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Livre - Page 5

  • matinalement

    L'aube. Au Moyen-Âge, cela désigne aussi un genre, ou plutôt une forme littéraire assez singulière : c'est une poésie lyrique qui a pour thème la séparation de deux êtres qui s'aiment au point du jour . Accompagnée d'une mélodie savante, elle comporte trois grands thèmes : séparation des amants à l'aube; chant des oiseaux et lever du soleil, intervention du guetteur qui interdit à tout importun de s'approcher et prévient les amants qu'avec l'aube vient la séparation.

    Karl Gottlob Schelle : La bienveillance, la cordialité, la franchise, s'installent dans le coeur qui s'ouvre à la nature; le genre humain, qui cesse de s'agiter dans l'arène des grandes passions telles que l'envie, l'avidité, l'égoïsme, apparaît, dans le miroir de la nature, dans une lumière plus pure. Un homme qui n'est pas dégénéré se sentira oppressé dès qu'il sera resté quelque temps sans voir la nature. (L'Art de se promener).

    Proust : Quand on aime, l'amour est trop grand pour pouvoir être contenu tout entier en nous; il irradie vers la personne aimée, rencontre en elle une surface qui l'arrête, le force à revenir vers son point de départ, et c'est ce choc en retour de notre propre tendresse que nous appelons les sentiments de l'autre et qui nous charme plus qu'à l'aller, parce que nous ne reconnaissons pas qu'elle vient de nous. (A l'ombre des jeunes filles en fleur).

    Gracq : Tant de mains pour transformer le monde et si peu de regards pour le contempler. 

    Capture d’écran 2016-06-03 à 07.05.16.png

    Photo : Maurice Ronet, dans Le Feu follet, de Louis Malle, d'après l'oeuvre de Drieu La Rochelle.

     

  • La révolution sera poétique ou ne sera pas

    Capture d’écran 2016-05-28 à 11.32.10.pngJe fais souvent ce rêve étrange et pénétrant... D'un monde gouverné par la poésie, d'un système dans lequel le mot politique serait toujours remplacé par le mot poétique, où la poésie serait la règle douce et désirée. Je me répète souvent (ici encore, il y a quelques semaines, et ce depuis qu'un jour de juillet 1977, je découvris sa parole), le mot de Hölderlin (photo) : A quoi bon des poètes en un temps de manque? (Wozu dichter in dürftiger zeit?), persuadé qu'ils ne sont jamais aussi nécessaires qu'en temps de crise, de guerre, de marasme social, de doute sociétal. Quand les mythologies s'effondrent, c'est dans la poésie que trouve refuge le divin, écrivait Saint-John Perse. Baudelaire : Il n'y a de grand parmi les hommes que le poète. Hölderlin, encore, répétait que c'est poétiquement que l'homme habite - ou doit habiter -, le monde. Voilà la parole vraie. S'efforcer naturellement (osons l'oxymore) de voir la beauté sous la peau des choses, de même que nous dev(ri)ons toujours frotter et limer notre cervelle à celle d'autrui, disait Montaigne à propos des voyages (en précurseur de l'ethnologie débarrassée de tout ethnocentrisme). Faire de la poésie un mode de vie, un état d'être au monde de chaque instant. Regarder, ressentir, penser, respirer, aimer, rire, parler poésie. Perse, à nouveau (*) : La poésie est action, elle est passion, elle est puissance (...) L'amour est son foyer, l'insoumission sa loi, et son lieu est partout, dans l'anticipation. A chacun sa foi. Croire en cela ne procure aucune espérance en un quelconque au-delà, mais forge et renforce notre pas sur la terre ferme, pensant, avec Eugenio de Andrade, que la démarche crée le chemin. L.M.

    (*) cité dans Habiter poétiquement le monde, anthologie manifeste présentée par Frédéric Brun, éd. Poesis - un livre pas encore vu/lu, évoqué par Le Figaro littéraire d'hier, et d'où je tire ces deux citations de Perse.

    ALLIANCES : 

    Capture d’écran 2016-05-28 à 15.16.34.pngEcouter :  Cigarettes after sex / Affection (cliquez).

     


    Capture d’écran 2016-05-28 à 15.15.42.pngBoire
    :
    le champagne de Barfontarc, un brut blanc de noirs de la Côte des Bar 100% pinot noir, donc. C'est miellé, abricoté, framboisé, crémeux, pulpeux, délicatement vivifié par une acidité gentiment surprenante en bouche. Finale exotique (15€ le prix du plaisir, à fiancer -manger!- avec un dos de cabillaud très épais, juteux, à peine pris au four par le haut).

     

  • Le Blanc de Noirs de Dauby

    Capture d’écran 2016-05-17 à 20.48.54.pngC'est une petite merveille, ce Brut Premier Cru-là...

    Champagne Dauby (« Mère & Fille »), Blanc de noirs (issu des plus beaux pinot noirs du terroir magnifique de Mutigny, classé Premier Cru) :

    Bulle fine, cordon régulier et enjoué, sous une robe jaune, vive, sans reflets clinquants : franche.

    Joli nez d’une grande fraîcheur, et « viennois », de pain brioché, quasi « cremoso », avec une touche de pêche blanche, une pointe de myrtille, et puis de mûre, et enfin un zeste caressant de pomelo rose.

    Bouche ronde et ample, pleine, avec un léger crayeux (le sol parle !), et juste ce qu’il faut d’agrumes mûrs, soit un citronné presque confit. On y retrouve la viennoiserie délicate, et une finale de framboise encore croquante.

    Un champagne gourmand, d’apéritif attentif, et surtout pour accompagner dignement un poisson de rivière en sauce (beurre blanc, crème), ou une volaille justement cuite, encore juteuse.

    La famille Dauby, sise à Aÿ, jouit de terroirs exceptionnels et élabore une gamme de champagnes de respect depuis soixante ans. La marque au coquelicot – emblème qui souligne le respect absolu de la nature et de la biodiversité, possède le sens de la recherche d’une certaine authenticité qui laisse parler la terre. C’est « juste » bien fait... (18€!). L.M.

    Alliances :

    téléchargement.jpegLa table de Montaigne, de Christian Coulon (Arléa), car l'auteur (prof émérite à Sciences-Po Bordeaux - nos universités!), révèle un auteur des Essais qui se fiche de la gastronomie comme d'une guigne ou de sa première culotte pour aller chevaucher bride abattue, et plutôt un philosophe gourmand, voire bafreur. Et ce bouquin passionnant se double d'une vraie histoire des moeurs gastronomiques du Sud-Ouest de l'époque... Un régal, pour qui aime la région, Montaigne, et manger généreusement. 

    Ecouter, avec ce duo :

    Une compil de bons vieux standards des Pink Floyd.

    Comfortably numb

    Et aussi des succès de Peter Gabriel (post Genesis)

    http://bit.ly/1cGBpHz.

    L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.

  • Dictionnaire chic du vin, deuxième

    Capture d'écran 2016-04-06 16.25.34.pngLe Dictionnaire chic du vin (éd. Ecriture), paru vers la fin du mois de septembre dernier, est en rupture de stock depuis une belle poignée de semaines (ce qui ne m'a pas empêché de signer un reliquat d'exemplaires glanés ici et là, aux salons du livre de Saumur, du Mans, et de Rue89). Sa réimpression prend du temps, mais elle devient imminente. J'en profite pour remercier ses 3 000 premiers acquéreurs, ainsi que les auteurs des nombreux articles et autres émissions de radio qui en ont fait écho dans leurs colonnes et sur les ondes. Le livre sera donc à nouveau disponible sous peu en librairie, sur simple demande/commande.  

  • Rosés, la suite

    Capture d’écran 2016-05-06 à 14.46.53.pngPrestige du Président est un rosé corse de coopérative (l'Union des vignerons de l’île de Beauté, à Aléria), issu de sciaccarellu et d’un peu de syrah. Sa robe est claire, mais dense et brillante. Son nez exprime les fruits rouges vifs et croquants : framboise, fraise des bois, et un léger citronné dépourvu de cette agressivité qui semble être à la mode (et la mode semble être, tous secteurs confondus, à l'agressivité, à l'arrogance, à l'irrespect de... Je m'égare, là). Jolie bouche ample, pleine, fruitée et tendrement épicée, en finale. Très agréable sur un poulpe a la Gallega, servi tiède, avec du pimenton (ou du paprika), et des légumes verts croquants cuits brièvement à la vapeur (pois gourmands, petits pois, brocolis), finis à froid d’un filet d’huile d’olive vierge généreux. C’est, de surcroît, une bouteille belle, lourde, dont la teinte du verre cache la couleur du vin (7,50€). Très Corse, cette façon de dissimuler, d'ourdir, de comploter jusqu'à la couleur du... contenant. J'aime.

    Lire, avec : Le vin & le sacré, d'Evelyne MalnicCapture d’écran 2016-05-06 à 15.47.41.png (Féret), un superbe album richement illustré, à l'usage des hédonistes, croyants et libres-penseurs : c'est le sous-titre. Une ferveur commune a toujours associé vin et divin, depuis plus de six mille ans. Le vin est en effet au coeur de la civilisation méditerranéenne. Il est dans la Bible, il imprègne, voire imbibe les textes fondateurs en Mésopotamie, en Egypte, en Grèce bien sûr. La Pâque juive, le paradis d'Allah... Nul n'est épargné, du moins du côté des monothéismes. La trop fameuse métaphore du sang versé (le Graal), l'image classique du sang de la vigne du poète persan (païen et jouisseur, pour le coup, donc hors-sujet!) Omar Khayyâm, le vin est aussi et surtout redevable du cep de vigne que Noé garda serré dans sa main, en montant dans l'Arche. C'est là le cep fondateur! Celui dont les Légions romaines ont semé les fils, partout où elles passaient. Mon Dictionnaire chic du vin (éd. Ecriture) évoque abondamment ces sources fondamentales, ainsi que les figures de Dionysos et de Bacchus, ainsi que le passage du divin au païen. Alors, lisez ce très bel album, dans lequel Evelyne Malnic a tout donné, et sur lequel nous reviendrons ici, prochainement. Rappel : religion signifie ce qui relie (les hommes entre eux). Et quoi de plus reliant que le vin?

     

    Capture d’écran 2016-05-06 à 15.25.24.pngEt si Bacchus était une femme. Parenthèse dans ce feuilleton des vins frais de l’été, amorcé ici le 18 avril (lire en faisant défiler les notes), une fois n'est pas coutume, car le vin que j'évoque ci-dessous s'adresse à ceux qui passent à Paris ou bien y vivent, en raison de l'unique adresse où nous pouvons le trouver. Collector, mes amis, collector! Et vintage, tant qu'on y est! Ce vin rare est incontestablement le rosé de l’été parisien. Gourmand, fruité, délicat, ce Provençal étiqueté spécialement par le célèbre domaine Gavoty, dans le Var, pour la cave parisienne « Et si Bacchus était une femme », est un rosé qui ne manque ni de claquant, ni de classe. Issu de cinsault et de grenache, il est idéal pour un déjeuner sur l’herbe dans un jardin parisien, qu’il soit des Plantes, de Vincennes, ou d’Acclimatation, avec des fromages de chèvre, du jambon de Parme, des grissini et une tapenade maison.

    Robe pâle et élégante. Nez fruité deCapture d’écran 2016-05-06 à 16.04.40.png groseille, de fraise mûre et de framboise croquante. Bouche ample, généreuse, avec des hanches, et pourvue d’une jolie longueur, à la fois tendre et fraîche. Le vin idoine pour un apéro sur les bords de Seine ou de Marne, depuis les quais se trouvant à l’aplomb de la Très grande bibliothèque, jusqu’à Joinville-le-Pont et au-delà. Ou bien pour un dîner amoureux sur le petit balcon, collés-serrés par la force des choses foncières... Et encore pour une soirée entre copains et copines, à l’appart’, en écoutant le dernier album collectif Autour de Chet (Baker). Le rosé « Et si Bacchus était une femme », c’est la griffe discrète d’un grand de Provence dans un gant de velours. L’alliance de la fête et de la finesse (10€). Et vendu, donc, uniquement à la boutique (coordonnées ci-dessus). Cette cave cosy est à la gloire du vin de vigneronne, et volontiers bio. A noter que la gamme Et si Bacchus était une femme se décline en blanc, en rouge, ainsi qu'en champagne (de vigneronnes, évidemment). L.M.

    L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.

  • Vins de l'été... Qui vient - ou non?..

    Capture d’écran 2016-04-29 à 11.18.08.pngRoque Star, côtes de Provence du Moulin de la Roque, au Castellet (Var), est un rosé de caractère. Finesse, élégance, ce vin est pulpeux, authentique, sans aspérité. Grenache, cinsault, mourvèdre sont le trio gagnant : zéro risque. Robe « saumon de l’Adour » soutenue, donc. Nez de fraise mûre, mais encore croquante en son coeur, bouche d’une élégance rare, façon pub parfumée jouée par Charlize Theron – vous saisissez ?.. 5,50€ le flacon, c’est donné. Et ça ira bien sur une pizza della casa à la pancetta, augmentée de pecorino au poivre sicilien, histoire de mettre à l’épreuve le roc de cette star-là.

     

    Petit Bourgeois est un sauvignon blanc de Henri Bourgeois, àCapture d’écran 2016-04-29 à 19.57.18.png Chavignol, maison célèbre notamment pour sa gamme de vins de Sancerre. Ce blanc, classé en vin de pays du val de Loire (IGP), possède une grande fraîcheur et une vraie franchise. Le floral et le fruité, typiques du sauvignon, sont bien présents au nez comme en bouche – on sent notamment la fleur de vigne, et une jolie minéralité s’exprime avec tact, en finale. Idéal à l’apéritif pour lui même, puis sur des crustacés (10€ env.).

     

    Gris d’Ardèche. Ce premier « jus de goutte » de Capture d’écran 2016-04-29 à 20.11.21.pnggrenache noir du sud du département, classé en Ardèche IGP, et produit par les talentueux Vignerons Ardéchois – une cave de respect -, naît sur des sols rocailleux. Sa robe « melon », détonne tant elle est sombre, pour un gris. Joli nez équilibré d’agrumes et de pêche. C’est vif, et même tonique, en fin de bouche, et cela escorte élégamment une grillade d’agneau au thym, ou des boulettes de boeuf mêlées de coriandre. Chapeau pour l'habillage, très classe -Vous ne trouvez pas? (5,50€).

     

     

    Le château Tour de Mirambeau (famille Despagne), bordeauxCapture d’écran 2016-04-29 à 20.31.54.png rosé réserve, est aussi vif que floral, et son fruité léger en fait un vin idéal pour l’apéritif sous la tonnelle, en grignotant des olives huilées et aux herbes, et des grissini entourés d’une chiffonnade de jambon de Parme. « Vin produit dans le respect de l’environnement pour une viticulture durable », lit-on sur l'étiquette. C’est de bon augure, à Bordeaux… (9€).

     

    Capture d’écran 2016-04-29 à 21.04.31.pngAlliances : les livres de Simonetta Greggio, et prenez donc les derniers parus : Femmes de rêve, bananes et framboises (Flammarion), un recueil de nouvelles qui disent l'amour avec l'acuité redoutable du regard de Simo, doublée comme d'hab' d'un sens incroyablement profond pour dire les sentiments, soit avec une précision chirurgicale, toujours mâtinée de poésie - l'écriture féminine vous a un tact pour écraser d'un coup de talon ce qu'elle veut!.. Car, avec Simonetta, c'est toujours faussement léger, et finalement vertigineux.

    Et aussiCapture d’écran 2016-04-29 à 21.07.28.png  Black Messie, son dernier roman (Stock), qui paraît la semaine prochaine, car c'est une sorte de polar (elle ne nous avait pas encore habitué à cela), ou plutôt un vrai roman noir, qui nous invite à suivre un serial-killer, le Monstre de Florence, qui dézingua nombre de couples lorsqu'ils faisaient l'amour, entre 1968 et 1985, et ça n'est pas piqué des hannetons... Un flic de légende, façon Adamsberg (pour les lecteurs de Vargas), Jacopo d'Orto, mène l'enquête, et le lecteur est embarqué illico presto pour six (pieds sous) terre! J'en parlerai plus tard -ici- davantage, lorsque je l'aurai achevé (je n'en suis qu'au début).

    Et en écoutant quoi? Du light, histoire de faire contrepoint à cette trame romanesque, glaçante par endroits : Izzy Bizy, Elodie Frege, les Brigitte, Ariana Grande Feat & Lil Wayne (dans Let me love you, notamment)... Des voix fluettes de femmes dotées d'un sacré caractère. Et d'un sourire dévastateur. Et allez!

    Cliquez : 

    let me love you

  • Parle plus bas si c'est d'amour

    Capture d’écran 2016-04-28 à 09.42.44.pngIl y a des parfums shakespeariens dans l'atmosphère. Qui s'en plaindrait! Hier soir, Arte redonnait Beaucoup de bruit pour rien, du fougueux (et egocentrique) Kenneth Branagh - avec la superbe Emma Thompson, entre autres (le casting est de rêve) : la joie, la jeunesse, la beauté, l'audace, l'honneur, la frivolité et la turbulence des sentiments, la jalousie, la vengeance, l'amour, la délicatesse, la force... C'est d'ailleurs de cette pièce que la phrase reprise en titre de cette note est extraite. Et c'est le titre que Grasset (Les Cahiers Rouges) propose pour une petite anthologie délicieuse, en forme de dictionnaire d'à peine 130 pages, des citations du grand Will, dispersées dans ses quarante pièces et ses cent quarante-quatre sonnets. D'Ambition à Vieillesse, nous musardons et retrouvons avec un air satisfait Nous sommes de l'étoffe dont sont faits les rêves (Prospero, dans La Tempête), Un cheval! Un cheval! Mon royaume pour un cheval! (Richard III), et sans aller jusqu'à chercher To be..., nous tombons sur des perles, comme L'oiseau de l'aube chante toute la nuit (Hamlet), ou Les paroles qui les accompagnaient étaient faites d'un souffle si embaumé qu'ils en étaient plus riches. Puisqu'ils ont perdu leur parfum, reprenez-les; car, pour un noble coeur, le plus riche don devient pauvre, quand celui qui donne n'aime plus (Ophélie, dans Hamlet). Le même éditeur propose également un "vrai" Hamlet, présenté par Gérard Mordillat, qui en connaît un rayon. Il s'agirait là de la version antérieure à celle que le monde entier joue à l'envi sur toutes les scènes. Et qui aurait été écrite à quatre mains, avec le concours de Thomas Kyd donné à Shakespeare. C'est ce qu'affirmait un universitaire britannique, Gerald Mortimer-Smith, shakespearien éruditCapture d’écran 2016-04-28 à 09.43.16.png jusqu'au bout des ongles et des cheveux (disparu il y a tout juste sept ans), et avec lequel Mordillat a travaillé. Nous tenons donc là, en traduction, le fameux proto-Hamlet. Soit un petit événement dans le mundillo. Quoiqu'il en soit, c'est une belle occasion de relire une pièce qui nous offre d'emblée des bouquets de fleurs printanières. En voici deux. L.M.

    Horatio :

    Mais moi je veux mourir sur tes lèvres, maîtresse

    C'est ma gloire, mon heur, mon trésor, ma richesse

    Car j'ai logé ma vie en ta bouche, mon coeur.

    Hamlet :

    Doute que les astres soient des flammes

    Soute que le soleil tourne

    Doute de la vérité même

    Mais ne doute pas que je t'aime.

    Capture d’écran 2016-04-28 à 10.07.51.pngAlliances :

    Le Beaujolais rosé de Dominique Piron, parce qu'il est à la fois délicat et profond. Nous tenons là un gamay (2015, bien sûr), floral et rafraîchissant comme on l'aime en cette saison.

    Pour 7€, c'est une affaire.

    Avec une pièce de luth de John Dowland, of corse! Le compositeur qui illustra les pièces de Shakespeare de son vivant.Capture d’écran 2016-04-28 à 10.26.38.png

    podcast

    Il s'agit en l'occurrence d'une Lachrimae, interprétée par mon ami talentueux Raymond Cousté.

    L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.

    Mais l'abus de poésie, de verbe, de musique élizabethaine et de beauté, eux, ne le sont pas... 

  • L'amour loufoque

    Capture d'écran 2016-04-18 11.22.09.pngEn attendant Bojangles, premier roman successfull d'Olivier Bourdeaut, publié par l'excellent (ex-)petit éditeur bordelais Finitude, mérite l'engouement qu'il suscite. Gai, tendre, foutraque, sans queue ni tête, cet ode à l'amour conjugal raconté par le fils unique (au fil des jours dont il prélève l'écume), la présence séduisante d'une grue de Numidie apprivoisée nommée Mademoiselle Superfétatoire, quelques personnages satellitaires figurant une équipe de cirque, possèdent la légèreté d'une bise matinale sur la côte normande, avec ce rien de perfide qui chatouille l'oreille. Bien sûr il y a une histoire, et même de tragiques événements, mais la langue de Bourdeaut a ceci de magique, qu'à l'instar de certains joggers plus marcheurs que coureurs, il semble pouvoir aller sans jamais faire de mouvement vertical : ça roule. Et donc ça marche. Cela prend les contours d'une certaine forme de réalisme magique. Oh, très éloigné de l'imaginaire baroque d'unCapture d'écran 2016-04-18 11.43.57.png Garcia Marquez, bien sûr, mais pourvu de ce petit côté plus loufoque que surréaliste, qui rend la folie amusante, la mort supportable, la peine gaie, et les larmes indistinctes. C'est un court roman fantasque, et de lin, oui, un livre comme le costume blanc que porte Marcello Mastroianni dans Les Yeux noirs (le film magnifique de Nikita Mikhalkof). Elégant, aérien, délicat. Un livre cousu de grâce. L.M.

     

  • C'est cochon, donc c'est bon!

    téléchargement.jpegIls aiment les cochonneries. En faire, en manger, en dire. Et en écrire. Pour notre bonheur, Blandine Vié & Patrick de Mari adorent raconter des histoires cochonnes et gourmandes. Ils en ont commis un paquet en prenant sans doute leur pied (et sans bêler pour autant), rassemblé sous le titre Cochonneries en tous genres (Les Itinéraires). Et on y fait son marché : au total, vingt-huit nouvelles charcutières, tantôt tendres, drôles, voire désopilantes, douce-amères, souvent cocasses, émouvantes, burlesques, ou coquines. Toujours littéraires, c'est-à-dire écrites dans le souci primordial de la langue : ce n'est jamais du mauvais gras qui est servi. Il y a du boudin ici, du jambon là, de l'andouillette ou encore des rillettes là-bas, un air de polar ici, un faux-air de bluette là, une idylle romantico-grassouillette par là-bas, des histoires de rugby, des anecdotes de mecs, des trucs deCapture d'écran 2016-04-11 14.29.29.png filles (prénommées Rosette ou Mariette), des fantasmes (ah, le boucher!..), des histoires d'ogres ne pouvant plus avaler le moindre gosse, à cause de la malbouffe dont il sont gavés! Ca devient dangereux, ces choses-là... Il y a de la poésie aussi, au détour d'un bouquet de paragraphes. Nous tombons même sur des rimes (voir la nouvelle intitulée Goret est un cochon!). Nous y croisons par ailleurs deux teckels baptisés Francfort et Strasbourg, et une baronne de Chambon-Parme. Et l'ensemble, loin de couper l'appétit, aiguise celui-ci. Assez peu Vegan, le livre des créateurs du site gourmand Greta Garbure résonne, de surcroît, comme une jolie provocation, en ces temps light et comme ourdis par une peur panique de s'avouer amateur de cochon... Alors, vive ces cochonneries en tous genres! Et leurs deux jolies plumes gourmandes à la commande. L.M.

  • L'usage d'un classique

    téléchargement.jpegRelu attentivement L'Usage du monde (La Découverte), de Nicolas Bouvier, dans sa nouvelle et splendide édition. C'est le bréviaire, que dis-je : le mot de passe des écrivains voyageurs, des voyageurs, des écrivains aimant davantage décrire que crier, mais doucement, en observant d'un oeil faussement distrait les petits faits, les grands horizons, les regards larges, les senteurs, les saveurs, les odeurs, les rires francs, les sentiments ourdis, les petites choses que peu savent prélever, capter, et puis noter à la fraîche, ou bien tard dans la nuit, à la lueur d'une lune accorte ou d'une lampe vacillante, sur un cahier ami. Nicolas Bouvier (déjà évoqué ici, notamment pour son superbe texte posthume, Il faudra repartir, Payot - cherchez l'archive dans le blog), est un maître. Disparu en 1998, il nous a laissé un chef-d'oeuvre, avec L'Usage du monde. Peu importe où il va, vagabonde, avec son acolyte peintre Thierry Vernet, entre juin 1953 et décembre 1954 (de Genève à là-bas, d'Anatolie et partout en zig-zag, jusqu'en Afghanistan), car il aiguise chaque jour son talent d'écrivain du réel, de l'humain, et c'est cela qui compte : il est celui qui dit, qui décrit, par touches d'une subtilité cristlalline, et la langue, le choix des mots, le goût de l'adjectif idoine, de la métaphore juste, semblent lui être un impératif vital, une quête obsessionnelle et charmante, une source de plaisir qu'il n'a de cesse de partager avec son lecteur. Son voyage devient ainsi celui de chacun d'entre nous. Bouvier passe la main à chaque page, et nous tutoyons aussitôt ceux qu'il côtoie, ainsi que les paysages, les sensations, les déboires, la douleur, la soif, la chaleur, la rage de se faire voler, comme le petit bonheur chipé au quotidien (voyager n'est pas toujours de tout repos), les rencontres minuscules, le don du nada, une esquisse de potlatch parfois, le repos réparateur du corps meurtri par la route, la jouissance du presque-rien : un thé, un sourire, une voix d'enfant, un chant d'oiseau. C'est la magie de l'écriture de Bouvier... Si je commencais à reproduire ici des extraits de ce livre exceptionnel, cette note deviendrait un fleuve anthologique. J'avais lu L'Usage du monde, distraitement, car trop jeune sans doute, il y a des lustres. Je l'ai repris, et d'un trait ou presque, j'ai bu ses 375 pages. C'est un long drink pimenté, aigu et très doux, percutant et lascif, intraitable, poétique toujours. Avec, en bandoulière, cette permanente leçon de vie : nous ne sommes que des passagers, des errants, des observateurs éphémères, des hôtes; tout ça... Le respect nous anime et doit gouverner chacun de nos gestes, chacun de nos mots, et puis nous devons l'enseigner, ce respect de toute chose; il le faut. Une leçon de vie. LM

  • Ciao Chien-Brun, Dalva... Ciao, Big Jim!

    Capture d'écran 2016-03-27 19.32.46.png

    Je reproduis ci-dessous les deux pages que je consacre à Jim Harrison (lequel a quitté ce monde hier), dans mon Dictionnaire chic du vin (Ecriture, sept. 2015, pp.177-178), à la lettre H. So long, Jim. Notre rencontre sur tes terres n'aura donc pas lieu... 

    HARRISON, Jim

    Capture d'écran 2016-03-27 19.35.30.pngAutant faire une note sur Gargantua, tant « Big Jim », son surnom, aime bouffer, picoler (du bon – toujours lucide, le garçon !), lâcher prise, vivre en somme, dans son jardin des délices partagées en amitié. Je le sais amateur de Cos d’Estournel, saint-estèphe de très haut vol, et de tant de flacons français, de Loire, de Bourgogne et de Bordeaux. Avec Gérard Oberlé, son double du Morvan, son « jumeau astral », dirait Pierre Veilletet, Oberlé l’écrivain rabelaisien et subtil, Big Jim aime à en découdre avec les flacons purs, droits, riches, profonds, capiteux, débordant d’énergie substantielle des Côtes-du-Rhône.

