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Livre - Page 7

  • Avec Cagnat, ça despote!

    Petits et mechants_1.jpegJean-Pierre Cagnat*, talentueux croqueur, caricaturiste, dessinateur de presse reconnu (Le Monde, L'Express, VSD, etc), signe un petit livre délicieux et de circonstance (électorale) : Petits et méchants (Le Castor astral) et il vient de recevoir le Grand Prix de l'Humour Noir Grandville (qui récompense un dessinateur) au restaurant parisien Le Procope le 13 mars dernier pour ce petit bouquin caustique qui taille un short aux tyranneaux qui ont gouverné ou qui continuent de gouverner certaines parties du monde (mais jusqu'à quelle heure?). En couverture : Sarkozy, Napoléon, Poutine. Cagnat n'est pas de droite. Ca tombe bien, nous non plus. Sous la couverture, figurent, en dessins, tous les petits despotes, dont Cagnat donne srcupuleusement la taille réelle (en centimètres, donc) : Hitler, Lénine, Staline, Khrouchtchev, Kim-Il-Sung, Kim-Jong-Il, Hiro Hito, Gengis Kahn, Attila, Louis XIV, Goebbels... C'est fou ce qu'ils étaient petits, ces grand dictateurs et dictateurs-adjoints! Mais Cagnat ne s'arrête pas là, pensez! Il renifle le petit méchant du côté des stars aussi : Sade, Hitchcock (ah bon, il était méchant, lui?), Charles Manson (1,57m contre 1,62 pour Polanski : OK)... Il n'oublie pas non plus les nains libidineux de Blanche-Neige, Pépin Le Bref, les bouffons des rois de France, les couples de taille inégale (l'histoire les collectionne), les chanteurs (Little Richard, Prince : pourquoi?). Enfin, ce petit livre dessiné au vitriol noir & blanc s'attaque aux grands : De Gaulle, Raspoutine, Ben Laden, Saddam Hussein (1,88m : on aurait pas dit, hein?). Et enfin aux petits gentils : Woody Allen, Charlie Chaplin, Groucho Marx, Beethoven, Mozart, Picasso, Toulouse-Lautrec, Balzac, Gandhi... Un total régal de dessins aux textes de légendes griffus. Un album souverain... Un bon tyran d'encre... Bref, Cagnat, c'est Royal au bar et à lire d'un trait!

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    *Je ne tairai pas que Cagnat est un ami et que nous avons souvent bossé ensemble : en presse (GaultMillau notamment), et en édition (fitway publishing).

  • Faut-il relire (et revoir) Schoendoerffer?

    images.jpegPierre Schoendoerffer est Là-Haut (il a disparu le 14 mars dernier). De lui, nous retenons surtout les images de ses films comme La 317ème section (inoubliable duo Bruno Crémer-Jacques Perrin). C'était avant tout un écrivain. J'ai repris Le Crabe-Tambour et je me suis laissé prendre par sa prose. Puis j'ai revu le film (inoubliable duo Jean Rochefort-Claude Rich, à bord du Jauréguiberry). J'aimerais voir à présent L'honneur d'un capitaine, à propos du délicat sujet de la torture en Algérie, uniquement parce que la période me fait avaler (avec délectation) tout ce qui a trait au cinquantenaire de la fin d'une guerre qui me touche particulièrement, étant né à Oran en novembre 1958 (et même si la trame du film me semble nauséabonde, un peu connotée OAS... Mais bon, je verrai, car -par exemple- Nicole Garcia, après avoir joué dans l'adaptation de La Question, d'après le livre capital d'Henri Alleg, accepta d'incarner la veuve du capitaine Caron/Jacques Perrin, accusé de torture...).

    Un éternel côté retour d'Indo

    Nous avons instinctivement une réserve face à un auteur-réalisateur comme Schoendoerffer. Son image militariste lui colle trop à la peau. Sa tonalité droitière m'empêche, personnellement. Mais si nous oublions cela le temps d'une lecture ou d'une projection, nous nous retrouvons devant des histoires fortes, d'hommes, certes mâtinées de valeurs viriles comme l'héroisme, le courage, l'honneur et autres vertus (de virtus) qui passent, étrangement, lorsque nous regardons un peplum (et qui sont omniprésentes dans toute la production de films dits de guerre comme dans les films, de et avec, Clint Eastwood)... Cependant, il me semble que sous la peau de l'oeuvre de Schoendoerffer, perce une dimension littéraire digne de Joseph Conrad et de Herman Melville, avec ou sans la mer comme toile de fond. Et une touche de Dino Buzatti aussi. C'est pourquoi j'accepte de m'y rendrePour bien comprendre le personnage, une lecture s'impose : celle de l'ouvrage de référence que Bénédicte Chéron signe aux éditions du CNRS (d'après sa thèse sur la représentation du fait militaire et guerrier dans l'oeuvre de Schoenfoerffer). L'homme de voyage, d'aventure et de guerre, l'écrivain qui porte très tôt une caméra sur l'épaule (en qualité de cameraman pour le Service Cinématographique des Armées : le sésame de sa vie), son éternel côté retour d'Indo, sa complicité avec Georges de Beauregard, le producteur de la Nouvelle Vague, les états d'âme d'un homme blessé par les horreurs de toutes les guerres, son écriture fictionnelle et cinématographique de l'histoire, tout est décrypté avec force documentation et sans empathie; et la lecture de cet essai en devient aussi captivante que peut l'être son motif, pour peu qu'on veuille ôter un instant ses lunettes à préjugés sans avoir l'impression de se fourvoyer ou de perdre son temps. 

  • Poétiquement

    images (6).jpeg26 mars : sixième anniversaire de ce blog.

    Il n'y a pas que des auteurs de polars talentueux, dans le Grand Nord. Il y a aussi des romanciers et des romancières remarquables, comme Katarina Mazetti (je suis particulièrement heureux de son succès pour son petit éditeur Landais, Gaïa, auquel elle reste fidèle). Et il y a les poètes. Grands, ces poètes Norvégiens, Suédois, Islandais et Lapons. Le Nobel attirubé à Tomas Tranströmer a ouvert des portes de lecture. Ainsi, la précieuse collection Poésie/Gallimard publie-t-elle une petite anthologie au titre merveilleux : Il pleut des étoiles dans notre lit. Cinq poètes du Grand Nord : Inger Christensen, Pentti Holappa, Tomas Tranströmer (dont on retrouve l'essence de Baltiques, son oeuvre quasi complète, déjà évoquée dans ces pages), Jan Erik Vold et Sigurdur Palsson. Concoctée par André Velter (par ailleurs poète lui-même et directeur de la collection), elle élargit notre champ poétique. Ici, la nature tient une place forte et l'hiver y est une saison aussi belle que le printemps dans les haïkus Japonais. On en redemande. En revanche, Marin à terre, images (1).jpegdu grand Rafael Alberti, qui paraît également dans cette collection, déçoit un peu; à la manière d'un fonds de tiroir. Certes, la voix est là, mais jamais puissante, comme elle peut l'être dans par exemple, D'Espagne et d'ailleurs (Le Temps des cerises). Un recueil agréable toutefois. Folioplus/Classiques a la bonne idée de publier une anthologie sur le thème de l'émotion -le plus souvent amoureuse. Poèmes pour images (2).jpegémouvoir réunit des classiques de la poésie lyrique, de Christine de Pisan à Michel Houellebecq, en passant par Louise Labé, Ronsard, Du Bellay, Théophile de Viau, Marceline Debordes-Valmore, Baudelaire, Lautréamont, Mallarmé, Segalen... Et, plus près de nous, de Cendrars à Césaire en passant par Supervielle, Senghor, Char, Beckett, Jaccottet ou encore Artaud et Tzara;  qui nous dit avec délicatesse, les larmes dans la littérature, et le paysage romantique comme chef-lieu des émotions. images (3).jpegL'ensemble est beau et bon comme un bouquet de pivoines que l'on s'apprête à offrir, ou bien un verre de sancerre bien frais que l'on saisit, à une terrasse ensoleillée dans les cordages d'un poème -justement. Du côté de La Table ronde, voici un cadeau comme on les aime énormément : l'intégrale des haïkus de Bashô, le maître incontesté du genre. En bilingue et dans une présentation en bichromie subtile et élégante. Un livre de garde, comme on le dit des grandsimages (4).jpegimages (5).jpeg bordeaux, intitulé Bashö. Seigneur ermite. Il y a aussi le nouveau recueil de Jean-Claude Pirotte, Ajoie, toujours aussi tendre et enjoué à la fois, amical et un rien mélancolique, auquel le titre d'un nouveau recueil de Valérie Rouzeau, Vrouz, semble faire écho, avec ce jeu de mots très contemporain, comme le sont ses poèmes à dire, si ceux de Pirotte sont souvent à boire...

  • Nourrir son chien

    images.jpegParfois les scrupules entrent en moi « comme l'eau dans la bouche du noyé quand la résistance de la vie est passée et qu'il ne reste que la volupté de mourir... » * Un mois ou presque que je n'ai pas nourri mon chien -comprenez : que je n'ai rien posté ici, que KallyVasco mon clébard semble dépérir. Je sais qu'un blog vit sur ses réserves (je fête les 6 ans du mien ce mois-ci, et j’écrirai son millième article sous peu : celui-ci porte le n° 997), mais je n'aime pas l'idée de l'efflanqué, ni l’image des côtes apparentes ; sauf celles qui tutoient la mer. Aussi, voilà. Le dernier Nicolas Grimaldi, « L'effervescence du vide » (Grasset) peut décontenancer ses lecteurs, car il s'agit d'un texte personnel, d'une autobiographie axée sur la cassure de Mai 68, laquelle a bouleversé la vie du philosophe et avant tout celle de l'enseignant. Extrait : « Peut-être toutefois l’histoire a-t-elle agi sur nous à la manière de l’acide sur la plaque où vient d’être gravé le profil d’un visage. Comme la morsure de l’acide y creuse plus ou moins profondément le trait, ainsi nos personnalités auraient-elles été moins dessinées que burinées par l’histoire. D’un trait à peine accusé l’acide a fait une blessure. En crevassant les noirs, il a troué de lumière les espaces laissés vierges. Ainsi de nos vies crevassées par l’histoire. » En musardant jusqu'à la fin de l'ouvrage, nous comprenons certaines choses sur le cheminement de la pensée, nourrie d’intimités, d’un philosophe qui a toujours eu une vocation de « passeur ». Sa passion éphémère et cathartique, compulsive, pour la tauromachie, par exemple, peut surprendre, mais elle correspond à sa quête de la gaîté du désespoir, à celle de la soustraction au temps aussi, et à l'admiration du dérisoire. Nous aimons surtout lire combien cet homme précieux entre tous reste attaché au sens profond du partage : il n’aime rien comme « vivre avec » chaque moment intense, fut-ce une simple aube sur la mer. En jouir seul lui est tellement douloureux que cela le prive presque du plaisir saisi sur l’instant. ** C’est dire.

     

     * in « Rêveuse bourgeoisie », de PDLR (page  517, en éd. folio).

    ** Je ressens très fortement cela car je sais verbaliser depuis peu que c’est précisément ce qui m’a fait écrire et qui a donc décidé de ma vie : le simple fait de ne pas supporter de profiter seul de la beauté du monde, donc mon urgence à la transmettre, à partager avec des mots; le mieux possible…  

     

     

  • Vienne en passant

    IMG_6748.JPGC'est l'année Klimt : ça ne se rate pas, si l'on aime ce peintre génial. Et l'occasion d'aller voir plus de toiles du maître Gustav Klimt qu'il n'y en a jamais eu à Vienne, est aussi celle de contempler l'oeuvre de son disciple Egon Schiele (sans Klimt, pas de Schiele). Pour cela seulement, et à condition d'admirer l'un et l'autre peintres, le voyage est indispensable en 2012 (rendez vous aux musées Leopold et Belvedere, principalement). Vienne, c'est aussi se faire plaisir en revoyant des toiles fétiches, un petit Friedrich ici, un Velasquez là. Cette ville musée, qui est aussi celle du bon café, IMG_6807.jpgdu bon chocolat et des bars à vins, est également le repaire d'une certaine mémoire littéraire que l'on s'efforce de chercher en flânant dans les rues, en traînant dans les cafés (certains ont conservé dans leur patine un charme qui semble intact), mais que l'on échoue à trouver bien sûr. Il n'y a pas de passages de l'oeuvre de Zweig ni de celle de Schnitzler, ou bien quelques aphorismes caustiques de Kraus dans l'atmosphère, comme ça, uniquement parce qu'on souhaiterait qu'il y en eut parmi les voitures et les immeubles, et malgré un vieux tramway et une architecture imposante; voire lourde. Nous finissons certes par relever des traces éparses, mais cette recherche est souvent vaine. C'est pourtant ainsi : nous ne pouvons pas nous empêcher de nous transformer en épagneul breton lorsque nous débarquons quelque part, là où un écrivain a vécu, écrit, aimé (et à Vienne ils sont légion). Mais fouiner, renifler les façades et les intérieurs, les perspectives ou les visages ne produit qu'une construction mentale aux contours arrangés par notre désir seulement. Alliée de la pugnacité, la bredouille n'existe cependant

    IMG_6725.JPGpas, et notre quête aboutit toujours à des lieux de réminiscences, à quelque détail évocateur qui nous ravit autant que le sentiment d'une bécasse blottie dans un inextricable roncier enivre l'épagneul précité. Le hasard accroît le plaisir : mieux vaut ne pas se préparer à tout, et laisser au génie des lieux le soin de nous réserver quelque surprise. N'est-ce pas d'ailleurs une définition possible du voyage? Sans nous laisser porter ni nous laisser guider, nous pouvons, à la façon de Montaigne, nous répéter : "je réponds ordinairement à ceux qui me demandent raison de mes voyages : que je sais bien ce que je fuis, et non pas ce que je cherche". A Vienne en 1982, visitant le Kunsthistorishes Museum, jeIMG_6751.jpg tombai en arrêt, littéralement, devant ma peinture préférée à cette époque et dont j'avais une copie à l'échelle 1 dans ma chambre d'adolescent -nous vivions ensemble, en quelque sorte (il s'agit des "Chasseurs dans la neige", de Bruegel) et comme j'ignorais que l'original se trouvait là, ce me fut un choc pictural énorme. Revoir ce tableau la semaine dernière fut forcément moins terrible. De même, tandis qu'on cherche dans la nuit viennoise et dans un dédale de ruelles un bon Heurige (taverne à vins), tomber sur une plaque évoquant Adalbert Stifter, lors que l'on admire l'auteur de "L'homme sans postérité" et que l'on ignorait qu'il faisait lui aussi partie du vivier, est un bonheur de voyageur. (Stifter, homme des grands bois et des montagnes, vécut surtout à Linz, ce n'est pas bien loin, mais Vienne l'aura "récupéré" comme elle tente de s'approprier des morceaux de Celan et de Rilke. Renseignements pris, il existe même un musée Stifter à Vienne). Mais bon, Klimt... Klimt! Et Schiele! Oui-oui, les deux. -Allez!

    Photos : © L.M.

  • Le Yémen croqué

    pres_carnet_yemen_05.jpgPhilippe Bichon est un globe-croqueur. Il parcourt le monde en le capturant avec ses pinceaux (il peint à l'aquarelle) et ses crayons. Il a déjà publié plusieurs livres, écrits et illustrés par lui, sur l'Egypte, la Jordanie (Petra), l'Inde (Rajasthan, Benares...), l'Iran, le Tibet. Il publiera ses carnets de voyage au Mali, en Birmanie, en Ethiopie. Celui que nous tenons entre les mains nous tient particulièrement à coeur car il est consacré au Yémen, un des plus beaux pays du monde, où la nature, l'architecture, les gens, sont uniques. Feuilletez ceci et vous comprendrez : http://www.globecroqueur.com/carnet_yemen.htm#

    Couv_Yemen2.jpgIl s'agit d'un énorme travail, d'une somme, d'une sensibilité avant tout, d'une poésie
    et d'une démarche de respect, d'immersion, d'observation pudique de l'autre, mon semblable à la culture différente. J'y ai retrouvé des paysages que j'ai aimés avec une émotion intense, dans cette "Arabie heureuse" où j'ai eu la chance de séjourner deux fois, en voyage, en reportage (et publiés la première fois avec un carnet de dessins de Catherine Delavallade dans "Voyageur", puis avec des photos, mais sur Sana'a seulement, dans "VSD"). 
    Philippe Bichon possède un énorme talent. Il peint et décrit ces paysages, ces villages d'une splendeur confondante, et les visages de ces hommes et femmes avec un tact inouï, une douceur, une délicatesse qui expriment totalement ce que le voyageur éprouve en marchant dans les rues d'une ville, d'un village perché dans la montagne, sur les marchés, chez l'habitant. C'est magnifique. Mention spéciale à Bleuéditions, installées à Pau, qui publient tous ces carnets : http://www.bleueditions.net/

    Le livre vaut 28€, et c'est vraiment cadeau

    (Il ne s'agit pas dans cette note d'évoquer les problèmes politiques que le Yémen rencontre, car le propos de Philippe Bichon est autre, soit au-delà de tout clivage, en empathie avec un peuple, une nature, une architecture surtout, et une humanité fondamentale -toutes choses qui frappent lorsqu'on visite ce merveilleux pays).

  • emmanuEllemange

    893747701.jpgElle mange. Car elle aime manger. Elle voyage. Pour manger, pas pour voyager. Ou alors dans sa tête, qui est reliée à son ventre. Elle écrit sur ce qu’elle mange. Chez elle, chez les autres, au restaurant d’en bas, dans celui-là, loin, parce qu’il est mortel –genre Bras; chez l’habitant aux quatre coins d’une planète réensauvagée par ses passages, et qu’elle finira par connaître par corps, côté cuisines. Elle vit pour manger et mange pour vivre (elle mange donc elle vit, dit-elle), se nourrit spirituellement et « terrestrement » surtout. Elle a des blessures inconsolables et des joies passagères, comme chacun, donc des souvenirs hauts et des souvenirs bas, mais liés à des repas –chacun son méridien de sandwich, à des aliments, à des moments de partage ou de dégustation, fut-ce debout avec un canif, ou à mains nues, ou bien –chic : à L’Ambroisie ou dans une ruelle crade, à l’extrême-orient de tout repère. Elle a des souvenirs liés à des recettes aussi, à des observations de proches ou d’êtres chers qui font, ont fait (la mémoire des gestes), qui en parlent, qui nourrissent, ou bien donnent à goûter. Elle écrit bien. De mieux en mieux. Elle travaille. Elle sait décortiquer le phrasé d’une recette aussi, je veux dire ce qui parle dans l’assiette, ce qui fait sens au-delà des cinq sens. Avec Elle mange (*), je rentre en sixième. Sans régresser ni engraisser : trop la chance.

    CANNIBALE DE SURFACE

    Elle sait dire l’émotion de tout ce qui se mange et dont elle n’est pas le nom, à la faim. Elle sait aussi le sens du mot fin. Animale, elle goûte tout. Même à l’homme, en cannibale de surface. Extrait : « On ne mange pas un homme comme un fruit.  Ça se mordille un homme, ça ne se mord pas. Ça se suce, ça se lèche, mais ça ne s’avale pas. » Son petit livre précieux est construit ainsi. Par sentiers, par la voie sentimentale, selon des axes fondamentaux, via des instincts transversaux, ces permanents culturels. Il y a une attaque, il y a une chute, et entre, il y a un voyage, une progression, des tapas, des mezze, des voyages, des hommes, un père, une grand-mère, de la séduction, de la rétention, de la dialectique du désir, du plaisir à fond les assiettes, des travaux d’approche comme on se passe du jabugo avec les yeux, et les doigts accessoirement. On y picore mais avec attention, ardeur et sentiment. Il arrive que la peau frissonne en lisant, soit qu’on se reconnaisse dans un texte écrit pour soi (pourquoi tairai-je ma fierté d’être à la carte), soit que l’on parvienne à décoder d’autres textes, ou que l’on retrouve des textes lus une première fois sur brouillon, dans une autre vie. « Elle mange » : j’avais trouvé le titre. S’en souvient-elle -peu me chaut. Ce bouquet de renoncules littéraires, écrites, stylées, chaloupées, accrues, serrées, réduites jusqu’au sirop, jusqu'au bouton, disent des moments forts, tous liés à l'acte-manger, en somme. Pour faire trivial j'écris ainsi, et me dédouaner de ne pas savoir qu’en penser à fond, tant l’empathie gagne la partie. J’aime beaucoup la table des matières de Elle mange, car le folio n'obéit qu'aux mots, lesquels obéissent à une sensibilité certaine. Ils ont leur organisation propre : à la première ligne, l’admiration ouvre la table en renvoyant à la page 57, tandis qu'à la onzième ligne de cette table-là, c’est la mort qui ouvre le bal en nous expédiant page 4.

    A LA RECHERCHE DU BEIGNET PERDU

    Emmanuelle Jary, c’est le nom de l’auteur, envoie les plats de la façon suivante : admiration, amitié, amour, égoïsme, enfance, ennui, complicité, frime, frustration, honte, mort, séduction, sensualité, tendresse, vie, dégoût, désir, rituel, caprices. Nous suivons le fil en ordre dispersé, fourchette au poing. Un certain beignet africain est sa madeleine, fondatrice et décisive, pour le moment, d’une vocation engendrée par un manque, peut-être... Par une recherche du beignet perdu, ce faux frère. Elle dévore aussi des yeux. Elle sublime ou mange à bras le corps, elle aime la truffe noire autant qu’un vieux comté, un crabe en mue ou une langue de canard, elle se ramasse à la petite cuiller lorsque Pepito, son grand-père adoré, meurt. Elle est capricieuse, pugnace, têtue, lorsqu’il s’agit de manger ça et pas autre chose. Elle dirige la guerre du goût depuis sa naissance. Elle souffre de ne pas aimer le café « comme tout le monde ». Elle peut avoir un caractère de cochon mais sa façon de manger un tablier de sapeur, juste après un gras-double dans un bouchon lyonnais (où logent les papilles de sa nation) est si confondante qu'on lui pardonne. Elle sait dire, vu depuis Paris, l’ennui épais comme la crème de marrons un dimanche après-midi comme personne : sans rien cacher de son désarroi, et c'est ce qui est infiniment touchant. Elle sait dénoncer la fausseté toujours et c’est heureux, puisque-puisque rare. C’est une femme habillée de franchise intérieure. Elle aime savoir dire le gras, l’excès, l’interdit qui dégouline, le borderline gastronomique overdosé -avec talent. D’ailleurs elle s’en délecte, provocatrice-woman. Elle ne s’embarrasse pas avec l’entregent, les précautions d’usage, les habitus versaillais, elle mange avec les doigts au Georges V si ça lui chante, et nous la devinons capable d’un hamdoullah sonore, assise en tailleur sous une tente plantée dans le Haut-Atlas, puisqu’un repas s’y honore bruyamment, selon les rites locaux en vigueur. Elle obéit à certaines règles. C’est son côté ethno, débarrassé de lunettes culturelles depuis sa découverte du goût. Car c’est lui le personnage principal, le héros. Le goût. Son goût à elle. Les goûts d’elle. Mais sa définition du goût est libertaire : un très grand vin lui importe moins que le regard de celui qui saisit le verre, servi par elle, de ce vin-là. De même, un fromage de Rocamadour pas assez fait peut la plonger dans une rage de bouc en rut. Par conséquent (et puisque je sens qu'il est temps que j’arrête), vous aimerez la lire, j'en suis absolument certain.

    (*) Editions de l’épure, 10€ (c’est cadeau).

  • Le Camus philosophe de Michel Onfray

    téléchargement.jpegOnfray a des ennemis et j’aime ce qu’il écrit, donc je n'aime guère ses ennemis. Certes, il se répète beaucoup, à l’envi, comme un distributeur de litanies, dans le présent livre aussi, et si  je me livrais à un exercice journalistique classique, celui du SR (secrétaire de rédaction), je saisirais les ciseaux de Sainte-Anastase et je taillerai là-dedans, je veux dire dans son dernier gros opus : « L’Ordre libertaire. La vie philosophique d’Albert Camus » (Flammarion) pour ôter  environ 150 pages de redondances aux 600 que j’ai cependant dévorées avec un immense plaisir  et sans en sauter une demi-ligne.

    C’est un grand livre. Certes un chouia hagiographique, certes un poil anti-sartrien bichrome (c’est black or white), voire manichéen par endroits, avec force flot de citations à charge. Certes c’est également une espèce d’autobiographie (Nietzsche : « Toute philosophie constitue une autobiographie masquée ») :

    PARALLÈLES

    Camus et Onfray ont, il faut le préciser, un parcours comparable. Mêmes origines sociales -pauvres-, même mépris pour les paillettes germanopratines, mêmes inspirations nietzschéennes, voire gramsciennes (pas convaincu par le chapitre ad hoc, et je pense bien connaître mon Gramsci), même énergie solaire (sauf que Onfray n’est pas Méditerranéen, que l’on sache), même accueil par une certaine dictature du savoir et du pouvoir éditorial (laquelle vire peu à peu à l’endogamie mentale à force de manquer d’air –mais c’est tant pis pour elle. Même cette civilisation, par ailleurs mortifère, est mortelle!).

    Même destinée libertaire aussi, voire anarchiste… Onfray n’a pas publié de fictions comme Camus, cependant. Et nous savons, à la lumière de cet essai brillant, combien « Noces », « L’Eté », « La Peste », « La chute », « L’Exil et le Royaume », etc., contiennent dans leur ventre une portée philosophique, à côté de laquelle nous étions passés jusque là, en nous attachant exclusivement à la prose sensuelle, solaire, méditerranéenne, hédoniste, algérienne, salée, profondément libre de notre Camus préféré. (Relire aussitôt « Noces », et « L’Eté », au sortir de la bio d’Onfray, fut un bonheur frais et comme neuf : garanti pièces et main d’oeuvre).

    OBSCURES RANCOEURS

    Mais il s’agit d’abord d’une biographie philosophique. Après avoir flingué Freud à la mitrailleuse lourde (« Le crépuscule d’une idole », Grasset), voici Michel Onfray en verve pour réhabiliter, car cela semblait nécessaire, le Camus philosophe pour classe d’agrég. (et non pas pour classes Terminales, pour paraphraser le titre d’un pamphlet qui m’opposa constamment à son auteur et ami, feu Jean-Jacques Brochier).

    L’Ordre libertaire est un grand bouquin parce qu’il règle les comptes avec une certaine société parisienne nombriliste, étriquée, auto-intelligentisalisée et propriétaire (putschiste) du droit de dire, de publier, de faire et de défaire, mais dans un cercle tellement restreint qu’il semble (à le renifler et tant il est nauséabond au fil du temps), avoir oublié les structures élémentaires de la parenté. Autrement dit, la prohibition (métaphysique) de l’inceste (mental) ne semble pas avoir cours dans ce marigot-là. La suffisance semble gouverner sa morgue. Ainsi que la reproduction entre soi, façon « Les héritiers » selon Bourdieu & Passeron.

    Du coup, Albert Camus le pied-noir, fils d’un père ouvrier mort au front en 14 et d’une mère analphabète (elle n'a jamais lu son fils!), n’ayant fait ni "H. IV", ni Ulm (Normale Sup), ne fait pas partie du Club Mickey, donc du sérail, de la famille bourgeoise bien-pensante. D’où leur haine, leur jalousie lorsque l’auteur de « L’étranger » obtint le Nobel en 57 (« Devant ma mère, je sens que je suis d’une race noble : celle qui n’envie rien », in « Le Premier homme »). Entre autres exemples.

    Sur cet aspect de l’homme et du ressentiment parisien, Onfray excelle. Nous sentons un Camus décidé à ne pas s’approcher trop près de ces virus, qui préfère la compagnie de l'ami absolu et total, René Char, et la perspective de vivre à Lourmarin (où il repose d’ailleurs) plutôt que rue de Chanaleilles, même si c’était bien, le temps passé là-bas.

    UN HOMME SIMPLE ET SOLAIRE

    Ce qui séduit d’emblée dans le livre d’Onfray, c’est de retrouver un Camus absolument solaire (et c’est la première fois que je lis cela, car ni Emmanuel Roblès pourtant, ni José Lenzini, et même Frédéric Musso, ni Morvan Lebesque, ni Abdelkader Djemaï, ni Jean Daniel, Jean Grenier à peine, Macha Séry un tout petit peu, n'étaient parvenus à retranscrire cela avec autant de talent et d’exactitude), un Camus résolument hédoniste et tout entier tourné vers la sensualité de la vie intellectuelle, avec le corps et l’esprit.

    Onfray fait de Camus un Zarathoustra venu d’Algérie. Et le prouve (le bonhomme connaît son Nietzsche sur le bout des doigts), mais on pourrait être tenté de lui reprocher de forcer le trait pour nous persuader de ses convictions. C’est le jeu. On le joue. 

    Plus intéressante est la manière dont Onfray souligne l’attachement inaliénable de Camus à la pauvreté dont il est issu et qui l’a forgé (les livres lui furent une conquête et pas un héritage, comme cela fut le cas pour un Sartre), ainsi qu'aux humiliés, aux taiseux comme sa mère, et donc au courage, à la noblesse humaine la plus nue, à la loyauté, au courage d’être un homme, au sens de l’honneur, à la dignité de son modeste rang ;  à la philosophie d’une morale vraie, en somme.

    UNE BIO EN EMPATHIE

    Avec ce livre, nous sommes loin des gros pavés qui font autorité, comme le Herbert R. Lottman (monumentale enquête biographique à l’anglo-saxonne, irréprochable, totale, et d’une précision d’horloger genevois croisé avec une entomologiste teutonne), ou le Todd (Olivier), que j’aime moins, mais passons. Ici, avec Onfray, tout fait bonheur, poésie, liberté, détachement, regard vers le soleil les yeux ouverts, appel à Diogène et volonté de jouissance…

    Onfray combat la légende : Non, Camus n’est pas un philosophe pour futurs bacheliers, ni un romancier à la prose douce et facile. Oui, Camus est un philosophe profond dans ses essais fameux comme « L’homme révolté » et dans ses œuvres de fiction. Oui, Camus est un anticolonialiste engagé mais mesuré, singulièrement consensuel dans une époque radicale (« la radicalité de la nuance », c’est de lui, et je n’ai pas retrouvé la formule dans le livre d'Onfray).

    Oui Camus est un païen pragmatique, un homme droit qui se souvient de l’unique leçon de son père disparu trop tôt : « un homme, ça s’empêche ». C'est encore un homme fidèle aux siens –même contre la Justice. Fidèle à sa mère d’abord, fidèle à son instituteur Louis Germain (le « Discours de Suède » rappelle cela avec superbe) fidèle à cet espèce de père de substitution.

    Fidèle aussi au maître absolu que fut Jean Grenier, son prof de philo et auteur des « Îles » et de « Inspirations méditerranéennes », qui lui fit lire aussi « La douleur », d’André de Richaud, lecture décisive. Mais avant tout parce que le professeur Grenier déclencha en Camus le désir d’écrire!..

    Camus est un disciple du « Gai savoir » et du précepte nietzschéen fameux : « Deviens celui que tu es », il est un homme qui ne cessera de faire savoir qu’il faut faire en sorte que ne doivent exister ni bourreau, ni victime.

    AU-DELA DU BAEDEKER

    Bien sûr, il est aussi question dans ce livre de Belcourt, d'Alger, de la tuberculose à dix-sept ans, des femmes, du séducteur, de son look Bogart, des clopes, de Maria Casarès, du foot, du théâtre, de Francine après Hélène, d'« Alger Républicain », de « Combat », de Paris, de l’accident fatal dans la Facel-Vega conduite par Michel Gallimard, du manuscrit du "Premier homme"... tout cela que l'on sait déjà (peu ou prou), du succès de « La Peste », de l’arbre "Etranger" qui cache la forêt d'une oeuvre puissante et protéiforme (« Meursault c’est moi », eut pu dire "Albert Flaubert", à cause du soleil), de Tipasa enfin, et du retour à. Etc.

    Tout le Baedeker Camus est forcément dans ce livre, mais par petites touches délicates. Onfray s’attachant à démontrer (avec talent et superbe) la dimension philosophique de Camus, son livre est un bréviaire indispensable. Cette dimension, incontestable pourtant, un certain Paris vétilleux, pincé du nez, coincé des neurones, refuse toujours de la reconnaître à l’auteur de « L’envers et l’endroit ». 

    Camus nous apparaît sous les traits d’un philosophe artiste –et adepte d’un art de vivre en temps de catastrophes, à l’aise dans son corps qu’il laisse s’exprimer en plongeant, en nageant, en faisant l'amour, en écrivant, en transpirant, en jouant, en lisant, en déclamant des auteurs grecs, en shootant dans un ballon rond, en chuchotant, en observant en silence l’horizon méditerranéen depuis la plage...  

    Car Camus possède le « castizo » espagnol, cette fierté si bien décrite par Michel del Castillo ici et là, ce cran donquichottesque qui n’ignore pas sa folie douce. Camus est un être charnel, exposé à la brûlure du soleil, au sel, à la cuirasse d’argent de la mer. Il n'est pas un de ces anémiés du 6ème arrondissement, perclus de rancoeurs, de jalousies et de comptes à régler avec ceux qui pourraient pisser peut-être plus loin qu'eux! –d’où les névroses auxquelles Albert est fondamentalement étranger, surtout vues depuis Alger ou Oran. Car tout cela manquerait un peu d'horizon. (Les natifs d’Oran -dont je suis- pardonnent à Camus de n’avoir pas aimé cette ville, cadre de sa "Peste", et de lui avoir préféré Alger). 

    UNE PULSION DE VIE SPINOZIENNE

    Camus nomme imbécile "celui qui a peur de jouir parce qu’il n’éprouve pas de honte à être heureux"

    Son hédonisme, avec les événements historiques dont il sera le témoin durant sa courte vie, est un antifascisme. La pulsion de vie, quasi spinozienne, de Camus, forge sa force. Celle qui lui fera éviter les pièges du communisme aveugle et ses haines recuites, sans oublier son cruel désir de vengeance.  Nul ressentiment chez Camus, souligne avec bonheur Onfray. Juste un jugement mesuré. Antimarxiste, soit anti-obtus. Il estime qu'il serait encore possible de faire cohabiter les cultures arabes et européennes sur le sol algérien,  aux premiers moments durs des « événements », qu’il ne connut qu’à peine.

    Camus est enfant du melting-pot pied-noir, enfant d’un bouillon de culture sain, vivant, prodigieusement débarrassé de l’acnée parisienne et des remugles racistes ayant largement cours bien au-dessus de Gibraltar. Il est fils de l’ouverture, de l’écoute, de l’altérité, du soleil et des bonheurs simples.

    Il se choisit Grec. Il appartient de toute façon –qui le contesterait ?- à la gauche dionysienne et laisse sur le bas-côté du chemin la gauche apollinienne, chichiteuse, pluvieuse, grisâtre, revancharde, aigrie toujours, et aussi exsangue du corps comme du cerveau.

    Camus est un homme placé de naissance du côté de l’hospitalité et du cosmopolitisme, de la fierté castillane, de la loyauté, de l’héroïsme hérités de Cervantès.

    L’armée et l’université ont refusé son admission lorsqu’il était jeune. A cause de sa santé faible. Camus taillera sa sculpture solaire dans ces refus aux relents métropolitains. Onfray circonscrit cela avec une grand justesse : Camus est un philosophe qui privilégie la sensation, l’émotion, la perception, sur le concept, l’idée, la théorie. Et c’est pourquoi il nous est si proche, si tutoyant, si populaire, si accessible aussi. Ce que d’aucuns lui reprochent, car il ne reproduisit aucun de leurs codes moisis.

    UN TROPISME LIBERTAIRE

    A commencer par le tropisme arriviste du Rastignac de sous-préfecture -ce que Camus n'est pas : il n’envie pas Paris. Comment pourrait-il avoir le désir de sa conquête ? Paris lui fera payer très cher ses origines modestes, son existence de petit pied-noir qui défendit même ceux-ci –ce qui constitua un crime de lèse-pensée-unique à l’époque des porteurs de valises, , et de France Observateur, des livres (admirables, d’ailleurs) publiés clandestinement par les éditions de Minuit (et qui ressortent ces jours-ci)… Même son insolence politique, ses prises de position méfiantes face à un Parti communiste avaleur et destructeur à l’époque, furent inscrites au débit de son compte…

    La grandeur de Camus se trouve là aussi. Comme dans les métaphores de sa vie que sont ses pièces (« Caligula », « Les Justes », ou ses adaptations dramaturgiques diverses). Onfray souligne que Camus n’est pas un contre-révolutionnaire, mais un révolutionnaire contre. La nuance est de taille.

    Je relisais hier « Misère dans la Kabylie », après avoir refermé le Onfray et avoir lu qu’il y neigeait en ce moment, comme souvent d'ailleurs. Les récits de Camus (ou reportages à rendre jaloux jusqu’à la torture, un BHL, mais certainement pas un J. Littell à propos de la Syrie –admirable série dans « Le Monde » de la semaine dernière), rappellent les journaux africains de Gide. Le talent narratif est là, profondément tourné vers l’Autre, ce qui est salutaire, et l'on trouve aussi une dimension lyrique qui fait souvent défaut dans les textes de ce genre.

    Sur la Guerre d’Algérie (elle touche ma mémoire familiale), je juge utile de citer seulement ceci, de Camus : « Quatre-vingt pour cent des Français d’Algérie ne sont pas des colons, mais des salariés ou des commerçants ». Camus ne souscrivit jamais à la justice sélective, ni à la « justice française » de la torture, pas plus qu’à la « justice nationale » des massacres.  

    Il considèrera jusqu’au bout que les Pieds-Noirs, eu égard à l’histoire de l’Algérie (ses invasions successives depuis l'Antiquité l’ayant construite) étaient des indigènes (provisoires) comme tous les autres. Camus paiera cher pour cette loyauté-là, pour sa rectitude, son bon sens, ses fidélités (ma mère contre la justice des terroristes...).

    Même des esprits réputés éclairés (Bernard Frank par exemple) le traînèrent dans la boue, suivant sûrement un courant de pensée comme on monte dans un train en marche : nous pardonnerons par conséquent beaucoup au ventriloque Frank de ce « mundillo » en mal d’espace et d’horizon...

    A la sortie de ce monument à la gloire d’un philosophe négligé, nous n’avons qu’un désir : le relire, et donc le prolonger. "Le faire passer", encore et toujours. Sans oublier les Sartre et autres bâtisseurs de lotissements d’une tenue autre, certes.

    Mais surtout de faire passer cet hédonisme de la jouissance du corps et de l’esprit mêlés, qui font trop souvent défaut au centralisme intellectuel de notre république des lettres.

     

     

  • Claude Simon et la description

    imag.jpegOn ne s’y attend pas. Claude Simon (disparu il y a six ans et demi), dans le texte d’une conférence qu’il donna en 1980 sur Proust, intitulée "Le poisson cathédrale", (in "Quatre conférences", qui paraît chez Minuit), évoque longuement l’analogie entre la fameuse madeleine et le sexe féminin. "Vulve, moule bivalve" sont là, pour l’auteur de "La corde raide" et des "Corps conducteurs". En effet, Proust décrit "des gâteaux courts et dodus qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille Saint-Jacques". Simon souligne : "moulé, valve, rainure". Et cite à nouveau Proust à propos d’Albertine nue : "son ventre se refermait à la jonction de ses cuisses par deux valves". Et plus loin (Proust, encore, au lit avec Albertine tandis que les marchands des rues  s’écrient) : "A la crevette, à la bonne crevette, j’ai de la raie toute en vie". Commentaire du Prix Nobel 1985 : "J’ai de la raie toute envie, ou encore, si l’on retourne la phrase, j’ai tout le vit en la raie". C’est mignon, ces dérives lacaniennes, de la part du grand écrivain.

