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Livre - Page 3

  • Hölderlin : "C'est poétiquement que l'homme doit habiter le monde"

    Il en va de l'essentiel Charles Juliet (cité ci-dessous avec deux extraits de ses Affûts parus chez P.O.L. en 1979), comme de Jacques Dupin, de Francis Ponge, de Philippe Jaccottet évoqué récemment ici même, de Pierre Reverdy, de Saint-John Perse, de Marceline Desbordes-Valmore, d'André Frénaud et de tous les autres passeurs de lumières et de frissons. Le mot de Hölderlin placé en titre est un étendard, une douce injonction faite à chacun. Chaque jour lire quelques poèmes de hasard et de bonne fortune nourrit plus sûrement que mes linguine alle vongole que je suis en train de concocter (quoique)... Enfin, les deux se fiancent agréablement, et si vous augmentez le sentiment avec le son, soit avec de la musique baroque (au hasard, encore), vous êtes armés pour combattre les mesquineries du quotidien, l'humeur rogue des gens dans la rue, et vous riez de cette neige qui tombe ce matin, car elle vous refile une envie forte de feu de cheminée après une marche sauvage, les pieds enfoncés profondément, les poumons glacés par un air vivifiant, et des oiseaux migrateurs plein les yeux et l'horizon... L.M.

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  • Prendre feu

    « Et alors, j'ai pris feu dans ma solitude car écrire c'est se consumer...
    L'écriture est un incendie qui embrase un grand remue-ménage d'idées et qui fait flamboyer des associations d'images avant de les réduire en braises crépitantes et en cendres retombantes. Mais si la flamme déclenche l'alerte, la spontanéité du feu reste mystérieuse. Car écrire c'est brûler vif, mais c'est aussi renaître de ses cendres. »

    Blaise Cendrars

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  • Mardi

    Capture d’écran 2019-01-08 à 23.09.48.pngJe saisis Mardi, de Herman Melville parce qu'il se trouve devant mes yeux, et lis à haute voix l'incipit. C'est un piège. Après cela, je défie quiconque de ne pas se sentir embarqué. C'est parti (bonheur du soir) :

    Nous voilà partis! Les basses voiles et les huniers sont établis, l'ancre tapissée de coraux se balance au bossoir et les trois cacatois se gonflent à la brise qui nous suit au large, comme les abois d'une meute. La toile se déploie, en bas, en haut, renforcée de part et d'autre de nombreuses bonnettes; si bien qu'à la fin, comme un faucon qui plane, nous ombrageons l'océan de nos voiles et, dans un ballottement, nous fendons l'onde amère.

  • Prendre un peu de Jaccottet chaque matin

    Capture d’écran 2019-01-04 à 13.21.41.pngTel pourrait être mon souhait le plus fiable, le plus salutaire et le plus vivifiant : saisir chaque matin l'un des nombreux recueils de poésie de Philippe Jaccottet entre deux tasses de café, et lire un poème de hasard. Cette idée m'est venue tout à l'heure, lorsqu'un ami m'a adressé le début d'un extrait de Pensées sous les nuages, à l'ouverture intitulée Le mot joie. Il s'agit en l'occurrence d'une « note », d'une sorte de poème en prose dont Jaccottet a le secret - mais il a écrit davantage de poèmes de facture plus classique.

    « Je me souviens qu’un été récent, alors que je marchais une fois de plus dans la campagne, le mot joie, comme traverse parfois le ciel un oiseau que l’on n’attendait pas et que l’on n’identifie pas aussitôt, m’est passé par l’esprit et m’a donné lui aussi, de l'étonnement. »


    Je vous le livre ci-dessous in extenso. Histoire de vous donner envie de faire comme moi cette année : prendre un peu de Jaccottet chaque jour. Cela nous fera un bien fou. L.M.

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    Capture d’écran 2019-01-04 à 13.13.28.pngJe recommande par ailleurs, parmi les sept ou huit recueils déjà parus en format de poche (Poésie/Gallimard), particulièrement celui-ci, car il s'agit de l'anthologie personnelle de l'oeuvre de l'auteur : L'encre serait de l'ombre. 

     

  • Plozévet

    Il est des noms de lieux, comme ça... Samarkand, Tombouctou et Zanzibar font tant rêver qu’ils exigent d’aller vérifier sur place une magie projetée. Plozévet est d’une autre nature. Ce village du Pays Bigouden, situé sur la côte bretonne, non loin de la baie d’Audierne et sur la route de Quimper, a été immortalisé par un livre formidable qui connut un immense succès dès sa parution en 1975 : « Le Cheval d’Orgueil », de Pierre Jakez-Hélias (1914-1995), accueilli dans la prestigieuse collection Terre Humaine de Plon, au sein de laquelle Jean Malaurie – son initiateur – publia notamment « Tristes Tropiques », de Claude Lévi-Strauss, entre cent autres bijoux de l’ethnologie contemporaine. Cet été là, nous dévorions depuis la plage de la Chambre d’Amour, à Anglet et à marée haute (aux heures sans vagues et donc sans surf possible), ce grand livre (voir la photo qui reproduit l'exergue du livre : cette citation du grand-père de l'auteur nous éclaire sur le titre), sans rien connaître de ce village de la Bretagne profonde exploré par un enfant du pays (*). L'été suivant (celui du baccalauréat en juin et de l'examen d'entrée à Sciences-Po en septembre), fut également riche (et appauvrissant en termes d'impôt sècheresse), qui nous pria sans peine de nous plonger en pays Cathare au temps de l’Inquisition, grâce au talent de conteur de l’historien Emmanuel Le Roy Ladurie (1929-) et de son inoubliable « Montaillou, village occitan, de 1294 à 1324 » (Gallimard, Bibliothèque des Histoires). L’époque était à ces livres de connaissance à la fois historique et ethnologique. À la faveur d’une virée il y a bien des années en Haute Ariège, nous découvrîmes Montaillou – ou ce qu’il en reste. Et la déception fut au rendez-vous, car à l’instar de l’adaptation au cinéma d’un roman qui nous a plu, vouloir voir réserve des déconvenues (**). Ainsi donc de Plozévet, hier même. Lointainement habité par la lecture (il y a 43 ans) du livre de Jakez-Hélias, je confesse une petite appréhension en IMG_20181228_184535_resized_20181228_070242539.jpgdépassant vers 17 h le panneau d’entrée du village. Celui-ci se révèle être  (avouons-le d’emblée) d’une banalité commune à nos yeux, sans relief particulier, hormis son église et une place attenante... Un Intermarché relativement dissimulé ferme le village. Il me fallait quand même y aller, voir, vérifier. Pouldreuzic (village, proche, de Jakez-Hélias – sa maison natale se visite, et siège de l’entreprise Jean Hénaff, le très célèbre pâté breton à la robe métallique bleue et jaune), le port de Penhors à proximité enfin, sont plus authentiques, car de facture plus sauvage. On y retrouve l’atmosphère celtique, quasi irlandaise de la presqu’île de Crozon, en y mettant un peu du notre. Plozévet cristallisa l’attention d’observateurs de grand renom à une certaine époque. Outre « Le Cheval d’Orgueil », il faut citer l’étude sociologique « de terrain » magistrale d’Edgar Morin, « La métamorphose de Plozévet, commune de France » (Fayard, 1967). À travers la radiographie minutieuse d’un village emblématique de tous les bouleversements d’après-guerre : disparition inexorable du monde paysan, libération des femmes, révolte de la jeunesse, entrée dans le monde contemporain et ses sirènes urbaines, la société de consommation, la civilisation des loisirs, le tourisme « kodak » bientôt de masse... Sans oublier l’hygiène domestique (l’apparition des toilettes, par exemple), le développement des routes qui désenclavent, la première « folle du logis » : la télévision qui prend place à côté de la cheminée... Morin circonscrit avec pusillanimité l’entrée dans l’univers moderne. L’étude fit grand bruit et fait encore autorité (d’un point de vue historiographique). Elle constitue le pendant du livre merveilleux de Jakez-Hélias qui narre la vie quotidienne de sa propre famille d’humbles paysans en pays Bigouden, à l’immédiate après Première Guerre mondiale. Le poids de la religion, l’importance de la langue (l’époque était à l’« interdiction de parler breton et de cracher par terre »), l’extrême précision des traditions qui ordonnent et rythment la vie à la campagne, les légendes et les us, les costumes et coiffes, typiques comme le mobilier, le développement de « l’instruction », et celui de la mécanisation du travail aux champs, le récit de l’existence simple de ces gens-là éloignent le livre d’une étude ethnographique à la facture froide pour l’apparenter davantage aux « Tristes Tropiques » de Lévi-Strauss, au moins par le ton employé, la démarche à la marge, la dimension littéraire aussi (même si Lévi-Strauss plane à plusieurs crans très au-dessus de Jakez-Hélias. Rappelons juste que les jurés Goncourt hésitèrent à le couronner, puisqu'il ne faisait pas oeuvre de fiction, comme ils durent d'ailleurs réfléchir cette année au sujet du somptueux « Lambeau » de Philippe Lançon...). Autant de raisons qui justifiaient une virée, hier, du côté de Plozévet, et qui se devait de s’achever – non sans appréhension - en poussant la porte de la Maison de la presse-Café des Sports-Loto-Librairie du village, avec l’espoir d’y apercevoir ces deux livres. Un soupir de satisfaction et de soulagement libéra immédiatement mon espérance (j’eus été peiné de ne pas tomber sur leur couverture). 

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    Je prenais une photo des livres (ci-contre) et regagnai Primelin le cœur léger. J’avais enfin vu Plozévet. Je remis des bûches dans la cheminée en regardant l’Océan. Une bande de goélands longeait la falaise avec nonchalance, deux merles se poursuivaient en rasant l’herbe drue. Il était temps de se remettre en cuisine. Un souvenir me revint alors curieusement en touillant les légumes dans la grande poêle : celui de la cuillère en bois sculpté, et son importance le dimanche et lors des noces (***). Les paysans du Pays Bigouden s’y rendaient avec leur propre cuillère taillée dans le buis ou le pommier. Et si un jeune homme offrait la sienne à une jeune femme, cela signifiait qu’il devenait son « prétendant » (au Pays de Galles, une coutume voisine a généré l’expression de Love spoon). Je crois me souvenir aussi que certaines tables étaient creusées et que chaque cavité ronde tenait lieu d’assiette. À vérifier lorsque je retrouverai mon exemplaire racorni. L.M.

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    (*) Nous tairons ici la polémique initiée par le grand écrivain, poète Xavier Grall (1930-1981), auteur notamment d'un livre précieux entre tous, « L'inconnu me dévore » (Equateurs, rééd. 2017 aux bons soins de Pierre Adrian, et sous la houlette d'Olivier Frébourg), avec son coup de gueule « Le Cheval couché » (Hachette, 1977), qui accusait Jakez-Hélias de donner une image passéiste, voire dégradante du paysan breton que d'aucuns jugèrent hâtivement arriéré (un qualificatif aujourd'hui désuet, et jadis péjoratif, comme le mot plouc), dès la parution du « Cheval d'Orgueil ». Grall évoquait dans son pamphlet un folklorisme fossilisant. C'est dire le degré polémique qui sévît dans (le) Landerneau... 

    (**) Je n’ai pas vu l’adaptation du « Cheval d’Orgueil » qu’en donna Claude Chabrol en 1980 (avec Jacques Dufilho dans la distribution).

    (***) Vérification à venir : le rapport (improbable) entre la cuillère bigouden et la signification de l'échec total de la cuillère de bois attribuée au grand perdant, lors du Tournoi des Six Nations... Si ce que je pressens se vérifie - soit que (naître avec) une cuillère d'argent oppose les classes sociales : argent contre bois (attribut des paysans bigouden, fort pauvres pour la plupart), la philosophie du rugby serait un brin écornée à mes yeux... Mais j'en doute.

  • Gros manuel de culture générale à haute valeur ajoutée

    Capture d’écran 2018-12-20 à 13.43.48.pngLa première question que l’on se pose en soupesant ce volume de 1 500 pages signé de Luc Ferry est : comment cet homme à l’agenda d’ex-ministre fait-il pour trouver le temps de... Nous pensons aussitôt après : c’est sans doute le livre d’une vie. Il en a écrit des dizaines d’autres, mais celui-là pourrait bien être sa « somme ». C’est que le « Dictionnaire amoureux de la Philosophie » (Plon, 30€) ratisse large : la liste des entrées déborde largement celle des ouvrages comparables, et davantage académiques, plus stricts quant à la définition de la philosophie, y compris, et à l'opposé, l'inclassable Monde de Sophie, de Jostein Gaarder ou bien l'iconoclaste Antimanuel (de philo) de Michel Onfray. La définition de la Philosophie selon Ferry touche non seulement aux principaux courants et concepts classiques – qui figurent tous dans cet imposant ouvrage -, mais également à l’animalité, l’argent, l’audimat, l’automobile, le big data, les bouffons, l’uberisation du monde, Frankenstein, l’héroïsme, l’holisme opposé à l’individualisme, l’islamophobie et l’islamonazisme, au jeunisme, à Lisbonne, Noël, Pâques, au racisme colonial, la robotique, et même au vin (dernière entrée - et pas des moins intéressantes - de ce foisonnant dico). C’est dire si le spectre s’élargit à notre modernité, aux nouveaux regards (portés) sur le monde actuel – lesquels sont pour la plupart une façon de revisiter la pensée à travers une réflexion relativement identique, et cependant corrigée, enrichie. Ce n’est pas la moindre des qualités de ce livre. Qui est par ailleurs bien écrit, ce qui permet une plongée dans chaque entrée des plus aisées. Luc Ferry rend son bouquin encore plus sympathique par des digressions, ici le récit de souvenirs personnels liés au texte, comme à propos d’écologie politique, lorsqu’il publia dans les années 1990 « Le Nouvel ordre écologique », là des anecdotes tirées de son quotidien. Le ton de cette conversation proposée au lecteur démystifie un ouvrage de cet ordre, sans pour autant le rendre simpliste : Chaque entrée recèle une réflexion en profondeur sur une thématique dûment, sérieusement abordée sous divers angles. Ce Dictionnaire amoureux en devient un livre de culture générale à haute valeur ajoutée, ce qui n’est pas négligeable par les temps qui courent, et qui sentent si mauvais l’absence de soif de savoir, le refus de connaître, le déni, le non souci de prendre le temps de la réflexion, fut-ce la plus humble et la plus brève... Pour cela au moins, ce pavé (rêvons qu’il soit jeté lors de manifestations au lieu des vrais, en pierre), mérite toute sa place dans la liste des cadeaux à faire à ceux que l’on aime. L.M.

  • Le Vin, c'est Particulier...

    IMG_20181218_150438_resized_20181219_112601357.jpgIl vient tout juste d'arriver au courrier par coursier : le livre Le Vin, son histoire, ses terroirs, publié par le groupe Le Figaro via sa filiale Le Particulier, paraît. 194 pages denses etIMG_20181218_150323_resized_20181219_112600472.jpg cousues main, aux petits oignons, rédigées scrupuleusement et littérairement, avec goût et circonspection, sous la houlette de notre complice depuis tant d'années Philippe Bidalon. Nous y avons, personnellement, beaucoup donné, des Origines du sang de laIMG_20181218_150921_resized_20181219_112601974.jpg vigne au vignobles du Sud-Ouest en passant par ceux de la Loire, de la bulle de Champagne à l'aristocratie (bordelaise) du bouchon, des climats bourguignons au choix des verres, et d'autres chapitres plus ou moins grands. Ce fut un plaisir. Le bouquin se tient. Il est élégant, gourmand, richement illustré, jamais pompeux, toujours sérieux mais avec ce qu'il faut de distance pour demeurer suave, hédoniste, généreux. Aucune prise de chou là dedans. Que du plaisir en partage. Faites passer ! L.M.

     

  • Un inédit de Rostand

    IMG_20181218_113337_resized_20181218_113430117.jpgÀ défaut de publier un inédit de Marcel Proust, Atlantica livre un inédit d’Edmond Rostand, « La Maison des amants ». Ce n’est pas rien. C’est même beaucoup. Certes, cette pièce est inachevée. Mais la beauté réside dans l’inachevé, quoi qu'en dise l'un de ses personnages (lire plus bas). C’est l’acte I d’une pièce prévue en trois. Le premier tiers. Le reste est à imaginer, à échafauder, construire, détruire, refaire. Jusqu’au quatrième tiers... Et, si l’on considère « Cyrano de Bergerac » comme l’un des plus beaux textes jamais écrits en langue française, nous ne regrettons pas l’hypothétique exhumation d’un Proust de derrière les tiroirs brinquebalants aux relents de naphtaline. Après tout, Marcel manqua le Goncourt et Edmond connut un succès populaire foudroyant. Ces deux-là n’ont pas fini de connaître les lois de l’apogée... Le succès de « La Recherche » fut plus lent, mais pas moins durable. Sur la ligne de départ, les paris auraient pu aller bon train. Marcel demeure un ton au-dessus, celui de l’introspection. J’ai plaisir à le nommer ornithologue de l’homme – ce drôle d’oiseau. Rostand est bien plus généreux, débonnaire sans compter, cash en somme. Et puis ils sont incomparables à la fin – pourquoi cette digression, je vous le demande ?.. Cette « Maison des amants » est d’une facture plutôt prude, elle cultive le tact et la bienséance comme d’autres le haricot tarbais ou le voussoiement. Le titre est beau et prometteur. Les aficionados d’Edmond avaient eu la joie de découvrir un premier inédit voilà quelques années : « Le Gant Rouge ». Voici, par l’entremise d’un spécialiste incontesté de l’œuvre de Rostand, l’universitaire Olivier Goetz (maître de conférences en arts du Spectacle à l’Université de Lorraine, et entre autres co-organisateur d’un colloque qui se tint à Arnaga – Cambo, demeure-musée de l’auteur de « L’Aiglon », en septembre dernier, sur le thème suivant : Poésie du spectacle et spectacle de la poésie dans l'oeuvre d'Edmond Rostand), ce début de pièce interrompu par la maladie, la guerre et enfin la mort de son auteur de la grippeIMG_20181218_113250_resized_20181218_113429716.jpg espagnole le 2 décembre 1918 – il y a tout juste un siècle -, qui devait narrer l’amour absolu entre Joconde et Hermeril (« Cyrano » fut donné en novembre 1897, mais les feuillets de cette pièce inachevée datent de 1895). C’est vif et primesautier, léger et frais, en vers, et contre toute attente cinq scènes en disent déjà long, sur une petite quarantaine de pages aérées. Les amants ne « parlent » cependant pas dans ce premier acte, et nous le regrettons. Ils sont évoqués par d’autres personnages, ce qui rend l’extrait encore plus appétant ; et frustrant. Qu’importe ! Un certain Taldo déclare, page 33 :

    « C’est le seul grand amour que j’attends, que j’espère.

