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Le chemin des morts

images.jpegAnnées 80. Une décennie entre deux mondes. L'Espagne est devenue une démocratie. La France n'a plus de raison de continuer d'accorder le statut de réfugié politique aux militants de la cause basque. Le narrateur est un jeune magistrat administratif rattaché au Conseil d'Etat, nommé à la commission des recours des réfugiés. Il va commettre une sorte d'erreur judiciaire. Un dossier se présente à lui. Le cas d'un réfugié devenu relativement paisible et qui a même condamné l'assassinat par ETA de l'amiral Carrero Blanco -dauphin désigné de Franco-, en 1973, ce qui lui valut l'inimitié forte de ses comparses. Le jeune magistrat appliquera néanmoins le droit en vigueur et par conséquent la justice, en retirant son statut de réfugié à Javier Ibarrategui, venu demander son maintien. Celui-ci, en plaidant sa demande sans contester la décision qui lui fut signifiée sur le champ, précisa qu'il serait vraisemblablement assassiné dès son retour en Espagne par les polices politiques comme les GAL (Groupes antiterroristes de libération, les fameux "guérilleros du Christ-roi", liés au pouvoir espagnol, dans cet après-franquisme pour le moins hésitant et brutal). Ce fut le cas : Ibarrategui pérît à Pampelune de quatre balles de revolver tirées depuis une moto. Souvenez-vous, cela n'était pas rare à cette époque; voire dangereusement banalisé. Le récit de François Sureau (Gallimard), à l'écriture percutante et précise, dit le désarroi, trente ans après, d'un magistrat devenu avocat et écrivain (c'est peut-être l'auteur lui-même, peut-être pas), et dont la mort de ce réfugié basque hante chaque jour la conscience, tant professionnelle que personnelle. Il dit aussi combien elle continuera de le hanter jusqu'à sa dernière plaidoirie, jusqu'à son dernier livre et jusqu'à son dernier souffle (la fin du récit, à ce propos, est d'une force et d'une douceur impeccables). Court, ce livre d'une cinquantaine de petites pages est plus que touchant : il est poignant par sa crudité, sa clairvoyance, son effroyable sincérité. L'auteur ne cesse de réfléchir au "pouvoir de dire le droit sans rendre la justice, voire en commettant la plus grande des injustices". Nous pouvons, dit-il encore dans un entretien audiovisuel, "en toute conscience, concourir à des crimes, à des oublis, à une certaine manière de négliger la personne humaine". François Sureau est parvenu avec talent, grâce à une écriture sobre, tendue et droite, à rendre également "sensible la manière dont on peut penser accomplir son devoir en obéissant à sa conscience" et puis devoir affronter les conséquences ô combien détestables de ses actes. Ce Chemin des morts, qui désigne le parcours particulier qu'effectue, au Pays basque, la famille qui porte le défunt, depuis sa maison (l'etxe y figure le centre de tout) jusqu'au cimetière, est, selon les mots de l'auteur, "un appel à dépasser les notions de droit et de justice pour s'attacher davantage aux notions d'humanité". Et un pur joyau de littérature forte, nue, essentielle.

TERRASSES DU LARZAC MAS HAUT-BUIS.jpgALLIANCES

Comme toujours, j'ai plaisir à suggérer une alliance gourmande avec une lecture. Devant l'exceptionnelle gravité du sujet qui précède, je choisis quand même un vin qui, loin d'être austère, présente un sérieux qui force le respect et qui n'en est pas moins festif (cherchez l'erreur ou dites tout de suite que je cultive le sens du paradoxe!). Il s'agit d'un AOC Languedoc Terrasses du Larzac, appellation située au nord-ouest de Montpellier, on ne peut plus louable et qui effectue de prodigieux progrès depuis une poignée d'années. Les paysages y sont somptueux bien qu'arides, le climat méditerranéen dispense sa chaleur de garrigue, les vins y ont par conséquent un sacré caractère pour la plupart : puissants, généreux, frais, mais aussi élégants et globalement équilibrés. J'ai choisi l'un d'eux, un rouge gourmand et épicé mais pas trop, la cuvée Costa Caoude 2011 du Mas Haut Buis (21€), conduit par Olivier Jeantet à La Vacquerie et Saint-Martin. 650m d'altitude. 10 ha de vignes conduites en agriculture biologique, parmi des oliviers et des amandiers, donnant des "raisins vivants" : 40% en grenache noir, 33% en syrah et 27% en (vieux) carignan. Costa Caoude (50% grenache, 30% carignan, 20% syrah), fermente en cuve de béton, il est légèrement soufré, puis il passe un an en foudres de 20 hl et cuve béton tronconique de 30 hl. C'est un vin d'homme (*) pour escorter un gibier à plume ou à poil, ou bien une viande de boeuf racée et rassise (côte, onglet, merlan). Epicé et pourvu de notes délicates de thym et de romarin, il exprime surtout les fruits rouges et noirs sans excès et la fraîcheur caractéristique des vins rouges de l'appellation étonne toujours agréablement, ce dès l'attaque. Enjoy! 

