le même sujet au « Journal des Lointains », que Marc Trillard dirige (ou plutôt dirigeait) chez Buchet-Chastel : il m’a appris tout récemment que sa belle revue-livre littéraire et vagabonde, disparaissait avec le dernier numéro, faute de moyens… (En revanche, « Choc » et « Entrevue » vont bien, merci).
    Mon pote Denis Tillinac publie un savoureux « Dictionnaire amoureux de la France » (Plon) qui fait semble-t-il un carton, où il est question de Montfort-en-Chalosse, de La Tupiña, le resto bordelais de mon autre pote Xira, de mousquetaires, de rugby, d’amitié, de sa Corrèze qu’il me fit connaître en 1984, et de bien d’autres lieux-dits d’une géographie sentimentale dont beaucoup de Tendres ont la Carte.
    Le chef-d’œuvre de Malcolm Lowry, « Sous le volcan », dans la traduction de Jacques Darras, reparaît en semi-poche (Les Cahiers Rouges/Grasset) et c’est salutaire. Relire ce monument alcoolisé, total, apocalyptique lui aussi, c’est reprendre confiance dans les piliers de la sagesse littéraire du XX ème siècle. Il faudrait… Tiens ! C’est la question du jour, friends bloggers (c’est usé, comme idée, mais ça fait toujours du bien, comme de refaire le questionnaire de Proust) : quels sont, selon vous, les 10 plus importants romans (pas livres, romans) du XX ème siècle. C’est parti !
    Donc, Lowry. Et ces quelques shorts, « Le Caïd et autres nouvelles » de l’immense Faulkner (folio 2€) extraites d’ « Idylle au désert ». Je suppose que Benoît a un avis sur la question. J’aime beaucoup celle intitulée « Neige ».
    Il y a cette curiosité, « Le Dîwân de Bagdad », qui paraît chez Sindbad/Actes Sud. Il s’agit d’une anthologie du Siècle d’or de la poésie arabe (fin du VIII ème – moitié du X ème). C’est splendide comme un conte des Mille et une nuits, sensuel et mielleux mais sans être mièvre, guerrier à l’occasion, toujours dense et fort comme un coup de cimeterre sous la lune (calembour à la Jeantet).
    À rapprocher de l’étude (elle en pond régulièrement sur le sujet) d’Henriette Walter (et Bassam Baraké), « Arabesques » : l’aventure de la langue arabe en Occident (Points/Le goût des mots). C’est de la linguistique soft et passionnante pour découvrir les centaines de mots arabes d’origine française et les centaines de mots français venus de l’arabe. Orient-Occident se sont au moins ainsi fiancés, depuis 1000 ans. Le résultat est toujours un enrichissement considérable des langues et l’apparition, peu à peu, d’une troisième langue issue des deux premières, génitrices. J’avais souligné cette sorte d’enfantement dans mon livre « Le Parler pied-noir » (Rivages). Et allez ! Un pet de promo !..
    En bref, pour finir, « Le démon de la théorie », d’Antoine Compagnon (points/essais) est un essai sur la littérature et le sens commun. Complexe, mais passionnant, à petites doses : bon... la théorie a ébranlé le sens commun, mais le sens commun a résisté à la théorie (l'Université et ses chirurgiens de la chose littéraire ont décortiqué, disséqué le corps du roman, notamment, à l'envi, mais la littérature, comme l'aluminium, résiste!). Il faut paraît-il assister à son séminaire du mardi au Collège de France, pour son discours sur Proust. A ver, a ver…
    Un petit Balzac pour la route ? Alors prenez ces « Histoires en rouge et noir » (titre de son éditeur-compilateur en poche, Pocket) qui reprend les fameuses nouvelles comme « El Verdugo », « Une passion dans le désert » et son inoubliable panthère, « Le Gilet rouge » (pas le pull-over !), « Le Grand d’Espagne », etc.  ATCHAO et à toute pour les 10 romans qui ont marqué le XX ème!



