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Livre - Page 3

  • Qui connaît Louise Glück?

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    Le charme de l'Académie Nobel est d'attribuer de temps en temps leur prestigieux Prix de Littérature à de parfaits inconnus - en tout cas en France (*). Qui a lu des poèmes de la nouvelle lauréate américaine, déjà bardée de prix dans son pays ? Aussitôt l'annonce publiée, soit il y a une demi-heure environ, j'ai cherché sur la Toile. La discrète revue PO&SIE a publié par trois fois plusieurs poèmes de Louise Glück. J'imagine l'effervescence qui doit régner en ce moment dans certaines maisons d'édition, pour l'achat des droits, pour les traductions lancées à toute vitesse, les impressions qui vont suivre... Quelle chance pour la poésie! D'autant que (personnellement), je trouve ces poèmes plutôt bons. Jugez-en avec ces quelques extraits (il y en a pas mal d'autres sur le site de PO&SIE). L.M.

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    (*) Maryse Condé et Michel Houellebecq ont pu y croire. Et c'est râpé pour Milan Kundera, une fois encore. 

    Photo : Louise Glück à l'âge de 33 ans. Elle en a 77 aujourd'hui.

     

  • AUTOMORIBUNDIA

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    Joie ! La factrice vient de m'apporter l'oeuvre majeure de Ramón Gómez de la Serna (1888-1963). 1040 pages tant attendues, plusieurs fois retardées, à déguster à présent. Festin en perspective. L'auteur des mythiques Greguerías (évoquées plusieurs fois ici), de La Femme d'ambre, du Torero Caracho, de Seins (nos préférés parmi son abondante bibliographie), livre, avec sa copieuse autobiographie parue à Buenos-Aires en 1948, une oeuvre - dit-on - frappée du baroquisme hispanique moderne, imprégnée d'un humour caustique, signée d'un grand styliste. Ayons confiance en la traduction de Catherine Vasseur, et rendons grâce à Alice Déon et à sa petite équipe de La Table Ronde/Quai Voltaire, venues à bout d'un colossal travail d'édition. Et maintenant, entrons dans Automoribundia, les "mémoires d'un moribond" selon leur auteur, soit celles d'un des plus grands écrivains espagnols du XXe siècle, que Valery Larbaud considérait comme l'égal de Proust et de Joyce. À plus tard, pour un scrupuleux compte-rendu de lecture. L.M. 

  • Frédéric Musso mon ami

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    Frédéric,

    Je m’apprêtais à t’écrire qu’en dépit de nos masques de papier bleu, je franchirais « incessamment sous peu » le Rubicon des précautions d’usage afin de te rendre visite à Générargues pour parler poésie, Algérie, Camus, mais poésie avant tout. Mot, pas phrase. Les phrases, ce serait pour après. Après la kémia et le rosé glacé. Et voilà que tu casses ta pipe là, le 5 septembre. Sans prévenir, ou si pudiquement. Avec la discrétion de fumée, de lin, de soie, qui te définissait. « Je paye des années de picole et de clopes », m’écrivais-tu il y a quelques semaines, pour t’excuser auprès de la vie qui commençait à te déborder, et tandis que tu continuais de publier des photos de ta chère Marilyn sur Facebook, et que nous nous adressions des citations de poètes chaque matin ou peu s’en faut, comme on croise le fer chez les Cadets de Gascogne, histoire de se mettre en appétit de petit-déjeuner. Ping-Pong. Frédéric est aux Afriques. La Déesse n’a qu’à bien se tenir, puisqu’il arrive, fringant, séducteur et « classe ». Ton Algérie des souvenirs, ton Point sur l’île, ton Exil et sa demeure - si camusien -, tous tes poèmes taillés à la main, chacun ciselé dans le plus pur souci de l’éclat procuré par l’étincelle du mot, de la syllabe, je les ai là devant moi, tous rangés de dos, avec tes romans. Il n’en manque aucun. Je possède ton oeuvre complète et j'en suis fier, Frédéric. Je les ai lus et relus tant de fois, tes mots mon ami, et j’en aurai écrit ici et là (notamment dans L’Express) tout le bon que j’en vivais, tout le bien que d’aucuns en pensaient. Frédéric, ce soir je remplis le vase de ma tristesse avec le souvenir de nos échanges via Facebook. Comme quoi, nous étions donc devenus modernes, et irrémédiablement nostalgériques. Tu me manques. Tu commences à me manquer, là. Ça ne va pas, ça. Ça va pas du tout. Il faut faire quelque chose, Alice... L.M.

    L'essentiel de l'oeuvre de Frédéric Musso est disponible aux éditions de => La Table ronde  Si vous écrivez son nom dans la case "archives" de ce blog, vous pourrez lire au moins six articles que j'ai rédigés sur lui. Lisez Musso. FRÉDÉRIC Musso...

    Capture d’écran 2020-09-08 à 10.03.15.png Note ci-contre : Babelio. Et puis ce lien => Midi-Libre - qui présente succinctement Frédéric.

  • Vers le poème

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    « À quoi bon une œuvre, me disais-je, si elle ne peut se confondre avec l’amour, et si le chant qu’elle ébauche, tandis que je vais sur ma fin, ne peut monter d’un cœur plus nu ? » Marcel Arland.

    « La difficulté n’est pas d’écrire, mais de vivre de telle manière que l’écrit naisse naturellement. » Philippe Jaccottet.

    « S’il n’y a pas initialement émotion devant quoi que ce soit, il ne peut y avoir, il n’y a aucun mouvement vers le poème, et écrire un poème à partir de mots m’est impossible... » Philippe Jaccottet.

    Extraits de « De la poésie », Philippe Jaccottet. Entretien avec Reynald André Chalard (Arléa/Poche). Un petit livre précieux.

  • le parler pied-NOIR

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    Face à la marée montante de la bêtise (Camus), à l'indigeste inculture ambiante, au manque abyssal d'intelligence, à la caricature de notre humanité, à la grossière et brutale, violente et radicale montée des ignares fiers de l'être, face à la barbarie, aux bipèdes proches des bovins rescapés de l'abattoir pour des raisons inavouables, face au mépris forcément assumé pour la sensibilité, le respect de l'Autre, le tact, l'écoute, le dialogue, face au péril de l'ensauvagement galopant de notre société des Lumières et de l'esprit, du trait, de l'humour, de la dérision, de l'autodérision, de l'ironie - arme suprême contre toute forme de bêtise -, de l'intelligence fraîche, tendre, lettrée, fine et directe, contradictoire et duettiste, provocatrice par goût de la diatribe, du pamphlet, du frottement des cervelles cher à Montaigne en voyage, face à notre Histoire, notre Culture pluri-millénaire, face aux connards qui sont Légion, qui nous étouffent par leur nombre et leur absence de savoir-vivre, leur irrespect fondamental, face aux violents qui prolifèrent et pratiquent leur activité gratuitement en vous cassant la gueule comme ça, pour rien, les fats, face aux terroristes en tout genre - du plus meurtrier, solitaire et malade mental, à l'extrêmement meurtrier, organisé, en bande, et/ou ayant fait allégeance à la lie de ce siècle -, face à face, je me demande bien comment, si je devenais sujet de soumission (ce mot étant devenu à mon esprit le plus important depuis la parution du livre éponyme, si clairvoyant, prophétique de Michel Houellebecq, et ce concept-là, je le précise haut et fort, n'a rien à voir avec un mouvement politique frelaté d'origine - récupérateur et bassement opportuniste -, terriblement stalinien, aux accents dictatoriaux, né en terreau bobo il y a quelques années)... Je me demande donc bien comment je devrais changer le titre de mon long-seller, constamment réimprimé depuis sa première publication en juin 1989, repris en format de poche en janvier 2017. Agatha, tu dois bien avoir une idée, non, avec tes 2x5 Petits nègres, qui viennent d'être contredits par ta pleutre descendance ? Et toi, Henry Beyle (Stendhal), est-ce que Le Rouge et le gris foncé, pour titre de ton oeuvre merveilleuse, te conviendrait-il ? (Je sais, je sais, tu réponds : c'est une blague, ou bien vous marchez tellement bien sur la tête que vous êtes devenus pathétiquement risibles). Si je continue en égrenant les exemples (seulement) de titres de livres sujets à caution face aux nouveaux censeurs, la liste va être très longue. Autant que celle de la monumentale connerie des nouveaux procureurs improvisés sur les réseaux sociaux, cette plaie purulente dotée d'un Q.I. d'huître tiède, mais au potentiel terrorisant explosant l'échelle de Richter, s'il s'agissait de secousse sismique. Mais c'en est une, et nous n'y prenons pas assez garde. L'alternative? Charles de Gaulle disait à son Président du Conseil, et donc indirectement aux Ministres (si sa ligne politique ne leur convenait pas. Autre époque, celle de l'État, c'est moi. Et ça avait de la gueule) : Soit on se soumet, soit on se démet. Là, le schéma est autre : soit on continue de se soumettre, soit c'est la guerre civile à l'horizon. Les cons, ça ose tout, et c'est d'ailleurs à ça qu'on les reconnait (Michel Audiard). Et nous n'avons plus beaucoup d'effort à faire pour les reconnaître tant ils sont nombreux, omniprésents, arrogants comme la corneille à l'égard du moineau domestique en milieu urbain, et même de l'homme devant une poubelle publique (ici, l'éthologie est éclairante, mais c'est un autre sujet. J'y viendrai). J'ai - donc - publié Le Parler Pied-Noir (Rivages, 1989, Petite Bibliothèque Payot, 2017). On fait quoi ? Moi, je garde le titre, évidemment. Et j'emmerde copieusement les cons, cela va de soi. L.M.

  • Rectifier le tir

    Capture d’écran 2020-07-29 à 21.10.54.pngDouglas Potier, jeune élu sans étiquette âgé de 25 ans, appartenant au conseil municipal de la commune de Bolbec, Seine-Maritime, aurait pris à partie plusieurs élues de son assemblée en les traitant de « bécasses » et d’ « animal de ferme », au motif qu’elles s’efforçaient de couvrir sa parole lorsqu’il la prenait. Je me fiche totalement de la teneur locale du débat, et de l’enjeu dont il fut question. Y compris des animaux de ferme. Je souhaite juste rectifier certains tirs (à canon lisse, c’est préférable), en chuchotant à ce trublion qui souhaite que « les bécasses qui ricanent (...) soient rappelées à l’ordre », qu'il a, ce faisant (pan!) prononcé une ineptie ornithologique, cynégétique, ontologique, et autres giques. Ce qui me turlupine, c’est cette tendance à vouloir comparer la supposée bêtise féminine (je sens qu’en écrivant ces deux mots, je vais écoper d’au moins 2 963 lynchages de la part des procureuses de la raie publique), à un oiseau, Scolopax rusticola, lequel est doté d’une intelligence tellement rare qu’elle est (inconsciemment) jalousée par l’ensemble de la gent ailée. Car, oui, la bécasse est un oiseau d’une subtilité exceptionnelle, d’une discrétion qui devrait servir d’exemple au traoerisme ambiant (lequel rappelle, un cran en dessous, un certain nabilisme auréolé d’une pensée historique, « Allo, quoi ! » souvenez-vous, en référence à un shampoing, dont les vertus étaient éloignées de celles que la lecture de Spinoza procure jusqu'au cuir chevelu). Que cette « dame au long bec », ou  « mordorée », la bécasse donc, d’une habileté naturelle extrême, d’une humilité qui n’a d’égale que son mimétisme, lequel augmente son sens de la pudeur et de l’élégance, ne saurait continuer de souffrir de passer pour le synonyme d’attributs négatifs, idiots, décervelés. La bécasse, la « dame des bois », solitaire le plus clair de son temps, est un oiseau (féminisé, quel que soit son sexe), que tout amateur, tout ornithologue improvisé, tout chasseur dévot, vénère comme une Déesse. Alors, lorsque, sans même avoir besoin de dégainer Maupassant et ses splendides « Contes de la bécasse » comme on épaule un calibre 20 au pied d’un chêne perdu dans une pinède landaise (au hasard) à l’instant où la cloche du chien se tait, je dirai juste à Stéphanie Kerbarh, députée de Seine-Maritime prompte à condamner les propos « sexistes » de Douglas Potier – mais surtout à ce dernier -, qu’il devraient mieux choisir ou colporter les noms de volatiles dont les femmes de leur conseil et de leur assemblée sont affublées. Au moins par respect pour les oiselles. S’il vous plaît. Que n’avons-nous pas entendu parler plutôt de « triple buse » (pourquoi triple, d’ailleurs, je me le demande chaque fois),  de « dinde », et autres (têtes de) « linottes ». Non. Retenez juste que la bécasse, donc, est un oiseau d’une « intelligence » rare (je risque le mot, car Darwin roupille, et que Buffon prend l'apéro - j’en profite !), qui fascine depuis l’aube de l’humanité civilisée, tout être humain botté épris de beauté sauvage, sensible et pure. Bref, être traitée de bécasse est un honneur, mesdames. CQFD. L.M.

  • Poésie plein les poches

    Capture d’écran 2020-07-22 à 18.10.26.pngPetite brassée à dominante poétique (comme souvent, ici). Les Poèmes bleus de Georges Perros disent sa Bretagne avec simplicité, comme l'auteur des fameux Papiers collés savait le faire. Avec fluidité et de manière percutante, comme un coup de poing de coton. Tout en souplesse et délicatesse bourrue. 

    Capture d’écran 2020-07-22 à 18.11.42.pngL'oeuvre poétique d'Andrée Chedid est quasiment rassemblée en un copieux volume, Textes pour un poème, suivi de Poèmes pour un texte. Préfacée par "M", Matthieu Chédid, son petit-fils, cette somme s'attache à la concision, à la lucidité sans compromis. La poésie est naturelle. Elle est l'eau de notre seconde soif, écrit-elle. Tout elle...

    Capture d’écran 2020-07-22 à 18.11.15.pngDe Lydie Dattas, Le Livre des anges, suivi deLa Nuit spirituelle (écrit pour Jean Genet), et de Carnet d'une allumeuse, sont l'essentiel de l'oeuvre de cette étonnante femme qui épousa Alexandre Bouglione (du cirque éponyme), et créa avec lui le cirque Romanès (Alexandre, Romanès cette fois, publia par la suite des poèmes chez Gallimard...), et compagne de Christian Bobin... Sa poésie possède une puissance lyrique qui n'a d'égale que la sensualité de ses vers libres, sauvages. Lisez Dattas.

    Capture d’écran 2020-07-22 à 18.12.40.pngDe Joris-Karl Huysmans, Le Drageoir aux épices, et Croquis parisiens sont loin d'égaler À rebours ou tout autre texte en prose de cet auteur devenu culte, et pléiadisé de fraîche date. Sauf que l'esthète que nous savons se situe dans la droite ligne des poètes aimant la prose poétique, comme Aloysius Bertrand et Charles Baudelaire. Chez Huysmans, la moindre scène de rue, de brasserie, sert  à croquer des personnages anonymes, à la vie minuscule, et ils en deviennent des gravures, des eaux (de vie) fortes.

    Ces quatre ouvrages sont proposés par la toujours aussi précieuse collection Poésie/Gallimard.

    Capture d’écran 2020-07-22 à 18.15.44.pngFolio nous offre les Oeuvres complètes de François Villon dans une édition bilingue (ancien français - français moderne) pilotée par la savante Jacqueline Cerquigny-Toulet. Le poète médiéval maudit, le mauvais garçon, le voyou de Paris, hors-la-loi, taulard à plusieurs reprises, banni, s'éclipsa avec tant de tact qu'on perdit sa trace en 1463. Il avait trente-deux ans, et déjà bâti une oeuvre universelle. Je, François Villon, se fiche de l'amour courtois comme d'une guigne, il trousse, détrousse, profane tout. Entêtant.

    Capture d’écran 2020-07-22 à 18.16.04.pngPour finir, quelque chose de nettement plus sérieux. L'auteur, ses droits et ses devoirs, par l'avocat écrivain spécialisé dans les affaires éditoriales le plus connu de Paris, Emmanuel Pierrat. 850 pages où il est question de censure, de contrats, de droits d'auteur, de diffamation, d'adaptation, de la misère des poètes, des méandres complexes de la judiciarisation croissante de tous les métiers - y compris ceux (-là) de liberté... Vademecum à feuilleter comme un dictionnaire, l'ouvrage, inédit, fera date (au fil de son actualisation). J'y ai cherché rapidement des choses sur le scandale de l'AGESSA, sécurité sociale des auteurs à laquelle tout écrivain cotise à chaque euro perçu, et qui ne reversera RIEN lorsque les pauvres plumitifs, les cracheurs d'encre et de beauté, lorsque les voleurs de feu désireront prendre leur retraite, mais je n'ai rien trouvé dans "le" Pierrat. Affaire à suivre. Folio. L.M.

     

  • Fraternité

    Visuelmagloire%20HA%20Solidarite4.pngHommage au Père Magloire, célébrissime calvados, pour cetteCapture d’écran 2020-07-21 à 12.40.49.png cuvée Fraternité à prix plancher (17,90€ la bouteille de 50 cl.). Il s’agit d’un Hors-d’Âge issu de lots vieillis 12 ans au moins. C’est rond, d’une grande douceur vanillée, avec des notes fruitées et légèrement torréfiées. Cette édition spéciale fêtera les 200 ans de la marque. À déguster au crépuscule, sec, voire frappé, en faisant tourner quelques glaçons dans le verre afin de le refroidir instantanément (puis jetez la glace). Ça fonctionne bien avec Mozart comme avec Bob Marley, ainsi qu'avec quelques pages du Grand MeaulnesL.M.

     

     

  • Loin, derrière (ou devant, c'est boomerang pareil)

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    Et tout à trac (ne me demandez pas pourquoi puisque je l'ignore), je pense à Roger Couderc (Allez les petits, ce soir les Poules ont du pain sur la planche...), à Pierre Salviac, à Bala (Pierre Albaladejo, le Dacquois magnifique, avé le D de drop, si souvent je t'ai serré la pogne aux corridax...), à ces années Blondin, ces années Cormier, ces années Dutournier (Alain, en contra barrera), ces années de pur-sang, de rire, de gouaille, de magrets entiers, d'amitié, de transmission, de passages de ballons et de bons mots, de traits d'esprit et de pastis liquides et solides, d'absence de peur ; et de laisser-braire 24/24... Chaque soir, j'avais le sentiment de rentrer dîner chez Kléber et de demander à Caroline ce qu'elle nous avait préparé à manger, l'été finissait sous les tilleuls, oui, pourtant je rentrais a casa à Bayonne, tranquilou, et maman était encore de ce monde; et nous avions un seul mot en horreur : Adios. L.M.

  • Lire, relire inlassablement Louis-René des Forêts

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    Je reprends Le Bavard et me contente cette fois de relire seulement les passages annotés au crayon de ma main. A priori, ces traces figurent la moelle d'une lecture première, pas forcément juste, car datée, et ayant obéi à un contexte émotionnel particulier et fugace. Qu'importe. Il me semble que cela tient encore la route. Permanence des états d'âme et des prédispositions à certaines lectures exigeant davantage d'attention que d'autres. Un exemple : 

    "... lorsqu'un silence religieux s'établit en bas comme un majestueux point d'orgue, l'oiseau fit entendre là-haut quelques vocalises pures, presque grêles, mais dont l'ironique désinvolture me causa cette ivresse qui est le désespoir absolu voisin du bonheur."

    Des émotions de ce désordre là, lorsque l'on entend de surcroît - tout en relisant -, un concert doucement tonitruant de merles ivres d'amour, de pinsons rieurs, de mésanges facétieuses, de chardonnerets toujours élégants, de palombes à la gorge ronde, de buses aiguës, de corneilles graves et méfiantes, un pic vert bruyant, un rouge-queue noir malicieux, et un rouge-gorge sûr de sa prose, sont à ranger dans les rayons les plus précieux de son coeur. Elles vous débouchent les artères. L.M.

    Prochaine étape : reprendre, du même auteur, un livre très important, car extrêmement émouvant, Ostinato.

  • Melville total

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    Lino Ventura et sa dégaine inimitable, Christine Fabréga et sa coupe de cheveux de speakerine, Paul Meurisse et sa phrase merveilleuse, Michel Constantin et sa raideur touchante, Raymond Pellegrin et sa voix envoûtante, Marcel Bozzuffi et son insolence séduisante, Denis Manuel et sa couardise à peine feinte, ainsi que Paul Frankeur, Pierre Zimmer et Jean Négroni... Du noir & blanc de belle facture, des dialogues aux petits oignons, pas un sourire surtout, des imperméables et des chapeaux à la Humphrey, des mains noyées dans des poches bourrées de flingues (Beretta, Lüger 9 m/m), des répliques impeccables, aucun laisser-aller, de la « tenue » (ce dont nous pourrions vite manquer, en ces temps confinés) ; bref, une distribution de gala. Melville, « Le Deuxième souffle », d’après José Giovanni et lui aussi aux stylos, la nuit, rue Jenner. Avec l’immense talent, les marottes de l’auteur du « Doulos », du « Samouraï », de « L’Armée des ombres », du « Cercle rouge ». Des bruits de trains qui filent, de portes de voiture qui claquent – de longues américaines, surtout -, des bureaux et des costumes tirés à quatre épingles, un code d’honneur qui plane comme un couvercle sur tout ce qui se mijote, s’ourdit, se complote. Melville. Ses rêves d’Amérique, son côté Hammett visité par Faulkner et revisité par Simenon. Sauce Ji-Pé Melville. Une patte, un ton, une franchise, un hiératisme, une morale, une ascèse peu courante, ayant tout de même cours chez les bandits de très haut vol et de grand chemin. Un style. Une signature. Demain, revoir « Le Doulos », puis « Le Samouraï ». Et, après demain, « L’Armée des ombres ». Question d’hygiène cinématographique. L.M.

  • Délicieux François Bott

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    Un nouveau livre de cet auteur discret et délicat est toujours un bonheur, comme celui de trouver, enfant, un œuf de Pâques dans l’herbe.

    Cette fois, La Petite Vermillon rassemble un bouquet de croquis parus dans Service Littéraire et, en prime, reprend le premier ouvrage de Bott paru en 1969 (entièrement réécrit) et consacré à Roger Vailland, l’autre Roger, avec Nimier. Bott, ce fut notre découverte en 1977, en même temps que les aphorismes de Cioran, de son « Traité de la désillusion » paru dans la collection Perspectives critiques que Roland Jaccard dirigeait aux PUF. Puis, nous lirions « La Déception historique », paru chez Plasma où tout était bon, sous les auspices de Pierre Drachline « qui cultivait les idées noires comme des fleurs vénéneuses », et à l’ombre de Raoul Vanegeim le « situ », théoricien de l’autogestion de la vie. Et ce fut bien sûr les années Monde des Livres placé sous la houlette de M. Bott. Les meilleures, peut-être, du supplément culte du quotidien du soir. François Bott avait cofondé Le Magazine littéraire que l’ami Jean-Jacques Brochier dirigera si longtemps, et piloté aussi les pages littéraires de L’Express. Les années passent, les couvertures signées Moretti demeurent, comme le souvenir du feuilleton de Poirot-Delpech faisant campagne pour conquérir un fauteuil Quai de Conti, et les articles ciselés de Kechichian, lus chaque jeudi vers 14 h. Bott, donc, avec « Il nous est arrivé d’être jeunes », déballe un trésor de mini portraits d’une grande tendresse, d’une grande justesse, d’une précision à la pointe sèche qui n’interdit pas le lyrisme contenu d’un styliste au regard acéré, mélange de Larbaud, de Morand, de Renard, de Delteil et de Fargue. Il y a tout cela chez ce grand lecteur aux amitiés littéraires choisies. Cette galerie, qui va d’Aragon à Zweig dans l’ordre alphabétique, est un beau désordre sentimental où l’on croise Cioran disant « on n’habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c’est cela et rien d’autre. » Des écrivains qui ont la bougeotte comme Morand, Larbaud et Cendrars, des flâneurs comme Déon, Calet... « D’un côté, les plumes baladeuses, les flâneurs des deux rives, les éternels vieux marcheurs, les avocats de la nonchalance, les princes de l’oisiveté, les apôtres de la paresse », écrit Bott au chapitre consacré à Déon, « de l’autre les cosmopolites, les géographes lyriques, les grands voyageurs, les citoyens du monde... » Le talent de l’auteur tient à son art de construire un texte bref autour d’une idée. L’inachèvement de « Bouvard et Pécuchet » au sujet de Flaubert, la découverte fortuite et lumineuse d’Aimé Césaire par Breton dans la revue Tropiques, l’épopée homérique de Blondin écrivant sur le Tour de France, une phrase de « Lord Jim » pour circonscrire le talent fitzgeraldien de Conrad, une autre de Vialatte aussi drôle qu’absurde, la description de l’Armistice de 1918 dans un article signé de Delteil, l’inévitable évocation du thème « j’écris Paludes », de Gide, la « haine de soi » de Drieu, ou bien des compliments par petites touches sur le style de Michel Bernard lorsqu’il évoque Genevoix, l’allure de Calaferte, le personnage modèle que fut Camus... Il y a des textes plus sensibles que d’autres, écrits lorsque les amis disparaissent. Nucéra, Drachline, Roger Grenier. Ne manquent à l'appel pourtant copieux du sommaire, que les noms de Hardellet, Pirotte, Maurice Blanchard, Tristan Cabral, de Richaud, Perros, Roland Cailleux - auxquels nous pensons comme quand nous songeons aux cousins pas si éloignés de la famille. L'ouvrage rend enfin hommage sous la forme d'un essai claquant aux « saisons et passions » de Vailland : « Les matins de sa vie, quand il partait chasser le bonheur, Roger avait l’allure, l’allégresse et l’appétit des héros de Stendhal », lit-on d’emblée. Avec Saint-Just comme avec Bott, « le bonheur est une idée neuve », et la littérature, une fête de chaque jour. L.M.