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(*) Que les femmes me pardonnent cette appellation non contrôlée : mon amie Brigitte Lurton, qui sait de quoi il en retourne, réagit à ce papier sur ma page facebook (où il est publié simultanément -ainsi que sur mon compte twitter) en précisant que les femmes, souvent, aiment les vins d'hommes. Et vice-versa, ai-je répondu : les hommes ne sont jamais insensibles aux vins que l'on dit féminins. Mais il est entendu qu'il faut cesser de sexer les vins comme les oiseaux sans dimorphisme apparent, que l'on prend aux filets afin de les baguer. Force est aussi de reconnaître que l'attirance hétérosexuelle joue instinctivement à pleins ballons en matière de vins. Et je connais des expertes en dégustation qui ne supportent plus l'adjectif féminin adossé aux vins -sans féminisme aucun, faut-il le préciser. Mais au nom d'une liberté sensorielle et langagière, au nom du libre cours à l'imagination lorsqu'on déguste : il faut aller plutôt vers le soyeux, le velouté, la caresse, l'élégance, la classe et autres attributs qui désignent plus spontanément les femmes que les hommes, lorsque nous sommes en présence, nez dans le verre, d'un vin dont le raffinement exclut d'emblée et sans aucun doute possible la vision du poil aux pattes. 

Commentaires

  • Heures sombres...
    Sujet parfois méconnu de ce côté de la frontière, le G.A.L. a été le sujet d'un film en 2008, réalisé par Miguel Courtois, hélas raté dans les grandes largeurs...

  • Oui, sujet grave, et en plus, là, Sureau en fait un petit chef d'oeuvre. J'avais raté le film dont tu parles, je ne sais pas pourquoi il ne m'attirait pas.

  • Le film se voulait dénonciateur mais se vautrait dans le putassier. Le film sur la question Basque reste encore à faire...

  • Il est malheureusement plus facile, avec de tels sujets, de faire dans la caricature. Mais à la décharge des réalisateurs à gants de boxe et idéologie grossière, la finesse en matière de terrorisme me semble antinomique. Les Costa-Gavras, bien que militants jusqu'au dernier cheveu, sont rares.

  • Il y a sagesse et humour à lier les mots au vin. L'un et l'autre dans une bouteille. L'une jetée à la mer, l'autre ouverte avec ce petit bruit sympathique du bouchon qui sort du goulot. Les deux se dégustent. Les deux ont à voir avec des racines qui plongent profond dans la terre. Les deux peuvent être source de joie s'ils ne sont pas bouchonnés... pour cela, suivre les conseils d'un connaisseur...

  • Merci Christiane : avez-vous lu le petit bijou de Sureau? Faites-le.

  • Je l'ai commandé après avoir lu votre billet. 20 livres commandés grâce à vos billets. Toujours des joies !

  • Et bé! Joie de partager... Mais, hé, je devrais prendre des comm°, ou demander aux éditeurs d'annoncer!..

  • Coquin !

  • Je lis ce livre, très fort qui me ramène à des souvenirs encore proches. Dans une équipe de bénévoles de la Croix-Rouge j'intervenais en Zone d'attente à Roissy auprès des mineurs sans papiers cueillis à la descente des avions par la police des frontières. Je me souviens des entretiens auprès de l'Ofpra et le juge plus tard qui trancherait... Effectivement, épreuve redoutable où se scellait leur destin : expulsion ou statut de réfugié politique et admission protégée sur le territoire français.
    Aussi le destin d'Ibarrategui et les pensées du narrateur me passionnent et m'émeuvent.
    Merci pour ce conseil de lecture.
    J'en suis au milieu du livre...

  • Livre terminé. Magnifique !
    Cette phrase terrible à la dernière page, quand il s'interroge sur la mémoire et l'oubli : "La faute a des pouvoirs que l'amour n'a pas."

  • Vous aurez donc remarqué que l'on peut faire de la littérature de talent, en peu de pages, sur un sujet grave qui ne paye pas de mine a priori. C'est aussi ça, la vérité littéraire.

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