    Pas d’amour à mi-cœur, pas d’amour à mi-ciel.

    J’adore le parfait. Je hais le partiel.

    L’incomplet me paraît ce qu’il y a de pire,

    Et c’est à l’absolu, seulement, que j’aspire. »

    Tout Rostand...

    L’ouvrage comprend par ailleurs le fac-similé du manuscrit enrichi, raturé, corrigé de la main de son auteur, ce qui constitue déjà un précieux document : voir le travail en cours et tenter de deviner ce qui se passait dans la tête de celui qui cheminait sur le papier IMG_20181218_113313_resized_20181218_113430503.jpgcrayon en main, est toujours émouvant. Un texte de Goetz, « Exquise esquisse », analyse la genèse de la pièce, et clôt ce petit bouquin précieux et co-édité avec la Villa Arnaga-Musée Edmond Rostand, propriétaire du manuscrit. À quelques jours de découvrir au cinéma (le 9 janvier) le film « Edmond » (d')après la pièce homonyme (et formidable, nous l'avons vue il y a quelques mois au théâtre du Palais-Royal, à Paris), du même Alexis Michalik, l'actualité a du pif et ne manque pas de panache. L.M.

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    Atlantica, 13€

     

  • folio j'adore

    Capture d’écran 2018-11-22 à 01.24.02.pngCapture d’écran 2018-11-22 à 01.24.34.pngCapture d’écran 2018-11-22 à 01.26.24.pngCapture d’écran 2018-11-22 à 01.22.36.pngMerveilleuse collection folio. Nous tenons tous en mains un folio dans la journée, au moins une fois, pour vérifier quelque chose, relire un passage, retrouver une phrase, s’étonner d’une nouveauté, avouez, non ? Nous attendons tous avec impatience la reparution de romans ou d’essais dans cette édition de poche qui nous est devenue fétiche depuis tant d’années, parce que nous les avons ratés à leur sortie en grand format. Nous nous réjouissons d’une nouvelle traduction (Pavese, Zweig, Hemingway, London, pour ne citer que quelques récentes bonnes surprises), ou d’une nouvelle édition chic et rafraichissante (que les esprits chagrins dénigrent en invoquant un simple coup de marketing et juste une nouvelle couverture : laissons-les à leur aigreur triste), comme ces deux Italo Calvino : La route de San Giovanni et Leçons américaines. Le premier ravive cinq souvenirs majeurs du grand écrivain italien à l’imagination tellement magique dans la plupart de ses livres phares. Le second est composé de six cours qu’il devait donner à Harvard si la mort ne l’avait pas surpris trop tôt, et ce sont six bijoux étincelants d’intelligence et de réflexion sur les chefs d’œuvre incontestables de la littérature, à travers le prisme de cinq valeurs : légèreté, rapidité, exactitude, visibilité, multiplicité. C’est justeCapture d’écran 2018-11-22 à 01.32.27.png brillant. On sort grandi de cette lecture tonique pour la cervelle, en se disant « chapeau »… Folio, c’est relire l’Argentin le plus important à nos yeux, Jorge Luis Borgès, et ses indispensables ouvrages devenus des classiques dont on parle entre nous, le soir au coin du feu : Fictions, bien sûr, et son inoubliable Jardin aux sentiers qui bifurquent,  où l’indispensable Livre de sable, qui fait partie des livres que l’on aime offrir, et ses treize nouvelles à connotation fantastique, mais comme Poe le fut, soit avec un talent fantasmagorique capable d'orienter sans la gouverner la vocation d’un Julien Gracq. Nous y relisons avec un immense plaisir Le congrès, et l’indépassable nouvelle qui donne son titre au livre. Folio, car ce n’est pas fini, c’est encore le bonheur de plonger dans la correspondance amoureuse de François Mitterrand, avec cet énormeCapture d’écran 2018-11-22 à 01.27.35.png volume (1000 pages) – et encore, il s’agit d’une version abrégée de celle qui parut en collection Blanche -, avec Anne Pingeot, sobrement intitulé Lettres à Anne, 1962-1995, Choix (établi par la destinataire elle-même). Car, c’est beau, très beau, émouvant presque à chaque page, à l'instar du Journal de Jules Renard, lequel recèle un trésor ou deux à chaque paragraphe (avouez aussi). « Tonton » était une sacrée plume et un esprit littéraire très cultivé. Anne est magnifiée, comme a pu l’être Maria Casarès sous la plume d’Albert Camus, Elsa sous celle d’Aragon, Gala, Lou, tant d’autres bénies des dieux de la littérature lorsqu'elle part du coeur et pas seulement du ventre. Cela commence donc en 1962, lorsque François Mitterrand, alors âgé de quarante-six ans, tombe instantanément amoureux fou d’une jeune femme de dix-neuf ans qu’il rencontre chez ses parents à Hossegor. Bien sûr, un sentiment de violation de domicile, d’impudeur difficile à dominer nous saisit à chaqueCapture d’écran 2018-11-22 à 01.38.59.png lettre, mais cette désagréable impression qui nous colle à la peau comme la honte figurée par le feu qui prendrait à notre vêtement et menacerait de nous étouffer, cette sensation de pénétrer l’intimité d’un couple épris, est dépassée par la langue, la poésie, la profondeur bouleversante et finalement universelle, si l'on prête une oreille attentive, des mots que Mitterrand adresse avec une fougue capable de rendre jaloux tous ceux qui claudiquent et balbutient devant l’aimé(e) avec une syntaxe maladroite ; empotée. Une leçon, à la manière d’un recueil de poèmes d’Éluard. Folio, c’est encore ces « collectors » qui jaillissent à l’approche des fêtes de fin d’année. Nous tenons là un opus de Sylvain Tesson que nous aimons particulièrement, et dont le succès fut très mérité : Dans les forêts de Sibérie, livre déjà évoqué ici même pour son côté sauvage et pur. De même que le fut un autre grand livre, un roman cette fois, de la baroque Carole Martinez : Le cœur cousu. Un livre diabolique et donc séduisant qui nous plonge dans l'Andalousie du XIXè siècle et ses croyances ésotériques, où des femmes savent recoudre les coeurs en lambeaux et possèdent le pouvoir de rafistoler les hommes brisés... Enfin, et nous ne l’avons pas encore lu, mais le premier roman de Leïla Slimani, Dans le jardin de l’ogre, bénéficie lui aussi de cette collection très chic, colorée, même sur tranche. Il évoque, lis-je, une addiction sexuelle implacable, et forcément dangereuse. À suivre, donc. Folio, c'est enfin tomber sur une perle qui avait échappé à notre attention lorsqu'elle parut chez P.O.L., comme L'homme des bois, de Capture d’écran 2018-11-22 à 01.40.28.pngPierric Bailly. Hommage d'une tendresse froide mais jamais désaffectée - bien au contraire -, au père disparu accidentellement, et à côté duquel le fils a le sentiment douloureux d'être un peu passé à côté... Et ce trop tard accroit le manque. Ce livre nous fait dire que, si le travail de deuil de la mère est un genre littéraire en soi, celui du père est encore un territoire à défricher et à bâtir avec ce type d'hommage. Car, ce bouquin court, dense, âpre, empathique avec la distance juste, modeste, est grand par sa langue droite et pure, par sa narration simple et essentielle; celle qui n'ose pas tout, qui suggère au lieu de souligner. Le tact, quoi. L.M.

  • Vin de gibier

    IMG_20181113_150210.jpgIMG_20181113_150327.jpgWeek-end de novembre dans le Perche. Les palombes luttent contre un vent mouillé, la pluie devient horizontale et piquante, il ne fait pas un temps à mettre un chevreuil dehors. D'ailleurs, on n'en surprend guère à l'orée des bois. Les grues cendrées ne passent plus, et les cendres menacent dans la grande cheminée. Il est temps de retourner aux affaires. Le château Les Gravières de La Brandille, Bordeaux Supérieur 2015 appartenant à la famille Borderie, sis à Saint-Médard-de-Guizières, est le flacon idéal pour escorter une viande rouge de sacré caractère comme une daube de sanglier mijotée des heures, un cuissot de chevreuil qui roupille lentement au four à 180°, ou une épaisse basse côte de bœuf des Flandres maturée trois semaines (photo), grillée sur de tendres braises, à bonne hauteur et devant la table de l'apéro, ce dimanche midi à la campagne, tandis que la pluie crépite encore sur les feuilles des chênes et des châtaigniers.

    Le flacon reflète bien le caractère viril de ses 90% de merlot (le reste est dans la fausse douceur des cabernet-sauvignon). Sur ces terres argilo-graveleuses, nous ne sommes pas loin de Saint-Émilion et nous retrouvons facilement dans le verre un air de ce terroir unique, à la fois raffiné et structuré, élégant et corpulent. La robe rubis est profonde, et le nez de fruits noirs légèrement épicé. Cette cuvée Prestige (9,80€ à peine) est élevée un an en fûts (un tiers de neufs). La bouche ample est longue, les tanins soyeux. L’écho (franchise, fraîcheur, suavité, léger confituré) avec la viande rouge, bleue mais chaude, est remarquable. C'est la tendresse du gentleman-farmer... L’idéal serait d’en avoir suffisamment pour élaborer la prochaine daube de joue de boeuf avec (penser à en commander). En attendant, il sera le compagnon idéal du livre posthume de « Big Jim » : Un sacré gueuleton. Manger, boire et vivre, qui paraît chez Flammarion. Et de Mozart. Santé ! (Pé-pèp!.. Remets deux ou trois bûches avant de sortir, s'il te plaît-merci). L.M.

     

     

  • Armistice

    Gallimard s’est associé à la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale pourCapture d’écran 2018-11-06 à 13.22.32.png commémorer l’Armistice du 11 novembre 1918, en publiant un gros ouvrage exceptionnel à plusieurs titres : une trentaine d’écrivains « maison », réunis par Jean-Marie Laclavetine, écrivain et membre du comité de lecture de Gallimard, y ont exprimé ce que cet Armistice leur évoquait, car chacun (d'entre nous aussi) entretient avec la Grande Guerre un rapport particulier, fait de récits, de lectures, de souvenirs familiaux, de constructions imaginaires... Aussi, sont rassemblés sous un titre sobre fictions, récits, lettres, chants, discours... L’iconographie de cet ouvrage est par ailleurs impressionnante, qui offre une cinquantaine de gravures et d’estampes signées Félix Valloton, Otto Dix, Fernand Léger... réunies par l’historienne d’art Marine Branlard. Parmi les auteurs, des textes remarquables de Jean Hatzfeld, Boualem Sansal, Alexis Jenni, Aurélien Bellanger, Pierre Bergougnioux, François Cheng, Sylvie Germain, Marie Nimier, Carole Martinez, Jean-Christophe Rufin, ou encore Roger Grenier ont retenu notre attention, voire notre haleine. Un bel ouvrage qui a donné lieu, le 25 octobre dernier, à une lecture à la Maison de la Radio de certains textes par des membres de la Comédie-Française, et qui sera diffusée le 11 novembre prochain sur les ondes de France Culture. L.M.

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     Armistice, collectif, Gallimard, 35€

  • Genevoix/Jünger

    IMG_20181106_120311_resized_20181106_120324320.jpg

    Voici, en prolongement d'un commentaire sur ma note précédente, le texte que je donnais il y a quatre ans à L'Express, dans le  hors-série La Grande Guerre, dont je fus co-rédacteur en chef avec Philippe Bidalon : 

     

    DEUX VISIONS DE L'HORREUR

    Par Léon Mazzella

    Gendre de Maurice Genevoix, veuf de Sylvie, le livre poignant de Bernard Maris est une ode, un hommage à deux écrivains majeurs de la Grande Guerre : Genevoix et Jünger. 

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    C’est un livre rédigé, de surcroît, à la table de Genevoix, au premier étage de la maison des Vernelles, en bords de cette Loire que l’auteur de « Raboliot » a tant aimée, tant évoquée dans ces inoubliables romans sauvages comme « La forêt perdue » et « La dernière harde ». Néanmoins, l’empathie de l’auteur lui fait naturellement prendre parti. Certes, il lit et continue de lire Jünger avec une ferveur égale depuis l’adolescence, mais il compare souvent et oppose parfois deux visions de la guerre : celle de Maurice Genevoix, l’auteur de l’immense « Ceux de 14 » (Albin Michel. Repris en poche : GF, et Points), le classique du genre, et celle d’Ernst Jünger, l’auteur d’ « Orages d’acier » (Le livre de poche). Deux grands écrivains du XXè siècle. Deux livres essentiels sur la Grande Guerre. Le destin est parfois étrange, car les deux jeunes soldats se trouvaient  l’un conte l’autre à la tranchée de Calonne, aux Eparges et ils y furent blessés le même jour ; le 25 avril 1915. Ce sont deux visions de l’horreur que Bernard Maris décrit. L’une, humaniste, tendre, observe les regards des poilus ses compagnons d’infortune, pleure leur mort brutale, décrit au plus près du réel une vie inhumaine dans les tranchées : c’est celle de Genevoix. L’autre vante les vertus guerrières et viriles  et manque parfois d’empathie pour les blessés comme d’affect pour la mort des soldats amis ou ennemis. C’est celle de Jünger. Survivants de la grande boucherie, les deux écrivains ne se rencontreront jamais, car Genevoix ne le souhaitera pas. Il ne lira guère Jünger non plus. « Il y avait quelque chose d’inconciliable entre eux, et peut-être d’irréconciliable », écrit  Maris. Genevoix est un naturaliste, pas un penseur. Jünger est davantage métaphysicien. La compassion lui est étrangère. Jünger est un écrivain-né et le choc de la Grande Guerre fera de Genevoix un écrivain de la nature, mais le gibier que l’on chasse et les arbres qu’on abat dans ses romans sont des soldats par métaphore. Dans les textes de Jünger, Maris souligne que « la race n’est pas loin et que l’auteur a déjà lu Nietzsche ». Et aussi que le sel de « Ceux de 14 » est dans l’attention  infinie, d’entomologiste, clinique et passionnée, qu’il prête à ses hommes. Loin d’être manichéen, l’hommage appuyé à IMG_20181106_121338_resized_20181106_121351853.jpgGenevoix n’exclut cependant jamais l’admiration pour le Jünger écrivain. Tous deux décrivent admirablement la mort de près, la peur de la peur –celle qui coupe les jambes, les silences, l’angoisse, et les beautés apaisantes de la nature qui chante tout autour de l’enfer. Tous deux se rejoignent autour de cette phrase du premier, aujourd’hui gravée sur le monument aux morts des Eparges : « Ce que nous avons fait c’était plus que ce que l’on pouvait demander à des hommes, et nous l’avons fait ». Sauf qu’il ne s’agit pas, en l’occurrence, de surhumanité, mais de grandeur. L.M.

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    « L’homme dans la guerre. Maurice Genevoix face à Ernst Jünger », par Bernard Maris (Grasset, 2013).

     

     

  • Magie française

    Capture d’écran 2018-11-05 à 13.38.48.png

    Voilà la magie française. Le Lambeau parle des conséquences douloureuses dans la chair et dans l’esprit de Philippe Lançon, son auteur, après que celui-ci ait pris dans la mâchoire une balle de 9 m/m tirée par une Kalachnikov tenue par l’un des frères Kouachi, ce funeste 7 janvier 2015 vers 9h dans les locaux de « Charlie », lors du massacre que nous savons; et de la lente, si lente reconstruction d’un homme. Le livre est poignant, bon, voire excellent. Plébiscité depuis sa sortie en avril dernier. Et les juré(e)s du Femina viennent de le couronner, là, à 13h. C’est ça, l’inimitable French touch. Notre façon extrêmement civilisée de « répondre », près de quatre ans après, et de telle façon, à l’inqualifiable : en attribuant un prix littéraire d’importance à un écrivain qui a su dire sans pathos ni antipathie donc, ce qui fait le sel de la vie, et son fiel aussi. Bravo mesdames, car votre geste fait montre d'un certain panache. L.M.

     
     
     

     

  • La panthère du Jardin des Plantes

    Son regard, à force d’user les barreaux
    s’est tant épuisé qu’il ne retient plus rien.
    Il lui semble que le monde est fait
    de milliers de barreaux et au-delà rien.

    La démarche feutrée aux pas souples et forts,
    elle tourne en rond dans un cercle étroit,
    c’est comme une danse de forces autour d’un centre
    où se tient engourdie une volonté puissante.

    Parfois se lève le rideau des pupilles
    sans bruit. Une image y pénètre,
    parcourt le silence tendu des membres
    et arrivant au coeur, s’évanouit.

    Rainer Maria Rilke, 6 novembre 1902 (traduction de Lorand Gaspar).

    Capture d’écran 2018-11-04 à 02.23.39.pngCapture d’écran 2018-11-04 à 02.19.05.pngTandis que je me promenais comme je le fais parfois dans la Ménagerie du Jardin des Plantes à Paris, histoire de saluer les animaux emprisonnés, de bêtement tenter par le regard de soulager celui de l'Harfang des neiges, de l'oryx d'Arabie, du gaur, de l'orang-outan, ou encore de la panthère des neiges, je repensais à ce poème poignant de Rilke écrit ici même il y a 116 ans. La danse tragique de la panthère n'a pas changé... L.M.

  • Et toi mon coeur...

    G02242.jpgQuel titre ! Tout terriblement, quel titre magnifique pour une anthologie des poèmes les plus emblématiques - aux yeux de Laurence Campa, sa biographe chez Gallimard (éditeur de tout l’œuvre de Guillaume Apollinaire) -, et à nos yeux aussi... Cela est déjà suffisamment fulgurant pour exciter notre instinctive adhésion. La formule lapidaire, le trait forcément provocateur pourrait être entendu à l’opposé exact de la douceur, à l’extrémité même de la plupart des preuves de cette tendresse faite homme, au fil des textes que nous avons en mémoire vive et automatique, dès lors qu’un mot-clé surgit, qu’il se soit échappé d’Alcools, de Calligrammes, des Poèmes à Lou, du Guetteur mélancolique, de L’enchanteur pourrissant, ou du Poète assassiné - puisque nous sommes lecteur assidu et inconditionnel : Mirabeau, Souvienne, Demeure, Jeunesse abandonnée, Vin trembleur, Flamme, Sentimental, Soleil, Cou coupé, Regrets, Raison, Peine, Adieu, Voie lactée, Brin de bruyère... Quantité de vers aussi : Mon verre s'est brisé comme un éclat de rire... Ô ma jeunesse abandonnée... Vienne la nuit sonne l'heure... J'ai cueilli ce brin de bruyère... Ah Dieu! que la guerre est jolie... Et monCapture d’écran 2018-10-26 à 10.17.18.png mal est délicieux... Quand donc finira la semaine... La fenêtre s'ouvre comme une orange... Ou encore : Le ciel étoilé par les obus des Boches... Sont autant de chocs vivifiants qui frappent la porte entr’ouverte de notre armoire émotionnelle.