    Un soir que je dînais chez Manuel Carcassonne (patron des éditions Stock, et de Grasset alors), avec Laure Gasparotto et Emmanuelle Jary, et que Pascal Quignard (l’un de mes écrivains français vivants favoris, avec Pierre Michon, Jean Échenoz, Pierre Bergounioux, Sylvie Germain et peu d’autres : Olivier Frébourg, Christian Authier, Stéphane Guibourgé...), devait être de la partie, ce fut Oberlé qui surgît, Gérard Oberlé de toute sa masse, de toute sa voix, de tout son crâne, de toute l’amplitude de sa verve et de tous ses gestes larges, nous parlâmes donc forcément de Big Jim. Je racontais que rendez-vous avait été pris, quelques années auparavant, avec lui afin de l’interviewer dans sa retraite du Montana, lorsque j’étais rédacteur en chef d’un magazine de chasse, et que je dus renoncer à ce voyage parce qu’un cancer méchant et dévastateur venait de se déclarer dans le corps de ma mère. Nous avons bu les flacons sélectionnés par la délicate Laure, ce soir-là. Et Emmanuelle, fine connaisseuse (elle débutait dans le métier de journaliste gastronomique et nous avions déjà asséché son meuble Eurocave, qui contenait de très grands crus), commentait les bouteilles tandis que Jim revenait sur la nappe de nos paroles. Manuel arbitrait, l’œil avisé – il connaissait l’animal borgne et auteur de Légendes d’automne, et il avait même déjà donné, je crois me souvenir, un vibrant entretien avec l’inoubliable auteur de Dalva au Magazine littéraire, mais il observait un demi silence de sage Sioux campé sur sa réserve. Comme quoi. Oberlé, lui, la voie si libre, en rajoutait, pantagruélique, ogre – oui ogre ! Et la soirée se plaçait naturellement sous le double signe des vins de France et de Jim Harrison, écrivain adulé par les Français. Je me jurais d’offrir un Cos d’Estournel à Jim H. lors de sa prochaine tournée « promotionnelle » en France. Las. Je ratai les suivantes. Aujourd’hui que son dos est vermoulu, et qu’il ne se sépare pas d’une canne pour aller jusqu’à un tire-bouchon, je me demande si je ne vais pas reprendre un billet d’avion pour le Montana et rouler un Cos d’Estournel dans les chemises. Vu que le vin est tiré et que ma mère est morte. L.M.

    Capture d'écran 2016-03-27 19.35.17.png

     

  • D'une oreille

    téléchargement.jpegDepuis Corps de jeune fille, publié en 1986 (Gallimard), la ravissante Elisabeth Barillé construit une oeuvre intime, délicate, sensuelle. Elle livre, avec L'Oreille d'or (Grasset), un récit singulier sur son propre handicap : la perte de l'ouïe de l'oreille gauche, accidentellement, à l'âge de six ans. Et sur sa vie avec. Pour qui connaît cela (j'en suis, depuis l'âge de onze ans, mais de la droite), ce petit livre est précieux, car il décrit avec une subtilité infinie les sensations que l'on éprouve, que l'on réprouve parfois, qui nous désolent et peuvent nous faire sombrer dans une mélancolie fulgurante. Ou bien qui nous grandissent en nous éloignant, voire en nous coupant de tout (sauf de la Nature), à notre corps défendant. Ainsi d'une atmosphère bruyante qui nous empêche de capter les échanges humains (le calvaire des vernissages, des brasseries à haut plafond), et que, las de devoir faire répéter l'autre, sur les lèvres duquel nous avons appris à lire depuis longtemps, nous prenons le parti de reculer d'un pas, puis de la salle, et enfin du monde. Et il arrive parfois que, une fois dehors, en respirant profondément, en soupirant, ce ne soit pas le froid qui humecte soudain nos yeux. Mais cette réclusion solitaire et forcée, Elisabeth Barillé la transforme en chance unique. L'absence conduit à la rêverie, à un monde intérieur - elle peut même mener à la création : cette demi-surdité et ses conséquences ont mené l'auteur à l'écriture. Rien de moins. La confession sans concession d'Elisabeth Barillé (celles de Rousseau ont bercé son adolescence) lui donne l'occasion de passer en revue les handicapés de l'ouïe célèbres, et pas seulement Beethoven - il est par exemple question du sonotone de François Truffaut. Et de remonter à l'enfance, aux étés en famille dans le Maine-et-Loire, aux premiers émois amoureux, à la crainte que l'homme ne découvre cette surdité au cours du repas si le restaurant est bruyant, l'embarras lorsqu'elle accomplit son travail de journaliste (surtout en interview) - on connaît : un vrai supplice! Entendre pour moi, c'est m'extirper du labyrinthe, écrit-elle. Puissance du retranchement. Puissance et dépendance. Car ce handicap invisible, s'il engendre un complexe, peut devenir un trésor. Certes, il met mal à l'aise, et celui qui entend mal, et celui qui doit faire un effort afin de se faire comprendre : Merci mon oreille morte. En me poussant à fuir tout ce qui fait groupe, la surdité m'a condamnée à l'aventure de la profondeur. Entéléchargement (1).jpeg métamorphosant ainsi un manque, Elisabeth Barillé est capable de faire d'un sonotone un bijou. Elle dédouane, désinhibe. Son petit livre nous chuchote une sorte de "deaf pride". Et souligne aussi une chance paradoxale. La surdité est une fidélité définitive, une fidélité à soi-même imposée du dedans, contre les aventures dictatoriales du dehors, souligne-t-elle. Le demi-sourd, le malentendant, le mûr pour se faire appareiller est capable d'entendre un coeur amoureux cogner en face de lui. Elisabeth Barillé : Je n'entends pas la voiture qui pourrait me faucher, mais quand Glenn Gould joue Bach, j'entends qu'il jouitL.M.

  • islam de paix contre islam de guerre

    On doit penser en homme d'action et agir en homme de pensée, disait Bergson. Cela m'évoque Ellul : penser globalement, agir localement...


    images.jpegLu le dernier Onfray, hier après-midi (je l'ai reçu avant-hier), Penser l'islam (Grasset). En son centre, un très long entretien avec une journaliste algérienne, Asma Kouar (du journal Al Jadid), dont les questions sont tournées, chantournées, insidieuses, orientées comme on dit encore parfois, bref : celle-ci tente de faire abonder Michel Onfray dans le sens de sa propre doxa, qui caresse le Prophète dans le sens du poil en en faisant un ange aux mots de miel et aux actes de bonté exclusive. Mais ça ne marche pas, même si l'on sent par endroits quelques faiblesses de la part du philosophe à la lucidité solaire, car l'auteur connaît son sujet, y compris la Sîra, le texte qui rapporte les faits et gestes du Prophète... L'introduction est répétitive, la conclusion salutaire, qui a trait aux drames du 13 novembre 2015 à Paris (l'essentiel du livre fait référence aux drames de la semaine du 5 janvier. Fucking year...). Onfray se répète, mais il n'a pas souvent tort, lorsqu'il renvoie dos à dos les islamophiles (dont une certaine gauche extrême, aveugle et antisioniste), et les islamophobes (non sans préciser le sens, détourné, galvaudé, de ce terme), qui, des deux bords, sont légion. Le philosophe prolifique a lu les textes et leur exégèse (j'adore le lire, notamment à propos de Spinoza, de Camus, de Nietzsche, de l'érotique solaire, de la gourmandise, du vin de Sauternes... et j'emmerde les onfrayphobes qui, je le constate souvent, le lynchent, hurlent avec les loups, sans même avoir lu ses livres!..). C'est un pro. : il sait de quoi il en retourne, et de quoi il parle, et il connaît ce qu'il analyse et commente. Il est plus qu'autorisé à tenter de comprendre au lieu de juger, ou bien de vociférer sans savoir, sans même avoir lu le Coran, ce que d'aucuns font sans honte (il cite nombre de personnalités politiques de premier rang). Onfray décrypte la défiguration d'un certain islam, la confusion hâtive entre un islam de paix et un islam de sang, un islam pacifique et un islam belliqueux, haineux et conquérant. Entre un islam d'écoute de l'autre, et un islam d'intolérance totale. Car les deux coexistent dans le Coran. C'est une question de prélèvement à la source (soit à la lecture - orientée, sans jeu de mots -, des sourates), une question d'usage, voire, souvent hélas, d'interprétation. Il y a ainsi deux façons - contradictoires -, d'être musulman. Onfray vilipende au passage les actes de guerre de la France, à coups de Rafale, de porte-avion, dans les pays arabes même (l'oumma, en réalité, soit la communauté musulmane planétaire, celle que nous bombardons, et qui riposte à nos terrasses, via Internet, avec des kalachnikovs), lors qu'il s'agirait d'accroître une contre-offensive au combat de rue; sur notre sol. Onfray pratique avec maestria un raisonnement dans l'esprit de Spinoza : Ni rire, ni pleurer, mais comprendre, et dans celui, voisin, des Lumières : hors passion, sans haine et sans vénération, sans mépris et sans aveuglement, sans condamnation préalable et sans amour a priori, juste pour comprendre. Son coup de gueule, à propos du désenchantement de la jeunesse française, est salutaire : Que des jeunes gens la quittent (la France) pour une vie d'aventure, d'idéal, d'action, d'engagement, je peux le comprendre puisque la République n'est plus capable de proposer l'aventure, l'idéal, l'action, l'engagement et qu'elle érige en modèles des comédiens de série B, des animateurs télé, des footballeurs décérébrés, des acteurs de cinéma, des chanteurs de radio-crochets télévisés... Il déplore qu'aujourd'hui, le grand formateur des consciences ne soit plus l'école, mais l'écran (télé, Net, tweet). Se rend à plusieurs évidences concomitantes : l'islam est une religion qui monte en puissance en Europe. Et, en France, à titre d'exemple, l'islam de France est encore financé par des pays qui n'ont aucune raison d'aimer ce pays... L'Occident est par ailleurs en bout de course. L'Europe est moribonde, elle ne survivra pas, et comme toutes les civilisations en phase d'effondrement, elle montre des signes de décadence : l'argent roi, la perte de tous les repères éthiques et moraux, l'impunité des puissants, l'impuissance des politiciens, le sexe dépourvu de sens, le marché qui fait partout la loi, l'analphabétisme de masse, l'illettrisme de ceux qui nous gouvernent, la disparition des communautés familiales ou nationales au profit des tribus égotistes et locales, la superficialité devenue règle générale, la passion pour les jeux du cirque, la déréalisation et le triomphe de la dénégation, le règne du sarcasme, le chacun pour soi... Dès lors le soufisme pacifiste (d'origine irakienne), ne peut rien contre le salafisme (et le djihadisme, sa mortifère sécrétion). Pas davantage, l'espoir (voeu pieux) d'un islam républicain ne pourrait quoi que ce soit. Ose penser par toi-même!, était la devise des Lumières, rappelle Onfray. Et d'ajouter : Cesse de penser, obéis, soumets-toi!, voilà na nouvelle devise de la gauche islamophile. L'auteur de La puissance d'exister rejoint ainsi la pensée d'un Houellebecq, d'un Finkielkraut, d'un Sansal.  D'ailleurs, Onfray déborde du cadre philosophique pour entrer de plain-pied dans l'espace politique, lorsqu'il voue aux gémonies les actes pleutres d'un gouvernement de "gauche", se limitant à des messages compassionnels (tellement narcissiques, dédouanants, égoïstes, exhibitionnistes), avouant par là même son impuissance à lutter efficacement contre un islam de guerre totale, lequel, selon l'auteur, ne voit plus tellement l'intérêt de changer de direction en allant vers un islam de paix, lorsque la conquête par la guerre lui paraît soudain si aisée. La Soumission, encore, comme un terrible refrain... La dernière charge d'Onfray est une adresse désabusée, presque contrite, qui exprime le regret de ne pas se tromper, hélas, au regard de l'Histoire, lorsqu'il pense qu'il est peut-être trop tard, car la politique étrangère de la France depuis vingt-cinq ans, écrit-il, expose les Français sans pouvoir les protéger quand ripostent ceux qu'ils agressent... Car tous les assoiffés de pouvoir préfèrent se servir de la France plutôt que de la servir. (...) La carte de la paix aurait valu la peine d'être jouée, conclut-il avec une certaine mélancolie. Certes, il y faut moins de testostérone et plus de matière grise...  L.M.

  • Où vont nos nuits perdues

    product_9782070467501_195x320.jpgSurprenant Alain Duault, dont on connaît la bonhommie lorsqu'il parle de musique classique à la télé, ou d'opéra avant le film, au cinéma. Cet homme - et c'est moins connu - , est aussi un poète délicat, qui utilise souvent le mot verso, notamment dans ses poèmes d'amour, car il se plait à retourner les mots comme un chercheur de champignons retourne la feuille du bout du bâton, ou un amoureux son corps à elle. Poésie/Gallimard publie une anthologie de ses  recueils parus depuis 2002, Où vont nos nuits perdues. J'y ai relevé celui-ci :

    2016-03-18 16.37.16.jpg

     

    Et celui-là, dans un autre registre : 

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  • Somnanbule du jour

    téléchargement.pngAnise Koltz est une poétesse forte. Son mot cingle, trace avec économie, percute. Elle pratique l'oxymore, Rien n'est plus obscur et mystérieux que la clarté, prévient-elle. Extraits de Somnanbule du jour, son anthologie personnelle qui paraît - et c'est un événement, au Luxembourg -, dans la collection Poésie/Gallimard :

     

     Abattez mes branches

    sciez moi en morceaux

    les oiseaux continueront à chanter

    dans mes racines

     

    ---

     

    Chaque aube 

    est une promesse d'éternité

     

    Chaque couchant

    sa flamboyante annulation

     

    ---

     

    Mon corps est chaud

    comme le seuil d'une église

     

    Quand tu entres en moi

    la Bible divague

     

    ---

     

    J'aime te sentir

    sur moi

    comme un pont écroulé

     

    ma rivière 

    polira tes pierres

     

    ---

     

    Marcher

    sans rien atteindre

    jusqu'à devenir chemin

     

    ---

     

    Je ne crois plus en Dieu

    désormais

    ce sera à Lui

    de croire en moi

     

    ---

     

    Seule je rôde

    repoussée

    comme un animal sauvage

    qui a été touché 

    par les humains

     

    ---

     

    JE T'AIME

     

    Je t'aime

    parce que ton amour

    inventé pour voler

    est un faucon

    qui s'est posé sur mon poing

     

     

  • Poésie/Gallimard fête ses cinquante ans

    2016-03-15 11.04.41.jpgNous vivons avec cette collection depuis que nous avons appris à lire la beauté dans le mot, la fragilité sur le givre, l'amour dans le silence des regards. Nous avions commencé par la base : Apollinaire, Baudelaire, Rimbaud, Nerval, Eluard, Valéry, Hölderlin, Rilke, Jouve, Perse, Neruda, Toulet, et puis vinrent vite Char, Ponge, Jaccottet, Mallarmé, Lorca, Paz, Dupin, Reverdy, Ungaretti, les Haïkus, Desbordes-Valmore, Ritsos, Jabès, et des dizaines d'autres. Cette collection fétiche est devenue le talisman de notre bibliothèque. Ses poche les plus précieux. Nous ne l'avons jamais perdue de vue, nous avons guetté chaque parution, fait l'acquisition de presque tous, oui, c'est vrai. Cheminer avec prenait tout son sens. Offrir un joli volume blanc barré de petits portraits de son auteur, possède un poids particulier. C'était, et c'est toujours un cadeau chargé. Mais comme l'aile du papillon que porte une fourmi, dirait Ungaretti. Ou bien, comme on tend un oiseau vivant dans le berceau de ses mains à celle qui craint encore de le toucher. La collection fête donc aujourd'hui ses cinquante années d'existence. Un demi-siècle, déjà, que la poésie est popularisée, que du bonheur ineffable peut être savouré, partagé, transmis. Combien de fois ai-je offert Fureur et mystère, Les Matinaux, Le Parti pris des choses, Vie d’un homme, La Centaine d’amour, Lettera amorosa, Capture d'écran 2016-03-06 08.12.19.pngCapitale de la douleur, Vergers, L’Embrasure, Hypérion, Les Contrerimes, Plupart du temps, La Quête de joie, Ma Vie sans moi, Liberté sur parole, Le Seuil, le sable… Combien ! Ces compagnons dans le jardin de nos lectures quotidiennes nous sont devenus indispensables comme l’air et l’eau, le feu de ses yeux et le vin d’après (photo ci-contre). Agée de cinquante2016-03-15 11.01.32.jpg ans, riche de plus de cinq cents titres, la collection que dirige aujourd’hui André Velter, poète lui-même (Poésie/Gallimard fut lancée en 1966 par Alain Jouffroy et Robert Carlier, puis elle fut pilotée par André Fermigier, et, successivement par Jean-Loup Champion, Marc Delaunay, et enfin par André Velter depuis 1998), saisit l'occasion du Printemps de poètes pour offrir un immense bouquet de livres contemporains. Ils sont presque tous, là, sous ma main, sur la table (voir photos ci-dessus) : et tout d’abord le précieux Infiniment proche. Le désespoir n’existe pas, de Zeno Bianu - qui fait son entrée dans la collection – et je suis certain que cela est vécu, par un poète français vivant, comme une espèce d’intronisation dans un singulier panthéon : on doit se sentir un peu  pléiadisé, comme on dit… Il y a le délicat Richard Rognet, avec Elégies pour un temps de vivre. Dans les méandres des saisons. Il y a le solaire Abdellatif Laâbi, avec L’arbre à poèmes. Le déroutant James Sacré, et ses Figures qui bougent un peu. Nous trouvons aussi la grande poétesse luxembourgeoise Anise Koltz, à l'oeuvre abondante, méconnue, forte, avec Somnanbule du jour, Jacques Darras et L’indiscipline de l’eau, Alain Duault pou Où vont nos nuits perdues. Avant ce feu d’artifice anniversaire, ce furent, récemment, les indispensables Lusiades de Luis de Camoes, qui paraissaient. Constamment sur le qui-vive poétique, la collection emblématique alterne le classique et le moderne, l'étranger et l'hexagonal, publie anthologies et éditions bilingues, ainsi que des coffrets splendides (trois sont déjà parus), d’extraits de certains volumes devenus des indispensables, et qui constituent des cadeaux en formes 2016-03-15 11.02.52.jpgde pavés que l’on se plait à lancer sur le lit d’une amie. Le dernier « compilait » le meilleur, de Frénaud à Robin, de Guillevic à Bonnefoy (soulignez, sur la photo ci-dessus, comme on peut monter un poème avec les titres, mis ligne à ligne, et l'un sur l'autre, de ces petits volumes). Pour l’occasion, outre les  recueils de poètes contemporains précités, la collection publie une édition limitée sur fond coloré de dix titres phares (photo ci-dessous). Ne vous en privez pas : lisez et offrez des poèmes. Et longue vie à Poésie/Gallimard. L.M.

     

    Char, Apollinaire, Michaux, Perse, Ponge, Eluard, Aragon, Lorca, haïkus japonais, NerudaCapture d'écran 2016-03-15 10.57.42.png

     

  • Aurore, suite (fragment 575)

    Nietzsche, l'ultime fragment d'Aurore porte à la réflexion...

    Nous autres aéronautes de l’esprit. — Tous ces oiseaux hardis qui s’envolent vers des espaces lointains, toujours plus lointains, — il viendra certainement un moment où ils ne pourront aller plus loin, où ils se percheront sur un mât ou sur quelque aride récif — bien heureux encore de trouver ce misérable asile ! Mais qui aurait le droit de conclure qu’il n’y a plus devant eux une voie libre et sans fin et qu’ils ont volé si loin qu’on peut voler ? Pourtant, tous nos grands initiateurs et tous nos précurseurs ont fini par s’arrêter, et quand la fatigue s’arrête elle ne prend pas les attitudes les plus nobles et les plus gracieuses : il en sera ainsi de toi et de moi ! Mais qu’importe de toi et de moi !D’autres oiseaux voleront plus loin ! Cette pensée, cette foi qui nous anime, prend son essor, elle rivalise avec eux, elle vole toujours plus loin, plus haut, elle s’élance tout droit dans l’air, au-dessus de notre tête et de l’impuissance de notre tête, et du haut du ciel elle voit dans les lointains de l’espace, elle voit des troupes d’oiseaux bien plus puissants que nous qui s’élanceront dans la direction où nous nous élancions, où tout n’est encore que mer, mer, et encore mer ! — Où voulons-nous donc aller ? Voulons-nous franchir la mer ? Où nous entraîne cette passion puissante, qui prime pour nous toute autre passion ? Pourquoi ce vol éperdu dans cette direction, vers le point où jusqu’à présent tous les soleilsdéclinèrent et s’éteignirent ? Dira-t-on peut- être un jour de nous que, nous aussi, gouvernant toujours vers l’ouest, nous espérions atteindre une Inde inconnue, — mais que c’était notre destinée d’échouer devant l’infini ? Ou bien, mes frères, ou bien ? —

  • En (re)lisant "Aurore", de Nietzsche, cet après-midi :

    Fragment 532 :

    « L’amour rend égaux ». — L’amour veut épargner à celui à qui il se voue tout sentiment d’être étranger, il est par conséquent plein de dissimulation et d’assimilation, il trompe sans cesse et il joue une égalité qui n’existe pas en réalité. Et cela se fait si instinctivement que des femmes aimantes nient cette dissimulation et cette duperie douce et continuelle et prétendent avec audace que l’amour rend égaux (ce qui veut dire qu’il fait un miracle !) — Ce phénomène est très simple lorsqu’une personne se laisse aimer, et ne juge pas nécessaire de feindre, laissant cela à l’autre personne aimante : mais il n’y a pas comédie plus embrouillée et plus inextricable que lorsque tous deux sont en pleine passion l’un pour l’autre, et que, par conséquent, chacun renonce à soi-même et se met sur le pied de l’autre, voulant partout faire comme lui : alors aucun des deux ne sait plus ce qu’il doit imiter, ce qu’il doit feindre, pour quoi il doit se donner. La belle folie de ce spectacle est trop belle pour ce monde et trop subtile pour l’œil humain.

  • Finki sous la Coupole

    Lisez le discours de réception d'Alain Finkielkraut, prononcé hier à l'Académie française, pour ses éclats d'intelligence purs, sa déclaration d'amour de la France à la France, pour son éloge subtil de Félicien Marceau, et lisez aussi la réponse de Pierre Nora, qui figure une sorte de bref et brillant essai. Y sont circonscrites, toutes les facettes fascinantes de la personnalité de "Finki". Voici deux purs joyaux. A lire un peu partout sur le Net, notamment ci-dessous en cliquant sur les liens dédiés :

    Discours de réception

     

  • Agathe the jazz

    téléchargement (2).jpegEcrire sur la mort de sa mère est devenu un genre littéraire, me disait mon ami et éditeur Olivier Frébourg, tandis que je lui donnais à lire un manuscrit sur le motif. Mais nul ne semble armé pour pouvoir écrire sur la mort de son propre enfant. Pas même mon autre ami Didier Pourquery. Et pourtant Didier did it. Agathe, sa fille, était née en 1984 avec une vilaine mucoviscidose. Elle subit une, puis deux greffes de poumon, elle toussa les vingt-trois années de sa vie durant, souffrit. Elle était plus gaie que gaie, elle était intelligente, aimante, aimée, et un jour elle adressa un sms aux siens, après avoir appris de son médecin, devenu un confident, que ses jours étaient comptés, qui disait je vous aime. Et c'est là qu'en lisant L'été d'Agathe (Grasset), petit chef d'oeuvre de pudeur et d'amour viscéral, nos larmes éclatent et notre ventre se noue. Pour se détendre aussitôt, car Didier Pourquery écrit juste, avec le ton exact, la mesure du mot, le sens de l'émotion contenue, du tact idoine, la vérité crue au bout du stylo (nous l'entendons écrire), même si parfois cela déborde, et c'est normal. Le père ne cache pas combien il est souvent désemparé, maladroit, impuissant, lorsqu'il doit improviser devant tant d'inédit et de douleur à dompter du mieux qu'il peut. L'auteur achève cette adresse à sa fille d'un Je t'aime qui prend le poids, énorme, de l'aile du papillon que porte une fourmi, comme l'écrivit Ungaretti. Didier avait repris ses carnets de notes - il a tant noté tandis qu'il espérait de toutes ses forces, avec la mère et les soeurs d'Agathe, et tandis que sa fille vivait, entre un hôpital et l'île d'Oléron, où, un jour d'août 2007, elle fut dispersée par des parents pieds nus - ainsi qu'elle le désirait, et il a accompli un devoir extraordinaire de père. Celui que nul ne souhaite à aucun homme. Et cela donne un livre précieux entre tous, parce qu'il nous parle, avec les mots simples de l'amour et de la douleur que l'on s'efforce d'enfouir, avec des mots empreints d'une douceur et d'une grâce magiques, de l'existence essentielle. Un livre surhumain. L.M.

  • Le candélabre

    C'est l'un des plus beaux passages du Roi des Aulnes, de Michel Tournier, qui vient de nous quitter. Page 223 (en collection Blanche, de 1970), voici que l'ogre de Rominten, qui figure Göring, grand amateur de chasse, de venaison, de grands vins de Bourgogne et de Bordeaux, et aussi d'excès en tous genres, se trouve face à un grand cerf, le Candélabre :

    téléchargement.jpegL'un des plus nobles Reichjägermeisterhirsche était à coup sûr le Candélabre dont l'Oberforstmeister tenait la chronique presque mois par mois, et qui promettait de devenir le roi des hardes de Rominten. Un soir que Göring, emmitouflé comme un ours, piétinait lourdement dans la neige molle pour relever des traces de loups qu'on lui avait signalées, le Candélabre surgit, comme une apparition, dans un entrelacs de rameaux givrés. Sombre statue d'ébène, il portait haut sur son encolure musculeuse un buisson de vingt-quatre andouillers distribués aussi régulièrement que les nervures d'un cristal de glace. Il était grand et droit comme un arbre, un arbre vivant et respirant, aux oreilles dardées, aux yeux clairs comme des miroirs, qui faisait face aux trois hommes. Les bajoues du grand veneur se mirent à trembler.

     

     

  • Le livre de cette rentrée de janvier :

    CommuniquéToutes nos vies 2.pdf

    Stéphane Guibourgé, l'un des meilleurs écrivains français vivants, en est l'auteur. Alors précipitez-vous vers un inexorable bonheur de lecture, un plaisir du texte avoué. Ici, tout n'est que sensibilité, poésie, écorche vive, peaux à nu, vérité fondamentale, mots dits essentiels, par l'homme lige et la femme fatale, sentiments extrêmes, regards tus, sexes purs, amour dur, et intransigeant.

    ¡Vaya!

  • Signatures à venir

    Ce weel-end (5/6 décembre):

    Salon du livre de Boulogne-Billancourt (Espace Landowsky) : présentation - signature du "Dictionnaire chic du vin" (éd. Ecriture), samedi et dimanche après-midi.

    http://salonlivrebb.blogspot.fr/p/auteurs-2015.html

    Puis, signatures-lectures-dégustations la semaine prochaine au Pays basque :

    Jeudi 10 déc., dès 19h, à La Galupe, restaurant-librairie à Urt (au bord de l'Adour, près de Bayonne, "chez Barthes"!..).

    Samedi 12 déc. à partir de 19h à l'Hôtel-spa Regina (Biarritz), et dès le matin, chez Christian Bedat, caviste indépendant à Biarritz-La Négresse : aux Celliers des Docks, donc. Venez nombreux, ça sent Noël, et les cadeaux... Héhé...

    soirée galupe 10-12.pdf

    soirée regina 12-12.pdf

    Et encore, le 22 déc., à la librairie L'Alinéa (Bayonne). 