     

     

  • « La poésie, c’est ce rien qui peut tout »

    Capture d’écran 2020-03-17 à 17.06.09.pngEn ces temps de guerre contre un ennemi invisible, et tandis que le mot confinement est sur toutes nos lèvres masquées, le Printemps des Poètes* a lui aussi réduit sa voilure. Au lieu de renoncer ou de faire l’apprentissage de la résignation, nous sommes encouragés en haut-lieu à lire. Alors pourquoi pas de la poésie, laquelle ne doit pas prendre un ris. La phrase de Christian Bobin placée en titre de cette note est un étendard. Sophie Nauleau, la directrice artistique du Printemps des Poètes, nous avait donné il y a deux ans « La Poésie à l’épreuve de soi », dédié à l’Ardeur, et qui fut commenté ici même. Voici, afin d’épouser le thème du Printemps de cette année, le Courage (après la Beauté, l'an passé), « Espère en ton courage » (les deux chez Actes Sud). Référence directe aux vers de Corneille, « Espère en ton courage, espère en ma promesse ; / Et possédant déjà le coeur de ta maîtresse, / Pour vaincre un point d'honneur qui combat contre toi, / Laisse faire le temps, ta vaillance et ton  roi. » (Le Cid), la lumière de cette parole intrépide doit pouvoir foudroyer le noir, nous dit d’emblée l’auteure. Et cite Paul Valet, dont elle préface « La parole qui me porte » (Poésie/Gallimard), « Avec ce qui me reste de courage,Capture d’écran 2020-03-17 à 17.14.26.pngCapture d’écran 2020-03-17 à 17.15.11.png défoncer toute la Nuit », ou encore « Une rigueur sauvage / M'envahit quand j'écris », du même poète dont Cioran évoquait le « lyrisme frénétique ». Résonnent également les mots de Rilke extraits de ses « Lettres à un jeune poète », « Au fond, le seul courage qui nous soit demandé est de faire face à l’étrange, au merveilleux, à l’inexplicable que nous rencontrons ». Marceline Desbordes-Valmore écrivit « Le malheur me rend le courage ». Le mince ouvrage de Nauleau devient une sorte d’anthologie du courage en poésie où l’on trouve à la fois Hugo et André Velter – dont parait le beau recueil « La vie en dansant » (suivi de « Au cabaret de l’éphémère », et de « Avec un peu plus de ciel », Poésie/Gallimard) -, Mahmoud Darwich et Bartabas, Michaux et le délicat Zeno Bianu. Citons le splendide Adonis, pour finir, « Apprendre le courage d'une luciole / qui porte le feu / sur des ailes si petites. » L.M.

    * 22è édition, depuis le 7 et jusqu'au 23 mars.


    Alliances

    Capture d’écran 2020-03-17 à 17.38.32.pngQue déguster avec ces vers? Le Champagne de Vignerons (de Jean-Marc) Charpentier, à Charly-sur-Marne, cuvée Meunier Terre d'Argile Extra Brut, 3,5g/l (3 546 flacons à peine), issu d'une vieille vigne (1965) du domaine de 24 ha. Fin, élégant, précis, en conversion bio. Vinification parcellaire. Du cousu main que ce meunier 100% à l'attaque franche (coing, tilleul, abricot), charnu et crémeux, pulpeux et pâtissier en bouche. Finale puissante. 39€

     

     

     

     

  • Quatre livres sauvages

    Capture d’écran 2020-02-08 à 21.01.18.pngÇa se confirme. Dans la gueule de l'ours, de James A. McLaughlin (Rue de l'échiquier) - déjà évoqué ici, lire plus bas -, est un grand (premier) roman de nature sauvage qui sent bon les veines nouées, fluides, riches de Jim Harrison, Norman McLean, Rick Bass, James Crumley, Thomas Mc Guane... C'est puissant, rugueux, âpre, rude, fort en muscles, en alcool, en mots, en regards, en gestes, en sentiments exacerbés. La langue est somptueuse, qui abonde de descriptions tantôt lyriques tantôt sèches. Rice Moore, ce criminel en cavale devenu garde forestier au fin fond des Appalaches, ne nous quitte pas. Le cartel mexicain de la drogue à ses trousses devient anecdotique, lorsqu'il nous emporte dans son enquête sur ces ours mutilés pour en extraire la vésicule qui vaut de l'or en Chine. La mafia est là, nous la sentons partout. Mais nous ressentons davantage, pour notre bonheur, la nature brute de l'environnement aussi hostile qu'apprivoisable qui chatouille un héros peu ordinaire, au caractère trempé; inoubliable.

    Capture d’écran 2020-02-10 à 19.53.22.pngIdem pour Animal, - évoqué lui aussi il y a quelques jours -, de Sandrine Collette (Livre de poche), championne en intrigues sinueuses. Mara se fera prendre (euphémisme) par l'ours au Kamtchatka, puis elle ira à la rencontre du tigre en Asie, plus loin. Et de son enfance. La recherche de ses propres limites, la quête du sauvage en soi, la part d'animalité que nous possédons tous, que d'aucuns refoulent par commodité, mais que d'autres fouillent et s'efforcent d'extraire afin de la regarder en face comme le crâne dans la main d'Hamlet, Collette nous la pose sur la table comme on y dépose un coeur sanguinolent ou un foie frais, brut. Les territoires d'une impossible approche mais d'une certaine rencontre, à travers Lior, cette Diane chasseresse d'un outre-monde, deviennent un lieu inconnu des cartes, seulement repérable par les membres d'une communauté invisible. Celles des chamans de l'impossible. En faites-vous partie?

    Capture d’écran 2020-02-08 à 21.02.10.pngC'est un peu ce que Natassja Martin nous chuchote à voix basse, avec son magnifique récit, Croire aux fauves (Verticales), d'une beauté renversante. Ethnologue, elle faillit disparaître dans la gueule d'un ours, au Kamtchatka, elle aussi. L'animal lui fit grâce, ce qui la lia indéfiniment à lui, non sans la défigurer et lui faire endurer un temps long dans les hopîtaux russes - ce qui vaut de superbes passages sur l'univers médical, loin du confort d'une Pitié-Salpetrière... Natassja devient incarnée, habitée, intriquée, possédée. Autre. Devenue mathuka (ourse), l'auteur se métamorphose à son corps défendant en devenant mieux : miedka, marquée par l'ours. Soit moitié humaine, moitié animale. Le récit devient mystique. La quête de l'auteure mutilée sublime par ses évocations douces d'un corps à corps d'un autre temps et d'un autre monde, d'une dimension immesurable, ce que personne ne peut imaginer dans son tranquille quotidien. Ecrit dans une langue percutante et dépouillée, Croire aux fauves (*) transcende la littérature qui croit au qui-vive, au miroir dans le silence de l'autre, à la territorialité, à la puissance, à la grâce, au baiser qui ne tue pas, à la paternité, au don, à la fluidité complexe des rôles, à la fascination. À l'essence même de la chasse dans ce qu'elle a de plus sublime, philosophique, sage, essentiel.

    Capture d’écran 2020-02-08 à 21.03.04.pngDavid Malouf, avec L'infinie patience des oiseaux (Livre de Poche), offre un roman d'une fluidité envoûtante. Deux hommes se retrouvent sur le terrain de l'ornithologie, leur passion. Ils ambitionnent de créer un sanctuaire dédié aux oiseaux en Australie, où cela se déroule. Jim et Ashley sont complices d'une certaine approche de la Nature. Les descriptions des marais qu'ils arpentent et étudient sont splendides. Un personnage féminin (comme dans tout roman aux clés basiques) interfère, et Imogen, photographe, surgit. L'amour aussi, entre Jim et elle. Mais la Grande Guerre explose. Les garçons s'engagent et se retrouvent sur le Front, du côté d'Ypres, de sinistre mémoire. L'horreur est méticuleusement décrite, sans filtre, et l'insoutenable devient tolérable à la lecture, grâce aux oiseaux migrateurs - alouettes, notamment -, à un torcol aussi, décrits avec amour par deux jeunes soldats - égarés fondamentaux comme le furent tous les soldats australiens, anglais, français, allemands... -,  et trouvant la force de s'émouvoir de l'insouciance des volatiles que le vacarme des obus ne semblait pas déranger outre mesure. Magnifique. Quatre bijoux.  L.M.

    (*) Natassja Martin vient de recevoir le Prix François-Sommer, et cela me ravit, car je l'obtins en 1993 pour mon premier roman, Chasses furtives. Preuve que le jury (dont je fis partie quelques millésimes durant), veille toujours au grain viscéralement sauvage de l'écriture. 

  • Visages de Camus

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    Cliquez et regardez => Les vies d'Albert Camus

    Voilà un film magnifique, signé Georges-Marc Benamou, déjà visible sur le site de France 3, et qui sera diffusé mercredi à 21h05. Les images d'archives, colorisées pour la plupart, et issues notamment du fonds Gallimard, sont émouvantes. Nous y retrouvons la galaxie de Camus, ses amis, ses amantes, et une partie de la nébuleuse anonyme des humbles qui ont gravité autour de l'auteur du Premier homme. Parti-pris sans doute, nous entendons sa voix, nous le voyons souvent et cela ajoute à notre plaisir, mais il n'est jamais montré en train de parler... Le récit est simplement chronologique, cela ne nuit en rien le processus narratif, mais il commence fatalement par l'accident du 4 janvier 1960. Hormis un montage détestable dans ce genre de documentaire, et heureusement bref, sur les derniers instants de la vie de Camus dans la Facel Vega, route de Villeblevin, l'ensemble nous est apparu éblouissant car riche, tendre, franc, et somme toute assez complet sur le kaléidoscope Camus : Le séducteur, l'amoureux, le journaliste - historien au jour le jour -, le romancier, l'essayiste engagé, l'humaniste. Ainsi que chacun des thèmes phares de sa vie : La pauvreté originelle, le rôle de M. Germain l'instituteur et père de substitution, la mesure des tragédies du XXe siècle qui préservera Camus de toute tentation extrémiste, l'omniprésence de la Méditerranée dans son corps et dans son esprit, la blessure de l'impossible trêve civile en Algérie aux moments des événements devenus guerre, l'échec du dialogue avec le monde germanopratin et sartrien, l'importance de la mère, l'amitié forte avec une poignée de fidèles... Certains témoignages, comme celui de Mette Ivers, dernière amante de Camus, et celui de Michel Bouquet, sont bouleversants. Il y a également le récit chaleureux de Max-Pol Fouchet, les quelques mots essentiels de Jules Roy pour augmenter la valeur-ajoutée de ce film, et par conséquent l'émotion que nous éprouvons jusqu'au bout. Cliquez et regardez. Puis reprenez les livres de Camus. Tous. Et faites passer. L.M.

     

  • feuilleté de début d'année

    En quelques brèves, nous en sommes là, ces jours-ci, avec notre table de chevet :

     

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    Dévoré avec avidité le bref et profond second roman d'Arnaud de La Grange, Le huitième soir (Gallimard). Une histoire d'hommes, forte, crue, vraie, dans la funeste cuvette de Dien Bien Phu. L'occasion pour le narrateur, jeune lieutenant prisonnier du fameux bourbier qui sonnera le glas de la guerre d'Indochine, de retracer sa trop courte vie, ses engagements, ses amours, ses convictions. Une ode à l'honneur (à rapprocher du très beau La nostalgie de l'honneur, de Jean-René Van der Plaetsen), à la sincérité et à la fraternité, coulée dans un style sobre sans être sec. Efficace et mémorable.

     

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    Embarqué une fois de plus par la prose de Paul Morand. Ouvert la nuit, (Gallimard/L'Imaginaire), relu hier, possède l'inaltérable pouvoir de tenir son lecteur sans effort, par la grâce de la phrase, quoiqu'elle dise ou ne raconte pas, et ce, dès la première nuit de ce recueil qui a une suite, Fermé la nuit. Morand nouvelliste, c'est magique. Qu'on en juge ci-dessus.

     

     

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    Entamé un roman de Sandrine Collette qui reparait au Livre de Poche, Animal (nous avions évoqué son premier, Des noeuds d'acier dans les pages Livres de Télé 7 Jours, à sa parution => Des noeuds d'acier). Même gourmandise dès les premières pages qui plongent le lecteur dans un bain de nature sauvage et de personnages au caractère âpre. Ici, la forêt (népalaise, d'abord) envoûte, et Mara est une femme qui captive. Puis apparaît Lior, une Diane chasseresse totalement habitée par sa passion. Une chasse à l'ours commence dans les grands espaces du Kamtchatka. À suivre...

     

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    À rapprocher du puissant et volumineux, ample et riche Dans la gueule de l'ours, prodigieux premier roman de James A. McLaughlin (Rue de l'échiquier, en librairie le 20 janvier), dont la langue comme l'univers ne sont pas sans rappeler les écrivains rough de nature du Michigan, et pas seulement de Missoula, au premier rang desquels trône évidemment notre cher Big Jim (Harrison). Cerise sur le gâteau : c'est le grand traducteur de l'oeuvre de Jim H., Brice Mathieussent, qui signe également cette traduction-là.

     

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    Convaincu par la pudeur - pas la froideur apparente -, par la sensibilité extrême douloureusement masquée de Jean-Marie Laclavetine et son touchant Une amie de la famille (Gallimard), qui retrace un drame : la noyade accidentelle de sa propre soeur aînée, il y a cinquante ans à l'âge de vingt ans, au bout de la plage de la Petite Chambre d'Amour à Anglet, soit tout près du phare de Biarritz. Bouleversant.

     

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    Pas convaincu par Un été avec Paul Valéry, de Régis Debray (Equateurs), et pas davantage par ses Conseils d'un père à son fils (folio). Le premier est une sorte de guide Baedeker bâclé sur le motif. Le second, une ode à moi-même, mon immense culture, mon indéniable intelligence. Debray pratique le name dropping avec une mitrailleuse lourde aux nombreux chargeurs. Cela devient lassant, y compris, se dit-on, pour un fils, car il y a de l'intellectuel las, désabusé, dans les derniers ouvrages de cet essayiste prolifique, lesquels transpirent l'ennui d'écrire ou de redire, peut-être. 

     

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    Déçu par La douleur du chardonneret, d'Anna Maria Ortese (Gallimard/L'Imaginaire), inoubliable auteur, pourtant, de La mer ne baigne pas Naples. Le pâteux d'une prose fige progressivement la trame narrative et le lecteur s'embourbe malgré la qualité de ses bottes en caoutchouc. C'est long, fastidieux, rébarbatif à certaines pages, trop lent, et faute de style brillant, on finit par caler comme jadis avec Les Buddenbrook de Thomas Mann.

     

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    Enchanté, enfin, par Paris-Orphée, de Henri Cole (Le bruit du temps), sous-titré Carnet d'un poète américain à Paris, d'une tendresse et d'une délicatesse confondantes. Orné de quelques photos, ce journal qui cite de nombreux poètes français et anglo-saxons est un compagnon de promenade idéal, d'un jardin public parisien à l'autre. L.M.

  • Chez Gracq et à propos de Marie-Thérèse Prat

    Souvenir, souvenirs...

    Tribune parue dans Libération il y a treize ans jour pour jour, soit le 3 janvier 2008 => Mes journées chez Julien Gracq

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    ©Alain Collet

    Inédit...

    Et, à propos de Partnership (le lirons-nous un jour, à partir de 2027 ?.. Et lirons-nous également Port-Amen, roman inachevé de Michel Déon, disparu il y a tout juste trois ans), premier texte littéraire de J.G. écrit à l'âge de 21 ans (en 1931) et signé Louis Poirier, ce témoignage => Partnership paru en novembre dernier sur le site littéraire En attendant Nadeau, sous la plume de Christine Marzelière, évoquant la possible destinataire et sujet de ce roman inédit d'un amour contrarié ...  Bonus => Le manuscrit et de courts extraits

     

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    ©Raphaël Gaillarde

     

  • Gracq, douze ans déjà

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    22 décembre 2007. Je prenais avec mes enfants la route de Bayonne depuis Paris pour aller fêter Noël en famille lorsque la dépêche tomba. Julien Gracq venait de mourir... Douze ans après, j'éprouve à nouveau (lire => J.G., + 10) le besoin de marquer ce funeste anniversaire. J'ai relu Le rivage des Syrtes la semaine dernière. Mon commerce avec mon auteur fétiche augmente, ou plutôt se fortifie. Il durcit comme un pot de miel oublié dans le placard de la maison de campagne. Nous l'avions oublié, laissé liquide, nous le retrouvons charnu et granuleux ; blanchi. Il a pris en maturité, en saveurs, en teneur... Sauf que J.G. n'est jamais loin, que le placard est ouvert, la campagne omniprésente, et l'oubli impossible. Mon commerce, disais-je.

    Intriguée par les différentes éditions de l'ouvrage le plus connu de Gracq qui ornent l'étagère dédiée, ma fille m'a interrogé sur le motif il y a quelques jours. Nous avons parlé. Je lui ai offert l'édition originale de 1951 avec sa couverture jaune. La plus précieuse, avec mes deux exemplaires dédicacés par l'auteur (Corti, et Pléiade). Mon fils possède depuis Noël dernier la plus récente, massicotée, celle de 2017, ou 2018. Passage. Transmission du verbe. De la beauté.

    Aujourd'hui, je voudrais juste joindre la conférence que je donnai, en hommage, le 7 novembre 2017 à l'Institut Français de la Mode, et que France Culture diffusa aussitôt. Elle est toujours disponible sur les ondes, via le site de la radio.  =>  Conférence sur J.Gracq  L.M.

     

    P.S. : Un autre 22 décembre (1989), disparaissait Samuel Beckett, mais bon... Cet auteur n'est jamais parvenu à me toucher.

     

     

  • Ornithologie, humanisme, etc.

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    Grégoire Loïs est ornithologue et il travaille au Muséum national d'Histoire naturelle. Autant dire qu'il vit avec un greffon autour du cou en forme de lourdes jumelles autrichiennes increvables  - identiques à celles qui ne nous quittent guère, et qui nous ont permis d'observer ce jour - ô joie -, tout en achevant la lecture de son beau récit intitulé Ce que les oiseaux ont à nous dire (Fayard), une Grande Aigrette qui planait dehors et qui se posa dans les champs juste devant nos yeux, et y demeura, longue tache blanche, une bonne partie de la journée. Son livre évoque d'ailleurs cet oiseau rare et majestueux, dont le retour semble sauver enfin l'espèce. Le chapitre consacré au Merle noir, dans ce livre joliment écrit, est tellement beau, tellement vrai, que l'on a envie de le lire à ses proches, à ses enfants, et de l'envoyer à tous ceux qui possèdent une sensibilité particulière à l'égard des oiseaux en général, qu'ils soient familiers, rares, majestueux, mal-aimés, mystérieux. Le Merle... Sans doute l'oiseau qui offre le plus beau chant du monde - au moins de la gent ailée. Son chant, écrit Grégoire Loïs, est une promesse d'éternité... C'est le chant sublime de l'au-delà... Ce qui rend la musique du Merle si belle, ce sont ses pauses entre chacune de ses phrases decrescendo. (Et prions pour que le virus Usutu qui décime les merles disparaisse). Loïs écrit avec sensibilité, tendresse et bien sûr connaissance. Il partage avec son lecteur ses émotions, ses découvertes, en compagnie d'Anne, sa femme, puis de leur fils Tanguy (la relève), et l'Avocette élégante devient ainsi pleine de grâce, le Grand Tétras a une carrure mythologique, le Freux est moins affreux, le Rouge-Gorge confirme son agressivité, la Pie-grièche sa cruauté, la Chouette effraie, ou Dame blanche, demeure aussi furtive que majestueuse. Il est aussi question du silence des oiseaux. Soit de leur progressive disparition. Les signes sont forts, les statistiques inquiétantes, l'agriculture bashing justifié à cause de ses pratiques culturales tenaces et chimiquement intenables, car les Printemps s'avèrent de plus en plus calmes. Et puis, il y a des lueurs d'espoir ici et là, et des rencontres insolites, comme celle que l'auteur et son fils firent avec six Ibis falcinelle égarés dans les barthes de l'Adour, comme une déclaration d'amour aux oiseaux de tous les pays.

    Capture d’écran 2019-12-09 à 14.34.45.pngRé-ensauvageons la France est un beau cri prononcé par Gilbert Cochet et Stéphane Durand (Actes Sud, dans la remarquable collection Mondes Sauvages). Ce plaidoyer pour une nature sauvage et libre (c'est le sous-titre), est un cri d'alarme assorti d'une batterie de propositions encourageantes, optimistes. Les constats sont durs, au chapitre de la litanie des disparitions, des dangers en tout genre, et du spectre de l'annihilation biologique qui menacerait évidemment l'espèce humaine à la suite des espèces animales. La Nature résiste pourtant avec une belle énergie. La forêt prospère, le grand gibier aussi (peut-être trop, selon les agriculteurs et les sylviculteurs), les grands prédateurs (ours, loup, lynx) reviennent, accompagnés parfois par des programmes naturalistes controversés. Il y a toute la place dans notre bel hexagone pour accueillir une biodiversité large, renaissante, plus nombreuse, plus variée, et en pleine forme. Ce livre de deux spécialistes (Cochet est agrégé de Sciences de la vie et de la terre, et il est attaché au Muséum national d'histoire naturelle. Durand est biologiste et ornithologue), parie sur une nouvelle alliance basée sur le triptyque abondance/diversité/proximité. Preuves à l'appui en 176 pages toniques et bourrées d'informations fraîches et précises.

    Capture d’écran 2019-12-09 à 14.39.39.pngSur un autre registre, Marion Ernwein donne Les natures de la ville néolibérale. Sous-titré : Une écologie politique du végétal urbain (UGA éditions : Université Grenoble Alpes, collection Ecotopiques). Fruit d'une enquête de terrain menée à Genève notamment sur plusieurs années, cet ouvrage d'une richesse et d'une culture immenses, emprunte autant à la philosophie qu'à l'architecture, à la sociologie et bien sûr aux sciences naturelles, et intéressera au premier chef les paysagistes et tous ceux qui ont souci des politiques d'aménagement d'espaces verts urbains, non plus comme des natures mortes, mais de plus en plus vivants, participatifs, dynamiques, inscrits dans un bien-être collectif durable, écosystémique, et néanmoins hyper urbain. L'auteur enseigne la géographie à Oxford, et développe ici, avec brio, une nouvelle écologie politique du végétal urbain donc, à la lumière des nouveaux enjeux environnementaux. Magistral. L.M.

     

  • Reprendre Lalanne conduit à Blondin

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    C'était inévitable. Reprendre les livres (*) de Denis Lalanne (qui a quitté ce monde, à Anglet, il y a deux jours), afin de retrouver sa verve, son talent de raconteur d'histoires, c'était glisser inexorablement vers les livres d'Antoine Blondin, dont il fut l'ami. Et, cherchant une phrase célèbre, j'ouvrais L'humeur vagabonde à la dernière page. Publié en 1955, le livre n'a pas pris une ride. Et sa chute nous transporte, en faisant étrangement écho à l'atmosphère sociale de cette fin de semaine... L.M.

    (*) Mais où ai-je bien pu mettre Le Grand Combat du XV de France, et Rue du Bac?..

     

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  • La voix d'outre-tombe de Leonard Cohen

    Capture d’écran 2019-12-05 à 14.44.26.pngElle restera gravée dans notre mémoire d'outre-tombe, la voix du dernier disque posthume de Leonard Cohen. Plus sépulcrale encore que dans You want it darker, comme le souligne mon ami Benoît. Oui, sépulcrale est l'adjectif idoine. Ça racle, ça sillonne dans nos oreilles internes, ça remue, ça parle, ça fait écho, durablement. Savourez => Thanks for the dance

    Et, je le redis, c'est lui qui méritait un Nobel de Littérature, davantage que Bob Dylan...

    Capture d’écran 2019-12-05 à 14.47.39.pngP.S. : je ne saurais trop recommander un magnifique album de ses poèmes, dessins, chansons, que je feuillette au gré, avec beaucoup d'émotion et toujours sa musique en fond de lecture - comme on parle de fond de sauce... L.M.

