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Miam! - Page 2

  • Txotx!

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    Papier qui paraît dans le dernier numéro de Pyrénées magazine :

    Txotx

    MOJON !

    Par Léon Mazzella. Photos : Serge Bonnet

    Le cidre basque n'a rien à envier à son rand cousin normand. Mieux : d'aucuns prétendent que ce dernier lui doit quelque chose… Reportage à Txopinondo, cidrerie basque du nord, avec Dominic, encyclopédiste du sagarno, lors du Txotx, la fête annuelle du cidre nouveau.

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    Il a beau être né en 1955 à Falaise (Calvados), Dominic Lagadec est le plus Basque des Normands, malgré un nom breton. Autant dire qu’il a toujours vécu “dans les pommes”.  L’apuru (patron) de la cidrerie Txopinondo ( "rassemblés autour d’un verre"), qu’il a créée à Ascain en 1998, est une encyclopédie du sagarno, le vin de pomme (Sagar : la pomme et no : qui vient de). 

    La définition juridique du cidre est “boisson fermentée à base de pommes”, et il est assimilé aux “vins tranquilles” blancs, rouges et rosés au regard des Douanes. Une cidrerie – le Pays basque en compte une centaine, surtout en Gipuzkoa, et en particulier autour d’Astigarraga et de Hernani –, désigne le lieu où l’on transforme les fruits cidricoles à pépins (pomme, poire, nèfle, coing…), à l’exception du raisin. Elles sont devenues au fil du temps des lieux de restauration. Certaines, comme Txopinondo, reçoivent le jus des pommes qui ont été pressées en Espagne, puis celui-ci est mis en barriques et il fermente à Ascain, jusqu’à la fête du Txotx, soit du cidre nouveau, qui a lieu autour de fin janvier - début février. Le terme, arrangé phonétiquement, dérive du basque zotz (petite branche d’arbre), et désigne le bout de bois qui obture l’orifice de la kupela (barrique de 5 000 à 15 000 litres – certaines peuvent contenir jusqu’à 30 000 litres !), par lequel jaillit un jet de cidre que l’on recueille dans son verre, à la queue leu leu et en file indienne, lorsqu’il est ôté d’un coup sec et à intervalles réguliers, au cri rassembleur de “mojon !” (ça mouille !), lors des longues soirées extrêmement conviviales et festives dans les cidreries, de l’hiver au printemps. Le succès rencontré par le rite du txotx et les cidreries en général va croissant et a vu passer la production du sagarno produit dans l’ensemble du Pays basque (nord et sud), de un million de litres en 1970 à douze millions aujourd’hui*. Cependant, 15 % seulement du cidre est consommé dans les cidreries et 85 % est mis en bouteilles. Le sagarno est largement distribué et même exporté : c’est le “French farm taste” très prisé des Américains, précise Lagadec, tout en mettant la dernière main au préparatifs de sa grande soirée : dans quelques heures, c'est l'ouverture de la fête annuelle du Txotx, à Txopinondo. 150 convives sont attendues, des personnalités comme José Mari Albero, qui dirige Sagardo Etxea à Aztigarraga, le maire-adjoint d'Ascain, Jean-Pierre Ibarboure… Les txuletas sont prêtes à être grillées, et la musique est assurée cette année par l'ensemble bayonnais Kriolinak. Le nombre de buveurs de cidre augmente donc vite, reprend notre encyclopédiste, et dépasse de beaucoup celui des pommiers! 

    Une histoire en dents de scie

    L’histoire du cidre basque a pourtant connu des vicissitudes et fait parfois du yoyo. La présence de pommiers en terre basque est attestée dans un document daté du 17 avril 1014, signé du roi de Navarre Sanche le Majeur.  Les cidreries sont nombreuses au Moyen-Âge, sur la Côte, autour de Bayonne et de Saint-Jean-de-Luz, et l’apogée de la culture de la pomme basque se situe au XVIIe siècle. Un pèlerin de Compostelle écrivit alors de façon imagée que l’on pouvait aller “de Bayonne à Bilbao sans descendre d’un pommier”, raconte Dominic Lagadec, tout en vérifiant ses kupelas : "C'est mon 16è Txotx ici". Nous goûtons le cidre 2013, qu'il voit évoluer depuis mai : "moins alcoolisé que l'an passé, son goût est plus franc, plus sec", commente-t-il, "sa belle robe jaune paille et jus de citron est superbe. En bouche, le pamplemousse et la mandarine explosent doucement" . "Il fut même un temps où les marins pêcheurs basques et normands échangeaient leurs greffons de pommiers en pleine mer", poursuit Dominic. Réputé pour combattre le scorbut, le cidre était également embarqué pour l’usage de l’équipage. D’aucuns prétendent même que les marins basques auraient très tôt exporté leurs meilleurs pommiers vers la Normandie, où la culture du cidre se généralisa au XIVe siècle, puis s’étendit à la Picardie, à la Bretagne et à l’Angleterre. 

    Il y a un siècle encore, la Normandie achetait des pommes en Gipuzkoa, car le savoir-faire de la transformation (distillerie, mise en bouteilles) était encore inexistant en terre basque. Une variété de pomme du Pays d’Auge se nomme d’ailleurs Bisquette (de Biscaye) et une pomme basque s’appelle Normanda. L’apogée du cidre, quant à elle, date de la fin du XIXe siècle, lorsque le transport des pommes se faisait par bateau de Honfleur à Bayonne, puis par bœufs depuis Hendaye. La culture de la pomme périclite avec la fin de la pêche hauturière et l’arrivée du maïs. La consommation du cidre passe derrière celle du vin, les goûts et le commerce évoluant. La fin de la seconde Guerre mondiale met un coup d’arrêt à la culture du cidre basque, jusqu’à la fin des années soixante, où un regain d’intérêt s’amorce, qui ne fera que croître, avec la forte demande, notamment, des sociétés gastronomiques de Donostia, et la mise en bouteille du sagarno qui se généralise. La consommation du cidre s’accélère après la mort de Franco en 1975, qui voit aussi l’essor du Txakoli. Le modèle de la bouteille de cidre basque, baptisée Sagardo est déposé en 1982. Aujourd’hui, c’est un million de repas “txotx” typiques - avec  omelette à la morue, txuleta (côte de bœuf), fromage de brebis, membrillo (pâte de coing), noix et cidre à volonté (pour 30 à 35€) qui sont servis chaque année. Le sagarno, qui titre 6°, est consommé dans l’année et il ignore le sulfitage, ce qui en fait un produit plutôt naturel, que l’on peut boire (avec modération) jusqu’au bout de la nuit. Ce premier février, l'ambiance conviviale augmente avec le temps, la chaleur, les chants, le cidre, les agapes et les rires se font plus clairs, plus forts et communicatifs. Les convives, venus en famille, entre potes ou en groupes, lèvent les verres et trinquent. Dominic passe entre les longues tablées, puis repart vers une kupela en lançant un long "Mojoooon!"..  L.M.

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    (*) En règle générale, les variétés Basques de pommes entrent dans la composition du sagarno à 30 % minimum (et jusqu’à 50%), puis ce sont des variétés Normandes, et enfin Espagnoles, en provenance des Asturies et de Galice, qui servent à son élaboration.

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    Relancer la culture de la pomme

    La municipalité d’Ascain exprime sa volonté de relancer la culture de la pomme en replantant des pommiers. Le village offre déjà un pommier à la naissance de chaque Azkindar. Et l’élection d'une ambassadrice de charme, la Reine de la Pomme se tient le 15 août depuis 8 ans.

    Cidreries du nord et du sud

    À l’exception de Txopinondo à Ascain, et de quelques restaurants cidreries où l’ambiance est reconstituée, comme Ttipia à Bayonne, le Fronton à Arbonne et la Cidrerie à Biriatou, l’écrasante majorité des cidreries se situent en Guipuzkoa, notamment autour des villages d’Hernani, comme la cidrerie Zetala, et d’Astigarraga : cidreries Rezola, Bereziartua, Petritegi, Alorrenea, Zaplain ou, proche de San Sebastian, Burkaiztegi. Fini le temps des cidreries rustiques au rez-de-chaussée en terre battue des fermes aux murs tapissés de kupelas, et où l’on mangeait le repas Txotx à la bonne franquette. Les cidreries modernes sont d’immenses salles de réception un rien froides, de prime abord, mais elles ne le restent jamais longtemps…

    Fêtes du cidre

    Txotx, début février, marque l’arrivée du cidre nouveau et l’ouverture des cidreries de tout le Pays basque.

    Autour du 21 mars, Kukuaren Kupela (la barrique du coucou), est une fête printanière qui rappelle une rite ancestral : lorsque le coucou chantait (il fallait alors avoir une pièce de monnaie dans la poche !) ceux qui n’avaient pas encore consommé tout le cidre durant l’hiver, le montraient au village. C’était un signe extérieur de richesse.

    À la mi-juin, le cidre est également fêté et donne lieu à un festival de chantsIMG_2483.jpg de marins (en langues Basque, Gasconne, Bretonne et Française), qui se tient en souvenir des marins qui partaient en Terre-Neuve et au Labrador : le sagarno embarqué servait de monnaie d’échange avec les Indiens des rives du Saint-Laurent (il était troqué contre de la graisse de baleine, qui servait à s’éclairer).

    À la mi-septembre, à l’occasion des Journées du Patrimoine, le Ban du Pressage donne
    lieu, à Ascain, et à l’aide des pommes des vergers du conservatoire municipal, à des démonstrations de pressage à l’ancienne (à l’attention des écoliers) dans les vieux pressoirs comme celui de Txopinondo qui date de 1875.

    Pour Urtezahar (la veille de la St-Sylvestre), un réveillon sans cotillons (avec viandes nobles et boisson à volonté, 55 €) se tient à Txopinondo, afin d’enterrer “la vieille année”. L.M.

     

     

     

  • Du café avec quoi?

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    Papier paru simultanément dans un numéro Spécial Café de L'Express et de L'Expansion

    ALLIANCES

    Par Léon Mazzella

    Ecartons d’emblée les préparations qui contiennent du café - pâtisseries, glaces, sorbets, mousses et autres plats salés inventés par des chefs cuisiniers-, pour nous concentrer sur l’affaire très sérieuse des alliances du café et des mets, alcools et autres menus plaisirs.

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    La première des alliances, celle qui nous est proposée d’office dans la plupart des bars d’Europe, est celle du café avec un carré de chocolat noir, généralement fortement dosé en cacao (65, 75%), glissé entre la tasse et la sous-tasse, à côté d’un morceau de sucre. Notons en passant que le sucre est généralement l’ennemi de l’amateur de café, qui n’en ajoute jamais dans sa boisson fétiche. Mais les goûts et les couleurs du café composent une large palette et l’esprit d’ouverture minimal consiste d’abord à ne pas mépriser les amateurs de chocolat  au lait, voire de barres chocolatées et caramélisées, enrichies de fruits secs, comme ont tendance à le faire les ayatollahs du cacao absolu et à l’amertume extrême.

    Sfogliatella

    L’Italien, de nature gourmande, a coutume de mordre un ou plusieurs morceaux de chocolat gianduja (au praliné d’une onctuosité magnifique), avec son espresso. Le Napolitain l’est davantage, qui déguste régulièrement une sfogliatella avec son « caffè » matinal. La sfogliatella est une pâtisserie aussi typique de la Campanie que peut l’être la mozzarella di buffala. Elle possède la forme d’un amphithéâtre grec, comme à Delphes ou à Epidaure. Nous pouvons deviner dans sa forme une conque sibylline davantage qu’une corne d’abondance. Ainsi que la promesse d’un ruissellement de plaisirs n’ayant rien de financiers. Sa forme figure encore un panier d’osier de vendangeur. La sfogliatella est composée d’une dentelle en pâte brisée, d’une sorte de ruban infini, une écharpe soigneusement enroulée sur elle-même, laquelle renferme une crème pâtissière à base de ricotta, où l’on trouve des écorces d’agrumes et de la pulpe de courge, de la vanille, un soupçon de cannelle, et très peu de sucre. Avec un stretto brûlant –une larme d’esprit de café, la sfogliatella se transforme en chef d’œuvre matinal. Car ce drôle de coquillage qui exige d’être dégusté chaud, ne supporte guère le temps qui passe à pas de géant et partage avec l’éphémère, moustique inoffensif, le funeste privilège de flétrir en quelques heures.

    Plus universelle est l’alliance avec un macaron tout simple, sans parfum fruité additionné, comme celui que produit la maison Adam à St-Jean-de-Luz, ou bien un Muxu (macaron à la noisette) de la maison Pariès, luzienne elle aussi. Car le café, bien fait, assez serré, affectionne les saveurs régressives de la pâte d’amande et du pralin, ainsi que le couple sensitif mou-croquant de ces miracles de douceur devenus des best-sellers absolus que sont les macarons. Dans le même ordre de goûts, une madeleine, ou bien un financier escortent agréablement un café, voire un café au lait. 

    « Lait cafeté »

    À ce propos, comme il existe des ayatollahs du chocolat pur et amer, il y a ceux qui vouent le café au lait aux gémonies. Une femme de lettres  du XVIIe siècle, gourmande en diable, et qui a donné son nom à un célèbre chocolatier, s’inscrit en faux et nous donne des leçons d’ouverture d’esprit : la marquise de Sévigné adore le café au lait, qu’elle appelle délicieusement le « lait cafeté », ou bien le « café laité » et elle revendique son addiction. Dès le XVIIIe siècle, on attribue de nombreuses vertus au café au lait et l’augmentation de la consommation de lait suit naturellement celle de café, surtout au cours du siècle suivant. Aujourd’hui, ses vertus digestives sont contestées. Il demeure une boisson qui se marie agréablement avec un biscuit (bordelais) canelé, à cause du beurré et de la touche vanillée de cette gourmandise de fin de repas qui craque si bien sous la dent (avant d'entrer dans le mou, l'onctueux), lorsque sa cuisson, parfaite, ressemble à celle d'un foie frais poêlé a gusto. Osons même, avec le « lait cafeté », un Nuts ou un Mars ! Leurs saveurs mêlées ont un écho de goûter de l’enfance, qui nous éloigne de la rigueur gustative, par trop sérieuse, d’une truffe au chocolat avec un moka serré. Cela repose un instant les papilles de la nation.

    Le café se marie fort bien avec un sorbet rhum-raisins, avec une glace forte en fruits rouges (cassis, framboise), voire avec un tiramisu riche ne mascarpone (ce, en dépit de ce que nous énoncions au sujet des pâtisseries au goût de café : le tiramisu figure l’exception), et le contraste chaud-froid est en général du meilleur effet sous la langue.

    Le fameux « café gourmand » proposé dans nombre de restaurants français, est en général composé d’un assortiment propice à tester les alliances avec le café : canelé, sorbet, financier, macaron, mini tartelette, le composent fréquemment. Autant de mignardises allant comme un gant à notre expresso de bonne extraction.

    Nous évoquons (lire p.20) l’adjonction d’une larme d’alcool dans la tasse de café : anisette, calvados, grappa. Mais s’agissant d’alliances pures, il convient plutôt d’achever de boire son café, puis de servir dans la tasse vide et chaude (ou bien à part, dans un verre), quelques centilitres – au choix -  de rhum agricole ambré, d’armagnac, de cognac, de calvados ou encore d’un whisky correctement tourbé (Islay). La chimie fait le reste, le choc thermique sublime les arômes mêlés et d’étonnantes flaveurs jaillissent de la petite tasse comme de la Lampe merveilleuse d’Aladin. Cela peut par conséquent se révéler génial. Car en matière d’alliances, il convient de préférer marcher sans filet au-dessus de l’inconnu. L’empirisme conduit à des bonheurs insoupçonnés et, le cas échéant, le caractère rapidement évolutif des arômes et des saveurs développées par de telles fiançailles d’un instant que l’on aimerait prolonger, enfantent des feux qui ne sont jamais d’artifice. Pour finir, les amateurs savent qu’un café connaît un autre allié de respect comme on le dit d’un toro de combat noble : le cigare. Bien davantage qu’une cigarette, au champ organoleptique étroit comme une feuille de papier gommé, un cigare, de La Havane ou non, est un allié substantiel de l’espresso. Un module doux issu des Honduras ou de Saint-Domingue escorte à merveille et en toute simplicité un ou plusieurs cafés suaves aux notes grillées, fruitées, florales. Un habano boisé, épicé, au fumage par tiers allant crescendo, avec les cafés intenses et savamment épicés, un Grand Cru pure origine par exemple, aux saveurs fortes et assises, forment un couple propre à chasser les tourments du quotidien d’un revers de la main.  Le café en devient, selon le mot de Talleyrand, « noir comme  le diable, chaud comme l’enfer, pur comme un ange et doux comme l’amour. » Ainsi soit-il toujours. L.M.

     

     

  • Créer son propre blend

    photo.JPGPapier paru dans L'Express de cette semaine. Une expérience.

    Master class whiskies

    CRÉER SON PROPRE BLEND

    Par Léon Mazzella

    Quel amateur de whisky n’a pas rêvé d’élaborer son propre « blend », un whisky d’assemblage, qui lui ressemble ? Les master class organisées par Glen Turner sont l’occasion de se livrer à cet exercice particulier.

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    Ils représentent l’écrasante majorité des whiskies consommés dans le monde. 92% des whiskies écossais sont des Blends. Ils sont issus à 40% whiskies de malt, ou Pure malt (élaborés exclusivement à partir d’orge maltée, soit germée une fois humidifiée, puis séchée) et à 60% de whiskies de grain (maïs ou blé dans des proportions variables). S’ils n’ont ni la profondeur ni la complexité des Single malt (Pure malt provenant d’une seule distillerie), les « Blended » présentent l’avantage d’être chacun le fruit d’un mélange de cinq à cinquante malts issus de plusieurs distilleries, réalisé par le « Blender », ou maître de chai, dont le savoir-faire, avec l’alambic à distillation en continu, confine à l’alchimie. Notons que c’est à la faveur de l’épidémie de phylloxéra qui détruisit le vignoble européen à la fin du XIXe siècle, dont celui de la région de Cognac, que les Blends connurent un essor considérable – qui perdure. 

    La première étape de la master class animée par Charles MacLean, « maître du malt » (lire notre édition du 15 octobre), consiste, pour la vingtaine de participants (dont quatre femmes, le 5 décembre dernier), tous amateurs concernés, à déguster six whiskies représentatifs de la palette écossaise, aux saveurs tantôt florales, épicées, fruitées, caramélisées, boisées (single malt, blends), tantôt fumées, salines, marines (Islay), et dont la coloration varie en fonction de l’élevage. En effet, au-delà de la pureté des matières premières, et de la bonne conduite de la distillation, MacLean souligne l’importance du vieillissement en fûts de chêne, américains ou européens (espagnols notamment), dans l’élaboration du whisky, et son principe de métamorphose : « c’est comme si l’eau-de-vie était une chenille qui entrait dans un fût et qu’elle en sortait transformée en papillon : le whisky », dit-il. 

    A tâtons

    Les participants sont par ailleurs invités à réfléchir aux alliances gustatives avec une dizaine de snacks spécialement élaborés pour révéler les flaveurs spécifiques de chaque scotch. Qu’il s’agisse d’un sablé au parmesan et légumes confits, d’un saumon à la plancha, gingembre et citron vert, ou bien de pomme verte, de magret fumé, de tartare d’algues, de cheddar, de kumquat, d’œuf mimosa, ou encore des gambas au fenouil, l’aptitude des whiskies à soutenir des préparations audacieuses est confondante.

    Chacun est enfin avide d’en découdre avec l’étape expérimentale : être soi-même le « blender » de son propre whisky en réalisant le mélange qui convient à sa personnalité, ce à partir de cinq échantillons issus de plusieurs distilleries : quatre malts en provenance du Speyside, de l’île d’Islay, des Highlands et des Lowlands, et enfin un whisky de grain. Laisser libre cours à des dosages personnels oblige au tâtonnement, puis à forcer ou à minimiser selon son goût, le côté granuleux des Lowlands, la touche caramélisée des Highlands, le fumé et la pointe médicinale du Islay, la complexité céréalière du whisky de grain. Sans oublier d’ajouter de temps en temps un peu d’eau dans son verre au cours de l’élaboration expérimentale. Incomparable révélateur des saveurs du whisky, elle est l’alliée la plus sûre du dégustateur, blender or not.

     

     

     

  • Picorage du mois

    téléchargement.jpegL'ami Christian Authier a décroché le Renaudot essai pour son magnifique De chez nous (Stock), évoqué ici, ainsi que sur le Huff'Posthttp://bit.ly/1xg1ELM et je suis vraiment très heureux pour lui. On trinquera! (par parenthèse : dans la première sélection de l'Interallié, figuraient les noms de quatre potes : Stéphane Guibourgé, dont j'ai chroniqué ici aussi : http://bit.ly/1t6YVFy (ainsi que sur le Huf'Post), l'époustouflant Les fils de rien, les princes, les humiliés (Fayard), Christian Authier pour son précédent livre, Soldat d'Allah (Grasset), Jean-Marc Parisis - mais je n'ai pas encore lu ses Inoubliables (Flammarion)-, et Simonetta Greggio pour sa suite donnée à Dolce Vita, avec Les Nouveaux monstres (Stock). Reste seulement Simo en lice, et je croise les doigts, de pied y compris, pour qu'elle décroche le prix!).

    téléchargement (1).jpegSarah Bakewell, avec Comment vivre? Une vie de Montaigne en une question et vingt tentatives de réponses (Livre de Poche) redonne la fringale de relire les Essais. C'est brillant, tonique, lumineux, simple et tutoyant. Nous suivons Montaigne pas à pas au fil de sa vie et de ses réflexions permanentes. Et nous nous disons que l'auteur d'un incomparable livre-vie, est définitivement notre auteur-miroir, notre meilleur compagnon de chaque jour, notre philosophe quotidien.

    Avec Les Napolitains, de Marcelle Padovani, Henry Dougiertéléchargement (2).jpeg (qui créa les éditions autrement) inaugure une collection, Lignes de vie d'un peuple, aux éditions HD, qui s'attachera à raconter les peuples aujourd'hui, par trop invisibles. En mettant en scène leurs valeurs, leurs interrogations, leurs créations, leurs passions en partage, à travers des narrations fortes, des portraits, des enquêtes de terrain rédigées par des écrivains un brin ethnologues, la collection promet d'offrir des histoires marquantes issues de cultures profondes. Avec Les Napolitains, déjà, c'est gagné : leur ironie dévastatrice, leur conscience aiguë du malheur de vivre, le bonheur simple de leur puissance d'exister spinozienne, leur sens inné d'acteurs tragiques -et comiques- de la comédie humaine, en font un peuple à part qui touche néanmoins à un certain universel, que d'aucuns lui envie. Titres à venir : Les Islandais, Les Catalans, les Ecossais, les Roumains, les Suisses, les Anglais, les Canadiens francophones, les Irlandais, les Brésiliens, les Indiens, les Ukrainiens : ça promet grave...

    téléchargement (3).jpegLe Dictionnaire chic de philosophie, de Frédéric Schiffter (Ecriture) est un abécédaire amoureux et désinvolte qui donne un salutaire coup de fouet à la philo. telle qu'on l'édite. Le prof-de-philo-surfeur-biarrot - à qui l'on doit également une délicieuse Petite philosophie du surf (Atlantica), est un dilettante de génie qui aime flirter dans tous les sens du terme : avec Montaigne, Cioran, Nietzsche téléchargement (4).jpeget les jolies filles, forcément. Nihilisme, bikinisme, mélancolie, dandysme, ivrognerie, onanisme, libertinage, naufrage amoureux, égoïsme, flemme et filles de la plage sont des entrées qui se côtoient et se frottent avec joie, dans ce gros bouquin à déguster comme Montaigne recommandait de lire : en picorant à la manière des poules.

    Les mots de l'époque (autrement), est le recueil destéléchargement (5).jpeg précieuses, savoureuses, toujours très attendues chroniques intitulées Juste un mot, que l'ami Didier Pourquery a donné au Monde, et qu'il donne à présent au Huff'Post. Réunies (il y en a 100), elles dessinent un bonheur : celui de relire la pensée incisive de Pourquery, son écoute suraiguë, et tendre aussi, du monde contemporain (des mots) tel qu'il gesticule, évolue, se métisse, se fond, se confond et enrichit nos parlers contemporains. Il y est question de tics, de trouvailles, d'extravagances du langage quotidien. De Waouh! à Bâtard, de "J'lui fais" à Genre!, de Réenchanter à Melon (avoir le), en passant par Célib', Deadline, P'tit mail, Souci (pas d'), et de Boucle (tu me mets dans la), à Revisité, Improbable, Dispo, Boulet, ou encore Impacter, et Au final, les billets de Didier sont la peinture en mots de notre temps : c'est précieux, précis, drôle, fin, subtil, et c'est de surcroît un bonheur d'écriture et donc de lecture. 

    téléchargement (6).jpegRomans, de Patrick Modiano est le Quarto (Gallimard) qu'il faut avoir chez soi, car il rassemble le meilleur de notre nouveau Nobel : Villa triste, Livret de famille, Rue des boutiques obscures (son Goncourt), Remise de peine, Chien de printemps, Dora Bruder (inoubliable livre!), Accident nocturne, Un pedigree (à nos yeux le plus touchant, car peut-être le plus vrai de ses livres), Dans le café de la jeunesse perdue (sans doute le plus abouti des Modiano), et L'horizon. Avec ça, je vous mets L'herbe des nuits, ainsi que Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier (le petit dernier, d'une tendresse extrême, qui fait forcément un carton en librairie), et je vous sers aussi Une jeunesse -Allez! Voustéléchargement (11).jpeg tenez là l'oeuvre d'un homme humble, qui s'exprime aussi mal à l'oral qu'il excelle, à l'écrit, à nous (re)dire le Paris des années noires de l'Occupation - et pas seulement. Le Quarto, Romans est par ailleurs enrichi d'un cahier de photos tirées des archives personnelles de l'auteur, qui en disent plus long qu'une biographie. Intime et pudique à la fois, comme Modiano lui-même.

    téléchargement (8).jpegJe me suis régalé à feuilleter, à m'arrêter ici ou là selon l'humeur, au fil des pages, de 365 expressions philosophiques expliquées, de Michel Brivot et Nicole Masson (Chêne), car c'est un rappel salutaire et ludique qui nous est fait, à partir de citations célèbres, assorties de leur explication simple, de leur contexte et de quelques mots sur leur auteur. C'est donc pédagogique, à glisser dans le sac à dos des ados, tiens! Afin qu'ils lâchent un instant leur outils 2.0 pour se pencher sur des pistes de réflexions bien connues, comme On ne naît pas femme, on le devient (Beauvoir), L'enfer, c'est les autres (Sartre), Rien n'est beau que le vrai : le vrai seul est aimable (Boileau), Ce qui est animal devient humain, ce qui est humain devient animal (Marx), etc. Ca ne peut pas faire de mal.

    Chez le même éditeur (Chêne), paraît un petit monument éditorial que tout amateurtéléchargement (9).jpeg de plantes doit posséder, car c'est une somme, signée d'un grand spécialiste, Jean-Marie Pelt, que c'est admirablement bien illustré de planches botaniques et de chromo anciens. Cela s'appelle Les Plantes qui guérissent, qui nourrissent, qui décorent (les trois parties de ce gros ouvrage). Un album de longue garde, comme on le dit de certains grands crus.

    Un mot, enfin, pour évoquer Encore des nouilles, recueil des téléchargement (10).jpegchroniques culinaires loufoques que le très regretté Pierre Desproges donna à Cuisine & Vins de France, de septembre 1984 à novembre 1985 (on s'en souvient bien!). C'est publié par Les Echappés, et c'est hilarant de la première à la dernière ligne On en pleure de bonheur en lisant, c'est du grand Desproges. Un grand régal. A table!

     

    Ecouter : Cat Power : The Greatest

    http://www.youtube.com/watch?v=QT9qM99l9Yk

  • Le tour du monde dans une tasse à café

    Papier paru dans un numéro spécial de L'EXPANSION et L'EXPRESS les 1er et 15 octobre : 

    IMG_2103.jpgQu’y a-t-il de commun entre un Américain sirotant son café très allongé dans un mug en carton au volant de sa voiture et un Italien dégustant son espresso stretto à la terrasse d’un café célèbre ? Pas grand chose, sinon que l’un comme l’autre obéissent à leur culture en dégustant chacun à sa manière sa boisson favorite. 

    Par Léon Mazzella

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    Les modes de consommation de la « cerise » torréfiée varient considérablement d‘une culture à l’autre. Ainsi, du souci extrême apporté à la qualité d’un café serré (stretto), généralement désigné par le mot espresso, dans le moindre bar d’Italie, car chaque habitant de la Botte a le souci de la larme de café concentré qui emplit chacune des tasses qu’il déguste. Le café qui est servi dans le saint de saints, au Gran Caffè Gambrinus, Via Chiaia à Naples, est une institution. Littéraire, il était assidûment fréquenté par Gabriele d’Annunzio, puis par Benedetto Croce, et quantité d’intellectuels, journalistes et hommes politiques de Campanie et au-delà. Le café espresso qui y est servi est tout simplement divin, comme l’apprécierait le producteur italien du film en train de se faire (scène culte), dans « Mulholland Drive », de David Lynch, et qui ne trouve jamais un café digne de ce nom à sa convenance, lorsqu’il se rend à des réunions de travail à Hollywood. On ne plaisante jamais avec la qualité d’un espresso, du Trentin-Haut-Adige à la Calabre.

    Cafés italiens mythiques

    Et au Gambrinus, même si l’on est pas gourmand, il convient d’accompagner son caffè (de toute façon stretto) d’une sfogliatella, cette pâtisserie napolitaine en forme de coquillage équivoque (lire page 28). Boire un café en Italie est souvent associé à un lieu public. Parmi les cafés célèbres où cette boisson possède toutes les qualités requises pour satisfaire les palais amateurs de nectar un rien amer avec ce je –ne-sais-quoi de délicat contenu dans la mousse qui recouvre un liquide puissant et rond à la fois, le mythique Florian, à Venise, est de ces hauts-lieux-là. À l’instar du Gilli à Florence, du Camparino à Milan, du Fiorio à Turin, du Mangini à Gênes, du Greco à Rome, ou encore du Tasso à Bergame, tous célèbrent et  subliment la simple tasse de « caffé » en accordant un soin constant à sa préparation ainsi qu’à son service, et transforment depuis quatre siècles le café en œuvre d’art gourmet. N’oublions pas que c’est à Venise que le café apparaît en Europe, en 1604. Henry James en parle dans « Venice », ainsi que dans « Les Papiers d’Aspern », non sans rappeler que la Sérénissime fut une plate-forme du commerce international du café dès le XVIIe siècle. Le Florian était alors une des nombreuses boutiques de café de la cité. Mais il acquiert sa réputation grâce, encore, aux nombreux écrivains et artistes de tous horizons qui y tiennent salon, s’y prélassent et sacrifient à l’addiction mesurée de la boisson venue d’Orient. C’est Floriano Francesconi qui ouvrit le Florian en 1720. Goethe, Byron, Stendhal, Constant, Sand, Mme de Staël, Musset, Gautier, Pound… De Casanova à Philippe Sollers, la littérature mondiale est passée, passe et passera encore par le Florian pour y déguster un café en terrasse ou dans l’un de ses salons alcôves.

    Chez lui, l’Italien affectionne particulièrement l’élaboration de son nectar favori avec une cafetière moka express, à pression, dite « napolitaine », de type Bialetti – du nom de son inventeur (bien que ce soit un Français nommé Bernard Rahaud qui soit à l’origine du principe, en 1822). Cette petite machine en aluminium, appelée justement la macchinetta, ou bien la caffettiera, est devenue le symbole du café italien, concentré, puissant, servi très chaud, toujours fait à l’instant et jamais réchauffé. 

    La grolla valdôtaine

    Certes, il existe des particularismes, dans la Botte comme partout ailleurs. Ainsi du Val d’Aoste, dans le nord de l’Italie, où une coutume veut que l’on boive le café de manière communautaire, conviviale, dans la « grolla » (l’équivalent de la grolle savoyarde), qui est une sorte de « coupe de l’amitié » en terre cuite, percée de plusieurs trous (on parle de grolla à quatre, six, huit, voire dix becs) afin de permettre à plusieurs convives de boire, en partage, au même récipient. Le café qui y est introduit est généralement fort (cela va sans dire en Italie) et très sucré. On peut y ajouter de la grappa, l’alcool blanc italien par excellence, ainsi que des écorces d’agrumes (oranges, citrons) : cela devient le café « à la valdôtaine » (du Val d’Aoste), et ce rituel, soulignent les observateurs, n’est pas sans rappeler celui du Saint-Graal. 

    L’Italie a son propre café au lait (chauffé à la vapeur, celui-ci devient mousseux) : le cappuccino, que l’on saupoudre de chocolat amer. Il ne faut pas confondre le cappuccino avec le café con nata (à la crème), ou avec le macchiato (tacheté), qui est un espresso à la mousse de lait chaud fouetté. Additionné de chantilly, le café devient viennois.

    En Vénétie, le café est parfois servi additionné d’une goutte d’amaretto (liqueur d’amande). Cette façon de l’enrichir –les puristes disent de le dénaturer - , se retrouve en Espagne, où il est d’usage d’ajouter une goutte d’anisette dans son café. Cela s’appelle le « carajillo » (prononcez la « jota »). C’est l’équivalent, en quelque sorte, de notre café-calva, appelé aussi « café normal » dans certains bars de Normandie ayant érigé la défense de leur alcool régional, le Calvados, en militantisme provocateur…

    Mugs pour light allongés 

    L’Américain ordinaire (Hemingway, par exemple, buvait surtout des litres de Bloody Mary à Venise), préfère le café allongé, extrêmement léger et servi dans des mugs en plastique ou bien cartonnés, refermés afin de garder la chaleur de la boisson, aux stretto et autres espressos italiens. Les Américains sont les premiers consommateurs de café au monde. Ils n’apprécient guère les cafés parfumés et encore moins les cafés fortement torréfiés. Ainsi font-ils leur choix judicieusement chez les deux géants de l’industrie du café que sont Starbucks et Peet’s, nés sur la côte ouest et qui ont conquis le monde. Starbucks propose aujourd’hui quantités de cafés pour tous les goûts, du « jus de chaussette » vilipendé par l’Italien au serré propre à écoeurer le Texan. L’Américain ordinaire apprécie par conséquent le café peu torréfié, faible en goût, auquel il ajoute volontiers un nuage de crème. Ce sont ses habitudes de consommation qui l’obligent à doser faiblement son café. En effet, lorsqu’on boit à toute heure du jour, au travail, en se déplaçant ou bien devant sa télévision, un soda ou un café, il vaut mieux que ce dernier soit allongé. Notons que certaines sectes, comme celle des Mormons, interdisent la consommation du café, au nom de principes religieux fondés sur la santé totale du corps, considéré  comme un don précieux de Dieu.

    Cardamome ou cannelle

    Au Yémen, berceau de la culture du café, il est d’usage d’accomplir un petit cérémonial appelé « gawha » dans la préparation du breuvage. Celui-ci est appelé « qisr » et il est réalisé à partir des cerises (avec leur péricarpe) séchées ou grillées. Celui qui prépare le café pour le groupe doit tout réaliser seul, de la torréfaction au service en passant par le pilage au mortier. Additionné d’eau, la boisson est chauffée sur des braises dans une sorte de pot long et étroit faisant office de cafetière, en cuivre, parfois en bronze, à long manche, appelé « ibrik » en Turquie, et volontiers additionné de sucre, mais surtout de quelques graines de cardamome écrasées entre deux doigts –une graine par tasse suffit -, ou bien d’un morceau de cannelle, ou encore d’un peu de gingembre. Les Yéménites consomment également le thé en y ajoutant des épices. Lorsqu’ils ne le dégustent pas dans un café, les hommes le préparent ainsi n’importe où, au bord d’un chemin, dans les champs, dans la rue. De même qu’ils sacrifient quotidiennement – en général après le déjeuner – au rite du qât, cette plante légèrement hallucinogène qui les transporte, les hommes accordent une importance particulière au rituel du café – qui est, rappelons-le, un psychotrope -; soulignant ainsi leur fierté quant à la paternité de la culture de la petite graine.

    « A la turque »

    Le café « à la sultane » ou « à la turque » correspond à une façon de préparer le café, originelle et brute : la coque de la graine est plongée dans l’eau seule ou bien avec la « bunn » (la baie) brûlée et réduite en poudre, nous dit Annie Perrier-Robert (« Le café », Solar), puis le mélange est porté à ébullition. L’eau se charge ainsi d’un marc qui n’est pas du goût de chacun. En effet, le café à la turque n’est pas filtré, et les Européens répugnent à boire et manger en même temps leur café. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le café viennois connut un succès fulgurant, dès lors que son inventeur, le Polonais Franz Georg Kolschitzky, eut l’idée (dans les années 1683) de filtrer sa préparation « à la sultane » et d’y ajouter du sucre (puis de la crème fouettée), ce à partir du café récupéré dans des sacs abandonnés par les Turcs ayant assiégé la capitale autrichienne (lire page 6). Si l’on emploie que la coque, le café (turc) se nomme « qichariya » (qichra signifie écorce), et si l’on fait usage du grain avec la coque, on le nomme « bunniya ». L’amertume doit être de toute façon bien présente pour que le café soit digne d’être servi. Les Turcs ajoutent traditionnellement à leur café des clous de girofle, ou de la cardamome comme au Yémen, parfois de l’essence d’ambre ou de l’anis des Indes. Notons que l’Orient possède les secrets de l’hospitalité : le cérémonial du café revêt aujourd’hui encore des atours précieux et sérieux. L’art de recevoir et de contenter son hôte sont des valeurs extrêmes dans l’ensemble du Moyen-Orient. Le moment du café a même valeur de « grand examen », précise Anne Perrier-Robert, pour la jeune fille à marier. Ses « bonnes manières » sont alors jugées, ainsi que son savoir-faire : par exemple, le café turc (dûment sucré) doit impérativement être porté à ébullition à deux reprises avant d’être prêt, ceci après un repos de une à deux minutes. Au moment de le servir, il convient de déposer un peu de la mousse qui surnage, dans chaque tasse, puis de servir le café, et enfin de jeter quelques gouttes d’eau froide afin de précipiter le marc au fond des tasses. Après quoi, la jeune fille sera jugée bonne à marier. Ou non. L’affaire est on ne peut plus sérieuse, dans les contrées maternelles d’une boisson devenue universelle et qui est consommée par un être humain sur trois. Un proverbe éthiopien énonce clairement : « Buna dabo naw » : le café est notre pain.

    Cafés Viennois

    Sait-on que l’Allemagne est le deuxième importateur et le deuxième consommateur mondial de café ? D’aucuns jureraient que l’Italie, ou la France, tiennent cette position. Or, la consommation de café a explosé ces quarante dernières années outre-Rhin, les cafés à tendance acide s’y taillent la part du lion, loin devant les cafés solubles, qui connaissent un succès ailleurs, mais que l’Allemand juge dépourvus de qualités organoleptiques suffisantes. 

    L’Autriche est indissociable du café viennois, à la crème fouettée (voire à la chantilly) et des légendaires cafés de la capitale, que l’on dit littéraires car nombre d’écrivains les fréquentent assidûment depuis l’époque splendide de l’empire austro-hongrois. À l’aube du XXe siècle, Stefan Zweig est de ces auteurs cultes qui écrivent dans les cafés de la ville de Freud, son ami. Il se rend fréquemment aux cafés Beethoven, Reyl et Rathaus pour y déguster son breuvage favori, avec ou sans crème d’ailleurs. L’une de ses nombreuses nouvelles, figurant dans le recueil intitulé « La Peur », met en scène un café viennois, le café Gluck, et un érudit singulier, « Le Bouquiniste Mendel » Atmosphère : « À Vienne, un café vous attend à chaque coin de rue. (…) Dans mon oisiveté, je commençais déjà à m’abandonner à la molle passivité qui émane subrepticement de chaque véritable café viennois. (…) J’observais la demoiselle de la caisse, qui distribuait mécaniquement aux garçons le sucre et les cuillères pour chaque tasse de café… ».

    Irish coffee

    Si le Lapon a pour coutume d’additionner de la graisse de renne à son café et de ne jamais le sucrer, le Russe, lui, y ajoute volontiers une rondelle de citron comme nous le faisons dans l’eau pétillante.  Le Grec le boit frappé, et il a largement contribué au succès d’une boisson estivale, le café glacé (avec ou sans lait). L’Irlandais préfère adjoindre à son café du whiskey (avec un « e » pour le distinguer du Scotch whisky). C’est dans son roman irlandais, « Un Taxi mauve », que Michel Déon décrit la préparation minutieuse, par « une tenancière et avec un soin jaloux » de l’Irish coffee : « …Verres à pied chaud, sucre bien fondu dans le whiskey brûlant, café d’encre et faux col de crème glacée. Une jeune fille aux joues rosies, fraîche comme Mollie Malone, nous les apporta avec des grâces d’équilibriste, sans qu’une goutte de crème troublât le café. » Les Anglais, enfin, grands buveurs de thé devant l’éternel, négligent le café authentique, au point de lui préférer le café soluble, jugé indigne par tout amateur qui se respecte. Le chansonnier à l’humour caustique Pierre-Jean Vaillard dit : « Je sais maintenant pourquoi les Anglais préfèrent le thé : je viens de goûter leur café ». Ce qui n’empêche évidemment pas de nombreux aficionados de l’espresso et citoyens de Sa Majesté, de fréquenter les bars londoniens dédiés au culte de cette boisson incomparable ; lorsqu’elle est élaborée « à l’italienne ». L.M.