  • La Désoeuvre

    b39ab3736d5267bdbcda23be198741b0.jpgKarine Henry (avec son complice Xavier Mony) fut ma libraire lorsque je vivais encore dans le Marais, à Paris. Leur librairie, « Comme un roman », rue de Saintonge, où je lus un soir, sur leur invitation, plusieurs de mes nouvelles des « Bonheurs de l’aube », avait des dimensions raisonnables. Elle était ma querencia du quartier, mon refuge presque quotidien. Elle est devenue un formidable espace de 300 m2 sur deux niveaux, rue de Bretagne, à quelques mètres, près de l’entrée du Marché des Enfants Rouges. Ce soir, Karine et Xavier fêtaient leur installation là, juste avant Noël, ainsi que la parution du premier roman de Karine, « La Désoeuvre » (Actes Sud). J’en reviens (je déteste les cocktails. Au bout d’un quart d’heure, je m’y sens aussi à l’aise qu’un poisson rouge tombé dans la gamelle d’un chat angora, je transpire, je cherche la sortie, je file à l’Anglaise…). Je tenais à aller embrasser Karine, qui m’avait adressé son livre. Je savais, nous savions tous que Karine était habitée par les mots, fascinée par les livres et nourrie de littérature exclusivement. J’ignorais, nous ignorions presque tous qu’elle écrivait. Chaque matin. Tôt. Qu’un fucking bug avait fait disparaître son roman de son pc. Qu’elle le réécrivît cinq ans durant. Il est épais, touffu, c’est une forêt. Avec songes, sortilèges, peurs, traumas, folie dévastatrice et immense douceur aussi. J’y entre à peine, par conséquent je n’en parlerai pas encore. Cependant, dès les premières lignes, je suis pris comme le thon dans le filet. J’y reviendrai, lorsque je serai sorti de cette forêt de 500 pages. (Bravo Karine…).

    Premiers mots : « Un bruit. Un bruit sec d’os qui se brise. Je me redresse. Le feu. C’est le feu qui éclate, claque devant mes jambes rougeoyantes. Ma jupe est brûlante, je dois l’écarter de mes cuisses avant de ramener mes pieds nus sous mon corps abandonné au fauteuil et à la chaleur de la cheminée qui l’enveloppe, alanguit sa chair. La nuque ploie, et de là, de cet angle cassé, j’aperçois à mes pieds la bouteille de sancerre vide à la moitié… »

    En deux mots : "Marie hérite de la maison de sa soeur Barbara à Artel. Les carnets de cette dernière offrent à la cadette l'occasion de revenir sur les traces de son enfance minée par la mort tragique de ses parents et la folie de sa soeur."  

    Lien avec la librairie et un résumé du livre de Karine : http://www.comme-un-roman.com/auteur/karine-henry/la-desoeuvre.html

    Lien pour écouter/voir Karine parler de son roman : http://marais.evous.fr/Karine-Henry,2882.html


  • "La littérature, pour quoi faire?"

    C'est le thème de la Leçon inaugurale du Collège de France qu'Antoine Compagnon a prononcée en prenant sa Chaire de Littérature française moderne et contemporaine (Fayard).123e6f1bf6524f64bc03a49f5b505cdc.jpeg
    Pudiquement retranché derrière des phrases phares d'auteurs, il exprime notamment ceci :

    "La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature". Proust, Le Temps retrouvé. La réalisation de soi, jugeait Proust, a lieu non pas dans la vie mondaine, mais par la littérature, non seulement pour l'écrivain qui s'y voue en entier, mais aussi pour le lecteur qu'elle émeut le temps qu'il s'y adonne (ajoute Compagnon).
    Francis Bacon a tout dit : "La lecture rend un homme complet, la conversation rend un homme alerte, et l'écriture rend un homme précis" (...) Suivant Bacon, proche de Montaigne, la lecture nous évite de devoir recourir à la sournoiserie, l'hypocrisie et la fourberie; elle nous rend donc sincères et véritables, ou tout simplement meilleurs.

    Bergson (a une comparaison sur les poètes et les romanciers qui peut rappeler Proust, précise Compagnon) : "Au fur et à mesure qu'ils nous parlent, des nuances d'émotion et de pensée nous apparaissent qui pouvaient être représentées en nous depuis longtemps, mais qui demeuraient invisibles : telle l'image photographique qui n'a pas encore été plongée dans le bain où elle se révèlera". 

    Tout Proust est là : "Chaque jour j'attache moins de prix à l'intelligence, énonçait-il au départ de la Recherche. Chaque jour je me rends mieux compte que ce n'est qu'en dehors d'elle que l'écrivain peut ressaisir quelque chose de nos impression passées, c'est-à-dire à atteindre quelque chose de lui-même et la seule matière de l'art".