     

  • Daguin

    Je suis en train de faire mariner un lièvre, les mains dans le sang, l’ail, l’échalote, l’armagnac, et dans le tannat aussi, lorsque j’apprends qu’Alexandre est passé de l’autre côté. Je ne l’appelais pas André à cause de Dumas, auquel il me faisait penser, et parce que la première fois que je lui ai tiré le portrait, c’était pour et dans Gault-Millau, et j’avais titré mon papier « Alexandre Daguin ». Ça l’avait fait bien marrer, le Cadet, le Mousquetaire. Nous nous sommes vus parfois. À Auch, à la radio pour des enregistrements des Grandes Gueules auxquels il me convia, à Paris pour des raouts de promo gastro à la con, et je regrette de n’avoir jamais partagé un seul repas avec Son Altesse André Daguin (comme client à sa table, pour une soupe de châtaignes, une brochette de chevreuil, un magret de palombe - et oui -, c'était différent  : nous étions assis, tout petit, et il était très grand, tout blanc). Une autre fois, dans quelle gazette je ne sais plus, je titrais à son sujet : « Commissaire Magret ». Fastoche, avec le recul. Chouïa décalé, dans les années 80.

    ¡ Suerte, là-haut, sacré Gascon d’altitude !

    Ci-dessous, un chapitre sur lui et son fils Arnaud, paru dans mon livre « Le Sud-Ouest vu par Léon Mazzella » (Hugo & Cie, pp.120-125) =>

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  • Des fragments inédits du fanatique de l'éventualité

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    Que les sceptiques soient rassurés : ces deux livres inédits, traduits du roumain, rédigés entre 1944 et 1945, et qui paraissent, sont du meilleur Cioran. Ce sont deux ouvrages publiés par Gallimard dans la collection Arcades : Fenêtre sur le Rien, et Divagations, qui peuvent d'ailleurs se lire indifféremment, de l'un à l'autre, d'un aphorisme l'autre, en toute liberté, tellement leur cohérence n'a pas lieu d'être, et tant leur incohérence n'existe pas. Tout le Cioran du Précis de décomposition, du Mauvais démiurge, d'Ecartèlement, et même celui des Carnets est déjà là, pour notre plus grand bonheur. Tranchant, glaçant avec sucrosité, drôle, lucide, implacable, pénétrant, gaiement nihiliste, lumineux dans sa noirceur, tonique dans le toxique. Lui, quoi. Certains traits ont été repris par l'auteur dans ses livres postérieurs. Exemple : Ma traversée des jours ressemble à celle d'une prostituée sans trottoir. (dans Fenêtre sur le Rien). Qui deviendra : Je vadrouille à travers les jours comme une putain dans un monde sans trottoirs (dans Syllogismes de l'amertume). Ces 134 + 234 pages acquises cet après-midi, à peine entamées, figurent un grand bonheur de lecture à venir. Qu'on en juge, avec cette toute petite brassée saisie au hasard, et jetée là comme une poignée de sable, avec empressement, pour vous recommander une visite chez le libraire :

    La tombe est la seule pharmacie de la mélancolie. 

    Les pensées devraient avoir la perfection impassible des eaux mortes ou la concision fatale de la foudre.

    Rien n'est plus profond ni plus authentique en nous que notre bassesse.

    Dans les villes, j'ai rencontré la mort dans les yeux des passants; en pleine nature : dans le bruissement des feuillages. Mais je l'ai rencontrée plus souvent encore dans les silences du coeur.

    Une chose est sûre : la vie n'a aucun sens; mais une autre l'est plus encore : nous vivons comme si elle en avait un.

    L'imbécile fonde son existence sur ce qui est. Il n'a pas découvert le possible, cette fenêtre sur le Rien...

    À l'extrémité de chaque désir, un noeud coulant.

    La vie étant une insomnie, le sommeil est une divinité.

    Les coeurs trop mûrs pourrissent dans des vers.

    Les peuples gais ne connaissent pas la tristesse, mais l'amertume. C'est le cas des Français. La gaieté est l'écume de la joie; l'amertume, le poison superficiel de la tristesse. 

    Bon, j'y retourne. L.M.

    Traduction du roumain et avant-propos de Nicolas Cavaillès, auquel nous devons déjà l'édition en Pléiade des Oeuvres (écrites en français) de Cioran.

     

  • et en lisant

    Capture d’écran 2019-11-16 à 13.11.30.pngLa force de Franck Bouysse est comparable à celle du Jean Carrière de L'épervier de Maheux. Avec Grossir le ciel (Le Livre de Poche), l'auteur, très remarqué cette année avec un nouveau roman qu'il nous faudra lire bientôt (Né d'aucune femme), livre un roman âpre, avec de rares personnages sauvages et durs, qui vivent reclus au fin fond des Cévennes, marqués par des secrets de famille bien ou mal gardés, et qui s'occupent de vaches, de champs, du tracteur, du fusil pour chasser des grives, du chien appelé Mars pour unique réconfort. Ils s'appellent Gus, Abel, et ils ont la poésie des gosses qui voient dans un merle faisant la roue un grand tétras amoureux. Gus a la certitude absolue d'être un fruit pourri conçu dans la violence et la haine, toujours accroché sur l'arbre d'une généalogie sans nom. Il y a des meurtres, du sordide, des mystères, des traces de pas qui inquiètent, des êtres furtifs, la nuit, les petites annonces du Chasseur français que l'on feuillette sur la toile cirée devant l'âtre, en se disant je devrais peut-être essayer. La vie dure de ces solitaires par défaut ou par destinée est leur quotidien comme s'il neigeait chaque jour de l'année, et Bouysse a le talent de savoir décrire dans une langue forte, des arbres déplumés comme des arêtes de gros poissons décharnés, le sang qui frappe régulièrement contre les tempes, le vent qui s'engouffre sous les bardeaux d'une grange en glissant sur le silence comme une araignée d'eau sur une mare étale. Oui, le Jean Carrière que nous aimons, filsCapture d’écran 2019-11-16 à 19.31.52.png spirituel de Giono, se retrouve dans Bouysse. Pas dans sa pâle copie, à la lecture fort décevante de Une bête au paradis, de Cécile Coulon (L'Iconoclaste), dont on a fait grand cas au début de l'automne, et puis flop... Avec même de drôles de coïncidences : le nom d'Abel pour désigner un personnage principal, chez Coulon, mais authentique chez Bouysse, et Paradis - nom de personnage chez Bouysse, de lieu chez Coulon. Étrange... (Le livre de Bouysse est paru en 2014, et celui de Coulon à la fin de l'été 2019). Mais, passons.


    Capture d’écran 2019-11-16 à 13.14.07.pngBien sûr, nous aimons La panthère des neiges, de Sylvain Tesson (Gallimard), car nous lisons avec plaisir et fidélité cet auteur, et le succès mérité de son dernier récit n'avait pas besoin d'un Renaudot surprise, mais c'est tant mieux.

    Les jurés de l'Interallié auraient en revanche été plus inspirés, en ceignant d'un bandeau rouge réconfortant le poignant Où vont les fils?, d'Olivier Frébourg (Mercure de France), lequel narre avec une grande franchise intérieure la vie d'un homme (l'auteur lui-même) dévastée par un divorce, la disparition du nous puisque tout est soudain dénoué, un quotidien nouveau avec lequel l'homme esseulé doit improviser, composer. Les trois fils à élever, les courses au supermarché, les sorties d'école et la honte de s'y montrer amputé, les draps froids du grand lit, le bruit du vide, la maison morte quand les enfants n'y sont pas, lors que la vie jusque là était faite de voyages au long cours, de littérature, d'amour; d'insouciance. Je ne parvenais plus à lire tant mon crâne était fendu comme un billot de bois, à la hache. Une femme m'avait aimé, désaimé, quitté. La banalité avait de quoi faire rire. Par ricochet, Olivier Frébourg peste avec raison contre la soft power de notre modernité faite de nouvelles dictatures : les réseaux sociaux, le smartphone, cette hache de guerre, ou encore "la connerie de la résilience"... Le présent défait est une des sources du malheur. Mais la destruction du passé est le plus sûr voyage vers la folie. L'homme est alors écervelé. Il s'accroche à ses souvenirs comme un naufragé à son morceau de bois. Frébourg ne croit plus qu'à la vérité des paysages, et conserve le recours aux poètes : Cadou, Vigny, Valéry, Depestre... chevillé au coeur. Il y a du Claude Sautet dans ce beau livre, et Olivier Frébourg dépeint les choses de la vie en père vrai : L'enfance est un paquebot. Il faut prendre la mer malgré les tempêtes. Où vont les fils? se demandent les pères inquiets de les perdre de vue sur la ligne d'horizon.

     

    Capture d’écran 2019-11-16 à 13.12.32.pngLa découverte par Sylvain Tesson le globe-trotter, de la magie, des mystères de l'affût et des énormes plaisirs qu'il peut procurer, y compris celui de la bredouille, car elle est alors toujours chargée d'émotions intenses, donne un récit captivant. Guetter la rarissime et menacée panthère des neiges au Tibet, à 5 000 mètres d'altitude et par -30°C, hisse l'animal majestueux, princier, au rang de mythe, de Saint Graal, d'improbable inaccessible, de reine des confins. Se savoir vu sans voir qui nous a repéré depuis longtemps, le "ce qui est là et que l'on ne voit pas", figure un autre plaisir profond de chasseur photographe comme Vincent Munier, que Sylvain Tesson accompagne, ou de chasseur tout court (et nous en connaissons un rayon). Pour ces choses si précieuses de nos jours tant encombrés de futilité et de fatuité, pour la belle langue de l'auteur, pour ses références poétiques aussi, cette panthère-là devient inoubliable.

    Capture d’écran 2019-11-16 à 13.15.03.pngLe Classique des Poèmes, Shijing (folio bilingue), est un épatant recueil de poésie chinois anonyme (et c'est encore plus beau lorsque c'est anonyme, aurait déclaré Cyrano). Les Classiques désignent dans ce vaste pays continent les indispensables de la littérature que tout lettré se doit de connaître. Ils sont au nombre de cinq : Yijing (Le Classique des Changements), Shujing (Le Classique des Documents), Lijing (Le Classique des Rites), Yuejing (Le Classique des Musiques), et Shijing, qui est le plus ancien recueil de poésie chinoise, puisqu'il date de l'Antiquité. Confucius aurait paraît-il compilé ces chants amoureux d'origine populaire, de facture simple comme une chanson d'Agnès Obel, qu'ils décrivent une barque de cyprès qui ballotte au gré du courant et devient par métaphore un coeur accablé, Une belle femme décrite à la manière des contes des Mille et une nuits, Le vent d'aurore (où) pique un faucon/sur la forêt touffue du nord. Ou encore les ailes de l'éphémère, cet insecte d'une infinie délicatesse comme l'est chacun de ces poèmes. L.M.

  • Proust, toujours. L'acuité du regard, la précision des images

    Extraits du passage sur la mort de la grand-mère (Le Côté de Guermantes, II, 1) :

    Capture d’écran 2019-10-14 à 19.16.05.png

    « Mais dans son visage pâle et pacifié, entièrement immobile, je vis grands ouverts, lumineux et calmes, ses beaux yeux d’autrefois (peut-être encore plus surchargés d’intelligence qu’ils n’étaient avant sa maladie, parce que, comme elle ne pouvait pas parler, ne devait pas bouger, c’est à ses yeux seuls qu’elle confiait sa pensée, la pensée qui tantôt tient en nous une place immense, nous offrant des trésors insoupçonnés, tantôt semble réduite à rien, puis peut renaître comme par génération spontanée par quelques gouttes de sang qu’on tire), ses yeux, doux et liquides comme de l’huile, sur lesquels le feu rallumé qui brûlait éclairait devant la malade l’univers reconquis. Son calme n’était plus la sagesse du désespoir mais de l’espérance. Elle comprenait qu’elle allait mieux, voulait être prudente, ne pas remuer, et me fit seulement le don d’un beau sourire pour que je susse qu’elle se sentait mieux, et me pressa légèrement la main. »

    « Un beau-frère de ma grand’mère, qui était religieux, et que je ne connaissais pas, télégraphia en Autriche où était le chef de son ordre, et ayant par faveur exceptionnelle obtenu l’autorisation, vint ce jour-là. Accablé de tristesse, il lisait à côté du lit des textes de prières et de méditations sans cependant détacher ses yeux en vrille de la malade. A un moment où ma grand’mère était sans connaissance, la vue de la tristesse de ce prêtre me fit mal, et je le regardai. Il parut surpris de ma pitié et il se produisit alors quelque chose de singulier. Il joignit ses mains sur sa figure comme un homme absorbé dans une méditation douloureuse, mais, comprenant que j’allais détourner de lui les yeux, je vis qu’il avait laissé un petit écart entre ses doigts. Et, au moment où mes regards le quittaient, j’aperçus son œil aigu qui avait profité de cet abri de ses mains pour observer si ma douleur était sincère. Il était embusqué là comme dans l’ombre d’un confessionnal. Il s’aperçut que je le voyais et aussitôt clôtura hermétiquement le grillage qu’il avait laissé entr’ouvert. Je l’ai revu plus tard, et jamais entre nous il ne fut question de cette minute. Il fut tacitement convenu que je n’avais pas remarqué qu’il m’épiait. Chez le prêtre comme chez l’aliéniste, il y a toujours quelque chose du juge d’instruction. D’ailleurs quel est l’ami, si cher soit-il, dans le passé, commun avec le nôtre, de qui il n’y ait pas de ces minutes dont nous ne trouvions plus commode de nous persuader qu’il a dû les oublier ?

    Le médecin fit une piqûre de morphine et pour rendre la respiration moins pénible demanda des ballons d’oxygène. Ma mère, le docteur, la sœur les tenaient dans leurs mains ; dès que l’un était fini, on leur en passait un autre. J’étais sorti un moment de la chambre. Quand je rentrai je me trouvai comme devant un miracle. Accompagnée en sourdine par un murmure incessant, ma grand’mère semblait nous adresser un long chant heureux qui remplissait la chambre, rapide et musical. Je compris bientôt qu’il n’était guère moins inconscient, qu’il était aussi purement mécanique, que le râle de tout à l’heure. Peut-être reflétait-il dans une faible mesure quelque bien-être apporté par la morphine. Il résultait surtout, l’air ne passant plus tout à fait de la même façon dans les bronches, d’un changement de registre de la respiration. Dégagé par la double action de l’oxygène et de la morphine, le souffle de ma grand’mère ne peinait plus, ne geignait plus, mais vif, léger, glissait, patineur, vers le fluide délicieux. Peut-être à l’haleine, insensible comme celle du vent dans la flûte d’un roseau, se mêlait-il, dans ce chant, quelques-uns de ces soupirs plus humains qui, libérés à l’approche de la mort, font croire à des impressions de souffrance ou de bonheur chez ceux qui déjà ne sentent plus, et venaient ajouter un accent plus mélodieux, mais sans changer son rythme, à cette longue phrase qui s’élevait, montait encore, puis retombait pour s’élancer de nouveau de la poitrine allégée, à la poursuite de l’oxygène. Puis, parvenu si haut, prolongé avec tant de force, le chant, mêlé d’un murmure de supplication dans la volupté, semblait à certains moments s’arrêter tout à fait comme une source s’épuise. »

    « Au pied du lit, convulsée par tous les souffles de cette agonie, ne pleurant pas mais par moments trempée de larmes, ma mère avait la désolation sans pensée d’un feuillage que cingle la pluie et retourne le vent. On me fit m’essuyer les yeux avant que j’allasse embrasser ma grand’mère. »

    Capture d’écran 2019-10-14 à 19.05.13.png

     

     

     

     

     

     

  • En relisant Tristes tropiques

    Capture d’écran 2019-10-13 à 20.20.09.pngJe relisais Tristes tropiques, de Claude Lévi-Strauss, ce week-end, afin de peaufiner un cours de huit heures que je donnerai mercredi prochain sur le thème du journalisme de voyage à mes élèves d'un Mastère de Journalisme en Art de vivre. Mon vieil exemplaire, lu en novembre 1975 (ma prof de philo de Terminale avait eu le bon goût de nous faire étudier l'ethnologie, le structuralisme, tout ça à travers l'étude magistrale, par le père de l'anthropologie structurale, des Bororo, des Caduveo, des Nambikwara et autres Tupi-Kawahib), m'est fidèle. Considérant que ce livre figure  aussi un manuel de savoir partir en (grand) reportage, je l'ai souvent repris, comme ça, pour vérifier des détails comme récemment encore, au sujet du baitemannageo, la maison des hommes où dorment les célibataires, chez les Bororo. Des trucs, quoi. Je ne m'étais encore jamais re-penché sur mes annotations en marge et au crayon vers la fin du volume, à la partie intitulée Le retour, précisément aux chapitres XXXIX, Taxila, et XL, Visite au Kyong. Quelle ne fut pas ma surprise ce matin, de lire l'étonnante clairvoyance (et intemporalité) de l'éminent anthropologue, au sujet des monothéismes, en particulier de l'Islam. Qu'on en juge (cela se retrouve page 464 et suivantes, dans l'édition originale publiée en 1955 chez Plon, dans la mythique collection Terre humaine) :

    Tout l'Islam semble être, en effet, une méthode pour développer dans l'esprit des croyants des conflits insurmontables, quitte à les sauver par la suite en leur proposant des solutions d'une très grande (mais trop grande) simplicité. D'une main on les précipite, de l'autre on les retient au bord de l'abîme. (...)

    Une franche conversation avec de jeunes musulmans enseigne deux choses : d'abord qu'ils sont obsédés par le problème de la virginité prénuptiale et de la fidélité ultérieure ; ensuite, que le purdah, c'est-à-dire la ségrégation des femmes, fait en un sens obstacle aux intrigues amoureuses, mais les favorise sur un autre plan : par l'attribution aux femmes d'un monde propre, dont elles sont seules à connaître les détours.  (...)

    Grande religion (l'Islam) qui se fonde moins sur l'évidence d'une révélation que sur l'impuissance à nouer des liens au dehors. En face de la bienveillance universelle du bouddhisme, du désir chrétien de dialogue, l'intolérance musulmane adopte une forme inconsciente chez ceux qui s'en rendent coupables ; car s'ils ne cherchent pas toujours, de façon brutale, à amener autrui à partager leur vérité, ils sont pourtant (et c'est plus grave) incapables de supporter l'existence d'autrui comme autrui. Le seul moyen pour eux de se mettre à l'abri du doute et de l'humiliation consiste dans une "néantisation" d'autrui, considéré comme témoin d'une autre foi et d'une autre conduite. (...)

    Si le bouddhisme cherche, comme l'Islam, à dominer la démesure des cultes primitifs, c'est grâce à l'apaisement unifiant que porte en elle la promesse du retour au sein maternel ; par ce biais, il réintègre l'érotisme après l'avoir libéré de la frénésie et de l'angoisse. Au contraire, l'Islam se développe selon une orientation masculine. En enfermant les femmes, il verrouille l'accès au sein maternel : du monde des femmes, l'homme a fait un monde clos. Par ce moyen, sans doute, il espère aussi gagner la quiétude ; mais il la gage sur des exclusions : celles des femmes hors de la vie sociale et celle des infidèles hors de la communauté spirituelle : tandis que le bouddhisme conçoit plutôt cette quiétude comme une fusion : avec la femme, avec l'humanité, et dans une représentation asexuée de la divinité. On  ne saurait imaginer de contraste plus marqué que celui du Sage et du Prophète. Ni l'un ni l'autre ne sont des dieux, voilà leur unique point commun. À tous autres égards ils s'opposent : l'un chaste, l'autre puissant avec ses quatre épouses ; l'un androgyne, l'autre barbu ; l'un pacifique, l'autre belliqueux ; l'un exemplaire et l'autre messianique.

    Etc. Méditons... L.M.

  • Mon cher voleur,

    Tu m’as dérobé un peu de ma vie, ce jeudi 5 septembre aux alentours de 21h00 sur le quai 21 de la gare de Paris-Montparnasse, mais au-dessus de ma place assise, dans le train, à l’heure où démarra ce TER (sans aucun personnel de la SNCF à bord, d'ailleurs, excepté l'inatteignable conducteur...), qui devait me conduire, comme nu, à Nogent-le-Rotrou. Tu as pris mon beau sac à dos en cuir marron qui contenait deux ordinateurs Apple (Macintosh) : un MacBook Pro 12’ bourré de mes livres et des mes articles, de mes cours et de tant d’autres documents infiniment précieux, et un MacBook Air 13'. Je passe sur les passeport, permis de conduire, carte d'identité, chéquier, cartes de crédit, de presse, de santé, de transport, de tout et rien – ah si, la carte Bricomarché, je l’aimais bien celle-là, et autres stylos à plume de marque. Il y avait également un grand agenda professionnel bleu de la plus haute importance, une liasse de dossiers médicaux (IRM), ainsi que trois clés USB me servant (et je confesse ma négligence) de sauvegarde depuis plusieurs mois. Les faire voyager en même temps que l’ordinateur était risqué, voire inconscient. Mais c’est tellement barbant de sauvegarder sur son disque dur externe, hein ! Aussi, voilà : ce Mac 12', et deux de ces clés, la noire avec bandelette et la marron métallique, contiennent – entre autres – un roman que j’avais presque achevé et un autre livre de fragments sur lequel je travaille plusieurs heures par jour depuis quatre mois, et qui est bientôt fini lui aussi. Je n’en ai plus aucune trace et ma douleur est profonde. Inutile de faire un dessin. Aussi, sache que je souhaiterais juste récupérer ces petites clés USB (je me fiche des trousseaux de clés de maison, de voiture… et des autres objets, lunettes, vêtements), et vider mon ordinateur de son contenu, dont tu te fiches bien ! Je m’engage par conséquent, si tu consens à me le laisser le temps de traire le petit Mac, à te le rendre. Il n’a pas deux ans, c’est un magnifique MacBook Retina 12’ gris anthracite, chic comme l'Aston Martin de James Bond, et qui a la puissance d’une bombe. De toute manière, il va bien falloir que j’en achète un autre fissa-pronto. Voici mon « deal » : nous convenons d’un lieu de remise, nous ne nous voyons même pas, sois tranquille, puis je procède à la vidange, et t’offre en retour mon outil de travail. Je n’ai qu’une parole. Cela me paraît assez sympa. Alors, sois gentleman. Tu possèdes toutes mes coordonnées et bien plus encore pour entrer en contact avec moi. J’y compte. Comme on tient à ses tripes.

    Léon Mazzella

    N.B. à mes lecteurs : Merci de faire passer ce message.

  • Le goût des cochons

    Capture d’écran 2019-08-19 à 16.41.16.pngBlandine Vié est une sacrée auteure gourmande, passionnée de cochon au point de lui consacrer un ouvrage il y a peu et des articles à la ribambelle sur le site Greta Garbure qu’elle co-anime avec son complice Patrick de Mari. D’ailleurs, l’un de ses « posts » mis en ligne a été retenu dans une mini-anthologie de la fameuse collection « le goût de » au Mercure de France. Dans « Le goût des cochons » (8,20€) figure, aux côtés de classiques comme Renard (avec un extrait célèbre des « Histoires Naturelles »), Claudel (et un délicieux poème en prose décrivant la bête), Maupassant (avec un texte de jeunesse), Huysmans (un extrait de « En route »), Hugo (et un émouvant poème, « Le porc et le sultan »), Verlaine (avec un détonnant pastiche des « Amants » de Baudelaire, intitulé « La Mort des cochons », pornographique à souhait, tiré de « L’Album zutique » qu’il coécrivit avec Léon Valade) et, plus près de nous, Jérôme Ferrari (et un extrait brut de son « Sermon sur la chute de Rome », décrivant un paysan Corse occupé à châtrer les verrats), ou Philippe Sollers (en amoureux délicat de la chair du cochon, dont il fait l’éloge)... Figure donc un texte délicieux de Blandine Vié au sujet de l’étymologie des mots du cochon, de la truie et de ses attributs, intitulé « Une vulve de truie peut en cacher une autre ! » À l’arrière-train où vont les choses, et sans évoquer la peste porcine africaine qui fait des ravages en Chine, donc le bonheur des éleveurs bretons, et qui est provisoirement circonscrite dans les Ardennes belges, mieux vaut en rire en s’instruisant - grâce à ce texte bref et dense, érudit et drôle à la fois. Blandine y enchaîne comme dans un rébus le sens caché des mots, dont les évocations rebondissent et jouent à ... saute-cochon. Remarque : ceCapture d’écran 2019-08-19 à 16.42.10.png florilège fait la part belle au côté immonde du cochon davantage qu’à ses qualités. C’est toujours comme ça ! La relation de l’homme avec cette « bête singulière » (titre d’un ouvrage capital, de référence, sur le sujet et dont un extrait aurait pu figurer dans ce petit bouquin : « La Bête singulière. Les juifs, les chrétiens et le cochon », de Claudine Fabre-Vassas (Gallimard, Bibliothèque des Sciences humaines), est ambiguë depuis les origines. Nous lui ressemblons tant ! Je laisse le dernier mot à Churchill : « Donnez-moi un cochon ! Il vous regarde dans les yeux et vous considère comme son égal. » L.M.

