lu/bu
LU : Le nouveau hors-série trimestriel de Technikart, gourmand sauvage, libertin libertaire, décapant salutaire, irrévérencieux intelligent, gourmand fier de l'être, hédoniste fort de son instinct, shootant dans l'éphémère, artiste emmêlé, fianceur de styles-genres ... se nomme : Grand Seigneur. Le magazine qui ne se refuse rien associe culture -et notamment littérature- avec gastronomie et vins, mais aussi sexe et politique, cinoche et junk, pipeule et rouge qui tâche de bien se tenir. Ce premier numéro est une vraie réussite. A suivre (de près)...
La corrida du 12 septembre 2010 à Dax, unique entre toutes (j’ai eu la chance de la vivre depuis le callejon) est l’occasion d’un album souvenir publié aux jeunes éditions Passiflore à Dax : Histoire d’une corrida triomphale, du Campo au Ruedo, est signé par un collectif d’auteurs (textes et photos) ayant suivi les toros depuis leur élevage jusqu’aux arènes. Il est toujours émouvant de feuilleter un tel bouquet de réminiscences. Les couleurs, les odeurs, les bruits affluent. Celui-ci est à conserver pour les jours de disette taurine, hélas si nombreux. Car cet après-midi-là, il y eut certes huit oreilles, une queue et une sortie a hombros des trois toreros et du mayoral, mais ce fut avant tout un jour de grâce où une sorte de magie habillait l’air. Nos pas, à la sortie, étaient légers, nos sourires étaient larges, le bonheur se lisait dans le bleu du ciel et dans le regard des femmes.
Le Dictionnaire du désir de lire, de Benoît Jeantet et Richard Escot (Honoré Champion), passe en revue cent romans contemporains du monde entier. Ces deux rugbymen passionnés de littérature dressent leur catalogue amoureux comme on hisse les voiles, et nous embarquent à bord d'un vaisseau de bon goût avec pour marins les plus grands écrivains du XXème. Cette navigation subjective peut naviguer tranquille à l'estime -que je garantis générale. Elle est aussi le reflet de ce qui fut publié de meilleur, car les drolles ont le nez sacrément fin. Ni didactiques, ni pontifiants, ni jargonautes ni abscons, les auteurs sont plutôt des passeurs d’un ballon ovale nommé littérature, et c’est en cent passes qu’il nous transforment une journée de lecture en bonheur : nul essai ici, que des romans (et des récits) au talent sûr. Des classiques mais aussi des inattendus; de la bonne came toujours.
Signalons chez le même éditeur, un Dictionnaire du rugby, énorme, riche de plus de 1600 entrées en 610 pages, signé Sophie Lavignasse, basque et dingue de linguistique et de rugby. L’Ovalie dans tous ses sens est un précieux bréviaire à garder près de soi pour le match France-Galles de samedi prochain. Voyons voir au mot déception… Tiens, il n'y figure pas! Enfin, pas encore(*) ...
Les Lebey 2011 sont parus : Le Guide Lebey des restaurants de Paris et sa banlieue (couverture orange) et Le petit Lebey des bistrots parisiens (couverture noire) nous sont devenus indispensables. Parce qu’ils sont fiables et pertinents, à jour et simples d’utilisation, concis et précis, sans esbroufe et à l’abri des modes branchées, ce sont des compagnons d’avant-soirée que l’on a plaisir à consulter, et même à lire !
Le Guide Michelin 2011 est paru également, avec ses surprises (rares, cette année), une avalanche bienvenue de bib qui démocratise le gros livre rouge (bravo à François Miura, qui obtient l’un des 117 nouveaux bib restaurants, à Bayonne), et des décrochages ici et là (la Villa Stings, à Saubusse, perd ainsi son étoile, et Les Pyrénées à St-Jean-Pied-de-Port perdent leur seconde : nous compatissons, avec l'envie de dire à ces potos-là : après tout, le Rouge, on n'en a rien à cirer!).
La vigne et le vin en cent mots, de Sylvie Reboul (Le Polygraphe) est l’un de ces petits bouquins en forme d’abécédaire qui fleurissent depuis quelque temps en librairie ; en particulier à propos du vin. Ce dernier est assez bien fichu, car enrichi de nombreux encadrés pense-bête, intitulés « Le saviez-vous ? » parfaitement opportuns, au détour de pages par ailleurs joliment illustrées de dessins et de cartes.
Enfin, un mot sur un essai admirable et qui semble connaître un petit succès mérité, Athènes vue par ses métèques, de Saber Mansouri (Tallandier), car il met avec justesse l’accent sur ces étrangers qui vivent à Athènes au Vème-IVème siècle av. J.C., avec les citoyens, qui sont d’une part des étrangers nés libres, installés comme artisans ou commerçants, ou encore comme réfugiés politiques, et d’autre part des esclaves affranchis (devenus métèques), ayant pour patron leur ancien maître. Ce sont des non-citoyens aussi attachés à leur cité que les vrais, ils participent à l’économie et font même la guerre, expriment par là un authentique désir d’adhésion, sinon de reconnaissance. La thèse de Mansouri est donc très différente de la plupart des autres, lesquelles font des métèques des personnages seulement attirés par le gain, prêts à trahir, opportunistes, voire dangereux pour l’équilibre social de la polis. Saber Mansouri déconstruit cette image d’un métèque imaginaire qui semble avoir arrangé nombre d’historiens, pour lui donner sa vraie dimension d’homme impliqué volontairement, et dont l’action est par conséquent encore plus valeureuse, car authentique et profonde.