    Eloge de la description

    Plus intéressantes sont ses remarques sur la littérature, en particulier la description.  (les trois autres conférences que comprend ce recueil –et où la peinture entre constamment comme appui, ou contrepoint dans sa réflexion, ont trait à la mémoire, à l’écriture et à la poétique). Longtemps considéré comme secondaire dans la fiction, l’art de décrire est pour Claude Simon fondamental. Au point qu’il pourrait définir à lui seul la chose littéraire. "Le roman ne cesse d’être le récit d’une ou plusieurs aventures en même temps et dans la mesure où il est aussi l’aventure d’un récit", écrit-il en conclusion de sa conférence intitulée "L’absente de tous bouquets". Simon se pose en auteur classique, dans la lignée de Flaubert ou Chateaubriand, lorsqu’il écrit ceci : "au contraire d’un Montherlant ou d’un Breton déclarant tous deux que lorsque dans un roman ils arrivent à une description ils tournent la page, lorsque cesse une description et que l’auteur commence à se livrer à des considérations psychologiques ou sociales, alors, c’est moi qui tourne la page". Au cœur du vieux débat sur l’engagement contre l’esthétique, de l’utilité contre l’émotion, un père du Nouveau Roman tranche bellement. Et rappelle que Proust abolit la conventionnelle distinction entre narration et description, "car est-il besoin de dire toute la distance qui sépare, et fondamentalement, le compte-rendu d’une action, d’un événement…". Comme l’œuvre peinte, ajoute Simon, l’œuvre écrite ne va plus dès lors "tirer sa pertinence" de quelque association avec un sujet important mais du fait qu’elle va s’efforcer de s’accorder, comme la musique, à "l’harmonie même de l’univers". Jean Ricardou, pour finir : "le roman n’est plus le récit d’une aventure, mais l’aventure d’un récit". C'est lumineux, brillant, revigorant tout ça. Parce que la littérature qui ne me fait pas frissonner ne mérite pas que je m’y attarde, ai-je envie d’ajouter. 

  • Gide, Journal

    images.jpegEt si c'était son meilleur livre? Celui par lequel il faut passer, comme par une porte étroite, celui qui exprimerait la quintessence gidienne, l'âme des soties, des romans, des essais, de tout. Tenu librement de 1899 à 1949, non pas en marge de l'oeuvre mais à son côté, il apparaît comme un baromètre d'un esprit lucide, clairvoyant, intraitable avec lui-même, comme la doublure d'un écrivain constamment en état de "work in progress". Je l'avais pas mal picoré dans mon exemplaire de La Pléiade, ce grand Journal (le volume qui couvre 1939-1949 et qui englobe notamment "Si le grain ne meurt"), mais en m'attachant seulement aux superbes pages consacrées à l'Afrique et notamment "Voyage au Congo", "Retour du Tchad" et "Carnets d'Egypte". Là, folio, pour les 40 ans de la collection, publie une anthologie (concoctée par Peter Schnyder et Juliette Solvès) de l'énorme Journal de Gide, et cela se lit comme un roman. Revêtu d'une jaquette bleue classieuse et veloutée au toucher, ce choix donne 450 pages tantôt crépitantes, tantôt mélancoliques, qui mêlent réflexion sur le monde, sur les amis écrivains (nous croisons Claudel, Proust, Péguy, Suarès, Jammes, Copeau, Wilde, Rilke, Blum, Barrès, Valéry), introspections, pensées et surtout travail d'écriture. Excepté les pages sur l'Urss qui dévoilent un Gide déjà marxiste et en train de devenir stalinien, et celles qui touchent à la montée du nazisme et montrent la naïveté des historiens du temps présent que sont parfois les diaristes (lesquels pêchent par manque de clairvoyance, mais se ravisent vite, heureusement), nous avons là le tableau d'une époque riche, mais que l'auteur ne retranscrit qu'avec parcimonie. Il préfère se confier à son Journal comme un Amiel, un Bloy ou bien le Cioran des Carnets.

    Mon âme est un champ de manoeuvres

    En mettant son coeur à nu et en ne s'épargnant jamais. Gide dit de son âme que c'est "un champ de manoeuvres". Et livre des fragments qui sont parfois des traits, des aphorismes précieux, des pensées à la Wilde; des formules, des mots d'esprit. J'en ai relevé un bouquet. Jugez : "La phrase est une excroissance de l'idée". "L'admirable, sur cette terre, c'est qu'on est forcé de sentir plus que de penser". "Une grande habileté, c'est de se dire que ce qui vous ennuie vous éduque." Pour moi, lire un livre, c'est m'absenter quinze jours durant avec l'auteur". "L'irretrouvable, l'ininventable, c'est la sensation". "Mettre entre soi et le monde une barrière de simplicité. Rien ne les déroute plus que le naturel". Pour les mots aussi, Gide croyait à la vertu des mauvaises fréquentations. Et cet homme fondamentalement franc avec lui-même, ne cache pas (cela rend son Journal émouvant) les flétrissures de son coeur que seul le chant matinal d'un merle parvient à apaiser à peine. Mais la pudeur semble l'enjoindre de ne pas s'épancher sur les causes de ses blessures. Gide écrit droit et avec cran. Et confesse qu'il se voulait mélancolique car il n'avait pas encore compris la supériorité du bonheur. Il cultive en revanche l'errante imprécision du désir, jouit d'une vie de jeunesse réalisée dans l'âge mûr, et regrette que "certains jours, la vie a si mauvais goût qu'on voudrait pouvoir la cracher". Gide lit La Bruyère et Nietzsche comme des auteurs définitifs. Vilipende la famille et la religion. Adore l'Italie, "où la plus sensuelle caresse rejoint la spiritualité", et se rend souvent au Maroc et en Tunisie... Et, surtout, il note le 30 mars 1932 que la perspective de la publication de son Journal, en annexe de ses oeuvres complètes, en fausse tout à coup le sens... Nous lisons alors les 130 pages qu'il reste avec une certaine méfiance. Mais rien ne change, et c'est le miracle. Le tact. La retenue. L'art. "Il est des jours où je ne me sens plus dessiné que par mes ombres", écrit-il avec un accent lichtenbergien. Gide se fait sombre parce qu'il sent le jour de sa vie baisser à mesure. Aussi, ce Journal prend-il un accent grave, et se lit comme le roman d'une vie grande. Gide ne désespère pourtant de rien, avoue s'accrocher parfois à ses carnets, déclare : "Si je ne parviens pas à rejoindre la sérénité, ma philosophie fait faillite".  Le 22 septembre 1938, il écrit : "J'ai achevé hier soir de relire les deux cent premières feuilles d'épreuves de mon Journal, pour l'édition de La Pléiade." Et cela sonne comme le trait de génie (qui, à mes yeux, pourrait définir la littérature) que Gide eut en écrivant "Paludes" -cette histoire d'un célibataire dans une tour entourée de marais. Souvenez-vous, ce sont les  premiers mots de cette précieuse sotie. ("Vers cinq heures le temps fraîchit; je fermai mes fenêtres et je me remis à écrire. A six heures entra mon grand ami Hubert; il revenait du manège. Il dit : "Tiens! tu travailles?" Je répondis : "J'écris Paludes. -Qu'est-ce que c'est? - Un livre"...). Gide dîne avec le général de Gaulle, lit Saint-Simon, est de plus en plus intraitable avec lui-même, mais avec tendresse et cela sonne comme un oxymore : "Les plaisirs sont venus se poser sur moi comme des oiseaux de passage. Pour tout accueillir, je vivais les mains ouvertes et n'ai su les refermer sur rien. Du moins ai-je appris à me juger sans indulgence, et plus sévèrement même que ne ferait un ennemi." Le Journal du Prix Nobel 1947 s'achève en conscience le 25 janvier 1950. Gide meurt le 19 février de l'année suivante à l'âge de quatre-vingt-deux ans. Nous refermons ce livre bleu avec un regret certain comme on remonte un drap jusqu'à cacher le visage.

  • Un site d'une beauté troublante

    C'est ma fille Marine qui l'a porté à ma connaissance et je souhaite aussitôt le partager avec vous : 

    http://lapetitemelancoly.tumblr.com/

    Les extraits, les auteurs choisis sont remarquables (ils figurent de surcroît dans le petit panthéon personnel de la partie peut-être la plus précieuse de ma bibliothèque). Quant aux illustrations, elles sont simplement splendides, et toutes, sans exception je crois, pourvues d'une beauté rare. La mélancolie -en tant que phéomène artistique, que concept philosophique, littéraire, pictural, est ici portée à son plus haut point de pureté troublante. C'est une rencontre. Un voyage. (Merci ma puce).

  • Grozdanovitch photographe

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    Nous connaissions le penseur, auteur d'un inoubliable Petit traité de désinvolture, et le champion de tennis. Voici le photographe sensible, qui voyage avec son amour, sa femme (à la beauté égyptienne classique) et un appareil photo depuis plus de trente ans. Il a opéré une sélection drastique dans ses malles de clichés et nous en sert une soixantaine avec des textes courts, denses, fulgurants; essentiels. Cela s'appelle L'Exactitude des songes (Rouergue) et c'est splendide de retenue, de petites touches. Denis Grozdanovitch semble dire, avec Philippe Jaccottet, qu'il ne faut jamais tout dire, mais suggérer. La Nièvre, l'Aveyron, Paris, la Tasmanie, Judith sa compagne, la Grèce, la Sicile, le Maroc, un inconnu, peu importe le lieu et les sujets, car seul compte le regard que pose l'auteur, à travers l'objectif, sur une ruine, une sculpture, une tombe, la pluie sur une vitre, un quai de gare, ou un autre de métro déserts, une enfant de dos, un escalier métallique, un paysage boueux de Normandie, une devanture d'échoppe... Les clichés possèdent la faculté magique de ressusciter des émotions, dit l'auteur. Celles, personnelles, de celui qui les a pris, bien sûr. Mais la portée de la photo, lorsqu'elle touche à l'universel, est bien là lorsqu'elle nous frappe et résonne en chacun de nous, par sa puissance d'évocation, par ce qu'elle renvoie à notre propre mémoire. Grozdanovitch a raison de citer la parole éclairante de Proust (in Le Temps retrouvé) : "... cette réalité que nous risquerions fort de mourir sans l'avoir connue, et qui est tout simplement notre vie, la vraie vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, cette vie qui, en un sens, habite chez tous les hommes aussi bien que chez l'artiste. Mais ils ne la voient pas, parce qu'ils ne cherchent pas à l'éclaircir. Et ainsi leur passé est encombré d'innombrables clichés qui restent inutiles parce que l'intelligence ne les a pas développés." Il est question dans cet ouvrage de l'état d'esprit au moment de la prise d'un instantané, et puis il y a l'examen rétrospectif, plus ou moins longtemps après. Il faut écouter les écrivains (Roland Barthes, Susan Sontag, Denis Roche) qui ont réfléchi à la photo, pour ne pas « feuilleter idiot » un album, ressentir ces  invites  aux fantaisies de l'imaginaire (Sontag) que sont les photos -en l'occurrence celles de Grozdanovitch. Lesquelles nous plongent dans une nostalgie, voire une mélancolie, en ces temps de « folle course en avant », qui ne s'apparente jamais à une intrusion, puisque nous nous approprions la photo en n'y voyant pas ce que l'auteur y retrouve. Grozdanovitch évoque la poésie latente des photos retrouvées, car ce sont des choses, des traces au cœur desquelles réside l’oxymore délicieux, souligne-t-il, de l’exactitude des songes… Chacune des photos « données à voir » dans ce joli ouvrage sont de surcroît commentées à la manière dont René Char établît l’arrière-histoire  de ses Poèmes pulvérisés, soit avec une subtilité chaleureuse faite de partage et d'éclairage. Grozdanovitch repense le moment de la capture, l'instant fugace ou réfléchi, le temps de pose ou celui du vol à l'arraché, de chaque prise de vue, puis il réexamine donc chaque photo à la lumière, tamisée par le temps, qui a déposé (ou qui révèle) dans la mémoire, une mise à distance faite de sagesse, de bienveillance, d’étonnement souvent, de grâce parfois. Le hasard produit des « bougés » heureux, des regards furtifs, des détails qui n’en sont forcément pas, de menues cicatrices, des souvenirs de bonheur total, de tristesse aussi. Ainsi ce livre devient-il une collection intime qui nous « parle », car c’est d’un « rempart contre l’oubli » qu’il s’agit, et nous en construisons tous, afin de tirer au clair notre vie avant d'en jeter le bain révélateur.


  • Avant, par JiBé

    01071397011.gifJean-Baptiste Pontalis (dites J.-B. pour ne pas passer pour un plouc à Saint-Germain-des-Près, ou bien dans n'importe quel dîner en ville de province) poursuit la publication, en petits volumes, de son autobiographie fragmentée. Au rythme d'un livre par an en moyenne, nous avons les faits marquants, les séances d'analyse mémorables, les événements personnels, amoureux, rencontres avec d'autres écrivains, les idées, sensations, désirs, pensées et autres réflexions de Pontalis, sur les femmes, la fraternité, l'amitié et autres passions ou grands instincts humains. Ces petits bouquins se lisent agréablement, comme on trempe une madeleine dacquoise dans du thé russe. C'est délicieux et l'on se presse. Le dernier, Avant (tous sont chez Gallimard), évoque la vie passée, les souvenirs personnels de l'auteur (écrits, en début d'ouvrage, à la manière du fameux Je me souviens, de Georges Perec, et sur le ton de : c'était mieux avant! mais avec une subtile mise à distance du lieu commun), l'enfance (prise comme sujet d'anthologie littéraire), et cette compilation d'articles parus en revue et d'inédits, forme un volume parfois mal serré. Il y est question, par touches délicates, de nostalgie peut-être, de regrets sans doute, de passéisme non (l'auteur parle plutôt de hors-temps en parlant d'avant, et se refuse à découper le temps) collectionnés et rapportés ici par un homme devenu vieux, "et qui se penche sur son passé", comme on dit. Il y est encore question de mémoire, et de traces (jolies pages 29 à 31), et puis comme toujours de Freud avec le psychanalyste Pontalis, au sujet des réminiscences, de l'autocensure, du souvenir-écran, de la libre association, des rêves et autres concepts. On dit que le rêve est un enfant de la nuit. Il est l'enfant de la nuit des temps (p.74). Refermant ce mince volume, nous constatons que le charme de la petite musique de JiBé opère encore, en dépit de certaines touches agaçantes qui dépeignent un précieux bourgeois délicat -légèrement vinaigré- et truffé de références en forme de must have intellectuels too much parisiens (à notre goût paysan).

  • 100 Paysages

    images.jpegIl s'agit d'un album dont l'originalité est d'être parvenu à rassembler soixante spécialistes de la lecture du paysage dans la peinture occidentale. 100 Paysages, Exposition d'un genre (éditions infolio) nous donne à voir cent oeuvres éclairées par cent textes (sur cent doubles pages), signés de noms prestigieux comme ceux de Serge Briffaud, Michel Butor, Yves Hersant, Jean-Pierre Le Dantec ou encore Jean-Robert Pitte. Chacun nous apprend à lire le paysage et son évolution à travers l'art pictural, en s'appuyant sur une peinture. Et c'est lumineux, car les commentaires ne sont ni didactiques ni abscons, mais humblement éclairants, et les oeuvres choisies, la plupart connues, sont emblématiques.

    Il s'agit d'une sorte de musée portatif, d'un recueil de la mémoire de l'architecture du paysage et de sa représentation dans la peinture occidentale, et aussi d'un mini-traité de l'histoire de l'art, vu par la lorgnette du cadre paysager de chaque peinture présentée. Cette manière inédite de raconter l'art du paysage est enrichissante, car elle s'éloigne d'emblée du piège d'une lecture bucolique, décorative -tour à tour pittoresque ou sublime-, de la représentation du vivant, tel que représenté par la peinture. Ce livre d'art puise, entre autres, chez Giotto, Van Eyck, Uccello, Mantegna, Bosch, Dürer, Da Vinci, Titien, Bruegel, El Greco, Rubens, Rembrandt, Poussin, Vermeer, Watteau, Gainsborough, Boucher, Fragonard, Turner et Friedrich.

    Le paysage par la fenêtre

    A l'origine, le paysage désigne une peinture qui n'est qu'une représentation de la nature. Il montre parfois un espace hostile, sauvage,  un paysage à apprivoiser. Puis l'humain et la construction humaine s'y inscrivent, plus ou moins discrètement. Le principe de l'autoportrait au premier plan et d'un morceau de paysage en fond, par une fenêtre souvent, occupent une place importante dans l'art, jusqu'à l'envahir parfois. Le portrait est lui aussi touché par cette composition de la peinture : songeons à La Joconde et souvenons-nous du paysage, tourmenté d'ailleurs, placé derrière la célébrissime peinture... 

    Figurent également dans cet ouvrage, à l'opposé, des oeuvres montrant un personnage qui contemple un paysage en tant que sujet principal du tableau (chez Friedrich, notamment). Le paysage, suis-je tenté d'ajouter, augmente aussi la dimension imaginaire de celui qui l'observe sur une peinture : j'ai personnellement rêvé des heures durant, pendant des années, enfant puis jeune homme, en présence (dans ma chambre) de la reproduction (à l'échelle Un) des Chasseurs dans la neige, de Bruegel, plongé que j'étais presque continuellement dans ce paysage médiéval hivernal, avec un ciel strié d'oiseaux migrateurs, des personnages mystérieux et une forêt attirante comme de grandes vacances... 

    Le paysage en tant que genre pictural, inclut progressivement la perspective, la mise en scène paysagère, tantôt méticuleuse, précise, tantôt panoramique, et non plus la nature prise seulement comme simple decorum, "toile de fond" -comme on parle de musique d'ascenseur. Cette distinction circonscrit précisément le genre. Lequel englobe le pittoresque (surtout au XVIIIème siècle) avec ses fausses ruines à foison, par exemple.  Bien que solidement ancré dans la pratique picturale, le paysage a toujours débordé le cadre de l'histoire de l'art au sens restreint du terme; autrement dit, le paysage n'est pas un phénomène isolé, mais une réalité liée directement à l'évolution du regard et à la perception, aux modes de représentation et à l'histoire de la technique, à la cartographie et à l'arpentage, souligne Michael Jakob (co-réalisateur de l'ouvrage, avec Claire-Lise Schwok).

    Ce livre précieux nous rappelle que le paysage en tant que genre a été une école du regard (d'abord pour les voyageurs soucieux de peindre la nature afin de "reporter" au mieux ce qu'ils avaient vu -dès avant l'invention de la photo). Cela dura jusqu'à ce que la peinture (avec Monet, Cézanne et quelques autres) ferme la fenêtre et mette le genre à genoux, puis à mort. La seconde moitié du XIXème siècle sonne ce glas et annonce une peinture post-paysagère. Subsistent le regard paysager et le territoire paysagé, précise M. Jakob. C'est ainsi qu'apparaît le pictural paysager, avec l'art des jardins et l'architecture du paysage. Un autre regard naissait, en peinture (et dans la littérature). Et une autre histoire... 


  • Nicolas Dernier

    9782246794707.jpegQue n'ai-je découvert plus tôt la chronique saint-simonienne et d'un sarcasme drôle, talentueux et très documenté, que Patrick Rambaud (Prix Goncourt pour La Bataille en 1997, mais aussi et entre plus de quarante ouvrages, auteur du Roland Barthes sans peine, et de Virginie Q., signé Marguerite Duraille...), distille avec succès chez Grasset : j'ai avalé cette Cinquième chronique du règne de Nicolas Ier avec gourmandise (les quatre précédentes ont déjà été reprises au Livre de Poche, et je sens que je vais m'y précipiter). C'est hilarant, mais il est tristement affligeant de relire l'actualité politique des mois passés, car derrière ce pastiche magnifique, écrit dans une langue ancienne et désuète, où la télé est un fenestron, tel minsitre (qui n'est point M. d'Hortefouille) un grand flandrin et où une gazette satirique ne relâche pas ses mâchoires du fessier de telle autre ministre en grande difficulté, il y a une bien triste réalité, intérieure et internationale : le livre retrace toute l'actualité de manière originale, de sorte que nous tenons là une chronique condensée par surcroît de l'année 2011. Les pages consacrées à l'affaire du Sofitel (et M. de Washington), celles consacrées à la Libye (et M. de Béhachel, Vicomte de Saint-Germain), celles touchant au voyages privés chez le Sultan Ben Ali (où apparaît la duchesse de Saint-Jean-de-Luz), entre autres succulences, sont à relire à haute voix tant elles ont du claquant. Patrick Rambaud déteste Nicolas Ier et il le répète avec, je le redis, un grand talent. Je me suis amusé à relever ses façons de nommer Sa Majeté, ou Le Prince, elles sont nombreuses, mais les voici, en guise d'apéritif. Après il vous suffira de courir en librairie et d'acquérir le volume. Mais avant, voici l'Adresse à notre Déprimante Majesté afin qu'elle prenne ses dispositions et la porte, qui fait office de préliminaire à ce cinquième volume : Incommensurable Seigneur, voyez avec clarté les choses comme elles sont, jusqu'à quels excès, quels malheurs, quels périls vous ont poussé votre penchant naturel, la satisfaction de vous-même. Gémissez-en utilement, courageusement, et sauvez votre Etat en embrassant, par une pénitence également juste, le remède unique à tant de calamités présentes et à venir : dégagez, Sire.

    Notre Verbeux Leader - Notre Prince Vigoureux  (les appellations varient en fonction de l'agitation dudit Prince et selon les circonstances, on l'aura deviné) - Notre Frivole Monarque - Notre Trépidant Tyranneau - Notre Versatile Majesté - Notre Souverain Ravi - Notre Ferme Leader - Notre Misérable Prince - Notre Intense Monarque - Notre Luminescent Souverain - Notre Explosive Majesté - Notre Roublard Souverain - Notre Turgescent Despote - Notre Leader Enflammé - Notre Prince Exalté - Notre Electrique Potentat - Notre Rageur Souverain - Notre Martial Souverain - Sa Majesté Omnipotente - Notre Enfantin Monarque - Notre Implacable Monarque - Notre Malicieux Souverain - Notre Merveilleux Leader - Notre Mirobolant Monarque - Notre Oncutueux Souverain - Notre Mobile Monarque - Notre Catastrophique Leader - Notre Souverain Sourd - Notre Sauveur Auto-Proclamé - Notre Intraitable Monarque - Notre Prince Pusillanime - Notre Reconnaissant Souverain - Notre Turpide Leader - Notre Jaloux Monarque - Notre Prince Immaculé - Notre Monarque Sanctifié -  Nicolas Le Pieux - Notre Souverain Modeste - Notre Miraculé Monarque - Notre Eclectique Leader - Notre Prince Chicaneur - Notre Rutilant Timonier - Notre Vaillant Leader - Notre Souverain Sapiens - Notre Artificieux Souverain - Notre Roublard Suzerain - Notre Rapide Monarque - Notre Pauvre Souverain - Notre Facétieux Monarque - Notre Impassible Leader - Notre Prince Furibard - Notre Majesté Immature - Notre Piètre Monarque - Notre Sulfureux Souverain - Notre Fougueux Timonier - Notre Etincelant Potentat - Notre Naïf Souverain - Notre Sagace Souverain - Notre Cupide Monarque - Notre Discret Despote - Notre Moelleux Monarque - Notre Nerveux Prince - Notre Méfiant Monarque - Notre Narcissique Leader - Notre Prince Crapahuteur - Notre Belliqueux Monarque - Notre Pugnace Leader - Notre Foudroyant Monarque - Notre Leader Va-t-en-guerre - Notre Prince Incertain - Notre Brouillon Despote - Notre Atomique Monarque - Notre Luminescent Autocrate - Notre Jacassante Majesté - Notre Oublieux Despote - Notre Impavide Leader - Notre Bouleversant Monarque - Notre Utile Monarque - Notre Pimpant Leader - Notre Guide Serein -  Notre Prince Ebloui - Notre Velléitaire Monarque - Notre Satisfaite Majesté - Notre Bancal Souverain - Notre Altesse Attendrie - Notre Vipérine Majesté - Notre Mielleux Monarque - Notre Satanique Leader - Notre Leader Belliqueux - Notre Monarque Assouvi - Notre Prince Avenant - Notre Délétère Suzerain - Notre Foutresque Tyranneau - Nicolas Le Névrosé - Notre Malin Souverain - Notre Turbulent Monarque - Notre Goulu Tyranneau - et Notre Envieux Souverain, enfin.

  • Héraclite, l'ascendant solaire

    Héraclite d'Ephèse, ou l'Ephésien, ou encore l'Obscur est, avec Empédocle d'Agrigente et Parménide d'Elée, l'un des philosophes présocratiques les plus importants, par la densité de son oeuvre -pourtant extrêmement brève. Fils de Blyson (selon Diogène Laerce), Héraclite naquit à Ephèse dans les années 500 av. J.-C. Ses 220px-Hendrik_ter_Brugghen_-_Heraclitus.jpgFragments élaborent une perception fondamentale -au sens propre- de l'Univers : le monde est créé par le feu et, en lui, il se dissout. Le devenir est une lutte de contraires et tout s'écoule comme un fleuve. Héraclite avait une appréhension des éléments qui paraît aujourd'hui étrange, ou seulement poétique : le feu, en se consumant, se mouille, en s'épaisissant, il devient eau, quand l'eau se coagule, elle se change en terre, constate-t-il et écrit-il. Un traducteur emblématique d'Héraclite, Yves Battistini, appelle Héraclite l'homme à l'habit de lumière dans le temple de l'Ombre (Parenthèse : quel torero ne rêverait-il pas d'être ainsi désigné?..).

    Filiation par connivencia

    Pour bon nombre de poètes et de philosophes, Héraclite fait figure de père fondateur : c'est un principe inévitable, un peu comme le Journal d'Amiel (et celui de Renard, en pole position) pour tous ceux qui ambitionnent de faire du leur une oeuvre littéraire. La littérature est faite, aussi, d'évidences de cet ordre. Il suffit d'observer : Héraclite est l'ascendant solaire de Hölderlin, de Heidegger et de Char. C'est comme cela qu'une sorte de filiation entre les êtres d'exception se produit : par connivencia. 

    Vivre de mort et mourir de vie, dit Héraclite. Et Hölderlin dira : La vie est une mort et gc_rt_heraclite.jpgla mort elle aussi est une vie. Heidegger consacrera un livre à l'Obscur Ephésien et un autre au Romantique allemand devenu fou et reclus à Tübingen. Heidegger fera d'ailleurs sien le fragment fameux : Il faut aussi se souvenir de celui qui oublie le chemin (voir le livre de Heidegger intitulé Chemins qui ne mènent nulle part). Enfin, en bâtissant son oeuvre, Char aura toujours les Fragments d'Héraclite suspendus au-dessus de lui comme une étoile : La foudre pilote (ou gouverne) l'univers, dit Héraclite. Char le prolonge avec : L'éclair me dure.  La traduction des Fragments par Frédéric Roussille (aux éd. Findakly) continue de faire pousser une oeuvre de base qui fait partie des fondations de la maison et qui, de surcroît, ne se détériorera pas au fil des siècles, y compris en terre volcanique...

    (J'ai publié ce papier dans Sud-Ouest Dimanche daté du 19 août 1984 : cet été-là -voir la note sur Bachelard ci-dessous-, je donnais visiblement dans le fondamental élémentaire inaltérable...) 

  • Bachelard, le feu et le rêve

    images.jpegGaston Bachelard restera le poéticien le plus sensible, le philosophe de la poésie et du rêve le plus accessible du XXème siècle. Ses célèbres travaux sur L'eau et les songes ou sur La poétique de la rêverie, chefs-d'oeuvre de limpidité, sont des invitations au voyage dans la tête du poète. Dans La flamme d'une chandelle par exemple (son oeuvre, en format de poche, est chez Corti et aux Puf), Bachelard donne à contempler le plus simplement du monde une flamme solitaire, tandis que lui s'abandonne à l'imagination sur les rêveries. Tout rêveur de flamme est un poète en puissance, écrit-il. C'est aussi un monde pour les solitaires; un monde secret et silencieux qui unit la solitude de la flamme à celle de l'homme. Grâce à la flamme, la solitude du rêveur n'est plus la solitude du vide, ajoute Bachelard. 

    L'astre de la page blanche

    Georges de La Tour (et les échos que René Char en a donnés) ne sont pas loin. Même 1009484-Georges_de_La_Tour_la_Madeleine_à_la_veilleuse.jpgs'il n'y a aucun clair-obscur dans la langue de feu (doux) de Bachelard. Pour l'écrivain, et du même coup pour l'auteur en train de rédiger l'ouvrage que nous tenons entre les mains, la chandelle est l'astre de la page blanche. Un beau sujet! Cependant, à l'analyse glacée et clinique du structuraliste ou au discours du psychanalyste, Bachelard préfère la voix de la poésie, et emprunte des vers à Novalis, à Trakl, à Pierre-Jean Jouve ou encore à Octavio Paz, pour illustrer son étude. Il y cueille les petits miracles de l'imagination. En effet, pourquoi la flamme, puisqu'elle s'envole, ne serait-elle pas un oiseau? Bachelard : Ou prendriez-vous l'oiseau ailleurs que dans la flamme? Pour Novalis, l'eau est une flamme mouillée. Octavio Paz, lui, épouse la verticalité des flammes : En haut... la lumière se dépouille de sa robe, écrit-il. Chandelle, 

    images (5).jpeglampe, flamme mouillée, la lumière qui, les soirs de solitude, étend ses ailes dans la chambre (Léon-Paul Fargue) devient à la fois l'ombre et la compagne du rêveur solitaire, qu'il soit un angoissé de la page blanche ou un mégalomane éclairé. Par la lampe, un bonheur de lumière s'imprègne, dans la chambre du rêveur, écrit Bachelard. Et dans la marge, rayé, le reste de l'humanité n'est qu'une armée de moucheurs de chandelles. C'est l'ennemie du rêve qui veille... Cela fait de La flamme d'une chandelle un livre fragile qui résiste au vent de la mode.

    (Je viens de retomber sur ce papier -il s'est glissé hors du livre qu'il met en lumière, et s'est aussitôt mis à virevolter comme un papillon, aussi l'ai-je resaisi; au sol. Je l'avais publié dans Sud-Ouest Dimanche du 8 juillet 1984. A l'époque, je donnais a minima une critique de bouquin par semaine à ce journal).

  • Grimaldi, Nicolas Grimaldi

    J'ai évoqué ses livres ici, à plusieurs reprises je crois. Là, je tombe sur un magnifique DSCF4059.JPGet très long papier paru dans Libération du 17 septembre dernier, signé Robert Maggiori (l'excellent chroniqueur philo de ce journal), sur ce philosophe un brin ermite, qui a le bonheur d'habiter depuis 1968 l'ancien sémaphore de Socoa (dans la Concha de Saint-Jean-de-Luz, près du fort Vauban, tout ça : un lieu inouï, magique, unique, de rêve total : photo ©L.M. : c'est par là-bas, au fond...). Je le regardais différemment, ces derniers jours, ce sémaphore-là (car je créchais à deux pas, entre Noël et le jour de l'An, chez mes amis Coco et Beñat : Sekulako, au passage, leur maison d'hôtes, est un pur nid de bonheur : http://www.chambres-dhotes-sekulako.com/ . Oui, je matais le sémaphore différemment, tout en me promenant là, à marée basse le matin -sous un ciel bleu dur intense d'hiver comme seul le Pays basque semble pouvoir en engendrer et en prodiguer genéreusement, avec cet air juste glacé-doux comme il faut et qui a la constante élégance de ne vous empêcher jamais d'être entièrement bien.

    images.jpeg

    Nicolas Grimaldi... (Photo © Le Monde des religions) A Bordeaux, entre 1977 et 1981, je suivais, un poil clando, son cours en fac de philo, lorsque j'étais à Sciences-Po et en Droit (je m'échappais pour) sur "Le désir et le temps" (Vrin, pour la 3ème éd.), car le sujet me fascinait, ainsi que le talent d'orateur du prof : humble, gestuel, doux, souriant, tutoyant, sans prise de tête, citant les grands maîtres comme s'il citait Devos ou sa coiffeuse (hum...), un peu à la manière de Jankélévitch lorsqu'il naquit au grand public à la faveur d'une émission demeurée célèbre d'Apostrophes (pour Le je-ne-sais-quoi du presque-rien) mais qui mourût peu de temps après, hélas, non sans avoir vendu, de ce fait télévisuel-là, autant de ses livres en quinze jours qu'il n'en avait  écoulé durant toute sa vie... Bref, Grimaldi avait ( à mes yeux d'alors -je ne l'ai jamais revu) le talent en lui et il s'en habillait aussi, mais sans apprêt, naturellement. La classe, quoi.

    Le mec, Grimaldi, me fascinait, avec ses histoires de désir, de mort du désir, d'accomplissement d'içelui dans le plaisir, fugitif... C'était à la fois philosophique et sexuel, captivant à tous les niveaux du corps et de l'esprit. Un cours érotique et solaire, dirait Michel Onfray. En plus, c'est un type -il faut le savoir d'emblée! C'est capital (à mes yeux en tout cas), qui avance que toute la question est de comprendre comment il est possible qu'il y ait dans la nature un être aussi dénaturé que l'homme.

    Or, je matais à distance respectable sa résidence "de rêve" tout en jonglant avec les flaques d'eau de mer laissées entre les rochers, tandis que mes enfants figuraient une marelle sur elles et entre eux.

    De retour aux archives, je retrouvai donc ce papier de Libé, gardé et refilé par ma petite soeur, parce que je l'avais raté à sa parution (merci Pascale!). 
    Il est précieux, ce papier de Maggiori sur Grimaldi paru dans Libé. 

    Et je vais vous en donner quelques morceaux, comme on gratifie des moineaux et un ou deux pigeons (timides retardataires), tandis que nous cassons la croûte en famille (recomposée) au Port-Vieux (Biarritz), de pain, de jamon, d'ardi gasna, de vin et d'eau (j'allais oublier quelques pâtisseries locales, dont un Russe) -un après-midi, pluvieux que la veille-, de fin décembre 2011. 

    téléchargement.jpegPhoto © Rodolphe Escher, parue dans le n° de Libération cité ici.

    Nicolas Grimaldi : Seul l'homme se demande : que dois-je faire de moi-même pour n'avoir pas raté ma vie? Que faut-il attendre de la vie pour qu'il ne suffise pas d'avoir vécu pour l'avoir gagnée? J'en suis resté là jusqu'au bout, aujourd'hui encore.

    A propos du concept de générosité chez La Rochefoucauld, ou La Bruyère d'ailleurs (peu importe, car pour notre bonheur c'est souvent un peu pareil) : La générosité (chez ces indépassables Moralistes du Grand Siècle) traduit une sorte de sentiment du quant-à-soi, pris en un sens particulier, dit N.Grimaldi : je ne vais pas me plaindre de ma situation comme si un autre en était responsable, non, c'est à moi seul qu'il appartient d'accomplir et de réaliser tout ce qui me paraît le meilleur.

    A propos de Bergson, N.G. : D'où vient qu'il manque à l'homme quelque chose qu'il ne parvient pas à déterminer, de sorte qu'il lui suffit de l'obtenir pour découvrir que ce n'était pas ce qu'il avait désiré?

    A popos de Pascal : "Jamais personne, sans la foi, n'est arrivé à ce point où tous visent continuellement. Tous se plaignent... Nous ne nous tenons jamais au présent, tout nous déçoit toujours."(Pascal). Inconstance, ennui, inquiétude, voilà la condition de l'homme. Toute mon entreprise est d'avoir tenté de rendre raison de l'anthropologie pascalienne, sans recourir à aucun des fantasmes de sa théologie, et sans Dieu, voilà.

    N.G. : Un leurre est celui de vivre dans l'illusion que ce qui est important n'est pas encore commencé. On attend des temps nouveaux parce que le présent est insupportable, alors que tout à l'inverse, c'est l'exaspération de notre attente qui rend insupportable le présent.

    N. G. : Si l'attente est l'étoffe de la conscience, l'imaginaire en est la fibre. Contrairement à ce que Sartre a prétendu, la perception et l'imagination, le réel et l'irréel ne sont pas deux mondes étanches, structurellement séparés. La figure emblématique de l'imaginaire, c'est l'hallucination, l'envoûtement, de sorte que, comme dans tout envoûtement, la conscience est capable de vivre l'irréel comme s'il était la suprême réalité, et le réel comme s'il était moins que rien. Et cela fait aussi bien la croyance, le fanatisme, les religions, etc. Et peut-être aussi la jalousie, presque entièrement fantasmatique.

    N.G. : La vie est élan. J'ai mon identité hors de moi, je suis à moi-même mon propre manque parce que je suis vivant, au sens où le propre de la vie n'est pas d'être, mais de se propager, de se répandre par sa propre nature, et de s'éprouver d'autant plus qu'elle se diffuse, qu'elle se communique davantage.

    Le véritable bien, le véritable bonheur, ce par quoi je me sens d'autant plus vivre, c'est au contraire de m'épancher, dans une sorte de générosité vitale.

    téléchargement (1).jpegPhoto © Journal Sud-Ouest

    Mais qu'est-ce qui fait que ce déploiement vitaliste, interroge Robert Maggiori, produise forcément le bien, et non une surpuissance dominante, "colonisatrice", destructrice?

    N.G. répond que l'illusion inhérente à la vie c'est, pour chaque individu, de croire qu'il est le centre de la vie et de ramener tout à lui, au lieu que la vie ne tend qu'à rayonner à partir de lui. Pour éviter toute "volonté de puissance", il faut d'abord détruire cette illusion.
     

    Précisons que Grimaldi a beaucoup étudié Descartes, mais pas davantage que Socrate ou Proust (auxquels il a consacré de précieux ouvrages, la plupart publiés aux PUF et chez Grasset. Voir dans les archives de ce blog). Qu'il ne semble absolument pas nietzschéen, en tout cas pas aficionadévôt (si je puis risquer ce mot-valise), comme un Onfray, qui est par ailleurs un admirable décodeur des concepts philosophiques si délicats de Volonté de puissance et de Surhomme, et que Nicolas Grimaldi n'est pas non plus un Schopenhauer de Saint-Jean-de-Luz. (Mon seul manque, personnel, par rapport à Grimaldi, c'est l'absence de Spinoza chez lui, ou bien alors je n'ai pas encore tout pigé, ce qui est plus que probable). Ecoutons-le encore, car il est avant tout un être lumineux et d'une richesse précieuse :

    Psychologiquement, je m'éprouve d'abord dans la solitude, dans la séparation, dans l'abandon. Je suis tout seul dans mon lit et ne peux rien sans les autres, les autres ne sont pas d'abord ceux vers lesquels mon être va se diffuser, mais ceux dont j'attends toute chose. Ensuite, je pourrai leur donner ma vie. Or il ne s'agit pas seulement de la donner biologiquement, encore faut-il infuser, transfuser l'intensité de ce que je sens, afin que les autres fassent leur propre substance de la mienne. D'un point de vue moral, donner la vie, c'est plus facile à dire qu'à faire, car je veux bien donner de l'argent, je veux bien donner des leçons ou aider quelqu'un à accomplir sa tâche, mais comment puis-je donner ma vie sans imposer ma personne et, par là, imposer une contrainte, une sorte d'aliénation, auxquelles les autres ne sont pas prêts... Il me semble que nous n'avons que deux manières d'irradier notre vie sans imposer notre personne : c'est le travail et l'amour. Dans l'amour, je donne ma vie, mais sans ma personne, tandis que dans le travail, c'est par une sorte de dévotion anonyme, clandestine, secrète -si bien que je dirais que le travail est la forme la plus discrète et la plus délicate de l'amour.

    A la question de Robert Maggiori sur la manière de se donner sans se "fondre" dans l'autre, le philosophe de Socoa répond ceci : Il y a aussi cette forme que Descartes appelait l'amour de bénévolence ou l'amour de dévotion, par lequel je me voue à la perfection, à la réalisation de l'autre. Comment dirais-je? Que la personne aimée soit comme une oeuvre en état d'inachèvement. Un même violon, un même piano ne sonnent pas de la même façon selon le musicien qui en joue. Eh bien ce que j'ambitionnerais, dit Grimaldi,  ou ce que l'amour me fait ambitionner, c'est que la personne aimée puisse "sonner" d'une manière plus émouvante, plus personnelle, grâce à ma présence, à mon attention, à ma vigilance, que sans moi. J'ambitionnerais qu'elle n'eût pas pu être autant elle-même sans moi qu'avec moi.