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    Capture d’écran 2019-08-19 à 16.41.42.pngRappel : N’oubliez pas le superbe album, richement illustré, de Éric Ospital (le charcutier star d'Hasparren) et ses amis, intitulé « Copains comme cochons » (Tana, 24,95€), car il offre, outre 75 recettes du groin à la queue, signées de chefs très gourmands, un énorme hommage à la convivialité et à l’art de vivre... dans l’esprit du Sud-Ouest, ainsi qu'une ode à l'amitié qui fait plaisir à lire et à voir. Nous croisons, au fil des pages, pêle-mêle, Joël Dupuch, Julien Duboué, Sébastien Lapaque, Jean-Luc Poujauran, Yves Camdeborde, et aussi Sébastien Gravé, Vivien Durand, Christian Constant, Stéphane Carrade, Antoine Arena, Stéphane Jégo, tant d'autres. Ils sont tous là! Afaria!..

  • Connaissez-vous Albert Caraco?

    Capture d’écran 2019-08-13 à 13.54.31.pngTrop méconnu, cet homme (1919-1971), ce philosophe à la pensée noire et sans ambages, ce pessimiste glacial qui considérait que « les ombres de la mort sont les épices de l'amour », ayant eu le dégoût absolu de la vie, des religions, du sexe, de lui-même (pas gai, vous dis-je, le mec), et à côté duquel Kraus et Lichtenberg sont des amuseurs, Schopenhauer un professionnel donc trop loin du sujet, Cioran un styliste, Guardini un faiseur, Judrin un cousin éloigné, et Stifter et Pavese des frères ès suicide métaphysique (en plus d'être oedipien, avec Madame Mère, chez Caraco). Je ne vous dis rien sur sa vie, tout ça. Fouillez. Juste quelques phrases qui vous donneront le ton, et l'envie - ou pas - d'entrer dans cette  oeuvre singulière entre toutes. L.M. :

    « Les êtres nobles aiment rarement la vie ; ils lui préfèrent les raisons de vivre et ceux qui se contentent de la vie sont souvent des ignobles. »

    « Je n’aime point la vie et le mépris qu’elle m’inspire s’étend aux créatures, je ne plains jamais ceux qui meurent et je conseille à ceux qui souffrent de mourir au lieu de chercher ma compassion, la mort est à mes yeux le remède omnibus et la solution de la plupart de nos problèmes. »

    « L’histoire est une passion et ses victimes sont légion, le monde que nous habitons est l’Enfer tempéré par le néant, où l’homme refusant de se connaître, préfère s’immoler, s’immoler comme les espèces animales trop nombreuses, s’immoler comme les essaims de sauterelles et comme les armées de rats, en s’imaginant qu’il est plus sublime de périr, de périr innombrable que de le repenser enfin, le monde qu’il habite. »

    « Nous deviendrons atroces, nous manquerons de sol et d’eau, peut-êtreCapture d’écran 2019-08-13 à 13.54.58.png manquerons-nous d’air et nous nous exterminerons pour subsister, nous finirons par nous manger les uns les autres et nos spirituels nous accompagneront dans cette barbarie, nous fûmes théophages et nous serons anthropophages, ce ne sera qu’un accomplissement de plus. Alors on verra, mais à découvert, ce que nos religions renfermaient de barbarie, ce sera l’incarnation de nos impératifs catégoriques et la présence devenue réelle de nos dogmes, la révélation de nos mystères effroyables et l’application de nos légendes plus inhumaines sept fois que nos lois pénales. »

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    N.B. : Nous devons beaucoup au regretté « Dimitri », Vladimir Dimitrijevic, fondateur des éditions l'Âge d'homme, ami d'Albert Caraco, et éditeur de la meilleure partie de l'oeuvre de ce dernier.

  • Dumas l'après-midi

    Capture d’écran 2019-08-11 à 18.09.45.pngLa formule est relativement simple pour qui souhaite agrémenter un dimanche après-midi d’août avec des lectures qui emportent plus sûrement qu’une bourrasque. Prenez quelques contes et nouvelles de Maupassant pour vous faire l’esprit comme on se fait la bouche ou les jambes : Amour, Les Bécasses, Les Tombales,Capture d’écran 2019-08-11 à 18.12.27.png Miss Harriet, cela suffit, puis emparez-vous du Sphynx rouge, la suite des Trois Mousquetaires, d’Alexandre Dumas (initialement connu sous le titre du Comte de Moret). L’histoire survient juste après le siège de La Rochelle, soit bien avant Vingt ans après. Il n’y a plus de Mousquetaires, mais un portrait vibrant du duc de Richelieu tient lieu ici de colonne vertébrale, et sur plus de sept cents pages. C’en est fait. Voici le retour tonitruant, au grand galop, de votre âme d’enfant ayant tant aimé lire tard sous les draps les romans d’aventure, de cape et d’épée, Jules Verne, Rudyard Kipling, Fennimore Cooper... Vous vous calez, bien allongé sur le canapé, les pieds sur l’accoudoir d’en face, un coussin supplémentaire sous la nuque. L’immense talent de Dumas est là, dès la troisième page, qui décrit un certain Étienne Latil, attablé dans une auberge à l’enseigne de La Barbe peinte, rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie dans le quartier du Marais, à Paris. Il vous prend par le col et n’entend pas vous lâcher de sitôt. Il fera sans doute nuit lorsque vous lèverez une première fois les yeux du livre pourtant lourd à vos bras tendus, ou posé en angle sur votre ventre : « Sa rapière, dont la poignée était à la portée de sa main, s’allongeait de sa hanche sur sa cuisse et glissait comme une couleuvre entre ses deux jambes croisées l’une sur l’autre. C’était un homme de trente-six à trente-huit ans, dont on pouvait d’autant mieux voir le visage, au dernier rayon de lumière qui filtrait par les étroits vitraux losangés de plomb donnant sur la rue, qu’il avait suspendu son feutre à l’espagnolette de la fenêtre. (...) Son nez droit et son menton en saillie indiquaient la volonté poussée jusqu’à l’entêtement, tandis que la courbe inférieure de sa mâchoire, accentuée à la manière de celle des animaux féroces, indiquait ce courage irréfléchi dont il ne faut pas savoir gré à celui qui le possède, puisqu’il n’est point chez lui le résultat du libre arbitre, mais le simple produit d’instincts carnassiers ; enfin, tout le visage, assez beau, offrait le caractère d’une franchise brutale, qui pouvait faire craindre, de la part du porteur de cette physionomie, des accès de colère et de violence, mais qui ne laissait pas même soupçonner des actes de duplicité, de ruse ou de trahison. » Élégance et désinvolture. Fougue et franchise. Force et panache. Le pouvoir de Dumas est inaltérable. Cela fonctionne, s'enchaîne comme la saison 3 de La Casa de Papel : que vous le vouliez ou non, vous êtes embarqués dans le torrent d'une calle Estafeta du ciné, de la littérature, du bonheur de se laisser aller au simple. Nous aimons régresser, ronronner en le lisant, entrer dans le récit, avoir derechef treize ou quatorze ans, chausser des bottes de buffle abaissées au-dessous du genou, porter une chemise bouffant à la ceinture, revêtir un justaucorps de drap aux manches longues et serré à la taille, et veiller à ce que son épée ne court le risque de se rouiller au fourreau. L.M.

  • Que c'est bon de reprendre Ramón!

    IMG_20190810_135004_resized_20190810_015102457.jpgGrâce soit à nouveau rendue à Valery Larbaud d’avoir découvert Ramón Gomez de la Serna en 1917 pour le lecteur français. Nous tenons Le Torero Caracho pour le meilleur roman ayant la corrida pour thème, La Femme d’ambre comme celui qui évoque Naples la vénéneuse avec le plus de subtilité, Seins pour le livre le plus sensuel, le plus drôle, le plus abouti – 300 pages - sur le sujet (nous espérons lire un jour Automoribundia, l'autobiographie de l'auteur encore non traduite), et enfin Greguerías (le terme : humour+métaphore, « l'une de mes cendres quotidiennes », « oeillet sur le mur », disait lui-même l'inventeur de ce trait poétique), comme le recueil de micro-fragments le plus agréable à lire, autant que le Journal de Jules Renard et les Carnets de Cioran, en plus humoristique. Je tape dedans au hasard afin que celle ou celui qui ne connaît pas encore le plaisir de lire Ramón ressente son ça : « Le poète se nourrit de croissants de lune. » « Les épis de blé chatouillent le vent. » « Il devrait exister des jumelles olfactives pour percevoir le parfum des jardins lointains. » « Le glaçon tinte dans le verre comme un grelot de cristal au cou du whisky. » « Le brouillard finit en haillons. » « L’âme quitte le corps comme s’il s’agissait d’une chemise intérieure dont le jour de lessive est venu. » « Le bon écrivain ne sait jamais s’il sait écrire. » « Lorsque le cygne plonge son cou dans l’eau, on dirait un bras de femme cherchant une bague au fond de la baignoire. » « Accroupies à l’ombre de l’arbre qui se trouve au milieu de la plaine, les idées du paysage tiennent salon. » « L’épouvantail a une allure d’espion fusillé. » « Les jours de vent, les joncs ont cours d’escrime. » « La migraine est cette femme pénible qu’on ne veut pas recevoir, mais qui se glisse chez vous en disant :Je sais que vous êtes là. » L.M.

  • Oreste en rut, ou l'instinct racinien

    Capture d’écran 2019-08-03 à 09.18.23.png

    Le héros racinien est un chevreuil en rut. Prenez d’un côté Oreste. Vous observez un personnage en proie à un transport (amoureux) qui l’entraîne hors de lui-même, voire à un destin, si l’on veut faire plus tragique. C’est la même chose. Il est devenu le sujet des Dieux qui tirent les ficelles de sa vie comme ils l’entendent. Il sent, sait (?) souhaite sa passion fatale. Il se fiche de tuer, voire de mourir pour posséder cequ’il convoite. La passion est invincible, et elle nécessite du malheur, qui l’alimente, tout en fondant le rebondissement indispensable à toute mécanique tragique. Oreste ne peut rien sur soi, mais peut encore pour soi, comme se plait à le préciser l’immense connaisseur de l’œuvre de Racine que fut Raymond Picard, et dont je m’inspire ici. Il aime d’un amour « fou » Hermione (qui aime Pyrrhus, qui aime Andromaque, qui n’aime qu’Hector, son époux défunt). C’est la chaîne tragique. La faiblesse d’Oreste, sa faute, ou plutôt son aveuglement est de penser que la puissance de son amour aura raison du refus d’Hermione. Il ne s’interroge pas sur la force de l’amour. La testostérone semble pousser le cœur du coude pour figurer au premier rang. Sûr de son destin, il croit que celle qu’il aime et qui ne l’aime pas finira forcément par l’aimer. Ben voyons. On se croirait dans une émission de téléréalité, sauf que Racine en a fait une grande tragédie. Prenez à présent l’un des chevreuils en rut que j’observais à l’aide de mes jumelles hier soir, à la tombée du jour. Les mâles aboient – c’est comme ça que l’on dit, et il s’agit vraiment d’un aboiement. Ils défient, ne pensent pas un instant qu’une seule chevrette songerait à leur résister, une fois les concurrents écartés, combattus, éliminés. Trop sûrs d’eux... L’instinct les gouverne, à l’instar des Dieux. Cette force les meut mais ne les émeut pas. Certes, le sens inné du devoir de reproduction de l’espèce préexiste à toute parade nuptiale dans le monde animal. Cependant, s’agissant d’aveuglement, le héros racinien comme le chevreuil en rut au cœur de l’été sont mêmement emportés par une puissance qui semble leur échapper, et qui n’est guère belle à voir pour un esprit délicat épris de tendresse et de tact. Vanité...  C’est pourquoi les chevrettes, et les héros raciniens féminins – Hermione, Andromaque-, sortent ontologiquement vainqueurs d’un combat qu’elles n’ont pas à mener. Et leur silence est pur. J’aime.

  • « Réarbrons »!

    Capture d’écran 2019-08-01 à 11.17.54.pngC’est un livre magnifique composé essentiellement (de plus de 120) dessins de David Dellas, artiste de grand talent, conseiller technique au sein d’Arbre & Paysage 32, rugbyman, ainsi que de textes de Bruno Sirven, géographe, et d’une préface du botaniste Francis Hallé. « Arbres et arbustes en campagne » (Actes Sud, 30€, 2è éd. Juillet 2019), fait écho à l’exposition « Nous les Arbres », qui se tient à la Fondation Cartier pour l’art contemporain (Paris) jusqu’au 10 novembre. Ces dessins d’un réalisme puissant, méticuleux, délicat, d’arbres et arbustes champêtres : frêne, aulne, érable, buis, charme, bouleau, peuplier, chêne, marronnier, figuier, sureau, pommier, mûrier, haies... sont formidables de précision et de poésie. Ils nous permettent de renouer avec une tradition des sciences naturelles, en particulier la botanique, qui est de représenter le vivant, le végétal par le dessin ou la gravure. Ainsi, la pédagogie s’associe-t-elle à l’art. Les arbres sont représentés nus, ce qui permet le détail, et avec leurs racines. Les feuilles et les fruits font l’objet de planches distinctes. Ce sont des arbres familiers, que l’on a coutume de voir dans le paysage des campagnes, mais que nous négligeons d’observer, qui sont ici l’objet d’une véritable performance esthétique obéissant à un sens de l’observation hors du commun, allié à une grande sobriété. Les textes s’attardent avec justesse aux bienfaits de chaque « arbre hors forêt », inscrit dans un biotope qu’il épouse – comme l’aulne et la rivière, à la quantité de ressources qu’il produit, à ses rôles bienfaiteurs pour l’écologie, la biodiversité, les agrosystèmes, et pour l’homme – qu’il soit agriculteur ou promeneur. L’arbre purifie l’eau, retient les sols et les protège, accueille quantité d’êtres vivants (insectes, oiseaux, petits mammifères), stocke l’excès de carbone, oxygène l’air, produit de la biomasse, de l’énergie, des écomatériaux, protège du vent, rend les sols vivants, il paysage et aménage l’espace qu’il occupe, redistribue l’énergie solaire, réconcilie l’agriculture avec l’environnement, longtemps opposés, car le modèle agro-sylvo-pastoral souffre souvent d’un manque de complémentarité. L’arbre n’est-il pas tout à la fois paravent, parapluie, parasol, garde-boue, garde-manger, et bien plus encore ? Il doit cesser d’être perçu et utilisé comme « une astuce cosmétique pour camoufler des sites disgracieux », et d'être combattu, abattu par l'agriculture intensive. Plaidoyer pour le « réarbrement », militant d’une politique de l’arbre – non forestier - au sein du territoire, l’ouvrage n’est pas qu’artistique, élégant, sensible, bouleversant par son dénuement chromatique, sa texture, même s’il se contemple bien davantage qu’il ne se lit. Les textes qui l’ornent sont brefs mais denses, ligneux... Ils nous apprennent enfin un glossaire singulier où il est question de taille (émondage et étêtage), de têtards, de trognes, de ragosses, de cépée, de sessille, de drageon, de marcotte, de mycorhize, de nodosité, de phrygane, et autres suber et tire-sève. Un petit bijou, ce bouquin. L.M.

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    L'ouvrage de David Dellas n’est pas sans rappeler un autre, devenu un classique, de Jacques Prévert, « Arbres », enrichi de splendides gravures signées Georges Ribemont-Dessaignes (Gallimard).

  • La critique gastro croquée

    Capture d’écran 2019-07-30 à 18.37.13.pngVoici un petit livre à l’insolence tranquille, au ton nonchalant qui fait penser à la voix de François Simon – c’est, comment dire... slow. Voilà. Diablement efficace. Et remarquablement écrit, précis, scrupuleux, ironique souvent, caustique aussi, acide parfois, vrai et semblable toujours. Lorsqu’on peut être soi-même l’objet, voire la cible d’un tel opuscule (nous pratiquons le métier d’explorer et noter tables, chambres, bouteilles, assiettes depuis 1987, même si l’on est un peu rangé des fourchettes, mais pas encore des verres), on se cale bien pour lire ce mini traité d’observation d’un microcosme, d’une petite tribu où chacun lorgne l’autre, le méprise ou le jalouse, le toise ou le peinturlure d’un onguent faux-cul. Tailler une plume, titre sibyllin pour qui connait l’argot, sous-titré croquons la critique gastronomique, signé par l’un de nos pairs, Stéphane Méjanès, est publié aux délicieuses éditions de l’épure de la gourmande libre, de l’hédoniste dans les grandes largeurs Sabine Bucquet-Grenet.  90 pages sans vitriol, composées comme une galerie de portraits, à la manière des Caractères de La Bruyère. Je vous récite le sommaire : la diva, le stakhanoviste, le pique-assiette, l’incognito, l’influenceur, le glouton, le blasé, le tyran, l’antique, l’ingénu. Il ne manque personne à l’appel. Ces portraits fictifs, car sans aucun doute échafaudés à partir d’une galerie de personnages-types, façon puzzle agrégé, sont tellement réels. Et avant tout savoureux, drôles, pertinents davantage qu'impertinents, car subtils, et pointus – ils piquent là où il faut. Côté style, nous avons annoté en marge pas mal d’images justes, de traits, de formules qui font mouche. Un petit régal, à l’instar du goût d’un blanc sur une fine appellation. Mesdames... L.M.

  • Une histoire de hamburger-frites

    Capture d’écran 2019-07-29 à 18.16.08.pngIl n’y a pas de mauvais sujet. C’est ce que l’on répète au journaliste stagiaire faisant la fine bouche parce qu’on l’envoie couvrir un marronnier. C’est comme ça que le métier rentre, assène-t-on. A priori, mener une enquête très approfondie sur l’univers du fast-food, si l’on n’est pas un McDolescent attardé, en focalisant forcément celle-ci sur la gigantesque entreprise aux arches jaunes, peut sembler sinon suspect, au moins audacieux. Didier Pourquery, sans doute aficionado léger du petit pain rond et mou, régressif et transgressif, nocif parce qu’addictif, l’a menée car il souhaitait le faire depuis longtemps, lui qui dévora avec plaisir son premier hamburger-frites à l’âge de 17 ans, en 1971, et pas n’importe où : dans un Dairy Queen Brazier de Chicago. Ça marque. Et nous lisons, grâce à son talent narratif, un essai comme on lit une (belle) histoire avec des personnages, tout ça. Découpée en tranches, l’étude : historique, sociologique (les rites), géographique, économique bien sûr, et aussi sur le plan capital de la nutrition (ça nuit grave !), celui de la mode (comment ça mute ?), et enfin sous l’angle du mauvais esprit, confesse d’emblée l’auteur. Mais l’analyse est totalement sérieuse, d’une précision d’horloger genevois, gavée de références, c’est bien sourcé comme on dit, c’est drôle souvent, et l’on sent le journaliste scrupuleux glissant tantôt vers l’aveu culpabilisant (j’aime ça), tantôt vers l’affirmation dédouanante (c’est vraiment dégueu, tant le système précis mis en place pour « piéger » le consommateur, quelle que soit sa culture, que la charge en lipides et en glucides de tout hamburger-frites). Grâce à plusieurs brassées de chiffres, de statistiques, nous apprenons énormément de choses sur l’univers, la grosse machine dissimulée sous ce « simulacre de repas ». Pourquery se réfère immédiatement au chapitre des « Mythologies » de Roland Barthes (1961) consacré au bifteck-frites (*). L’emblématique plat français, en terre de gastronomie, qui résonnait « sang », a depuis longtemps été détrôné par le hamburger, lequel résonne « sans » : bientôt sans viande, sans bœuf, sans personnel humain... 1961 voit aussi l’apparition des restaurants de fast-food Wimpy, en écho à Popeye, dont le personnage goinfre nommé Gontran dans l’adaptation française, ami de Popeye, se nomme J. Wellington Wimpy. C’est le premier addict aux hamburgers. Jacques Borel, célèbre pour les restauroutes, ouvrit cette année-là le premier Wimpy français. En 1972, le premier McDonald’s de France ouvre à Créteil. Depuis, on en compte 1 300 au pays du foie gras et des grands crus classés, et la filiale française est la plus rentable au monde derrière le réseau US. Déroutante France. C’est le French paradox... Le bouquin de Didier Pourquery devient captivant au fil des pages, car outre l’histoire des KFC, Burger King, Freetime (souvenez-vous de Christophe Salengro disant : my teinturier is rich), et autres concurrents du géant McDo et ses 37 000 « restaurants », la préhistoire du hamburger (Hambourg), l’histoire du steack haché, l’idée de le placer entre deux tranches de pain, jusqu’à la Hamburger University, « le Princeton du fast-food » qui a déjà form(at)é 80 000 managers de McDo, dans les veines desquels on est en droit de se demander si ce n’est pas du ketchup qui circule, il y a le décodage sociologique et psychologique de l’acte de se rendre dans un fast-food et d’y consommer, auquel se livre l’auteur avec un savoir et un tact qui emporte le lecteur. Il est question d’« expérience » pour désigner ces actes, de la « production d’une histoire comestible plus que d’une nourriture concrète ». Chacun sait que c’est de la junk-food, soit de la malbouffe, mais nous savons que les horribles photos qui ornent les paquets de cigarettes n’empêchent pas davantage le fumeur de tirer sur sa clope (12 millions de décès dans le monde dus à la malbouffe, contre 7 millions au tabac en 2015. Quand même...). Cela m’évoque les épouvantails dans les champs sur lesquels se posent les oiseaux... L'efficacité des firmes de fast-food est vraiment redoutable. Pourquery s’attarde à juste titre sur des petites choses, comme ça, qui relèvent du rite : manger – forcément - avec ses mains, piquer une frite sur le plateau avant de s’asseoir, puis dans le plateau de l'autre, cette lenteur que nous craignons, et notre impatience qui monte comme du lait dans la casserole lorsque la commande n’arrive pas dans la seconde, les néo-burgers revisitant aujourd’hui le mythe et le simulacre en même temps, en tentant de « purifier » tout ça. L’archétype étant la petite chaîne tellement friendly Big Fernand. Le moment le plus tragique peut-être est cet article de Lorraine de Foucher paru dans Le Monde du 2 novembre 2018, intitulé « Le McDo a remplacé le café du village », cité par Didier Pourquery. Ce papier m'avait alerté. Le mot village y est un peu exagéré, car la chaîne ne s’installe pas encore dans de petits bleds désormais dépourvus d’école, d’épicerie fourre-tout, où un office mensuel est célébré à l’église, et où le dernier bar, en fermant définitivement sa porte, sonne le glas de la dernière possibilité de se retrouver, d’être encore socialisés, ensemble – au moins entre hommes, comme dans le baitemannageo, ou « maison des hommes » bâti au centre de chaque village Bororo, et décrit par Claude Lévi-Strauss dans « Tristes Tropiques » (Plon/Terre Humaine, page 248). Mais force est d’admettre que dans des bourgs et des villes de petite taille, lorsqu’un McDo ouvre, c’est un peu de vie qui revient... dans un cadre particulier. Reste que cette « Histoire de hamburger-frites » sous-titrée « comment un simulacre de repas a-t-il séduit le monde entier ? » se lit comme on boit un demi un jour de canicule, ou comme on dévore un Big Mac. L.M.

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    (*) « Une histoire de hamburger-frites », par Didier Pourquery, Robert Laffont, collection Nouvelles Mytholgies, 12€

     

    Si je puis me permettre l'encadré qui suit...