     

     

  • Brautigan, en mémoire de Christian Bourgois

    Nous le savions si malade. Christian Bourgois apparaissait encore, rarement, terriblement amaigri, mais vêtu d'une impeccable dignité. Sans faux-pli. Hasard ou pas, hier matin, j'ai acheté la presse et, dans la foulée, "Mémoires sauvées du vent", de Richard Brautigan (10/18), un grand auteur parmi tant d'autres, offerts au lecteur français par Christian Bourgois*. Ce n'est qu'après avoir découvert l'extraordinaire première page de ce livre que j'ai appris la disparition de Bourgois, en lisant dans Libé et dans Le  Monde, les deux beaux papiers qui étaient consacrés à l'un des derniers grands éditeurs français. Je me suis souvenu du jour où il m'avait amicalement offert les "Aventures d'un gourmand vagabond" de Big Jim (Harrison). Nous avions déjeuné et parlé abondamment de gastronomie et de littérature. Il avait été l'éditeur du tout premier Guide GaultMillau, paru chez Julliard à l'époque (lors de ce déjeuner, en 2002 ou 3, je pilotais alors la machine GM). Ce grand découvreur, ce "passeur" comme le souligne Libé, aura tant fait pour notre bonheur. Donc, Brautigan, qu'il publia et rencontra peu avant son suicide. Je suis émerveillé par le début de ces "mémoires" si célèbres et que je suis si heureux de découvrir aujourd'hui seulement. Voici donc leur première page:

    "J'ignorais, cet après-midi-là, que la terre attendît de se changer à nouveau en tombe quelques brèves journées plus tard. Dommage que je n'aie pu arrêter la balle dans sa course et la remettre dans le canon de la 22 long rifle pour qu'elle reparcoure en sens inverse la spirale, réintègre le chargeur et se resolidarise avec la douille, se conduise enfin comme si on ne l'avait jamais tirée ni même chargée dans la carabine.
    Je voudrais bien que cette balle rejoigne dans sa boîte ses quarante-neuf autres frères et soeurs de balles, que la boîte soit de nouveau en sécurité sur l'étagère de l'armurerie, et m'être contenter de passer devant la boutique en cet après-midi pluvieux de février sans jamais y pénétrer.
    Je voudrais bien avoir eu envie d'un hamburger au lieu de balles. Il y avait un restaurant tout à côté de l'armurerie. On y faisait de très bons hamburgers, mais je n'avais pas faim."

    ---

    *merci à Benoît Jeantet de m'avoir donné envie de lire ce livre, culte pour lui, je crois. 

  • Le nouveau Coatalem

    Le nouveau Coatalem* est une ode à l’amour imprévu, intense, physique et sans lendemain possible. JLC ne nous avait pas prévenu. Sa Thilde, ma Thilde, tilde, ~, une nouvelle de La Môle (qu’en savons-nous !) est là. Face à lui, le menteur inscrit au sein nourricier et maritime d’une carte postale pliée et écornée de Montevideo. Il lui fait l’amour. Où l’on apprend que Coatalem a des taches de rousseur comme des étoiles noires sur le torse, lui que nous identifions déjà comme un mélange -physique aussi, de Vialatte et de Morand (selon l’ami Frébourg dans son magnifique Homme à la mer, Folio)… Coatalem donc. Son nouveau et bref roman du Parana, exhale le parcours d’abord difficile, puis facile, dans la jungle des mots et des sentiments, d’un explorateur de l’âme et des cœurs. Reporter missionné, baroudeur ravalé au rang servile d’amoureux appointé ou apponté, lâche circonflexe à l’occasion, nomade échoué –jusqu’aux seins de Mathilde, jusqu’à ses bois flottés, son estuaire, sa dulce de leche et j’en passe… L’Inca, le tigre, Mathieu, vit comme on descend un fleuve rebelle (façon Yang-tsé-kiang par Blondin dans Un singe en hiver). Celui que l’on remonte, précisément. En conjurant ses humeurs à coups de rame et d’audace. De regards et de mots détournés. La prose est opulente et sèche à la fois, lisse et riche, foisonnante et pudique. Mais pourquoi les touffes d’herbe rayent ici le ciel, et les mots mensongers le visage d’une icône en devenir ? La diva de ce Mathieu-là est solitaire dans la houle, craquante comme des nouilles chinoises… Installé confortablement, calé avec le bagage invisible de sa lâcheté, le narrateur devise sur la sincérité de la nuisette de sa Thilde, depuis sa tanière parisienne retrouvée. Ou bien depuis une chambre d’hôtel à la Cossery, mendiante mais orgueilleuse, où le faux ermite apprendra à ses dépens la puissance de l’amour, qui est de mettre à nu des personnages comme ceux-là : des qui-n’attendent-que-cela. Coatalem signe là un roman audacieux. Il dit le sexe, il dit le sentiment amoureux, il dit elle... Et bien sûr il ne tient pas l’aussière ou le Cap. Il lâche prise, il reprend sa liberté. Littéraire et structurante. Ce écrivain de haute trempe nous semble décidément fait pour des sujets plus vastes que les amourettes de voyage. Il est taillé pour des virées australes, des portraits de légende (voir son Gauguin : Je suis dans les mers du Sud), des textes d’une portée segalienne et conradienne. Reste que cette histoire d’amour entre Thilde et ce tigre-ci est sacrément  capable de nous clouer tous. LM
     