    Capture d’écran 2015-08-10 à 17.22.18.png

  • Dans Gourmets & Co

    http://www.gourmetsandco.com/culture/15320-dictionnaire-chic-du-vin-leon-mazella

     

    Rectif amical, mon cher Patrick Faus : Je n’ai jamais "pris plaisir à ôter la vie" d’un seul animal, évidemment, et n’ai jamais été "fasciné par le sang". Ô grand jamais! D'où peuvent bien sortir ces mots, cette interprétation d'aucun fait? (j’ai plutôt écrit des centaines de pages sur le sujet en disant le contraire : j’approchais, en amoureux de l’approche du Sauvage, et ne tirais que très rarement, et me suis fait toujours traiter d’écolo subliminal par mes pairs…).
    Et aussi, loin de vouloir « détruire ce que nous avions perdu en nous », comme tu l’écris, c’est précisément exactement l’inverse que je me suis employé à faire avec passion durant ces années-là : rechercher la part animale en moi, enfouie dans ma nature humaine "désensauvagée". LMzz
     

     

  • Le Manifeste d'Antonin

    téléchargement.pngLe vin sans additif rend addictif et c'est heureux. Antonin Iommi-Amunategui part en guerre contre les intrants, ces ajouts peu amènes qui dopent la vigne en la dévoyant, la chimie aidant. Avec son Manifeste pour le vin naturel (éd. de l'épure), mince (24 pages, 7€) comme une tranche de serrano, mais précieux comme un flacon de The Picrate, ce blogueur (allez surfer sur no wine is innocent), engagé mais calme, fixe correctement les points sur les "i", afin de (tenter de) clouer le bec aux apôtres aveugles du vin chimiquement trafiqué, cela en vissant quelques vérités neuves, ou en cours de développement. Autrement dit, sa plaquette sent le soufre, mais elle n'en contient pas, et son discours est à peine filtré. Camus aurait appelé cela la radicalité de la nuance. Le vin dit naturel, ou vivant, résumé "bio" par commodité, car nous nous perdons encore souvent dans le maquis des dénominations, entre certificat Ecocert, TerraVitis, conversion en trois ans, label AB, et j'en passe, sans oublier l'étage supérieur de la biodynamie, qui n'a rien à boire... Mais ce n'est pas le sujet de ce papier. Le vin naturel, donc, n'est plus un vin à la mode bobo, élaboré à la va comme je te pousse, consommé uniquement dans les bistros parisiens branchés par des gosiers qui ne connaissent que l'épate et capables d'avaler du vinaigre en disant c'est super!, un vin qui, il faut l'avouer, a réservé et réserve encore son lot de mauvaises surprises organoleptiques (l'intervention humaine, au moins a minima, ne remplacera jamais complètement le laisser-faire total de la nature). L'effet prend racine, s'étend, se propage façon puzzle sur l'ensemble du territoire, car les vignerons (pas) réunis se posent question, échangent timidement et agissent ici et là. Le consommateur suit, porté par le souci élémentaire de cesser d'engloutir des saloperies. Aujourd'hui, la consommation de vins plus ou moins purs ne cesse de croître. Le marché du vin bio hexagonal, lisais-je cette semaine, c'est plus de 64 000 ha de vignes (et ça continue d'augmenter, surtout en Espagne et en Italie). Cela représente, en France, en 2015, 11% du marché des produits issus de l'agriculture biologique. Et ce vin-là commence à bien s'exporter vers des marchés dits traditionnels (Allemagne, Royaume-Uni). Un signe. Le phénomène est par conséquent désormais pris au sérieux. Et nous espérons qu'il gardera encore longtemps tout ce qui bâtit sa bienheureuse singularité, à savoir ses côtés artisanal (small is always beautiful), sain, traçable, durable, et non plus seulement rousseauiste, version simpliste, baba, bobo : Ca, c'était avant, soit hier à peine. Antonin l'exprime d'emblée : J'ai pris trop mon pied avec des vins naturels pour ne pas les défendre en tant que catégorie : celle, bancale, polémique, du vin idéal. Un brin utopiste, l'auteur pourrait convaincre son lecteur qu'un vin idéal peut cohabiter dans un monde meilleur, ou bien qu'un monde idéal pourrait voir le jour, où l'on ne boirait que des vins naturels, donc meilleurs (car il est surtout question de goût, avec les vins naturels). Le paradoxe de ce type d'entreprise - que nous partageons à 100% -, est qu'il pourrait à terme noyer (je n'ai pas dit broyer) le vin naturel dans les rouages de la grande distribution actuelle, au lieu de quoi, vécu encore comme une rareté (sa quête procure des plaisirs de copains en vadrouille sur le chemin des zincs), il se recherche et se trouve chez les passeurs que sont les cavistes avisés, et dans les bistrots malins, au coeur desquels le taulier comme le client aiment donner du temps au temps, et de rire et d'aimer le simple, le beau, le bon. Puis, vient le plaisir du partage, en faisant passer. La dissémination agit bien ainsi, façon missi dominici soft. Car, méfions-nous : lorsque la parole est, ne serait-ce qu'un rien imposée, elle sent le diktat et cela n'est historiquement jamais bon, voire contreproductif, à l'instar de certaines révolutions. Brandir des dieux comme Jules Chauvet sent parfois la secte, donc l'exclusion. Condamner sans appel celui qui soufre (son vin) est stupide (et pis, en plus, ne pas soufrer a minima et à la "mise", c'est la garantie de produire de la piquette! CQFD). Ces manières de faire, non seulement divisent, mais font fuir le curieux volontaire. En revanche, militer, répandre la parole, faire goûter, informer en somme, tout bonnement, creuse le sillon, certes à la vitesse de l'escargot (slowly), ou de la tortue de la fable, mais sûrement. Je réfuterai, pour qualifier ce petit livre salutaire, l'emploi du mot combat, trop guerrier, ou bien pas assez pacifique, et donc oxymorique. Le vin nu, selon la belle expression donnée par Alice Feiring, citée par l'auteur, a toujours été là, précise Antonin. Ce n'est donc pas une mode, enchérit-il. Et d'affirmer aussitôt que son avénement est un retour qui est aussi une avancée. Lumineux! Le livre passe également en revue l'oeuvre de personnages emblématiques, de Jacques Néauport (théoricien fondamental à la parole pleine de bon sens : le vin naturel, c'est tout bête, c'est un vin sans intrants, c'est tout) à Eric Callcut (et son vin Graal), en passant par Thierry Puzelat, Pierre Overnoy ou encore Olivier Cousin (vignerons de respect). Enfin, la question qui se pose à tout produit qui prend ainsi de l'envergure, est sa nécessaire réglementation. Certains rebelles la refusent au nom d'une indépendance anti normative. Discours vain, statique, obtus, voire réactionnaire, à nos yeux. Force est d'admettre qu'une reconnaissance légale claire hisserait, distinguerait, identifierait le produit. Et le protègerait des sournoiseries industrielles. Débat en cours. Chacun semble au moins s'accorder sur la nécessité de nommer tous les ingrédients contenus dans une bouteille de vin, puisque le jus de la treille fermenté demeure l'un des derniers produits alimentaires emballés à pouvoir se passer de ces informations capitales, et réputées obligatoires depuis belle lurette. Par bonheur, les gardiens du temple comme Antonin Iommi-Amunategui veilleront toujours au raisin. Prenons-en de la graine. L.M.

  • Livres en Vignes

    Au Clos de Vougeot (Bourgogne), le week-end dernier (salon Livres en Vignes) :

     

    IMG_0446.jpgSur le chemin clos qui mène à Vougeot.

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    Une élégante cherche l'auteur... qui la photographie.

     

    Du beau monde venu signer.

    IMG_0419.jpgIMG_0439.jpg

     

     

     

     

     

     

     

     

    Le dîner du chapitre (samedi) roboratif à souhait (Livres en Vignes ou l'autre salon du cholestérol)... 

     

  • la meilleure façon...

     Capture d’écran 2015-09-16 à 14.25.39.png... de pénétrer une oeuvre est souvent d'en lire la première page. L'incipit, et au-delà de lui. Voici celle des Nouveaux monstres, de Simonetta Greggio, qui reparaît en format de poche et qui fait suite à son magnifique Dolce Vita (Stock, et Poche). Ce livre, qui resserre, relate, compresse, analyse, crie, les années 1978-2014 en Italie, son pays, cette Botte tissée de relations troubles, impures, incestueuses, grotesques, picaresques, baroques, insolentes et risibles comme certaines amours - entre l'Etat, le Vatican (l'autre Etat) et la Mafia (l'Etat suprême?). Un grand livre. 

  • Fausse bonne nouvelle?..

    Mon Dictionnaire chic du vin figure dans la première sélection du Prix Renaudot essai, selon le site de L'Obs : bibliobs (cliquer ci-dessous), mais pas sur les listes publiées par les sites du Figaro (lefigaro.fr) et du Monde (lemonde.fr). On se calme : Sherlock-Bacchus mène l'enquête!..

    http://bibliobs.nouvelobs.com/sur-le-sentier-des-prix/20150908.OBS5471/prix-renaudot-2015-la-premiere-selection.html

     

    Capture d’écran 2015-09-09 à 18.02.42.png

  • Louis-René des Forêts

    téléchargement.jpegLe meilleur livre de la rentrée de septembre est paru en juin. Les Œuvres complètes de l’immense Louis-René des Forêts (1918-2000), sont le très beau cadeau de l’été, que la collection Quarto de Gallimard (une collection qui se bonifie considérablement avec le temps *, en laissant sur le carreau ses concurrentes : Bouquins/Laffont, Omnibus), a fait aux aficionados de l’auteur inoubliable du Bavard et d’Ostinato, pour ne citer que deux ouvrages majeurs que l’on se plait à relire régulièrement, pour le plaisir de la langue, celui de l’émotion forte, très forte, que des Forêts instille (« faire passer dans les mots la sève fertilisante sans laquelle ils ne sont que du bois mort »). L’édition, assurée par le talentueux Dominique Rabaté, universitaire sans les défauts inhérents à la profession, est un spécialiste de l’auteur. Le volumineux pavé (1342 pages) s’ouvre sur un précieux album de famille, où  de nombreuses photos, des lettres (pas seulement à des écrivains célèbres, mais aussi à des amis très chers – comme l’entendait Montaigne, et pas facebook -, tels Jean de Frotté), une biographie précise et chaleureuse, sont agréablement dispersées, afin d’entrer dans l’œuvre – par une nouvelle inédite, de surcroît, intitulée Les Coupables -, de la manière la plus douce qui soit, la plus musicale, pourrait-on dire, puisque Louis-René des Forêts fut habité toute sa vie par la musique, au point de faire de son premier roman, Les Mendiants, une sorte de suite polyphonique, et de chacun de ses livres, l’écho au « fil conducteur » de son existence. Le volume que nous tenons en mains est par ailleurs riche de témoignages nombreux et prestigieux, qui vont de Maurice Blanchot (et son célèbre texte sur Le Bavard, intitulé La Parole vaine, qui figura dans une édition rare en 10/18), à Jean-Louis Ezine (un entretien clé à propos d’Ostinato), en passant par Philippe Jaccottet (superbe texte d’analyse droite et rigoureuse d’un écrivain que le grand poète de Grignan admire), Michel Leiris, Raymond Queneau (des Forêts participa avec Monsieur Zazie, à la création de l’Encyclopédie de La Pléiade, avant de devenir membre du comité de lecture de « la Banque de France de l’édition », laquelle publia, avec sa filiale le Mercure de France, la majeure partie de son œuvre), et encore André Frénaud, Pascal Quignard, Marcel Arland, Jean Roudaut, Pierre Klossowski, Charles du Bos, André du Bouchet… Du beau linge, et des textes enrichissants, tant sur ce que l’on apprend de l’auteur de Pas à pas jusqu’au dernier, que sur le travail, l’écriture ou tout simplement l’amitié de ces compagnons de route, de ces « alliés substantiels ». Il fut beaucoup reproché à des Forêts de cesser d’écrire, après avoir conquis un lectorat fidèle et ayant pris goût. Il se mit alors à peindre dix années durant et se tût – littérairement -, environ dix de plus (et le volume « donne à voir » ses peintures, tourmentées, imprégnées à la fois d’un surréalisme figuratif, et d’une fantasmagorie à la Jérôme Bosch). Il faut savoir que l’année 1965 fut la cassure majeure de la vie de l’écrivain. Sa fille Elisabeth mourut accidentellement à l’âge de quatorze ans, et d’une telle déchirure, nul ne se remet. Cependant, le père terrassé, désagrégé, commence alors à bâtir en silence, pierre à pierre, un travail de deuil qui ressemble à la tâche de Sisyphe, ou bien à une entreprise vaine et condamnée d’avance. Cela s’appellera, après plusieurs tentatives de renoncement, quelques publications fragmentaires en revue, Ostinato, en 1997. (Au Mercure de France d’abord, dans L’Imaginaire/Gallimard aujourd’hui, en plus de l’édition monumentale dont nous rendons compte). Un chef d’œuvre, même si cette expression est par trop usitée et par conséquent galvaudée. Un livre inclassable et incassable, bien qu’il semble fait de cristal. Et de cendre, ou plutôt de pluie d’étoiles. Ostinato, ou obstinément, le devoir d’achèvement, est l'un des plus somptueux hommages faits à la langue française de ces dernières décennies. Ce livre semble avoir été écrit comme  Beethoven composa ses plus beaux quatuors, soit une fois devenu totalement sourd. Des Forêts l’entendait un peu, et sans forfanterie, de cette oreille (et il les avait grandes). Ostinato, avec Le Bavard, Les Mégères de la mer, les Poèmes de Samuel Wood aussi, sont de ces textes que l’on a plaisir à lire à voix haute à un être cher, tout en marchant, livre en main, dans la campagne ou dans un sous-bois. Livre de recueillement, long poème en prose, livre d’une vie, livre-vie, livre de la déchirure et de l’impossible reconstruction, il est l’offrande musicale d’un auteur précieux et trop méconnu, à la fois à la littérature, au questionnement sur la langue – son pouvoir, sa raison d’être pour l’auteur, et pour un hypothétique lecteur aussi -, à cette « vieille arme ébréchée du langage », et enfin à l’essence de la vie même. Nous imaginons sans peine Le Bavard et son célèbre incipit : « Je me regarde souvent dans la glace. », lu au théâtre par un Sami Frey, un Claude Rich, un Jean-François Balmer (à la manière des Braises, de Sandor Marai, ou de Novecento, d’Alessandro Baricco, ou encore de Pour un oui ou pour un non, de Nathalie Sarraute : vous voyez ?..). Car il y a dans chacun des livres de Louis-René des Forêts, à la fois la suggestion musicale et le plaisir du texte qui ne demande qu’à être partagé… musicalement, fut-ce à la voix, notre principal, primitif instrument. Des Forêts est encore de ces noms d’auteurs qui se chuchotent. Le seul fait d’apercevoir quelqu’un lire l’un de ses livres, dans un transport en commun par exemple (mais cela est rarissime), suffit à nous persuader que nous appartenons à une même confrérie, et que nous souhaitons, l’inconnu(e) comme soi-même, qu’elle ne demeure pas une société secrète. La littérature a le don subtil de générer ce type de menu plaisir; et c’est heureux. Ecoutons Dominique Rabaté, qui ouvre son texte de présentation avec ces mots : « L’éclat du rire, le sel des larmes et la toute-puissante sauvagerie : voilà en une formule ternaire magnifique ce à quoi fait encore appel Louis-René des Forêts dans le dernier de ses grands livres, Ostinato. La vivacité d’une ironie frondeuse, l’amertume vivifiante qui déchire le cœur mais le baigne de sève marine, le sursaut de révolte puisé à même la force du monde extérieur auquel il faut s’accorder, ce sont là les qualités de cette ‘’voix de l’enfant’’ dont son œuvre fait résonner toutes les harmoniques. » Des Forêts fut toute sa vie également habité par la poésie. Ses amis et compagnons de la revue L’Ephémère se nomment Paul Celan, Jacques Dupin, Yves Bonnefoy, en plus des du Bouchet et Leiris précités. Les « voies et détours de sa fiction » emprunteront ainsi les voies royales du poème (de facture volontiers classique, voire hugolienne), en plus de la peinture. Sans jamais oublier une portée musicale pour toile de fond. Ce trio d’expressions, cette recherche pugnace de la clé qui ouvrira(it) tout, empêcheront ce « vœu de silence » majuscule qui manqua priver le lecteur de certains livres importants de Louis-René des Forêts, sommes-nous tentés d’ajouter égoïstement. L’auteur vécut si douloureusement cette « interminable expiation qui se vit dans la déchéance de survivre »... Habité par une « souffrance qui frappe si haut que la voix se retire », des Forêts lâcha : « S’imposer silence par dévotion au langage, c’est aussi comme sous-entendre que les mots sont facteurs de dévoiement. » Louis-René des Forêts fut encore l’écrivain braconnier qui pratiquait le détournement. Mais la littérature ne peut-elle pas être définie par le seul mot de détour ? C’est en tout cas ce que nous croyons fermement. A cet instant, il convient de prévenir de deux choses : des Forêts a été perçu comme « un écrivain pour écrivains ». Vous savez, cette expression commode qui permet de mettre dans un tiroir les très grands comme Julien Gracq, les maîtres, les « patrons », aurait dit Nourissier, en interdisant de facto leur accès « gratuit ». Un aveu d'élitisme corportatiste, en somme… Cela est considérablement réducteur, même si c'est extrêmement flatteur pour l’auteur qui se voit ainsi « classé ». Or, des Forêts est bien plus qu’un auteur que ses pairs respectent et  dont ils se défendent de s’inspirer (tout au plus s’en imprègnent-ils, et c’est déjà un baume, un onguent suffisants). Il ne fut pas non plus, un précurseur ou un apôtre, à son corps défendant, de l’autofiction, et encore moins un adepte de la confession narcissique. Ni La Chambre des enfants, encore moins Face à l’immémorable – belle réflexion sur l’acte grave d’écrire -, ou même Le Malheur au Lido, ne constituent des textes dont une impudeur à peine déguisée aurait guidé la plume de leur auteur. Dominique Rabaté évoque plutôt une « autobiographie extérieure » (à propos d’Ostinato), comme on peut parler, avec humour, de journal extime, dès lors que l’on décide de rendre public ses carnets… Suivant en cela la belle formule du critique Robert Kanters (nous citons de mémoire) : « Le roman et le journal intime sont comme le vêtement et sa doublure, et cette dernière est d’une étoffe si fine et si précieuse que l’on peut être tenté de porter un jour le vêtement retourné. » En lisant des Forêts, auteur fragile, nous relevons des « manières de traces », nous découvrons « le corps obscurci de la mémoire », « tout ce qui respire à ciel ouvert » (couleurs, odeurs, humeurs), là où « le temps reste à la neige, le cœur brûlant toujours d’anciennes fièvres ». Nous éprouvons physiquement l’épaisseur des silences en picorant ses livres, et nous écoutons « les sourdes vibrations de sa fièvre prise comme un fleuve dans le gel qui craque au premier souffle printanier. » Une phrase, magnifique entre toutes, suffit à circonscrire l’âme et la rigueur de la prose poétique de son auteur : « Que jamais la voix de l’enfant en lui ne se taise, qu’elle tombe comme un don du ciel offrant aux mots desséchés l’éclat de son rire, le sel de ses larmes, sa toute-puissante sauvagerie. » Qu’on ne se méprenne donc pas : des Forêts a toujours tenu son je à distance, en respectant cette pudeur essentielle qui distinguera toujours le vécu mis en prose du livre authentique. C’est ainsi que, depuis Lucrèce, une voix intérieure, « venue d’ailleurs », parfois, peut toucher à l’universel. Cela s’appelle encore la littérature. Faites passer. Léon Mazzella

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    * Avec les récents volumes consacrés à Modiano, Maupassant, Montaigne, J.-B. Pontalis et très récemment Boualem Sansal, Quarto s’affirme en effet comme une collection de « semi-poche » (« de sac », plutôt) de premier plan.

    Louis-René des Forêts, Œuvres complètes, Quarto/Gallimard, 28€.

     

  • granTcrivain

    Capture d’écran 2015-08-15 à 13.59.11.pngChaque fois (ces temps-ci, c'est quasiment chaque jour),  cela me fait bizarre de le voir à la salle de gym (nous fréquentons la même et je ne vous donnerai pas son adresse, même sous la torture*). Un si grand écrivain** dans un corps si chétif a de quoi surprendre. Sa démarche lente, son air dubitatif devant les instruments de musculation, son short trop grand, son silence, ses regards sombres... Accepterait-il la soumission aux machines d'entretien du corps... Saisit-il ici matière à un prochain livre... Je me demande. Pour une fois, il n'enchaîne pas les cigarettes. Michel Houellebecq prend soin de lui. N'allez pas croire. 

    J'en ai rencontré pas mal, des écrivains, et je continue d'en fréquenter. Ma plus belle rencontre fut Julien Gracq. Indépassable. Là, en baskets et tee-shirt trempé de sueur salutaire (pour ce qui me concerne), je ne me sens pas prêt pour une rencontre. Lui non plus, cela semble certain. Continuons par conséquent de brûler nos calories, à force de pédaler, de ramer, de courir surplace, de rêver en dedans, tandis que notre corps exsude, exulte d'une certaine façon, et que nous observons le granTécrivain en coin. Pour la soumission, nous verrons. Plus tard. Mais je ne suis plus très loin de penser, avec Alain Finkielkraut (ce qui suit est une phrase qu'il m'a dite lorsque je l'ai longuement interviewé pour L'Express, le 11 janvier dernier), que le premier parti de France est devenu celui de la soumission... Avec ou sans Houellebecq, c'est bien vu, non?

    P.S. : je me fiche pour le moment de la (récente) polémique Le Monde ettéléchargement.jpeg Ariane Chemin / Michel Houellebecq. Lisons la série de papiers que la très talentueuse journaliste consacre à l'auteur des Particules élémentaires, à paraître dès lundi dans notre quotidien préféré, et parlons-en (éventuellement) après.

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    * Ceux qui veulent mon RIB n'ont qu'à m'écrire. Ah, mais!

    ** J'adore le lire, y compris sa poésie. Ses romans visionnaires, même s'ils prennent une gîte légère depuis peu sur le plan purement littéraire, ses essais déguisés en romans, donc, demeurent une lecture nécessaire, comme on parle de décryptage, pas à pas, de notre société mise à nu. Et c'est ainsi que Houellebecq est (plus) grand (qu'Allah).

  • Flamencoscopie

     

    flamencopulsion.jpgMarc Dubos, architecte de formation, vit dans les Landes et il est habité par l'Arte Flamenco (allusion au fameux festival éponyme qui se tient en juillet à Mont-de-Marsan). A l'instar de Jack Kerouac et de son célèbre rouleau, sur lequel il écrivit des mètres de Sur la route, Dubos possède son propre outil, la festigraph, qui lui permet de saisir sur le vif la danse (et la musique) flamenca au fur et à mesure qu'elle se déroulent devant lui, lors des spectacles dédiés. Il appelle cela la flamenscopie (nous préférons ajouter un co, ça sonne mieux). Comme les surréalistes pratiquaient l'écriture automatique, Dubos dessine, saisit sur le vif, croque à l'infini, et à une vitesse vertgineuse, quantité de dessins - jusqu'à cent par soirée -, et c'est une sélection de ceux-ci (noir sur blanc) que les éditions Passiflore proposent dans un recueil intitulé Flamenco pulsion (18€). Je me souviens du peintre taurin landais Jean Ducasse, qui vivait à Saubion (il a disparu en mai 2011), lorsqu'il dessinait à cent à l'heure, dans la tribune presse des arènes de Saint-Vincent de Tyrosse : un oeil et demi dans le ruedo, et un demi sur le papier, il enchaînait les dessins au trait sur des feuilles blanches de format A4, qu'il faisait tomber une à une à une cadence suffocante, et à la fin de la corrida, le sol était jonché de ces croquis saisis sur le vif. Dubos fait à peu près pareil, avec son festigraph, et sa patte est différente. Lui, choisit de saisir des instants, des gestes, des mouvements de danseurs flamenco, pas ceux des toreros. Une même chorégraphie déclinée sur des terrains distincts, pour exprimer à cru l'âme flamenca. ¡Olé! L.M.

     

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  • Ovide, L'Art d'aimer

    téléchargement.jpegPurée! C'est dans Ovide et ça n'a pas pris une ride. C'est splendide, mais ressenti comme audacieux, 2000 ans après. Inquiétant, non...

    Extrait : 

    Si tu veux m’en croire, lecteur, ne hâte pas le plaisir de Vénus ; sache le retarder, le faire venir peu à peu, doucement.  Quand tu auras trouvé l’endroit sensible, l’organe féminin de la jouissance, pas de sotte pudeur : caresse-le, tu verras dans ses yeux brillants une tremblante lueur, flaque de soleil à la surface des eaux… Viendront alors les plaintes et un tendre murmure, de doux gémissements –et ces mots excitants qui fouaillent le désir…

    Ne va pas, voguant à pleines voiles, la laisser en arrière ! Evite, aussi, qu’elle ne te précède : qu’un même élan pousse vos navires vers le port. Quand, vaincus tous deux en même temps, l‘homme et la femme retombent ensemble, c’est là le comble du plaisir !

    Alliance : 

    images.jpegLe Gewurztraminer Grand Cru Eichberg 2011 de Martin Schaetzel, vigneron alsacien de respect, sis à Ammerschwihr. Pour le nez généreusement fruité, aux touches exotiques (lychee) de ce grand vin de garde

    BTLE-SCZ0004.jpg(élevé en biodynamie, 15-20€). Pour sa bouche aux accents miellés. Et surtout pour cet équilibre prodigieux entre minéralité, fraîcheur, acidité et douceur extrême. La puissance et l'onctuosité mêlées, en somme. Une sorte de fading oenologique, car la longueur en bouche signe aussi sa prestance. Une invitation indirecte aux plaisirs divers du coeur de l'été. L.M.

  • Le beaujo de Piron, c'est si beau, si bon

     

    Piron_BasseDef_Les_Cadoles_de_la_Chanaise.pngIMG_3532.jpgDétente, c'est l'heure de l'apéro. Et là, tout est dit sur la contre-étiquette (lire ci-dessous), laquelle est, pour une fois, ni niaise ni superflue ou passe-partout. Dominique Piron est un orfèvre. Un champion à Morgon (avec les Foillard et autre Lapierre).

    Il propose nombre de cuvées, dont ce beaujolais simple. Un gamay
    d'une modestie confondante, qui n'exclut pas la complexité aromatique. C'est gourmand à souhait, frais, ça se croque comme des fruits rouges à pleines mains, lorsqu'on laisse le jus couler sur notre menton. Vous voyez?..

    Les Cadoles de la Chanaise, ou l'expression conviviale d'un cépage - parfois - magicien. Nous tenons là un vin de bons copains par excellence. Un vrai vin de partage. Ce beaujolais de Piron est la red star gouleyante de l'été (6,50€).

     

    ALLIANCE LITTÉRAIRE :

    Petit éloge du temps comme il va, de Denis Grozdanovitch (folio 2€), téléchargement (1).jpegcar l'auteur se moque des influences sur nos humeurs du temps qu'il fait : il s'accommode joyeusement. Il sait en effet se réjouir de la grisaille - sa description de la pluie qui tombe (la friture divine  du grand ruissellement des pluies torrentielles) est un morceau d'anthologie -, il a le mauvais temps enthousiaste, parvient à générer du bonheur au coeur de l'ennui, et du désir sans la satiété... Grozdanovitch est un philosophe au sourire large, qui cite Ellul de surcroît. Il sait faire valoir le droit poétique à ce que d'aucuns perçoivent comme négatif. C'est un poète des nuages qu'il se plait à contempler (à l'instar de L'inconnu sur la terre de Le Clézio). Avec lui, le soleil brille dans les grandes largeurs, et la pluie chantonne, fredonne, flagelle. L'auteur a appris à saisir, comme Charles-Albert Cingria, les instants de furtive éternité. C'est un ralentisseur du temps. Et son petit livre ensoleillé, une ode à tous ceux qui prêtent une attention vétilleuse aux petits riens superflus qui sont le sel de la vieFaites passer! L.M.

     

     

  • Blanchot, ou le déni

    product_9782070147083_195x320.jpgLa statue était depuis longtemps fissurée, notre admiration mise à mal, avec ce goût aigre de la déception historique, identique à celui que nous eûmes en apprenant pour Tonton (et Bousquet) d'une part, et pour, pêle-mêle : Cioran, Jünger, Heidegger, Hamsun et quelques autres comme Déon ou Chardonne. Là, tout s'effondre dans un Espace littéraire qui fut notre livre de chevet, avec La part du feu, Le livre à venir, L'amitié, Thomas l'obscur, Une voix venue d'ailleurs et tant d'autres essais brillantissimes. Maurice Blanchot fut un salaud. Il faut s'y résoudre. L'étude que lui consacre Michel Surya est implacable. Il ne s'agit cependant pas d'un procès à charge post-mortem comme le milieu sait en faire et comme la France en a le secret. Non. L'autre Blanchot, sous-titré L'écriture de jour, l'écriture de nuit (Tel/Gallimard) entreprend de dénoncer le plus froidement possible la contribution active de l'auteur de Faux-pas et de L'Arrêt de mort, à la presse d'extrême droite des années 1930 (*), en se gardant de dresser un réquisitoire, car on ne tire pas sur une ambulance et qu'à vaincre sans péril... Ce que Surya souligne, reproche et regrette surtout, ce sont les silences, les omissions, les non-dits, voire les mensonges de celui qui passe pour le représentant de la plus haute exigence littéraire, une profonde réflexion sur "la conséquence de la pensée", précise SuryaC'est ce même Blanchot qui dénonçait l'engagement nazi de Heidegger, que l'auteur de cet essai salutaire pointe du doigt - sans pour cela vouloir l'accabler. C'est la tâche de la pensée de s'emparer de ce qui la désempare. La première phrase de ce livre, douloureux au fond, résonne en nous. Cela ne doit cependant pas nous interdire de revenir aux essais et études littéraires de Maurice Blanchot, dont l'intelligence est d'un éternel vif-argent. Nous pouvons néanmoins réfléchir à la désinvolture de la jeunesse, aux ressorts troubles de l'engagement dans un sens ou dans un autre (la Collaboration contre la Résistance, par exemple - et à ce propos, relire le formidable livre de Pierre Bayard, Aurais-je été résistant ou bourreau? Minuit). Il y aurait eu le premier Blanchot, chien fou (il a 23 ans en 1930), journaliste pétainiste, puis le second Blanchot, après la Libération, qui commença à donner les essais que l'on sait. Surya condamne chez Blanchot tout d'abord le détournement du langage, puis le détournement de l'attention en la faisant porter sur l'affaire Heidegger (1984), ainsi que l'absence d'autocritique de la part du maître ès critique littéraire, quand bien même tout le monde savait depuis longtemps. S'être empêché jusqu'à L'Instant de ma mort (livre bouleversant), d'avouer l'inavouable, passe dès lors pour une faute capitale, et difficile à pardonner. L'essentiel n'est cependant pas qu'il ait berné l'intelligentsia (de gauche) française, mais qu'il ait collaboré. Toutefois, Blanchot demeure (à nos yeux), le philosophe qui sera passé de Maurras à Lévinas; et pas l'inverse. C'est déjà ça. L.M.