    Comme cela est juste et beau!.. J'en frissonne et j'en ronronne -Pas vous?

    Maggiori relance in fine en demandant alors si cela vaut pour n'importe quel amour. Réponse de NG :  Cela vaut même pour le travail du professeur, qui est de rendre la pensée aussi contagieuse qu'une émotion! Ce qui me semble le plus analogiquement proche de cet amour que j'évoque, conclut le philosophe, c'est la complémentarité de deux solistes jouant une partition piano-violon, où chacun soutient le chant de l'autre, le porte, lui apporte un surcroît de couleur, de chair, de rythme, et par conséquent de vitalité.

    Eh bé, le voilà Spinoza! Dans la vitalité, dans la joie, dans la puissance d'exister!..

    Lisez Grimaldi.DSCF4064.JPG
    Merci.

    Désormais, je ne puis regarder la concha de St-Jean-de-Luz autrement qu'en pensant à l'ermite qui se repose là-bas tout au bout le veinard (photo ©L.M.), en peignant (car il peint aussi, et beaucoup, semble-t-il), qui sourit en regardant l'horizon marin, qui médite et continue d'écrire, pour notre bonheur à venir, qui pense à bien. Comme tant d'autres pensent à mal...
    Et va comprendre, des fois : le savoir là (me) rend cette baie en forme de croissant de lune mille et une fois foulée, encore plus paisible, encore plus agréable en toute saison.

    NB : c'est bien sûr moi qui souligne (en gras) les propos qui m'apparaissent comme étant les plus marquants.

  • feuilles de décembre

    images.jpegPas mal de poches, surtout des folio et des Poésie/Gallimard, dégustés ces jours-ci. A commencer par l'anthologie personnelle de Philippe Jaccottet, immense poète que j'adore et que je lis et relis depuis 34 ans déjà. Cela s'appelle L'encre serait de l'ombre, notes, proses et poèmes (1946-2008) choisis par l'auteur, et si vous n'avez qu'un livre à acheter du poète de Grignan, grand traducteur par ailleurs, prenez celui-ci. 560 pages de bonheur poétique absolu. Dans la même collection Poésie de Gallimard, citons Mon beau navire, ô ma01070659821.gif mémoire, sous-titré Un siècle de poésie française. C'est une anthologie plutôt bien ficelée, de belle facture : honnête et pas scolaire, avec son content de grands classiques et sa dose de modernité, mais où l'on trouve, à l'instar d'une arête dans le poisson (je chipote, je sais) un poème de Rilke, qui était né à Praque et de langue allemande (mais il est vrai qu'il écrivit en français ses dernières oeuvres, notamment
    images (3).jpegVergers
    , dont est extrait le poème choisi dans la présente anthologie -et traduit d'ailleurs par Jaccottet). Mention spéciale (en Poésie/Gallimard, toujours) à l'oeuvre complète magnifique (1954-2004) du Nobel 2011, le grand poète suédois Tomas TranströmerBaltiques, car il s'agit vraiment d'une formidable découverte.  


    De Jean Clottes, préhistorien passionné, lisez le passionnant Pourquoi l'art préhistorique?, un inédit en folio/essais sur les grottes ornées de France et d'Espagne surtout, notamment la grotte Chauvet qui intéresse de plus en plus le public, même si elle ne se visite pas, et dont une réplique 

    01070816312.gif

    (façon Lascaux II) est en cours d'élaboration. Cet engouement est sans doute dû au coup de projo que le docu admirable de Werner Herzog (le réalisateur d'Aguirre... entre autres chefs d'oeuvre, et l'auteur de Sur le chemin des glaces, éd. POL, journal de voyage déjanté, sauvage et donc hölderlinien en diable) lui a donné sur grand écran. En folio essais encore, l'étude (inédite elle aussi : bien, l'initiative de faire entrer directement en format de poche des essais qui... compteront) : L'animal que je ne suis 01069227312.gifplus, titre très derridien que Etienne Bimbenet donne à ce copieux et souvent ardu (mais passionnant de bout en bout) essai sur l'origine animale de l'homme -pour faire très court. En clair, l'homme est un animal humain. Et le rapport de l'homme à l'animal, dans cette étude philosophique, va bien au-delà de l'éthologie. 


    images (2).jpegPhilippe Sollers
    continue de compiler pour notre bonheur ses articles littéraires donnés ici et là (l'Obs, Le Monde...) et cela produit à chaque fois un folio de 1000 pages et plus. Le dernier opus se nomme Discours parfait (il était paru il y a moins de deux ans en Blanche) : de l'intelligence à l'état pur, mâtinée d'une mégalomanie que l'on a fini par pardonner, ou sur laquelle nous glissons car le personnage est aussi attachant qu'irritant... tant il est brillant. Admirables pages sur Shakespeare, Montaigne, Saint-Simon, Van Gogh, Venise, Stendhal à Bordeaux... Entre autres analyses subtilement circonscrites, avec tact, érudition et talent, bien sûr.

    01067779851.gifDe Modiano, voyez L'horizon, qui n'est pas son plus mauvais roman sur le seul et (désespérément) unique sujet de son oeuvre : l'Occupation. 

    Albert Camus à 20 ans est le nouveau volume d'une collection 84626100986580S.giforiginale publiée Au Diable Vauvert, signé Macha Séry. Revivre l'aventure de la jeunesse algérienne de l'auteur du Premier homme, à Alger en 1930 donc, entre matches de foot, bistrots, copains, filles, soleil et... une tuberculose qui entre sans frapper, est vivifiant. Cela remet nos idées en place sur le Camus journaliste débutant, le jeune essayiste, le séducteur, l'homme lucide surtout. Captivant (en attendant la bio de Camus que Michel Onfray publie ce mois-ci chez Flammarion...).


    images (1).jpegRetour à Killybegs
    , qui a valu le Grand Prix du roman de l'Académie française à Sorj Chalandon (Grasset) est un bon et solide roman sur la trahison, qui fera sans doute date. Sur fond de combats de l'IRA, c'est fort comme un hot whiskey au retour d'une chasse à la bécasse dans les bushes, c'est franc comme un coup de poing bien assené et sec comme le regard d'un ami frappé de déception : cela ne cille ni ne ploie. Je ne citerai que la phrase placée en exergue du roman, relevée sur un mur de Belfast : Savez-vous ce que disent les arbres lorsque la hache entre dans la forêt? Regardez! Le manche est l'un des nôtres!

    photo.JPGDire que je n'ai pas du tout aimé La Guerre sans l'aimer, de Bernard-Henri Lévy (Grasset, 648 p.), est un euphémisme. Je voulais quand même feuilleter abondamment, m'arrêter ici ou là, tenter de comprendre la pathologie de ce Journal d'un écrivain au coeur du printemps libyen. Mais les bras m'en sont tombés. J'ai repensé à une formule de Cornelius Castoriadis à propos de "l'imposture BHL" : De la camelote à obsolescence incorporée (dans L'Obs, en 1979, déjà). Puis j'ai pensé à la posture du même. Les mots qui me sont venus à l'esprit, en feuilletant, sont, pêle-mêle : fatuité, mégalomanie, narcissisme, folie peut-être, mythomanie, délire identitaire (Malraux), culte aveugle du Moi, mépris du sujet : peuple,  guerre, victimes, morts, pathétique illustration d’une époque, achat d’une entrée dans l’histoire (Jet privé, cameraman perso...). Cela ne saurait inspirer que le dégoût, sauf à la cour de l'auteur. Le plus surprenant n’est pas que cette mise en scène incrédible soit ahurissante, mais qu’elle ne puisse pas tuer de ridicule son instigateur : comme quoi la pathologie narcissique rend si aveugle son sujet que celui-ci pense peut-être avoir vraiment agi humblement et de manière désintéressée pour son propre pays et pour le peuple libyen. BHL est juste l’illustration pornographique des limites que l’on peut oser tenter de dépasser pour satisfaire un égocentrisme gigantesque. Cet homme se rêve en Malraux depuis qu’il est tout petit et il n’a pu, à l’instar d’un Russe parvenu, que s’acheter à coups d’euros l’affligeante mise en scène de ses désirs de gloire, à défaut d’avoir attendu de se voir décerner un bon point par le public et par ses pairs, voire par la reconnaissance de l’Histoire, qui parvient encore à garder la tête froide. BHL invente l'édifiant à compte d'auteur (je sens qu'on va me la piquer, celle-là). Car le drame réside ici : les riches s’emmerdent. Il font joujou avec leur fric en se rendant en petit zinc privé à proximité raisonnable des champs de bataille, et posent en costard-chemise blanche propres (voir à ce sujet la page d'une ironie formidable, dans Technikart de la semaine passée  -photo ci-dessus, qui m'a été transmise par l'une de mes élèves en journalisme). Est-il d’ailleurs nécessaire de pointer du doigt cette risible mascarade ? Ne faut-il pas la passer sous silence plutôt qu’à tabac ? S'agirait-il d'une ambulance dorée sur laquelle nous tirons tous peu ou prou? (D’aucuns seraient tentés d’être avare de leur mépris, vu le grand nombre de nécessiteux, pour paraphraser Lichtenberg…). Ce qui est frappant, c’est de voir combien les cintrés sont capables de faire montre d'un inébranlable aplomb. Berlusconi lynché symboliquement par une Italie en liesse et unie, le soir de sa démission, déclare qu’il est fier du bilan de son (trop long) passage au gouvernement de la Botte. BHL est traîné dans la boue, conspué verbalement, ridiculisé par les Guignols de Canal+ et par tant d’articles de presse, mais non, il continue de se montrer, d’exposer  son personnage impeccablement contrôlé pour le paraître, comme si de rien n’était, voire comme si un consensus se faisait en sa faveur. Ces apparitions sans vergogne, sans aucune dignité humaine minimale, sans une once d’amour propre authentique, me font penser à ces accusés que l'on aperçoit à la télé, accablés par d’irréfutables preuves, qui réapparaissent menottés en affichant un sourire large comme l’innocence, tandis que celle-ci est devenue une chimère qu’il sera vraiment compliqué de ravoir, à l'instar d'un méchant accroc à la poche d'une veste (dûment retournée). Pour achever cette notule sur une insignifiente somme, je dirais qu'en plus, bé-ach-elle, son auteur, s'écoute écrire à chaque phrase. Mais passons.

    images.jpegimages (1).jpegLumineuse, l'idée d'Olivier Frébourg, patron des éditions des Equateurs, de reprendre dans sa petite collection Parallèles, deux textes splendides de Jean-Paul Kauffmann, l'un sur Bordeaux : Voyage à Bordeaux 1989 (que je suis fier de posséder dans son introuvable édition originale, celle de la Caisse des Dépôts et Consignations publiée à l'intention du notariat français, illustrée par Michel Guillard, mise en pages par le talentueux Marc Walter et préfacée par Jacques Chaban-Delmas!), l'autre sur le champagne : Voyage en Champagne 1990. Il s'agit de textes très littéraires sur les vins, les paysages, les hommes de la vigne. C'est précis et pêchu comme toujours avec Kauffmann, voire précieux dans l'écriture (comme du Veilletet, du Gracq) et surtout profond : le bordeaux est une initiation, prévient-il. Et le champagne est fils de l'air.

    Chez le même éditeur, voici la nouvelle édition d'un guide original : Le Guide des images (2).jpegVoyages en Cargo et autres navires, de Hugo Verlomme et Marc-Antoine Bombail. Slow is beautiful lancent avec justesse les auteurs. Un livre unique pour tout savoir sur les possibilités de voyages à bord de paquebots, cargos, car-ferries, navires mixtes, brise-glace, grands voiliers, caboteurs et autres vieux grééments, baliseurs ou navires scientifiques... Sur les océans et les mers du monde entier.

    images (4).jpegMon amour est le titre donné à une épatante anthologie de textes amoureux (folio, sous un coffret rouge ravissant bardé d'un ruban imprimé aux mots de je t'aime) que l'on a envie d'offrir -et c'est le premier but d'une telle démarche éditoriale! (Saint-Valentin oblige). Stendhal, Ovide, Proust, Cohen, Aragon, Duras, Shakespeare, Verlaine, Labé, Neruda, Eluard... Ils sont tous là et, curieusement, parmi ces classiques magnifiques, on trouve un seul contemporain peu connu pour ses textes amoureux : Jean-Christophe Rufin! Allez comprendre, des fois...

    Ravages-Slow-Tome-7_slider.jpgLa revue (mauvais esprit) Ravages publie son nouveau numéro sur le thème : Slow! Comme toujours, c'est décapant, irrévérencieux, rentre-dedans, franc du collier et salutaire, et la maquette est redoutablement chic-efficace. Slow citta, slow food, slow life, slow money, slow travel, slow drive, slow industry, slow management... Tout est passé en revue, et des signatures prestigieuses comme celle d'Edgar Morin donnent dans Ravages. Bravo!

    Dans un tout autre domaine, félicitations aux éditions Ulmer pour1318513197.jpg l'originalité et la beauté de leurs publications (déjà remarquées ici même) : Les Miscellanées du jardin, de Guillaume Pellerin et Cléophée de Turckheim, sont par exemple un chef d'euvre d'édition audacieuse, tant pour l'illustration que pour le propos. Ce petit bijou nous apprend des tas de choses sur les mots du jardin, des anecdotes, des petits trucs, et c'est captivant, élégant, subtil et surtout bourré d'infos originales et sincèrement enrichissantes.

    1317212357.jpgToujours chez Ulmer, Les Jardins à vivre de Pierre-Alexandre Risser (20 ans de jardin à Paris et ailleurs) est un ouvrage splendide sur l'oeuvre d'un paysagiste de grand talent, un créateur de jardins et de terrasses en ville beaux toute l'année, en somme. Photos remarquables.

    Signalons enfin Vice et Versailles, roman noir et parfoisimages.jpeg désopilant signé Alain Baraton (Grasset), jardinier en chef du parc de Versailles et du Trianon : cela regorge et dégorge d'intrigues, de meurtres, de coups fourrés sanglants. On se croirait chez les Borgia. Et c'est, de surcroît, écrit dans un style enlevé!

    Et comme je n'écrirai plus avant l'année prochaine sur ce chien (c'est ainsi que je nomme toujours mon blog, car il faut bien que je le nourrisse avec fidélité), je dis juste à tous : VOEUX A VOLONTE!

     

  • De Luca Prix François-Sommer

    images.jpegOh, ce n'est pas le Goncourt, ni le Renaudot! C'est juste un prix littéraire modeste, mais comme il a été attribué (dans la catégorie fiction) à un délicieux petit récit de l'immense écrivain Napolitain Erri De Luca, je le souligne ici. Le poids du papillon (Gallimard) a été chroniqué ici même (le 26 avril dernier), à sa sortie (*). J'ajoute, immodeste, que j'ai moi-même reçu en 1993 le Prix François-Sommer (ainsi que le Prix Jacques-Lacroix de l'Académie française) pour mon premier roman, Chasses furtives. Et que, par la suite, j'ai fait partie du jury de ce Prix François-Sommer pendant plusieurs années; jusqu'en 2002 je crois. Bravo à De Luca, donc. Lisez ce petit bijou poétique sur la montagne, le Sauvage, l'expérience des limites, l'humilité de l'homme face à l'irrationnalité animale, et aussi Tu, mio, ainsi que Trois chevaux, que Montedidio, et encore Pas ici, pas maintenant, etc. 

    (*)http://leonmazzella.hautetfort.com/archive/2011/04/26/le-poids-du-papillon.html 


  • Gaston et Gustave

    images (4).jpegC'est le livre le plus poignant de l’automne. Le plus personnel aussi, le plus fort et sans doute l’un des mieux écrits. Gaston et Gustave, publié au Mercure de France, vient de remporter le Prix Décembre (ex-aequo avec Jean-Christophe Bailly). Olivier Frébourg, écrivain (de Marine), journaliste, éditeur, nous a déjà donné une dizaine de très bons livres –romans, essais. Lisez son Nimier, trafiquant d'insolence (LTR, La Petite Vermillon), Maupassant, le clandestin (Folio), Souviens-toi de Lisbonne (La Petite Vermillon) -voir sur ce blog à la date du 20 octobre dernier, et aussi Port d'attache (Albin Michel) et encore La vie sera plus belle (Le Livre de Poche). Il avait déjà laché un livre personnel très émouvant : Un homme à la mer (folio). Avec Gaston et Gustave, il ouvre à nouveau son cœur, largement, et délivre sa peine d’une trop grand souffrance. L’écriture, nous le savons, est une catharsis contre les coups du destin. Elle doit permettre aussi d’alléger tout sentiment de culpabilité. En tout cas essayer…

    L'intransigeante loi de Flaubert

    Le Gaston du titre, c’est le survivant de jumeaux grands prématurés. Gustave, c’est Flaubert, le maître en tout d’Olivier, père de Gaston. Rappel des faits. Festival des Etonnants Voyageurs, Saint-Malo, week-end de Pentecôte, il y a cinq ans. L’auteur et son épouse Camille, enceinte de jumeaux, sont avec leurs deux premiers garçons, Martin et Jules, réunis pour un événement littéraire qui autorise des promenades aux enfants. Le lendemain, Olivier Frébourg doit regagner Paris pour son travail d’éditeur. La routine. 29 mai. Camille, dont le terme de la grossesse se situait début septembre, accouche très prématurément au bout de 26 semaines. Et c’est le drame. Olivier, réveillé en pleine nuit par sa belle-mère, revient immédiatement en Normandie comme on monte à l’échafaud, déjà perclus d’un sentiment de culpabilité impossible à contenir. Et pense déjà que tout ça, c’est la faute à la littérature. Son vieux Flaubert n’a-t-il pas toujours prescrit et suivi un précepte infaillible, une loi d’airain : un écrivain doit se consacrer à son art, n’avoir ni épouse ni enfant. Même à ses amis, Flaubert ne pardonnait pas de se fourvoyer, précise Frébourg. Au lieu de quoi Olivier à mêlé l’écriture à la vie, des métiers, et une vie familiale. Mais la bourlingue et ses enfilades de rendez-vous professionnels jettent à présent sur lui une chape de responsabilité quasi névrotique, plus lourde que la dalle d’un tombeau. Devant l’entrée du CHU de Rouen, où le petit Gaston va lutter contre la mort des semaines durant et où l’ombre de son père désemparé va désormais passer le plus clair de son temps, l’imposante statue de Flaubert se dresse comme une montagne de reproches. La statue du commandeur expose son implacable moralité de granit. Gaston est un oisillon de 981 grammes hérissé de sondes et entouré de monitors qui clignotent, oscillent, dessinent d’inquiétantes courbes. La vie de la famille a basculé un mardi de cendres, vers 6h53 du matin, lorsque Camille a été césarisée et qu’Arthur a succombé à « une souffrance fœtale aiguë ».

    Les pages crues de de la sincérité

    Commence alors un double roman, où l’auteur alterne le récit du calvaire tantôt terrifiant, tantôt bouleversant de la survie du bébé, et une sorte de biographie d’une empathie rare : Frébourg connaît Flaubert comme personne. Cette quête sourde de l’écrivain « responsable » apaisera l’auteur, pansera un tant soit peu sa douleur infinie, mais ne cautérisera jamais vraiment rien. Camille a frôlé la mort. Flaubert, l’opium de la jeunesse d’Olivier, rôdait-il ? Le premier « peau à peau » de Gaston avec sa mère, quelques jours après le drame, agira à la façon d'un miracle léger comme l'aile d'un papillon. Brisée, Camille se déplace encore dans un fauteuil roulant en skaï beigasse –l’atmosphère « hospitalière » est admirablement décrite, y compris pour ses touchantes beautés, comme ce sens inné du don que possèdent les infirmières. Puis les événements terribles s'enchaînent. L’auteur ne les épargne pas dans l’écriture. Il livre, crues, les pages sur le choix du petit cercueil, celui de l’urne, l’épisode de la crémation. Il y assistera seul. Sans famille, sans ami. Et c’est bouleversant, écrit dans une langue somptueuse qui garde une beauté froide tandis qu’elle est empreinte d'une douleur cardinale. Rien d'impudique, tant chaque mot est puissamment posé avec délicatesse et sincérité. Frébourg écrit droit, sa phrase est hiératique comme un capitaine debout, en proue dans la tempête. Camille, peintre et philosophe de profession comme dans l’intimité, affrontera l’épreuve avec un calme confondant, admirable. Olivier ne sait pas encore que sa femme le quittera bientôt. Ce retour de flamme supplémentaire couve encore.

    Le recours au maître panse la douleur

    Pour l’heure, un écrivain et père meurtri jusqu’à l’os, en appelle à Gustave, son recours dans l’œil du cyclone, et porte-flingue désigné par cette chienne de littérature. Prendre un café dans un bar et voir autour de lui l’insouciance du monde suffit à le crucifier. Des correspondances entre la vie de Flaubert et les circonstances accablantes font étrangement surface, croisent et pleuvent dans la mémoire de l’auteur. Par fétichisme sans doute, il voit des signes là où il n’y a que coïncidences. Ainsi le livre respire, qui nous prend par la main des chapitres entiers pour nous raconter Flaubert. Les lieux s’y prêtent. C’est un pays commun aux deux auteurs, le maître et le disciple. Pas un village, pas une route que Frébourg ne sache rattacher à un événement de la vie de Gustave, lorsqu’il va voir son petit Gaston. Le petit s’en sortira enfin. Les parents se retrouveront dans leur chambre, gisants pensant avoir vaincu les brisants. Camille sait qu’elle a donné la vie et la mort en même temps. Comment va-t-elle continuer avec cela. Et les autres garçons, les aînés. Et Gaston, le jumeau esseulé, qui prend à présent gramme après gramme. Et Olivier, le narrateur nu, qui livre là un roman d’une franchise intérieure gigantesque… Les dessous du voyage en Orient de Flaubert et son ami Maxime Du Camp, le jeune Flaubert se lançant à corps perdu, au cœur de la province de l’ennui, dans sa « Bovary », donc en lui-même, la genèse de « L’Education sentimentale », la correspondance du maître bien sûr, puisque c'est un monument au sein de son oeuvre...  Nous apprenons beaucoup de choses, dans notre lecture croisée de ce livre admirablement construit, puisque l’alternance des récits y est si fondue que la vie de Gustave fait corps avec la progressive venue au monde de Gaston. Frébourg va plus loin pour amoindrir le mal tandis qu'il l'accroît. Il cherche chez d’autres écrivains des échos à sa douleur, des similitudes biographiques vaine recherche. La lucidité d'Olivier est totale : il sait que la perte d’un enfant est devenue un genre littéraire. Et surtout qu’il n’y a aucune utilité au malheur. Il n'empêche.

    Réapprendre à marcher

    Un 23 août au matin, Camille annonce qu’elle quitte le père de ses quatre fils. Olivier se retrouve sonné, seul à son bureau d'écriture avec les cendres d’Arthur placées dans une urne, elle-même calée entre deux piles de livres. Partir. Il faut partir. Mais pas fuir, là-bas, fuir... Il n’ira pas dans les îles lointaines, ni dans son Vietnam adoré, il n’embarquera pas une fois encore sur un navire de la Marine pour une Erythrée conradienne. Il entamera un voyage infiniment flaubertien, « par les grèves et par les champs », pas trop loin des êtres aimés, avec un fidèle ami. Mais aucune déviation au chagrin n’amenuise celui-ci. Différer en affrontant la bête, l’ogre des lettres, le roc Flaubert, sur ses terres, n’est déjà pas si mal. Sac au dos, apercevoir des maisons de charme comme celle du bonheur familial, entendre des enfants jaillir d’une école sont cependant autant de poignards qui se dressent et trouvent le ventre du romancier. 

    images (5).jpegLa tentation d’appliquer le mot de Feydeau : « J’ai voulu noyer mon chagrin dans l’alcool mais il savait nager » est grande... Et puis la vie reprit peu à peu son cours et commença de délivrer ses premiers pansements. Olivier réapprit à marcher, en quelque sorte. Il apprit aussi à avoir les enfants une semaine sur deux. Certes, il y aura toujours une place vide sur la banquette arrière, lorsqu’il jette un regard dans le rétroviseur, mais les trois gamins sont pleins de vie. Sur la route de Croisset, le plus vivant et bé oui, c’est Gaston ! Il a à présent cinq ans et une énergie incandescente. « Seul, j’ai porté  de mes mains Arthur jusqu’au feu. À son tour, Gaston me tire de la froide solitude », écrit Frébourg. Il a osé dévoiler sa terrible histoire (nous le savons infiniment secret), et offert à la littérature un livre fort comme la mer.


    Le troisième Flaubert

    images (5).jpegJe saisis l'occasion pour saluer l'essai de Pierre-Marc de Biasi, flaubertien scientifique -limite entomologiste et aussi précis qu'un horloger genevois : Gustave Flaubert, une manière spéciale de vivre (Grasset et Livre de Poche), relu pour l'occasion, car c'est une somme édifiante, une "bio" archi-documentée, à l'anglo-saxonne, et qui caracole comme son sujet d'ailleurs. L'enquête aborde le "troisième Flaubert" : après le romancier "impersonnel des oeuvres" et l'épistolier "inimitable des lettres", il y a "l'homme-plume" au travail, le Flaubert des manuscrits et des carnets, celui pour lequel "l'oeuvre est tout et l'auteur n'est rien".                                                                                                          

  • Are you so crate?

    images (4).jpegSocrate toujours. Comment se passer d'air? De sang? D'électricité dans les veines du cerveau et de l'âme/corps? Sans Socrate, tu meurs! Laisse Platon, son exégète, son scribe. Prends Socrate, et re-sache que tu ne sais rien. Sache que tu sais nada. Et va nu. Sois. Deviens (si tu veux) celui que tu es, ou pense être. Deviens sage : sois ouverture, rigueur, courage, endurance, engagement, humilité. Ne déçois plus jamais. Apprends à comprendre ton être de tout ton être. Tu sais qu'être riche, c'est n'avoir rien à perdre. Même si ce que j'ai dit est mon maître, et ce que je n'ai pas encore dit est mon esclave, je me sens avant tout tissé de l'étoffe dont sont faits les rêves dont je ne me souviens pas.

    C'est pourquoi je regarde la lune la nuit, et pas son reflet dans l'étang ou la flaque. Je crois au réel, de moins en moins au moisi des mots consignés dans les livres.
    Même les plus beaux, les plus séduisants d'entre eux, je m'en méfie à présent. Je regarde la lune, donc. Et je rigole en voyant l'autre, à côté de moi, qui ne regarde que mon doigt pointé vers elle. La vie c'est ça un peu, non?
    Socrate, again and again : "La seule chose que j'ai comprise est que je ne sais rien". Arme-toi pour dépasser cela.

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    T’en penses quoi, de ça, So Crate ? : Pour se compléter, pour devenir sage et fort, c’est simple, il suffit de s’ouvrir, de laisser venir ce qui manque, l’autre moitié essentielle de soi-même. Cette recherche de la complétude, demande de l’attention et de la persévérance. Apprendre à céder est un problème d’attention, et d’amour. (C’est un peu le fameux : être vaincu parfois, soumis jamais).


    Si elle savait qu’on peut toujours plus que ce que l’on croit pouvoir !.. Et toi, Socrate, qui me redit : « Ceux qui désirent le moins de choses sont le plus près des Dieux ». Yes, but…
    images.jpegEt Diogène, ton pote par-delà les siècles, qui me tire par la manche en me rappelant que là, on lui dit qu’il était interdit de cracher par terre, et par conséquent il cracha au visage de celui qui venait de le lui interdire. Diogène ajouta : c’est le seul endroit sale que j’ai trouvé.».
    J’aime, j’aime. Comme l’anecdote célèbre : L’empereur, du haut de son cheval, flanqué d’une armée de gardes du corps, se penche sur Diogène, à moitié avachi dans son tonneau, et lui dit : « J’ai beaucoup entendu parlé de toi. En bien. Demande-moi ce que tu voudras et tu l’obtiendras : Palais, or, terres, femmes, ce que tu veux ! ».
    Et Diogène de répondre, après un long silence observateur : « Oui. Ôte-toi de mon soleil ! » (Ce que je veux, c’est que tu t’en ailles, car tu me caches du soleil…).
    Le cynisme à l’état pur est une vitamine de bonheur. Et Diogène, un Socrate devenu fou (selon Platon). Mais comme dit Liebniz le coincé, « les lendemains de fête sont rarement des parties de plaisir ». Dommage pour lui : il n’a connu ni les Rolling Stones ; ni les boîtes de nuit. C’est con.

    Look at Socrate : c’est celui qui réagit. Donc le philosophe à l’état pur, du tungstène métaphysique trempé.

    Car il réagit sans se soucier du reste. De tout le reste. Il réagit. A corps et âme perdus. Son arrogance philosophique nous dure, comme l’éclair d’Héraclite, répercuté par Char, via (le douteux Heidegger), et Hölderlin. C’est bon. Ca fait un bien fou, le matin, d’y penser. Socrate ne s’inclinera jamais devant aucun pouvoir, fut-ce celui de la douleur ou encore celui de la mort (seule la ciguë aura raison de lui, mais parce qu’il aura consenti a l’absorber lui-même, en portant –seul- le poison à sa bouche). Ce type préférait mendier que demander la faveur de vivre. Une telle fierté n’est que flamenca, de nos jours. Nietzsche l’avait perçu, qui parlait du bout des
    moustaches, de philosophes fiers comme des toreros.

     

    Moi j’y vois la fierté de la parole donnée, la fierté de l’absence de mensonge : tu ne te respectes pas si tu ne dis pas la vérité –ta vérité, d’abord-, et si tu acceptes d’agir autrement que tu ne penses. Si tu feins de respecter le pouvoir que ta compétence n’a pas légitimé, t’es qu’un gros naze et oublie la glace, brise le miroir, ça t’évitera la honte (et encore).

     

    Socrate ce héros, dit (tant de belles choses pour agir sur notre quotidien, qu’il devrait être mis en flacon avec vaporisateur et distribué gratuitement à la sortie des bus, des trams, des métros, des trains, des avions, des vélos et des pigeons voyageurs !) : il dit = ne manque jamais à ta parole, un homme vrai ne se dément pas, il ne renie jamais ce qu’il a affirmé. Il n’a peur de rien, pas même de la mort (Brel : « un homme qui n’a pas peur n’est pas un homme »). Il est affranchi de toute lâcheté, rien ne l’effraie comme l’injustice, mais il consentira même à s’y plier, pour prouver que la mort n’est rien. Son sacrifice me dure davantage que l’autre sur sa croix (et les deux autres qui sont même pas sur la photo!), lequel ne m’émeut pas, parce que le gore me fait gerber et que … « Il se venge sur nous depuis deux mille ans de n’être pas mort sur un canapé » (Cioran). 

     


    La seule chose que je reproche à la pilule quotidienne nommée Socrate, c’est de ne pas contenir dans sa formule (j'ai vérifié sur le papier), un anti-douleur fondamental, réputé apaiser les frustrations d'enfants gâtés que nous sommes tous un jour ou l'autre : Nicolas Grimaldi, (dont je buvais les paroles lorsqu’il enseignait « Le désir et le temps » à la Fac de Lettres de Bordeaux, il y a quelque temps déjà), le résume ainsi, dans « Socrate, le sorcier » (Puf) : « Cette mélancolie qui vient de ce que tout nous est échec. Comme par une sorte de malédiction, notre désir n’est jamais satisfait. Jamais nous n’obtenons ce que nous attendions. Il nous suffit même de parvenir à ce que nous désirions pour qu’il ne soit plus désirable. La déception est notre lot. Cela est sans exception. Puissance, amour, plaisirs, tout tourne à dérision ». (Plus on possède plus on désire ; de sorte qu’on se trouve comme dépossédé de tout ce qu’on a par le désir de ce qu’on n’a pas). Traînons-nous comme une casserole la mélancolie de l’inaccompli ?

     
    podcast
     

    Personnellement, j’aimerais en finir avec l’aporétique, l’aporie, soit ce qui est sans issue. Les sans issue me gavent ! Je ne me sens pas l’âme du poseur qui s’interroge (avec un plaisir douteux) sur « le sans-issue, l’absence de conclusion positive », mais plutôt celle d'un (modeste) passeur -d'émotions, pas d'idées … Merde ! Socrate, c’est gai ! Socrate, c’est de la vitamine S ! C’est de l’agrume concentré. Croque ! Bon, d’accord, il est chiant parce qu’il dit toujours : « Non ! » avant de commencer. (J’en connais un autre, l'immense Julien Gracq –j’y reviendrai encore souvent-, qui commencait chacune de ses phrases, ou chacune des réponses à mes questions, lorsque je lui rendais visite à Saint-Florent-le-Vieil, par : « Non… ». C’était d’un chiant ! Mais je m’y suis fait, à force et par admiration : « vous êtes un lecteur militant », m’a-t-il dit une fois)... Socrate : le réfutateur te pousse à t’interroger d’emblée, sur ce que tu viens de dire. Prends ça ! Tiens, réfléchis, no repos ! Moi j’aime ça, la mouche du coche, l’empêcheur de tourner en rond, en carré, en bourrique. Enfin, bon…

    Je reviendrai sur Socrate (parce qu’on revient toujours à lui, t’y peux rien et c'est si bon, ça!).

     
    Nota Bene : note parue ici même en avril 2006, mais fermée aux commentaires.
    Photos : Socrate m'a piqué mon Mac.
    Diogène dans son tonneau avec des chiens.
    Zik : Abed Azrié : Alchimie, Royaume.
  • Dors et fais pas chier

    C'est le titre d'un petit livre à montrer à des bambins (les dessins sont mignons et sereins) mais que seuls les adultes doivent lire pour se marrer... trois minutes montre en main. Sous le titre originel de Go the Fuck to Sleep, Adam Mansbach (texte), père d'une fille de trois ans, et Ricardo Cortés (dessin) ont fait un tabac aux USA. Depuis, le monde s'arrache les droits de cette plaquette d'une trentaine de pages publiée en France par Grasset. C'est drôle, le feuilletage fait monter en puissance un agacement paternel qui nous rappelle une pub audacieuse (Use condoms, que l'on peut voir sur Youtube). L'auteur dit tout haut ce que d'aucuns pensent tout bas. 

    dors_couv.jpg

    Exemple :

    Les hiboux ont quitté le sommet des érables,

    A tire-d'aile dans la nuit, eux seuls veillent encore.

    Mon petit lapin, je vais péter un câble.

    Je t'ai déjà dit que tu faisais chier? Allez. Dors

  • gloumiam-lu

    images (2).jpegBaïbeule : en matière de guides des vins, le Hachette fait figure de bible, à l'instar du "Rouge" (le Michelin) pour les restaurants. Lorsque je dirigeais l'outsider de ce dernier, le "Jaune" (le Guide GaultMillau France des restaurants), je faisais fi du Rouge. Enfin, je m'efforçais d'ignorer sa force, mais je luttais contre. Aprement. A présent, je reconnais clairement que le Michelin -tout comme le Guide Hachette des Vins, sont des références absolues à côté desquelles les autres guides semblent se traîner. Exception faite des images.jpegguides particuliers : les deux Lebey (restos et bistrots) pour  les tables de Paris et alentour, le fooding pour la catégorie de restos qu'il traite, ou encore le Petit Lapaque des vins de copains et le carnet de vigne omnivore de Sylvie Augereau pour les vins naturels et bios. Donc je salue ici la nouvelle édition du Hachette des vins -indispensable et constamment à portée de main pour vérifier une adresse, un cépage, un site, un truc. Ainsi qu'un petit guide fort pratique et très sympa, car bourré de découvertes : 1001 meilleurs vins à moins de 10€, que publie (pour 14,95!) Le Petit Fûté.

    images (1).jpegCôté solide, lisez Terra Madre (éd. Alternatives), de Carlo Petrini, le fondateur du mouvement Slow Food il y a un quart de siècle déjà. Et oui. Son credo : Bon, propre et juste! Cet infatigable apôtre de l'alimentation saine, diversifiée, équitable, de proximité, naturelle, bio... a lancé le programme Terra Madre en 2004. Des milliers de producteurs, de paysans, de restaurateurs, d'amateurs, se retrouvent à Turin tous les deux ans pour échanger leur savoir-faire et leur expériences. Et surtout leurs espérances. Fraternel, ce mouvement semble avoir un bel avenir devant lui. Le livre retrace les grandes lignes de la philosophie Petrini, destinée à "renouer avec la chaîne vertueuse de l'alimentation", afin que la nourriture ne nous mange pas, qu'elle ne dévore plus ni les paysans, ni l'environnement. Lutter contre le gaspillage, l'abondance, les besoins artificiels, vaincre l'incertitude ou encore prendre soin de l'économie infra-locale afin de mieux jouir de la vie via l'assiette, sont des chapitres qui fleurissent les pages de ce petit bouquin ni austère ni sectaire, ce qui constituait un risque.


    Visuel-Dictionnaire du Désir de la Bonne Chère (Honoré Champion).jpgLisez aussi les dernières parutions des éditions Honoré Champion : la collection Champion les dictionnaires s'enrichit du Dictionnaire du désir de la bonne chère, d'Alan Jones. Avec les recettes musicales du Festin joyeux (1738), trésor oublié mais mythique de la littérature culinaire française du XVIIIème siècle, signé d'un certain J.Lebas dont on ignore encore le prénom. Gastronomie et musique baroque sont ainsi liées comme avec une sauve au vin rouge capiteux. Exhumer ces recettes d'un autre temps, où l'on trouve des produits aujourd'hui impensables en cuisine, notamment des gibiers interdits, des poissons étranges, et des manières de les préparer absolument pas light et donc pas du tout politiquement correctes, est méritoire. Les recettes sont mises en chansons et cela donne une connotation joyeuse à l'ensemble. En feuilletant, on s'imagine dans une toile de Brueghel, même s'il ne s'agit pas de la même époque. Nous sommes loin des pensums à la gloire du fitness, qui font la chasse au gras. Ici, c'est à la grive qu'on la fait, ainsi qu'à la tripaille et à la carpe en matelotte. Fricassées, gibelotes, galantines, dindons, hures, ragoûts, perdreaux aux écrevisses, farces, pieds de cochon, mais aussi galimafrées, gimblettes, godiveaux, trumeau et veau de rivière parsèment les 580 pages de ce précieux dictionnaire.

    Chez le même éditeur, dans la collection (très érudite) Champion les mots, notons Le Visuel-Le Chocolat (Collection Champion Les Mots).jpgVisuel-Le Parfum (Collection Champion Les Mots).jpgchocolat, qui favorise la paresse et dispose à ces voluptés qu'inspire une vie langoureuse (c'est le titre en entier), de Nicole Cholewka. Et Le parfum, qui fortifie le cerveau et chasse cette légère rêverie qui accable l'esprit..., signé Magalie Gobet et Emmeline Le Gall. Etymologie, expressions, proverbes, termes vernaculaires, sources littéraires, illustrations... Deux petits bouquins précieux pour aller au-delà des mots qui évoquent la cabosse, la fève, la tablette, et l'essence, les fragrances et la trace...


  • Le nouveau Quignard

    images (1).jpegLes solidarités mystérieuses, le dernier roman de Pascal Quignard (Gallimard) est stupéfiant tant il déçoit. Disparue la magie de cet auteur précieux et fondamental -l'un des meilleurs du moment. Plus rien, dans ce livre creux, livide, insipide par endroits, de l'écriture hiératique, austère et pure, limpide et d'une beauté entre toutes remarquables. Passage à vide? Laxisme d'auteur et laisser-aller éditorial? Ce nouvel opus de l'auteur si poétique, si érudit de Vie secrète, des Petits traités, de Villa Amalia, de Tous les matins du monde et de tant d'autres bijoux, m'a ennuyé et lorsque je l'ai achevé il y a une douzaine de jours, je me suis senti désappointé, presque trahi. Reste à présent à espérer un nouveau bon bouquin -fiction ou essai, peu importe, et à relire contre toute attente le(s) Quignard que nous aimons.