    *Jean-Luc Coatalem, Il faut se quitter déjà, Grasset.


  • Nouvel avis de recherche

    6b8ac5cb36345fc79c58ba95f8bd2839.jpgLes Procidiens d'Oran    

    Essai de Jean-Pierre Badia

    (éditeur inconnu)

    L'histoire de l'immigration des habitants de Procida vers Oran et Mers-el-Kébir, au travers d'anecdotes et de faits historiques.

    Cet ouvrage, paru en 1956, n'est plus disponible.

    Si vous en (s)avez un quelque part, je prends! LM

  • Citati sur Tomasi

    Note du grand écrivain, critique, biographe Pietro Citati sur l’auteur du Guépard, trouvée sur le site formidable de www.litalieaparis.net

    Giuseppe Tomasi di Lampedusa

    Giuseppe Tomasi, duc de Palma de Montechiaro, prince de Lampedusa, est un écrivain sicilien né le 23 décembre 1896 à Palerme en Sicile et mort le 23 juillet 1957 à Rome. Il est le fils de Giulio Maria Tomasi et de Beatrice Mastrogiovanni Tasca di Cutò.

    Enfant, Giuseppe Tomasi di Lampedusa vécut dans une sorte de Paradis terrestre : personne ne refusait rien au roi de la maison ; et, pendant toute sa vie, il chercha involontairement et de toutes ses forces à régresser vers cet état bienheureux où n'existaient ni le travail ni la responsabilité adulte. Il a vite été un enfant solitaire et taciturne, qui vivait plus volontiers parmi les choses qu'avec les êtres humains, et se perdait dans les salles des immenses demeures familiales. Cette expérience de la solitude - tantôt angoissée, tantôt heureuse - ne le quitta jamais. Mais sa solitude ne fut pas entière : car sur tous les êtres, toutes les choses planait l'ombre de sa mère, qui l'empêcha de grandir, de mener sa propre vie, et le traita jusqu'à sa mort comme un petit garçon - ou plutôt une petite fille très aimée.

    Puis vinrent les années des voyages et des grandes lectures. Il se rendit en France, en Angleterre, en Allemagne et dans les pays baltes. Il avait un cousin, Lucio Piccolo, excellent poète, auteur des Chants baroques : entre 1925 et 1930, Lampedusa écrivit, de Paris et de Londres, de nombreuses lettres à Piccolo et à ses frères, aujourd'hui publiées au Seuil. Lucio Piccolo racontait que, dès qu'il quittait l'Italie, Lampedusa semblait un autre. Il n'était plus le prince sicilien fin de race, gras, timide, fils trop aimé de sa mère, mais un jeune homme vif, qui attrapait au vol les autobus de Londres, son pardessus flottant autour de lui.