    (*) Maurice Blanchot ne publia cependant jamais dans les torchons antisémites que furent Je suis partout (de Drieu), ou L'ami du peuple, mais dans des périodiques comme le Journal des débats, notoirement maurrassien et xénophobe. 

    Notons enfin que Michel Surya, qui dirige la revue Lignes, a également consacré une numéro spécial à ce délicat sujet en mars 2014.

  • Lire Montaigne chaque jour, ou presque...

    téléchargement.jpeg... Procure un bien fou. Surtout avec les traductions en Français moderne dont nous disposons, et qui jamais plus ne heurtent notre lecture. Il y avait celle de Claude Pinganaud chez Arléa, il y a aussi celle d'André Lanly chez Gallimard (coll° Quarto). Grâce à ces adaptateurs de génie, Montaigne nous devient familier dès la première ligne, il est notre contemporain, il devient tutoyant, proche; c'est un ami (de la famille) de notre bibliothèque. Prenez par exemple le petit folio sagesses (à la couverture superbe, et au papier agréable parce que pas glacé), et qui rassemble quelques extraits, dont (sur) le pédantisme, la cruauté, la fainéantise et la colère, sous le titre sobre de : Sur l'oisiveté. Ce sont 120 et quelques pages de gourmandise, d'intelligence pure, de perception suraiguë, d'analyse fine et simple, de réflexion saine, bienveillante et positive. On a envie de tout souligner, de crayonner des accolades à chaque page, de relire à voix haute certaines phrases (d'ailleurs nous ne nous en privons pas), de brandir le livre et de dire au premier être cher qui passe : écoute ça! Montaigne galvanise, et ce n'est pas nouveau. Cette magie, seuls quelques écrivains la possèdent, la partagent et la transmettent avec l'auteur des Essais, grâce à leur inaltérable talent. Montaigne est sans doute le chef de cette bande de sacrés passeurs de bonheurs : ceux des mots, de la langue, de l'intelligence brillante qui possède le claquant incomparable, l'acuité qui frappe, toute cette alchimie qui donne matière à cabrer notre esprit. Les anecdotes qui illustrent le propos de Montaigne n'ont pas pris une ride, ni sur le plan psychologique, ni sur le plan politique ou géopolitique. Les vertus, les vices, la ruse, le pouvoir, la couardise, la sagesse intérieure, la violence nécessaire, le chagrin, tout est bon pour nous aider à désapprendre le mal. Alors, oui, lire Montaigne à petites doses, chaque jour de ce mois d'août, est une gymnastique qui vaut bien le dos crawlé, ou la brasse coulée. A vos marques ! L.M.

    Paraissent simultanément dans la même collection folio sagesses, Aller au bout de son coeur, de Meng zi, lequel nous instruit sur l'art et la manière de ne pas perdre son coeur, ou bien de le retrouver si nous pensons l'avoir perdu. Le passionnant Instructions au cuisinier zen, de Dôgen - qui nous apprend (avec Bouddha) à regarder un simple légume comme un être de respect. Et le grand classique Tao-tö-king, de Lao-tseu, livre sacré des deux grands V : la Voie et la Vertu.

  • Marceline Desbordes-Valmore

    images.jpegChacun connaît au moins le si poignant poème Les Séparés, grâce à l'adaptation (chantée), assez réussie, qu'en a donné Julien Clerc : 

    N’écris pas. Je suis triste, et je voudrais m’éteindre.
    Les beaux étés sans toi, c’est la nuit sans flambeau.
    J’ai refermé mes bras qui ne peuvent t’atteindre,
    Et frapper à mon cœur, c’est frapper au tombeau.
    N’écris pas !

    N’écris pas. N’apprenons qu’à mourir à nous-mêmes.
    Ne demande qu’à Dieu... qu’à toi, si je t’aimais !
    Au fond de ton absence écouter que tu m’aimes,
    C’est entendre le ciel sans y monter jamais.
    N’écris pas !

    N’écris pas. Je te crains ; j’ai peur de ma mémoire ;
    Elle a gardé ta voix qui m’appelle souvent.
    Ne montre pas l’eau vive à qui ne peut la boire.
    Une chère écriture est un portrait vivant.
    N’écris pas !

    N’écris pas ces doux mots que je n’ose plus lire :
    Il semble que ta voix les répand sur mon cœur ;
    Que je les vois brûler à travers ton sourire ;
    Il semble qu’un baiser les empreint sur mon cœur.
    N’écris pas !

    Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859), est une poétesse romantique à laquelle nombre de ses pairs ont voué un véritable culte... ambigu. Et qui perdure, car si Lamartine lui consacre un poème en 1831, la romancière Anne Plantagenet en fait un personnage de roman, avec Seule au rendez-vous en 2005. D'abord, c'est une femme qui écrit, qui défie en quelque sorte, à l'époque encore, et qui enfonce le clou en affirmant sa conscience de femme de lettres qui dérange. L'admiration est franche, mais elle souligne chaque fois la noirceur de l'oeuvre comme un fer, une indélébile marque de fabrique. Lucien Descaves la surnomme Notre-Dame des Pleurs, Stefan Zweig l'appelle Mater Dolorosa, Franz Liszt dit d'elle : elle est la femme de ses oeuvres, un pleur vivant, causant et marchant. La vie de Marceline n'est pas un conte de fées, et ceci explique en partie cela (Lucien Descaves la surnommera aussi la prolétaire des lettres). Alors, pour mieux comprendre une oeuvre poétique dense et d'une sensibilité d'écorchée que traduit toujours le vers qui fait mouche, et qui nous touche ne serait-ce que par le bout d'un seul poème, rien ne vaut un petit folioplus classiques (Gallimard). Celui-ci (concocté par Virginie Belgazou et Valérie Lagier), est intensément lumineux, tant il est éclairant. Autant sur l'auteur (la femme), que sur l'oeuvre, ou bien sur l'époque et le mouvement romantique. Nous comprenons ainsi la méfiance teintée de misogynie des poètes mâles, puis l'admiration valmorienne générale... Posthume, comme souvent. L'anthologie des poèmes est enfin judicieuse, si nous la comparons à l'oeuvre publiée en Poésie/Gallimard. Chaque volume de cette collection propose une lecture d'image, écho pictural de l'oeuvre analysée, en l'occurrence il s'agit de L'Âme de la rose, peinture de John William Waterhouse. L'éditeur précise que l'ouvrage est recommandé pour les classes de lycée : ça fait du bien de rajeunir!.. L.M.

  • Jaccottet lecteur

     

     

    téléchargement (1).jpegtéléchargement.jpegDu grand Philippe Jaccottet, désormais pléiadisé, la collection Poésie/Gallimard reprend deux volumes de critiques : L'entretien des muses, chroniques de poésie (1955-1966), et Une transaction secrète, Lectures de poésie (1954-1986). C'est le bonheur de retrouver tant de poètes classiques et contemporains, à travers le prisme d'un grand lecteur à l'acuité frappante, et à l'analyse acérée. Ce sont des lectures toniques (souvent parues ne revue, notamment la nrf), d'un poète sachant garder ses distances avec chacun de ses alliés substantiels, aurait dit René Char. Friedrich Hölderlin, Rainer Maria Rilke, Giuseppe Ungaretti, lui sont des compagnons fidèles, autant que les Francis Ponge, Yves Bonnefoy et autres André du Bouchet et Jacques Dupin, car Jaccottet a traduit les premiers, et connu les seconds. L'auteur ouvre des horizons, ne pratique pas la critique pour elle-même, mais plutôt la lecture enthousiaste et néanmoins méticuleuse, pour "donner à découvrir", pour présenter, tirer la manche du lecteur. C'est un passeur de poètes. Et ses deux recueils donnent par ailleurs envie de reprendre l'oeuvre méconnue, ou en voie d'oubli, des Alain Borne, Armen Lubin, ou Gustave Roud. Et de replonger avec délice et gourmandise dans Pierre-Jean Jouve, Novalis, Saint-John Perse, Jules Supervielle, et pourquoi pas Gongora et Maurice Scève!  L.M.

  • Ré-aimer la France

    téléchargement.jpegUne balle de kalachnikov a stoppé net le talent protéiforme de Bernard Maris, le 7 janvier dernier, au cours d’une réunion de rédaction dans les locaux de Charlie-Hebdo, à Paris. Je ne ferai donc pas de dessin. L’auteur avait déposé cinq jours plus tôt chez Grasset le manuscrit de Et si on aimait la France. Cette déclaration d’amour à un bouquet de valeurs en danger, va passer pour passéiste et réactionnaire, aux yeux plissés des esprits chagrins. C’est pourtant, entre le Dictionnaire amoureux de la France, de Denis Tillinac (Plon), et De chez nous, de Christian Authier (Stock) – mais beaucoup plus proche du second que du premier -, d’une ode vivifiante, et propre à déculpabiliser tous ceux qui s’arrangent tant bien que mal avec leur mauvaise conscience en entretenant leur bonne (conscience) à coups de repentance, qu’il s’agit. C’est aussi un élégant coup de poing sur la table, à l’adresse du « French bashing », ce nouveau sport pratiqué surtout par les Français eux-mêmes. Ces citoyens de plus en plus portés sur l’auto-flagellation, passionnés qu’ils sont devenus par l’expiation de fautes qu’ils finissent par s’inventer ou à amplifier, tous les accrocs au prolongement de la peine, soucieux de faire durer le purgatoire ad nauseam. L'après décolonisation a encore de beaux jours devant elle. Les idées du Alain Finkielkraut de L’identité malheureuse ne sont pas éloignées de celles de l’économiste sensible, cultivé, en un mot charmant, que fut Bernard Maris.  Le dessein de son ultime livre est de tenter de redonner le sourire aux habitants de ce pays multiculturel, cette terre des Lumières et des Droits de l’homme, et dont la langue se délite, ce « pays ou Dieu est heureux », mais où l’antiracisme fait les ravages que l’on sait. Maris a écrit ce bouquin pour les désespérés drôles : les Houellebecq, Cabu, et tous les fils de Cioran et de Reiser. Le temps de cet essai libre et enchanté, il est parti tendrement en guerre contre ceux qui parlent de la France comme d’un rhumatisme, d’un mal au dos qui ne passe pas - et qui ne passera de toute façon jamais. Contre les pessimistes, les grincheux, les « aquoibonistes » et autres apôtres passifs du c'était mieux avant. Afin de redonner confiance à ceux qui n’osent même plus murmurer qu’ils aiment leur pays, il cite – c’est de saison -, les Jean Zay, Guy Môquet, Germaine Tillion, Daniel Cordier, Honoré d’Estienne d’Orves, Henry Frenay, de Lattre de Tassigny, Pierre Mendès-France, et autres membres de l’armée des ombres. Pas de Sartre, ici, « le faux résistant, le planqué de l’Occupation », mais le Camus de Combat, oui. Bernard Maris remet à l’heure ces pendules qui ont tendance à se dérégler de façon… chronique. Amoureux de la langue française comme pas deux, « Oncle Bernard » (son surnom, et son pseudo, à Charlie-Hebdo) approuve le mot de Cioran : « Mourir pour une virgule », et déplore un pays où l’on capitule facilement, et où l’on ne résiste pas longtemps. Les pages les plus sensibles du livre, sont celles rappelant que la France a inventé l’amour courtois et la galanterie. Les troubadours ont, en effet, poétiquement exacerbé le désir, en respectant toujours de façon absolue le bon vouloir de la femme et l’autorité de son corps – ce n’est pas rien, lorsque l’on songe au contrôle de soi, tel qu’il est (mal) vécu dans la religion musulmane. « La civilisation commence lorsque l’homme domine ses pulsions », écrit Maris, et « quand les mâles voient autre chose dans un femme qu’un objet sexuel ». A l’opposé de la galanterie, se situe « le respect, mot employé à tort et à travers par la racaille et les crétins », souligne l’auteur, non sans redonner ses lettres de noblesse au respect, le vrai, montrant du doigt la marée montante de l’irrespect, qui envahit notre quotidien. « La civilisation commence avec la politesse, la politesse avec la discrétion, la retenue, le silence et le sourire sur le visage. » La France n’est-elle pas le pays du culte du respect de la population féminine, et celui qui a inventé celui de l’enfant ? Avec Maris, nous flirtons alors avec la délicatesse de Proust, nous nous moquons des bobos qui sont finalement des caricatures de bourgeois assez peu bohème (lire à ce sujet Tombeau pour une touriste innocente, du regretté Philippe Murray, recommande Maris), nous réapprenons (sans aucun accent bucolique oiseux), la simplicité des paysans, cette classe sociale – le « secteur primaire » en voie de disparition, nous n’oublions pas que la lutte des classes se transforme (démographie et crise obligent) en lutte des places (le mot est de Michel Lussault, auteur de De la lutte des classes à la lutte des places, Grasset), nous savons – et  il nous est personnellement cruel de devoir nous en convaincre – que la gauche que nous aimons n’existe plus, que l’actuelle, insipide et pleutre (c’est moi qui souligne), a préféré fuir les problèmes cruciaux comme celui des banlieues et autres zones dangereuses, au lieu de les affronter avec courage. Maris agite alors le spectre terrifiant d’une forme aiguë de séparatisme, ce que Finkielkraut nomme l’échec du « vivre-ensemble », corollaire de la déliquescence du savoir-vivre (évoqué plus haut à propos de galanterie et de respect vrai), et en compagnie de l’auteur, nous nous souvenons, avec le philosophe Alain, que « le plus visible de l’homme juste et de ne point vouloir gouverner les autres ». Dans un monde de brutes, de requins, d’arrivistes (en économie comme en politique), prêts à piétiner jusqu’à leur mère pour conquérir une parcelle de pouvoir, dans ce monde ou le warrior, comme disent les adolescents, est icônisé, il est par conséquent salutaire, et apaisant, de lire Bernard Maris. Essai buissonnier, Et si on aimait la France redonne par ailleurs envie de parcourir la ville à pied, et la province en vélo, ou bien en voiture, mais slowly et vitres baissées. Julien Gracq : « Habiter une ville, c’est y tisser par ses allées et venues journalières un lacis de parcours ». Car il s’agit en quelque sorte de réapprendre la France, de se la réapproprier, de la « désinquiéter ». Le message en forme de testament de Bernard Maris sonne juste. Il exprime, en toute simplicité, la sincérité d’un homme de bien, à l’intelligence suraiguë (perchée à des années lumière, et des Bisounours, et des défaitistes), la vérité d’un homme optimiste mais pas candide, lucide et ennemi du give up, un homme qui souhaitait juste retrouver le sourire sur les lèvres des autres. Juste ça. Au lieu de quoi, le 7 janvier dernier… L.M.

  • « Adieu, vive clarté de nos étés trop courts »

     

    téléchargement (1).jpegVoilà un vers de Baudelaire qui aurait pu faire le bandeau de couverture de cette longue lettre d’amour fou, si le mot adieu n’était pas déjà contenu dans un titre à rendre jaloux nombre de romanciers. Adieu aux espadrilles (*), du délicat Arnaud Le Guern, est un roman à peine fictif (même les noms des chats, Pablo et Malcolm, sont vrais), très Nouvelle Vague, très morandien – mais sans la vitesse, et avec une touche du Henry Jean-Marie Levet des Cartes Postales. Entre les pages de ce livre, nous (res) sentons ce parfum sentimental, précieux et  léger comme la rosée du matin, l’été, au bord de la piscine, lorsqu’on s’est levé avant elle en prenant soin de ne pas la réveiller, pour aller fumer la première cigarette, tout en respirant les parfums tiédis du figuier à l’ombre bienfaisante; sous le soleil exactement. Arnaud Le Guern aime une femme, les actrices aussi, sa fille Louise surtout, l’insouciance, et les mots avec une gourmandise hussarde. Cette longue adresse est un joli pied-de-nez à la génération sms, qui dit avec tact et tendresse ce qu’aimer avec pureté veut dire. Le couple fait l’amour, se taquine sans jamais se griffer, les draps froissent, les jours passent, l’oisiveté chante sur la terrasse, les peaux se suffisent à elles-mêmes, les souvenirs affluent et repartent d’un revers de sa main à elle, afin d’empêcher toute nostalgie de surgir, et continuer de manger le présent à pleine bouche, comme on plante ses dents dans la peau duveteuse et craquante d’une pêche. Nous sommes dans Slogan, avec Birkin et Gainsbourg, nous feuilletons la sensualité pudique du Claire de Chardonne. Le couple est à des années lumière de Paris et son spectre de « rentrée » automnale. Les amoureux sacrifient avec délice au rite de l’apérotique : ils « apérotisent », dégustent un anjou de Mosse ou un rosé de Bandol, avant de s’entre-goûter. Ils ont le talent de savoir prendre le temps, mais avec Le Guern, le temps compte, se cueille, il frappe aux tempes du narrateur, et celui-ci a la délicatesse de ne jamais faire sentir le vertige de sa fuite. L’été est encore là, mais les saisons sont comme les coquelicots qui fanent dès qu’on les dépose sur le skai brûlant de la plage arrière du cabriolet. C’est « la vie comme à Lausanne » en plus souple, car « les espadrilles sont mes semelles de vent », écrit l’auteur. Jamais l’urgence n’ouvre ses yeux noirs, sauf peut-être sous le gouvernement du désir, et pourtant il plane comme une épée de Damoclès au-dessus de cette chambre d’hôtel. Qu’importe ! Les amants sont des aveugles. « Enlacés, nous laissons infuser une unique certitude : l’été, c’est l’amour une fin d’après-midi, au retour de la plage, nos corps fatigués de n’avoir rien fait, sinon nager, lire et bronzer ». Et c’est ainsi qu’Arnaud est grand. Léon Mazzella

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    (*) Le Rocher, en librairie fin août (c'est raccord!).

     

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  • Camorra sur Garonne

    Au cœur de la « mafia » bordelaise 

    téléchargement.jpegLoin d’être un brûlot à charge, comme celui qui irrita nombre de propriétaires bordelais, et qu'écrivit Isabelle Saporta (Vino business), l’enquête de Benoist Simmat, journaliste économique est un réel travail d’investigation au cœur de la Bordeaux Connection (*), soit au cœur de la « mafia » des grands crus girondins. L’auteur ouvre la boîte de Pandore en démontant pièce par pièce, après l’avoir pénétré et analysé dans les moindres recoins, un système fonctionnant en vase clos, véritable microcosme de propriétaires de châteaux, négociants, courtiers et autres acteurs-clés, devenus richissimes en sachant imposer avec maestria, et au monde entier, leurs règles en matière de goût, de prix, de marché, comme autant de lois émanant de leurs Ordres à caractère maçonnique, que sont les grandes confréries du « milieu », comme la Commanderie du Bontemps (Médoc, Graves, etc.), et l’Union (des grands crus). Car celles-ci fonctionnent, selon l’auteur, comme les plus belles machines à écouler les grands crus à l’exportation. Ainsi décrit-il comment les acteurs de cette caste ont par exemple vampirisé le marché chinois, aveuglé à coups d’intronisations et de fastueux dîners de gala à l’adresse de nombreux nouveaux multimillionnaires déjà hypnotisés par la culture française, et ont orchestré, de façon artificielle, l’extraordinaire valorisation des grands bordeaux en une poignée d’années. Les pages consacrées au « hold-up des primeurs » par les dégustations « avant-primeurs », et réservées aux membres – très influents sur les marchés -, de « l’Union », sont particulièrement savoureuses. Désignant ces « barons » de la Bordeaux Connection, que sont les Cruse, Castéja, Lurton, Mähler-Besse, Miailhe, de Boüard, Bernard, Pontallier, et une poignée d’autres seigneurs en leurs fiefs, sans oublier le clan des winemakers, Simmat note que, « tous, à leur corps défendant ou non, ont constitué depuis quelques décennies une nouvelle aristocratie des affaires aux codes centrés sur le commerce d’un ancien produit plaisir, les bouteilles de vin de bons Bordeaux, devenus des marques de luxe catapultées dans la compétition économique globale. » Qui l’eut (grand) cru, il y a vingt ans ? Cependant, devant le pschitt de la bulle chinoise auquel nous assistons, l’auteur s’interroge sur l’avenir de ces fantastiques débouchés pour l’élite de l’étiquette (notamment le club très fermé des « Premiers »), devenue spécialiste des magouilles complexes et opaques, sans s’inquiéter outre-mesure : les « têtes chercheuses » du lobby lorgnent déjà vers d’autres horizons, où se trouvent les puissances de demain, du Mexique au Nigeria. L’enquête, avant tout passionnante, est solide, émaillée de très nombreux faits et dires, chiffres et anecdotes révélatrices, mais son titre est racoleur. Il n’y a pas eu mort d’homme. Alors, de là parler de mafia, et donc de méthodes mafieuses… Certes, il y a des parrains. Mais Bordeaux n’est pas Naples, ni Chicago. L.M.

    Capture d’écran 2015-06-07 à 11.47.05.png

     

    (*) Bordeaux connection, par Benoist Simmat (First).

    Texte paru (dans une version raccourcie) dans le n° Spécial Vins de L'EXPRESS du 3 juin dernier.

  • J'avais fini par oublier ça, Hiroshima mon amour

    téléchargement.jpegCliquez, puis lisez : 

    https://www.youtube.com/watch?v=-aqFjWz41c0

    Je te rencontre.
    Je me souviens de toi.
    Qui est tu ?
    Tu me tues.
    Tu me fais du bien.
    Comment me serais je doutée que cette ville était faite à la taille de l´amour ?
    Comment me serais je doutée que tu étais fait à la taille de mon corps même?
    Tu me plais. Quel événement. Tu me plais.
    Quelle lenteur tout à coup.
    Quelle douceur.
    Tu ne peux pas savoir.
    Tu me tues.
    Tu me fais du bien.
    Tu me fais du bien.
    J'ai le temps.
    Je t'en prie.
    Dévore-moi.
    Déforme-moi jusqu'à la laideur.
    Pourquoi pas toi ?
    Pourquoi pas toi dans cette ville et dans cette nuit pareille aux autres au point de s'y méprendre ?
    Je t'en prie…

     

    images.jpegCliquez à nouveau, puis lisez : 

    https://www.youtube.com/watch?v=oPONf1fu2II

    Je te rencontre.

    Je me souviens de toi.

    Cette ville était faite à la taille de l´amour.
    Tu étais fait à la taille de mon corps même.
    Qui est tu ?
    Tu me tues.
    J´avais faim. Faim d'infidélités, d´adultères, de mensonges et de mourir.
    Depuis toujours.
    Je me doutais bien qu'un jour tu me tomberais dessus.
    Je t'attendais dans une impatience sans borne, calme.
    Dévore-moi. Déforme-moi à ton image afin qu'aucun autre, après toi, ne comprenne plus du tout le pourquoi de tant de désir.
    Nous allons rester seuls, mon amour.
    La nuit ne va pas finir.
    Le jour ne se lèvera plus sur personne.
    Jamais. Jamais plus. Enfin.
    Tu me tues.
    Tu me fais du bien.
    Nous pleurerons le jour défunt avec conscience et bonne volonté.
    Nous aurons plus rien d'autre à faire que, plus rien que pleurer le jour défunt.
    Du temps passera. Du temps seulement.
    Et du temps va venir.
    Du temps viendra. Où nous ne saurons plus nommer ce qui nous unira. Le nom ne s'en effacera peu à peu de notre mémoire.
    Puis, il disparaîtra tout à fait.

    © Marguerite Duras, Alain Resnais.

  • Résister

    Texte paru dans le hors-série La Résistance, de L'EXPRESS, actuellement en kiosque. Cours chez ton marchand de journaux, citoyen papivore, et avide de la belle Histoire de France, afin que vive la presse écrite!

    Capture d’écran 2015-05-07 à 20.32.41.png

    QUELQUES RÉSISTANTS ILLUSTRES,

    par Léon Mazzella

    Quatre d’entre eux sont entrés au Panthéon le 27 mai dernier : Germaine Tillion, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Pierre Brossolette et Jean Zay. Beaucoup furent de « grand(e)s » résistant(e)s. Voici, dressés, les portraits d’une poignée de respect.

     

     

    Geneviève de Gaulle-Anthonioz, « Gallia » (1920-2002)

    Nièce du général (elle est la fille de Xavier, le frère aîné), Geneviève de Gaulle, entre immédiatement en Résistance en 1940, choquée par le discours de Pétain du 17 juin. Elle n’a pas vingt ans. Elle ne résiste pas longtemps de façon isolée, à Rennes où elle poursuit ses études, et rejoint rapidement le futur Réseau du musée de l’Homme. Elle entre dans la clandestinité dès août 1942. Ses nombreux actes de bravoure la conduisent à acheminer du courrier en Espagne, et surtout à agir au sein du groupe Défense de la France (elle participera au journal éponyme, en signant des articles de son pseudonyme « Gallia »), aux côtés de Philippe Viannay, son fondateur, après avoir rencontré son frère Hubert dans le maquis savoyard. Mais Geneviève de Gaulle est confondue par la Gestapo en juillet 1943, est alors emprisonnée six mois durant à Fresnes, puis déportée à Ravensbrück en février 1944, en même temps que Germaine Tillion et un millier d’autres femmes résistantes ou seulement suspectes. Elle écrira La Traversée de la nuit (Seuil, 1998), pour apporter son témoignage sur l’horreur du camp - où les femmes la surnomment « le petit de Gaulle » -. Himmler lui-même veille particulièrement, de façon tactique, à cette prisonnière qui pourrait bien constituer une monnaie d’échange… Elle parvient néanmoins à quitter Ravensbrück une année après son arrivée, lorsque l’Armée rouge le libère. A la Libération, elle épouse l’éditeur d’art Bernard Anthonioz, préside l’Association nationale des anciennes déportées et internées de la Résistance (ADIR), et prend, en 1964, la présidence de Aide à toute détresse (ATD-Quart Monde).

     

    Germaine Tillion (1907-2008)

    La grande ethnologue, célèbre pour ses travaux de terrain dans les Aurès (Algérie), et qui entre au Panthéon en ce mois de mai 2015, cherche un moyen de s’engager dans la Résistance dès son retour de mission chez les Chaouia, en juin 1940. C’est naturellement le groupe du musée de l’Homme qu’elle rejoint, et où elle tissera des liens et facilitera des contacts entre résistants. Le futur « Réseau » du musée de l’Homme, animé par Boris Vildé, Paul Hauet, Paul Rivet, Anatole Lewitsky, Charles Dutheil, et Yvonne Odon, connaît rapidement les bienfaits de l’action de l’ethnologue. Lorsque le Réseau est « décapité », suite à une délation, Germaine Tillion reprend les rênes du groupe du musée en y développant ce qu’elle sait faire le mieux : l’assistance aux prisonniers de guerre, le renseignement militaire, l’information et la multiplication des contacts entre Londres et « l’intérieur », via notamment le journal Résistance. Dénoncée à son tour, elle est arrêtée par l’Abwehr, connaît la prison de Fresnes quatorze mois durant, avant d’être déportée en octobre 1943 au camp de concentration réservé aux femmes de Ravensbrück, revêtue du sinistre statut de « NN », pour Nacht und Nebel (Nuit et Brouillard), qui désigne des personnalités gênantes pour le Reich, et que celui-ci se charge de faire disparaître. C’est à Ravensbrück qu’elle rencontre Geneviève de Gaulle, ainsi que d’autres femmes rendues célèbres par leur action durant la Résistance, comme Anise Postel-Vinay, Marie-Jo Chombart de Lauwe, Denise Jacob (Denise Jacob-Vernay, sœur de Simone Veil), ou bien pour leur activisme communiste, ainsi de l’écrivaine allemande Margarete Buber-Neumann. Elle parvient le 23 avril 1945, à échapper à l’extermination programmée du camp et l’acheminement à Mauthausen. A la Libération, Germaine Tillion laisse provisoirement de côté l’ethnologie afin de se consacrer à l’étude des crimes de guerre nazis, au sein du CNRS.

