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Txotx!

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Papier qui paraît dans le dernier numéro de Pyrénées magazine :

Txotx

MOJON !

Par Léon Mazzella. Photos : Serge Bonnet

Le cidre basque n'a rien à envier à son rand cousin normand. Mieux : d'aucuns prétendent que ce dernier lui doit quelque chose… Reportage à Txopinondo, cidrerie basque du nord, avec Dominic, encyclopédiste du sagarno, lors du Txotx, la fête annuelle du cidre nouveau.

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Il a beau être né en 1955 à Falaise (Calvados), Dominic Lagadec est le plus Basque des Normands, malgré un nom breton. Autant dire qu’il a toujours vécu “dans les pommes”.  L’apuru (patron) de la cidrerie Txopinondo ( "rassemblés autour d’un verre"), qu’il a créée à Ascain en 1998, est une encyclopédie du sagarno, le vin de pomme (Sagar : la pomme et no : qui vient de). 

La définition juridique du cidre est “boisson fermentée à base de pommes”, et il est assimilé aux “vins tranquilles” blancs, rouges et rosés au regard des Douanes. Une cidrerie – le Pays basque en compte une centaine, surtout en Gipuzkoa, et en particulier autour d’Astigarraga et de Hernani –, désigne le lieu où l’on transforme les fruits cidricoles à pépins (pomme, poire, nèfle, coing…), à l’exception du raisin. Elles sont devenues au fil du temps des lieux de restauration. Certaines, comme Txopinondo, reçoivent le jus des pommes qui ont été pressées en Espagne, puis celui-ci est mis en barriques et il fermente à Ascain, jusqu’à la fête du Txotx, soit du cidre nouveau, qui a lieu autour de fin janvier - début février. Le terme, arrangé phonétiquement, dérive du basque zotz (petite branche d’arbre), et désigne le bout de bois qui obture l’orifice de la kupela (barrique de 5 000 à 15 000 litres – certaines peuvent contenir jusqu’à 30 000 litres !), par lequel jaillit un jet de cidre que l’on recueille dans son verre, à la queue leu leu et en file indienne, lorsqu’il est ôté d’un coup sec et à intervalles réguliers, au cri rassembleur de “mojon !” (ça mouille !), lors des longues soirées extrêmement conviviales et festives dans les cidreries, de l’hiver au printemps. Le succès rencontré par le rite du txotx et les cidreries en général va croissant et a vu passer la production du sagarno produit dans l’ensemble du Pays basque (nord et sud), de un million de litres en 1970 à douze millions aujourd’hui*. Cependant, 15 % seulement du cidre est consommé dans les cidreries et 85 % est mis en bouteilles. Le sagarno est largement distribué et même exporté : c’est le “French farm taste” très prisé des Américains, précise Lagadec, tout en mettant la dernière main au préparatifs de sa grande soirée : dans quelques heures, c'est l'ouverture de la fête annuelle du Txotx, à Txopinondo. 150 convives sont attendues, des personnalités comme José Mari Albero, qui dirige Sagardo Etxea à Aztigarraga, le maire-adjoint d'Ascain, Jean-Pierre Ibarboure… Les txuletas sont prêtes à être grillées, et la musique est assurée cette année par l'ensemble bayonnais Kriolinak. Le nombre de buveurs de cidre augmente donc vite, reprend notre encyclopédiste, et dépasse de beaucoup celui des pommiers! 

Une histoire en dents de scie

L’histoire du cidre basque a pourtant connu des vicissitudes et fait parfois du yoyo. La présence de pommiers en terre basque est attestée dans un document daté du 17 avril 1014, signé du roi de Navarre Sanche le Majeur.  Les cidreries sont nombreuses au Moyen-Âge, sur la Côte, autour de Bayonne et de Saint-Jean-de-Luz, et l’apogée de la culture de la pomme basque se situe au XVIIe siècle. Un pèlerin de Compostelle écrivit alors de façon imagée que l’on pouvait aller “de Bayonne à Bilbao sans descendre d’un pommier”, raconte Dominic Lagadec, tout en vérifiant ses kupelas : "C'est mon 16è Txotx ici". Nous goûtons le cidre 2013, qu'il voit évoluer depuis mai : "moins alcoolisé que l'an passé, son goût est plus franc, plus sec", commente-t-il, "sa belle robe jaune paille et jus de citron est superbe. En bouche, le pamplemousse et la mandarine explosent doucement" . "Il fut même un temps où les marins pêcheurs basques et normands échangeaient leurs greffons de pommiers en pleine mer", poursuit Dominic. Réputé pour combattre le scorbut, le cidre était également embarqué pour l’usage de l’équipage. D’aucuns prétendent même que les marins basques auraient très tôt exporté leurs meilleurs pommiers vers la Normandie, où la culture du cidre se généralisa au XIVe siècle, puis s’étendit à la Picardie, à la Bretagne et à l’Angleterre. 