    Revivre nos sensations secrètes (nées à l'adolescence lorsque Alcools tomba entre nos mains), celles produites par la lecture de l’œuvre poétique fondamentale du XXè siècle, celle qui préfigure Supervielle, Jaccottet, Frénaud, de Richaud, Cendrars, Jacob, et tant d’autres compagnons de route, amis ou voix soeurs, n’est pas rien. Cette poésie pure, et en rupture pas si fondamentale au fond avec celle de Rimbaud, en prolongement (par saute-mouton) de celles de Verlaine, Baudelaire et Nerval, trouve là notre assentiment à jamais réitéré. Cette prose poétique aussi, qui engendrera Toulet, Jammes, La Tour du Pin, Jouve, Follain, Cadou... demeure. Mais Notre histoire est noble est tragique... (et) Les souvenirs sont cors de chasse / Dont meurt le bruit parmi le vent. L’Apollinaire, comme on dit l’alexandrin, est éternel. Le poète partage avec André Hardellet une certaine idée du désir : Mon désir est la région qui est devant moi, écrit Guillaume, lorsque André déclare que La ligne d’horizon, c’est le tour de taille de mes désirs. Mais l'Apollinaire qui compte le plus se résume ce soir, à nos yeux, à ces trois vers d'une beauté à jamais radicale :

    Et toi mon cœur pourquoi bats-tu

     

    Comme un guetteur mélancolique

    J’observe la nuit et la mort. 

    Ceci se situe bien au-delà aussi de l’idée de modernité, incarnée par le début du poème Zone : À la fin tu es las de ce monde ancien... Lequel a un peu vieilli, non ?.. Apollinaire avait « la grâce dans la variété et l'étrangeté » (le mot est de Montaigne).

    Cette édition de poche nous est très précieuse, car elle est illustrée d’une quarantaine d’œuvres d'art pour la plupart surréalistes, ou bien associées au mouvement du dictateur André Breton. Certains furent proches d'Apollinaire, dont les critiques d'art furent nombreuses : Matisse, Marie Laurencin, Picasso, De Chirico, Derain, Dufy, Redon, Delaunay, Chagall, Brancusi, Duchamp, Braque, Léger, Picabia bien sûr, pour l’origine Dada... Bien qu’en format microscopique, ces reproductions redonnent le fond, renvoient l’idée de, nous font plonger, regarder de plus près, imaginer aussi. Et donnent envie de revoir les oeuvres en grand, voire en vrai.

    Capture d’écran 2018-10-26 à 10.13.00.pngC’est le parti pris de la collection Poésie/Gallimard que de « donner à voir », comme le disait Éluard, depuis quelques années déjà, à la fois texte et création picturale. Nous avons déjà eu, relu, revu Char/Giacometti, Éluard/Man Ray, Char/Braque, Reverdy/Picasso... Avec ce Tout terriblement, Apollinaire rejaillit dans notre quotidien plus cru que d’habitude, et c’est heureux. Nous sommes ce soir complètement Marizibill, Madeleine, Orphée, Crépuscule, Jolie Rousse, Pont Mirabeau, Nuit rhénane, soit conquis, épris, imprégné, fébrile, totalement à Lou, follement en rupture, ignorant volontaire de cette Grande Guerre qui frappe encore et que l'on dira totale, tandis qu’une grippe que l’on nommera espagnole tue elle aussi par millions. L.M.

    Guillaume Apollinaire périt de la grippe espagnole le 9 novembre 1918, soit deux jours avant l'armistice. Il avait 38 ans. 

    Tout terriblement, Anthologie des poèmes d'Apollinaire, Poésie/Gallimard, 8,30€

     

     

  • La pensée en cent fiches

    Capture d’écran 2018-10-18 à 11.56.22.pngVoici un livre d'honnête homme, utile et pratique. Un ouvrage de culture générale à abandonner sciemment sur le bureau d’un ado préparant son baccalauréat, à poster à un étudiant souhaitant enrichir ses connaissances, et à déposer sur la table basse du salon de toute personne avide de savoir tous azimuts et chez qui nous sommes invités à dîner (ça change d’un bon vin en guise de cadeau). Concocté par deux passionnés du ballon ovale et de l’esprit de son jeu à XV : Christophe Schaeffer (docteur en philosophie, poète) et Richard Escot (journaliste, écrivain), le Dictionnaire des penseurs (Honoré Champion, 22€) va de Théodore W. Adorno à Ludwig Wittgenstein en proposant de façon systématique, cent fiches sur cent célébrités de la pensée en trois parties : Sa vie. Contexte. Perspective. C’est simple, mécanique, et cela nous évite d’allumer l’ordinateur pour nous rendre sur le site Wikipedia (ou de chercher dans nos rayonnages un indispensable comme « Le monde de Sophie », de Jostein Gaarder – s’agissant de la seule philosophie), lorsque nous avons un « trou » à propos d’Hippocrate, de Diderot, de Maïmonide, ou de Pierre de Coubertin, ou encore Boris Cyrulnik, voire une ignorance totale à propos de Werner Heisenberg, théoricien fameux de la physique quantique. Car ce livre a le spectre large, qui ne passe pas en revue les seuls philosophes et autres bâtisseurs de la pensée antique, moderne, occidentale, et orientale. Il s’agit d’un formidable voyage au pays des idées traitées certes brièvement et pour chaque tête pensante, mais qui remet les théories en place et l'essentiel en mémoire grâce à l’esprit de synthèse de ses co-auteurs. Et puis c’est une sorte de manuel qui donne envie d’aller plus loin, à partir de l’une ou l'autre de ses fiches starters. Ce dico allume son lecteur : ça silexe en lisant... Sciences, sport, spiritualité, médecine, politique, figurent ainsi à côté des philosophes, d’Aristote à Edgar Morin. Sur 350 pages denses, il s’agit là d’un sacré boulot de recension salutaire à l’usage des esprits curieux de tout poil. Car, la pensée on s'en fiche pas... L.M.

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    P.S. : Plon annonce la parution le 8 novembre prochain d'un Dictionnaire amoureux de la philosophie, signé Luc Ferry.

  • Développement instantané

    Capture d’écran 2018-10-14 à 09.19.57.pngL’avantage des nouvelles d’Éric Neuhoff sur les photographies à développement  instantané que nous prenions jadis avec nos Polaroïds blancs, c’est qu’elles ne s’effaceront pas avec le temps. Ces « shorts » désenchantées mais toniques – c’est le premier recueil de nouvelles du romancier des Hanches de Laetitia - sont un cocktail sweet and sour que l’on pourrait nommer Gin Fitz’, et dont la trace en arrière-bouche campera dans nos mémoires. On y trouve la tendre désinvolture de Nimier, la candeur de Déon et un zeste de Morand pour le citrique. Sans paille mais avec des glaçons, cela donne du Neuhoff, hussard mélancolique au ton singulier, effeuillant un bouquet de femmes (pour fil d'Ariane) qui ne saurait faner, toutes armées de prénoms à cran d'arrêt et de réparties à barillet, tour à tour agaçantes, capricieuses, feux-follets, félines, inconséquentes parfois, sensuelles toujours, qu'elles soient allongées sur une plage, un lit de chambre d’hôtel, ou affalées à la place du mort dans une voiture. Ce sont de belles enfuies chimériques, par conséquent inoubliables. Au fil des dix-sept épisodes d’une série que l’on pourrait titrer « un homme fragile façon puzzle », nous suivons l’auteur de Cadaquès à Lisbonne, de Toulouse à Cannes, de la Corse à l’Irlande, de la Grèce à Madère (pour une virée avec Denis Tillinac), de Saint-Tropez à Saint-Germain-des-Près, le port d’attache, sans jamais le lâcher d’une phrase. Il y a évidemment pas mal de cinéma et beaucoup de littérature entre ces pages où traine toujours un cheveu long, et comme parfumées au timbre évanoui d’une voix limpide. Nous y croisons Jean Seberg qui n’a pas disparue, pas plus que Patrick Dewaere évoquant son pote Depardieu suicidé de longue date, et l’ours J.D. Salinger répondant à une invitation de Jackie Kennedy à se rendre à la Maison Blanche. Neuhoff a toutes les audaces. Il peut dire, à l’instar de Jacques Laurent : « Rapportant ses souvenirs, il se laisse le droit de les inventer ». La mémoire de l’auteur de Costa Brava (avec laquelle il entretient les rapports d’une balle de Jokari : un fil invisible l’y ramène sans cesse), s’accroche aussi aux amitiés jalouses de l’enfance, à ses années dolce vita, à des événements survenus au cours de l’année charnière de 1982. Avec une épuisette de délicatesse, respectant toujours les précautions d’usage, Neuhoff s’est adonné à la chasse subtile aux papillons des réminiscences dispersées. Il les a recueillis, puis consignés sur un rocher parsemé de formules qui font mouche. En bas, on entend la mer qui frappe. Et ces Polaroïds, sous lesquels un cœur se retrouve parfois en pièces détachées, ont un mécanicien aimant le réparer nonchalamment – sans jamais le serrer. L.M.

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    Éric Neuhoff, Les Polaroïds, nouvelles (Le Rocher).

  • Jazzy Pourquery

    Capture d’écran 2018-09-28 à 02.54.20.pngFin des années 80, je ne me rappelle plus du jour. Le groupe de rock The Pogues donne un concert à Bordeaux, le chanteur Shane Mac Gowan, ses oreilles volées aux O'Hara de Painful Gulch, vide des Guinness, enchaine les titres derrière Dirty old town à travers ses ratiches rares, et arrose de temps à autre de jets bruns les premiers rangs de la salle à la manière d'un vainqueur de F1. Le lendemain, je ne sais plus qui fait ce titre dans le journal : "The Pogues, le rock qui fait aimer la bière" (en référence à une pub : Heineken, la bière qui fait aimer la bière).

    Avec le journaliste et écrivain d'origine bordelaise Didier Pourquery, c'est un peu ça, sans la mousse. Auteur d'un délicieux Petit éloge du jazz (folio), Didier est l'homme qui fait aimer le jazz avec un enthousiasme communicatif. Chaleureux, tutoyant, Pourquery a l'érudition sympa, partageuse, jamais tapageuse. Son petit bouquin convertirait à Lionel Hampton un intégriste du cor de chasse. Mêlant connaissance fine mais avant tout sensible, dérives personnelles, portraits classés par instruments (voix y compris) à de nombreux souvenirs, il fait mouche à chaque page. Certaines anecdotes sont touchantes, comme cet examen oral du bac le lendemain de la mort de Louis Armstrong : le jeune Didier, déjà fondu de jazz jusqu'au tréfonds des trompes d'Eustache, est défait. L'examinateur compatit. Au fil d'une lecture joyeuse qui donne la pêche et envie d'écouter tous les morceaux cités (une chaine Youtube dédiée porte le titre du livre), on se sent galvanisé par la tendresse du propos d'un passionné sincère qui nous raconte son jazz tout en présentant tous les jazz avec une désarmante simplicité. L.M.

  • Incipit

    IMG_20180829_214518_resized_20180829_094706672-1.jpgJe vois paraître un livre sur les incipit semblable à celui que j'ai publié en 2004 chez fitway publishing et qui fut traduit en anglais, en espagnol et en italien.

    L'ouvrage est signé Elsa Delachair (Points/Seuil). Alors je me dis ressors ton petit bouquin des Premières phrases de romans célèbres !

    Oh, celui-ci comporte 128 pages  à peine, comme un Que sais-je? et ilIMG_20180829_214510_resized_20180829_094705823-1.jpg n'apprendra pas grand chose à l'amateur féru de littérature pourvu d'une bonne mémoire.

    Mais, passées les phrases classiques auxquelles nous pensons immédiatement : Proust, Camus, Céline, et aussi Nabokov, Hemingway, Stendhal, Garcia Marquez, il peut surprendre... L.M. 

    IMG_20180829_214613_resized_20180829_094705043.jpg

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    La première version du livre était ainsi découpée

    (et s'inscrivait dans la collection intitulée ABC, qui fut rebaptisée Minimust en 2006).

     

  • Helena ou la mer en été

    Capture d’écran 2018-08-28 à 10.50.40.pngCe ne peut être le hasard, puisqu’il n’existe pas. J’ai lu hier soir un bref roman, Helena ou la mer en été, de l’Espagnol Juliàn Ayesta, paru en 1952 à Madrid, et seulement en juin dernier en France, directement en format de poche (traduit et postfacé par Xavier Mauméjean). Il y a un air de famille littéraire avec la touchante Gioconda précédemment évoquée ici, du Grec Nikos Kokàntzis. Mêmes émois adolescents, même tendresse, une poésie méditerranéenne en partage avec, au menu : mer, sel, sable, soleil, sieste, rires, et onirisme aussi, mais surtout un fin moins tragique chez Ayesta que dans le récit grec. Le roman est cependant décousu : la première partie a des allures de comédie italienne : un repas dominical au jardin décrit avec talent car, en peu de mots laIMG_20180828_110213_resized_20180828_110239837.jpg joie, les hommes avant la corrida de l’après-midi, les verres de Marie-Brizard, les cigares au bord des lèvres, les enfants qui posent des questions et qui agacent les adultes, puis qui s’échappent, crient, s’amusent, les miettes sur la nappe, les bouteilles de cidre vidées, le soleil qui perce entre les branches, les tantes qui pérorent et médisent par bonté, les cousins de Madrid qui surgissent, la fiesta simple qui se poursuit... Le ton du souvenir de l’enfance est donné sans compter, avec force détails, et nous ressentons le plaisir que l'auteur a eu à écrire ces 36 premières pages. Puis, une partie austère évoque la religion catholique et ses méandres, un IMG_20180828_110139_resized_20180828_110240209.jpgpensionnat, le tabou sexuel, qui nous fait tourner les pages en soupirant. Enfin, une troisième partie tonique et un rien débridée, voit revenir Helena, aperçue dans la première, chargée d’amour retenu pour un narrateur débordant d’amour lyrique et sensuel. C’est tendre, ingénu, sans excès, limpide et ensoleillé. La lecture idoine pour rentrer en douceur. L.M.

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    Le Livre de Poche, 6,40€

     

  • Gioconda

    IMG_20180824_153539_resized_20180824_033646264.jpgTrès en marge de cette rentrée littéraire, notre regard s’est inexorablement porté vers un fulgurant et tendre récit (paru en juin) d’une désarmante vérité, limpide comme une source de montagne, fragile comme ta peau au lit à l’aube, touchant tant il est habité par une bouleversante sincérité. Oh, vous lirez en une heure à peine cette centaine de pages empreintes de délicatesse et d’une impudeur paradoxale. Son auteur n’était pas écrivain. Nikos Kokàntzis (1930-2009) a simplement vécu à Thessalonique une histoire d’amour, la première, la fondatrice, la fondamentale à l’âge de treize ans avec Gioconda, une juive de son âge qui sera déportée et gazée à Auschwitz une poignée de mois après leur rencontre. Leur idylle possède les charmes subtils et écorchés vifs, mais si délicieusement douloureux de la découverte des sentiments et des corps, que la lecture de Gioconda en devient admirablement suffocante. Et cela est dit, décrit, avec une infinie beauté, une immense ingénuité surtout, qui donnent à ce récit toute sa saveur primale. Les scènes des premiers émois, des premiers frissons, des premières pénétrations sont un long tremblement détaillé comme par souci entomologique – il fallait sans doute à l’auteur marquer profondément ce départ double dans la vie, vers un bonheur coupé net.

    Cela pour dire que, n’étant donc pas un professionnel de l'écriture, Kokàntzis ne se la joue jamais, et donne par conséquent à lire une sorte de texte d'une pureté cristalline, situé à des années-lumière de tout calcul littéraire, fourbe souvent, faux trop fréquemment. Nikos rédige avec le sang de son cœur à jamais tranché, haché. C’est seulement en 1975, âgé de 45 ans et lesté de 45 tonnes de charge d'âme a minima, qu'il se décida à écrire cette fébrile histoire inoubliable, tant la belle Gioconda aux yeux envoûtants, atrocement assassinée par la barbarie nazie à l’âge de quatorze ans, est désormais faite, construite pour nous habiter et nous poursuivre longtemps après que nous ayons refermé ce petit livre précieux entre tous. Faites passer, c’est une sorte de talisman comme le sont Laissez-moi, de Marcelle Sauvageot, Lettre d’une inconnue, deIMG_20180824_160709_resized_20180824_040828796.jpg
    Stefan Zweig, ou encore La boîte en os, d'Antoinette Peské. De sacrées références, vous ne trouvez pas? Car, ce qui est magique à l'intérieur de ces livres-là, c'est moins l'atrocité de leur issue que l'insoutenable, la douloureuse beauté du lent, langoureux déroulement de leur non-histoire... L.M.

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    Nikos Kokàntzis, « Gioconda », récit, éd. de l’aube (8,90€).

     

    Photo ci-contre : lectures estivales.

  • Felicidad s'en va

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    Bien sûr il y a Daimler s’en va, bref et fulgurant roman "culte" du regretté Frédéric Berthet (1954-2003), loué récemment par la prose élégante et pleine de tact de Monica Sabolo dans « Le Monde des Livres » (ce qui surprît plus d’un lecteur : Berthet là !), afin de signaler la salutaire réédition en Petite Vermillon de ce texte que l’on se refile comme un talisman, que l’on se chuchote comme une truffe noire en période de disette, soit entre potes qui savent. Et merci par conséquent à Alice Déon, qui préside La Table Ronde, d’avoir à nouveau exhumé ce livre indispensable à nos rayons. Mais il y a aussi Paris-Berry, et la Correspondance, si précieuse. Je viens de relire Felicidad (La Petite Vermillon, 7,10€), dans la foulée des précédents. Un recueil de nouvelles passé inaperçu, hélas. Celle qui donne son titre à ce recueil tantôt mélancolique, tantôt facétieux, brosse plus que dresse, caresse plus que coiffe le portrait d’une femme intelligente, belle, hussarde, insolente, claquante, débordant de chien ; de tout. Les mots de Berthet y sont singulièrement plus nus, plus vrais, plus exacts, plus essentiels que nulle part ailleurs dans son œuvre trop maigre. Surgit l’impression que, là, touché à cœur comme une pièce de bœuf sur la grille, l’auteur offre son âme en pâture, joue son va-tout à la fois amoureux et littéraire. C’est poignant au point que l'on est gagné par l'envie de tout citer, et à voix haute en plus : écoute, écoute ça !..« Nous pouvions faire l’amour pendant des heures, du fond de cette fatigue cristalline qui se levait en nous avant l’aube. C’était comme une rançon versée à l’épuisement atteint. » (...) « Felicidad disparut de ma vie et peu à peu de mes sommeils, d’où elle me réveillait encore, bien après que je l’eus oubliée en plein jour. Bientôt, pensai-je, elle ne sera plus pour toi qu’un effort de mémoire. » (...) Berthet, ou le narrateur, évoque son cœur « ne cessant de sauter comme on rate une marche ». Felicidad lui explique, comme ça, tout à trac, les bulles de champagne, lorsque son esprit effervescent pointe soudain une coupe de l’index, et prononce ceci de si juste : « Celles qui restent au fond retiennent leur respiration plus longtemps que les autres »... Voici pourquoi le charme de cette femme intemporelle, mi Fermina Marquez, mi Zelda Fitz., mi Diva mi Lolobrigida ou qui vous voula, augmente en nous ce plaisir ténu de la savoir à portée de mots. Cela suffit. L.M.