     

    Jean Zay (1904-1944)         

    Avocat inscrit au barreau d’Orléans, et homme politique – il fut ministre du Front populaire, et député du Loiret -, assassiné par la Milice le 20 juin 1944, Jean Zay démissionne de ses fonctions publiques à la déclaration de guerre, en 1939, afin de servir son pays les armes à la main. Ce « rad-soc » (radical-socialiste) franc-maçon tombé très tôt dans la marmite politique, est un « Jeune Turc » actif faisant cependant figure de cavalier seul de la Résistance, au point d’avoir été seulement réhabilité en cette qualité, quatre ans après la Libération. Son nom est associé à l’affaire du Massilia. La débâcle le pousse à rejoindre ses pairs députés à Bordeaux, où gouvernement et Parlement sont provisoirement installés. Paris a été livrée aux forces d’Occupation. Proche de Pierre Mendès France, il embarque le 24 juin 1940 à bord du paquebot Massilia depuis le port médocain du Verdon, avec vingt-cinq autres parlementaires, dont Edouard Daladier et Georges Mandel, pour Casablanca, avec la ferme intention d’y installer un gouvernement français « hors-sol », et de continuer ainsi le combat. Retenus par un grève, les dissidents n’assistent pas à la prise des pleins pouvoirs de Pétain et à la fin de la IIIe République. Cet acte de « désertion en présence de  l’ennemi » vaut à Jean Zay d’être aussitôt fiché comme un « juif anti-munichois » à réduire coûte que coûte au silence… Des relents d’affaire Dreyfus bis flottent dans l’air vichyssois. Tandis que Mendès et les autres écopent de peines de prison, Zay constitue la cible antisémite idéale. Le sinistre Darnand dépêchera bientôt trois miliciens déguisés en résistants, pour l’assassiner dans un bois, en simulant un transfert de la prison de Riom (où il côtoie Léon Blum), vers le maquis. Le « déserteur », réhabilité en 1945, entrera au Panthéon le 27 mai prochain comme un grand Homme.

     

    Henri Tanguy, « Colonel Rol-Tanguy » (1908-2002)

    Militant communiste depuis l’âge de 17 ans, Rol-Tanguy est surtout célèbre pour avoir ardemment participé à la libération de Paris jusqu’à l’arrivée triomphante du Général Leclerc. Il se choisit le surnom de « Rol » en mémoire de Théo Rol, combattant des Brigades internationales qui trouva la mort sur le front de l’Ebre, en Espagne. Car, jeune ouvrier chez Bréguet à Montrouge, en région parisienne, Tanguy s’engage dans les Brigades internationales au cours de la guerre civile d’Espagne. Puis, il combat en Lorraine de septembre 1939 à août 1940. Aussitôt après sa démobilisation, il embrasse la Résistance communiste armée au sein des Francs-tireurs partisans (FTP), en qualité de responsable militaire. Il agit tour à tour en Anjou, puis en région parisienne. C’est là qu’il sabotera notamment les départs au STO par son action avec ses camarades du Comité d’action contre la déportation. Il devient par la suite chef des Forces françaises de l’intérieur (FFI) de la région Île-de-France, où il est chargé de préparer la libération de la capitale. C’est à ce moment-là qu’il rencontre Jacques Chaban-Delmas, le délégué militaire national de De Gaulle, et qui représente le Comité français de libération nationale (CFLN). Une action concertée de grande envergure commence à s’organiser conjointement avec le Comité d’action militaire (COMAC) du Conseil national de la résistance. Rol-Tanguy jouera un rôle décisif dans les journées de la fin du mois d’août 1944, en particulier auprès des policiers résistants. Il est reconnu comme ayant été le « chef de l’insurrection ». Sa signature sur l’acte de reddition des Allemands, en présence du général Von Choltitz, contestée par Leclerc, ne figure pas sur l’acte officiel. Il poursuivra une carrière militaire de 1945 à 1962, mais ses convictions communistes freineront quelque peu son avancement.

     

    Henri Frenay, « Morin », « Molin », « Charvet », « Nef » (1905-1988)

    C’est l’un des hommes-clés de la Résistance, côté droite, voire extrême-droite. Il fonde fin 1941, avec Berty Albrecht rencontrée sept ans plus tôt, le mouvement Combat, qui entend confondre toutes les sensibilités politiques afin d’être uni face à l’occupant. Combat, « organe du mouvement de la Résistance française », succède à diverses tentatives, comme celles du Mouvement de libération nationale (MLN), puis du Mouvement de libération française (MLF).  Démobilisé après la drôle de guerre, il entre tôt dans la clandestinité et change souvent de pseudo afin d’échapper à l’étau de la Gestapo. Il est l’un des artisans de la réunification des mouvements de la Résistance, comme Franc-Tireur, animé par Jean-Pierre Lévy, et Libération, d’Emmanuel d’Astier de La Vigerie. Il rencontre Jean Moulin dès 1941, reconnaît de Gaulle comme leur guide, depuis Londres. La réunification de ces entités porte un nom, le MUR, pour Mouvements unis de la Résistance. Lequel se fissure vite, Frenay souhaitant sans l’avouer l’indépendance de « son » Combat. Les relations se tendent avec Moulin, qu’il admire pourtant pour son courage et sa dévotion. En 1942, Frenay s’embarque depuis Gibraltar pour Londres, afin de rencontrer de Gaulle, qui l’apaise, mais se méfie de lui et lui préfère Moulin. Berty Albrecht – qui fut la première à ouvrir les yeux de Frenay sur lel danger nazi -, est retrouvée pendue dans sa cellule, à Fresnes, en mai 1943, le jour même de son emprisonnement. Frenay a de l’ambition, mais, en 1944, il échoue à se voir gratifié d’un poste à responsabilité au sein du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF). L’homme, marqué à la droite extrême, effectue alors un virage – qui tournera court - en se rapprochant de la jeune Union démocratique et socialiste de la Résistance, et donc de François Mitterrand. Il reproche amèrement à Jean Moulin d’avoir fait main basse sur la Résistance, avec l’éphémère CNR. Ces querelles intestines et ses rancoeurs d’hommes avides de pouvoir, ternissent quelque peu son image de « grand résistant » au-dessus de la mêlée.

     

    Gilbert Renault, « Colonel Rémy » (1904-1984)

    Son nom de résistant est associé à un important réseau de la zone occupée, la Confrérie Notre-Dame, rebaptisé plus tard CND-Castille (Confrérie Notre-Dame-Castille). Très tôt en rupture lucide avec l’armistice, il est l’un des premiers à effectuer le voyage à Londres. Chargé par le colonel Passy d’animer un réseau de renseignements en France, il créé ainsi, avec Louis de La Bardonnie, dès août 1940, l’un des premiers réseaux importants du Bureau central de renseignements et d’action (BCRA), la Confrérie Notre-Dame (non sans penser placer son action sous protection divine). Le réseau clandestin qui fournira de nombreux renseignements militaires d’importance capitale, voit le jour chez La Bardonnie, alors viticulteur à Saint-Antoine-du-Breuilh (Dordogne). Pierre Brossolette aidera considérablement le colonel Rémy à rallier syndicats et partis politiques (communiste, notamment) à la cause. Claude Chabrol réalisa en 1966 un film à partir des mémoires de Gilbert Renault, signées Rémy, dans lesquelles le grand agent secret n’hésite pas à « pardonner » Pétain, ce qui lui vaut, dès la Libération, d’être lâché par de Gaulle, qui l’a néanmoins fait Compagnon de la Libération en 1942. Renault, alias Rémy, écrira par la suite de nombreux livres sur les années noires de l’Occupation.

     

    Jacques « Chaban » -Delmas (1915-2000)

    C’est à Saint-Léon-sur-Vezère, village du Périgord noir, que se trouve le château de Chaban. Il n’a jamais appartenu à l’illustre député-maire de Bordeaux durant 48 ans (surnommé « le duc d’Aquitaine »), cinq fois ministre et même Premier ministre (sous Pompidou), et enfin trois fois Président de l’Assemblé nationale. Cependant, Jacques Delmas, se promenant en 1943 dans la région, lut le nom sur un panneau et le choisit comme nom définitif de résistant, après avoir eu celui de Lakanal (du nom du lycée de Sceaux où il étudia). Il le garda par la suite, tant et si bien que l’homme politique est surtout connu par ce raccourci de son patronyme : Chaban. En juin 1940, Jacques Delmas, sorti major de Saint-Cyr, et en poste dans la région de Nice en qualité de sous-lieutenant, supporte si peu l’idée de la défaite qu’il entre en contact avec la Résistance dès le mois de décembre. Bien qu’il souhaite ardemment rejoindre la France libre, il est affecté à la Résistance intérieure, en intégrant les rangs du Comité financier de la Résistance (COFI). C’est en tant que haut-fonctionnaire (il a fait droit et Sciences po avant Saint-Cyr), qu’il travaille auprès du Ministre de la Production industrielle (du second gouvernement de Pierre Laval), et n’a de cesse d’alimenter la France libre en informations précieuses d’ordre économique, via le réseau de renseignements « Hector ». Le futur compagnon de la Libération qui jouera un rôle central au moment de la libération de Paris, devient vite, et sur recommandation appuyée auprès du général de Gaulle – dont il deviendra un fidèle et proche collaborateur -, le plus jeune général (de brigade) de l’armée française depuis le Premier empire, ce en 1944 et à l’âge de 29 ans, après avoir été nommé délégué militaire national.


    Jean-Louis Crémieux « Brilhac » (1917-2015)

    Mort le 8 avril dernier à l’âge de 98 ans, il fut responsable de la communication de la France libre : tour à tour secrétaire du Comité exécutif de propagande, et chef du service de diffusion clandestine de la France libre, il prendra fréquemment la parole au micro de Radio Londres, de 1941 à 1944. Mobilisé en 1939, il part combattre sur la ligne Maginot,  est prisonnier durant un an et demi en Allemagne, s’évade d’un stalag de Poméranie, fuit en URSS, où il connaît encore la prison, puis il est libéré en juin 1941 lorsque la France libre et l’Union soviétique deviennent alliés. Il rallie Londres en septembre de la même année, et Jean-Louis Crémieux (neveu du critique littéraire Benjamin Crémieux), prend alors le pseudonyme de Brilhac, qu’il conservera, en s’engageant dans les Forces françaises libres, les FFL. Historien de référence de la seconde guerre mondiale, auteur (une fois prise sa retraite) de nombreux ouvrages, notamment Ici Londres. Les Voix de la liberté (La Documentation française), Les Français de l’an 40, ou encore La France libre. De l’appel du 18 juin à la Libération (Gallimard). Crémieux-Brilhac a également cofondé la Documentation française, qu’il dirigea. Grand-croix de la Légion d’honneur, fut enfin conseiller d’Etat.

     

    Joseph Kessel, « Joseph Pascal » (1898-1979)

     Son neveu se nomme Maurice Druon, et à eux deux, à la demande de Germaine Sablon, amante de Kessel et chanteuse de son état, ils composent dans un pub londonien « Le Chant des partisans » le 23 mai 1943, sur une musique composée par Anna Marly. On connaît la suite : cette mélodie chante dans nos oreilles en générant toujours autant d’émotion ; aujourd’hui. L’auteur de « L’armée des ombres » (dont Jean-Pierre Melville fera une poignante adaptation cinématographique), est Résistant dans l’âme. Allergique au fascisme comme au communisme, il devient au fil du temps le grand reporter et le romancier de talent que nous savons.  Après avoir refusé de rejoindre le mouvement Libération, malgré l’insistance d’Emmanuel d’Astier de La Vigerie, il choisit de rejoindre le réseau Carte, ce peu après l’armistice, car Maurice Druon s’y trouve aussi. Ensemble, ils iront à Londres et s’engageront dans les Forces aériennes françaises libres (FAFL), l’armée de l’air de la France libre, affiliée à la Royal Air Force (RAF), et où l’on trouve Romain Gary, Pierre Clostermann, ou encore Pierre Mendès France. Juif, il se voit interdire d’exercer sa profession de journaliste, notamment à Paris-Soir. Il publiera néanmoins ses reportages à chaud, dans France, journal anglais de la communauté française. Une autre façon de résister.

     

    Missak Manouchian (1906-1944)

    Il est le plus célèbre des dix résistants communistes d’origine étrangère qui figurent sur la fameuse « Affiche rouge », que les Allemands avaient collée un peu partout sur les murs des grandes villes françaises. Le poète arménien Manouchian (rescapé du génocide organisé par l’Empire ottoman), doit apparaître avec ses camarades comme de dangereux terroristes bolcheviques, afin de jeter l’anathème sur la Résistance. Du moins, c’est ce que la propagande nazie espère. L’effet escompté est l’inverse. Militant et directeur, avant la seconde guerre, d’organisations liées au communisme, comme le Comité de secours pour l’Arménie (HOC), puis l’Union populaire franco-arménienne, ainsi que la Main d’œuvre immigrée (MOI). C’est au sein des Francs-tireurs et partisans français (FTPF), liés au PCF, que nous le retrouvons, puis aux FTP-MOI, branche étrangère (armée) des FTP. Il pilote de nombreuses opérations de sabotage et des attentats, notamment celui qui coûta la vie, en 1943, au général Julius Ritter, responsable du recrutement pour le STO. Les Brigades spéciales de la police française arrêtent Manouchian en novembre de la même année. Il est torturé. Son procès, expéditif, le condamne à mort. Avec vingt et un autres militants, Manouchian, est fusillé le 21 février 1944 au Mont-Valérien.

     

    IMG_3511.jpgRené Char, « Capitaine Alexandre » (1907-1988)

    Nombreux sont les écrivains et artistes qui rejoignent la Résistance. S’il ne faut retenir qu’un seul poète parmi eux, emblématique, c’est l’immense poète René Char que nous consignons dans ces pages. Responsable du maquis de la Durance, basé à Céreste (Alpes-de-Hautes-Provence), il y écrira, « dans la tension, la colère, la peur, l’émulation, le dégoût, la ruse, le recueillement furtif, l’illusion de l’avenir, l’amitié, l’amour », les Feuillets d’Hypnos, 1943-1944 (Gallimard), ses notes de maquis dédiées à son ami Albert Camus, qui est alors l’âme du journal Combat, et qui constituent un recueil de fragments en prose poétique, rédigés entre « fureur et mystère ». Un classique des temps modernes. « Ces notes marquent la résistance d’un humanisme conscient de ses devoirs, discret sur ses vertus (…) et décidé à payer le prix pour cela », déclare-t-il. En magicien de l’insécurité, Char se livrera à de multiples sabotages d’envergure, au sein des Forces françaises combattantes (FFC), ainsi qu’à la protection de tous ceux qui fuient le STO dans sa région d’influence. Rebelle et intégralement engagé dans l’action, le poète à la sérénité crispée rejoint Alger, où l’état-major interallié l’envoie en 1944. Et combat sans relâche l’occupant, dès son retour ; jusqu’à la Libération. (Photo : peinture d'EkAT, d'après photo. © Coll. part. /L.M.).

     

    Honoré d’Estienne d’Orves, « Châteauvieux » (1901-1941) 

     

    Marin de la Royale – capitaine de corvette à vingt ans -, après avoir fait l’X, Honoré d’Estienne d’Orves possède un tempérament d’aristocrate, très « drapeau blanc », qui force le respect. Ne supportant pas le discours du 17 juin de Pétain, il s’empresse de rejoindre Londres deux mois plus tard, et rencontre de Gaulle en septembre. Affecté naturellement au sein des Forces navales françaises libres (FNFL, 2e bureau, chargé des renseignements), il regagne le sol français et participe à la création du réseau de renseignement et de liaison radio « Nemrod », avec notamment Maurice Barlier et Jan Doornick. Trahis en janvier 1941 par un jeune radio de leur propre équipe, Alfred Gressler, d’Orves est arrêté par la Gestapo le 21 à Nantes, avec vingt-cinq autres résistants. « Nemrod » est démantelé. Emprisonné à Fresnes, il est exécuté le 29 août au Mont-Valérien, après le rejet d’une demande de grâce, avec ses principaux « complices ». Au cours de son procès en Cour martiale, Honoré d’Estienne d’Orves endossa toute responsabilité, afin de tenter de sauver ses compagnons, mais en vain.

  • Spécial Vins de L'Express

    Il est paru ce matin, avec l’hebdo. 100 pages de plaisir, placées sous la houlette de Philippe Bidalon, auxquelles nous avons ardemment collaboré. Cours vite au kiosque le plus proche, citoyen papivore et amateur de bonnes bouteilles, afin que VIVE LA PRESSE ECRITE!

    IMG_3490.jpgA lire, notamment, des papiers sur le crowdfunding et le vin, les Bordeaux primeurs, un tour de France des vignobles (nous avons abondamment traité la Loire, l'Alsace, le Sud-Ouest, la Champagne, et pas que), les livres, l'Armagnac, les rosés de l'été (tant de flacons dégustés pour une sélection drastique et à haute valeur ajoutée garantie par nos papilles réunies), et encore bien d'autres réjouissances, dans ce numéro très spécial, très goûteux, très gouleyant, salivant, soiffard parfois, profond aussi, sincère toujours.

  • Zanzibar

    Papier paru ce matin dans L'Express, sur Zanzibar, où je me trouvais à la fin de l'été dernier :

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    Il y a des noms qui propulsent dès qu’on les prononce : Samarkand, Tombouctou, Zanzibar possèdent le génie du lieu entre leurs lettres. Ces mots font rêver, et refilent illico une envie d’y aller voir. Alors nous y sommes allés – voir.

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    Si l’archipel tanzanien de Zanzibar (de l’arabe Zinj el Barr : « le pays des Noirs »), désigne trois îles : Unguja, Pemba et Mafia, c’est la première, appelée simplement Zanzibar, qui se visite en priorité, en partant de Dar es Salaam à bord d’un petit avion, ou mieux, par bateau depuis Bagamoyo – « là où meurt mon cœur », en Swahili, petite ville côtière qui fut jusqu’au XIXe siècle la base arrière de Zanzibar, alors plaque tournante du commerce des épices – et notamment du clou de girofle -, de l’ivoire et des esclaves. Stone Town, la capitale zanzibarite, est plus connue sous le nom de Zanzibar City. Cette splendide petite cité, dont l’architecture a subi tour à tour les influences portugaise, allemande, arabe et anglaise, est un lacis de ruelles très étroites, un éparpillement de palais délicieusement décatis, et de marchés aux épices et aux poissons qui enrichissent durablement notre mémoire olfactive. Quelques monuments comme The house of Wonders (la maison des Merveilles), ou le Fort arabe, et les jardins Forodhani, envahis chaque soir d’échoppes proposant des grillades de poissons, justifient une à deux journées de visite, avant de filer vers l’extrême nord de l’île, à une soixantaine de km de là (une heure en voiture, le double en « daladala », le bus local), aux seules fins d’avoir l’Océan indien pour horizon turquoise, en un lieu inouï et loin de tout tumulte, où chacun est prié de laisser ses tracas sur le perron d’un Lodge accorte.

    Zanzibar:Mazzella10.JPGIl n’en manque pas, de part et d’autre du  « mnarani » (phare, en Swahili), sur ce long cordon de plages de sable blanc, où une mer d’une extrême transparence se retire loin, et où, dès l’aube, les femmes pêchent à pied, poulpes, crustacés et divers poissons aux tons chatoyants, échoués dans des vasques rocheuses. A quelques centaines de mètres, une barrière de corail arrête les vagues et offre un contraste de bleus empruntés à une toile de Nicolas de Staël. A pied (plus ou moins) sec, il faut zgzaguer sur un sol hérissé d’oursins aux longs piquants – nul ne les ramasse – et parsemé d’énormes étoiles de mer rouge sang et noir qui semblent issues d’une pluie céleste. L’expression un brin ridicule : « plonger dans la carte postale », vient inévitablement à l’esprit, quoiqu’on s’en défende, en ce « Finisterre » d’une île au nom mythique. Le village de Nungwi, dont la pauvreté contraste avec le luxe des Lodge, comme dans tant d’endroits du monde, possède une curiosité, à même la plage : il s’agit d’un très artisanal chantier naval, où sont fabriqués des « dhows », ces boutres en bois et à une seule voile qui cabotent paisiblement sur ces côtes depuis des siècles. On embarque facilement à bord de l’un d’eux pour quelques dollars, afin de faire une grande balade au-delà de la barrière de corail, escorté par des dauphins, ou de pousser jusqu’à l’île de Mnemba voisine (et privée : elle appartient à Bill Gates, ainsi qu’à la chaîne sud-africaine de Lodge luxueux &Beyond), pour plonger avec masque et palmes dans ce Parc National marin, voire de lancer une ligne à la traîne, au retour, si le vent gonfle fort la voile, tout en observant les pêcheurs, de l’eau à la taille, tendre un grand filet circulaire et meurtrier. Léon Mazzella

     

    ON THE ROCK

    Zanzibar:Mazzella15.JPG« Tout homme se doit d’avoir un jour une bouteille à son nom dans un bar de Zanzibar », déclare Mezz Mezzrow, personnage de Tous les bars de Zanzibar, roman de David McNeil (Gallimard). Si l’on souhaite pousser le bouchon de la sorte, autant le faire dans le bar-restaurant le plus insolite de l’île, The Rock, situé devant la plage de Michamvi Pingwe, sur la péninsule de la côte sud-est (à moins d’une heure de route de Nungwi, et autant de Stone Town). Cette  cabane cernée d’arbustes, occupe la totalité d’un rocher que l’on atteint à pied, ou bien en barque à marée haute. Le coucher de soleil y est anthologique, l’espadon mariné, comme le barracuda braisé, généreusement épicés. Il ne reste alors plus qu’à signer un flacon pour que la vie soit un roman. L.M. 

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    Photos : © L.M.

    Lire : Tanzanie & Zanzibar (Bibliothèque du voyageur, Gallimard)

     

  • Lire Dupin, le matin

    Capture d’écran 2015-04-27 à 11.34.39.png"Te gravir et, t'ayant gravie - quand la lumière ne prend plus appui sur les mots, et croule et dévale, - te gravir encore. Autre cime, autre gisement."(...)

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    (...) "La nuit écrit. Élargissant l’espace, extravagant la page, pulvérisant le cercle de pierres. Et enrôlant la mort. On lui doit un surcroît de force, et l’aggravation du silence. On lui doit de toucher l’extrême fond de la faiblesse, et la cime de nos plissements."

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    "Nous n’appartenons qu’au sentier de montagne
    Qui serpente au soleil entre la sauge et le lichen
    Et s’élance à la nuit, chemin de crête,
    À la rencontre des constellations."(...)

    Jacques Dupin (1927-2012).

  • Avant-première

    Les sites de vente en ligne annoncent déjà mon prochain livre, qui paraîtra fin août : Dictionnaire chic du vin (Ecriture), c'est 350 pages serrées d'hédonisme, de sérieux et de déconne, d'éloge du bien-vivre et du sang de la vigne - et ses inséparables connotations littéraires, musicales, sensuelles. Voici un aperçu capturé sur le site de la fnac : 

    Capture d’écran 2015-04-14 à 08.42.30.png(avec une belle faute d'orthographe -ZZ- sur la couv. provisoire)
    Capture d’écran 2015-04-14 à 08.48.16.png

  • Vietnam / Baie d'Along

     

     

    Capture d’écran 2015-03-25 à 09.15.30.pngPapier paru dans le hors-série de L'ExpressC'était l'Indochine... Toujours en kiosque. Pour que Vive la presse écrite! 

    NAVIGUER SUR LA SOIE VERTE

    Bercée de légendes et sillonnée bar des bateaux de croisière à longueur d'année, la baie d'Along est d'abord l'une des merveilles naturelles du monde. Sa découverte frappe durablement chaque voyageur.

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    La huitième merveille du monde, disent les Vietnamiens, qui voient défiler trois millions de touristes, chaque année, dans cette partie du golfe du Tonkin où, sur une superficie d’environ 1 500 km2, 1969 pitons rocheux escarpés et karstiques, inhabités pour la plupart, et au total 3 000 îlots de toutes tailles, ont valu à ce site internationalement connu,  lieu de pèlerinage obligé et d’une beauté époustouflante, d’être classé une première fois au patrimoine mondial par l’Unesco en 1994, puis en 2000, pour la richesse de sa biodiversité. L'écrivain Olivier Frébourg définit la baie comme « le lieu commun du Vietnam, son slogan publicitaire » (*).

    Ha Long, « le dragon qui descend », rappelle une légende. Celle de cet animal mythologique, bienfaisant au Vietnam, qui, tiré brutalement de son sommeil, aurait plongé dans la mer et avec les battements de sa queue gigantesque, aurait taillé la montagne en pièces et en îlots, creusé des vallées profondes et des crevasses que la mer de Chine aurait ensuite comblées et sculptées. Puis, le dragon aurait trouvé l’endroit si beau qu’il choisit d’y demeurer. Les jours de brume – fréquents dans la baie, ils augmentent singulièrement son mystère et sont peut-être préférables aux jours de grand bleu -, les  guides vietnamiens veulent encore voir les écailles dorsales de la créature légendaire dans la silhouette sibylline de certains pitons. A chacun son monstre du Loch Ness. La mythique tarasque d’Along est ainsi l’occasion de conduire des touristes sur des sampans dans une zone de l’immense baie, réputée propice à l’apparition du dragon.

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    Poésie et géologie

    Des quatre villages de pêcheurs que compte la baie, Van Gia et ses habitations flottantes est le plus ancien. Aujourd’hui encore, y flottent de véritables maisons bâties sur de vastes coques plates, qui font office d’épiceries, notamment. Certains sampaniers, ou pêcheurs de ces villages racontent leurs mésaventures imaginaires, décrivant avec force détails qu’ils furent témoins du jaillissement de la queue du dragon, longue d’une trentaine de mètres, qui retomba si violemment sur l’eau que toutes les embarcations alentour faillirent chavirer. L’aura de poésie dont le site est nimbé semble infinie, en particulier lorsque une jonque glisse en silence, la nuit, ou bien à l’aube, entre ces îlots élancés comme des pains de sucre, et dont certains portent des noms d’animaux : le Chien, la Tortue, le Crapaud, la Guêpe, le Lièvre, la Libellule... D’autres ont des noms plus féériques, donnés pour la plupart par les Annamites et, à leur suite, par les officiers de Marine et les cartographes français : l’Île brûlée, le Salacco, les Pleurs, les Deux-Frères, le Colosse, le Sabot, la Vis, le Nègre… D’ailleurs, le nom même d’Along (ou Ha Long) serait dû aux Français, et il serait apparu sur les cartes maritimes au XIXe siècle, en remplacement de celui de (mer de) An Bang. Notons aussi que « Halong » désigne l’une des trois civilisations préhistoriques vietnamiennes (du post-paléolithique au post-néolithique), avec Hoa Binh et Bac Son.

    Les géologues, bien moins poètes que les pêcheurs ou que les officiers de la Royale, se limitent à expliquer l’apparition de ces reliefs karstiques par l’érosion de fonds marins calcaires, vers la fin de l’ère primaire, soit il y a 500 millions d’années – une paille ! La haute mer englobait alors la baie, qui sédimenta considérablement. Puis, les mouvements intempestifs de la croûte terrestre associés au retrait consécutif de la mer, ont fait émerger ce « champ » karstique (le plus grand du monde), et l’ont exposé au grand air, donc à l’érosion, aux caprices du temps, aux effondrements et autres fractures des sols sous-marins.

    Une autre légende prétend que l’empereur de Jade aurait demandé à la Princesse duIMG_8588.JPG ciel, le dragon Mère, de protéger le peuple Viet en bloquant la baie, afin de stopper d’incessantes invasions. L’animal mythique auraient alors craché quantité de perles et de pierres précieuses qui se seraient transformées en pitons rocheux au contact de l’eau, créant ainsi un fragile rempart de défense en forme de muraille ajourée et éparpillée. Car les « envahisseurs du Nord » n’ont jamais cessé de pénétrer le Vietnam par la baie fantastique – la Chine est proche, et la province de Quang Ninh, à laquelle appartient la baie, est frontalière de l’empire du Milieu.