    Il aimait en Angleterre la discrétion, l'excentricité, le commerce avec les esprits de l'air, la folie - et en France, la richesse des sensations, la lucidité, le suprême courage intellectuel. Il commença à lire passionnément des livres d'histoire et de littérature, anglaise et française surtout ; et sa Littérature anglaise, ses essais de littérature française, révèlent dans quels labyrinthes, souvent inconnus des spécialistes, il s'aventura, et quelle multitude de textes, y compris mineurs et minimes, il avait en mémoire. Il lisait par plaisir, par curiosité et divertissement ; avec une grande candeur, cherchant dans les livres cette richesse d'expériences et d'aventures que la vie ne lui avait pas donnée.

    Si nous feuilletons les lettres de ces années-là, nous avons l'impression que Giuseppe Tomasi de Lampedusa n'existait pas : peut-être était-il lui aussi l'un de ces spectres mélancoliques que ses Anglais aimaient tant. La vie, pour lui, était un vide ; ou, comme il le disait, citant Shakespeare, "une histoire contée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et dénuée de sens" ; et lui, plongé dans ce bruit et cette fureur, n'avait pas la force de vivre.

    Il rencontra Alexandra Wolff Stomersee : nous conservons quelques lettres qu'il lui adressa au printemps 1932 ; il n'y a jamais une seule ligne, dans ces lettres, qui suscite l'écho d'un sentiment. Les termes n'en sont qu'une pâle imitation des termes que Tomasi imaginait que l'on devait trouver dans une correspondance amoureuse. Au cours de l'été de la même année, il épousa Alexandra : peut-être craignait-il sa femme comme il avait craint, et craignait toujours, sa mère.

    Quand cette même mère imposa aux deux jeunes gens de vivre avec elle, Lampedusa laissa sa femme retourner dans le magnifique château balte de Stomersee, où elle s'occupait de psychanalyse, et demeura dans le moelleux giron palermitain. Ainsi, treize années durant, son mariage fut fait de très longues absences et de visites l'été à Stomersee, pour Noël à Rome et à Palerme. Après quelques années, il affirma que son amour "augmentait avec la distance et s'affirmait avec l'absence". Il aurait pu construire de sa plume un amour fait d'absence et d'imagination amoureuse, comme celui qui, vingt ans auparavant, avait uni et séparé Kafka et Félice.

    Mais ses lettres parlent uniquement de chiens, de repas, de locataires, de la chaleur et du froid. Rien, jamais, n'est rêverie ou obsession amoureuse - même si ce singulier mariage donna naissance avec le temps, sinon à un amour, du moins à une profonde complicité psychologique entre lui et sa femme.

    Il commença à vivre en tant que personne quand il vendit la maison de Santa Margherita Belice et que, en avril 1943, les bombardements détruisirent le Palazzo Lampedusa à Palerme : les deux demeures de son coeur et de son imagination. La blessure fut terrible : après la destruction, il ne parla pas pendant trois jours ; mais ce désastre libéra en lui les sentiments qui étaient restés objectivés dans les choses.

    Dès lors, il commença à exister dans les souvenirs. Comme il aimait son enfance, où il n'avait pas encore été chassé du Paradis : les voix, les bruits, les ombres, les lumières, tantôt filtrées par les rideaux de soie, tantôt exaltées par les dorures, ou peuplées de myriades de grains de poussière ! Il n'avait pas pu prolonger l'enfance autour de lui : il n'avait pas pu continuer à dormir dans la chambre où il était né ; et si la lumière du souvenir l'agressait, il était bouleversé par sa violente beauté.

    Il parcourait par l'imagination l'immense demeure de Santa Margherita Belice, avec ses trois cents pièces, ses trois cours, ses quatre terrasses, son jardin, ses escaliers grandioses, son théâtre et son église, ses vestibules et ses couloirs : il les avait traversés, enfant, comme une forêt enchantée ; et il en revisitait maintenant les lieux et les objets. Il n'avait pas besoin de les envelopper de sentiment : il suffisait de les nommer ; car l'âme demeurait tapie dans tous les objets conservés par sa mémoire.

    Grâce aux souvenirs de Francesco Orlando et de Gioacchino Lanza, nous disposons d'un portrait vivant du vieux Lampedusa. Il n'était d'ailleurs pas si vieux. Quand ces amis le connurent, il avait 56 ans ; mais il était précocement rongé et appesanti par la vie qu'il n'avait pas vécue. Il habitait désormais au 28, via Butera, parmi les sédiments et les reliques du passé ; avec sa femme, enfin.

