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L'odeur du figuier

51zze+0yHZL._SL500_AA300_.jpgSimonetta Greggio est Italienne, elle écrit en Français et elle porte le Sud dans son écriture comme Albert Londres portait la plume dans la plaie (*). Il y a du soleil qui oblige les yeux, de la sensualité qui tressaille, de l'Italie forte et vraie, du sable entre les doigts de pied, de la chaleur envahissante comme les caresses et les baisers peuvent l’être, des nuits blanches pour diverses raisons, dans chacune des cinq nouvelles de ce nouveau livre, L’odeur du figuier (Flammarion, 17€) et tout cela embaume un printemps hésitant, pas tout à fait comme le ciseau du couturier fend la soie : avec cette douceur décidée qui ne se retourne pas et va droit. Tutto diretto. Il y a beaucoup d'amour dans cet ouvrage, d'amour comblé ou déçu, d'amour assouvi un temps, un temps seulement, d'amour attendu, espéré, d'amour bafoué par des cons d'hommes (tiens, jeu de mots), d'amour total, volontaire et issu du don majuscule. D'amour partagé parfois. Il s'agit surtout, en fil d'Ariane, d’histoires écorchées d'impossibles couples. On saute sur des coups de foudre, ces "rencontres de deux urgences disponibles", on contemple derrière des lunettes de soleil virtuelles, une paire de personnages échappés d'un film encore inédit de Godard & Truffaut, où Chiara et Tsvi évoluent comme des traductions métaphysiques de la nonchalance d'avant l'Internet. Ils sont touchants et, n'étaient d'embarrassantes fourmis bien mandibulées, ils seraient aussi touchés par la grâce. Simonetta Greggio a beau se défendre de tout excès en brandissant, au détour de certaines phrases, un never complain, never explain muet, elle fend nos coeurs d'artichauts, mais elle a le tact de les cuisiner pour ses lecteurs au lieu d’imposer sans sommation leur masse lacrymale. "Je n'ai jamais pu quitter un homme sans en être désespérée, et aussi férocement soulagée", écrit-elle. L’improbable narratrice dit. L’auteur écrit. Celle-ci (which one?!) nous a avoué, lors d'une lecture en public de Fiat 500, la 5ème nouvelle du recueil, que toutes ces histoires étaient nées de son imaginaire (la part du vécu, la part d'inventé, hein, on n'en connaîtra jamais la proportion, ma p'tite dame!). Or, lorsque nous lisons : "C'est l'hiver, les nuits sont longues; j'essuie mes larmes et j'écoute la pluie qui tombe avec un vrai intérêt, un intérêt entier, exagéré, comme quand on est dans une salle d'attente et qu'on a rien à lire", nous y sommes et nous y croyons. Nous croyons à la vérité Greggio. Nous la lisons au plus près. Cette vérité est faite d'empêchement, pas de renoncement. D'empêchement. Et aussi, par exemple, d'un hommage au très grand écrivain (je pèse mes adjectifs) Mario Rigoni Stern, dont elle évoque Le Sergent dans la neige (histoire homérique, romantique, dostoïevskienne et en même temps pudique comme une sotie de Gide, humble comme du Primo Levi, sur la retraite de Russie, au milieu de laquelle une poignée de soldats italiens se débat, hébétée, et qui commence par ces mots : "J'ai encore dans les narines l'odeur de la graisse qui fumait sur le fusil-mitrailleur brûlant."). L’année 82 est le titre de notre nouvelle préférée, sur les cinq. Elle semble évoquer l’arrivée de la jeune Simo à Paris, sans le sou, prête à en découdre, à bouffer le monde avec les os, la graisse et les habits qui vont avec. Le récit de la galère de Léo, de mille métiers, mille misères, en désappointements et déconvenues qui sont autant de leçons sur la nature masculine et la vie, est une leçon de courage en temps de crise et en 3D. Au moins. Les années sida pointent leur sale pif d'oursin couard, et c’est tout à coup vraiment compliqué, non. Là, SimoGreggio la joue scénar’, électrique, godardienne, on dirait une Wiazemsky qui ose, elle se lâche : cut, plan serré, travelling arrière, large maintenant, reviens sur le truc, là, oui, voi-là ! On la tient. L'écriture, qui prend l'accent du film Jules et Jim, ne perd cependant jamais de vue l'objectif, qui est de dire : mon vieux, ma vieille, l'amour, c'est compliqué. Pas impossible, non, mais compliqué. Très compliqué. Telle est la leçon primordiale. Et Simonetta, par bonheur, rebondit, le corps mangé de sel sur l’anse caillouteuse de Positano, parce que le foutoir de Naples l’effraie, et qu’elle vit alors la passion (sexuelle seulement : résumons) avec un Moreno, un cyclone. (Donc le seul endroit sûr, c'est son œil). Tout cela fait un livre. Lorsqu’il s’agit d’un recueil de nouvelles, vient cet irrépressible besoin d’en chercher obstinément une ou plusieurs unités fondamentales, surtout celle qui décolle, au-delà du fil d'Ariane. Le roman nous manque, son absence nous intrigue. Ici, avec ce livre-là, l'unité n'a pas besoin d'être cherchée sur place, mais d'être reconnue, retrouvée peut-être, dans ces vers de Shelley, lesquels ferment L’odeur du figuier :

L’esprit

Est la vie

Qui coule à travers

Ma mort

Sans fin

Comme une rivière

Qui n’a pas peur

De devenir

La mer.

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(*) Notre rôle (les journalistes) n'est pas d'être pour ou contre, il est de porter la plume dans la plaie. Célèbre maxime du Prince des reporters, Albert Londres, que tout journaliste digne de ce titre a, punaisée, au-dessus de son Mac. -Je me trompe?..

 

Commentaires

  • j'aime bine cet auteur, j'ai lu un de ses romans , l'histoire d'un cuisinier.. dont le titre m'échappe. C'était très sensuel et appetissant!

  • Étoiles (Le livre de poche). Une grande nouvelle.

  • Du vin rosé et l'odeur des figues, de quoi me donner l'eau à à la bouche. Je n'ai jamais rien lu de cette auteure, mais j'ai lu Miléna Agus qui sait si bien décrire la sensualité de la Sardaigne et ses parfums. A ma prochaine visite à la Fnac, je chercherai.

  • Milena Angus -admirable écrivain, n'a pas la même écriture que Simonetta Greggio. Vous serez ravie, car la prose de Simonetta est bien plus sensuelle que celle de Milena.

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