Si peu de bruit
Tandis que les jurys livrent leur listes ressérées de candidats aux grands prix littéraires d'automne, et bien que je ne puisse m'empêcher de faire mes propres pronos, comme chacun, j'ai plaisir à lire des livres dont on parle peu, qui ne font de bruit que celui des pages que l'on tourne et qui possèdent pourtant des qualités immenses et insoupçonnées du grand public; ce que je regrette. Et la fureur ne s'est pas encore tue, d'Aharon Appelfeld, par exemple (à l'Olivier), nouveau livre du grand humaniste hanté par les camps, n'est pas un larmoiement à la Elie Wiesel, mais plutôt un hymne à la fraternité, un éloge de la dignité humaine, qui rapproche Appelfeld de Primo Lévi. L'horreur innommable nous est ici décrite calmement, sans haine, car toujours percent le courage et l'espoir à la surface de l'Enfer. C'est d'un grand message d'humanité et d'humilité qu'il s'agit, avec, au bout d'une interminable errance dans la neige et la forêt -avec la peur du nazi, la faim, le froid, les loups, après une évasion d'un camp, le cadre d'un chateau dans la ville de Naples pour havre, ouvert aux survivants, avant le chemin du Retour, si existent encore pour chacun, et ce chemin et des Lieux. Le bonheur de lecture ne vient pas à l'improviste, avec les livres d'Appelfeld, mais il surgit doucement à la faveur d'une sorte de petit miracle : je pense à l'allégorie de la musique de Bach ou Brahms jouée par un trio, et à la lecture du Livre, qui parviennent à transfigurer les visages des réfugiés. Ainsi reviennent-ils à la vie, s'échappent-ils un instant de l'horreur qui les hante et les hantera tout leur vie... Le narrateur au moignon ajoute alors : Tout ce qui n'est pas compréhensible n'est pas forcément étrange.
Commentaires
Oui bien sur lui, Levi, et aussi l'espèce humaine d'Antelme dont je peine encore à me remettre...cette douleur là...té un peu de Cioran et zou à vélo sous les châtaignes avec ma Zazie perso....
"L'Espèce humaine" est indépassable dans son genre. Celui du témoignage brut. "Si c'est un homme" le vaut cependant par sa puissance, sa charge d'humanité. Avec Appelfeld, nous sommes devant des récits sereins qui interdisent l'oubli et calment, à l'aide des mots, la mémoire douloureuse du corps. C'est un écrivain du coeur, pas un écrivain de la Shoah. Reprendre "Histoire d'une vie" (Points) est toujours un bonheur simple. Son dernier livre, évoqué ci-dessus, reprend, comme chaque fois, un pan de sa propre histoire : Aharon a bien fui avec des orphelins, il a bien été recueilli (par l'Armée Rouge), il a bien stationné en Italie avant de rejoindre la Palestine en 1946... Mais ce roman autobiographique n'est pas celui de l'autofiction, mais plutôt une simple leçon d'humanisme (je sais, je me répète), comme on en voit guère paraître, ces temps-ci.