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    ORIENTALISMES

    Gérard de Nerval, dans son « Voyage en Orient », effectué en 1843, est saisi par l’atmosphère des cafés du Caire, où il découvre la danse du ventre et surtout la « liqueur ambrée » - ainsi nomme-t-il poétiquement le café -, dont il se délecte. « Le kahwedji {qui a la charge de préparer le café} sait bien qu’il faut sucrer la tasse, et la compagnie sourit de cette bizarre préparation. (…) Le foyer est toujours garni d’une multitude de petites cafetières de cuivre rouge, car il faut faire bouillir une cafetière pour chacune de ces fines-janes {pour « findjân » : petite tasse à café} grandes comme des coquetiers. »

    Le poète Constantin Cavafy hante les cafés populaires d’Alexandrie, sa ville, au début du XXe siècle, et il puise l’inspiration dans ces lieux mal famés, peuplés de petites gens qui boivent des cafés jusqu’au bout de la nuit. 

    C’est à Istanbul (où un café porte son nom : « Le Piyer Loti », dans le quartier d’Eyoub), que Pierre Loti goûte aux charmes lascifs de l’amour. « Aziyadé », son roman oriental, évoque ces cafés où des conteurs se livrent à des récits captivants, tandis que les clients fument le narguilé et consomment force cafés : « … S’arrêter à tous les cafedjis. (…) Boire le café de Turquie dans les microscopiques tasses bleues à pied de cuivre. (…) On m’apporte mon narguilé et ma tasse de café turc, qu’un enfant est chargé de renouveler tous les quarts d’heure… »  L.M.

     

  • Café et écriture

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    C'est un papier qui paraît dans un n° spécial de L'EXPRESS et de L'EXPANSION, consacré à la petite graine.

    LE CARBURANT DES CRÉATEURS

    Par Léon Mazzella

    Les écrivains en font parfois une consommation effrénée, car le café, « torréfiant intérieur », selon Balzac, maintient éveillé et stimule la création. 

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    Balzac est un cas. L’auteur de La Comédie humaine, gigantesque « peinture de la société » en plus de 90 ouvrages, qualifie le café de « torréfiant intérieur », dans son « Traité des excitants modernes ». Il note que le café ouvre l’esprit, en donne à ceux qui en manquent mais rend encore plus ennuyeux ceux qui nous ennuient… Citant le prince des gastronomes, Brillat-Savarin, l’auteur du « Père Goriot » confirme que « le café met en mouvement le sang, en fait jaillir les esprits moteurs ; excitation qui précipite la digestion, chasse le sommeil, et permet d’entretenir pendant un peu plus longtemps les facultés cérébrales ». Balzac lui-même sait gré au café de lui permettre d’écrire, de produire tant et plus. L’auteur pantagruélique alterne les ripailles les plus rabelaisiennes avec l’abstinence la plus monacale, mais sacrifie quotidiennement à l’absorption de son carburant préféré. Il possède plusieurs cafetières fétiches, dont une en argent, dite à la Chaptal. Mais c’est celle en porcelaine de Limoges, avec ses initiales sur la couronne qui lui permet de maintenir son breuvage au chaud, et que l’on peut encore voir à la Maison de Balzac, musée sis rue Raynouard à Paris, qui ne quitte jamais sa table de travail. Il prépare lui-même sa drogue douce. Il s’agit d’un mélange de  Moka auquel il ajoute du café de la Martinique et du café Bourbon. Le romancier prolifique les achète de préférence chez l’épicier Bonnemains, place Saint-Michel. Il y sacrifie une part non négligeable de ses dépenses, au moins dix fois plus que pour l’achat du pain. Son petit secret réside dans l’ajout d’une pincée de sel afin de développer les arômes d’un élixir qu’il prend soin de faire couler très lentement. Comme il ne fume pas – il déteste même le tabac-, ne  boit guère (sauf lors de gueuletons), il abuse de son unique péché mignon, mais comme le café a partie liée avec l’encre, l’abus l’excuse. Les deux liquides noirs sont les mamelles de sa création. 

    « Dès lors, tout s’agite »

    « Le café tombe dans votre estomac (…) Dès lors, tout s’agite : les idées s’ébranlent comme les bataillons de la Grande Armée sur le terrain d’une bataille », écrit-il, « et la bataille a lieu. Les souvenirs arrivent au pas de charge, enseignes déployées : la cavalerie légère des comparaisons se développe par un magnifique galop ; l’artillerie de la logique arrive avec son train et ses gargousses ; les traits d’esprit arrivent en tirailleurs ; les figures se dressent, le papier se couvre d’encre, car la veille commence et finit par des torrents d’eau noire, comme la bataille par sa poudre noire. » Et c’est ainsi, grâce à quantité de tasses dégustées, à des litres de café avalées jour et nuit – Balzac écrit beaucoup du crépuscule à l’aube-, que ses romans avancent, à l’instar d’une armée en ordre de marche et qui ne peut, dès lors, connaître la déroute. « L’état où vous met le café pris à jeun », écrit-il encore, «  dans les conditions magistrales, produit une sorte de vivacité nerveuse qui ressemble à celle de la colère. Le verbe s’élève, les gestes expriment une impatience maladive ; on veut que tout aille comme trottent les idées ; on est braque, rageur pour des riens ; on arrive à ce variable caractère du poète tant accusé par les épiciers ; on prête à autrui la lucidité dont on jouit. » Balzac déteste l’idée même d’ajouter du lait dans le café, comme d’autres n’imaginent même pas l’adjonction d’une goutte d’eau dans leur vin – au propre comme au figuré. Il a même des mots peu caressants à l’adresse des amateurs : « Offrir du café au lait, ce n’est pas une faute, c’est un ridicule. Il n’y a plus que les portières qui prennent cette mixture populacière, laquelle attriste la fibre, charge l’estomac de saburres pernicieuses et débilite le système nerveux ». Balzac est un puriste. Il lui faut du solide, du pur, du dur, du coup de fouet. Il pense que « le fluide nerveux est le conducteur de l’électricité que dégage cette substance {le café} », que son pouvoir n’est ni constant ni absolu. Conforté en cela par Rossini : « Le café, m’a-t-il dit, est une affaire de quinze ou vingt jours ; le temps fort heureusement de faire un opéra. Le fait est vrai. Mais le temps pendant lequel on jouit des bienfaits du café peut s’étendre… »  L’œuvre de Balzac le prouve avec superbe, laquelle a donné au roman français ses volumes parmi les plus riches. Comme par hasard ou par un effet de balancier (on aime les chiens ou les chats, rarement les deux à la fois), Balzac n’aime pas du tout le thé. La boisson comme son univers, qu’il ne manque pas de vilipender : « Il donnerait la morale anglaise, les miss au teint blafard, les hypocrisies et les médisances anglaises ; ce qui est certain, c’est qu’il ne gâte pas moins la femme au moral qu’au physique. Là où les femmes boivent du thé, l’amour est vicié dans son principe ; elles sont pâles, maladives, parleuses, ennuyeuses, prêcheuses. » Des propos forts de café… Un café que notre puriste prolifique et expert en « Etudes de mœurs » ne répugnait pas à consommer, à l’occasion, additionné d’un soupçon de crème. Dans « La Femme auteur », nous lisons ceci : « La tasse de café que je prends est exquise, la crème est de la crème envoyée de la ferme que mon oncle Hannequin possède à Bobigny, le café, c’est du vrai moka… ». Une entorse en forme de confession, assortie de précisions de taille : il ne s’agit pas de lait, et la provenance de la crème est un gage de qualité.

    Les premiers cafés littéraires

    Un autre grand buveur de café est Voltaire, qui passe des heures et des heures au Procope, rue de l’Ancienne-Comédie, dans le quartier de l’Odéon (et où se trouvait jadis la Comédie française).  Le Procope, « Café-Glacier depuis 1686 », fut créé par un Sicilien nommé Francesco Procopio Dei Coltelli, qui en fit un débiteur de café et de spiritueux. Pour l’auteur de « Candide », le café est une plante cultivée dans le sud et consommée dans le nord », ce qui n’ est plus vrai aujourd’hui. Voltaire boit du café dans les cafés, et lance sans le vouloir, avec ses amis Encyclopédistes, la mode des bars que l’on appelle dès lors cafés. Confondre ainsi le lieu et l’une des boissons qu’on y propose assure le succès du « petit noir ». Dès avant Sartre et Beauvoir, qui usèrent leur séant sur les banquettes du Flore et les chaises des Deux Magots voisin, boulevard Saint-Germain, les cafés deviennent littéraires au temps de Voltaire. Ce dernier n’était-il pas membre de la confrérie des buveurs de café ? Buveur impénitent – il en boit plusieurs dizaines chaque jour, mais légers ! -, il ne pense pas avec Fontenelle que c’est « un poison lent », mais au contraire un stimulant de l’esprit. Dans « Les Confessions », Rousseau témoigne de cette incroyable appétence de l’auteur de « Zadig » : Il avait la réputation de boire quarante tasses de café chaque jour pour l’aider à rester éveillé  pour penser, penser, penser à  la manière de lutter contre les tyrans et les imbéciles. » 
    Flaubert évoque le café dans « Madame Bovary » en des termes qui dénotent le soin particulier apporté à l’élaboration du breuvage : « Mm Homais réapparut, portant une de ces vacillantes machines que l’on chauffe avec de l’esprit-de-vin ; car Homais tenait à faire son café sur la table, l’ayant, d’ailleurs, torréfié lui-même, porphyrisé lui-même, mixtionné lui-même. » Brillat-Savarin souligne l’art de la torréfaction ainsi : « La décoction de café cru est une boisson insignifiante ; mais la carbonisation y développe un arôme, et y forme une huile qui caractérisent le café, tel que nous le prenons, et qui resteraient éternellement inconnus sans l’intervention de la chaleur. » 

    Boisson à connotation intellectuelle, puisqu’elle développe les capacités créatrices, le café se voit parfois opposer ses vertus à celles du thé. Proust boit quant à lui des quantités impressionnantes d’ « essence de café » – uniquement du Corcellet, acheté dans le XVIIe arrondissement de Paris, élaboré avec une précision maniaque et servi dans une cafetière en argent, cela pour tenir, et continuer de pouvoir écrire sa monumentale « Recherche du temps perdu ». Et aussi afin de calmer ses incessantes crises d’asthme. À Lisbonne, l’immense poète Fernando Pessoa passe des journées au café « A Brasileira », dans le quartier du Chiado, où il possède aujourd’hui sa statue en bronze, et c’est de là qu’il « contemple la vie en frémissant », tout en sirotant « uma bica », terme qui désigne un espresso.

    Pénétrer les cerveaux

    Cité dans l’anthologie « Le goût du café » (Mercure de France), Paul Morand déclare, non sans ironie : « Par le thé, l’Orient pénètre dans les salons bourgeois, par le café, il pénètre dans les cerveaux. » C’est dans « La Route des Indes » que l’écrivain diplomate retrace avec brio l’histoire de l’arrivée du café à la cour du Roi Soleil, puis sa conquête de l’Europe d’une boisson qui devint vite à la mode, à la cour comme dans la rue. Morand :  « Le moka brûlant fait son chemin dans l’estomac et dans les méninges de ces Nordiques lents à penser et les réveille ; les Irlandais cessent d’avoir le monopole de l’esprit ; des idées non suivies d’actes, mais qu’on aime pour leur jeu rapide et gratuit, dansent dans les têtes. » Morand se plaît à souligner l’apport spirituel du café, lequel semble secouer la vieille Europe comme une drogue douce et bienfaisante. « Stupéfiants et excitants sont les deux faces de la déesse », écrit-il encore, « les deux visages par où l’Orient sourit à l’Europe, ou grimace. Le café énerva le classicisme ; le romantisme découvrira bientôt l’autre noir abîme du désespoir humain : en 1797, Coleridge avale, à Malte, des boulettes d’opium. » 

    C’est dans son « Dictionnaire de cuisine » qu’Alexandre Dumas évoque les bienfaits du café et donne de nombreux conseils comme celui de « ne le moudre qu’au fur et à mesure des besoins, afin qu’il ne puisse perdre son arôme ».  Il prétend que « Voltaire et Delisle ont fait abus du café, qui, loin d’être un poison, comme on l’a dit d’abord, est un antidote pour tous les poisons stupéfiants ; il opère rapidement sur l’opium, sur la belladone, etc. Il faut alors le prendre très fort et une cuillerée à café toutes les cinq minutes ». Le père des « Trois Mousquetaires » donne même des recettes, comme celle du café à la crème frappé de glace, à partir d’une infusion de café Moka ou de café Bourbon : « Vous la mettez dans un bol en porcelaine, vous la sucrez convenablement, et vous y ajoutez une égale quantité de lait bouilli ou le tiers d’une crème onctueuse. Vous entourez ensuite le bol de glace pilée. »

    Enfin, Karen Blixen, dans son inoubliable « Ferme africaine », raconte son quotidien d’exploitante d’une plantation de café arabica située à près de 2000 mètres d’altitude, au Kenya, mais en revanche, elle n’abuse pas de sa consommation comme la plupart de ses frères et sœurs de plume. L.M.

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    Musiciens et peintres

    Les musiciens ne sont pas en reste. Jean-Sébastien Bach dédie au café une cantate profane, la « Cantate du café » BWV 211, pour flûte traversière, violons, timbales et voix (ténor, basse, soprano), tant il aimait ce breuvage. Il s’agit d’une sorte de mini opéra comique ayant l’addiction au café pour sujet, qui était un réel problème dans le Liepzig du XVIIIè siècle. Le dramaturge italien Carlo Goldoni consacre à sa boisson favorite une comédie de moeurs, « La Bottega del caffé ». Les artistes, compositeurs et peintres, ont eux aussi vite compris que la caféine chassait la somnolence et favorisait la création. Ludwig Van Beethoven en boit plusieurs tasses chaque matin, à raison de 60 grains scrupuleusement comptés un à un pour chaque tasse. Plus près de nous, et entre autres compositeurs et interprètes, Gustav Mahler et Glenn Gould sont célèbres pour en faire leur combustible mental fétiche.
    Quant aux peintres, s’ils en consomment depuis toujours, ils peignent à l’occasion la boisson et son service. Ainsi, de Cézanne et sa célèbre « Femme à la cafetière », ou de Manet et du non moins célèbre « Déjeuner dans l’atelier », ou encore le « Café arabe » d’Eugène Girardet, entre autres tableaux qui font du café un sujet qui n’est pas de nature morte. Mais vive. L.M.

     

  • Le Français a du whysky-appeal

    Papier paru hier dans L'EXPRESS de cette semaine :

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    Charles MacLean, maître du malt

    Par Léon Mazzella

     

    Le droit mène à tout… Même au whisky. Charles MacLean, pantalon écossais, moustache blonde soignée, regard vif, en est la preuve vivante : cet éphémère avocat, né en 1951 à Glasgow et vivant à Edimburg,  a troqué sa robe pour les habits de globe-trotter au service sa majesté le malt. Depuis, il parcourt le monde animer des Master Class pour le compte de diverses marques de whisky. Une passion née dans l’adolescence. A 16 ans, Charles se lie d’amitié Charly Grant, le fils du propriétaire de la distillerie The Glenlivet. Par atavisme et en plein cœur de la région du Speyside, Charly initie naturellement son pote Charles à la dégustation d’une eau de feu que ce dernier juge d’abord imbuvable, puis agréable, intéressante, complexe, intrigante. « Le whisky n’est pas franchement un easy drink », confie-t-il encore aujourd’hui. Désormais piqué au malt, il écrit des textes sur sa boisson favorite pour des agences de communication. Vite repéré pour la sincérité de ses articles sur l’élaboration, l’art de la dégustation et l’histoire du whisky, il travaille pour quantité de marques. En 1988, Charles rédige son premier livre, The Pocket guide of Scotch Whisky. Sa voie est tracée, on  s’arrache désormais ses commentaires. Il entame alors une carrière de conseiller, anime des ateliers de dégustation en Ecosse, puis au-delà du Mur d’Hadrien. Consécration, il participe à la réalisation du film La Part des anges, de Ken Loach. « Ce fut un sacré booster, avoue-t-il. Mais surtout une belle aventure. D’abord sollicité comme expert, Ken m’a demandé un matin d’interpréter mon propre rôle. ‘’Be yourself !’’ me lança-t-il. » 

    Voilà comment Charles MacLean est devenu l’un des connaisseurs les plus respectés de la planète maltée. Celui que The Times a sacré, en 2010, meilleur expert du whisky d’Ecosse, confesse avoir également une attirance pour les flacons japonais, indiens et taiwanais, en humant avec gourmandise un pur écossais Glen Turner Heritage, lors des premières master class* organisées dans l’Hexagone par la distillerie créée, en 1981, à Bathgate (Ecosse) mais en activité depuis 2004 seulement, et qu’il animait fin septembre à Paris. 

    L’occasion, pour notre expert, de rappeler combien il apprécie l’amateur français (rappelons que, avec 1,26 million d’hectolitre achetés en 2011, la France est le premier pays consommateur de whisky), car « votre culture du vin, des eaux de vie ambrées et de la gastronomie en général, vous donne un incomparable whisky-appeal. Chaque Français est un whisky-addict avec lequel j’ai plaisir à parler des grands whiskies comme des crus classés. » 

    Autour de son cou, une sorte de coquille saint-jacques se balance au gré de ses gestes amples. C’est son pedigree absolu : MacLean n’est pas peu fier d’être Master of the Quaich (en gaélique, quaich désigne le verre à whisky idéal). Ce club vénérable l’a non seulement adoubé comme Keeper (gardien du temple), en 1992, mais promu Master, il y a cinq ans, soit le titre suprême, partagé par une petite cinquantaine d’heureux élus de par le monde. Un sésame. 

     

    * Six whiskies furent proposés au cours de cette dégustation exceptionnelle : deux single malt des Highlands, Old Pulteney 12 ans d’âge (floral, aromatique, marin) et Clynelish 14 ans (suave, profond) ; un single Highlands malt, Glen Turner 12 ans (boisé, tourbé, miellé, réglissé) ; un whisky d’assemblage de malts de 15 ans d’âge, Glen Turner Heritage (boisé, vanillé, fruité, caramélisé) ; deux Islay single malt, Bowmore 12 ans (fumé, salin) et Kilchoman Machir Bay (fumé, boisé, marin). 

  • LUXE, CANNE ET VOLUPTÉ

    rhum.jpegPapier paru dans le hors-série "vins" de L'Express il y a quelques jours => allez, zou! tous au kiosque! Pour que vive la presse écrite!

    Rhums agricoles

    LUXE, CANNE ET VOLUPTÉ

    Par Léon Mazzella

    Il y a le rhum de mélasse – à la sonorité déjà dégradante, issue de résidus de sucrerie, et dont on fait la plupart des rhums basiques de la planète. Et puis il y a le rhum de canne, issu de la fermentation et de la distillation du vesou, le jus de canne à sucre. Et ça a une autre allure – au nez comme en bouche. Pour cela, il n’y a guère que la Martinique (et la Guadeloupe, bien que celle-ci ne bénéficie d’aucune AOC) qui vaillent. D’aucuns en produisent à La Réunion et à Maurice, mais force est d’admettre que les seigneurs de l’agricole nichent sous les tropiques antillais, rompus depuis des siècles à l’élaboration minutieuse du rhum à base exclusive de jus de canne. Le rhum agricole doit son acte de naissance au Père Jean-Baptiste Labat qui, en 1694, bricola une guildive (eau-de-vie sucrée) afin de soigner la fièvre. Ce qui autorise les guadeloupéens (en créole, « pèrlaba » désigne un esprit fûté) à se considérer comme les inventeurs de cet alcool, car le missionnaire dominicain l’élabora à l’artisanale distillerie Poisson, sur l’île de Marie-Galante. La culture de la canne connut alors un essor considérable qui dura jusqu’à l’aube du siècle dernier. 

    Une AOC pour la Martinique

    Il y a eu les dix commandements, les douze salopards et les sept samouraïs ; et puis il y a les onze rhums. De la Martinique. En obtenant une AOC le 5 novembre 1996, les apôtres de la canne à sucre, plante introduite dans l’île en 1638 par Christophe Colomb, ont hissé le rhum agricole et le rhum agricole vieux au niveau des meilleurs alcools européens. Que celui qui n’a jamais confondu un excellent cognac, voire un armagnac ou un calvados (lire par ailleurs dans ce numéro) avec un rhum agricole vieux en les dégustant à l’aveugle, lève le doigt. Ces liqueurs ambrées répondent aux jolis noms de Depaz, Lamauny, Bally, Clément, Neisson, Dillon et autres J.M. (Crassous de Médeuil, pour les intimes), Trois Rivières, Old Nick, Saint-James, Habitation Saint-Etienne (HSE pour les initiés du rhum de Gros-Morne)… Rappelons d’une ligne qu’il y a peu encore, le rhum entrait dans nos foyers par la cuisine, au placard pâtisserie, et n’en sortait, ni à l’heure de l’apéritif, ni à celle du digestif. Il aura fallu la mode des cocktails pour que le rhum agricole (blanc, d’abord) sorte du bois (et du formica). Le rhum ambré et le rhum vieux attendaient leur heure. Aujourd’hui, ce dernier s’apprécie seul comme une autre eau-de-vie brune, à l’instar d’un armagnac, et escorte à l’occasion son vieil ami le havane. À l’heure où les tourments de la vie quotidienne encombrent notre esprit, un rhum, un cigare, et ainsi soit-il ! Cela permet en effet de tirer un trait sur les soucis tout en faisant apparaître des saveurs de vieux souvenirs, des splendeurs aromatiques où se mêlent soleil et miel, canne et vanille, poivre et cuir, touffeur humide et sourire caraïbe. Avec un couple aussi sensuel, tout est affaire de calme et de volutes. Luxe, canne et volupté, en somme. 

     

    IMG_1225.jpgDU VESOU AU FOUDRE

    Le « vin de canne », ou vesou, titre 5 petits degrés. Il est issu de la fermentation éthylique du jus par l’action des levures naturelles, puis il est distillé (en continu) dans un alambic à colonne, composé de plateaux « d’épuisement » qui reçoivent le vin par le haut. Le résultat titre 70°, qu’il convient de diluer jusqu’à obtenir 55° ou  50°, selon que l’on souhaite faire un rhum ambré, un rhum vieux, ou un rhum paille ou bien un blanc, bien sûr (ils sont tous « agricoles »). Les rhums agricoles passent de un à quinze ans en foudres de chêne. Quatre ans sont nécessaires pour obtenir un VSOP, six pour un XO, et entre huit et douze ans pour qualifier un rhum « Vieux hors d’âge ». L.M.

     

     

     

  • L'ivres-se

    IMG_1225.jpgPapier sur les livres évoquant le vin et autres breuvages paru dans le hors-série vins de L'EXPRESS / L.M.

     

    L’AUTODÉRISION DE L’AMATEUR BOBO

    Mimi, Fifi & Glouglou, par Michel Tolmer, L’épure, 96 p., 22€

    Les habitués de l’hilarant site Glougueule, « pour les hommes et les femmes de glou », créé par Michel Quesnot, connaissent les aventures  - sous-titrées : « Petit traité de dégustation » - de ce trio de joyeux drilles qui n’a qu’une obsession : déguster des vins à l’aveugle. Michel Tolmer, célèbre dessinateur au service de la dive, nous régale en pratiquant l’autodérision avec finesse. Car son trio, loin d’occuper « les territoires de l’arrogance et de la morgue », comme le dit justement dans sa préface Jacques Ferrandez, autre auteur célèbre de BD et compagnon de zinc, se vautre avec joie dans la syntaxe du bobo qui ne désigne un vin que par le prénom du vigneron, ou bien par la parcelle inconnue dont est issu ledit vin. Un grand moment de rigolade à lire à la régalade.

     

    livres vins.jpegLE RUBAN MAGIQUE

    La magie du 45è parallèle, par Olivier Bernard et Thierry Dussard, Féret, 160 p., 19,50€

    Ce ruban planétaire –situé entre le 45ème et le 50ème parallèle -, est une sorte de ligne de démarcation, « une ligne de partage où convergent les équilibres », résume Olivier Bernard (Domaine de Chevalier, dans les Graves), coauteur de cet ouvrage avec le journaliste Thierry Dussard et vingt-six contributeurs aussi prestigieux dans leur domaine propre, que Michel Serres, Alain Dutournier, Jean-Louis Chave et Jean-Robert Pitte. C’est donc à la fois une bonne étoile et un beau mystère, car il permet d’engendrer des vins exceptionnels sur son sillage. Comme il existe ainsi une ligne de partage du vin (à l’instar de celle des eaux), une « ligne à haute tension » qui ne donne « rien de trop », souligne l’écrivain Jean-Paul Kauffmann dans sa préface. C’est le méridien de Greenwich des amateurs du sang de la vigne, « le tracé de l’excellence », « le fil rouge de l’excellence viticole », précise Aubert de Villaine (même si le 45è touche surtout Bordeaux et si la Côte d’Or se situe sur le 47è). Car il faut s’y résoudre : c’est là que ça passe, par ce juste milieu que ça se passe, là que l’équilibre se fait et que l’excellence naît,  par le biais d’une alchimie aussi poétique que scientifique, mais que l’indispensable savoir-faire de l’homme vigneron parachève. Parallèle jacta est, pourrait-on ajouter. 

     

    LA BIBLE EFFERVESCENTE

    Un parfum de champagne, par Richard Juhlin, Féret,  400 p., 54,50€

    L’auteur, réputé être le plus grand expert au monde des vins de Champagne, est un surdoué du nez, un souverain pif ! Il en a dégusté et noté 8000 pour cet énorme livre appelé à faire date. Œnologue suédois, journaliste wine globe-trotter  et conférencier recherché, Richard Juhlin offre cette somme dont l’ambition est d’être, de son propre aveu, « une approche aromatique orientée sur le plaisir de la dégustation, reflétant ma propre philosophie de l’effervescence champenoise ». Une sorte d’autobiographie ouvre le livre, qui se poursuit naturellement par des chapitres évoquant l’histoire, la géographie, le savoir-faire champenois, enrichie d’une galerie de portraits et de l’écho prodigieux du champagne dans nos univers culturels. Il s’agit cependant d’un propos personnel à chaque page, car Juhlin est davantage épicurien que technicien : « je transforme en mots ces instants fragiles de la dégustation où je sens le champagne », écrit-il par exemple. La seconde partie de l’album, qui passe en revue 8000 flacons, force le respect, car non seulement les notes reflètent un talent, mais elles font également écho, avec sensibilité et respect, aux hommes et aux femmes qui élaborent le vin le plus magique du monde. Et l’auteur d’ajouter  « une chose est certaine, après avoir dégusté tous ces Champagne, la vie est trop courte pour boire du cava espagnol ! ». Pop… 

     

    LE VERRE EST UN PASSEUR D’ÉMOTION

    Inspirations, par Gérard-Philippe Manbillard, Glénat, 25€

    L’idée, originale, revient à Christian Michellod, qui créa la Fondation Moi pourlivres vins1 1.jpeg Toit, destinée à venir en aide aux enfants de Colombie. Puis ce livre, pour évoquer les vins du Valais (Suisse) en invitant des stars du cinéma, du sport, de la littérature, de la mode ou de la musique à photographier le plus librement possible un verre de vin. Cela produit un livre estuaire, « dont les histoires se rejoignent comme des rivières qui se jettent à la mer ». De Paul Smith à Sandrine Bonnaire, d’Eric Neuhoff à Viggo Mortensen ou encore de Jacques Dutronc à Zinédine Zidane et Sarah Moon, 56 regards très personnels et redoutablement esthétiques pour la plupart composent un album singulier.

     

    TRONCHES ANGEVINES

    Vignerons d’Anjou, Gueules de Vignerons, par Jean-Yves  Bardin (photos) et Patrick Rigourd (textes), Anovi, 128 p., 22 €

    C’est un livre de douceur. Angevine, pour le coup. La galerie de portraits brut nature de cette pléiade de vignerons d’Anjou est une ode à l’humain qui travaille la vigne avec talent, constance et pugnacité tout en respectant  les lois naturelles et en repoussant l’intrant chimique comme la peste. Il y a des stars : Nicolas Joly, Agnès et René Mosse, Patrick Baudouin, Mark Angeli, Jo Pithon, Vincent Ogereau… D’autres un peu moins connus. La plupart travaillent « en bio » et tous affichent ici leur authenticité, car ces portraits saisis sur le vif comme une côte sur la braise, disent l’Anjou vigneron qui hisse son savoir-faire au plus haut depuis quelques années, et vise les sommets. Feu !

     

    SAKÉ MODE D’EMPLOI

    L’Art du saké, par Toshiro Kuroda, photos d’Iris L., La Martinière, 224 p., 49€

    Toshiro Kuroda est un sakéologue passionné par ce produit japonais méconnu, sorte de « bière de riz », fabriqué à base de riz rond, poli, fermenté, puis pasteurisé et qui exprime une palette aromatique à faire pâlir les vins les plus complexes. L’auteur nous dit tout sur l’élaboration du saké et sur les différentes familles de cet alcool plusieurs fois millénaire : sakés aromatiques, de goûts, de fraîcheur, matures. Sakés namazake (crus), futsushu (de table), junmaï (sans distillat d’alcool), de garde, ou encore kimoto (au levurage naturel). Il nous ouvre également les portes des grandes maisons de saké. Le livre – aux photos splendides, s’accompagne enfin de recettes au saké signées par de grands chefs français. Zen et raffiné

     

    Ô MAGNY !

    Into wine, une invitation au plaisir, par Olivier Magny, 10/18, 250 p., 13,10€

    Le créateur de l’école de dégustation Ô Chateau et du bar à vins parisien éponyme, est un sommelier autodidacte passionné, ayant le beau souci de transmettre son goût pour le sang de la vigne avec humour et fraîcheur. Olivier Magny raconte ici son propre parcours dans le monde joyeux des vignerons du monde entier avec sensibilité et humilité. Il est question dans cet ouvrage un peu fourre-tout de biodynamie, de wine-makers, de bouteilles coups de cœur, des courbes comparées de ventes de pauillac et de Prozac, de l’affligeante propagande anti-vin, de l’art de lire une étiquette ou encore des « terroiristes ». Une saine invitation au plaisir à picorer au hasard.

     

    livrevinn.jpegODE EN BD À LA BOURGOGNE 

    Chroniques de la vigne, par Fred Bernard, Glénat, 152 p., 19,50€

    Auteur de nombreuses BD pour la jeunesse, Fred Bernard, né à Savigny-les-Beaune, fils et petit-fils de vignerons, choisit de raconter le vignoble bourguignon à travers une conversation atypique et chaleureuse avec son grand-père. L’ouvrage est enrichi d’extraits lumineux des « Effets psychologiques du vin », d’Edmondo de Amicis (L’Anabase). Les dessins sont sensibles, et l’approche « tutoyante » du vin par les propos tendrement passionnés du papy, rendent l’ouvrage infiniment touchant.

     

    ALIMENTAIRE, MON CHER…

    Boire sans grossir, sans excès… Et sans nuire à sa santé, par Laure Gasparotto, Flammarion, 230 p., 17 €

    Le vin est un aliment. Il fallait le rappeler et l’hédoniste Professeur Jean-Didier Vincent l’exprime brillamment dans sa préface. Laure Gasparotto prolonge cette tautologie de façon quasi scientifique : dis-moi quel est ton métabolisme et je te dirai quels vins boire, lance d’emblée l’auteure (en précisant d’ailleurs que les vins dits naturels ne sont pas davantage bons pour la santé que les autres). Laure invite à boire avec modération, toujours pour le plaisir et plutôt en mangeant, nous aide consciencieusement à choisir les vins afin de ne pas grossir, établit des « points santé » selon les couleurs, les appellations et même selon les domaines ! Apprendre ainsi que le champagne d’Anselme Selosse est bon pour notre corps, réjouit l’esprit (en taquinant le porte-monnaie), mais bon, tant qu’on a la santé… 

     

    AUBERT DE VILLAINE A DISPARU

    La Romanée contée, Pinot noir contre Dragon blanc, par Simmat & Bercovici, Vents d’Ouest, 64 p., 12,50€

    Le duo a encore frappé. Le journaliste Benoist Simmat au stylo (infos garanties bien « sourcées »), et Philippe Bercovici, « l’homme qui dessine plus vite que son ombre » aux crayons,  nous donnent une nouvelle BD en forme de polar bachique ayant pour thème l’énigmatique disparition, lors d’une soirée donnée à Clos Vougeot, du plus célèbre vigneron français, Aubert de Villaine, « l’homme de la Romanée-Conti ». Et c’est parti !.. Le lecteur se régale, croise Bernard Pivot, François Pinault, Robert Parker et Louis Ng, milliardaire chinois, embarque pour Macao, le tout dans un tourbillon hilarant et captivant comme un thriller. Remettez-nous ça !

     

    SAINT-EMILION VU DE L’INTERIEUR

    Esprit de Saint-Emilion, par Daniel Rey et Geneviève Jamin, photos de Flavio Pagani, Les éditions d’Autils, 264 p., xxx €

    Plus d’un million de personnes visitent chaque année Saint-Emilion, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, mais personne, ou si peu, ne pénètre l’intérieur des châteaux les plus célèbres du cru. C’est à ce voyage que « Esprit de Saint-Emilion » nous convie, en faisant la part belle aux photos. En feuilletant, nous avons le sentiment d’être un instant l’hôte des propriétaires de crus aussi célèbres qu’Angelus, Ausone, Cheval  Blanc ou Troplong-Mondot. Et d’entrer dans le salon de l’un d’eux, d’en investir le canapé, de passer par la cuisine et d’y soulever un couvercle. Pour une fois, nous ne sommes plus les visiteurs des seuls chais. Le lecteur possède les clés, et ici, tout est luxe, calme et volupté, dirait Baudelaire. Raffinement et décoration bourgeoise en disent long sur les habitants des lieux. Peut-être autant que leurs vins eux-mêmes.

  • 64 à 75

    C'est le score qui gagne. Avec 64, on mange 75. Comment? - En s'invitant (Saint-Léon, patron de Bayonne) à Saint-Germain, autour de la rue de la soif, rue Princesse et rue Guisarde, à un jet de gravier ramassé (à marée descendante et forte, devant un shore-break pentu et bruyant, menaçant même - celui qui te prend par les chevilles que tu dois alors planter grave comme des poireaux ou des asperges si tu veux pas t'ennoyer) à la plage de La Chambre d'Amour, à ce jet donc, de la Place Saint-Sulpice (Paris 6). Le CDT64 et ses belles (Cécile, Christiane, Emilie) avaient fait rhabiller les bars-restos de la zone aux couleurs de la Côte : Bayonne, Anglet, Biarritz, Bidart, Saint-Jean-de-Luz... Et c'était super. Il y avait un monde fou, on se serait cru aux Fêtes de Bayonne : du rouge et blanc partout, des petits foulards 64 sur les nuques, des bandas, des Paquito chocolatero (même un géant, vendredi soir) envoyés ici et là, des chants basques enchaînés dans les bars (chanter à fond les cordes Aïce Hegoa rue Princesse, ça, je n'avais jamais imaginé le faire un jour). Avec mes amis Jean-Luc Poujauran, le boulanger star et Dominique Massonde, chef d'Oppoca à Aïnhoa, nous étions les Trois Mousquetaires (sans aucun d'Artagnan) d'un jury chargé de tester les tapas de tous (neuf établissements jouaient le jeu), et nous avons élu, haut la langue, Pierre, du Birdland, angle Guisarde-Princesse, pour ses makis basques, son tartare de boeuf au piment d'Espelette, et son guacamole aux gambas impeccablement rôties... Au café Bidart, la simple tapa (tranche de pain, crème fromagère au maïs rehaussée d'un poivron rouge) était elle aussi renversante (photo de l'exécutante ci-dessous), mais nous avons tranché dans l'art. Ca, c'était vendredi soir : une soirée comme on aime, a tapear, a beber de bar en bar, transpercé d'amitié et de fierté simple, habillé de si peu, revêtu de grâce (à force de), le verbe chaud et le regard droit, le bonheur tranquillou en ligne de mire et la montre dans la Nive (ici, elle s'appelle la Seine - l'Adour sert à d'autres jets et rejets). La veille, à l'Eden Park, il y avait les amis réunis : atlantica-séguier au complet, à commencer par Jean Le Gall, le boss, et puis Sylvie Dargelez l'indispensable, leurs auteurs (dont mon ami d'enfance Alain Gardinier, l'inénarrable Roland Machenaud, ma pomme), de futures pièces rapportées  comme l'ineffable Gorka! (d'autres : mais, chuuutt!), et au fond du rade Pierre Oteiza himslef aux commandes charcutières, à l'entrée : la cave d'Irouléguy déléguée aux chutes du Niagara en trois couleurs dans des verres à pied - sélect jusqu'au bout -, et la nave vava, té! Il y avait également Régine Magné (ex-Sud-Ouest et Gascons toujours), Patrick de Mari et Blandine Vié (gretagarbure, the blog gourmand entre tous!), plein d'autres... Photos (avec un téléphone, agur les pixels!) du concours de tapas. Addeou!

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  • impressions notées en randonnant entre lacs et barrages pyrénéens

    Le courant passe. Au bout de trois heures de marche, au-delà du dernier « ressaut herbeux » indiqué par le topoguide, tandis qu’un couple de milans royaux plane au-dessus d’une clairière plate comme la main ouverte de Gulliver, nous ne nous sentons plus empêtré par la sinuosité du sentier, les hésitations de la météo et cette semelle Vibram qui menace de se décoller à gauche en nous obligeant à traîner le pied depuis deux bons kilomètres. Surgit le barrage. Gigantesque carlingue, longue coque, armure cuirassée, il figure une muraille ne pouvant s’accoupler qu’avec le silence, dans une solitude heureuse, contemplative. Celle qui aide à poétiser la vie en ne faisant rien. Rien d’autre que s’asseoir, oublier tout sauf ça, admirer, débarrassé de toute culture, en immersion dans une nature qui tolère ce qui l’épouse avec  beauté. Car un barrage, c’est beau, en altitude, les pieds cimentés dans l’eau, gagné à ses bordures par une végétation sauvage qui est parvenue à apprivoiser ce monstre dressé au ventre plat, ce chevalier sans tête qui brise l’horizon pour mieux le faire rebondir dans le regard du randonneur, au-delà du lac et sous les sapins. 

    Retenue. Retenue d’eau. Rétention bienveillante, tantôt couleur lame de scie à plat, ou bien langue infinie et bleue, augmentée d’un friselis lorsque passe un vent. Virage sur l’aile, vaguelettes, micro clapot, eau. Ici l’eau vit. Parle. Résonne contre la paroi majuscule, lui chuchote des choses à la base, lui offre son reflet quand le soleil chante. L’eau s’épanche, prend ses aises, s’étale dans les grandes largeurs, ne laisse rien transparaître de ses profondeurs.

    Intime. Le barrage se penche sur l’eau, Narcisse intimidé, au col raidi d’un Erich Von Stroheim, montagne vue par Caspar David Friedrich. Au moins. Le barrage s’arque, rentre le ventre, boute hors de, creuse devant, donne à voir ses abdos que des traces d’anciens niveaux d’eau verdissent. Le barrage étend ses bras, il semble vouloir danser le sirtaki contre l’épaule des forêts voisines. Le barrage est terre d’accueil. Pays sage d’eaux tranquilles et plongées dans l’attente d’un lâcher prise, d’une libération à venir.

    Rivage. Le paysage qui environne chaque barrage impose au regard son côté Syrtes. L’attente, l’oubli, l’ouverture à venir, l’ouverture des vannes comme un sexe.

    Origine du monde. Un frisson parcourt l’échine du randonneur qui imagine tout à trac ce paysage comme une offrande à ses yeux émerveillés, englouti sous des millions de mètres cubes d’eaux en bouillons, d’écumeuse dévastation, d’apocalypse locale, de trombe torrentielle commandée par une main d’homme.

    Fracas. Assourdissante, colérique, tellurique rumeur des eaux en fureur. Là, le barrage perd ses eaux. Accouche d’un vallon mis à nu, d’une vallée mise à sac, inonde la base et assèche les sommets. Sortie du rêve.

    Sexe. Oui, il y a du sexe de femme dans l’idée du barrage. Retenue, fuite, fontaine, sueur de sang, abandon, sommeil, nuit, profondeur, méandres, inconnu, secrets.

    Paisible étreinte. Le barrage, planté comme un quartier d’ananas au cœur d’une tranche de paysage pyrénéen, figure un gâteau de paix. Il rassure aussi puissamment l’âme du marcheur, qu’un clocher surgi du brouillard dans la plaine, réchauffe l’âme en feu de détresse d’une grappe de soldats en déroute. 

    Accroché. Il y a les pins à crochets. Les biens nommés, lorsqu’ils se reflètent dans l’eau de retenue, accrochent leur cœur à l’onde, fondent le vert cru de leurs ramures dans les nuances froides et changeantes d’un lac au tain capricieux. Dilution. Déréliction.