    Anecdote perso, pour finir (mais ici, je m'autorise à peu près tout) : je confesse, moi le critique gastro qui ai notamment dirigé la rédaction de GaultMillau, moi qui suis entré pour la dernière fois dans un fast-food (il faut dire que c’est le plus beau du monde. Je désigne le McDo de la plage de La Barre, à Anglet – il a les pieds dans le sable -, avec mes deux enfants il y a au moins une quinzaine d’années. Puis, rien depuis, sinon des ortolans et du champagne), prévoyant de lire ce livre à la faveur d’un bon trajet en train (le lieu idéal), j’ai poussé la porte d’un McDo comme on entre par effraction dans une banque la nuit, cagoulé et à la vitesse du chat (pourvu que personne ne m'ait vu!), et j’ai d’abord été confronté à des écrans tactiles géants (bonjour l’échange de bactéries avec nos index !), ayant remplacé un personnel humain à casquette en carton débitant un questionnaire derrière une caisse, je me souviens, et d’ailleurs ça stressait car il fallait commander fissa pronto, le dos à une file d'attente, que j’ai emporté non pas un, mais deux hamburgers : un big bacon et un autre dont j'ai oublié le nom, animé soudain d’une faim viscérale, physique oui (et irrationnelle) de hamburgers de chez McDonald’s, que je n’ai pas attendu une seconde (en plus ça refroidit volontairement vite), que j’en ai entamé un dans ma voiture avant de démarrer celle-ci, et que j’ai englouti les deux en un quart d’heure, une fois passée la cinquième vitesse sur une route de campagne (en m'en foutant un peu partout). Et bé... Je n’ai pas trouvé ça bon. Était-ce dû au savoir-faire relatif de cette franchise-là ? Je n’ai retrouvé aucune saveur, aucune sensation positive, rien. Puis, j’ai lu le bouquin de Pourquery entre les deux gares, et ce fut bien meilleur. Parvenu à destination, je racontai cette anecdote et commençai d’embêter mes amis en tentant de les intéresser au sujet de ma lecture toute chaude. Il me fut répondu : « Assieds-toi, la côte de bœuf maturée un mois est bleue comme tu l’aimes, c’est une Blonde d’Aquitaine, elle n’attend pas. Tu veux aussi son prénom ?.. »

     

  • Rimbaud à cheval

    Capture d’écran 2019-07-23 à 18.22.29.pngNous avions beaucoup aimé Montaigne à cheval (Points/Seuil), du regretté Jean Lacouture, car le livre caracolait et nous montrait un Montaigne toujours en selle, avide d’en découdre avec la découverte du monde qui l’entourait, du Périgord à l’Italie. Voici Les Chevaux de Rimbaud, d’Alexandre Blaineau, un spécialiste de la littérature équestre (Actes Sud, en librairie le 4 septembre), bouquin captivant qui dévoile un Voyant méconnu, et qui n’aima rien comme chevaucher, lui aussi. Nous l’imaginions exclusivement marcheur, picoté par les blés, foulant l’herbe ardennaise menue... Il monta pourtant abondamment, dans la seconde partie de sa vie. À Chypre, et surtout dans l’Afrique orientale qu’il aima et qui l’aimât tant. Le désert Somali qu’il traverse durant vingt jours le cul sur une selle, Harar bien sûr, et durablement, où il fit commerce (et se laissa photographier une fois), l’immense plateau de Boubassa, les rives de la mer Rouge, Barr-Adjam, Aden, le Yémen entier le virent aller l’amble, trottant, galopant, (se) fuyant peut-être ; sans doute... Rimbaud l’Abyssin fut ainsi, et aussi, un homme aux chevaux de vent. Semelles dans les étriers. Par bonheur sans plomb dans la cervelle. Nous l’imaginons alors comme un second Lawrence d’Arabie, la tête enveloppée d’un chech blanc crème, les paupières poussiéreuses, la peau cuivrée, tannée, la gorge sèche comme un oued en août, le regard bleu peut-être. Qui peut me dire quelle fut la couleur des yeux d’Arthur, car j’ai égaré le 06 de Verlaine ? Le « marchand cavalier » qui désespère les mauvaises récoltes de café et menace cent fois d’acheter un cheval et de (re)foutre le camp, celui qui cherche un beau jour à faire l’acquisition de quatre baudets étalons, qui écrit à sa famille de taiseux (son frère Frédéric, alcoolo, l’était plus que les autres), le 25 février 1890, « Il faut se taire », est infiniment touchant dans sa vie orientale narrée ici avec talent et précision, comme à chaque page, vers, mot d’Une Saison en Enfer. En refermant ce livre érudit, captivant, nourri d’histoires et de recherches pointues sur un Rimbaud « exilé fictif », ayant dans le regard l’expression du « défi résigné », ses longues jambes, ses bras ballants (rien de commun avec Jack Kerouac, quoique d’aucuns soient tentés de...), ce livre citant avec plaisir Thomas Mayne Reid, le père du roman d’aventures façon western, méconnu hélas, ce livre qui nous rappelle ceux du rimbaldien absolu, shooté aux Illuminations Alain Borer (en particulier son Rimbaud en Abyssinie), il devient impossible de ne pas trouver en chaque cheval aperçu un rien, un brin rimbaldien, de ressentir autrement les mouvements de sa crinière comme ceux de son « épaule qui frissonne sans cause » dit Julien Gracq dans Liberté grande, et de voir en chaque cavalier croisé désormais un nomade, impatient comme un orage désiré, allant en avant, calme et... en zigzag vers la mer, ou n’importe quoi, voire l’éternité, té!.. L.M.

     

  • Dans le rétroviveur

    Capture d’écran 2019-07-21 à 15.36.29.pngAinsi désignais-je mon père. « Tu es un rétroviveur ! », lui répétais-je souvent afin de calmer sa nostalgérie et son c’était-mieux-avantisme chronique. Thomas Morales, fan de nobles carrosseries, appréciera le parallèle paternel.  Cet écrivain n’est pas de son époque et c’est ce qui fait le charme de chacune de ses chroniques, que Pierre-Guillaume de Roux (fils du grand Dominique) publie en bouquet à un rythme agréable (*). Les dernières de cet irréconciliable avec ce siècle vingt-et-unième et sa morosité, sa cruelle absence d’humour, sa police des mœurs omniprésente jusque dans nos chiottes, le quotidien rogue de ses congénères qui en exaspèrent ou en désespèrent plus d’un, ont pour titre « Un été chez Max Pécas ». Vous savez – non, vous ne voulez pas vous souvenir, Pécas c’est ce réalisateur de films gras et beaufs, si l’on veut forcer un trait définitif, ou bien kitsch si on la joue gentiment bobo déambulant dans un bled un dimanche de vide-grenier. « Le Pagnol du nanar sous cagnard », résume Morales. Ça sent la Miss camping, le Ricard généreux à l’apéro avec la carafe beige chiffrée et servant peu, le bob qui va avec, ça pue la fumée épaisse dégagée par des rangs de chipos et des merguez au garde-à-vous sur le barbecue qui n’est pas le Weber dernier cri, non, juste le vieux qu’on ressort et qu’on décape avec la brosse métallique, joie, appétit, charbon de bois et journal local froissé, dès la fin du Printemps. Les chroniques de Morales sont décontractées, dégrafées de la ceinture lorsque les crêpes au Nutella ont été trop nombreuses, mais il est des overdoses fondantes et plus délicieuses que d’autres, avouables celles-là. Avec ce bouquin, Jean-Pierre Marielle ressuscite. Ses textes nous rappellent Auriac, hameau paumé, perché loin au-dessus de Tulle, tranquille, où nous nous sommes si souvent rendus pour passer des jours, voire des semaines peinardes mais sacrément vives chez l’ami Tillinac, à l’époque des spleens corréziens et des bonheurs assouvis avant d’atteindre la borne Michelin désignant Souillac sous son chapeau rouge déteint. Soit l’été au vert, avec taons et guêpes, panne de pain et emmerdeurs qui se trompent de route. Mais rosé frais toujours (les pages consacrées aux amateurs de vin qui se la pètent sont tordantes et si vraies). Ces chroniques débraillées disent, chuchotent - non : écrivent. Car le garçon a une sacrée plume que Blondin et Haedens auraient sans aucun doute louée à bas taux. Ses images frappent, touchent, ont le ton. Et l’image juste. Un talent, dis-je... Écrivent, donc, combien le bonheur peut être simple et jamais vulgaire, si l’on a encore le courage de mater une fille en bikini, et en monokini tiens !, sans craindre la guillotine d’un hashtag. Et si elle se prend pour une starlette devant le Carlton tandis qu’elle remonte la plage de Palavas, c’est encore meilleur. Si l’on a encore l’audace de regretter Stone et Charden (mais pourquoi avoir jeté leurs 45 tours !), d’adorer Umberto Tozzi ou Eros Ramazzotti tant qu’on y est, et de vouer un culte au forçats de la route du Tour (de France), ainsi qu’à l’accordéon, au sourire fixe et aux performances d’Yvette Horner, à la prose érotique, limite salace d’André Hardellet, à la gourmandise grivoise des livres de René Fallet, aux promesses démesurées d’un slow-braguette un soir de bal au village d’à côté avec une Marilyn de chef-lieu de canton ayant eu le bon goût de ne rien donner à rafistoler de sa plastique originelle... Thomas Morales réconcilie avec la vie, la vraie, celle que des bataillons de tristes sires et à la grise mine veulent nous interdire, et parmi eux une jeunesse, oui, de précoces empêcheurs de rire en rond ou en losange, des mal dans leur peau dès l’adolescence qui s’acharnent (un vrai job) à vouloir nous faire culpabiliser d’avoir eu une enfance à la Sagan, à la Sautet, à la Huguenin. Contre l’esprit de sérieux qui nous les brise menu (il ne faudrait jamais quitter Montauban), lisez Morales. Moi, j’aimerais voir « Un été chez Max Pécas », et entendre déclamer ses « traits » claquants, désinvoltes, brillants, partout entre les mains et sur les lèvres de chacun, sur le sable, dans les rues de Bayonne et de Paimpol, sur les aires d’autoroute, brandi entre les rangs de maïs de Peyrehorade, repris en chœur dans tous les Café des Amis et les Bar de la Marine. Le mien, lu, me servira jusqu’à l’automne à attiser les braises du barbecue. Et, ça aussi, je sens que ça pourrait plaire à l'auteur de ces précieuses, longues cartes postales. Léon Mazzella

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    (*) Thomas Morales, Un été chez Max Pécas (PGDR, 15€)

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Roselyne Sibille

    J'ignore encore qui est cette voix, mais je m'empresse de partager le peu que je sais d'elle, car je l'ai découverte il y a une vingtaine de minutes. Cela me parle tant. Et à vous? J'apprends néanmoins (merci l'Internet) que cette poéte(sse) publie. Des choses denses. Sauvages. Illustrées d'encres. C'est âpre comme l'aube d'hiver lorsque le froid est merveilleusement coupant et les oiseaux furtifs. Ces textes ont la grâce. En tout cas j'y sens comme une foudroyante commune présence. LM

     

    Je pose ma main sur la lumière de l’aurore
    pour caresser le jour

    Les couleurs sont encore assoupies
    mais les arbres bavardent dans les souffles du vent

    Sur le chemin de terre-ciel
    un enfant danse et rit

     

    Silence entre les appels des oiseaux

    L’air.….….entre les branches.….….est suspendu au bleu

    Au bord du rien
    l’instant écoute

     

    Déplace les brumes

    ouvre le chant de l’eau

    Accepte le non des fleurs
    leur mélancolie de mandoline

    Rien ne demeure

    Et si ta porte tremble
    laisse passer le vent

     

    Je marche au milieu des secrets de novembre

    Il n’y a plus de fruits sauvages
    Les corbeaux croassent dans le ciel vide

    Que devient la lumière quand elle disparaît ?

     

    L’HIVER

    sur la page de l’aube
    les branches
    respectueusement
    délivrent
    les étranges secrets
    que conservait la nuit

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  • Reprendre Brauquier

    La Petite Vermillon (LTR) et ses nouvelles couvertures splendides, a la bonne idée de reprendre "Je connais des îles lointaines", de l'immense poète Louis Brauquier, chantre du port de Marseille comme La Ville de Mirmont le fut de celui de Bordeaux. J'espère que la préface de mon pote Olivier Frébourg (éditeur originel de cette somme poétique) figure dans cette nouvelle présentation - il n'y a pas de raison. Outre ces deux lascars, je reprendrai cet après-midi quelques pintxos de Toulet, Larbaud, Levet, de Richaud et Delteil, au hasard. Ajouter Cendrars et Morand sera justice : après-midi (et soirée, sans doute) tapas poétiques. Extrait =>

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  • La couche de Montaigne

    La couche de Montaigne, dans sa tour en Périgord : lit à baldaquin en noyer tourné sur carreaux de terre cuite posés à joints vifs ; plafond à solives sur sommiers ; cheminée à jambages en pierre de taille.
    Envie d'essayer...

    Capture d’écran 2019-05-14 à 19.56.46.pngGabriela Manzoni, auteur de Comics retournés m'a soufflé ceci. Je l'en remercie : « Chez moi, je me détourne un peu plus souvent à ma librairie... Là je feuillette à cette heure un livre, à cette heure un autre, sans ordre et sans dessein, à pièces décousues. Tantôt je rêve, tantôt j'y enregistre et dicte, en me promenant, mes songes que voici. Elle est au 3e étage d'une tour. Le 1er, c'est ma chapelle.

    Le second, une chambre et sa suite, où je me couche souvent, pour être seul ; au-dessus, elle a une grande garde-robe ; c'était au temps passé le lieu le plus inutile de ma maison. Je passe là la plupart de mes jours de ma vie, et la plupart des heures du jour. A sa suite est un cabinet assez poli, capable à recevoir le feu pour l'hiver, très plaisamment percé. » Michel de Montaigne

  • Barbey d'Aurevilly

    Capture d’écran 2019-05-07 à 22.13.06.pngIl y a toujours des Chevaliers errants dans le monde. Ils ne redressent plus les torts avec la lance, mais les ridicules avec la raillerie, et Mesnilgrand était de ces Chevaliers-là. Il avait le don du sarcasme. Mais ce n'était pas le seul don que le Dieu de la force lui eût fait. Quoique, dans son économie animale, le caractère fût sur le premier plan, comme chez presque tous les hommes d'action, l'esprit, resté en seconde ligne, n'en était pas moins, pour lui et contre les autres, une puissance. Nul doute que si le chevalier de Mesnilgrand avait été un homme heureux, ilCapture d’écran 2019-05-07 à 22.28.36.png n'eût été très spirituel; mais, malheureux, il avait des opinions de désespéré et, quand il était gai, chose rare, une gaité de désespéré; (...)

    À un dîner d'athées, pages 977-978 (coll. Bouquins/Laffont).

  • J'exhume - À vos souhaits

    Mon vieil ami et complice Benoît Lasserre, grand reporter à Sud-Ouest, m'envoie ce papier retrouvé dans les archives de Sud-Ouest Dimanche, daté du 1er avril 1984, consacré à Dominique de Roux (purée! 35 ans, j'en avais 25 et encore 32 dents -certaines, dures -, et je donnais chaque semaine un ou deux papiers comme celui-ci à Pierre Veilletet). Il préfigure le long texte que je donnerai plus tard à L'Âge d'homme pour le gros livre collectif (un Dossier H dédié) intitulé sobrement Dominique de Roux. Content de retrouver celui-ci. Merci, Old Sport !

    Capture d’écran 2019-04-29 à 13.34.35.png

  • De l’Esprit français et des Saints

    Capture d’écran 2019-04-26 à 13.39.48.pngNous attendions beaucoup mais sans raison – sinon l’excitation suscitée par son titre – de ce Dictionnaire amoureux consacré à l’Esprit français (Plon/Grasset, 670 p., 25€). Metin Arditi y livre de belles pages, mais son abécédaire semble davantage tenir du fourre-tout intelligent, de l’auberge espagnole brillante tant il apparait davantage comme un collage façon puzzle, que d’un vrai projet cohérent, autant sur le fond que pour son style. Certaines entrées consacrées à des personnages célèbres figurent de sensibles mini portraits souffrant cependant d’être surchargés d’interminables citations. D’autres semblent bâclées (Gastronomie : une succession de recettes et de généralités, Cinéma : un florilège de résumés de films). D’autres encore campent là comme par erreur, ou bien leur propos n’apporte pas grand-chose (Exécutions capitales, Mauvais films, Solder la facture). Les entrées consacrées au panache, à Cyrano (via l’entrée Rostand) peuvent laisser sur notre faim, car on se prépare à lire un feu d’artifice. Le lecteur regrette au fond que les principes d’élégance, de séduction, de beauté, d’humour, de courtoisie, le goût de la conversation et du trait ne soient qu’évoqués comme ça, ne soient jamais claquants, convaincants. Sans doute voulions-nous à tout prix lire un bréviaire qui aurait assemblé les plumes de Jules Renard, Sacha Guitry, Pierre Desproges et Voltaire dans un Bic à 4 couleurs. Au lieu de quoi nous tombons sur d'étranges entrées comme celle qui est intitulée Victime exemplaire de l’obsession du panache, et dont le texte se résume à ces deux mots : Françoise Nyssen. Las... L’avantage de ce kaléidoscope est que l’on trouve en rayon à la fois Boulez, Fauré et Gainsbourg, Char, Grandes Écoles, de Gaulle et Montesquieu, les Guignols de l’info, Yves Montand et Saint-Simon, Jambon-beurre et Michelin (le guide), TGV et Jansénisme. Il y a aussi une entrée nommée Lourdeur.

    Capture d’écran 2019-04-26 à 13.40.20.pngCompagnons de l'invisible

    Plus jouissif, admirablement bien écrit, d’une rigoureuse cohérence en dépit de certaines entrées qui (d)étonnent – mais elles sont justement contextualisées et replacées dans l’esprit du sujet, le Dictionnaire amoureux des Saints que signe Christiane Rancé (Plon, 730 p., 27€), est un ravissement d’érudition et de sensibilité. Tenu bride serrée, le texte toujours dense et scrupuleux, riche et racé ambitionne de nous donner un avant-goût du paradis, et je crois qu’il y parvient. Les « incontournables » sont tous convoqués, de (saint) Jean-Baptiste à Thérèse de Lisieux (et d’Avila aussi), de François d’Assise à Saint-Louis, Padre Pio, Don Bosco, Saint-Augustin, Bernadette Soubirous, Jean-Paul II, Antoine de Padoue, Marie-Madeleine et Mère Teresa. D’autres saint(e)s moins connu(e)s comblent nos abyssales lacunes. Il y a aussi les anachorètes, les Innocents et les cénobites, les Rois Mages, Dante, Satan (qui « s’est réservé la haine des saints », Georges Bernanos), et l’Enfer. L’auteur ouvre son abécédaire à Mauriac, Claudel, Chateaubriand, J.-S. Bach, Léon Bloy, Jean Guitton, Saint-Exupéry, ce qui ne surprend guère, et – plus original, également à Cioran (des pages splendides), Baudelaire (fils de prêtre), Oscar Wilde, Pasolini, Nimier (et son Grand d’Espagne, essai sur Bernanos), Rimbaud et aux peu connus mais précieux Roger Judrin, Armel Guerne et Raymond Lulle. Figurent, non sans humour, saint Glinglin, saint Frusquin et autres saints imaginaires : Goulard, Lippard, Lambin, Lundi, Rechignoux, Couillebault... Et les méconnues saintes travesties (déguisées en hommes) : Thècle, Pélagie (reprendre La Légende dorée, de Jacques de Voragine), Marguerite, Gala, Paula, Eugénie, Marine et Jeanne d’Arc !

    Car, qu’est-ce qu’un saint au fond, sinon « un héros de la vie désintéressée », selon la formule d’Ernest Renan. Nous cheminons au flanc de l’auteur avec ces compagnons de l’invisible guidés par leur définition propre de l’amour, et qu’il ne faut pas réduire à la dévotion aveugle, l’abstinence et l’anorexie. Pas davantage qu’il ne faut confondre béatement une certaine littérature avec le mysticisme. Cependant, Christiane Rancé est capable de voir de la passion et du sacré entre les lignes, les vers, les êtres en portant son regard suraigu. Certaines pages sont exceptionnelles, comme celles qui sont consacrées à Saint Jean de la Croix, l’auteur du fameux Cantique spirituel. « De tous les saints que je suis impatiente de rencontrer, d’âme à âme, si je suis autorisée à monter au Ciel, il y a Jean de la Croix », écrit l’auteur, dont un aïeul fut le frère de l’abbé de Rancé (confie-t-elle avec une infinie pudeur), lequel initia la réforme de l’abbaye de la Trappe en 1660, et auquel Chateaubriand consacra l’un des plus beaux livres de prose française, Vie de Rancé. L.M.

     

  • Êtres sensibles, lisez Christine de Pizan

    G01932.jpgSavez-vous - mais qui peut prétendre savoir ce qui suit, aujourd'hui? - savez-vous donc que dans la théorie courtoise, le baiser représente le quatrième degré de l'amour dans une hiérarchie qui en compte cinq, selon le modèle des cinq sens? Le baiser correspond à celui du goût. Et cela nous est déjà si délicieux de l'apprendre. C'est Jacqueline Cerquiglini-Toulet (un lien de parenté avec Paul-Jean? - J'ai demandé, elle l'ignore), fervente préfacière et éditrice de ces ballades de Christine de Pizan, qui l'écrit. L'ouvrage, Cent ballades d'amant et de dame, est d'importance (Poésie/Gallimard, 10€). D'une part nous lisons un homme d'une loyauté sans faille, quoique, et d'autre part, les réponses d'une femme aimante mais infiniment prudente. Les amants dialoguent au fil de cent poèmes, ce qui n'est pas rien lorsque le désir attise. Ce sont des lettres, des messages, des hommages, des envois, des plaintes parfois, de fougueuses adresses, des reproches aussi, des invites, un faux dialogue peut-être, la distance entretient l'absence en tentant de la dissoudre, le choix du mot fait le reste, maintient, magnifie, tient tout cet édifice d'une intense fragilité droit. À l'époque de Christine de Pizan (1364, Venise - 1430, Poissy), la ballade est une forme à trois strophes avec un refrain d'un ou deux vers. Dans ces Cent ballades d'amant et de dame, si pressantes, la longueur des strophes est délicieusement écourtée parfois, et la taille des vers varie au gré de la disposition des rimes... Les 336 pages du recueil nous offrent ainsi un bouquet de retenue, 20.jpgl'expression parfaite de l'amour courtois cher aux troubadours : Que votre doux amour soit vers moi tourné / Car mon coeur est déjà plus noir qu'une mûre, lit-on dès le premier envoi. Ce qui fait délice, c'est la nomination de l'alternance : L'Amant, La Dame, L'Amant, La Dame, se répondent et nous suivons un ping-pong amoureux d'une fine délicatesse, un échange d'une stupéfiante modernité : Le dard d'amour qui, comme il se doit, / T'enverra des pensers / Pleins de désir, par divers sentiers, / Tantôt joyeux, tantôt douloureux... La ballade 20 (photo jointe) exprime une affirmation féministe de bon aloi. À laquelle la Dame ajoute, quelques pages plus loin, des vers à nos yeux définitifs :  À rien ne sert de résister, / Amour est mon adversaire, / Je ne peux m'y soustraire. Car, il s'agit là, au détour de quelque strophe, d'une joute jouant sur le désir de l'autre : Car je ne veux que votre doux vouloir. / Votre volonté seule est la mienne... dit-il, tandis qu'elle semble, semble seulement, lâcher prise : Je suis vôtre, vous m'avez justement conquise, / Il n'est plus besoin que j'en sois requise, / Amour le veut; vous avez trouvé le chemin /Pour prendre mon coeur / Sans mauvaise ruse, par73.jpg une très loyale quête. / Je le sais en vérité, je m'en suis bien enquise, / Et puisqu'il me plaît ainsi, en toute guise, / Du bien en résultera pour moi. Ce à quoi répond tardivement, et c'est agaçant, l'amant balourd mais lucide et d'une belle patience - à sa décharge, ainsi que d'une capacité à accepter les coups portés : Vrais amants courtois, sachez qu'il n'est dureté / Que de se séparer de sa dame et maîtresse. L'Amant se déclare, sans forfaiture aucune, comme étant un serviteur lige, et cela est d'une admirable rareté. Il entre en merencolie, terme désuet, d'époque, pour désigner la mélancolie. La Dame, infiniment romantique avant l'heure, confesse une fièvre (Ballade 100.jpgLai.jpg100, jointe), qu'une réalité va corroborer : Je m'y fiai : mon coeur se fend en deux / Car sa parole séduisante, trompeuse, / Et son maintien courtois et aimable / M'affirmaient qu'il disait vérité, / Et tel n'était le cas, c'est bien prouvé : / Il a déshérité mon coeur de la joie. Tout est déjà dit, là, sur la légendaire lâcheté masculine. Le cuir me part (Mon coeur se brise), déclare la Dame. Le lecteur est subjugué par tant de droiture sans ambages, de franchise intérieure sans détour. L.M.

  • Plaidoyer pour le sourire

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    Quel éditeur oserait apposer un tel bandeau aujourd'hui? L'époque est au bandeau qui baillonne. Voire, et même davantage, à l'autocensure induite par le (horrible expression) politiquement-correct. La doxa aura-t-elle raison de l'humour, de l'ironie, du second degré? Le sourire, le rire gras même (avant un Irlande-France, c'est de mise), sont-ils plus menacés que la fauvette à ailes roses et le cochenille à pois verts?.. Je pense que si. En passant, comme ça, cet auteur est précieux, son style claquant comme celui de Nimier, ses métaphores toniques, et même galvanisantes. Et cet essai, drôle. Et je continue bien entendu de mépriser, tant qu'à faire, les esprits chagrins. LM

  • Philippe Jaccottet, encore, ce soir

    Capture d’écran 2019-03-07 à 19.36.42.pngMais la femme, les amis,

    le vin brillant aux bougies,

    le doux soleil de l'hiver,

    cette pierre en souvenir

    des falaises de la Manche?

     

    Ainsi les oiseaux fulgurent

    autour des cloches, puis l'ombre

    enterre jusqu'à leurs cris. 