    Il sortait de chez lui tôt le matin, comme s'il voulait se libérer de toute claustration. Gros, gras, pâle, pareil à un général au repos ou à un énorme félin, il traversait le centre de Palerme, avec un sac chargé de livres. Il emportait toujours avec lui un volume de Shakespeare et des Papiers posthumes du Pickwick Club. Il dépensait dans les livres beaucoup de ses maigres ressources, et mentait à sa femme en prétendant avoir acheté ces ouvrages d'occasion. Il cultivait la discrétion, l'ironie et les bonnes manières. Il était heureux quand sa femme lui disait : "Je t'aime comme Stomersee."

    Si nous devions le décrire, nous pourrions évoquer l'une de ses pages sur Montaigne et Shakespeare : "Nous trouvons chez tous deux la même a-religiosité mêlée à la même émotion devant les sensations religieuses des autres, la même compassion universelle non dépourvue d'une légère teinte de mépris, le même acharnement à démonter le mécanisme de la psyché humaine, le même scepticisme serein, qui accueille toutes les opinions avec un "si" ironiquement condescendant."

    Par moments, on eût dit un moraliste français du Grand Siècle ; ou un romantique désenchanté ; ou un adorateur des passions frénétiques et révolutionnaires ; ou un grand historien dilettante. Très vite, ses jeunes amis comprirent que, derrière son visage souriant, le vieux prince cachait des angoisses intenses. En 1957, il écrivit dans son journal : "A la maison dans la soirée, nette sensation d'être à bout de forces. Cela passera cette fois encore peut-être. Mais un jour ou l'autre, cela ne passera plus."

    Courtisait-il la mort, comme le dit Tancrède à Fabrizio Salina dans Le Guépard ? Ou la mort était-elle pour lui une expérience qui lui avait "percé la moelle des os" : un deuil qui grandissait chaque jour dans son corps, et qu'il ne parvenait pas à tenir à distance ?

    Pietro Citati
    (Traduit de l'italien par Brigitte Pérol)

  • Il Gattopardo


    « Nunc et in hora mortis nostrae. Amen. »
    La récitation quotidienne du Rosaire était finie. Pendant une demi-heure la voix paisible du Prince avait rappelé les Mystères Douloureux ; pendant une demi-heure d’autres voix, entremêlées, avaient tissé un bruissement ondoyant d’où s’étaient détachées les fleurs d’or de mots inaccoutumés : amour, virginité, mort ; et pendant que durait ce bruissement le salon rococo semblait avoir changé d’aspect ; même les perroquets qui déployaient leurs ailes irisées sur la soie de la tenture avaient paru intimidés ; même la Marie Madeleine, entre les deux fenêtres, ressemblait davantage à une pénitente qu’à une belle grande blonde, perdue dans on ne sait quels rêves, comme on la voyait toujours.

    « Nunc et in hora mortis nostrae. Amen » Le rosaire quotidien s’achevait. Pendant une demi-heure, la voix paisible du Prince avait rappelé les Mystères glorieux et douloureux, pendant une demi-heure, d’autres voix mêlées avaient tissé un bruissement ondoyant où s’épanouissaient les fleurs d’or de mots insolites : amour, virginité, mort. Le salon rococo semblait avoir changé d’aspect ; les perroquets eux-mêmes, qui déployaient leurs ailes irisées sur la soie des tentures, paraissaient intimidés ; quant à Madeleine, entre les deux fenêtres, elle prenait des airs de pénitente ; ce n’était plus la belle blonde opulente qu’on voyait d’habitude, perdue dans Dieu sait quelles rêveries.

     

    Voici le début du Guépard, de Giuseppe Tomasi di Lampedusa. Deux traductions. Je ne les ai pas signées ci-dessus, volontairement. Afin de jouer un peu. Il y a celle en vigueur depuis 1959 de Fanette Pézard et celle de mai 2007 de Jean-Paul Manganaro, qui a donc chassé la première. Les deux au Seuil. Je vous mets au défi de les identifier et de m'écrire, surtout, ce qu'apporte réellement la nouvelle. En n'importe quel point, d'ailleurs. Il n'y a pas que la "modernité", il y a la langue, l'esprit, la littérature, le ressenti, tout quoi.