    Coq. Délicate apparition. Soudain l’unique se produit. L’inattendu capital, la surprise énorme, my love supreme, s’offre à nos yeux ingénus, à l’heure du casse-croûte matinal qui répare les parois de l’estomac mis à mal par la montée. Mais il s’agit là d’un ventre soudain dévasté par l’émotion : sa majesté le grand tétras nous apparaît. Magiques Pyrénées. En lisière, le grand coq de bruyère se tient immobile, aux aguets, le souffle coupé par un doute cardinal. C’est que le randonneur, microbe qu’il est, que nous sommes par conséquent, ou inconséquence, n’appartient pas au paysage familier de l’oiseau roi. Statufié, tétras scrute. L’œil serti dans sa caroncule rouge ne tremble pas. L’instinct de survie interroge le paysage, implore le retour du serein. Qui vient à peu près, car le randonneur sait tout du mimétisme et de l’art de l’immobilité. Le randonneur, par chance, sait ceci. Et cela : se tapir, se taire. Il sait éviter de gâcher l’esprit de la rencontre rare. Le coq se détend, avance une patte, puis l’autre, fait quelques pas, se risque ici, pas là, disparaît dans un buisson…

    Epée. Le barrage est une épée plantée jusqu’à la garde et dont on ignore la longueur de la lame. C’est une arme sans pommeau. Décapitée. Comme le chevalier inexistant, cette lame de béton s’enfonce obscurément. Profondément. Mystère de la pénétration. Le barrage est nuit. Inexorablement accouplé au silence massif de la montagne.

    Abandon. Regarder un barrage au centre de son environnement, c’est éprouver l’abandon. Nous imaginons vite la genèse de l’ouvrage. Une fourmilière d’hommes au travail. L’édification lente du monument. Le hérisson des machines de levage, outils en faisceaux, herses gigantesques, camions ruant, croisant, nuées de poussières, ruche. Tandis que là, devant nous, tout n’est encore que solitude et silence, harmonie arrangée d’un ouvrage avec les éléments fendus. Equilibre retrouvé. C’est à peine si nous apercevons parfois des hommes marchant comme des marins sur le pont supérieur d’un navire, casque de chantier sur la tête comme un bouton d’or, vu de loin. Il y a un côté mer dans le quotidien des agents affectés à un barrage. L’eau les unit. Le voyage immobile sépare les uns des autres. Un sel de vie différent les oppose. Mais je sais qu’une amitié sourde les unit, qu’une connivencia les confond par tacite induction. 

    Aridité. Minéralité. La pierre sèche et grise, monumentale, semble vouloir toucher le ciel. Rien ne pousse. Un barrage existe là aussi. Sur la lune pyrénéenne. ¨Paysage d’après le déluge. Silence « comac » dit-on à Toulouse. Epais. À côté duquel n’importe quel tombeau ressemble à une boîte de nuit avec DJ intégré. L’eau bouge. Rassure. Le randonneur cherche un oiseau pour apaiser cet étranglement mental. Des pensées fortes, voire mystiques, issues de lectures anciennes, remontent à la surface de son esprit : Buddha, Diogène, Pascal sont appelés à la rescousse. Tout le monde sur le pont. Le barrage finit par apaiser. Sa présence humanisée nous dit la trace. L’âme. Et l’on se prend à imaginer un moine perché dans sa thébaïde du Mont Athos. A l’horizon infini, qui sera pourtant et à jamais le tour de taille de nos désirs.

    Hiératique. Un barrage est un moine. Un chevalier errant vêtu d’une cape. Dressé sur son cheval noir, parfaitement immobile, il toise. Implacable. Il impose cette radicalité de la nuance chère à Camus, qui réchauffe l’intérieur. Corps et esprit mêlés. « Montagne des grands abusés / Au sommet de vos tours fiévreuses / Faiblit la dernière clarté. / Rien que le vide et l’avalanche / La détresse et le regret !», nous chuchote René Char dans son poème sobrement intitulé « Pyrénées ». Mais nul regret ni détresse ici-haut. « Nous avons guetté jusqu’à la terreur le dégel lunaire de la nausée », écrit-il ailleurs (« Plissement »). Le poète de « la neige inexorable »

    L.M. (extraits) A suivre.

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    Pour aller avec : http://bit.ly/1jW5ClL 

    Et aussi (on en reparlera) : 

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  • Iraty, again

    images (1).jpegimages (2).jpegimages.jpegtéléchargement (1).jpegtéléchargement.jpegC’est la plus grande hêtraie d’Europe. A cheval sur la France (province basque de Soule) et l’Espagne (Navarre), avec ses 17 000 hectares,  c’est une forêt certes exploitée mais très sauvage, où la profondeur du silence n’est troublée à l’automne que par le brame du cerf et le craquement d’une brindille sous le pas d’un chercheur de champignons ou plus rarement sous celui d’un chasseur de bécasse, eu égard à la pente du terrain, qui en rebute plus d'un. Les cèpes d’Iraty se conquièrent car la montagne s’apprivoise, mais celle-ci est relativement douce et la forêt correctement balisée. En octobre, elle se pare d’un mantille rouge, or, mordorée et brune qui n’a rien à envier au manteau forestier québécois. La forêt résonne de cervidés, sangliers et toutes sortes d’oiseaux (palombes, pics, vautours fauves, milans noirs et royaux, grues cendrées, passereaux divers, du pipit à la grive draine) la survolent. L’hiver, lorsque la neige recouvre les cols et le sol de la forêt, Iraty propose 4 pistes de ski de fond (35 km au total) ainsi que des itinéraires balisés pour les randonnées en raquettes : un must ! Se promener une journée dans la forêt en raquettes à la recherche des traces laissées par les animaux sur « le livre de la neige » est un pur bonheur. Le reste de l’année, les sentiers de randonnées sont nombreux en forêt (80 km de pistes forestières au total) et sur les crêtes. Une balade classique mène au Pic des Escaliers, une autre conduit au majestueux Pic d’Orhy (2017m, le point culminant), via la route des cols de chasse à la palombe : Millagate, Odixar, Tharta ou encore Sensibil. On trouve également le GR10 au départ des Chalets d’Iraty. Non loin de là se trouve la crête douce d’Orgambidexka, le « col libre », qui sert de site d’observation privilégié pour les ornithologues en herbe drue –il est situé sur un vrai couloir migratoire. Les amateurs de pêche (omble chevalier, ou saumon de fontaine, truite arc-en-ciel) peuvent s’exercer sur les deux petits lacs d’Iraty-Soule et Iraty-Cize ou bien tenter leur chance, à la mouche, dans la rivière Irati, où les truites farios donnent de la soie à retordre (carte et timbre halieutique en vente aux Chalets). Enfin, les ennemis du silence et de la lenteur peuvent se livrer aux joies du VTT (location sur place) afin de décharger un trop plein d’énergie. Iraty c’est tout cela et bien plus encore. Car c’est un site d’une grande poésie où l’on ressent profondément l’âme du Pays basque dan sa partie la plus âpre ; la Soule. L.M.

     

    Photos © CDT64.  www.tourisme64.com

     

     

    Dormir, manger : 

    Chalets d’Iraty : location de chalets (de 2 à 30 places). www.chalets-iraty.com.  Honnête restaurant à proximité (centre).

    Chalet Pedro. Une institution en pleine forêt et à cheval sur la rivière Irati. Gîte confortable, restaurant classique et typique, grande terrasse avec le son du torrent , accueil formidable d’Isabelle www.chaletpedro.com   

    A Larrau, chez Etchemaïté. Autre  institution. Hôtel très correct. Restaurant réputé (cuisine basque généreuse, tendance gastro) www.hotel-etchemaite.fr.

    A St-Jean-Pied-de-Port, Les Pyrénées, Arrambide père et fils : Hôtel (Relais & Châteaux). Le  grand restaurant de l’arrière-pays basque www.hotel-les-pyrenees.com

    Carte : TOP25 d’IGN 1346ET. Forêt d’Iraty/Pic d’Orhy.

    Equipement :

    Vêtements discrets, de pluie, chauds, bonnes chaussures de marche, jumelles, lunettes de soleil, gourde, couteau.

    Domaine-Brana-rouge.jpgArdi gasna (fromage de brebis des bergers du cru, achetez-le chez Mayté, le spécialiste du jambon Ibaïona, qui est excellent, à St-Jean-le-Vieux, avant de monter). Irouléguy (passez chez Jean et Martine Brana à St-Jean-Pied-de-Port et prenez aussi la prune ou la poire, pour la flasque). Pain (si vous montez par l'autre côté, prenez la fougasse -pas trop cuite- à Tardets, dans le virage à la sortie). 

    téléchargement.jpegLire : le must de la poésie de Philippe Jaccottet : L'encre seraitnageur-de-riviere-416658-250-400.jpg de l'ombre (Poésie/Gallimard), Aphorismes sous la lune, de Sylvain Tesson (Pocket), le dernier livre (deux novelas, genre où il excelle) de (Big) Jim Harrison, et qui arrive ce matin en librairie : Nageur de rivière (Flammarion), ou encore un ou deux classiques comme un bon Thoreau (Walden), et La rivière du sixième jour, de Norman McLean (Points) qui devint Et au milieu coule une rivière, au cinéma. 

     

     

     

  • picorage

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    La collection Champs de Flammarion propose une anthologie délicieuse. Cette Petite bibilothèque du gourmand, concoctée par Sylvie Le Bihan et préfacée par Pierre Gagnaire, permet de découvrir ou de relire des perles littéraires. On n'échappe pas à l'épisode de la Madeleine de Proust, dans Du côté de chez Swann, aux premières pages du Salammbô, de Flaubert, qui débute, souvenez-vous, par l'admirable incipit suivant : C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar... Il y  a dans ce livre précieux des textes fondateurs d'Escoffier, de Dumas, de Rabelais, de Grimod de La Reynière, de Casanova. Nous trouvons aussi des auteurs devenus des classiques du genre -pour une part de leur oeuvre-, comme Manuel Vasquez Montalban, ou Jean-François Revel. Et aussi des morceaux de choix comme cet extrait de (l'excellent) Une gourmandise, de Muriel Barbéry, à propos de sardines grillées, des textes plus surprenants aussi, comme ceux du toujours déroutant Roland Barthes, du regretté Jean-Claude Izzo, de la Bayonnaise Marie Darrieussecq. Il y a en magasin la recette désopilante du cheval Melba de Desproges (qui nous manque davantage chaque jour), un extrait de l'inoubliable Vie et passion d'un gastronome chinois, de Lu Wenfu, un texte peu ragoûtant de Sade sur Le bel effort que d'avaler du pissat de pucelle! (on n'est pas obligé de tout boire, dans ce livre), d'autres encore, de Caroll à Onfray, de Daudet à Zola, de La Bruyère à Alain, de Rimbaud à Roy Lewis, de Camilleri à Vian ou encore Céline... Qui sont autant de pintxos (tapas basques espagnoles) à lire comme Montaigne conseillait de le faire : en picorant; comme les poules. Un régal.

  • les fondamentaux de la cuisine "sud-am"

    C'est un papier que je publie dans le magalogue (magnifique) de Voyageurs du Monde consacré à l'Amérique Latine : 

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    C’est une cuisine forte en gueule et régressive, davantage terrienne que maritime. Toujours relevée, elle flirte avec le sucré, privilégie le mou au dur et le convivial au chichiteux. Certains plats emblématiques sont éloquents, reflètent les traits des deux cultures dont cette gastronomie est issue –d’un côté l’Ibérique et de l’autre un bouquet de traditions locales de chaque pays d’Amérique du Sud. Prenons les Moros y Cristianos ou Congricubains, un classique que l’on retrouve au Nicaragua et au Costa-Rica sous le nom de Gallo pinto et encore de Pabellon criollo au Venezuela et de Rice and beans à Belize. Il est composé de haricots noirs et de riz blanc servis à parts égales mais séparées dans l’assiette. Celui qui les mange les mélange : il « métisse » ainsi moros, les Maures (par extension, les noirs venus d’Afrique) et cristianos, chrétiens blancs venus d’Espagne et du Portugal. Voilà qui donne du sens et exprime un esprit d’ouverture. Cette cuisine est fondée sur une poignée de produits faciles à préparer ou à transformer et dont la vocation roborative rappelle le travail paysan. Elle est humble ; pas pauvre. Son ingénue simplicité la rend touchante. Elle n’est pas figée, plus nutritive qu’inventive ; jamais « light ». Les produits essentiels avec lesquels elle jongle peu parlent d'eux-mêmes : ainsi du maïs, de la patate douce, présents dans de nombreux plats mexicains –pays dont les traditions culinaires dominent le continent. Du tubercule du manioc, ou Yuca, largement utilisé dans les pays andins : Colombie, Pérou, Bolivie. « Chipsé », il donne les Yucas fritas d’Equateur. Au rayon herbes, Maté (Argentine) et Epazote (Mexique) sont aussi essentielles que notre persil. Certains mélanges d’épices (cumin, coriandre) comme le Recado sont typiques du Guatemala. Quant aux piments forts, ils agrémentent systématiquement chaque plat, de la Patagonie au Panama. Les spécialités ayant conquis le monde sont légion. Il n’est qu’à citer les Fajitas (symbole de la cuisine tex-mex), les Empanadas (chaussons farcis de viandes et d’herbes aromatiques), les Tortillas diverses (galettes de maïs), comme les Totopos mexicaines (tortilla chips), les Enchilladas (pimentées), ou encore les Tostones (chips de banane plantain porto-ricaines) et les Tamales de elote (crêpes de maïs honduriennes), pour se convaincre du succès d’une cuisine quotidienne. Sans même évoquer le Guacamole (Mexique, à base d’avocat) et le Chumichuri, cette sauce argentine (ail, cayenne, oignon, persil, origan, huile, vinaigre), qui agrémente les viandes grillées –à commencer par l’excellent bœuf. Parmi les plats familiaux exprimant la fusion des deux cultures fondatrices, les Caldos et autres Cocidos sont omniprésents (ragoûts à base de viande en sauce, de légumes et de patates), comme le Tlalpeño mexicain (poulet, pois chiches, piments, avocat, epazote), ou l'intact Arroz con pollo (riz au poulet) qui a fait le tour de la planète hispanophone, avec le Puchero, sorte de pot-au-feu que l'on trouve notamment au Nicaragua et à Cuba. Equateur et Pérou aiment faire mariner les produits de la mer. Cela donne les Ceviches (crevettes ou poissons crus, citron, épices, ail). La Colombie se plait à concocter des soupes épaisses comme l'Ajiaco bogotano, à base de poulet, patates, légumes, épices, sauce piquante. Le poulet est plus volontiers cuisiné en escabèche au Guatemala. Au Panama, riz et noix coco râpée escortent des spécialités comme le Sancocho (ragoût de poulet très épicé) et la Ropavieja (soupe de bœuf épicée). Aux Honduras, on cuisine avec maestria les fruits de mer, en particulier les Curiles (bouillons de coquillages), les ragoûts généreux comme le Nacatamales (poulet ou porc et légumes en sauce) et le Yuca con chicharron (porc grillé) y mondongo (tripes). Quant au chocolat, excellent au Costa-Rica et en Equateur, il constitue la base de nombreux desserts. En sauce, il dompte les fricassées à base de porc, de canard ou de lapin avec une salutaire douceur. Une autre forme de métissage. L.M.

    http://www.voyageursdumonde.fr/voyage-sur-mesure/Img/brochures/Voyageurs-Amerique-Latine.html

  • Jambons du Pays basque


    1472095_450846168354417_1347507340_n.jpgC'est un petit livre de 64 pages (le chiffre idoine) plein de recettes et de photos (de Patrick Ballaré), et dont j'ai écrit les textes introductifs sur l'histoire des jambons du Pays basque, à commencer par celui de Bayonne.


    J'évoque par conséquent copieusement l'IGP Jambon de Bayonne (le consortium), ainsi que Pierre Oteiza, Les Aldudes et son Kintoa, Ibaïona et le trio Ospital-Montauzer-Mayté, et enfin quelques francs-tireurs de talent comme Aguerre à Itxassou ou Errecart (déjà célèbre pour son Irouléguy), à Ispoure.

    Ce petit bouquin paraît aux éditions Artza, à St-Pée-sur-Nivelle : 

    http://www.artza-editions.com 

    et il vaut à peine 12€. Vous savez donc ce qu'il vous reste à faire.

  • Barjot de vins

    Alviset.jpegIl est paru et nous avons fêté sa sortie avec les vignerons de l'appellation, au restaurant Beaucoup (rue Froissart, Paris 3), le 4 novembre dernier : l'urban mag Paris by Crozes-Hermitage, n°1, réalisé par l'agence Clair de Lune à Lyon, et auquel j'ai beaucoup participé, est un superbe magazine (gratuit), qui ouvre avec un petit papier sur un homme formidable : François-Xavier Demaison. Une vraie rencontre.

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    « JE SUIS UN BARJOT DE VINS ! »

    L’humoriste possède une solide connaissance des vins de la Vallée du Rhône, où il se rend souvent pour « chiner ». Son sketch « Le sommelier » résume sa philosophie des vignerons de vérité.

                                                                                   ------

    Sa bonhommie est une aura qui agit comme la trace d’un parfum. Même dans les salons de l’hôtel Lutetia, à Paris, où François-Xavier Demaison semble manquer d’air, de cette atmosphère propre aux vrais bons vieux bistrots parisiens patinés et chargés d’histoire qu’il adore, il diffuse sa joie de vivre. L’humoriste qui fit une entrée fracassante dans le cinéma en se mettant dans la peau de Coluche, a fait ses classes à la fois à Sciences-Po et au Cours Florent (c’est déjà plus « raccord »), avant de se lancer sur scène avec le talent que l’on sait. Mais sans jamais oublier d’entretenir comme il se boit sa passion pour les vins d’homme. « Je suis un barjot de vins depuis l’âge de 17 ans ! A 23 ans j’ai commencé à m’y intéresser sérieusement et depuis, la curiosité de mon palais augmente sans cesse. Je remonte lentement le terrain, de la Corse du Sud jusqu’au Ventoux, actuellement ». Comme d’autres chinent des meubles, François-Xavier Demaison chine chez les vignerons, discute, déguste avec eux, découvre, déniche et rapporte à Paris des trésors à partager entre potes. « Faire découvrir un vin à quelqu’un, c’est lui dire je t’aime ! », s’exclame-t-il.  « J’ai un rituel quotidien : A 19h, lorsque sonne le glas de l’apéro, un blanc sec s’impose entre amis ». S’il le peut, il se tourne alors vers Vertige, Condrieu de Cuilleron, Simone (Palette), ou un Hermitage de Jean-Louis Chave. Verre en main et verve aux lèvres, Demaison sait de quoi il parle. Sa connaissance des vins n’est pas technique mais sensible et profonde. Il évoque avec émotion des rencontres in situ avec les Faugères de Léon Barral, les Cornas de Jean-Luc Colombo, les Patrimonio d’Antoine Arena, les Cairanne des Delubac, regrette les Dagueneau, Lapierre et autres magiciens. Il aime surtout les vins puissants de la Vallée du Rhône : Gigondas, Rasteau, Vacqueyras et donc Crozes-Hermitage : « Je bois du Combier, du Chapoutier, du Alain Graillot et du Jeanne Gaillard chaque fois que je peux », lance-t-il l’œil ravivé. « Rien de tel, pour entrer en contact, qu’un vin dont le capital confiance nous plonge dans le cercle vertueux de la vie. Le but étant de ne pas décevoir, mieux vaut taper juste, dans ses choix ! » La générosité et la simplicité sérieuse des Crozes aide en cela. François-Xavier compte des complices ès vins, comme un facteur de Montreuil avec lequel il échange des textos sur leurs découvertes respectives. Ou Serge Ghoukassian, célèbre sommelier à Carpentras. Le sketche intitulé « Le sommelier » est d’ailleurs un résumé de la passion de Demaison : il s’agit d’une déclaration d’amour aux vins vrais de vignerons pétris d'amour pour le vin, doublé d’une douce déclaration de guerre aux buveurs d’étiquettes. Enfin, un homme qui sait ce que partager veut dire et qui dégaine son smartphone pour vous montrer les photos des quilles bues ces derniers jours comme on montre les gamins à la plage, est vraiment digne de confiance. L.M.

    images.jpegSes adresses Crozes-Hermitage à Paris :

    Chez Vivant Table, 43, rue des Petites Ecuries, 75010. 0142464355, « Pour la personnalité de Pierre Jancou. Je sais y aller, mais j’ai du mal à en repartir ».

    La Maison de l’Aubrac, 37, rue Marboeuf, 75008, 0143590514, « Pour la viande bien sûr, et l’atmosphère généreuse ». Pas de C.-H. à leur carte ces jours-ci…

    Le Baratin, 3, rue Jouye-Rouve, 75020, 0143493970, « parce que c’est le bon bistro à vins par excellence ! C’est mon pote Pierre Hermé qui me fit découvrir ce lieu formidable et la cuisine de Raquel ».

    FXD EN 5 DATES :

    22 septembre 1973 : naissance à Asnières.

    2 décembre 2002 : premier spectacle au Théâtre du Gymnase, à Paris.

    2005 : premier rôle à la télé dans Télé Z (pubs).

    2008 : « Coluche, l’histoire d’un mec », film d’Antoine de Caunes.

    Nomination aux Césars 2009.

    2011 : « Demaison s’évade », spectacle (théâtre de la Gaîté Montparnasse), repris en décembre 2013 (théâtre Edouard VII).

     

  • Chinon rien

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    Il est vrai que je suis à fond pour le développement du... Rabelais, que là-bas, je bois le vin rouge local issu de cabernet franc, chinon rien... Mais quelle ne fut pas ma surprise lorsque je fus invité à être intronisé au sein de la confrérie des Entonneurs Rabelaisiens, en qualité de blogueur vins ! Cela se passait le 12 septembre dernier au Bistrot d'à côté (rue Capture d’écran 2013-09-25 à 11.50.39.pngLalande dans le 14 ème à Paris), à l'occasion de la Saint-Gargantua (en réalité la Saint-Apollinaire, sur le calendrier), qui fut célébrée dans 28 bistrots parisiens. Et c'est dans celui "d'à côté" que le chapitre des intronisations eut lieu. Parmi les nouveaux chevaliers, il y a, de gauche à droite sur la photo ci-dessus : mes consoeurs Ophélie Neiman (blogueuse vins : Miss Glou Glou) et Anne-Victoire Jocteur Monrozier (blogueuse vin : Vicky Wine, à qui j'ai l'impression d'en coller une en prêtant serment et c'est dommage car elle est très mignonne, mais on peut la voir plus bas et des centaines de fois sur son blog), ma pomme, Charlie Darenne (illustrateur), Thierry Cap de Coume (dessinateur, photographe) et Laurent Cazaux (du Bistrot qui nous accueillait). Avouez qu'on a l'air un peu benêts avec nos bavettes, puis avec nos diplômes de chevaliers et nos grosses médailles, mais bon, c'est ainsi. On assume; cul-sec (le deal était de jurer de défendre les vins de Chinon en tous lieux, puis de vider le vase afin d'obtenir la médaille. Et à 17 h, c'est pas facile...).

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    Capture d’écran 2013-09-25 à 11.23.33.pngLO2A2085.jpg

    ©KOEphotography.com 

     

    www.chinon-stgargantua.com 

  • Le chemin des morts

    images.jpegAnnées 80. Une décennie entre deux mondes. L'Espagne est devenue une démocratie. La France n'a plus de raison de continuer d'accorder le statut de réfugié politique aux militants de la cause basque. Le narrateur est un jeune magistrat administratif rattaché au Conseil d'Etat, nommé à la commission des recours des réfugiés. Il va commettre une sorte d'erreur judiciaire. Un dossier se présente à lui. Le cas d'un réfugié devenu relativement paisible et qui a même condamné l'assassinat par ETA de l'amiral Carrero Blanco -dauphin désigné de Franco-, en 1973, ce qui lui valut l'inimitié forte de ses comparses. Le jeune magistrat appliquera néanmoins le droit en vigueur et par conséquent la justice, en retirant son statut de réfugié à Javier Ibarrategui, venu demander son maintien. Celui-ci, en plaidant sa demande sans contester la décision qui lui fut signifiée sur le champ, précisa qu'il serait vraisemblablement assassiné dès son retour en Espagne par les polices politiques comme les GAL (Groupes antiterroristes de libération, les fameux "guérilleros du Christ-roi", liés au pouvoir espagnol, dans cet après-franquisme pour le moins hésitant et brutal). Ce fut le cas : Ibarrategui pérît à Pampelune de quatre balles de revolver tirées depuis une moto. Souvenez-vous, cela n'était pas rare à cette époque; voire dangereusement banalisé. Le récit de François Sureau (Gallimard), à l'écriture percutante et précise, dit le désarroi, trente ans après, d'un magistrat devenu avocat et écrivain (c'est peut-être l'auteur lui-même, peut-être pas), et dont la mort de ce réfugié basque hante chaque jour la conscience, tant professionnelle que personnelle. Il dit aussi combien elle continuera de le hanter jusqu'à sa dernière plaidoirie, jusqu'à son dernier livre et jusqu'à son dernier souffle (la fin du récit, à ce propos, est d'une force et d'une douceur impeccables). Court, ce livre d'une cinquantaine de petites pages est plus que touchant : il est poignant par sa crudité, sa clairvoyance, son effroyable sincérité. L'auteur ne cesse de réfléchir au "pouvoir de dire le droit sans rendre la justice, voire en commettant la plus grande des injustices". Nous pouvons, dit-il encore dans un entretien audiovisuel, "en toute conscience, concourir à des crimes, à des oublis, à une certaine manière de négliger la personne humaine". François Sureau est parvenu avec talent, grâce à une écriture sobre, tendue et droite, à rendre également "sensible la manière dont on peut penser accomplir son devoir en obéissant à sa conscience" et puis devoir affronter les conséquences ô combien détestables de ses actes. Ce Chemin des morts, qui désigne le parcours particulier qu'effectue, au Pays basque, la famille qui porte le défunt, depuis sa maison (l'etxe y figure le centre de tout) jusqu'au cimetière, est, selon les mots de l'auteur, "un appel à dépasser les notions de droit et de justice pour s'attacher davantage aux notions d'humanité". Et un pur joyau de littérature forte, nue, essentielle.

    TERRASSES DU LARZAC MAS HAUT-BUIS.jpgALLIANCES

    Comme toujours, j'ai plaisir à suggérer une alliance gourmande avec une lecture. Devant l'exceptionnelle gravité du sujet qui précède, je choisis quand même un vin qui, loin d'être austère, présente un sérieux qui force le respect et qui n'en est pas moins festif (cherchez l'erreur ou dites tout de suite que je cultive le sens du paradoxe!). Il s'agit d'un AOC Languedoc Terrasses du Larzac, appellation située au nord-ouest de Montpellier, on ne peut plus louable et qui effectue de prodigieux progrès depuis une poignée d'années. Les paysages y sont somptueux bien qu'arides, le climat méditerranéen dispense sa chaleur de garrigue, les vins y ont par conséquent un sacré caractère pour la plupart : puissants, généreux, frais, mais aussi élégants et globalement équilibrés. J'ai choisi l'un d'eux, un rouge gourmand et épicé mais pas trop, la cuvée Costa Caoude 2011 du Mas Haut Buis (21€), conduit par Olivier Jeantet à La Vacquerie et Saint-Martin. 650m d'altitude. 10 ha de vignes conduites en agriculture biologique, parmi des oliviers et des amandiers, donnant des "raisins vivants" : 40% en grenache noir, 33% en syrah et 27% en (vieux) carignan. Costa Caoude (50% grenache, 30% carignan, 20% syrah), fermente en cuve de béton, il est légèrement soufré, puis il passe un an en foudres de 20 hl et cuve béton tronconique de 30 hl. C'est un vin d'homme (*) pour escorter un gibier à plume ou à poil, ou bien une viande de boeuf racée et rassise (côte, onglet, merlan). Epicé et pourvu de notes délicates de thym et de romarin, il exprime surtout les fruits rouges et noirs sans excès et la fraîcheur caractéristique des vins rouges de l'appellation étonne toujours agréablement, ce dès l'attaque. Enjoy! 

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    (*) Que les femmes me pardonnent cette appellation non contrôlée : mon amie Brigitte Lurton, qui sait de quoi il en retourne, réagit à ce papier sur ma page facebook (où il est publié simultanément -ainsi que sur mon compte twitter) en précisant que les femmes, souvent, aiment les vins d'hommes. Et vice-versa, ai-je répondu : les hommes ne sont jamais insensibles aux vins que l'on dit féminins. Mais il est entendu qu'il faut cesser de sexer les vins comme les oiseaux sans dimorphisme apparent, que l'on prend aux filets afin de les baguer. Force est aussi de reconnaître que l'attirance hétérosexuelle joue instinctivement à pleins ballons en matière de vins. Et je connais des expertes en dégustation qui ne supportent plus l'adjectif féminin adossé aux vins -sans féminisme aucun, faut-il le préciser. Mais au nom d'une liberté sensorielle et langagière, au nom du libre cours à l'imagination lorsqu'on déguste : il faut aller plutôt vers le soyeux, le velouté, la caresse, l'élégance, la classe et autres attributs qui désignent plus spontanément les femmes que les hommes, lorsque nous sommes en présence, nez dans le verre, d'un vin dont le raffinement exclut d'emblée et sans aucun doute possible la vision du poil aux pattes. 

  • Esprit de Granit et Les Hauts du Fief

    images.jpegJe ne dirai jamais assez de bien de la Cave de Tain, à Tain L'Hermitage (Drôme). Voici deux de ses nombreuses réussites et d'abord : Esprit de Granit, un Saint-Joseph 2011 issu de syrah soyeuses comme rarement, avec une robe rubis lumineuse, un nez de fruits noirs compotés, épicé (cardamome), une bouche ample et puissante sans être machiste : élégante mais virile. Idéal sur les viandes rouges que l'on avait délaissées cet été, voire une volaille forte comme la pintade, en attendant les premières grives ou le perdreau rouge de septembre, voire le sanglier d'avant-ouverture... Renseignements pris après dégustation, il s'agit d'une sélection parcellaire, issue d'un terroir exceptionnel, en gros. Tout est maîtrisé, du travail en vert, effeuillage compris, jusqu'à la date optimale de la récolte, en passant par la sélection précise des baies juste avant la vendange. Ici, il s'agit de vieilles vignes plantées en coteau sur les contreforts du Massif Central, sur des arènes granitiques. Le flacon vaut 15€ et c'est une paille, eu égard au bonheur produit.

    images (1).jpegUne autre des dix cuvées parcellaires bichonnées par des hommes constamment sur le terrain et proposées par la Cave de Tain, est un Crozes-Hermitage 2011, Les Hauts du Fief. Et c'est splendide, corpulent, gentleman-farmer, issu de syrah de 30 ans. Robe profonde. Nez épicé (poivre) et de fruits noirs bien sûr, un rien minéral, ce qui éclaircit les fosses nasales au passage, les yeux archi-fermés. La bouche, fraîche et profonde, persistante et réglissée mais à peine, nous redonne des baies mûres à foison; et on prend. Avec ça, sortez un vieil ardi gasna (un brebis forcément paysan d'Ossau-Iraty), juste après une côte de boeuf bien persillée et sortie du froid au moins deux heures avant. Cuisson : Juste aller-retour, dirait Firmin Arrambide (Les Pyrénées, à St-Jean-Pied-de-Port, 64), sur la plancha archi-chaude. 13€ la boutanche, c'est cadeau, té!


    images (2).jpegimages (3).jpegimages (4).jpegALLIANCES : Joseph Kessel, Les mains du miracle, Jérôme Garcin, Olivier, (les deux en folio), Dylan Thomas, Portrait de l'artiste en jeune chien (Points). Du poignant, du qui décoiffe, du mémorable, qui décante en somme. Et en tongs s'il vous plaît, parce qu'il fait beau et qu'il convient de détendre l'esprit du texte. En plus, y'a été indien en vue! Si, si...

  • Drouant et l’Académie Goncourt

    Voici un papier retrouvé à l'instant dans mes archives et que publia une revue d'histoire. A l'heure où l'on pense déjà fort au lauréat du plus prestigieux des prix littéraires français, voici une évocation historique de ce restaurant chargé d'anecdotes. 

    (Personnellement, et puisque personne ne me pose la question, je donne Jean-Philippe Toussaint -pour son roman Nueque publie Minuit le 5 septembre prochain- vainqueur. Nue clôt le cycle romanesque consacré à Marie Madeleine Marguerite de Montalte, après Faire l'amour, Fuir, et La vérité sur Marie. Quatre bijoux). Et vous?


    téléchargement.jpeg« Drouant dérive du germanique drogo, qui signifie quelque chose comme le bon combat ». C’est Hervé Bazin qui parle. L’auteur de « Vipère au poing » qui fut un membre marquant de l’Académie Goncourt, savait de quoi il en retournait dans le salon du premier étage. Le bon combat demeure, qui fait triompher le livre, au restaurant Drouant, chaque année à l’heure du déjeuner, début novembre…

    Le génie d’un lieu provient du lien entre des êtres géniaux. Ici, l’escalier est signé Ruhlmann, la cuisine actuelle Antoine Westermann, l’atmosphère est résolument Art déco ; l’esprit, Goncourt.

    L’âme du lieu est double : littéraire et gourmande. Gastronomie et littérature ont toujours fait  bon ménage. La plume tombe vite le masque lorsque la fourchette montre les dents.

    Le restaurant de la Place Gaillon (Paris 2ème), n’échappe pas à la règle. Mieux : il la dicte depuis un siècle et un an. Une paille !

    Entrer chez Drouant, c’est pénétrer l’antre d’un club fermé et fixé à dix membres selon les vœux des frères Edmond et Jules de Goncourt.

    L’Académie française a ses fauteuils, ses habits verts et ses épées pour ses pensionnaires. L’Académie Goncourt elle, a ses couverts gravés au nom de ses membres. Cela vous pose. « Cette nuance, soulignait Roland Dorgelès, aide à prouver combien les académiciens de la place Gaillon se veulent des copains au sens étymologique, « ceux qui partagent le pain ». Plus prosaïquement, ajoutait Dorgelès, on parle des déjeuners Goncourt et des séances du quai Conti ». Mais la querelle de bretteurs n’a pas eu lieu. Les Académies ne se tordent pas le nez et observent au contraire un respect mutuel qui n’a pas de prix.

    Pour l’historien, Drouant évoque aussitôt Louis XV, qui aimait chasser au faucon à proximité de la porte Gaillon, l’une des six percées dans l’enceinte bastionnée dont Louis XIII avait ceinturé la capitale.

    L’homme de lettres pense immédiatement à Zola, qui campa « Au bonheur des dames » dans ce quartier, et nourrit son livre des scènes de rue quotidienne de la place et ses alentours.

    L’amateur gourmand pense à la boucherie Flesselles, qui fut célèbre dans les années 1870 et qui fut remplacée par le restaurant Drouant en 1880.

    Lorsque l’Alsacien Charles Drouant, échouant à Paris, ouvre alors un modeste café-tabac, il est loin d’imaginer  que son nom va se perpétuer ainsi. Il l’agrandit néanmoins sa petite échoppe, en fait un bistrot que des artistes et des écrivains ont la bonne idée de fréquenter : Pissaro, Daudet père et fils, Renoir, Rodin, … La bande d’intellos artistes s’agrandit, peintres, sculpteurs, poètes, journalistes, romanciers, agrandissent le cercle et en font leur repaire. Leur rituel dîner du vendredi forge la célébrité du lieu dans le métal le plus résistant.

    Le prix Goncourt existe depuis 1903 (il fut attribué pour la première fois, le 28 août de cette année-là, à Jean-Antoine Nau pour son roman « Force ennemie ». Déjà tout un programme qui renvoie à la sagacité de Bazin à propos de « Drouant / drogo »…).

    Le prix ne commencera à être décerné chez Drouant que le 31 octobre 1914 par la Société littéraire des Goncourt. Le prix ne fut pas décerné cette année-là pour cause de guerre (et il fut par ailleurs refusé une seule fois, en 1951 par Julien Gracq -photo-, pour son magnifique roman « Le rivage des Syrtes ». L’immense écrivain eut toujours « La littérature à l’estomac » et pas devant les flashes et les caméras…).

    L’Académie est donc fidèle à Drouant depuis 1914. Le testament d’Edmond de Goncourt résume l’affaire : « Je nomme pour exécuteur testamentaire mon ami Alphonse Daudet, à la charge pour lui de constituer dans l’année de mon décès, à perpétuité, une société littéraire dont la fondation a été, tout le temps de  notre vie d’hommes de lettres, la pensée de mon frère et la mienne, et qui a pour objet la création d’un prix de 5000F destiné à un ouvrage d’imagination en prose paru dans l’année, d’une rente annuelle de 6000F au profit de chacun des membres de la société » .

    Il est précisé que les dix membres désignés se réuniront pendant les mois de novembre, janvier, février, mars, avril, mai et que le prix sera décerné dans le dîner de décembre… Les frères Goncourt avaient en effet voulu recréer l’atmosphère des salons littéraires du XVIIIème siècle, et aussi l’ambiance des déjeuners et dîners littéraires mondains du XIXème, comme les fameux dîners Magny. Jules meurt trop tôt, en 1870. Edmond anime alors seul le Grenier, puis la Société littéraire, qui devient Académie afin de se démarquer de l’autre, la Française du quai Conti, parce qu’elle refusa l’immortalité à de nombreux grands écrivains comme Flaubert, Zola, Balzac, Baudelaire et Maupassant.

    Encore le bon combat. Et c’est à vous donner envie de paraphraser Sacha Guitry lorsqu’il conchiait la Légion d’Honneur : «il l’avait, encore eut-il fallu qu’il ne l’eut pas mérité »…

    48 heures après la mort d’Edmond en 1896 –il avait 74 ans-, son notaire, Maître Duplan, lisait ainsi à Alphonse Daudet et Léon Hennique, ses légataires universels, le testament précité. L’aventure était lancée.

    Depuis, le Goncourt est le plus convoité des très nombreux prix littéraires français. « Il y en a davantage que des fromages », plaisantait François Nourissier. Il assure gloire et fortune à un auteur et à son éditeur. Le restaurant Drouant bénéficie par conséquent depuis longtemps du mythe Goncourt. Abriter l’Académie équivaut à posséder le Trésor des Pirates. Un trésor métaphysique.

    À l’étage, chez Drouant, nous trouvons les Salons Goncourt, Apollinaire, Colette, Ravel et Rodin. Il est très agréable d’y déjeuner ou dîner dans la grande salle du rez-de-chaussée, près du monumental escalier.

    La veille de notre visite au restaurant, j’y avais retrouvé le lauréat 1976, Patrick Grainville, afin de lui demander un texte pour les éditions que je dirigeais alors.

    Lors de notre second passage, Jorge Semprun (mort depuis) y mangeait en agréable compagnie à une table voisine. Juillet tirait à sa fin. L’esprit du lieu était habité à tous les étages par l’Académie. Nous prenions notre repas en bas, avec une amie.

    La mosaïque bleue travaillée à la feuille d’or, le fer forgé, les glaces immenses pour « narcisser » entre la poire et le fromage ou parmi les superbes peintures qui ornent les murs, le service élégant et discret, prévenant et jamais obséquieux, escortèrent avec grâce le foie de canard marbré de pigeon et sa gaufre au lard fumé, la blanquette de barbue et de queues de langoustines et le risotto à la truffe d’été, le carré d’agneau et son gnocchi… Les fameuses feuilles de chocolat en hommage à Jules et Edmond sont un dessert des éditions… Ganache, reconnues dans le village « germanopralin ». Le vin de Vacqueyras fut parfait du début à la fin. Joie ! C’est à peu près le menu qui fut servi en 1903 lors de l’attribution du premier Goncourt (bisque d’écrevisse, barbue sauce poivrade, terrine de foie gras…), chez Champeaux.

    Les membres de l’illustre Académie doivent leurs couverts à leur nom, à André Billy (académicien de 1943 à 1971, qui en suggéra la création. Et c’est Mr Odiot, fondeur en vermeil de la Place de la Madeleine qui grava fourchettes et couteaux. De là à penser avec feru Robert Sabatier, que c’est avec ceux-ci que l’on fait de la cuisine littéraire, il n’y a qu’un « plat » que nous ne franchirons pas.

    Plutôt citer Jacques de Lacretelle, qui résumait merveilleusement l’alliance de la littérature avec la gastronomie. Composer un roman ou un menu relèverait d’une alchimie voisine : « C’est un art (la gastronomie) où il faut suivre une tradition, mais où l’on peut tout inventer. Je ne vois pas de plus belle définition pour dire ce qu’est le talent littéraire ».  L.M.

  • Ode à Clément Faugier

    Je retrouve ce texte hivernal tandis que je bois de l'eau glacée pour me rafraîchir et que je ne veux manger que des salades frâiches et des fruits mûrs...