  • Miam d'automne

    rubon56-cb2b5.jpgCanard exquis rassemble des recettes insolites de chefs (Parisiens d'adoption pour la plupart), à partir du canard à foie gras du Sud-Ouest. Philippe Boé est au texte, Pierre-Emmanuel Rastoin à la photo (éditions Menufretin). Et cela donne un album étonnant, avec une scénographie audacieuse qui permet de renouveler un chouia le genre. Nous aimons particulièrement les pages consacrées à nos chouchous : Julien Duboué (Dans les Landes, et Afaria, à Paris 5 et 15), Alberto Herraïz (Fogon, Paris 6), et aussi Iñaki Aizpitarte (Le Châteaubriand, et Le Dauphin, Paris 11), ou William Ledeuil (Ze Kitchen Gallery, et KGB, Paris 6). Antoine Heerah, Jean-Marc Notelet, Phiippe Labbé, Frank Xu, Alain Senderens et Jérôme Banctel sont les autres chefs qui se sont prêtés au jeu de la photo et de la recette bien sûr, le tout au service de la filière IGP (Indication géographique protégée) Canard à foie gras du Sud-Ouest. Précieux (je sens que je vais pas mal cuisiner le canard en novembre).

    Nota : le livre a été présenté -en présence de tous les chefs- à l'occasion de la soirée annuelle de l'association Gascons toujours, à l'hôtel Shangri-La (av. d'Iéna à Paris) le 19 octobre dernier. 

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    Saveurs sauvages rassemble 28 chefs autour du gibier. Autant de recettes subtiles pour cuisiner les viandes les plus savoureuses du monde. Julien Fouin est au texte, Carrie Solomon à la photo (éditions du Rouergue), et les photos sont absolument magnifiques, qui traitent chaque portrait et chaque nature morte à la manière des peintures holandaises du XVII ème siècle. Ici aussi, le genre (le livre de cuisine du gibier) est esthétiquement décapé. Certains chefs évoquent leurs souvenirs personnels de chasse, comme Thierry Marx (Le Mandarin Oriental, Paris 1) approchant l'ours à l'arc au Canada. D'autres bravent l'interdit (ce n'est pas ici qu'on leur en fera le reproche) : Jean-François Rouquette (Park Hyatt, Paris 2) donne une recette d'ortolans. Côté excellence et finesse extrême des chairs, Alexandre Gauthier (La Grenouillère, La Madelaine-sous-Montreuil) livre sa recette de bécassines, et Jean Sulpice (L'Oxalys, Val-Thorens) une autre de chamois (je ne connais pas de meilleurs gibiers dans l'assiette -et sur le terrain aussi, d'ailleurs). Notons par ailleurs les pages consacrées à des chefs que nous aimons particulièrement : Christian Etchebest (La cantine du Troquet, Paris 14), Cédric Béchade (L'AUberge basque, St-Pée-sur-Nivelle, 64) et Claude Colliot (Claude Colliot, Paris 4), lesquels proposent -ce n'est pas un hasard- chacun une recette de palombe. Nouvelle star oblige : Yves Camdeborde (Le Comptoir du Relais, Paris 6) fait la couv. et offre une recette de bécasse (on l'attendait lui aussi sur la palombe), et notons que -cerise sur le gâteau- le livre s'ouvre avec un extrait de la correspondance gourmande entre Jim Harrison et Thierry Oberlé. Superbe.

  • Vite lu

    Le Dernier des Mohicans, de Bernard Frank (Les Cahiers Rouges, Grasset, avec un avant-propos fort intéressant de Charles Dantzig), n'a pas vieilli, parce que le style de Frank est imprégné d'anti-rides. Le9782246788720.gif sujet, lui, date un peu : il s'agit d'un pamphlet à l'adresse de Jean Cau, alors secrétaire de Sartre, à propos des querelles qui agitaient le mundillo littéraire de l'époque : l'existentialisme, l'avant-garde, le Nouveau roman contre les Hussards... C'est même un libelle  pour relire l'histoire littéraire parisienne des années 50 (je possède déjà le livre dans son édition originale de 1956 : il est paru chez Fasquelle dans la collection Libelles, justement), et aussi l'occasion de relire la prose charnue et fluide de Frank. Il s'en prend avec brio aux Mandarins, le Goncourt de Simone de Beauvoir. Mais il excelle dans sa réponse à l'éreintement de son roman Les Rats (qui vilipendait les romanciers engagés), par Jean Cau dans la revue Les Temps modernes. C'est un régal de diatribe. Le "Nimier de gauche" n'y est pas méchant. C'est pire : il assène à Cau une réplique avec un style(t) fait de venin indolent plus efficace qu'une verve insolente. 

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    Petit éloge de la joie, de Mathieu Terence (folio 2€) m'est apparu d'emblée dans son sujet, mais passées les premières pages, ce tout petit livre s'essouffle et se révèle être une collection distendue de pensées molles, dotée d'une philosophie faible et, tous comptes faits, il est assez barbant. En tout cas pas joyeux, or le moins qu'on attende de cet ouvrage, c'est qu'il le soit. Dommage.

    9782710368595.gifLe Bottin des lieux proustiens, de Michel Erman (La Petite vermillon, La Table ronde) fait suite au Bottin proustien, du même auteur aux mêmes éditions. Exclusivement réservé aux  familiers de la Recherche, ce petit annuaire re-situe chaque lieu évoqué dans l'espace et dans l'oeuvre, certes, mais sans plus-value. Je veux dire de manière assez administrative et donc froide. Au point de penser, si l'on ne s'est pas encore frotté à l'oeuvre de Proust, qu'elle n'est guère réjouissante (c'est le témoignage que j'ai recueilli en prêtant l'ouvrage). 

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    Premier bilan après l'apocalypse (Grasset) de  Frédéric Beigbeder m'a déplu par sa suffisance, son éclectisme très in the mood, ses lacunes abyssales, mais il m'a plu aussi parce que je me suis retrouvé en affinité avec certains bonheurs de lecture que je partage avec l'auteur : Paul-Jean Toulet, Gide, Blondin, Echenoz, Larbaud, Harrison, Blixen, Bouvier. J'estime cependant le livre inutile. Ou alors un genre littéraire nait et chaque écrivain un peu connu, curieux et altruiste pourra y aller de son anthologie personnelle. Pourquoi pas...

     

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    Côté miam-glou, le chef pâtissier Christophe Felder donne un livre de plus, que Points (Seuil) publie dans sa nouvelle collection en tout (trop?) petit format : ".2" (Point Deux). Gâteaux et tartes rassemble 60 recettes illustrées, et surtout il donne d'abord tous les tuyaux de base et les tours de main pour réussir une pâte, à la manière dont on donne un cours de cuisine. Indispensable.

     

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    Le Petit Dico des vins naturels, du sommelier Jean-Charles Botte (Le courrier du livre, préface de Michel Onfray), est une mine. Formidablement documenté, ce bouquin fait le point avec talent et science sur un vocabulaire encore nouveau. Les vins naturels commencent à pénétrer nos cavistes et donc nos caves et c'est tant mieux, mais le monde du bio a son jardon, que ce livre nous aide à décrypter. Un carnet d'adresses de vignerons et de cavistes complète le livre. Précieux.


  • Holder se lâche

    images.jpegLe nouveau recueil de nouvelles d'Eric Holder, Embrasez-moi (le dilettante) est très cul, mais avec tellement de littérature que c'est un délice priapique. Sept nouvelles d'enfilades par surprise, avec des "oh!", les voies et détours de la f(r)iction, un talent fou pour dire la chose et surtout son approche, forcent l'admiration. Car le sujet (littéraire), qui est vieux comme l'écriture ou presque, est périlleux, pour ne pas dire casse-gueule. Holder s'en sort avec maestria, précision, une armada inouïe de métaphores succulentes et une tendresse qui éloigne chaque glissement de toute vulgarité, même s'il saupoudre ses phrases d'une touche de grivoiserie bienvenue. Ses nouvelles sont de petits chefs-d'oeuvre de littérature érotique. On en redemande, après la pause pratique.   

  • L'écrivain

    Didier Dagueneau, Marcel Lapierre... Lorsque de grands vignerons s'en vont, nous craignons toujours pour les millésimes à venir, car ceux qu'ils ont écrits et réalisés s'épuisent, à coups de tire-bouchon. Avec les écrivains, c'est plus commode : on peut relire, boire chaque jour. 

    A ce propos, ou presque, connaissez-vous l'écrivain?

    C'est un terme qui désigne aussi un insecte de la famille des coléoptères, qui attaque la vigne en grignotant ses feuilles (voire les baies) et, ce faisant, les découpe en fines lanières sinueuses qui figurent des caractères ; une écriture...

    La poésie de la signification de ce nom m'épate. On appelle l'écrivain le diablotin en Île-de-France, et gribouri en Bourgogne. Et aujourd’hui eumolpe.

    Sa dénomination zoologique fut Bromius vitis, puis Adoxus obscurus, ou  vitis et maintenant Bromius obscurus.

    Le cigarier (Deporaus betulae) désigne un autre insecte, un coléoptère charençon, trapu, cousin de l’écrivain. Celui-ci a le don de rouler les feuilles de vigne afin d’y pondre ses œufs à l’intérieur !

    L’écrivain de la vigne a pratiquement disparu, et avec gribouri, nous n’étions pas loin de gribouillis, d’écrits rabougris ! On combattait l’écrivain en lâchant des poules, des dindes et des pintades à ses trousses. Il est de pires poursuivants… Puis la chimie et ses batteries d’insecticides ont eu raison de lui, sans poésie aucune, dans de nombreuses régions viticoles.

    Reste les écrivains, et parmi eux les poètes, souvenez-vous, au printemps, « de ces drôles de types qui vivent de leur plume ou qui ne vivent pas, c’est selon la saison » (Léo Ferré).

    Et il existe même des « écrivins », espèce plus rare. Ces derniers se piquent d’écrire sur le motif. Parfois, leurs écrits ne sont pas vains. C’est selon leur raison…

    Olivier de Serres, vers 1600, appelait instrumenteur le cigarier, ce génie des cépages qui ne fit pas un tabac chez les vignerons, puisqu’il les mettait en pétard. Ils ont tenté de l’éradiquer parce qu’il desséchait la vigne en la roulant. Il les aura bien enfumés en voulant seulement se reproduire à l’abri...

     

  • Beaucoup de silence pour rien

    images (1).jpegJean-Michel Delacomptée livre un Petit éloge des amoureux du silence (folio 2€) qui serait seulement délicieux s'il n'était pas entâché d'un esprit chagrin qui vire ronchon au fil des pages et qui finit par une plainte primaire, doublée d'un catalogue des nuisances sonores qui polluent notre quotidien urbain et rural. Et l'on se dit, tandis que ce petit livre nous glisse des mains, que son auteur est finalement bruyant, qu'il nous casse les oreilles en énumérant ce qui amplifie nos acouphènes. C'est dommage, car le sujet est beau. Il eut fallut peut-être traiter du silence, pas du bruit...images (2).jpeg

    Dans la même collection, Petit éloge de la première fois, de Vincent Wackenheim, est autrement plus savoureux, espiègle et séduisant. Mais le sujet s'y prête davantage.

  • Rentrée littéraire, suite

    J'ignore vraiment pourquoi je me sens impressionné par la forme (la quantité de pages) davantage que par le fond (les thèmes sont costauds, pour la plupart) de certains livres de cette rentrée : le Reinhardt qui mélange les genres et qui m'attire par son côté sexuel, le Carrère sur le nauséabond et border-line Limonov, qui affichait il y a peu un portrait de Mussolini dans son bureau..., le Grossmann (que je lirai quand même car il semble que ce soit un livre majeur sur l'histoire d'Israel, au delà du sujet extrême du livre : la perte du fils à la guerre et le refus de la mère d'accepter cela -l'ensemble raconté par le père lui-même), le Schneider -je le lirai sans doute, moins à cause du thème du frère perdu, suicidé il y a trente-cinq ans, que pour la prose de l'auteur de "Marilyn, dernières séances", et de "Maman" -sur la mère de Proust. Tous ces livres, et bien d'autres encore, me rebutent un peu.

    Mais allez savoir pourquoi (je ne crains même pas de paraître ringard en écrivant ce qui suit) je n'ai pas cette appréhension devant la énième relecture d'un Dostoïevsky ou de Proust. Peut-être parce que je sais par avance qu'à chaque page une belle phrase me sautera à la gueule avec eux (comme avec le "Journal" de Jules Renard, un poème de Char, une page de Gracq ou les aphorismes de Cioran, en gros), et donc qu'un plaisir du texte me ravira et comblera, à lui seul, ma journée -et qu'avec les autres, je deviens méfiant, rétif, paysan : j'attends de voir. Je sais c'est con, mais qui puis-je! Reconnaissez que j'ose le dire, que je ne crains pas d'avouer cette étrange faiblesse, que j'associe à ma baisse d'aficion (tenez : demain, il y a un mano a mano Castella-Perera à Bayonne avec des toros de Jandilla : cartel de lujo! Eh bien je n'irai pas, c'est comme ça : pas assez le feeling. Perdu, le feeling, té!). Mais de voir quoi, donc ? Je me suis connu plus fonceur, plus découvreur -certes, lorsque c'était mon métier de me "cogner" toute la rentrée littéraire pour un hebdo (oulà, c'était y'a longtemps, ça), j'y allais, mes manches retroussées, et allez! J'en avalais deux-trois chaque jour, car à l'époque il y en avait quand même près de quatre cents au courrier, au total et dès avant l'été -et dès le petit-déjeuner, je me les bouffais tout crus. Puis je sélectionnais, et puis je rédigeais mes pages, je faisais part de mes coups de coeur et de mes coups de gueule...

    Aujourd'hui, je trouve peut-être que "la chair est triste..." Alors, "Rouler", de Christian Oster (L'olivier), me ravit bizarrement car son road-novel de Paris à Marseille ne raconte strictement rien, presque rien, mais-mais que cela produit de la littérature, de la vraie. Si, si. Je me régale avec de petites choses : "Petit éloge de la première fois", de Vincent Wackenheim, "Petit éloge des amoureux du silence", de Jean-Michel Delacomptée (folio 2€, les deux), "Petit dico des vins naturels" de Jean-Charles Botte (Le courrier du livre)  même si ce n'est pas de la littérature, "Les corrections" de Franzen, car je ne l'avais pas lu et que je veux le faire avant de prendre "Freedom" dont tout le monde ne parle plus. Ah, la dure loi de la mode, éphémère, et celle, plus sévère encore, de la vie d'un livre : pffffuuuiiittteuse. (Tu passes un an, six ans, à l'écrire et la presse en parle trois jours de rang et le public suit. Ou ne suivra jamais, sauf quand tu mourras, et alors là : pour trois jours maximum tu en prendras, mon vieux. N'espère pas plus -mais au fond tu t'en fous puisqu'alors tu seras mort...).

    Et vous savez quoi? Aujourd'hui, mon pied littéraire je l'ai pris avec l'album Rimbaud de La Pléiade, paru en 1967 et que j'ai trouvé pour le quart d'une demi poignée de cacahuètes chez un bouquiniste bayonnais qui ignorait qu'il valait plusieurs centaines d'€. C'est pas la question : je me le garde, bordel!  Mais écoutez : l'icono est vieillotte, l'odeur du papier est plus que moisie, les feuilles sont rêches, mais l'atmosphère de Charleville, du Harar, de cette putain d'indépassable "Saison en Enfer" sont là, pregnantes, épousantes. Et j'ai relu dans la foulée mes poèmes préférés d'Arthur, au premier rang desquels je place à jamais "Sensation". Et mon bonheur fut total. Après, je suis descendu à ma pharmacie, comme chaque jour (j'ai nommé ma librairie de quartier) et j'ai trouvé les couvertures pâles, les jaquettes aguichantes comme des pubs pour des bagnoles, et les gens qui passaient à la caisse avec leur Nothomb (j'ai rien contre elle, au fond, mais bon) ou leur Vargas (bon choix!), un rien pathétiques.

    Alors je suis allé m'asseoir dans le micro-jardin public du coin et j'ai lu vous savez quoi?.. "Avec mon meilleur souvenir", de Sagan. Oui! Et j'ai adoré, comme on adore une série genre les experts à miami police chose new york special six feet desesperate Dr who Grey's love truc. Vous voyez le genre? La littérature tient à peu de chose, pour peu qu'on prenne suffisament de distance avec cette satanée morue.

  • le pinot noir, comme une femme

    BU.  Prends le gauche, une cuvée de La Sorga, d'Anthony Tortul, un rosé paysan de St-Chinian comme on aime le rosé : opaque, vineux, un peu gazeux, limite marigot. Loin des pétales de rose provençaux qui tordent les boyaux après vous avoir fait de la gringue. Bu aussi un Volnay d'une sensualité dévastatrice : le Clos de la Cave, du Domaine Jean-Marc Bouley. Les deux dans le millésime 2009. Ce dernier était féminin comme une caresse de femme-chatte, je le jure. De quoi vous réconcilier avec le pinot noir pour longtemps. Car ce sublime cépage est trop souvent négligé en Bourgogne, sa terre natale et d'élection, pour ne pas souligner de telles surprises, de tels efforts sans doute, qui donnent une telle expression, une telle délicatesse, cette suavité aromatique et cette présence en bouche littéralement envoûtantes. 

    LU. La nuit de San Gennaro, de l'immense écrivain hongrois Sandor Màrai (poche), pour retrouver l'atmosphère de Naples dans les années 49. Et aussi les Récits oubliés, de "la" Morante, chez Verdier. Plus subtils peut-être que les nouvelles du Châle andalou, ces textes courts disent encore et encore la sensibilité suraigüe de l'auteur de L'isola d'Arturo pour le monde de l'enfance.  Enfin, jetez-vous sur Des yeux pour voir, de Miguel de Unamuno (folio 2€) afin de découvrir un autre Unamuno, conteur (philosophique), drôle, mystérieux parfois, exquis en somme. L'auteur du Sentiment tragique de la vie dit par exemple que le sérieux et la bêtise sont frères jumeaux... Et qualifie Don Quichotte de fou sublime. Ainsi s'achève le premier conte, qui donne son titre au recueil :

    Ce qui devait suivre arriva naturellement. Juan apprit à espérer et, ainsi, à unir l'avenir au présent, le bonheur d'un perpétuel lendemain en ce monde à la douceur de se laisser vivre et aimer.
    Et plus tard, lorsqu'il connut la vraie douleur, il ne la cacha plus, en se donnant le plaisir d'être plaint, il connut la joie d'être consolé. La véritable abnégation n'est pas de savoir garder ses peines, mais de savoir les faire partager. 

  • L’oracle de Saber Mansouri

    sabermansouri.jpgL’avantage d’un blog, s’agissant de rendre compte de la lecture d’un livre, c’est que l’on peut y évoquer notre connaissance de l’auteur en prévenant immédiatement qu’il ne s’agit pas de copinage, mais d’éclairage supplémentaire. Je connais Saber Mansouri. C’est un ami. Il publie ces jours-ci son quatrième essai : « Tu deviendras un Français accompli », Oracle (*). Composé comme un anti-manuel à l’usage des immigrés choisis qui ne se hasarderont pas à franchir la Méditerranée clandestinement jusqu’à l’île de Lampedusa au péril de leur vie (il précise lui-même qu’il n’eut pas le choix, car il ne sait toujours pas nager…), mais qui prépareront un tant soi peu leur arrivée sur le sol français en pensant notamment aux concepts de consensus, d’intégration (« un long travail sur soi », dit l’auteur) et aussi de renoncement... Précisons d’emblée une chose : ce livre ne s’adresse pas aux Djerbiens qui ouvriront une épicerie de quartier, mais plutôt à tous les étrangers qui désirent effectuer des études supérieures en France, et aux intellectuels sans avenir dans leur pays, futurs thésards et universitaires à Paris, comme Saber Mansouri l’est devenu. Il a quitté le djebel proche de Tunis pour devenir, quelques longues années plus tard (il a aujourd'hui quarante ans) –mais au prix de combien de privations, de difficultés quotidiennes, donc au prix d’efforts qui forcent le respect, enseignant à l’Ecole des Hautes Etudes, directeur de collection, écrivain essayiste. Bref, un intellectuel arabisant et helléniste, historien de formation, disciple de feu Pierre Vidal-Naquet auquel il voue une adoration certaine... Mansouri est, sincèrement, un intellectuel avec lequel, j’en fais le pari, il faudra compter désormais pour débattre du monde arabe, des questions musulmanes, de l’islamisme, de l’intégration, de l’immigration et de beaucoup d’autres sujets périphériques. Saber Mansouri, à travers ce manuel d’utilisation de la France à l’attention de ceux qui parviendront à y obtenir les indispensables sésames : une carte de séjour, puis un boulot, évoque un parcours du combattant. Il s’adresse aux futurs candidats à l’immigration choisie, afin de leur donner les clés de la France (et de Paris en particulier), les trucs et astuces, tous les tuyaux. D’abord il donne (ironiquement, en pastichant les documents officiels disponibles au Centre culturel français de Tunis, intitulés La carte compétences et talents) le prix de chaque chose : baguette, ticket de cinéma, photocopie, livre de poche,  repas moyen, entrée d’une boîte de nuit « si toutefois on vous laisse entrer »… Tout est consigné. Il s’agit d’un guide teinté d’ironie mais pétri de vérités hurlantes, désarmantes et souvent choquantes quant à l’accueil qui est réservé (avec force bâtons dans les roues en forme de découragements insidieux), aux immigrés choisis, et l’on comprend mieux, à la lecture d’extraits (ahurissants) de documents qui émanent du Quai d’Orsay, d’extraits du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ou d’autres ayant trait à la naturalisation, scrupuleusement reproduits dans le livre, le caractère pernicieux de la politique d’accueil made in France. Il rappelle d’emblée que « nos doctorants maghrébins et africains ont un courage inouï à faire rougir un gardien de phare dans les eaux troubles de Bretagne ». Car pour mener à bien une thèse sur l’influence de Lévinas sur la philosophie palestinienne contemporaine, par exemple, ils ne dorment pas la nuit car ils sont veilleurs dans des hôtels miteux et sous-payeurs. Cela s’appelle le mérite, pour parler à la manière des instituteurs de la IIIème République, mais c’est ainsi, criant de vérité et de douleurs, qu’à force de volonté, on tente de se faire une place honorable dans un pays qui ne vous attend pas et qui vous accueille avec la bave du dédain au bord des lèvres. D’autant que, diplôme de 3è cycle enfin en poche, l’Université vous invite gentiment à aller apporter du sang neuf dans votre pays d’origine plutôt que de postuler en France (et bouffer le pain de nos profs)… Mansouri distille des conseils. Ceux-ci traitent des démarches administratives kafkaïennes à accomplir sans cesse, tellement désarmantes qu’elles en deviennent surhumaines, de la mise en garde contre le piège du mariage blanc –qui ne donne pas beaucoup de droits, au fond, et auquel il suggère de préférer les voies d’une intégration « raffinée », ou de la mise en garde sur la durée légale d’une thèse, qui est de quatre ans, au-delà desquels l’étudiant peut se voir reconduire gratis dans son pays, s’il n’obtient pas une lettre salvatrice de son directeur de thèse, et encore du comportement à adopter dans un bar lorsque le racisme ordinaire pointe son sale pif sur celui qui commande un café. L’apprentissage du stoïcisme, de la sagesse, de l’intelligence qui est toujours la plus forte, face au défaut d’altérité, cela se construit au jour le jour. Avec une force intérieure indispensable et c’est cela que l’auteur enseigne : il faut savoir fierté et raison garder, mais sans trop les exposer. Il y a plusieurs livres dans cet oracle. Saber Mansouri est un fin analyste du monde contemporain, un dévoreur critique de presse et un avaleur pensant (même s'il prétend que l'Africain -au sens large- ne pense pas, mais réfléchit), d’essais philosophiques. Il a d’ailleurs ses têtes, ses bêtes noires, ses chouchous, ses maîtres ès art de vivre au quotidien : Derrida, Michelet, Vidal, Foucault, Baudrillard, Gauchet, Valéry (« les livres ont les mêmes ennemis que l’homme : le feu, l’humide, les bêtes, le temps ; et  leur propre contenu »). Il est par conséquent question –toujours à l’adresse des futurs candidats à l’intégration via les études supérieures, d’analyses coups de poing sur les « i ». De l’opération militaire « Aube de l’Odyssée en Libye : « Que fait Homère à Benghazi ? C’est long à expliquer, mais l’essentiel est là, dans le ciel libyen : nos Rafale libèrent un peuple arabe ». Au sujet de la loi sur « la dissimulation du visage dans l’espace public », du « CV anonyme » et de la minorité visible, du pitoyable sarkozysme, de la montée du « parti de Marine », des cités (qu’il compare à la cité originelle, la « polis » grecque), de Touche pas à mon pote, « un slogan pathétique porté par quelques arrivistes devenus aujourd’hui les notables de l’antiracisme », de Mai 68 : « on ne sait toujours pas si c’est un caprice bourgeois ou une révolution »,  du Printemps arabe : « décidément ces Arabes sont incohérents : un printemps en hiver ! ». Le « mundillo » littéraire germanopratin (qu’il a appris à décoder) n’est pas épargné : « la république des lettres est oligarchie. La chose littéraire est parisienne et oligarchique ; c’est un domaine gardé jalousement par des enfants gâtés, égocentriques, faussement mélancoliques, aigris et attendant toute la journée, une verre de sancerre à la main, le bon mot, l’article ou l’édito qui fera décoller les ventes, la grandeur publique et médiatique de la maison et les à-valoir ». À propos des bobos (après j’arrête et je vous renvoie au livre) : « cette nouvelle classe aime les étrangers au point qu’elle a fini par occuper entièrement leurs quartiers ». Nous le voyons, c’est beaucoup plus qu’un « témoignage rare d’un immigré choisi sur l’épineux thème de l’intégration », comme le précise l’éditeur dans son prière d’insérer. Cinglant, le ton de cet oracle (lemansouri.jpg genre est inédit depuis des siècles !) est également incisif et solidement documenté –l’auteur (photo ci-contre) demeure universitaire dans la méthode de son discours. Alors s’il existe une justice dans le monde de la rentrée littéraire de ce mois de septembre, versus essais, un grand succès attend ce petit livre rouge brûlant. Sinon, je me promets de m'infliger, en pénitence, la lecture des derniers Finkielkraut, Bruckner et BHL...

     

    (*) Saber Mansouri, Tu deviendras un Français accompli, oracle, Tallandier, 120 pages, 9,90€. En librairie le premier septembre.

  • Rentrée littéraire

    Ca commence à arriver. J'ai d'ailleurs entamé le très drôle (un style mi-Céline, mi-Boudard) "Les lumières du ciel" d'Olivier Maulin (Balland) qui confirme son talent proétiforme. Tout le ramdam autour de "Freedom", le nouveau Jonathan Franzen, m'a donné envie de lire (enfin) "Les corrections" (les deux sont à L'Olivier). Je n'ai pas encore eu le temps de lire le dernier Aharon Appelfeld ("Le garçon qui voulait dormir", L'Olivier), ni le nouveau Nicole Krauss ("La grande maison", L'Olivier encore, décidément!) parce que je suis en train d'achever "L'histoire de l'amour", que déboulent ou vont débouler en rafales serrées et nourries, les nouveaux Marie Darrieussecq (la Princesse de "Clèves" au Pays basque, il paraît : à voir de près, POL), Emmanuel Carrère sur l'écrivain "Limonov" (POL), Eric Laurrent (auteur Minuit, ça résume et ça classe), David Foenkinos (le Franzen français de la presse ces jours-ci : "aura-t-il enfin un grand prix cet automne, et nian nian nian...) avec "Les souvenirs" (Gallimard), les lectures favorites de Frédéric Beigbeder, les annuels Amélie Nothomb, Eric-Emmanuel Schmitt, Douglas Kennedy, Jean d'Ormesson, mais on s'en fout, et puis des trucs épars : les Michel Quint, Charles Dantzig (avec un roman ce coup-ci), Eric Reinhardt, Véronique Ovaldé, Laurence Cossé, Patrick Grainville, Yasmina Khadra, Lydie Salvayre, un Jean Rolin au titre durassien : "Le ravissement de Britney Spears" (POL), un Delphine de Vigan au titre bashungien : "Rien ne s'oppose à la nuit" (Lattès), un nouveau roman de Xabi Molia, et des étrangers de taille : le retour d'Arturo Perez-Reverte, de Haruki Murakami, de Philip Roth et de Mario Vargas Llosa, ainsi que les seconds livres (donc attendus au virage) de Sofi Oksanen (après "Purge"...) et David Vann (après "Sukkwan Island"...) et surtout "Du domaine des Murmures", second roman de Carole Martinez, qui fit tant sensation avec "Le coeur cousu" (Gallimard). Au rayon des premiers romans qui vont dépoter, citons (par oui-dire) "L'Art français de la guerre", d'Alexis Jenni (Gallimard), et "Du temps qu'on existait", de Marien Defalvard (Grasset), un gamin de 19 ans. Nous piocherons tranquillement et sans précipitation là-dedans. Sans nous sentir obligé. A suivre.

  • L'appel de Séville

    9782846263214.gifA l'heure où l'encierro de las San Fermines bat son plein à Pampelune (ah, le bon temps où je courais devant les toros à 7 heures du matin dans cette calle Estafeta...), voici un écho taurin remarquable :

    Prof de philo à Normale Sup, Francis Wolff est l’auteur notamment de Philosophie de la corrida (Fayard, repris au Livre de Poche), chroniqué ici à sa parution, un ouvrage fondamental sur le sujet. C'est ce livre qui a sans doute valu -honneur insigne pour un Français- à son auteur d’être invité à prononcer le pregon, ou discours inaugural de la feria de Seville 2010 (le 4 avril). Voici un extrait de ce discours déjà historique, intitulé L'Appel de Séville, et sous-titré Discours de philosophie taurine à l'usage de tous, que l’exigente aficion andalouse acclama :

    « La corrida est moins qu’un art parce qu’elle semble échouer à produire une vraie représentation, vouée qu’elle est à la présentation du vrai : un vrai danger, une blessure béante, la mort. Mais, pour la même raison, la corrida est plus qu’un art : c’est la culture humaine même. Ce n’est pas, comme l’opéra, un art total, c’est une culture totale, parce qu’en elle fusionnent toutes les autres pratiques culturelles. De fait, la corrida n’est ni un sport, ni un jeu, ni un sacrifice, elle est plus qu’un spectacle et elle n’est pas exactement un art ni vraiment un rite. Comme l’opéra, elle emprunte quelque chose à toutes les autres formes de la culture pour en faire un tout original et sublime. Elle fait de la surface des autres pratiques humaines sa propre profondeur. Au sport, elle emprunte la mise en scène du corps et le sens de l’exploit physique, mais non les scores et les records. Comme la domestication, fondement de la civilisation, elle humanise l’animal, mais elle le laisse libre. Comme dans un combat, on cherche à dominer l’adversaire, mais toujours le même doit y vaincre, c’est l’homme. Aux cultes, elle prend l’obsession des signes, mais il n’y a ni dieux ni transcendance. Au jeu, elle emprunte la gratuité et la feinte, mais les protagonistes n’y jouent pas, si ce n’est leur vie. Elle rend la tragédie réelle, parce qu’on y meurt tout de bon, mais elle rend la lutte à mort théâtrale parce qu’on y joue la vie et la mort déguisé en habit de lumière. D’un jeu, elle fait un art parce qu’elle n’a d’autre finalité que son acte ; d’un art, elle fait un jeu parce qu’elle rend sa part au hasard. Spectacle de la fatalité et de l’incertitude, où tout est imprévisible — comme dans une compétition sportive — et l’issue connue d’avance — comme dans un rite sacrificiel.. La tauromachie est moins qu’un art parce qu’elle est vraie, et au-dessus de tout autre art, aussi parce qu’elle est vraie. Le toreo, art de l’instant qui dure, ne parvient jamais à l'immuabilité des œuvres des « vrais » arts et à la pureté des créations imaginaires, parce que ses œuvres sont réelles et donc vulnérables, parce qu’elles sont entachées de l’impureté de la réalité : la blessure du corps, le sang, la mort. »

     

     

  • Mardi

    images.jpegMardi *, de Melville (folio, nouv. éd. préfacée par Philippe Jaworski), commence ainsi : Nous voilà partis! Les basses voiles et les huniers sont établis, l'ancre tapissée de coraux se balance au bossoir et les trois cacatois se gonflent à la brise qui nous suit au large comme les abois d'une meute. La toile se déploie, en bas, en haut, renforcée de part et d'autre de nombreuses bonnettes; si bien qu'à la fin, comme un faucon qui plane, nous ombrageons l'océan de nos voiles et, dans un ballottement, nous fendons l'onde amère. L'esprit même du travel narrative -le récit de voyages et d'aventures, se trouve ramassé, d'emblée, avec ces premières lignes. Nous partons. Avec Melville, nous sommes d'ores et déjà embarqués, la terre s'éloigne, l'horizon est à embrasser, l'innatendu nous bronzera, les îles de Polynésie sont là tout autour, qui vont devenir allégoriques, fortement mâtinées d'imaginaire et c'est tant mieux car c'est ainsi que la littérature est grande. Cette remarque ne vaut rien si on ne l'oppose pas aux si nombreux insipides incipit qui nous font tomber des mains tant de livres. Passer la première page est parfois aussi fastidieux que de passer la barre lorsque l'on se jette à l'eau pour surfer. Sauf que cambré sur sa planche, il suffit bien souvent d'attendre la fin d'une série de vagues pour y aller, mais vite, tandis qu'avec un livre, l'insipide incipit nous fout du vague à l'âme, voire nous coupe l'envie de tourner la p(l)age. Bien sûr, Melville c'est la littérature du Grand Dehors, ce n'est pas du chichiteux nombril parisien ou new-yorkais confiné entre quatre rues et deux appart'. But... Chacun mes goûts!

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    * Voici le pitch de ce gros roman : L'équipage du narrateur rencontre une pirogue à bord de laquelle un vieux prêtre polynésien mène au sacrifice une vierge blonde. Le héros, afin de sauver la jeune fille, Yillah, tue le prêtre. Le héros aborde à l'archipel de Mardi, où le demi-dieu Tadji s'empare de lui. Yillah disparaît. La quête devient l'événement central du roman. Yillah cesse d'être une femme pour devenir symbole de beauté, de pureté et d'harmonie.


    Melville s'inspire de la théorie de l'écart chuchotée par Montaigne : Je m'instruis mieux par contrariété que par similitude, et par fuite que par suite. (Essais, Livre III, VIII), afin de nourrir son roman foisonnant de digressions multiples et de rendre sa prose joyeusement vagabonde, comme le souligne Jaworsky dans sa préface. Du coup, Mardi peut-il être picoré au lieu d'être seulement lu.

  • Métamorphoses de l'amour

    images.jpegNicolas Grimaldi, dont j'allais écouter les cours sur Le désir et le temps à la Fac de Lettres de Bordeaux au tout début des années 80, donne à présent dans la jalousie (l'enfer proustien), Socrate (le sorcier) et parle admirablement, en philosophe sage, de l'amour. Bien que son dernier livre, Métamorphoses de l'amour (Grasset) contienne de nombreux lieux communs et vérités plates, il pose en réalité les questions simples (en illustrant son propos de manière oroginale : non pas avec des textes philosophiques, mais avec des extraits de romans de Simenon!). Qu'aime-t-on quand on aime? L'attente et ses ambivalences. L'intolérable solitude. L'existence transfigurée, sont quelques thèmes majeurs parmi d'autres que l'auteur aborde dans ce petit livre précieux.

    Etre sexué, écrit Grimaldi, c'est porter en soi l'attente d'un autre. En nous faisant éprouver jusqu'à la douleur notre substantielle incomplétude, la sexualité nous fait sentir que nous avons notre identité dans l'altérité. Sentir qu'on a son centre hors de soi : en même temps que cela suffirait à définir l'attente, cela pourrait aussi définir la disposition amoureuse (p.88).

    L'amour requiert une (...) mutuelle résiliation par laquelle chacun se rend plus attentif à l'autre qu'à lui-même. C'est le moment où chacun s'émerveille de l'autre et cherche à faire retentir en lui ce qu'il éveille en nous (p.121).

    Car le propre de l'amour est de s'éprouver comme une nouvelle naissance. S'être trouvés, c'est comme avoir ressuscité de soi-même. Une nouvelle existence commence, en laquelle ne subsistera plus rien des lourdeurs et des trivialités de l'ancienne (p.147).

    A la manière dont certaines oeuvres communiquent à notre vie un surcroît d'énergie et d'intensité, la personne que nous aimons transfigure l'existence par la lumière, la couleur, le tempo que son style y apporte (p.169).

    L'amour serait donc le contraire du complexe de Pygmalion. Bien loin d'admirer dans la personne aimée ce double de nous-mêmes que nous en aurions fait, on s'émerveillerait qu'elle nous eût associé à la manière si poétique d'exister que nous appelons son style. Le merveilleux de ce que nous aurions été serait alors de l'avoir été pour elle (p.171). 

  • Lis

    images.jpegPourquoi lire? demande Charles Dantzig, avec un talent déjà démontré dans ses précédents livres de la même eau (Dictionnaire égoïste de la littérature française, et Encyclopédie capricieuse du tout et du rien, les trois chez Grasset). La lecture n'est pas contre la vie, elle est la vie, affirme-t-il. Cela se discute. D'aucuns pensent aussi cela de l'écriture. Ecrire ou vivre? Vivre empêche d'écrire mais nourrit l'écriture. Ecrire empêche de vivre et tarit l'écriture... On se mord la queue, avec de telles réflexions. Dantzig ajoute -à propos seulement de lecture, que lire ne sert à rien. Nous lisons parce que ça ne sert à rien, clame le dandy érudit. Parmi les nombreux chapitres de ce brillant essai, citons : lire pour se trouver (sans s'être cherché), lire pour se contredire, lire pour se consoler, lire pour la jouissance...

    Extraits (formules et bons mots) :

    Un bon lecteur écrit en même temps qu'il lit. Il entoure, raie, met les appréciations dans tous les interstices laissés libres par l'imprimeur. (...) Un bon lecteur est un tatoueur. Il s'approprie, tant soit peu, le bétail des livres.

    Nous choisissons, dans nos lectures, les vêtements de nos sensations, les paroles de nos bouches muettes, l'éloquence de nos pensées borborygmiques.

    L'entre les lignes est l'espace merveilleux où le lecteur à bout de raisonnements ramasse la lumière magique qui lui donne ce qu'il veut : être persuadé.

    La vie est un conte de faits. La vie est de la prose, pas de la poésie.

    On lit pour voir chez les autres les défauts que nous nous cachons à nous-mêmes.

    Une lecture réussie, c'est aussi rare, aussi bon et laissant un souvenir aussi charmé qu'un acte sexuel bien accompli. Le lecteur couche avec sa lecture.

  • Glougueule

    top.pngCliquez => http://www.glougueule.fr/ et retenez ce site! Glougueule. Pour les hommes de glou. C'est fort en humour et en autodérision, ça décape et c'est sérieusement pas sérieux. J'ai fait la connaissance de l'un de ses brillants animateurs, Philippe Quesnot, "épicier savant" à Grasse et auteur de Vin d'Yeux (Ellébore), ainsi que celle de l'un de ses complices, Jacques Ferrandez, à qui l'on doit tant de magnifiques BD, en particulier 10 tomes sur l'Algérie : Carnets d'Orient (Casterman), à l'occasion du salon Cuisine et littérature, à La Colle sur Loup, près de St-Paul de Vence, les 5 et 6 juin derniers. Nous avons goûté ensemble quelques beaux flacons, notamment de Gramenon, et ce fut le point fort d'un salon plutôt calme et pluvieux, avec les canons de La Sorga pris en compagnie d'Anthony Tortul, le vigneron qui fait ses cuvées, et sa bande de potes du bar à vins rennais L'Entonnoir.