  • Les flacons d'abord

    Capture d’écran 2018-06-13 à 13.39.12.pngÇa commence avec un emprunt à deux incipits : ceux de « Aurélien » de Louis Aragon et du « Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline » dans la même première phrase, et ça finit par une allusion à l’excipit du « Singe en hiver » d’Antoine Blondin avec un épisode à la Roger Nimier ou à la Jean-René Huguenin. Des références en forme de révérences. On adore. Christian Authier aime le jeu et l’hommage. Avec « Des heures heureuses », son septième roman (Flammarion, 19€), il ne nous donne pas seulement à boire du bon vin à chaque page ou peu s’en faut – d’ailleurs, quand il est mauvais, cela déclenche la colère de Thomas (sa doublure) et celle de Robert Berthet son mentor. Il nous fait également rire avec une tripotée d’anecdotes (toutes vraies bien qu’invraisemblables) et jouer aux devinettes : quel écrivain ami, quel vigneron aimé, quel chef de talent se cachent derrière de vrais noms comme ceux de Maréchaux, Guégan, Lacoche, Maulin ? Alors on cherche à deviner, et Authier corse le jeu. Au rayon vignerons, Éric Callcut c’est Calcutt, Selosse c’est Selosse en substance, mais Jean-Christophe Besnard c’est Comor ! Comme Jean-Marc Filhol c’est Parisis au rayon écrivains, et Alain Laborde, Yves Camdeborde au compartiment cuisiniers. C’est relativement fastoche lorsqu’on est initié, soit un peu du club...

    Références à Blondin à coups de citations planquées, répliques-cultes des « Tontons flingueurs », d’autres allusions plus subtiles à des ouvrages de Sébastien Lapaque par exemple (Les vins de copains, Théorie de la carte postale)... L’auteur s’amuse en écrivant et cela nous procure un bien fou. De même qu’il est franchement jouissif de lire (enfin) une satire en règle des faussaires de tout poil. Qu'il s'agisse des bobos adeptes aveuglés du vin « nature » non soufré au nez de pisse de chat et au goût de vieille serpillère, comme de ceux qui les « font » sans rien faire justement, et qui ont donc du temps pour prêcher la parole sectaire de leur confrérie intégriste du goût mauvais.

    Il y a du Déon, du Nimier dans le style, et du Houellebecq dans le regard davantage mélancolique que désabusé que l’auteur porte au monde tel qu’il déçoit. Loin de surfer sur la vieille vague du c’était mieux avant, puisque « le passé qu’ils regrettaient ne datait que d’une vingtaine d’années », Authier instille par touches délicates, de manière pointilliste, ses avis sur la question contemporaine. Qu’il s’agisse de l’ère du tri sélectif, des parvenus que tout Guépard dans l'âme vilipende, de l’inculture assumée des jeunes – sans honte bue, de la dictature du portable ou – plus grave -, de la disparition du sourire. Il n’est pas tout à fait « antimoderne » non plus, mais loue à n’importe quel taux la douce fureur plutôt que la peur, de vivre.

    Le sujet principal est ce monde des vins que l’on dit vivants, ou bios pour faire court. C’est le cadre. Le contenant. Le contenu est infiniment humain, infiniment Français, si sensible, fragile même, car sous les sautes d’humeur, les boutades, les engueulades et les mornifles engendrées par la picole, les bons mots à se bidonner comme : « Patron, du vin ou on encule le chien ! », ce sont là des hommes en rupture de ban avec leur époque qui se cachent derrière le masque du sourire. Ce ne sont pas des « Enfants tristes » pour autant, mais de « vieux enfants » au cœur gros comme ça, habités par « la nostalgie de l’insouciance et de l’innocence ». Des « frères d’âmes » sachant mieux ouvrir les boutanches que fendre l’armure. « Des heures heureuses » est ainsi un roman Hussard en diable pour la joie de boire et de rire, pour les copains d’abord, cette bande de singes toujours en hiver, et il contient aussi une touche à la Drieu pour « ce désenchantement intime (qui) les rendait touchants », ce qui lui donne une belle longueur en bouche. Il y a aussi du football et pas mal de cinéma (deux marottes de l’auteur) dans ce livre qui foisonne de bonnes choses comme un assortiment de tapas nocturnes.

    Nous aimons partager les agapes toulousaines (au Tire-Bouchon notamment) et germanopratines (chez Yves Camdeborde au Comptoir du Relais, chez Michael au Moose) et fort arrosées des joyeux drilles, membres du « Clup ». Et surtout suivre les virées en voiture sur les routes des vignobles français de respect, d’un tandem de tendres fanfarons – Thomas l’élève de 26 ans au regard faussement candide, et Berthet l’agent en vins bons, la cinquantaine bougonne, voire soupe au lait. C’est Don Quichotte et Sancho Pança sans les moulins. Mais avec une Dulcinée nommée Zoé qui, surgissant tout à trac, fera flancher Thomas – et nous le comprenons en lisant le portrait de cette fée qui embarque l'amoureux pour Lisbonne, Berlin, Madrid, Istanbul et le Pays basque, histoire de l’extraire de la cave. Au point que le personnage songera à laisser tomber Berthet, les vins... Mais cet hymne à l’amitié – cheval de bataille de tous les romans d’Authier -, ne saurait dévier, sauf cas de force majeure. « Qu’est-ce qu’on boit après ? ». Je parie sur un Prieuré-Roch. On n’a pas de Romanée-Conti. L.M.

  • Un inventaire sentimental et patrimonial

    Ainsi est sous-titré À la découverte de la Nouvelle-Aquitaine, que publient les éditions Atlantica pilotées par Jean Le Gall. Grand ouvrage richement illustré, comme on a l'habitude d'écrire, avec une poignée de plumes, au nombre desquelles je pointe celles de Sébastien Lapaque, Olivier Mony, Jean Harambat, Richard Escot. Et aussi le style distinct de trois Frédéric : Mitterrand, Schiffter, Beigbeder. Celle d'Alain Gardinier enfin. D'autres, encore. J'y contribue sur quelques pages pour évoquer l'histoire des vins de Bordeaux. De la belle ouvrage, aurait dit ma grand-mère. Où il est question d'un peu de tout, du surf à l'armagnac, des toros au ttoro, de l'espadrille aux églises, d'écrivains et de porcelaine, de peinture et de montagne, de rugby et de punks. Toute une histoire sentimentale, et patrimoniale (350 pages, 28€). L.M.

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  • Trois poèmes en trois affiches

    Voici trois poèmes extraits de Femmes de soie et autres oiseaux de passage (210 pages, Séguier, décembre 1999). L'éditeur avait alors eut l'idée d'imprimer plusieurs affiches de format 30x40 à l'intention des libraires. En voici donc trois, rescapées, scotchées sur un mur, avec la couverture du livre, rehaussée d'une oeuvre de Francine Van Hove intitulée Au soleil :

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  • Pourquery l'ironiste

    Capture d’écran 2018-04-14 à 22.20.45.pngAvec En finir avec l’ironie ?, le journaliste et écrivain Didier Pourquery signe un salutaire éloge d’une passion française, voisine de palier du second degré : Résistance, curiosité, agilité, légèreté, contrôle, dans le désordre, voilà toute l’actualité du second degré comme art martial essentiel. Nous voici prévenus, avec ce brillant mode d'emploi en 160 pages de l'antidote majeur à toutes les doxas.

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    L'essai est tonique et drôle, qui dissèque un mal, une sorte d'insolence ou de mauvais esprit (qu'Emmanuel Macron fustigea dans son discours du 7 mai 2017), et qui se trouve pile-poil dans le collimateur des suffisants, des tristes sires, des allergiques à l’humour qui décape et autres adeptes du politiquement correct...

    L'apologie de l’ironie de Didier Pourquery cadre d’emblée : Le système ironique est un état d’esprit, une attitude, un regard légèrement distancié, un sourire en coin, une construction qui relève de la fantaisie... L’ironie n’est pas non plus de l’humour : Il s’agit simplement de prendre du recul face aux "choses graves", de remettre en question(s) le "bon sens". Ce que le philosophe Vladimir Jankélévitch (auteur notamment de L'ironie, Champs/Flammarion) appelait « la bonne conscience joyeuse de l’ironie » est un piège à vaniteux, précise Pourquery. Nous savons depuis Socrate, « éternel casse-pied » comme le surnomme l’auteur, et sa fameuse ironie consistant à désarmer le sophiste en pratiquant la maïeutique (l’art d’accoucher les esprits, comme un obstétricien de l’âme), que le second degré fait réfléchir en détruisant les illusions, les hypocrisies. (...) L’interrogation systématique et paradoxale est le cœur de l’ironie. En feignant l’ignorance et en semblant détaché, Socrate combattait la médiocrité et la facilité des idées toutes faites. L’ironie est donc une arme salutaire contre la morgue ambiante et les discours tordus. L’antiphrase est l’une de ses munitions favorites, avec la litote, l’hyperbole et autres figures de style. Ou encore la boutade.

    Résister et rester léger

    Pourquery rend hommage aux princes du second degré, de Søren Kierkegaard à Sacha Guitry, en passant par Mark Twain, le-regretté-Pierre-Desproges, Woody Allen et ... le Gorafi ! Sans oublier des « mouvements » : le kitsch, le camp. Il prend soin de distinguer l’ironie de la dérision – qui est une moquerie teintée de mépris. Et du cynisme des enfants de Diogène, lesquels foisonnent en politique et à la télé, mais qui sont bien plus arrogants que l’inventeur de cette attitude, n’étant pas du même tonneau... Les ennemis du second degré, seconde partie du livre, passe en revue les sérieux... qui se prennent au sérieux, tous ceux que le doute n’habite pas, les chiennes (comme les chiens) de garde, les intégristes de toutes obédiences vouant aux gémonies le Voltaire piquant et agaçant, tous les indignés qui s’imaginent détenir le monopole de la sincérité, les sectaires, les Khmers rouges ou verts, les néo-staliniens (qui sont légion), sans oublier les nouveaux donneurs de leçons qui officient sur Internet et que l’on appelle les trolls. Le troll est un imbécile digital, écrit Pourquery. C’est un drôle de drolle (pour parler Bordeluche) qui se pose en policier plumitif de la morale (mais laquelle ?), et qui ne laisse aucune chance à la nuance et au paradoxe. Et l’auteur d’ajouter : Le Net, c’est la cage aux trolls. Certaines pages sont tordantes, comme l’idée du « déjeuner de cuistres » (pour changer du dîner de cons), campé comme un passage des Caractères de La Bruyère. Face à « la marée montante de la bêtise », aurait dit Albert Camus, l’ironiste, qui n’est jamais dupe, résiste. Comme l’alu ! Sa grande force est de savoir rester léger. La dérision cogne, le cynisme flingue et l’ironie renverse. L’ironie met l’adversaire "sur le cul". Poids légers... L.M.

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    Didier Pourquery, En finir avec l’ironie ? Robert Laffont, coll. Mauvais esprit, 17€

    À propos d'autres ouvrages de Didier Pourquery évoqués ici => 

    https://bit.ly/23m6av0 -  https://bit.ly/1Zlqx7G - https://bit.ly/1xiBUAD  

     

  • Le Déon d’Authier

    Bon sang ! Voilà que le nouveau roman de Christian Authier, au titre un peu moins saganien que d'habitude, « Des heures heureuses », et où il est question du monde des vins naturels, est annoncé chez Flammarion (il paraît le 2 mai). Il était donc temps que je récupère « Les Mondes de Michel Déon », trop longtemps prêté, parce que c’est un livre important, et que cela faisait un moment que je voulais écrire le papier ci-dessous. 

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    Capture d’écran 2018-04-11 à 11.58.01.pngIl y avait le Déon de Pol Vandromme et celui d’Éric Neuhoff, voici celui de Christian Authier. « Les Mondes de Michel Déon » (Séguier) n’est pas une biographie ordinaire. Ce n’est pas non plus une hagiographie. C’est un voyage sentimental dans l’univers de l’auteur des Poneys sauvages et du Taxi mauve. Un « voyage en Déonie », comme l’écrit lui-même Authier. L’auteur prévient d’emblée son lecteur : la nostalgie qui irrigue les livres de Michel Déon n’est pas rancie. Elle se conjugue au présent. Il lui était redevable, car il sait qu’« il n’est pas donné à tout le monde de rencontrer un écrivain qui a illuminé votre jeunesse, qui vous a chuchoté à l’oreille durant des journées et des nuits de lecture des histoires vous aidant à vivre. » D’autant qu’à l’opposé de nombre de gensdelettres imbus, égotistes, vaniteux, Michel Déon incarne « une élégance, une générosité, une modestie qui faisaient de lui un seigneur. » Durant toute sa vie d'écrivain (enfin) reconnu, cet auteur pudique et discret, stendhalien et gionien, jamais cassant ou froid comme d’aucuns le croient encore, n’aura eu de cesse de déceler, de flatter et de soutenir les jeunes talents, de militer en leur faveur, de convaincre les différents jurys littéraires auxquels il a appartenu d'attribuer en chœur des récompenses encourageantes, fut-ce le modeste Prix Jacques-Lacroix de l’Académie française. Les enfants de Déon sont aujourd’hui aussi nombreux que reconnaissants. Authier, lauréat du Roger-Nimier en 2006, est de la bande.

    Collants clichés

    Déon reste associé à des clichés adhésifs et c’est dommage, puisque réducteur. Il y a d'abord Déon le Hussard, compagnon de route et de déroute de Nimier, Blondin, Laurent et autres désengagés viscéraux : Haedens, Vailland, Hecquet, Marceau, Mohrt, Nourissier, Curtis, Perret, Dutourd, et même Frank... Cette droite buissonnière et mousquetaire, celle des copains d’abord pour unique cause, « désinvolte, rieuse, frondeuse », précise Authier, anarchisante, ironique, insolente et anti sartrienne, celle qui disait « savoir désespérer jusqu’au bout » (Nimier), plaidait pour « l’amour vagabond » (Fraigneau), cette génération romanesque et mélancolique, allergique à « la politique dans un roman » (Stendhal), comme à la morgue du Nouveau Roman et autres postures mortifères et nauséeuses, et dont « la panoplie littéraire » (Frank) était taillée comme un costume trois pièces : « les voitures rapides, l’alcool et les jolies femmes ».

    Parmi les autres clichés, il y a Déon le Grec, et Déon l’Irlandais... Lors que l’auteur de Je me suis beaucoup promené, de Bagages pour Vancouver et de Je vous écrit d’Italie... n’a pas consigné que sa vie à Patmos, Spetsai et dans le Connemara. La Corrida, par exemple, évoque les États-Unis. Car Déon était un bourlingueur qui aima partir et découvrir le Portugal, le Brésil, le Maroc ou l’Espagne à la manière d’un Valery Larbaud. Ses retours dans ces contrées lui procureront le désagrément du voyageur qui a connu des terres plus ou moins vierges, devenues la proie d’un tourisme massif et mal élevé étant parvenu à faire plier des pays somme toute corruptibles. Alors, lorsque Déon rejoint l’Académie française, on le suppose rangé des avions et des Liners. Il repart aussitôt, et nous envoie des livres tantôt sensuels et solaires depuis l’Italie « pour répondre au besoin irrésistible de vivre les histoires que d’autres n’ont pas toujours su me raconter », tantôt graves et crépusculaires comme le splendide La Montée du soir. Authier rappelle avec justesse que le roman, pour Stendhal, est « un miroir promené le long d’une route », et que ceux de Déon, comme il l’a dit lui-même, « témoignent d’une époque, fut-ce souvent à contre-courant ». Une époque « où les femmes laissent des regrets et où les hommes tiennent parole ».

    Maurras et de Gaulle

    D’aucuns vouent aux gémonies un Chardonne, un Morand, un Drieu tout en fichant la paix à Céline et mettent Déon dans le même panier au motif que ce dernier a adhéré, dix années durant, dès l’âge de 14 ans à l'Action française (en prenant sa carte le 7 février 1934 des mains du futur comédien François Périer), par fidélité à une certaine idée du royalisme et à la figure tutélaire de Charles Maurras, antisémite notoire (que l’on ne commémorera pas cette année, au nom d’un sectarisme gouvernemental des plus obtus, confondant commémoration et célébration). L'ancien secrétaire de rédaction (de 1942 à 1944) du journal L'Action française, ne doit évidemment pas masquer l'écrivain qu'il devint. D'aucuns lisent ou relisent le Voyage au bout de la nuit en continuant d'ignorer les essais nauséabonds de Céline comme Bagatelles pour un massacre. Et Authier de préciser que si l'Action française soutint Pétain, elle rejeta la politique de collaboration mise en oeuvre par Vichy...

    L’un des mérites du livre de Christian Authier est justement de nous éclairer sur des pans méconnus de la vie de Déon. Qu’il s’agisse de fêlure amoureuse : les pages consacrées à Olivia/Gloria et la place unique que cette femme occupa dans le cœur de l’auteur de Je ne veux jamais l’oublier, sont aussi tendres qu’enrichissantes, et puis on y voit Déon « l’écrivain du bonheur » - autre cliché tenace - au Pays basque... « L’amour ne triomphe que dans le souvenir. Le roman est là pour le sauver du désenchantement ». Ou qu’il soit question d’engagement indéfectible. L’Algérie française, par exemple, a mobilisé quatre de ses livres, comme Mégalonose ou bien sûr L’Armée d’Algérie et la pacification, et elle est présente dans trois autres. Déon découvre cette terre en avril 1958, et la visite dans les moindres recoins. Adversaire de l’amalgame qui a encore cours, il précise : « C’est parce que les Français d’Algérie ne sont pas tous de gros colons prévaricateurs, mais de petits cultivateurs, de modestes artisans, des chauffeurs de camions ou des maçons que l’Algérie – à qui la découvre – apparait soudain comme une réalité française, par ses défauts comme par ses qualités. » Lorsqu’il publie pour la première fois à La Table Ronde de Roland Laudenbach, la maison d’édition sise alors au 40 rue du Bac est un repaire très Algérie française (Susini, Brune, Soustelle, Bidault, Héduy, Laurent en sont), voire OAS. En tout cas très anti-gaulliste (le de Gaulle de la trahison d’Alger et du parjure d’Évian), mais pouvant être gaullien par ailleurs, comme on est justement maurrassien, et sachant rendre hommage sans coup férir à Bastien-Thiry ainsi qu’à Degueldre.