     

    AUX AFICIONADOS DE LA

    CREME DE MARRONS

     

    La gourmandise est faite de connivences inattendues et de correspondances inédites. Les amateurs de crème de marrons sont des passionnés : qu’un étranger évoque leur penchant dans un compartiment de train ou sur le zinc d’un bistrot et leur œil s’allume, leur sourire apparaît, leur regard devient lumineux, curieux ; ami. La conversation s’engagera inévitablement et quelque chose naîtra entre deux inconnus que rien ne liait jusque là. La crème de marrons possède cette magie de créer des liens entre aficionados silencieux, car un peu seuls avec leur gourmandise. Avouez que beaucoup n’aiment pas la crème de marrons et je me demande toujours pourquoi ils n’apprécient pas cette ineffable onctuosité, cette sensation infiniment sensuelle procurée par une incomparable consistance, ces saveurs d’automne, ce goût de nature (ardéchoise) brute, adouci par un sucré subtil et un vanillé indispensable…

    J’aime la crème de marrons. À même le pot avec une cuiller, le matin  et le soir, ou bien avec du fromage frais. Mais elle est meilleure toute seule. La crème de marrons est la madeleine de ses aficionados : leur plaisir remonte à l’enfance. Souvent j’ai été tenté de lancer un appel aux gourmands de mon espèce pour créer un club d’amateurs de crème de marrons (qui existe sans doute déjà) et je confesse un plaisir formidable à en déguster en compagnie d’un ou d’une qui l’aime autant que moi. Par goût du partage simultané. Comme pour un grand sauternes. Mais cela est étrangement rare.

    Les bonnes crèmes de marrons ne sont pas légion et celle de Clément Faugier –qui inventa la sienne en 1885 en utilisant astucieusement des bris de marrons glacés mêlés à la farine de châtaignes, du sirop de confisage, du sucre et de la vanille -, excellente, présente l’avantage d’être disponible à peu près partout, en boîtes de plusieurs tailles et même en tube ! Ah le tube de crème de marrons… Je ne connais pas de meilleur dentifrice. En montagne, c’est mon trompe-creux de huit ou neuf heures. 

    J’ai noté un jour dans un carnet, pour définir le poids de l’ennui, que certains dimanches après-midi étaient aussi épais que de la crème de marrons. Mais avec elle, l’ennui désépaissit. Lorsque je prends une copieuse cuillerée de crème de marrons, j’ai l’impression de rouler une pelle à Clément Faugier. Bizarre. L.M.

     

     

     

     

  • boutanches hors-saison


    images.jpegBon. Ca continue. Le temps de chausser les lunettes de soleil pour pouvoir déjeuner en terrasse de choses fraîches (des huîtres et une daurade grillée), que l'orage grondait au loin. Alors, "pop!", nous avons eu juste le temps de déguster à l'apéro un Alsace épatant, le Chasselas 2012 de Paul Blanck avec quelques dés d'un Comté de Marcel Petite affiné 30 mois. Robe or pâle d'un bel effet. Nez charmeur, fort en gueule, exotique, très fruité. Bouche d'une grande fraîcheur et d'une minéralité exacte. Finale épicée (8,50€).

    Puis, re-pop (une fois les huîtres gobées et la daurade servie), nous avons découvert le Blanc de Franc de Couly-Dutheil,
    un sec de Chinon 2012  lightbox_CoulyDutheilBlancDeFrancBlancSec.jpgétonnant. Joli nez de baies sauvages et de fleurs blanches, légèrement épicé en bouche. Ce vin, 
    issu de cabernet-franc (raisin noir à jus blanc) est vinifié comme un blanc. Sa robe est d'ailleurs un chouia rosée. Il provient des premières sorties de presse. C'est un ovni blanc (6,80€).

    images (1).jpegComme il faisait à nouveau gris, froid, qu'il pleuvait jusqu'à plus soif les jours suivants, nous nous sommes risqués sur un grand flacon lourd de Rasteau 2010, ico(o)n pour escorter un gros poulet fermier à la broche qui suinta sur des patates et de l'ail en chemise. Grenache, syrah, mourvèdre composent ce vin d'une concentration et d'une complexité aromatique bluffantes. La Cave de Rasteau en a fait sa cuvée d'élite. ico(o)n est né en 2009 avec le statut de Cru (c'est en 2010 que l'INAO a approuvé le passage des vins rouges secs de Rasteau du statut de Côtes du Rhône Villages à celui de Cru). ico(o)n possède une robe noire et profonde, un nez dense de fruits rouges et noirs bien mûrs avec un accent de garrigue. La bouche est corpulente, puissante même, sans être agressive. C'est précis, compact et néanmoins charmeur. Une réussite (qui vaut quand même 42€).

     

  • miaMai

    cfo74_2_6_1.jpg

    Avec un temps pareil, contraint de retarder les salades tomate-mozza dans le jardin que je n'ai pas avec des rosés plongés dans un seau métallique tandis que la plancha s'échauffe -quelle plancha?-, j'ai ouvert (pour trois personnes) et avec bonheur images.jpegl'excellent canard fermier aux olives vertes et son jus de romarin en bocal de 700 g de La Comtesse du Barry (19,95€) et nous l'avons escorté avec des tagliatelle fraîches et un Cahors de Rigal, contes et légendes 2010 (100% malbec, 4,90€ seulement), riche, puissant mais 

    images (1).jpegsouple et même élégant sur ces cuisses soyeuses de canard habillées d'olives. 

    Il s'agit de vins et de plats d'automne mais comme cette saison semble déjà là -Zou! 

    Nous avons récidivé quelques jours plus tard puisque le soleil restait en berne et la pluie au flot fixe, avec le coq au vin de Madiran de la même Comtesse du Barry, en bocal de 700 g itou (19,95€), et ce fut délicieux avec des papardelle fraîches cette fois et un flacon Ortas tradition 2011 de la cave de Rasteau téléchargement.jpeg(Vaucluse) -grenache, syrah, mourvèdre. Aussitôt le Sud souffla, s'assît à côté de nous, donna son jus ensoleillé aux accents de vacqueyras de ce vin (7,70€) aux nez de fruits noirs, d'épices et un rien animal. Le Madiran de la sauce, discret, laissant la vedette aux morceaux généreux et tendres de coq, l'accord se fit. Et ceci n'est pas une contrepèterie.


  • Les séparés, de Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)

    Les Séparés

    N'écris pas. Je suis triste, et je voudrais m'éteindre.
    Les beaux étés sans toi, c'est la nuit sans flambeau.
    J'ai refermé mes bras qui ne peuvent t'atteindre, 
    Et frapper à mon coeur, c'est frapper au tombeau.
    N'écris pas!

    N'écris pas. N'apprenons qu'à mourir à nous-mêmes.
    Ne demande qu'à Dieu...qu'à toi, si je t'aimais!
    Au fond de ton absence écouter que tu m'aimes,
    C'est entendre le ciel sans y monter jamais.
    N'écris pas!

    N'écris pas. Je te crains ; j'ai peur de ma mémoire ; 
    Elle a gardé ta voix qui m'appelle souvent.
    Ne montre pas l'eau vive à qui ne peut la boire.
    Une chère écriture est un portrait vivant.
    N'écris pas!

    N'écris pas ces doux mots que je n'ose plus lire : 
    Il semble que ta voix les répand sur mon coeur ; 
    Que je les vois brûler à travers ton sourire ; 
    Il semble qu'un baiser les empreint sur mon coeur.
    N'écris pas!

    images.jpegExtrait d'une superbe anthologie que publie Poésie/Gallimard, intitulée Je voudrais tant que tu te souviennes, Poèmes mis en chansons de Rutebeuf à Boris Vian (éd. de Sophie Nauleau). On relit Rimbaud, Villon, Michaux, Queneau, Apollinaire, Eluard, Labé, Cadou... Et en même temps on chantonne Ferré, Brassens, Gréco, Gainsbourg, Jean-Louis Murat, Julien Clerc (écouter ci-dessous), Cora Vaucaire... Le bonheur.

    Mieux, l'intention de ce petit livre est de rendre aux poètes ce que l'on a fini par attribuer à leurs interpètes chanteurs. Ainsi Barbara doit-elle à Brassens, Gréco à Queneau et Ferrat à Aragon. D'abord! Salutaire et beau.

    Il y a des après-midi où l'on se sent ainsi serti dans ce poème sublime de M.D.-V., et résonne alors qu'Au fond de ton absence écouter que tu m'aimes, / C'est entendre le ciel sans y monter jamais. Soit un sentiment étrange, car éloigné du sujet, mais dont l'empathie littéraire nous fait monter les larmes aux yeux, quand bien même nous ne nous sentons pas ou plus touchés au coeur par ces mots, mais plus bellement atteints durablement dans notre peau, par la force du souvenir d'une écorchure vive, par la beauté de la douleur, la sainteté du malheur; la poésie en somme.

     

    http://www.dailymotion.com/video/xdtefg_julien-clerc-les-separes_music#.UXKXESskZQo


    Alliances roses : 

    images (1).jpegimages (2).jpegChâteau de Jau, avec ce poème et cette mise en musique, car ce Côtes du Roussillon rosé (60% syrah, 40% grenache noir) possède une énergie rare par les temps qui courent et qui nous donnent à boire  de ces rosés pétale de rose et un rien évanescents; creux en somme. Celui-ci est frais, vivace comme une plante qui se réveille aux premiers rayons du soleil et sa vinosité est présente autant que ses arômes de fruits rouges croquants (7,95€). Le Jaja de Jau, sa petite soeur -rosée elle aussi, plus simple (4,95€), n'en est pas moins affriolante et agréable : c'est une syrah de la famille Dauré (qui vinifie les deux), elle exprime la Méditerranée avec brio; dans sa simplicité chaleureuse. Pour le bonheur de nos fin d'après-midi d'arrière-printemps (pourri -soit, mais bon). Drappier, images (3).jpegimages (4).jpegchampagne rosé brut nature, 100% pinot noir, est une valeur sûre. Vivacité,  fin cordon, bulle fine, un nez de fruits rouges et ce très léger épicé en bouche en font un champagne printanier idéal. Pour lui-même ou avec une soupe de fraises (33,56€). Perles grises est une jolie surprise qui vient des coteaux du Vendômois. Signé Patrice Colin, cet effervescent 100% pineau d’Aunis à la robe saumonée et à la belle minéralité possède un nez d’agrumes et légèrement herbé du meilleur effet (7,60€). R'osez, côtes du rhône d'Ortas (Cave de Rasteau) innove avec un look résolument r_osez_3_bouteilles_ortas_cave_de_rasteau copie.jpg
    contemporain et qui vise de nouveaux consommateurs, jeunes et sans prise de tête; avec ce serpent qui ondule sur l'étiquette. Le vin est simple et efficace, car sur le fruit, les rouges comme les agrumes. Sa fraîcheur persistante avec ce rien de bonbon anglais et de poivré en font un rosé de soirée séduisant (5,55€). Plus austère est le rosé d'Epineuil, un bourgogne de Moutardtéléchargement.jpeg Diligent, 2010, méticuleusement vendangé nuitamment, vinifié avec méticulosité, car c'est un rosé racé bien que sauvage, persistant et rebelle jusqu'en fin de bouche : on adore, sur un onglet poêlé ou bien avec un pigeonneau acheté au marché d'Evry-le-Châtel, non loin d'Epineuil (8,30€), dans l'Aube encore, et que l'on grille dehors en regardant passer et en écoutant craquer les grues cendrées qui remontent le ciel tout en visant une halte salutaire sur le Lac de Der quasi voisin. Enfin, hommage à images (5).jpegce rosé formidable de Bandol, gourmand et de repas, gastronomique comme on dit ici ou là : le Domaine de la Nartette (2012, 12,80€, Moulin de la Roque, vin biologique), est un ravissement printanier sur une dorade à la plancha, une poignée d'amis choisis et un rayon vif de soleil attendu patiemment. 60% mourvèdre, 25% grenache, 15% cinsault, fruits rouges, ananas, miel, tilleul. Charnu, épicé, à peine poivré : un délice. Ample, très aromatique, puissant sans être envahissant, c'est un rosé de caractère. Voire de respect.

    Dessert :

    http://www.youtube.com/watch?v=GFJnJsPgss8&list=RD025ppiWEdors4

    Kapsberger, Piccinini Chiaconna, par Jan Grüter au luth théorbe.

  • Faire plaisir

    Si tu m'appartenais (faisons ce rêve étrange!),

    Je voudrais avant toi m'éveiller le matin

    Pour m'accouder longtemps près de ton sommeil d'ange,

    Egal et murmurant comme un ruisseau lointain.

     

    J'irais à pas discrets cueillir de l'églantine,

    Et, patient, rempli d'un silence joyeux,

    J'entr'ouvrirais tes mains, qui gardent ta poitrine,

    Pour y glisser mes fleurs en te baisant les yeux.

     

    Et tes yeux étonnés reconnaîtraient la terre

    Dans les choses où Dieu mit le plus de douceur,

    Puis tourneraient vers moi leur naissante lumière,

    Tout pleins de mon offrande et tout pleins de ton coeur.

     

    Oh! Comprends ce qu'il souffre et sens bien comme il aime,

    Celui qui poserait, au lever du soleil, 

    Un bouquet, invisible encor, sur ton sein même,

    Pour placer ton bonheur plus près de ton réveil!

     

    René-François Sully Prudhomme, Les Solitudes - 1869.



    Alliances: 

    images.jpeg- Kapsberger, Toccata arpeggiata :

    http://www.youtube.com/watchv=6bLMwphe284&list=PLIHXLH60E8Lx1QhG_Ozj1QWnyRTNa-z1s

     

    téléchargement.jpeg- Couvent des Visitandines, Pinot noir 2010 (Patriarche, à Beaune, 5,40€). Robe intense, brillante. Nez de fruits rouges frais comme la framboise cueillie et aussitôt croquée. Bouche fine, légère, tanins souples. Un rouge clair et printanier pour prendre par le bras un pigeonneau en crapaudine.

  • Astrance, le livre

    images.jpegIl est rare que je garde des "beaux-livres" de cuisine, de ces albums à la gloire de, avec des photos léchées abusivement, prises en gros plan avec des floutés et des bougés devenus ringards aujourd'hui, de pleines pages qui sont comme des peintures sur assiette -et on voudrait nous faire croire qu'on feuillette un catalogue d'art contemporain et puis des textes hagiographiques, des dithyrambes, des recettes maquettées comme des poèmes inédits de Rimbaud. Bref, en général, je m'en sépare vite en les offrant à des amies aimant cuisiner et qui se fichent de cette mise en scène et qui les chargent vite en projections de graisse tout en tambouillant, un oeil sur eux, un autre sur le motif; le sujet. Là, je pense aux rares bouquins que j'ai gardés, comme celui de Michel Bras (Rouergue). Il en reste peu. Le pontifiant Une journée à elBulli (Ferran Adria, Phaidon), m'a gonflé -le pape de la moléculaire eut la suffisance de le présenter à la presse à... Beaubourg! Le grand livre d'Hélène Darroze aussi (offert vite). Enfin, bon, là, j'en tiens un vrai, un qui n'est pas prêt de quitter mes lieux : Astrance Livre de cuisine (Le Chêne, 70€). Parce que le bouquin est vraiment somptueux, sous emboîtage, avec son second livre, un cahier de recettes pas-à-pas, qui frappent par leur modestie : Pascal Barbot (le chef) y livre ses secrets pour tenter de réalsier les grands classiques de sa table comme l'aubergine au miso, le millefeuille de foie gras (une tarte avec des  champignons de Paris d'un incroyable croquant), le dashi, et aussi la façon de cuire avec précision un poisson à la poêle ou à la vapeur... Les textes -du gros livre principal-, sont de Chihiro Masui, une Japonaise infusée, perfusée à la haute gastronomie française. Les photos sont signées Richard Haughton, un Irlandais familier des grandes cuisines françaises. Astrance nous dit surtout la fusion, l'alchimie de la rencontre entre un chef cuisinier réellement exceptionnel, Pascal Barbot, formé chez Passard (L'Arpège) notamment, et un chef d'orchestre en salle, Christophe Rohat donc, maître de cérémonie plutôt, directeur de la machine ainsi que leur brigade décontractée et tellement talentueuse qu'on est tenté de se dire, en entrant à l'Astrance (mon restaurant préféré et de loin dans sa catégorie), que l'exigence de l'excellence est ici au rendez-vous jusque dans le moindre recoin, lequel n'a rien à cacher. Les deux complices ont ouvert l'Astrance en 2000 (25 couverts et pas un de plus, jamais!  -C'est plein chaque jour, réservez bien à l'avance). A l'époque, je dirigeais les rédactions de GaultMillau (magazine et guides) et ma rédac. se trouvait à un jet de galets de là, Square Petrarque. téléchargement.jpegL'Astrance est rue Beethoven et tout cela gravite autour du Trocadéro, à Paris, sur les hauteurs puisque, d'en haut, on voit la Seine qui ne serpente pas. La découverte de cette table (je fus alerté par une éclaireuse hors-pair, mon amie Marie-Caroline Malbec, laquelle fait la tambouille à Alain Passard à l'occasion et la faisait également à feu Bernard Frank lorsqu'il traînait par chez elle, car c'est une journaliste-cuisinière de haute volée), fut une révélation qui vous scotche pour longtemps. Je n'en fis pas ma cantine, pensez!.. Les notes de frais connaissaient déjà leurs limites et mes ressources étaient maigrichonnes. Mais nous fîmes de Barbot le cuisinier de l'année, au Guide jaune. C'était le minimum. Avec une note au maximum, délivrée par l'un de mes plus fiables enquêteurs (je ne devais pas à intervenir, oeuf corse) et le grand papier qui allait avec, dans le magazine. La cuisine inventive, révolutionnaire, d'une simplicité touchante et pour tout dire émouvante de Barbot, allait droit au coeur de tous ceux -et ils furent vite nombreux à se passer le mot, qui savent distinguer l'essentiel de l'esbrouffe (l'esbrouffe? -Un truc très parisien qui fonctionne comme un virus souriant et il faut apprendre à se méfier de ces sourires figés-là). Aujourd'hui, l'Astrance est l'une des meilleures tables de l'hexagone. Et la sincérité, le savoir-faire, la créativité, la générosité, la modestie jamais feinte, la magie et les recettes de ce duo (Pascal et Christophe), impeccablement épaulé par une équipe réduite mais redoutablement efficace, n'a pas pris un pépin de melon en treize ans. Rare. Ce livre est à leur image : aucun texte qui escorte de sublimes photos n'est inutile, car tous fouillent l'anecdote, l'arrière-histoire comme disait René Char à propos de ses poèmes, l'avant-cuisine, ce qui se passe dans la tête de Pascal, ce qui chuchote en lui lorsqu'il voyage en Extrême-Orient, à la recherche de flaveurs et d'alliances, ce qui lui passe par l'esprit quand il pense à la perfection de l'oeuf, lorsqu'il met au point un plat risque zéro, ou bien qu'il flirte avec l'excellence en sachant qu'elle sera -heureusement- toujours à venir. Sauf qu'à chaque repas, Barbot et Rohat, animés par l'envie de faire plaisir, cette chose toute simple, réussissent leur coup à force de talents réunis, conjugués; bien dans leur tête. Dire que le livre passe en revue les agrumes, les piments, les herbes, les fleurs, les algues, les  vinaigres, les épices, les truffes, le pain grillé... est faible. Ses 350 pages mettent en scène, en lumière, en musique et en joie cent et un produits. Le livre devient une invitation au voyage, comme chaque repas pris à l'Astrance est une expérience singulière; l'apprentissage de l'épure intellectuelle et gustative.

    Photo : Christophe Rohat (à g.) et Pascal Barbot ©vivelarestauration.com

  • Royal palais

    Pierre au Palais-Royal à Paris (10, rue de Richelieu) est un beau restaurant bistronomique, frais et dont la clarté tranche sur les tons noir et blanc et sur cette originale décoration africaine, tendance résolument zébrée, surtout dans la seconde salle du fond. Jolie moquette lie de vin. L'accueil sympathique et le discours à la prise de commande d'Eric Sertour, son accent de Montélimar, son expertise en vins et ses conseils judicieux, notamment sur les plats du marché du jour ajoutés au formidable menu-carte, font oublier un service un peu froid par ailleurs. Superbes produits maîtrisés -qu'ils proviennent de la mer ou de la terre-, magnifiés même, audacieusement associés et dont les cuissons sont d'une précision d'horloger genevois. Les desserts sont par ailleurs dignes de ceux d'un vrai bon pâtissier. A la carte, nous sont proposés, pêle-mêle : Poêlée d'ormeaux et berniques à l'ail, salicornes (+7€ s'il est choisi au menu-carte recommandable). Sardines bretonnes cuites au citron confit et absinthe fraîche, salade de lentilles blondes, mâche et grenade. Filets de rouget barbet de l'île d'Yeu, poêlée de courgettes fleurs, girolles et amandes fraîches, beurre blanc au thym citronné. Saint-Pierre rôti, fricassée d'aubergines et piquillos, pistou à la roquette et noix (+5€). Filet de boeuf de race Normande façon Rossini (foie gras, sauce truffée) pommes de terre boulangère (+15€)... Et aussi des nèfles tièdes au miel, pain d'épices et sorbet yaourt, gingembre confit (je les ai goûtées en annexe, car devant mon hésitation avec une autre douceur, il me fut proposé gracieusement un échantillon de mon non-choix -cette marque de tact est remarquable. Cependant, le pain d'épices était sec, les nèfles fades et le sorbet bon). Mon repas du 14 juin dernier fut composé d'un risotto d'orge perlée au parmesan et cresson et premiers champignons sauvages (mousserons et petites girolles) : orge trop croquante, bon jus de viande pour relever l'ensemble, qui réclame le poivre du moulin... Puis d'un canard croisé "comme dans le XIII ème", l'aile laquée, la cuisse en raviole poêlée, sauté de langues, gombos et blettes aux cinq parfums : un pur délice! L'aile désigne ici le flanc (ou magret), mais passons. Superbes cuissons distinctes, très bons légumes, ravioles fortes en goût (y avait-il aussi le foie en elles?). Et enfin d'un millefeuille au chocolat et noix de macademia, la "crema" d'un expresso : Délicieux, infiniment délicat, très belle exécution (visuelle et gustative). Le café est bon, sans plus et servi avec deux mini financiers à la noisette excellents. Le pain est un honnête "campagne" à la bonne odeur fraîche de levain lorsqu'on plante discrètement mais profondément ses narines dans la mie. La carte des vins est judicieuse : à noter que le chef, Eric Sertour (aujourd'hui secondé par un ancien de chez Jacques Cagna, Konrad Ceglowski), est également Meilleur Sommelier de France), mais elle est très chère; sauf au verre : 6€ et quelques bons choix, notamment le rosé de Mourgues du Grès (costières-de-Nîmes), ou encore le rouge de La Célestière (un châteauneuf-du-pape déclassé en côtes-du-rhône), les deux proposés dans le millésime 2010. Il existe aussi un très intéressant menu-carte à 33€ (entrée+plat ou plat+dessert), ou bien à 39€ (dessert compris). Le plat du jour pris seul coûte 28€. Les plats de ce jour-là étaient une poêlée de girolles d'Auvergne (minuscules comme des boutons). Un sandre poché. Une caille désossée flambée à l'eau de vie, purée de patates douces. Un dernier mot sur le hall d'accueil, qui est chaleureux, ce qui n'est pas souvent le cas dans ce quartier froid qui va du Palais-Royal à l'Opéra Garner. Pierre au Palais-Royal est un resto cosy de déjeuner d'affaires et aussi une table chic pour y diner entre amis, voire en amoureux (personnellement, ce n'est pas là que j'amènerais des potes du Sud-Ouest ni ma dulcinée, mais bon). Enfin, il m'en a coûté 61€ pour ce repas avec 3 verres de vin... J'enquêtais -comme souvent- pour un célèbre guide gastronomique. Si je publie ce compte rendu de visite succinct, c'est parce que je viens de tomber dessus et que je m'aperçois tardivement qu'il est resté au marbre de l'édition 2013 dudit guide. Alors autant partager ici ; une fois n'étant pas coutume!

  • Car j'ai de grands départs inassouvis en moi

    50 manières de dire je t'aime.jpgC'est plus original que l'indigeste Belle du seigneur d'Albert Cohen. Les éditions Marabout proposent cette boîte de 50 petits messages amoureux roulés qui disent l'amour de ce grain de beauté là rien qu'à moi, ou bien l'amour de ta part de mystère à toi... 50 manières de dire je t'aime, 6,99€ Pour ceux qui sacrifient au rituel marketté et forcément mièvre de la Saint-Valentin en y injectant de l'humour.

    Villa Chambre d'Amour est un blanc de VillaChambredAmour.jpegGascogne légèrement moelleux (75% gros manseng, 25% sauvignon blanc) au nez d'agrumes, d'ananas et de vanille. Il escorte bien le foie gras, la tarte tatin et la fourme d'Ambert. (Vignobles Lionel Osmin. 7,50€ le flacon).

    images.jpegL'idéal est de le déguster à la plage de La Chambre d'Amour (Anglet), assis sur le parapet et face à un océan qui était légèrement déchaîné dimanche dernier... En reprenant au hasard les poèmes de L'Horizon chimérique (extrait ci-dessous), de Jean de La Ville de Mirmont, dans la nouvelle édition de ses oeuvres complètes que propose La Petite Vermillon (La Table ronde, 8,70€) sous le titre (de l'unique roman de l'auteur), Les dimanches de Jean Dézert. Le recueil contient donc également le splendide City of Benares, qui ouvre les Contes.

    Je suis de ceux dont les désirs sont sur la terre.

    Le souffle qui vous grise emplit mon coeur d'effroi,

    Mais votre appel, au fond des soirs, me désespère,

    Car j'ai de grands départs inassouvis en moi.

  • Intemporel N°5 de Laubade, havane et Gracq boum hue!

    Je ne connais pas de meilleur chasse-spleen, tonifiant comme les oeuvres complètes de Cioran (puisqu'il me galvanise à l'envers avec son pessimisme érigé en système de pensée), de meilleur compagnon à un havane rare -et un ami : indispensable!-, de meilleure escorte à une Pléiade racornie par tant de feuilletages avides, de Gracq (les somptueux poèmes en prose qui composent Liberté grande, ce coup-ci), de Saint-Simon ou de Flaubert (ce plaisir enfant de relire...), à une poêlée d'helvelles crépues, des champignons cueillis par ma fille dans l'Aube et qui ont un sérieux air de famille -croquant, saveurs-, avec les morilles, que l'Intemporel n°5 de Laubade, un armagnac hors-normes, hors-tout. Laissons les bêtes de concours à leurs compètes. Intemporel N°5, j'en ferai bien mon parfum et d'ailleurs il faudra que je le dise à Jean-Jacques Lesgourgues, propriétaire de Laubade : j'en ai mis une goutte sur l'index et m'en suis parfumé les deux côtés du cou sous les oreilles et jusqu'à la chemise plusieurs jours durant. C'est super. Ça fonctionne. Ca le fait papa, ai-je entendu dire. Il ne manque plus que le vaporisateur sur le goulot, comme je l'avais dit il y a des années à Brigitte Lurton, lorsqu'elle dirigeait un sauternes d'exception, le château Climens, à Barsac. Du très haut-vol. Ces alcools, ces vins presque parfums sont presque parfaits. Et c'est heureux qu'ils demeurent en deçà, car l'imperfection est la cime, dit avec justesse Yves Bonnefoy (à la suite de Rilke), et la cicatrice est bien la marque qui singularise la beauté davantage qu'un tatouage. Non? -Cependant, je ne vois pas la fêlure, je ne trouve pas la faille en humant longtemps, longtemps, longtemps (l'armagnac se respire jusqu'à plus soif), puis en buvant un peu cet alcool gascon, sauvage, paysan à chemise blanche mais pas fermée jusqu'en haut, jamais guindé, ignorant avec superbe et l'emprunt et l'artifice, cet alcool plus bronzé qu'ambré, au regard droit (et à la fin il faudra bien que le coeur se brise ou se bronze, nous chuchote Chamfort), cette franchise intérieure en bouteille, ce truc magique qui sort d'un alambic et qui est à mes yeux davantage mystérieux qu'un tube cathodique, que l'appel que je reçois depuis mon téléphone portable. L'armagnac. Le Bas-Armagnac. Laubade, Intemporel N°5 -et dieu sait si la gamme de Laubade est riche, complexe, envoûtante dans le dédale du temps, de ses millésimes si expressifs-, est une synthèse. Synthèse des meilleurs millésimes -certains sont quinqa comme moi : Vé! Conservés dans ce beau domaine cerclé comme des douelles d'un paysage d'une douceur inimitable en Cognac, cela va sans médire (on est Armagnac ou Cognac comme on est Rolling Stones ou Beatles, Klimt ou Dali, chocolat amer ou au lait). Assemblage subtil, fruit de l'harmonie des quatre cépages rois de l'appellation, avec le Baco qui se taille la part du lion (43%). Sa robe profonde m'évoque des vers de Baudelaire et un sous-bois chalossais, voire la forêt d'Iraty dans l'arrière-automne. Après la palombe, pendant la bécasse, avant la neige, pendant un rêve d'ours. Au nez, j'ai relevé ce que me disait le domaine, pour vérifier et j'ai tout coché : rien ne manque : ce rien de zeste d'orange confite comme chipé au fond d'une assiette au cours d'un coquetaile littéraire (orthographe à la Nimier) enflé de strass, de jalousies, de coups bas et de faux semblants; le clou de girofle pommé dans un plat de lentilles du premier janvier ou qui nous rappelle en nous faisant frissonner le pansement antique du dentiste : le clou importun/important que l'on chope entre les dents sans le voir comme on écrase un grain de poivre bien rond en mâchant une tranche de saucisson -ça dure et le point d'orgue sensoriel est aussi long à venir que la fin d'une anesthésie de gencive... Le caramel carré Dupont d'Isigny de notre enfance, à l'entracte au cinéma La Feria, à Bayonne, le jeudi après-midi (on y projetait Ben Hur ou Autant en emporte le vent). Il était mou et il collait un peu mais aux doigts seulement en l'ôtant du plastique -pas aux dents, mais ça nous empéguait quand même les phalanges le film durant. Il avait ce côté rimé que l'on retrouvait dans la casserole de Mamie lorsqu'elle achevait le riz au lait. Dans Intemporel aussi, car c'est une source proustienne où les madeleines sont des étincelles de mémoire affective et sensuelle, il y a ces souvenirs qui remontent du verre ad hoc -bien refermé. La cannelle et le cacao, en respirant à fond, les yeux fermés, me propulsent dans un roman de Jean Forton, au coeur d'un poème de Jean de La Ville de Mirmont, soit sur les quais de Bordeaux lorsque c'était il y a longtemps, quand l'existence était en noir et blanc nous semble-t-il, un vrai port avec des bateaux, des marins, des barriques, des bois exotiques, des odeurs partout, des bars à putes et des tentations, des sensations de voyages immobiles mais planants. Laubade vous offre ça. Il y a encore -ce n'est pas fini- du pruneau confit, avec son noyau (important le noyau, il apparaîtra dans le verre sec, et surtout le lendemain matin puisqu'il sera interdit de le laver car il faudra le laisser là pour le respirer au réveil), de la pomme au four un rien cramée parce qu'on aura mal réglé la chaleur et du tabac respiré à même la blague. Sans rire. En bouche, puisqu'il faut s'y résoudre à notre nez défendant, il y a de l'épicé, de la puissance contenue, une lionne qui ne dort que d'un oeil toujours, une grosse cylindrée qui ignore tout de la frime, une touche d'amande grillée, une douceur qui n'en finit plus de caresser notre langue et de réveiller notre palais en le piquant un chouia. Le bonheur passe le grand braquet, car avec un bas-a, soit avec un être vivant qui n'arrête pas de bouger comme un bel oiseau que l'on contient, pataud, à pleines mains, ça évolue, ça bouge, ça voyage, ça circule, ça se dirige tranquillou -au nez encore et en bouche aussi, té! Enfin bon, là ça touille, ça se mélange, ça s'escrime et ça ping-pongue- vers l'empyreumatique via le fruit confit; vers l'ineffable parfum de bitume en été juste après une pluie soudaine. Celle qui, à la plage, fait bêtement sortir les gens de l'océan et puis qu'à l'arrière de la Floride décapotée de maman, une fois tout plié, on rigole, enfants, parce que les grosses gouttes de pluie jouent de la batterie sur la carosserie et sont douces à nos lèvres salées. Retour de la Chambre d'Amour. Oui, c'est bien cette odeur chaude de route martelée par surprise et qui fume après la pluie d'été que je chope au vent de Laubade... Et encore la réglisse Haribo en rouleau, pas le Zan! Ça déménage jusqu'à la dernière vapeur de la dernière goutte. Celle qui donne naissance à l'esprit, cette étrangeté qui prolonge le voyage des heures durant. Alors merci à ceux qui oeuvrent à son élaboration, au premier rang desquels il faut saluer Arnaud Lesgourgues. Et j'arrête là, d'un coup -cut- car mon havane (Montecristo "A" -Et merde! C'est pas tous les jours dimanche. D'ailleurs c'est samedi), en est à son quatrième tiers et qu'il me brûle les doigts et que ceux-ci tapotent également l'ordi avec moins de dextérité que Glenn Gould son piano lorsqu'il vivait Bach.

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    96€ départ cave. Eu égard à cet alcool d'Apollinaire, dyonisiaque, bachique et hédoniste en diable, élu -au passage- World Best Brandy à la San Francisco World Spirit Competition en 2007, c'est que dalle. Et qu'un flacon vous dure toute la vie, si celle-ci est faite de mémoire.

     

  • La bière est une femme

    Ce que je préfère dans la bière, c'est la moustache blanche qu'elle laisse sur ta bouche lorsque tu bois à mon verre et que tu ris d'aise, coquine au regard de voleuse de cerises. Ce n'est ni une Kriek, ni une Mort Subite, mais une blonde à l'amertume bouleversante venue des contrées de Hamlet, le Danemark. To beer or not to beer ?... Nous dînons sur les Champs, ce n'est pas un déjeuner sur l'herbe, pourtant l'aneth embaume la table, le saumon porte un nom de baiser, de chanteur  -Bécaud ; et je t'embrasse.  J'absorbe l'écume de basse mer sur le liseré de ta lèvre supérieure. Nous avons sillonné la Scandinavie et la Belgique des abbayes de brasserie en brasserie, comme des moines trappistes.

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    Ambrées, rouges, gueuzes à la bulle fine comme le meilleur champagne, bulle grossière de certains lambics, kirschées,  cidrées, maltées à mort, épicées, nous avons bu l'alcool de ta passion.  J'ai suivi. Moi le buveur de bordeaux. Certains soirs, aux alentours de minuit, lorsque notre identité ignore les frontières, nous entrions dans une toile de Brueghel le Vieux. Je tenais ma chope aussi sûrement que tes hanches.

    Tu invoquais Gambrinus, le roi légendaire, protecteur de la bière. Je pensais au meilleur café du monde que l'on boit au bar éponyme de Naples. Tu précisais que dans l'Egypte ancienne, la bière, d'origine divine, était placée sous haute et double protection : celle d'Isis, déesse de l'orge et celle d'Osiris, le patron des brasseurs. D'après Le livre des rêves, un rêve de bière est un présage favorable. Patron, remettez-nous  ça !..

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    Tu me dis qu'elle a toujours été un Hausgebräu, une activité domestique réservée aux femmes, comme la cuisson du pain. Dans la mythologie germanique, comme dans une saga romanesque scandinave, celle qui fait la meilleure bière –fut-ce avec sa salive pour levure-, décide du choix d'Odin… C'est ainsi que Geirhildr emporta le cœur du roi Alrekr en laissant  Signy fermenter son chagrin au pied de  l'alambic.  La déesse de la bière fait aussi la cervoise dans le Bas-Rhin médiéval. De nos jours, lorsqu'elle porte les chopes par demi-douzaines entre les bancs d'une brasserie peuplée de marins, j'entends Brel. Et je ferme les yeux sur celui qui caresse ses fesses en passant. En pensant au bas de tes reins. Au parking sous tes reins, aussi.

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    Tu féminises ton alcool préféré à outrance. La bière, dis-tu, est sensible à toutes les infections tandis qu'elle fermente. L'orage est un fléau aussi grave qu'une femme ayant ses règles : si celle-ci vient à pénétrer une cave de fermentation, la bière tourne. Faemina menstruata est une croyance dure qui perdure. Un spectre aussi redoutable qu'une sphinge à l'entrée du sommeil.

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    Tes souviens-tu du Fischermännele, le petit garçon Fischer des plaques émaillées de notre enfance ? Il est assis sur un tonneau et vide goulûment une grande chope. Cette modeste bière alsacienne bien houblonnée se prend à la pression et à la hussarde, sans chichis ni cacahuètes, dans tous les bars de la planète nord, ou presque.

    J'ai en mémoire une bière polonaise bue un matin d'août dans la campagne de Gdansk, l'été de mes vingt ans. C'est un mélange très spécial qui permet au paysan de se rouler nu dans la neige avant d'enfourcher son tracteur. En voici la recette : porter une bière à ébullition, y ajouter deux jaunes d'œufs et une cuillérée à soupe de sucre en poudre. Boire chaud. L'été, cela fait l'effet d'un sauna et l'alcool monte vertigineusement à la tête. L'initiation relève du bizuth.

    *

    C'est dans une corne d'aurochs que la bière circulait  dans les antiques libations, rappelle l'ethnologue Bertrand Hell, auteur de ton livre de chevet durant ce voyage, L'homme et la bière. Le mâle affirmait sa virtus en la brandissant galbée et sans faux-col.

    Luther , dans ses Propos de table, écrit : « le vin est un don de Dieu, la bière une tradition  humaine ». Elle est quand même issue de quatre éléments : l'orge, que l'on transforme en malt, l'eau pure, le houblon –épice dont on n'utilise que les cônes, soit les fleurs femelles non fécondées.  La levure constitue l'âme de la bière, elle transforme les sucres du malt en alcool et gaz carbonique.

    Au-delà, il s'agit d'un mariage mystique : tu cites à nouveau Hell à propos du feu et de l'eau, symbolisés par deux triangles, l'un pointé au nord, l'autre pointé au sud et qui, combinés, forment le sceau de Salomon que l'on retrouve au-dessus de la cuve à brasser.  « Cette union de l'eau et du feu, du principe générateur masculin  et de la semence féminine », s'exprime à la manière d'une alliance alchimique.

    *

    La bière génère un discours alambiqué, si l'on s'intéresse à son élaboration. Mais comme tu es du côté des hédonistes qui ne lisent jamais les notices d'utilisation, tu sais l'essentiel : les lager, les pils, les bières de garde –qui ne manquent pas de corps. A voix basse, tu dis qu'elles mûrissent lentement sous leur bouchon muselé, en cave, là où s'ourdissent les complots et s'élaborent dans un silence obscur les grands breuvages issus de l'orge ou de la vigne. En Belgique, on parle alors de bière sur levure, de bière sur lie et de bière vivante ! Si je libère la gardienne de sa muselière, tu crois qu'elle me mordra ?

    *

    La bière perd-elle sa virilité ? L'image d'une boisson amère à l'odeur déplaisante, propre à effrayer les femmes, n'a plus cours et tu en conçois une certaine fierté : 35% des buveurs sont des buveuses et la place de la bière dans les rites d'initiation où la virilité d'un homme est jaugée à l'aune de sa capacité d'absorption est frappée du syndrome d'Epinal.

    Conviviale, on la partage et on la boit rarement seul. Sauf pour le plaisir « delermien » de la première gorgée.

    Rien ne remplace la fraîcheur d'un verre de bière désiré comme une femme, ou un homme, au cœur de l'été.

    Nous tombons d'accord : il manquera toujours à l'eau ce piquant, cette chaleur intérieure, cette complexité organoleptique que possède chaque bière –il ne s'agit pas, à l'instar  des portos et des champagnes, d'un produit générique !-. La bière est comme le vin un alcool évolutif auquel on accorde un vocabulaire identique de dégustation à l'œil, au nez et en bouche, avec bouquet, robe, longueur, saveurs et flaveurs infinies et décrites avec poésie ou jargon abscons ; c'est selon.

    *

    Les bières brassées par des moines sont mystérieuses.

    Grâce soit rendue aux cisterciens qui inventèrent la bière trappiste, leur ordre, au sein de cinq communautés à peine (Orval, Chimay, Westmalle, Rochefort et Westvleteren). Les bières d'abbaye (bénédictines ou norbertines), sont en revanche brassées de façon « laïque », rarement  au sein d'une abbaye. Question d'opportunisme : sur l'étiquette, c'est du faux fait maison.

    *

    Avant l'heure de la mise en bière, il convient d'éviter la petite bière et lui préférer la cuisine à la bière, comme savent la faire les cuisiniers des Flandres, d'Alsace et de Scandinavie. Tu m'avais invité chez Ghislaine Arabian, chef française d'origine belge aux humeurs célèbres, car elle excellait, là où elle exerça et exaspéra, dans la haute cuisine à la bière. Au-delà de la cochonaille et de la pomme de terre –la bière est résolument du côté du gras-, elle osait le turbot et autres produits nobles.

    *

    Reste qu'avec la bière, tu trouves que les hommes font les choses à moitié.

    Ne commande-t-on pas un demi (qui est en réalité un quart), au lieu d'une entière ?

    Merci par conséquent à toi et à toutes les femmes de faire baisser la pression et de lever nos inhibitions en buvant plus souvent leurs demis avec les hommes, leurs compléments d'objet direct. A la mienne!

    L.M.

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    Bertrand Hell, « L'homme et la bière », éd. Jean-Pierre Gyss.

    Papier paru dans Senso il y a cinq ou six ans, voire plus et que m'avait demandé Olivier Barrot. Je viens de retomber dessus. Envie de le mettre ici.