     

  • Vide-poches

    images.jpegFrédéric H. Fajardie met le feu dans chacune des 33 nouvelles qui composent le recueil précieux concocté par Sébastien Lapaque et Jérôme Leroy : Des petites fleurs rouges devant les yeux (La Petite Vermillon / LTR). Regretté Frédéric qui écrivait dru et dur, sur et pur. La première phrase de la nouvelle intitulée La marelle (p.41) prouve (à mes yeux) et si cela est nécessaire, que c'était, que c'est un grand écrivain : Une brume humide et glacée baignait la ville d'une grisaille métallique rappelant ces capitales d'Europe orientale étreintes par un froid plus concret.

    images (1).jpegChez le même éditeur, L'argot d'Eros, de Robert Giraud, qui nous avait donné déjà L'argot du bistrot (La Petite Vermillon, donc), est un dictionnaire bandant qui donne par exemple des dizaines de façons de nommer le sexe d'une femme et celui d'un homme aussi. Le tout est illustré d'extraits de livres, comme il se doit, où l'on croise souvent Carco, Boudard, Calaferte, Gautier, Simonin, Casanova, Haedens... 

    01069102851.gifLe roman de l'été de Nicolas Fargues (Folio) est un chef d'oeuvre de perspicacité, d'observation de nous même, de nos travers, de nos moeurs urbains, mesquins, amoureux sans façon, bobo, touchants. Fargues possède un don supplémentaire à celui d'écrire (très) bien de bons romans : que celui qui n'a pas encore lu J'étais derrière toi le fasse sans délai! -Le don de dépeindre l'autre, comme le ferait un anthropologue du quotidien. Dès les premières pages, le ton est donné : Rougissant, il regretta ce réflexe mesquin qu'il méprisait si souvent chez les autres. Cette façon d'ignorer quelqu'un, tout en voulant lui laisser croire qu'on ne l'a pas remarqué. Bien vu, non?

    01004619851.gifIles à la dérive, de Papa Hemingway reparaît en folio (anniversaire oblige). L'occasion de (re)lire ces trois récits posthumes où l'on voit le double de l'auteur pêcher avec ses mômes, puis le même à Cuba et enfin en mer, donc toujours sur l'eau, pourchassant des sous-marins allemands. Avec toujours le style souple, emportant, enivrant -d'autant que les haltes, chez Hem', se font souvent pour recharger en rhum, en scotch et autres feux de l'écriture.

  • France Bleu Gascogne

    Pour les oreilles que cela intéresse, je tchatche une heure durant avec Thierry Simon, qui m'interviewe (le prétexte est mon livre Landes, les sentiers du ciel, avec des photos splendides de Frédérick Vézia, éd. Privat) dans le cadre de son émission A l'ombre des pins, dimanche prochain 29 mai de 18h à 19h sur ma vie (mes bouquins, mes papiers, mon enfance, Bayonne, mes projets, la mer, la Locale : la presse quot. régionale) -pas sur mes amis, mes emmerrrrdes, car il aurait fallu bloquer le studio toute la journée!.. Sur les ondes de France Bleu Gascogne : en direct sur le Net http://sites.radiofrance.fr/chaines/france-bleu/?tag=gascogne ou bien, pour les veinards qui seront sur place, sur 100.5 (Pays basque + Nord Espagne), 98.8 (Landes) et 103.4 (Gironde).

  • Cendrars aventurier

    images.jpegL'homme à la main coupée (des éclats d'obus lui firent perdre son bras droit en septembre 1915, à la ferme Navarin, en Champagne), fut un aventurier impénitent, un voyageur inlassable, un reporter curieux comme un pot de chambre de génie, un goinfre de sensations fortes, un amateur de vie vraie, du caractère des hommes durs -marins, soldats, bagnards, et des femmes à poigne mais au charme dévastateur. Lorsqu'il s'embarque sur un rafiot, L'Ile-de-Ré à bord duquel les cancrelats sont aussi nombreux que la racaille, la verve de l'auteur de L'Or et de Moravagine prend toute sa saveur. Qu'il parte pour le Brésil ou pour l'Antarctique, on a constamment envie de faire partie de son viatique. Le suivre ligne à ligne est un bonheur de chaque instant. Cinq récits courts, rassemblés sous le titre La vie dangereuse, reparaissent dans Les Cahiers Rouges (Grasset). Ne vous en privez surtout pas, c'est bon comme une bière par grande soif. Extrait : J'ai le goût du risque. Je ne suis pas un homme de cabinet. Jamais je n'ai su résister à l'appel de l'inconnu. Ecrire est la chose la plus contraire à mon tempérament et je souffre comme un damné de rester enfermé entre quatre murs et de noircir du papier quand, dehors, la vie grouille, que j'entends la trompe des autos sur la route, le sifflet des locomotives, la sirène des paquebots, le ronronnement des moteurs d'avion et que je pense à des villes exotiques pleines de boutiques épatantes, à des pays perdus que je ne connais pas encore, à toutes les femmes que je pourrais rencontrer et avec qui je perdrais volontiers mon temps, aux hommes qui m'attendent peut-être, prêts à m'expliquer leur activité et à me faire gagner des tas, des tas d'argent. Non, vraiment, écrire c'est peut-être abdiquer. Comme tu as bien fait de vivre -et d'écrire, Blaise...

  • Stendhal épistolier

    01008125852.gifDe la correspondance choisie de Stendhal qui paraît en folio, Aux âmes sensibles (224 lettres, 600 pages quand même) il apparaît que l'auteur du Rouge et de la Chartreuse est assoiffé de réponse de la part des destinataires de sa correspondance. A sa soeur Pauline, la "cara sorella", il fait le reproche systématique et un peu fort de ne pas lui répondre aussi vite et aussi abondamment qu'il le fait. Le genre épistolaire va bien au futur Stendhal (le jeune Henri Beyle), et il mûrit lorsque celui-ci devient soldat, puis écrivain, italien, célèbre. Même cacochyme, il conserve une verve et un style qui laisse à penser qu'il imagine bien sa correspondance publiée, un jour. Ou bien l'homme, à l'instar de Flaubert, est une machine à écrire fondamentale, une bête de littérature. Aussi, chacune de ses missives doit-elle être un morceau d'oeuvre. Qu'il décrive un paysage, une rue de Milan, une auberge de montagne, des soldats en déroute ou qu'il exprime son amour à quelque conquête, Stendhal est un écrivain puissant, comme on le dit d'une viande en sauce et d'un vin rouge ensoleillé.

  • Maman

    01069851022.GIFMaman chérie. C'est le titre d'un élégant folio sous emboîtage de velours rose (9,90€) qui célèbre toutes les mères. L'anthologie littéraire est composée d'extraits de textes célèbres tous parus chez Gallimard, et qui vont bien au-delà du célébrissime Livre de ma mère d'Albert Cohen (dont trois pages ouvrent néanmoins le volume) et de La Promesse de l'aube de Romain Gary. On y lit ou relit avec un immense plaisir des pages de Camus (Le premier homme), Sartre (Les mots), Duras (Un barrage contre le Pacifique), Modiano (Un pedigree), mais également du Bobin (La part manquante), du Ben Jelloun (Sur ma mère), du Perec (W ou le souvenir d'enfance), et des choses éparses parfois splendides, souvent touchantes : Annie Ernaux, Jules Renard, Jules Vallès, Sempé/Goscinny, Steinbeck, Céline, Erri De Luca, Charles Juliet -les extraits de ces deux derniers sont à encadrer, Musset, Proust (le célèbre passage de Du Côté de chez Swann ou le petit Marcel évoque "la puberté du chagrin et l'émancipation des larmes" et même du Jean-Louis Ezine. Gary est émouvant lorsqu'il déclare que, "avec l'amour maternel, la vie nous fait à l'aube une promesse qu'elle ne tient jamais". Son fils Alexandre Diego Gary (dans S. ou l'espérance de vie) est bouleversant lorsqu'il avoue avoir été tenté de tuer l'entourage de sa mère, "tant j'avais besoin qu'elle me porte son attention, à moi et à personne d'autre". Car le livre, divisé en plusieurs parties, classe les textes en fonction de la douceur d'une mère (les souvenirs d'enfance), de l'ingtratitude inattendue : "ma mère, c'est la cinquantaine épanouie dans l'égoïsme" (Morand), et enfin des mères disparues. Car la perte de la mère engendre des romans depuis l'aube de l'humanité. Ce travail de deuil par l'écriture est devenu un genre littéraire, pourrait-on dire. Inutile de préciser que c'est un petit cadeau à glisser dans la poche d'un môme qui ne saura pas quoi offir à sa mère, le dimanche 29...

     

     

     

  • DSK, Panurge, Deloire

    Un lynchage dont la presse est responsable : merci confrères!

    Une dictature aveugle de l'humeur, propagée à la vitesse de la lumière : sympa la Toile!

    L'omnipotence du préjugé.

    La propagation de la rumeur en toute impunité -pire : relayée par une opinion qui se moque de n'entendre qu'une version de prétendus faits.

    L'indécence.

    L'oubli fondamental de la circonspection, de l'observation silencieuse, de la patience, de l'écoute, de l'enquête, de la froideur nécessaire aussi. 

    Quid de la présomption d'innocence, aux USA, avec un tel ramdam?

    Le règne d'une pudibonderie nauséabonde.

    L'inintelligence, au fond.

    La bêtise qui s'assume.

    L'aplomb des cons qui jugent, aboient, bêlent.

    Et qui n'ont même pas conscience de la honte qui les fige.

    Nous voilà revenus au temps des tribunaux expéditifs et fantaisistes de l'Inquisition, aux procès en sorcellerie, au tabassages de rue : lynchage, ratonnade. A l'esprit Dupont la joie, le film.

    Au réflexe insensé du groupe animal en migration : gnous, étourneaux.

    Au chien abattu par son maître qui l'accusait de la rage...

    Panurge.

    Sans parler d'un possible complot, ou réglement de compte, en provenance de la droite française ou des ennemis de DSK au FMI -il en a tant.

    (Et si je puis me permettre, en pleine politique-fiction, un voeu totalement subjectif : Vivement que cet homme brillant qui aime les femmes qui l'aiment -et alors?- soit blanchi, que d'odieux coupables soient menottés à leur tour et qu'il ambitionne de présider un jour la France).

    Je recommande l'opinion libre de Christophe Deloire, directeur du CFJ (Centre de formation des journalistes, à Paris) et auteur de Sexus politicus (Albin Michel), que publie Le Monde et lemonde.fr, cet après-midi. Extrait :

    "Se garder de propager les rumeurs, tel est notre devoir. Les laisser se propager sans avoir la curiosité de les vérifier est une erreur. Nous devons avoir la décence commune, comme dans le poème de Rudyard Kipling, Tu seras un homme mon fils, de recevoir d'un même front "deux menteurs", le triomphe et la défaite, et ne pas mentir d'un seul mot. Le rôle des journalistes ne consiste pas plus à accabler Dominique Strauss-Kahn qu'à faire office de témoins de moralité, il consiste à approcher au plus près de la vérité, sans jamais considérer qu'un procès-verbal même avec un tampon officiel, est une parole d'Evangile, sans jamais nous autoriser non plus à ne pas savoir faute d'avoir cherché."

  • l'oisiveté, oiseau d'été

    L'oisiveté est mon occupation préférée, se plaisait à dire Montaigne

    Kundera écrit ceci (dans L'art du roman) à propos de la mère de tous les vices : Tant pis si en français, la sonorité de ce mot me paraît tellement séduisante. C'est grâce à l'association corésonnante : l'oiseau d'été de l'oisiveté.

    J'adore. 

  • Cioran en Pléiade

    images (1).jpegLes dix livres écrits en français (les autres le furent en roumain) entre 1949 (Précis de décomposition) et 1987 (Aveux et anathèmes) par le plus jubilatoire de nos pessimistes, le plus ironique de nos philosophes apocalyptiques et sceptiques, paraîtront en un seul volume de la Pléiade en novembre prochain. Voilà qui donne envie de relire en picorant, sans attendre, les milliers d'aphorismes décapants, au style somptueux, et qui agissent comme une vitamine, un tonique sur nos coups de blues, de l'auteur des Syllogismes de l'amertume, de La tentation d'exister, de De l'inconvénient d'être né ou encore de Ecartèlement. Il y avait déjà, outre chaque livre principal disponible en poche, un gros volume de la collection Quarto intitulé Oeuvres. Ce sera là "juste" une consécration posthume pour Emil-Michel Cioran, en même temps qu'une édition fétiche de lecteur bibliophile.

     

     

     

  • Bayonne m'attache

    Voici un extrait de mon livre Philosophie intime du Sud-Ouest (Les Equateurs, 14€ : c'est pas la mort), qui évoque ma ville d'adoption. Parce que ce soir, à Paris, elle me manque comme une femme. Comprenne qui voudra bien essayer de piger le truc.

    51gZyoUWwYL._SL500_AA300_.jpgOuverte au vent océanique et aussi à Aïce Hegoa, le vent du Sud, à la montagne douce, à la campagne mamelonnée, à l’Espagne complice, Bayonne se fout des métropoles. Elle est mon aimant. Paris est loin, Bordeaux davantage. Certaines cités se donnent des airs. Bayonne n’en manque pas. Il souffle les nuits de Fêtes jusqu’aux aurores qui hésitent entre Nive et Adour, à l’heure du partage des eaux et des dégâts collatéraux, des bleus à l’âme et  des pansements distribués par l’amitié. Bayonne partage le pain et le vin avec l’inconnu. Bien sûr s’il franchit avec succès l’initiation infligée par tout Bayonnais. Il faut avoir l’accent, connaître le surnom du nouveau président de l’Aviron, le résultat des matches dominicaux.

    Le Bayonnais est partout. En sous-sol, où l’on conspire à l’aise et préfère cru le jambon, à la lumière : club, peña, cave garnie. En surface : zinc, resto, à la maison. À l’air libre mais circonscrit : terrasse, arènes, stade, plage proche, marché. Enfant, la rue Thiers me semblait plus large et l’Adour figurait le Mississipi de mes lectures. J’accompagnais ma mère Aux Dames de France, devenues Galeries Lafayette, Biarritz Bonheur aussi. Les toreros descendaient au Grand-Hôtel. Les Madrilènes venaient en limousines. Les frontaliers de « San Seba » sortaient par demi-douzaines de Fiat 500 blanches arquées sur roulettes. La cage d’ascenseur du hall de l’hôtel grinçait –j’en entends encore le cliquetis. À l’accueil, l’énorme Monsieur Léonard l’était vraiment. Il n’y avait pas trop de monde aux Fêtes. On ne s’habillait pas en rouge et blanc. Devenu Bayonnais du dimanche, je reviens sur mes années d’enfance et d’adolescence aux écoles Sévigné, Albert-1er, puis au Lycée, à Marracq. Les années surf et mobylette. Mon Bayonne est gris comme les remparts, vert comme les langues d’herbe un peu partout, marron de feuilles de platane en bouillie.

    IMG_0042.JPGEnfant, le jeudi était jour de coiffeur, au Parfum de Paris. Mario m’asseyait face à un meuble en bois sombre orné d’une plaque cuivrée à l’adresse du 11, rue Jean-Goujon. La glace sans tain. Le cuir pour aiguiser le rasoir qui raidissait la nuque en remontant. Je serrais les dents. Les flacons de parfum Old Spice sur l’étagère, voilier bleu dessiné sur fond blanc, bouchons à vis crantée rouge. Ça piquait.

    Avec mon père, nous gobions des huîtres sous les arceaux rue Port-Neuf, le dimanche matin, Le Su’Ouess plié sous le bras. On ne parlait pas encore de (bons) vins du pays –les irouléguy blancs de Brana, de Peïo Espil. On ne trouvait qu’une piquette rouge baptisée Makila, du nom du bâton basque en néflier. Il fallait se cogner du muscadet pour faire passer. Et ça passait.

    Le bonheur d’apercevoir le cloître de la cathédrale chaque mercredi de cours de dessin, chez Madame Chaudière, l’année du bac, avant de jeter le vélo contre le mur.

    Les goélands et les vanneaux se posaient innocemment sur la pelouse maigre et gelée du stade Saint-Léon, rebaptisé Jean-Dauger, les après-midi d’hiver, à l’entraino, un de ces jours glacés où il fallait se pisser dans la combi en se jetant sur la planche de surf, à la Chambre d’Amour.

    Bayonne, c’est se garer au plus près des Arènes à cinq heures, les après-midi de corrida, boire un demi avant et une manzanilla après, sur le montón du Cercle Taurin.

    La subtilité des accents désigne le rang social, le quartier d’habitation, la marque de voiture. Les origines de chacun sont identiques. Chaque gorge racle un fond de terroir. C’est  mas o menos pointu, traînant, sur le S ou sur le R. Avec des Bah ! Pareil ! Sûr ! Signes de distinction affirmés haut et rouge, l’air de rien : chemise Paseo, polo 64, tee-shirt Kukuxumusu. C’est dîner à La Grange, chez Diharce et l’abono aux arènes de Lachepaillet. Ou bien un taloa au xingar, casse-croûte à la ventrèche, un rosé rue Pannecau et chanter avec les copains jusqu’à plus soif. Ou encore lancer une ligne depuis le pont Saint-Esprit et rêver de louvines grosses comme ça en remontant un muge, puis aller taper le carton rue Maubec.

    Bayonne possède un port sensuel à la courbe de l’Adour. Un croissant de lune s’y perd en étendant le bras au-delà de Blancpignon, « au soufre », la SNPA. Au soufre, j’accompagnais mon père, les yeux protégés par un masque de ski noir acheté chez le shipchandler. Il y en avait toujours deux paires sur le tableau de bord de la DS.

    IMG_0044.JPGLe pont Grenet rouge vif ne laisse plus passer les cargos. Côté Boucau, le port prend des allures de vieux jeune homme bien mis. Quais pavés, grues arquées, pontons de bois et cormorans qui sèchent leurs ailes, juchés sur des bouées, tandis que le sillage de la vedette du Pilotage leur offre une danse du ventre. Ça sent le mazout, la peinture au minium, l’aussière salée. Les moineaux ont toujours été nombreux à picorer tout ce qui échouait au creux des rails désaffectés. Sans jamais entamer ce que le port a gardé de mystères marseillais, d’histoires biscayennes, de légendes russes et de fantômes de complaisance.

    Bayonne, c’était les jouets d’Armada, les habits d’enfants à la mode chez Mamby, le faux-filet chez Bourdalès, la vraie Jacqueline au comptoir du Perroquet, la fraîcheur de la rue Gosse, l’attitude noble du paysan de pierre adossé à un bœuf, au Monument aux morts. La crampe menaçante du Cardinal Lavigerie statufié, entre les deux ponts qui partagent les eaux comme Dieu les coups de cornes. Pas toujours équitablement. L’étroite Nive n’est pas rancunière. Je lui suis reconnaissant de n’avoir pas été basse, lorsque j’ai plongé en elle depuis le pont Pannecau, au cœur d’une nuit de Fêtes.

    Le cinéma s’appelait La Feria, nous achetions des Batna à l’entracte. La librairie c’était Mon Livre rue Thiers. Marcel Dangou s’y rendait chaque soir en claudiquant pour ramasser la caisse. La boulangerie des sœurs Lascoutxs –étaient-elles nées vieilles, rue d’Espagne, sentait le Zan. Je revois leur nez maigre avec une goutte au bout. Elles vendaient bonbecs et chocolatines. Après l’école, on y chipait oursons en guimauve et carambars par poignées. À côté, farces et attrapes ne valaient rien. Émile tenait le magasin Tixit. Nous passions des après-midi à écouter des 33 tours à Disco Shop. Un jour d’octobre, tout le monde leva la tête : un vol de palombes mit l’éternité à passer, couvrit le ciel et le bruit de la ville. Un vieux crachait sans cesse de sa fenêtre du premier, en face de chez Campistron l’épicier. « Chez Campistron, tout est bon ! ».

    Aucun Bayonnais ne peut oublier son premier chocolat chez Cazenave. La mousse, les demi-toasts beurrés à chaud, la vaisselle fleurie, le petit plateau, le tablier blanc à dentelles des dames en noir.

    Mon Bayonne du ouiquende commence par le plaisir de faire la tournée des popotes, les librairies. Je traîne au marché ouvert où l’on ne trouve plus de volaille vivante, grignote une entame de fromage, feuillette le journal en buvant un coup au Mastroquet des Halles, picore un morceau de jambon Ibaï Ona tendu par Georges devant la boucherie Montauzer, passe à la librairie de La rue en pente. Je m’y sens chez moi.

    IMG_0046.JPGLa nuit, les brouillards sur l’Adour étouffent nos pas dans les rues sombres qui bordent la Villa Chagrin, la prison.

    Le sportif à la démarche montée sur ressorts, se plie au rituel des courses en ville avec sa  femme, les veilles de match. Bayonne, c’est une partie de pelote au Trinquet moderne, une volaille rôtie à l’Asador, un jaune au Clou ou au Machicoulis, un footing sur le chemin de halage depuis l’Aviron jusqu’aux contreforts d’Ustaritz et retour. Puis c’est l’heure du txakoli et des tapas à Ibaïa ou à Txotx, quai Jauréguiberry. Suivent, au choix, la pipérade chez Joséphine, au Bar du Marché (elle aura peut-être des cèpes pour l’omelette et nous nous calerons au fond, tranquilles), ou les huîtres chez Joël Dupuch, lunettes de soleil sur le nez.

    Revoir un petit Dürer au Musée Bonnat. Traîner sans raison un après-midi pluvieux. Fumer un havane à l’ombre des remparts proches de la cathédrale. S’ennuyer peut être délicieux dans les rues mortes de la ville, si on sait éprouver jusqu’au vertige le silence du désert, rue Orbe, un après-midi de match, entre deux essais. En contrepoint, le souvenir du cliquetis de la machine à faire les cartouches de Bernizan, rue des Basques, derrière le long comptoir en bois fatigué, relève de la musique.

    Bayonne, c’est se moquer de Biarritz et ignorer Dax (trop loin). Affecter l’indifférence à l’égard de la politique locale et de ses collusions séculaires avec le sport.

    Penser à revenir à Bayonne. Pour de bon. 

     

    © L.M. (texte et photos prises pendant la rédaction de ce truc)

  • Pilepocket

    J'adore les folio à 2€ parce qu'ils ne ressemblent pas à des livres à 2 balles. Ils sont beaux comme les autres folio, juste un peu plus minces, encore que. Mais cette minceur leur va bien. J'aime leur côté After eight. Leur densité (l'éditeur privilégiant la nouvelle), donne du mentholé à la lecture. C'est le piment du genre short qui veut cela. J'aime offrir ces plaquettes à l'occasion, autrement dit en ciblant avec précision chaque titre pour chacun de mes destinataires. Un folio à 2€ est parfois composé d'extraits d'un autre folio ou, plus intéressant, il peut être extrait d'un volume de la Pléiade. Le catalogue de ces lectures apéritives et appétentes est splendide. Ces petits bouquins donnent faim. Ce sont de véritables appâts.

    Parmi les dix nouveautés du mois, j'ai retenu Une drôle de traversée, d'Ernest Hemingway (dont on célèbrera le 2 juillet le cinquantième anniversaire de son double coup de carabine 458 Dumoulin -je crois- dans la calebasse), nouvelle extraite du précieux volume des Nouvelles complètes (Quarto) et qui donnera plus tard En avoir ou pas. Mais il ne s'agit pas de l'ébauche ou du brouillon du célèbre roman, mais d'une vraie nouvelle d'une bonne trempe. Le cadre : Cuba 1933. Les personnages : un contrebandier trafiquant qui carbure au rhum, un homme d'affaires véreux appelé Le Chinois, des clandestins, une sombre affaire qui tournera mal, ou plutôt qui chavirera au large de Key West... On adore et on entend la voix de Humphrey Bogart en lisant...

    De Flaubert, il y a deux bijoux, qui préfigurent Madame Bovary : Un parfum à sentir ou Les Baladins, et Passion et vertu. Deux nouvelles aussi courtes que précieuses. Classées parmi les Oeuvres de jeunesse (en Pléiade), elles ont justement la fraîcheur d'un Flaubert déjà efficace comme un chat : c'est leste, ça rebondit toujours bien, c'est vif et câlin, mais gaffe!.. On n'oublie pas facilement la Marguerite du premier texte, ni la Mazza du second. Et même si ça sent le vaudeville de province, les charmes vénéneux de la passion aveuglante, la tentative de reconquête d'un amour, l'adultère basiquement libérateur, c'est Flaubert qui écrit : total respect à chaque page.

    De Théophile Gautier, La cafetière, La morte amoureuse, et Le pied de momie sont trois récits fantastiques "en habit noir", où l'on voit notamment un homme rêver qu'il danse avec une femme qui se transforme en cafetière volante. Puis un prêtre, Romuald, qui tombe fou amoureux d'une certaine Clarimonde le jour de son ordination. La femme, d'une beauté paralysante, meurt, puis se réveille, déclare sa jalousie envers Dieu pour exprimer son amour au jeune prêtre, et retourne à la mort. Mais tout cela n'est-il que songe?.. Il y a enfin, dans le troisième récit, un homme qui, ayant acheté un pied de momie, plonge en songe dans l'Egypte pharaonique. Avec le sens puissant du conteur, Gautier nous emporte contre lui comme un ballon ovale et l'on se sent bien, là, serré, sanglé à son écriture comme un gamin happé par son premier Jules Verne.

    De Lucrèce -qu'il est bon de le lire de temps à autre, voici L'esprit et l'âme se tiennent étroitement unis (..."et ne forment ensemble qu'une seule substance"), extrait du célèbre De la nature. Il nous rappelle, et c'est salutaire, que la crainte de la mort et le dégoût de la vie sont l'effet de l'ignorance, il rend hommage au divin Epicure, précise que l'esprit et l'âme sont une partie du corps, que l'âme et le corps sont solidaires l'un de l'autre et que l’âme, étant partie du corps, est mortelle comme tout autre organe. Cela se discute... Depuis des siècles.

    Et de Carlos Fuentes, voici En bonne compagnie, suivi de La chatte de ma mère (extraits de En inquiétante compagnie), deux contes gothiques qui mettent en scène, le premier, les deux vieilles tantes acariâtres, Maria Serena et Maria Zenaida, célibataires aigries évidemment, du jeune Alejandro de la Guardia, et que l’on ne souhaiterait pas rencontrer dans la vie réelle, même le temps d'un thé forcément amer dans leur demeure sombre qui pue le renfermé. Nous retrouvons avec bonheur la langue drue et le ton claquant, cinglant même, du Fuentes de l'inoubliable Diane ou la chasseresse solitaire. Je n’ai pas lu le second conte.

     

  • Guides de nature

    Je sais pas vous mais moi... J'adore les guides naturalistes de terrain. J'ai constamment mon Peterson (Le Guide des oiseaux d'Europe, de Mountfort, Hollom, Peterson et alii) dans ma voiture, avec les jumelles, ou bien (un autre exemplaire) à la maison, près de la main. Et ce depuis trente ans et des poussières. Les guides Delachaux & Niestlé sont mes petites bibles. Mais il n'y a pas qu'eux...

    Le printemps explose. Le week-end dernier, dans l'Aube, en Champagne, les fleurs ont surgi, grandi un peu partout, d'un seul coup. En l'espace de deux jours, leur présence avait accru le paysage, son âme, jusqu'à envahir notre regard matinal, par la fenêtre. Nous avons ramassé beaucoup de muguet en sous-bois et les coqs faisans se tancaient à qui mieux mieux, dès avant l'aube. Les chevreuils se montraient en lisière, les palombes continuaient de parader, le coucou appelait, les premières tourterelles des bois, de retour d'Afrique, roucoulaient à l'ombre des forêts, les chataigniers, les cerisiers étaient blancs de fleurs, les boutons d'or prenaient le pas, ou le ton, sur l'herbe dans les clairières et les hirondelles silencieuses virevoltaient sous les toits. Dans ces cas-là, il est bon d'avoir un guide sur soi pour lever un doute : hirondelle de cheminée ou de fenêtre? Tourterelle des bois ou Turque? Brocard ou chevrette? Tilleul ou acacia? Ail des ours ou chèvrefeuille...

    1296664938.jpg1296663820-pt.jpg1296664129-pt.jpg1296664755-pt.jpg

     

    Oiseaux, Arbres, Fleurs, Mammifères : voici 4 guides enrichis de nombreuses photos, publiés par les éditions Ulmer, à glisser dans le sac à dos ou dans la portière de la voiture, avant de partir en randonnée en forêt, au marais, sur la côte, en plaine, en famille ou en solitaire. Ils sont pratiques, souples, solides, d'une lecture rapide et facilitée par une cartographie précise, des textes courts et des dessins de traces, pour les animaux. Identifier un labbe parasite, un rhinolophe euryale, un chêne pédonculé et une gentiane inconnue des services de police devient un jeu de feuilletage.

    1295369734-pt.jpg1290771649-pt.jpgPlus intéréssants encore sont, chez le même éditeur, Plantes sauvages comestibles, qui propose en plus des fiches, 100 recettes pour accomoder 35 plantes, comme la benoîte, le coquelicot, l'ortie, la pain de coucou ou encore le pissenlit. Enfin, Reconnaître les chants d'oiseaux, augmenté d'un CD, permet aux enfants de se familiariser avec les chants et les cris des passereaux, limicoles, gallinacés et autres oiseaux d'eau relativement familiers ou rapaces courants. Six guides de saison.

     

    Guides Ulmer, de 9,90€ à 12,90€, sauf le livre sur les plantes comestibles : 14,95€.

     

  • Le poids du papillon

     

    A12935.jpgC'est le nouveau livre d'Erri De Luca et il est mince comme la silhouette d'un braconnier dessiné par Dubout. S'y trouvent deux nouvelles, une longue (une soixantaine de pages) qui donne son titre au livre et un autre très courte, Visite à un arbre, sans grand intérêt. Le poids du papillon est une sorte de conte merveilleux pour grands enfants épris de nature sauvage, de justice, de combat intérieur avec ce qui reste de nature animale au fond de notre nature humaine. Un braconnier qui a déjà pris plusieurs centaines de chamois dans les Alpes italiennes (Dolomites), convoite le roi d'entre eux, le chamois mythique, magnifique, âpre au combat contre les siens, énorme, réputé imprenable. La lutte avec l'homme armé s'engage dans ces montagnes, un matin de novembre. Il y a beaucoup de silence, de solitude, de retrait, d'énergie concentrée. Je ne dirai rien de plus, ni du symbole des dettes, qui se paient à la fin, une fois pour toutes. Ni de la force de l'aile d'un papillon blanc sur une carabine, sur le poids du ciel ou sur celui de la vie. Ni du poids de l'aile d'un papillon sur les années sauvages de deux êtres enlacés et glacés dans la mort, qui ne se pèse pas, qui s'évalue à l'aune de la poésie. Car la langue de De Luca, infiniment subtile, se découvre, lorsqu'elle possède comme ici la délicatesse d'un haïku. En lisant cette nouvelle, j'ai pensé aussi à ce précieux extrait du poème La prière, de Giuseppe Ungaretti (traduit par Philippe Jaccottet) : 

     

    La vie lui est d'un poids énorme

    Comme aile d'abeille morte

    A la fourmi qui la traîne.

    ---

    Gallimard, 9,50€

  • L'art du roman selon Kundera

    L’actualité Kundera m’a poussé à reprendre L’art du roman (essai) plutôt qu’un de ses romans, car c’est un recueil de formules salutaires, et de bon sens, sur le sujet. Par un romancier qui avoue n’être attaché à rien sauf à l’héritage décrié de Cervantès.

    Extraits :

     

    Le romancier n’est ni historien ni prophète : il est explorateur de l’existence (p.59, en folio).

     

    Si le roman doit vraiment disparaître, ce n’est pas qu’il soit au bout de ses forces mais c’est qu’il se trouve dans un monde qui n’est plus le sien (p.28).

     

    Mais l’esprit de notre temps est fixé sur l’actualité qui est si expansive, si ample qu’elle repousse le passé de notre horizon et réduit le temps à la seule seconde présente. Inclus dans ce système, le roman n’est plus œuvre (chose destinée à durer, à joindre le passé et l’avenir) mais événement d’actualité comme d’autres événements, un geste sans lendemain (pp.30-31).

     

    Le roman n’est pas une confession de l’auteur, mais une exploration de ce qu’est la vie humaine dans le piège qu’est devenu le monde (p.39).

     

    Tous les romanciers n’écrivent, peut-être, qu’une sorte de thème (le premier roman) avec variations (p.159).

     

    Je rêve d’un monde où les écrivains seraient obligés par la loi de garder secrète leur identité et d’employer des pseudonymes. Trois avantages : limitation radicale de la graphomanie ; diminution de l’agressivité dans la vie littéraire ; disparition de l’interprétation biographique d’une œuvre (p.169).

     

    D’après une métaphore célèbre, le romancier démolit la maison de sa vie pour, avec les briques, construire une autre maison : celle de son roman (p.174).

     

    Le romancier est celui qui, selon Flaubert, veut disparaître derrière son œuvre. Disparaître derrière son œuvre, cela veut dire renoncer au rôle d’homme public. Ce n’est pas facile aujourd’hui où tout ce qui est tant soit peu important doit passer par la scène insupportablement éclairée des mass media qui, contrairement à l’intention de Flaubert, font disparaître l’œuvre derrière l’image de son auteur (p.185-186).

     

     

  • L'odeur du figuier

    51zze+0yHZL._SL500_AA300_.jpgSimonetta Greggio est Italienne, elle écrit en Français et elle porte le Sud dans son écriture comme Albert Londres portait la plume dans la plaie (*). Il y a du soleil qui oblige les yeux, de la sensualité qui tressaille, de l'Italie forte et vraie, du sable entre les doigts de pied, de la chaleur envahissante comme les caresses et les baisers peuvent l’être, des nuits blanches pour diverses raisons, dans chacune des cinq nouvelles de ce nouveau livre, L’odeur du figuier (Flammarion, 17€) et tout cela embaume un printemps hésitant, pas tout à fait comme le ciseau du couturier fend la soie : avec cette douceur décidée qui ne se retourne pas et va droit. Tutto diretto. Il y a beaucoup d'amour dans cet ouvrage, d'amour comblé ou déçu, d'amour assouvi un temps, un temps seulement, d'amour attendu, espéré, d'amour bafoué par des cons d'hommes (tiens, jeu de mots), d'amour total, volontaire et issu du don majuscule. D'amour partagé parfois. Il s'agit surtout, en fil d'Ariane, d’histoires écorchées d'impossibles couples. On saute sur des coups de foudre, ces "rencontres de deux urgences disponibles", on contemple derrière des lunettes de soleil virtuelles, une paire de personnages échappés d'un film encore inédit de Godard & Truffaut, où Chiara et Tsvi évoluent comme des traductions métaphysiques de la nonchalance d'avant l'Internet. Ils sont touchants et, n'étaient d'embarrassantes fourmis bien mandibulées, ils seraient aussi touchés par la grâce. Simonetta Greggio a beau se défendre de tout excès en brandissant, au détour de certaines phrases, un never complain, never explain muet, elle fend nos coeurs d'artichauts, mais elle a le tact de les cuisiner pour ses lecteurs au lieu d’imposer sans sommation leur masse lacrymale. "Je n'ai jamais pu quitter un homme sans en être désespérée, et aussi férocement soulagée", écrit-elle. L’improbable narratrice dit. L’auteur écrit. Celle-ci (which one?!) nous a avoué, lors d'une lecture en public de Fiat 500, la 5ème nouvelle du recueil, que toutes ces histoires étaient nées de son imaginaire (la part du vécu, la part d'inventé, hein, on n'en connaîtra jamais la proportion, ma p'tite dame!). Or, lorsque nous lisons : "C'est l'hiver, les nuits sont longues; j'essuie mes larmes et j'écoute la pluie qui tombe avec un vrai intérêt, un intérêt entier, exagéré, comme quand on est dans une salle d'attente et qu'on a rien à lire", nous y sommes et nous y croyons. Nous croyons à la vérité Greggio. Nous la lisons au plus près. Cette vérité est faite d'empêchement, pas de renoncement. D'empêchement. Et aussi, par exemple, d'un hommage au très grand écrivain (je pèse mes adjectifs) Mario Rigoni Stern, dont elle évoque Le Sergent dans la neige (histoire homérique, romantique, dostoïevskienne et en même temps pudique comme une sotie de Gide, humble comme du Primo Levi, sur la retraite de Russie, au milieu de laquelle une poignée de soldats italiens se débat, hébétée, et qui commence par ces mots : "J'ai encore dans les narines l'odeur de la graisse qui fumait sur le fusil-mitrailleur brûlant."). L’année 82 est le titre de notre nouvelle préférée, sur les cinq. Elle semble évoquer l’arrivée de la jeune Simo à Paris, sans le sou, prête à en découdre, à bouffer le monde avec les os, la graisse et les habits qui vont avec. Le récit de la galère de Léo, de mille métiers, mille misères, en désappointements et déconvenues qui sont autant de leçons sur la nature masculine et la vie, est une leçon de courage en temps de crise et en 3D. Au moins. Les années sida pointent leur sale pif d'oursin couard, et c’est tout à coup vraiment compliqué, non. Là, SimoGreggio la joue scénar’, électrique, godardienne, on dirait une Wiazemsky qui ose, elle se lâche : cut, plan serré, travelling arrière, large maintenant, reviens sur le truc, là, oui, voi-là ! On la tient. L'écriture, qui prend l'accent du film Jules et Jim, ne perd cependant jamais de vue l'objectif, qui est de dire : mon vieux, ma vieille, l'amour, c'est compliqué. Pas impossible, non, mais compliqué. Très compliqué. Telle est la leçon primordiale. Et Simonetta, par bonheur, rebondit, le corps mangé de sel sur l’anse caillouteuse de Positano, parce que le foutoir de Naples l’effraie, et qu’elle vit alors la passion (sexuelle seulement : résumons) avec un Moreno, un cyclone. (Donc le seul endroit sûr, c'est son œil). Tout cela fait un livre. Lorsqu’il s’agit d’un recueil de nouvelles, vient cet irrépressible besoin d’en chercher obstinément une ou plusieurs unités fondamentales, surtout celle qui décolle, au-delà du fil d'Ariane. Le roman nous manque, son absence nous intrigue. Ici, avec ce livre-là, l'unité n'a pas besoin d'être cherchée sur place, mais d'être reconnue, retrouvée peut-être, dans ces vers de Shelley, lesquels ferment L’odeur du figuier :

    L’esprit

    Est la vie

    Qui coule à travers

    Ma mort

    Sans fin

    Comme une rivière

    Qui n’a pas peur

    De devenir

    La mer.

    ----

     

    (*) Notre rôle (les journalistes) n'est pas d'être pour ou contre, il est de porter la plume dans la plaie. Célèbre maxime du Prince des reporters, Albert Londres, que tout journaliste digne de ce titre a, punaisée, au-dessus de son Mac. -Je me trompe?..

     

  • Manuscrits de guerre, 2

    images (1).jpegLa seconde partie du livre de Julien Gracq contenant deux inédits et intitulé Manuscrits de guerre est donc un récit, sans titre, écrivais-je hier (lire ci-dessous : Manuscrits de guerre, 1) et reprend des passages, des phrases, des thèmes, des impressions, des actions aussi du Journal qui le précède. Il est écrit à la troisième personne de l'imparfait et met en scène le lieutenant G. Il est aisé de rapprocher celui-ci de l'aspirant Grange du Balcon en forêt. Les deux sont le même double de l’auteur. Le scénario du début (seulement) du Balcon est identique, les lieux sont les mêmes, les compagnons d'armes aussi ... Au début du récit, la plage décrite ainsi que ses environs, Malo (-les Bains, près de Dunkerque, lit-on) ressemble cependant à s'y méprendre à celle de Morgat, qui servit de cadre au Beau ténébreux. Même atmosphère de côte sauvage bretonne, avec des mouettes et leurs cris de poulies rouillées. Il est probable que Gracq commençait d'écrire ce second roman-là, qui paraîtra en 1945, tandis que le Balcon, récit, ne paraîtra qu'en 1958. L'évocation des beautés de la Flandre hollandaise préfigure par ailleurs l'un des plus beaux textes de Gracq : Sieste en Flandre hollandaise (Liberté grande).