    Des grottes et des calamars

    Le fondateur de la dynastie Dinh, Ngo Quyen, crut mettre un frein définitif aux IMG_8522.JPGinvasions chinoises, au Xe siècle, en coulant une bonne partie de leur flotte dans la baie. Plus tard, c’est un héros vietnamien toujours idolâtré, Tran Hung Dao, qui battit en 1288 le petit-fils de Gengis Khan, Kubilai Khan, en poussant ses nombreuses jonques mongoles vers un astucieux champ de pieux effilés et dissimulés dans l’eau, à proximité de la fameuse grotte des Merveilles, appelée aussi justement la grotte des Bouts de bois (Dau Go), et à proximité de laquelle il n’est pas rare d’observer des singes en nombre, dissimulés mais bruyants, dans la végétation luxuriante des pitons verticaux.  D’aucuns prétendent d’ailleurs que des restes de ces jonques yuans-mongols qui se sont empalées, sont encore visibles autour des redoutables pieux. Il faudrait plonger pour le vérifier.

    Puis, Along devient un repaire de pirates fort difficile à combattre, eu égard au labyrinthe flottant constitué par ces pitons garnis de grottes et de criques secrètes. La baie retrouve un peu de paix lorsque la Royal Navy montre ses muscles, dans les années 1810, et en chasse les pirates. En 1883, l’arrivée des premiers corps expéditionnaires français chargés de pacifier le Nord de l’Indochine, apaisent pour un temps ce paysage qui semble avoir été créé pour figurer la sérénité, et cette étendue d’eau comme une « soie verte », dit encore l’écrivain amoureux du Vietnam Olivier Frébourg ; de cette soie dont on fabrique le ao dai, la robe traditionnelle qui procède de l’élégance des femmes vietnamiennes. 

    Entre autres curiosités au sein de l’immense baie que l’on traverse sur l’un des nombreux bateaux consacrés aux mini-croisières, la grotte des Surprises (Sung Sot) est la plus impressionnante de toutes. Deux immenses « salles » figurent un théâtre pour la première, avec ses innombrables concrétions : stalactites et stalagmites géantes ; et un immense jardin intérieur pour la seconde, pourvu d’un lacis de roches de toute taille et de petits plans gorgés d’une eau vert émeraude, et autres vasques naturelles. La grotte, ou caverne du Palais céleste (Thien Cung) n’est pas en reste. Une légende raconte qu’un mariage y fut célébré, entre une jeune femme, May (nuage) et le prince Dragon. Sept jours et sept nuits durant, de petits dragons dansaient parmi les stalactites, des éléphants gambadaient et deux lions jouaient à se poursuivre. May eut ensuite cent enfants, pas un de moins, qu’elle éleva dans cette grotte même. La légende s’appuierait sur des scènes qui auraient été fossilisées dans la roche, mais dont on ne trouve évidemment pas trace, les grottes d’Along n’étant pas ornées.

    IMG_8552 - Version 2.jpgAujourd’hui, si un tourisme de masse conduit chaque jour des centaines de voyageurs venus du monde entier (de plus en plus de la Chine voisine), depuis le port d’embarquement de Bai Chay, qui n’a rien de bucolique mais plutôt des allures mécaniques et industrielles, si les phoques et les dauphins se raréfient dans cette partie du golfe du Tonkin – comme partout ailleurs -, si les bateaux de croisières déguisés en jonques de bois plaqué et aux voiles factices, sont parfois à touche-touche sur la « soie verte » de ce somptueux paysage, il nous est encore permis, la nuit, lorsque la jonque est au mouillage, de pêcher avec les membres de l’équipage des calamars « à la turlutte » (à l’aide d’une ligne hérissée d’hameçons que l’on agite de bas en haut), car ils sont encore nombreux dans l’eau trouble d’Along, et délicieux, correctement saisis a la plancha. C’est l’une des joies simples et secrètes que procure la huitième merveille du monde. Léon Mazzella

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    (*) Vietnam, par Olivier Frébourg, photos de Nicolas Cornet (Chêne, 2004)

     

    LA BAIE D'ALONG TERRESTRE

    IMG_8135.JPGDans le delta du fleuve rouge, la province de Nin Binh  - avec la ville éponyme et sans attrait, en son cœur -, située à une centaine de kilomètres au sud de Hanoi, est surnommée la « baie d’Along terrestre ». Avec des joyaux naturels comme Tam Coc, Van Long, la réserve naturelle de Pu Luong,  Trang An, ou encore ses villages Hang, la baie d’Along terrestre est un délicieux contrepoint à la célébrissime voisine, car elle permet de visiter l’intérieur de terres toujours très humides du Nord-Ouest, et de glisser, à bord d’un thuyen (barque en bambou tressé et goudron), sur un bras d’eau bordé de prairies vertes piquées de hérons blancs, et d’entrer de cette manière dans des grottes saisissantes de silence.

    La baie d’Along terrestre est un havre de 1 400 km2 de zones naturelles protégées, d’une grande richesse faunistique et faunique, et riche de larges plaines irriguées de rizières et bordées de montagnes abruptes. Van Long, entrelacs paisible composé de petits villages où l’on circule encore majoritairement en char à buffles et, bien sûr, en bicyclette, de rivières, de champs plats comme la main, de grottes – notamment la célèbre Ca, couverte de stalactites et dont les eaux grouillent de tilapie (poisson-chat) -, constitue la zone la plus « bio diversifiée » du pays, avec pas moins de 3 500 hectares protégés par des digues.

    Si les montagnes avoisinantes recèlent sangliers, ours et, même, quelques panthères, àIMG_8146.jpg leur pied, prospère un paradis des zones humides, des orchidées sauvages et des échassiers comme l’aigrette, le héron bihoreau ou le jacana, dans une atmosphère dont le calme suggère l’estampe. Cette partie de la baie d’Along terrestre est talonnée, dans le cœur des vietnamiens épris de nature préservée, par les beautés – certes moins sauvages - de Tam Coc. Cette cuvette entourée de pitons calcaires tombant à pic, et aux formes parfois étranges rappelant des visages, est aussi appelée « la baie d’Along sur rizières ». Une balade en barque à godille vers l’une des fameuses grottes du site (Tam Coc signifie « trois grottes »), propulse le voyageur dans l’atmosphère du film Indochine en trois coups de perche.

    Autre curiosité : en naviguant sur la rivière Ngo Dong, il n’est pas rare de croiser des femmes pêcheurs à bord de leur thuyen individuel, qui manient les rames avec leurs pieds nus, et gardent ainsi les mains libres pour tirer leurs lignes. Confondant. L. M.

     

     

     

    LE CHARBON DE LA DISCORDE

    La Société française des charbonnages du Tonkin, entreprise très prospère pendant l’époque coloniale, exploitait à outrance les mines de houille de la baie d’Along, en concurrence – comme toujours -, avec les Chinois depuis 1865. De sinistre mémoire, elle s’enrichit aux dépens de milliers de coolies vietnamiens qu’elle traitait comme des esclaves à peine payés et soumis à rude épreuve. Créée, en 1888, sur la concession de Hongay, la SFCT – dont les principaux actionnaires sont alors l’incontournable Banque de l’Indochine et le Crédit industriel et commercial -, commence à exploiter des mines.

    Comme la richesse naturelle est à fleur de terre et la main d’œuvre locale abondante et très bon marché, le tonnage de l’exploitation augmente de façon exponentielle : de 2 000 tonnes en 1890, la production passe à 500 000 tonnes à la veille de la Grande Guerre, à 1,7 million de tonnes à la veille de la crise de 1929, pour atteindre près de trois millions de tonnes à la veille du second conflit mondial (dont 2,6 millions annuels pour la seule SFCT). De 40 000 à 85 000 travailleurs vietnamiens et chinois s’épuisent dans les mines, surnommées « l’enfer de Hongay » dans la littérature anticolonialiste des années 1930, laquelle dénonce des conditions d’exploitation (qui ne pourront aller qu’en s’améliorant) d’une pénibilité révoltante. Un coolie touchait 15 sous par jour, lorsque les bénéfices nets de la SFCT frôlaient les 30 millions de francs annuels.

    Roland Dorgelès écrit, dans son livre Sur la route mandarine (Albin Michel, 1925) : « Elles sont, je crois, uniques au monde, ces mines de Hongay où l’on extrait le charbon à ciel ouvert. Campha, Haut, Monplanet, grands pans d’amphithéâtres taillés à même les mamelons. Ce sont de gigantesques escaliers noirs qui escaladent le ciel et leurs parois sont si lisses, si droites, qu’on croirait que le charbon fut découpé en tranches, ainsi qu’un monstrueux gâteau. Rien n’est à l’échelle humaine. Tout est trop haut, trop vaste, et les indigènes qui piochent les pentes ne font qu’une poussière humaine, sur ces gradins de jais. »

    La houille devient rapidement le deuxième produit d’exportation indochinoise après le riz. Avec les Charbonnages de Dong Trieu, et ceux du Tonkin (SFCT), les Français se taillent une part non négligeable du lion, ou plutôt du dragon, et se dotent de leur propre infrastructure : port, chemin de fer, centrale électrique. Extrêmement rentable, l’extraction de la houille ne sera concurrencée par la culture de l’hévéa, notamment, qu’à partir de la fin des années 1930. La seule SFCT, qui produit bon an, mal an, 1,8 million de tonnes de charbon de 1939 à 1941, voit sa production chuter à moins de 200 000 tonnes en 1945… Neuf ans – de guerre – après, les accords de GenèveIMG_8613.JPG ne mettent toutefois pas fin à l’activité, qui représente alors quelque 900 000 tonnes. 

    Un délai de grâce bien court, qui expire le 8 avril 1955, quand la république du Vietnam nationalise l’ensemble des installations. Aujourd’hui, les « gueules noires » se font rares au Vietnam, car les filons s’épuisent et le marché du charbon s’essouffle. Pourtant, le pays continue d’exploiter la houille, dans une zone discrète de cette vaste baie d’Along si paradisiaque, et dont aucun voyageur ne soupçonne l’existence à proximité des pitons rocheux. L. M.

     

     Photos : © Léon Mazzella

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  • Malraux l’aventurier

     

    Capture d’écran 2015-03-25 à 09.15.30.png

    Papier paru dans le hors-série de L'EXPRESS C'était l'Indochine (en kiosque pendant deux mois), sous le titre : Le "bourreau" de Banteay Srei

    Jeune aventurier guidé par l'insouciance de l'amour, le génial écrivain mit son talent, en 1923, au service du pillage de ce site exceptionnel de beauté. Une équipée qui finit mal pour lui. Et pour Angkor.

    Le vaste site archéologique cambodgien résonne de noms ayant marqué l’histoire. Ainsi de Banteay Srei, « la citadelle des femmes », temple situé à une vingtaine de kilomètres au nord-est d’Angkor, précisément sur le site de la cité de Shiva, appelé Isvarapura. Sans doute l’un des plus beaux de tous. Un lieu doublement célèbre. D’abord, pour la beauté de ses divers monuments, qui furent taillés dans du grès rose et de la latérite, pour la subtilité de son architecture pré-angkorienne : le temple date du Xe siècle, lorsque les parties du site d’Angkor Vat les plus visitées, aux abords de la ville de Siem Reap, datent, elles, du XIIe siècle. Mais c’est aussi un nom qui fait écho au passage d’André et Clara Malraux  (née Goldschmidt), en décembre 1923 (le couple est accompagné de Louis Chevasson, ami d’enfance d’André, et retrouvé à Saigon), lorsque ce temple était encore en ruines – tandis qu’il est aujourd’hui remis sur pied. Pris en flagrant délit de pillage à Phnom Penh, avec quantité de sculptures (notamment des bas-reliefs et des frontons) découpées à la scie –que l’on peut voir aujourd’hui au musée de la capitale cambodgienne, ainsi qu’au musée parisien Guimet -, l’emblématique futur ministre de la Culture de de Gaulle, a en effet la ferme intention de commettre les méfaits qui vont lui être reprochés. Jeune et amoureux fou – il est âgé d’à peine vingt-deux ans, et n’a encore rien publié -, le brillant intellectuel en devenir fomente en effet, dès avant son départ, le pillage de statues et autres ouvrages, dans le but de les vendre à de riches collectionneurs installés aux Etats-Unis – qu’il a pris soin de prévenir avant de quitter la France. Cela afin de pouvoir passer des jours tranquilles auprès de sa bien aimée. Son viatique ? Pèlerin d’Angkor, de Loti, un fort amour de la liberté, et un goût viral pour l’aventure. Investi d’une mission au Cambodge pour le compte du ministère des Colonies, il s’estime à l’abri de tout interdit et au-dessus des lois, s’il en existe dans ces contrées lointaines et placées sous protectorat. Las. C’est sans compter avec l’absence totale de romantisme des autorités cambodgiennes. Il y a un peu de naïveté dans l’esprit du futur auteur de La Condition humaine, certes déjà féru d’art khmer, voire d’inconscience, en agissant ainsi, armé d’une scie égoïne et d’une solide détermination. Bien que bardé de son ordre de mission qui se révèle être un piètre sésame, et malgré une mise en garde de l’administration coloniale sur la protection récente de l’ensemble du site d’art Khmer à ciel ouvert, l’équipée, flanquée de bœufs à la peine, traînant les chars destinés au transport des bas-reliefs et autres sculptures, connaît quelques difficultés pour évoluer dans des forêts denses jusqu’à Banteay Srei, alors perdu et pratiquement abandonné aux éléments qui le rongent. Cet isolement total est une aubaine inespérée pour Malraux et ses compagnons, qui vont casser, marteler et scier plusieurs jours durant. (Notons que le célèbre archéologue Henri Marchal contribua largement à la reconstruction, pierre par pierre, du temple, suite aux déprédations malruciennes).Trahis par un de leurs guides, les autorités assigneront donc le trio à Capture d’écran 2015-04-03 à 10.12.39.pngrésidence, plusieurs mois durant, ce dès leur retour à Phnom Penh. Condamné à trois mois de prison ferme, et Chevasson à dix-huit mois, Malraux doit son salut à l’action de Clara. Relâchée, l’amoureuse remue l’intelligentsia parisienne, lorsqu’elle arrive en France. Et c’est en partie grâce à une pétition garnie de prestigieuses signatures (Gide, Breton, Aragon, Gallimard, Mauriac), que les voleurs échappent aux geôles cambodgiennes et n’écopent, en appel, que de peines de prison avec sursis, revues à la baisse de surcroît. Têtu et revanchard, Malraux en tirera, et une certaine aigreur –persuadé d’être le découvreur, et non pas le voleur, du site de Banteay Srei -, et un récit d’aventures plus abracadabrantesque que romanesque, intitulé La Voix royale (Grasset), qui marque son entrée - fracassante et un brin fracassée -, à la fois en littérature (le livre obtient le prix Interallié en 1930), et dans le paysage intellectuel national. Un moment attaqué, jamais inquiété, le grand homme se relèvera bien vite et saura emprunter d’autres voies royales.  Léon Mazzella

     

     

     

  • Indochine et l'Amant

    Version longue* d'un papier paru dans L'EXPRESS cette semaine (hors-série C'était l'Indochine).

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    *Faute de place, il faut parfois couper nos textes à la machette! L'avantage d'un blog est aussi d'en proposer les versions originelles.

    Capture d’écran 2015-03-25 à 09.15.30.pngLE PRISME DOUBLE DU CINÉMA

    Le cinéma aide parfois à comprendre l’histoire. En dépit de la fiction, et lorsqu’il est servi par un scénario solide, le septième art a valeur de documentaire artistique. Deux films emblématiques disent l’Indochine française dans ses excès opposés.

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    En 1992, Régis Wargnier offre « Indochine », sur un scénario co-rédigé par les écrivains Erik Orsenna et Louis Gardel (l’auteur de « Fort Saganne ») et par la scénariste Catherine Cohen. L’Indochine des années fastes : 1920-1945 y est dépeinte, décrite, dans ses splendide et cruelle vérités. Portrait d’une famille française emblématique, qui fait fortune avec la culture de l’hévéa –principale industrie coloniale indochinoise, « Indochine » souligne l’opulence du « bon temps des colonies ». Eliane Devries (interprétée par Catherine Deneuve) est une femme d’un âge mûr, née en Indochine, qui n’a jamais vu la France et qui est la riche héritière d’une immense plantation familiale, sans doute la plus importante d’Indochine (1).

    Le feu sous l’insouciance

    Elle incarne ces années insouciantes, jusqu’à ce qu’un ferment de révolte communiste et nationaliste se fasse jour. Le film n’est cependant pas la peinture idéalisée d’une nouvelle bourgeoisie apaisée, jadis conquérante et brillant à présent d'un humanisme relatif. La dure réalité est là, notamment avec la brutalité sans limites de l’administration coloniale –Jean Yanne incarne un chef de la Sûreté au caractère de mufle. Loin, aussi, des clichés du film anticolonialiste « basiquement » militant, le long métrage de Régis Wargnier se veut consensuel mais échoue à colmater les failles, ainsi qu’à faire entendre raison, tant aux idéologies contraires qu’aux passions schismatiques. Certes, la riche héritière adopte la petite Camille, une princesse annamite devenue orpheline. Certes, l’exotisme est présent, parfois de manière très « chromo », et la vie luxueuse mais laborieuse au sein d’une plantation conduite d’une main de fer (en raison des aléas de la culture de l’hévéa), sonne assez juste. De même, résonne avec précision la montée sourde, lente et certaine d’une révolte qui préfigure le futur Vietnam. Et comme est dépeinte avec tact l’arrivée soudaine d’un bel officier de Marine qui tourne la tête d’Eliane, puis celle de Camille devenue jeune femme. « Indochine » en devient une synthèse, à la fois de cette période riche et désinvolte comme une nouvelle de Paul Morand, ou une affiche colorisée d’Air France, et aussi la chronique des années de braise d’une colonie condamnée à être emportée par le vent de l’Histoire – le tout mêlé à une tourmente amoureuse générale, car l’histoire de l’Indochine française est bien celle d’une violente passion.

    C’est là toute la portée romanesque du cinéma lorsqu’il ne se dépare pas de ses vertus ethnographiques. Car il permet, le cas échéant, de comprendre aussi la stratégie d’un parti communiste tout juste créé, d’abord dirigée contre les mandarins, ces fonctionnaires impériaux qui soutiennent les colons français, puis qui s’en prend directement à ces derniers. C’est enfin le portrait d’une jeune princesse annamite, en rupture personnelle –et par là historique, avec sa classe et sa naissance, puis qui se métamorphose en révolutionnaire rouge inflexible, symbolisant de façon éclatante un soulèvement profond mû par d’innombrables « vocations » analogues, et qui dessine le Vietnam en marche de Hô Chi Minh.

    La face cachée des colonies

    « L’Amant » valut le prix Goncourt en 1984 à Marguerite Duras et que Jean-Jacques Annaud adapta huit ans plus tard, souligne un interdit dans l’Indochine française : celui des relations intimes entre Français et Asiatiques (en l’occurrence, l’amant du roman est un riche Chinois). Au-delà de l’intrigue, mince, d’une jeune française en proie à sa libération sexuelle initiale, et en lutte contre une mère qui lui préfère son frère, le film oppose à « Indochine », de Wargnier, l’image de petits colons français ayant maille à partir avec le quotidien. Le mérite de l’histoire –pour ce qui nous intéresse directement ici-, est de souligner que l’Indochine française n’était pas uniquement peuplée de gros colons en costumes et robes de lin blanches et chapeaux à larges bords, ayant des domestiques à foison et des allures de Gatsby and Co. en villégiature prolongée sur les rives du Mékong. La jeune Marguerite est une fille de colons ruinés, qui passe douloureusement ses semaines en pension à Saigon. Sa mère est une institutrice qui peine à joindre les deux bouts. Duras, en écrivant « L’amant de la Chine du Nord » (Gallimard) en 1991, oppose une réponse non définitive, ou pas assez radicale, à l’adaptation que Jean-Jacques Annaud a faite de son œuvre originelle, « L’amant ». Le désaccord entre les deux artistes est abyssal (2). « L’Amant » (Minuit) n’en demeure pas moins la rare évocation esthétique d’une Indochine certaine des années trente, soit d’un Vietnam socialement endormi encore, bien que fermentant en silence comme le meilleur nuoc-mam (celui de l’île de Phu Quoc), ceci est d’ailleurs écrit avec la grâce, l’émotion, la nuance, la justesse, l’austérité forte de la phrase durassienne retrouvée (quoi qu’en disent les esprits chagrins), et puis la beauté des paysages naturels, ainsi que ceux de la ville, la vie bouillonnante des rues de Saigon (Marguerite Duras naquit en 1914 à Gia Dinh, près de Saigon, soit en pleine Cochinchine coloniale), et surtout de Sadec, dans le delta du Mékong, où sa mère s’établit. Terre inculte, car proie constante des eaux, la concession familiale se révèle être un piège, qui oblige la mère de Marguerite à renoncer, et à aller enseigner.

    Le dur désir de Duras

     « Un barrage contre le Pacifique » (Gallimard. Le livre manqua de peu le Goncourt en 1950), décrit déjà la terre inculte de cette concession, régulièrement inondée par la Mer de Chine, et nous dit par conséquent l’envers de l’image idéalisée des colonies, dans l’Indochine française des années trente à cinquante. La mère de Marguerite Duras, lasse d’ériger de vains barrages contre le Pacifique à la manière d’un Sisyphe résigné (osons l'oxymore), sombre dans une dépression qui devient palpable, dans l’adaptation de « L’Amant » par Jean-Jacques Annaud. La face cachée d’un colonialisme triomphal, confiant, conquérant, dominateur, richissime et insouciant, trouve avec la voix de Duras son exact contrepoint. La profonde désillusion des petits colons français qui peuplaient aussi, en nombre, l’Indochine du Tonkin à la Cochinchine en passant par l’Annam, le Cambodge et le Laos, fut retranscrite dans deux adaptations du premier roman de Duras. La première, par René Clément en 1958, avec Anthony Perkins (Jo) et Silvana Mangano (Suzanne), dans les rôles principaux, et la seconde –nettement plus fade-, par Rithy Panh, en 2009, avec une Isabelle Huppert comme absente, hors-cadre, ou déjà dans son prochain film, et un Gaspard Ulliel en « gravure de mode » sans épaisseur.

    Léon Mazzella 

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    (1) L’historien Pierre Brocheux, dans son « Histoire économique du Vietnam, 1850-2007, La palanche et le camion » (Les Indes savantes) souligne que la décolonisation fut lente et absolument pas radicale : « au Sud-Vietnam, les Français (grandes sociétés et planteurs, commerçants et industriels) conservaient des positions clés dans l’économie. Par exemple, en 1963, 74 000 des 86 000 hectares plantés d’hévéas appartenaient toujours aux grandes sociétés françaises, la chambre de commerce française à Saigon recensait 300 entreprises dans les secteurs pharmaceutique, des pneumatiques, alimentaire, etc. »

    (2)Umberto Eco, conscient de la liberté du réalisateur lorsqu’il adaptait son succès planétaire, « Le nom de la rose », dit simplement et intelligemment ceci : « il y a mon roman, et il y aura ton film ». Marguerite Duras préfère écrire sa version vraie de l’adaptation à venir, imminente, d’un autre texte, réducteur, à ses yeux, puisqu’il ne donne à voir qu’une affaire sexuelle (initiale) entre une gamine pauvre et un riche Chinois de dix-sept ans son aîné…  « L’Amant de la Chine du Nord » est une façon de synopsis que la romancière aurait utilisé pour une adaptation, si elle avait eu à en réaliser une. (Par chance, ce ne fut pas le cas : souvenez-vous des incursions désastreuses de Marguerite dans le 7ème art, comme avec Le Camion - et Depardieu dans le rôle principal, qui ont fait dire à Pierre Desproges : Marguerite Duras n'a pas écrit que des conneries. Elle en a filmé aussi...).

     

    PRISONNIER DES KHMERS

    Le dernier film de Régis Wargnier, « Le temps des aveux » (décembre 2014), signe l’adaptation du célèbre roman autobiographique « Le Portail » (La Table ronde, 2000) de l’ethnologue François Bizot. Et raconte par conséquent la captivité de l’auteur, en mission angkorienne, lorsqu’il fut prisonnier des Khmers rouges, en 1971, dans le camp S21, de sinistre mémoire, dirigé par Douch, l’un des plus grands criminels de guerre cambodgiens –tenu responsable de la mort de 40 000 détenus-, avec Pol Pot et quelques autres. François Bizot a par ailleurs publié en 2011 une sorte d’éloge de la magnanimité, avec « Le silence du bourreau » (Flammarion), livre dans lequel il bat en brèche un lieu commun, affirmant que le bourreau –en l’occurrence Douch-, n’est ni un démon ni un monstre, mais bien pire que cela encore, puisque c’est un homme comme les autres. Et qu’il s’agit de tenter de comprendre, voire d’excuser, par-delà le ressentiment…  L.M.

     

  • Douloureuse intégration

    IMG_2579.jpgPapier paru dans le hors-série de L'Express consacré aux Juifs de France. Actuellement en kiosque. (Pour que) Vive la presse écrite!

     

    Contrairement aux colons européens, les juifs étaient présents sur le sol algérien depuis des siècles. Mais leur statut connut de multiples vicissitudes. Il n’a cependant rien à envier à la déception historique des musulmans. Par Léon Mazzella

     

    Depuis leur arrivée, il y a près de trois mille ans avancent de nombreux historiens, sur ces terres qui deviendront l’Algérie, les fils d’Israël ont partagé un destin pour le moins chaotique. Les premières colonies se mélangèrent sans problème avec les Berbères, auprès desquels elles auraient fait preuve d’un prosélytisme fructueux (une théorie qui ne rencontre toutefois pas l’unanimité chez les historiens). Maltraités sous l’occupation romaine, puis par les Byzantins, qui transformèrent souvent leurs synagogues en églises, les juifs, dont la communauté se renforça au cours des siècles de nouvelles vagues d’émigration dues aux soubresauts de l’histoire, notamment dans la péninsule ibérique – des persécutions des Wisigoths à celles de la Reconsquita – firent également les frais de l’islamisation de l’Afrique du Nord, consécutive à la conquête arabe, au VIIe siècle. Ainsi, hormis une courte accalmie durant l’éphémère royaume vandale d’Afrique (439-533),  les descendants des Hébreux ne furent jamais traités sur un pied d’égalité avec les autres habitants d’Algérie. Pendant douze siècles, la dihmma, si elle leur reconnaît la liberté de culte, les soumet à un statut juridique inférieur à celui des musulmans.

    Il leur faudra attendre 1830 et le début de la colonisation française pour être libérés de cette entrave et devenir les égaux des « indigènes musulmans ». Pas le Pérou, mais déjà un progrès…

    Principalement composée d’artisans et de petits commerçants, la communauté juive, alors implantée à 80 % dans les villes (5 % seulement des musulmans y vivent), se retrouve beaucoup plus au contact de l’administration coloniale. Ils envoient leurs enfants à l’école, renoncent à leurs tribunaux religieux, adoptent la langue de Molière. Autant d’efforts pousse Paris à faire de ces modèles d’assimilation (acculturation s’interroge certains) des citoyens français à part entière. Dès 1865, un décret impérial propose la naturalisation aux juifs, mais aussi aux musulmans qui le désirent, sous certaines conditions (abandon du statut religieux et service militaire). Très peu sont candidats. Les autorités religieuses juives, toutefois, consultées par le gouvernement provisoire de la toute nouvelle IIIe République, se déclare favorable à une naturalisation collective. Le 24 octobre 1870, le fameux Décret Crémieux accorde la nationalité française aux 34 000 juifs d’Algérie. Les étrangers (Espagnols, Italiens, Maltais…) devront, eux attendre 1889 pour en bénéficier. Cette accession, ressentie comme un immense soulagement par les Juifs, est en revanche très mal vécue par les musulmans, qui voient leurs rêves d’assimilation, promise par Napoléon III, s’évanouir, sans grand espoir de retournement. Seuls ceux qui renoncent à la loi coranique et se plient aux règles de l’administration française en Algérie, notamment fiscales, obtinrent leur naturalisation. On en dénombre 10 000 à peine entre 1865 et 1962, qui furent « assimilés » et considérés comme des notables louant une patrie commune. Ces caïds appartenaient pour la plupart aux grandes familles algériennes.

    Violente opposition au décret

    Chez de nombreux colons, aussi, le décret passe mal. Ils craignent surtout que les musulmans ne finissent par obtenir le même statut,  prémisse à leurs yeux d’une décolonisation. Ils vont paradoxalement exploiter l’aigreur des arabes, dont ils font mine de soutenir la revendication. A la fin du XIXe siècle, cette opposition au décret Crémieux s’exprime dans de violentes manifestations « antijuive » et dans les urnes. Des antisémites notoires s’installe à la tête de nombreuses villes, comme Constantine, Oran et Alger, avec Max Régis. De sinistre mémoire, Édouard Drumont est élu député d’Alger, de 1898 à 1902. La Première Guerre mondiale, qui voit les sangs des juifs et des pieds-noirs se mêler dans la défense de la Nation, marque une accalmie du sentiment anti-juif en Algérie. Mais le pire est à venir.