  • juste comme ça


    podcast

    Chopin, Concerto pour piano n°2, Larghetto. Avec un verre de Château Martinon, entre-deux-mers 2011 (signé Jérôme Trolliet : un fruité franc et généreux, un nez images.jpegCrevettes_grises_vivantes_t.jpegd'une fraîcheur confondante, une bouche pleine et ronde), pour escorter de toutes petites crevettes (qui deviennent grises) jetées vivantes, transparentes et en bouquet dans une poêle chaude avec un fond accueillant d'huile d'olive, d'ail finement coupé et de persil plat. Saupoudrez généreusement de sel et poivrez. C'est si rare d'en trouver chez le poissonnier! En lisant quoi? -Les Haïkus saisonniers de Kerouac (La petite vermillon de LTR)  qui n'égalent pas les maîtres du genre images (1).jpegJaponais, mais qui possèdent la légèreté apparente du beatnik de Sur la route. Ou bien une nouvelle (courte) de Conrad, Jeunesse par exemple, car dans une nouvelle de Conrad, il y a tout Conrad ramassé (éd. autrement) et que tout Conrad ramassé en une poignée de pages, c'est l'océan avec des hommes de bonne volonté dessus.

    Photo de crevettes vivantes : ©recettesdecrevettes.fr

  • Pibale connection

    Tant que le Gulf Stream les poussera, on se battra pour déguster ces drôles de petits spaghettis nés dans la mer des Sargasses et d'un goût singulier, certes définissable, mais tellement rehaussé d'atmosphère -davantage que de piment d'Espelette. Et de saison, d'interdit, de rareté; d'âme en somme. 

    images (6).jpegPassons à table avec une cassolette de pibales, ces alevins d’anguilles qui nous reviennent en hiver depuis la lointaine mer des Sargasses et qui, longs comme des petits doigts, fins comme des spaghettis à deux yeux (les Japonais sont d’ailleurs parvenus à en faire un surimi plus vrai que nature), translucides avant que d’être « passés au tabac », soit de vie à trépas à l’aide d’une infusion de feuilles de tabac (une mort noble, non ?), et blancs lorsqu’ils baignent dans l’huile, l’ail et le piment d’Espelette ; font le régal des Espagnols et des Basques « des deux côtés », qui les dégustent pour eux-mêmes, avec une fourchette en bois aux dents coniques comme les allées du Stade de France, afin de mieux les saisir (et d’évacuer plus rapidement le public). Cet alevin qui se pêche l’hiver dans les golfes de notre côte atlantique, excite les convoitises de pêcheurs amateurs –n’ayant théoriquement pas le droit de pêcher comme les pros, la nuit, au « pibalot » ou pibalour (sorte de large tamis circulaire), en remontant l’Adour notamment. Car le prix du kilo peut images (8).jpegatteindre des sommes astronomiques, jusqu’à 1000€ le kilo payé au pêcheur, et cela se traduit par 50€ la mini cassolette de 100g, dans les restaurants basco-landais et espagnols qui en servent (la dernière fois que j'en ai mangé, c'était fin décembre dernier chez Pablo, près des Halles, à St-Jean-de-Luz mais leur préparation fut -pour la première fois à cette adresse-, assez déçevante : mollassonnes, sans peps, comme pschittées...  Quelques tables parisiennes comme l’Os à moelle en proposait, congelées,  l’été dernier : hum). L’alevin pèse environ 0,20 g. et mesure environ 60 mm. Du coup, la guerre fait rage et la « pibale-connection », véritable mafia qui organise le commerce des pibales, adopte parfois des méthodes que l’enjeu provoque. Certains pêcheurs sont armés et il n’est pas rare de voir des déprédations diverses sur le matériel des amateurs… Si l’alevin est consommé tel quel, il est également exporté (en images (7).jpeghypothermie) vers la Chine et Hong-Kong pour l’élevage de l’anguille  que l’alevin deviendra (l’anguille ne se reproduit pas en aquaculture, il faut donc l’élever à partir de son alevin. En 18 mois, un kilo d’alevins donne 800 kg d’anguilles). Cette exportation a cependant été interdite la saison dernière, mettant en danger des centaines de « civeliers » charentais notamment (on pêche l’alevin, appelé aussi civelle dans les estuaires de la Charente, de la Gironde et de l’Adour). Mais il y a pire : la réglementation européenne de la pêche des alevins durcit le ton car les pibales se raréfient. Certes la pêche française, forte de 690 unités maritimes de 7 à 12 m et de 225 pêcheurs fluviaux (à pied) recensés en 2007, touche à 66% de la population de l’alevin de l’anguille. Mais les causes principales de sa raréfaction sont la dégradation des habitats, les centrales hydroélectriques, véritables hachoirs à poissons de remontée, les pompages dérivations de cours d’eau, le rejet de 22 pesticides organochlorés et toxiques, les métaux lourds, utilisés en agriculture, notamment pour le maïs, et autres joyeusetés. Buon appetito.

    Photos ci-dessus : © Reuters - Sud-Ouest ; © mairie-guiche.fr ; © cuisine.notrefamille.com 

    images (3).jpeg

    Là-dessus, débouchez un Txakoli de Txomin Etxaniz, classique. Ou bien risquez un entre-deux-mers légendaire : Bonnet, d'André Lurton, en 2011 (majestueux de simplicité fruitée et d'évidence dans sa fraîcheur droite). Vous sentirez la vague, les embruns, sur ces pibales de fleuve final. Ou bien un autre larron de cette AOC trop cantonnée aux huîtres, Château Lestrille. Parce que si ces deux vins excellent sur les palourdes, les clams, les moules crues et les huîtres de haut-volimages (4).jpeg comme celles de mon pote Joël Dupuch (les Viviers de l'Impératrice) ou bien celles de Gillardeau, ils peuvent faire des étincelles si on a juste l'idée de les décantonner. Sinon, un rouge tout simple -n'allez pas chercher midi à quatorze heures parce images (5).jpegqu'il s'agit d'un mets rarissime et cher : un côtes-du-roussillon de hasard et d'humble extraction, mais correctement élevé fera l'affaire (là, aucun ne me vient spontanément), ou bien un irouléguy paysan (Abotia par exemple, en rosé pour changer de son rouge qui serait trop corsé pour les fragiles alevins déjà fouettés au piment).

    images (1).jpegEt pour lire? -La bouleversante histoire d'amour contrarié de Jacques-Pierre Amette, Liaison romaine (Albin Michel) car elle exprime le désarroiimages (2).jpeg d'un homme fou amoureux et que ça, c'est toujours poignant et qu'en plus Amette écrit par touches d'une sensibilité d'antenne d'escargot -ça compte lorsqu'on tourne les pages!..  

    Itinéraire spiritueux, de Gérard Oberlé (Grasset ou Livre de Poche), pour la langue baroque de ce Rabelais du Morvan, ami de "Big Jim" 


    images.jpegHarrison. Ou encore les discours de "Gabo", 
    Gabriel Garcia Marquez, Je ne suis pas ici pour faire un discours (rassemblés par Grasset) à picorer et pour lire au moins celui qu'il prononça lorsqu'il reçût le Nobel, le 8 décembre 1982, intitulé La solitude de l'Amérique latine. Ou celui qu'il donna deux jours plus tard à Stockholm encore : A la santé de la poésie. Extrait : A chaque ligne que j'écris je m'efforce toujours, avec plus ou moins de bonheur, d'invoquer les esprits furtifs de la poésie et de laisser sur chaque mot le témoignage de ma dévotion pour leurs vertus divinatoires et leur victoire permanente sur les pouvoirs sourds de la mort.

  • Syrah du South

    crozeshermitagebio2011cavedetainlhermitage_resized.jpgC'est un Crozes-Hermitage (rouge 2011) de la Cave de Tain (sise à Tain L'Hermitage, dans la Drôme et dont je ne me lasserai pas de dire du bien). Syrah à 100%. Cuvaison courte et mise rapide afin de préserver le fruit dans sa pureté : bon point. Robe profonde, sombre comme la nuit tombante. Nez de fruits des sous-bois et des haies dont on fait des confitures ce mois-ci, suivi d'arômes plus durs de cuir et de tabac à pipe blond légèrement poivré. Bouche ravissante de fraîcheur, belle structure, longueur plus que correcte. Finale doucement épicée. J'ai accompagné ce vin issu de raisins biologiques (10€ le flacon et ça les vaut bien) et qui s'inscrit sans forfanterie mais avec une réelle conviction dans la démarche de la Cave de Tain en faveur du Développement durable, avec -ne riez pas-, d'un côté une simple pizza margharita de belle facture, rehaussée d'huile pimentée et de l'autre l'âpreté des Croquis de la Nouvelle-Orléans brossés par William Faulkner (in Coucher de soleil, folio 2€). Et bien la syrah s'en est sortie la tête haute. téléchargement.jpegLes croquis  du Deep South circonscrivent en trois ou quatre phrases à peine un personnage saisi sur le vif aussi efficacement qu'un portrait exécuté par un peintre leste et sur lequel nous portons un coup d'oeil puis un regard appuyé. Tout est là, dit ou (dé)peint. Cela s'appelle le talent et Faulkner n'en manquait pas. Ses sujets d'écriture sont les humbles. Mendiants, cabossés de la vie, simples d'esprit, alcooliques, tous sont avides de reconnaissance et lancent des appels à l'autre comme on jette une bouteille à la mer. Ce crozes-hermitage n'a pas besoin de cela, car c'est lui qui envoie des signes où l'on reconnaît l'évidence de la syrah lorsqu'elle s'épanouit dans les côtes-du-rhône septentrionales, rive gauche bien sûr et qu'un travail à main d'homme a fait consciencieusement le reste; soit l'essentiel. A la manière de l'écrivain ou du peintre devant le motif. Et comme j'étais en appétit, j'ai enquillé en feuilletant les poèmes hiératiques d'Erri De Luca tout en picorant des baies de raisin noir (lire Solo andata, juste dessous). En lisant, en croquant, en prenant une gorgée par-ci, par-là, ce rouge d'une distinction franche m'a soufflé une idée : désormais, je me livrerai au jeu charmant des alliances vins-mets-livres. Parce que ça marche.  

  • Portos et Minervois

    Image 2.pngMichel Portos ouvre (enfin) son restaurant à Marseille (où il est né) le 18 septembre prochain. Malthazar, 19, rue Fortia -plein centre! (une institution locale rachetée en juillet dernier). On brûle d'envie d'y foncer (ça ne tardera pas). Nous l'avons connu au Saint-James à Bouliac (Bordeaux), où il passait après Jean-Marie Amat. A l'époque, je dirigeais les rédactions de GaultMillau, la découverte de sa cuisine (A/R spécial dans la journée au moment de son ouverture) fut un choc. A chaque plat, la sensibilité du bonhomme explosait tranquillou en bouche. Nul doute qu'avec ses formules marseillaises décontractées -a bisto de nas-, à 22€ et à 31€, augmentées de l'accent méditerranéen  posé sur les versions tout brasserie et tout signature, il va vite oublier les pesanteurs amphigouriques bordelaises. Son bras droit au piano s'appelle Vincent Poette -ça promet! Et en plus il servira les huîtres de mon pote Joël Dupuch. Alors à vite, garçon!...

    En attendant, juste un mot sur un Minervois de haute tenue, château Millegrand Millegrand fut copyright bonfils.jpg(Vignobles Bonfils à Capestang, 34). Syrah pour moitié et le reste équitablement partagé (comme les coups de corne par Dieu à chaque tarde de toros) en carignan, grenache et mourvèdre. 18 ha plantés près du Canal du Midi. Vendangé à la main -on ne pose pas la question. Belle robe profonde, limite noiraude, nez puissant de fruits noirs, de sous-bois humide et de cuir sec. Bouche élégamment boisée comme la fin de trace (le soir venu) d'un parfum de Serge Lutens dont j'ai oublié le nom et que je retrouve dans le cou d'une. Cela possède -non : cela envoie de la classe comme une femme flamenca à la démarche unique sur le Paseo Cristobal Colon (Séville) par une après-midi d'avril vers cinq heures moins le quart. Et (au risque d'être vulgaire, mais en l'occurrence une touche de vulgarité a licence de frayer son chemin mûletier), cela vaut moins de 4€. ¡Olé!

  • Fissa

    images.jpegPêle-mêle, j’ai moyennement aimé Viviane Elisabeth Fauville de Julia Deck (Minuit) un rien "je m’écoute écrire comme on écrit dans la maison Minuit depuis Beckett jusqu’à Echenoz" –mais bon l’histoire tient debout et elle est (comme il se doit) froide comme images (1).jpegun serpent d’acier. Le plus gênant est peut-être (pour en avoir discuté avec d'autres lecteurs) l'emploi de la deuxième personne : vous avez fait ceci et vous allez faire cela... Au lieu du je ou du elle classique. Mais aucunement le meurtre du psychanalyste à l'arme blanche ou le quotidien (banalement) ordonné d'une femme (banalement) larguée par son mari avec un bébé dans les bras.

    J’ai préféré Le sermon de la chute de Rome de Jérôme Ferrari (Actes Sud), à la belle écriture tendue et qui ne cède jamais, en dépit de nombreuses divagations bien contrôlées et parce que c’est une belle métaphore de la roue de la vie doublée d'une saga familiale et tout cela gravite autour d'un bar paumé en Corse, tenu par deux jeunes amis frais émoulus de leurs études de philo.

    Oui, vous savez, ce sont des livres qui n’ont rien à voir entre eux mais dont tout le monde parle, avec une poignée d’autres ("le" Olivier Adam : bof, "le" nouveau Harrison : à lire dans la foulée, "le" Angot : laisse béton, "le" Djian : mouais), dans le maquis de cette rentrée protéiforme, pauvre pour une fois en autofiction nombriliste (qui s'en plaindra?) et qui s’appuie volontiers (panne d'imaginaire?) sur des faits de société servis chauds par les écrans de notre quotidien comme ce n’était plus le cas depuis des images (2).jpeglustres.

    D’ailleurs, j’entame Rue des Voleurs, de Mathias Enard (Actes Sud) qui a choisi le Printemps arabe pour toile de fond -entre deux friandises (et en attendant octobre qui nous apportera le dernier Quignard que nous souhaitons moins déçevant que le précédent et un Modiano que l'on dit exceptionnel) :


    Sur l’oisiveté, de Montaigne, adapté en images (3).jpegfrançais moderne par André Lanly. Débat : images (2).jpegcette adaptation (très récente, des Essais dans la collection Quarto/Gallimard -et il s'agit avec Sur l'oisiveté d'un extrait) est-elle supérieure à celle, admirable, de Claude Pinganaud (pour Arléa)? Il nous faudra comparer les deux textes (à suivre, donc). Ce petit
    2€ - Montaigne, Sur l'oisiveté.jpgrecueil reprend les chapîtres sur l'oisiveté, le pédantisme, la cruauté, la fénéantise et la colère.

    Replonger au hasard dans les  Maximes de La Rochefoucauld est un plaisir gourmand comme celui de chiper des bonbons l'après-midi. Nul ne peut se lasser d'ouvrir un tel livre et d'y trouver à chaque fois une perle d'intelligence, un trait d'esprit d'une acuité redoutable sur la nature humaine.

    Autre mini-poche : Un voyage érotique (anthologie) : Antiquité, Renaissance italienne, libertinage, érotologie arabe, le sexe sacralisé dans la liitérature asiatique et quelques pépites modernes glanées chez Wilde et chez Lawrence. Jamais sulfureux, toujours littéraire. Ces trois minces mais denses sont disponibles en folio 2€ et j’adore cette petite collection !

    images (4).jpegIl y a également des petites choses intéressantes à parcourir : Marilyn Monroe à 20 ans (« les secrets de ses débuts », sous-titre l’éditeur Au Diable Vauvert) de Jannick Alimi, car il y est question d'avant Hollywood : l'orphelinat, la pauvreté, un passage en usine comme ouvrière, des débuts inavouables de call-girl, de pin-up, les poses pour un photographe comme modèle low-cost, le premier divorce (Jim Dougherty)...  Et c'est donc touchant.

    Je relis Une autre jeunesse, de Jean-René Huguenin que Points a la bonne idée de reprendre dans sa collection images (4).jpegimages (5).jpegchic intitulée Signatures (et dans sa collection tout aussi élégante intitulée Grands romans, un fort et beau livre peu connu il me semble, maritime, ample, humain, exotique, cru, âpre de Yasushi Inoué, Rêves de Russie). Huguenin ou la voix d'une génération perdue, trop tôt flambée, qui faisait écho aux Hussards. Huguenin ou la fougue romantique d'une prose élégante et audacieuse (souvenez-vous de La Côte sauvage, et de nombreux passages admirables de son Journal).

    Je musarde entre les pages du Dépaysement, images.jpegsomptueux recueil de voyages en France signé Jean-Christophe Bailly (Points), qui partagea le Prix Décembre avec l'ami Olivier Frébourg (lire ici le compte-rendu de Gaston et Gustave daté du 14 novembre 2011).

    Jimages (1).jpege m’apprête à découvrir Exils, pièce de théâtre de James Joyce (folio), parce qu'un chassé-croisé amoureux entre deux couples pour sujet excite immanquablement, qu'il s'agit de la seule pièce de Joyce qui ait été sauvée et que l'éditeur affirme que c'est le laboratoire de toute son oeuvre, avec pour outils la tromperie, la dispute, la franchise, la jalousie, la cruauté, le vertige...  

    Je relirai enfin (de longues années après) Paris est une fête detéléchargement.jpeg Papa Hemingway dans une jolie édition collector (folio) revue et augmentée notamment d’un catalogue de « vignettes inédites » (d'autres fins possibles, car l'auteur hésitait et souffrait comme un chien pour achever ses livres!). C'est le Paris des années 20, vu par Hemingway (donc la plupart du temps depuis les comptoirs de La Closerie des Lilas et d'innombrables bars). On y croise des personnages comme Gertrude Stein ou Ezra Pound mais c'est un Paris aussi dépaysant que le fameux Piéton de Léon-Paul Fargue.

    Comme toujours sur ce blog -on l'aura compris-, le format de poche est privilégié. Comme sont mis en avant les bons flacons pas trop chers et les curiosités gastronomiques :

    L'IBERIQUE_FOIE GRAS AU JAMBON SERRANO.jpegEN LISANT, EN DEGUSTANT

    A l'aide d'une bonne lame, entamez L'Ibérique, un foie gras de la Comtesse du Barry enroulé dans une tranche de jamon serrano et parfumé (un peu trop à mon goût) de vinaigre balsamique. C’est un mi-cuit de 200g (30€).

    Je l’ai fiancé, non pas à un champagne ou à un blanc tranquille (sec) mais à un, puis deux excellents petits vins (rouges) par leur prix mais grands par leurs goûts : COSTIERES CHAT. DE CAMPUGET copyright costières de nimes.jpgVAUGELAS PRESTIGE copyright bonfils.jpgchâteau Campuget tradition 2010, un Costières-de-Nîmes à 3,60€ qui ne s’en laisse pas compter : il est puissant et rond, vif et long, épicé (poivre) et soyeux. L’autre est château Vaugelas, Cuvée Prestige 2010, un Corbières magnifique, modeste et richissime (fruits rouges et noirs, vanille, poivre, soyeux lui aussi et même velouté) qui coûte 4,5€ ! Deux vraies affaires en ces temps de Foires aux vins où les gens font du yoyo avec leur calculette entre les rayons, jusqu'à en oublier l'usage du tire-bouchon... Lisez et buvez.

  • La leçon de bonheur de Joël Dupuch

    images.jpegOubliez un instant Jean-Louis-le-gars-des-huîtres-des-Petits-Mouchoirs, la marionnette un brin moralisatrice des Guignols, et penchez vous sur la belle leçon de vie, de courage, de bonheur, que donne cet homme, Joël Dupuch, ostréiculteur archi passionné par son métier et par le Bassin d’Arcachon –son jardin, et en particulier par sa cabane qui ouvre sur le Paradis selon lui-, en lisant, ou plutôt en avalant comme je viens de le faire cul-sec, son livre intitulé Sur la vague du bonheur (Michel Lafon). Je ne tairai pas (ce serait mentir et je sais pas faire), que Joël est un ami depuis plus de vingt-cinq ans, que j’habitais (dans les années 87-92) à deux pas de son bistrot de l’huître, Joël D., qui trônait rue des Piliers-de-Tutelle dans le Vieux Bordeaux tandis que je créchais rue des Faussets, que ses Quiberon n°3 sont depuis lors et pour toujours mes huîtres préférées (il me faudra goûter un jour ses Perles), qu’il a eu l’extrême gentillesse de me donner la parole à la page 45 de son livre, en reproduisant ce que j’ai écrit sur le mot Gascon dans mon bouquin Le Sud-Ouest vu par Léon Mazzella (Hugo & Cie) ; et que voilà.

    Une belle personne

    Joël, que le succès du cinéma (c’est vrai qu’il joue bien, le bougre ! Et je l’ai déjà écrit ici même à la sortie du film -note du 21.10.10) ne saurait entamer d’un millimètre, est ce qu’il est convenu d’appeler « une belle personne ». Et je pèse ces trois mots en les écrivant. Humainement, c’est un champion. Sa droiture, sa fidélité, son bon sens de rugbyman amateur invétéré de vérité, habité par la simplicité et la franchise intérieure, en bref sa morale, devraient servir d’enseignement à chacun, surtout aux  pisse-vinaigre qui se réjouissent du malheur des autres et qui ne consentent à partager que leur morgue. En plus, il écrit bien, le gonze ! Il rédige direct, comme Cyrano ou Brassens balançaient des règles de savoir-vivre simples que l’on a tendance à oublier, dans ce monde peuplé de dupes occupés à s’enrichir matériellement au lieu de passer du temps, comme Joël sait le faire, à aimer, partager, vivre le bonheur lorsqu’il se présente, contempler la mer, sa fille, sa femme, ses amis, ses fils, ses parcs à huîtres, le temps qu’il fait et le vol d’un cygne qui lui rase la tête à l’heure où le jour décline et qu’il rentre sur son bateau, baigné par des teintes déchirantes de beauté. L’homme du Bassin qui est tombé par hasard dans le cinéma gardera toujours « les pieds sur terre et la tête dans les étoiles ». Ce mauvais coup-là –celui dit du « melon » (la grosse tête), on ne le lui fera pas.

    Une bonne vista

    Pas davantage que d’autres. Joël a une bonne vista. Sûre elle est, oui ! C’est celle qui sait lire l’océan et le ciel, l'exactitude des marées et la sincérité du regard. Celle qui sait distinguer l’homme de cœur de l’emmerdeur ; l’essentiel du futile. Son bouquin est bourré d’autant de bonnes formules qu’il est lui-même plein de bonnes ondes et de don de lui-même. Homme d’ouverture aux autres, il sait que « le prix du bonheur a flambé » et qu’il s’agit de savoir où il réside vraiment. Sa philosophie est simple : il est nature. Brut de décoff’. Soit lui-même, point barre. Sauf que c’est pas n’importe qui, cet homme qui compte parmi les rencontres d’une vie (et qu'une vie est faite de belles rencontres). Avec lui, ça passe ou ça casse. Les pages qu’il consacre à sa « Presqu’île du bonheur, une appellation d’origine méritée », à la mer son amante, à deux juments pottoks, ses premières amoureuses, à ses copains d’enfance devenus des amis, à ses enfants, à ses huîtres, à ses parents, sont parfois bouleversantes de justesse et de beauté dans l’hommage et le respect. Il sait décrire avec beaucoup de poésie son quotidien solaire et parfois bousculé par les aléas du métier, les caprices atmosphériques et la connerie humaine aussi. Et il a une sacrée dose d’humour, également, si bien que je l’entendais raconter ses histoires et émailler des blagues et des souvenirs cocasses en le lisant –tout en me marrant à haute voix, au bistro d’en bas où je viens donc de dévorer ce précieux bouquin (reçu ce matin et hop! le voilà là). C’est le livre de sa vie qu’il nous offre. Son auteur n’a que cinquante-sept ans, mais il en parle, ici ou là, comme si elle était déjà faite –et c’est le seul bémol que j’ai trouvé à cette vague de bonheur qui emporte le lecteur. Oh, Joël, c’est toujours devant que ça se passe !

    Douché-touché

    On sort douché et touché de cette lecture, et donc vivifié, comme lorsqu’on se fait copieusement rouler par le shore-break, à marée presque haute, à la plage de la Chambre d’Amour (Anglet). On en sort grandi aussi, un peu comme lorsqu’on relit des textes emblématiques, qu’il cite d’ailleurs (Tu seras un homme mon fils, de Kipling, la tirade du Panache de Rostand, plus quelques citations bien choisies et empruntées autant à Spinoza, Mauriac, Voltaire ou au dalaï lama, qu’à Brassens, à Philippe Lavil, ou bien à son ami Jean-Louis Aubert). Certains passages m’ont parlé davantage que d’autres. J’ai eu, par exemple, les mêmes nœuds aux tripes lorsque j’ai du m’arracher de Bayonne –comme lui du Ferret, pour aller étudier à Talence –ainsi qu’il dût le faire aussi dans cette ville proche de Bordeaux, la mort dans l’âme. Nous avons vécu des émotions fondatrices comparables à la chasse. Surtout, je partage à 200% son souci du partage et son incapacité « à prendre le moindre plaisir s’il n’est qu’égoïste ». Fondamental ! Et cela me rend mon ami encore plus proche, même si nous ne nous voyons pas assez. Car une vie est aussi faite de cela, du beau souci de faire passer. « Ai-je assez transmis, ai-je donné assez d’amour ? », se demande-t-il. En aurons-nous suffisamment donné au soir de notre vie ? Aurons-nous eu le temps nécessaire à la transmission des valeurs essentielles qui font un homme, une existence…

    Accent grave

    Sur la vague du bonheur a parfois des accents graves, lesquels sillonnent avec alegria un parcours fondé sur : 1- le précepte maternel selon lequel, tant qu’on a deux jambes et deux bras, on peut se relever et continuer d’avancer (en gros). Et, 2- son truc perso qui consiste à faire chaque fois que nécessaire trois pas en arrière et appuyer sur pause afin de mieux apprécier les choses en face. De sages principes. Certes, l’aventure des Petits Mouchoirs et le succès incontrôlable qui s’ensuivit ont quelque peu bouleversé sa vie, mais dans le bon sens. « Jean-Louis s’est retiré après quelques marées » et il est redevenu Joël. Pour le bonheur de sa tribu. C’est comme çà : Joël Dupuch continuera de tremper sa chocolatine dans son double café matinal pris au bistro de presque chaque jour en lisant Sud-Ouest, édition Arcachon. Même si sa vareuse délavée est devenue aussi célèbre que la pipe de Tati, ou peu s’en faut. Le gaillard sait que « pour briser la glace, dans toute relation, il faut d’abord briser la glace du miroir qui nous renvoie notre image en référence ». Et que « les choses sont faites pour appartenir à ceux qui les font vivre ». Dont acte, amigo.

  • Rasades de rosés

    Ce sont des vins de barbecue, d’apéritifs dans la tiédeur d’une journée qui s’achève, baignée de parfums d’herbe coupée, de bitume chauffé par le soleil, de pluie soudaine et déjà oubliée et de brouillard léger. Ce sont des vins de conversations amicales, de rires francs, de sourires et de regards complices et de tapas que l’on mange avec les doigts, parce qu’avec les doigts c’est meilleur. Ce sont des rosés 2011, simples, qui ne se la jouent pas et qui sont bons, sur le fruit, la fraîcheur, le simple, le cru, le cuit, le bon; la bonté.

     

    images.jpegLes Palombières, de Rigal (château St Didier-Parnac) est un Côtes de Gascogne, 100% cabernet franc d’une franchise et d’une légèreté confondantes. Belle vinosité. Un rosé marqué par une grande fraîcheur aromatique. Nez délicat de petits fruits rouges. Jolie souplesse en bouche (2,90€ !).


    Chez le même Lotois Rigal, Libertine, en AOC Fronton (80% négrette, 10% syrah et 10% cabernet franc) a un léger sucré -limite désagréable. Grande souplesse, cependant. Robe profonde, nez de fruits trop mûrs peut-être. Un rosé de dessert, assurément, mais pas de grillades ni de charcurerie (2,90€ !).


    images (1).jpegChez Ogier (Rhône), un Côtes du Vivarais, le domaine Notre Dame de Coussignac, vin rosé Bio (80% grenache, 10% syrah, 10% cinsault), à la robe claquante, au nez pourvu d’une belle fraîcheur, attaque vive en bouche et assez persistante. Un rosé vineux comme on les aime, pourvu d’une légère acidité qui n’est pas un inconvénient (4,90€).

     

    Chez Anne de Joyeuse (Limoux), un Camas 100% pinot noir né en Haute-images (3).jpegVallée de l’Aude. Rosé de pressurage direct subissant une fermentation très courte à 15° (pour les curieux). Belle robe pâle, nez de framboise et de cerise, bouche légèrement grasse. Fraîcheur intense. images (2).jpegPour l’apéro avec du jambon espagnol.

    Un autre Camas, 100% syrah, légèrement plus capiteux –si l’on peut dire pour un rosé, exprime la même fraîcheur et la même générosité, mais plus soutenues, plus viriles (4,95€ chaque flacon).

     

    Le rosé des Riceys 2010 de Moutard (Champagne) est rustique, minéral, sec, avec un côté paysan au débouchage et à l’attaque au nez comme en bouche, qui ne sont pas déplaisants, et qui de toute façon se calme très vite, une fois le vin aéré. Un rosé de l’Aube racé, issu de pinot noir à 100%, légèrement épicé en bouche, pour des repas d’été (11,30€).

  • Rasades pour fins de repas

    Ce sont quelques vins de grande douceur : desserts, tablettes de chocolats,  tartes aux fruits, cigares, câlins. Ce sont des vins de soirées qui se prolongent...

    vignoblesetsignaturescauhapejuranconnoblessedutemps2009.jpgLe Jurançon de Cauhapé Noblesse du temps 2009 est une merveille de douceur et de vivacité, signée Henri Ramonteu. Le petit manseng s’exprime ici avec droiture et élégance, la palette aromatique va des fruits confits au miel et aux agrumes, c’est vigoureux et très long en bouche. La quintessence du jurançon comme nous l’aimons. Ni trop gras, ni trop liquoreux, juste vif et nerveux; équilibré en somme (28,50€). Gâteau basque à la cerise noire d'Itxassou, Robusto de Ramon Allones (Specially Selected).

    L’Altenbourg Gewurztraminer de Paul Blanck est l’un vignoblesetsignaturespaulblanckalsacealtenbourggewurztraminer2007.jpgde nos Alsace préférés. Il est ici présenté dans le millésime 2007. Puissance, épices, sècheresse, radicalité et finesse, harmonie, compoté, fleurs blanches, fruits croquants (poire) sont les mots qui viennent pêle-mêle à l’esprit en goûtant ce gewurztraminer d'une grande noblesse, assurément (15,70€). Lychees fraîches, éclair au chocolat.

    sudouestcahorsparadoxe2007maisoncantury.jpgEtonnants Cahors de la Maison Cantury ! Ils ne sont pas vraiment à la mode light, ces vins noirs d’une robe d’encre, profonde et d’une texture consistante, épaisse, capiteuse, voire lourde pour la cuvée Parenthèse. Les cuvées Paradoxe et Révélation sont à peine moins denses. Toutes expriment la richesse extraordinaire du malbec, sa plus pure expression, dans un souci de classicisme évident. Les trois terroirs –complémentaires- sont parmi les meilleurs de l’AOC. Les rendements sont faibles (le nombre de bouteilles est très limité) et la vinification millimétrée. Les tanins sont d’une rare finesse, le nez de ces trois vins est d’une grande expression : fruits noirs, moka, poivre, tabac, réglisse. L’identité minérale (délaissée) du malbec se révèle comme jamais sur Révélation. Quant à Parenthèse, cuvée ni collée ni filtrée, elle exprime avec vibration la puissance d’un vin vivant,  mais jamais brutal. Une expérience (env.16€). Fondant au chocolat, mousse au chocolat noir. Grand Havane (Montecristo A).

     

    roussillonmasamielvintageblanc2009.jpgLe Mas Amiel Vintage Blanc 2009  est d’une délicatesse confondante. Ce vin doux naturel remet le grenache gris au goût du jour. Sa robe blonde, son nez d’agrumes doux, sa bouche fraîche et minérale (sols schisteux), en font un vin qui a du claquant (16,50€). Salade d'agrumes (pomelos) et de pomme verte. 

     

    valleedurhonesudortascavederasteausignature2007.jpgLe VDN (vin doux naturel) de Rasteau Signature 2007, avec sa robe grenat, son nez de fruits rouges confits, de cacao, d’épices comme la cardamome et la muscade, exprime la grenache (100%, vieilles vignes) avec vigueur et douceur à la fois. C’est à la fois soyeux et frais (11,70€). Cigare de Honduras, chocolat 1848 aux noisettes entières.

     

    Le Cornas 2007 de la (formidable) Cave de Tainimages.jpeg l’Hermitage (Drôme), exprime d'exceptionnelles syrah. Nez frais, épices douces, tabac blond, olive noire, réglissé leger, puissance et souplesse et léger cacaoté en arrière-bouche (15,40€). Macarons au praliné, barre de Mars ou de Milky Way.

     

    alsacecremantbrutrosecavevigneronspfaffenheim.jpgLe Crémant brut rosé de la Cave des Vignerons de Pfaffeinheim, 100% pinot noir, doit être fier d’avoir été confondu avec des champagnes bruts dont nous tairons le nom, ici. C’était pour jouer, comme nous aimons le faire souvent avec des amis. Belle robe saumon, mousse fine, cordon délicat, fruits rouges frais en bouche, belle longueur, assez persistante. Une réussite (10€). Tarte aux fraises/framboises. 

     


    Par ailleurs, pour fiancer une botte d’asperges escortée d'une mousselineimages (2).jpeg légèrement moutardée, voici un vin surprenant et d’une fraîcheur magique : le Muscat première mise 2011 de la Cave de Pfaffeinheim (Haut-Rhin). Un miracle de fraîcheur, en effet, et de fruité délicat. Parfait, donc, sur de grosses asperges blanches des Landes, comme sur des petites vertes sauvages, maigres et tordues. Une alliance  imprévue et efficace (7,20€).

     

     

     

  • Balade littéraire dans les Landes

    Papier paru ce matin dans Le Nouvel Observateur, CinéTéléObs/Oxygène (avec d'autres papiers - à suivre ici - consacrés à l'année Klimt à Vienne et à une balade ornitho autour des lacs de Champagne).

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    Qui mieux qu’un écrivain entiché sait lire le paysage sensuel de ce département protéiforme ?

    images.jpegimages (7).jpegDu cru, ou bien frappés par cette terre, les écrivains distinguent les Landes de sable et de pins de celles vallonnées de Chalosse, les plates girondines du Tursan qui mamelonne, l’océan de maïs du silence de la haute-lande, les côteaux griffés de vignes des plages droites, le Bas-Adour drainé de fleuves du Marensin agricole, les grands étangs qui trouent la forêt de l’airial qui l’aère, le front de mer d’Hossegor des villages d’Armagnac. Les Landes sont une invitation au voyage. Immobile si l’on feuillette « l’Enterrement à Sabres » (Poésie/Gallimard), l’immense chanson de gestes hugolienne et gasconne de Bernard Manciet, l’écrivain de Trensacq, poète de images (10).jpeggénie disparu en 2005. Ou bien  en s’allongeant en pleine forêt sur un tapis d’aiguilles de pins et de fougères, le regard planté à la cime des arbres qui dansent. Il suffit alors de fermer les yeux pour confondre, comme le faisait François Mauriac, le bruissement permanent du vent dans les branches avec celui de l’océan. Le images (1).jpegimages (2).jpegBordelais Mauriac n’aimait rien comme planter ses fictions dans l’âpre lande : le village d’Argelouse est à jamais marqué par « Thérèse Desqueyroux », l’un de ses plus célèbres romans(Livre de poche). Montaigne, qui voyageait à cheval, a nourri ses « Essais » (Arléa) de centaines de chevauchées à travers les Landes. Il vante même les mérites des sources thermales de Préchacq-les-Bains dans son œuvre-vie. Jean-Paul Kauffmann a donné un livre magnifique, « La maison du retour » (folio), qui raconte comment il choisit justement de s’établir de temps à autre en forêt, à Pissos. Plus bas, on peut se promener du côté d’Onesse-et-Laharie, à la recherche de la maison des sœurs de Rivoyre, échouer à la trouver et relire « Le petit matin » (Grasset), de Christine, « la Colette des Landes », au café du coin. Les Landes, c’est la place centrale de Mont-de-Marsan à l’ouverture du premier café que l’on prend en pensant aux frères Boni : Guy et André Boniface, rugbymen de légende. Un stade porte leur nom à Montfort-en-Chalosse. Denis Lalanne, qui donna comme son ami Antoine Blondin des papiers « de garde » à « L’Equipe », écrivit un livre hommage images (3).jpegimages (4).jpegaux frangins : « Le temps des Boni » (La petite vermillon). Il vit aujourd’hui paisiblement à Hossegor. Le lire, c’est retrouver le rugby rustique de village, où les déménageurs de pianos sont plus nombreux que les joueurs du même instrument. Un autre écrivain journaliste parti trop tôt (en 2004), Patrick Espagnet, de Grignols (plus haut dans les Landes girondines), possédait une plume forgée à l’ovale. Ses nouvelles : « Les Noirs », « La Gueuze », « XV histoires de rugby » (Culture Suds), sont des chefs-d’œuvre du genre.  Les Landes, ce sont ces belles fermes à colombages avec leurs murs à briquettes en forme de fougère, qui se dressent genere-miniature.gifgrassement sur leur airial. La plus emblématique se trouve au sein du Parc régional de Marquèze, à Sabres, où l’ombre tutélaire de Félix Arnaudin, l’écrivain  photographe un brin ethnographe, plane comme un milan royal en maraude. Les clichés d’Arnaudin sont aussi précieux que ses recueils de contes (Confluences). L’un d’eux montre un images (5).jpegimages (8).jpegjeune berger, Bergerot au Pradeou, dressé dans l’immensité plate comme la main. Et évoque le tendre roman de Roger Boussinot, « Vie et mort de Jean Chalosse, moutonnier des Landes » (Livre de poche). C’est encore le souvenir de Pierre Benoît, l’auteur de « Mademoiselle de La Ferté », de « La chatelaîne du Liban » et d’Axelle » (repris le mois dernier par Albin Michel), originaire de Saint-Vincent-de-Paul, près de Dax, où il vécut « une sorte de vie animale et sylvestre » jusqu’à l’âge de seize ans. Les Landes, ce sont téléchargement.jpegenfin les inoubliables passages de Julien Gracq, dans « Lettrines 2» (José Corti). Le grand écrivain s’émeut avec l’acuité du géographe : « Jamais je ne l’ai prise (la route des Landes) sans être habité du sentiment profond d’aborder une pente heureuse, une longue glissade protégée, privilégiée, vers le bonheur » (…) « Maintenant se fait entendre dans le paysage une note plus ample et plus grave, que l’oreille surprend déjà dans le nom de Grandes Landes par lequel on désigne le massif le plus épais et le plus compact, le recès central du labyrinthe, et vraiment le cœur de la forêt. Non pas tant une forêt que plutôt une province des arbres, ce que les Anglais appelleraient woodland … »

    L.M. 

  • Brintemps

    Ceci est le 1000 ème article que j'écris sur mon blog, créé il y a six ans (et deux jours).

    IMG_0890.JPGLes jours rallongent et les jupes raccourcissent. Les mimosas fleurissent. En ville comme à la campagne, les palombes paradent vertigineusement : les mâles montent au ciel, planent et se laissent tomber. Ils aiment sans frein. Les femelles ne regardent même pas. C’est nuptial. Tout vibre, le merle chante plus tôt, ça bourgeonne. Envie printanière d’un œuf brouillé au beurre marin, aujourd’hui. De respirer à fond en ouvrant les fenêtres sur le monde. Bonheur de sortir tôt. Dans la rue, l’air est imprégné d’odeurs chaudes de viennoiserie. Je frôle une bourgeoise tracée au Samsara. Aspergée, plutôt. Les pas sont pressants. Le pays s’éveille. Au marché proche, les primeurs débarquent des cageots verts d’asperges et rouges de fraises. Le poissonnier étale les poissons d’avril sur la glace brisée. La vita e bella…

    J’aime, le matin, sentir ma fiasque calée dans la poche intérieure gauche de matéléchargement.jpeg veste. Il en va du canif au fond du pantalon comme de la fiasque. Si par mégarde nous l’oublions, il ou elle nous manque terriblement, alors même que nous n’en avons aucun usage. Rien à couper au couteau : ennui, saucisson, brouillard ? Le canif manque quand même au toucher. La main tâtonne désespérément l’absence. Nous nous sentons nus. Plus seul. Les affaires intimes ne sont pas à une incongruité près : c’est toujours « entre soi » que l’on aime sentir le canif dans la poche et la fiasque, là. Calée. C’est seul aussi que l’on a le plus de plaisir à ouvrir l’un et à déboucher l’autre. Oublions l’arme blanche. Chromée, chiffrée, guillochée, gainée ou non, galbée pour épouser le cœur (elle, au moins…), voilà pour le contenant de l’objet. Mettez ce que vous voulez dedans. C’est une question, capitale, de parfum. Tout alcool plongé dans une fiasque subit une pression subjective de base qui le propulse aussitôt près des Dieux. L’important, on l’aura deviné, est de dévisser l’objet et de sniffer. Boire est inutile.