    Fêlures d’enfance

    Du Déon journaliste, une opinion peu rigoureuse ne retient que sa chronique théâtrale à Aspects de la France, alors qu’il fit longtemps flèche de tout bois (ou plume de toute encre) afin de nourrir sa famille, de Marie-Claire et ELLE à Sud-Ouest Dimanche... Tout en travaillant longtemps dans l’édition, notamment chez Plon, puis comme bras droit de Laudenbach à La Table Ronde.

    Mais le Déon le plus authentique se trouve encore ailleurs. « Nos plus ineffaçables chagrins sont d’enfance. Le reste de l’existence se passe à les défier ou à redresser les ruines », écrit Déon le fils unique dans un petit livre éclairant sur les déchirures durables, et injustement méconnu, La Chambre de ton père. Il faut le lire juste avant Parlons-en..., conversation précieuse entre un père et sa fille, Michel et Alice Déon, devenant une confession au fil des pages. Nous y lisons par exemple ceci : « Avec quoi écrivons-nous nos romans ? Avec des larmes séchées, des rires étranglés, des joies fugaces et avec les amertumes que laissent les espérances trahies. » Tout Déon.

    Authier nous apprend également que Michel Déon rencontra Chantal Renaudeau d’Arc (qui devint sa femme le 15 mars 1963), un soir de réveillon 1957 chez Christine de Rivoyre, autour de trois kilos de truffe... C’est ce genre d’anecdotes qui rendent la lecture du Déon d’Authier si charmante. C'est de savoir par exemple qu’Alice (qui préside aujourd’hui les éditions de La Table Ronde) a grandi en Grèce, un pays figurant une longue escale dans la vie de « nomade sédentaire » (Pol Vandromme osa l’oxymore) que fut Michel Déon. L’écrivain a trimbalé sa petite famille de Spetsai à Galway, soit là où « un peuple a su préserver sa singularité face au rouleau compresseur de l’uniformisation. » Menant une vie simple face à la Méditerranée, puis au cœur des marais verts de Tynagh. Une vie « à la fois humble et aristocratique », précise Authier dans cet hommage de 190 pages qui dresse un portrait inoubliable de l’expression même de « la gratitude, l’élégance, la franchise du cœur mâtinée de pudeur : c’était Déon. » L.M.

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    Les Mondes de Michel Déon. Une biographie, par Christian Authier (Séguier), 21€

     

     

     

     

  • Grands Caractères

    IMG_20180303_130639_resized_20180303_075620807.jpgMe voici donc, avec quatre consoeurs des merveilleuses éditions Passiflore - pilotées par les talentueuses Florence Defos du Rau et Patricia Martinez -, décliné en édition grand format, saisie en corps 18 à l'attention de ceux qui aiment lire mais qui ont la vue basse, comme on dit : il s'agit, pour mes consoeurs, de Fabienne Thomas, Marie-Laure Hubert Nasser, Pascale Dewambrechies, et Chantal Detcherry.

    Cette édition a la taille d'un cahier, avec des pages lisibles de loin, confortables à bout de bras, que l'on feuillette comme un tapuscrit ou presque. J'ai personnellement la joie d'y donner à lire (en bonus) une préface dont me gratifia Michel Déon en 1995, ainsi qu'une lettre de Pierre Moinot - autre académicien, auteur d'un inoubliable Guetteur d'ombre (Prix Femina 1979), datant de la parution de ce petit bouquin en 1992. C'est la quatrième version de Chasses furtives. Après ses éditions chez J&D, puis Gerfaut, chez Passiflore en version normale, voici - et chez le même éditeur donc -, celle en Grands Caractères, laquelle prolonge d'ailleurs la version numérique (e-book). Pour que continue de vivre la littérature, faites passer! L.M.

    Ci-dessous, la lettre de Pierre Moinot, et pour extrait, le début du livre : 

    IMG_20180303_202022_resized_20180303_082114625.jpgIMG_20180303_202332_resized_20180303_082420642.jpg

  • Cheng à l'âme

    Capture d’écran 2018-03-03 à 17.44.43.pngTon âme, tu la sais sans la voir, mais tu vois

    Celle d’un autre quand il s’émeut ou se confie.

    Miracle des regards croisés, fenêtre ouverte :

    Voyant l’âme de l’autre, tu vois la tienne propre. 

    Cet extrait de Enfin le royaume (Gallimard), recueil de quatrains de François Cheng, poète (et académicien) délicat, discret, subtil, qui nous a déjà donné des perles comme A l'orient de tout, ou La vraie gloire est ici (Poésie/Gallimard) est à recopier, à plier et à offrir, à glisser dans sa poche ou dans son sac, entre ses seins ou dans le creux de son oreille...

    Plus personne n'écrit de quatrains, aujourd'hui. Voilà un genre tombé en désuétude et ravivé par ce recueil profond, qui nous fait oublier le dépouillement tant aimé du haïku, et tout aussi essentiel, tout autant ouvert à la réflexion sensible, à la méditation épurée.

    François Cheng pense qu'un seul quatrain peut résumer toute une vie. C'est dire combien ce genre poétique strict (5-7-5-7 pieds) est une poésie en pensée figurant le concentré. Une contrainte vers l'essentiel. Une démarche vers l'irréductible.

    Ecrire un quatrain, c'est faire voeu de concision, de retenue, de condensation, de cristallisation, c'est émonder, épurer, dit-il. C'est consentir à la brisure. Soit renoncer au bavardage, faire voeu de silence et d'observation bienveillante du monde, du paysage, du regard et de l'âme de l'autre.

    Voici deux autres quatrains contenus dans ce précieux recueil, histoire de s'en convaincre davantage :

    Le sort de la bougie est de brûler.

    Quand monte l'ultime volute de fumée,

    Elle lance une invite en guise d'adieu :

    "Entre deux feux soit celui qui éclaire!"

    Et celui-ci : 

    Nous avons bu tant de rosées

    En échange de notre sang

    Que la terre cent fois brûlée

    Nous sait bon gré d'être vivants.

     

    Et nous aimons. L.M.

     

     

  • typoésie

    Capture d’écran 2018-03-03 à 09.28.10.pngFrancis Ponge passa sa vie à analyser la poétique des choses à travers les mots qui les désignent et son parti pris est indépassable.

    Jérôme Peignot joue quant à lui avec la forme des mots en proposant une lecture typographique ludique, érotique, humoristique. Ses Typoèmes (Actes Sud) sont une cour de récré où palindromes, anagrammes et esperluettes se bousculent comme des mômes espiègles.

    Cette invitation à la lecture typographique du monde à travers les jeux entre les lettres désigne une poésie visuelle précise réclamant une attention qui débouche sur une réflexion légère.

    A l'instar des mots-valises, la typoésie est communicative : elle donne immédiatement envie de créer des typoèmes, comme nous avons aussitôt envie de trouver des mots-valises lorsque nous en lisons quelques uns : nous nous prenons délicieusement au jeu...

    Il s'agit en somme de jongler avec les mots de différentes façons, mais avec une dimension poétique dans la seconde manière, faite de simplicité facétieuse, voire de douce grivoiserie. Avec la typoésie, nous jouons par conséquent davantage avec les lettres. Peignot nous invite ainsi à retrouver l'étymologie graphique des êtres et des choses. Amusons-nous. L.M.

    Trois exemples parmi tant : IMG_20171031_120844_resized_20180303_093039067.jpgIMG_20171031_120936_resized_20180303_093038299.jpgIMG_20171031_120848_resized_20180303_093038702.jpg

  • La poésie avec ardeur

    Capture d’écran 2018-03-02 à 18.50.49.pngL'ardeur est le thème du 20 ème Printemps des Poètes qui débute demain et qui s'achèvera le 19 mars.

    Sophie Nauleau, nouvelle directrice artistique d'une manifestation d'envergure nationale désormais, publie à cette occasion un petit manifeste charmant aux éditions Actes Sud : La poésie à l'épreuve de soi figure une sorte d'anthologie personnelle liée par les mots sensibles d'une femme habitée depuis son enfance toulousaine par le poème, le mot fulgurant, l'ardente urgence de dire l'émotion, le bonheur ineffable d'habiter poétiquement le monde, pour reprendre le mot fameux de Hölderlin. La couverture est signée Ernest Pignon-Ernest, qui montre un être ailé dans un élan ardent. Ardere, enCapture d’écran 2018-03-02 à 18.51.16.pngCapture d’écran 2018-03-02 à 18.51.36.png latin, signifie brûler, briller. (Zélos, en grec). Son anagramme est : durera. Ça parle. L'éclair me dure, nous chuchote l'immense René Char devenu classique, dont on célèbre le trentième anniversaire de la disparition, chez Gallimard, avec une édition collector de Fureur et mystère, l'un de ses plus fameux recueils paru il y a soixante-dix ans déjà, et une édition illustrée par Alberto Giacometti du Visage nuptial, suivi de Retour amont, ces deux volumes en Poésie/Gallimard. Tout comme Ajoie, du délicat et regretté Jean-Claude Pirotte, qui comprend aussi Passage des ombres et Cette âme perdue, ou encore Mathématique générale de l'Infini, du turbulent Serge Pey. Sophie Nauleau souligne dans son petit bouquin très intime que, contrairement au vin, l'ardeur poétique résiste aux siècles. C'est tellement vrai. Elle n'en finit jamais de résonner, ajoute-t-elle. Gronde en sourdine. Elle feule en solitaire. Elle sommeille en douce. Elle guette son heure - sereine en sa forêt de la longue attente. La poésie est comme le lait sur le feu. L.M.

    Printemps des Poètes

  • Mercredi des cendres

    Capture d’écran 2018-02-14 à 14.47.02.pngDéon sans sépulture, cela ressemble à un déjeuner sans soleil, et ce n’est pas Alfa sans Roméo. Plutôt Les Trompeuses espérances. Si l’injustice perdure, ce sera Je ne veux jamais l’oublier. Cela ne fleure pas vraiment Tout l’amour du monde, mais peut signifier que Mentir est tout un art. Et, un jour peut-être, Taisez-vous, j’entends venir un ange. Difficile pour l’heure de prendre l’affaire À la légèreSur le motif, Michel observera le silence d’une tombe préférant - d’outre - ignorer les propos légalistes d’une cave élue à propos d’un caveau municipal. D’où qu’il soit, je le soupçonne de s’en ficher un peu, réduit en cendres qu’il est, écrivain de plein vent qu’il fut, et je l’imagine plus volontiers dispersé pour partie au-dessus des marais irlandais de Tynagh, et pour autre saupoudré en Méditerranée, depuis Le balcon de Spetsai. Dans les eaux après avoir fait de vieux os. Seulement, un vent pervers souffle dans le peu d’esprit des édiles de la mairie de Paris, cité où il naquit en 1919. De sourdes raisons vont-elles éclore, à l’instar de la désinscription de Maurras de l’agenda des commémorations ? (Déon fut un temps le secrétaire de rédaction de L’Action française). Ne soyons pas mauvaise langue. Il y a surtout qu’Alice Déon, la fille de l’auteur du précieux dialogue Parlons-en…, souhaite que les aficionados de son père puissent lui rendre visite en un lieu parisien saint et reposant (comme le cimetière Montparnasse), à proximité de nombre de pairs peinards. Un imbroglio administratif en interdit l’accès, au nom d’un égalitarisme absolutiste qui souffre cependant de coups de canifs dans la Déclaration, soigneusement enterrés (le cas de l’écrivaine américaine Susan Sontag en est un exemple, ainsi que le rapporte opportunément Le Figaro de ce jour). Quoiqu’il advienne, c'est l’esprit de Michel Déon qui compte sous la terre comme au ciel. Et celui-ci est deux fois immortel. C'est d'un académicien qu'il s'agit, et de l'auteur d’une œuvre inaltérable à laquelle nous retournons pour nous ressourcer en ces temps de manque, à la manière des Poneys sauvages se désaltérant au bord d’un étang d'humanité. L.M.

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    J'évoquerai bientôt Les mondes de Michel Déon, une biographie signée Christian Authier (Séguier)

     

  • Les fiancées sont roides

     

    IMG_20180205_180616_resized_20180205_060826454.jpgHommage à l'écrivain discret Guy Dupré, disparu il y a quelques jours à presque 90 ans sans faire davantage de bruit que son œuvre et sa voix n'en firent jamais, et qui laisse quelques romans précieux comme « Les fiancées son froides » (salué à sa parution en 1953 - l'auteur avait vingt-cinq ans à peine - par Julien Green, Julien Gracq, François Mauriac et André Breton), « Le Grand Coucher », et « Les Mamantes ». Ni antimoderne ni hussard, romantique à l'Allemande, barrésien, grand styliste avant tout, Dupré est de ces auteurs dont on murmure le nom comme circule un sésame, et dont l'écho illumine aussitôt le regard des membres d'une confrérie sans tête. 
     
    « Dans le bleu des soirs d'Île-de-France pareil au bleu de Prusse des matins d'exécution, je chercherai longtemps encore le secret de conduite qui permet de lier la douceur sans quoi la vie est peu de chose au déchaînement intérieur sans quoi la vie n'est rien. » 
    (in « Les Manoeuvres d’automne »).
     
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    Lire Dupré : Les fiancées sont froides, Le Grand Coucher, Je dis nous : La Table ronde, coll° La Petite Vermillon. Les Mamantes : Grasset. Les Manoeuvres d'automne : Le Rocher.
     
  • Ça avait de la gueule

    Capture d’écran 2018-02-03 à 17.01.25.pngAvant-hier. Numéro anniversaire (le 50ème) du Monde des Livres, supplément culte du quotidien, et de moins intéressant (et prescripteur) au fil du temps. Mais chaque jeudi après-midi, c'est pavlovien, il nous le faut, même s'il nous arrive de soupirer désormais après l'avoir parcouru, lors que nous le lisions de bout en bout avec un appétit féroce et à force de pain, allant jusqu'à saucer l'assiette à regret. Aujourd'hui, c'est sans pain ni peine que nous lui préférons Le Figaro Littéraire, bu chaque jeudi matin jusqu'à la lie, ainsi que le très bon supplément consacré aux livres de La Croix (nous négligeons depuis belle lurette, le jeudi toujours, celui de Libération, devenu insignifiant).

    Ce numéro anniversaire comporte un long papier signé de Raphaelle Bacqué contant l'histoire du supplément depuis sa création en 1967 : les années Jacqueline Piatier, et puis les autres, placées sous la houlette de François Bott (les meilleures selon nous), Josyane Savigneau, les météoriques Franck Nouchi, Robert Solé, avant d'arriver à Jean Birnbaum, actuel responsable... 

    Figurent aussi dans ce numéro quelques morceaux d'anthologie, des extraits de critiques signés par les plumes qui s'y sont succédées. Et, justement, lorsqu'on tombe sur quelque trait de Pierre-Henri Simon, collaborateur et académicien, évoquant en 1968 Belle du Seigneur d'Albert Cohen, nous nous pourléchons : C'est long, c'est inégal, il y a du mauvais goût et quelques steppes de prose sableuse qu'on aurait envie de traverser en hélicoptère. Mais une fois engagé, pris dans le récit, on lit, on veut lire encore, aller jusqu'au bout. C'est tellement vrai de ce pavé empâté qui aurait bénéficié d'une cure d'amaigrissement avant impression (en particulier aux interminables parties touchant à la Société des Nations). C'est surtout bien asséné, avec cet art rare de la causticité bien tempérée.

    Ailleurs, c'est le célèbre feuilletoniste Bertrand Poirot-Delpech, qui tint le rez-de-chaussée (de la première page du supplément) le plus envié de Paris, se livrant à un pastiche de sa rubrique en faisant du Poirot par collage de tics (sans oublier de louer un académicien ou deux comme il le fit chaque semaine, menant ainsi une longue campagne un rien flagorneuse pour sa propre élection). L'ancien chroniqueur judiciaire et auteur d'un Grand dadais que l'histoire de la littérature n'a pas jugé utile de consigner, invente un écrivain, Marelier, et son oeuvre. Extrait : La gravité n'exclut pas, chez Marelier, un humour décapant, et salubre en nos temps d'empois. Sans parler de son écriture, où Barthes sut déceler un grain entre l'orge et la semoule, quelque chose comme le tapioca... La critique avait alors du style et du panache, non?

    Ailleurs qu'au Monde et aux mêmes périodes, Bernard Frank nous envoûtait de ses chroniques bavardes avec brio, regorgeant d'une mauvaise foi de génie. Renaud Matignon avait l'éloge flatteur aussi sincère que l'exécution sommaire. Et Angelo Rinaldi déglaçait à l'acide, ciselait des papiers que nous n'aurions raté sous aucun prétexte. La critique littéraire avait de la gueule.

    A l'instar d'un genre littéraire en voie de disparition, le pamphlet, il semble qu'elle soit devenue moins critique justement, et que le manque d'espace commande que l'on encense seulement. Malheureusement pas toujours avec ce claquant éloignant tout soupçon de collusion, et qui distingue d'emblée une chronique brillante sur l'aile d'une recension propre sur elle. L.M.

  • Sacrés caractères

    Capture d’écran 2018-01-22 à 11.46.55.pngLa police des caractères reste ma préférée.

    J'apprécie son autorité sur la chose jugée publiable.

    Elle met de l'ordre dans l'écriture depuis des siècles en jonglant avec vingt-six lettres.

    Lorsqu'elle est grande, elle devient lisible de loin, confortable de près, repose les yeux qui peuvent regarder ailleurs, entre deux pages...

    Ces caractères-là n'ont rien de mauvais. Que du bon, sommes-nous tentés d'ajouter...

    Il y a un an je me retrouvai pour la première fois en format de poche (avec Le Parler pied-noir qui passait de Rivages à la Petite Bibli Payot/Voyageurs).

    Voici que je me retrouve aujourd'hui en Grands Caractères, soit en corps 18 - à l'intention de ceux qui peinent à lire de plus petits : Chasses furtives (mon premier roman) existe désormais sous trois formes : en version livre classique, en version e-book, et aujourd'hui en version Grands Caractères, en compagnie d'autres titres publiés par Passiflore (*). Qu'on se le lise... L.M.

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    (*) La vie plus un chat, de Chantal Detcherry, L'Effacement, de Pascale Dewambrechies, La carapace de la tortue, de Marie-Laure Hubert Nasser, L'Enfant roman, de Fabienne Thomas.

     

    Capture d’écran 2018-01-22 à 12.09.55.pngCapture d’écran 2018-01-22 à 12.10.47.png

  • L'Éducation sentimentale


    Autre extrait du fameux chapitre VI de la IIIème partie
    (Frédéric s'adresse à Mme Arnoux) :

    Mon coeur, comme de la poussière, se soulevait derrière vos pas. Vous me faisiez l'effet d'un clair de lune par une nuit d'été, quand tout est parfums, ombres douces, blancheurs, infini; et les délices de la chair et de l'âme étaient contenues pour moi dans votre nom que je me répétais, en tâchant de le baiser sur mes lèvres. Je n'imaginais rien au delà.