    Ce récit met en scène un personnage hiératique et stoïque, soucieux d'une morale certaine. Davantage qu'à Grange, nous pensons alors à Aldo (Le Rivage des Syrtes). Un fil d’Ariane court, qui peut se résumer d’une phrase : la poésie d’une guerre, c’est l’ennui quand on la fait. On songe aux attentes dans le Rivage et dans le Balcon aussi. En somme, ce récit assez bref contient déjà tout le terreau sur lequel Gracq bâtira l’essentiel de son œuvre de fiction. C’est pourquoi il est précieux. En revanche, l’action y est permanente (débâcle  oblige : les soldats français ne sont plus commandés,  égarés sur l’asphalte enfondu de sueur des routes nationales…  Ils risquent à tout moment de frôler l’ennemi, vivent sous un parapluie d’avions (…) La troupe avait absorbé les couleurs de la défaite comme une éponge boit l’eau… Le qui vive est constant) et cette vivacité des scènes est inhabituelle, dans les récits, nouvelles et romans de Gracq. Elle est de surcroît singulièrement accrue, par rapport au Journal dont ce récit est directement issu.

    En contrepoint, paisiblement, Gracq livre des images sensationnelles dans cette langue somptueuse dont il ne se départira jamais (bien que les lignes qui suivent contiennent -à notre avis- une exceptionnelle imprécision, voire un défaut léger de ponctuation). Extrait :

    G. n’avait pas envie de dormir : cette soirée, tout de même, c’était une veille d’armes. Roulé dans sa capote sous les étoiles claires, allongé au côté de l’équipe du canon de 25, il écoutait couler dans la nuit comme une eau la conversation étouffée des soldats qui sourdait de la terre ; rafraîchissante et intarissable comme une source, avec ses hésitations et ses doux silences cette petite voix changée, toute drôle des heures de nuit qu’avaient les hommes, comme des enfants qui se parlent au long de la route en revenant de l’école – une voix de sérieux, si pénétrée de l’importance des choses dites.

     

    Manuscrits de guerre, par Julien Gracq, José Corti, 19€

     

     

  • Manuscrits de guerre, 1

    images (1).jpegLe livre (*) est composé de deux inédits (lire ici à la date du 4 avril) : un Journal intitulé Souvenirs de guerre, signé Louis Poirier, et un récit sans titre. Le journal, entre le carnet de bord et ler procès-verbal du quotidien d'une petite garnison que dirige le lieutenant Louis Poirier (que l'on sent devenir l'écrivain Julien Gracq, à la faveur de l'aventure de la guerre), a été écrit sur un cahier ligné ordinaire de marque Le Conquérant. L'époque : mai-juin 1940, la drôle de guerre sent fort la défaite, la débâcle. Le lieu : autour de la frontière belge, de Winnezeele en Flandre française le 10 mai, à Zyckelin, près de Dunkerque le 2 juin. Les thèmes majeurs de l'oeuvre à venir sont déjà là, fournis peut-être par l'atmosphère de cette (drôle de) guerre : l'attente, l'anxiété et la peur, mais l'attente surtout. Louis Poirier ne supporte pas trop ses soldats, des alcooliques manquant de courage et d'intelligence, marchant au pinard, appelé mazout. Il ne fait pas corps, souligne Bernhild Boie, qui signe l'avant-propos (et veille par ailleurs à la postérité de l'oeuvre publiée et inédite de Gracq), il reste à l'écart, lit, fume, flâne, commande lorsqu'il y est contraint. Il est comme il se décrira plus tard, dans Lettrines je crois, évoquant ses années de collège en internat à Nantes qui lui furent un supplice. De toute façon, il répugne tout autant à commander qu'à être commandé. Les "envolées lyriques", rares, sont provoquées par la nature à l'aube, un paysage bucolique, des parfums et des teintes sauvages : ce sont des trèves poétiques en pleine guerre, quelquefois à quelques mètres de l'ennemi. Ou bien ce sont des gares rimbaldiennes dans la nuit sonore que l'auteur évoque, ou encore le silence magique des polders ou bien des fleurs qui tintent, éclatent, éclairent. Le reste est scrupuleusement noté. Mais avec tact et talent : Même plus d'avions. C'est la nuit du silence magique : nous marchons sur une mer dont les vagues se seraient figées. Certains passages interpellent l'aficionado de Gracq : lire d'un auteur fétiche ce qui suit est surprenant à plusieurs titres : J'empoigne mon fusil anglais, et vide le chargeur au hasard sur les silhouettes, à travers le soupirail. Le tir est décevant. Les silhouettes, très espacées, continuent à sautiller, à chaque instant masquées par les brins d'herbe qui ondulent devant nous. En avons-nous même touché? Gracq en guerre, tirant sur des soldats allemands! Gracq évoquant cela avec une froideur de circonstance, certes, mais quand même. Nous pensons alors à La Route des Flandres, de Claude Simon. Gracq, plus loin : Une de mes grandes appréhensions dans cette guerre était la vue du sang qui d'habitude me rend malade. Mais ici, ça ne me fait rien. (Il est en train de panser un soldat dont une cuisse vient d'être traversée par une balle). Et puis il y a surtout la chute de ce Journal, à la page 158 : les Allemands entrent dans la maison où la poignée de soldats dont l'auteur fait partie est retranchée, la porte de la cave s'ouvre et Julien Gracq (qui n'a alors signé qu'un seul livre : Au château d'Argol, en 1934), s'écrie aussitôt : Ne tirez pas. Nous nous rendons. Sans cela, nous n'aurions peut-être jamais lu ses 19 ouvrages suivants...

    (A suivre)

    (*) Manuscrits de guerre, par Julien Gracq, José Corti, 19€

    P.S. : un mot sur le physique du livre : c'est le premier ouvrage de Gracq, publié comme les 19 autres chez José Corti, à être déjà massicoté. Nous n'y avons pas retrouvé ce plaisir sensuel d'entrer dans chacun de ses livres, page après page, à l'aide d'un canif bien aiguisé. Le format a par ailleurs changé, qui adopte cette fois celui de la plupart des romans publiés par les éditions de Minuit : un 13,5 x 18 infiniment agréable.

    Photo : gazette-drouot.com

  • Dans les Landes... Mais à Paris, rue Monge

    Julien Duboué, chef de Afaria, A table! en Basque, évoqué déjà sur ce blog (le 25 septembre 2008), installé 15, rue Desnouettes, Paris 15, a donc ouvert il y a trois mois à peine une seconde enseigne bien gasconne : Dans les Landes... Mais à Paris (119 bis, rue Monge, Paris 5) et cette nouvelle bonne table, où il se trouve en permanence pour un temps (ayant confié les rênes d’Afaria à son « ombre » en cuisine), ne désemplit pas, même l'après-midi, où une grande terrasse continue de servir à boire et à manger. La formule est formidable : des tapas copieuses (façons raciones à San Seba) et très savoureuses, mêlant terre et mer, terroir basco-landais (les Landes seules ne suffiraient pas!) et pitchounettes incursions ailleurs. Le service est jeune, compétent et très souriant, physionomiste même. C'est servi dans des torchons qui tapissent des pots de résine (comme pour les admirables pieds de cochons désossés, mis en cubes pânés –la star de la carte, à mes yeux et papilles), ou bien des sabots comme on en fabriquait encore, il y a peu, à Siest juste en bas, devant les barthes... (pour présenter la chiffonnade de jambon Ibaïona, ou bien les chipirons aux piments doux, d'une fraîcheur, et donc d'un moelleux et d'un gusto extraordinaires), les tables individuelles et surtout les deux grandes tables collectives, assez hautes, invitent les Parisiens à pratiquer un échange convivial qui a toujours cours, de Peyrehorade le mercredi, jour de marché, à touche-touche aux Pieds de cochons, ou bien le dimanche avant le match de rugby, jusqu'à Fontarrabie, calle San Pedro du côté de Xanxangorri et au-delà, via Bayonne, quai Jauréguiberry, vers Ibaïa et Txotx. L'ardoise, outre un plat de chaque jour, offre une liste de tapas qui font (malheureusement) toutes envie. Outre les précitées (car nous y sommes déjà allés plusieurs fois), il y a aussi la (délicieuse) tortilla, qui change : un coup aux papas bravas et oignons confits, là aux premières asperges blanches... Les filets de caille marinés et délicieusement croustillants, les cœurs de canards en persillade – comme aux Fêtes de Dax, ces gambas avec une sauce d’inspiration thaï à se damner,  le mini croissant au jambon truffé,  la tourtière aux pommes et sa petite crème au beurre salé : parfaite, et encore ces couteaux et moules basquaise, qu’il me faudra bientôt goûter, ainsi que la poitrine de cochon (ibaïona) et la brochette de jambon au fromage de brebis (ardi gasna)… La carte des vins est évidemment  sud-ouest à fond, et c’est bien, tant mieux car  magnifique (notamment les côteaux-de-chalosse, vins modestes mais de caractère, trop méconnus à mon goût). Les prix sont assez doux. Un seul petit reproche : il faudrait que l’arrivée des plats ne ressemble pas à une avalanche, car on se sent alors speedé : comme c’est chaud et que l’on n’a pas envie de manger froid de si bonnes choses, on passe d'un plat l'autre à 100 à l’heure… Bon, c'était un samedi soir et la fois précédente, sur semaine, ce coup d'accélérateur ne s'était pas produit. Astuce : commandez les tapas en deux fois ! Par conséquent un immense bravo au jeune chef –il n’a pas 30 ans, natif d’un village infiniment cher à mon cœur,  Saint-Lon-les-Mines. J’ai passé le plus clair de mon adolescence dans la campagne autour de la ferme que mes parents avaient achetée à St-Lon, et j'y ai même trouvé le sujet et le cadre de mon premier roman, Chasses furtives (lire ci-contre à gauche). Julien Duboué a fait ses classes chez des chefs qui sont par ailleurs devenus des amis : Alain Dutournier (Carré des Feuillants, Trou Gascon, Pinxo… à Paris), Philippe Legendre (lorsqu’il était au Georges V à Paris) et chez lequel je me trouvais encore avant-hier à déguster sa cuisine pour les copains et la famille, bien planqués en Sologne, ou bien des cuisiniers de respect chez qui je me régale toujours : Jean Coussau à Magescq (Relais de la Poste) , Francis Gabarrus à Saubusse (Villa Stings), ainsi que chez Drouant (j'aime moins) et même chez Boulud à New York! (jamais testé). Aupa!

     

       

     

  • La napolitude

    entrer des mots clefsConnnaissez-vous la napolitude ? Ce terme désigne l’univers cosmopolite et chatoyant, multiculturel –à  la fois espagnol, grec, africain de Naples, qui est sûrement la ville la plus séduisante et la plus ensorcelante d’Europe (du Sud). Démesurée, débordante, exagérée, toujours dans cet excès à deux doigts du troppo, cette ville d’art, de vitalités énormes et disparates, offre un charme capital qui touche. Et fort. Dominique Fernandez, Napolitain de cœur depuis toujours, signe un livre de plus –mais quel magnifique album ! avec Ferrante Ferranti, photographe (Imprimerie Nationale, 59€, parution le 20 avril) qui nous montre une Naples splendide et arrogante, sensuelle et infiniment artistique, scandaleuse et talentueuse. Naples semble se foutre du tourisme lisse et mondialisé. Elle laisse cela aux cités du Nord de la Botte. Dire du mal d’elle (ville de voleurs, de poubelles non ramassées, de mafieux et de misère) équivaut à redire de Venise qu’elle est romantique, que les chats sont sournois et la mer… humide. C'est s'arrêter à l'écume, au fard, au cliché. Pour le passager au regard vrai, l’usage de Naples est celui de l’art de voyager, celui qui ne craint jamais le venin. (A dire vrai, je n’aime guère ceux qui font la grimace à l’évocation de cette ville merveilleuse et j’aime ceux dont le regard s’illumine en entendant les six lettres qui forment son nom). Vivre et savourer Naples, c’est marcher jusqu’à se perdre dans Spaccanapoli,  c’est errer sur les quais du port, au-delà de la Mergellina, c’est manger une pizza chez Vesi, aller revoir les fresques de Pompéi au Musée, avant de boire un blanc issu de Falanghina en contemplant l’une des plus belles baies du monde. Fernandez est un compagnon formidable, qui aime viscéralement une ville qu’il connaît à fond et cet album sobrement intitulé Naples, est un beau-livre étincelant, dans lequel Fernandez a raison de préciser qu’un amour partagé pour cette ville scelle le voyageur à ses habitants. Il ne suffit pas de prendre un café au Gambrinus, Piazza del Plebiscito (le meilleur du monde), même si ce café littéraire est un bonheur esthétique dans ses salons intérieurs, et qu’il porte la marque d’Oscar Wilde (qui porta à terme sa « Ballade de la geôle de Reading » lors d’un séjour ici : « chacun tue ce qu’il aime »…), si Malaparte en voisin,  D’Annunzio en « étranger », Domenico Rea en « local »,  s’y sont arrêtés souvent, car il faut avant tout se mêler, parler, marcher via Toledo (la plus belle rue du monde, selon Stendhal), via dei Tribunali en se frottant, car il faut affronter, ne jamais ignorer ni avoir l’air de se méfier. Alexandre Dumas, avait déjà compris cela. Que l’on ait la foi ou pas, écoutons ce trait de Cocteau : « Le pape est à Rome, mais Dieu est à Naples ». Fernandez, à propos de Spaccanapoli : « La rue qui ose « fendre » (spaccare) la ville, comme le couteau sépare les deux moitiés de la pastèque, comme l’homme déchire l’intimité de la femme. Une rue-blessure, obscène comme un viol, purulente comme une plaie, joyeuse comme une victoire, rectiligne et secrète, drôle et sévère, populaire et docte. » Je me trouvais à Naples il y a huit jours à peine. Et voilà ! J’ai déjà envie d’y retourner… Au moins pour manger un babà et une sfogliatella chez Scaturchio -la meilleure pâtisserie de Naples, selon Dominique Fernandez, minuscule, planquée près la place San Domenico Maggiore, dans Spaccanapoli. Avant de retourner encore et toujours à Procida. Fernandez achève son texte -superbement illustré par Ferranti, sur l'île de Graziella, et surtout d'Arturo. Il rappelle la dernière phrase du roman d'Elsa Morante (Arturo quitte son île en bateau et se retourne une dernière fois sur le paradis perdu de son enfance -et cette image, que l'on ne retrouve cependant pas tout à fait dans le film -revu hier- qu'en a tiré Damiano Damiani, résonne comme un épisode de l'Odyssée). L'isola non si vedeva piu. On ne voyait plus l'île. Ou, mieux : L'île ne se voyait plus...

    Et dans la seule traduction disponible en Français (de Michel Arnaud, 1963, pour Gallimard), cela donne : On ne voyait plus mon île. J'aime assez cette appropriation par Arturo d'une île aux dimensions modestes, car cela renvoie une fois encore -dans la langue de Morante- à un réflexe d'enfant). 

     

     

     

  • 3 randos dans Le Nouvel Obs de ce matin

    Je les signe les 3. Elles ont des thèmes distincts :

    la première, nature à fond, s'intitule Pêcher à la mouche dans l'Allier et ses affluents. Parce que le fly-fishing de truites sauvages dans un département aussi préservé vaut son pesant de mouches artificielles.

    La seconde est une balade littéraire : La Charente est un songe. Ses compagnons se nomment Chardonne, Loti, Vigny, sans oublier la BD, et Georges Monti, éditeur singulier à l'enseigne du temps qu'il fait

    La troisième touche à l'art moderne et contemporain à Barcelone : C'est par l'art qu'on entre ici, ou comment en finir avec l'envahissant Gaudi en allant directement voir Tapiès, Miro et Picasso.

    Télé Paris OBS du 9 au 15 mai, paru ce jeudi 7, pages 22-23 et 30-31.

     

    Voici la littéraire :

    LA CHARENTE EST UN SONGE

    La Charente a eu Vigny et son chantre se nomme Chardonne. C’est aujourd’hui le cœur du sujet BD. Promenade avec incursion maritime, pour saluer Loti, et la lumière de Ronce...

    « Pour moi, la Charente est un songe ; pays plus rêvé que réel. Pays marin par sa lumière, ses nuages lourds entre des percées d’azur, ses pluies qui ont tant de force. La mer est proche, même si l’on habite Barbezieux. » Difficile d’évoquer la Charente littéraire sans dégainer la prose douce et crémeuse et néanmoins envoûtante de Jacques Chardonne. En dépit de son passé collaborationniste qui lui valut d’être emprisonné à la Libération, et à condition de vouloir un instant distinguer l’homme de l’œuvre (comment lire Céline, sinon ?), l’envie est donc grande de citer « l’écrivain du couple » que François Mitterrand –un voisin de Jarnac, admirait et aimait tant lire, et qui décrivit la Charente avec la sensibilité d’un Vuillard peignant.

    Barbezieux ne serait qu’une ville de province banale sans l’aide de Chardonne. Son livre « Le bonheur de Barbezieux » la métamorphose : « Cette cité éphémère sur la place du Château, ses rumeurs, ses senteurs, ont contenu pour moi l’exotisme du monde. Plus tard, dans mes voyages, mes amours, je n’ai rien connu de plus brûlant ; et je sens toujours ce qui m’aurait manqué, quand le goût me vient d’écrire, si je n’avais pas été enfant dans une petite ville. » Notons que la maison natale de l’écrivain ne se visite pas et filons vers le Nord-Ouest.

    À Cognac, le festival de Littératures européennes, qui accueillera l’Espagne en novembre prochain, est devenu un rendez-vous capital. Né en 1988 à l’occasion du centenaire de la naissance de Jean Monnet, ce festival est devenu un véritable carrefour des littératures où l’on débat trois jours durant, où les Prix Jean-Monnet et Prix Bouchons de culture sont décernés, et où l’on discute avec de nombreux auteurs, car le festival se veut avant tout un « lieu de rencontres et de dialogue entre les écrivains et le public ».

    Cognac est aussi la ville d’un éditeur singulier, Le temps qu’il fait, créé par Georges Monti en 1981. Cet éditeur exigeant, de la trempe d’un José Corti, d’un Verdier ou encore de L’Escampette, que dirige son voisin (de Chauvigny, dans la Vienne) et ami Claude Rouquet, a des noms prestigieux à son catalogue riche de plus de 500 titres, tous joliment imprimés de surcroît :Il n’est qu’à citer Armand Robin, Jean Paulhan, Christian Bobin, Jean-Loup Trassard, Jean-Claude Pirotte, Jean-Pierre Abraham, André Frénaud, François Augiéras, Philippe Jaccottet, Georges Perros, pour se convaincre de la qualité d’un éditeur pour lequel la littérature est « cette science subtile de l’égarement », selon le mot d’André Dhôtel. Cap à l’Est, à présent.

    À Angoulême, c’est bien entendu le festival international de la BD qui se tient chaque année à la fin du mois de janvier, qui est associé depuis plus de trente ans à cette ville. La Cité internationale de la BD et de l’image, avec son musée, sa bibliothèque, sa maison des auteurs, ses expos, rencontres, colloques, projections, animations pour les enfants à longueur d’année a renforcé le prestige, et donné à la capitale de la Saintonge de solides galons en matière de 9ème art (après le cinéma et la télévision –l’expression fut trouvée par Morris en 1964).

    À Champagne-Vigny, situé à environ 20 km au sud d’Angoulême, se trouve une propriété viticole où l’on produit du cognac, du pineau et du vin, Le Maine Giraud, ou Logis Alfred de Vigny. Il s’agit d’un musée et d’un chai doublé d’une distillerie. La tour d’ivoire du poète de « La mort du loup » se visite. Vigny appelait sa propriété « ma sainte solitude ».

    Sauter par-dessus les limites administratives et se risquer vers la mer pour mieux revenir dans les terres, est le propre de l’écrivain. Ainsi, de Royan, Chardonne préfère évoquer la forêt voisine de Braconne plutôt que les plages surpeuplées l’été. Puis, il contourne, prend le lecteur par la main et le conduit à Ronce-les-Bains, « où la Seudre s’étale dans l’océan. La somptueuse route qui vient d’atteindre la Coubre à grands frais n’a pas encore déversé sa furie dans la forêt de Ronce. À Ronce, la mer se retire si loin qu’elle semble disparaître découvrant un désert mouillé, une étendue de sable et de vase mauve… » S’il n’avait pas signé tant de romans d’amour, Chardonne pourrait passer pour un écrivain régionaliste : « À Ronce, le soir, qui délaisse la côte pour l’intérieur, quand la mer est basse sur l’étendue de sable mouillé, palette brune, des reflets concentrés se déposent en taches huileuses, rouges, verts, ors violents, vite dissipés, et qui reviendront à l’aube prochaine, dilués dans les nuées de nacre et d’ambre. »

    Evoquer ici le Rochefort de Pierre Loti signifie carrément braconner en Charente-Maritime, mais la maison-musée (visites sur rendez-vous) de Julien Viaud, alias Pierre Loti, aussi somptueuse qu’extravagante car elle reflète l’exotisme des nombreux voyages du capitaine de vaisseau écrivain que fut l’auteur de « Pêcheur d’Islande » et de « Ramuntcho », vaut franchement que l’on pousse jusque là.

    Et c’est à 32 km de là, à Ronce encore que, feuilletant Chardonne, nous avons envie de retourner pour achever cette balade. « Ici, la lumière existe en soi, onctueuse, teintée de nacre, comme indépendante des choses qu’elle éclaire ; lumière vibrante des terres basses, pareille en Hollande ; un nuage brusquement s’ouvre comme une fleur bleue ; beauté indéfinissable, telles ces nuances de la vie, ces choses qui sont et ne sont pas, qui dépendent du regard… »

    ©L.M.

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    De Jacques Chardonne, sur la Charente, lire notamment « Propos comme çà », « Matinales », « Le Bonheur de Barbezieux » et « Le ciel dans la fenêtre » (Grasset, Albin Michel, Stock, La Table ronde).

    http://www.livre-poitoucharentes.org

    Cognac : http://www.litteratures-europeennes.com

    BD : www.bdangouleme.com

    http://www.citebd.org

    Vigny : http://www.mainegiraud.com

    Maison de Pierre Loti : http://www.ville-rochefort.fr Tél. 05 46 82 91 90

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    - S’y rendre :

    TGV Paris-Angoulême (2h30 env.)

    En voiture : A10 (4h env.)

    - Se loger :

    Angoulême : Le Palma, 0545952289

    Cognac : Héritage, 0545820126

    Rochefort : Palmier sur Cour, 0546995454

    Ronce : Le Grand Chalet, 0546360641

    - Se nourrir :

    Angoulême : Agape, 0545951813

    Cognac : La Courtine, 0545823478

    Rochefort : La Belle Poule, 0546997187

    Ronce : Le Grand Chalet, 0546360641 (restaurant de l’hôtel)

     

  • Gracq inédit

    ManucritsGuerre_gracq.jpgBon, a vue de nez, ce ne sont pas les prémices d'Un balcon en forêt, bien que ce recueil inédit et posthume (le premier depuis la disparition de son auteur), intitulé sobrement Manuscrits de guerre, soit composé d'un journal et d'un récit qui annonce la fiction du Balcon. Mais pour les fans de ce récit paru en 1958 (j'en suis), il devrait s'agir (nous y reviendrons après lecture : le livre paraît dans 3 jours -chez José Corti, bien sûr) d'un diptyque éclairant, puisque Julien Gracq, ou plutôt le lieutenant Louis Poirier, l'écrivit pendant la drôle de guerre (le journal est daté du 10 mai au 2 juin 1940, et le second texte débute le 23 mai de la même année), depuis les abords imédiats de la frontière belge. Il s'agit, en gros, de la chronique d'une défaite annoncée, qui fut fulgurante, mais avec l'oeil et la plume de qui nous savons, la chose devrait avoir une dimension singulière. A suivre...

     

  • Kundera

    Pléiadisé, immortalisé donc, voici Milan Kundera en deux volumes reliés plein cuir, mais sans appareil critique lourd et polluant. Rien que l'oeuvre, sans graisse : le romancier n'est qu'elle-même et rien d'autre. L'aversion de l'auteur de L'art du roman pour le biographique, l'interview, la trahison possible, est légendaire. Donc lire Kundera, et basta. S'interroger quand même sur l'incroyable minutie de cet auteur, sur son attachement maniaque à contrôler chaque mot, chaque signe de chacune des nombreuses traductions de chacun de ses livres, passant jusqu'à trois ans à réviser, retoucher l'une d'elles.

     

  • De l'art du jardin, des paysages et des cartes

     

    9782742794881.jpgJardin et design entretiennent des relations intimes depuis l’Antiquité. Sauf peut-être dans celui des Délices, la préoccupation ornementale, le souci poétique, la dimension écologique prise comme volonté de symbiose, l’aspect fonctionnel aussi, se retrouvent dans les jardins orientaux, européens, extrême-orientaux. Les designers d’aujourd’hui s’appliquent à transformer le quotidien du jardin. Il a fallu pour cela que le designer fasse l’apprentissage d’une certaine conscience écologique, dont il a longtemps été dépourvu par absence de nécessité. Les designers ne s’intéresseront de très près au jardin qu’à la fin des années 1990. Ils se sont largement emparés du motif depuis. D’un stade expérimental, cantonné aux expositions ou bien aux entreprises, le design au service du jardin a commencé de pénétrer le marché de la consommation. Marie-Haude Caraës et Chloé Heyraud, respectivement directrice de la recherche, et membre de la Cité du Design, signent Jardin et design, un ouvrage qui fait le point sur les modes d’intervention du design dans le jardin aujourd’hui et sur les desseins de cet intérêt accru, en particulier en termes pédagogiques.

    9782742796281.jpgL’art du jardin et des paysages étaient encore timides il y a une trentaine d’années à peine, souligne Jean-Pierre Le Dantec dans Poétique des jardins. Supplanté par « l’espace vert » de l’urbanisme, le jardin semblait réduit à une passion aussi naïve que désuète, écrit l’ancien directeur de l’Ecole d’architecture de Paris/La Villette. Aujourd’hui, l’art du jardin explose, les créations se multiplient, ainsi que les expositions, salons, fêtes et autres festivals dédiés. Cet engouement est une vague de fond, et non plus un phénomène passager. Le livre de Le Dantec fait le point sur l’état du savoir contemporain en matière de jardinisme. Il développe par exemple la relation du jardin avec l’art de la promenade, ses rapports avec la science, la politique, les villes, son statut d’œuvre vivante aussi, sans oublier sa fonction d’amélioration du bien-être quotidien social.

    9782742795338.jpgLa dernière livraison des Carnets du paysage est consacrée aux Cartographies. L'ouvrage témoigne du regain de vitalité des recherches en ce domaine, des réflexions et propositions en faveur de l’urbanisme et des territoires. « La carte est désormais considérée moins comme une image transparente des réalités territoriales que comme un discours plus ou moins opaque sur le sujet, un discours dans lequel s’insèrent et s’expriment des enjeux de pourvoir politique, économique, culturel, et où ce qui se reflète est moins le territoire lui-même que l’interprétation qui en est faite par un groupe social ou un groupe d’acteurs, en fonction de leurs représentations, de leurs intérêts, et de leurs projets ». L’intérêt majeur de cette 20ème  livraison est surtout de s'interroger sur les relations entre les cartes et les paysages, littoraux, ruraux et urbains. Elle propose par ailleurs une anthologie des cartes réalisées par des artistes et par des paysagistes. « Toute carte instaure un monde autant qu’elle le révèle », lit-on encore. Elle peut conduire à la rêverie ou à l’exploration. Nous n’avons pas fini de gloser avec science et plaisir sur l’imagination géographique des cultures. 

    Ces trois ouvrages sont publiés par Actes Sud.


    rivage-couv.gifPour finir, j'ai juste envie de rappeler, non pas le titre du Goncourt 2010, mais l'inoubliable chapitre II du Rivage des Syrtes, de Julien Gracq, intitulé La chambre des cartes, monument, moment littéraires entre tous. Extrait : Debout, penché sur la table, les deux mains appuyées à plat sur la carte, je demeurais là parfois des heures, englué dans une immobilité hypnotique d'où ne me tirait pas même le fourmillement de mes paumes. Un bruissement léger semblait s'élever de cette carte, peupler la chambre close et son silence d'embuscade. D'ailleurs, je relis la dédicace que l'auteur écrivit sur mon exemplaire : il y évoque à juste titre une géographie sans carte...


     

  • Toi qui pâlis au nom de Vancouver...

    9782710367291.gifDécouvrir Marcel Thiry... Ce poète majeur (1897-1977), loué par Eluard, oublié, renaît de ses cendres grâce à une salutaire édition en poche (La Table ronde, La Petite Vermillon, 8,50€, édition de Jérôme Leroy) de la plupart de ses poèmes, à commencer par le fameux recueil Toi qui pâlis au nom de Vancouver (1924). Cette anthologie s'intitule Tous les grands ports ont des jardins zoologiques, et sa lecture est un bonheur intense comme la ligne d'horizon au couchant sur la mer. On y retrouve les accents de Cendrars, Levet, Brauquier, Toulet aussi, voire Morand. Les poèmes de Thiry disent avec mélancolie l'absence, la patience, le voyage, la nonchalance, le songe, l'errance solitaire dans une ville inconnue. On voit des femmes cherchant un modèle de robe tandis que MarcelIMG_1877.JPG cherche un vers qui se dérobe, on aperçoit des marins dont les rêves sont pleins de femmes aussi, le lent départ de transatlantiques aveugles, des brumes fantômes, d'autres femmes au regard de danger, comme cette étrangère qui dormait, blonde dans un wagon de seconde. Il y a encore des îles tristes, et puis Anvers, Londres, Hambourg, Amsterdam, Archangel(sk), la Mer de la Tranquillité, mais elle est dans la lune. Il y a aussi des lits d'hôtel et un huître de Claire qui épouse un vin gris, des enfants qui s'éloignent pour grandir à l'infini et des souvenirs qui semblent devenus poèmes rien que pour dater les tristesses (Baudelaire). Et c'est ainsi que ce bouquet de 430 pages devient précieux comme un alcool d'Apollinaire. 

  • lu/bu

    LU : Le nouveau hors-série trimestriel de Technikart, gourmand sauvage, libertin libertaire, décapant salutaire, irrévérencieux intelligent, gourmand fier de l'être, hédoniste fort de son instinct, shootant dans l'éphémère, artiste emmêlé, fianceur de styles-genres ... se nomme : Grand Seigneur. Le magazine qui ne se refuse rien associe culture -et notamment littérature- avec gastronomie et vins, mais aussi sexe et politique, cinoche et junk, pipeule et rouge qui tâche de bien se tenir.  Ce premier numéro est une vraie réussite. A suivre (de près)...

    La corrida du 12 septembre 2010 à Dax, unique entre toutes (j’ai eu la chance de la vivre depuis le callejon) est l’occasion d’un album souvenir publié aux jeunes éditions Passiflore à Dax : Histoire d’une corrida triomphale, du Campo au Ruedo, est signé par un collectif d’auteurs (textes et photos) ayant suivi les toros depuis leur élevage jusqu’aux arènes. Il est toujours émouvant de feuilleter un tel bouquet de réminiscences. Les couleurs, les odeurs, les bruits affluent. Celui-ci est à conserver pour les jours de disette taurine, hélas si nombreux. Car cet après-midi-là, il y eut certes huit oreilles, une queue et une sortie a hombros des trois toreros et du mayoral, mais ce fut avant tout un jour de grâce où une sorte de magie habillait l’air. Nos pas, à la sortie, étaient légers, nos sourires étaient larges, le bonheur se lisait dans le bleu du ciel et dans le regard des femmes.

    Le Dictionnaire du désir de lire, de Benoît Jeantet et Richard Escot (Honoré Champion), passe en revue cent romans contemporains du monde entier. Ces deux rugbymen passionnés de littérature dressent leur catalogue amoureux comme on hisse les voiles, et nous embarquent à bord d'un vaisseau de bon goût avec pour marins les plus grands écrivains du XXème. Cette navigation subjective peut naviguer tranquille à l'estime -que je garantis générale. Elle est aussi le reflet de ce qui fut publié de meilleur, car les drolles ont le nez sacrément fin. Ni didactiques, ni pontifiants, ni jargonautes ni abscons, les auteurs sont plutôt des passeurs d’un ballon ovale nommé littérature, et c’est en cent passes qu’il nous transforment une journée de lecture en bonheur : nul essai ici, que des romans (et des récits) au talent sûr. Des classiques mais aussi des inattendus; de la bonne came toujours.

    Signalons chez le même éditeur, un Dictionnaire du rugby, énorme, riche de plus de 1600 entrées en 610 pages, signé Sophie Lavignasse, basque et dingue de linguistique et de rugby. L’Ovalie dans tous ses sens est un précieux bréviaire à garder près de soi pour le match France-Galles de samedi prochain. Voyons voir au mot déception… Tiens, il n'y figure pas! Enfin, pas encore(*) ...

    Les Lebey 2011 sont parus : Le Guide Lebey des restaurants de Paris et sa banlieue (couverture orange) et Le petit Lebey des bistrots parisiens (couverture noire) nous sont devenus indispensables. Parce qu’ils sont fiables et pertinents, à jour et simples d’utilisation, concis et précis, sans esbroufe et à l’abri des modes branchées, ce sont des compagnons d’avant-soirée que l’on a plaisir à consulter, et même à lire !

    Le Guide Michelin 2011 est paru également, avec ses surprises (rares, cette année), une avalanche bienvenue de bib qui démocratise le gros livre rouge (bravo à François Miura, qui obtient l’un des 117 nouveaux bib restaurants, à Bayonne), et des décrochages ici et là (la Villa Stings, à Saubusse, perd ainsi son étoile, et Les Pyrénées à St-Jean-Pied-de-Port perdent leur seconde : nous compatissons, avec l'envie de dire à ces potos-là : après tout, le Rouge, on n'en a rien à cirer!).

    La vigne et le vin en cent mots, de Sylvie Reboul (Le Polygraphe) est l’un de ces petits bouquins en forme d’abécédaire qui fleurissent depuis quelque temps en librairie ; en particulier à propos du vin. Ce dernier est assez bien fichu, car enrichi de nombreux encadrés pense-bête, intitulés « Le saviez-vous ? » parfaitement opportuns, au détour de pages par ailleurs joliment illustrées de dessins et de cartes.

    Enfin, un mot sur un essai admirable et qui semble connaître un petit succès mérité, Athènes vue par ses métèques, de Saber Mansouri (Tallandier), car il met avec justesse l’accent sur ces étrangers qui vivent à Athènes au Vème-IVème siècle av. J.C., avec les citoyens, qui sont d’une part des étrangers nés libres, installés comme artisans ou commerçants, ou encore comme réfugiés politiques, et d’autre part des esclaves affranchis (devenus métèques), ayant pour patron leur ancien maître. Ce sont des non-citoyens aussi attachés à leur cité que les vrais, ils participent à l’économie et font même la guerre, expriment par là un authentique désir d’adhésion, sinon de reconnaissance. La thèse de Mansouri est donc très différente de la plupart des autres, lesquelles font des métèques des personnages seulement attirés par le gain, prêts à trahir, opportunistes, voire dangereux pour l’équilibre social de la polis. Saber Mansouri déconstruit cette image d’un métèque imaginaire qui semble avoir arrangé nombre d’historiens, pour lui donner sa vraie dimension d’homme impliqué volontairement, et dont l’action est par conséquent encore plus valeureuse, car authentique et profonde.

    BUun délicieux bordeaux, Isle Fort 2008, élaboré à Lignan-de-Bordeaux, concentré comme on aime, avec des merlots raffinés (ce qui est rare), doté d’un nez de fruits rouges assez classique, mais dopé aux épices douces. En bouche, nous retrouvons une belle ampleur apparue au nez, l’épicé donne un petit effet queue de paon à la longueur, confortable au final. Ce vin appartient à Sylvie Douce et à François Jeantet (à l'origine du Salon du Chocolat) et l'éminent œnologue Stéphane Derenoncourt orchestre son élaboration. C’est l’une des plus belles surprises de ces dernières semaines, en Bordeaux. A noter que le domaine produit un rosé confidentiel (4000 bouteilles), Isle Douce 2009, 100% merlot, à la belle robe saumonée, au nez floral en diable et à la bouche gourmande et structurée.

    L’autre bonne surprise bordelaise (une fois n’est pas coutume) de ces derniers jours est un graves  de Pessac-Leognan : château Rouillac, aussi vif en blanc (2009) que puissant en rouge (2008), doté d’une puissance aromatique formidable et d’un caractère bien trempé -surtout sur un risotto à la truffe noire. Bravo au nouveau propriétaire, qui signe ses premiers millésimes avec brio.

    Mais bon, l'essentiel se trouve dans le sud-est, du côté des côtes-rhône septentrionales, là où syrah, mourvèdre, cinsault, grenache et autres bricoles s'expriment comme des divas à l'Opéra, le soleil aidant. Mais ces jours-ci, aucune nouveauté, que des remettez-nous ça. Donc du bonheur : Le Grand Ordinaire.

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    (*) déception se dit delusioneen Italien.

    Question annexe : quand est-ce qu'il se casse, le Lièvremont et sa morgue d'enterrement !


     

     

     

     

  • Préfaces

    Effilage du sac de jute, de René Char, enluminé par Zao Wou-Ki, paraît en poche (Poésie/Gallimard), et c'est très beau : l'écriture de Char (il s'agit de la reproduction de manuscrits) et les huiles de son "allié substantiel" furent publiés à 100 ex. de luxe il y a un lustre. Certes, le texte seul est publié depuis 32 ans 01069154821.GIFpar Gallimard, mais là, nous sommes en présence d'un petit format qui "donne à voir" quand même un dialogue poète - peintre comme ce duo là savait les construire. Les "richesses du livre pauvre" surgissent de ces alliances précieuses. "Faire du chemin avec", semblent nous rappeler les deux artistes, à la pointe d'un écho ténu et fragile comme le givre sur l'herbe lorsque le premier rayon du soleil perce aux alentours de huit heures du matin, l'hiver. Seule ombre au tableau : la préface, signée Dominique de Villepin. Comment diable admettre l'alliance d'un politique -certes féru de poésie au point d'avoir emprunté le titre d'un poème de Char, Le requin et la mouette, pour titrer l'un de ses essais, et aussi d'avoir publié une anthologie poétique, Eloge des voleurs de feu - avec cette beauté-là! Cela m'émeut à l'envers au lieu d'aiguiser ma curiosité. Est-ce parce que le préjugé m'interdit provisoirement de passer outre ma surprise?.. C'est sans doute aussi pourquoi je n'ai jamais ouvert l'anthologie de la poésie française de Georges Pompidou. En revanche, j'aime lire Senghor, Césaire; moins Havel... Je lirai, certes, la préface sûrement ampoulée, voire amphigourique, du Romantique de la République, mais bon, là, je ne le peux pas encore. Remarquez, il y a trois mois, j'ai publié (excusez immédiatement la comparaison, s'il vous plaît!) un livre sur les Landes et c'est Henri Emmanuelli qui a préfacé le bouquin! Et l'an passé, j'avais déjà donné des textes sur les Lacs des Pyrénées au même éditeur (Privat), et c'est Jean-Louis Etienne qui avait préfacé l'ouvrage joliment aquarellé. Mais (re)bon... Je compte moi-même quatre préfaces à mon actif, l'une pour un livre sur un bar emblématique bayonnais, Rendez-vous, Place Saint-André, une autre sur les Histoires d'un braconnier, deux autres enfin sur des Chasses gasconnes, et enfin des Chasses extraordinaires. J'en compte une seule au front de mes propres livres : celle que Michel Déon me donna pour la réédition de mon roman Chasses furtives... Mais je frise l'indécence en précisant tout cela. Et je remarque combien ma première vie, de chasseur (stoppée net il y a onze ans par une sorte d'AVC métaphysique), fut préfacière. Reste Char et Zao. Un petit bijou de livre, un cadeau.