    IMG_6914.JPGIl fait jour. Il fait jouir. Vos yeux embrasent, embrassent l’espace. Imaginez le plaisir de capter, à l’aurore, les parfums complexes d’une poire, au moment délicieux où le monde part bosser, et de faire alors une pause au-delà du réel, au-dessus de la mêlée qui fait la queue ou qui ahane, embouteillée et pendue à ses portables, et vous bien calé sur une motte d’illusions, un bouquet de paresse dans le dos, accoudé au comptoir du temps suspendu. Même pas dans ce rade habituel où vous avez votre ardoise. Loin! Fermez les yeux un instant –en attendant le bus, le feu vert, l’ascenseur, une augmentation, un rendez-vous gâlon, et partez ! Moi, cela m’expédie illico à 2000 mètres d’altitude, au bord d’un lac connu de quelques isards complices, et je sens une truite prendre la mouche au bout de ma soie. La poire récompense une belle prise (c’est dire si l’on est à l’abri de l’ébriété, en montagne). Le salaire de l’approche, c’est ma fiasque qui me le remet en mains propres et en liquide. Mais d’abord, par le nez, je m’octroie licence de flairer le goulot comme on respire une fleur, un cou adoré; un enfant sa mère. L’éducation du coût des choses vraies passe par là. Le bonheur est dans l'à peu près. Dans le près. Encore plus près... Approche-toi, n'aies pas peur. Comprenne qui boira. Ou basL.M.

    Photos : Un lac dans les Hautes-Pyrénées, au cours d'une randonnée, lorsque j'écrivais "Lacs et barrages des Pyrénées" pour Privat (©LM).

    Puis, de petits poussins jaunes comme disait Francis Ponge pour désigner le mimosa (© : destinationsanfrancisco.wordpress.com).


    Enfin, rien à voir : c'est le "banc Georges Simenon", à Liège, où je me trouvais en reportage la semaine dernière (pour L'Obs). Et je m'aperçois que j'ai une petite collection de photos  de statues à l'échelle:1 comme celle-ci : Pessoa, Hemingway... Prises au fil de reportages (©LM). 
  • emmanuEllemange

    893747701.jpgElle mange. Car elle aime manger. Elle voyage. Pour manger, pas pour voyager. Ou alors dans sa tête, qui est reliée à son ventre. Elle écrit sur ce qu’elle mange. Chez elle, chez les autres, au restaurant d’en bas, dans celui-là, loin, parce qu’il est mortel –genre Bras; chez l’habitant aux quatre coins d’une planète réensauvagée par ses passages, et qu’elle finira par connaître par corps, côté cuisines. Elle vit pour manger et mange pour vivre (elle mange donc elle vit, dit-elle), se nourrit spirituellement et « terrestrement » surtout. Elle a des blessures inconsolables et des joies passagères, comme chacun, donc des souvenirs hauts et des souvenirs bas, mais liés à des repas –chacun son méridien de sandwich, à des aliments, à des moments de partage ou de dégustation, fut-ce debout avec un canif, ou à mains nues, ou bien –chic : à L’Ambroisie ou dans une ruelle crade, à l’extrême-orient de tout repère. Elle a des souvenirs liés à des recettes aussi, à des observations de proches ou d’êtres chers qui font, ont fait (la mémoire des gestes), qui en parlent, qui nourrissent, ou bien donnent à goûter. Elle écrit bien. De mieux en mieux. Elle travaille. Elle sait décortiquer le phrasé d’une recette aussi, je veux dire ce qui parle dans l’assiette, ce qui fait sens au-delà des cinq sens. Avec Elle mange (*), je rentre en sixième. Sans régresser ni engraisser : trop la chance.

    CANNIBALE DE SURFACE

    Elle sait dire l’émotion de tout ce qui se mange et dont elle n’est pas le nom, à la faim. Elle sait aussi le sens du mot fin. Animale, elle goûte tout. Même à l’homme, en cannibale de surface. Extrait : « On ne mange pas un homme comme un fruit.  Ça se mordille un homme, ça ne se mord pas. Ça se suce, ça se lèche, mais ça ne s’avale pas. » Son petit livre précieux est construit ainsi. Par sentiers, par la voie sentimentale, selon des axes fondamentaux, via des instincts transversaux, ces permanents culturels. Il y a une attaque, il y a une chute, et entre, il y a un voyage, une progression, des tapas, des mezze, des voyages, des hommes, un père, une grand-mère, de la séduction, de la rétention, de la dialectique du désir, du plaisir à fond les assiettes, des travaux d’approche comme on se passe du jabugo avec les yeux, et les doigts accessoirement. On y picore mais avec attention, ardeur et sentiment. Il arrive que la peau frissonne en lisant, soit qu’on se reconnaisse dans un texte écrit pour soi (pourquoi tairai-je ma fierté d’être à la carte), soit que l’on parvienne à décoder d’autres textes, ou que l’on retrouve des textes lus une première fois sur brouillon, dans une autre vie. « Elle mange » : j’avais trouvé le titre. S’en souvient-elle -peu me chaut. Ce bouquet de renoncules littéraires, écrites, stylées, chaloupées, accrues, serrées, réduites jusqu’au sirop, jusqu'au bouton, disent des moments forts, tous liés à l'acte-manger, en somme. Pour faire trivial j'écris ainsi, et me dédouaner de ne pas savoir qu’en penser à fond, tant l’empathie gagne la partie. J’aime beaucoup la table des matières de Elle mange, car le folio n'obéit qu'aux mots, lesquels obéissent à une sensibilité certaine. Ils ont leur organisation propre : à la première ligne, l’admiration ouvre la table en renvoyant à la page 57, tandis qu'à la onzième ligne de cette table-là, c’est la mort qui ouvre le bal en nous expédiant page 4.

    A LA RECHERCHE DU BEIGNET PERDU

    Emmanuelle Jary, c’est le nom de l’auteur, envoie les plats de la façon suivante : admiration, amitié, amour, égoïsme, enfance, ennui, complicité, frime, frustration, honte, mort, séduction, sensualité, tendresse, vie, dégoût, désir, rituel, caprices. Nous suivons le fil en ordre dispersé, fourchette au poing. Un certain beignet africain est sa madeleine, fondatrice et décisive, pour le moment, d’une vocation engendrée par un manque, peut-être... Par une recherche du beignet perdu, ce faux frère. Elle dévore aussi des yeux. Elle sublime ou mange à bras le corps, elle aime la truffe noire autant qu’un vieux comté, un crabe en mue ou une langue de canard, elle se ramasse à la petite cuiller lorsque Pepito, son grand-père adoré, meurt. Elle est capricieuse, pugnace, têtue, lorsqu’il s’agit de manger ça et pas autre chose. Elle dirige la guerre du goût depuis sa naissance. Elle souffre de ne pas aimer le café « comme tout le monde ». Elle peut avoir un caractère de cochon mais sa façon de manger un tablier de sapeur, juste après un gras-double dans un bouchon lyonnais (où logent les papilles de sa nation) est si confondante qu'on lui pardonne. Elle sait dire, vu depuis Paris, l’ennui épais comme la crème de marrons un dimanche après-midi comme personne : sans rien cacher de son désarroi, et c'est ce qui est infiniment touchant. Elle sait dénoncer la fausseté toujours et c’est heureux, puisque-puisque rare. C’est une femme habillée de franchise intérieure. Elle aime savoir dire le gras, l’excès, l’interdit qui dégouline, le borderline gastronomique overdosé -avec talent. D’ailleurs elle s’en délecte, provocatrice-woman. Elle ne s’embarrasse pas avec l’entregent, les précautions d’usage, les habitus versaillais, elle mange avec les doigts au Georges V si ça lui chante, et nous la devinons capable d’un hamdoullah sonore, assise en tailleur sous une tente plantée dans le Haut-Atlas, puisqu’un repas s’y honore bruyamment, selon les rites locaux en vigueur. Elle obéit à certaines règles. C’est son côté ethno, débarrassé de lunettes culturelles depuis sa découverte du goût. Car c’est lui le personnage principal, le héros. Le goût. Son goût à elle. Les goûts d’elle. Mais sa définition du goût est libertaire : un très grand vin lui importe moins que le regard de celui qui saisit le verre, servi par elle, de ce vin-là. De même, un fromage de Rocamadour pas assez fait peut la plonger dans une rage de bouc en rut. Par conséquent (et puisque je sens qu'il est temps que j’arrête), vous aimerez la lire, j'en suis absolument certain.

    (*) Editions de l’épure, 10€ (c’est cadeau).

  • crozes-hermitage blanc et foie gras!

    CAVE-DE-TAIN-LES-HAUTS-D-EOLE-BLANC-2010_large.jpg

    C'est minéral, droit, et à la fois gras et rond. C'est un petit miracle que l'on doit à de vieux plants de marsanne qui savent (se) donner, au sol argilo-calcaire et de loess, au climat clément mais rude parfois, et surtout au talent de ceux qui créent ce Crozes-Hermitage blanc 2010 de la Cave de Tain l'Hermitage, dans la Drôme (au Nord de la Vallée du Rhône). Les Hauts d'Eole est un blanc de classe, de caractère, de rectitude, qui exprime fleurs et fruits frais, passé une robe dorée et profonde. Des touches légèrement exotiques, d'agrumes adoucis, et un très léger mentholé en fin de bouche longue, circonscrivent notre affaire. Au creux de l'hiver (et pouquoi pas!), tandis que le feu crépite, que la neige a mis la nappe sur la terre et que des livres attendent moins impatiemment qu'un chien qu'on les ouvre ou qu'on lui ouvre, boire un blanc de cette tenue là est un cadeau à partager avec une volaille à la crème, un poisson blanc en papillotte, un chèvre frais, une simple pomme; un amour ou deux amis. Ou bien tout seul, pour lui, en rentrant, après avoir ôté ses bottes et ravivé l'oeil rouge cendré de la braise; dans l'attente des précités. 11€ (c'est cadeau, à ce niveau de franchise vigneronne).

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    Foie gras d'Eden

     

    Le foie gras au gingembre et pomme de la Comtesse du Barry, présenté dans un petit écrin, semble avoir été taillé sur mesure pour être offert un 14 février. Au hasard. Le marketing valentinien a pris de l'ampleur, ces dernières années. Aurions-nous besoin d'être poussé par des rendez-vous panurgiques pour ranimer en nous le désir ou même l'idée de penser?.. A sa mère (rappelons que l'orchestration commerciale de sa Fête est une invention du régime de Vichy...), à son amour... Toujours est-il que ce foie gras se retrouve légèrement sucré, car les communicants estiment sans doute que l'amour est doux. Mais qu'il ne doit pas être mièvre. Ce petit mi-cuit baptisé Eden, à déguster à deux (il pèse 90 g et vaut 14,90€), comprend une petite pomme Granny Smith, du gingembre confit et de la cannelle. Compoté, épicé, fondant, très légèrement acidulé, exotique, gras sans être pesant, il mérite une pincée de sel et un peu de poivre noir du moulin. Dégusté -juste pour voir- sur le crozes-hermitage évoqué ci-dessus, il ne jura pas. En tous cas, évitez un vin moelleux ou liquoreux avec ce foie-là, au risque de tapisser votre langue d'une toile cirée et de baillonner vos papilles jusqu'au dessert.

     

  • flacons de décembre

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    La côte roannaise propose des vins festifs à prix plancher : oubliez le champagne cinq minutes et goûtez le demi-sec carte or 2005 de la maison JB Clair. 100% chardonnay, bulle fine, belle robe jaune paille, nez fruité (poire) et légèrement doux (miel), bouche claire, belle fraîcheur, attaque franche et persistance honorable. Cela vaut 6€ à peine et c'est très bien pour un dessert chocolaté. Les vins mousseux humbles osent le rosé : le domaine des Pothiers, cuvée Bulle est un effervescent naturel à la robe sombre (fuschia), des notes acidulées, une bulle d'une finesse correcte, sans plus. C'est un vrai vin naturel, en culture bio (8,50€) issu de gamay saint-romain qui ne se la joue pas et qui convient à l'apéro et au dessert (tarte aux fruits, par exemple).

    Du côté des coteaux d'Aix, goûtez le domaine des Terres Blanches, un blanc 2010 issu de rolle (80%), grenache blanc (10) et clairette, c'est gourmand, sur le fruit et d'une belle minéralité (11,70€).

    En saint-joseph, j'ai aimé récemment, en 2009, le domaine Pradelle, 100% syrah : charnu, paysan, fort en gueule et raffiné en arrière-bouche (14,45€). Idéal sur le petit train de côtes de chevreuil cuit juste aller-retour.

    Avec le même plat, le rasteau 2007, Ortas, excella lui aussi : 50% grenache, 40% syrah et 10% mourvèdre, d'où un relative douceur comme des chevaux en fureur sous le capot (8,90€). Au deuxième verre, ça démarre bien -fruits rouges mûrs, poivre, olive noire, herbes de garrigue... Un régal de finesse virile.

    Bu aussi un classique du bon goût des Corbières que j'aime bien retrouver chaque année : château Fabre-Gasparets 2007, du terroir de Boutenac, un rouge puissant et élégant m'annonce-t-on cette fois, et c'est d'une évidence confondante (11,90€).

    Le champagne Lenoble rosé 2006 (retour aux classiques de haut-vol) fut une splendeur de vinosité, de bulle extrêmement fine, de longueur et de souplesse, sur le foie gras mi-cuit cuisiné au torchon de la Comtesse du Barry (310g, 59,90€). Et meilleur encore sur un petit foie gras élaboré par Chailla, fromager-traiteur à Bayonne (30€ environ pour 200g je crois), testé sur...

    ...Le morgon de Lapierre 2010 (je n'avais que ça! Pour pique-niquer avec les enfants IMG_2179.jpgau-dessus de la plage -basque- de La Chambre d'Amour, en plein froid et à la tombée du jour. Et puis il faut préciser qu'il y avait aussi du chorizo patra negra et un jamon iberico formidables, achetés pour 3 sous à la venta Lapitxuri, à Dancharia. Alors...).

    Qu'est-ce qu'on a découvert encore... Ah, oui, lors d'une dégustation de Crozes-Hermitage en magnums uniquement, au restaurant Racines 2 (Paris 1er), où le boudin (chaud) de Christian Parra et l'entrecôte de boeuf Angus se tiennent bien à table, sans broncher, parmi les 21 grands flacons de 2009 (des infanticides, avouez! Et un paradoxe pour des magnums, sensés contenir des vins de garde, donc à boire plus tard), retenons le domaine Aleofane de Natacha Chave, léger et épicé, réglissé même, voire à peine chocolaté et très féminin (la douceur et la longueur). Le Rouvre, de Yann Chave (aucun lien familial avec le précédent) au nez de fruits rouges frais, et correctement équilibré. Les Pionniers, de la Cave de Clairmont, d'un classicisme rassurant et à la puissance toute en retenue. Au fil du temps, du domaine d'Emmanuel Darnaud, au nez de cerise mûre, chaud comme un vin de gibier. Les Chassis, de Franck Faugier, à la profondeur notable. La belle rondeur et la bouche tutoyante de La Fleur enchantée, du domaine Saint Clair, de Denis Basset. Enfin, l'expression nette du terroir, tonitruant parfois, de Crozes-Hermitage, retrouvée totalement dans Les Hauts du Fief, de Muriel Chardin-Frouin, de la Cave de Tain.

    Du côté des Terrasses du Larzac, qui m'épatent toujours, j'ai retrouvé avec bonheur le plaisir d'ouvrir une bouteille du domaine du Pas de l'Escalette, de Julien Zernott et Delphine Rousseau : pureté, élégance, grâce, fraîcheur spetentrionale, puissance du terroir. Et celui de découvrir le domaine Alexandrin, d'Alexandra et Jérôme Hermet, tout aussi fin et fort que le précité.

    Le champagne Gardet brut rosé est délicat, féminin à mort, et idéal à l'apéro en cette période d'agapes lourdes. Là, ce fut au bord de la Nive que cela eut lieu, et pop! on le but à la régalade, escorté d'un Mont d'or (tel quel : froid). Ca change d'un médoc comme ce La Tour de By 2001 encore vert, ou presque, et même du Txakoli canaille, servi à bout de bras dans les petits verres bodega, pour accompagner les pibales -décevantes ce coup-ci, et c'est pas le premier (à 49€ la p'tite cassolette, de surcroît!), de Chez Pablo (Sabin Etxea) à St-Jean-de-Luz, mais bon, ce n'est pas le sujet de cette page. 

    Les costières de nîmes, en blanc, ça ne le fait pas à chaque coup, comme si souvent en rouge, même chez un grand auquel je voue un énorme respect : Michel Gassier. son château de Nages Nostre Païs blanc 2010 ne convainc pas (90% de grenache blanc, 5% de roussanne et 5% de viognier). 9, 90€ le flacon. Pas davantage : la cuvée des Bernis blanc 2010 du château de l'Amarine (7€). En revanche, un bon point pour D'Or et de Gueules, Trassegum blanc 2010 et bravo par conséquent à Diane de Puymorin, la vigneronne qui l'élabore avec talent (10,50€) : c'est franc du nez (fruits à chair blanche), minéral mais pas trop, car le gras de la roussanne est bien là (80% de l'assemblage) pour t'enrober le tout avec maestria. Gourmand! 

    IMG_0793.JPGLorsque Les Vins du Sud-Ouest enivrent Paris, je me déplace. Cela se passait à La Bellevilloise (20ème). 29 vignerons étaient là. Du beau monde et de beaux flacons, pour accompagner quelques produits phares, comme le jambon, le foie gras et tout ça... Je retiens les jurançon de Camin Larredya, domaine piloté par une charmante petite équipe placée sous la houlette de Jean-Marc Grussaute : 9 ha à peine en conversion bio qui subliment avec beaucoup de talent les gros manseng, petit manseng et petit courbu. Tant en sec : La Part davan, La Virada, qu'en moelleux, notamment le remarquable Au Capceu, et l'excellent A Solhevat. Mention spéciale à la cuvée Alabets (et alors?, en Gascon) du château Plaisance, de Marc Penavayre, à Vacquiers (31). C'est un fronton 100% négrette élevé en cuves béton. Son frère élevé en barriques, Tot ço que cal (tout ce qu'il faut) est moins puissant, mais plus fin : normal. Bons souvenirs en passant : les classiques de chez Plageoles (gaillac), les vins si raffinés de Causse Marines (gaillac), Le Sid, puissant et sérieux, de Mathieu Cosse (cahors), le toujours meilleur vin de Mouthes Le Bihan (côtes-de-duras), l'excellent irouléguy de Thérèse et Michel Riouspeyrous : Arretxea, l'emblématique et indémodable gamme, encore enrichie, de Charles Hours, du Clos Uroulat, à Jurançon. La gamme "tradi" de la famille Hours nous enchantera toujours, surtout la Cuvée Marie (un formidable sec). Et sa gamme "trendy" nous renverse, notamment avec Happy Hours (prononcez api-ours bien sûr). Citons encore les cuvées Le Préphylloxérique (2007) du domaine Labranche-Laffont (madiran), les cuvées Hécate, et 666, d'un autre madiran (Laffont), et enfin la gamme toujours aussi épatante d'un de nos chouchous : Elian Da Ros, prince des côtes-du-marmandais.

    DSCN4405.JPGPour finir cette note, j'évoquerai Brigitte Lurton, qui fit carrière dans quelques unes des propriétés bordelaises de sa famille, notamment à Climens (barsac), et qui replonge après plusieurs années de "jachère vigneronne", en sélectionnant cette fois des vins de propriétaires des terroirs français, pour leurs qualités, leur personnalité, leur sincérité, leur franchise de goût et leur profonde simplicité... Soit bien loin des canons des entêtés à oeillères du vignoble bordelais, confits dans leur suffisance depuis des temps immémoriaux comme le dindon dans sa graisse, et qui s'empêtrent désormais dans une impasse bien obscure, par faute, notamment, de clairvoyance. Le packaging des flacons est design et chic, simple et efficace (Brigitte Lurton est
    artiste-peintre par ailleurs. http://www.brigitte-lurton.fr/). J'ai goûté avec beaucoup de plaisir sa sélection suivante de vins rouges (en 2010 ou 2009) humbles et généreux : Côtes catalanes, Côteaux du Salagou, Côteaux et terrasses de Montauban, vin de pays du Lot (malbec), et un seul blanc : un viognier des Côtes du Salagou vif, plein et tout en rondeur (admirable sur du chèvre). A des degrés divers, ces rouges sont élégants, fins, mais riches aussi, dotés d'une belle structure tannique, soyeux, expressifs -notamment s'ils sont issus de malbec, ou de syrah (montauban), volontiers épicés mais délicatement, et tous ensoleillés, ce qui les rend infiniment sympathiques. Une homogénéité salutaire se dégage de cette gamme jeune de vins très représentatifs des terroirs dont ils proviennent, et qui promet, car ce sont tous des vins de moyenne garde (3-5 ans), correctement taillés pour accompagner nos repas d'arrière-automne, comme ceux des planchas et barbecues à venir, au printemps prochain. En tout cas (vous-je-sais-pas-mais) moi, je vais en réserver quelques uns!

    (Photos : et plutôt que de coller la photo de chacun des flacons cités...)


  • gloumiam-lu

    images (2).jpegBaïbeule : en matière de guides des vins, le Hachette fait figure de bible, à l'instar du "Rouge" (le Michelin) pour les restaurants. Lorsque je dirigeais l'outsider de ce dernier, le "Jaune" (le Guide GaultMillau France des restaurants), je faisais fi du Rouge. Enfin, je m'efforçais d'ignorer sa force, mais je luttais contre. Aprement. A présent, je reconnais clairement que le Michelin -tout comme le Guide Hachette des Vins, sont des références absolues à côté desquelles les autres guides semblent se traîner. Exception faite des images.jpegguides particuliers : les deux Lebey (restos et bistrots) pour  les tables de Paris et alentour, le fooding pour la catégorie de restos qu'il traite, ou encore le Petit Lapaque des vins de copains et le carnet de vigne omnivore de Sylvie Augereau pour les vins naturels et bios. Donc je salue ici la nouvelle édition du Hachette des vins -indispensable et constamment à portée de main pour vérifier une adresse, un cépage, un site, un truc. Ainsi qu'un petit guide fort pratique et très sympa, car bourré de découvertes : 1001 meilleurs vins à moins de 10€, que publie (pour 14,95!) Le Petit Fûté.

    images (1).jpegCôté solide, lisez Terra Madre (éd. Alternatives), de Carlo Petrini, le fondateur du mouvement Slow Food il y a un quart de siècle déjà. Et oui. Son credo : Bon, propre et juste! Cet infatigable apôtre de l'alimentation saine, diversifiée, équitable, de proximité, naturelle, bio... a lancé le programme Terra Madre en 2004. Des milliers de producteurs, de paysans, de restaurateurs, d'amateurs, se retrouvent à Turin tous les deux ans pour échanger leur savoir-faire et leur expériences. Et surtout leurs espérances. Fraternel, ce mouvement semble avoir un bel avenir devant lui. Le livre retrace les grandes lignes de la philosophie Petrini, destinée à "renouer avec la chaîne vertueuse de l'alimentation", afin que la nourriture ne nous mange pas, qu'elle ne dévore plus ni les paysans, ni l'environnement. Lutter contre le gaspillage, l'abondance, les besoins artificiels, vaincre l'incertitude ou encore prendre soin de l'économie infra-locale afin de mieux jouir de la vie via l'assiette, sont des chapitres qui fleurissent les pages de ce petit bouquin ni austère ni sectaire, ce qui constituait un risque.


    Visuel-Dictionnaire du Désir de la Bonne Chère (Honoré Champion).jpgLisez aussi les dernières parutions des éditions Honoré Champion : la collection Champion les dictionnaires s'enrichit du Dictionnaire du désir de la bonne chère, d'Alan Jones. Avec les recettes musicales du Festin joyeux (1738), trésor oublié mais mythique de la littérature culinaire française du XVIIIème siècle, signé d'un certain J.Lebas dont on ignore encore le prénom. Gastronomie et musique baroque sont ainsi liées comme avec une sauve au vin rouge capiteux. Exhumer ces recettes d'un autre temps, où l'on trouve des produits aujourd'hui impensables en cuisine, notamment des gibiers interdits, des poissons étranges, et des manières de les préparer absolument pas light et donc pas du tout politiquement correctes, est méritoire. Les recettes sont mises en chansons et cela donne une connotation joyeuse à l'ensemble. En feuilletant, on s'imagine dans une toile de Brueghel, même s'il ne s'agit pas de la même époque. Nous sommes loin des pensums à la gloire du fitness, qui font la chasse au gras. Ici, c'est à la grive qu'on la fait, ainsi qu'à la tripaille et à la carpe en matelotte. Fricassées, gibelotes, galantines, dindons, hures, ragoûts, perdreaux aux écrevisses, farces, pieds de cochon, mais aussi galimafrées, gimblettes, godiveaux, trumeau et veau de rivière parsèment les 580 pages de ce précieux dictionnaire.

    Chez le même éditeur, dans la collection (très érudite) Champion les mots, notons Le Visuel-Le Chocolat (Collection Champion Les Mots).jpgVisuel-Le Parfum (Collection Champion Les Mots).jpgchocolat, qui favorise la paresse et dispose à ces voluptés qu'inspire une vie langoureuse (c'est le titre en entier), de Nicole Cholewka. Et Le parfum, qui fortifie le cerveau et chasse cette légère rêverie qui accable l'esprit..., signé Magalie Gobet et Emmeline Le Gall. Etymologie, expressions, proverbes, termes vernaculaires, sources littéraires, illustrations... Deux petits bouquins précieux pour aller au-delà des mots qui évoquent la cabosse, la fève, la tablette, et l'essence, les fragrances et la trace...


  • Miam d'automne

    rubon56-cb2b5.jpgCanard exquis rassemble des recettes insolites de chefs (Parisiens d'adoption pour la plupart), à partir du canard à foie gras du Sud-Ouest. Philippe Boé est au texte, Pierre-Emmanuel Rastoin à la photo (éditions Menufretin). Et cela donne un album étonnant, avec une scénographie audacieuse qui permet de renouveler un chouia le genre. Nous aimons particulièrement les pages consacrées à nos chouchous : Julien Duboué (Dans les Landes, et Afaria, à Paris 5 et 15), Alberto Herraïz (Fogon, Paris 6), et aussi Iñaki Aizpitarte (Le Châteaubriand, et Le Dauphin, Paris 11), ou William Ledeuil (Ze Kitchen Gallery, et KGB, Paris 6). Antoine Heerah, Jean-Marc Notelet, Phiippe Labbé, Frank Xu, Alain Senderens et Jérôme Banctel sont les autres chefs qui se sont prêtés au jeu de la photo et de la recette bien sûr, le tout au service de la filière IGP (Indication géographique protégée) Canard à foie gras du Sud-Ouest. Précieux (je sens que je vais pas mal cuisiner le canard en novembre).

    Nota : le livre a été présenté -en présence de tous les chefs- à l'occasion de la soirée annuelle de l'association Gascons toujours, à l'hôtel Shangri-La (av. d'Iéna à Paris) le 19 octobre dernier. 

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    Saveurs sauvages rassemble 28 chefs autour du gibier. Autant de recettes subtiles pour cuisiner les viandes les plus savoureuses du monde. Julien Fouin est au texte, Carrie Solomon à la photo (éditions du Rouergue), et les photos sont absolument magnifiques, qui traitent chaque portrait et chaque nature morte à la manière des peintures holandaises du XVII ème siècle. Ici aussi, le genre (le livre de cuisine du gibier) est esthétiquement décapé. Certains chefs évoquent leurs souvenirs personnels de chasse, comme Thierry Marx (Le Mandarin Oriental, Paris 1) approchant l'ours à l'arc au Canada. D'autres bravent l'interdit (ce n'est pas ici qu'on leur en fera le reproche) : Jean-François Rouquette (Park Hyatt, Paris 2) donne une recette d'ortolans. Côté excellence et finesse extrême des chairs, Alexandre Gauthier (La Grenouillère, La Madelaine-sous-Montreuil) livre sa recette de bécassines, et Jean Sulpice (L'Oxalys, Val-Thorens) une autre de chamois (je ne connais pas de meilleurs gibiers dans l'assiette -et sur le terrain aussi, d'ailleurs). Notons par ailleurs les pages consacrées à des chefs que nous aimons particulièrement : Christian Etchebest (La cantine du Troquet, Paris 14), Cédric Béchade (L'AUberge basque, St-Pée-sur-Nivelle, 64) et Claude Colliot (Claude Colliot, Paris 4), lesquels proposent -ce n'est pas un hasard- chacun une recette de palombe. Nouvelle star oblige : Yves Camdeborde (Le Comptoir du Relais, Paris 6) fait la couv. et offre une recette de bécasse (on l'attendait lui aussi sur la palombe), et notons que -cerise sur le gâteau- le livre s'ouvre avec un extrait de la correspondance gourmande entre Jim Harrison et Thierry Oberlé. Superbe.

  • Lisbonne dans L'Obs d'hier

    2011-10-18~1363@LE_NOUVEL_OBSERVATEUR_TELE_OBS.pdf

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    Cliquez ci-dessus et vous pouvez lire un papier que je signe sur Lisbonne dans Le Nouvel Observateur - Télé Paris paru hier (daté du 22 au 29 octobre). Figure également dans cette édition un autre papier consacré au Pic du Midi de Bigorre, que je collerai ici plus tard. 

    Photo : La statue de Fernando Pessoa à la terrasse du café A Brasileira (©LM)

     

  • Vite lu

    Le Dernier des Mohicans, de Bernard Frank (Les Cahiers Rouges, Grasset, avec un avant-propos fort intéressant de Charles Dantzig), n'a pas vieilli, parce que le style de Frank est imprégné d'anti-rides. Le9782246788720.gif sujet, lui, date un peu : il s'agit d'un pamphlet à l'adresse de Jean Cau, alors secrétaire de Sartre, à propos des querelles qui agitaient le mundillo littéraire de l'époque : l'existentialisme, l'avant-garde, le Nouveau roman contre les Hussards... C'est même un libelle  pour relire l'histoire littéraire parisienne des années 50 (je possède déjà le livre dans son édition originale de 1956 : il est paru chez Fasquelle dans la collection Libelles, justement), et aussi l'occasion de relire la prose charnue et fluide de Frank. Il s'en prend avec brio aux Mandarins, le Goncourt de Simone de Beauvoir. Mais il excelle dans sa réponse à l'éreintement de son roman Les Rats (qui vilipendait les romanciers engagés), par Jean Cau dans la revue Les Temps modernes. C'est un régal de diatribe. Le "Nimier de gauche" n'y est pas méchant. C'est pire : il assène à Cau une réplique avec un style(t) fait de venin indolent plus efficace qu'une verve insolente. 

    9782070439157FS.gif

    Petit éloge de la joie, de Mathieu Terence (folio 2€) m'est apparu d'emblée dans son sujet, mais passées les premières pages, ce tout petit livre s'essouffle et se révèle être une collection distendue de pensées molles, dotée d'une philosophie faible et, tous comptes faits, il est assez barbant. En tout cas pas joyeux, or le moins qu'on attende de cet ouvrage, c'est qu'il le soit. Dommage.

    9782710368595.gifLe Bottin des lieux proustiens, de Michel Erman (La Petite vermillon, La Table ronde) fait suite au Bottin proustien, du même auteur aux mêmes éditions. Exclusivement réservé aux  familiers de la Recherche, ce petit annuaire re-situe chaque lieu évoqué dans l'espace et dans l'oeuvre, certes, mais sans plus-value. Je veux dire de manière assez administrative et donc froide. Au point de penser, si l'on ne s'est pas encore frotté à l'oeuvre de Proust, qu'elle n'est guère réjouissante (c'est le témoignage que j'ai recueilli en prêtant l'ouvrage). 

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    Premier bilan après l'apocalypse (Grasset) de  Frédéric Beigbeder m'a déplu par sa suffisance, son éclectisme très in the mood, ses lacunes abyssales, mais il m'a plu aussi parce que je me suis retrouvé en affinité avec certains bonheurs de lecture que je partage avec l'auteur : Paul-Jean Toulet, Gide, Blondin, Echenoz, Larbaud, Harrison, Blixen, Bouvier. J'estime cependant le livre inutile. Ou alors un genre littéraire nait et chaque écrivain un peu connu, curieux et altruiste pourra y aller de son anthologie personnelle. Pourquoi pas...

     

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    Côté miam-glou, le chef pâtissier Christophe Felder donne un livre de plus, que Points (Seuil) publie dans sa nouvelle collection en tout (trop?) petit format : ".2" (Point Deux). Gâteaux et tartes rassemble 60 recettes illustrées, et surtout il donne d'abord tous les tuyaux de base et les tours de main pour réussir une pâte, à la manière dont on donne un cours de cuisine. Indispensable.

     

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    Le Petit Dico des vins naturels, du sommelier Jean-Charles Botte (Le courrier du livre, préface de Michel Onfray), est une mine. Formidablement documenté, ce bouquin fait le point avec talent et science sur un vocabulaire encore nouveau. Les vins naturels commencent à pénétrer nos cavistes et donc nos caves et c'est tant mieux, mais le monde du bio a son jardon, que ce livre nous aide à décrypter. Un carnet d'adresses de vignerons et de cavistes complète le livre. Précieux.


  • Les nuits d'une demoiselle

    Je viens de tomber par hasard sur les paroles de cette chanson en musardant parmi les commentaires laissés sur le blog : http://passouline.blog.lemonde.fr/ 

    Google a vite fait (pour moi) le rapprochement entre le texte et l'existence de sa mise en musique. Voici : http://www.youtube.com/watch?v=UcW4RfhbM88.

    Ne trouvez-vous pas qu'il est touchant, ce mélange de désuétude, de retenue et de presque pudeur dans la voix et dans la diction, pour énumérer de telles choses? Celle qui chante, Colette Renard, morte à l'âge de 86 ans il y a juste un an, est la surprenante interprète, avec ces Nuits d'une demoiselle, d'un éventail de synonymes du Mont de Vénus qui laisse délicieusement coi.

    Paroles : C. Renard, Musique : G. Breton et R. Legrand © Disques Vogue 1963.

  • BU : Grignan-les-Adhémar

    BT GLA Laurine 2010.jpgVous aimez le viognier, sa belle minéralité, ses arômes indirects (via le terroir, le climat, le sol, le sous-sol, l'assemblage, la vinification, bref : le travail de l'homme associé à celui, magistral de la Nature) de pêche blanche, de poire, d'amande douce, de fleur d'acacia, de jasmin, la robe claire et brillante qu'il donne aux vins blancs, la bonne garde qu'il promet et sait tenir? Goûtez-le -même assemblé avec d'autres cépages "accompagnateurs" qui seront là pour le flatter, dans l'appellation Grignan-les-Adhémar (Drôme). Cette petite appellation déjà provençale, où la lavande le dispute à la truffe et à la vigne et où la Marquise deLA DIGNERETTE.jpg Sévigné écrivit tant de lettres (j'ajoute que Grignan est un village associé pour moi au grand poète Philippe Jaccottet, car il y vit et que je le lis et relis sans cesse, avec une émotion égale, depuis l'été 1976), s'appelait jusqu'en 2010 Côteaux-du-Tricastin. Or, la confusion avec la centrale nucléaire éponyme commençait à nuire aux vignerons. Le nom fut changé : voilà les bons vins de Grignan-les-Adhémar. Les blancs sont frais, parfaits sur la charcuterie et les fromages de chèvre. Citons le remarquable Domaine Saint-Luc, cuvée Laurine en 2010, élaboré par les couples Hémard et Cook à La Baume de Transit. Mêmes qualités aromatiques retrouvées au nez et en bouche avec Fleur de vigne 2010, une cuvée des Alyssas, de Laurent Bes, à Clansayes (avec une bouteille étrange et reconnaissable à l'horizon). L'air de famille du terroir est là, même si cette cuvée est composée pour moitié de viognier et de grenache, tandis que Laurine comprend 85% de viognier et 15% de bourboulenc.

    Côté rosés de Grignan-les-Adhémar (là, on est sur des grenache + cinsault et un chouia de syrah, et encore, pas toujours), il n'est pas trop tard pour se régaler -l'été indien arrive! Juillet cumuleDomaine de Grangeneuve - Le Rosé, 2010.jpg avec septembre, cette année!-, voyez du côté du croquant et gourmand vin du Domaine de Montine, cuvée Gourmandises 2010 (70% grenache noir, 20% MAS THEO.jpgsyrah, 10% cinsault) : beaux arômes de fruits rouges frais, une longueur confortable et une fraîcheur persistante, surtout, qui convient aux grillades, aux poissons à la plancha et au jamon serrano. Idem (pour les accords simples au fond du jardin avec les copains, à la tombée du jour) : Domaine du Serre des Vignes, cuvée La Dignerette 2010 : arômes de fruits rouges frais (groseille, notamment), un rosé à tenter sur l'épicé des cuisines thaï, japonaise, ou bien italienne versus all'arrabiata. Enfin, le Mas Théo, cuvée TO 2010, très marqué grenache, idéal sur des salades composées comme on veut, à la fortune du pot, le soir au fond du frigo. Et pour finir le Domaine de Grangeneuve, Le Rosé 2010, élégant et délicatement fruité. Idéal sur un risotto aux chipirons et gambas, une dorade grillée avec un filet d'huile d'olive et de l'ail grillé, et enfin une pannacotta...

    Les blancs n'excèdent pas 10€ et les rosés oscillent à 6€. C'est pas la ruine, l'appellation se refait une virginité, et les jeunes vignerons qui y bossent ont un gniac formidable. Alors allez-y voir. Zou!

  • Le Baratin de Raquel et Pinuche

    Voici la version longue, avant coupes (il a fallu raccourcir grave et à la serpe aiguisée pour faire tenir 2 pages en 1, dans le numéro 2 de Grand Seigneur qui vient de paraître : lire notes précédentes). C'est l'une des vertus d'un blog que de donner à lire in extenso le partiel (voire le riquiqui parfois, ce qui n'est pas le cas ici).

    Restaurants / Paris

    Le BARATIN

    ON SE RISQUE SUR LE BIZARRE 

    images.jpegD’abord il y a le délicieux accent argentin de Raquel, qui dépasse en saveurs subtiles, fruitées, florales, tous les vins de vignerons que Pinuche propose à qui sait engager une conversation vraie sur le sang de la vigne et sur ceux qui en font un jus buvable à l’issue d’un processus obstiné, étiré avec patience plusieurs millénaires durant. Le Baratin date de 1987 ap. J.C. C’est déjà plus contemporain. Raquel glisse régulièrement une tête hors de sa cuisine afin de vérifier que tout roule. Philippe Pinoteau, dit Pinuche, comme dans San Antonio, parle vins avec un client accoudé au comptoir, son territoire. Raquel Carena, aux commandes du Baratin depuis décembre 1987, est arrivée de Cordoba, en Argentine sans savoir qu’elle allait se lancer dans la restauration et devenir un nom, mieux : un prénom dans le monde des bonnes adresses parisiennes. Philippe Pinoteau est arrivé dans le paysage du mythique bistrot de la rue Jouye-Rouve, Paris 20ème, en 1991 et s’y est installé aux côtés de Raquel en 2001. Pinuche, expert en vins « vivants » (il déteste l’adjectif naturel associé au vin), qu’il définit comme des vins avec des levures indigènes et aussi libres que possible de tout ajout, intrant chimique et autres sulfites en excès ou levures exogènes, qui en font des vins « morts ». Aussi humble que drôle, il se présente  comme « le chauffeur de madame avant tout, car elle n’a pas le permis ». Le Baratin fut un bistrot à vins de quartier où on cassait la graine à l’occasion, avec un peu de charcuterie et du fromage. C’est avec l’arrivée de Raquel qu’il est peu à peu devenu une table simple et de qualité, où l’on mange une excellente cuisine de bonne femme. Il est resté un vrai bistro dont l’authenticité ne se mesure pas à la patine d’un banc ou au tain d’une glace, mais à sa chaleur naturelle, à ce brouhaha nécessaire, à cette espèce de connivence amicale qui circule de table en table. Il y a deux salles, une grande ardoise, une peinture marine immense, un escalier qui conduit à la cave,  où s’ourdissent les complots tanniques et d’où Pinuche remonte des flacons choisis par lui, après avoir discuté un peu avec les clients qui veulent aller au-delà du tableau qui affiche une vingtaine de références, au verre et à la bouteille, comme La Sorga Le Désordre, le Saint-Chinian de Tortul, le Fleurie de Michel Guignier ou la Papesse de Gramenon, un côtes-du-Rhône de respect. Il n’y a jamais eu de carte des vins au Baratin. En revanche, on peut donc discuter à l’envi, sans baratiner. Le formidable menu à 16€, à déjeuner, annonce le talent de Raquel. Le 12 mai dernier, c’était un délicieux fromage de tête maison, un collier d’agneau aux épices douces qui avait confit depuis le matin, et un Saint-Nectaire idéalement parfumé. Détail agréable : le café est moulu devant vous avant que d’être passé au perco. Ici on « tchatche », on prend un verre de morgon de Foillard (la référence la plus servie au Baratin) avant de prendre une table, on refait le monde en général et celui des vins en particulier avec Pinuche bien sûr, et si le courant passe, il nous débouche des vins étranges, étrangers,  inattendus ; « on se risque sur le bizarre »…  Pinuche est ainsi : il joue avec la curiosité de ses clients. « C’est épidermique. Le vin est un produit trop complexe. J’aime comprendre ce que l’autre souhaite. Je me plante une fois sur deux, mais bon… Je suis à la fois prétentieux et paresseux ». Lorsque Raquel reprend l’adresse il y a des lustres maintenant, c’est un lieu à l’abandon. Tout à refaire. Avec son ami de l’époque, Olivier, elle propose un seul plat chaque jour. Et ça marche immédiatement. La clientèle du quartier en fait sa cantine et Raquel, qui n’avait jamais cuisiné auparavant, se prend au jeu.  « Je trouvais ça rigolo de donner à manger aux gens, alors que je ne me sentais absolument pas manuelle. Totalement autodidacte, j’ai quand même travaillé avec des chefs qui voulaient  cuisiner avec moi!». Puis, le bouche à oreille aidant, le Baratin fait boule de neige et décolle dès 1994-95, avec le soutien de copains et de copines comme Mercedès Guion, François Morel, qui ont ameuté Paris». Puis la presse de temps en temps, les guides, ont fait le reste. La cuisine de Raquel est un mélange de cuisine bourgeoise française et d’inspirations pan-méditerranéennes, terre et mer confondues. Elle aime travailler les poissons poêlés, les viandes marinées,  les « cocidos », les tripes, la joue et la queue de bœuf, le veau de qualité, les vraies volailles. Des chefs de renom comme Hermé, Rollinger, tous les grands chefs espagnols aussi, sont passés au Baratin, « du coup le monde de la gastronomie s’est vraiment intéressé à moi », dit Raquel encore étonnée. « Le Baratin, c’est indéfinissable. C’est chez moi. C’est un lieu. J’aime y nourrir les gens simplement, sans prétention gastro. Ca reste un bistro et c’est ça que j’aime avant tout, car n’ayant jamais pensé à devenir grand chef, je continue de faire et les courses et la plonge comme la cuisine ! » Simplicité et humilité sont les mots qui sautent à l’esprit lorsqu’on entre au Baratin. Des écrivains célèbres comme Jean Echenoz en ont fait leur adresse fétiche des années durant. L’austère Pascal Quignard a lui aussi élu le Baratin parmi ses repaires. Aujourd’hui, le Baratin selon Raquel, « c’est 23 ans passés dans 4 m2 de cuisine sans puits de lumière, 14 heures par jour et c’est du bonheur. Affreux, mais que du bonheur ! »

    © L.M.