    (de mon cher) Philippe Jaccottet.

    Et puis ceci, aussi :

    Comme le feu, l'amour n'établit sa clarté

    que sur la faute et la beauté des bois en cendres...

  • Les mots de Jaccottet du jour...

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    IMG_20190307_185041_resized_20190307_065222298.jpg... se trouvent dans L'Ignorant, recueil de poèmes datant de 1952 à 1956, paru en 1957 chez Gallimard, lu la première fois à l'âge de vingt ans, et toujours aussi galvanisant lorsque je le reprends. Extrait choisi parce que le chant du merle ivre d'amour berce mes jours depuis une paire de semaines, et que ces notes annoncent les futurs carnets de La Semaison. L.M.

     

     

  • Images

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    Cet après-midi, j'ai repris Haute solitude, de Léon-Paul Fargue, lu à dix-neuf ans. Et j'ai retrouvé le sens de l'image subtile du piéton de Paris. Qu'on en juge : 

    ... je me laisserai glisser sur la pierre décolorée et meurtrie, l'âme au fond des poches, les poches béantes, la vie pesante comme un journal mouillé... (p.97)

    Ce journal que j'achète fond dans mes mains comme un beignet de neige. (p.130)

    Et le soir aussi, quand le café se résorbe comme un mégot... (p.138)

    J'aime ma solitude comme une maison de campagne, comme une retraite vigilante. Les larmes que je verse sont closes. (p.138)

    ... quand je cheminerai enfin les os vaillants, éveillé comme un fantôme, au hasard des quartiers couleur de pintade et d'arrosoir... (p.207)

     

    Je suis tombé par ailleurs sur ce titre d'un sous-recueil de poèmes de Marie-Claire Bancquart (dans Terre énergumène qui parait en Poésie/Gallimard), et je suis resté coi :

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  • Velter et Pignon-Ernest

    IMG_20190221_192910_resized_20190221_074123089.jpgCes deux-là n'en finissent pas -pour notre bonheur- de produire ensemble. On se souvient de Zingaro, suite équestre, plus récemment de Ceux de la poésie vécue évoqué ici même, et voici Annoncer la couleurIMG_20190221_194025_resized_20190221_074122543.jpg (Actes Sud, 29€) le nouvel album à deux mains ou plutôt à deux peaux car, lorsque nous évoquons la poésie, qu'elle soit écrite ou dessinée, il s'agit de sensibilité pure, donc de ce qui fait agir, soit du premier livre de l'homme (la peau, selon Valéry). André Velter, poète, et Ernest Pignon-Ernest, artiste, unissent leur talent respectif pour nous donner régulièrement des albums précieux parcourus d'hybridations évolutives. Car, comme l'écrit d'emblée Velter, la main pense,IMG_20190221_193304_resized_20190221_074121175.jpg
    l'oeil écoute, les lèvres divaguent, les tempes s'évadent, l'imaginaire passe à l'acte
    . Et cela produit un dialogue complice en noir & blanc nourri de résonances, d'enchantements, d'incertitudes tracées, marquées, sûres de leur tâtonnement. Lignes. Signes de piste. Qui ne manquent ni de profondeur ni de légèreté, ni d'exactitude approchée ni d'humour largement déployé. Car, pour annoncer la couleur, rien ne vaut le noir et blanc, est-il précisé page 55. Puis, au détour d'une grande page surgissent des fulgurances (photos ci-dessous),

    IMG_20190221_193954_resized_20190221_074121896.jpg

    IMG_20190221_193940_resized_20190221_074120399.jpg

    qui se passent de tout commentaire...

    IMG_20190221_194947_resized_20190221_075817125.jpgJe signale également René Char allié substantiel, d'André Velter - qui connut bien l'immense poète universel de l'Isle-sur-la-Sorgue (éd. Le Passeur, 16,90€) -, car il s'agit d'un échange épistolaire précieux pour l'auteur avec le maître, assorti de poèmes épars mais crus et denses, moelleux et corsés, et de photos certes redondantes, mais donnant à voir les regards, l'émotion peut-être, des mots que l'on devine, et que nous retrouvons dans les messages qu'André Velter retranscrit avec pudeur, en se gardant bien de voler la vedette dans cet échange jamais impudique. L.M.

    AlliancesJacob Obrecht, Missa fortuna desperata (oreilles, âme), et le Cairanne de Marcel Richaud (oeil, nez, bouche, esprit). 

     

  • Quatrains

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    Juste un aperçu en photos de la poésie simple et pure de François Cheng (évoqué régulièrement ici). Ce recueil (Poésie/Gallimard, 7,30€, en librairie aujourd'hui même), reprend Enfin le royaume paru en 2017 dans la collection Blanche de Gallimard, et qui fut un succès (inattendu pour un recueil de poèmes, en France) augmenté de soixante quatrains inédits. 224 pages de sérénité et de beauté. Cela tombe bien : le thème du 21ème Printemps de Poètes qui aura lieu du 9 au 25 mars prochains a La Beauté pour thème.

    Lisez Cheng, ça fait du bien, dirait une réclame pour aspirateurs ou pour une crème à raser. L.M.

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  • Un havane n'est pas coutume

    Capture d’écran 2019-02-16 à 09.09.08.pngLe décapiter et retrouver aussitôt le fruité fort, le Sauvage, ce sous-bois des sensations comme on le dit d’un scent de bécasse sous le flair d’un setter bien créancé et statufié tout à trac. Un côté fumier aussi, mais point entêtant ni désagréable : on ne hâte pas le pas, on le ralentirait plutôt afin d’en savourer les flaveurs mâles et primitives, et de fourrure aussi mais qui possède un certain vécu, un usé rassis pelé patiné soyeux. Montecristo Open Master. Robusto robuste. Sa dégustation à cru. La meilleure. Les narines absorbantes collées contre sa tête qui exhale, enfin libérée, tant de cèpe d'octobre, de mûre de septembre écrasée par inadvertance, de primevère de décembre foulée sous la botte et dont la semelle se souviendra tout le jour, de blouson de cuir pour la moto, de cheval en sueur, de chien dans la voiture, de sauvagine, de draps dans la cabane au bout d’une semaine de bivouac. Que voulez-vous, les habanos sont ainsi lorsqu’ils sont bien... nez. Minute, je l’allume. La suite appartient aux murmures, aux yeux fermés, aux pensées, au baroque - Jordi Savall et ses fougueuses Follias de España, à une aube ici - dans les barthes de l'Adour sans doute, un crépuscule là - à La Barbade peut-être, aux sensations furtives un peu partout, un éclair dû à un subtil trait d'esprit lancé par un ami comme une ligne pour le bar, disséminées par notre oublieuse mémoire tout à coup rassemblée, au rapport comme pour prendre son quart. Passerelle. L.M.

    Capture d’écran 2019-02-16 à 19.05.28.pngAlliances : Rhum Mount Gay XO pour boire, Le fusil de chasse, de Yasushi Inoué pour lire (à voix haute, façon gueuloir de Flaubert). Le reste pour voir. Plus clair, à n'en pas douter, sur la carte brouillée de nos sentiments dans la salle dédiée. Compas. Sextant. Étoile Polaire. E la nave va.

  • La page de Rita

    Capture d’écran 2019-02-15 à 12.42.31.pngJe pensais l'avoir signalé ici, mais non. J'eus la surprise au coeur de l'été dernier de découvrir un papier élogieux et délicieusement tardif sur l'un de mes livres paru fin 2001 et qui, finaliste du Prix Goncourt de la Nouvelle, manqua cette distinction d'un cheveu. Le voici - il est signé Rita, blogueuse littéraire - et si cela vous incite, hâtez-vous, car le bouquin est en voie d'épuisement chez l'éditeur, lequel n'envisage pas de le réimprimer ou de le reprendre en format de poche dans La Petite Vermillon =>  Les Bonheurs de l'aube

     

     

  • Des âmes simples

    Capture d’écran 2019-01-31 à 11.07.07.png

    L'occasion est trop belle : le superbe livre de Pierre Adrian, paru en 2014 aux Équateurs, reparaît en folio. Je m'autorise la re-publication du bien que j'en disais brièvement ici même le 19 octobre 2017 :

    https://bit.ly/2x7Lk7k

    Que ceux qui n'ont pas encore lu Des âmes simples, de Pierre Adrian, publié aux Equateurs par l'ami Olivier Frébourg, saisissent l'occasion de le faire, avec l'attribution - hier -, du (très enviable) Prix Roger-Nimier à ce jeune auteur de 26 ans, pour son splendide récit (davantage que roman), d'une austérité et d'une vérité stupéfiantes. L'univers de frère Pierre, curé dévoué en vallée d'Aspe, conscience de tant d'âmes qu'il aide à être, l'atmosphère de l'abbaye de Sarrance, le quotidien des habitants désoeuvrés, aux "vies minuscules" (écrirait Pierre Michon), vivotant dans des villages oubliés, la beauté de la nature, la force du silence, la foi, l'écoute... L'humanité enfin, qui se dégage  de ce texte écrit dans un style épuré et d'une hiératique sobriété, force le respect. Un grand livre, que j'ai déjà pas mal offert, d'ailleurs. Faites passer! L.M.

     
  • Christine de Rivoyre

    Je repense aux Sultans et au claquant de ses personnages féminins : Solange, Kim, la Blonde... Je pense à Belle Alliance, la rassurante ferme de Margot, sertie au coeur de l'austère fourrure de la forêt landaise,  à Boy, étrange personnage devant les plages d'Hendaye avant la Seconde guerre, je pense au Petit matin, à Querelle, la jument de Nina. Je pense à Christine de Rivoyre disparue il y a peu (lire plus bas). Je l'avais rencontrée à la faveur du premier Salon du Livre de Dax. Je ne me souviens plus du millésime : 2000, 2001? Nous avions blagué agréablement, et partagé un ou deux verres. Aucune trace de cette rencontre dans mes carnets noirs  (j'ai du perdre celui qui...). Reste cet article paru dans "Sud-Ouest". Et je dois être d'humeur landaise ces temps-ci, car j'ai repris il y a quelques jours avec beaucoup de tendresse Vie et mort de Jean Chalosse, moutonnier des Landes, le superbe roman de Roger Boussinot (mort en 2001) qui envoûta mon été 1976. Je ne retrouve pas non plus les livres sur la bécasse que Jean-Claude Mouchès m'adressa au fil du temps. Le médecin écrivain de Mugron est parti lui aussi l'été dernier. Ces pins qu'on abat... L.M.

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  • Holder

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    Éric Holder n'écrira plus et c'est une peine. Tristesse d'apprendre sa mort, hier. Il aura suivi de peu sa compagne, l'éditrice Delphine Montalant, partie fin novembre (*). J'ai cherché ce que j'avais écrit sur les débuts de Holder. Mon papier (ci-dessous) sur son premier roman, Manfred ou l'hésitation (Seuil) est paru le premier septembre 1985 dans Sud-Ouest Dimanche (je réalisais alors le dossier de la rentrée littéraire, et il s'inscrivait dans la page consacrée aux premiers romans). C'était il y a plus de 33 ans, Holder avait 25 ans... J'ai repris Embrasez-moi hier soir (le dilettante) : tout le charme, toute la tendresse (et la sensualité) d'Eric Holder y sont rassemblés. L.M. 

    ---

    (*) Je m'aperçois qu'Éric Holder a publié chez Delphine Montalant L'Alphabet des oiseaux, à commander tout à l'heure.

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  • Courtois

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    Lire Christine de Pizan (1364-1430). Grâce à Poésie/Gallimard, c'est possible. Ces Cent ballades d'amant et de dame sont un bijou de "correspondance" amoureuse croisée, en vers, qui loue l'amour courtois, souffle le tact et la délicatesse, vante le respect absolu du désir de l'autre. C'est juste beau. J'en reparlerai. Ceci est une mise en bouche. L.M.

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  • Hölderlin : "C'est poétiquement que l'homme doit habiter le monde"

    Il en va de l'essentiel Charles Juliet (cité ci-dessous avec deux extraits de ses Affûts parus chez P.O.L. en 1979), comme de Jacques Dupin, de Francis Ponge, de Philippe Jaccottet évoqué récemment ici même, de Pierre Reverdy, de Saint-John Perse, de Marceline Desbordes-Valmore, d'André Frénaud et de tous les autres passeurs de lumières et de frissons. Le mot de Hölderlin placé en titre est un étendard, une douce injonction faite à chacun. Chaque jour lire quelques poèmes de hasard et de bonne fortune nourrit plus sûrement que mes linguine alle vongole que je suis en train de concocter (quoique)... Enfin, les deux se fiancent agréablement, et si vous augmentez le sentiment avec le son, soit avec de la musique baroque (au hasard, encore), vous êtes armés pour combattre les mesquineries du quotidien, l'humeur rogue des gens dans la rue, et vous riez de cette neige qui tombe ce matin, car elle vous refile une envie forte de feu de cheminée après une marche sauvage, les pieds enfoncés profondément, les poumons glacés par un air vivifiant, et des oiseaux migrateurs plein les yeux et l'horizon... L.M.

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  • Prendre feu

    « Et alors, j'ai pris feu dans ma solitude car écrire c'est se consumer...
    L'écriture est un incendie qui embrase un grand remue-ménage d'idées et qui fait flamboyer des associations d'images avant de les réduire en braises crépitantes et en cendres retombantes. Mais si la flamme déclenche l'alerte, la spontanéité du feu reste mystérieuse. Car écrire c'est brûler vif, mais c'est aussi renaître de ses cendres. »

    Blaise Cendrars

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  • Mardi

    Capture d’écran 2019-01-08 à 23.09.48.pngJe saisis Mardi, de Herman Melville parce qu'il se trouve devant mes yeux, et lis à haute voix l'incipit. C'est un piège. Après cela, je défie quiconque de ne pas se sentir embarqué. C'est parti (bonheur du soir) :

    Nous voilà partis! Les basses voiles et les huniers sont établis, l'ancre tapissée de coraux se balance au bossoir et les trois cacatois se gonflent à la brise qui nous suit au large, comme les abois d'une meute. La toile se déploie, en bas, en haut, renforcée de part et d'autre de nombreuses bonnettes; si bien qu'à la fin, comme un faucon qui plane, nous ombrageons l'océan de nos voiles et, dans un ballottement, nous fendons l'onde amère.

  • Prendre un peu de Jaccottet chaque matin

    Capture d’écran 2019-01-04 à 13.21.41.pngTel pourrait être mon souhait le plus fiable, le plus salutaire et le plus vivifiant : saisir chaque matin l'un des nombreux recueils de poésie de Philippe Jaccottet entre deux tasses de café, et lire un poème de hasard. Cette idée m'est venue tout à l'heure, lorsqu'un ami m'a adressé le début d'un extrait de Pensées sous les nuages, à l'ouverture intitulée Le mot joie. Il s'agit en l'occurrence d'une « note », d'une sorte de poème en prose dont Jaccottet a le secret - mais il a écrit davantage de poèmes de facture plus classique.

    « Je me souviens qu’un été récent, alors que je marchais une fois de plus dans la campagne, le mot joie, comme traverse parfois le ciel un oiseau que l’on n’attendait pas et que l’on n’identifie pas aussitôt, m’est passé par l’esprit et m’a donné lui aussi, de l'étonnement. »


    Je vous le livre ci-dessous in extenso. Histoire de vous donner envie de faire comme moi cette année : prendre un peu de Jaccottet chaque jour. Cela nous fera un bien fou. L.M.

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    Capture d’écran 2019-01-04 à 13.13.28.pngJe recommande par ailleurs, parmi les sept ou huit recueils déjà parus en format de poche (Poésie/Gallimard), particulièrement celui-ci, car il s'agit de l'anthologie personnelle de l'oeuvre de l'auteur : L'encre serait de l'ombre. 

     

  • Plozévet

    Il est des noms de lieux, comme ça... Samarkand, Tombouctou et Zanzibar font tant rêver qu’ils exigent d’aller vérifier sur place une magie projetée. Plozévet est d’une autre nature. Ce village du Pays Bigouden, situé sur la côte bretonne, non loin de la baie d’Audierne et sur la route de Quimper, a été immortalisé par un livre formidable qui connut un immense succès dès sa parution en 1975 : « Le Cheval d’Orgueil », de Pierre Jakez-Hélias (1914-1995), accueilli dans la prestigieuse collection Terre Humaine de Plon, au sein de laquelle Jean Malaurie – son initiateur – publia notamment « Tristes Tropiques », de Claude Lévi-Strauss, entre cent autres bijoux de l’ethnologie contemporaine. Cet été là, nous dévorions depuis la plage de la Chambre d’Amour, à Anglet et à marée haute (aux heures sans vagues et donc sans surf possible), ce grand livre (voir la photo qui reproduit l'exergue du livre : cette citation du grand-père de l'auteur nous éclaire sur le titre), sans rien connaître de ce village de la Bretagne profonde exploré par un enfant du pays (*). L'été suivant (celui du baccalauréat en juin et de l'examen d'entrée à Sciences-Po en septembre), fut également riche (et appauvrissant en termes d'impôt sècheresse), qui nous pria sans peine de nous plonger en pays Cathare au temps de l’Inquisition, grâce au talent de conteur de l’historien Emmanuel Le Roy Ladurie (1929-) et de son inoubliable « Montaillou, village occitan, de 1294 à 1324 » (Gallimard, Bibliothèque des Histoires). L’époque était à ces livres de connaissance à la fois historique et ethnologique. À la faveur d’une virée il y a bien des années en Haute Ariège, nous découvrîmes Montaillou – ou ce qu’il en reste. Et la déception fut au rendez-vous, car à l’instar de l’adaptation au cinéma d’un roman qui nous a plu, vouloir voir réserve des déconvenues (**). Ainsi donc de Plozévet, hier même. Lointainement habité par la lecture (il y a 43 ans) du livre de Jakez-Hélias, je confesse une petite appréhension en IMG_20181228_184535_resized_20181228_070242539.jpgdépassant vers 17 h le panneau d’entrée du village. Celui-ci se révèle être  (avouons-le d’emblée) d’une banalité commune à nos yeux, sans relief particulier, hormis son église et une place attenante... Un Intermarché relativement dissimulé ferme le village. Il me fallait quand même y aller, voir, vérifier. Pouldreuzic (village, proche, de Jakez-Hélias – sa maison natale se visite, et siège de l’entreprise Jean Hénaff, le très célèbre pâté breton à la robe métallique bleue et jaune), le port de Penhors à proximité enfin, sont plus authentiques, car de facture plus sauvage. On y retrouve l’atmosphère celtique, quasi irlandaise de la presqu’île de Crozon, en y mettant un peu du notre. Plozévet cristallisa l’attention d’observateurs de grand renom à une certaine époque. Outre « Le Cheval d’Orgueil », il faut citer l’étude sociologique « de terrain » magistrale d’Edgar Morin, « La métamorphose de Plozévet, commune de France » (Fayard, 1967). À travers la radiographie minutieuse d’un village emblématique de tous les bouleversements d’après-guerre : disparition inexorable du monde paysan, libération des femmes, révolte de la jeunesse, entrée dans le monde contemporain et ses sirènes urbaines, la société de consommation, la civilisation des loisirs, le tourisme « kodak » bientôt de masse... Sans oublier l’hygiène domestique (l’apparition des toilettes, par exemple), le développement des routes qui désenclavent, la première « folle du logis » : la télévision qui prend place à côté de la cheminée... Morin circonscrit avec pusillanimité l’entrée dans l’univers moderne. L’étude fit grand bruit et fait encore autorité (d’un point de vue historiographique). Elle constitue le pendant du livre merveilleux de Jakez-Hélias qui narre la vie quotidienne de sa propre famille d’humbles paysans en pays Bigouden, à l’immédiate après Première Guerre mondiale. Le poids de la religion, l’importance de la langue (l’époque était à l’« interdiction de parler breton et de cracher par terre »), l’extrême précision des traditions qui ordonnent et rythment la vie à la campagne, les légendes et les us, les costumes et coiffes, typiques comme le mobilier, le développement de « l’instruction », et celui de la mécanisation du travail aux champs, le récit de l’existence simple de ces gens-là éloignent le livre d’une étude ethnographique à la facture froide pour l’apparenter davantage aux « Tristes Tropiques » de Lévi-Strauss, au moins par le ton employé, la démarche à la marge, la dimension littéraire aussi (même si Lévi-Strauss plane à plusieurs crans très au-dessus de Jakez-Hélias. Rappelons juste que les jurés Goncourt hésitèrent à le couronner, puisqu'il ne faisait pas oeuvre de fiction, comme ils durent d'ailleurs réfléchir cette année au sujet du somptueux « Lambeau » de Philippe Lançon...). Autant de raisons qui justifiaient une virée, hier, du côté de Plozévet, et qui se devait de s’achever – non sans appréhension - en poussant la porte de la Maison de la presse-Café des Sports-Loto-Librairie du village, avec l’espoir d’y apercevoir ces deux livres. Un soupir de satisfaction et de soulagement libéra immédiatement mon espérance (j’eus été peiné de ne pas tomber sur leur couverture). 

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    Je prenais une photo des livres (ci-contre) et regagnai Primelin le cœur léger. J’avais enfin vu Plozévet. Je remis des bûches dans la cheminée en regardant l’Océan. Une bande de goélands longeait la falaise avec nonchalance, deux merles se poursuivaient en rasant l’herbe drue. Il était temps de se remettre en cuisine. Un souvenir me revint alors curieusement en touillant les légumes dans la grande poêle : celui de la cuillère en bois sculpté, et son importance le dimanche et lors des noces (***). Les paysans du Pays Bigouden s’y rendaient avec leur propre cuillère taillée dans le buis ou le pommier. Et si un jeune homme offrait la sienne à une jeune femme, cela signifiait qu’il devenait son « prétendant » (au Pays de Galles, une coutume voisine a généré l’expression de Love spoon). Je crois me souvenir aussi que certaines tables étaient creusées et que chaque cavité ronde tenait lieu d’assiette. À vérifier lorsque je retrouverai mon exemplaire racorni. L.M.

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    (*) Nous tairons ici la polémique initiée par le grand écrivain, poète Xavier Grall (1930-1981), auteur notamment d'un livre précieux entre tous, « L'inconnu me dévore » (Equateurs, rééd. 2017 aux bons soins de Pierre Adrian, et sous la houlette d'Olivier Frébourg), avec son coup de gueule « Le Cheval couché » (Hachette, 1977), qui accusait Jakez-Hélias de donner une image passéiste, voire dégradante du paysan breton que d'aucuns jugèrent hâtivement arriéré (un qualificatif aujourd'hui désuet, et jadis péjoratif, comme le mot plouc), dès la parution du « Cheval d'Orgueil ». Grall évoquait dans son pamphlet un folklorisme fossilisant. C'est dire le degré polémique qui sévît dans (le) Landerneau... 

    (**) Je n’ai pas vu l’adaptation du « Cheval d’Orgueil » qu’en donna Claude Chabrol en 1980 (avec Jacques Dufilho dans la distribution).

    (***) Vérification à venir : le rapport (improbable) entre la cuillère bigouden et la signification de l'échec total de la cuillère de bois attribuée au grand perdant, lors du Tournoi des Six Nations... Si ce que je pressens se vérifie - soit que (naître avec) une cuillère d'argent oppose les classes sociales : argent contre bois (attribut des paysans bigouden, fort pauvres pour la plupart), la philosophie du rugby serait un brin écornée à mes yeux... Mais j'en doute.

  • Gros manuel de culture générale à haute valeur ajoutée

    Capture d’écran 2018-12-20 à 13.43.48.pngLa première question que l’on se pose en soupesant ce volume de 1 500 pages signé de Luc Ferry est : comment cet homme à l’agenda d’ex-ministre fait-il pour trouver le temps de... Nous pensons aussitôt après : c’est sans doute le livre d’une vie. Il en a écrit des dizaines d’autres, mais celui-là pourrait bien être sa « somme ». C’est que le « Dictionnaire amoureux de la Philosophie » (Plon, 30€) ratisse large : la liste des entrées déborde largement celle des ouvrages comparables, et davantage académiques, plus stricts quant à la définition de la philosophie, y compris, et à l'opposé, l'inclassable Monde de Sophie, de Jostein Gaarder ou bien l'iconoclaste Antimanuel (de philo) de Michel Onfray. La définition de la Philosophie selon Ferry touche non seulement aux principaux courants et concepts classiques – qui figurent tous dans cet imposant ouvrage -, mais également à l’animalité, l’argent, l’audimat, l’automobile, le big data, les bouffons, l’uberisation du monde, Frankenstein, l’héroïsme, l’holisme opposé à l’individualisme, l’islamophobie et l’islamonazisme, au jeunisme, à Lisbonne, Noël, Pâques, au racisme colonial, la robotique, et même au vin (dernière entrée - et pas des moins intéressantes - de ce foisonnant dico). C’est dire si le spectre s’élargit à notre modernité, aux nouveaux regards (portés) sur le monde actuel – lesquels sont pour la plupart une façon de revisiter la pensée à travers une réflexion relativement identique, et cependant corrigée, enrichie. Ce n’est pas la moindre des qualités de ce livre. Qui est par ailleurs bien écrit, ce qui permet une plongée dans chaque entrée des plus aisées. Luc Ferry rend son bouquin encore plus sympathique par des digressions, ici le récit de souvenirs personnels liés au texte, comme à propos d’écologie politique, lorsqu’il publia dans les années 1990 « Le Nouvel ordre écologique », là des anecdotes tirées de son quotidien. Le ton de cette conversation proposée au lecteur démystifie un ouvrage de cet ordre, sans pour autant le rendre simpliste : Chaque entrée recèle une réflexion en profondeur sur une thématique dûment, sérieusement abordée sous divers angles. Ce Dictionnaire amoureux en devient un livre de culture générale à haute valeur ajoutée, ce qui n’est pas négligeable par les temps qui courent, et qui sentent si mauvais l’absence de soif de savoir, le refus de connaître, le déni, le non souci de prendre le temps de la réflexion, fut-ce la plus humble et la plus brève... Pour cela au moins, ce pavé (rêvons qu’il soit jeté lors de manifestations au lieu des vrais, en pierre), mérite toute sa place dans la liste des cadeaux à faire à ceux que l’on aime. L.M.