    Quotidien, rampant et opérant donc par capillarité, l’antisémitisme resurgit avec force en 1940. Une loi signée par le maréchal Pétain, datée du 7 octobre, abroge le décret Crémieux et renvoie les juifs au statut des indigènes musulmans. Heureusement tenus à l’écart des atrocités de la Shoah, les juifs d’Algérie sont mis au ban de la société et certains, même, internés dans des camps de travail au sud du pays. Malgré l’arrivée des Américains, en 1942, ils sont maintenus dans ce régime discriminatoire par le général Giraud. C’est De Gaulle qui les rétablit dans leurs droits, en 1943.

    En juillet 1962, la quasi totalité des 150 000 Juifs d’Algérie quittent cette terre qui était la leur depuis près de trois mille ans pour la France. 

     

     

    UNE VRAIE FRATERNITÉ

    D’aucuns ne sont pas loin de penser que certains colons se félicitaient de ne pas faire évoluer la population musulmane et de continuer de la maintenir sous une forme de boisseau juridique, malgré leurs bonnes intentions affichées. Paul Bert (cité par Jeannine Verdès-Leroux), visitant la Kabylie, avait en charge la « protection » des colons et « l’avenir » de l’Algérie, avec Jules Ferry et d’autres, et il glorifia le travail accompli par les colons sur des terres rendues prospères grâce à leur tâche. Ces propos furent ceux des pieds-noirs au plus fort de la guerre, à l’aube des années 1960, lorsqu’ils invoquèrent une légitimité sur un sol qu’ils considéraient comme le leur. Paul Bert invoque subtilement le Coran qui « donne la terre à qui la vivifie », afin d’asseoir la propriété des « biens de main morte, partagés entre les mains vivantes »… Reste que le mot colon, entaché d’une image péjorative, désignera tour à tour le « rebut » de la Méditerranée (Alphonse Daudet), le travailleur patriote mais égoïste (Jules Ferry), le héros laborieux  et fraternel lors des cérémonies du Centenaire (1930), et enfin la brute lors des « événements » qui ne désignaient pas encore une véritable guerre. Soulignons enfin que les liens qui se sont tissés, cent trente années durant, entre la communauté pied-noir dans son ensemble, avec ses bigarrures méditerranéennes, et la communauté musulmane, furent profonds et complexes, plus souvent teintés de fraternité que de rivalité, d’entente que d’hostilité. Le « drame algérien » doit –aussi- être mesuré à cette aune fondamentale. L.M.

  • Entretien avec Alain Finkielkraut

    IMG_2579.jpgInterview publiée le 5 février dernier dans le nouveau hors-série de L'Express (en vente deux mois), consacré aux Juifs de France :

    Alain Finkielkraut : « Dire avec la même ferveur Je suis casher et Je suis Charlie » 

    Les juifs de France ont connu deux grands rêves qui ont volé en éclats. Le franco-judaïsme et la cause antiraciste. Puis, un nouvel antisémitisme, islamiste, s’est fait jour. Le philosophe Alain Finkielkraut analyse pour L’Express les ressorts d’un politiquement correct qui est un antiracisme ayant  perdu la tête, selon l’auteur de « L’Identité malheureuse ». 

    Propos recueillis par Léon Mazzella

     

    L’histoire des juifs de France commence-t-elle avec la Révolution ?

    Non, bien sûr. Mais l’émancipation des juifs de France par la Révolution a engendré le grand rêve du franco-judaïsme. Les juifs ont choisi la voie de l’assimilation avec enthousiasme car elle ne représentait pas pour eux un sacrifice, mais quelque chose comme un accomplissement messianique. Se référant à l’épisode révolutionnaire, le rabbin Kahn de Nîmes disait : « C’est notre sortie d’Egypte … C’est notre Pâque moderne ». Ce franco-judaïsme a volé en éclats dans les années noires de l’Occupation. Après le statut des juifs et la rafle du Vel d’Hiv, les juifs ne pouvaient plus se décharger de leur être sur une autre instance. Certains, au lendemain de la guerre, ont opéré un retour « aux sources, aux livres anciens, oubliés, difficiles, dans une étude dure, laborieuse et sévère », comme écrivait Levinas. Pour la plupart, l’attachement à Israël est devenu constitutif de leur identité. Bien sûr ils demeuraient français car, rappelait aussi Levinas

    « la France est un pays auquel on peut s’attacher par le cœur et par l’esprit autant que par les racines », mais il n’appartenait pas à ce pays de réaliser toutes les aspirations juives. L’inquiétude était présente, et avec Israël, naquit l’idée que, en cas de nouveau malheur, il y avait un refuge possible.

     

    « Qu’est-ce qui se passe ? », écrivez-vous dans « L’imparfait du présent ». Que se passe-t-il avec les juifs de France aujourd’hui ?

    Depuis le début des années 2000, l’antisémitisme refait surface dans le monde sous sa forme la plus violente, la plus apocalyptique. L’Europe croyait être en état de vigilance maximale, en honorant le devoir de mémoire, et elle a été prise complètement au dépourvu. Elle était prête à combattre ses vieux démons et ne pardonnait aucun dérapage au vieux chef de l’extrême droite française, mais d’autres démons ont surgi qui ne correspondaient pas à ce modèle. L’antisémitisme qui se répand aujourd’hui dans toute l’Europe n’est pas d’origine européenne : il est islamiste, et béni par certaines des plus hautes autorités religieuses de l’islam. Le très influent prédicateur Yûsuf Al-Qaradâwî a félicité Hitler d’avoir puni l’arrogance des juifs, sur la chaîne de télévision Al Jazeera. Cet antisémitisme, non seulement n’exprime pas la haine d’une partie du peuple français pour les juifs, mais il est une des variantes de la haine des islamistes pour l’Occident. Le franco-judaïsme est mort, mais un autre trait d’union apparaît : les juifs et les Français qu’on n’ose plus dire de souche sont dans le même bateau. La francophobie et l’antisémitisme sont les deux faces d’une même haine.

     

    La menace qui pèse sur les juifs de France peut-elle encore provenir de citoyens français?

    Tout peut arriver. Mais l’antisémitisme maurrassien est exsangue, moribond. Confrontés à l’émergence et à l’essor du Front national, les juifs de France ont eu l’impression que ça recommençait. Ils ont donc épousé, avec une fervente sincérité, la cause de l’antiracisme. De grandes figures juives ont parrainé l’association SOS Racisme. Manière pour eux d’affirmer la solidarité de toutes les victimes du rejet de l’Autre, de toutes les cibles de Dupont-Lajoie. Après le franco-judaïsme, cette illusion aussi s’effondre. L’idée d’une communauté de destin entre les « Beurs » et les juifs ne peut plus dissimuler la réalité du nouvel antisémitisme. Youssouf Fofana, Mohammed Merah, Mehdi Nemmouche, Amedy Coulibaly sont certes des cas isolés, mais, comme l’a dit Georges Bensoussan, le coordinateur des Territoires perdus de la République, l’antisémitisme, dans les quartiers dits populaires, est devenu un « code culturel ». Et les Juifs ne doivent pas seulement subir ces paroles et parfois ces actes désinhibés, ils doivent faire face à un antiracisme devenu fou et qui les vise parce qu’ils ne se démarquent pas de la politique « criminelle » de l’Etat d’Israël. Ils voient même toute une partie de l’élite politique, médiatique et intellectuelle retourner contre eux le fameux devoir de mémoire et leur coudre sur la poitrine, non plus une étoile jaune, mais une croix gammée. Ça donne envie de changer d’air.

     

    L’alya (la montée vers Israël) connaît un essor considérable (lire page73). Traduit-elle encore une foi, un espoir, malgré les risques encourus sur place, ou seulement une crainte plus grande encore?

    Ceux qui font leur alya préfèrent les risques encourus à l’association française de l’insécurité et du déni. Plusieurs livres sont parus récemment pour dire que l’islamophobie avait pris le relais de l’antisémitisme. C’était une manière particulièrement brutale de faire l’impasse sur ce que vivent les juifs français. Mais peut-être qu’avec la marche historique du 11 janvier 2015, la France a enfin décidé de mettre sa montre à l’heure.

     

    Israël a-t-elle renversé la donne –à son corps défendant- en faisant de Tsahal des assassins d’enfants, à cause du cynisme du Hamas (avec l’utilisation des souterrains de Gaza, des roquettes lancées depuis les écoles, et des enfants-martyrs…) ?

    Israël devrait engager des négociations immédiates avec l’autorité palestinienne et démanteler, pour preuve de bonne volonté, un certain nombre de colonies de peuplement, car la situation actuelle mène à la dissolution de l’Etat juif dans un Etat binational. Un jour ou l’autre, les juifs risquent de se retrouver minoritaires, mais nul ne peut croire qu’une telle politique aurait un effet calmant sur les musulmans antisémites. Ceux-là veulent la reconquête de Jérusalem et ce sont les mêmes qui ont salué la tuerie de l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes par des manifestations de liesse.

     

    Vous dénoncez depuis longtemps un « antiracisme idéologique », qui serait autrement plus pervers que l’antisémitisme « traditionnel ». Quels sont ses ressorts?

    Cet antiracisme s’est acharné toutes ces dernières années contre Charlie Hebdo : « Qu’ils crèvent, disait l’humoriste Guy Bedos des gens de Charlie en 2012, leur histoire de Mahomet, c’était nul. » Le rappeur Nekfeu promettait, dans la bande-annonce du film La Marche, « un autodafé pour ces chiens de Charlie ». Et dans un langage plus policé, des personnalités de tous bords se sont indignées de cet irrespect envers les croyances des exploités. Car, pour le politiquement correct, tout le mal vient de l’Occident sûr de lui-même et dominateur. Il y a même des experts très sérieux, en Amérique comme en France, pour penser que si Israël n’occupait pas la Palestine, il n’y aurait pas eu d’attentats du 11 septembre, ni la moindre trace d’antisémitisme dans le monde. Les antiracistes d’aujourd’hui expliquent sentencieusement aux juifs qu’ils sont coupables de la haine dont ils sont l’objet.

     

    Quelle est la part de responsabilité des juifs de France, lorsqu’ils refusent de partager le jeu républicain, en ne se sentant pas eux-mêmes Français ?

    Pour moi, les choses sont simples : les juifs de France ne peuvent pas s’installer dans une situation d’émigration intérieure. La France est leur pays, ils sont les héritiers de son histoire et ils ne souffrent d’aucune discrimination d’Etat. Ils peuvent vouloir quitter une société où l’hostilité le dispute à l’incompréhension mais je ne leur concède pas le droit de se dire, en vivant sur le sol français, étrangers à la France.

     

    La solidarité des juifs de France envers Israël alimente-t-elle le nouveau visage de l’antisémitisme ?

    Sans doute, mais ces antisémites-là, ceux qui s’en prennent à des juifs pour venger les Palestiniens, ne sont pas des partisans de la solution de deux Etats. Ils épousent les thèses extrémistes du Hezbollah ou du Hamas –Je  rappelle au passage que Gaza n’est plus occupée. Ils souhaitent la disparition d’Israël, ce sont des gens qui applaudissent lorsque les roquettes font des victimes civiles et pour lesquels tout juif est un Israélien, c'est-à-dire une cible.

     

    Le repli communautaire des juifs de France pêche-t-il par excès, en excluant l’Autre ?

    Je ne crois pas que les juifs de France soient en train de se « ghettoiser » : il y a de plus en plus de mariages mixtes, ce qui au demeurant inquiète certains membres de la communauté.  Si un fossé se creuse, cela vient de la difficulté grandissante pour les juifs de partager leur souci d’Israël avec les autres Français.

     

    La recherche obstinée du « coupable élu » persiste-t-elle ?

    Le véritable danger provient de l’union islamo-progressiste. Les islamistes veulent l’anéantissement d’Israël, et les progressistes expliquent depuis longtemps que l’origine de tous les problèmes, le mal originel, c’est Israël, le cancer israélo-palestinien.

     

    L’idée républicaine du « vivre ensemble » est-elle un rêve?

    Il n’y a pas de vivre ensemble en France. Si l’on prend l’exemple de Paris, les autochtones n’habitent plus au-delà du boulevard périphérique, ils habitent désormais au-delà de la banlieue. Et quand on parle de quartiers « populaires », c’est pour désigner des endroits où vit une population majoritairement musulmane. Cela veut dire que les peuples se séparent. J’aimerais y croire, mais le métissage est un mensonge. La réalité est celle de la séparation.

     

    Que pensez-vous, en tant qu’auteur du « Juif imaginaire », de cette phrase de Bernard Frank : « Comme tous les juifs français, je suis imaginairement juif et réellement français » ?

    C’était vrai pour moi. Mes parents m’ont éduqué dans le souvenir de ce qui leur était arrivé, et dans l’attachement à Israël, mais, eux-mêmes orphelins, ils n’avaient pas le cœur à perpétuer la tradition. J’ai donc été élevé dans l’obsession juive et dans l’ignorance du judaïsme. Je suis allé à l’école laïque, et je suis devenu réellement Français en assimilant ce que je pouvais de la culture française. Il n’en reste pas moins que j’ai découvert la pensée d’Emmanuel Lévinas, que j’ai rencontré et travaillé avec Benny Lévy … Peut-être ne suis-je plus tout à fait un juif imaginaire.

     

     

    Alain Finkielkraut est professeur à l’Ecole polytechnique. Il anime l’émission « Répliques » sur France-Culture. Il a été élu à l’Académie française en avril 2014. Philosophe, il est l’auteur de nombreux essais, dont « Une voix vient de l’autre rive », « La défaite de la pensée », « Au nom de l’Autre. Réflexions sur l’antisémitisme qui vient » (Gallimard/folio), et plus récemment, de « L’identité malheureuse » (Stock).

     

     

     

     

     

  • Jabès

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    Passage au Père Lachaise, hier matin (pour de tristes circonstances, oeuf corse). En musardant devant le "colombarium", je souris en lisant le nom de Camille Malcuit sur une cassette (est-ce ainsi que l'on désigne le micro caveau dans lequel on place une ou plusieurs urnes contenant des cendres?), puis sur le nom d'Achille Zavatta, et à côté, je tombe sur la cassette d'Edmond Jabès (et de sa femme). Totale surprise. Je me souviens tout à coup de ma rencontre avec le grand écrivain, il y a trente ans déjà, et de l'entretien que j'avais alors réalisé pour Sud-Ouest Dimanche. Mais le plus étrange est de tomber sur quelque chose, quelqu'un, lorsque rien ne nous y prépare. Il faisait un temps idéal (pur, bleu et froid), et je me rendais pour la première fois dans ce cimetière rempli de people littéraire. (J'avoue ne pas être très cimetière -à part celui de Venise, sur l'île de Burano, je ne souhaite en (re)visiter aucun), considérant qu'un jour, je devrai effectuer une visite prolongée à celui de Bayonne (à moins qu'une âme bien inspirée songe plutôt à disperser mes cendres devant la Corricella, à Procida, depuis une barque bleue). Jabès, donc. Et Vialatte, que j'allais oublier! "Nous ne sommes que poussière. C'est dire l'importance du plumeau"... 

  • Immense Bernard Frank

     

    Et l'immense (et regretté) Bernard Frank nous rappelle - à propos de Mauriac, qu'il assassine- un temps "que les moins de vingt ans"... Ce temps où l'écriture d'un papier, d'une critique, d'un portrait à charge ou non, exigeaient une connaissance, une finesse d'analyse, un talent en somme, que seuls les plumes de sa trempe possédaient et distillaient à l'envi, pour le plus grand bonheur d'un régiment de hussards aficionados => cliquez donc ci-après, afin de savourer correctement :  http://bit.ly/1u9LvF1

     

  • Napoléon, un genre littéraire en soi

    Capture d’écran 2014-12-10 à 16.43.29.pngJe sais, le papier est long, mais il arrive que l'on me demande d'écrire de longs papiers... Celui-ci paraît dans le hors-série volumineux de L'Express (il s'agit d'un mook de 212 pages), en kiosque jusqu'à fin février. Il évoque une fascination ambiguë, ou l'attirance-répulsion d'un personnage hors du commun, exercée à son corps plus ou moins défendant, sur les écrivains du XIXè siècle avant tout :

    UN GENRE LITTÉRAIRE EN SOI 

    Napoléon est sans doute le personnage historique qui exerce sur l’esprit des écrivains le plus de haine et d’admiration mêlées. Personnage infiniment romanesque et à l’ambiguïté propice, sa complexité est tellement hors-norme qu’il en devient unique, et fait de « l’Aigle », notamment au XIXe siècle, davantage qu’un homme, voire qu’un démiurge, un sujet qui crispe sur lui toutes les passions.

    Par Léon MAZZELLA

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    « Il neigeait.

    On était vaincu par sa conquête.

    Pour la première fois l’aigle baissait la tête. »

    Les premiers mots de « L’expiation », fameux poème de Victor Hugo extrait des « Châtiments », que l’on apprend sur les bancs d’école depuis des lustres, résument à eux seuls ce que l’auteur de « La Légende des siècles » doit à l’empereur : son lyrisme sans doute, la noblesse de son style, et son emphase peut-être. Le poème évoque la retraite de Russie, l’âpre hiver qui anéantit les grognards, et traduit l’admiration et la compassion pour un conquérant vaincu. L’historien Jean Tulard qualifie Napoléon de « mythe littéraire par excellence », dans la revue « Hors les murs », publiée par l’Ecole nationale d’administration (ENA). Le spécialiste de l’empereur rappelle que le Romantisme, totalement séduit par la démesure du personnage napoléonien, tire une leçon essentielle, qui sera sa marque de fabrique, celle de l’affirmation de l’individu.  Chateaubriand en est la plus belle illustration : l’homme comme son œuvre majeure, les « Mémoires d’Outre-tombe », sont imprégnés de cette image de l’individu « au-dessus de la mêlée » (pour reprendre l’expression que Romain Rolland utilisa au moment de la Grande Guerre, pour titrer son célèbre manifeste pacifiste). Le romantique est une sorte de double impérial, un personnage énigmatique, ténébreux, dont le mystère croît avec le silence, la réflexion supposée, la solitude, voire la réclusion volontaire, la nécessaire retraite… La théâtralité du personnage napoléonien déteint sur celle de l’écrivain. Jean Tulard observe que les romantiques ont été pris de vertige devant la rapidité de la chute de leur modèle. Le grand homme n’a cessé depuis d’inspirer les écrivains du monde entier. Certains philosophes, et non des moindres, sont fascinés : pour Nietzsche, Napoléon est « le surhomme » par définition, l’incarnation de « la volonté de puissance » – deux thèmes fondateurs de la philosophie nietzschéenne. Pour Maurice Barrès, Napoléon incarne l’exaltation du culte du moi. Une vision qui rejoint celle des Romantiques dans leur ensemble. Avec Victor Hugo, qui voyait en Napoléon un « Prométhée des temps modernes », le mythe napoléonien atteint son paroxysme. Dans l’ « Ode à la colonne », entre cent autres exemples, l’auteur des « Contemplations » écrit sans détours : « Avec sa main romaine, il tordit et mêla, dans l’œuvre surhumaine, tout un siècle fameux… ». Tulard prend soin de souligner que le personnage mythique, sculpté par la vie même de Napoléon, renvoie au vestiaire d’autres mythes ayant pourtant la peau dure, comme ceux de Don Juan et de Tristan.

    L'OGRE PEUT DEVENIR HÉROS

    Il n’est qu’à observer l’abondante production romanesque pour se convaincre de l’imaginaire développé par les auteurs de fictions de tout poil, qu’ils soient eux-mêmes héritiers du mouvement romantique, stylistes, auteurs prolixes de romans historiques, ou même de romans policiers.  Frédéric Dard sacrifia lui aussi au mythe, en donnant un San-Antonio forcément drolatique intitulé « Napoléon Pommier ». Le Corse nourrit tous les fantasmes, y compris politiques : « Il y a dans la fiction des Napoléon de droite et des Napoléon de gauche », écrit Jean Tulard. « Napoléon lui-même peut se classer à gauche – il est alors le rempart des conquêtes de la Révolution - ou à droite – c’est un tyran confisquant la liberté ». Le comte de Las Cases, auteur du « Mémorial de Sainte-Hélène », œuvre de propagande, pourrait-on dire, publié après la mort de Napoléon, a contribué à forger l’image du grand homme à la légende double : à la fois dorée et noire. Las Cases force cependant le trait doré du personnage de légende. Et cela eut pour effet de jeter les bases du bonapartisme. C’est donc dire qu’un ogre peut devenir un héros, qu’un sauveur peut se transformer en tyran, et qu’un démon peut revêtir les atours d’un dieu. Balzac est littéralement fasciné par le personnage, par l’homme et son action confondus : « ce qu’il a commencé par l’épée, je l’achèverai par la plume », écrit l’auteur de « La Comédie humaine ». Dans les « Contes bruns », il écrit encore : « … Un homme qu’on représente les bras croisés et qui a tout fait! (…) Singulier génie qui a promené partout la civilisation armée sans la fixer nulle part ; un homme qui pouvait tout faire, parce qu’il voulait tout ; prodigieux phénomène de volonté, domptant une maladie par une bataille, et qui cependant devait mourir d’une maladie dans un lit après avoir vécu au milieu des balles et des boulets… » Pour l’historien de l’art Elie Faure, c’est « un prophète des temps modernes ». Le caractère messianique dont on affuble Napoléon renforce le mythe, grave la légende, peaufine sa gloire. Stendhal – qui fut soldat de Napoléon -, sacrifie sans compter au mythe littéraire napoléonien dans ses deux romans emblématiques : « Le Rouge et le noir » et « La Chartreuse de Parme ». Napoléon apparaît, dans la « Chartreuse », comme un héros ayant l’image rassurante du père (rêvé, ou de substitution), notamment pour le personnage principal, Fabrice Del Dongo, lequel voue une admiration sans bornes à l’empereur. C’est aussi l’image du jeune général républicain monté sur un cheval fougueux que Stendhal dépeint, ou encore celle du héros par essence invincible, le conquérant qui ne se retourne pas et qui semble ignorer jusqu’à l’idée de la défaite – ce que l’histoire ne montra pas en ébréchant le mythe Napoléon. Et c’est justement les défaites, autant que l’ascension fulgurante suivie d’une chute vertigineuse, qui fascinent les écrivains, qu’ils soient romantiques ou qu’ils ne le soient plus. La faille, la fêlure, cette marque d’imperfection, ce talon d’Achille, loin d’écorner le mythe, le renforce singulièrement : « Il neigeait » !..

    L'IMAGE DU GUIDE SUPRÊME

    Avec la funeste bataille de Waterloo (« morne plaine ! »), Fabrice Del Dongo voit dans Napoléon l’incarnation de la « noble amitié des héros du Tasse et de l’Arioste ». Rien de moins. Il est à noter, ce recours fréquent aux grands auteurs classiques, aux références absolues : Jules César, Plutarque, voire aux dieux de l’Antiquité auxquels les écrivains font appel pour nourrir leurs métaphores. Julien Sorel, le héros du « Rouge et le noir », est, à un endroit du roman, littéralement fasciné par le souvenir de Napoléon, qui « s’était fait le maître du monde avec son épée ». Le roman européen, du vivant de Napoléon et peu après sa disparition, se nourrit sans retenue de valeurs qui sont autant d’ingrédients directement servis par le jeune mythe, et au nombre desquels nous comptons la gloire, la grandeur, l’ambition, la réussite, le courage, l’énergie, et puis la démesure, l’exaltation du moi, la fraternité virile, chevaleresque, l’image du guide suprême, du père des peuples -fantasmé. 

    La poésie dans son ensemble – celle des plus grands auteurs comme Hugo (le chantre par excellence, et le critique avisé aussi), Nerval (vigilant, au ton prudent, jamais grandiloquent), Vigny (fasciné, avec les traits d’un enfant, dans « Servitude et grandeur militaires »), Lamartine (auteur d’un célèbre « Bonaparte » quasiment hagiographique), Musset (qui fait de « l’immortel empereur » un modèle pour les jeunes, dans « La Confession d’un enfant du siècle »), comme celle des chansonniers populaires tels Béranger ou Debraux, des poètes mineurs qui ne connaîtront aucune gloire – la poésie générale française est traversée par l’écrasante figure de proue napoléonienne. L’image du héros – tout à tour épique, mythique, puis apothéotique, et enfin déchu-, imprègne des milliers de poèmes, au point que l’on parle aujourd’hui de « poésie napoléonienne » pour désigner cette époque largement dominée par le Romantisme, et de « muse la plus féconde des poètes » (Pierre Lebrun) du XIXe siècle, souligne Anne Kern-Boquel, auteur d’une thèse sur « Le mythe de Napoléon dans la poésie française des années 1815 à 1848 » (soit de Waterloo à la Révolution). Davantage que le roman, voire que du théâtre – qui n’est pas en reste en termes de culte du mythe napoléonien, la poésie est un genre qui se prête particulièrement à la magnificence du personnage carrément extra-ordinaire, du héros sur lequel le lyrisme et l’épopée peuvent couler comme du miel depuis une corne d’abondance. Car il est question de mythe, et pas de (simple) légende. Hissé à ce rang suprême, Napoléon rejoint Faust, au fil des strophes. La poésie, excessive comme elle sait l’être, glisse et flirte parfois avec l’exaltation mystique. L’exil, la mort (mystérieuse) du héros, le retour de ses cendres, sont autant de colonnes qui érigent une mythologie unique, et le portent encore plus haut, plus près des cieux. Car, de l’image de l’ogre et du despote, la poésie retient plus volontiers celle du sauveur, voire celle du prophète. Voulant ignorer jusqu’aux échecs, la poésie se dépolitise, pour se vouer à l’esthétisation pure, à la sacralisation d’une image, même si celle-ci commence à être la proie du passé. Charles Chassé, dans son étude sur « Napoléon par les écrivains » (Hachette, 1920), souligne que les écrivains sont passés tour à tour de l’admiration irréfléchie jusqu’en 1851, puis au dénigrement systématique jusqu’en 1887,  et sont enfin parvenus à une admiration raisonnée jusqu’à l’aube du XXè siècle. A l ‘époque napoléonienne, en marge d’une littérature de référence, d’auteurs reconnus et célèbres, il existe une littérature populaire fort dynamique en France, faite de ballades, de chansons et autres complaintes, ainsi que de pièces de théâtre qui témoignent toutes de l’admiration populaire pour le héros, avec quantité de pièces célébrant la gloire du général victorieux Bonaparte, puis celle de Napoléon empereur. L’ensemble constitue un corpus historiographique formidable de l’époque. Ce sont des pièces naïves qui procèdent d’une propagande spontanée. Elles sont jouées sans chichis par des amateurs, souvent, et sont données dans divers théâtres, surtout à Paris. Cette littérature de la simplicité et du premier degré, qui se situe en marge de l’officielle, est loin d’être négligeable, car elle agit comme un formidable vecteur de la légende dorée d’un mythe qui prend corps auprès du peuple. La littérature « officielle » est composée d’écrivains flatteurs, d’hagiographes sans états d’âme, « de laquais », lancerait Cyrano de Bergerac, tels Lacépède : « On ne peut louer dignement Sa Majesté, sa gloire est trop haute », Laplace : « Grâce au génie de l’Empereur, l’Europe entière ne formera bientôt qu’une immense famille », Bernardin de Saint-Pierre : « Enfin le ciel nous envoya un libérateur. Ainsi, l’aigle s’élance au milieu des orages ; en vain, les autans le repoussent et font ployer ses ailes, il accroît sa force de leur furie, et, s’élevant au haut des airs, il s’avance dans l’axe de la tempête, à la faveur même des vents contraires ». Le propos paraît ridicule aujourd’hui. Il ne l’était pas, lorsque l’auteur de « Paul et Virginie » prononça cet « Eloge académique de Napoléon », sous la figure d’un « héros philosophe, foudre à la main et caducée de l’autre, planant sur l’Egypte »… Et ça marche. Les peuples d’Europe sont conquis.