    Le Baratin, 3 rue Jouye-Rouve, Paris XX.

  • Grand Seigneur n°2

    images.jpegIl est paru ce matin. C'est le trimestriel gourmand de Technikart, Grand Seigneur, le magazine qui ne se refuse rien (based-line du n°1) devenu le magazine food et lifestyle (celle du n°2). J'ai la joie (durera-t-elle, la joie?) d'y signer trois papiers, dont le premier volet d'une chronique bien placée (en dernière page), "La cuisine interdite", qui ouvre avec l'ortolan (lire ci-dessous). Les deux autres papiers traitent du resto Le Baratin (Paris 20) et du resto du Pic du Midi de Bigorre (2877 m d'alt.). 
    A lire, notamment (mais tout est à lire là-dedans, car dans le Grand Seigneur, tout est bon) : les papiers et dossiers consacrés à la cuisine des nonnes, à la passion pour les boulettes de feue Amy Winehouse, à la gauche truffée, aux apéros TV d'Aurélia, l'interview de Benjamin Bio(jo)lay et celui de Coffe, le duel Etchebest-Martin, les glaces, les fromages qui coulent, les vins en biodynamie, etc. En kiosque.

     

    La cuisine interdite, par Léon Mazzella

    Ortolans, le régime Dukan à l'envers

    Espèces protégées ou recettes de braconniers... Léon Mazzella, le Jim Harrison des Landes, nous raconte ici l'histoire secrète des cuisines interdites. Et si on commençait par l'ortolan, le grand shoot de Maïté, Juppé et Mitterrand?

    Il y a des clichés qui scotchent. Celui de Maïté, papesse de la bouffe gasconne gargantuesque des années 80,faisant une fellation au cul d’un ortolan, sur une vidéo qui circule sur YouTube, est délicieux. Une autre vidéo, où l’on voit Alain Juppé décrire  fugitivement la manière de déguster l’ortolan sous la serviette, ne dit pas que l’une des plus belles installations de chasse à l’ortolan se situait chez son père à Campagne, petit village Landais. Enfin, il y a une indécrottable anecdote selon laquelle François Mitterrand se serait gavé d’ortolans quelques jours avant sa mort, le 31 décembre 1995 chez lui à « Latché », dans le village Landais d’Azur. « L’affaire » fut rapportée dans un livre rédigé par un hâbleur, Georges-Marc Benamou. Car, renseignements pris auprès de bonnes sources (des amis présents aux côtés des Hanin, Lang, Bergé ou Emmanuelli, mais totalement inconnus du public : Jean et Yvette Munier), Tonton n’aurait pas eu la force de s’attabler ce soir-là, il goba une huître à peine et ne trouva pas l’envie de suçoter la minuscule cuisse d’un seul ortolan avant de quitter la salon. J’ai apporté moi-même ces précisions dans un courrier adressé au « Monde » daté 26-27 janvier 1997, car il fallait tenter de calmer un jeu grotesque. Reste que l’ortolan fait débat. Forcément, il est rare, cher, mythique et propice au fantasme.

    Tué à l'Armagnac

    Il fut longtemps interdit de le chasser aux matoles, ces cages-pièges qui le prennent vivant, entre la mi-août et la fin septembre, sauf si l’on était agriculteur Landais et que l’on respectait un cahier des charges kafkaïen. C’était la résultante d’une tolérance, autrement dit d’un presque vide juridique, jusqu’en 1999. Désormais, la capture de l’ortolan est totalement interdite. Piégé, l’ortolan est néanmoins (encore) engraissé jour et nuit et, ce bruant particulier (emberiza hortulana), le seul de la famille qui soit capable de tripler son poids en deux à trois semaines –c’est le régime Dukan à l’envers-, devenu gras comme un moine, achève sa vie tête la première dans un verre d’armagnac, où il est plongé, qu’il aspire et dont il inonde ses chairs. Ce qui ne gâche rien, honore l’oiseau et son bourreau. Plumé, non vidé, placé dans une cassolette à sa taille –comme un cercueil de luxe-, il est servi aux convives tandis qu’il « chante » encore tant il grésille. La serviette sur la tête, afin de ne pas laisser échapper son fumet et de masquer la grimace du dégustateur qui se brûle et se huile les babines, il est lentement dégusté avec les doigts jusqu’au bec. Tout le reste se mange, possède le goût de la noisette, du foie gras… et de l’ortolan. Et surtout, surtout, de l’interdit. Un goût indéfinissable. Autrement, ça se saurait et serait décrit ici.

    300€ par tête

    Sa commercialisation étant interdite, son prix unitaire atteint des sommets depuis quelques années. L’essentiel étant de ne pas se faire « choper », confient certains chasseurs et certains restaurateurs. Quant aux heureux consommateurs, ils figurent sur des listes d’attente, rareté des installations clandestines oblige (l’œil d’Allain Bougrain-Dubourg et des caméras de télé qui l’escortent veillent au grain, de surcroît !), et sont prêts à payer chaque oiseau une fortune. Sans parler des palais curieux, comme ceux des gastronomes japonais no limit, capables de casser la tire-lire et de supplier de grands chefs étoilés d’activer leur réseau et de leur en servir en catimini. 200, 300€ et plus l’oiseau ne leur font pas peur, mais calme la plupart des appétits. Il existe une Confrérie de l’Ortolan, à Tartas, dans les Landes. Y sont intronisés des gens de partout, puisque j’ai eu droit à cet honneur le 30 novembre 1996, aux côtés de Me Vergès, d’Alain Juppé et du cavalier olympique Jean Teulère. Les matoles réunies prenaient encore 20 à 50 000 oiseaux à ce moment-là. Invérifiable. Sur un total de un à douze millions de couples nicheurs en Europe. Difficile de savoir. Dans le doute, abstiens-toi. A ce prix-là, ce n’est pas difficile. 

    LM

    Merci à Pascal Quantin (de Tartas) de m'avoir prêté la photo qui illustre l'article, et où l'on voit 14 convives, serviette sur la tête, déguster leur ortolan à la façon d'un réu. du Ku Klux Klan.

     

     

     

  • Une nuit au Pic


    IMG_4973.JPGJ'ai passé la nuit dernière au Pic du Midi de Bigorre, 2877 m. Au sommet, dans
    un silence infiniment pur, dans une chambre spartiate d'astronome qui tenait de la cellule monacale et de la
    cabine de marin. Auparavant, j'ai observé l'anneau de Saturne au télescope, puis un orage lointain qui zébrait les montagnes, en tirant surIMG_4931.JPG un havane et en buvant un verre de Montus 2007, vers minuit. Je m'y trouvais pour fêter les dix ans de l'ouverture du Pic au public (gros raout gastronomique, j'y reviendrai). Là, c'est juste une impression à chaud -il faisait d'ailleurs frais là-haut, le jour était donc bien choisi... S'y lever avant l'aube, ce matin, pour voir le soleil apparaître fut un bonheur ineffable. J'y reviendrai aussi. Ainsi qu'au Pic. Un livre m'accompagnait, que je relisais avec l'impression de ne l'avoir jamais lu : L'insoutenable légèreté de l'être, de Kundera. J'eus le sentiment que Tomas, Tereza, Sabina, les personnages du roman, étaient avec moi là-haut. Cela procède 
    aussi sans doute de la magie de l'altitude.

     

  • Risotto presto

    Tu huiles (d'olive bien sûr, banane!) un peu ta grande poêle, celle qui n'accroche pas encore, jettes un gros oignon bien haché, que tu laisses blanchir 5 minutes, puis tu mets le riz arborio (un verre Duralex pour 2-3 personnes), ça devient transparent tout doux, alors tu mets à bouillir 2 verres d'eau avec un bouillon Kub, tu jettes un verre de vin blanc sur le riz, tu laisses absorber, puis t'ajoutes le bouillon, mais doucement, en deux ou trois fois, tu re laisses absorber parce que le riz boit et ce n'est pas une contrepèterie ni une histoire de lait. T'arrêtes jamais de touiller avec la cuiller en bois, jamais t'entends? (la cuisine, c'est rester devant, toujours, et presque rien d'autre). Après tu baisses le feu, tu laisses le truc se faire, sans jamais cesser de remuer. Tu as le temps de réfléchir à quoi tu vas le faire, ce risotto. Pétoncles et crevettes, c'est pas mal, d'autant que Picard propose des sachets déjà bien gaulés, avec des tomates séchées et des herbes diverses, romarin, citronnelle, tout ça. Tu ajouteras des trucs à toi : Soja Kikkoman -une pitchounette giclée, piment d'Espelette (mets-y bien de la poudre, là, voilà), d'autres herbes (ciboulette, estragon), une grosse noix de beurre salé sous le riz pour finir (avant le sel de Guérande et le poivre) et un peu de parmesan pour napper à peine-à peine au moment de dresser. Et oilà oune risotto simple, vite fait, qui plaît (on me dit : mmmm, il est bon ton risotto! et je réponds chaque fois : c'est con à faire!). Là-dessus, plutôt qu'un blancimages (1).jpeg (banal), va sur un rouge léger : le jus de raisin fermenté bio de Thierry Germain : Domaine des Roches Neuves, en 2010. C'est un saumur-champigny qui se croque, il est frais comme une place de village genre Uzès sous les platanes à l'heure de la belote, et gourmand comme les draps un rien rêches et raides à l'heure de la sieste d'un juin forcément érotique.

      

    IMG_4918.JPGPour finir, au salon en écoutant de la viole de gambe, un limoncello della casa mazzella di bosco, ça te dit?..

    (J'imagine la jouissance du vigneron lorsque je réalise si modestement mon limoncello. Celui que je viens de faire a été élaboré le 9 avril 2011 à partir de 20 gros citrons difformes rapportés de l’île de Procida, n’ayant subi aucun traitement et qui ont été cueillis sur place les 29 et 30 mars. La macération a duré deux mois à l’ombre et au frais dans ma petite cuisine. Il est composé des zestes des citrons, de 3 litres d’alcool à 90°, d’1,5 kg de sucre et de 3,5 litres d’eau pure (bouillie). La mise en bouteille a été effectuée le 15 juin 2011 sans entonnoir mais j'ai presque rien mis à côté! Il doit titrer environ 40°, je n’ai pas vérifié. Il a été tiré ce coup-ci 7 bouteilles de 75 cl toutes numérotées. A consumare con moderazione. L'abuso di alcol è pericoloso per la salute).

      

  • Black Cahors is back!

    La James Beard Foundation vient de décerner le prix de la meilleure vidéo  à  « The Scent of Black », film réalisé en 2010 par Graperadio.com (Californie) avec le soutien de l’Union Interprofessionnelle du Vin de Cahors. 

    Ce film (cliquez=> http://www.graperadio.com/archives/2010/12/26/the-scent-of-black/évoque à la fois le vin de Cahors et la truffe noire : un même terroir, une même culture gastronomique, un imaginaire mystérieux en commun. Et une couleur en partage : le noir. 

    Pour qui aime comme moi les petits matins dans la campagne cadurcienne, les dégustations chez les vignerons de caractère comme Arnaldo Dimani au Domaine du Bout du Lieu, ou Fabrice Durou, du château de Gaudou, les balades dans les truffières avec Pierre-Jean Pébeyre ou, il y a quelques années, avec Marthe Delon et son cochon numéroté (annuel),  les rituels du Marché aux truffes de Lalbenque, après la dégustation de la fameuse omelette au Lion d'or (servie toute l'année, 28€ : des truffes aux oeufs!), le marché sous la Halle de Cahors le samedi matin, et tant d'autres souvenirs, ce film rameutera la poésie du Lot, la puissance de ses vins issus de Côt (Malbec) et bien entendu le parfum de Tuber melanosporum..

    « The Scent of Black » pourrait encore être primé, car il figure parmi les finalistes du Born Digital Wine Awards (18 mai, Londres)  et du festival Oenovideo (2 -5 juin, Arbois, dans le Jura). 

     

     

  • Guides de nature

    Je sais pas vous mais moi... J'adore les guides naturalistes de terrain. J'ai constamment mon Peterson (Le Guide des oiseaux d'Europe, de Mountfort, Hollom, Peterson et alii) dans ma voiture, avec les jumelles, ou bien (un autre exemplaire) à la maison, près de la main. Et ce depuis trente ans et des poussières. Les guides Delachaux & Niestlé sont mes petites bibles. Mais il n'y a pas qu'eux...

    Le printemps explose. Le week-end dernier, dans l'Aube, en Champagne, les fleurs ont surgi, grandi un peu partout, d'un seul coup. En l'espace de deux jours, leur présence avait accru le paysage, son âme, jusqu'à envahir notre regard matinal, par la fenêtre. Nous avons ramassé beaucoup de muguet en sous-bois et les coqs faisans se tancaient à qui mieux mieux, dès avant l'aube. Les chevreuils se montraient en lisière, les palombes continuaient de parader, le coucou appelait, les premières tourterelles des bois, de retour d'Afrique, roucoulaient à l'ombre des forêts, les chataigniers, les cerisiers étaient blancs de fleurs, les boutons d'or prenaient le pas, ou le ton, sur l'herbe dans les clairières et les hirondelles silencieuses virevoltaient sous les toits. Dans ces cas-là, il est bon d'avoir un guide sur soi pour lever un doute : hirondelle de cheminée ou de fenêtre? Tourterelle des bois ou Turque? Brocard ou chevrette? Tilleul ou acacia? Ail des ours ou chèvrefeuille...

    1296664938.jpg1296663820-pt.jpg1296664129-pt.jpg1296664755-pt.jpg

     

    Oiseaux, Arbres, Fleurs, Mammifères : voici 4 guides enrichis de nombreuses photos, publiés par les éditions Ulmer, à glisser dans le sac à dos ou dans la portière de la voiture, avant de partir en randonnée en forêt, au marais, sur la côte, en plaine, en famille ou en solitaire. Ils sont pratiques, souples, solides, d'une lecture rapide et facilitée par une cartographie précise, des textes courts et des dessins de traces, pour les animaux. Identifier un labbe parasite, un rhinolophe euryale, un chêne pédonculé et une gentiane inconnue des services de police devient un jeu de feuilletage.

    1295369734-pt.jpg1290771649-pt.jpgPlus intéréssants encore sont, chez le même éditeur, Plantes sauvages comestibles, qui propose en plus des fiches, 100 recettes pour accomoder 35 plantes, comme la benoîte, le coquelicot, l'ortie, la pain de coucou ou encore le pissenlit. Enfin, Reconnaître les chants d'oiseaux, augmenté d'un CD, permet aux enfants de se familiariser avec les chants et les cris des passereaux, limicoles, gallinacés et autres oiseaux d'eau relativement familiers ou rapaces courants. Six guides de saison.

     

    Guides Ulmer, de 9,90€ à 12,90€, sauf le livre sur les plantes comestibles : 14,95€.

     

  • Flacons du lundi

    Château d’Or et de Gueules est un Costières-de-Nîmes (2008) d’une grande douceur. Très fruité, ce rouge planté en Syrah (45%), Carignan (35%) et Grenache (20%) s’appelle Cimel, ce qui signifie bouquet de fleurs en Occitan.  Son nez est de fruits noirs frais et mûrs. En bouche, c’est l’adjectif soyeux qui s’impose d’emblée. Des notes de fruits noirs reviennent, avec une agréable touche confite. Il vaut 8,50€ et c’est une sorte de rouge d’été, pour accompagner magrets, côtelettes et tartes aux fruits.

    Le Canon du Maréchal. Ce célèbre vin en IGP Pays des Côtes Catalanes doit son nom aux vignes ayant appartenu au Maréchal Joffre, enfant de Rivesaltes. Nous avons goûté le rosé 2010 du Domaine Cazes qui l'élabore avec une précision d'horloger helvète (et le propose également en BIB de 3, 5 et 10 litres). Il s'agit d'un vin élevé en biodynamie depuis bientôt 15 ans. 40% de Syrah, 40% de Merlot, 20% de Grenache noir lui donnent robustesse et souplesse, fraîcheur et générosité. Fruits des sous-bois, touche légère d’agrumes sont aisément perceptibles, tant au nez qu’en bouche. Pour 6,50€, la bouteille surfe tranquillement sur la charcuterie et les poissons grillées, même s’ils ne sont pas bio ! Le Maréchal n’est pas sectaire. Il existe aussi en rouge (2010, Syrah-Merlot à 50/50) : c'est doux, tendre gourmand et printanier : pas compliqué, quoi!

    1688. Ce rosé pétillant sans alcool est un pur produit marketing : Bouteille stylée, lourde, à l’ancienne, elle évoque le champagne rare. 1688 fait forcément rêver. Le nom semble avoir été trouvé pour le marché chinois : Maison Honoré du Faubourg. Une légende (faut-il y croire?) raconte l’aventure d’une lettre datant de 1688, contenant la recette, qui fut perdue puis retrouvée chez un bouquiniste parisien… Bref, si ce breuvage, appelé Grand Rosé, issu de raisins rouges et blancs quand même, avec un nez muscaté agréable, n’était pas bon, on vous le dirait. Or, on en oublie qu’il y a 0% d’alcool (et ni additifs, ni sucres ajoutés) dans cette sorte d’apéritif étrange et doux, qui ressemble à un effervescent champenois et qui est capable de séduire, et pas que les filles ! 10,55€ le flacon, quand même.

  • L'odeur du figuier

    51zze+0yHZL._SL500_AA300_.jpgSimonetta Greggio est Italienne, elle écrit en Français et elle porte le Sud dans son écriture comme Albert Londres portait la plume dans la plaie (*). Il y a du soleil qui oblige les yeux, de la sensualité qui tressaille, de l'Italie forte et vraie, du sable entre les doigts de pied, de la chaleur envahissante comme les caresses et les baisers peuvent l’être, des nuits blanches pour diverses raisons, dans chacune des cinq nouvelles de ce nouveau livre, L’odeur du figuier (Flammarion, 17€) et tout cela embaume un printemps hésitant, pas tout à fait comme le ciseau du couturier fend la soie : avec cette douceur décidée qui ne se retourne pas et va droit. Tutto diretto. Il y a beaucoup d'amour dans cet ouvrage, d'amour comblé ou déçu, d'amour assouvi un temps, un temps seulement, d'amour attendu, espéré, d'amour bafoué par des cons d'hommes (tiens, jeu de mots), d'amour total, volontaire et issu du don majuscule. D'amour partagé parfois. Il s'agit surtout, en fil d'Ariane, d’histoires écorchées d'impossibles couples. On saute sur des coups de foudre, ces "rencontres de deux urgences disponibles", on contemple derrière des lunettes de soleil virtuelles, une paire de personnages échappés d'un film encore inédit de Godard & Truffaut, où Chiara et Tsvi évoluent comme des traductions métaphysiques de la nonchalance d'avant l'Internet. Ils sont touchants et, n'étaient d'embarrassantes fourmis bien mandibulées, ils seraient aussi touchés par la grâce. Simonetta Greggio a beau se défendre de tout excès en brandissant, au détour de certaines phrases, un never complain, never explain muet, elle fend nos coeurs d'artichauts, mais elle a le tact de les cuisiner pour ses lecteurs au lieu d’imposer sans sommation leur masse lacrymale. "Je n'ai jamais pu quitter un homme sans en être désespérée, et aussi férocement soulagée", écrit-elle. L’improbable narratrice dit. L’auteur écrit. Celle-ci (which one?!) nous a avoué, lors d'une lecture en public de Fiat 500, la 5ème nouvelle du recueil, que toutes ces histoires étaient nées de son imaginaire (la part du vécu, la part d'inventé, hein, on n'en connaîtra jamais la proportion, ma p'tite dame!). Or, lorsque nous lisons : "C'est l'hiver, les nuits sont longues; j'essuie mes larmes et j'écoute la pluie qui tombe avec un vrai intérêt, un intérêt entier, exagéré, comme quand on est dans une salle d'attente et qu'on a rien à lire", nous y sommes et nous y croyons. Nous croyons à la vérité Greggio. Nous la lisons au plus près. Cette vérité est faite d'empêchement, pas de renoncement. D'empêchement. Et aussi, par exemple, d'un hommage au très grand écrivain (je pèse mes adjectifs) Mario Rigoni Stern, dont elle évoque Le Sergent dans la neige (histoire homérique, romantique, dostoïevskienne et en même temps pudique comme une sotie de Gide, humble comme du Primo Levi, sur la retraite de Russie, au milieu de laquelle une poignée de soldats italiens se débat, hébétée, et qui commence par ces mots : "J'ai encore dans les narines l'odeur de la graisse qui fumait sur le fusil-mitrailleur brûlant."). L’année 82 est le titre de notre nouvelle préférée, sur les cinq. Elle semble évoquer l’arrivée de la jeune Simo à Paris, sans le sou, prête à en découdre, à bouffer le monde avec les os, la graisse et les habits qui vont avec. Le récit de la galère de Léo, de mille métiers, mille misères, en désappointements et déconvenues qui sont autant de leçons sur la nature masculine et la vie, est une leçon de courage en temps de crise et en 3D. Au moins. Les années sida pointent leur sale pif d'oursin couard, et c’est tout à coup vraiment compliqué, non. Là, SimoGreggio la joue scénar’, électrique, godardienne, on dirait une Wiazemsky qui ose, elle se lâche : cut, plan serré, travelling arrière, large maintenant, reviens sur le truc, là, oui, voi-là ! On la tient. L'écriture, qui prend l'accent du film Jules et Jim, ne perd cependant jamais de vue l'objectif, qui est de dire : mon vieux, ma vieille, l'amour, c'est compliqué. Pas impossible, non, mais compliqué. Très compliqué. Telle est la leçon primordiale. Et Simonetta, par bonheur, rebondit, le corps mangé de sel sur l’anse caillouteuse de Positano, parce que le foutoir de Naples l’effraie, et qu’elle vit alors la passion (sexuelle seulement : résumons) avec un Moreno, un cyclone. (Donc le seul endroit sûr, c'est son œil). Tout cela fait un livre. Lorsqu’il s’agit d’un recueil de nouvelles, vient cet irrépressible besoin d’en chercher obstinément une ou plusieurs unités fondamentales, surtout celle qui décolle, au-delà du fil d'Ariane. Le roman nous manque, son absence nous intrigue. Ici, avec ce livre-là, l'unité n'a pas besoin d'être cherchée sur place, mais d'être reconnue, retrouvée peut-être, dans ces vers de Shelley, lesquels ferment L’odeur du figuier :

    L’esprit

    Est la vie

    Qui coule à travers

    Ma mort

    Sans fin

    Comme une rivière

    Qui n’a pas peur

    De devenir

    La mer.

    ----

     

    (*) Notre rôle (les journalistes) n'est pas d'être pour ou contre, il est de porter la plume dans la plaie. Célèbre maxime du Prince des reporters, Albert Londres, que tout journaliste digne de ce titre a, punaisée, au-dessus de son Mac. -Je me trompe?..

     

  • la plancha a sa fédé

    C'est le barbecue de l'avenir, un mode de cuisson de respect, un état d'esprit venu du sud de l'Espagne, qui a gagné le Pays basque et commence à envahir l'hexagone, si l'on en juge par le choix, dans les supermarchés, de planchas portatives, électriques (les meilleures sont au gaz, bien sûr, mais elles coûtent plus cher). Alain Darroze, cuisinier ancré dans le terroir au point d'avoir créé jadis Sos-Racines, et actuellement installé à Bayonne, a créé avec quelques partenaires la Fédération française de cuisine à la plancha. Cet outil que l'on trouve désormais dans la plupart des jardins du grand sud-ouest, et qui sert aussi bien à cuire under control viandes, poissons, légumes ou fruits, commence sérieusement à intéresser tout un chacun. D'où l'idée de lancer les premiers championnats de France amateurs de cuisine à la plancha. Vingt champions issus des concours régionaux disputeront les épreuves finales à la Foire de Paris, du 28 avril au 7 mai prochains. A suivre...

     

    home_r1_c2.jpgAlain Darroze : la Plancha c’est le respect du produit, et par conséquent du terroir dont il émane. C’est aussi la convivialité du sud, mais, et j’y tiens beaucoup, vécue, transformée, adaptée par d’autres cultures de partage, tout aussi chaleureuses, du Nord jusqu' à l’Est de la France. Et puis la Plancha c’est aussi la santé ! La chasse au gras ouverte toute l’année ! www.ff-cuisine-plancha.fr

  • Dans les Landes... Mais à Paris, rue Monge

    Julien Duboué, chef de Afaria, A table! en Basque, évoqué déjà sur ce blog (le 25 septembre 2008), installé 15, rue Desnouettes, Paris 15, a donc ouvert il y a trois mois à peine une seconde enseigne bien gasconne : Dans les Landes... Mais à Paris (119 bis, rue Monge, Paris 5) et cette nouvelle bonne table, où il se trouve en permanence pour un temps (ayant confié les rênes d’Afaria à son « ombre » en cuisine), ne désemplit pas, même l'après-midi, où une grande terrasse continue de servir à boire et à manger. La formule est formidable : des tapas copieuses (façons raciones à San Seba) et très savoureuses, mêlant terre et mer, terroir basco-landais (les Landes seules ne suffiraient pas!) et pitchounettes incursions ailleurs. Le service est jeune, compétent et très souriant, physionomiste même. C'est servi dans des torchons qui tapissent des pots de résine (comme pour les admirables pieds de cochons désossés, mis en cubes pânés –la star de la carte, à mes yeux et papilles), ou bien des sabots comme on en fabriquait encore, il y a peu, à Siest juste en bas, devant les barthes... (pour présenter la chiffonnade de jambon Ibaïona, ou bien les chipirons aux piments doux, d'une fraîcheur, et donc d'un moelleux et d'un gusto extraordinaires), les tables individuelles et surtout les deux grandes tables collectives, assez hautes, invitent les Parisiens à pratiquer un échange convivial qui a toujours cours, de Peyrehorade le mercredi, jour de marché, à touche-touche aux Pieds de cochons, ou bien le dimanche avant le match de rugby, jusqu'à Fontarrabie, calle San Pedro du côté de Xanxangorri et au-delà, via Bayonne, quai Jauréguiberry, vers Ibaïa et Txotx. L'ardoise, outre un plat de chaque jour, offre une liste de tapas qui font (malheureusement) toutes envie. Outre les précitées (car nous y sommes déjà allés plusieurs fois), il y a aussi la (délicieuse) tortilla, qui change : un coup aux papas bravas et oignons confits, là aux premières asperges blanches... Les filets de caille marinés et délicieusement croustillants, les cœurs de canards en persillade – comme aux Fêtes de Dax, ces gambas avec une sauce d’inspiration thaï à se damner,  le mini croissant au jambon truffé,  la tourtière aux pommes et sa petite crème au beurre salé : parfaite, et encore ces couteaux et moules basquaise, qu’il me faudra bientôt goûter, ainsi que la poitrine de cochon (ibaïona) et la brochette de jambon au fromage de brebis (ardi gasna)… La carte des vins est évidemment  sud-ouest à fond, et c’est bien, tant mieux car  magnifique (notamment les côteaux-de-chalosse, vins modestes mais de caractère, trop méconnus à mon goût). Les prix sont assez doux. Un seul petit reproche : il faudrait que l’arrivée des plats ne ressemble pas à une avalanche, car on se sent alors speedé : comme c’est chaud et que l’on n’a pas envie de manger froid de si bonnes choses, on passe d'un plat l'autre à 100 à l’heure… Bon, c'était un samedi soir et la fois précédente, sur semaine, ce coup d'accélérateur ne s'était pas produit. Astuce : commandez les tapas en deux fois ! Par conséquent un immense bravo au jeune chef –il n’a pas 30 ans, natif d’un village infiniment cher à mon cœur,  Saint-Lon-les-Mines. J’ai passé le plus clair de mon adolescence dans la campagne autour de la ferme que mes parents avaient achetée à St-Lon, et j'y ai même trouvé le sujet et le cadre de mon premier roman, Chasses furtives (lire ci-contre à gauche). Julien Duboué a fait ses classes chez des chefs qui sont par ailleurs devenus des amis : Alain Dutournier (Carré des Feuillants, Trou Gascon, Pinxo… à Paris), Philippe Legendre (lorsqu’il était au Georges V à Paris) et chez lequel je me trouvais encore avant-hier à déguster sa cuisine pour les copains et la famille, bien planqués en Sologne, ou bien des cuisiniers de respect chez qui je me régale toujours : Jean Coussau à Magescq (Relais de la Poste) , Francis Gabarrus à Saubusse (Villa Stings), ainsi que chez Drouant (j'aime moins) et même chez Boulud à New York! (jamais testé). Aupa!

     

       

     

  • Procida off

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    IMG_4332.JPGIMG_4406.JPGIMG_4291.JPGIMG_4376.JPGIMG_1959.jpgentrer des mots clefsentrer des mots clefs

    Il y avait, là, cette semaine, des silences faibles, des lumières ténues et chaudes, des rires francs et durables, des sons de cloches chaque quart d'heure sauf la nuit, des petits thons  remontés dans les filets, des citronniers envahis de fruits, des beignets de fleurs de courgettes, du vin pur d'amitié, et de l'amour entre les mains.

     

     


     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Onirio

    ONIRIO - EDITION LIMITEE 2011 NESPRESSO - CAPSULE 3.jpgOnirio. C'est le nom rêveur de la nouvelle capsule de Nespresso. Elle est d'un blanc ivoire, nacré même, redoutablement chic et le café est d'une douceur rare. Velouté, enveloppant, suave, ce café éthiopien possède des flaveurs insoupçonnables de fleurs blanches comme le jasmin, lesquelles nous éloignent du café stricto sensu pour nous inviter dans un palais des Mille et une nuits. A l'instar d'un thé rare, Onirio invite à la conversation déliée sur le tapis, l'après-midi. Ce café onctueux, presque crémeux, est néanmoins dense, puissant même -mais à la manière d'une danse du ventre : c'est le regard de celle qui expose ses hanches qui retient davantage l'attention que sa houle renversante. Nespresso suggère d'adjoindre Onirio à des recettes à base d'agneau, ou de cabillaud, ou encore de poire, dans lesquelles coriandre, sésame, gingembre, soja et cardamome augmentent le caractère oriental de ce café singulier. Rimbaud n'est pas très loin... (0,37€ par étui de 10).

  • Rosé d'Enfer

    Rose d Enfer.jpgIl fallait oser, Plaimont l'a fait. Baptiser à la manière de Belzébuth un vin rosé gourmand, vif (grâce à 40% de Pinenc, aux côtés des Tannat : 40% et Cabernet-Sauvignon), d'une belle frâicheur, à la robe pâle comme un grand saumon nordique de chez Barthouil, délicatement fruité (groseille, citron, pomme verte), et doté d'une jolie longueur à peine acidulée, est audacieux. Les producteurs de Saint-Mont (Gers) ont le vin simple, franc et bon, et leur marketing leur ressemble, qui ne (se) prend pas la tête. D'ailleurs, un béret reçu hier par courrier m'annonce un nouveau rouge de la maison : Béret noir (avec une dominante de Tannat) : à suivre. Rosé d'Enfer (6,50€) fera un carton l'été prochain, autour des planchas au fond du jardin, c'est sûr ! En tous cas, nous, on aime ces rosés de soif et de qualité, un brin canailles, qui changent tellement des provence notamment, lesquels se la pètent depuis quelques années en jouant aux grands vins. Une saignée de cuve ou une presse après macération pelliculaire courte, c'est pas sorcier, mais c'est du sérieux, à condition d'abord de vendanger la nuit, à la fraîche. Mais de là à déguiser un rosé en grand rouge, non.

     

     

     

     

  • Le bistrot du dimanche

    Voici venu le temps des anecdotes, sur ce blog...

    Dimanche dernier, j'étais invité à participer à l'émission de radio de Jean-Luc Petitrenaud sur Europe 1, Le Bistrot du dimanche, au motif que son sujet portait sur le Pays basque culturel et gourmand (il me semble avoir désormais une étiquette vert et rouge collée sur le front : je suis devenu le-gonze-du-sud-ouest de service. Cela n'est pas déplaisant). Sur le plateau, il y avait notamment mon pote Jean Brana, vigneron, et cela se passait au Troquet, chez Christian Etchebest (Pairs 15 ème). On m'a téléphoné et je suis intervenu à distance. A la fin de l'émission, hors-antenne, on m'a remercié, on m'a souhaité une bonne journée dans mon Pays basque, en ajoutant que la prochaine fois, on me ferait "monter" à Paris... Or, je vis à Paris depuis seize ans ce mois-ci, et cette participation s'est faite à quelques arrondissements d'écart. Comme quoi, il y a des étiquettes qui vous enracinent là où vous ne faites que revenir. Il ne me fut pas difficile de voir un signe dans cette méprise... 

  • les faits boomerang

     Surprise... Comme je souhaite offrir à un ami mon livre Je l'aime encore, qu'il est épuisé chez l'éditeur et que je n'en ai plus qu'un seul, que je me garde, j'ai cherché un exemplaire d'occasion à vendre sur un site en ligne, et je l'ai trouvé. J'ai donc passé commande il y a trois jours et ce matin tôt, un livreur m'a porté le petit colis jusqu'à ma porte. Et quelle fut ma surprise, en ouvrant l'enveloppe, de découvrir l'exemplaire que j'avais dédicacé et adressé, à sa parution il y a plus de quinze ans, à feu mon ami Jean-Jacques Brochier, alors rédacteur en chef du Magazine Littéraire (nota : je me fous royalement du cheminement de ce livre, depuis le décès de Jean-Jacques il y a six ans, jusqu'à moi ce matin). J'étais encore entre deux cafés matinaux, je me suis assis et j'ai relu mon envoi amical. Puis, j'ai feuilleté le bouquin, et j'ai repensé au moment précis où j'avais signé ce livre pour lui, chez l'éditeur. J'ai revécu le petit bout d'émission de télé qu'il avait consacrée à ce petit texte sur la chaîne Seasons (à laquelle je collaborais également) -émission au cours de laquelle il avait à son habitude allumé Gitane sur Gitane, et où il m'arriva de griller un havane : c'était autorisé à l'époque (Jean-Pierre Fleury, notre boss, se contentait de pester après le courrier ulcéré de certains téléspectateurs). Jean-Jacques avait -à son habitude encore-, sifflé, hors champ, à lampées furtives, deux ou trois verres de Johnny Walker (planqué sous la table), lorsqu'il sacrifia à un éloge spécial copinage, mais sincère, car Jean-Jacques était un homme d'une sincérité en voie de disparition.

    Et je me suis dit : la vie est courte et c'est un boomerang. Alors j'ai pensé au boomerang de Julien Gracq, un objet dont la perte, enfant, le mina. Il l'avait évoqué, lors de notre première rencontre en janvier 1999, à Saint-Florent-le-Vieil. Et c'est au point que je réfléchis, depuis la disparition de mon monstre littéraire préféré, à écrire quelque chose sur les effets de la perte de ce boomerang sur la vie de Gracq. (Voir Lettrines, page 23). Mais, ici ce soir, je n'en dirai pas davantage sur le motif, car c'est le livre de feu mon copain de quelques chasses et agapes Jean-Jacques Brochier, que je regarde. Et je pense à sa voix métallique et profonde, à sa barbiche, à son regard derrière des lunettes rondelettes, à son amour immodéré pour Maupassant, à ses pamphlets décapants contre les anti-chasse, les anti-tabac, à ses éditos du Magazine Littéraire parfois trop gentils, ou bien tellement raccord avec ses affinités du moment (Besson, Lanoux, Adler) ou intemporelles (Lowry, Sartre...). Nous nous sommes un jour accrochés à propos de Camus, que je défendais bec et ongles face à l'auteur de Camus, philosophe pour classes terminales. Rien n'y fit. Même lorsque je le taquinais sur sa bienveillance à l'égard de la maison Grasset : "forcément, m'objectait-il : ils font vivre mon magazine!". Il était franc et il disait vrai...

    Jean-Jacques, où que tu sois ce soir, je te remercie de cette visite imprévue. Et prends un armagnac avant de te recoucher, s'il te plaît.


  • Nîmes Toquée

    aoc_costieres_de_nimes_medium.jpgL'initiative revient à l'agence Clair de Lune, qui se plaît à dire, avec Maupassant, que L'homme qui aime normalement sous le soleil, adore frénétiquement sous la lune. Il s'agissait de suivre un parcours dans la ville de Nîmes en suivant ses plus beaux endroits, où des barnums avaient été installés. Sous les vastes tentes et parfois à l’intérieur, comme au splendide musée taurin Pablo Romero ou à l’Hôtel Boudon, les chefs les plus talentueux de la ville proposaient des plats à déguster avec des vins des Costières de Nîmes. Plusieurs vignerons se trouvaient à chaque étape. Au départ, il fallait prendre un pochon contenant un verre, des couverts et un petit carnet-guide afin de rédiger commodément les commentaires de dégustations. Je noterai ici seulement mes coups de coeur à propos des nombreuses cuvées proposées par les vingt-neuf producteurs présents. Nîmes Toquée s'est tenu le 28 novembre dernier.

     


    Sur une tartelette de parmesan aux légumes confits et brandade de morue, signée Laurent Brémond (L'Imprévu) et dégustée au Temple de Diane, le Château des Tourelles, cuvée Le Grand Amandier, blanc 2009, bien que marqué par le bois, présentait une belle touche de viognier sous la dominante de roussanne et la pointe de marsanne. Le rouge 2008 Terre des Launes du Domaine de Gallician La Cave, avait des syrah bien évoluées et des tanins déjà correctement fondus.

     

    Sur un -excellent- tartare de saumon d’Ecosse à l’huile d’olive de Nîmes (AOC) signé Sébastienrencontre_vigneronne_feedback.jpg Granier (Aux Plaisirs des Halles) et devant le Théâtre de Nîmes, je retiens un rosé de repas, celui du Domaine de Donadille (60% grenache, 40% syrah) élaboré par les étudiants d’un Lycée agricole. Et surtout un rouge (2007) remarquable, en biodynamie, Les Grimaudes, du domaine éponyme (40% carignan, 40% grenache, 20% cinsault). Le Domaine Les Grimaudes propose d’autres cuvées (celle  que nous avons goûtée est l’entrée de gamme) que je me promets de découvrir : Perrières, et Ansata. La vigneronne présente (Emmanuelle Kreydenweiss, photo ci-contre) installée avec Marc, son mari, dans la région de Nîmes depuis 1999, possède aussi un domaine en Alsace.

     

    ambiance_bodega_thumb.jpgSur un filet de lotte rôti avec un beurre de sauge et châtaigne, avec un velouté de potimarron à la muscade et un champignon shitaké poêlé avec un trait de citron vert, signé Vincent Croizard (Darling), au temple taurin dédié à la dynastie des Pablo Romero, j’ai retenu le côté gourmand du Château de l’Amarine, cuvée de Bernis (blanc 2009), le nez intéressant, dominé par d’agréables roussannes, des Vignerons Créateurs : Château Font Barrièle (blanc 2009), le bon rosé (2009) d’apéro, de fiesta et de bbq, Moulin d’Eole de la Cave des Grands Grès, la remarquable élégance et le « fondu enchaîné » d’un rouge 2009 nommé Sébastien, du Domaine de la Patience. Pas de bois neuf, des syrah fines, une réussite.