  • Le Vin, c'est Particulier...

    IMG_20181218_150438_resized_20181219_112601357.jpgIl vient tout juste d'arriver au courrier par coursier : le livre Le Vin, son histoire, ses terroirs, publié par le groupe Le Figaro via sa filiale Le Particulier, paraît. 194 pages denses etIMG_20181218_150323_resized_20181219_112600472.jpg cousues main, aux petits oignons, rédigées scrupuleusement et littérairement, avec goût et circonspection, sous la houlette de notre complice depuis tant d'années Philippe Bidalon. Nous y avons, personnellement, beaucoup donné, des Origines du sang de laIMG_20181218_150921_resized_20181219_112601974.jpg vigne au vignobles du Sud-Ouest en passant par ceux de la Loire, de la bulle de Champagne à l'aristocratie (bordelaise) du bouchon, des climats bourguignons au choix des verres, et d'autres chapitres plus ou moins grands. Ce fut un plaisir. Le bouquin se tient. Il est élégant, gourmand, richement illustré, jamais pompeux, toujours sérieux mais avec ce qu'il faut de distance pour demeurer suave, hédoniste, généreux. Aucune prise de chou là dedans. Que du plaisir en partage. Faites passer ! L.M.

     

  • Un inédit de Rostand

    IMG_20181218_113337_resized_20181218_113430117.jpgÀ défaut de publier un inédit de Marcel Proust, Atlantica livre un inédit d’Edmond Rostand, « La Maison des amants ». Ce n’est pas rien. C’est même beaucoup. Certes, cette pièce est inachevée. Mais la beauté réside dans l’inachevé, quoi qu'en dise l'un de ses personnages (lire plus bas). C’est l’acte I d’une pièce prévue en trois. Le premier tiers. Le reste est à imaginer, à échafauder, construire, détruire, refaire. Jusqu’au quatrième tiers... Et, si l’on considère « Cyrano de Bergerac » comme l’un des plus beaux textes jamais écrits en langue française, nous ne regrettons pas l’hypothétique exhumation d’un Proust de derrière les tiroirs brinquebalants aux relents de naphtaline. Après tout, Marcel manqua le Goncourt et Edmond connut un succès populaire foudroyant. Ces deux-là n’ont pas fini de connaître les lois de l’apogée... Le succès de « La Recherche » fut plus lent, mais pas moins durable. Sur la ligne de départ, les paris auraient pu aller bon train. Marcel demeure un ton au-dessus, celui de l’introspection. J’ai plaisir à le nommer ornithologue de l’homme – ce drôle d’oiseau. Rostand est bien plus généreux, débonnaire sans compter, cash en somme. Et puis ils sont incomparables à la fin – pourquoi cette digression, je vous le demande ?.. Cette « Maison des amants » est d’une facture plutôt prude, elle cultive le tact et la bienséance comme d’autres le haricot tarbais ou le voussoiement. Le titre est beau et prometteur. Les aficionados d’Edmond avaient eu la joie de découvrir un premier inédit voilà quelques années : « Le Gant Rouge ». Voici, par l’entremise d’un spécialiste incontesté de l’œuvre de Rostand, l’universitaire Olivier Goetz (maître de conférences en arts du Spectacle à l’Université de Lorraine, et entre autres co-organisateur d’un colloque qui se tint à Arnaga – Cambo, demeure-musée de l’auteur de « L’Aiglon », en septembre dernier, sur le thème suivant : Poésie du spectacle et spectacle de la poésie dans l'oeuvre d'Edmond Rostand), ce début de pièce interrompu par la maladie, la guerre et enfin la mort de son auteur de la grippeIMG_20181218_113250_resized_20181218_113429716.jpg espagnole le 2 décembre 1918 – il y a tout juste un siècle -, qui devait narrer l’amour absolu entre Joconde et Hermeril (« Cyrano » fut donné en novembre 1897, mais les feuillets de cette pièce inachevée datent de 1895). C’est vif et primesautier, léger et frais, en vers, et contre toute attente cinq scènes en disent déjà long, sur une petite quarantaine de pages aérées. Les amants ne « parlent » cependant pas dans ce premier acte, et nous le regrettons. Ils sont évoqués par d’autres personnages, ce qui rend l’extrait encore plus appétant ; et frustrant. Qu’importe ! Un certain Taldo déclare, page 33 :

    « C’est le seul grand amour que j’attends, que j’espère.

    Pas d’amour à mi-cœur, pas d’amour à mi-ciel.

    J’adore le parfait. Je hais le partiel.

    L’incomplet me paraît ce qu’il y a de pire,

    Et c’est à l’absolu, seulement, que j’aspire. »

    Tout Rostand...

    L’ouvrage comprend par ailleurs le fac-similé du manuscrit enrichi, raturé, corrigé de la main de son auteur, ce qui constitue déjà un précieux document : voir le travail en cours et tenter de deviner ce qui se passait dans la tête de celui qui cheminait sur le papier IMG_20181218_113313_resized_20181218_113430503.jpgcrayon en main, est toujours émouvant. Un texte de Goetz, « Exquise esquisse », analyse la genèse de la pièce, et clôt ce petit bouquin précieux et co-édité avec la Villa Arnaga-Musée Edmond Rostand, propriétaire du manuscrit. À quelques jours de découvrir au cinéma (le 9 janvier) le film « Edmond » (d')après la pièce homonyme (et formidable, nous l'avons vue il y a quelques mois au théâtre du Palais-Royal, à Paris), du même Alexis Michalik, l'actualité a du pif et ne manque pas de panache. L.M.

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    Atlantica, 13€

     

  • folio j'adore

    Capture d’écran 2018-11-22 à 01.24.02.pngCapture d’écran 2018-11-22 à 01.24.34.pngCapture d’écran 2018-11-22 à 01.26.24.pngCapture d’écran 2018-11-22 à 01.22.36.pngMerveilleuse collection folio. Nous tenons tous en mains un folio dans la journée, au moins une fois, pour vérifier quelque chose, relire un passage, retrouver une phrase, s’étonner d’une nouveauté, avouez, non ? Nous attendons tous avec impatience la reparution de romans ou d’essais dans cette édition de poche qui nous est devenue fétiche depuis tant d’années, parce que nous les avons ratés à leur sortie en grand format. Nous nous réjouissons d’une nouvelle traduction (Pavese, Zweig, Hemingway, London, pour ne citer que quelques récentes bonnes surprises), ou d’une nouvelle édition chic et rafraichissante (que les esprits chagrins dénigrent en invoquant un simple coup de marketing et juste une nouvelle couverture : laissons-les à leur aigreur triste), comme ces deux Italo Calvino : La route de San Giovanni et Leçons américaines. Le premier ravive cinq souvenirs majeurs du grand écrivain italien à l’imagination tellement magique dans la plupart de ses livres phares. Le second est composé de six cours qu’il devait donner à Harvard si la mort ne l’avait pas surpris trop tôt, et ce sont six bijoux étincelants d’intelligence et de réflexion sur les chefs d’œuvre incontestables de la littérature, à travers le prisme de cinq valeurs : légèreté, rapidité, exactitude, visibilité, multiplicité. C’est justeCapture d’écran 2018-11-22 à 01.32.27.png brillant. On sort grandi de cette lecture tonique pour la cervelle, en se disant « chapeau »… Folio, c’est relire l’Argentin le plus important à nos yeux, Jorge Luis Borgès, et ses indispensables ouvrages devenus des classiques dont on parle entre nous, le soir au coin du feu : Fictions, bien sûr, et son inoubliable Jardin aux sentiers qui bifurquent,  où l’indispensable Livre de sable, qui fait partie des livres que l’on aime offrir, et ses treize nouvelles à connotation fantastique, mais comme Poe le fut, soit avec un talent fantasmagorique capable d'orienter sans la gouverner la vocation d’un Julien Gracq. Nous y relisons avec un immense plaisir Le congrès, et l’indépassable nouvelle qui donne son titre au livre. Folio, car ce n’est pas fini, c’est encore le bonheur de plonger dans la correspondance amoureuse de François Mitterrand, avec cet énormeCapture d’écran 2018-11-22 à 01.27.35.png volume (1000 pages) – et encore, il s’agit d’une version abrégée de celle qui parut en collection Blanche -, avec Anne Pingeot, sobrement intitulé Lettres à Anne, 1962-1995, Choix (établi par la destinataire elle-même). Car, c’est beau, très beau, émouvant presque à chaque page, à l'instar du Journal de Jules Renard, lequel recèle un trésor ou deux à chaque paragraphe (avouez aussi). « Tonton » était une sacrée plume et un esprit littéraire très cultivé. Anne est magnifiée, comme a pu l’être Maria Casarès sous la plume d’Albert Camus, Elsa sous celle d’Aragon, Gala, Lou, tant d’autres bénies des dieux de la littérature lorsqu'elle part du coeur et pas seulement du ventre. Cela commence donc en 1962, lorsque François Mitterrand, alors âgé de quarante-six ans, tombe instantanément amoureux fou d’une jeune femme de dix-neuf ans qu’il rencontre chez ses parents à Hossegor. Bien sûr, un sentiment de violation de domicile, d’impudeur difficile à dominer nous saisit à chaqueCapture d’écran 2018-11-22 à 01.38.59.png lettre, mais cette désagréable impression qui nous colle à la peau comme la honte figurée par le feu qui prendrait à notre vêtement et menacerait de nous étouffer, cette sensation de pénétrer l’intimité d’un couple épris, est dépassée par la langue, la poésie, la profondeur bouleversante et finalement universelle, si l'on prête une oreille attentive, des mots que Mitterrand adresse avec une fougue capable de rendre jaloux tous ceux qui claudiquent et balbutient devant l’aimé(e) avec une syntaxe maladroite ; empotée. Une leçon, à la manière d’un recueil de poèmes d’Éluard. Folio, c’est encore ces « collectors » qui jaillissent à l’approche des fêtes de fin d’année. Nous tenons là un opus de Sylvain Tesson que nous aimons particulièrement, et dont le succès fut très mérité : Dans les forêts de Sibérie, livre déjà évoqué ici même pour son côté sauvage et pur. De même que le fut un autre grand livre, un roman cette fois, de la baroque Carole Martinez : Le cœur cousu. Un livre diabolique et donc séduisant qui nous plonge dans l'Andalousie du XIXè siècle et ses croyances ésotériques, où des femmes savent recoudre les coeurs en lambeaux et possèdent le pouvoir de rafistoler les hommes brisés... Enfin, et nous ne l’avons pas encore lu, mais le premier roman de Leïla Slimani, Dans le jardin de l’ogre, bénéficie lui aussi de cette collection très chic, colorée, même sur tranche. Il évoque, lis-je, une addiction sexuelle implacable, et forcément dangereuse. À suivre, donc. Folio, c'est enfin tomber sur une perle qui avait échappé à notre attention lorsqu'elle parut chez P.O.L., comme L'homme des bois, de Capture d’écran 2018-11-22 à 01.40.28.pngPierric Bailly. Hommage d'une tendresse froide mais jamais désaffectée - bien au contraire -, au père disparu accidentellement, et à côté duquel le fils a le sentiment douloureux d'être un peu passé à côté... Et ce trop tard accroit le manque. Ce livre nous fait dire que, si le travail de deuil de la mère est un genre littéraire en soi, celui du père est encore un territoire à défricher et à bâtir avec ce type d'hommage. Car, ce bouquin court, dense, âpre, empathique avec la distance juste, modeste, est grand par sa langue droite et pure, par sa narration simple et essentielle; celle qui n'ose pas tout, qui suggère au lieu de souligner. Le tact, quoi. L.M.

  • Vin de gibier

    IMG_20181113_150210.jpgIMG_20181113_150327.jpgWeek-end de novembre dans le Perche. Les palombes luttent contre un vent mouillé, la pluie devient horizontale et piquante, il ne fait pas un temps à mettre un chevreuil dehors. D'ailleurs, on n'en surprend guère à l'orée des bois. Les grues cendrées ne passent plus, et les cendres menacent dans la grande cheminée. Il est temps de retourner aux affaires. Le château Les Gravières de La Brandille, Bordeaux Supérieur 2015 appartenant à la famille Borderie, sis à Saint-Médard-de-Guizières, est le flacon idéal pour escorter une viande rouge de sacré caractère comme une daube de sanglier mijotée des heures, un cuissot de chevreuil qui roupille lentement au four à 180°, ou une épaisse basse côte de bœuf des Flandres maturée trois semaines (photo), grillée sur de tendres braises, à bonne hauteur et devant la table de l'apéro, ce dimanche midi à la campagne, tandis que la pluie crépite encore sur les feuilles des chênes et des châtaigniers.

    Le flacon reflète bien le caractère viril de ses 90% de merlot (le reste est dans la fausse douceur des cabernet-sauvignon). Sur ces terres argilo-graveleuses, nous ne sommes pas loin de Saint-Émilion et nous retrouvons facilement dans le verre un air de ce terroir unique, à la fois raffiné et structuré, élégant et corpulent. La robe rubis est profonde, et le nez de fruits noirs légèrement épicé. Cette cuvée Prestige (9,80€ à peine) est élevée un an en fûts (un tiers de neufs). La bouche ample est longue, les tanins soyeux. L’écho (franchise, fraîcheur, suavité, léger confituré) avec la viande rouge, bleue mais chaude, est remarquable. C'est la tendresse du gentleman-farmer... L’idéal serait d’en avoir suffisamment pour élaborer la prochaine daube de joue de boeuf avec (penser à en commander). En attendant, il sera le compagnon idéal du livre posthume de « Big Jim » : Un sacré gueuleton. Manger, boire et vivre, qui paraît chez Flammarion. Et de Mozart. Santé ! (Pé-pèp!.. Remets deux ou trois bûches avant de sortir, s'il te plaît-merci). L.M.

     

     

  • Armistice

    Gallimard s’est associé à la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale pourCapture d’écran 2018-11-06 à 13.22.32.png commémorer l’Armistice du 11 novembre 1918, en publiant un gros ouvrage exceptionnel à plusieurs titres : une trentaine d’écrivains « maison », réunis par Jean-Marie Laclavetine, écrivain et membre du comité de lecture de Gallimard, y ont exprimé ce que cet Armistice leur évoquait, car chacun (d'entre nous aussi) entretient avec la Grande Guerre un rapport particulier, fait de récits, de lectures, de souvenirs familiaux, de constructions imaginaires... Aussi, sont rassemblés sous un titre sobre fictions, récits, lettres, chants, discours... L’iconographie de cet ouvrage est par ailleurs impressionnante, qui offre une cinquantaine de gravures et d’estampes signées Félix Valloton, Otto Dix, Fernand Léger... réunies par l’historienne d’art Marine Branlard. Parmi les auteurs, des textes remarquables de Jean Hatzfeld, Boualem Sansal, Alexis Jenni, Aurélien Bellanger, Pierre Bergougnioux, François Cheng, Sylvie Germain, Marie Nimier, Carole Martinez, Jean-Christophe Rufin, ou encore Roger Grenier ont retenu notre attention, voire notre haleine. Un bel ouvrage qui a donné lieu, le 25 octobre dernier, à une lecture à la Maison de la Radio de certains textes par des membres de la Comédie-Française, et qui sera diffusée le 11 novembre prochain sur les ondes de France Culture. L.M.

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     Armistice, collectif, Gallimard, 35€

  • Genevoix/Jünger

    IMG_20181106_120311_resized_20181106_120324320.jpg

    Voici, en prolongement d'un commentaire sur ma note précédente, le texte que je donnais il y a quatre ans à L'Express, dans le  hors-série La Grande Guerre, dont je fus co-rédacteur en chef avec Philippe Bidalon : 

     

    DEUX VISIONS DE L'HORREUR

    Par Léon Mazzella

    Gendre de Maurice Genevoix, veuf de Sylvie, le livre poignant de Bernard Maris est une ode, un hommage à deux écrivains majeurs de la Grande Guerre : Genevoix et Jünger. 

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    C’est un livre rédigé, de surcroît, à la table de Genevoix, au premier étage de la maison des Vernelles, en bords de cette Loire que l’auteur de « Raboliot » a tant aimée, tant évoquée dans ces inoubliables romans sauvages comme « La forêt perdue » et « La dernière harde ». Néanmoins, l’empathie de l’auteur lui fait naturellement prendre parti. Certes, il lit et continue de lire Jünger avec une ferveur égale depuis l’adolescence, mais il compare souvent et oppose parfois deux visions de la guerre : celle de Maurice Genevoix, l’auteur de l’immense « Ceux de 14 » (Albin Michel. Repris en poche : GF, et Points), le classique du genre, et celle d’Ernst Jünger, l’auteur d’ « Orages d’acier » (Le livre de poche). Deux grands écrivains du XXè siècle. Deux livres essentiels sur la Grande Guerre. Le destin est parfois étrange, car les deux jeunes soldats se trouvaient  l’un conte l’autre à la tranchée de Calonne, aux Eparges et ils y furent blessés le même jour ; le 25 avril 1915. Ce sont deux visions de l’horreur que Bernard Maris décrit. L’une, humaniste, tendre, observe les regards des poilus ses compagnons d’infortune, pleure leur mort brutale, décrit au plus près du réel une vie inhumaine dans les tranchées : c’est celle de Genevoix. L’autre vante les vertus guerrières et viriles  et manque parfois d’empathie pour les blessés comme d’affect pour la mort des soldats amis ou ennemis. C’est celle de Jünger. Survivants de la grande boucherie, les deux écrivains ne se rencontreront jamais, car Genevoix ne le souhaitera pas. Il ne lira guère Jünger non plus. « Il y avait quelque chose d’inconciliable entre eux, et peut-être d’irréconciliable », écrit  Maris. Genevoix est un naturaliste, pas un penseur. Jünger est davantage métaphysicien. La compassion lui est étrangère. Jünger est un écrivain-né et le choc de la Grande Guerre fera de Genevoix un écrivain de la nature, mais le gibier que l’on chasse et les arbres qu’on abat dans ses romans sont des soldats par métaphore. Dans les textes de Jünger, Maris souligne que « la race n’est pas loin et que l’auteur a déjà lu Nietzsche ». Et aussi que le sel de « Ceux de 14 » est dans l’attention  infinie, d’entomologiste, clinique et passionnée, qu’il prête à ses hommes. Loin d’être manichéen, l’hommage appuyé à IMG_20181106_121338_resized_20181106_121351853.jpgGenevoix n’exclut cependant jamais l’admiration pour le Jünger écrivain. Tous deux décrivent admirablement la mort de près, la peur de la peur –celle qui coupe les jambes, les silences, l’angoisse, et les beautés apaisantes de la nature qui chante tout autour de l’enfer. Tous deux se rejoignent autour de cette phrase du premier, aujourd’hui gravée sur le monument aux morts des Eparges : « Ce que nous avons fait c’était plus que ce que l’on pouvait demander à des hommes, et nous l’avons fait ». Sauf qu’il ne s’agit pas, en l’occurrence, de surhumanité, mais de grandeur. L.M.

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    « L’homme dans la guerre. Maurice Genevoix face à Ernst Jünger », par Bernard Maris (Grasset, 2013).

     

     

  • Magie française

    Capture d’écran 2018-11-05 à 13.38.48.png

    Voilà la magie française. Le Lambeau parle des conséquences douloureuses dans la chair et dans l’esprit de Philippe Lançon, son auteur, après que celui-ci ait pris dans la mâchoire une balle de 9 m/m tirée par une Kalachnikov tenue par l’un des frères Kouachi, ce funeste 7 janvier 2015 vers 9h dans les locaux de « Charlie », lors du massacre que nous savons; et de la lente, si lente reconstruction d’un homme. Le livre est poignant, bon, voire excellent. Plébiscité depuis sa sortie en avril dernier. Et les juré(e)s du Femina viennent de le couronner, là, à 13h. C’est ça, l’inimitable French touch. Notre façon extrêmement civilisée de « répondre », près de quatre ans après, et de telle façon, à l’inqualifiable : en attribuant un prix littéraire d’importance à un écrivain qui a su dire sans pathos ni antipathie donc, ce qui fait le sel de la vie, et son fiel aussi. Bravo mesdames, car votre geste fait montre d'un certain panache. L.M.

     
     
     

     

  • La panthère du Jardin des Plantes

    Son regard, à force d’user les barreaux
    s’est tant épuisé qu’il ne retient plus rien.
    Il lui semble que le monde est fait
    de milliers de barreaux et au-delà rien.

    La démarche feutrée aux pas souples et forts,
    elle tourne en rond dans un cercle étroit,
    c’est comme une danse de forces autour d’un centre
    où se tient engourdie une volonté puissante.

    Parfois se lève le rideau des pupilles
    sans bruit. Une image y pénètre,
    parcourt le silence tendu des membres
    et arrivant au coeur, s’évanouit.

    Rainer Maria Rilke, 6 novembre 1902 (traduction de Lorand Gaspar).

    Capture d’écran 2018-11-04 à 02.23.39.pngCapture d’écran 2018-11-04 à 02.19.05.pngTandis que je me promenais comme je le fais parfois dans la Ménagerie du Jardin des Plantes à Paris, histoire de saluer les animaux emprisonnés, de bêtement tenter par le regard de soulager celui de l'Harfang des neiges, de l'oryx d'Arabie, du gaur, de l'orang-outan, ou encore de la panthère des neiges, je repensais à ce poème poignant de Rilke écrit ici même il y a 116 ans. La danse tragique de la panthère n'a pas changé... L.M.

  • Et toi mon coeur...

    G02242.jpgQuel titre ! Tout terriblement, quel titre magnifique pour une anthologie des poèmes les plus emblématiques - aux yeux de Laurence Campa, sa biographe chez Gallimard (éditeur de tout l’œuvre de Guillaume Apollinaire) -, et à nos yeux aussi... Cela est déjà suffisamment fulgurant pour exciter notre instinctive adhésion. La formule lapidaire, le trait forcément provocateur pourrait être entendu à l’opposé exact de la douceur, à l’extrémité même de la plupart des preuves de cette tendresse faite homme, au fil des textes que nous avons en mémoire vive et automatique, dès lors qu’un mot-clé surgit, qu’il se soit échappé d’Alcools, de Calligrammes, des Poèmes à Lou, du Guetteur mélancolique, de L’enchanteur pourrissant, ou du Poète assassiné - puisque nous sommes lecteur assidu et inconditionnel : Mirabeau, Souvienne, Demeure, Jeunesse abandonnée, Vin trembleur, Flamme, Sentimental, Soleil, Cou coupé, Regrets, Raison, Peine, Adieu, Voie lactée, Brin de bruyère... Quantité de vers aussi : Mon verre s'est brisé comme un éclat de rire... Ô ma jeunesse abandonnée... Vienne la nuit sonne l'heure... J'ai cueilli ce brin de bruyère... Ah Dieu! que la guerre est jolie... Et monCapture d’écran 2018-10-26 à 10.17.18.png mal est délicieux... Quand donc finira la semaine... La fenêtre s'ouvre comme une orange... Ou encore : Le ciel étoilé par les obus des Boches... Sont autant de chocs vivifiants qui frappent la porte entr’ouverte de notre armoire émotionnelle.