Il y a un siècle encore, la Normandie achetait des pommes en Gipuzkoa, car le savoir-faire de la transformation (distillerie, mise en bouteilles) était encore inexistant en terre basque. Une variété de pomme du Pays d’Auge se nomme d’ailleurs Bisquette (de Biscaye) et une pomme basque s’appelle Normanda. L’apogée du cidre, quant à elle, date de la fin du XIXe siècle, lorsque le transport des pommes se faisait par bateau de Honfleur à Bayonne, puis par bœufs depuis Hendaye. La culture de la pomme périclite avec la fin de la pêche hauturière et l’arrivée du maïs. La consommation du cidre passe derrière celle du vin, les goûts et le commerce évoluant. La fin de la seconde Guerre mondiale met un coup d’arrêt à la culture du cidre basque, jusqu’à la fin des années soixante, où un regain d’intérêt s’amorce, qui ne fera que croître, avec la forte demande, notamment, des sociétés gastronomiques de Donostia, et la mise en bouteille du sagarno qui se généralise. La consommation du cidre s’accélère après la mort de Franco en 1975, qui voit aussi l’essor du Txakoli. Le modèle de la bouteille de cidre basque, baptisée Sagardo est déposé en 1982. Aujourd’hui, c’est un million de repas “txotx” typiques - avec  omelette à la morue, txuleta (côte de bœuf), fromage de brebis, membrillo (pâte de coing), noix et cidre à volonté (pour 30 à 35€) qui sont servis chaque année. Le sagarno, qui titre 6°, est consommé dans l’année et il ignore le sulfitage, ce qui en fait un produit plutôt naturel, que l’on peut boire (avec modération) jusqu’au bout de la nuit. Ce premier février, l'ambiance conviviale augmente avec le temps, la chaleur, les chants, le cidre, les agapes et les rires se font plus clairs, plus forts et communicatifs. Les convives, venus en famille, entre potes ou en groupes, lèvent les verres et trinquent. Dominic passe entre les longues tablées, puis repart vers une kupela en lançant un long "Mojoooon!"..  L.M.

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(*) En règle générale, les variétés Basques de pommes entrent dans la composition du sagarno à 30 % minimum (et jusqu’à 50%), puis ce sont des variétés Normandes, et enfin Espagnoles, en provenance des Asturies et de Galice, qui servent à son élaboration.

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Relancer la culture de la pomme

La municipalité d’Ascain exprime sa volonté de relancer la culture de la pomme en replantant des pommiers. Le village offre déjà un pommier à la naissance de chaque Azkindar. Et l’élection d'une ambassadrice de charme, la Reine de la Pomme se tient le 15 août depuis 8 ans.

Cidreries du nord et du sud

À l’exception de Txopinondo à Ascain, et de quelques restaurants cidreries où l’ambiance est reconstituée, comme Ttipia à Bayonne, le Fronton à Arbonne et la Cidrerie à Biriatou, l’écrasante majorité des cidreries se situent en Guipuzkoa, notamment autour des villages d’Hernani, comme la cidrerie Zetala, et d’Astigarraga : cidreries Rezola, Bereziartua, Petritegi, Alorrenea, Zaplain ou, proche de San Sebastian, Burkaiztegi. Fini le temps des cidreries rustiques au rez-de-chaussée en terre battue des fermes aux murs tapissés de kupelas, et où l’on mangeait le repas Txotx à la bonne franquette. Les cidreries modernes sont d’immenses salles de réception un rien froides, de prime abord, mais elles ne le restent jamais longtemps…

Fêtes du cidre

Txotx, début février, marque l’arrivée du cidre nouveau et l’ouverture des cidreries de tout le Pays basque.

Autour du 21 mars, Kukuaren Kupela (la barrique du coucou), est une fête printanière qui rappelle une rite ancestral : lorsque le coucou chantait (il fallait alors avoir une pièce de monnaie dans la poche !) ceux qui n’avaient pas encore consommé tout le cidre durant l’hiver, le montraient au village. C’était un signe extérieur de richesse.

À la mi-juin, le cidre est également fêté et donne lieu à un festival de chantsIMG_2483.jpg de marins (en langues Basque, Gasconne, Bretonne et Française), qui se tient en souvenir des marins qui partaient en Terre-Neuve et au Labrador : le sagarno embarqué servait de monnaie d’échange avec les Indiens des rives du Saint-Laurent (il était troqué contre de la graisse de baleine, qui servait à s’éclairer).

À la mi-septembre, à l’occasion des Journées du Patrimoine, le Ban du Pressage donne
lieu, à Ascain, et à l’aide des pommes des vergers du conservatoire municipal, à des démonstrations de pressage à l’ancienne (à l’attention des écoliers) dans les vieux pressoirs comme celui de Txopinondo qui date de 1875.

Pour Urtezahar (la veille de la St-Sylvestre), un réveillon sans cotillons (avec viandes nobles et boisson à volonté, 55 €) se tient à Txopinondo, afin d’enterrer “la vieille année”. L.M.

 

 

 

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