     

    Sur un baluchon d’agneau confit et sa côte en croûte de sarriette, oignons doux des Cévennes caramélisés, jus de braisage aux baies, feuilles de choux de Bruxelles, signé Olivier Douet (Le Lisita), très bien exécuté d'ailleurs, et devant les Arènes, j’ai retenu l’originalité du Château Beaubois, cuvée Confidence (rouge 2009) : 95% grenache et 5% de syrah seulement. C’est rond et déjà très friand pour un vin si jeune. Le Domaine de la Cadenette présentait Siracanta (rouge 2009), qui nous est apparu comme une bête de concours (à Syrah). Le Domaine de Poulvarel, Les Perrottes (rouge 2008) est magnifique ! Complètement sur le fruit avec ses syrah douces, et c’est gourmand en diable : miam !

     

    Sur un duo de pélardons affinés et leur chutney aux fruits secs, proposés par Le Régal (traiteur à Marguerittes), à l’Hôtel Boudon, le toujours aussi splendide blanc (2009) de Michel Gassier, Nostre Païs, avec ses 95% de grenache et 5% de viognier et de roussanne, un élevage pour moitié en cuve et pour moitié dans de vieilles barriques, est tout en séduction, à l’instar de toutes les cuvées de ce vigneron « de respect ». Le Château L’Ermitage, cuvée Sainte Cécile (rouge 2007) est exceptionnel dans ce millésime : 60% syrah, 30% mourvèdre, 10% grenache. Enfin, Le Bien Luné, de Terre des Chardons (rouge 2009), en biodynamie depuis 2002, 60% syrah, 40% grenache, est tout simplement superbe, avec une attaque franche et une complexité qui associe force et douceur sans jamais abuser l’une ou l’autre.

     

    Sur un moelleux cévenol, crème de réglisse, signé Jean-Michel Nigon (Wine bar Le Cheval Blanc), au Carré d’Art, j’ai retenu seulement Scamandre, des Domaines Viticoles Renouard (rouge 2007), 50% syrah, 30% carignan, 10% mourvèdre, 10% grenache, car il m’est apparu magnifique de fraîcheur et de fruité, puis de confit et d’épicé « comme il faut ». Un vin à fond sur le fruit donc, sur la gourmandise et la fraîcheur : tout ce que l’on aime dans les Costières de Nîmes, qui sont une appellation de plus en plus chère à mon cœur. 

     

    En prime, et ça n'a rien à boire, ces vers holorimes (pour un poème homophone) de Victor Hugo (ou peut-être sont-ils de Marc Monnier...), qui m'ont toujours fasciné (essayez d'en faire autant avec le sujet de votre choix, et vous verrez vite que ce n'est pas facile...) : 

    Gal, amant de la Reine, alla, tour magnanime, 

    Galamment, de l'Arène, à la Tour Magne, à Nîmes.


    L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération.


  • Nevica

    Il neige à angle coupant : 35-40°, avec ce vent glacial qui hache en biais le rideau des flocons, alors je pense au réchauffement de ma planète car, n'ayant jamais été bricoleur, je sais à peine isoler mes grandes fenêtres. Donc j'alimente un feu de cheminée généreux et pousse les chauffages électriques à fond. Et tant pis si la moitié fout le camp par les interstices. J'ai déjeuné merveilleusement avec mon fils au Vertbois (38, rue du Vertbois à Paris 3 : un excellent resto nouvellement tenu -depuis le 15 mars- par deux charmantes associées, Soline Bourgeot et Pauline Mure ) d'un thon rouge formidable avec son pesto et ses herbes thaï, et d'une entrecôte de l'Aubrac tendre et fameuse, en provenance de la boucherie du Rouillon, à Athis-Mons, accompagnée d'un Premières-Côtes-de-Bordeaux signé des époux Dupuch, L'Alios de Sainte-Marie (2008) friand, carrément sur le fruit, gourmand et bien merloté. A présent, je mets des légumes tranchés fins à revenir dans une bonne huile d'olive (oignon, ail, carottes, tomates cerises entières -elles crèveront toutes seules-, céleri, cèpes, champignons de Paris), j'ajoute des herbes diverses : persil plat, romarin, estragon, laurier froissé pour qu'il dégage bien. Je fais revenir à part un lapin en morceaux. Au bout d'un moment je mélange le tout avec une grande rasade de vin blanc et ça mijote à tout petit feu pendant trois quarts d'heure dans la grande cocotte. Le temps d'attraper divers bonbons : Chez Marcel Lapierre, de Sébastien Lapaque, sur le regretté Marcel et son morgon adorable, L'argot du bistrot du regretté Robert Giraud (les deux à La Table Ronde, Petite Vermillon), les livres de Simonetta Greggio (quatre sont déjà au Livre de Poche) que j'ai à la fois bouffé et dégusté  l'un derrière l'autre, ces derniers jours : j'ai particulièrement aimé la sensibilité droite et forte comme une aube de novembre sur un plateau de l'Aubrac de "son" Diable au corpsLes Mains nues, et la subtilité gourmande de Etoiles (aussitôt offert à Philippe Legendre, ex 3*** au Four Seasons - Georges V). Il y a aussi La douceur des hommes, si sensuel, et Col de l'ange, intime en diable  -familial même ... Je survole le quatuor, feuillette en m'arrêtant sur mes annotations au stylo. Ca mijote tout doux en cuisine, bbllbbllbbllbbll... A mi-cuisson, j'ôterai les morceaux de lapin pour les désosser et remettre le rongeur émietté dans la cocotte en fonte. J'ai encore le temps de prendre un vieux bouquin retrouvé, Le roman d'Angelo, de Luchino Visconti (Gallimard, Haute enfance) en pensant à l'île d'Ischia, la grande voisine de ma Procida chérie, puis Les fiancées sont froides, de Guy Dupré (Petite Vermillon, encore) pour le plaisir accru, toujours, de retrouver une prose hiératique et pure comme celle du Gracq du Rivage. Clin d'oeil amical à la préface donnée par Jean-Marc Parisis à cette salutaire réédition... Je picore, lis comme on mange des tapas entre copains, debout, à la barra d'un rade recommandable derrière la Concha de San Seba. Je tire sur un havane (Short Churchill, de Romeo y Julieta), écoute un live de M, Les Saisons de passage, au rock aride et fort comme l'armagnac de Laubade, Intemporel n°5. L'après-midi passe ainsi. Je plongerai au dernier moment les papardelle dans l'eau bouillante, ce soir, -oh, quelques minutes à peine, et les incorporerai à mon sugo di coniglio correctement réduit. Je sais d'avance que, à l'instar du couscous de ma mère, il sera meilleur demain. "Le lendemain, il sera souriant, tu verras"... La Sierra du Sud 2009, au top ces temps-ci (un côtes-du-rhône de haut vol signé Gramenon) escortera le tout avec une dignité qui forcera le respect dû à la vigneronne qui officie là-bas. Nevica : Il neige.  Je ne pense plus au réchauffement de ma planète, à présent embaumée par les parfums mêlés en provenance (j'ai failli écrire Provence) de la cuisine...

     

     

     

     

     

  • Bars Bayonnais

    C'est un livre qui paraît aujourd'hui, je ne l'ai pas encore vu, mais j'ai le plaisir -et l'honneur- de l'avoir préfacé. Son auteur, une amie et consoeur, Colette Larraburu, s'est livrée à une enquête historique et sociologique, étalée sur trente ans, du Café des Pyrénées, bar emblématique bayonnais. Dire que les cafés sont des lieux de vie, d'échanges, de socialisation et d'information est une tautologie. Etudiant à Sciences Po, j'avais eu le bonheur de pouvoir choisir, pour sujet de mémoire de fin d'études, le "décortiquage" sociologique (la mode était à Bourdieu, à l'époque), linguistique, économique, social, etc., une année durant, d'un bar de Bordeaux, L'Oriental, Place de la Victoire (il changea par la suite plusieurs fois de nom -il était déjà rebaptisé Le Central à la fin de mon enquête de terrain). C'est dire si la proposition de préfacer un tel livre m'a aussitôt séduit! L'Oriental, Les Pyrénées, je repense, une fois de plus, à la parole si juste, si profonde de l'écrivain portugais Miguel Torga : L'universel, c'est le local moins les murs... 

     

     Alors Bravo Colette! Il me tarde de recevoir le bouquin et de le lire! (J'y reviendrai donc). Il est publié aux éditions Elkar : Rendez-vous Place Saint-André. Et voici ce que Emmanuel Planes en dit ce matin dans le journal Sud-Ouest :

    http://www.sudouest.fr/2010/12/10/le-cafe-des-pyrenees-un-balcon-sur-saint-andre-263243-4018.php

     

  • étincelant

    Bu, tout à l'heure, plusieurs vins des châteaux et domaines Castel, dont un magnifique cru bourgeois du haut-médoc, bien connu (j'en faisais mon ordinaire dans les années 80 -je vivais alors à Bordeaux), le château Barreyres. Le 2009 est splendide de force contenue et de féminité droite et néanmoins subtile; comme décidée à soutenir n'importe quel regard gitan. Les merlots sont épanouis, les tanins raffinés, les cabernets-sauvignon discrets, équilibrants. 

    Le Tour Prignac, cru bourgeois du médoc, me séduisit davantage avec sa cuvée de base qu'avec sa Grande Réserve, trop bodybuildée et m'as-tu bu...

    Quant à Etincelle, cuvée du domaine de La Clapière, vin de pays d'Oc, elle excella -grâce à de soyeuses syrah- avec l'extraordinaire noisette de chevreuil, réduction de jus de fruits rouges acidulée et ses petits légumes croquants (chef : Christian Le Squer, Pavillon Ledoyen sur les Champs-Elysées, ce midi). C'est un vin franc, nerveux, fougueux, séducteur, avec un nez chantant et profond, une attaque comme une fiesta et une longueur en bouche remarquable. Il n'est ni guindé ni coinçant, mais plutôt gourmand et affirmé.

    Mention spéciale au château Ferrande, graves blanc aux sauvignons délicats, leste et fouettant sur la seiche et la dorade crue, ainsi que sur les saint-jacques, malgré l'abondance d'épices, d'agrumes, donc de barrières barbelées en diable; car il se comporta comme un escorteur souverain, là-dessus. 

    Cela juste pour dire que -une fois de plus- le sud-est l'emporte sur le bordelais, comme un monde neuf l'emporterait sur un continent vieillissant et confit dans sa suffisance...

    Au passage, je recommande le site de gastronomie créé par mon amie Marie-Caroline Malbec, cookissime (sauf pour ses papiers vins, plats ou dithyrambiques comme des communiqués de presse).

     

  • Challenge millésime bio


    challenge-2010_0689b.jpg

    Lundi dernier, j'ai participé, à Montpellier, à un jury de dégustation de vins bio venus de toute l'Europe, et force fut de reconnaître, en dégustant des petites merveilles, que les vins bio -et bons- étaient plus nombreux, plus adultes, moins foireux qu'il y a peu et que les règles drastiques, nécessaires à l'obtention du label bio n'empêchaient plus la qualité. J'ai retenu, à ma table de dégustation, plusieurs costières-de-nîmes à suivre de près (décidément, mes rendez-vous gustatifs récents avec cette appellation sont formidables) et, une fois toutes les bouteilles démaillotées, de splendides vins italiens et espagnols notamment, ainsi que des côtes-du-rhône d'exception. Sur le site, se trouvent les infos sur cette grande dégustation et le Salon qui la suivra en janvier. Le palmarès de ce grand jury, avec les médailles d'or et autres métaux est ci-dessous :

    Palmares - medal winners - Challenge Mill Bio 2011.pdf

    Je regrette personnellement que Jardin secret, cuvée prestige 2009 de Cabanis à Vauvert, en appellation costières-de-nîmes, n'ait eu qu'une médaille d'argent, car il méritait l'or (selon mes papilles).

    http://www.challenge-millesime-bio.com/

    Mention spéciale à l'organisation minutieuse et irréprochable de AIVB-LR : association interprofessionnelle des vins biologiques du languedoc roussillon (merci à Cendrine Vimont) et special kiss to l'agence Clair de Lune (notamment Amandine Rostaing et Marie Gaudel) comme d'habitude parfaite dans son job d'agence de comm. spécialisée dans les (bons) vins, surtout ceux du Sud.

    Clin d'oeil au Bistro! Chez Boris, (Montpellier) où le pot-au-feu est excellent. Ah! L'os à moelle -et ce bouillon sans "yeux"!..  Surtout avec La Baronne Les Chemins, magnifique corbières (2008) délicatement "carignanné", ainsi que le Domaine des Carabiniers, côtes-du-rhône (2008) sis à Roquemaure, remarquable pour la fraîcheur de ses grenaches.

  • Habana initiacion

    1304743800.jpgElle est encore réticente, hésite à franchir le pas, a peur d’avaler. Cette fois, il s’agit de ne pas le faire. D’oublier la cigarette. La prise en main étonne : c’est gros ! Respire sa tête - à fond. Dis ce que tu ressens davantage que ce que tu sens. L’herbe coupée, le bois, le poivre, le cuir, la sueur - dis tout. Pense au vin. Laisse-toi enivrer par le meilleur du cigare peut-être : sa dégustation à cru. Puis nous l’allumons pour elle. L’apprentissage de l’allumage du cigare viendra après. C’est quoi ? –Un robusto de Flor de Selva : la fleur de la forêt. Un honduras fait par une femme, Maya Selva. Un cigare doux, franc, pas simple mais pas compliqué non plus, voluptueusement capiteux, qui monte en puissance à la manière d’une vieille anglaise (à deux roues) : passé le quatrième rapport, sur une ligne droite et pure, genre la N.10 entre Le Barp et la sortie pour Mimizan. Tu vois ? –Non. C'est pas grave. Rien n'est grave. Sauf la mort d'un être cher et l'extinction inopinée d'un havane : Alors, tire franchement dessus ! Quel que soit le cigare, il faut s’en occuper doucement mais sans relâche dès l’allumage. Si tu parles trop, il s’éteint et se venge en te refilant une âcreté dont tu te souviendras. –Mais c’est difficile à tenir entre deux doigts. Tu t’y feras. Tu aimes sa couleur pâle, même  si elle te paraît noire en regard des tiges que tu as l’habitude de griller sans plus te poser de questions ?  C’est une cape clara, grasse. Observe le huileux de cette robe lisse. Alors ? –C’est pas fort ! Je pensais que j’allais respirer du feu et du piment. Contrairement à une idée reçue, plus le cigare est gros, moins il IMG_1205_2.JPGest fort, enfin ça dépend... J’ai choisi exprès un honduras, féminin comme certains côtes de nuits, plutôt qu’un havane, pour commencer. Demain soir, j’allumerai pour toi un habano simple, le cazadores de José L. Piedra. Après-demain soir, tu fumeras, si tu le veux bien, du plus sérieux, mais encore facile : le choix suprême d’El Rey del Mundo. Et si tu franchis ce cap de bonne espérance, nous fumerons ensemble un D3 de Partagas, plus agréable que son vieux frère le D4. Nous nous cantonnerons aux robustos pour cette semaine. Si tu en redemandes toi-même, nous passerons à un calibre supérieur ce week-end, à la campagne devant la cheminée ; après le pot-au-feu. Un churchill de Saint Luis Rey ou de Romeo y Julieta. Du sérieux raisonnable.  Nous verrons si tu résistes. La manzanilla La Gitana, glacée et le jabugo tranché comme du papier gommé escortent le flor de selva comme des motards un ministre plénipotentiaire planqué derrière les vitres fumées de sa limousine filant à vive allure sur les boulevards de ceinture. La femme en cours d’initiation ronronne. Si tout se passe comme nous le souhaitons, au quatrième tiers elle sera conquise à la cause, et l’homme obtiendra licence à durée indéterminée  d’allumer son double coronas du soir sans s’attirer les foudres habituelles. Module vivendi. Le cigare attire les femmes mais toutes répugnent à passer à l’acte. Il convient par conséquent de les initier à ces femme-pagan.jpgobscurs obus de nos désirs en respectant leurs caprices soudains : j’ai envie de chocolat ! Je n’ai qu’un nuts, pas de noir amer. –Tant mieux, donne. Et c’est ainsi que, par l’entremise d’une barre chocolatée, elle acheva le premier barreau de sa carrière d’amatrice. Elle allume aujourd’hui ses habanos avec le naturel d’un torcedor au boulot. Sa féminité s’en trouve accrue, comme je la déguste du regard seulement, à travers l’écran de fumée partagé.

     

     

  • Sardegna a tavola

    IMG_1531.JPGMon restaurant italien préféré à Paris est Sarde. Et il m'écartèle. Sardegna a tavola (1, rue de Cotte dans le douzième) est un miracle de bonheurs gastronomiques. Des produits d'une fraîcheur et d'une qualité époustouflante, des cuissons parfaites, des associations audacieuses et réussies (*), une générosité rabelaisienne, une subtilité rare et une inventivité désarmante, des plats splendides, et inoubliables certains, tous inspirés d'une terre âpre et de ses rudesses paysannes reloaded, et aussi de la mer, de la nécessité du pêcheur -poétisée par celle qui attend son retour. Et enfin des vins excellents, issus notamment d'un cépage enchanteur, le cannonau (grenache sarde).

    Tutto bene. Molto bene.

    Ma...

    Mais : les prix se sont envolés depuis deux ans et ils sont aujourd'hui en orbite : de 20 à 30€ le plat de pâtes, entrées jusqu'à 40€ (cèpes crus, mais bon), plats idem...

    Mais, surtout, l'accueil et le service du boss sont devenus absolument exécrables, il n'y a pas d'autre mot. Tonino est aujourd'hui aussi imbuvable qu'un sale gros gosse gâté qui tape du pied en braillant quand ça lui chante ou qui fait la gueule et appuie à fond sur son air bougon mal dégrossi. Cela fut, il y a quelques jours, à la limite de l'inconvenance affichée comme un principe et de la grossièreté automatisée, à prendre ou à laisser car je t'emmerde. Et moi, ça, je n'aime pas du tout. Si certains Parisiens adorent se faire houspiller, qu'ils aillent là.

    Néanmoins, c'est tellement bon que je parviens à fermer les yeux sur ces deux énormes barrières et à retourner dans ce resto depuis des années! C'est simple, je vais encore y réserver une table -là.

    Allez comprendre...

    (*) Dans Buca e mari (l'une des entrées "du jour" : le marché, presque aussi long que la carte, vaut à lui seul un poème d'amour et plusieurs repas) j'ai pu trouver entre autres : endives émincées, oignons confits, raisins secs macérés, pignons grillés, haricots verts croquants, fenouil al dente, artichaut confit, thon fumé, poutargue fondante, citron et huile d'olive!..

     

    Photo de Anna Maria Maiolino (Fondation Tapies, Barcelone, 15/10/10 - 16/01/11), peintre et performeuse brésilienne d'origine italienne.

  • Secret Wine

    logo_fre-FR.pngL'agence de communication lyonnaise www.clairdelune.fr a eu la bonne idée d'organiser une dégustation à l'aveugle, de 3 bouteilles de vins, à l'intention de blogueurs oenophiles. 85 ont accepté de jouer à www.secret-wine.com. (Et ainsi de mentionner l'initiative sur leur blog, ce qui est fait !). Chacun a reçu par courrier 3 flacons numérotés avec un bouchon synthétique vert, le tout parfaitement anonyme. En les débouchant, un air de famille se dégageait nettement : nous étions a priori dans le Sud de la France, dans le Sud-Est, voire dans les Côtes du Rhône septentrionales pour la bouteille portant le numéro 390. Les flacons partageaient une robe profonde presque noire, un nez de fruits rouges et noirs, épicé, herbacé la n°390, plus léger la 714. En bouche, l'affaire se compliqua puisque le voisinage des appellations troubla à nouveau ma dégustation. Il s'agit vraisemblablement de vins jeunes : 2007 ou 2008. A la rigueur d'un 2005 pour la 079, ma préférée car la plus charpentée, la plus charnue, la plus complexe, la plus soyeuse et la plus séduisante en somme. Je ne me risquai sur aucun nom de domaine. Je finis par voter sans grande conviction car je ne parvenais pas à trancher entre Saint-Chinian, Côtes du Roussillon et Costières de Nîmes pour la première. Entre Saint-Chinian, Crozes-Hermitage et Vinsobres (Côtes du Rhône) pour la seconde (j'ai même pensé un instant à Cahors, mais le côt ne me semblait pas franc du collier), et entre Gigondas, Chateauneuf-du-Pape et Vacqueyras pour la troisième. Pour un peu, je me risquais -non sur du bizarre, mais sur du réputé meilleur : Rasteau, Cornas, Côte Rôtie, en gardant à l'esprit que je faisais peut-être fausse route et que les flacons pouvaient venir d'ailleurs (Af'Sud, Californie, Chili...). Je votais finalement ceci (résultats le 12) :

    714 : Costières de Nîmes.

    390 : Crozes-Hermitage.

    079 : Vacqueyras.

  • Procida a tavola

    Ca bouge! La meilleure adresse, ex-aequo avec Gorgonia, toujours très bien (surtout pour les pâtes au homard, les pasta e fagioli ou les poissons du jour grillés et la gentillesse d'Aniello) était -à mes papilles- La Conchiglia, sur la plage de Chiaia. Or, la chef est partie officier à La Pergola, qui était déjà une très bonne adresse sur l'île. Les pâtes alla ricca de la Conchiglia ont du coup du plomb dans l'aile et la carte semble aller à vau-l'eau, avec à peine quelques plats disponibles -les pâtes fraîches maison demeurent cependant très bonnes. Caracalè (voisin de Gorgonia, sur la Corricella) est devenue vraiment excellent : je monte cette adresse de trois crans en la hissant, cette année, au premier rang, avec, sur le port de Sent'Co, Sfizico. Une adresse proche, Fammivento se maintient (extraordinaire sformato di melanzane), comme Scarabeo, à l'intérieur de l'île. Mais la palme revient -et c'est une surprise personnelle- au si sympathique Vincenzo, de Graziella, "le" bistro sur Corricella, pour sa friture (aérienne, façon tempura) d'anchois et de chipirons, d'une fraicheur et d'une franchise de goût exceptionnelle. Mention spéciale enfin, à Girone, sur la plage de Ciraccio (Chiaiolella) pour la générosité de ses plats humbles et la gentillesse des patrons.

    http://www.youtube.com/watch?v=gAJj4dZjIYY&feature=related

    Gigliola Cinquetti, Non ho l'età..

     

    www.isoladiprocida.it

     

  • Pizze di Napoli

    IMG_1490.jpgIl faut en finir avec les adresses réputées indéboulonnables : la pizzeria Da Michele (1, via Sersale) fait l'unanimité à Naples -en tout cas dans les guides touristiques. Or, la pizzeria Trianon Da Ciro (voisine : 44-46 via Colletta) ainsi que la pizzeria Vesi (115, via S. Biagio dei Librai) sont de loin bien meilleures, tant pour la qualité de la pâte, de la tomate, de la mozzarella (il faut comparer les marg(h)erita ou margarita -la pizza originelle, entre elles pour bien tester, en plus la king size vaut à Naples de 3 à 4,50€ à peine) que par la sympathie du service et même le spectacle des pizzaiolos à Trianon.

    http://www.youtube.com/watch?v=zUhZD1--kNA

    Marino Marini, Come prima

    Photo (©LM) : chez Vincenzo, Graziella, Corricella, Procida.

  • canard-vin-négrette

    photos-humour-vaches-chevaux-9_oir.jpgFormidable, la négrette 100% dans un flacon de fronton* 2008 du château de Bouissel!

    Mention spéciale à Thibault de Plaisance 2006, château Plaisance, en Fronton (70% négrette, 25% syrah, 5% cabernet sauvignon).

    Et encore mieux : la demoiselle, les coeurs et l'aiguillette sur l'os, de canard (et son escauton de maïs), d'Alain Dutournier au Trou gascon, pour escorter Délit d'Initiés, un autre fronton (château Laurou, 2008), 100% négrette lui aussi : puissance et rondeur, finesse et corpulence, élégance et rusticité. J'adore (la photo illustre d'une certaine façon, l'effet que cela peut faire, en bouche).

    *lou vignoble toulousain!

  • L'esprit Arzak

    Des photos de François Mouries illustrent ce papier sur le restaurant Arzak, à San Sebastien, que je signe dans le dernier n° de Maisons Sud-Ouest, et dont voici un extrait (le reste en kiosque!) :

    "Elena a quarante ans et en paraît trente. Aïta (Papa en Basque, elle l’appelle toujours ainsi) en a soixante-sept, mais il est hors-d’âge, comme les grands armagnacs. Juan Mari et Elena forment un tandem insécable en cuisine. « Los Arzak » comme on a l’habitude de les désigner, fonctionnent main dans la main depuis 1995, date à laquelle Elena est revenue à la maison mère, fondée en 1897 par les aïeuls Juan Maria Etxabe et Escolastica Lete, après des études hôtelières en Suisse et une tournée des grands chefs européens, y compris Ferran Adria, ami et compagnon d’aventures intello-gastronomiques de Juan Mari. Mais Elena a toujours traîné dans les cuisines d’aïta depuis sa plus tendre enfance. « J’avais onze ans, ma grand-mère paternelle Francesca dirigeait la casona (maison), Maïté ma mère pilotait l’administration et mon père était au piano. Avec ma sœur Marta (aujourd’hui membre de la direction du musée Guggenheim de Bilbao), nous passions deux à trois heures par jour à aider en cuisine, pendant les grandes vacances. Et pendant mon tour des grandes tables, je revenais chaque fois montrer à mon père ce que j’avais appris, nous échangions déjà beaucoup. » (...)

    Pour penser, à l’étage, passée la cave aux 100 000 bouteilles et 2500 références, qui reposent sur des bacs en inox, où la lumière provient de fibres optiques afin de ne pas augmenter la température, fixée à 16°, il y un appartement consacré à ce que nous avons envie d’appeler le « phosphoring ». C’est le labo Arzak. Il n’en existe qu’un seul autre, celui de Ferran Adria. Deux personnes, Xabi et Igor y travaillent constamment, sans jamais descendre en cuisine. Ils goûtent, tentent, pensent, isolés comme des moines du goût, déstructurent les produits comme le philosophe Derrida le faisait avec les concepts, décortiquent jusqu’à l’âme des ingrédients et les fiancent pour produire « de l’inédit bon ». La pièce d’à côté est consacrée au design des plats. Ils y sont dessinés, disposés selon des critères indispensables, on projette leurs photos au mur, on discute sans cesse. Enfin, une dernière pièce de cet étage labo est ce que Juan Mari nomme « la banque d’idées ». Elle contient 1600 produits différents, venus du monde entier, dûment lyophilisés, dans des boîtes transparentes, sur étagères, et cela constitue un trésor qui enrichit chaque jour l’esprit créatif de l’équipe. Celle-ci allie la jeunesse porteuse du savoir le plus talentueux, à l’expérience « maison » la plus sédimentée : Pello, chef des cuisines, compte trente ans de «boîte » à son actif, Antolina, pâtissière, quarante ! Une saga sur fond de longues tables en inox. Dans un établissement « reloaded » par le décorateur Borja Azcarate, lequel travaille avec le mari d’Elena, architecte, Manu Lamosa. Ça reste en famille. Revenons au labo… Machine à déshydrater, machine à lyophiliser : le tandem Arzak expérimente, n’hésite pas à utiliser les outils modernes. Interrogés sur la techno-cuisine, la cuisine moléculaire et autres avatars décriés pour leur utilisation parfois abusive de produits chimiques nocifs, « los Arzak » répondent sagement : il faut manier cela avec prudence, parcimonie et seulement pour sublimer un produit. Exemple : « de l’œuf à la poule et de la poule à l’œuf », est un plat qui est issu d’un bouillon de poule et de chair de poule  lyophilisée (réduite en poudre) laquelle, plus concentrée en goût, vient assaisonner le bouillon en rehaussant les saveurs du produit originel. Ce n’est pas pour faire joli ou tendance, mais parce que c’est bon ainsi ! Excitant pour les neurones comme pour les papilles…
    La philosophie Arzak repose sur cinq principes, comme la cuisine basque (maritime) repose sur quatre piliers : les chipirons à l’encre, la morue à la biscayenne, les kokotxas (bas-joues de merlu) au pil-pil et le merlu en sauce verte. Ces cinq axiomes sont : une cuisine d’auteur, une cuisine basque, une cuisine d’investigation, une cuisine d’évolution et une cuisine d’avant-garde. Juan Mari : « Nous partons d’une culture propre, identitaire, forte. Nous l’enrichissons en la frottant à d’autres cultures, d’autres produits, d’autres façons de faire. Nous adaptons cela au goût local et au goût général (c’est parfois difficile). Au final, nous accomplissons une évolution, nous avons le sentiment d’avoir créé quelque chose. » Aujourd’hui, « los Arzak » rêvent peut-être d’inscrire au patrimoine culturel du goût, qui n’existe pas dans le réel, mais qui transcende un tissu de légendes, un plat, un seul, que l’avenir désignerait, ou pas, comme le cinquième élément de la cuisine basque. Mais ils n’y pensent pas trop. Le tandem se concentre sur l’unité de lieu (l’adresse originelle) et l’unité de production (un seul restaurant), ce malgré des tombereaux de propositions mirifiques. L’envie d’encourager, de conseiller les initiatives formidables comme la future Université gastronomique basque les anime. Ils ont surtout l’ardent désir de continuer de cultiver leurs valeurs propres : l’humilité, la capacité à être constamment ému par le monde qui les entoure. Continuer de penser comme un enfant, enfin… « J’ai commencé dans les années soixante-cinq avec la nouvelle cuisine basque, dit Juan Mari. Vingt ans après, avec Elena, le restaurant a été propulsé dans la modernité. Aujourd’hui, ma cuisine serait impossible sans elle. Mais, surtout, avec Elena, la maison Arzak a gagné au Loto !.. »  " ©L.M.

  • Cuisine de crise


    La difficulté est créatrice. Et la crise n’est jamais triste, si l’on réfléchit un peu lorsqu’on est perplexe au marché ou devant son frigo.

    La cuisine est toujours gaie, qui associe avec talent les produits simples à l’inventivité et à l’audace. La crise n’oblige en rien à manger mal. Avec quelques idées pour sublimer les restes, un trognon de chou-fleur a soudain de la gueule et des kilos de nourriture sont sauvés de la poubelle ! Les plats pauvres ont une histoire propre : les « migas » (miettes, en Espagnol), sont un plat composé à l’origine de miettes de pain ramassées aux tables des restaurants par des mendiants qui inventèrent ce mets « à la fortune de la poêle », en y ajoutant de l’ail, de l’huile d’olive et, au gré, chorizo, œuf, raisin frais ou secs. La pizza de base figure la Baie de Naples, la lave (tomate) du Vésuve, et l’écume de la mer (mozzarella). Les « pasta e fagioli » sont un plat italien humble, à base de pâtes diverses de fins de paquets, mélangées à des haricots blancs pour oublier la viande. Les « Moros y Cristianos » cubains (Maures et Chrétiens), à base de haricots noirs et de riz blanc, constituent le plat qui symbolise le métissage, une certaine « créolité » qui tient au corps. Avec la « soupe de pierres » marseillaise –des galets mis à bouillir : l’eau prend le goût de la mer et donne l’illusion du poisson-, nous touchons à la poésie. Tous ces plats réputés pauvres apaisent la faim avec talent et beauté. L’évolution du goût propulse ou rétrograde à l’envi : pêcher une femelle d’esturgeon pleine d’œufs était une plaie pour le pêcheur, il y a environ quarante ans en Gironde. Les canards de basse-cour n’en voulaient plus et les gamins se sentaient punis lorsqu’on leur en donnait à pleines cuillerées. Même chose pour les pibales. Personne ne voulait, il y a quarante ans, au fond de l’estuaire de l’Adour, de ces alevins d’anguilles valant aujourd’hui 1200€ le kilo. Sauf un fabricant de colle, installé dans les Landes, qui en débarrassait les pêcheurs. La cuisine humble a de beaux jours devant elle. Je sais qu’avec trois œufs et des chips broyées à la main et posées dessus, ma fille étudiante offre une omelette croustillante. Et qu’avec une boîte de sardines, un tube de harissa et une fourchette, elle écrase tout, tartine du pain et ravit ses copines. Pour la chef Véronique Melloul, réfléchir à un tel sujet est une occasion de cuisiner innovant et utile. Corrézienne élevée par sa grand-mère Louise, Véronique a travaillé chez les plus grands, comme Ferran Adria, et a bourlingué, notamment outre-mer, avant de se poser chez elle, au Bistro Poulbot, à Paris. La nuit, elle invente des recettes qui font entrer la campagne dans la modernité... ©L.M. (la suite en kiosque, dans VSD paru ce matin, p. 70 et s.)

  • CochonCanaille

    Ribouldingue, dans le V ème à Paris, fait la fête aux plats canailles et on adore ça. La table est tenue par Nadège Varigny (de la bande à Yves Camdeborde, Le Comptoir à l'Odéon, Paris VI). L'adresse : rue St-Julien le Pauvre (là où se trouvait El Fogon d'Alberto Herraiz*), célèbre le cochon et les abats comme personne. Hier soir, pouir patienter, la couenne de cochon finement tranchée reposait sur un mesclun subtilement vinaigré. Puis c'est la salade de tétines de vache, le groin de cochon aux lentilles et les rognons blancs d'agneau en persillade qui ont lancé le bal, car c'est toujours mieux de prendre trois entrées quand on est deux. Suivirent l'oreille de cochon pânée et la tête de veau et sa cervelle, sauce gribiche. Que du bonheur, avec une Poignée de raisin de Gramenon, côtes du rhône d'une évidente simplicité. Ajoutez un saint-marcellin à point et un sablé aux marrons et vous comprendrez pourquoi Ribouldingue, avec un menu-carte à 29€, est l'une de nos adresses préférées. Et au diable la cuisine light des restos chichiteux!

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    * ¡ el rey de los arroces y de los gaspachos !.. est installé, avec une étoile décrochée dans le Rouge 2009, quai des Grands-Augustins (Paris VI ème) depuis quelques années.

  • Manger romain

    Le repas-type du Romain (sous la Rome antique)
    Les orgies étaient l’exception qui confirmait une règle de frugalité et l’apanage d’une minorité de riches. La diététique était déjà une préoccupation.
    L’image d’Epinal nous renvoie un Romain oisif, occupé à des orgies perpétuelles, allongé, entouré de victuailles et de courtisanes. Cette image fausse nous renseigne quand même sur les menus d’exception de l’aristocratie romaine : cochonnaille, jambons, boudins, volailles, gibier, mouton, bœuf, poissons et crustacés, fruits, légumes divers. Amphores de vins, en général doux, voire sucrés et lourds.
    Le quotidien est autre dans la Rome antique. La frugalité est de rigueur, soit que la pauvreté force le Romain, soit qu’un souci de santé l’y pousse volontairement. Notons que l’ivrognerie comme la gourmandise excessive étaient condamnées. Au temps d’Apicius, gourmet célèbre sous l’Empire, la cuisine mêle fréquemment le sucré et le salé. Elle est riche en herbes, épices locales ou importées d’Orient : poivre, cumin, ail, thym, oignon, origan, persil, rue, menthe, gingembre, câpres, pignons de pin, laurier, silphium (ombellifère) et garum.
    Le garum, sorte de nuoc-mâm, est une macération au sel, d’intestins de thons et de maquereaux. Très répandu, il est l’indispensable condiment de chaque repas, notamment du soir.
    Trois repas rythment la journée du Romain. Le jentaculum, ou petit-déjeuner, est fait de pain, galette, ail, biscuits secs et sucrés. Le prandium, ou déjeuner, est rapide, souvent pris simplement avec du pain, des fruits, quelques olives. Le soir, la cena est le repas le plus important. Légumes, fruits, poissons, viandes le composent. Le pain est souvent aromatisé avec du pavot, de l’anis, du céleri. Le boulanger, pistor, apparaît dès le II ème siècle av. J .C. Le patissier, pistor dulciarius, prépare la classique placenta, à base de pâte de farine, miel, semoule et fromage.
    Le raffinement de la cuisine poussait l’inventivité à l’extrême : un ragout de langues de flamants roses, symbole du luxe, n’était préparé, par des cuisiniers privés, que dans les grandes familles romaines. Il existait des écoles de cuisine. Parmi les plats principaux, courants, il y avait la patina, ou patella, une sorte de flan à base de légumes, poissons et œufs. Les ofellae sont à base de morceaux de viandes en brochettes. Le minutal est une fricassée de poisson ou de viande avec des fruits. Le vin était consommé additionné d’eau, voire d’eau de mer, de miel, d’aromates divers, afin d’alléger son aspect sirupeux.
    L’art culinaire avait ses coquetteries : il s’agissait de transformer, de masquer, ou de rendre méconnaissable les produits d’origine. Faire passer un quartier de porc pour une volaille en le « sculptant » littéralement, donner à des tétines de truie –plat recherché, l’apparence d’un poisson… Le Romain pratiquait le gavage des coqs, et des oies dont il mangeait déjà le foie gras.
    Les femmes n’assistaient pas aux repas, habituellement. Les courtisanes accompagnaient en revanche les hommes. Mères de famille, épouses, enfants se tenaient donc à l’écart et dînaient ensemble. Les hommes prenaient volontiers leurs repas sur des lits. Le triclinium désignait trois lits à trois places, en fer à cheval autour d’une table. Neuf convives, le nombre des Muses, était un maximum. Debout, esclaves, serveurs composaient l’aréopage d’une certaine aristocratie.

    Un repas sous César
    Rapporté par Macrobe, voici un menu exceptionnel.
    Hors-d’œuvre : coquillages, fruits de mer, grives sur asperges, poules bouillies, marrons à la sauce d’huîtres et de moules. Vin doux.
    Poissons de mer, becfigues, filets de sanglier, pâtés de volaille et de gibier. Tétines de truie, têtes de porcs, ragoûts de poisson, de canard, de lièvre.Volailles rôties.
    Les desserts, sans doute variés de ce repas, sont inconnus.

    Deux Apicius
    Le premier vécut de –25 à 37. Il élaborait des recettes fort complexes. Homme raffiné, il n’hésitait pas à faire de longs et périlleux voyages pour en rapporter des denrées qu’il jugeait nécessaires à son art culinaire.
    Le second Apicius vécut au tout début de notre ère. Il s’est contenté de reprendre nombre de recettes de son illustre homonyme. Son fameux Traité de gastronomie date du Vème siècle. Il renferme un autre traité, riche d’enseignements ethnographiques sur les moeurs culinaires, et donc sur les mœurs tout court des Romains!

    © L.M., versus no light... sta serra.

  • Foie gras, suite

    Dans une note du 6 novembre, j'annonçais la victoire d'ED L'Epicier, au banc d'essai foies gras effectué récemment. En réalité (le magazine Régal est arrivé ce matin au courrier avec le papier correspondant), c'est Dupérier* qui l'a emporté. ED est second et a eu, en prime, le coup de coeur du jury. Son rapport qualité/prix semble imbattable. Hediard est avant-dernier.

    *Foie gras de canard entier des Landes mi-cuit (IGP). 53€ / 550g.

  • Ed foies gras

    Banc d'essai foies gras l’autre matin pour le magazine Régal au restaurant basco-landais Afaria du jeune et brillant Julien Duboué (lire par ailleurs sur ce chef). A la surprise générale, des 8 foies dégustés à l'aveugle, celui qui s'en sort le mieux est le foie gras que l'on trouve chez ED, l'épicier le moins cher... Fabriqué par Delpeyrat (une bonne maison), il se distingue aussi bien pour son aspect, son nez que pour son goût. Celui qui fut dans les choux est vendu chez Hédiard. Cher et très déçevant. Comme quoi... La Comtesse Dubarry ne s'en sort pas trop mal, mais le prix de son foie est prohibitif. Certains autres, de fabrication artisanale -par égard, pudeur et respect, nous ne les citerons pas-, vendus par Internet, s’en sortent à peine, par derrière, sur la pointe des pieds. Régal ! En période de crise, savoir qu’un bon foie gras est abordable, c’est cadeau. Faites passer!

  • Défense et illustration

    Certains jours, j'ai envie de créer une association de défense et illustration de quelques produits méconnus, négligés : le lard de Colonnata, la crème de marrons, des coquillages : les bulôts, les percebes (pousse-pieds), les navajas (couteaux), les boulettes, les oreillettes ... Vous en avez bien un ou deux en tête. On allonge la liste ensemble?..

  • Maisons Sud-Ouest spécial Goûts & Saveurs

    Dans la dernière livraison de ce magazine, paru aujourd'hui, je donne les cinq meilleures adresses de Pintxos (bars à tapas) du moment, à San Sebastian. Les gambas de Goiz Argi (en face du restaurant de Martin Berasategui, l'un des meilleurs chefs d'Espagne), rue Fermin Calbeton, valent à elles-seules le déplacement. C'est mon fils, plutôt gueule, qui me les fit découvrir en juillet dernier.

    Par ailleurs, six grands chefs du grand Sud-Ouest, comme Michel Sarran à Toulouse, Jean-Claude Tellechea à Bayonne ou encore Johan Leclerre à Aytré, m'ont parlé de leur mentor. Le plus souvent, c'est l'un de leurs proches parents. Et livrent leur recette fétiche.

    Le numéro, riche en adresses de bons vins, ouvre avec Michel Bras.
    En kiosque.