    Revivre nos sensations secrètes (nées à l'adolescence lorsque Alcools tomba entre nos mains), celles produites par la lecture de l’œuvre poétique fondamentale du XXè siècle, celle qui préfigure Supervielle, Jaccottet, Frénaud, de Richaud, Cendrars, Jacob, et tant d’autres compagnons de route, amis ou voix soeurs, n’est pas rien. Cette poésie pure, et en rupture pas si fondamentale au fond avec celle de Rimbaud, en prolongement (par saute-mouton) de celles de Verlaine, Baudelaire et Nerval, trouve là notre assentiment à jamais réitéré. Cette prose poétique aussi, qui engendrera Toulet, Jammes, La Tour du Pin, Jouve, Follain, Cadou... demeure. Mais Notre histoire est noble est tragique... (et) Les souvenirs sont cors de chasse / Dont meurt le bruit parmi le vent. L’Apollinaire, comme on dit l’alexandrin, est éternel. Le poète partage avec André Hardellet une certaine idée du désir : Mon désir est la région qui est devant moi, écrit Guillaume, lorsque André déclare que La ligne d’horizon, c’est le tour de taille de mes désirs. Mais l'Apollinaire qui compte le plus se résume ce soir, à nos yeux, à ces trois vers d'une beauté à jamais radicale :

    Et toi mon cœur pourquoi bats-tu

     

    Comme un guetteur mélancolique

    J’observe la nuit et la mort. 

    Ceci se situe bien au-delà aussi de l’idée de modernité, incarnée par le début du poème Zone : À la fin tu es las de ce monde ancien... Lequel a un peu vieilli, non ?.. Apollinaire avait « la grâce dans la variété et l'étrangeté » (le mot est de Montaigne).

    Cette édition de poche nous est très précieuse, car elle est illustrée d’une quarantaine d’œuvres d'art pour la plupart surréalistes, ou bien associées au mouvement du dictateur André Breton. Certains furent proches d'Apollinaire, dont les critiques d'art furent nombreuses : Matisse, Marie Laurencin, Picasso, De Chirico, Derain, Dufy, Redon, Delaunay, Chagall, Brancusi, Duchamp, Braque, Léger, Picabia bien sûr, pour l’origine Dada... Bien qu’en format microscopique, ces reproductions redonnent le fond, renvoient l’idée de, nous font plonger, regarder de plus près, imaginer aussi. Et donnent envie de revoir les oeuvres en grand, voire en vrai.

    Capture d’écran 2018-10-26 à 10.13.00.pngC’est le parti pris de la collection Poésie/Gallimard que de « donner à voir », comme le disait Éluard, depuis quelques années déjà, à la fois texte et création picturale. Nous avons déjà eu, relu, revu Char/Giacometti, Éluard/Man Ray, Char/Braque, Reverdy/Picasso... Avec ce Tout terriblement, Apollinaire rejaillit dans notre quotidien plus cru que d’habitude, et c’est heureux. Nous sommes ce soir complètement Marizibill, Madeleine, Orphée, Crépuscule, Jolie Rousse, Pont Mirabeau, Nuit rhénane, soit conquis, épris, imprégné, fébrile, totalement à Lou, follement en rupture, ignorant volontaire de cette Grande Guerre qui frappe encore et que l'on dira totale, tandis qu’une grippe que l’on nommera espagnole tue elle aussi par millions. L.M.

    Guillaume Apollinaire périt de la grippe espagnole le 9 novembre 1918, soit deux jours avant l'armistice. Il avait 38 ans. 

    Tout terriblement, Anthologie des poèmes d'Apollinaire, Poésie/Gallimard, 8,30€

     

     

  • La pensée en cent fiches

    Capture d’écran 2018-10-18 à 11.56.22.pngVoici un livre d'honnête homme, utile et pratique. Un ouvrage de culture générale à abandonner sciemment sur le bureau d’un ado préparant son baccalauréat, à poster à un étudiant souhaitant enrichir ses connaissances, et à déposer sur la table basse du salon de toute personne avide de savoir tous azimuts et chez qui nous sommes invités à dîner (ça change d’un bon vin en guise de cadeau). Concocté par deux passionnés du ballon ovale et de l’esprit de son jeu à XV : Christophe Schaeffer (docteur en philosophie, poète) et Richard Escot (journaliste, écrivain), le Dictionnaire des penseurs (Honoré Champion, 22€) va de Théodore W. Adorno à Ludwig Wittgenstein en proposant de façon systématique, cent fiches sur cent célébrités de la pensée en trois parties : Sa vie. Contexte. Perspective. C’est simple, mécanique, et cela nous évite d’allumer l’ordinateur pour nous rendre sur le site Wikipedia (ou de chercher dans nos rayonnages un indispensable comme « Le monde de Sophie », de Jostein Gaarder – s’agissant de la seule philosophie), lorsque nous avons un « trou » à propos d’Hippocrate, de Diderot, de Maïmonide, ou de Pierre de Coubertin, ou encore Boris Cyrulnik, voire une ignorance totale à propos de Werner Heisenberg, théoricien fameux de la physique quantique. Car ce livre a le spectre large, qui ne passe pas en revue les seuls philosophes et autres bâtisseurs de la pensée antique, moderne, occidentale, et orientale. Il s’agit d’un formidable voyage au pays des idées traitées certes brièvement et pour chaque tête pensante, mais qui remet les théories en place et l'essentiel en mémoire grâce à l’esprit de synthèse de ses co-auteurs. Et puis c’est une sorte de manuel qui donne envie d’aller plus loin, à partir de l’une ou l'autre de ses fiches starters. Ce dico allume son lecteur : ça silexe en lisant... Sciences, sport, spiritualité, médecine, politique, figurent ainsi à côté des philosophes, d’Aristote à Edgar Morin. Sur 350 pages denses, il s’agit là d’un sacré boulot de recension salutaire à l’usage des esprits curieux de tout poil. Car, la pensée on s'en fiche pas... L.M.

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    P.S. : Plon annonce la parution le 8 novembre prochain d'un Dictionnaire amoureux de la philosophie, signé Luc Ferry.

  • Développement instantané

    Capture d’écran 2018-10-14 à 09.19.57.pngL’avantage des nouvelles d’Éric Neuhoff sur les photographies à développement  instantané que nous prenions jadis avec nos Polaroïds blancs, c’est qu’elles ne s’effaceront pas avec le temps. Ces « shorts » désenchantées mais toniques – c’est le premier recueil de nouvelles du romancier des Hanches de Laetitia - sont un cocktail sweet and sour que l’on pourrait nommer Gin Fitz’, et dont la trace en arrière-bouche campera dans nos mémoires. On y trouve la tendre désinvolture de Nimier, la candeur de Déon et un zeste de Morand pour le citrique. Sans paille mais avec des glaçons, cela donne du Neuhoff, hussard mélancolique au ton singulier, effeuillant un bouquet de femmes (pour fil d'Ariane) qui ne saurait faner, toutes armées de prénoms à cran d'arrêt et de réparties à barillet, tour à tour agaçantes, capricieuses, feux-follets, félines, inconséquentes parfois, sensuelles toujours, qu'elles soient allongées sur une plage, un lit de chambre d’hôtel, ou affalées à la place du mort dans une voiture. Ce sont de belles enfuies chimériques, par conséquent inoubliables. Au fil des dix-sept épisodes d’une série que l’on pourrait titrer « un homme fragile façon puzzle », nous suivons l’auteur de Cadaquès à Lisbonne, de Toulouse à Cannes, de la Corse à l’Irlande, de la Grèce à Madère (pour une virée avec Denis Tillinac), de Saint-Tropez à Saint-Germain-des-Près, le port d’attache, sans jamais le lâcher d’une phrase. Il y a évidemment pas mal de cinéma et beaucoup de littérature entre ces pages où traine toujours un cheveu long, et comme parfumées au timbre évanoui d’une voix limpide. Nous y croisons Jean Seberg qui n’a pas disparue, pas plus que Patrick Dewaere évoquant son pote Depardieu suicidé de longue date, et l’ours J.D. Salinger répondant à une invitation de Jackie Kennedy à se rendre à la Maison Blanche. Neuhoff a toutes les audaces. Il peut dire, à l’instar de Jacques Laurent : « Rapportant ses souvenirs, il se laisse le droit de les inventer ». La mémoire de l’auteur de Costa Brava (avec laquelle il entretient les rapports d’une balle de Jokari : un fil invisible l’y ramène sans cesse), s’accroche aussi aux amitiés jalouses de l’enfance, à ses années dolce vita, à des événements survenus au cours de l’année charnière de 1982. Avec une épuisette de délicatesse, respectant toujours les précautions d’usage, Neuhoff s’est adonné à la chasse subtile aux papillons des réminiscences dispersées. Il les a recueillis, puis consignés sur un rocher parsemé de formules qui font mouche. En bas, on entend la mer qui frappe. Et ces Polaroïds, sous lesquels un cœur se retrouve parfois en pièces détachées, ont un mécanicien aimant le réparer nonchalamment – sans jamais le serrer. L.M.

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    Éric Neuhoff, Les Polaroïds, nouvelles (Le Rocher).

  • Jazzy Pourquery

    Capture d’écran 2018-09-28 à 02.54.20.pngFin des années 80, je ne me rappelle plus du jour. Le groupe de rock The Pogues donne un concert à Bordeaux, le chanteur Shane Mac Gowan, ses oreilles volées aux O'Hara de Painful Gulch, vide des Guinness, enchaine les titres derrière Dirty old town à travers ses ratiches rares, et arrose de temps à autre de jets bruns les premiers rangs de la salle à la manière d'un vainqueur de F1. Le lendemain, je ne sais plus qui fait ce titre dans le journal : "The Pogues, le rock qui fait aimer la bière" (en référence à une pub : Heineken, la bière qui fait aimer la bière).

    Avec le journaliste et écrivain d'origine bordelaise Didier Pourquery, c'est un peu ça, sans la mousse. Auteur d'un délicieux Petit éloge du jazz (folio), Didier est l'homme qui fait aimer le jazz avec un enthousiasme communicatif. Chaleureux, tutoyant, Pourquery a l'érudition sympa, partageuse, jamais tapageuse. Son petit bouquin convertirait à Lionel Hampton un intégriste du cor de chasse. Mêlant connaissance fine mais avant tout sensible, dérives personnelles, portraits classés par instruments (voix y compris) à de nombreux souvenirs, il fait mouche à chaque page. Certaines anecdotes sont touchantes, comme cet examen oral du bac le lendemain de la mort de Louis Armstrong : le jeune Didier, déjà fondu de jazz jusqu'au tréfonds des trompes d'Eustache, est défait. L'examinateur compatit. Au fil d'une lecture joyeuse qui donne la pêche et envie d'écouter tous les morceaux cités (une chaine Youtube dédiée porte le titre du livre), on se sent galvanisé par la tendresse du propos d'un passionné sincère qui nous raconte son jazz tout en présentant tous les jazz avec une désarmante simplicité. L.M.

  • Incipit

    IMG_20180829_214518_resized_20180829_094706672-1.jpgJe vois paraître un livre sur les incipit semblable à celui que j'ai publié en 2004 chez fitway publishing et qui fut traduit en anglais, en espagnol et en italien.

    L'ouvrage est signé Elsa Delachair (Points/Seuil). Alors je me dis ressors ton petit bouquin des Premières phrases de romans célèbres !

    Oh, celui-ci comporte 128 pages  à peine, comme un Que sais-je? et ilIMG_20180829_214510_resized_20180829_094705823-1.jpg n'apprendra pas grand chose à l'amateur féru de littérature pourvu d'une bonne mémoire.

    Mais, passées les phrases classiques auxquelles nous pensons immédiatement : Proust, Camus, Céline, et aussi Nabokov, Hemingway, Stendhal, Garcia Marquez, il peut surprendre... L.M. 

    IMG_20180829_214613_resized_20180829_094705043.jpg

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    La première version du livre était ainsi découpée

    (et s'inscrivait dans la collection intitulée ABC, qui fut rebaptisée Minimust en 2006).

     

  • Helena ou la mer en été

    Capture d’écran 2018-08-28 à 10.50.40.pngCe ne peut être le hasard, puisqu’il n’existe pas. J’ai lu hier soir un bref roman, Helena ou la mer en été, de l’Espagnol Juliàn Ayesta, paru en 1952 à Madrid, et seulement en juin dernier en France, directement en format de poche (traduit et postfacé par Xavier Mauméjean). Il y a un air de famille littéraire avec la touchante Gioconda précédemment évoquée ici, du Grec Nikos Kokàntzis. Mêmes émois adolescents, même tendresse, une poésie méditerranéenne en partage avec, au menu : mer, sel, sable, soleil, sieste, rires, et onirisme aussi, mais surtout un fin moins tragique chez Ayesta que dans le récit grec. Le roman est cependant décousu : la première partie a des allures de comédie italienne : un repas dominical au jardin décrit avec talent car, en peu de mots laIMG_20180828_110213_resized_20180828_110239837.jpg joie, les hommes avant la corrida de l’après-midi, les verres de Marie-Brizard, les cigares au bord des lèvres, les enfants qui posent des questions et qui agacent les adultes, puis qui s’échappent, crient, s’amusent, les miettes sur la nappe, les bouteilles de cidre vidées, le soleil qui perce entre les branches, les tantes qui pérorent et médisent par bonté, les cousins de Madrid qui surgissent, la fiesta simple qui se poursuit... Le ton du souvenir de l’enfance est donné sans compter, avec force détails, et nous ressentons le plaisir que l'auteur a eu à écrire ces 36 premières pages. Puis, une partie austère évoque la religion catholique et ses méandres, un IMG_20180828_110139_resized_20180828_110240209.jpgpensionnat, le tabou sexuel, qui nous fait tourner les pages en soupirant. Enfin, une troisième partie tonique et un rien débridée, voit revenir Helena, aperçue dans la première, chargée d’amour retenu pour un narrateur débordant d’amour lyrique et sensuel. C’est tendre, ingénu, sans excès, limpide et ensoleillé. La lecture idoine pour rentrer en douceur. L.M.

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    Le Livre de Poche, 6,40€

     

  • Gioconda

    IMG_20180824_153539_resized_20180824_033646264.jpgTrès en marge de cette rentrée littéraire, notre regard s’est inexorablement porté vers un fulgurant et tendre récit (paru en juin) d’une désarmante vérité, limpide comme une source de montagne, fragile comme ta peau au lit à l’aube, touchant tant il est habité par une bouleversante sincérité. Oh, vous lirez en une heure à peine cette centaine de pages empreintes de délicatesse et d’une impudeur paradoxale. Son auteur n’était pas écrivain. Nikos Kokàntzis (1930-2009) a simplement vécu à Thessalonique une histoire d’amour, la première, la fondatrice, la fondamentale à l’âge de treize ans avec Gioconda, une juive de son âge qui sera déportée et gazée à Auschwitz une poignée de mois après leur rencontre. Leur idylle possède les charmes subtils et écorchés vifs, mais si délicieusement douloureux de la découverte des sentiments et des corps, que la lecture de Gioconda en devient admirablement suffocante. Et cela est dit, décrit, avec une infinie beauté, une immense ingénuité surtout, qui donnent à ce récit toute sa saveur primale. Les scènes des premiers émois, des premiers frissons, des premières pénétrations sont un long tremblement détaillé comme par souci entomologique – il fallait sans doute à l’auteur marquer profondément ce départ double dans la vie, vers un bonheur coupé net.

    Cela pour dire que, n’étant donc pas un professionnel de l'écriture, Kokàntzis ne se la joue jamais, et donne par conséquent à lire une sorte de texte d'une pureté cristalline, situé à des années-lumière de tout calcul littéraire, fourbe souvent, faux trop fréquemment. Nikos rédige avec le sang de son cœur à jamais tranché, haché. C’est seulement en 1975, âgé de 45 ans et lesté de 45 tonnes de charge d'âme a minima, qu'il se décida à écrire cette fébrile histoire inoubliable, tant la belle Gioconda aux yeux envoûtants, atrocement assassinée par la barbarie nazie à l’âge de quatorze ans, est désormais faite, construite pour nous habiter et nous poursuivre longtemps après que nous ayons refermé ce petit livre précieux entre tous. Faites passer, c’est une sorte de talisman comme le sont Laissez-moi, de Marcelle Sauvageot, Lettre d’une inconnue, deIMG_20180824_160709_resized_20180824_040828796.jpg
    Stefan Zweig, ou encore La boîte en os, d'Antoinette Peské. De sacrées références, vous ne trouvez pas? Car, ce qui est magique à l'intérieur de ces livres-là, c'est moins l'atrocité de leur issue que l'insoutenable, la douloureuse beauté du lent, langoureux déroulement de leur non-histoire... L.M.

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    Nikos Kokàntzis, « Gioconda », récit, éd. de l’aube (8,90€).

     

    Photo ci-contre : lectures estivales.

  • Felicidad s'en va

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    Bien sûr il y a Daimler s’en va, bref et fulgurant roman "culte" du regretté Frédéric Berthet (1954-2003), loué récemment par la prose élégante et pleine de tact de Monica Sabolo dans « Le Monde des Livres » (ce qui surprît plus d’un lecteur : Berthet là !), afin de signaler la salutaire réédition en Petite Vermillon de ce texte que l’on se refile comme un talisman, que l’on se chuchote comme une truffe noire en période de disette, soit entre potes qui savent. Et merci par conséquent à Alice Déon, qui préside La Table Ronde, d’avoir à nouveau exhumé ce livre indispensable à nos rayons. Mais il y a aussi Paris-Berry, et la Correspondance, si précieuse. Je viens de relire Felicidad (La Petite Vermillon, 7,10€), dans la foulée des précédents. Un recueil de nouvelles passé inaperçu, hélas. Celle qui donne son titre à ce recueil tantôt mélancolique, tantôt facétieux, brosse plus que dresse, caresse plus que coiffe le portrait d’une femme intelligente, belle, hussarde, insolente, claquante, débordant de chien ; de tout. Les mots de Berthet y sont singulièrement plus nus, plus vrais, plus exacts, plus essentiels que nulle part ailleurs dans son œuvre trop maigre. Surgit l’impression que, là, touché à cœur comme une pièce de bœuf sur la grille, l’auteur offre son âme en pâture, joue son va-tout à la fois amoureux et littéraire. C’est poignant au point que l'on est gagné par l'envie de tout citer, et à voix haute en plus : écoute, écoute ça !..« Nous pouvions faire l’amour pendant des heures, du fond de cette fatigue cristalline qui se levait en nous avant l’aube. C’était comme une rançon versée à l’épuisement atteint. » (...) « Felicidad disparut de ma vie et peu à peu de mes sommeils, d’où elle me réveillait encore, bien après que je l’eus oubliée en plein jour. Bientôt, pensai-je, elle ne sera plus pour toi qu’un effort de mémoire. » (...) Berthet, ou le narrateur, évoque son cœur « ne cessant de sauter comme on rate une marche ». Felicidad lui explique, comme ça, tout à trac, les bulles de champagne, lorsque son esprit effervescent pointe soudain une coupe de l’index, et prononce ceci de si juste : « Celles qui restent au fond retiennent leur respiration plus longtemps que les autres »... Voici pourquoi le charme de cette femme intemporelle, mi Fermina Marquez, mi Zelda Fitz., mi Diva mi Lolobrigida ou qui vous voula, augmente en nous ce plaisir ténu de la savoir à portée de mots. Cela suffit. L.M.

  • Les flacons d'abord

    Capture d’écran 2018-06-13 à 13.39.12.pngÇa commence avec un emprunt à deux incipits : ceux de « Aurélien » de Louis Aragon et du « Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline » dans la même première phrase, et ça finit par une allusion à l’excipit du « Singe en hiver » d’Antoine Blondin avec un épisode à la Roger Nimier ou à la Jean-René Huguenin. Des références en forme de révérences. On adore. Christian Authier aime le jeu et l’hommage. Avec « Des heures heureuses », son septième roman (Flammarion, 19€), il ne nous donne pas seulement à boire du bon vin à chaque page ou peu s’en faut – d’ailleurs, quand il est mauvais, cela déclenche la colère de Thomas (sa doublure) et celle de Robert Berthet son mentor. Il nous fait également rire avec une tripotée d’anecdotes (toutes vraies bien qu’invraisemblables) et jouer aux devinettes : quel écrivain ami, quel vigneron aimé, quel chef de talent se cachent derrière de vrais noms comme ceux de Maréchaux, Guégan, Lacoche, Maulin ? Alors on cherche à deviner, et Authier corse le jeu. Au rayon vignerons, Éric Callcut c’est Calcutt, Selosse c’est Selosse en substance, mais Jean-Christophe Besnard c’est Comor ! Comme Jean-Marc Filhol c’est Parisis au rayon écrivains, et Alain Laborde, Yves Camdeborde au compartiment cuisiniers. C’est relativement fastoche lorsqu’on est initié, soit un peu du club...

    Références à Blondin à coups de citations planquées, répliques-cultes des « Tontons flingueurs », d’autres allusions plus subtiles à des ouvrages de Sébastien Lapaque par exemple (Les vins de copains, Théorie de la carte postale)... L’auteur s’amuse en écrivant et cela nous procure un bien fou. De même qu’il est franchement jouissif de lire (enfin) une satire en règle des faussaires de tout poil. Qu'il s'agisse des bobos adeptes aveuglés du vin « nature » non soufré au nez de pisse de chat et au goût de vieille serpillère, comme de ceux qui les « font » sans rien faire justement, et qui ont donc du temps pour prêcher la parole sectaire de leur confrérie intégriste du goût mauvais.

    Il y a du Déon, du Nimier dans le style, et du Houellebecq dans le regard davantage mélancolique que désabusé que l’auteur porte au monde tel qu’il déçoit. Loin de surfer sur la vieille vague du c’était mieux avant, puisque « le passé qu’ils regrettaient ne datait que d’une vingtaine d’années », Authier instille par touches délicates, de manière pointilliste, ses avis sur la question contemporaine. Qu’il s’agisse de l’ère du tri sélectif, des parvenus que tout Guépard dans l'âme vilipende, de l’inculture assumée des jeunes – sans honte bue, de la dictature du portable ou – plus grave -, de la disparition du sourire. Il n’est pas tout à fait « antimoderne » non plus, mais loue à n’importe quel taux la douce fureur plutôt que la peur, de vivre.

    Le sujet principal est ce monde des vins que l’on dit vivants, ou bios pour faire court. C’est le cadre. Le contenant. Le contenu est infiniment humain, infiniment Français, si sensible, fragile même, car sous les sautes d’humeur, les boutades, les engueulades et les mornifles engendrées par la picole, les bons mots à se bidonner comme : « Patron, du vin ou on encule le chien ! », ce sont là des hommes en rupture de ban avec leur époque qui se cachent derrière le masque du sourire. Ce ne sont pas des « Enfants tristes » pour autant, mais de « vieux enfants » au cœur gros comme ça, habités par « la nostalgie de l’insouciance et de l’innocence ». Des « frères d’âmes » sachant mieux ouvrir les boutanches que fendre l’armure. « Des heures heureuses » est ainsi un roman Hussard en diable pour la joie de boire et de rire, pour les copains d’abord, cette bande de singes toujours en hiver, et il contient aussi une touche à la Drieu pour « ce désenchantement intime (qui) les rendait touchants », ce qui lui donne une belle longueur en bouche. Il y a aussi du football et pas mal de cinéma (deux marottes de l’auteur) dans ce livre qui foisonne de bonnes choses comme un assortiment de tapas nocturnes.

    Nous aimons partager les agapes toulousaines (au Tire-Bouchon notamment) et germanopratines (chez Yves Camdeborde au Comptoir du Relais, chez Michael au Moose) et fort arrosées des joyeux drilles, membres du « Clup ». Et surtout suivre les virées en voiture sur les routes des vignobles français de respect, d’un tandem de tendres fanfarons – Thomas l’élève de 26 ans au regard faussement candide, et Berthet l’agent en vins bons, la cinquantaine bougonne, voire soupe au lait. C’est Don Quichotte et Sancho Pança sans les moulins. Mais avec une Dulcinée nommée Zoé qui, surgissant tout à trac, fera flancher Thomas – et nous le comprenons en lisant le portrait de cette fée qui embarque l'amoureux pour Lisbonne, Berlin, Madrid, Istanbul et le Pays basque, histoire de l’extraire de la cave. Au point que le personnage songera à laisser tomber Berthet, les vins... Mais cet hymne à l’amitié – cheval de bataille de tous les romans d’Authier -, ne saurait dévier, sauf cas de force majeure. « Qu’est-ce qu’on boit après ? ». Je parie sur un Prieuré-Roch. On n’a pas de Romanée-Conti. L.M.

  • Un inventaire sentimental et patrimonial

    Ainsi est sous-titré À la découverte de la Nouvelle-Aquitaine, que publient les éditions Atlantica pilotées par Jean Le Gall. Grand ouvrage richement illustré, comme on a l'habitude d'écrire, avec une poignée de plumes, au nombre desquelles je pointe celles de Sébastien Lapaque, Olivier Mony, Jean Harambat, Richard Escot. Et aussi le style distinct de trois Frédéric : Mitterrand, Schiffter, Beigbeder. Celle d'Alain Gardinier enfin. D'autres, encore. J'y contribue sur quelques pages pour évoquer l'histoire des vins de Bordeaux. De la belle ouvrage, aurait dit ma grand-mère. Où il est question d'un peu de tout, du surf à l'armagnac, des toros au ttoro, de l'espadrille aux églises, d'écrivains et de porcelaine, de peinture et de montagne, de rugby et de punks. Toute une histoire sentimentale, et patrimoniale (350 pages, 28€). L.M.

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