     

     

  • Vive le passé simple!

    Capture d’écran 2018-01-17 à 13.08.50.pngExtrait de L'Education sentimentale (III, 6) de Flaubert :

    Il voyagea.
    Il connut la mélancolie des paquebots, les froids réveils sous la tente, l’étourdissement des paysages et des ruines, l’amertume des sympathies interrompues.
    Il revint.
    Il fréquenta le monde, et il eut d’autres amours, encore. Mais le souvenir continuel du premier les lui rendait insipides ; et puis la véhémence du désir, la fleur même de la sensation était perdue. Ses ambitions d’esprit avaient également diminué. Des années passèrent ; et il supportait le désœuvrement de son intelligence et l’inertie de son cœur.

  • El castizo y el Quijote

    IMG_20180113_121727_resized_20180113_125351295.jpgPlus j'entends parler de la Catalogne et des Catalans, et plus j'ai envie de lire des choses sur l'Espagne et l'esprit Castillan. Ainsi ai-je repris Don Quijote de la Mancha, les aventures du chevalier à la triste figure, et lu les cinq essais que Miguel de Unamuno écrivit en 1895 sur l'esprit castizo : L'essence de l'Espagne (Gallimard, 1967). Le titre originel est Autour du casticisme. Difficile à comprendre tel quel, d'où le titre français un brin elliptique. Unamuno y est péremptoire, défend la pureté d'une race (casta) et son ambition expansionniste - au moins sur la Péninsule. L'époque nageait dans ce mood. Il convient donc de le lire avec les précautions d'usage et de distance qui s'imposent, et non en critiquant le fond à la lumière du présent (ce que notre époque, de plus en plus idiote,IMG_20180113_121547_resized_20180113_125348942.jpgIMG_20180113_121558_resized_20180113_125352059.jpg fait quotidiennement et sur tout sujet)... Ces essais, un peu lourdingues, au style ampoulé, correspondent à l'esprit bouillonnant du jeune essayiste qui donnera plus tard Le sentiment tragique de la vie, son essai majeur, mûr, philosophiquement plus argumenté, ainsi que de délicieux Contes (dont on peut lire des extraits en folio 2€ sous le titre Des yeux pour voir). Unamuno magnifie sans retenue l'esprit castillan, en le revêtant un peu arbitrairement des atours les plus remarquables de l'âme méditerranéenne en ce qu'elle a d'admirable. Pourquoi pas. Mais cela semble être une vision idéalisée relevant de la projection d'une certaine âme, davantage que d'une âme certaine : belliqueuse et indolente, elle passe de l'emportement à l'impassibilité sans tempérer l'un par l'autre : Telle est l'âme castiza : elle ignore l'héroïsme soutenu et obscur, diffus et patient, du travail véritable. (...) L'âme castillane castiza affirmait avec une égale vigueur son individualité, une en face du monde divers, et cette unité de son être projetée hors d'elle; elle affirmait deux mondes et vivait à la fois dans un réalisme esclave des sens et dans un idéalisme rivé à ses concepts. Obscur, n'est-ce pas?.. Mieux vaut par conséquent replonger dans l'idéal chevaleresque d'un dévoreur de romans aux visions hallucinatoires mais tellement drôles et si lucides à la fois, soit dans les ingénieuses et truculentes aventures de l'hidalgo et de son fidèle Sancho (dans la belle traduction dépoussiérée qu'en a donné au Seuil Aline Schulman), car se battre contre des moulins à vent vaut bien d'autres combats et bien des messes : Ayant comme on le voit, complètement perdu l'esprit, il lui vint la plus étrange pensée que jamais fou ait pu concevoir. Il crut bon et nécessaire, tant pour l'éclat de sa propre renommée que pour le service de sa patrie, de se faire chevalier errant, et d'aller par le monde avec ses armes et son cheval chercher les aventures, comme l'avaient fait avant lui ses modèles, réparant, comme eux, toutes sortes d'injustices, et s'exposant aux hasards et aux dangers, dont il sortirait vainqueur et où il gagnerait une gloire éternelle. Quichotte (1605) est, comme chacun sait, à la fois le mythe fondateur de l'Espagne contemporaine, et l'acte de IMG_20180113_124601_resized_20180113_125350490.jpgCapture d’écran 2018-01-13 à 12.39.10.pngnaissance du roman moderne. Aussi, revenons-nous toujours à Cervantes. Par plaisir autant que par besoin. L.M.

  • Cinq ans déjà

    Capture d’écran 2018-01-09 à 10.56.39.pngCinq ans après sa disparition, Pierre Veilletet c'est, encore et toujours, une oeuvre qui compte : sept livres essentiels à lire, à relire et à faire passer.
    (Cette notule au format chiche qui m''était imposé chaque semaine par cette rédaction, annonce le "Tout Veilletet" que chaque amateur de vraie littérature doit posséder. Précision : le prix Albert-Londres distingue chaque année un grand reportage. Il récompensa celui que P.V.  - qui fit toute sa carrière de journaliste à Sud-Ouest (il fut mon premier rédacteur en chef) -, effectua sur la longue agonie de Franco). L.M.

  • L'ouvrir

    IMG_20180105_153751_resized_20180105_033833185.jpgPar un après-midi de l'été 1980, après avoir cueilli des framboises dans le jardin dacquois des grands-parents de mon amie de l'époque, nous montâmes au grenier pour en vérifier à l'ombre les saveurs dérivées.

    A l'heure des soupirs, je tombai sur ce livre allongé sous un linceul de poussière, et l'emportai - davantage en souvenir de ce moment passé entre les boites à chapeaux et les malles chargées d'histoire, que pour la raison de sa rareté, que j'ignorai encore.

    Plus tard je l'appris, et maintins constamment l'objet à distance du Voyage au bout de la nuit (que d'ailleurs je ne pus jamais lire; pas mon truc, le verbe célinien). Me disant : un jour je verrai bien de quoi il retourne...

    Aujourd'hui, tandis que sa réédition prochaine avec celle des deux autres pamphlets antisémites de Céline pose question, je ne me suis toujours pas résolu à le lire. Pas même à l'ouvrir pour en saisir une seule phrase, car cette idée seule me répugne. Le dégoût.  L.M.

  • Lisez Appelfeld. Tout Appelfeld

    Aharon Appelfeld est mort hier 4 janvier. Hommage.


    Capture d’écran 2018-01-05 à 11.17.16.pngJ'ai plaisir à lire des livres dont on parle peu, qui ne font de bruit que celui des pages que l'on tourne et qui possèdent pourtant des qualités immenses et insoupçonnées du grand public; ce que je regrette. "Et la fureur ne s'est pas encore tue", d'Aharon Appelfeld, par exemple, du grand humaniste hanté par les camps, n'est pas un larmoiement à la Elie Wiesel, mais plutôt un hymne à la fraternité, un éloge de la dignité humaine, qui rapproche Appelfeld de Primo Lévi. L'horreur innommable nous est ici décrite calmement, sans haine, car toujours percent le courage et l'espoir à la surface de l'Enfer. C'est d'un grand message d'humanité et d'humilité qu'il s'agit, avec, au bout d'une interminable errance dans la neige et la forêt -avec la peur du nazi, la faim, le froid, les loups, après une évasion d'un camp, le cadre d'un chateau dans la ville de Naples pour havre, ouvert aux survivants, avant le chemin du Retour, si existent encore pour chacun, et ce chemin et des Lieux. Le bonheur de lecture ne vient pas à l'improviste, avec les livres d'Appelfeld, mais il surgit doucement à la faveur d'une sorte de petit miracle : je pense à l'allégorie de la musique de Bach ou Brahms jouée par un trio, et à la lecture du Livre, qui parviennent à transfigurer les visages des réfugiés. Ainsi reviennent-ils à la vie, s'échappent-ils un instant de l'horreur qui les hante et les hantera tout leur vie... Le narrateur au moignon ajoute alors : Tout ce qui n'est pas compréhensible n'est pas forcément étrange.

    Capture d’écran 2018-01-05 à 11.17.51.pngDans "Le garçon qui voulait dormir", Aharon Appelfeld s'autodécrit à travers les traits du jeune Erwin, 17 ans, recueilli en Palestine (encore sous mandat après la guerre), et qui commence une seconde vie déjà, au moment de bâtir Israël. L'adolescent ne trouve l'apaisement que dans le sommeil. Il semble vouloir oublier, tandis qu'il cultive inconsciemment les souvenirs. En réalité, la fuite inexorable et prégnante dans le sommeil lui permet de retrouver ses parents morts dans les profondeurs de la nuit, lui qui doit aussi désapprendre sa langue maternelle pour apprendre l'hébreu. C'est puissant et tendre à la fois, prodigieusement onirique et tendu, et à la fois accroché au réel. Un livre aussi bouleversant que l'inoubliable "Histoire d'une vie", du même auteur disparu hier, et dont voici deux extraits :

     

    Capture d’écran 2018-01-05 à 11.18.27.png"C'était l'enclos (Keffer) des chiens-loups utilisés pour monter la garde, pour la chasse, et principalement pour les chasses des hommes (...) Un jour arriva un convoi dans lequel se trouvaient des petits enfants. Le commandant du camp ordonna de les déshabiller et de les pousser dans l'enclos. Les enfants furent dévorés aussitôt, apparemment, car nous n'entendîmes pas de cris. Et cela devint une habitude..."

    "Nous avons l'habitude d'entourer les grandes catastrophes de mots afin de nous en protéger. Les premiers mots de ma main furent des appels désespérés pour trouver le silence qui m'avait entouré pendant la guerre et pour le faire revenir vers moi. Avec le même sens que celui des aveugles, j'ai compris que dans ce silence était cachée mon âme et que, si je parvenais à le ressusciter, peut-être que la parole juste me reviendrait".

    L.M.

    C'est à lire en Points (Seuil).

  • Gorgez-vous avec Gorgias

    Capture d’écran 2018-01-03 à 13.22.07.pngC'est l'un des plus beaux dialogues platoniciens. Socrate y est au plus haut de sa forme, pour exprimer l'art de la réthorique, la tempérance, la bienveillance, la justice (et son mal suprême corollaire : celui de n'être pas puni pour l'injustice que l'on commet); la domination des désirs et donc le bonheur (aux accents épicuriens) : Qui veut être heureux doit se vouer à la poursuite de la tempérance et doit la pratiquer...

    Tout Socrate y est résumé, jusqu'à la métaphore de l'épisode de la ciguë. L'art de la politique, le rôle du citoyen dans la Cité, la définition du pilote, la vile incapacité pour un homme à se défendre... Bon, évidemment, Platon sépare l'âme et le corps au moment de la mort, et semble curieusement faire l'éloge de la sophistique au détour d'une tirade à l'adresse de Calllicalès. (N'est pas Spinoza qui veut).

    Gorgias ou la lumière sur les sentiments et les comportements. Le relire, c'est prendre un bain de jouvence, plonger dans un jacuzzi électrique. C'est faire le plein de sourire. L.M.

  • Haro sur les passions tristes

    Capture d’écran 2018-01-03 à 12.57.27.pngL'Ethique, oeuvre de Baruch Spinoza, s'impose de jour en jour comme le livre essentiel. Signe : je le range à côté des Essais de Montaigne et de Socrate pêle-mêle (les dialogues divers de Platon). Gilles Deleuze, dont le Spinoza Philosophie pratique (Minuit) constitue, à mes yeux, un complément d'objet direct précieux de cette oeuvre, résume clairement la question des passions tristes, qui polluent la vie de l'être humain, quelle que soit sa confession, ou obédiance, soumission, adhésion... Depuis la naissance du premier monothéisme. Depuis l'invention du Politique. Depuis que le pouvoir existe. Depuis trop longtemps...

    Quid de la méthode géométrique selon Spinoza  : la satire, écrit le génial philosophe de la joie, du désir et de la puissance d'exister, c'est tout ce qui prend plaisir à l'impuissance et à la peine des hommes, tout ce qui exprime le mépris et la moquerie, tout ce qui se nourrit d'accusations, de malveillances, de dépréciations, d'interprétations basses, tout ce qui brise les âmes (le tyran a besoin d'âmes brisées, comme les âmes brisées, d'un tyran).

    Car Spinoza, souligne Deleuze, ne cesse de dénoncer dans toute son oeuvre trois sortes de personnages : l'homme aux passions tristes; l'homme qui exploite ces passions tristes, qui a besoin d'elles pour asseoir son pouvoir; enfin, l'homme qui s'attriste sur la condition humaine et les passions de l'homme en général. L'esclave, le tyran et le prêtre...

    Traité théologico-politique (car, en effet, il n'y a pas que L'Ethique dans l'oeuvre de S.), préface, extrait : Le grand secret du régime monarchique et son intérêt profond consistent à tromper les hommes, en travestissant du nom de religion la crainte dont on veut les tenir en bride; de sorte qu'ils combattent pour leur servitude comme s'il s'agissait de leur salut.

    Deleuze : Le tyran a besoin de la tristesse des âmes pour réussir, tout comme les âmes tristes ont besoin d'un tyran pour subvenir et propager. Ce qui les unit, de toute manière, c'est la haine de la vie, le ressentiment contre la vie.

    Au rang des passions tristes, Spinoza compte - énumère, même, dans cet ordre : la  tristesse, la haine, l'aversion, la moquerie, la crainte, le désespoir, le morsus conscientae, la pitié, l'indignation, l'envie, l'humilité, le repentir, l'abjection, la honte, le regret, la colère, la vengeance, la cruauté. (Ethique, III).

    Spinoza oppose à cela la vraie cité, qui propose au citoyen l'amour de la liberté plutôt que l'espoir des récompenses ou même la sécurité des biens. Car, c'est aux esclaves, non aux hommes libres, qu'on donne des récompenses pour leur bonne conduite.

    Donc, foin des passions tristes! Car, en écoutant Spinoza, et Nietzsche après lui (et les éclairages qu'en a donné Deleuze), il convient de dénoncer toutes ces falsifications de la vie, toutes ces valeurs au nom desquelles nous déprécions la vie : nous ne vivons pas, nous ne menons qu'un semblant de vie, nous ne songeons qu'à éviter de mourir, et toute notre vie est un culte de la mort...

    L.M.

    Note que je rédigeai il y a neuf ans sur ce blog, et sur laquelle je retombai à l'instant. 

     

  • sédimenter

    IMG_20180103_121144_resized_20180103_121423846.jpgJeune, je demandais aux êtres plus qu'ils ne pouvaient donner : une amitié continuelle, une émotion permanente. Je sais leur demander maintenant moins qu'ils peuvent donner : une compagnie sans phrases. Et leurs émotions, leur amitié, leurs gestes nobles gardent à mes yeux leur valeur entière de miracle : un entier effet de la grâce.

    Albert Camus, Le premier homme

  • Gracq, dix ans après

    Capture d’écran 2017-12-21 à 20.42.40.pngParis, 22 décembre 2007. Nous prenons la route pour Bayonne avec les enfants afin d'aller passer Noël en famille lorsque C., que nous venons juste de quitter, m’apprend la nouvelle d’un coup de téléphone bref, comme si elle annonçait la disparition d’un proche. Un flash radio et puis voilà. Julien Gracq vient de mourir.

    Parvenus sur l'autoroute, je téléphone à mon ami Benoît Lasserre, grand reporter à Sud-Ouest, ainsi qu’à mon pote Didier Pourquery, qui dirige alors la rédaction de Libération tout en prévenant ma fille et mon fils : le voyage va être particulier. J’ai besoin de m’exprimer d’urgence. Un tic de journaliste. Et de lecteur « partisan », disait-il lorsque j’évoquais ses livres…

    Je dicte le texte pour Sud-Ouest à ma fille qui le saisit sur un petit ordinateur tandis que je conduis sur l’A10. Tu as intérêt à te presser mon vieux, il me faut ton papier avant 16h si tu veux qu'il paraisse demain, avait prévenu Benoît. Par chance, une station-service d’autoroute accueillît une clé USB et procéda à l'envoi d'un e-mail. Je donnais un texte plus long à Libé après Noël depuis un hôtel de Fontarrabie, qui parut aux premiers jours de janvier.

    Ce besoin de rendre hommage. Julien Gracq n’était plus. Je pensais égoïstement : fini ses livres à venir (*), adieu lettres, visites à Saint-Florent-le-Vieil, agapes à La Gabelle, tout ça.

    Dix ans après, ce 22 décembre 2017, je me souviens d'un Gracq serein face à l’idée de la mort : Je suis en surnuméraire, disait-il en évoquant ses pairs. D’aucuns me pensent déjà mort depuis longtemps, lancait-il avec une espièglerie qui dissimulait mal une peine légère, en dentelle. Je quitterai ce monde sans regret (tant je ne m'y reconnais plus)assénait-il.

    Je pense à la radicalité de ses nuances, au non qui ouvrait chacune de ses phrases, aux silences, à la Loire juste devant le salon où il recevait les groupies dont j’étais, je le relis au hasard, ayant un « commerce » (au sens où Montaigne emploie ce mot) avec les volumes usés de son oeuvre, qui sont devenus des potes, un chien que l’on caresse négligemment en regardant le feu; des compagnons nourrissants.

    Un écrivain ne meurt que lorsque nous l’avons oublié. Aucun risque avec un tel monument. Je me réjouis de savoir que 5 000 Rivage des Syrtes sortent des presses chaque année (il m’avait fièrement donné le chiffre). Sans parler des vingt autres titres. Le cercle des initiés s’agrandit. Gracq est devenu un classique. 

    Je donnais une conférence à son sujet le 7 novembre dernier à l’Institut français de la mode, sollicité par l'ami Lucas Delattre, et que France Culture diffusa le lendemain. Il y avait là un parterre d’étudiants attentifs (quatre à peine sur une cinquantaine avaient entendu parler de l'auteur du Beau ténébreux), voire pressés d’en découdre avec son oeuvre, puisqu'ils commandaient les ouvrages sur Internet avant la fin de l'intervention.

    Cela fait du bien de savoir que le mélancolique aspirant Grange, la sensuelle et féline Mona, l'austère et altier Aldo, la mystérieuse et envoûtante Vanessa, la poésie en prose droite d'une Sieste en Flandre hollandaise, le cours capricieux et digitalisant des Eaux étroites, les fragments buissonniers mais précis qui irriguent les Carnets du grand chemin, les essais salutaires, secs, rigoureux de En lisant en écrivant rencontrent de nouveaux lecteurs, soit des passeurs en puissance.

    Passer, faire passer. Rien ne compte davantage. C’est à la belle santé de ces nouveaux passeurs que je pense d'abord, ce matin.

    L.M.