     

     

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    Ecoutez (page 11) :

    L'écoute au carreau

    Pour l'agrément d'un instant j'ai chanté le givre, fils du dernier spasme de la nuit d'hiver et de l'éclair arborisé du petit jour, avant-coureur piétiné des longues présences du soleil. Mon givre! Tué par la cupidité de celui qui n'osa pas t'aborder avec franchise : "Que ce qui émerveille par sa fragilité s'étiole dans l'ombre ou périsse! Mon ardent ouvrage presse." Son ardent ouvrage presse!

     Parmi les déments disséminés dans l'étendue de la mémoire assourdie, l'astre de tous le moins guérissable.  

     

  • En remontant le blog

    162686_10150348164585177_366328715176_16240343_6214482_a.jpgUn papier de ce blog consacré à un livre, repris dans une plaquette de 24 pages sur l'auteur du livre, cela fait plaisir. Oh, c'est très modeste : Jean Rodier (photo), auteur de En remontant les ruisseaux (L'Escampette), a reçu aujourd'hui même le 24ème Prix du livre en Poitou-Charentes. Et la plaquette qui est éditée à cette occasion, reprend ce que Jérôme Garcin (dans L'Obs), Richard Blin (dans Le Matricule des Anges) et moi-même (dans KallyVasco), avons écrit sur ce merveilleux petit livre. Ici, c'était les 3 novembre et 16 février 2010. 

  • rappel

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    La mort est comme un mètre carré qui tourbillonne dans l'arène. Le torero ne doit pas marcher dessus quand le taureau vient vers lui, mais personne ne sait où se situe ce mètre carré. C'est sans doute cela le destin. C'est Christiane Parrat la vigilante qui cite Luis Miguel Dominguin (lui-même cité par François Zumbiehl dans ce merveilleux ouvrage intitulé Des taureaux dans la tête), à l'instant dans un mail. ¡Gracias!..

    Photo (Vic-Fezensac 2009) : ©LM

  • Great Fitz

    Bien que je préfère, et de loin, Tender is the night (Tendre est la nuit), je m'interroge sur le bien fondé d'une nouvelle traduction de The Great Gatsby (Gatsby le magnifique), devenu d'ailleurs Gatsby tout court dans cette nouvelle version donnée à POL par Julie Wolkenstein. Celle de Jacques Tournier (il retraduisit l'essentiel de F.Scott Fitzgerald dans les années 1985 pour Belfond, avec notamment le délicieux Love Boat et autres nouvelles...), m'apparut salutaire à l'époque et taillée pour la route (il m'était impossible de lire Gatsby dans la précédente traduction, de même que je n'ai encore jamais réussi à finir Le vieil homme et la mer en français à cause de la plus horrible, indigne, déplorable, nulle, des traductions du monde, signée Jean Dutourd! Mais il y aurait beaucoup à écrire sur les traductions... Une autre fois). Je n'ai fait que feuilleter le Gatsby nouveau, je ne peux pas en dire grand chose, n'ayant pas eu l'audace d'attraper une autre traduction du livre chez le libraire et de me livrer à un test comparatif... Mais, en tant qu'ex-éditeur, je me demande s'il ne s'agit pas tout bonnement d'une vieille ficelle opportuniste : On m'annonce un film à gros budget, remake du Great Gatsby magnifiquement interprété par Robert Redford en 1974, avec, cette fois, Leonardo DiCaprio dans le rôle titre. A la sortie du film, il suffira d'ajouter une jaquette au livre traduit par Wolkenstein, avec l'affiche du film en photo -oui, plein cadre et tu me mets le titre en défonce, coco... Sauf que Fitz étant tombé dans le domaine public, la traduction de Tournier pourra subir le même maquillage. Mais bon, ces détails marchands n'ont aucun intérêt.

  • les faits boomerang

     Surprise... Comme je souhaite offrir à un ami mon livre Je l'aime encore, qu'il est épuisé chez l'éditeur et que je n'en ai plus qu'un seul, que je me garde, j'ai cherché un exemplaire d'occasion à vendre sur un site en ligne, et je l'ai trouvé. J'ai donc passé commande il y a trois jours et ce matin tôt, un livreur m'a porté le petit colis jusqu'à ma porte. Et quelle fut ma surprise, en ouvrant l'enveloppe, de découvrir l'exemplaire que j'avais dédicacé et adressé, à sa parution il y a plus de quinze ans, à feu mon ami Jean-Jacques Brochier, alors rédacteur en chef du Magazine Littéraire (nota : je me fous royalement du cheminement de ce livre, depuis le décès de Jean-Jacques il y a six ans, jusqu'à moi ce matin). J'étais encore entre deux cafés matinaux, je me suis assis et j'ai relu mon envoi amical. Puis, j'ai feuilleté le bouquin, et j'ai repensé au moment précis où j'avais signé ce livre pour lui, chez l'éditeur. J'ai revécu le petit bout d'émission de télé qu'il avait consacrée à ce petit texte sur la chaîne Seasons (à laquelle je collaborais également) -émission au cours de laquelle il avait à son habitude allumé Gitane sur Gitane, et où il m'arriva de griller un havane : c'était autorisé à l'époque (Jean-Pierre Fleury, notre boss, se contentait de pester après le courrier ulcéré de certains téléspectateurs). Jean-Jacques avait -à son habitude encore-, sifflé, hors champ, à lampées furtives, deux ou trois verres de Johnny Walker (planqué sous la table), lorsqu'il sacrifia à un éloge spécial copinage, mais sincère, car Jean-Jacques était un homme d'une sincérité en voie de disparition.

    Et je me suis dit : la vie est courte et c'est un boomerang. Alors j'ai pensé au boomerang de Julien Gracq, un objet dont la perte, enfant, le mina. Il l'avait évoqué, lors de notre première rencontre en janvier 1999, à Saint-Florent-le-Vieil. Et c'est au point que je réfléchis, depuis la disparition de mon monstre littéraire préféré, à écrire quelque chose sur les effets de la perte de ce boomerang sur la vie de Gracq. (Voir Lettrines, page 23). Mais, ici ce soir, je n'en dirai pas davantage sur le motif, car c'est le livre de feu mon copain de quelques chasses et agapes Jean-Jacques Brochier, que je regarde. Et je pense à sa voix métallique et profonde, à sa barbiche, à son regard derrière des lunettes rondelettes, à son amour immodéré pour Maupassant, à ses pamphlets décapants contre les anti-chasse, les anti-tabac, à ses éditos du Magazine Littéraire parfois trop gentils, ou bien tellement raccord avec ses affinités du moment (Besson, Lanoux, Adler) ou intemporelles (Lowry, Sartre...). Nous nous sommes un jour accrochés à propos de Camus, que je défendais bec et ongles face à l'auteur de Camus, philosophe pour classes terminales. Rien n'y fit. Même lorsque je le taquinais sur sa bienveillance à l'égard de la maison Grasset : "forcément, m'objectait-il : ils font vivre mon magazine!". Il était franc et il disait vrai...

    Jean-Jacques, où que tu sois ce soir, je te remercie de cette visite imprévue. Et prends un armagnac avant de te recoucher, s'il te plaît.


  • Succès en marge

    Le lecteur s’émancipe. A l'instar de l'amateur de vins, il est de moins en moins buveur d'étiquettes. Il va au fond en faisant fi de la forme. C'est merveilleux! Fini les repères obligés, les canaux en dehors desquels toute circulation conduit à une impasse. Deux succès actuels montrent une fois de plus cette belle maturité, cette intelligence affranchie.

    Celui de Stéphane Hessel, « Indignez-vous ! » (lire plus bas), plaquette à 3€ (on en acquiert plusieurs d’un coup, on l'offre à tout va… et on se rémunère au passage en s’achetant une bonne conscience généreuse), est placé sous les auspices de la Résistance et il flingue Israël sans sommations, mais bon. Je l’offre, moi aussi… L’article (13 pages sur 20) a dépassé les 500 000 ex. en deux mois (enfoncés, les Houellebecq, Lévy –Marc-, Pancol et autres pavés), et atteindra 800 000 sous peu. Il est en voie de traduction dans plus de trente langues. Un phénomène est né. Personnellement, je me réjouis pour son petit éditeur montpelliérain au nez creux !

    L’autre phénomène est comparable, toutes proportions gardées : « Crise au Sarkozistan », de Daniel Schneidermann (l’ex-chroniqueur ne signe que la préface, mais il semblerait qu'il ne trompe personne sur les 96 pages de ce pamphlet…), est « sorti » sur Internet peu avant Noël chez un éditeur Béarnais (d'Orthez) à peu près inconnu, LePublieur.com Résultat : 20 000 ex. déjà vendus (10€+port) exclusivement sur le Net donc ! (J'ajoute que je ne l'ai lu que les extraits disponibles sur le site dédié).

    Je trouve sains ces phénomènes d’édition : foin des codes traditionnels et par trop poussiéreux : gros éditeurs du village parisien (2,5 arrondissements) suffisants car confits dans la graisse de leur incontournabilitude, dirait Ségolène (les best-sellers évoqués sont publiés en province), circuit exclusif des libraires, promotion/prostitution à la télé…

    Dans ces deux cas, il y a certes la notoriété irréprochable d’un sage, M. Hessel. Et de l’autre, le si salutaire engouement pour l’antisarkozysme. Un papier ici ou une note sur un blog influent là, ont certes boosté un processus déjà enclenché. Car c’est le bouche à oreille qui a fait le boulot pour la plaquette de Hessel, relayé -d'accord! d'accord..., par la mise en place juteuse pour tout le monde du libelle aux caisses de toutes les librairies. (Même si certains libraires amis, comme Michèle Ignazi par exemple, ont pu se plaindre que la crise avait conduit le lecteur a se contenter d'offrir un bouquin à 3€ pour les étrennes...). Rappelons qu'il y a l'inconsciente sensation d'agir bien, si utile à notre moral en ces temps de neige sociale, ainsi qu'un certain investissement dans la confiance (à bas prix, ça fonctionne mieux).

    Et enfin (surtout?) l’envie d’en découdre, puisqu’il ne s’agit pas de fictions, mais de coups de gueule contre une France moisie


     

  • Un voeu? -Indignez-vous!

    Couvindignez-vous200.jpgVoilà ce que je souhaite à tous pour 2011 :

    de vous indigner, comme Stéphane Hessel l'a brillamment fait, en prônant une insurrection pacifique contre l'indifférence à tous les dérèglements du monde et face à toutes les injustices (indigène éditions).

    Et aussi de méditer cette phrase :

    Et si je n'avais pas besoin de ce qui me manque.

    Car il faudra bien que le coeur se brise ou se bronze...

    Voeux à Volonté!

  • Nevica

    Il neige à angle coupant : 35-40°, avec ce vent glacial qui hache en biais le rideau des flocons, alors je pense au réchauffement de ma planète car, n'ayant jamais été bricoleur, je sais à peine isoler mes grandes fenêtres. Donc j'alimente un feu de cheminée généreux et pousse les chauffages électriques à fond. Et tant pis si la moitié fout le camp par les interstices. J'ai déjeuné merveilleusement avec mon fils au Vertbois (38, rue du Vertbois à Paris 3 : un excellent resto nouvellement tenu -depuis le 15 mars- par deux charmantes associées, Soline Bourgeot et Pauline Mure ) d'un thon rouge formidable avec son pesto et ses herbes thaï, et d'une entrecôte de l'Aubrac tendre et fameuse, en provenance de la boucherie du Rouillon, à Athis-Mons, accompagnée d'un Premières-Côtes-de-Bordeaux signé des époux Dupuch, L'Alios de Sainte-Marie (2008) friand, carrément sur le fruit, gourmand et bien merloté. A présent, je mets des légumes tranchés fins à revenir dans une bonne huile d'olive (oignon, ail, carottes, tomates cerises entières -elles crèveront toutes seules-, céleri, cèpes, champignons de Paris), j'ajoute des herbes diverses : persil plat, romarin, estragon, laurier froissé pour qu'il dégage bien. Je fais revenir à part un lapin en morceaux. Au bout d'un moment je mélange le tout avec une grande rasade de vin blanc et ça mijote à tout petit feu pendant trois quarts d'heure dans la grande cocotte. Le temps d'attraper divers bonbons : Chez Marcel Lapierre, de Sébastien Lapaque, sur le regretté Marcel et son morgon adorable, L'argot du bistrot du regretté Robert Giraud (les deux à La Table Ronde, Petite Vermillon), les livres de Simonetta Greggio (quatre sont déjà au Livre de Poche) que j'ai à la fois bouffé et dégusté  l'un derrière l'autre, ces derniers jours : j'ai particulièrement aimé la sensibilité droite et forte comme une aube de novembre sur un plateau de l'Aubrac de "son" Diable au corpsLes Mains nues, et la subtilité gourmande de Etoiles (aussitôt offert à Philippe Legendre, ex 3*** au Four Seasons - Georges V). Il y a aussi La douceur des hommes, si sensuel, et Col de l'ange, intime en diable  -familial même ... Je survole le quatuor, feuillette en m'arrêtant sur mes annotations au stylo. Ca mijote tout doux en cuisine, bbllbbllbbllbbll... A mi-cuisson, j'ôterai les morceaux de lapin pour les désosser et remettre le rongeur émietté dans la cocotte en fonte. J'ai encore le temps de prendre un vieux bouquin retrouvé, Le roman d'Angelo, de Luchino Visconti (Gallimard, Haute enfance) en pensant à l'île d'Ischia, la grande voisine de ma Procida chérie, puis Les fiancées sont froides, de Guy Dupré (Petite Vermillon, encore) pour le plaisir accru, toujours, de retrouver une prose hiératique et pure comme celle du Gracq du Rivage. Clin d'oeil amical à la préface donnée par Jean-Marc Parisis à cette salutaire réédition... Je picore, lis comme on mange des tapas entre copains, debout, à la barra d'un rade recommandable derrière la Concha de San Seba. Je tire sur un havane (Short Churchill, de Romeo y Julieta), écoute un live de M, Les Saisons de passage, au rock aride et fort comme l'armagnac de Laubade, Intemporel n°5. L'après-midi passe ainsi. Je plongerai au dernier moment les papardelle dans l'eau bouillante, ce soir, -oh, quelques minutes à peine, et les incorporerai à mon sugo di coniglio correctement réduit. Je sais d'avance que, à l'instar du couscous de ma mère, il sera meilleur demain. "Le lendemain, il sera souriant, tu verras"... La Sierra du Sud 2009, au top ces temps-ci (un côtes-du-rhône de haut vol signé Gramenon) escortera le tout avec une dignité qui forcera le respect dû à la vigneronne qui officie là-bas. Nevica : Il neige.  Je ne pense plus au réchauffement de ma planète, à présent embaumée par les parfums mêlés en provenance (j'ai failli écrire Provence) de la cuisine...

     

     

     

     

     

  • Des bars

    9788497838900 (1).jpgRendez-vous, Place Saint-André, de Colette Larraburu (Elkar) -voir la note du 10 décembre dernier, est un ravissement. Sous-titre : Trente ans de vie du Café des Pyrénées : c'est réducteur, car ce sont trente ans de vie bayonnaise qui sont ici contés, tant l'objet de l'étude reflète les années 80 à aujourd'hui dans leur globalité. Il s'agit d'une enquête aussi sérieuse que chaleureuse, vivante, profondément humaine, à la fois psychologique et sociologique. Le microcosme du Café des Pyrénées, à Bayonne, est un prisme au travers duquel un pan d'une certaine histoire du Pays basque, de la cause basque aussi, peuvent-être lus. Ce bar qui ouvre sur l'emblématique Place Saint-André, constitue un espace où l'évolution des habitus, a été marquée par des phénomènes saillants : la rue Pannecau en tant qu'artère-symbole où furent perpétrés nombre d'attentats, notamment ceux du GAL. La disparition progressive du petit commerce de proximité. La reconquête de l'espace avec l'arrivée d'étudiants. Et cela, Colette Larraburu en "rend compte" à travers de nombreux témoignages. Son livre est le fruit d'un travail minutieux de journaliste scrupuleux, qui sait donner la parole à, et reporter avec talent. Rendez-vous, Place Saint-André est l'histoire, humaine, d'un lieu singulier et à forte valeur ajoutée. Vif, alerte et précis, son écriture est belle, de surcroît

    Voici la préface que j'ai donné à ce livre :

    "Un café peut devenir une seconde maison, si l’on affectionne les lieux de rencontre, d’échanges et de fusion des caractères sur l’autel d’un comptoir unique. Chaque café est un tissu de liens, un cœur qui bat, un organe de circulation de l’information allant de l’extérieur vers l’intérieur, soit, en l’occurrence, des artères du Pays basque vers l’entrelacs veiné de la ville –Bayonne, où se chuchotent et se chantent les nouvelles depuis toujours. C’est aussi le réceptacle d’informations plus délicates, à caractère politique, disons à forte valeur ajoutée. Pas de complot ourdi, de piège déjoué ou de tension désamorcée sans un café pour les fomenter ou les dissoudre. Si les murs d’un café sont en ciment, l’esprit qui y circule cimente ceux qui le fréquentent : ça ne sortira pas d’ici. Dans ce livre précieux, qui porte un regard d’une acuité rare sur un microcosme singulier, Colette Larraburu a su avec maestria toucher l’âme de ces lieux de mémoire et de vie forte, en ouvrant celle des hommes et des femmes qui les animent par destination. L’écoute est un art, faire dire en est un autre, d’amont. Colette Larraburu possède l’un et l’autre. En la lisant, j’ai appris mille secrets bayonnais et autant de ficelles éclairantes sur l’esprit de cafés d’apparence familière. Car, en observant et en laissant s’épancher avec tact les acteurs de ce monde irremplaçable –qui bat cependant de l’aile dans nos sociétés moisies, ce que révèle Colette Larraburu, à partir d’une observation à la fois clinique et clanique, mais surtout empathique et chaleureuse, touche à l’universel. Et c’est ainsi que l’image de la palombière, avec son poste de vigie, un ou plusieurs guetteurs, pour comparer et donc mieux comprendre la philosophie des cafés bayonnais, peut être déclinée à l’envi. Il existe des palombières dans le monde entier ! Où, dès leur seuil franchi, une batterie de rites de passage se met en branle, car il ne s’agit jamais de franchir le rugby, con! Il faut encore savoir en jouer, avoir la démarche idoine pour se faire accepter, la jouer humble, passer le ballon, offrir des sourires et des verres, et laisser le sac de ses défauts à l’entrée. Entre la porte et le zinc, le café impose sa vérité à celui qui y pénètre. La situation stratégique de tel bar, comme le mythique Café des Pyrénées, au bout de la rue Pannecau –ce « pont entre le Petit et le Grand Bayonne », détermine par ailleurs l’atmosphère particulière de chacun. Au-delà, tout est question d’affinités passagères ou durables. Personnellement, j’ai longtemps été Machicoulis, puis Au Clou, et pas seulement pendant les fêtes, plutôt le matin tôt. De même que le samedi, je suis Bar du marché : un petit coup du coude avant de passer à la table de Joséphine, sur place. J’ai vu apparaître des cafés « de détournement du sujet originel », ceux où l’on grignote pas mal, à l’instar d’Ibaïa, entre tant d’autres. Les querencias changent : mon actuelle, c’est le café François : Au mastroquet des halles… Nos préférences créent des habitudes. Mais il vaut mieux prendre l’habitude de n’avoir aucune préférence : je serai à jamais du côté de ceux qui entretiennent « l’esprit bar », en défendant le convivial poteo contre le pathétique botellon, descendant du xahakua, qui avait de la classe. Enfin, la nostalgie grave nos choix irrationnels : à cause des souvenirs que j’y ai sculptés lycéen, c’est Chez Tony, ancienne « annexe » depuis longtemps disparue du Lycée, que se trouve mon bar élu. Fantomatique, il demeure et j’y entends encore, en passant devant le commerce qui l’a remplacé, l’intact brouhaha de mes potes de bahut." © L.M.

     

  • Bars Bayonnais

    C'est un livre qui paraît aujourd'hui, je ne l'ai pas encore vu, mais j'ai le plaisir -et l'honneur- de l'avoir préfacé. Son auteur, une amie et consoeur, Colette Larraburu, s'est livrée à une enquête historique et sociologique, étalée sur trente ans, du Café des Pyrénées, bar emblématique bayonnais. Dire que les cafés sont des lieux de vie, d'échanges, de socialisation et d'information est une tautologie. Etudiant à Sciences Po, j'avais eu le bonheur de pouvoir choisir, pour sujet de mémoire de fin d'études, le "décortiquage" sociologique (la mode était à Bourdieu, à l'époque), linguistique, économique, social, etc., une année durant, d'un bar de Bordeaux, L'Oriental, Place de la Victoire (il changea par la suite plusieurs fois de nom -il était déjà rebaptisé Le Central à la fin de mon enquête de terrain). C'est dire si la proposition de préfacer un tel livre m'a aussitôt séduit! L'Oriental, Les Pyrénées, je repense, une fois de plus, à la parole si juste, si profonde de l'écrivain portugais Miguel Torga : L'universel, c'est le local moins les murs... 

     

     Alors Bravo Colette! Il me tarde de recevoir le bouquin et de le lire! (J'y reviendrai donc). Il est publié aux éditions Elkar : Rendez-vous Place Saint-André. Et voici ce que Emmanuel Planes en dit ce matin dans le journal Sud-Ouest :

    http://www.sudouest.fr/2010/12/10/le-cafe-des-pyrenees-un-balcon-sur-saint-andre-263243-4018.php

     

  • Une vraie libraire

    Les vrai(e)s libraires sont rares. De plus en plus rares. Nous en connaissons tous unelandes.jpg poignée, en bas de chez nous et aux six coins de la France. J'en ai découvert une de plus, hier, en signant Landes, les sentiers du ciel. Elle s'appelle Véronique Ducher et elle dirige la librairie Lacoste à Mont-de-Marsan (Landes). Dire qu'elle est érudite, sensible, curieuse, et qu'elle accomplit un travail formidable est un euphémisme. Son tact, son ouverture d'esprit, la qualité et la sincérité de son accueil sont méritoires, salutaires et remarquables. Bravo Véronique!

     

    A lire dans Sud-Ouest Dimanche de ce 21 novembre : 

    Sud-Ouest Dimanche : Signature

     

    Bu, à Toulouse à midi, hier, avec l'ami Christian Authier (auteur Stock), le rare gamay (2007) du Prieuré Roch (*), au Tire-Bouchon (place Dupuy), adresse formidable pour découvrir de vrais vins naturels au goût authentique de raisin tout en mangeant des plats simples et francs (superbe, le haricot de mouton).

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    (*) Domaine très recommandable (et dédié au Pinot Noir) situé en Côte d'Or et célèbre pour ses Clos de Bèze, Clos de Vougeot, Clos des Corvées, Les Suchots, Clos Goillotte, Les Hautes-Maizières et enfin Les Clous.

  • Landes, les sentiers du ciel

    C'est un nouveau livre, qui paraît en librairie jeudi prochain (après-demain). J'ai signé les textes et Frédérick Vézia les photos, toutes prises depuis son ULM. Ce sont des textes courts, poétiques, des émotions, pour exprimer la force et la douceur des paysages photographiés

    Privat, 144 pages, 30€. (Ce livre est une sorte de prolongement de Lacs et barrages des Pyrénées, textes de ma pomme et aquarelles de Philippe Lhez, paru il y a un an environ chez le même éditeur).

     

    CouvertureLandes2-1_2.jpg

     

    Texte de 4 de couverture : 

    D’aucuns s’imaginent un océan tantôt vert, tantôt beige : des pins et du sable, en marge du vrai, le bleu, qui borde un département singulier en traçant une ligne droite comme une échasse. Or, les Landes sont protéiformes, variées, chatoyantes, vallonnées, sensuelles, mamelonnées, onctueuses, sinueuses, veinées, traversées. Le velours côtelé des vignes ici, des champs de maïs ronds comme des planètes, là. Des villages rassemblés, un habitat épars avec de temps à autre un airial qui troue une forêt forte, bien que malmenée par les tempêtes. Les Landes vues du ciel offrent une lecture collinaire du paysage de Chalosse étonnante, celle de la polyculture en Marensin, un air basque dans le Sud-Adour, lorsque les Pyrénées sont en ligne de mire… Les Landes, ce sont aussi des arènes, des champs de kiwis, l’embouchure d’un port de pêche, des plages désertes, des lacs géants, des étangs mystérieux, des marais et marécages appelés barthes. Une géographie d’esthète se dessine sous nous yeux, grâce au talent du photographe landais Frédéric Vezia, qui saisit la calligraphie naturelle et humaine à hauteur respectable et nous donne à voir les Landes comme on ne les a encore jamais vues. Léon Mazzella, journaliste et écrivain, auteur de plusieurs ouvrages sur cette région chère à son cœur et à ses bottes, a signé pour l’occasion des textes empreints d’une poésie nécessaire –celle qui s’impose naturellement à lui devant une terre de tant de promesses.

    Lancement, signature, cocktail vendredi 19 à partir de 17h à la librairie Lacoste, à Mont-de-Marsan.

  • Interallié

    Restent en lice Claude Arnaud, Qu'as-tu fait de tes frères?  (éditions Intergrasset...) et Simonetta
    Greggio, Dolce Vita 1959-1979 (Stock). Et aussi Jean-Michel Olivier, L'amour nègre (de Fallois), dont je ne donne pas cher, Mohammed Aïssaoui ayant reçu le Renaudot essai sur un sujet voisin, avec L'affaire de l'esclave Furcy (Gallimard). Arnaud et Greggio ayant déjà été recalés à d'autres grands prix attribués ces derniers jours, j'ai tendance à penser qu'il s'agira d'un duel. Et j'ai envie que ce soit Greggio et son histoire de l'Italie qui l'emporte. Et vous? Les deux sont (ou ont été : Simonetta) journalistes. L'Interallié récompense normalement un "encarté". A suivre.


    180px-Simonettagreggio.jpg

     Addendum du 16 novembre : c'est l'écrivain suisse J.-M. Olivier qui l'emporte.

    Nos pronostics étaient
    mauvais.

    Je lirai malgré tout, des trois en lice, seulement le livre de Simonetta Greggio. 

  • Je le verrais bien en Prix Médicis

    41X6Wq0VPEL._SL500_AA300_.jpgParmi les curiosités des sélections de ces grands prix littéraires d'automne, il y a le bouquin de Nabe, auto-édité, disponible sur le Net seulement... Mais bon, l'auteur a une réputation nauséabonde et le défendre, comme le fait FOG, me semble étrange... Non, moi je préfère voir figurer le magnifique petit livre de Jean Rodier, en remontant les ruisseaux, publié à L'Escampette, admirable éditeur poitevin animé par Claude Rouquet (livre déjà évoqué sur ce blog, le 16 février dernier), car il y est question de pêche à la mouche et de nature aride de l'Aubrac et du Haut-Gévaudan, d'observations subtiles sur la faune et la flore, les nuages et surtout l'eau, la rivière, que l'auteur sait lire, mais également de silence et d'alouette, de Gracq et de Buffon, de Lucrèce et de Whitman, de cincle plongeur et de circaète Jean-le-Blanc, de solitude heureuse et de truites sauvages comme à l'aube de l'humanité. Et surtout d'une prose somptueuse, précise et jamais emphatique. L'auteur aime pratiquer "la pêche à rôder". Nous aimons, nous, les pêches de Rodier. C'est un non-guide pour se perdre dans le vertige de la littérature, un guide pour ne pas y aller. Un livre littéraire en diable. Donc un bon Médicis, non?.. Nous verrons bien si les jurés sont ou non d'indécrottabes parisiens et s'ils sont capables d'audaces...  Réponse à la mi-journée.

  • Joël D. dans Les petits mouchoirs

    19501153.jpg-r_760_x-f_jpg-q_x-20100901_035023.jpgC'est un pote que je vois peu mais on s'appelle de temps à autre et on se voit à l'occasion, comme aux arènes de Dax, le 12 septembre dernier, jour d'une corrida historique -lire par ailleurs, ici même, sur le sujet. Joël D. (c'est l'enseigne de ses bars à huîtres où il faut découvrir la Quiberon n°3, ma référence absolue) n'est pas Agnès B. Il crève l'écran dans Les petits mouchoirs de Guillaume Canet en jouant son propre rôle (c'est Jean-Louis, l'ostréiculteur du Cap-Ferret, dans le film) alors qu'il débute devant la caméra ! Car il est comme ça, Joël : brut de décoff', vrai à 100%, bon, généreux, sans ambages, zéro frime, la tête au frais, jamais de prise de chou, adepte des éclaircissements immédiats, bref : c'est un gars qu'on aime parce que c'est un vrai mec bien, qui regarde au fond des yeux en te disant tes quatre vérités, les bonnes, les mauvaises (ça fait déjà au moins dix-huit, dont trois bonnes, garçon!) parce qu'il t'a en estime. Et ça c'est beau. Rares sont les hommes de sa trempe. Lorsque j'ai fait sa connaissance, dans son bistrot de la rue des Piliers-de-Tutelle à Bordeaux -surnommée la rue des milliers de pucelles-, en 1984 (j'habitais à deux faux-pas de là, rue des Faussets), son regard droit et donc horizontal s'est imposé à moi verticalement. J'ai découvert par la suite son humour, sa faconde. Joël, en étant simplement lui-même dans le film de Canet, vole la vedette, à son corps défendant, à des acteurs professionnels. Nulle intention de sa part! Il n'est pas comme ça, le gonze, loin s'en faut ! Alors pourquoi?  Je crois qu'il est -juste- rattrapé par un retour des vraies valeurs dans ce monde de brutes (et c'est un peu le sujet du film), lesquelles nous font aimer son personnage davantage que les autres. Il détient la vérité de la vraie vie. Ce n'est pas rien, ça... Et de cela nous manquons chaque jour davantage. Dans l'un de mes bouquins, récents, je décris Joël comme le Gascon magnifique. En voici un extrait, à la page 161 de ce dico amoureux (Le Sud-Ouest vu par Léon Mazzella, éditions Hugo & Cie, nov. 2009) :

     

     

    19501151.jpg-r_760_x-f_jpg-q_x-20100901_034947.jpg« Comment peut-on être Persan ? » demandait Montesquieu. Comment peut-on être Gascon ?… On ne  le devient pas, on l’est de naissance. C’est un caractère, une manière d’être au monde, de penser, de marcher, de parler, de rire et de chanter, d’aimer et de préférer, de manger et de boire, de donner et de partager, de faire la fête et de cultiver l’amitié avec autant de soin que la vigne, une façon de vivre le paysage, de caresser la plaine, de rentrer dans l’Océan, d’écouter la forêt, de voir la montagne, de songer la ville, de vivre le village, de dompter un étranger un peu trop conquistador. C’est une attitude de tous les instants, un accent, un regard, une fierté, une franchise, un laisser-aller contrôlé, une morale, un savoir-vivre à nul autre pareil. Parmi les Gascons auxquels je pense aussitôt, je compte Jean-Jacques Lesgourgues, vigneron en Armagnac, à Bordeaux et en Madiran. Mécène, collectionneur d’art contemporain, Jean-Jacques est l’archétype du Gascon total. Je pense aussi à Jean Lafforgue, érudit, ancien libraire emblématique du temple des livres bordelais : Mollat. Je pense à Jean-Pierre Xiradakis, autre Bordelais aux origines grecques, restaurateur à l’enseigne de « La Tupiña ». Je pense enfin à Joël Dupuch, ostréiculteur sur le Bassin, amateur au sens noble du terme, ex rugbyman et cultivateur d’amitié. Le Gascon est un égoïste qui ne pense qu’aux autres. Un aventurier qui néglige l’objet pour la cause, un homme qui n’adhère à rien sauf au plaisir qu’il souhaite « faire passer ». Le Gascon est le contraire du militant. C’est un rugbyman au quotidien qui donne le ballon comme une offrande, parce que « ça » doit jouer, jamais stagner. Et pas que le dimanche après-midi. C’est un joueur qui fête la défaite, un homme qui engage sa vie pour son salut, à l’instar de « l’Aventurier » comme l’écrivain Roger Stéphane en dressa le « Portrait » dans un livre éponyme fameux.

     

  • Deux poids, deux mesures : Vargas Llosa et Marilyn Monroe

    Mario Vargas Llosa Prix Nobel, cela m'évoque l'expression si poétique du médecin pour désigner un excès de poids : surcharge pondérale... L'écrivain péruvien devenu espagnol, notoirement de droite, récompensé pour sa cartographie des structures du pouvoir et ses images aiguisées de la résistance de l'individu, de sa révolte et de son échec, laisse à penser que, déjà tellement plombé de prix et récompenses en tous genres, il devra s'acquitter d'une taxe lorsqu'il prendra l'avion pour Stockholm. (Je pense aussi à l'image sinistre de ces généraux argentins et autres russes à la poitrine cuirassée de médailles). Reste que MVL est un excellent romancier. Et que l'Académie suédoise aurait été mieux inspirée en récompensant une découverte, ainsi qu'elle l'a fait, avec des bonheurs inégaux certes, ces dernières années.

    IMG_1529.jpgJe préfère penser, en feuilletant les Fragments inédits de Marilyn Monroe, que les histoires oiseuses sur les blondes vont pouvoir prendre leur revanche. (Etait-il nécessaire de déguiser la publication de ces textes intimes qui disent un amour pour la littérature et des qualités littéraires évidentes, en réhabilitation?..). Antonio Tabucchi, dans sa préface, souligne un signe dans l'existence d'une femme trop belle et réduite au statut encombrant de bombe sexuelle absolue. A l'intérieur de ce corps qu'à certains moments de sa vie Marilyn porta comme on porte une valise, vivait l'âme d'une intellectuelle et d'une poétesse dont personne n'avait le soupçon. Est-ce exagéré? En tout cas, cela explique sans doute pour partie la mélancolie de Marilyn, voire sa dépression. MM rêvait de se réincarner en papillon. Cette légèreté ne manque pas de grâce. Et m'émeut.

    (Et j'adore cette photo, infiniment sensuelle, dont la charge érotique dépasse en puissance tous les nus de M.M.).

     

  • L'enterrament a Sabres

    Pour moi c'est un événement : la reprise dans la si précieuse collection Poésie/Gallimard de la chanson de geste hugolienne, de l'ode à la lande, de ce poème homérique et tsunamique, de cette élégie gasconne d'une belle force tellurique et d'une douceur d'aile de papillon, de cet Office des Ténèbres à la houle majestueuse, de ce chant de grâce et de beauté, de ce poème d'amour à la mort, donc à la renaissance, à la Nature, aux femmes, aux humbles, à la puissance du regard, à l'humus, à l'énergie sourde du silence, à l'oiseau migrateur, à la sagesse des vieux, à l'alios et à la grande forêt de pins, de cette Légende ensorcelante, ensorcelée et  mystique -est, oui, à mes yeux, un événement. Annoncé il y a plus de six mois, je le guettais -un peu inutilement, puisque j'ai l'original paru d'abord chez Ultreia en 1989, puis sa réédition parue chez Mollat en 1996. Et puis sa parution fut repoussée plusieurs fois au cours de l'été et à index.jpgla rentrée. Le voilà enfin! (et d'ailleurs, je ne l'ai finalement pas racheté dans sa troisième version...). Il s'agit du livre le plus essentiel, peut-être, de Bernard Manciet (1923-2005), auteur un-peu-beaucoup-ours que j'eus le plaisir de rencontrer à Trensacq, dans sa retraite de la Haute Lande, et avec qui j'ai partagé le bonheur de publier -chacun son petit bouquin- dans la même collection : lui Les draps de l'été -poème en prose sur la sieste sensuelle des après-midi de l'été landais... et moi Je l'aime encore, long poème en prose, ou journal sans date d'une passion amoureuse torride, sexuelle, donc imprégnée d'érotisme et qui finit mal, forcément, (et dont Manciet me dît, dans une lettre : c'est tellement beau que je ne sais pas ce que vous allez pouvoir écrire après! Purée, ça marque un homme, ce genre de paroles!). Cela vit le jour aux éditions Abacus en 1995, dans l'éphémère collection "Quatre auteurs pour quatre saisons" (les deux autres étaient Michel Suffran et Marie-Louise Haumont. Et les quatre ouvrages étaient emboîtés dans un joli coffret -et j'ignore s'il est encore disponible). L'enterrement à Sabres (titre originel gascon : L'enterrament a Sabres), donc, est paru en format de poche et en bilingue (Occitan-Français) comme la plupart de ses nombreux livres. J'aime profondément l'idée de cette édition à vocation populaire. C'est l'oeuvre poétique majeure de Manciet, qui a beaucoup écrit, d'autres poèmes d'une émotion forte (Un hiver, Accidents, entre autres), des essais brillants (précieux Triangle des Landes, et Golfe de Gascogne), des romans bouleversants et d'une splendide concision (Le Jeune Homme de novembre, La Pluie, Le Chemin de terre). Je sais, je suis certain qu'un jour, dans des années, Manciet sera reconnu comme un immense poète, comme un René Char gascon. Je prends les paris.

  • Vins, nouveautés en rouge et noir

    genere-miniature.aspx.gifJe signale juste la réimpression, avec une nouvelle maquette très chic, de genere-miniature.aspx.gifMon livre de cave (Le Chêne) dont je suis l'auteur (je n'ai pas encore vu/reçu le livre mais une alerte par mail m'a renvoyé sur cette photo), et la parution de Comment faire sa cave, de Philippe Faure-Brac, car j'en suis le nègre (EPA). 

  • Procida amore mio

    IMG_3332.jpgUne semaine sur l'île de Procida regonfle, donne envie de continuer d'écrire, d'écrire là-bas aussi, à défaut d'y vivre; entre deux balades en scooter d'une plage l'autre, et deux terrasses de restaurants de poissons et de fruits de mer. L'île n'est-elle pas devenue un jardin d'écriture, où Elsa Morante écrivit plusieurs de ses livres, dans la propriété Mazzella di Bosco ou hôtel Eldorado (rebaptisée ll giardino di Elsa), avec ses allées de citronniers qui poussent leur feuillage jusqu'à ce balcon merveilleux, en bord de falaise, au-dessus de la plage de Chiaia et du petit port de la IMG_3346.JPGCorricella,  avec la côte amalfitaine et Capri à l'horizon ? J'en reviens et comme à chacun de mes retours de cette île-querencia, je suis la proie d'une mélancolie tonique, que la lecture de L'isola nomade (adm editoriale, sept. 2010), recueil copertina-194x300.jpgde récits sur Procida rassemblés par Tjuna Notarbartolo, écrivain et présidente du Prix Elsa-Morante, augmente cette fois d'une joie singulière, celle qui rassérène car elle est fleurie de promesses et de bonheurs à venir, encore, bientôt ; là-bas.

    (Peinture de Luigi Nappa, photo LM, couverture du livre et peinture de Roger Chapelet, représentant le s/s Procida...).

     

     

    www.isoladiprocida.it

     

     

    procidaA.jpg

     

     


     

     

     

  • Où est-il?

    IMG_1396.jpg<== : Voici ce qu'il reste d'un torero d'une classe rarissime, aujourd'hui chaque fois plus décevant. Sebastian ne torée plus vraiment depuis deux saisons. Souhaitons qu'il réfléchisse à son retour...

    IMG_1427.JPGIMG_1389.JPGIMG_1363.jpg(Photos prises avec mon iPhone : Sebastian Castella, Mateo Julian, novillero prometteur, Dax, samedi 11. Arènes de Bayonne, samedi 4)

    José Bergamin (La solitude sonore du toreo, Verdier/poche) :  Parce qu’elle est émotion et parce qu’elle est torera, l’émotion torera est magique.