    SERVITUDE DORÉE OU LUTTE IMPLACABLE

    La peinture et la musique symphonique emboîtent le pas de cette littérature qui ne recule devant aucun excès, allant jusqu’à friser le ridicule, à son corps défendant. De Saint-Pierre, encore : « Mais, lorsque le bruit des canons annoncera à la capitale le retour de tes phalanges invincibles, que des foules de jeunes épouses et de filles couronnées de fleurs se précipiteront dans les rangs de tes soldats couverts de lauriers, pour y embrasser des frères et des époux qu’elles croyaient perdus ; qu’élevant leurs bras et leurs couronnes de fleurs vers ton char de triomphe elles t’environneront de danses et de chants de la reconnaissance et de la joie, c’est alors que les muses françaises, s’élevant vers la postérité, chanteront la paix que tu auras donné au monde. » Ainsi la légende dorée tissait-elle ses lauriers à un empereur choyé, narcissique et satisfait (et qui n’en demandait peut-être pas tant). La noire ne sera pas moins excessive. Passons à présent « en revue » les apôtres de la légende suivante : Chateaubriand, pourtant mesuré, dans « Apostrophe à Napoléon », Charles Nodier avec « La Napoléone », Paul-Louis Courier dans « Le Plébiscite », Benjamin Constant dans « Napoléon usurpateur », ou encore le poète Marie-Joseph Chénier et Madame de Staël, n’y vont pas de plume morte lorsqu’ils dégainent leur ressentiment. Charles Chassé énonce clairement que « Napoléon eut contre lui les écrivains et républicains et légitimistes auxquels répugnait son despotisme. » Et même si certains continuent de l’admirer en secret, comme Chateaubriand et Madame de Staël, ils finissent par exprimer leur désaccord avec l’empereur. Et c’est une prise de risque, car Napoléon ne « lâche pas la bride », selon sa propre expression, ni à la presse, ni aux littérateurs qui sont en délicatesse avec sa politique. Chassé : « il fallait à ses adversaires choisir entre la servitude dorée et la lutte implacable. Parfois ils acceptaient la servitude, de guerre lasse ». A la vérité, Napoléon supportait difficilement qu’on ne l’adule pas. Victor Hugo, dans son discours de réception à l’Académie française, prononcé en 1841, décrit l’état de l’opinion en 1800 : « Tout dans le continent s’inclinait devant Napoléon, tout – excepté six poètes, messieurs, - permettez-moi de le dire et d’en être fier dans cette enceinte, - excepté six penseurs restés seuls debout dans l’univers agenouillé (…) Ducis, Delille, Mme de Staël, Benjamin Constant, Chateaubriand, Lemercier. » Certains sont « des adversaires intermittents de Napoléon », selon l’expression de Chassé. L’empereur ne les craint pas, sauf Chateaubriand, Benjamin Constant et Madame de Staël. Le premier, qui dédia à l’empereur son « Génie du christianisme » en 1802, tourne casaque avec véhémence une première fois avec un article publié dans « Le Mercure » en 1807. Celui-ci annonce la fameuse « Apostrophe à Napoléon », qui figure dans le pamphlet « De Buonaparte et des Bourbons », publié après l’abdication de Fontainebleau en 1814. Bonaparte, puis Napoléon, occupent l’essentiel des « Mémoires d’Outre-tombe », à partir de la Troisième partie et du Livre dix-neuvième. Extrait de cet Apostrophe : « Dis, qu’as-tu fait de cette France si brillante ? Où sont nos trésors, les millions de l’Italie, de l’Europe entière ? (…) Cet état de choses ne peut durer ; il nous a plongés dans un affreux despotisme. On voulait la république, et tu nous as apporté l’esclavage (…) Où n’as-tu pas répandu la désolation ? Dans quel coin du monde une famille a-t-elle échappé à tes ravages ? (…) La voix du monde te déclare le plus grand coupable qui ait jamais paru sur la terre (…) tu as voulu régner par le glaive d’Attila et les maximes de Néron (…) Nous te chassons comme tu as chassé le Directoire… ». Constant, banni comme Mme de Staël, publie malgré tout en 1813 « De l’Esprit de conquête et de l’Usurpation dans leurs rapports avec la civilisation européenne », pamphlet destiné à hâter le renversement de Napoléon (et à installer une monarchie constitutionnelle), au sein duquel le chapitre « Napoléon usurpateur » est d’une rare violence. L’empereur y est appelé « le lâche coquin ». Le livre devint un classique de toutes les luttes contre les régimes totalitaires. « Considérations sur la Révolution française », ouvrage inachevé et posthume (1818) de Mme de Staël (qui fut la compagne de Benjamin Constant), n’est pas moins tendre, même lorsque la femme de lettres y évoque Bonaparte avant son départ pour l’Egypte, mais ses attaques demeurent hésitantes. Chassé avance l’hypothèse d’un amour refoulé pour Napoléon qui aurait empêché la romancière d’exprimer sa grande déception (ou inconsciente frustration). Bien qu’interdite de séjour sur le sol français par l’empereur, qu’elle gênait, et en exil en Suisse dès 1803, Germaine de Staël nourrit ce fameux et largement partagé sentiment ambigu d’attirance-répulsion à l’égard du souverain. « Il m’intimidait toujours davantage. Je sentais confusément qu’aucune émotion du cœur ne pouvait agir sur lui. Il regarde une créature humaine comme un fait ou une chose, mais non comme un semblable. Il ne hait pas plus qu’il n’aime ; il n’y a que lui pour lui ; tout le reste des créatures sont des chiffres. La force de sa volonté consiste dans l’imperturbable calcul de son égoïsme… ». Chassé souligne qu’« il y a (là) comme une plainte personnelle qui teinte de discrétion ses remontrances ».

    LES AUTEURS RUSSES LUI VOUENT UN VÉRITABLE CULTE

    Napoléon exerce une fascination égale chez les écrivains étrangers. En Allemagne, les romanciers, francs-maçons pour la plupart, considèrent Napoléon comme l’empereur maçon qui devait octroyer la paix à l’Europe, précise Charles Chassé. Goethe décrit un génie, Fichte oscille entre admiration et dégoût, Kleist exprime sa haine napoléonienne à travers un personnage de « La Bataille d’Arminius ». Les Anglais Wordsworth, Walter Scott, Thomas Hardy, ou Coleridge, ne sont guère tendres. Outre-Manche, le fiel des poètes et des romanciers est en effet des plus denses à l’égard de celui qui leur inspire la terreur. Les auteurs russes vouent quant à eux un véritable culte à Napoléon, mais ils sont parfois aussi peu indulgents à l’égard de l’empereur et de la France, que le sont les écrivains espagnols. Cependant, c’est la fin du martyre  de Sainte-Hélène, et la mort de l’empereur qui amoindrit le ressentiment de certains. Pouchkine tourne ainsi casaque : du vivant de l’empereur, sa poésie contre lui est véhémente et post-mortem, elle devient admirative. Même revirement assorti de trémolos dans les vers, chez les Anglais Shelley et Byron, et chez le Français Lamartine notamment dans les « Nouvelles méditations poétiques ». Quelques années après sa disparition, la légende de Napoléon est réhabilitée à grand fracas, en France comme partout ailleurs, dans le roman, le théâtre et la poésie. Le retour des cendres du grand homme produit un choc et génère une empathie posthume qui transpire de certains livres. Les admirateurs tardifs les plus  éblouis, les plus épiques, sont les écrivains polonais tel Mickiewicz, ou l’Anglais Browning. Le temps du « dénigrement systématique » à l’égard de la mémoire napoléonienne, envahit l’ensemble de la littérature.

    DE LA HAINE À LA COMPASSION

    Cette période sera suivie d’une autre, où planera une « admiration raisonnée » pour l’empereur, ce jusqu’à l’aube des années 1920. Sauf peut-être en Russie, ou un Léon Tolstoï écrit avec mesure et justesse sur la gloire de l’empereur –mais aussi au sujet de la vanité de celui-ci-, en particulier dans « Guerre et Paix ». Le grand auteur avait été terrifié par le culte voué à Napoléon lorsqu’il visita Paris en 1858, déclare l’historienne Natalia Bassovskaïa. Tolstoï écrit d’ailleurs avec lucidité que « comme la guerre est déshumanisante, la figure de Napoléon n’est pas héroïsée ». Bassovskaïa souligne que le personnage (romanesque) napoléonien, d’abord dépeint sous les traits d’un « monstre corse », provoquera, après sa chute, une compassion qui ne sera cependant jamais univoque, tant chez Dostoïevski (qui se comparait volontiers à Bonaparte), que chez Lermontov ou Pouchkine. « Les classiques de la littérature russe n’avaient pas de tentation de se réjouir de son échec », énonce l’historienne. Qui ne manque de préciser que les femmes écrivains, à l’instar de Mme de Staël, et à l’image de la grande poétesse Marina Tsvetaïeva, sont plus volontiers passionnées, et comme irrationnellement captives, sous le charme de Napoléon. Voire secrètement amoureuses. Tsvetaïeva voue un véritable culte à l’empereur, allant jusqu’à décorer son intérieur d’images et de portraits de son héros absolu. Une vraie fan. Ailleurs, l’Allemand Nietzsche affûte son jugement dans « Le Gai savoir » en voyant dans Napoléon le modèle du « bon européen ». Les Français Maurice Barrès, Anatole France, entre autres, ou Rostand au théâtre, avec « L’Aiglon », ont la plume désormais apaisée. Une sorte de consensus se fait jour, en particulier dans le roman, qui se trouve débarrassé de parti-pris extrêmes. Il n’y aura jamais plus ni adoration ni haine péremptoires, mais des personnages romanesques à l ‘équilibre, ayant tiré peut-être les leçons de l’histoire. L’un des exemples les plus récents et des plus marquants de l’inspiration napoléonienne dans le roman, est La Bataille, de Patrick Rambaud (Grasset), qui obtint le Goncourt et le Grand prix du roman de l’Académie française, en 1997. Le livre (premier volet d'une trilogie, avec Il neigeait, et L'Absent), retrace la bataille d’Essling (21 et 22 mai 1809, près de Vienne). Balzac projetait d’écrire ce livre. Rambaud l’a fait. A n’en pas douter, l’immense succès du roman est à mettre pour partie au crédit de son inspiration napoléonienne. Le grand homme que l’on se plait à détester fascinera encore longtemps écrivains et lecteurs. L.M.

     

  • Le nouveau "mook" de L'Express


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    De nombreux articles sur le héros absolu, l'homme-légende, l'homme-Histoire, l'homme-destin... J'y signe le papier sur la funeste campagne d'Espagne de l'empereur, qui fut si meurtrière, avec notamment la conférence de Bayonne, au château de Marracq, ainsi qu'un long article sur Napoléon pris comme un genre littéraire en soi, ou : l'attirance-répulsion, depuis Hugo, Chateaubriand, Madame de Staël et jusqu'à Patrick Rambaud, pour un personnage qui fascine étrangement écrivains et lecteurs. 

    212 pages. En kiosque.

  • Avec ou Cent titres

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    Merveilleux petit livre que celui de Clémentine Mélois, Cent titres (Grasset), qui s'amuse (merci le logiciel Photoshop) à détourner avec humour les titres 

    IMG_2363.JPGd'oeuvres célèbres, avec ses couvertures reloaded. Voici donc "Maudit bic", de Melville, Wifigénie, de Racine, "Lexomil et le royaume", de Camus,  "Mais si", de Simenon, "Cabernet-Sauvignon", de Maurice Merlot-Ponty, "Le ravissement de Lol mdr V. Stein", de Duras, "Tendre elle m'ennuie", de Fitzgerald, et parmi les petitsIMG_2362.JPG derniers que l'on ne trouve encore que sur sa page facebook : Perec "Et le pot au lait", Emile Ajax, "Laver devant soi" et d'autres perles... Le projet est délicieusement absurde, oulipien, c'est du nonsense pur, de l'humour déjanté comme on aime, et la démarche dénote un grand amour des livres et de la littérature. Le livre-cadeau (10€) par excellence, le 23 ou le 24, quand on sera à la bourre...

  • Merci à "Lecturissime"

    Les bons papiers sont parfois ceux que l'on n'attend ni ne sollicite, ceux qui proviennent de vrais lecteurs qui font eux-mêmes la démarche d'acheter des livres qu'ils ont envie de lire, et puis d'en partager la lecture. J'ignore qui est la Hélène qui signe ces notes si sensibles, sur le site  Lecturissime, mais voici deux de ses articles (je connaissais celui sur Les Bonheurs de l'aube, je suis tombé sur l'autre - consacré à Chasses furtives- par hasard en surfant, hier), et cela ajoute à la tendre humilité de son auteur : nous découvrons ces compte-rendu en passant, car nul ne nous en avertit, et cela augmente singulièrement la délicatesse du geste)... Ce genre de surprise réjouit autant qu'un papier signé d'une pointure dans un journal à grand tirage. 

    http://www.lecturissime.com/2014/11/chasses-furtives-de-leon-mazzella.html

    http://www.lecturissime.com/article-les-bonheurs-de-l-aube-de-leon-mazzella-114626959.html

  • Flacons de fêtes (déjà!)

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    Sélection de livres sur le vin (papier paru cette semaine dans L'Express, par L.M.) : 

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    UN CLASSEMENT A LA LOUPE

    Ils sont 87 châteaux du bordelais à pouvoir inscrire la formule magique qui agit comme un sésame pour le monde entier, depuis l’Exposition universelle de 1855. « Le » classement, intemporel, souvent décrié, mais toujours en vigueur, signe les domaines les plus réputés du Médoc, des Graves et du Sauternais. C’est à une découverte de l’esprit et de l’histoire de ces crus d’exception que nous invite cet ouvrage co-signé par Jean-Charles Chapuzet (textes), et Guy Charneau (photos). Au-delà des mythiques Lafite-Rothschild, Latour, Margaux, Yquem, Haut-Brion et autre Mouton-Rotshchild, l’amateur découvre quantité d’histoires d’hommes, de terroirs, ayant forgé une certaine philosophie de la qualité et du prestige. Les Grands Crus Classés se sont d’ailleurs portés candidats, comme un seul homme, au classement au patrimoine immatériel mondial de l’Unesco. A suivre. 

    1855. Bordeaux. Les Grands Crus Classés, Glénat, 49,90€

    ETERNELLE EXTRAVAGANCE

    Fort du succès de « Culture whisky », Patrick Mahé récidive avec « Culture champagne » et nous fait pénétrer dans l’univers de l’extravagance, de l’art de vivre et du luxe accessible, en nous contant de façon didactique mais en souplesse, l’histoire pétillante d’un vin unique au monde, ainsi que les arcanes de son élaboration, sans oublier la grâce, l’élégance, et la part de mystère dont le champagne est auréolé. Nous entrons, autour de Reims, d’Epernay et d’Aÿ, jusque dans les crayères des maisons les plus prestigieuses, escorté par des photos remarquables signées Shoky Van der Horst,  et l’ouvrage, qui évoque entre autres les noces fréquentes du champagne avec les arts, ne manque pas de faire la part belle aux femmes du Champagne (elles ne sont pas toutes veuves) ; ses meilleures ambassadrices.

    Culture Champagne, Le Chêne/ EPA, 35€

    LES CLÉS DE BORDEAUX

    L’Ecole du vin de Bordeaux, émanation du Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB), propose aux professionnels et aux particuliers des formations diverses, qui vont de l’initiation au perfectionnement le plus pointu. Elle est devenue une référence, y compris à l’étranger, puisqu’elle inscrit son action au sein d’un réseau de 35 écoles spécialisées. C’est la quintessence du savoir et du savoir-faire de cette prestigieuse école qui se trouve rassemblé dans un ouvrage précieux et ludique à la fois, jamais abscons et cependant sérieux. « L’Essentiel des vins de Bordeaux » fait le tour de la question à la manière d’un guide ludique, en livrant toutes les clés nécessaires à la compréhension du terroir, du vignoble, d’une filière unique en son genre (dans les relations entre les châteaux et le négoce), d’une mosaïque d’AOC, des classements des grands crus, de l’année vigneronne jour après jour, de la vinification, et jusqu’aux alliances gourmandes, en passant par la dégustation. L’ensemble, présenté de façon concise, est agrémenté d’infographies terriblement pratiques et de croquis synthétiques, dans un ouvrage d’une grande clarté qui n’oublie jamais la dimension humaine de l’univers de la vigne. Cerise sur le bouchon : 38 vidéos sont téléchargeables depuis le livre, à partir de QR codes, qui permettent de prolonger la lecture, avant de se rendre sur le terrain. 

    L’essentiel des vins de Bordeaux, éditions de La Martinière, 19,90€

    LA MÉMOIRE DE L’OUTIL

    C’est un véritable musée de la vigne et du vin en 700 photos qui se trouve dans les pages d’un superbe album à dimension historique. Le prolongement de la main du vigneron a en effet toujours été un outil, fruit de l’imagination judicieuse de l’homme. La mécanisation croissante de ce métier tend à ranger au musée cette profusion d’objets utiles, cette mine d’ingéniosité, ces inventions d’une grande beauté aussi, que sont « Les outils de la vigne et du vin ». L’ouvrage est signé par deux passionnés, Sréphane Bernoud (rédacteur du livre) et Dominique Auroy, initiateur du projet. Ce dernier a constitué son propre musée… à Tahiti (ainsi où il a également créé, ex nihilo, un vignoble singulier sur l’atoll de Rangiroa, dans l’archipel de Tuamotu). L’ouvrage rassemble donc la collection privée, riche de plus de mille outils, de Dominique Auroy. Et il a été conçu avant tout afin de transmettre l’image et la trace d’un savoir aux générations futures. Mine d’informations sur les outils ayant servi au travail du sol, à la taille, au traitement de la vigne, au pressurage, aux vendanges, la tonnellerie, sans oublier la cave et la dégustation, l’album est enrichi par ailleurs de quantité de cartes postales anciennes. Celles-ci retracent une belle histoire humaine et l’on sent par ailleurs, en regardant de près ces outils dont l’usure extrême est palpable, la trace des mains des hommes, la beauté de leurs gestes, leur force paysanne et la difficulté de leur travail, aussi. Ce qui augmente l’émotion à la lecture. 

    Les outils de la vigne et du vin, La Taillanderie, 75€

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    Et quelques autres notules (non parues) sur d'autres livres :

    VIN ET NUMÉRIQUE

    La collection des Précis Féret, petits manuels pratiques à l’usage des professionnels de la filière vitivinicole, étudiants compris, et des amateurs éclairés, s’enrichit d’un ouvrage consacré aux relations qu’entretiennent forcément le vin et les réseaux sociaux. Nul ne semble en effet pouvoir échapper à l’avantage qu’il y a à utiliser (intelligemment) ces nouveaux modes de communication, dans le cadre d’un développement marketing, stratégique, commercial ou simplement d’information. Ce précis est ainsi un manuel d’aide à la décision pour des acteurs du monde du vin encore perplexes devant un phénomène relativement récent et complexe dans son utilisation, surtout lorsqu’il s’agit de boissons alcoolisées...

    Les Réseaux sociaux et le vin, par Patrice Malka et Vincent Pétré, Féret, 9,90€

    DÉGUSTATION BIODYNAMIQUE

    « Le Guide des vins en biodynamie », signé  Evelyne Malnic, créatrice par ailleurs du site plusbellelavignebio, en est à sa troisième édition et c’est donc un signe (positif) du succès rencontré par les nouvelles méthodes culturales douces et prônant une certaine symbiose avec la nature, qui touche à une philosophie fondée sur l’amour et le respect quasi absolu de la terre. L’auteur n’hésite pas à parler au sujet de la biodynamie « d’avant-garde de la viticulture française, voire de la viticulture de demain », ici et partout ailleurs. 487 vins bios (français et suisses) ont été dégustés  à la fin de l’année 2013 par un jury composé de 23 dégustateurs professionnels, et sont commentés dans ce véritable guide pratique singulier, qui milite de manière gourmande en faveur de vignerons engagés, passionnés et convaincus par les bienfaits de leur démarche écologique.

    Le Guide des vins en biodynamie, Féret, 22,50€

  • Collaborer ou résister

    collabos.jpgPapier paru dans le nouveau hors-série de L'EXPRESS, La France des collabos (rédaction en chef Philippe Bidalon, avec Léon Mazzella).

    C’est une France apathique, d’abord abasourdie par la défaite, puis aveuglée par un Pétain dont elle ne décèle pas de double jeu, qui va  tantôt collaborer activement, tantôt résister mollement durant les années noires. Par Léon MAZZELLA

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    En 1940, après la défaite, qui représente un énorme coup de massue national, aussi violent qu’inattendu, les esprits sont dévastés, et l’horizon prend l’aspect d’ « un paysage d’après la débâcle », écrit Julien Gracq dans « Un Balcon en forêt » (Corti), le récit par excellence de la drôle de guerre et de l’attente. Une France en déroute peut en emprunter plusieurs, aurait dit Lacan. Soit l’une ou l’autre, car la France d’alors est manichéenne par la force des choses (collaborer ou résister –mais avaient-ils le choix, au début ?). Ou bien alors cette France est sourde et aveugle, donc coupable de passivité active… Davantage abasourdie, le pays éprouve, comme l’exprime Pierre Laborie dans « Les mots de 39-45 » (P.U. du Mirail) « le deuil et l’humiliation (lesquels) ne suffisent pas à la conscience que les Français doivent garder du désastre et aux leçons qu’il leur revient d’en tirer. C’est du moins le discours que Vichy martèle quotidiennement en 1940. L’espace public est écrasé par un message envahissant, répété avec insistance : la défaite est une punition méritée, elle sanctionne les relâchements fautifs du passé (…). Le royaume étriqué du Maréchal devient celui de mea culpa, de l’autoflagellation et de la mortification collective. »

    C’est donc cette France-là, comme perdue en pleine mer, qui tombe dans le panneau Pétain. L’image du sauveur, de l’homme de Verdun, le grand-père rassurant et protecteur dans l’inconscient collectif, joue en faveur de celui qui se révèlera assez vite être l’homme du double jeu par excellence. Présenté comme un « bouclier » face au nazisme, la France croit en lui comme un seul homme, ou peu s’en faut, car il est toujours des esprits affûtés pour déceler l’ignoble supercherie, la couardise érigée en système nouveau. Et la France « collabore », de manière passive, en suivant aveuglément Pétain, pensant « résister » convenablement à l’occupant, auquel le maréchal dit ne pas faire trop de concessions.

    Las. Les premières lois antijuives seront promulguées dès 1940 par un gouvernement français auquel les Allemands ne demandaient rien. Pour Vichy, faire le jeu nazi en anticipant avec zèle ses désirs les plus ignobles, c’était s’acheter une place de choix dans la future Europe allemande, supposée inéluctable. Et de géopolitique, l’action de Vichy deviendra vite idéologique (lire p32). Car la France collaborationniste est bien un régime structuré, souligne Pierre Laborie, dans « L’Opinion française sous Vichy » (Seuil). Fort d’une idéologie incarnée par le maréchal, et baptisée « Révolution nationale », concept qui désigne une sorte d’interprétation de la débâcle, laquelle serait le produit d’une décadence trouvant ses origines dans une « anti-France » composée de Juifs, de francs-maçons, de communistes et autres métèques…  L’historien Denis Peschanski, auteur de « Vichy 1940-1944, contrôle et exclusion » (Complexe), remarque à ce propos que les Français ne semblent pas porter aujourd’hui la trace d’une culpabilité, mais manifestent davantage un intérêt pour une période « compliquée » (il n’est qu’à lire au sujet de cet adjectif chaque roman de Modiano), où chaque citoyen était partie prenante, à des niveaux très variables. Un autre historien ayant largement exploré la question, Henry Rousso, parle de « matrice du temps présent » pour évoquer cette période trouble de l’Occupation et du second conflit mondial en général.

    Dans le paysage de cette France autant trouble que troublée, il y a encore les Justes qui deviennent des sauveteurs par empathie bienheureuse, et les héros, qui combattent les armes à la main. Nous trouvons également des cas d’espèce : c’est Daniel Cordier, maurrassien convaincu, qui deviendra presque subitement le bras droit de Jean Moulin…

     Et puis il y a ceux que l’historien Jean-Pierre Azéma nomme les « vichysto-résistants » : d’abord pro-Pétain, puis déçus ou choqués par un fourvoiement certain, ils se tourneront vers une forme de résistance à des degrés divers : tous ne prirent pas le maquis une mitraillette Sten à la main, loin s’en faut. Mais tous condamnèrent les criminels de bureau qui se contentaient d’obéir aux ordres, en évitant soigneusement de se poser des questions d’ordre moral ou simplement personnelles.

    Enfin, il y a la majorité silencieuse. Un peuple en pleine « déliaison sociale » tandis qu’elle aurait dû naturellement se serrer les coudes. Sans agir, mais de la façon la plus passive qui puisse être, il exprime une France apathique. « Sortir du cadre », et d’abord désobéir, refuser par exemple l’humiliation de trop, comme le Service de travail obligatoire (STO), exigeait une force surhumaine. Rappelons que Vichy ira jusqu’à créer en 1941 des tribunaux d’exception auprès de chaque Cour d’appel, les « Sections spéciales » (Costa-Gavras en fit un film en 1975), chargés de juger les résistants, communistes et autres anarchistes, en se livrant à une justice expéditive.

    Parler encore de collaboration subie et de résistance passive, de mollesse et de courage, empêche par conséquent quiconque de juger le comportement d’un Français durant l’Occupation, et de lui reprocher d’avoir été pleutre ou « peu résistant », comme le susurra avec ironie Arletty lors de son arrestation. L.M. 

     

    "Chutes" du papier inédites, au sujet de la passion trouble de l'obéissance :

    Collaborer ou bien résister. Telle est la question.  L’universitaire et psychanalyste Pierre Bayard, dans son essai atypique, « Aurais-je été résistant ou bourreau » (Minuit), s’est livré à cette interrogation en toute honnêteté. Pure projection, certes, mais ô combien digne d’intérêt, ne serait-ce qu’intellectuel. Né en 1954, l’auteur ignore ce qu’il aurait fait s’il avait eu vingt ou trente ans en 1940. Il s’est donc transporté en esprit dans le passé, et il y a reconstitué sa vie, conscient de la supercherie fondamentale de son opération. Pour tenter de voir. Il a réfléchi aux choix auxquels il aurait été confronté, aux décisions qu’il aurait dû prendre, aux erreurs qu’il aurait commises. Il a pour cela inventé un « personnage-délégué », et a eu recours à la fiction pour effectuer cette expédition singulière. En faisant naître son personnage quand le propre père de l’auteur est né (en 1922). Alors Pierre Bayard explore le temps, tente de baigner dans un contexte singulier, et pénètre dans la tourmente d’une histoire écrasante et déchirante. Au sein de laquelle le principe d’engagement prend un sens capital. Par le détour de la fiction, une franchise intérieure aussi forte que possible autorise, peut-être, d’approcher une réalité enfuie, « le glissement vers les ténèbres » et, au-delà de celle-ci, de répondre à la question clé : « qu’aurais-je donc fait à la place de mon père ? ». Pierre Bayard n’oublie pas de préciser que le « devenir-résistant » est plus singulier que le « devenir-bourreau ». « Beaucoup plus mystérieux », écrit-il, « est le devenir-résistant, c’est à –dire la capacité que manifestent certains êtres à certains moments de leur histoire (…) de dire non. 

    Car aucun Français adulte ayant vécu l’Occupation ne saurait être jugé à la seule aune de notre présent confortable. Le regard élémentaire de l’historien (devons-nous le rappeler), nous apprend cette indispensable mise à distance du sujet, laquelle tient infiniment compte du contexte historique et social. De manière récurrente, le roman français tente d’apporter quelques éléments de réponse. Marc Lambron, né en 1957, écrit, dans « 1941 » (Grasset) : « Et nous condamnons d’autant plus fortement Vichy, qui n’a droit à aucune indulgence, que nous n’avons pas pris part à son histoire. »

    « Sortir du cadre », et d’abord désobéir, refuser par exemple l’humiliation de trop, exigeait une force surhumaine qui en appelait à la « re-création de soi », selon l’expression de Pierre Bayard (op.cit.). D’aucuns pensent que notre passion (française) d’obéir transcende jusqu’à notre égoïsme et notre souci de protéger nos intérêts vitaux. Ce concept a été étudié, côté Allemand, par l’historien américain Daniel Jonah Goldhagen, dans « Les bourreaux volontaires de Hitler », sous-titré « Les Allemands ordinaires et l’holocauste » (Seuil). Thèse : il n’est pas nécessaire d’avoir été actif pour être responsable. Ou bien : nous pouvons être redoutablement actifs sans avoir à nous salir les mains (voir Sartre). Goldhagen appuie cependant sa recherche (qui fit débat) sur l’idée d’un consensus sans contrainte, correspondant à des prédispositions (antisémites, en l’occurrence), inhérentes à une structure psycho-affective, historique, culturelle en somme, et exacerbée à un moment apothéotique de l’Histoire…. Il s’agit en quelque sorte du « devenir-bourreau par passivité » évoqué par Pierre Bayard. De l’inaction pire que la réaction, etc. Un thème récurrent. L.M.