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    (*) Depuis, sont parus Manuscrits de guerre et Les Terres du couchant (Corti).

  • Anglet, les signatures du week-end

    Signatures à Anglet le week-end prochain :


    Vendredi 15 à partir de 16h au Carrefour BAB2;
    Samedi 16 à partir de 11H : conférence-signature à la bibliothèque Quintaou;
    Samedi 16, de 15h à 17h, au Centre Leclerc;
    Dimanche 17 à partir de 9h30, à la librairie-maison de la presse des Cinq Cantons.


    Lire ci-dessous : l'interview donnée à Nathalie Gomez pour Anglet Magazine, qui paraît.

     

    Capture d’écran 2017-12-12 à 11.45.32.pngCapture d’écran 2017-12-12 à 11.43.34.pngCapture d’écran 2017-12-12 à 11.29.15.pngCapture d’écran 2017-12-12 à 11.44.08.pngCapture d’écran 2017-12-12 à 11.45.05.png

  • La Nostalgie de l'honneur

    Le courage (Athos), le panache (Cyrano), l’honneur (les Résistants), l’humilité (notre héritage judéo-chrétien). Quatre raisons  - il y en a d’autres -, de lire « La Nostalgie de l’honneur », de Jean-René Van der Plaetsen (Grasset), prix Interallié 2017.

    Voici un entretien avec l'auteur paru dans Le Figaro :  La Nostalgie de l'honneur


    Capture d’écran 2017-11-23 à 19.17.47.png

  • Six bordeaux rouges de talent

     

    IMG_20171120_163159_resized_20171122_030555964.jpgUn bordeaux supérieur, château La Verrière à Landerrouat (85% merlot,15% cabernet-sauvignon), stupéfiant de concentration et de vérité - loin de ces centaines de bordeaux buvardeux, rêches, austères mais sans classe -, s’ouvre à nous ( : trois amateurs). Le viticulteur se nomme Alain Bessette et son œnologue Jean-Louis Vinolo. Les vignes sont en conduite raisonnée. Le flacon ne coûte pas 6€, c'est donc une superbe affaire : c’est élégant et vigoureux, souple et riche, dense et fruité à souhait, pur et propre, avons-nous envie d’ajouter. 

    Il fait partie des six nouveaux Bordeaux et Bordeaux Supérieur rouges « de talent », sélectionnés récemment dans le millésime 2015, au cours d’une dégustation à l’aveugle d’une centaine de flacons. Et c'est notre chouchou...

    Le second, la cuvée Fougue (100% merlot, 7,50€) du châteauIMG_20171122_134344_resized_20171122_024219169.jpg Saincrit porte bien son nom. L’énergie d’un étalon au galop donne rendez-vous à une douceur en finale –souplesse, suavité et puissance retenue -, qui signent l’esprit de dompteur de sa viticultrice, Florence Prud’homme. Passionnée de cheval, elle a placé une licorne pour blason de son domaine, sis à Saint-André-de-Cubzac. Détail d’importance : aéré longuement, le vin s’ouvre avec bénéfice comme les cuisses d’une jument d’avril.

    IMG_20171122_134352_resized_20171122_024221093.jpgLe troisième lauréat, château Les Reuilles, cuvée Héritage AL (60% merlot, 40% cabernet-sauvignon, 9€), élaboré par l’équipe de Patrick Todesco, qui siège à Savignac-de-Duras dans le Lot-et-Garonne (aux confins de l’Entre-Deux-Mers et de Saint-Emilion) – le vignoble est situé dans l’aire de l’appellation Bordeaux Sainte-Foy -, offre un nez de fruits noirs mûrs et de violette, assez caractéristique. Cette cuvée haut de gamme du domaine est le fruit d’une sélection qui jouit d’un élevage d’un an en barriques partiellement neuves. C’est opulent, concentré sans être embarrassant, car fluide et jamais lourd. Une réussite, là aussi.

    Château Barreyre, géré par Claude Gaudin (Vitigestion), exprime ceIMG_20171122_134402_resized_20171122_024219942.jpg qu’il peut et pour moins de 10€ cependant. Soit une belle expression, honorable mais guère davantage, d’un pourcentage correctement conduit de 70% merlot - 30% cabernet-sauvignon, élevage sous bois une année durant (1/4 de fûts neufs), mais dont le résultat est on ne peut plus académique, bordelais mais moyen, tannique ce qu’il faut, fruité ce qu’il convient. Zéro surprise (mûre, cassis correctement dosés, soyeux de série œcuménique, élégance pile au rendez-vous mais sans entrain – vous saisissez ?.. ). Un « bordeaux supérieur » comme il s’en trouve près de mille, ou à peine moins.

    IMG_20171122_134312_resized_20171122_024219561.jpg« Au suivant », me souffle Jacques Brel : le château Pierrail (90% merlot, 10% cabernet franc - ? - 12€), est d’une austérité étrange, qui n’a rien de monacal ni de militaire, mais qui fait sérieux. C’est Erich Von Stroheim sans son col amidonné, de Boïeldieu sans ses jambières, le désert sans les Tartares, les Syrtes sans Amirauté. Il manque quelque chose à ces merlots pourtant habiles à séduire le nez, mais impuissants à garder en bouche ce « tssa », cette indéfinissable saveur qui persiste à retenir, coûte que coûte, notre présence redoutable, soit en avant-poste. Néanmoins, Pierrail parle, ou plutôt chuchote. Il possède une certaine classe qui ne se détecte pas à la première gorgée. C’est là son mérite.

    Le château Landereau, cuvée Prestige, enfin, qui appartient aux vignobles Bruno Baylet àIMG_20171122_134435_resized_20171122_024220302.jpg Sadirac, est un pur merlot vieilli en fûts neufs 18 mois durant, qui titre 14,5° d’alcool (la Terre se réchauffe, n’est-ce pas ?), mais qui ne fleure pas la « tisane de bois », ni les éthers, ces saveurs alcooleuses et peu racoleuses qui flirtent parfois avec des arômes de térébenthine. Rien de tout cela dans un verre de Landereau prestigieux (13€). En revanche, son sérieux rebute un peu. C’est certes capiteux, riche, mais peut-être trop, et je ne vois qu’une daube de sanglier ou bien une côte de bœuf bien maturée pour le calmer en l’épaulant. Question d’accords. Ce n’est donc pas un vin d’apéro. Ni de tafiole. Et c’est ainsi que, kaléidoscopique, Bordeaux est grande. L.M.

  • Le Désert des Tartares, le film

    Capture d’écran 2017-11-22 à 02.15.16.pngCapture d’écran 2017-11-22 à 02.16.13.png

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     Le Désert des Tartares, de Dino Buzzati, adapté au cinéma en 1976 par Valerio Zurlini, avec une distribution mirifique : Fernando Rey, Vittorio Gassman, Max Von Sydow, Philippe Noiret, Jean-Louis Trintignant, Laurent Terzieff, Giuliano Gemma, Francisco Rabal, Helmut Griem... Et un jeune Jacques Perrin impérial, est de ces films, à l’instar de La 317ème Section ou du Crabe-Tambour, pour ne citer que deux opus signés Pierre Schoendoerffer avec Jacques Perrin et d’immenses Bruno Cremer, Jean Rochefort, Jacques Dufilho pour escorte, qui laissent des traces dans notre mémoire. Celle-ci est faite de vertu (virtus), d’honneur, de dignité, de parole donnée, de fidélité, de respect, de courage enfin. Le Rivage des Syrtes de Julien Gracq plane sur ce Désert, et le lieutenant Drogo ressemble tellement à Aldo que parfois nous les confondons dans une lecture croisée ou plutôt mêlée agréablement, sans dissociation excessive.

    Un tressaillement de coque

    Nous trouvons, en prêtant l’oreille et l’attention, un même vrombissement ourdi, une marée montante, un bourdonnement, un « tressaillement de coque ». Au lieu de citer Buzzati, je choisis de citer l’humilité de Gracq à propos de son propre Rivage, roman frère (*) du Désert : « J’aurais voulu qu’il ait la majesté paresseuse du premier grondement lointain de l’orage, qui n’a aucun besoin de hausser le ton pour s’imposer, préparé qu’il est par une longue torpeur imperçue » (En lisant en écrivant). J’ai revu le film adapté du Désert, ce mardi soir, et j’en garde derechef le sentiment suranné d’une morale perdue, d’un art d’être, d’un comportement fraternel entre tous admirable ; profondément humain, en somme, là, sur cet « excipient inerte », comme Gracq qualifiait le matériau géographique de son Rivage. Et cet « imperçu » volontaire est magnifié par Valerio Zurlini ainsi que par les puissantes jumelles de la Capitainerie,Capture d’écran 2017-11-22 à 02.12.28.png brandies entre les créneaux du Fort Bastiani, siège d'un roman de l'attente (d'un ennemi)... Ce qui se raréfie possède un prix, et ce livre ainsi que ce film fidèle au texte de Buzzati, en sont l’inestimable preuve. Il s’agit là d’un septième art révolu, eu égard à l’indigence de la production ambiante, laquelle ne serait presque rien sans son Botox technologique. Faites donc passer. L.M.

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    (*) J'évoquerai ultérieurement la tout aussi évidente fraternité du Rivage et du Désert avec Sur les falaises de marbre, d'Ernst Jünger.

  • Le Prix In Extremis

    Capture d’écran 2017-11-15 à 16.11.51.pngIl y a des prix littéraires qui prennent le goût de l'extrême onction. La grande anthropologue Françoise Héritier, décédée ce matin, jour de ses 84 ans (*), auteur d'un délicieux et si personnel  Le sel de la vie, en marge de ses livres majeurs, avait reçu le 8, soit il y a une semaine, un prix spécial du jury Femina pour l'ensemble de son oeuvre. Aura-t-elle eu le temps d'en savourer le funeste artifice?..

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    Bravo, au passage, au talentueux Jean-Luc Coatalem, qui a décroché le Femina essai (pour lequel Héritier concourrait), avec son hommage prenant à Victor Segalen : Mes pas vont ailleurs (Stock).

    L.M.

    (*) La dernière fois que je l'ai croisée, lors d'un salon littéraire il y a un an environ, elle se déplaçait sur un fauteuil roulant et ses cervicales avaient de la peine à maintenir sa tête droite.

  • La Guerre à neuf ans

    Capture d’écran 2017-11-15 à 15.35.33.pngReprendre ce livre-là de Pascal Jardin et se délecter de ses images, de ses traits et de ses portraits. Extraits au hasard :

    L'enfance c'est le point d'eau. On y revient toujours.

    La vie a tapé sur moi comme sur un tambour...

    ... la marée qui monte à la vitesse d'un cheval au galop dans la Baie du Mont Saint-Michel...

    La torpédo est une Ford noire, trapue, décapotable, à malle arrière spider. Ses larges marchepieds, ses phares comme des marmites à confiture et ses roues à rayons lui donnent fière allure. (...) ... le chemin ravaudé avec du mâchefer craque comme des pommes chips sous les roues de la torpédo. 

    L'Angleterre : une monarchie, un brouillard, une île immense flottant au milieu d'une mer de thé.

    Alain Delon : son magnétisme animal le dispute à sa ruse d'aventurier aguerri. (...) Il promène sur le monde un regard d'acier où semblent briller des larmes venues de la petite enfance.

    Yves Salgues (qui fut journaliste à Jours de France) : Débordant de vitriol, il trempait par devoir alimentaire sa plume dans le miel, racontant avec flamme et circonspection les grossesses des reines, les mariages de Bardot. C'était Céline à la Semaine de Suzette. Sa pensée est zébrée et ses phrases chantantes prennent naturellement la forme des alexandrins. Son esprit chimérique baigne dans un cocktail de vapeurs indéfinissables, aussi la moindre de ses explications est-elle touffue et luxuriante comme la forêt amazonienne.

    Pierre Fresnay : ce soir-là j'ai vu en chair et en os le capitaine de Boïeldieu avec ses bandes molletières, son air modeste et noble. (...) Il n'était pas accompagné d'Eric Von Stroheim mais de sa femme, Yvonne Printemps. Elle était belle, comme on peut l'être avec un corps d'éphèbe, une taille élancée, une cascade de cheveux d'or, un esprit pointu, un nez retroussé d'une drôlerie extrême et puis sa voix avec des inflexions incomparables, comme des sourires. Tout de suite, je les ai aimés, tous les deux. Ils appartenaient et appartiennent encore à la race des impossibles. Lui était solide comme une digue, sur laquelle venaient se briser inlassablement les colères fantasques de sa femme.

    Jean Anouilh : Trente ans après (leur première rencontre) le génie n'avait toujours pas pris chez lui le visage de Mozart. Une consternation universelle et aiguë s'étalait sur sa figure de clerc de notaire et, derrière ses lunettes rondes, brillaient deux yeux terribles qui ne semblaient voir qu'en lui-même.

    Jean Gabin : ... Non, ça suffit! Allez-y voir vous même. C'est disponible dans Les Cahiers Rouges (Grasset). Moi, je continue de le lire... L.M.

     

     

  • El Cid


    Capture d’écran 2017-11-14 à 10.58.20.pngUn lépreux : Merci Seigneur El Cid.


    Rodrigue : Tu sais donc comment on m’appelle. 

     

    Le lépreux : Il n’y à qu’un seul homme en Espagne qui puisse humilier un Roi et faire boire un lépreux à son outre.

     

  • Tout Perros

    Une bonne nouvelle arrive ce matin : les oeuvres complètes de Georges Perros sont réunies en un seul volume (Quarto/Gallimard, 1600 pages). Nous relirons ses Papiers collés avec une ferveur intacte. Perros, c'est un peu comme Desproges : il manque.

    Capture d’écran 2017-11-14 à 09.39.58.png

  • Un dimanche à Anglet

    Capture d’écran 2017-10-23 à 09.23.17.pngSignature enjouée hier matin aux Cinq Cantons, avec  Sébastien et Régis. Pas mal d'amis passaient acheter Sud-Ouest Dimanche - et puis pas que!.. 40 exemplaires signés, casse-croûte au jambon truffé et côtes-du-rhône. Et puis, à ma querencia, la Petite Chambre d'Amour, ces lumières divines au couchant...

    cesoir.jpgchambre.jpg 

  • Anglet à 6 mains et 6 yeux

    Enchainement des signatures de notre livre ANGLET (Passiflore) avec les talentueux photographes Sébastien Carnet et Régis Guichenducq. Ici, à la FNAC de Bayonne, cet après-midi. Plus de 100 exemplaires signés depuis hierCapture d’écran 2017-10-21 à 23.03.53.png soir (à la Mairie d'Anglet, surtout, pour la sortie officielle). On remet le couvert demain matin à 9h30 aux Cinq Cantons. Qu'on se le dise au fond des bois...

     
  • Lisez Des âmes simples

    Capture d’écran 2017-10-19 à 07.43.27.pngQue ceux qui n'ont pas encore lu Des âmes simples, de Pierre Adrian, publié aux Equateurs par l'ami Olivier Frébourg, saisissent l'occasion de le faire, avec l'attribution - hier -, du (très enviable) Prix Roger-Nimier à ce jeune auteur de 26 ans, pour son splendide récit (davantage que roman), d'une austérité et d'une vérité stupéfiantes. L'univers de frère Pierre, curé dévoué en vallée d'Aspe, conscience de tant d'âmes qu'il aide à être, l'atmosphère de l'abbaye de Sarrance, le quotidien des habitants désoeuvrés, aux "vies minuscules" (écrirait Pierre Michon), vivotant dans des villages oubliés, la beauté de la nature, la force du silence, la foi, l'écoute... L'humanité enfin, qui se dégage  de ce texte écrit dans un style épuré et d'une hiératique sobriété, force le respect. Un grand livre, que j'ai déjà pas mal offert, d'ailleurs. Faites passer! L.M.

     
  • Bouffée d'air pessimiste

    Capture d’écran 2017-10-18 à 18.38.58.pngLe nouveau livre de Boualem Sansal est une conversation avec Boris Cyrulnik animée par José Lenzini, lequel pilote la collection Méditerranées aux éditions de l'aube, où ce petit livre est publié. Son titre annonce la couleur sombre de la réflexion : L'impossible paix en Méditerranée. Il est question d'islamisme bien sûr, donc de terrorisme mondial, de volonté de conquête du monde par la violence, de l'inextricable conflit israélo-palestinien, de l'échec des printemps arabes qui ont chassé des dictatures mais ont réislamisé durablement des pays entiers, des collusions entre l'extrême droite et l'extrême gauche européennes et de leur sympathie inavouée pour l'islamisme le plus virulent, d'une certaine déconstruction de l'espace méditerranéen à force d'implosions et d'explosions imminentes, du gouvernement d'une bande de grands coquins qui tiennent la planète (Assad, Poutine, Trump, Jinping...), de la mainmise de l'ONU et de l'UNESCO par des pays arabes assez peu soucieux des droits de l'homme (on ne parle même pas de ceux de la femme), de l'empathie intellectuelle évidente, voire de la correspondance entre Sansal et Camus, de la suite terriblement logique : réparation, repentance, vengeance, comme conséquence à la décolonisation, des similitudes troublantes entre nazisme et islamisme, de la permanence de la haine, de l'impossible paix (Cyrulnik souligne que seulement dix pays ne sont actuellement pas en guerre dans le monde, aujourd'hui), d'un nouvel antisémitisme qui ne dit pas son nom mais qui avance ici et là, des tristes constats selon lesquels, d'une part les hommes se font la guerre pour des croyances, et d'autre part la violence est le ciment des peuples, du vaste danger de la nahda (renaissance) qui appelle tous les musulmans à l'éveil et à la mobilisation, et encore des tentatives d'apaisement modestes - la part du colibri à l'incendie de la forêt amazonienne -, comme le Rassemblement mondial des écrivains pour la paix, dont Boualem Sansal est l'un des principaux initiateurs... J'ai lu ce dialogue hier soir, et j'en suis ressorti galvanisé, mais à l'envers. Il s'agit cependant d'un constat froid, réaliste hélas, pas d'un discours alarmiste ou mortifère, ou forçant le trait noir sur le monde tel qu'il va mal. Très mal... L.M.