BU : un délicieux bordeaux, Isle Fort 2008, élaboré à Lignan-de-Bordeaux, concentré comme on aime, avec des merlots raffinés (ce qui est rare), doté d’un nez de fruits rouges assez classique, mais dopé aux épices douces. En bouche, nous retrouvons une belle ampleur apparue au nez, l’épicé donne un petit effet queue de paon à la longueur, confortable au final. Ce vin appartient à Sylvie Douce et à François Jeantet (à l'origine du Salon du Chocolat) et l'éminent œnologue Stéphane Derenoncourt orchestre son élaboration. C’est l’une des plus belles surprises de ces dernières semaines, en Bordeaux. A noter que le domaine produit un rosé confidentiel (4000 bouteilles), Isle Douce 2009, 100% merlot, à la belle robe saumonée, au nez floral en diable et à la bouche gourmande et structurée.
L’autre bonne surprise bordelaise (une fois n’est pas coutume) de ces derniers jours est un graves de Pessac-Leognan : château Rouillac, aussi vif en blanc (2009) que puissant en rouge (2008), doté d’une puissance aromatique formidable et d’un caractère bien trempé -surtout sur un risotto à la truffe noire. Bravo au nouveau propriétaire, qui signe ses premiers millésimes avec brio.
Mais bon, l'essentiel se trouve dans le sud-est, du côté des côtes-rhône septentrionales, là où syrah, mourvèdre, cinsault, grenache et autres bricoles s'expriment comme des divas à l'Opéra, le soleil aidant. Mais ces jours-ci, aucune nouveauté, que des remettez-nous ça. Donc du bonheur : Le Grand Ordinaire.
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(*) déception se dit delusione, en Italien.
Question annexe : quand est-ce qu'il se casse, le Lièvremont et sa morgue d'enterrement !
Commentaires
Ah, Léon, le livre t'a rejoint à bon port. A bons pores aussi, qui transpirent l'amitié. Sais-tu, ta modestie en souffrira, que l'idée part de chez toi, ici même, sur ton blog, un jour (une nuit plus sûrement) où tu demandais à tes ami(e)s du clavier leurs dix livres, ceux qui, ceux dont... Dix plus dix plus dix et ainsi de suite firent vite cent. Et de chapitre en tome, le projet a grandi dans mon esprit. Mais c'est comme en amour, tout seul c'est pas mal mais à deux c'est mieux. Et Benoit était là.. A hauteur. De passe. Comme les exemplaires...
Merci pour ton texte.
Ce livre, quelque part, est aussi le tien.
Amicalement
Bonnes moisson/vendange printanière avec cet Escot lié à Jeantet, dont on se réjouit par avance, vu l'écriture des deux sur la toile; quant au reste... on ne peut être déçu que par ce en quoi on espérait.
=>comme fou : c'est trop d'honneur, Richard!
=>j'en profite pour te re-féliciter pour ton blog (tout est littérature)
Bonjour Léon,
j'ai beaucoup aimé les deux entrées : LU et BU.
Ces deux grands bonheurs sont votre signature...
Parfois vous vous attardez sur un livre et on sent, à vous lire, comme chacun des mots offerts est tremblant encore du silence du lire.
Aujourd'hui c'est fête ! Comme le dit un de vos commentateurs "Bonnes moisson/vendange printanière"...
J'attends le temps d'alambic où leslivres couleront goutte à goutte dans l'âme du prodigieux lecteur que vous êtes. Cette distillation fine et lente des mots qui font bonheur durable.
Le temps entre dans son éternité quand un livre grave en notre coeur son sceau d'amour.
Christiane,
Il faut décoder (L'UBU...)
Oui, Claude...
ce qui a été sera... ces mots venus d'un poème d'Aragon... chantés avec tant d'émotion par Ferrat...
Léon est un hôte, genre Sainte Rita...
A propos de déception. On peut ne rien attendre qu'un déroulement infini de la vague et soudain la lune vient qui entraîne les eaux vers un autre rivage. La déception est alors, soudain, cette grève désertée par l'eau vivifiante. C'est alors le temps des colliers de coquillages. Parfois on en pose un sur l'oreille et on écoute. Ce que l'on imagine être le bruit de la mer n'est que l'écho des battements de notre coeur solitaire...
Avec le bonjour d'Antoine qui eut bu... Jusqu'à plus soif...
Antoine Blondin ne buvait pas par soif mais peut-être pour pouvoir écrire sans casser les mots. peut-être... Qu'est-ce qui dans la lucidité l'effrayait ?
Merci, Christiane et Claude, de vos messages de chaleur.
Blondin buvait, je crois, pour survivre au monde, dès lors qu'il quittait le sien, qui était celui des mots et de la réclusion solitaire (il l'était devenu car même ses amis en avaient marre de ses ivresses assorties de dérapages incontrôlables). Lorsqu'il commença à faire entrer le vin dans ce monde intérieur et secret, les choses commencèrent à se gâter. Et, à l'époque où j'habitais près de chez eux (du côté des rues Mazarine et Dauphine), je voyais Françoise sa femme, descendre chaque matin un cabas de boutanches vides qui faisait une musique caractéristique sur le trottoir, jusqu'au G20 local. Le verre creux entrechoqué jouait un air plein
-blondinien.
Alors c'était beaucoup de douleur...