    Tout ce qui est art, jeu, fête, dans le toreo, appartient au monde magique de l’émotion. Le cercle magique des arènes l’inscrit dans l’ensemble de ses éléments. Les barrières de bois le dessinent sur le sable, la toiture le découpe dans le ciel. Et tout ce qui demeure à l’intérieur de ce rond, dans son espace déterminé, appartient au monde magique de l’émotion, horrible ou merveilleux, selon l’objet qui le motive. De telle sorte que le véritablement horrible ou merveilleux disparaît quand se rompt le cercle magique, soit, comme dirait Sartre : « Quand nous construisons sur ce monde magique des superstructures rationnelles, car ce sont elles alors qui sont éphémères et sans équilibre, elles qui laborieusement construites par la raison se défont et s’écroulent, laissant l’homme brusquement replongé dans la magie originelle.» Pour celui qui contemple le monde magique du toreo existent ces deux formes d’émotion signalées par Sartre : celle que nous construisons et celle qui nous est brusquement révélée. C’est ainsi qu’il arrive, dans le toreo comme dans la danse  – surtout la danse sacrée et cette part de sacré qu’il y a dans le flamenco –, que l’émotion magique surpasse prodigieusement ou sublime leur réalité vivante. Exemple souvent cité par moi que celui de la danse, et Sartre aussi l’évoque, je crois me souvenir, dans sa Théorie des émotions : quand le symbolisme du sexe pour la danseuse, de la mort pour le torero, transcendant son instinctive motivation, transforme ou transfigure le désir ou la peur. Dans le spectacle magique de la course, la présence de la mort est exclusivement liée au taureau tandis que les lumières de la raison irrationnelle, s’allumant et s’éteignant sur son habit, masquent d’immortalité le torero. Dès qu’un torero nous exprime volontairement ou involontairement sa vaillance ou sa peur, l’émotion magique de son art s’évanouit. Car l’émotion du toreo relève exclusivement de l’art. Le spectateur qui s’émeut d’autre chose le détruit, en lui substituant une sorte de pornographie mortelle qui le transforme lui-même en masochiste suicidaire et en assassin sadique : tendances évidemment imaginaires, ignorées de lui, qui ne sent que plaisir et douleur frustrés, comme dans un inconscient fantasme d’onanisme...

  • Les écrivains dans leur jardin, florilège

    Des Mille et une nuits à Proust, du Cantique des cantiques à Kafka et Flaubert, en passant par Yourcenar ou Ji Cheng et Claude Simon, les grands textes, et de nombreux écrivains, ont célébré le jardin. Florilège et promenade dans les allées, avec larges extraits prélevés parmi les livres de ma bibliothèque verte...

     

    Voltaire, d’abord. Avant La Genèse. Candide, chapitre XXX : « Il faut cultiver son jardin ». Dont acte. Le précepte est indestructible. Ecrit à l’anti-rides. Et l’avantage, c’est que chacun l’interprète à sa guise ou selon son humeur. Telle est la non-leçon voltairienne. Sa lumineuse liberté.

    La Genèse, donc : « Iahvé Elohim planta un jardin en Eden, à l’Orient, et il y plaça l’homme qu’il avait formé. Iahvé Elohim fit germer du sol tout arbre agréable à voir et bon à manger, ainsi que l’arbre de vie au milieu du jardin et l’arbre de la science du bien et du mal. Un fleuve sortait d’Eden pour arroser le jardin… » (C’était commode).

    Depuis, le jardin n’a cessé d’inspirer. L’existence même du jardin est source d’inspiration : avant d’être sujet d’écriture, le jardin comme espace et environnement de l’écrivain, est propice à l’écriture. Il n’est qu’ à lire ce petit bijou qu’est Ecrit dans un jardin, de Marguerite Yourcenar, pour s’en convaincre. L’art du jardin, spécialité extrême-orientale classique, est éminemment littéraire : en effet, comment ne pas oser la métaphore des plantes et des fleurs que l’on plante avec les mots et les phrases que l’on pose ?

    Yuan Ye (Le Traité du jardin, publié en 1635), du maître jardinier chinois Ji Cheng, inscrit l’action dans la durée. Comme l’écrivain l’écriture : « Au bord du ruisseau, on plantera des orchidées et des iris. Les sentiers seront bornés des Trois  Bons Amis (le prunier, le bambou et le rocher). Il s’agit d’une œuvre qui doit durer mille automnes. (…) Quoique fait par l’homme, le jardin semblera l’œuvre de la nature ». Et le livre, légende. Un « livre de sable », une notion chère à Jorge Luis Borges. Sensuelle, pensée avec méticulosité, l’art du jardin est un bouquet de vertus pour l’âme et les sens. C’est un art  qui veille au bien-être et prédispose à la création, en somme : « Dans la nuit, la pluie tombera sur les bananiers, comme les larmes de sirènes en pleurs. Quant à la brise matinale, elle soufflera à travers les saules qui se balanceront comme des selves danseuses. (…) Il faut planter les bambous devant les fenêtres et les poiriers dans les cours. Le vent, murmurant à travers les arbres, viendra effleurer doucement le luth et les livres posés sur le chevet ». Avec une poésie subtile, le maître jardinier qui conçut de nombreux jardins sous la dynastie Ming, disait encore : « Bien que tout ceci ne soit qu'une création humaine, elle peut paraître œuvre du Ciel »…

    Remonter au Poème de la Bible, Le Cantique des cantiques permet d’y cueillir d’admirables pétales sur le motif. « C’est un jardin fermé que ma sœur fiancée, une source fermée, une fontaine scellée ; un bosquet où le grenadier se mêle aux plus beaux fruits, le troène au nard, le nard, le safran, la cannelle, le cinname à toutes sortes d’arbres odorants, la myrrhe et l’aloès à toutes les plantes embaumées ; une fontaine dans un jardin, une source d’eau vive, un ruisseau qui coule du Liban. Levez-vous, aquilons ; venez, autans ; soufflez sur mon jardin pour que ses parfums se répandent. Que mon bien-aimé entre dans son jardin et qu’il mange de ses beaux fruits ! ».

    Les Mille et Une Nuits ne sont pas non plus en reste d’évocations merveilleuses. Une parmi cent : « J’ouvris la première porte, et j’entrai dans un jardin fruitier, auquel je crois que dans l’univers il n’y en a point de comparable. Je ne pense pas même que celui que notre religion nous promet après la mort puisse le surpasser. (…) J’en sortis l’esprit rempli de ces merveilles ; je fermais la porte et ouvris celle qui suivait. Au lieu d’un jardin de fruits, j’en trouvai un de fleurs, qui n’était pas moins singulier dans son genre… ».

    Verlaine, dans ses Poèmes saturniens, pousse lui aussi la porte qui ouvre sur le jardin merveilleux : « Ayant poussé la porte étroite qui chancelle,/Je me suis promené dans le petit jardin/Qu’éclairait doucement le soleil du matin,/Pailletant chaque fleur d’une humide étincelle… ».

    La beauté des jardins a toujours captivé les poètes. Les fruits, les fleurs –depuis Ronsard (« Mignonne, allons voir si la rose… »)-, produisent par ailleurs des métaphores tantôt libidineuses, tantôt amoureuses. Question de sève.

    Venant de Victor Hugo, cela peut étonner : « Nous allions au verger cueillir des bigarreaux. / Avec ses beaux bras blancs en marbre de Paros. (…)/Ses petits doigts allaient chercher le fuit vermeil,/Semblable au feu qu’on voit dans le buisson qui flambe./Je montais derrière elle ; elle montrait sa jambe/Et disait : « Taisez-vous ! » à mes regards ardents ; (…) Penchée, elle m’offrait la cerise à sa bouche ;/Et ma bouche riait, et venait s’y poser,/Et laissait la cerise et prenait le baiser ».

    Alexandre Vialatte, lui, aime les jardins municipaux : « L’homme ne vit réellement sa vie que dans la paix végétale des squares municipaux, devant le canard de Barbarie. (…) Si bien qu’on se croit au paradis et qu’il ne faut toucher à rien, ni aux fleurs, ni au séquoia, ni au canard, ni au silence, ni au jet d’eau, ni aux instruments de précision, de peur de fausser le mécanisme ; qui est certainement celui du bonheur ». Et c’est ainsi qu’Alexandre est grand !

    Dans un registre différent, l’immense Claude Simon, dans Le Jardin des Plantes (il vécut Place Monge, dans le 5ème à Paris, à deux pas du Jardin de Buffon, Lacépède, Cuvier, et Jussieu), évoque avec une minutie saisissante, et dans une prose somptueuse, l’atmosphère du Jardin : les gens qui cassent la croûte, les clochards qui roupillent sur les bancs, le jardin zoologique, le Museum, les joggeurs, sur lesquels « les pastilles de soleil criblées par les feuillages glissent… (…) De nouveau, jaillissant des épaisses et vertes frondaisons des acacias, des peupliers, des frênes, des platanes et des hêtres l’oiseau lance son ricanement strident, moqueur et catastrophique qui monte par degrés, se déploie et retombe en cascade ».

    Autre géant trop souvent réduit à certains aspects de sa vie privée, André Gide, qui vécut rue de Médicis, en face des Jardins du Luxembourg, à Paris, décrit fréquemment le « Luco », notamment dans Les Faux-Monnayeurs.

    Comme Louis Aragon le fit, dans Le Paysan de Paris, au parc des Buttes-Chaumont, en y observant sa faune nocturne en compagnie d’André Breton. Il a notamment cette remarque sibylline : « Tout le bizarre de l’homme, et ce qu’il y a en lui de vagabond, et d’égaré, sans doute pourrait-il tenir dans ces deux syllables : jardin. Jamais, qu’il se pare de diamants ou souffle dans le cuivre, une proposition plus étrange, une plus déroutante idée ne lui était venue que lorsqu’il inventa les jardins »…

    Flaubert nous montre quant à lui un Pécuchet complètement absorbé par son jardin, habité par l’obsession de la bonne conduite des tailles et autres semis, sous l’œil critique de Bouvard. Car Pécuchet n’a pas la main verte… Le passage suivant vaut par son humour  : « Les boutures ne reprirent pas, les greffes se décollèrent, la sève des marcottes s’arrêta, les arbres avaient le blanc dans leurs racines ; les semis furent une désolation. Le vent s’amusait à jeter bas les rames des haricots. L’abondance de la gadoue nuisit aux fraisiers, le défaut de pinçage aux tomates. Il manqua les brocolis, les aubergines, les navets, et du cresson de fontaine, qu’il avait voulu élever dans un baquet. Après le dégel, tous les artichauts étaient perdus. Les choux le consolèrent. Un, surtout, lui donna des espérances. Il s’épanouissait, montait, finit par être prodigieux et absolument incomestible. N’importe, Pécuchet fut content de posséder un monstre. Alors il tenta ce qui lui semblait être le summum de l’art : l’élève du melon ». Ce sera, on s’en doute, un échec cuisant.

    Nous pourrions ainsi citer, à l’envi, Les Géorgiques de Virgile, L’Odyssée d’Homère, Esope (plagié plus tard par La Fontaine), Boileau, Huysmans, Balzac, pour ne citer que quelques grands classiques. Tous ont magnifié le jardin comme  espace, tantôt foisonnant, tantôt raidi par l’ordre. Le génie du lieu, ouvert et façonné, a donné des pages éblouissantes chez Horace Walpole, auteur d’un Essai sur l’art des jardins modernes, et pour qui « créer un jardin, c’est peindre un paysage ». Le père fondateur du roman gothique louait le jardin à l’anglaise et vilipendait le jardin français façonné « à la Le Nôtre »… Vieille querelle, que les jardins japonais, subtils, font taire en étant seulement.

    Colette, avec la fluidité de sa prose enchanteresse, aimait passionnément les jardins, même si la nature sauvage mais douce de sa Puisaye natale, avait sa préférence : « Demain je surprendrai à l’aube rouge sur les tamaris mouillés de rosée saline, sur les faux bambous qui retiennent, à la pointe de chaque lance bleue, une perle… ».

    À l’opposé, Marguerite Duras décrit, superbement, et comme un pied de nez aux jardins bien ordonnés, un jardin de banlieue triste, du côté de Vitry, dans La Pluie d’été. L’auteur des Journées entières dans les arbres, adorait décrire tous les jardins, même luxuriants et indochinois (voir Le Square).

    Il y a encore le jardin intérieur, « les roses fleurissent à l’intérieur », disait Jean Jaurès. À distinguer du nénuphar qui pousse à l’intérieur du poumon de Chloé (dans L’écume des jours, de Boris Vian), et du Roman de la rose, d’un Moyen-Âge qui aimait enclore l’amour courtois : la rose symbolisait la femme et le jardin, le lieu clos où elle se cachait.

    Il y a enfin le jardin secret, là où poussent nos rêves et nos désirs. Et je laisserai, par paresse et par admiration, le mot de la fin à Antoine Blondin : « Un peu plus aventureux, je me serais fait jardinier ».

    L. M.

    Lire absolument : Le goût des jardins, et Les jardins secrets (Mercure de France), et chercher obstinément Eloge du jardin, offert il y a deux ans par Arléa pour l’achat de quelques livres. Car ce sont trois anthologies très précieuses.

     

  • Capharnaüm

    capha-1.jpgVoilà un beau cadeau de derrière les fagots, ou les tiroirs, c'est comme on voudra. Les éditions Finitude (magnifique catalogue comme on les aime, façon Le temps qu'il fait ou le dilettante des débuts, http://www.finitude.fr), ont râtissé quelques belles feuilles éparses, pas mortes non, mais veinées et vives comme la chaux de la prose de Robert-Louis Stevenson, dont la réflexion sur la description littéraire du génie d'un lieu est splendide, la poésie pavesienne, aux échos camusiens, ensoleillés, de Raymond Guérin, la mélancolie -et l'humour aussi, de Marc Bernard, le désespoir de Jean-Pierre Martinet, l'habituelle folie verbale de Michel Ohl... Sont autant de pâtisseries que l'on déguste à la fraîche. Le sommaire du numéro 1 de cette précieuse revue, Capharnaüm, me rappelle la longue série d'articles que j'ai co-écrit avec Pierre Veilletet dans les colonnes de Sud-Ouest Dimanche, de 1984 à 1987, et que nous avions intitulée Les inconnus célèbres. Nous redonnions ainsi un peu de vie à ces auteurs, ainsi qu'à une pelletée d'autres : Calet, Gadenne, Perros, Augiéras, Blanchard, de Richaud, Luccin, Delteil, Forton, Cailleux... Je me souviens de mon bonheur de replonger dans ces oeuvres subtiles, oubliées, négligées surtout, et d'en faire écho. Comme on revient de mission. Voir les éditions Finitude (*) exhumer, non pas des fonds de malles propres à faire la Une du Monde des Livres, comme le texte liminaire prévient avec humour, mais des fonds de tiroirs, est un ravissement. Simplement.

    Alors bravo !

    (*) J'avais quand même été alerté par un papier de Jérôme Garcin (L'Obs) et par un autre de l'ami Didier Pourquery (Le Monde Magazine) : deux secousses, quand même!

  • Le dernier roi d'Angkor

    images.jpgJean-Luc Coatalem apparaît comme l'un des écrivains français dont la prose chaloupée, dense, précieuse sans être emphatique, est l'une des plus somptueuses d'aujourd'hui. Son dernier roman, Le dernier roi d'Angkor (Grasset) est un bonheur d'écriture. Coatalem écrit avec tact et avec coeur. Sa phrase, racée, musclée, est féline dans sa retenue et dans sa précision. Ses images fortes comme du rhum le matin, cinglent l'idée de leur caresse. Comme certains vins, son style est droit et bouleversant à la fois. L'histoire, ample et profonde, est celle de la quête de soi à travers celle d'un presque frère, surnommé Bouk, Cambodgien énigmatique, orphelin peut-être, prince? Un être de mystères en tout cas, qui partagea la vie d'une famille française (flanquée d'un chien nommé Mozart) avant de s'évanouir dans l'espace et puis dans le temps. Le narrateur, hanté par la présence-absence de cet ami d'enfance si taiseux, partira sur ses traces, comme un Tintin reporter, de Viroflay aux ruines khmers. Afin de tenter d'en finir avec une évidente fascination mêlée de crainte. Coatalem nous conte au passage quelques aventures amoureuses avec la dextérité d'un Roger Nimier ourlé de la prose poétique d'un Paul Théroux. Il a le talent pour ça. Voir Il faut se quitter déjà (lire ici, à la date du 22 décembre 2007). La rencontre avec Bouk aura lieu, mais nous tairons bien sûr de quelle manière. Et nous voulons croire que ce fut peut-être une rencontre du narrateur avec son jumeau astral...  Coatalem n'abat-il pas une carte maîtresse en citant Victor Segalen, en exergue de ce beau roman : On fit comme toujours un voyage au loin de ce qui n'était qu'un voyage au fond de soi.

  • Pourquoi je chassais (Ethnologie française)

    Attrapée sur le Web, cette analyse de mon livre Pourquoi tu chasses? Réponses à mes enfants (Bayard, 2000) à travers une étude d'ethnologie réalisée par un chercheur de Sciences Po Aix-en-Provence. Toutes les citations sont mentionnées avec l'abréviation "Ptc". L'article est paru dans la revue Ethnologie française en janvier 2004.

    http://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2004-1-page-41.htm

  • au rayon copinage

    mansouriathenescouvwebdef.jpgSaber Mansouri : Remettre l’Athénien et l’autre – esclave, affranchi, étranger, métèque, femme – au travail et au cœur du jeu politique de la démocratie athénienne classique est sans doute une idée scandaleuse aux yeux de Platon, et des historiens modernes fascinés par la voix philosophique atemporelle du Maître, celui qui rédigea La République, Les Lois et Le Banquet. Et pourquoi ?

    Longtemps considérés comme des sujets exclusivement non politiques (histoire économique, histoire du travail, représentations figurées), les artisans et les commerçants apparaissent dans cet ouvrage comme des sujets et des acteurs politiques. Athènes n’est certes pas une république d’artisans. Elle n’est pas non plus une république de commerçants, mais cette nuance ne doit pas négliger le fait que ces catégories sont concernées, voire impliquées dans la vie politique athénienne du IVe siècle. La notion d’homo politicus, chère à Max Weber, apparaît fragile pour qualifier le citoyen athénien.

    Tel est, en substance, le propos du livre de mon ami Saber Mansouri : La démocratie athénienne, une affaire d’oisifs ? Travail et participation politique  au IV ème siècle av. J.C., (André Versaille). Disciple de Pierre Vidal-Naquet, hélléniste, arabisant, Saber enseigne à l’Ecole pratique des hautes études. Le mois prochain, Actes Sud publiera également de lui L’Islam confisqué. À suivre.

    9782758802099.pngUn autre ami, Benoît Jeantet, publie Ne donnez pas à manger aux animaux au risque de modifier leur équilibre alimentaire (Atlantica). L’écriture de Jeantet crépite comme du feu de pin mêlé à du chêne. On dirait du Nougaro en ligne. Ca swingue à chaque page, car l’auteur jongle avec les mots. Ce saltimbanque de l’alphabet est un musicien et le stylo est son instrument. Sa phrase chante, rime et fait sens, et sous couvert de calembours à pleines fourches, Benoît nous dit cependant et surtout des choses fortes, des choses essentielles, intimes et indéfectibles. Le personnage du père, par exemple, de retour de la guerre d’Algérie, est flaulknérien, si je puis me permettre. (Et nous avons envie de goûter à son gâteau, lorsqu’il le sort du four…). Les descriptions sans concession pour la terre sans ânes de son enfance sont tendres comme le blé en herbe, et celles des personnages attachants comme le bûcheron Jocondo  Cantoni, dit Fernando tréss caféss, ou Arezki, sont touchantes et sèches comme un démarrage de Motobécane dans la brume du matin paysan. En plus, Jeantet a son style propre : ses phrases sont  les plus courtes du monde. Et même privées de verbe, elles contribuent à ce feu crépitant qui fait sa signature, en nous servant un coup à boire. Tchin, té!

  • Miguel Delibes

    Son oeuvre est âpre, puissante, sans concessions, verticale*. Les personnages de ses romans sont Espagnols jusqu'à l'os. De Castille particulièrement. Miguel Delibes vient de casser sa pipe (89 ans). Chez lui tout est bon et se trouve à l'enseigne de l'épicerie fine Verdier. Si vous ne l'avez pas encore lu, vous avez la chance de vous trouver sur le seuil d'un grand bonheur, comme on dit dans ce cas. Franchissez-le, ouvrez la porte et prenez Les Rats, Le Chemin, L'Hérétique, Les Saints innocents, Dame en rouge sur fond gris, Vieilles histoires de Castille, Le linceul, Cinq heures avec Mario... (je balaye l'étagère des yeux et les souvenirs de lecture affluent. Tout à l'heure je relirai juste mes annotations en marge, comme souvent, histoire de replonger dans le bain vivifiant et fort comme l'aube givrée dans le campo qui parcourt les livres de Delibes. Ce campo où j'ai un jour chassé, en compagnie de l'un de ses fils. Celui-ci m'offrit un livre de son père, dédicacé -un livre moins connu que ses romans- , puisqu'il est consacré à la chasse en Espagne : El libro de la caza menor)...

    ¡Vaya!

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    *Je la rapproche de l'oeuvre d'un autre Grand d'Espagne, publié également à l'enseigne jaune (rouge pour les premiers livres de ces deux auteurs) des éditions Verdier : Julio Llamazares.

    MD3.jpgCette photo d'un Miguel Delibes jeune, a été retrouvée par sa famille, parmi les papiers de l'écrivain, peu après sa mort. Elle m'a été amicalement transmise par son fils Adolfo, que je remercie ici à nouveau.

     

    DÉTAILS sur certains livres de Delibes :

    L'important, c'est La Triologia del campo, composé des Rats, du Chemin et des Saints innocents. Mario Camus adapta au cinéma Los Santos inocentes, avec Francisco Rabal dans le rôle de l'Azarias, le débile d'un village de Castille encore médiévalisé, où règne un señorito. Azarias sait parler aux oiseaux et il a apprivoisé une corneille, à laquelle il murmure sans cesse milana bonita, milana bonita... Innocent touchant, il sourit au ciel, obéit au maître; jusqu'à un certain point...

    Dans Le chemin, les personnages : Daniel le Hibou, Roque le Bouseux, German le Teigneux, possèdent une force peu commune, un savoir d'hommes de Nature impressionnant. Ce sont des poètes, des sages qui tutoient les oiseaux. Extrait : Sûrement qu’on perd beaucoup de temps en ville, pensait le Hibou, et au bout du compte, il doit y en avoir qui, après quatorze ans d’études, n’arrivent pas à distinguer un geai d’un chardonneret ou une bouse de vache d’un crottin.

    Le linceul, recueil mince de nouvelles paysannes, où  l’apprentissage de la mort à travers les yeux d’un enfant qui la découvre devient inoubliable, est à rapprocher de cette trilogie de l'éternelle Castille aux champs noirs, où des êtres rustiques vivent dans des villages hors du temps et du progrès. Car c'est peut-être le livre le plus épuré, le plus dépouillé, où l'écriture est la plus essentielle du Delibes auteur d'une certaine ruralité, dont les valeurs cardinales sont placées sous le signe tutélaire d'une communion viscérale, voire instinctive, avec la nature.

    Miguel Delibes se définissait lui-même ainsi : Quand je me regarde de l’extérieur, je vois que je ne suis pas un écrivain génial. Je suis un chasseur qui écrit...

    Son goût pour le journalisme était par ailleurs démesuré. Il a dirigé le plus important quotidien de Castille et déclina l'offre de diriger la direction d'El Pais! Je crois que quand on vous a inoculé le poison du journalisme, c’est pour toujours, déclara-t-il un jour au Monde. Hemingway a dit qu’il fallait s’en retirer à temps parce que c’est une profession stérilisante pour un écrivain. Je crois que le journalisme est en quelque sorte le prologue de la littérature. En ce qui me concerne, il m’a aidé beaucoup par l’exercice de synthèse qu’il m’a imposé. (Il disait également, avec une exquise politesse, qu’il détestait parler aux journalistes... à moins que ceux-là se passionnent comme lui pour la chasse et la pêche, la truite et la perdrix).

    Et puis il y a le Delibes émouvant, moins rural, celui de Cinq heures avec Mario, et surtout de Dame en rouge sur fond gris, portrait extrêmement émouvant d'une femme presque parfaite, irréelle, qui ressemble à celle qui partaga trente ans de la vie de l'écrivain et dont la disparition, en 1974, l'empêcha d'écrire une seule ligne durant trois années.

     

    Outre les premiers romans comme Lune de loups et La pluie jaune, de Julio Llamazares, jeune écrivain visiblement habité par l'oeuvre de Miguel Delibes, je rapproche l'écriture et l'univers de Delibes de ceux du Jean Giono de Que ma joie demeure et du Grand troupeau, et du Jean Carrière, qui fut son fils spirituel, de L'épervieur de Maheux et de La caverne des pestiférés. Et, plus près de nous, c'est l'univers et l'âpreté des personnages des romans de Sylvie Germain, surtout les deux premiers : Le Livre des nuits et Nuit-d'Ambre, qui m'y font immédiatement penser. Pour aimer lire Delibes, mieux ressentir l'expression du sous-sol de son talent dans le vin de sa prose, il faut avoir aimé aussi, par exemple, Le Llano en flammes et Pedro Paramo, de Juan Rulfo... Cet ensemble forme une sorte de famille littéraire, à laquelle chacun peut ajouter une ou deux lectures, un auteur ou deux...

    A vous de jouer, ici même!..

     

     

  • Coatalem via Segalen

    Reçu ce matin le nouveau roman d'un auteur que j'aime vraiment : Jean-Luc Coatalem (Le dernier roi d'Angkor, Grasset).

    Avant d'y entrer, je trouve ceci en exergue, qui m'évoque un mot fameux de Montaigne : Je réponds ordinairement à ceux qui me demandent raison de mes voyages, que je sais bien ce que je fuis et non pas ce que je cherche.

    Tout semble concentré, et dit, ou presque, dans cette phrase de Segalen :

    On fit comme toujours un voyage au loin de ce qui n'était qu'un voyage au fond de soi. Victor Segalen

    Je reviendrai parler du Dernier roi d'Angkor.

  • Suivre le cours

    J'en ai rêvé, Bouquins/Laffont l'a fait. Les fameux cours de littérature donnés par l'auteur de Lolita dans plusieurs universités américaines, notamment celle de Cornell, entre 41 et 58, reparaissent en un seul et épais volume au papier bible délicat. Dedans? Des trésors, la caverne d'un Ali forcément baba :  lo mejor de Austen, Dickens, Flaubert, Stevenson, Proust, Kafka, Joyce, Gogol, Tourgueniev, Dostoïevski, Tolstoï, Tchekhov, Gorki, Cervantes... Du pur jus d'intelligence libre et claquante, du talent d'un écrivain dont on devine le grain de la voix, de la verve d'un qui vilipendait vertement les Philistins (la préface lumineuse de Cécile Guilbert est sur ce point salutaire, ainsi que les pages 98 à 114 du Nikolaï Gogol, essai virulent du même Nabokov, reparcouru pour l'occasion dans sa belle édition de 1953 à La Table Ronde) comme Socrate jetait avec l'eau du bain les Sophistes. Introduction de John Updike, quand même (mais bof...). Ulysse, Swann, Anna Karénine, La métamorphose, le Quichotte, La Dame au petit chien... Passés au tamis nabokovien deviennent des astres lustrés par un vieux flacon de Mirror que l'on n'espérait plus. Le BONHEUR.

  • en musardant entre les pages

    De la guerre, de Clausewitz, classique d'entre les classiques du genre, avec L'art de la guerre, de Sun Tzu et les anonymes 36 stratagèmes, nous font voir d'un oeil neuf l'offensive concertée, si techno, si starwarisée, menée actuellement en Afghanistan par l'Alliance, contre les Talibans. Certains militaires de l'état-major français sur place ont Clausewitz pour livre de chevet. La continuation de la politique par d'autres moyens n'a peut-être jamais autant porté son sens en elle.

    En remontant les ruisseaux, de l'Aubrac et de la Margeride (mais qu'importe le lieu lorsque la littérature le déracine et le rend universel?), du subtil pêcheur à la mouche, érudit et délicat prosateur Jean Rodier (L'Escampette), nous entraîne en amont. Car une rivière se remonte, tandis qu'elle va, d'ordinaire et pour le sens commun, vers la mer, l'océan, un néant où elle se dilue, se noie. Parce qu'une rivière se lit. Comme un livre dont il faut massicoter les pages avant d'y entrer. Et qu'en convoquant Bachelard, Lucrèce, Whitman ou Gracq à ces jouissances naturelles, sauvages, dans une nature âpre et généreuse à la fois, Rodier enchante. Il faut dire que sa prose somptueuse est limpide comme un torrent apprivoisé.

    Capri, de Pamela Fiori (Assouline) bel album haut en photos quadri, me convainc une fois encore que la Jet Set a bien fait d'établir ses quartiers sur cette île du Golfe de Naples, à jamais immortalisée par Malaparte et Godard, mais devenue la proie des pipeule du monde entier, comme sa voisine Ischia est devenue celle de la beaufitude du tourisme de masse vendu à l'incrédulité par des T.O. sans vergogne.
    Donc, Procida. Mon île. Préservée de tout cela. La 3ème du Golfe, la plus petite, la plus insignifiante, oui! La plus pauvre, la plus intérieure, la plus oubliée, sera toujours -et pas seulement parce que mon berceau familial s'y trouve-, la isola di Arturo (Morante), et aussi celle de mes saisons les plus fécondes.

    Ooh! : Massimiliano Tappari signe (aux éditions du Panama, en dépôt de bilan, mais bon) un livre de photos insolites et drôles : des lavabos en forme de visages (photo de couv ci-contre), des valises, des architectures, des plantes, des nuages, des fenêtres, des panneaux d'orientation, des animaux, à la lecture desquels tout fait sens. Humour. Et surtout poésie.images.jpg Comme un bol d'air pur en pleine grisaille, ses photos ont la grâce du dénuement ingénu d'un regard d'enfant surpris en train de jouer dans sa chambre.

  • Quignard, encore

    Pascal Quignard, auteur prolifique, opportun rééditeur, surgit dans la collection Poésie/Gallimard, que dirige André Velter, avec un volume bifrons : une traduction emblématique, fondatrice, d'Alexandra, de Lycophron (ultime tragédie des anciens grecs) et une somme de fragments parfois intimes, en tous cas qui en apprennent sur l'auteur discret des Petits traités, intitulée Zétès (celui qui cherche, en Grec). Car Quignard cherche constamment. Le sens purement originel -à croire que l'étymologie ne le satisfait guère, est son obsession. Ainsi ce recueil est précieux en ce sens qu'il nous renvoie à la définition, au charnel du mot, à  son essence, à la source du sens.  Au vrai sens de chaque mot prononcé, écrit, crié. A cet essentiel que nous perdons tous en chemin, pressés, téléphoneportablisés, tandis que nous nous plaignons de l'absence de vérité à nos jours; et à nos nuits.

    Il est intéressant de noter le voisinage, "les alliés substantiels" (Char) de Quignard : Celan, Des Forêts, Levinas, Du Bouchet,  Hocquard, Auster, Klossowski, Lambrichs, Veinstein, Vuarnet, Rothko, Caillois, Suied, Deguy, Queneau... Du beau monde, monacal et infiniment créatif, fondateur, même, d'une espèce de XXIème siècle, non?

    L'essentiel, dans Quignard, étant l'observation du silence, à la manière du chasseur à l'affût, nous pensons avec lui à ce silence aussi contagieux que le renouvellement de la voix violente des oiseaux peut l'être, d'espèce à espèce, dans les cris qui visiblement jouissent de la lumière qui revient, du fonds de la nuit et du temps, dans l'aube. J'aime également le Quignard exalté qui remet les choses de l'ordre urbain quotidien dans l'ordre, en rappelant que : L'humanité n'a jamais été aussi inhumaine. Son désensauvagement est plus féroce que la vie primitive. Il faut parler de surensauvagement...

    C'est ce Quignard, qui rappelle aussi que masque se dit persona en latin. Par conséquent, que penser du mot personnage, qui viendrait de  per-sonare, sonner à travers?

    Plus loin, il est souligné que le mot style renvoie directement, en latin, au stylus, à l'épieu, à la pointe, au stylet... Au stylo de la mise à mort.

    Et s'agissant encore de ce silence essentiel, il nous est rappelé que le Juif traduit la voix de Yahvé en loi (torah), que le Chrétien traduit la voix de Dieu en foi (fides), et que le Musulman traduit celle d'Allah en soumission (islam).

    Nous n'en avons jamais fini avec Pascal Quignard, cet éternel chasseur de sens mimétique. Je le soupçonne même, lorsqu'il se rend avec affection au Baratin, fameux restaurant du 20 ème arrondissement de Paris, à la carte des vins (qui comptent) exemplaire, à la cuisine de femme, homérique (de Raquel Carena), de penser à son premier livre, intitulé La catégorie du baratin, mais finalement titré La parole de la Délie par Louis-René des Forêts, car ce dernier trouvait trop lacanien le titre proposé, pour cet essai sur Maurice Scève, que signait un jeune inconnu répondant au nom de  Pascal Quignard...

  • lectures en passant

    Véronique Olmi, dans Le Premier amour (Grasset) prend frontalement un sujet rebattu et nous sert une pochette-surprise pour filles et garçons assez judicieuse : au lieu de retrouver le beau rital qu'elle a perdu de vue depuis un quart de siècle et qui fut sa première love affair, en fondant dans ses bras comme un marshmallow passé au gril, parce que ce fou la rappelle après tout ce temps et qu'elle, folle, part à sa rencontre séance tenante, elle trouve -au lieu des bras du souvenir, fantasmé en route-, la femme d'un bel ado devenu vieil amnésique muet, cloîtré dans un brûlant secret. Bien mené, même si 150 pages, au lieu du double, auraient suffi (en élaguant la vie de la narratrice qui défile en même temps que les kilomètres, dans un road-book ennuyeux), il manque cependant à ce roman l'émotion. On n'y sent jamais un gramme de sincérité.


    Ce qui n'est pas le cas avec La route, de Cormac McCarthy (L'Olivier, et Points/roman), relu attentivement après avoir vu le film, dont l'écriture est sèche, voire coupante (cependant, l'abondance de phrases très courtes mais sans verbe -astuce de traducteur?-, de troublante, devient vite lassante). La force de ce roman est tellurique. Son âpreté vous enveloppe, vous colle, vous poursuit. C'est tout simplement un grand livre de vraie littérature, sur un sujet périlleux. Et pour une fois que McCarthy est tendre! Car ce caddie-movie, dans lequel un père protège obsessionnellement son jeune fils des dangers qui surgissent fréquemment, dans un paysage post apocalyptique où les derniers humains sont devenus de dangereux anthropophages, est à la fois glaçant et chaleureux.

    On parle beaucoup de ru, de Kim Thuy (Liana Levi). J'ai été sensible à la leçon de courage de cette vietnamienne ayant vécu la fuite de Saïgon dans un boat-people, les camps de réfugiés malais, puis la neige québecoise, mille boulots après mille misères, pour atteindre une sérénité de haute lutte, et ce malgré la mise au monde d'un enfant autiste. Premier livre, court, extrêmement sensible car emplumé d'une écriture dépouillée, essentielle, mais jamais froide, ru frappe par sa grande lucidité. Et son éclair dure. Extraits : Elle était très vieille, tellement vieille que la sueur coulait dans ses rides comme un ru qui trace un sillon dans la terre. (...) Les esclaves des Amériques savaient chanter leur peine dans les champs de coton. Ces femmes, elles, (à trimer dans les rizières) laissaient leur tristesse grandir dans les chambres de leur coeur.

    La Correspondance d'Albert Camus et René Char (Gallimard) est un recueil de pépites. Mieux : un mouchoir dont on dénoue les quatre oreilles avant de plonger une main avide et gourmande dans un grouillement de binagates : billes d'agathe, en pataouète piednoir... Où l'on découvre que Char ne cessa jamais d'être poète, où l'amitié, leur rivière souterraine, se construit lettre après lettre et mûrit comme le miel durcit, où Camus s'expose comme il fut : d'une désarmante sincérité et d'une émouvante générosité d'âme. Un livre essentiel, en marge de nos relectures de ces deux grands bonshommes qui vécurent aussi en voisins dans le Lubéron.

    Découvrir tardivement une pièce célèbre de Bernard-Marie Koltès, Le retour au désert (Minuit), et prendre en pleine face une écriture violente qui crépite comme une mitraillette, et où les répliques sont des grenades (à propos de l'impossibilité d'un bonheur calme au sein de la fratrie, sur fond de guerre d'Algérie et de racisme ordinaire -le pire), cloue.

    Relire John Keats et apprendre qu'à la faveur du film de Jane Campion (Bright star, pas encore vu), les ventes du poète enfiévré, mort en 1821, décollent, procure un de ces petits plaisirs d'amateur, qui réchauffent autant qu'une flambée de cheminée. Et cela même si nous n'aimons guère le style ampoulé de l'époque romantique. Extrait du poème Astre brillant :

    ...-mais, puissé-je, toujours immobile, toujours immuable,

    Posséder comme oreiller le sein mûrissant de ma bien-aimée,

    Pour le sentir à jamais doucement se soulever puis s'abaisser,

    Eveillé à jamais en une délicieuse insomnie,

    Pour entendre encore, et encore, sa tendre respiration,

    Et vivre ainsi toujours - ou sinon m'évanouir dans la mort!

    Enfin, petite pensée en apprenant par Ouest-France, la disparition d'un écrivain que j'ai eu le bonheur de connaître. Robert de Goulaine fut un amateur au sens fort. Connaisseur des vins rares et disparus, vigneron lui-même, collectionneur original, chasseur subtil et romancier délicat (je n'eus pas de mal à convaincre tous les membres du jury du Prix François-Sommer, dont je faisais partie, de la nécessité de couronner ses Angles de chasse, en 1998 je crois), Robert de Goulaine était tout cela à la fois. Il vivait au château de Goulaine, à Haute-Goulaine, parmi les papillons,  les livres, les vins et les souvenirs.

  • Ellroy, James Ellroy

    XtMrF7ZxRqgjzth5IUHSKiqxo1_500e.jpgJ'ai toujours eu un peu -non : j'ai toujours autant de mal avec le roman noir, la littérature policière, le polar, tout ça (idem pour la SF, voire le théâtre).

    Je n'en lis jamais -enfin si : un, m'a fait lire Fred Vargas un jour : Dans les bois éternels, qui venait de paraître, et j'ai adoré, j'en ai avalé plusieurs. Pareil pour les premiers Arturo Perez-Reverte qui sont à la frontière de l'enquête policière et du roman de facture classique :  je tiens Le maître d'escrime pour un chef d'oeuvre de ce genre hybride.

    Mais depuis que je sais tenir un bouquin en mains, je dois avoir au compteur un demi San-Antonio (Sucette boulevard -oui bon : je sais, mais c'était un cadeau d'ex), le tiers d'un Dashiell Hammett (Le Faucon maltais, à cause du film), un chapitre de Chester Himes (La Reine des pommes), un ou deux Agatha Christie presque entiers mais pas finis (Dix Petits nègres et Le Meurtre de Roger Ackroyd), et basta. Aucun Chandler, aucun Mankell, aucun rien. Je n'y arrive pas. Sans doute à cause de l'environnement urbain (j'aime Vargas parce qu'elle nous fout des Pyrénées et même des animaux sauvages : bouquetins, loups, plein la tronche, ainsi que des personnages très nature, et son Adamsberg marche souvent dans l'herbe, la boue... Bon, c'est pas Giono ni Genevoix, mais ça aide, en tout cas ça m'aide). Et puis le glauque, le crime, l'hémoglobine me révulsent (je manque m'évanouir lorsqu'il s'agit de tendre un bras pour une prise de sang). Alors bon, j'ai conscience de passer à côté d'un genre littéraire capital -mais pour l'instant : rien à faire. Je vis sans ça, et avec déjà beaucoup trop de livres à lire, que j'ai envie de lire donc. Banal. Mais j'envie ceux qui lisent aussi du roman noir.
    Cependant je sens que je vais lire Ellroy. L'enthousiasme, autour de moi, étant unanime -oui je sais : Ellroy, c'est beaucoup plus que du roman noir, c'est de la vraie littérature un poil noire... Je commencerai par le livre sur sa mère, Ma part d'ombre, non? Bon choix?..