  • Blandine a encore frappé

    Capture d’écran 2017-10-18 à 14.26.57.pngElle récidive, l'experte en couenneries, avec sa plume gourmande, saupoudrée de traits   à l'humour vif de son complice Patrick de Mari. A eux deux, ils animent le site gretagarbure Mais là, c'est Blandine Vié, auteur de tant de livres de cuisine ayant trait aux testicules, à la morue, à la cuisine aphrodisiaque...  Qui mène la danse des canards gras. En ces temps light et veganisés de buveurs d'eau à la grise mine, soit en ces temps tristes à mourir de soif ou de faim de xingar, l'auteur publie 99+1 (bonnes) raisons de manger du gras (Artémis, 7,90€).  Ce petit bouquin est un éloge lipide au beurre et à la graisse, une ode à l'huile et au saindoux , une apologie de la ventrèche et du colonnata, et c'est joliment bardé, ficelé et troussé d'une maquette pimpante. Les amateurs de lard contemporain apprécieront la mini anthologie littéraire qui s'est glissée entre deux tranches pages, et où Voltaire et Zola côtoient Audiard et Manchette. Dans ce florilège qui double sans coup férir les cinquante nuances de gras, la sensualité a la frite, puisqu'il faut frotter son lardCapture d’écran 2017-10-18 à 14.27.07.png contre le sien, nous rappelle Rabelais. Tous les lipophiles décomplexés liront par conséquent avec délice ce livre léger et sans recettes, cette fête des mots et de la liberté d'aimer dévorer ce que la morale réprouve. Noël aux dindons, Pâques aux jambons, clame un proverbe gretagarburien. On approuve! L'art, le vrai, n'est pas en reste, puisque les peintres préférés de l'auteur sont, évidemment, Eugène Boudin et Francis Bacon... Achetez ce bouquin tordant, et lisez-le à haute voix à votre voisin(e) de matelas, un dimanche de grasse matinée avec des croissants beurre plein le plateau. L.M.

  • A déguster jusqu’à la... lit

    Capture d’écran 2017-10-13 à 11.41.47.pngNous connaissions le château La Levrette, superbe bordeaux (rouge et blanc) élaboré dans le triangle d’or du Blayais par Laetitia Mauriac, et que j’évoque dans mon « Dictionnaire chic du vin » (lire plus bas les pages 213-214). Voici le chardonnay En Levrette, cuvée du domaine des Marnes Blanches, dans le Jura. Blanc ouillé, bio, élaboré par Géraud et Pauline Fromont sur un terroir à calcaires gryphées, son étiquette est sans équivoque.Capture d’écran 2017-10-13 à 10.26.49.pngCapture d’écran 2017-10-13 à 10.27.20.png Dans les deux cas, l’allusion originelle est claire, mais elle diverge (et dix verges, c’est beaucoup, me souffle Pierre Desproges) : d’un côté, la référence à une race de lévrier italien ainsi qu’à la femelle du lévrier commun figure, silhouettée, la queue glissée entre les pattes de derrière, sur l’étiquette du vin de Laetitia Mauriac. Celle aux lièvres qui bouquinent (se reproduisent) à la saison des amours, sur la parcelle où le chardonnay pousse, est signalée – non sans malice -, sur la contre-étiquette du vin des époux Fromont. Cependant, la seconde référence est un poil abusive, car, si le lièvre mâle se dit aussi bouquin – d’où le mot bouquinage, éloigné de toute lecture, fut-elle licencieuse (on le nomme aussi capucin, oreillard, rouquin…), et eu égard à l'activité à laquelle se livre alors le... léporidé, la femelle du lièvre se nomme hase, comme celle du lapin, lapine… Mais pas levrette. Qu’importe, après tout ! Le chardonnay enjoué du Jura y va d’ailleurs franco, et anticipe nos traits d’esprit. La rédaction a tout prévu (agrandissez la photo) : ce vin, subtil étreinte d'un terroir (...) sera le partenaire idéal de vos acrobaties gourmandes (...) En Levrette vous mettra à genoux… J’ai découvert par hasard son existence sur Internet, ce matin. Je ne l’ai donc pas encore eu en mains, ni goûté ci-devant (par derrière). Ce qui ne saurait tarder, au moins pour m’initier à une gymnastique – strictement œnologique -, consistant à associer lever de coude et génuflexion : Et hop, et hop… L.M.

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    Capture d’écran 2017-10-13 à 12.03.51.pngCapture d’écran 2017-10-13 à 12.04.21.png

     

    Notons qu’il existe par ailleurs une bière artisanale nommée Levrette (goûtée en aout dernier dans les Cévennes), qui elle aussi, ne se prive pas d’allusions grivoises sur son habillage, puisque sur le col de la bouteille, nous pouvons lire (voir ci-contre) : Une petite Levrette entre amis, puis, plus bas, Bière blonde de position... A vos marques !

     

     

     

     

     

    Capture d’écran 2017-10-13 à 12.21.42.pngCapture d’écran 2017-10-13 à 12.21.55.png

  • L’apprentissage de la sagesse pour 3,50€, c’est cadeau, les djeun’s !

    IMG_20171012_110659_resized_20171012_110722476.jpgNous l’avons déjà écrit ici, mais nous remettons le couvert avec enthousiasme : la collection folio sagesses (3,50€ chaque volume) est une aubaine. Une centaine de pagesIMG_20171012_111004_resized_20171012_111025310.jpg de Cicéron, de Cioran, de Saint-Augustin, de Simone Weil (pour citer les dernières parutions), ou bien d’Epictète, Voltaire, Marc-Aurèle,
    Montaigne, La Rochefoucauld, Gandhi, La Bruyère, Sénèque, Alain, Machiavel, Thoreau… Et à ce prix-là, ce sont des vitamines de bonheur, un feu d'artifice philosophique. Faites passer ! Mieux : « abandonnez » ces ouvrages, une fois lus, sur un banc public, une banquette de train. Avec un peu de chance, ils continueront de vivre en propageant leur sage parole. L.M.

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    Collection folio sagesses, 3,50€

  • Le Crabe-Tambour

    L’escorteur d’escadre « Jauréguiberry » (du nom – d’ailleurs - d’un quai de bord de Nive à Bayonne, bordé de restaurants accortes). Mr Lucifer dans le rôle du chat (noir et docile). Dufilho, Rich, Perrin, Rochefort donc, ce soir. L’apparition divine et diaphane d’Aurore Clément. Revu pour la 4ème fois, Le Crabe-Tambour, en hommage double ou triple. En hommage. A Schoendoerffer d’abord. Aux suivants après. A commencer par l’immense JR. Un très grand film, un excellent livre. Un état d’esprit inaltérable. LM

    Capture d’écran 2017-10-10 à 21.23.31.pngCapture d’écran 2017-10-10 à 21.46.20.pngCapture d’écran 2017-10-10 à 22.52.27.png

     
  • Sortie du livre ANGLET

    Bon, je m'y prends un peu à l'avance : A l'attention de tous ceux qui seront dans les parages - Bienvenue! Afin de partager un verre, deux mots, trois rires, et repartir avec un livre signé à trois mains.
    J'ajoute que, outre cette présentation le jour même de la sortie du bouquin, il y a trois autres signatures au cours du week-end :
    - le samedi 21 octobre de 11h à 12h30 à la librairie Darrigade à Biarritz ;
    - le samedi 21 octobre à 15h à la FNAC d’Anglet ;
    - le dimanche 22 octobre à 9h30 à la Maison de la Presse des 5 cantons d’Anglet.

     

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  • Ciao Didier...

    Didier Sorbé, photographe pyrénéiste de grand talent, a été retrouvé sans vie hier matin, à genoux, appareil photo en mains, en Vallée d'Ossau, près du lac de Moundelhs. Pensées pour Hélène, sa femme. L.M.

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  • Relire Ellul, bien sûr, mais également le "City of Benares"

    J'avais participé à la réédition des Contes du subtil et délicat Jean de La Ville de Mirmont, à la demande de Jean Curutchet, pour ses jeunes éditions (Harriet). Ah, Le City of Benares...
     
    Je corrige une faute qui me fit enrager, lors de la publication de ce recueil, en 1987 (putain, 30 ans déjà!), c'est le mot espoirs qu'il convient de remplacer par celui de départs...
     

     

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  • L'élève Gilles

    Le bonheur de relire cette sorte de Grand Meaulnes bordelais, qui s'était perdu parmi mes étagères (il avait fui par l'arrière, comme parfois les livres font - et puis, pfuit, on les oublie puisqu'on ne les voit plus). Avec "La Maison au bord du Fleuve", de son amour Jeanne Alleman (Jean Balde), "L'élève Gilles" figure un diptyque. Ce sont deux fleurons entre quinze ou vingt de cette génération perdue si bien décrite par Michel Suffran, et à laquelle nous joignons immédiatement le délicat Jean de La Ville de Mirmont, et quelques autres méconnus comme Emile Despax ou André Lamandé. Et à la marge de laquelle se tenait François Mauriac, préfacier amoureux et vigilant; le gardien du temple...IMG_20170923_151408_resized_20170926_024718815.jpg

  • des boires

    Ci-dessous, ma récente chronique publiée par FLAIR Play magazine (du rugby et pas que !..).

    J'y ajoute que "Le nez dans l'herbe" est également un livre d'entretiens avec Jean Carrière, comme celui-ci en fit avec Jean Giono, et Julien Gracq. Relire d'urgence, de l'immense Carrière, "L'Epervier de Maheux", et tous les autres, rangés par là, mais pas oubliés. La littérature âpre, nécessaire, vraie, rude et de pleine nature, c'est lui. La seule, en somme, à laquelle nous acceptons de nous unir.

    J'aime, par Léon Mazzella, FLAIR Play magazine : 

    L’ineffable

    C’est une pièce plus mince qu’un After Eight, mais ça envoie du menthol pour un moment. C’est une hostie théâtrale, une victime qui fond bien sous la langue, il suffit de fermer les yeux. Et sa teneur est d’une densité épaisse. « Pour un oui ou pour un non », de Nathalie Sarraute, c’est comac. Son pitch tient en deux phrases. Il est question d’amitié. D’un mot de trop, prononcé – par l’un, à l’autre -, avec une once de mépris et de jalousie mêlés : « C’est bien, ça… ». Genre drop de la dernière seconde. Tout tourne autour de ces trois mots, qui mettent à bas des années d’amitié. Le talent de Sarraute, avec une économie de mots janséniste, fait le reste. Soit « le job ». J’aime.

     

    Épaule

    Je ne pense pas à l’agneau pascal. Ni aux épaules de Pascal Ondarts. Je suis tenté de penser à celles d’une femme aimée, ainsi qu’à la mienne, sur laquelle elle pourra toujours s’appuyer sans avoir à le demander. Non. Là, je pense à celle de Julien Gracq, un matin de janvier 1999 à Saint-Florent-le-Vieil. Le 30. J’avais osé lui donner à signer les deux Pléiades de son œuvre, en groupie : j’étais devant Johnny. Ou plutôt derrière lui. Debout, par dessus son épaule droite, et sa main hésitait, sur la page de garde du premier volume. Il me demanda alors de m’éloigner afin de pouvoir écrire. Je fus couvert de honte. Ce n’était pas Johnny, mais Julien. Ainsi, le second volume comporte-t-il une phrase merveilleuse, tandis que le premier est orné d’une dédicace moins sentie. Mal épaulée. J’aime.

     

    Kiefer

    La matière est boueuse comme un stade de la campagne basque intérieure un dimanche d’hiver. L’ouvrage en impose, il est long, large, prenant  - des tripes aux cheveux -, et c’est vertical comme la Justice est raide. Sentiment qu’Anselm cramponne, strie, rugit en y allant franco. Ca malaxe, ça épaissit, s’épaissit, plisse, fourrage, goudronne, enterre, amasse, engouffre, larde, ça truelle, métallise, s’ensuque, empègue, brunit. Chaque toile, immense, sublime, d’Anselm Kiefer est une élégie métaphysique, un poème d’amour et de mort, un match. Une pelea. Sans cesse remis sur le billot comme on se déleste de la carcasse d’un demi-bœuf. Épaulé-jeté. Associé à Rodin jusqu’au 22 octobre au musée éponyme, il y a combat, là, mais entendu. Une lutte de titans qui s’aiment et ne nous ont pas attendus pour s’épouser debout. J’aime.

     

    Morsure

    Rien à voir avec les regards plantés dans l’autre, en face, sous la mêlée. Quoique. Le mot est de Giuseppe Antonio Borgese, et c’est l’incipit* d’une nouvelle intitulée La Syracusaine, extraite du recueil Les Belles : « … et s’il pleut, elles préfèrent rentrer à la maison avec l’ourlet de leur robe maculé de boue que d’avoir les bas mordus par des regards chauds comme des baisers. » La morsure d’un regard sur un mollet, et c’est toute la littérature érotique qui se trouve ramassée, circonscrite. Le frôlement, le presque-rien et le tellurique en même temps. Ce baiser-là. Les papillons dans le ventre. L’incandescent. Les cils qui clignent tout à trac comme frissonne l’épaule d’un cheval. Juste un baiser d’yeux, nom de Dieu. Je veux croire que de telles morsures, puisque un regard chargé de désir est plus dangereux qu’un fusil chargé de plomb, me susurre un proverbe napolitain, engendrent des histoires d’amour fou. J’aime.

     

    Le nez dans l’herbe

    Face contre terre façon knock out, mais sans k.o. Le nez tout contre la terre, entre des brins d’herbe, parmi les boutons d’or, sur un tapis vert piqué de poussins. C’est un sous-bois, « c’est un trou de verdure », aucune rivière n’y chante, mais les merles amoureux lancent leur trille avec autant d’élan que des pêcheurs de bar leurs longues cannes sur le rivage atlantique. Le nez dans la terre, je respire l’humus. C’est un parfum biscuité, friable, mat, imprégné, orangé, net, poivré blanc, mouillé, séveux, solitaire, gras sur la narine gauche, et sec à droite. Va comprendre, des fois. Le corps se détend comme jamais, comme la mort. Face contre terre, les bras écartés comme des ailes –non, pas en croix -, des ailes, tout peut arriver, tomber, surgir, être, disparaître. L’esprit végète, se décompose, épouse le sol, le meuble, les cheveux s’allient à l’herbe. Un rayon de soleil perce un œil comme une oreille. Le printemps m’étreint. J’aime.

     

    La vie d’un vin

    La vie d’un homme dure autant que celle de trois chevaux. Le quart d’heure du toro qui jaillit du toril dans l’arène figure la métaphore de la vie ; son opéra. Avec le vin, la métaphore est voisine… Il s’agit d’un Ribera del Duero. Vega Sicilia Unico 1980. Malgré la longue garde mythique de ce Grand d’Espagne, c’est vieux. Le bouchon, maigre, sort sans effort au bout de trente-sept années passées dans le goulot. Sent le raisin madérisé et le bois de santal. La robe, grenat profond, est tuilée. Elle prendra vite des reflets rouillés. C’est la première et dernière promenade d’une vieille dame. Au nez, les fruits rouges ont la vivacité du retraité qui s’entretient. Une note confiturée de baies noires évoque une concentration passée, et annoncent le linceul ; l’oxydatif définitif. C’est rond. Il y a, réunis, la finesse d’un saint-julien et l’élégance d’un chambolle-musigny. Velours et dentelle. Trame serrée. Les tanins sont faiblards mais soyeux. C’est juteux et épicé. Un quart d’heure plus tard, ça s’étiole, soupire, semble vouloir s’excuser. Passée une demi-heure, Vega s’évapore, s’effrite, se fissure, regagne la chambre. Une heure après son ouverture, le vin surnage à grand-peine, titube, puis il sombre. Saint-Augustin : « Les morts ne sont vraiment morts que lorsque les vivants les ont oubliés ». Ce Vega Sicilia a la vie devant lui. J’aime.

     

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    * In extenso, cela donne : « A Mégara,  on met encore des œillets aux balcons, et les femmes portent des robes longues ; c’est pour cette raison que la simple vision d’une cheville fait littéralement trembler les jeunes gens. Mais ceci arrive rarement, car elles sont prudentes et surveillées, et elles se surveillent elles-mêmes ; et s’il pleut, elles préfèrent rentrer à la maison avec l’ourlet de leur robe maculé de boue que d’avoir les bas mordus par des regards chauds comme des baisers. » (Gallimard)

     

  • ma rentrée littéraire

    Certes, il y aura le nouveau Toussaint chez Minuit (Made in China), le nouvel Ovni littéraire annoncé : Victor Pouchet (Pourquoi les oiseaux meurent, chez Finitude) et quelques autres perles. Mais, pour l'heure, je préfère m'en tenir à, me caler là. C'est une histoire de cohérence, de famille d'écriture, d'émotion induite, de courant qui passe fort, très fort, entre :IMG_20170905_193659.jpg

  • Relire Delibes

    Reprenant la "Trilogia del campo" de l'immense Miguel Delibes ("Les rats", "Le chemin", "Les saints innocents"), publiée par Verdier, comme tout l'oeuvre de l'auteur de "Dame en rouge sur fond gris"), je replonge illico dans une atmosphère rurale et âpre, celle des plateaux de Castille où (sur)vivent des êtres simples et habillés de Nature, et dont L'Azarias (dans "Les saints innocents"), l'un des personnages les plus attachants "créés" par l'auteur de "L'Hérétique", constitue l'archétype.

    Cette littérature-là a été progressivement submergée, en Espagne comme en France et partout ailleurs, par une littérature... urbaine, confinée, renfermée, nombriliste, manquant singulièrement d'horizon. Reste l'Américaine des grands espaces pour nous donner encore, bon an, mal an, quelque roman de facture sauvage et à l'indéniable et ensorcelante épaisseur - celle qui ouvre toute seule nos fenêtres et chausse nos bottes de sept cent lieues.

    Je joins ici le lien des éditions Verdier, à la page Miguel Delibes. Au paragraphe "Hommages", figure celui que j'écrivis (ici même) le jour de sa mort, le 12 mars 2010. j'en profitai alors pour résumer à gros traits son oeuvre, à l'intention de ceux qui n'ont pas encore lu cet auteur espagnol capital. Et que j'envie. L.M.

    => Verdier/Delibes/LM

     

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    Hommage, en passant, à John Abercrombie : https://www.youtube.com/watch?v=a3gW5Tuw8jc

  • Touche et prise

    Je m'explique toujours difficilement, et les applaudissements avant la fin d'un concert, et le triomphalisme hâtif qui en appelle au proverbe (il ne faut jamais vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué). Surtout face à un hydre aussi diffus que viral, opérant par capillarité dans n'importe quel endroit du monde. Aussi, la déclaration empressée d'Emmanuel Macron, hier, comme le titre - à mes yeux - imprudent de Une du Monde qui paraît cet après-midi, me renvoient à l'incipit de Tu, mio, superbe livre d'Erri De Luca : Le poisson n'est poisson qu'une fois dans la barque. Il est faux de crier que tu l'as pris quand il vient juste de mordre et que tu sens son poids danser dans la main qui tient la canne. Le poisson n'est poisson qu'une fois à bord.

     

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  • Extravagant

    Un peu de tendresse dans cette campagne électorale de brutes : le roman le plus gai, le plus détendant, le plus sympa paru en janvier 2016 chez Finitude, reparaît en folio : lisez ou relisez En attendant Bojangles, d'Olivier Bourdeaut l'espiègle au coeur doux et à la plume enchantée. LM

    Voici ce que j'en disais à sa sortie :  L'amour loufoque

    Et le lien pour écouter la chanson : Mr Bojangles par Nina Simone

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