    Car lorsqu'il s'agit de la nouvelle traduction de La Ferme africaine de Karen Blixen (Gallimard, déjà en folio), de celle de tout Conrad (*) par Odette Lamolle chez Autrement, je m'incline. Lorsque Jacques Tournier "donne" un nouveau Fitzgerald essentiel (Gatsby, Tender...) à Belfond, je m'interroge sur le ramdam autour d'une trad. qualifiée de révolutionnaire. Idem pour Dostoïevsky chez Actes Sud. Quant à celle de Juan Rulfo (Pedro Paramo, le Llano en flammes) chez Gallimard, désolé, mais je préfère le Llano paru chez Maurice Nadeau, plus opulent, plus sud-américain. (Je n'ai lu aucun Ulysse, de Joyce, ni l'ancien, ni le nouveau -présenté lui aussi comme un "nouveau" texte...).

    Traduire est un acte capital. Et je ne parle même pas de ceux qui disent que tel livre est très bien traduit. La plupart du temps, ces snobs n'ont pas jeté un oeil sur le texte original. Mais force est de constater, en revanche, que tout l'oeuvre de Miguel Torga, traduite par Claire Cayron et elle seule (chez José Corti surtout), est un ravissement... dû à Torga avant tout. Mais pourquoi alors parler de sa traductrice?.. Je m'interroge. Et je ne parle malheureusement pas un mot de Portugais.

    Voilà. A vos claviers. J'attends votre avis sur la nécessité de retraduire Le Guépard (à partir de ces premières lignes seulement, je m'en excuse, mais je ne me sentais pas de saisir davantage de texte ce matin. Et ne trichez pas, c'est pas jeu!) ou tel autre grand roman, si l'on n'est pas éditeur en mal de communication.

    ---

    (*) Un mot sur le petit livre délicieux et précieux de Jospeh Conrad qui paraît aux EquateursDu goût des voyages, suivi de Carnets du Congo. Traduits et commentés par Claudine Lesage, ces courts textes nous éclairent sur le maître-livre de Conrad, pour la plupart d'entre nous : Au coeur des ténèbres. 

  • Il regardait la mer

    Qui se souvient de Il regardait la mer, de Bernard Clesca, paru chez Régine Deforges en 1986 ? Un bijou de 80 pages (remarquez une chose : lorsque la littérature devient capitale, elle excède rarement les 80 pages. C’est un Cap). J’en écrivais ce qui suit dans Sud-Ouest Dimanche, le 25 mai 86 (papier retrouvé plié en marque-page du Clesca, avec la copie d’une pub parue dans Le Monde, qui reprenait un extrait de mon papier, façon « Un écrivain est né!», Adrien Machprot, EscarteFigue-Mag.)...

    Titre : Comme un détail sur une porcelaine.
    Chapô : Cinq (*) petits livres intimes où le parti pris du détail sur la fresque.
    Bernard Clesca vous cloue de plaisir avec « Il regardait la mer ». Son troisième livre. Un texte pur et sensible comme une antenne d’escargot. Clesca écrit au creux de la vague, avec des mots forts qui restent, comme le sel signe sa trace sur une épaule… Un frère meurt, la neige s’accorde à l’absence. Reste la mer. Une île. Le regard. L’aube, seule capable d’apaiser le cœur. Et l’indifférence à tout ce qui n’est pas beauté furtive : « Avide de silence, comme on l’est d’eau légère au long d’un lent périple, il a tenté de renaître au monde en des noces singulières. Hors la mer, les nuages et la splendeur de l’aube, tout lui est devenu étranger. ». En lisant « Il regardait la mer », on est tenté de tout souligner et, le relisant, de tout dire, mais à voix basse. Ce livre mince est précieux. Comme une blessure, on a du mal à le refermer. L.M.
    (*) Les quatre autres que je traitais dans le même papier, étaient Faux journal, de Jude Stéfan (Le temps qu'il fait), Le sentiment de la langue, de Richard Millet (Champ vallon), Désobéir, de Martin Melkonian (Seuil), et Les écailles d'argile, d'Allain Glykos (Phalène). 
     
    De Richard Millet, déjà rassemblé dans cette note impressionnante, le touch of : Les infimes frissonnements du visage et du corps par quoi l'on devine qu'une femme est sur le point de nous céder : ainsi les modifications crépusculaires d'un paysage, en automne.